Inclusion Sociale et Démocratie Participative. De la discussion conceptuelle à l’action locale

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Inclusion Sociale et Démocratie Participative De la discussion conceptuelle à l’action locale

Ramon Canal Avec la collaboration des groupes de recherche sur la Participation Citoyenne et les Politiques d’Inclusion Sociale de l’IGOP Coordination de l’édition Commission d’inclusion sociale, de démocratie participative et des droits humains de CGLU


Inclusion Sociale et Démocratie Participative De la discussion conceptuelle à l’action locale Fait à Bellaterra, le 29 novembre 2010 Groupe de Recherche Institut du Gouvernement et des Politiques Publiques Ramon Canal Avec la collaboration des groupes de recherche sur la Participation Citoyenne et les Politiques d’Inclusion Sociale de l’IGOP UAB Edificio MRA 1ª planta Campus UAB 08193 Bellaterra +34 935 868 814 IGOP Escuela de políticas sociales y urbanas Urrutia, 17 08042 Barcelona +34 934 076 203 http://igop.uab.cat igop@uab.cat © Cités et Gouvernements Locaux Unis Avinyó 15 E–08002 Barcelona (Spain) Tel +34 933 428 750 www.uclg-cisdp.org Tous droits réservés © Design graphique et mise en page STV Disseny www.stvdisseny.com Février 2014

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Sommaire

Prologue

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1 Introduction 1.1 Marchés, démocratie et exclusion : une ère globale en demi-teinte 1.2 Inclusion Sociale et Démocratie Participative : deux concepts à succès en mal de révision critique 1.3 La perspective locale 1.4 Méthodologie

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2 L’Inclusion comme idéal normatif et comme projet politique dans les sociétés urbaines du XXIe siècle 2.1 Le concept d’exclusion sociale Note : Les impacts de la crise mondiale sur l’exclusion 2.2 Les dimensions de l’inclusion 2.2.1 L’inclusion par l’emploi 2.2.2 L’inclusion par la protection 2.2.3 L’inclusion par la reconnaissance 2.2.4 L’inclusion par l’éducation 2.2.5 L’inclusion par le lien 2.2.6 L’inclusion par la participation 2.3 Contradictions et faiblesses du discours de l’inclusion 2.3.1 Économiquement déséquilibré ? 2.3.2 Homogénéisateur et promoteur du conformisme ? 2.3.3 Politiquement insignifiant et inadapté? 2.4 Pour une vision complexe, relationnelle et dynamique de l’inclusion 2.4.1 L’inclusion est toujours multidimensionnelle 2.4.2 L’inclusion est essentiellement « autonomie » Note : Inclusion et autonomie locale 2.4.3 L’inclusion est une question sociale et politique 3. Démocratie et inclusion : réflexions sur un rapport ambivalent 3.1 La démocratie au XXIe siècle : de la quantité à la qualité 3.2 Qualité démocratique et développement humain 3.3 Le côté obscur : Démocraties exclusives et créatrices d’exclusion

3.3.1 Les origines historiques de l’exclusion démocratique 3.3.2 Exclusion explicite et implicite dans les démocraties contemporaines Note : Associations et exclusion : le côté obscur de la société civile 3.4 Est-il possible de parvenir à l’inclusion dans un contexte non démocratique ou de faible qualité démocratique ?

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4. La participation, fer de lance de l’inclusion dans le système démocratique : Promesses, portées et limites 4.1 Le modèle de démocratie participative 4.2 Les valeurs de la démocratie participative 4.3 Les différentes visions de la participation Note : Le citoyen consommateur en tant qu’agent d’amélioration des politiques sociales 4.4 Difficultés et erreurs de la démocratie participative 4.4.1 Quels acteurs ? Participation pour l’inclusion ou pour l’exclusion ? Note : L’exclusion sélective en tant qu’instrument de discrimination positive pour améliorer la participation 4.4.2 Quelle finalité ? Participation pour faire de la politique ou pour cacher la politique ? 4.4.3 Consensus et dissension : Pourquoi tant de participation si nous n’aimons pas le conflit ? 4.4.4 Construction d’un « tabouret à un seul pied ». Où sont la représentation et la délibération ? 4.5 La démocratie participative dont nous avons besoin

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5. Démocratie participative et Inclusion sociale : Proposition pour l’action 5.1 Les instruments des politiques d’inclusion 5.2 Principes normatifs et opérationnels de la nouvelle politique d’inclusion 5.2.1 Participation intégrale 5.2.2 Participation égalitaire 5.2.3 Participation qui octroie des pouvoirs 5.3 Une démocratie inclusive est une démocratie vivante

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Note : Liste de vérification de la démocratie vivante 5.4 Les impacts positifs de la participation démocratique sur les dimensions de l’inclusion sociale : Inventaire de politiques 5.4.1 Politiques locales participatives pour la citoyenneté politique active 5.4.2 Politiques locales participatives pour l’accès au travail 5.4.3 Politiques locales participatives pour la reconnaissance et la non discrimination 5.4.4 Politiques locales participatives pour l’accès aux services publics et à la protection sociale 5.4.5 Politiques locales participatives pour l’accès à l’éducation et à la culture 5.4.6 Politiques locales participatives pour la création de liens et de capital social

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INDEX DES Tableau 1 : Tableau 2 : Tableau 3 : Tableau 4 :

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Tableau 5 : 49 Tableau 6 : 50 Tableau 7 : 50 50

Tableau 8 : Tableau 9 :

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6. Conclusions

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Références bibliographiques

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Annexe Déclaration du Tiers Secteur d’Action Sociale : Pour une stratégie d’inclusion sociale 2011 – 2020.

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TABLEAUX L’exclusion sociale dans une perspective intégrale Les paradigmes explicatifs de l’exclusion sociale Cadre pour l’évaluation de la qualité démocratique Comparaison entre DI 2008 et IDH 2010 ajusté (30 premiers) Les discours de la participation et leurs implications Démocratie participative comme réponse aux problèmes d’inclusion Politiques pour promouvoir la participation effective des personnes exclues ou en risque d’exclusion Repenser le pouvoir Les impacts positifs de la participation des citoyens sur les dimensions de l’inclusion sociale :

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INDEX DES FIGURES Figure 1. Exclusion et sphères vitales 13 Figure 2. La démocratie comme participation, représentation et délibération. 34 Figure 3. Réseau d’acteurs pour l’inclusion sociale sur le territoire 45

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Prologue

Le 30 novembre 2008, Cités et Gouvernements Locaux Unis (CGLU) a adopté un document de positionnement politique intitulé « Construisons les villes inclusives du XXIe siècle » dans le cadre d’un Conseil Mondial s’étant tenu à Istanbul.

recherche exploratoire sur le sujet, tâche pour laquelle il a reçu le soutien inconditionnel de la Direction Générale pour la participation citoyenne du Gouvernement de la Catalogne (Generalitat). Le document « Inclusion sociale et démocratie participative » est le résultat de cette recherche. Nous espérons que son contenu sera intellectuellement stimulant et qu’il permettra de tracer de nouveaux chemins, aussi bien pour la recherche que pour la mise en œuvre de politiques d’inclusion sociale et de participation citoyenne.

Ce document, préalablement élaboré par la Commission d’Inclusion Sociale et de Démocratie Participative de CGLU, est un manifeste en faveur des politiques d’inclusion sociales, garantes de l’affirmation des droits de la citoyenneté, promotrices de la diversité, forces motrice de la démocratie et, en définitive, d’une politique sociale globale particulièrement pertinente et nécessaire dans un contexte de villes globalisées. Afin d’approfondir les connaissances théoriques et pratiques sur la relation entre inclusion sociale et démocratie participative, la Commission d’Inclusion Sociale et de Démocratie Participative de CGLU a chargé l’Institut du Gouvernement et des Politiques Publiques de l’Université Autonome de Barcelone de réaliser une 5


1. Introduction

1.1 Marchés, démocratie et exclusion : une ère globale en demi-teinte

Dans de nombreuses villes du monde, notamment dans celles qui comptent des millions d’habitants, ainsi que dans les zones métropolitaines qui les entourent, des diagnostics similaires pourraient être effectués. Fleury, Blanco et Subirats, dans un ouvrage consacré aux cas du Brésil et de l’Espagne, mettent le doigt sur ce problème lorsqu’ils indiquent que le capitalisme global hypermobile et hyperflexible, combiné à une croissance économique et des opportunités d’enrichissement extraordinaires réservées à certaines élites et certaines régions du monde, génère dislocation économique, précarité de l’emploi, inégalité et fragmentation sociale, criminalité, insécurité et corruption, auxquels s’ajoute la destruction accélérée de l’environnement.

« La forme historique de démocratie qui se concrétise dans la ville, y compris avec son marquage politique à gauche, favorise le court terme (...) promeut les intérêts de la classe politique plurielle et de ses groupes de pouvoir associés alors que le navire citadin en panne exige une reconstruction de l’intérêt général ; récompense les pouvoirs marchands et n’a pour priorité ni le développement ni l’égalité sociale. (...) De manière pragmatique, elles promeuvent seulement les citoyennetés électorales et laissent les dynamiques de marché broyer les citoyennetés sociales »1.

De plus, la distribution des gains et des pertes de la globalisation reste fortement inégale en fonction de facteurs tels que le sexe, l’âge, les origines, l’appartenance culturelle ou religieuse, l’orientation sexuelle et, last but not least, le lieu de résidence des personnes ; éléments qui se dessinent tous comme des facteurs potentiels de discrimination. La crise économique, présente sur une grande partie de la planète depuis 2007, n’a pas modifié, ou du moins ne l’a pas encore fait, les caractéristiques de base du système productif global; en revanche, elle a diminué le cercle des bénéficiaires et élargi celui des victimes, en plus de limiter les capacités des gouvernements, à tous les niveaux , pour agir de façon significative sur les problèmes de base des citoyen-ne-s2.

Lorsque la logique du marché devient le facteur déterminant dans la définition de la citoyenneté sociale, dans sa portée et dans ses garanties, il est bon de se tourner vers la sphère politique et de se demander jusqu’à quel point les gouvernements démocratiques ont renoncé à leur mission originelle et à leur véritable raison d’être : représenter la souveraineté du peuple en répondant aux besoins et aux demandes de l’ensemble des citoyens. La question est aussi pertinente et nécessaire que ne le sont les conséquences d’une telle défection de la part des gouvernements démocratiques.

La globalisation économique n’est ni la seule cause ni la seule manifestation visible du changement d’époque que nous vivons actuellement. Le progrès des connaissances scientifiques et les multiples applications technologiques qui en découlent, les changements sociaux très profonds produits par l’érosion des autorités traditionnelles, l’acceptation du pluralisme et l’individualisation croissante des trajectoires de vie –associée à des phénomènes tels que la mobilité, la flexibilité et l’incertitude– sont les autres facteurs qui interagissent avec les transformations

Nous pourrions trouver une consolation dans le fait que la Ville de Mexico, à laquelle se réfère la citation de Carlos San Juan, se trouve plutôt à l’extrémité négative du spectre, où se situent la pauvreté, les inégalités sociales et la corruption. Mais cela n’est pas tout à fait vrai. Sous certains aspects, le Mexique est un pays moderne, avec une croissance économique remarquable, et ses organismes gouvernementaux, ceux de sa capitale en tête, ont été à l’origine d’innovations en matière de gestion publique, en termes de transparence et de participation, qui étaient impensables jusqu’à très récemment. Cependant, ces progrès semblent insuffisants pour contrecarrer les attaques d’une globalisation, articulée presqu’exclusivement autour du marché, et d’une politique démocratique apparemment incapable de combler certaines carences structurelles.

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Álvarez/San Juan/Sánchez M., p. 33. Pour approfondir sur ce point, voir le rapport de CGLU « L’impact de la crise mondiale sur les gouvernements locaux ».


économiques, et qui se renforcent mutuellement jusqu’à atteindre une magnitude inégalée. Inutile de disserter sur la question de savoir lequel de ces facteurs est à l’origine des autres puisque cela nous ramènerait à des débats très anciens entre idéalisme et matérialisme, ainsi qu’à leurs différentes variantes3. Ce qui nous intéresse ici est de constater que ces trois facteurs offrent, dans une plus ou moins large mesure, d’évidentes opportunités de progrès pour l’humanité, mais comportent également des risques difficilement contrôlables pour la santé et le bien-être des personnes.

Parce que, même si « la subtile idéologie de l’économisme »4 entretient dans l’esprit de l’opinion publique le lien pernicieux entre stabilité et stagnation, nous savons qu’un certain niveau de stabilité personnelle et sociale est nécessaire au bien-être et au progrès, voire à la reproduction de la société elle-même5. Les individus devraient pouvoir construire leurs trajectoires de vie avec un minimum de perspective d’avenir, sans l’angoisse permanente de pouvoir perdre, du jour au lendemain, leur travail, leur maison ou leur retraite, au-delà de la fatalité inhérente à la condition humaine. Il est vrai que les changements sont intrinsèques à la vie, mais le rythme et la manière individuelle et collective de s’adapter à ces changements dépendent des décisions humaines , elles aussi individuelles et collectives.

Le fait que la balance entre opportunités et risques finisse par pencher du bon côté dépend, en grande partie, de la capacité de la société à : 1. Prendre conscience de l’existence de telles opportunités et de tels risques ; 2. Créer des capacités pour profiter des premières et prévenir les seconds ; et 3. Redistribuer les coûts et les bénéfices dans le but de parvenir à un résultat socialement juste. Or, cela ne peut être considéré comme acquis ; en effet, cela requiert de hauts niveaux de conscience et d’activité politique dans toutes les sphères de la société. L’articulation des processus politiques (qui comportent la définition des problèmes, la formulation et la discussion d’actions alternatives et la prise de décisions) au travers d’institutions démocratiques est une tâche fort exigeante, qui requiert et utilise de précieuses ressources (capacités, énergies, temps, etc.), celles-ci n’étant pas toujours disponibles en quantité nécessaire.

L’hypothèse d’une nécessaire orientation politique des facteurs structurels de l’économie peut sembler aberrante après avoir accepté pendant tant d’années que le seul modèle possible était celui de la très libre expression et expansion globale du capital productif et financier. Cependant, il est légitime de la poser, dès l’instant où nous constatons que les transformations associées à la globalisation peuvent fragiliser les bases de la stabilité économique et sociale d’une large majorité de la population mondiale. Sans critère éthique ni orientation politique, la globalisation économique nous mène à des cycles de plus en plus courts et marqués de création et de destruction de richesse. La crise s’étant amorcée en 2007 –crise de nature surtout immobilière et financière, mais qui a fini par contaminer l’économie dans son ensemble– en est d’ailleurs la preuve la plus évidente.

Le facteur temps est particulièrement important : la vitesse des changements technologiques, économiques et sociaux est supérieure à la vitesse de réponse dont fait habituellement preuve la politique ; et si la cible bouge aussi rapidement, il est impossible de viser juste. Nous devons aborder la question du problème de l’économie turbocapitaliste (Luttwark), plus globale que nationale, qui est beaucoup plus rapide que la politique, encore trop enfermée dans l’idée de l’État-nation. Sur ce point, nous avons le sentiment que la solution doit venir de deux voies complémentaires : augmenter la capacité de réponse de la politique face aux changements et ralentir, lorsque la société l’estime nécessaire –à l’issue d’un débat démocratique–, les transformations technologiques et économiques.

Nombreux sont ceux qui soutiennent que la crise actuelle est triple, économique (sous ses deux versants, financier et productif), sociale

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Sur ce point, voir : Harris. Paehlke, p. 141-147. La stabilité est aussi nécessaire pour l’exercice de la politique démocratique dans toutes ses dimensions, du simple exercice du droit de vote –qui se réduit de manière fort significative à des milieux ayant une forte mobilité résidentielle– à la participation de groupes ou d’organismes sociaux. Et elle l’est encore plus si l’on parle de la génération de leaderships qui requièrent, outre de solides connaissances du contexte acquises avec le temps, un engagement se projetant au moins sur du moyen terme.


et écologique. Paehlke avait déjà remarqué, en 20036, que la « course vers le fond » (race to the bottom) amorcée par une globalisation des marchés sans règle, via un dumping social et écologique, pouvait mener à un désastre tridimensionnel. Néanmoins, ni sa vision ni la nôtre ne sont catastrophistes puisque, bien que la situation soit grave, nous estimons que l’humanité a une marge de manœuvre et des instruments suffisants pour redresser la situation. Cependant, pour commencer à le faire, nous devons partir du constat évident que nous ne nous trouvons pas face à une situation conjoncturelle, à des faits passagers nous permettant de revenir au business as usual, au point d’équilibre antérieur entre démocratie représentative, Etat providence et capitalisme global. Les faits actuels ne sont que le reflet d’un changement d’époque, d’un changement de scène qui demande de nouveaux cadres conceptuels pour être compris et de nouveaux instruments d’action pour créer des réponses appropriées.

idéologiques grâce à une plasticité qui, par ailleurs, risque de faire l’objet d’utilisations politiques diverses, avec des finalités y compris opposées. De son côté, le concept de démocratie participative a, à des époques antérieures, connu un succès similaire. Les acteurs politiques s’étaient emparés de ce concept –pas forcément de manière superficielle– en vue d’améliorer la démocratie représentative qui ne parvenait pas à répondre aux attentes suscitées en termes de proximité et d’efficacité des pouvoirs publics dans la manière d’aborder les problèmes et les préoccupations des citoyens. Cependant, malgré une importante vague participative ayant donné lieu à la prolifération, surtout au niveau local, de règlements, d’organes et de processus de participation appliqués à presque tous les domaines de la politique publique, de nombreux doutes ont surgi quant aux impacts réels de la participation des citoyens sur la qualité des politiques publiques et de la démocratie elle-même.

1.2 Inclusion Sociale et Démocratie Participative : deux concepts à succès en mal de révision critique

Inclusion sociale et démocratie participative sont finalement des concepts qui ont été créés pour expliquer et pour aider à la transformation de la réalité complexe de notre époque. Dans un système complexe, il est normal de voir apparaître des définitions ambigües, des significations contradictoires et des effets imprévus. Dans ce sens, la réflexion sur le rapport théorique et pratique entre ces deux idées doit être précédée d’un examen approfondi de leur potentiel, de leurs points critiques et de leur validité générale.

Inclusion sociale et démocratie participative sont tout deux synonymes de succès dans le discours politique actuel. Après des siècles de régimes autocratiques, très peu participatifs et fortement exclusifs, nous pouvons nous réjouir de leur triomphe apparemment incontestable. A priori, inclusion sociale et démocratie participative pourraient être les piliers de la construction d’un nouveau discours sur la société idéale, adapté aux conditions de la nouvelle époque ; un discours plausible et ayant une nette vocation normative. Néanmoins, les choses ne sont pas si simples. Lorsqu’un signifiant a trop de succès, tout le monde (groupes sociaux, idéologies, etc.) veut se l’approprier et, commencent à proliférer des usages (et des abus) linguistiques qui peuvent l’éloigner peu à peu de la signification ou des signifiants originaux, au point de rendre ce lien méconnaissable.

1.3 La perspective locale « Les gouvernements locaux sont des acteurs essentiels dans un monde globalisé où les villes et leurs zones métropolitaines concentrent une grande partie de la population »7. Cette phrase, qui sert d’introduction au document de positionnement politique intitulé Construisons les villes inclusives du XXIe siècle, conjugue une affirmation discutable, à mi-chemin entre le désir et la réalité (les gouvernements locaux comme des acteurs politiques de premier ordre), et un constat tout à fait important et indiscutable : la croissance continue et (vraisemblablement) inévitable des villes du monde entier, à tel point que les personnes qui y vivent sont déjà majoritaires. C’est donc dans les villes que se concentrent les ressources (matérielles et symboliques) et les inégalités sociales, la mémoire et le déracinement, les risques et les opportunités, la circulation, toujours plus accélérée, des personnes, des biens et des idées. Si le monde global apparaît en demi-teinte, ses villes encore

Le paradigme de l’inclusion, par exemple, est parvenu à remplacer, dans une bonne partie du monde académique et politique, l’ancien paradigme, héritier du matérialisme historique, du conflit de classes. Ce nouveau paradigme explique sans doute mieux que les théories marxistes les nouvelles réalités sociales et renferme un important potentiel utilisable dans une démarche critique et transformatrice. Malgré tout, étant donné que le discours de l’inclusion définit grosso modo le problème comme l’éloignement de certaines personnes et de certains groupes vis à vis de la société « normale », plus que comme l’existence de conflits d’intérêts structurels, ce discours est devenu attrayant pour les penseurs et les politiciens du camp libéral-conservateur. En définitive, l’inclusion sociale a triomphé comme objectif politique, dépassant les frontières

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Paehlke, pp. 141-147. Ayuntamiento de Barcelona, p. 31.


plus. Et c’est justement dans les villes que nous trouvons le principal champ de bataille dans la lutte pour la démocratie, la participation et l’inclusion.

ou gestionnaire, évitant ainsi la dissimulation ou la relativisation de certains aspects fondamentaux pour l’amélioration de la qualité démocratique. Nous avons donc choisi de traiter la question sous un angle élargi afin d’incorporer de nouvelles clés d’analyse.

Le monde globalisé se caractérise aussi par une nette revalorisation de l’espace comme objet d’analyse. Dans la modernité du XXe siècle, la dimension temps –un temps absolument linéaire et tourné vers le progrès– semblait être la seule dimension importante de l’analyse historique, sociale et politique, ce qui se reflétait fort bien dans la catégorie « avancé/retardé » (moderne/ancien), qui revenait à dire « développé/sous-développé ». Que ce soit pour le modèle capitaliste ou pour le modèle communiste, tout était une « question de temps », que l’on parlât de la Hongrie ou du Nicaragua, du Vietnam ou de l’Afghanistan. Après les changements, qui ont débuté en 1989 et culminé en 2001, l’espace, c’est-à-dire, la localité, avec son contexte spécifique et non reproductible, récupère le rôle principal qu'il avait perdu8.

La première question à laquelle nous voulons répondre est celle de savoir si l’existence d’une démocratie plus participative, entendue comme une démocratie de plus grande qualité, est une condition institutionnelle préalable nécessaire pour progresser vers des villes plus inclusive. Notre intuition nous dit de répondre par l’affirmative, mais pour cerner nos hypothèses, nous devons développer un travail théorique préalable sur les concepts qui l’articulent, c’est-à-dire, une évaluation de ce qu’a été le discours sur l’inclusion sociale et sur la démocratie participative. Une fois ce travail effectué, nous serons en mesure de répondre à une deuxième question, beaucoup plus pratique, sur les manières précises d’incorporer la participation des citoyens aux politiques d’inclusion élaborées dans un cadre démocratique, dans le but de les rendre plus légitimes et efficaces.

Sur la base de cette idée, des penseurs comme Castells, Borja, Le Galés et d’autres, ont contribué à l’élaboration et à la diffusion du discours de la dialectique entre le local et le global, également appelé « glocal ». La globalisation que nous vivons est une globalisation localisée, dans laquelle les villes retrouvent leur rôle principal. Les grandes villes de la planète ne sont peut-être pas encore des acteurs de premier rang sur la scène mondiale, mais elles disposent en tout cas d’une plus grande marge de manœuvre qu’il y a 30 ou 40 ans pour développer leurs propres stratégies et leurs propres politiques.

A cette fin, nous développerons notre étude en trois parties. Dans une première partie, nous aborderons la révision critique de l’inclusion en recherchant et en étudiant les origines du paradigme et en évaluant ses pours et ses contres. Ceci nous permettra d’examiner de manière approfondie les différents sens qui lui sont attribués et les discours qu’il articule, afin de parvenir à la formulation d’un modèle d’inclusion nous paraissant valide et viable dans le contexte extrêmement volatile et complexe des sociétés urbaines contemporaines. Dans une deuxième partie, nous analyserons le rapport entre inclusion et démocratie, en mettant l’accent sur la dimension participative de la démocratie. Dans une troisième et dernière partie, nous ferons l’application des connaissances acquises dans le cadre du développement des 1ère et 2ème parties aux fins de proposer un cadre d’action, avec des principes et des lignes précises, visant à renforcer la démocratie participative et à la remettre au service des politiques d’inclusion.

En résumé, démocratie, participation et inclusion ne doivent pas être conçues uniquement comme des idées abstraites, mais aussi comme des idées se rapportant à des espaces concrets. C’est pour cela que, même si les sujets que nous abordons ont une validité universelle, nous avons souhaité tenir compte, tout au long de ce travail, de la perspective locale, et notamment de la perspective urbaine. Cela se manifeste surtout dans la partie finale de ce travail, quand les conclusions permettent de formuler des propositions concrètes pour les politiques locales.

1.4 Méthodologie Ce travail de recherche résulte, dans une large mesure, de l’initiative de la Commission d’Inclusion Sociale et de Démocratie Participative de l’Association Cités et Gouvernements Locaux Unis, ainsi que du travail réalisé par cette Commission. En partant des documents qu’elle a élaborés, nous avons reformulé, de manière critique, la question de la participation et de l’inclusion démocratique au niveau local. Cette reformulation s’inscrit dans un débat plus large que celui qui découlerait d’une approche simplement administrative

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Les défenseurs de cette vision, dénommée « spatial turn » (Schlôgel, Chap. Introductif), voient dans la « spatial blindness » du gouvernement nord-américain la cause principale de l’échec de l’opération visant à la « démocratisation du Moyen Orient ».


2. L’Inclusion comme idéal normatif et comme projet politique dans les sociétés urbaines du XXIe siècle

La finalité ultime de cette étude est d’identifier des modèles institutionnels et des lignes d’action appropriées pour promouvoir l’inclusion sociale. Mais, qu’est-ce que l’inclusion sociale ? Qu’implique-t-elle ? Et pourquoi doit-on en faire un objectif politique ? Pour pouvoir répondre à ces questions, nous devons tout d’abord remonter aux origines du problème et du concept qui prétend l’expliquer ; sans remonter à des origines lointaines, ce qui serait probablement également pertinent, mais à des origines beaucoup plus récentes, lors de la transition de la première à la deuxième modernité, lorsque l’exclusion commence à remplacer la pauvreté comme principale pathologie sociale à combattre. L’émergence d’une nouvelle société rend nécessaire la révision et la mise à jour de la l’inclusion sociale comme référent normatif et comme projet politique.

sociétés qui se sont constituées tout au long de l’histoire de l’humanité. Et nous devons aussi prendre conscience du fait que, dans les sociétés du XXIe siècle, prévaut, dans une plus ou moins grande mesure, une structure sociale faite de privilèges et de rapports de force, qui opère en incluant certains secteurs et en en excluant d’autres. Cela est vrai à tous les niveaux et dans tous les domaines de l’activité sociale. Cette inégalité est essentiellement fondée sur des caractéristiques personnelles connotées négativement et/ou placées dans une position d’infériorité par une partie des groupes qui détiennent le plus de pouvoir. Nous faisons référence ici aux dimensions telles que la classe sociale, le sexe, la nationalité, l’ethnie, la religion, l’orientation sexuelle ou certains handicaps physiques ou psychiques, entre autres. Malheureusement, la même diversité qui sert de fondement à une société complexe et riche en nuances est utilisée comme mécanisme de discrimination et d’oppression.

2.1 Le concept d’exclusion sociale

Cependant, les concepts de discrimination et d’oppression ne peuvent pas automatiquement être assimilés à celui d’exclusion. Historiquement, même les classes et les groupes sociaux les plus défavorisés ont pu, dans certaines circonstances, créer leurs propres cadres d’inclusion, fondés sur des modèles de subsistance et sur des règles culturelles précises. Biens que précaires et souvent à la limite de la subsistance, ces milieux, tels que la paysannerie féodale ou le prolétariat industriel, donnaient un sens et une certaine cohérence aux vies, ainsi qu’aux luttes pour l’émancipation. Cependant, l’époque actuelle est porteuse de nouveaux éléments qui tendent à détruire ce genre de structures d’inclusion. La crise structurelle du travail occupe une place prééminente. Lorsque les progrès technologiques permettent de ne plus avoir recours au travail humain dans l’ensemble des secteurs économiques, en partant de l’agriculture jusqu’aux services, et que les nouvelles activités productives ne peuvent pas compenser avec de nouveaux postes de travail les pertes engendrées par l’utilisation de plus en plus intensive des capitaux, la force de travail disponible devient excédentaire dans la majeure partie du monde. Et compte tenu de la centralité économique dans l’organisation sociale du capitalisme, l’absence de rôle économique clair et précis se traduit aisément par l’impossibilité d’assumer des rôles familiaux et sociaux9.

Le concept d’exclusion sociale apparaît en sciences sociales comme réponse à la transformation structurelle des sociétés urbaines, fruit de la globalisation économique, des progrès technologiques et de la remise en question d’éléments essentiels de la structure sociale tels que la famille et la classe sociale. Sur le plan théorique, à partir des années 1970, à l’amorce de la transition vers la nouvelle ère, on commence à parler d’exclusion sociale comme concept permettant d’englober et d’étiqueter les effets que les changements peuvent avoir sur les personnes et sur les groupes sociaux les plus vulnérables. Nous pouvons définir l’exclusion sociale comme le processus à travers lequel certaines personnes et/ou certains groupes sociaux se trouvent privés d’accès aux ressources qui, dans un espace et à un moment donné de l’histoire, ont une certaine valeur sur le plan social et sont nécessaires à un projet de vie autonome. Cette privation empêche donc le plein épanouissement des personnes compte tenu de leurs souhaits et de leurs capacités. En réalité, l’exclusion sociale n’est pas un phénomène nouveau. En effet, nous le trouvons dans les processus de différenciation, de distinction et de classification propres à l’immense majorité des 10


En plus de ce facteur économique, il existe un autre facteur de perturbation, étroitement lié à la deuxième modernité ou modernité liquide (Bauman), qui est la fragilisation des liens sociaux, qui comporte un risque notable d’érosion et de perte des points de contact, affectifs, cognitifs et normatifs, entre l’individu et la société. Nous ne nous attarderons pas sur le débat concernant les causes de ce phénomène, à la fois complexe, fascinant, ambivalent et potentiellement dévastateur10, mais nous en mentionnerons les conséquences : d’une part, la mise en question et l’absence subséquente de référents et de modèles solides de comportement, qu’ils proviennent de la tradition, de la religion ou de sous-cultures de classe ou professionnelles ; et d’autre part, comme conséquence encore plus importante, la précarisation des relations personnelles, familiales, amicales ou des relations de voisinage, de travail, etc. La pauvreté ou l’absence prolongée de liens personnels significatifs et de modèles de référence peut conduire toute personne, y compris celle qui part d’une situation économique et sociale plutôt privilégiée, à de véritables impasses, à un « égarement » individuel, impliquant son expulsion ou son exclusion de l’accès aux ressources, matérielles et immatérielles, qui sont la source du bien-être personnel.

Cependant, il n’en reste pas moins que, dans tous les pays, il continue d’exister une certaine stratification sociale, ainsi que des institutions et des pratiques sociales, qui favorisent l’inégalité, dans une plus ou moins large mesure, sur le marché du travail, dans l’accès aux services de base, dans la prise de décisions politiques ou même dans la recherche d’un compagnon sentimental. De même, il est vrai que la plupart des décisions apparemment individuelles sont fortement conditionnées par la structure des opportunités perçue par chaque personne au moment de prendre une décision, et que ces perceptions naissent au sein de structures sociales déterminées, vulnérables aux logiques de discrimination11. Dans cette nouvelle réalité sociale, formée par des éléments classiques de stratification et de discrimination, affaiblis mais persistants, et d’autres éléments qui se renforcent par moments, tels que l’absence de sens et de liens, nous considérons que la dualité inclusion/exclusion (dedans/dehors), offre une explication plus complète et plus réaliste de ce qui se passe que la dualité « en haut / en bas », qui se rapporterait davantage à une société industrielle de classes où tout le monde a une place, même s’il s’agit de places très inégales. En partant de ce cadre théorique, l’exclusion sociale s’identifie comme la pathologie sociale typique de la nouvelle société. Même si elle est presque toujours suivie de l’adjectif « sociale », l’exclusion est en fait envisagée comme un phénomène « total », avec de multiples facettes (économique, politique, culturelle, etc.) et extrêmement dynamique, qui, potentiellement, peut affecter toute personne à un moment ou à un autre de sa vie.

Nous avons donc un ensemble de causes éventuelles à l’origine de l’exclusion, que nous pouvons ranger en deux catégories : celles qui résultent de facteurs structurels d’inégalité et celles qui résultent de décisions individuelles que nous pourrions qualifier d’« erronées » (par exemple, la décision de ne pas se former, celle de ne pas rechercher d’attaches sociales ou celle de négliger sa propre santé, etc.) en raison des conséquences que ces dernières finissent par avoir sur la personne. Quel est le type de causes qui ont le plus d’impacts?

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Une analyse de ce phénomène poussée à l’extrême parle de « populations extinguibles », ce à quoi le système parvient à partir de la privation des droits essentiels des citoyens (voir : Bialakowsky, López et Patrouilleau : « Pratiques gouvernementales dans la régulation des populations extinguibles », dans Cimadamore et Cattani, p. 147-190). 10 Parmi tous les signifiants qui ont été proposés pour nommer ce phénomène, celui qui semble le plus approprié est celui de « Société multioptionnelle », proposé par le sociologue suisse Pater Gross. Derrière ce phénomène, nous pourrions certainement trouver, aussi bien l’acceptation de la liberté de conscience et de choix que les progrès technologiques qui font tomber les barrières et multiplient les options, ou la marchandisation ou « colonisation » rapide des espaces de la vie quotidienne par le capitalisme (Habermas). 11 Sur ce point, voir : Puyol, p. 203-221. La preuve la plus évidente de ce phénomène est que le facteur principal qui explique le choix d’une trajectoire éducative et professionnelle concrète par une personne jeune, est l’ensemble formé par le capital culturel et les attentes ou perspectives professionnelles qui lui ont été transmises par ses parents.

Il est évident que dans le monde, en général, l’égalité devant la loi a considérablement progressé, à tel point que les formes les plus extrêmes de discrimination et d’oppression s’avèrent inacceptables dans la plupart des pays. Par ailleurs, le processus d’individualisation entraîne une extension logique de l’espace des possibilités de décisions vitales individuelles (étudier ou ne pas étudier, se marier ou ne pas se marier, rester ou émigrer, participer ou ne pas participer à la politique, etc.), non déterminées par des logiques de groupe ou communautaires. 11


Tableau 1 : L’exclusion sociale dans une perspective intégrale

Educatif

• • • • •

Non-scolarisation ou absence d’accès à l’éducation obligatoire intégrée Analphabétisme ou faible niveau de formation Échec scolaire Abandon prématuré du système éducatif Barrière linguistique

• • • •

Absence d’accès au système et aux ressources socio-sanitaires de base Addictions et maladies assimilées Maladies infectieuses Trouble mental, handicaps ou autres maladies chroniques qui entraînent une dépendance

Résidentiel

• • • • • •

Sans logement Sous-logement Accès précaire au logement Logements en mauvais état Mauvaises conditions d’habitabilité (entassement, etc.) Espace urbain dégradé, présentant des déficiences ou des carences essentielles

• • • •

Détérioration des réseaux familiaux (conflits ou violence intrafamiliale) Absence ou fragilité des réseaux familiaux (monoparentalité, solitude, etc.) Absence ou fragilité des réseaux sociaux Rejet ou stigmate social

• • • •

Privation de l’accès à la citoyenneté Accès restreint à la citoyenneté Privation de droits en raison d’un procès pénal Absence de participation politique et sociale

Source : Subirats (2004)

12

Ethnie / Origines / Nationalité

Chômage Sous-emploi Absence de qualification ou déqualification professionnelle Impossibilité de travailler Précarité de l’emploi ou du travail

Âge

Professionnel

• • • • •

Axes d’inégalité sociale

SexeGenGGenre

Économique

Pauvreté économique Difficultés financières Dépendances à l’égard des prestations sociales Sans protection sociale

Socio-sanitaire

• • • •

Relationnel

Principaux facteurs d’exclusion

Citoyenneté et participation

Domaines


Jusqu’à présent, nous avons parlé des causes ultimes de l’exclusion et de l’origine du phénomène. Nous voulons à présent mentionner ses causes premières, ce que nous appelons les « facteurs d’exclusion ». Le tableau de la page précedente, où les nombreux facteurs d’exclusion qui se produisent dans les différents domaines de la vie s’articulent aux « axes » structurels de l’inégalité, devrait nous permettre de comprendre toute la complexité du phénomène.

1. 2. 3. 4.

Personnes Personnes Personnes Personnes

en en en en

situation situation situation situation

d’exclusion. de risque d’exclusion. de vulnérabilité. d’inclusion plus ou moins confortable.

Compte tenu du grand nombre de facteurs d’exclusion, la diversité des situations dans lesquelles chaque personne peut se trouver est immense. Il est vrai que cette diversité se trouve fortement déterminée par les normes structurelles d’inégalité propres à chaque société ; en général, les personnes qui disposent de plus de ressources économiques sont aussi celles qui ont le plus de relations sociales, un niveau d’éducation plus élevé, une meilleure santé, etc. Et vice-versa. Cependant, ni les trajectoires ni les situations ne sont toujours cohérentes dans toutes les sphères. Cette normalité peut aussi être « défaite » et sa déconstruction devrait être l’un des objectifs principaux, si ce n’est le principal, des politiques d’inclusion.

Afin de parvenir à une meilleure compréhension systématique, les multiples causes de l’exclusion sont généralement regroupées dans trois grands domaines, qui correspondent aux trois grandes dimensions ou sphères de vie : la sphère économique, la sphère politique et la sphère relationnelle.

Figure 1. Exclusion et sphères vitales

À la page suivante, nous montrons les quatre catégories envisagées, ainsi que la forme qu’elles peuvent adopter dans les trois sphères principales de l’exclusion.

Sphère économique – de marché superfluidité / précarité économique

Note : Les impacts de la crise mondiale sur l’exclusion Depuis 2007, une crise financière sans précédent dans les soixante-quinze dernières années, a entraîné une très forte réduction de la croissance de l’économie productive, ce qui a ainsi donné lieu à la perte de millions d’emplois et à une baisse importante des revenus publics. Bien que la crise ne se soit pas manifestée partout de la même manière, ni en termes de durée, ni en termes d’intensité, il est indubitable qu’elle a fait croître la vulnérabilité de centaines de millions de personnes, ainsi que celle des institutions démocratiques qui devraient les représenter et les protéger en cas de besoin. Ci-après, nous ferons une étude approfondie des impacts de la crise sur les domaines essentiels de la vie locale.

Exclusion

Sphère politique - redistributive désaffiliation politique / privation de l’accès aux droits sociaux

Sphère relationnelle – communautaire individualisation / isolement

Source : Fleury / Subirats / Blanco, 2008.

Il existe une question clé à laquelle nul, jusqu’à présent, n’a su répondre correctement : à partir de quand peut-on considérer qu’une personne est exclue ? La réponse dépend logiquement de ce que l’on entend par inclusion sociale. Si nous partons du constat selon lequel exclusion/inclusion n’est pas une catégorie binaire, en noir et blanc, mais qu’il s’agit d’une question de degré, qui admet des nuances et des voies alternatives, il s’avère alors très compliqué d’établir un ensemble d’indicateurs standards, universellement valides. Lorsque nous parlons d’exclusion, nous devons au moins nous rapporter, d’une manière générale, à quatre catégories :

Crise sur le marché du travail D’après des données de l’OIT datant du mois de septembre 2010, depuis le début de la crise économique, trente quatre millions de personnes dans le monde entier ont perdu leur poste de travail, un classement qui met les États-Unis et l’Espagne en tête. Depuis 2007, de nombreuses sociétés ont fait faillite et d'autres fermetures d’usine ou réductions drastiques de personnel ont eu lieu en raison de la surproduction ou de la délocalisation totale ou partielle de la 13


Catégorie

Sphère économique

Sphère communautaire

Sphère politique

Personnes en situation d’exclusion

Elles n’ont accès ni aux biens ni aux services essentiels (ne serait-ce qu’à un foyer).

Elles n’ont aucun lien affectif et très peu, voire aucun lien significatif.

Elles sont privées du droit de vote. Politiquement, elles ne servent que de boucs émissaires.

Personnes en situation de risque d’exclusion

Elles accumulent des dettes et ont de plus en plus de mal à affronter leurs obligations de paiement (à la première difficulté ajoutée, tout pourrait être remis en question).

Elles ont des liens limités à un noyau familial assez réduit et tendu en raison de mauvaises expériences ou de difficultés financières ou d’une autre nature.

Elles ne votent pratiquement jamais ; cela fait longtemps qu’elles ne s’intéressent plus à la politique et qu’elles ne savent pas quels sont leurs droits ou ce qu’elles peuvent réclamer aux pouvoirs publics.

Personnes en situation de vulnérabilité

Elles ont du mal à boucler leur fin de mois (ou pourraient bientôt se trouver dans cette situation si leur contrat n’est pas renouvelé, si les taux d’intérêts de l’hypothèque montent, si elles tombent malades ou en cas de divorce, etc.).

Elles ont des liens familiaux plus ou moins stables et certains liens d’amitié et communautaires dans leur entourage le plus proche, mais ces liens sont rares et difficiles à entretenir faute de temps. Elles n’ont pas de relations significatives en dehors de leur milieu social.

Elles suivent la politique avec intérêt et exercent normalement leurs droits de vote, mais elles n’ont pas le temps de se tenir au courant des événements ou lorsqu’elles en ont le temps, ne disposent pas des informations ou des contacts nécessaires pour entrer dans le système et jouer un rôle plus actif.

Personnes en situation d’inclusion plus ou moins confortable

Elles n’ont aucun mal à boucler leur fin de mois, du moins à court ou moyen terme, et il est peu probable qu’elles parviennent à une telle situation. Lorsqu’un problème imprévu grave survient, elles disposent de mécanismes (assurances, propriétés, réseau familial et social) pour en limiter les effets.

Elles entretiennent des liens nombreux et stables à différents niveaux : famille –proche et moins proche–, amis, connaissances et réseau social en général. Le réseau de relations s’adapte en fonction des changements de la vie familiale et professionnelle.

Elles participent à la vie politique par plusieurs moyens. Elles connaissent bien le système et ont des relations pour y entrer. Elles font souvent partie d’une organisation politique et ont même pu se présenter à une élection.

Source : Élaboration des auteurs

production vers d’autres pays. En ce qui concerne le travail indépendant, une bonne partie des travailleurs indépendants et des petits entrepreneurs ont « rendu le tablier », incapables de faire face à une chute aussi brusque et durable de leur revenu.

croissant, des très riches, qui peuvent vivre du travail des autres ; et tout en bas, les personnes en situation irrégulière, entièrement vulnérables qui tentent de survivre grâce à des contrats de travails sporadiques et irréguliers ou parfois grâce à des activités délictuelles.

Cette situation a intensifié encore davantage la segmentation du marché du travail, avec un groupe de personnes, minoritaire dans la plupart des cas, ayant des emplois stables, bien rémunérés et socialement couverts, face à un groupe de plus en plus nombreux de personnes qui, dans le meilleur des cas, ont des emplois instables, mal rémunérés et non couverts. Dans ce groupe, il existe une nette surreprésentation de femmes, de jeunes, d’immigrants et de membres de minorités ethniques, fait qui marque les limites du modèle méritocratique, où les opportunités devraient prétendument être à la portée de tous. Dans cette structure socioprofessionnelle, il manquerait encore deux groupes, les deux extrêmes : tout en haut, le groupe sélectif, mais

Dans ce constat, la seule alternative que voient les gouvernements, après avoir épuisé les stimulations anticycliques de type keynésien, est celle de tenter de faire croître la compétitivité du tissu productif national et d’ouvrir de nouveaux marchés à l’étranger. Autrement dit, nous revenons à l’hypothèse d’une croissance économique forte et généralisée. Cependant, dans la mesure où les limites biophysiques de la planète sont de plus en plus évidentes et, par conséquent, les coûts réels d’un modèle basé sur la consommation démesurée, mais très inégale, d’énergie et de matières premières, l’illusion d’une société fondée sur le marché, dans lequel toute le monde (ou presque) aurait accès au travail (dignement) rémunéré, s’estompe. 14


Avec des possibilités limitées, si les règles ne changent pas, il sera de plus en plus difficile de baser l’interaction sociale sur des jeux à somme positive. La crise nous a mis face à la dure réalité des jeux à somme nulle –alors que les budgets publics doivent être équilibrés–, voire à somme négative, comme quand des entreprises viables ferment pour obtenir des bénéfices à court terme ou lorsque l’environnement est mis en péril pour l’obtention de maigres résultats.

perspectives à moyen terme dans ce sens ne sont pas bonnes, compte tenu du déficit structurel qui touche bon nombre de ces collectivités. La crise économique, et la crise fiscale et budgétaire en ayant résulté, constitue une raison de plus pour envisager un changement dans les politiques d’inclusion. Ce n’est peut-être pas la raison la plus importante, mais c’est certainement le détonateur qui pourrait déclencher les changements.

Crise des pouvoirs publics Bien que, dans les phases initiales de la crise, les États soient intervenus en utilisant des réserves de crédit pour éviter un effondrement des marchés et de l’activité économique, peu après, ces mêmes États se sont trouvés dans une situation fort compliquée en termes de finances en raison de la combinaison explosive entre charges croissantes et revenus décroissants dans des proportions souvent à 2 chiffres.

Crise de la société La crise a également mis en évidence, parfois très brutalement, la fragilité de nombreux projets personnels, familiaux et sociaux. Il a suffit d’un arrêt de l’économie et du confinement subséquent du secteur public pour faire émerger la précarité de millions de personnes. Parce que l’envers du dynamisme et de la flexibilité des villes globalisées est précisément cela : l’extrême vulnérabilité des nombreuses personnes qui y vivent. Dans les villes dynamiques du monde globalisé circulent des flux constants de nouvelles personnes à la recherche d’opportunités, des personnes qui, pour la plupart, ont dû laisser derrière elles, leurs racines, leurs biens et leurs cercles de soutien, familiaux ou amicaux.

Cela a fini par avoir des répercussions, dans une plus ou moins large mesure, en fonction du contexte de chaque pays, sur le volume des dépenses publiques. Des réductions budgétaires très significatives se sont produites, mais elles n’ont pas affecté de la même manière la structure du budget. Bien que, finalement, une réduction sensible des rétributions des travailleurs du secteur public ait été opérée, nous pourrions dire que, jusqu’à présent, les compressions ont particulièrement touché les programmes et les services qui, sans appartenir au noyau dur des services de base, jouaient ou pouvaient jouer un rôle important dans les politiques d’inclusion.

Faute de capital propre (économique, familial-social, politique), les citadins vulnérables dépendent de l’obtention d’un flux constant de revenus leur permettant de continuer à payer leur nourriture, leur logement et d’autres services essentiels, que ce soit en travaillant pour leur propre compte ou pour le compte d’autrui, ou grâce aux aides de l’État. Lorsque cela ne fonctionne plus, on tente de garantir les revenus par des moyens informels (travail non déclaré) ou purement délictuels. Dans les familles, la combinaison de deux ou trois sources de revenus, régulières et irrégulières, est assez fréquente. Dans ce sens, il est étonnant que l’opinion publique soit apparemment (ou soit disant) surprise, de l’augmentation du nombre de vols et de délits, trois ans après le début d’une crise qui n’a pas pu être surmontée faute d’une protection sociale appropriée.

Dans de nombreux cas, les gouvernements locaux ont été encore plus touchés par la crise parce qu’ils ont vu baisser aussi bien leurs bases d’imposition que les transferts des gouvernements nationaux et régionaux, et qu’ils ne disposent que d’une faible marge de manœuvre pour accéder à des sources externes de financement. Ainsi, outre le fait de mettre un frein aux investissements, de nombreuses communes ont supprimé des programmes de dynamisation des espaces publics, d’attention à la diversité dans les écoles et les centres sanitaires, d’aide à la formation extrascolaire et, en général, aux aides financières données aux activités des associations de voisinage, culturelles, sportives, de jeunesse, etc12.

Chez les classes moyennes dont la qualité de vie n’est pas en danger, du moins pour le moment, la crise a généré des peurs : peur de perdre un statut social que l’on croyait assuré, peur de ne pas pouvoir garantir le bien-être à venir pour soimême ou ses enfants. L’extrême « angoisse du statut social »13

Par conséquent, nous pourrions dire que la capacité des pouvoirs publics et, en particulier, des gouvernements locaux, de promouvoir l’inclusion sociale s’est vue diminuer et les

12 Sur ce point, l’analyse de Paulais est une bonne illustration, p. 10-12. 13 Ce sujet a été développé de manière admirable et concise par Alain de Botton dans son ouvrage intitulé « Status Anxiety ».

15


2.2 Les dimensions de l’inclusion présente dans certains cercles sociaux n’est pas étrangère à l’un des principes clés de la globalisation réellement existante : winner takes all ; autrement dit, le gagnant remporte tout (salaires, prix, considération publique, etc.). Nous pouvons supposer qu’il s’agit d’un excellent stimulant de compétitivité. Ce phénomène, dont nous trouvons la réplique dans la culture, le sport et d’autres domaines sociaux, outre le fait de centrer les objectifs des individus sur une espèce de compétition implacable et interminable, multiplie le rejet de tout ce qui est supposé être « inférieur » parce qu’il ne se trouve pas au premier niveau. On pourrait dire que ce système fonctionne comme une « arme d’exclusion massive » par la voie de l’ignorance et du mépris.

L’inclusion sociale est logiquement un concept au moins aussi complexe et multidimensionnel que celui d’exclusion, dont il prétend être la solution. Nous avons identifié cinq dimensions de l’inclusion, directement liées à cinq besoins humains essentiels, et que nous abordons ci-après : l’emploi, la protection, la reconnaissance, le lien et la participation. 2.2.1 L’inclusion par l’emploi Dans l’immense majorité des pays, le travail rémunéré est la clé permettant d’avoir accès aux ressources essentielle, nécessaires aux individus pour devenir membres de plein droit de la société: revenus stables qui permettent de payer les biens de première nécessité et de former un foyer, de jouir d’une protection sociale ou d’un certain statut. Le travail rémunéré apporte à la personne, au-delà des ressources nécessaires pour vivre, des choses aussi essentielles que la pratique et le développement des facultés de chacun, de liens sociaux significatifs et, surtout, une estime de soi et un sens de la dignité personnelle, du fait de se prendre en charge et d’être coresponsable de la société à laquelle on contribue en payant ses impôts. Les effets du chômage sur les personnes ont été suffisamment étudiés et décrits : perte progressive de capacités, de contacts sociaux, de motivation, d’estime de soi, etc. et un risque très élevé de dépression14.

La crise comme opportunité? Toute crise, y compris celle que nous traversons actuellement, est porteuse d’un changement positif. Les pathologies d’un système ne sont pas souvent évidentes pour la plupart, jusqu’à ce que leurs effets explosent avec virulence. Nous voyons maintenant que la crise provoque une multiplication rapide des cas d’exclusion, mais nous savons que le système était déjà fortement exclusif avant l’éclatement de la bulle financière. La croissance vécue au cours de la longue décennie prodigieuse, de 1995 à 2007, a induit une intensification sans précédent du processus de marchandisation de la société car l’illusion dans laquelle nous vivions faisait croire, à nombre de personnes, qu’avec de l’argent, tout était possible et qu’il y aurait de l’agent pour tout le monde ou presque; c’est-à-dire, pour tous, sauf pour un inévitable petit groupe de personnes exclues.

Cependant, il est important d’aborder la question de l’emploi au sens large, conçu comme la réalisation de tâches ayant une fin, une utilité et/ou une reconnaissance sociale, et qui peut être développé en marge du marché du travail, au sein de la famille, du groupe et/ou de la communauté. Ce genre d’emploi peut apporter les mêmes bienfaits que le travail rémunéré, mais il lui manque un facteur essentiel : l’accès au revenu. C’est pourquoi, la capacité du tiers secteur (économie sociale et solidaire) à générer des activités attractives favorisant l’inclusion dépendra, dans une large mesure, de l’existence de voies alternatives d’accès au revenu qui permettent de subsister, alternatives qui impliquent presque toujours l’intervention de l’État.

Le choc soudain avec les limites économiques, écologiques et sociales de la réalité offre une opportunité de « démarchandiser » une partie de nos vies et de récupérer du temps et des espaces pour créer de nouvelles solidarités et mobilisations pour une société plus forte et plus durable sous tous aspects. Cependant, le risque de dérives égoïstes, de replis et de régressions violentes face à l’inéluctabilité des changements peut augmenter. La politique démocratique basée sur le dialogue devient plus importante que jamais à une époque où elle est fortement discréditée.

2.2.2 L’inclusion par la protection La protection, au sens de sécurité, est une valeur essentielle au bien-être des personnes ; dans une large mesure, elle nous pousse à vivre en société. Nous nous unissons pour mieux protéger notre intégrité physique et mentale et, dans la mesure où cette protection fonctionne correctement, nous avons le sentiment de faire partie du

Si nous voulons sortir de cette impasse, nous devons penser et mettre en pratique de nouvelles formes, plus inclusives, de création de biens et de services, de création d’une protection sociale et de liens entre les personnes.

14 Sur ce point, voir Amartya Sen.

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groupe et nous avons confiance en lui. L’idée même de sécurité sociale nous indique déjà l’essence de ce qui est devenu une caractéristique inhérente des sociétés contemporaines.

exemple, d’utiliser la diversité comme prétexte pour justifier des inégalités de traitement entre personnes ou, directement, la privation de certaines personnes du droit d’accès à des espaces, des biens ou des services essentiels. Ces pratiques, que nous appelons discriminatoires, engendrent de nombreux coûts personnels et sociaux. Ce qui est en jeu ce n’est pas seulement l’égalité des chances, mais aussi le sentiment de la dignité humaine, qui est fondamental pour se sentir et pour agir comme un membre de plein droit d’une communauté. Sennet15 a présenté de manière convaincante le rapport qui s’établit entre le respect dont une société est capable de faire preuve envers ses éléments les plus faibles et la capacité de ces derniers de se surpasser et d’aller de l’avant.

Par conséquent, nous parlerons ici de l’accès aux ressources (par le biais de transferts de revenus) et aux services publics (sanitaires, sociaux, de sécurité, etc.) qui garantissent aux personnes une certaine protection face aux conditions adverses, pour la plupart inévitables, tels que les accidents, les épidémies et les crimes, qui peuvent porter atteinte à leur santé et à leur patrimoine, et à d’autres situations adverses résultant d’une perte, graduelle ou soudaine, de la capacité de subsistance, telles que la maladie, les accidents, le chômage forcé ou la vieillesse. Et nous parlerons aussi de la promotion de la santé publique et de la provision de services sanitaires accessibles à l’ensemble de la population.

Certes, les sociétés ont fait preuve d’une capacité d’adaptation à la nouvelle réalité, de sorte que des progrès notables ont été réalisés dans la reconnaissance de la diversité et de la non-discrimination. Mais il reste malgré tout un long chemin à parcourir et nous ne pouvons pas nous permettre de reculer, à moins de pouvoir assumer une grande part de douleur et d’exclusion sociale.

Les mécanismes de protection sociale ont aussi pour finalité, non moins importante, de diminuer les inégalités de revenus et de richesse engendrées par les inégalités en termes de capacités entre les personnes et par la logique même du système économique capitaliste. Nous savons parfaitement que, lorsqu’une société ne dispose pas de politiques sociales, de nombreuses personnes sont marginalisées et doivent lutter pour subsister dans un milieu insalubre, en ayant recours à tous les moyens se trouvant à leur portée, licites ou illicites. Ainsi, la corrélation entre inégalité sociale et criminalité est évidente.

2.2.4 L’inclusion par l’éducation Le fait de faire partie d’une société implique celui de connaître, au moins dans les grandes lignes, les codes de communications de celle-ci, et d’avoir les connaissances nécessaires pour comprendre et trouver sa place dans les sphères de la vie permettant de satisfaire les besoins biopsychologiques de chaque individu16. Le processus de socialisation consiste essentiellement en la transmission et l’apprentissage de la part des nouvelles générations de tout ce que les générations adultes estiment nécessaire à la vie. Tout commence à la naissance, dans le milieu familial, et se poursuit principalement, mais pas exclusivement, au sein des institutions créées dans un but spécifique d’éducation. Et, au plus les sociétés deviennent ouvertes, dynamiques, complexes et technicisées, les conditions de formation nécessaires pour pouvoir entrer et rester dans la structure productive deviennent plus nombreuses et se diversifient. Ainsi, la période de formation des jeunes devient plus longue et plus coûteuse et, d’autre part, la formation continue tout au long de la vie cesse d’être une option pour devenir une nécessité. Dans ce sens, le cas des nouvelles technologies de l’information et de la communication est paradigmatique.

2.2.3 L’inclusion par la reconnaissance Dans les sociétés contemporaines, la diversité croît de manière constante, depuis plusieurs dizaines d’années. Et ceci n’est pas uniquement dû à la croissance exponentielle de la mobilité résidentielle, qui met en contact des personnes d’ethnies, de nationalités et de langues très diverses, mais est aussi le fait de la diversification des options religieuses, politiques, sexuelles, alimentaires et autres, résultat d’un processus d’individualisation qui a surmonté presque partout les entraves qui s’opposaient à la liberté de conscience et au libre choix. Enfin, nous devons parler des diversités qui ne sont pas le fruit d’un choix, mais de la fatalité, telles que celles qui se créent en raison d’inégalités économiques et sociales croissantes ou de pertes de capacités physiques ou mentales. Dans l’ensemble, nous pouvons dire que les sociétés homogènes qui fondaient l’imaginaire des Etats-nation ont cessé d’exister.

15 Sennet (2003). 16 Certes, sur un même territoire, peuvent (co)exister pacifiquement deux ou plusieurs communautés presque parallèles, avec des langages et des pratiques culturelles différenciées, uniquement liées entre elles par la communauté politique, c’est-àdire, un État partagé. Dans ce cas, le processus d’inclusion a lieu à deux niveaux, relativement indépendants : l’inclusion dans la communauté (ethnique/culturelle) et l’inclusion dans la société (politique), dans lesquelles l’éducation, formelle et informelle, joue un rôle essentiel.

La diversité est seulement le reflet de l’immense richesse et complexité de la vie humaine. On peut la concevoir comme une réserve inépuisable de connaissances et d’expériences, mais elle peut aussi être détournée et utilisée à des fins fallacieuses, de nature économique, sociale ou politique. Il est très courant, par 17


C’est pour cela que nous pouvons affirmer que, dans les sociétés actuelles, l’inclusion se joue en grande partie dans les espaces de la transmission des connaissances et du savoir. Quels sont ces espaces et comment se présentent-ils ? Sont-ils formels ou informels ? Publics ou privés ? Prestigieux ou discrédités ? Intégrateurs ou ségrégateurs ? Gratuits ou inaccessibles aux revenus modestes ? En définitive, sont-ils faits ou non pour que toute personne ait de véritables chances d’accéder aux capacités qui lui permettront de vivre et de s’épanouir de manière autonome dans la société ? Compte tenu de la taille de l’enjeu, nous sommes convaincus qu’une société inclusive requiert que la fonction éducative soit exercée et soit présente dans toutes sortes d’espaces, mais avec la garantie d’un tronc éducatif commun, qui permette de garantir le transfert universel d’un noyau de valeurs et de codes communs auquel il ne peut être renoncé.

pourquoi, comme nous le verrons plus loin, de nombreux penseurs envisagent l’inclusion comme un phénomène de nature essentiellement politique. Il est important de signaler que, lorsque nous parlons de participation, nous ne limitons pas son sens à l’exercice du suffrage actif ou passif, ni à la militance partisane, ni encore au fait de participer à des espaces de démocratie délibérative ou directe, comme les conseils sectoriels, les audiences publiques ou les consultations citoyennes. Tout cela est essentiel, mais nous devons aussi tenir compte de la participation active au sein d’organisations ou de collectifs qui cherchent à produire de la valeur publique, que ce soit à travers la défense de certaines causes, l’organisation d’actes publics ou l’aide à des collectifs en difficultés, pour ne donner que quelques exemples. Nous sommes convaincus que tout ceci a aussi un impact politique, dans une plus ou moins large mesure.

2.2.5 L’inclusion par le lien Les êtres humains sont des êtres sociaux. Au-delà du besoin impérieux de soins prolongés qu’ont les enfants humains pour pouvoir survivre, il est impossible de construire une vie véritablement humaine dans un contexte de strict isolement.

En fin de compte, nous parlons de citoyenneté, d’une idée dynamique de citoyenneté, articulée autour de valeurs telles que l’égalité des chances, la solidarité, la démocratie et l’autonomie personnelle. Il s’agit d’une citoyenneté qui ne peut croître et se consolider qu’à travers son propre exercice, en cessant d’être un simple réceptacle ou contenant de droits reconnus, pour devenir un exercice permanent de coresponsabilité et de solidarité face aux problèmes communs.

Le fait d’entretenir des liens et d'appartenir à des réseaux sociaux, nombreux et de qualité, est en corrélation positive avec les niveaux de revenu, de formation et de bien-être. Car les relations sociales apportent, outre la possibilité de partager des ressources et des aides pouvant améliorer les conditions de vie, un bien essentiel dénommé information ; principalement des informations pratiques, utiles dans les différents domaines de la vie en société.

A l’heure actuelle, où le message –nous ne nous aventurerions pas à l’appeler discours– de rejet ou l’apathie envers la politique a atteint une force indéniable dans les différentes couches de la société, il est difficile de valider l’idée de participation comme condition essentielle de la citoyenneté et comme base de « tout le reste » (les libertés, les services, la cohésion, etc.). Cependant, nous partons du postulat qu’il existe une corrélation positive entre le degré de participation au sein d’une société et la qualité de son système démocratique ainsi que les niveaux d’inclusion sociale.

Même s’il s’agit en apparence de la dimension la moins politique de toutes, le lien social est prépondérant, comme l’a d’ailleurs brillamment étudié et démontré le politologue nord-américain Robert Putnam. D’après cet auteur, les relations qui s’établissent entre les personnes, au-delà du noyau familial, constituent un véritable capital social qui, outre le fait de créer et de renforcer des valeurs stratégiques telles que la confiance, facilitent le fonctionnement de l’activité économique et des institutions en général.

2.3 Contradictions et faiblesses du discours de l’inclusion

2.2.6 L’inclusion par la participation Comme nous l’avons vu précédemment, le paradigme de l’inclusion a fini par être accepté par la majorité de la communauté universitaire et s’est peu à peu incorporé au discours politique des partis et des institutions. Il semblerait donc que la théorie de l’inclusion sociale aurait acquis suffisamment de force explicative et normative pour être considérée comme le nouveau paradigme d’action des politiques sociales17. Cependant, des années 1990 à

Parler de l’inclusion par la participation revient en fait à reformuler le sujet de notre étude. Il ne s’agit pas d’une dimension équivalente aux quatre autres, elle est qualitativement différente puisqu’en principe, la politique a pour vocation de conditionner l’ensemble de la vie sociale, à travers le discours et l’action des membres de la société comme acteurs politiques. La participation permet d’exercer une activité porteuse de sens et génère des liens très puissants; à travers la participation, on lutte contre les discriminations pour améliorer les services publics et les conditions de travail. C’est

17 Sur ce point, voir : Godàs.

18


nos jours, la notion d’exclusion sociale est restée assez ambiguë, variant en fonction des disciplines académiques, des courants idéologiques et des contextes culturels et institutionnels. En résumé, l’inclusion sociale a été promue à partir de projets politiques très différents, voire opposés les uns aux autres. Ainsi, de nombreux doutes surgissent et nous avons le sentiment de devoir les éclaircir avant de conclure sur la question de savoir si l’inclusion est un paradigme valable pour mesurer le progrès des sociétés urbaines du XXIe siècle, dans un sens de justice et d’équité. Il s’agit de déterminer si, et jusqu’à quel point, le paradigme de l’inclusion peut devenir économiquement déséquilibré, culturellement homogénéisateur, socialement stigmatisant et politiquement insignifiant.

réalisé dans des conditions précaires et pour des salaires indignes, ne couvrant pas les besoins les plus basiques. À ce propos, il est logique de se demander ce qu’il y a de pire pour une personne : l’exclusion professionnelle, avec toutes ses conséquences, ou l’inclusion sur un marché du travail très défavorable, obtenue à travers un travail précaire, mal payé et dénué de toute reconnaissance sociale. C’est une question que se posent toutes les personnes vivant ce genre d’expériences; et, souvent, la conclusion à laquelle elles arrivent est qu’il est préférable, dans certains cas d’abandonner l’option du travail formel et d’opter pour des voies telles que l’aide de l’État –par transfert–, le travail informel et/ou la délinquance18. • Le chômage comme phénomène structurel dans un monde ayant une production agricole et industrielle hypertechnicisées, où la création d’un nouveau poste de travail de qualité est associée à des niveaux d’investissement et de formation de plus en plus élevés. Dans l’économie postfordiste, si l’inclusion éducative échoue, il y peu à attendre de l’inclusion professionnelle.

2.3.1 Économiquement déséquilibré ? Il existe tout un courant de pensée, suivi par la plupart des institutions politiques et économiques importantes à l’échelle européenne et globale, qui a adhéré au paradigme de l’inclusion à partir d’une vision essentiellement économiciste. Selon cette approche, dans un monde marchand, seules peuvent être considérées comme incluses les personnes qui jouissent d’une certaine indépendance financière. Car c’est elle qui détermine, outre le niveau de consommation qu’une personne peut se permettre, d’autres éléments essentiels de la personne tels que son sens de la dignité et de l’estime personnelle, sans lesquels on ne peut agir en société sur un pied d’égalité. L’indépendance économique peut être financée, dans la phase adulte de la vie, par les revenus de la propriété ou du travail. Pour l’immense majorité de la population, l’inclusion requiert donc une insertion effective sur le marché du travail. Quand cette insertion échoue, la voie vers l’exclusion semble inévitable.

En définitive, si en période de prospérité, la stratégie fondée sur l’emploi (le plein emploi) n’est pas suffisante, cela est encore pire en période de crise. Dans ces conditions, il est irresponsable de penser que la dignité et le bonheur humain dépendent du seul accès au diptyque travail-consommation. Il s’agit avant tout d’un discours intéressé de la part des institutions, privées et publiques, qui contrôlent toute l’économie mondiale et ont un intérêt objectif à ce que les coûts du travail restent peu élevés. Ce sont ces groupes sociaux dominants qui, depuis 30-40 ans, incitent à une sorte de condamnation morale du chômage et qui ont développé des politiques de réincorporation au monde du travail à tout prix (workfare), sans tenir compte du coût des autres opportunités socialement utiles telles que l’attention familiale, l’implication dans la communauté ou même la pratique des arts.

Même si nous reconnaissons que l’emploi occupe une position centrale dans le processus d’inclusion sociale, nous estimons aussi que toute vision exclusivement centrée sur le travail-revenu est remise en question dès l’instant où l’on commence à inclure dans l’équation des phénomènes tels que:

Nous reconnaissons que, des quatre dimensions de l’inclusion, la dimension économique est la plus importante, mais notre réflexion part de prémisses bien différentes. Nous estimons que le facteur clé n’est pas l’accès au marché du travail, mais les degrés d’inégalité qui peuvent finir par fixer les règles de partage des richesses et la logique du marché du travail. En admettant qu’une certaine inégalité économique, fruit de la distribution inégale des capacités entre les personnes, est inévitable, les structures, les degrés et les conséquences des inégalités économiques comportent des variations très importantes entre les pays. Sur ce point, il est important de comprendre qu’il existe une relation évidente entre inégalité

• Le travail non rémunéré, essentiellement le travail reproductif, qui occupe une part importante de la population et qui est l’une des prémisses du travail productif, même s’il n’est ni reconnu ni récompensé. Si l’indépendance financière est essentielle, devons-nous considérer comme étant exclue toute personne accédant au revenu grâce à son partenaire de vie (en général le mari), à ses parents (dans le cas des jeunes sans emploi) ou à d’autres arrangements familiaux ? • Le travail précaire et mal rémunéré (lesdits working poor) nous démontre qu’une personne peut être exclue, malgré son entière insertion dans l’économie formelle, lorsque ce travail est

18 Voir : Jordan.

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économique et exclusion sociale, empiriquement prouvée par de nombreuses études19. Dans les sociétés de marché du monde globalisé, l’inclusion passe inévitablement par l’encadrement et la correction des inégalités économiques et, encore davantage, de ses impacts polluants sur les sphères non-économiques de la société20. Nous considérons qu'il est essentiel de prendre conscience de ce fait pour pouvoir envisager des politiques publiques adéquates.

mainstream (courant dominant), a besoin d’avoir la confirmation que ses choix de vie sont les seuls valables et que les privilèges qui en découlent sont justifiés. Mais les individus sont très divers et les sociétés qu’ils forment le sont plus encore et de manière chaque fois plus irréversible. Fonder l’idéal d’inclusion sur un idéal de vie très étroitement défini, conduit inéluctablement à une mauvaise approche du problème et à la proposition de solutions erronées, inhibant toutes les initiatives non conventionnelles. Dans ces conditions, le fait de ne pas correspondre au modèle standard de citoyenneté comporte, d’emblée, un risque élevé de stigmatisation de la part de la société qui associe cette différence à l’exclusion. Cette stigmatisation est ainsi directement associée à la pauvreté au sens large du terme, à la marginalité, au désespoir et à l’échec personnel.

2.3.2 Homogénéisateur et promoteur du conformisme ? Comme l’affirme Rosetti, un débat existe toujours sur la question de savoir « Quel est le concept antithétique de l'exclusion ? »21. Le problème ne vient pas d’un manque de termes pour le définir (outre l’inclusion, on parle souvent d’intégration, d’insertion, de cohésion, etc.), mais d’une incapacité à trouver un accord sur la ou les définitions du concept. Elle va de l’adoption complète et acritique des contenus de la superstructure culturelle de la classe dominante, pour l’exprimer en termes marxistes, jusqu’à l’accès aux droits et aux devoirs dans des conditions d’égalité, au-delà des différences ethniques, culturelles, économiques, etc.

Cette manière de concevoir l’exclusion, comme un stigmate chargé des connotations les plus négatives, offre deux types de fonctionnalité pour les structures de pouvoir: d’une part, elle renforce, par opposition, le modèle attractif standard d’inclusion (le seul désirable et vraiment possible) ; d’autre part, elle permet de soumettre plus facilement certains groupes sociaux hors-normes (immigrants sans papier, toxicomanes, sans domicile fixe, prostituées, etc.) aux dispositifs de contrôle des sociétés. Car si le stigmate est accepté de manière « acritique », octroyer à quelqu'un la catégorie d’exclu social permet de le situer sur un autre plan, celui des êtres humains imparfaits, incompétents et incapables d’affronter la vie. Ainsi, on présuppose qu’ils ne peuvent pas participer, en tant que membres de plein droit, aux affaires de la communauté, et doivent être placés sous tutelle.

Cependant, les sociétés énoncent généralement des idéaux d’inclusion fondés sur des traits culturels très spécifiques. Malgré la grande diversité des modes de vie, dans les sociétés actuelles, prédomine un idéal davantage fondé sur les niveaux de consommation qu’une personne est capable de financer, qu’il s’agisse de consommations matérielles ou immatérielles (relations, expériences, culture, etc.), plutôt que, par exemple, sur les niveaux d’engagement et de participation sociale. Ceci reflète parfaitement une société d’individus structurée autour du marché, qui tend à mépriser toutes les situations qui échappent au modèle standard d’un individu ou d’une famille correctement incluse (intégrée), avec un emploi (bien) rémunéré (au moins celui de l’homme de la maison), un logement spacieux dans un quartier convenable et un excellent train de vie; au delà des cas exceptionnels, telles que les icônes du monde de la culture, du sport ou du spectacle dont l’image est caricaturée de manière calculée.

Le mécanisme de stigmatisation est si parfaitement intériorisé qu’il est le plus souvent utilisé de manière inconsciente, y compris lorsque le but recherché est d’aider ceux qui souffrent. Il faut néanmoins prendre conscience que cette manière d’envisager le problème, cette stigmatisation bien intentionnée, n’est autre chose que du paternalisme, à partir duquel les personnes et les groupes les plus défavorisés se voient privés de la possibilité d’améliorer leur situation par leurs propres moyens, en tentant d’emprunter des chemins, peut-être différents, mais également valables.

Ainsi, il existe une tendance à qualifier d’« exclusion » des situations qui ne sont en fait que le reflet de différentes manières de comprendre la réalité et de vivre. Bien que l’éventail de ce qui est socialement admissible et considéré comme « normal », s’est élargi dans la plupart des pays, au cours de ces dernières décennies, la tendance à rechercher l’homogénéité est encore trop présente. Les personnes et les groupes sociaux significativement différents inspirent le rejet et, s’il nous semble qu’ils ne sont pas en capacité de parvenir à un niveau de vie décent selon nos critères, nous avons tendance à penser qu’il faut les aider. Cependant, le plus souvent, il ne s’agit pas tant d’aider la personne prétendument exclue, mais de réaffirmer le statut de la majorité qui, située dans le bon

La pression exercée par la majorité correctement incluse pour obtenir l’intégration des minorités se traduit sous une forme individuelle, collective et communautaire. Ceci implique aussi une

19 Judt, p. 29-31. Constatant l’existence de liens entre inégalité économique et criminalité, morbidité et d’autres pathologies sociales, Judt considère l’inégalité comme un phénomène corrosif des sociétés. 20 Sur ce point, l’auteur de référence est Michael Walzer (1983). 21 Rosetti, p. 31.

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tendance à proposer des réponses (politiques pour l’inclusion) trop homogènes, ne tenant pas suffisamment compte de l’importance du contexte local, de cet espace concret et proche où ont lieu et se déroulent quotidiennement les processus d’exclusion et d’inclusion.

dégradation de la politique, se contentant de promouvoir la simple gestion d’un ensemble de changements « inévitables » (par exemple, les approches de ce que l’on a appelé la « troisième voie »)22. Il est important de signaler qu’Ulrich Beck, probablement le représentant le plus important du nouveau courant, a répondu à ces accusations en alléguant qu’il ne niait absolument pas l’existence d’inégalités –ces dernières étant même de plus en plus exacerbées–, mais qu’il estimait que ni leur genèse, ni leur structuration ne pouvaient être expliquées, de manière primordiale, en termes de classes23. Sur le plan des institutions, cependant, il est vrai que l’inclusion est devenue pleinement visible dans les politiques européennes et nationales grâce à l’Agenda de Lisbonne, qui traduisait essentiellement le souhait de l’Europe de mener la globalisation de manière libérale et envisageait l’inclusion sociale comme une « aide à ceux qui ne peuvent pas suivre », le seul modèle valable et viable. En aucun cas, la reconnaissance des conséquences sociales de la libéralisation économique ou une quelconque tentative de corriger les inégalités structurelles, n’ont été envisagées.

Bien que, comme nous l’avons vu, le paradigme de l’inclusion redynamise et donne de la valeur à la dimension locale, l’application qui en a été faite par les pouvoirs publics, pour l’établissement de directives ou de programmes d’action, n’a pas suffisamment respecté cette dimension. Il existe encore une très forte tendance, à penser la réalité sociale et politique en catégories homogènes et fermées. En s’accrochant à la notion d’État-nation et au principe de solidarité nationale qui en découle, la primauté a souvent été donnée aux plans d’action de base étatique et il n’y a pas eu de transfert significatif de ressources vers les institutions territoriales, notamment les collectivités locales. Dans les pays où la pluralité interne n’est pas suffisamment reconnue, l’adoption des traits linguistiques et culturels qui constituent l’identité du groupe majoritaire du pays est restée une condition requise de l’inclusion sociale. Ainsi, on omet le fait qu’au-delà de la dimension culturelle, les contextes locaux se singularisent souvent en raison d’éléments encore plus essentiels telles que les caractéristiques biogéographiques (climat, paysage, ressources, etc.) , la base économique et les types d’activités génératrices de revenu.

De l’autre côté de l’Atlantique, aux États-Unis, ce manque de sensibilité politique du paradigme exclusion/inclusion est associé à son approche holistique, c’est-à-dire, à la tendance à classer sous cette notion toutes les situations d’inégalité et de conflit social existants. Ainsi, selon Iris M. Young, les notions d’exclusion et d’inclusion sont vidées de leur sens et perdent toute utilité en termes d’analyse critique. Elle considère que des problèmes tels que le racisme, l’intolérance culturelle, l’exploitation économique ou le refus d’aider les gens dans le besoin, devraient être mentionnés comme tels et non classés sous une autre catégorie.

Individus et communautés réagissent de la même manière lorsqu’ils se voient refuser la qualité d’acteurs placés sur un pied d’égalité, ainsi que la possibilité de choisir leur propre trajectoire de vie et de développement. Soit ils contestent la légitimité du système, soit ils optent pour le conformisme qui a pour conséquence une version peu ou très dévaluée du modèle standard, dans un contexte de faible participation politique et de stagnation économique.

Que faire, alors, de la notion d’inclusion ? Young comme Robert Dahl considèrent l’inclusion comme une notion qui appartient essentiellement à la sphère politique. Nous parlons d’exclusion (politique) lorsque des personnes ou groupes déterminés sont exclus des processus de prise de décisions qui les concernent, ce qui entraîne des conséquences évidentes dans les domaines économique et social: pauvreté, rares opportunités professionnelles, etc. Dans cette approche, les notions de démocratie et d’inclusion ne sont pas simplement liées, mais sont indissociables. Le fait de parler de « démocratie inclusive » serait donc un pléonasme puisqu’une société démocratique est soit également inclusive, soit elle n’est pas véritablement démocratique.

2.3.3 Politiquement insignifiant et inefficace ? Le discours de l’inclusion a été durement critiqué par la sociologie classique, notamment par la class sociology britannique, qui remet en question ses deux hypothèses principales : 1. Le fait que l’individualisation et le dépassement des cadres nationaux aient un poids à ce point important dans la configuration de la société, alors que ce sont des sujets qui n’intéressent que certaines minorités, généralement aisées et 2. le fait que l’analyse en termes de classes sociales ait perdu son pouvoir explicatif pour comprendre les inégalités entre les personnes. Selon ce courant, nous ne nous trouverions pas face à un changement d’époque, mais en présence de versions mises à jour des inégalités et des conflits de classes d’antan. Dans la version la plus poussée de cette critique, les défenseurs de l’approche en termes d’inclusion sont accusés d’occulter ou, du moins, de minimiser, l’importance des conflits de classes et d’accélérer ainsi le processus de désidéologisation et de

La critique en termes d’insignifiance et d’inefficacité politique est probablement la plus radicale qui ait jamais été développée à l’encontre de la théorie de l’inclusion sociale. Le paradigme

22 Voir : Atkinson. 23 Voir : Beck.

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exclusion/inclusion contribue-t-il à exclure du débat et de l’agenda politique des sujets qui étaient et qui restent essentiels, tels que ceux de l’inégalité, du conflit des classes ou de la pauvreté ? Si tel était le cas, l’idéal d’inclusion ne serait rien d’autre que l’expression du désir de surmonter de profonds conflits sociaux fondés sur une distribution injuste du pouvoir économique et politique, sans que les groupes sociaux privilégiés n’aient à en payer le prix.

Lorsque plusieurs personnes sont victimes d’un même phénomène et que ce dernier s’amplifie et devient de plus en plus fréquent, il est nécessaire d’envisager les causes sociales qui doivent être abordées et analysées, en pensant également aux éventuelles implications politiques. En définitive, nous devons prendre conscience du fait que les immenses inégalités de revenus et de richesses qui existent dans le monde sont : ...quelque chose de plus que le résultat de la malchance ou d’une certaine combinaison de préférences, de goûts, de capacités et d’effort personnel »25.

En déroulant le fil de ce courant critique prometteur, nous parvenons à une notion qui, dans la vision strictement libérale de l’exclusion sociale, a été utilisée comme principe directeur des politiques d’inclusion : l’égalité des chances. L’égalité des chances, toujours liée au principe méritocratique comme critère essentiel de distribution des biens et de la reconnaissance de la société, ne se présente pas seulement comme la manière de résoudre le problème de l’exclusion, mais aussi comme la solution aux questions de l’équité et de la justice. Si tous les individus disposent des mêmes chances de se développer professionnellement et de parvenir à un statut social élevé, pour être parfaitement « inclus », ceux qui y parviennent peuvent alors se sentir satisfaits de leur réussite, pleinement légitime, et ceux qui échouent doivent se résigner à leur disgrâce parce qu’ils n’ont pas été capables de tirer profit, avec ingéniosité, effort, dévouement, etc., des opportunités que la société leur offrait.

Il est clair que l’attitude et le comportement des personnes comptent aussi. Certains individus savent tirer au mieux profit des opportunités que leur offre le système et progressent vers l’inclusion à partir d’un point de départ précaire. Certains individus exceptionnels parviennent même au plus haut de l’échelle sociale. Cependant, même s’il s’agit de cas spectaculaires, ce ne sont que des exceptions qui confirment une règle maintes fois établie par les statistiques. Si la seule chose que nous pouvons offrir est une vision fragile de l’égalité des chances, incapable de garantir des politiques redistributives efficaces, un grand nombre de personnes, majoritaires dans les groupes les plus discriminés, ne réussiront jamais à se sortir de leur situation en dépit de tous leurs efforts. Finalement, il ne s’agit pas d’envisager l’inclusion sociale comme une course individuelle pour opérer un classement, à partir de critères apparemment justes, entre les personnes capables et les personnes incapables, mais d’assumer un idéal d’inclusion ayant une validité universelle, avec la possibilité raisonnable que tout le monde ou presque pourra y parvenir. Et, de ce point de vue, nous pensons qu’il ne pourra y avoir d’avancées significatives dans la lutte contre l’exclusion sans « ...dévoiler la manière dont les institutions et les relations sociales se structurent dans le but de restreindre les opportunités offertes à certaines personnes afin de développer et d’exercer leurs capacités et d’atteindre leurs objectifs »26. Il faut les dévoiler pour tenter de les améliorer.

Cependant, jusqu’à quel point est-il possible d’offrir les mêmes chances à tout le monde ? Est-il réaliste d’établir un point de départ en termes d’égalité des chances quant aux capacités individuelles (physiques et intellectuelles) et au capital (économique et culturel) que la famille et le milieu social le plus proche mettent à la portée de chaque individu ? Évidemment, non. Il existe de nombreux facteurs qui créent des inégalités et rendent l’idéal de l’égalité des chances irréalisable. Certains de ces facteurs proviennent de la génétique, du hasard ou de la simple malchance. Mais une autre partie de l’inégalité, la plus substantielle, provient de l’organisation sociale elle-même. Le fait que la société soit devenue plus hétérogène et fragmentée et que les trajectoires de vie se soient individualisées ne veut pas dire qu’il n’existe plus de règles communes, socialement construites, qui conditionnent fortement les vies individuelles. Le meilleur exemple provient du fait que la position socioéconomique des parents reste le facteur qui a le plus de force prédictive quant à la position qu’auront leurs enfants ; et, dans certains pays comme les ÉtatsUnis ou le Royaume Uni, il s’est même produit un recul de la mobilité sociale24. D’autres phénomènes sociaux associés à l’exclusion et assez fréquents dans les sociétés postindustrielles seraient, par exemple, la discrimination des personnes immigrées (notamment celles qui se trouvent en situation irrégulière), les maladies mentales chez les plus jeunes, les violences conjugales ou la précarisation du travail.

Sur la page suivant, le tableau 2 confronte une série de paradigmes explicatifs du phénomène de l'exclusion, le premier d’un point de vue individuel et les trois autres d’un point de vue social, qui différent en termes de causes, conséquences et de modèle de politique publique. Nous pouvons aussi constater que, d’une certaine manière, chaque paradigme semble correspondre et s’intégrer à un modèle de démocratie, fait que nous analyserons de manière approfondie au chapitre suivant.

24 Judt, p. 27. 25 Puyol, 205.

22


Tableau 2 : Les paradigmes explicatifs de l’exclusion sociale Paradigme

Causes de l’exclusion

Réponses à l’exclusion

Modèle social

Modèle de politique publique

Paradigme des attitudes individuelles

Pertes des opportunités du marché et interventions publiques erronées

Individualisme : effort et motivation

Modèle de marché

Politiques du workfare ; dérèglementation sociale

Néoconservatisme et néolibéralisme (anglo-saxon)

Paradigme du détachement social

Rupture et affaiblissement des liens sociaux

Solidarité et cohésion

Intégration sociale

Politiques actives d’inclusion

Républicanisme (français)

Paradigme des inégalités sociales

Monopole et concentration du pouvoir économique et politique

Redistribution et égalité

Droits politiques Politiques et sociaux redistributives de bien-être

Social-démocratie classique

Paradigme de l’exploitation et de la domination

Inégalités capitalistes et patriarcales. Nouvelle « armée de réserve » industrielle

Transformation sociale

Égalité dans un modèle social alternatif

Nouvelles perspectives radicales

Politiques d’émancipation et d’actions d’octroi de pouvoirs

Domaine politique qui le défend

Adaptation de : Rosetti (p. 36).

2.4 Pour une vision complexe, relationnelle et dynamique de l’inclusion

Il convient de dire que les quatre paradigmes et visions du problème de l’exclusion sont en conflits les uns avec les autres, aussi bien dans le domaine de la recherche que dans le domaine politique, où ils comptent des défenseurs convaincus. Cependant, d’autres chercheurs et politiciens expriment plutôt des doutes sur le fait qu’il puisse exister un paradigme qui soit nettement supérieur aux autres et, par conséquent, qui puisse s’ériger en règle générale pour l’établissement de politiques d’inclusion. Face à un phénomène aussi complexe, les explications simples ne sont pas suffisamment convaincantes. Il nous semble donc nécessaire, si l’on veut perfectionner l’analyse et les réponses, que les sciences sociales consacrent plus d’efforts à la recherche sur l’exclusion et l’inclusion à partir d’un travail multidisciplinaire (sociologie, science politique, économie, droit, anthropologie, etc.) abordant aussi bien le côté théorique (descriptif-explicatif) que pratique (normatif-prescriptif) des connaissances, et en se plaçant aussi dans une perspective spécifiquement locale (études de cas, observatoires locaux de l’exclusion).

Même si nous admettons que le paradigme de l’inclusion puisse être employé à mauvais escient, comme rhétorique pour cacher les inégalités et les conflits sociaux, nous estimons que les indices d’un changement d’époque sont indéniables, changement d'époque dans lequel la logique de l’exclusion/inclusion est venue peu à peu s’imposer dans tous les domaines de la vie. La preuve la plus évidente réside dans la segmentation et la ségrégation croissantes au niveau du travail, du logement, de l’école, du sport, etc. De même, il semble évident que l’individualisation va de paire avec une plus grande vulnérabilité de la personne, dépourvue du soutien familial et communautaire qu’elle avait auparavant, tout ceci dans un contexte où l’Etat providence qui pourrait compenser cette perte, stagne, voire a tendance à disparaître. Il semble également évident que l’exclusion sociale est un phénomène dynamique, multidimensionnel et hétérogène, un processus comportant des étapes et des situations diverses (allant de la vulnérabilité à l’exclusion externe) que peuvent traverser des individus de toute classe et de toute condition, en fonction de facteurs, comme nous l’avons dit, très divers. C’est un processus qui, potentiellement, peut 23


toucher tout le monde, à des degrés d’intensité très variés, mais qui n’est pas irréversible. D’où l’importance et la nécessité des politiques d’inclusion.

de leur situation de travailleurs ayant des bas salaires, de personnes au chômage ou d’allocataires. À l’autre extrémité de l’échelle économique, il existe aussi des personnes se trouvant dans une situation économique et financière relativement aisée mais, qui subissent un état d’exclusion sévère, en raison d’un problème de santé ou de l’absence d’un réseau familial et social. En définitive, le facteur richesse matérielle compte énormément, mais d’autres facteurs entrent également en ligne de compte. De même, il est aussi plausible de penser à des situations dans lesquelles des personnes qui souffrent d’une exclusion politique forte peuvent néanmoins compenser cette exclusion par de puissants réseaux de solidarité collective ou communautaire. Même une situation extrême, comme l’entrée d’une personne en prison, ne doit pas nécessairement et automatiquement entraîner pour elle l’exclusion sociale, mais qu’il s’agit d’un facteur de plus, certainement négatif, dans une trajectoire de vie dans le continuum exclusion-inclusion.

Or, les critiques formulées au point précédent nous obligent à mieux définir les notions, de sorte que nous puissions garantir que le paradigme de l’inclusion sociale et les politiques qui en découlent soient des instruments au service du progrès social. Ainsi, nous pensons qu’il est nécessaire de développer quatre points très précis : réaffirmer la multidimensionnalité, accepter la diversité, construire le problème social et prévoir l’action collective. De ce point de vue, le terme qui reflète le mieux l’idéal de l’inclusion sociale est « autonomie ». 2.4.1 L’inclusion est toujours multidimensionnelle L’organisation essentiellement disciplinaire de la production de connaissances scientifiques et la structuration sectorielle des appareils administratifs comportent de très puissantes inerties qui conduisent à la fragmentation du problème de l’exclusion. Ceci en oubliant, consciemment ou inconsciemment, que le concept est justement né de points de vue multidisciplinaires et transversaux, parce qu’il s’agissait de la seule manière de comprendre l’interrelation complexe entre les différents facteurs impliqués dans le phénomène. Ainsi, certains posent le problème en des termes strictement économiques, comme nous l’avons vu, alors que d’autres le font en termes strictement politiques, sociaux ou culturels. Pour les approches unidimensionnelles, l’inclusion n’est qu’une question d’argent, de pouvoir politique, de relations interpersonnelles ou de valeurs…

2.4.2 L’inclusion est essentiellement « autonomie » Lorsque nous pensons à un modèle d’inclusion sociale qui ne divise pas, n’assimile pas et n’annihile pas l’initiative individuelle et qui soit capable d’aménager la diversité en rendant possible la vie dans un espace social commun, nous finissons par arriver à la notion d’autonomie, c’est-à-dire à la capacité d’une personne de développer un projet de vie autonome, conforme à ses vœux et à ses capacités et à partir de la collaboration sur un pied d’égalité avec les autres membres de la société. L’autonomie est un idéal très exigent, qui implique l’acceptation de trois principes anciens, mais jamais supplantés lorsqu’il s’agit de tracer un horizon d’émancipation pour l’humanité :

Si nous voulons être fidèles au cadre théorique et conceptuel de l’inclusion, nous ne devrions pas nous laisser aller à de tels discours, qu’ils soient ou non très bien fondés dans leur domaine de spécialité. Nous devons penser et agir de manière interdisciplinaire, même si cela est plus lent et compliqué, parce que c’est la seule manière efficace de comprendre le problème et d’y répondre.

1. La liberté d’exister et d’agir conformément à ses propres principes. Lorsque des individus et des groupes agissent de manière autonome, cela peut mener et mène d’ailleurs à des résultats différents, souvent imprévisibles. Autrement dit, il existe des manières différentes d’entrer dans la vie professionnelle, de former une famille, de gouverner une communauté démocratiquement, etc., fruits de conditions culturelles et d’autres facteurs divers. Tous les choix de vie respectant certains principes moraux essentiels (non violence, non oppression, non discrimination, etc.) sont légitimes et, en tant que tels, doivent être acceptés, même s’ils sont critiquables quant à leur valeur sociale. 2. L’égalité, principe en vertu duquel il est accepté que la vie de toutes et chacune des personnes est également importante et mérite un statut moral identique. Cela comporte un engagement de la société vis-à-vis de l’émancipation « des classes défavorisées jusqu’à l’obtention d’une société dans laquelle les seules différences légitimes sont celles qui reflètent des manières

L’approche interdisciplinaire implique plus de coûts d’intervention et de coordination car il faut avancer sur tous les fronts à la fois. Mais elle implique aussi, de manière positive, une plus grande résilience des personnes et des sociétés, car tous les facteurs sont connectés sans qu’il soit nécessaire de tous les approuver pour atteindre un niveau acceptable d’inclusion. Par exemple, même si l’on admet que la pauvreté est l’un facteur les plus déterminants de l’exclusion, nous pouvons aussi trouver des cas dans lesquels la corrélation pauvreté-exclusion n’est pas évidente. Nous parlons, par exemple, de personnes qui, bien qu’elles souffrent d’un état de pauvreté matérielle objectif, participent pleinement à la vie sociale dans leur environnement immédiat, indépendamment 24


distinctes, libres et moralement légitimes de comprendre la vie »27. 3. La fraternité. Ou, pour employer un terme plus actuel, coresponsabilité, exprimée en termes de coopération et solidarité. Lorsque nous vivons en société, plus encore lorsqu’il s’agit d’une société urbaine densément peuplée et complexe, les projets de vie ne peuvent se développer que de manière ouverte et en collaboration les uns avec les autres. Cette logique de coopération peut et doit être présente dans les différentes sphères de la vie (foyer, marché, État, etc.), chacune avec des critères de rationalité, des normes et des règles de comportement spécifiques. L’origine des villes se trouve justement dans la tendance de l’être humain à rechercher une vie meilleure à travers l’échange, surtout de biens et de services (le marché), mais aussi d’idées (l’agora).

territoires, des collectivités locales jusqu’à un hypothétique gouvernement mondial de plus en plus nécessaire. Le principe fédéral ou de subsidiarité nous semble aussi constituer la réponse la plus valable pour aménager la volonté d’exister des peuples, dans un monde de plus en plus complexe et interdépendant.

Note : Inclusion et autonomie locale Dans une société plurielle et respectueuse de la diversité, les trajectoires vers l’inclusion doivent être ouvertes, flexibles et, inévitablement, locales ; autrement dit, elles doivent émaner d’un lieu précis, que ce soit le quartier, l’arrondissement, le village ou la ville, avec des facteurs de conditionnement biophysiques, démographiques, économiques et socioculturels concrets, et un ensemble de besoins également singuliers. Pour qu’exclusion et inclusion se matérialisent essentiellement dans la proximité, dans les structures et dans les processus qui donnent une forme et un sens à la vie quotidienne des personnes. Il est essentiel de bien gouverner au niveau local afin d’articuler l’action collective pour l’inclusion.

Le modèle requiert ces trois principes Mais il existe, entre les trois, une tension inhérente qu’il faut rendre productive en recherchant le point d’équilibre adéquat, notamment entre la liberté et l’égalité, le premier ne tenant pas compte de la dimension collective et le second ne tenant pas compte de la dimension individuelle de la personne. Le principe de fraternité, entendue davantage au sens de coopération que de solidarité, est ce qui rend possible le lien nécessaire entre individu et communauté. Ce lien est indispensable pour garantir un processus constant de dialogue critique, d’adaptation et de concertation entre des projets autonomes de vie, et sans lequel le progrès social ou même la vie en commun serait impossible.

Ainsi, ce n’est pas un hasard si la décentralisation politique et administrative, se matérialisant dans l’existence de gouvernements locaux démocratiques, peut être associée à une plus grande qualité institutionnelle et à un meilleur développement humain. Des institutions comme les Nations Unies et, notamment, le Conseil de l’Europe, ont encouragé cette demande et ont consacré des ressources au développement normatif et technique.

Rejeter un modèle d’inclusion paternaliste ne signifie pas que nous nous placions à l’autre extrême et que nous acceptions que tout choix opéré de manière autonome sera, de ce simple fait, nécessairement bon28. Si l’emblème de la modernité était la critique de l’ordre traditionnel, l’emblème de la deuxième modernité est la « critique de la critique » (Beck). Autrement dit, tous les modèles et tous les projets, qu’ils soient traditionnels ou progressistes, qu’ils viennent d’en bas ou d’en haut, doivent faire l’objet d’une étude critique minutieuse et mettre à l’épreuve leur validité. La critique est finalement une forme de relation, un échange de points de vue et d’arguments qui est, s’il se fait correctement, créateur de capital intellectuel et social.

Cependant, l’autonomie locale a aussi fait l’objet de critiques fondées sur le fait que les gouvernements locaux ne font pas suffisamment usage de leur capacité de juger et de désapprouver et que les ressources essentielles qu’ils peuvent obtenir pour faire face aux problèmes sont insuffisantes; surtout, en raison du risque que la dispersion politique ne se traduise par une moindre capacité des pouvoirs publics à redistribuer le revenu et à corriger les inégalités. Il ne fait aucun doute que l’autonomie locale peut s’avérer inefficiente et inefficace, mais aussi qu’elle peut encourager de mauvaises pratiques telles que, par exemple, les tentatives plus ou moins réussies de certains quartiers aisés de se séparer des villes « mères » et de se constituer en communes, de manière à éviter la redistribution de ressources vers les quartiers les plus pauvres à travers les impôts.

L’inclusion à travers l’autonomie est, non seulement dynamique, mais aussi extrêmement relationnelle. Tout le monde est invité à participer à la société parce que tout le monde peut apporter quelque chose, mais nul ne peut se passer entièrement des autres. Plus les sociétés sont complexes, plus elles dépendent de la relation et de l’échange pour se développer économiquement, et progresser socialement et culturellement. L’idéal d’autonomie devrait être normatif dans tous les domaines de la vie, en commençant par le foyer et les relations familiales, dans les groupes sociaux, dans les entreprises et dans les institutions. Il devrait aussi l’être dans le modèle d’organisation politique des

27 Puyol, p. 208. 28 Cleaver (p. 605) se demande si, par crainte d’être accusés de paternalisme, on finira par refuser toutes sortes de critiques des choix et actions des groupes les plus vulnérables. Il y voit le risque de « swinging from one untenable position “we know best”) to an equally untenable and damaging one (“they know best”) ».

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idéologie alternative puissante, l’existence de leaderships charismatiques, la possibilité d’établir des alliances avec d’autres groupes sociaux, le degré d’ouverture des institutions, réformistes ou révolutionnaires… Les résultats de ces mobilisations ont été inégaux, apportant des réponses allant des systèmes de bienfaisance à la protection sociale réglementée par la loi, des dynamiques de solidarité groupales et intergroupales à la reconnaissance et l’inclusion des secteurs opprimés par le mainstream social et l’État, ou de la réforme sociale progressive à la rupture révolutionnaire.

Quoi qu’il en soit, ces problèmes ne se règlent pas avec moins d’autonomie locale, mais avec une bonne réglementation et une bonne structuration de celle-ci, afin qu’elle garantisse, d’une part, des niveaux appropriés de transparence et responsabilité et, d’autre part, des dimensions institutionnelles appropriées pour permettre tant les performances institutionnelles que les politiques de redistribution. Ces problèmes arrivent, à notre avis, lorsque l’identité (traditionnelle) locale et/ou la volonté politique des habitants et des habitantes ne sont pas considérées comme les seuls facteurs à prendre en compte lors de la conception des institutions locales. Par ailleurs, un autre problème découle de l’absence d’incorporation d’une vision systématique, nationale, permettant de rendre justice aux dynamiques réelles des économies et des sociétés locales (notamment les zones métropolitaines), où vivent inévitablement en communauté des personnes d’origines, de professions et de statuts différents. Cependant, une chose est sûre : après avoir conçu les structures institutionnelles, les gouvernements étatiques et régionaux doivent, dans l’exercice de leurs compétences, être scrupuleusement respectueux de la volonté démocratique de chaque gouvernement local.

Le moment actuel n’est, en ce sens, pas différent. La lutte contre l’exclusion se pose sur plusieurs fronts, dans le domaine économique –dans la recherche d’une présence plus active dans la production de valeur, à l’intérieur et en dehors du marché–, dans le domaine social –en renforçant les réseaux collectifs et communautaires– et dans le domaine des institutions publiques, à travers l’exercice actif des droits politiques. D’ailleurs, si les pouvoirs publics parviennent à s’approprier la mission de promotion de l’inclusion, c’est parce qu’au préalable, certaines personnes et collectifs, articulés autour de structures organisatrices ont formulé le problème, l’ont communiqué à l’opinion publique et ont fait pression pour que cette question soit inscrite dans l’agenda politique, local, national ou global.

Dans les pays ayant atteint un degré d’autonomie locale élevé et satisfaisant, le pouvoir local se construit souvent autour d’un nombre réduit de communes, qui disposent en outre d’une certaine masse critique en termes de population et de ressources, et qui sont très bien dotées en termes de compétences et de revenus fiscaux. Pour que l’autonomie locale fonctionne bien, il n’est cependant pas nécessaire de supprimer les petites communes ; il existe des formules qui permettent d’articuler la coopération entre communes, de manière circonstancielle ou stable (organisations supra-communales, telles que régions, cantons, provinces, etc.). Dans tous les cas, les gouvernements locaux devraient disposer d’une autonomie et de ressources suffisantes pour pouvoir mettre en œuvre leurs propres politiques d’inclusion.

Cette action collective visant à faire face à une situation d’exclusion sociale constitue une participation des citoyens à l’état pur. Nous aurions donc une très nette association entre inclusion et participation, une association entendue non seulement en termes politiques, mais aussi en termes de capacités et d’opportunités de « participer » dans les différentes sphères de vie. A priori, la participation des citoyens est possible dans tout type de régime politique, même si ce n’est que dans les régimes démocratiques qu’elle dispose de canaux institutionnels pour son articulation et qu’elle jouit d’une protection contre l’arbitraire de l’État. Malgré tout, il nous reste à voir jusqu’à quel point l’idée de participation en vigueur dans les démocraties réellement existantes peut promouvoir l’inclusion sociale. Si l’inclusion requiert la participation et si la participation ne prospère que dans la démocratie, quelle relation peut-on établir entre inclusion et démocratie ? L’usage donné à ces notions n’aide pas à éclaircir les choses. Dans un même ouvrage, l’inclusion est conçue comme un élément essentiel de la démocratie29, mais aussi comme un de ses principaux objectifs30. Parle-t-on alors des deux côtés d’une même pièce ? de deux parties d’un processus qui s’alimente lui-même? Voilà des questions clés qui nous mènent à la deuxième partie de l’étude.

2.4.3 L’inclusion est une question sociale et politique L’exclusion n’est pas, par définition, un phénomène statique ou irréversible. Si nous considérons l’inclusion comme un problème causé par la société et que la société doit elle-même affronter, la question qui se pose ensuite est celle de l’action collective, c’est à dire de l’action politique. Historiquement, les groupes sociaux défavorisés et exclus se sont mobilisés, d’une manière ou d’une autre, pour faire face aux injustices et pour améliorer leur situation, en employant des stratégies diverses (protestation, résistance, révolution, syndicat, parti politique, etc.), conditionnées par de multiples facteurs, tel que la configuration de la structure productive, la disponibilité d’une

29 Sisk, p. 15 : “Inclusion and participation are essential to build the trust and accountability needed for citizen confidence in the quality of local democracy” ; p. 19: “(…) principles of democracy such as participation and inclusion (…) ». 30 Sisk, p. 72: “Mitigating segregation and fostering inclusion are key functions of democracy”.

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3. Démocratie et inclusion : réflexions sur un rapport ambivalent

3.1 La démocratie au XXIe siècle : de la quantité à la qualité

conseillée ; en effet, nous devrons analyser les différents facteurs de manière systémique.

La démocratie est peu à peu devenue la seule forme souhaitable, voire pensable, de régime politique, presque intouchable dans le débat public –et dans le débat académique– et revendiquée, même par ses détracteurs. Les dernières décennies du XXe siècle ont connu une expansion de la démocratie à l’échelle globale (Europe du Sud dans les années 1970, Amérique latine dans les années 1980, Europe de l’Est et Afrique dans les années 1990...). La consolidation de son succès signifiait également la fin du cadre culturel, occidental et libéral, qui avait encadré son discours jusqu’alors, et ouvrait le signifiant « démocratie » à une multiplicité de sens nouveaux, parfois en contradiction avec le modèle libéral originel.

Anduiza et Pardos31, dans l’introduction de leur rapport sur l’état de la démocratie en Catalogne 2007, expriment l’immense difficulté que suppose le fait de garantir la qualité d’un système démocratique, compte tenu du grand nombre de facteurs susceptibles d’être analysés et du besoin de se référer à des critères normatifs pour chacun d’eux. Malgré tout, ils parviennent à envisager un modèle assez complet d’analyse, qui tient compte aussi bien de la dimension instrumentale (les procédures de prise de décisions) que de la dimension substantive (les résultats des décisions) de la démocratie. Leur proposition s’articule autour de trois niveaux d’analyse ou cadres différenciés : le gouvernement, les citoyen-ne-s et les acteurs placés entre le gouvernement et les citoyen-ne-s.

C’est la raison pour laquelle, au cours de ces vingt dernières années, la science politique est passée de l’étude des différences entre les régimes démocratiques et les régimes non-démocratiques (à présent clairement minoritaires) à une analyse qualitative de la démocratie, qui tient compte de phénomènes tels que l’efficacité du système, la corruption ou la participation. Dans ce domaine, il s’est avéré tout particulièrement intéressant de recourir à l’établissement d’un seuil démocratique permettant de situer les régimes, de plus en plus nombreux, qui se présentent formellement comme des démocraties, mais qui présentent des défaillances et des carences structurelles si importantes qu’ils doivent être placés à mi-chemin entre la démocratie et l’absence de démocratie, avec différents degrés d’inclinaison dans un sens ou dans l’autre.

Au-delà du fait de constater qu’il existe un grand nombre de fronts auxquels un régime démocratique doit s’attaquer de manière simultanée et satisfaisante s’il veut parvenir à un haut niveau de qualité, le modèle d’Anduiza et Pardos nous permet de comprendre pourquoi la participation est un élément clé pour l’existence d’une véritable citoyenneté démocratique. D’ailleurs, cette dernière ne s’exerce qu’à travers la participation, et le modèle d’Anduiza et Pardos nous indique trois principes à partir desquels nous pouvons mesurer sa qualité : l’existence d’opportunités significatives pour prendre part à la prise de décisions, une participation ouverte à l’ensemble des citoyens et, enfin, la participation de chacun des citoyens et des citoyennes doit être considérée sur un pied d’égalité en cas d’élections.

Le paradigme de la qualité démocratique part de la conviction que la démocratie est le moins mauvais des systèmes de gouvernement créés par l’être humain, mais qu’il est néanmoins perfectible et que nous sommes contraints de le réviser constamment pour modifier ce qui ne fonctionne pas et pour l’améliorer le plus possible. Dans ce processus, nous devons être ouverts à toutes les formes possibles de démocratie, à condition qu’elles répondent à certains critères de légitimité et d’efficacité, car chacune d’entre elles peut être utile dans un contexte ou pour une fonction donnée. Une approche trop dogmatique, consistant par exemple à considérer que le système majoritaire est supérieur au système proportionnel, n'est donc pas

Pour que la participation soit possible, un ensemble de conditions doivent être réunies en matière de droits et de libertés, parmi lesquelles nous souhaitons souligner l’existence des droits sociaux. Preuve supplémentaire du fait que, sans compromis social fort, un régime démocratique ne pourra jamais atteindre un haut niveau qualitatif. Nous verrons ci-après de quelle manière ce lien peut s’établir de façon empirique. 31 Anduiza, E. et Pardos, S : « Introducció: com analitzar l’estat de la democràcia? », Dans : Anduiza, p. 15-46.

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Tableau 3 : Cadre pour l’évaluation de la qualité démocratique Cadre

Aspects à prendre en compte

Principes normatifs

Représentation. L’ensemble des citoyen-ne-s doivent être correctement représenté-e-s, sans exclusion ou discrimination.

• Égalité entre électeurs/électrices • Proportionnalité dans la représentation des préférences politiques • Ressemblance entre représenté-e-s et représentant-e-s

Exécution. Les institutions doivent être capables de prendre des décisions qui répondent aux préférences des citoyen-ne-s.

• Le gouvernement est capable de prendre des décisions avec le degré de soutien le plus élevé possible. • Le contenu des décisions du gouvernement est le reflet des besoins des citoyens. • Le gouvernement respecte les engagements électoraux.

Gouvernement Contrôle. Les institutions doivent être soumises à des contrôles empêchant les abus.

Performances. Les performances satisfaisantes des institutions doivent se traduire par une évaluation positive des citoyen-ne-s et par la qualité des services publics qu’elles fournissent.

• Fourniture de services publics de qualité. • Bonne évaluation des institutions publiques par les citoyen-ne-s. • Faible niveau de corruption.

Droits et libertés

• Sécurité physique et efficacité juridique. • Respect des droits fondamentaux. • Droits sociaux et égalité des chances.

Participation

• Structure des opportunités politiques de participation32 • Étendue • Égalité dans la participation.

Culture politique

• Intérêt et connaissance de la sphère politique. • Confiance dans la démocratie. • Accord sur les questions politiques de base.

Associations

• Pluralisme et densité associative. • Fonctionnement interne démocratique et performances des associations.

Citoyenneté

Acteurs servant de lien entre le gouvernement et les citoyenne-s

• Influence des citoyens dans le choix et dans le contrôle des représentants. • Capacité d’action des mécanismes de contrôle horizontal de l’exécutif (Parlement, Défenseur des droits, Cour des Comptes, etc.).

• Lien entre les partis et la société. • Fonctionnement interne démocratique.

Partis politiques

• Pluralisme • Indépendance • Éthique professionnelle

Médias

Source : Élaboration des auteurs à partir de l’ouvrage de Anduiza et Pardos.

32 Anduiza et Pardos se réfèrent ici à l’existence de mécanismes institutionnels qui permettent une participation directe des citoyen-ne-s à titre individuel et ayant des conséquences sur les décisions publiques. Ces mécanismes comprendraient, entre autres, l’initiative législative populaire ou le référendum.

28


3.2 Qualité démocratique et développement humain

Tableau 4 : Comparaison entre DI 2008 et IDH 2010 ajusté (30 premiers Etats)

Même s’il n’existe aucune institution officielle ayant une autorité reconnue pour définir la qualité d’une démocratie et pour évaluer si un régime est véritablement démocratique, il existe cependant des organisations privées qui réalisent un travail méthodique et sérieux sur le sujet. Deux d’entre elles, Freedom House et The Economist, établissent et publient chaque année des classements de qualité démocratique par pays, dans lesquels sont évalués et classés la plupart des États du monde. Le Democracy Index, élaboré par les services de recherche de l’hebdomadaire britannique The Economist, est établi à partir d’une longue liste de questions (60), réparties en cinq blocs : processus électoral et pluralisme, fonctionnement du gouvernement, participation politique, culture politique démocratique et libertés civiles. Ces blocs sont liés entre eux et forment un tout cohérent. Cependant, quatre aspects sont considérés particulièrement critiques et apportent plus de points à l’évaluation globale de la qualité démocratique d’un système : 1. Si les élections nationales sont libres et se déroulent sans tricherie (fair) ; 2. La sécurité des électeurs ; 3. L’influence de pouvoirs étrangers sur le gouvernement et 4. La capacité de l’administration publique à mettre en place des politiques. Comme nous le voyons, il s’agit d’éléments essentiels, aux fondements de la démocratie, sans lesquels tout le reste serait impossible ou perdrait tout son sens. Dans notre recherche de données empiriques qui nous permettraient de vérifier s’il existe une corrélation significative et positive entre démocratie et inclusion, nous avons consulté un autre indice de référence à l’échelle mondiale, le Human Development Index33 (Indice de développement humain ou IDH), élaboré par le Programme des Nations Unies pour le développement. Il est important de souligner que l’IDH avait régulièrement été critiqué du fait qu’il ne tenait pas suffisamment compte de la variable égalité sociale. Mais lors de la dernière mise à jour de l’indice, rendue publique en novembre 2010, les auteurs du rapport ont, pour la première fois, établi un IDH ajusté aux inégalités, incluant les reculs en termes de développement humain engendrés par les inégalités prises en compte dans chaque pays (espérance de vie, éducation et revenu). Cet IDH ajusté a logiquement donné lieu à des changements de place par rapport au classement non ajusté de cette même année 2010, changements qui, dans le tableau, sont indiqués par des flèches vertes (gain de place) ou rouges (perte de place).

Democracy Index 2008 (The Economist Intelligence Unit) 30 premiers Etats sur 167

Inequality-adjusted HD Index 2010 (United Nations Development Program) 30 premiers Etats sur 169

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30

Sweden Norway Iceland Netherlands Denmark Finland New Zealand Switzerland Luxembourg Australia Canada Ireland Germany Austria Spain Malta Japan United States Czech Republic Belgium United Kingdom Greece Uruguay France Portugal Mauritius Costa Rica South Korea Italy Slovenia

9.88 9.68 9.65 9.53 9.52 9.25 9.19 9.15 9.10 9.09 9.07 9.01 8.82 8.49 8.45 8.39 8.25 8.22 8.19 8.16 8.15 8.13 8.08 8.07 8.05 8.04 8.04 8.01 7.98 7.96

Norway Australia Sweden Netherlands Germany Switzerland Ireland Canada Iceland Denmark Finland United States Belgium France Czech Republic Austria Spain Luxembourg Slovenia Greece United Kingdom Slovakia Israel Italy Hungary Estonia South Korea Cyprus Poland Portugal

0.876 0.864 0.824 0.818 0.814 0.813 0.813 0.812 0.811 0.810 0.806 0.799 0.794 0.792 0.790 0.787 0.779 0.775 0.771 0.768 0.766 0.764 0.763 0.752 0.736 0.733 0.731 0.716 0.709 0.700

(—) (—) ( 6) ( 3) ( 5) ( 7) ( 2) (—) ( 8) ( 9) ( 5) ( 8) ( 5) (—) ( 13) ( 9) ( 3) ( 6) ( 10) ( 2) ( 5) ( 9) ( 8) ( 1) ( 11) ( 8) ( 15) ( 7) ( 11) ( 10)

Source : Élaboré par les auteurs à partir des données obtenues des rapports officiels.

nette avec l’IDH ajusté, c’est-à-dire, lorsque les inégalités en termes de santé, d’éducation et de revenu entrent dans l’équation. Dans les deux classements, nous pouvons observer que les pays scandinaves occupent les premières places, alors que d’autres pays de même importance ou d’une plus grande importance économique restent relégués à des places inférieures, que ce soit dans l’Indice de démocratie ou dans l’Indice de développement humain ajusté. 33 L’IDH est obtenu à partir du calcul de trois dimensions : 1. Une vie longue et saine (Indicateur : Espérance de vie à la naissance) ; 2. Accès aux connaissances (Indicateur : Moyenne d’années de scolarisation et espérance d’années de scolarisation) et 3. Un niveau de vie digne (Indicateur : Produit national brut par habitant). Le rapport complet peut être téléchargé sur le site suivant : http://hdr.undp.org/en/media/HDR_2010_EN_Complete.pdf 34 Le Japon ne figure pas dans le classement de l’IDH ajusté car il n’a pas fourni les données requises.

Le tableau suivant, dans lequel nous avons inclus les trente pays les mieux notés par les deux indices, nous permet de comprendre deux choses importantes : 1. La grande similitude entre les résultats des deux colonnes34 et 2. Le fait que la similitude entre qualité démocratique et développement humain devient beaucoup plus 29


Nous constatons donc l’existence d’une forte corrélation entre les deux variables. Nous ne disposons pas d’éléments statistiques qui nous permettent de déterminer quel est le sens de la causalité de cette corrélation ou dans lequel des deux sens celle-ci est la plus forte. Mais intuitivement, il semble clair qu’une démocratie de qualité favorise un modèle de développement humain de haut niveau et égalitaire, de la même façon qu’une société hautement développée et égalitaire offre de parfaites conditions pour la création d’une démocratie de qualité. Le plus probable est que les deux variables s’alimentent mutuellement, tel un cercle vertueux.

première démocratie dont nous avons une connaissance historique, celle d’Athènes et d’autres polis grecques, était profondément exclusives (envers les femmes, les esclaves, les étrangers, etc.). Et vingt siècles plus tard, la démocratie nord-américaine qui a ébloui le monde était fondée sur l’exclusion absolue de la population noire et a maintenu l’état de ségrégation alors que le XXe siècle était bien entamé, avec les ignobles lois Jim Crow qui consacraient la doctrine du « separate but equal » (par ailleurs copiée, renforcée et maintenue encore plus longtemps par le régime de l’Apartheid en Afrique du Sud). Les démocraties européennes, quant à elles, se sont constituées sur la base du suffrage censitaire en fonction de la propriété, puis ont maintenu l’exclusion politique des femmes pendant de longues décennies. Dans tous ces cas, malgré l’existence des conditions formelles d’une participation démocratique, il se produisait une exclusion de fait qui, par différentes politiques de ségrégation, privait une partie non négligeable de la population de l’exercice effectif de la politique démocratique.

3.3 Le côté obscur : Démocraties exclusives et créatrices d’exclusion Si le lien entre démocratie et inclusion est si parfait et sachant qu’il existe des régimes démocratiques dans la majeure partie du monde, certains d’entre eux comptant plusieurs centaines d’années, comment se fait-il que nous soyons confrontés à un problème d’inclusion sociale à grande échelle, présent également dans les démocraties les plus consolidées ? Quelque chose ne va pas. Il est possible que la démocratie ne soit pas toujours inclusive ou qu’elle ne le soit pas suffisamment pour des sociétés qui ont adopté la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Nous devons malheureusement tenir compte de la réalité d’un monde rempli de régimes politiques, d’institutions et de pratiques qui se conçoivent eux-mêmes et qui sont majoritairement vus comme des démocraties et qui, cependant, lorsque nous les regardons de plus près, excluent une partie plus ou moins importante de la population. L’exclusion est souvent évidente –voire légalement sanctionnée–, mais il n’est pas rare qu’elle ne le soit pas tant que cela ; il s’agit de quelque chose de plus subtile et il est nécessaire de lire entre les lignes.

Si nous abordons la question de la définition du demos du point de vue de la participation et de l’inclusion sociale, deux sortes de tensions essentielles apparaissent: d’une part, la tension verticale liée à « l’élitisation » de la participation politique et, d’autre part, la tension horizontale, qui résulte de la territorialisation de la participation. Dans les premières démocraties, dans la Grèce classique, la tension verticale se traduisait par la classification de la population de la polis en différents groupes, auxquels des droits et des libertés étaient assignés. La tension horizontale, quant à elle, s’articulait autour de mécanismes tels que l’ostracisme, c’est-à-dire l’expulsion plus ou moins durable de la polis. La citoyenneté a donc aussi été, depuis les débuts de la démocratie, un outil d’exclusion sociale. 3.3.2 Exclusion explicite et implicite dans les démocraties contemporaines

La question est inquiétante, mais nous ne pouvons pas la contourner : une société ne peut-elle se constituer comme démocratie, incluant certains groupes sociaux, que par l’exclusion d’autres groupes et catégories de personnes qui doivent nécessairement rester en-dehors de celle-ci ? En d’autres termes, le binôme exclusion/inclusion est-il un jeu à somme nulle, arbitré par un système démocratique inévitablement dominé par les groupes sociaux ayant le plus de ressources et de pouvoir ?

A l’époque contemporaine, les tensions horizontales dans la définition du demos se sont manifestées par le « problème » de l’inclusion de deux collectifs très particuliers, les minorités et les étrangers, qui peuvent parfois néanmoins représenter une partie significative, voire majoritaire de la population totale. La question la plus ancienne est celle des droits des minorités nationales résidentes au sein d’un État au moment de sa création. Souvent, les processus de construction de l’État-nation ont été mis en œuvre sur la base de l’exclusion de ces minorités nationales et ce n’est que récemment que cette tendance à l’uniformisation, caractéristique de l’État-nation, s’est inversée grâce à de nouvelles politiques de reconnaissance et de conceptions institutionnelles plus adaptées à la nature plurinationale de l’immense majorité des États. A l’heure actuelle, la complexité et la diversification des sociétés contemporaines ont rendu de plus en plus difficile l’acceptation

3.3.1 Les origines historiques de l’exclusion démocratique D’après le philosophe canadien Charles Taylor : « Democracy, particularly liberal democracy, is a great philosophy of inclusion. Rule of the people, by the people, for the people; and where the “people” is supposed to mean everybody. This offers the prospect of the most inclusive politics of human history. And yet, there is something in the dynamics of democracy which pushes to exclusion. » D’ailleurs, la 30


ethno-nationale du demos, à tel point qu’elle peut être difficilement affirmée sans porter atteinte aux principes sur lesquels repose le processus démocratique de l’État. Le second type de problème, plus récent, s’est posé comme tel en raison de l’importante augmentation de population migrante qui a accompagné l’intensification du processus de globalisation. Le fait est que, même dans les démocraties les plus ouvertes, la population étrangère a eu beaucoup de mal à accéder aux droits politiques. La prolifération d’une multiplicité de lois qui excluent les étrangers du droit à la ville entendue comme polis, lorsqu’elles ne les condamnent pas directement à l’illégalité, constitue actuellement un des enjeux les plus importants pour la démocratisation et un symptôme évident de recul démocratique (« dé-démocratisation »)35.

démocratiques, l’idée du suffrage universel commence à ressembler à une chimère. Dans ce contexte de crise de la démocratie représentative, les débats s’inclinent vers deux sortes de réponses clairement opposées : • D’une part, on préconise un approfondissement ou une démocratisation de la démocratie, qui chercherait à repenser les conditions effectives d’exercice de la citoyenneté et à promouvoir l’inclusion politique, non seulement par la politique institutionnelle, mais aussi par la mobilisation et par des politiques sociales qui garantissent les bases matérielles de la participation. • D’autre part, en revanche, en renonçant de manière évidente à l’idéal démocratique, on mise sur le transfert de la prise de décisions dans les domaines clés (politique monétaire, réglementation du travail, énergie, développement technologique, etc.) à des organismes présumés « indépendants », formés d’« experts » qui ont généralement des liens très étroits – idéologiques, économiques, quand ce n’est pas familiaux- avec les élites économiques de chaque pays.

En ce qui concerne la tension verticale, dans l’ère moderne, l’histoire de la démocratie offre un panorama plus encourageant, avec un élargissement progressif du suffrage qui conduit au dépassement des barrières de classe et de genre. L’implantation du suffrage universel dans presque tous les régimes démocratiques, culminant dans certains cas à la fin du XXe siècle, avait alors constitué un énorme succès dans le processus d’inclusion à travers la citoyenneté. Cependant, dans la majorité des cas l’obtention du suffrage n’a pas impliqué une inclusion immédiate et effective des classes sociales les plus défavorisées au sein de la politique démocratique. Le système de représentation politique lui-même, en créant une représentation simplificatrice ou imparfaite du pluralisme existant dans la société, ne facilite pas l’inclusion sociale. Mais ce qui est plus grave encore est que, très souvent, les systèmes électoraux ont été conçus de telle sorte qu’ils garantissent la sous-représentation ou, directement, l’exclusion de la représentation de certains courants idéologiques. Les exemples peuvent aller des systèmes électoraux majoritaires à un seul tour, qui discriminent les forces politiques tierces et rendent très difficile l’accès de nouveaux partis au système, aux formes beaucoup plus subtiles telles que la définition ou la redéfinition des circonscriptions électorales dans l’intention de défavoriser certains courants politiques36, en passant pas les barrières constituées par les pourcentages prévus dans certains systèmes proportionnels, avec des effets discriminatoires semblables à ceux décrits ci-dessus. Dans un système de démocratie représentative pur, où la participation se limite à l’exercice du vote tous les quatre ou cinq ans, la falsification des systèmes de représentation implique que des secteurs très larges, parfois même quantitativement majoritaires de la société, puissent se voir, de facto mais non de jure, exclus de la politique démocratique.

Les demandes de démocratisation et de dé-démocratisation cohabitent au sein du débat public, parfois au sein d’un même gouvernement ou courant idéologique, chose qui, outre le fait de créer la confusion dans l’esprit des citoyens, complique l’adoption de changements qui tendraient à améliorer la qualité de la démocratie.

Note : Associations et exclusion : le côté obscur de la société civile L’État démocratique entretient une relation complexe et ambivalente avec l’inclusion, mais qu’en est-il des organisations qui, représentant des intérêts sectoriels de la société, ne font pas partie de l’État ? La notion de « société civile » englobe une immense variété d’acteurs, ayant des approches et des pratiques spécifiques. La plupart d’entre eux sont, en tant qu’organes intermédiaires entre la famille et la société, des espaces privilégiés de participation et d’inclusion ; une inclusion, cependant, qui est souvent sélective. Nous ne pouvons éluder le fait qu’une bonne partie des organisations formellement constituées

Que ce soit en raison de l’endogamie des élites politiques ou en raison des « carences » structurelles des systèmes de représentation, le fait est que l’abstention électorale est allée en augmentant dans la majeure partie du monde, et quand d’importantes couches sociales se situent systématiquement en marge des processus

35 Nous empruntons le terme de « dé-démocratisation » à Charles Tilly (2007) qui a théorisé la démocratisation comme un processus historique de longue portée, complexe, ambivalent et réversible. 36 Cette pratique est connue dans les pays anglo-saxons sous le nom de gerrymandering.

31


3.4 Est-il possible de parvenir à l’inclusion dans un contexte non démocratique ou de faible qualité démocratique ?

fonctionnent suivant la logique des clubs, qui limitent strictement les bénéfices de leur activité à leurs membres et se réservent le droit d’admission de nouveaux membres, droit qui peut être réglementé de manière plus ou moins « dure » en fonction de la composition et de la finalité de l’organisation. De plus, afin d’attirer des membres potentiels, les organisations tentent souvent de maximiser les bénéfices de leurs membres, au détriment bien sûr de ceux qui en sont exclus. C’est ainsi que fonctionnent, par exemple, les organisations classiques et bien positionnées dans le système telles que les partis politiques, les organisations patronales ou les syndicats. Même si elles peuvent obtenir des bénéfices génériques qui profitent à l’ensemble de la population, les bénéfices les plus immédiats et tangibles sont normalement réservés à leurs membres.

À ce stade, nous disposons de suffisamment d’éléments pour conclure que démocratie et inclusion sont deux phénomènes liés qui se conditionnent et se renforcent mutuellement ; mais nous avons aussi vu que toutes les démocraties incorporent, dans une plus ou moins grande mesure, des éléments d’exclusion politique dans leurs structures et dans leurs procédures, lesquels sont un indice évident d’une mauvaise qualité démocratique. La crise généralisée du modèle démocratique est un fait que nous ne saurions ignorer. Dans tous les processus d’exclusion politique –que ce soit à travers le cens ou le système électoral–, outre la résistance à partager le pouvoir, on relève une forte méfiance des élites dominantes vis-à-vis des citoyens, en général et notamment, visà-vis des groupes les plus défavorisés. On se méfie de l’opinion et de la capacité des personnes socialement exclues ou vulnérables de vivre en démocratie de manière autonome et responsable. L’argument avancé pour tenter de justifier l’exclusion est cependant différent, car, politiquement, celui-ci ne pourrait être soutenu. En effet, l’argument avancé est celui de la meilleure préparation intellectuelle des élites. L’argument retenu est que les personnes ou les groupes qui se trouvent à la tête des institutions sont les seules à pouvoir avoir la vision (politique) et les connaissances (techniques) nécessaires pour établir les politiques adéquates.

Dans ce sens, nous pouvons observer la multiplication de phénomènes nouveaux, actualisation de pratiques d’exclusion ancestrales, tels que les écoles privées ou les « gated communities », mais aussi d’autres entités, apparemment plus ouvertes, qui appliquent également, de manière plus ou moins cachée, la logique de l’exclusion, telles que les coopératives. D’après certains auteurs37, il s’agit là d’un phénomène en croissance qui s’explique comme une réponse stratégique des individus et des familles face au démantèlement progressif des structures et des filets de sécurité que fournissait l’État-Providence. Lorsque le « parapluie » public se casse, ceux qui peuvent s’arrangent pour former et rejoindre des groupes de plus en plus particularistes et, par conséquent, générateurs d’exclusion.

C’est à partir de cette vision élitiste, poussée à l’extrême, que l’on parvient à défendre l’option de progresser jusqu’à l’inclusion sans besoin de politique démocratique, ce que démontreraient certains exemples, historiques et actuels, tel que le vertigineux développement de la République Populaire de Chine et d’autre pays asiatiques. D’un point de vue strictement économique, la voie de l’inclusion sans participation peut paraître plausible. L’un des aspects les plus surprenants de la nouvelle économie globale est justement le lien inégal entre démocratie et marché : alors que la démocratie semble avoir besoin du marché (aucun exemple actuel ne nous prouve le contraire), le marché ne semble pas avoir besoin de la démocratie pour pouvoir fonctionner correctement. Malgré tout, nous avons vu que la variable économique n’est pas suffisante pour expliquer entièrement à elle seule le phénomène de l’exclusion et, par conséquent, la retenir comme seul élément principal des politiques d’inclusion comporterait le risque de formuler des réponses insuffisantes ou erronées.

Sans vouloir remettre en cause le besoin d’un tissu associatif fort et autonome, nous devons prendre conscience du fait que toute institution peut être la scène de pratiques d’exclusion, sanctionnées par la volonté démocratique de ses membres. Et si l’État démocratique a besoin du contrepoids de la société civile pour limiter d’éventuels excès et répondre aux demandes des citoyens, la société civile a aussi besoin d’un État suffisamment fort et légitime pour permettre la défense des droits des citoyens et l’articulation d’une vision de l’intérêt général face aux dynamiques d’exclusion des intérêts particuliers.

Faisons face à la question : les personnes exclues et/ou celles qui, en raison de leur grande vulnérabilité, courent le risque d’être

37 Dans ce sens, voir Jordan.

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exclues peuvent-elle avancer vers l’inclusion sans participer ni au processus d’élaboration des politiques ni à leurs contenus, en délibérant, en (co)décidant ou en (co)produisant ?

grands propriétaires, la caste bureaucratique, les partis... En cas de subordination, les voies vers l’inclusion deviennent des voies clientélistes, où l’accès aux biens et aux services essentiels se fait par l’échange de soutiens et de loyauté politico-partisans, ouvrant de vastes espaces à la corruption.

Certes, nous ne pouvons ni écarter, ni négliger les cas de despotisme éclairé, de leaders et/ou d’élites ayant une conscience sociale et une capacité de promouvoir des politiques profitables aux classes les plus vulnérables et exclues. En Espagne, pour citer un cas bien connu, certains parviennent à défendre le régime franquiste sous prétexte qu’il aurait rendu possible une ouverture économique ayant permis une croissance et créé des emplois en quantité suffisante pour incorporer des millions de personnes à la société de consommation urbaine émergente. Il s’agit d’une vision très idyllique qui occulte les énormes coûts et les carences de ce modèle. D’ailleurs, les personnes qui ont émigré vers les villes –parce qu’à la campagne les niveaux de revenu dépassaient à peine ceux nécessaires à la simple subsistance– ont du affronter pendant de nombreuses années de graves situations d’exclusion, avec des salaires de subsistance, des logements précaires et un manque de services essentiels. Tout cela a été surmonté, dans une large mesure, justement grâce à une activation sociale et politique, non prévue et non voulue par le régime, à travers des organisations de voisinage, des syndicats et des partis initialement clandestins, puis tolérés et finalement fers de lance de la transition démocratique. En extrapolant l’expérience espagnole à celle d’autres sociétés qui, actuellement, opèrent de rapides transitions vers la modernité économique dans des contextes non démocratiques, nous pouvons émettre l’hypothèse selon laquelle l’inclusion obtenue par cette voie sera probablement :

Si nous entendons l’exclusion/inclusion sociale comme un processus pluriel, dynamique et ouvert, sujet à des modifications substantielles en fonction de l’attitude que prennent les acteurs, il est clair que la participation politique et à toutes les sphères de la vie quotidienne (de voisinage, scolaires, culturelles, économiques, etc.) doit jouer un rôle important. Les droits des citoyens ne sont susceptibles de se matérialiser qu’à travers l’action des agents sociaux, de sorte que ces droits deviennent une réalité (pour eux-mêmes, mais aussi, solidairement, pour ceux qui se trouveraient objectivement dans l’impossibilité de se mobiliser en raison de leur âge, de leur situation légale, etc.). L’inclusion est donc une situation qui ne peut se produire qu’à partir de l’implication directe de ses bénéficiaires. Les politiques d’inclusion réactives et d’assistance peuvent avoir pour effet un soulagement temporaire des cas extrêmes, mais elles ne répondent pas aux causes du problème et ne sont pas orientées vers l’octroi de plus grandes capacités et facultés aux personnes se trouvant en situation de risque.

• Une inclusion précaire, qui ne permet pas l’incorporation de la personne dans la société de manière stable, en situation d’égalité de droits et d’obligations, mais en fonction de situations conjoncturelles, plus ou moins volatiles. • Une inclusion fictive, obtenue de manière unidirectionnelle, comme une concession de la part des groupes sociaux établis, sans que cela ne suppose aucune prise de conscience ni aucun changement dans les attitudes individuelles. Un changement qui ne doit pas être compris au sens limité de modération et de discipline de travail, mais au sens de l’acquisition de capacité pour l’autonomie personnelle et pour la transformation sociale. • Une inclusion assimilatrice, dans le sens de destructrice de l’individualité, puisque, souvent, le prix à payer pour y parvenir est de renoncer aux bases (culturelles, sociales) de son identité personnelle et de (prétendre) devenir une personne nouvelle, « normale » et « intégrée ». • En définitive, il s’agit d’une inclusion subordonnée, subordonnée à l’État et à ceux qui le dominent : le leader, les 33


4. La participation, fer de lance du système démocratique : Promesses, portées et limites

Sur le plan de la politique comparée, différentes typologies des régimes démocratiques ont été établies, structurées à partir du critère d’analyse adopté : consociatives ou majoritaires, présidentialistes ou parlementaristes, représentatives ou participatives, etc. Les possibilités sont nombreuses et dans chacune d’elles, existe un intérêt commun de souligner un trait caractéristique considéré plus important que tout autre et à partir duquel un modèle concret de démocratie est défini. Apparaissent ainsi, entre autres, des notions comme celles de démocratie libérale, démocratie parlementaire, démocratie républicaine et, aussi, de manière significative, démocratie inclusive et démocratie participative39.

type, leur portée et les acteurs principaux de la participation : démocratie directe, démocratie associative, démocratie délibérative, etc. Le fait qu’il existe un modèle dit de démocratie participative n’implique absolument pas que les autres modèles n’aient pas du tout recours à la participation. Nous pouvons envisager la démocratie comme la conjonction de trois éléments clés qui doivent nécessairement (co)exister : la représentation, la délibération et la participation. La proportion, la combinaison et la forme précise de ces trois éléments peut varier, mais ils ne peuvent jamais complètement disparaître si l’on souhaite conserver un cadre démocratique. Une démocratie sans participation serait illégitime, une démocratie sans représentation serait ingouvernable et une démocratie sans délibération serait instable et imprévisible.

La question à laquelle nous devons répondre est de savoir si la démocratie participative présente les conditions requises pour promouvoir le perfectionnement de la démocratie, dans le sens de promouvoir l’inclusion et de réduire à leur expression la plus simple les logiques d’exclusion que nous pouvons observer dans tous les systèmes démocratiques.

Figure 2. La démocratie comme participation, représentation et délibération Représentation Système de partis, conception institutionnelle, etc.

4.1 Le modèle de la démocratie participative Parmi toutes les appellations de la démocratie, celle de « démocratie participative » est l’une de celles qui a eu le plus de succès au cours des dernières décennies, notamment dans le cadre du gouvernement local. Mais qu’est-ce que la démocratie participative ? Dans son acception la plus courante, ce concept nous renvoie à un ensemble de dispositifs de participation directe de la citoyenneté dans les affaires gouvernementales, pensées pour compléter, en les enrichissant, les dispositifs habituels de la démocratie représentative. Cependant, la cohabitation entre les institutions et les logiques représentative et participative n’est pas forcément pacifique. En effet, il existe généralement des tensions et même, une ligne de pensée minoritaire mais ayant un poids significatif, qui oppose directement les deux modèles, représentatif et participatif, et considère leur coexistence impossible. L’absence de consensus académique en la matière se reflète également dans le fait que, sous l’étiquette de « démocratie participative », des modèles de participation très variés se développent, quant à leur

Démocratie

Participation Participation électorale, mobilisation sociale, etc. Source : Élaboré par les auteurs.

38 Fotopoulos. 39 Pateman.

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Délibération Réflexion et débat : institutionnel, académique, opinion publique, etc.


En effet, si l’on part d’une définition stricte des termes, l’appellation démocratie participative s’avère être tautologique car la démocratie est participative ou ne l’est pas. Nous admettons néanmoins une certaine tolérance linguistique qui nous permet de désigner un modèle de démocratie qui place la participation au dessus des deux autres éléments de l’équation (représentation et délibération).

avait été oubliée, celle reliée à Rousseau, à Paine ou à Stuart Mill. Ces derniers considéraient la démocratie comme une valeur en soi, au-delà d’une simple procédure visant à choisir et à prévenir la tyrannie, une valeur capable de promouvoir le développement humain au sens le plus positif du terme. Cette idée d’une démocratie plus forte se fonde justement sur la participation, à laquelle sont attribués des bénéfices publics évidents, dans la mesure où « elle développe un sens de l’efficacité politique, génère des préoccupations liées aux problèmes collectifs et contribue à la formation d’une citoyenneté active et informée »40. C’est à travers la participation que les individus, y compris et notamment ceux qui font partie des groupes sociaux les plus défavorisés, peuvent apprendre à s’autogouverner, en articulant leurs propres intérêts et préférences et en tenant compte de ceux des autres, prenant ainsi conscience de la complexité des questions publiques. Certains voient, dans ce processus d’apprentissage et de perfectionnement –d’humanisation par l’activité politique– l’une des expressions les plus pures de la liberté humaine, dans la mesure où il permet à chaque personne de décider de son avenir en tant que membre d’une communauté, avec des résultats toujours ouverts et imprévisibles41.

Sur le plan théorique, la participation des citoyens et l’inclusion sociale sont non seulement favorisés par le modèle de démocratie participative mais ils en constituent également les fondements politiques. En effet, dans ce modèle, la représentation politique aspire à coïncider pleinement avec la totalité du corps social, envisagé dans sa pluralité complexe. Pour la démocratie dite participative, l’inclusion sociale est donc une finalité en soi et toute exclusion comporte intrinsèquement un déficit de légitimité. Ainsi, dans ce modèle, l’exercice effectif de la citoyenneté ne peut se limiter à la simple élection de représentants (comme c’est le cas dans la démocratie représentative), ni au fait que ces représentants génèrent des consensus prétendument « inclusifs » sans participation citoyenne. Bien au contraire, l’élection des représentants ou leur délibération intégratrice sont de simples moments ou éléments d’un processus démocratique plus large qui devraient toujours se fonder sur le principe selon lequel la citoyenneté doit avoir la capacité effective d’intervenir de manière décisive dans la prise de décisions.

Il est nécessaire d’ajouter que cette démocratisation de la démocratisation à travers une plus grande participation ne doit pas seulement affecter les institutions publiques, mais doit aussi permettre une transformation de la famille et du travail en des lieux moins oppressifs et plus ouverts à la créativité humaine.

4.2 Les valeurs de la démocratie participative

À ce stade, nous pouvons constater que les fortes similitudes entre l’idéal de la démocratie participative et l’idéal de l’inclusion sociale entendue comme autonomie critique, que nous avons abordée au paragraphe qui précède, sont plus qu’évidentes. Non seulement parce que la démocratie participative implique l’incorporation de tous les citoyen-ne-s à la prise de décisions, mais aussi en raison de sa vision optimiste de la nature humaine. Cependant, comme nous

Jusqu’aux années 1960, les théories et les modèles de démocratie basés sur la primauté des élites et sur le rôle restreint, voire résiduel, de la participation des citoyens dans les décisions publiques, étaient dominants. L’argument qui pourrait être avancé est qu’ils étaient plus adaptés à un modèle de société industrielle de type fordiste, basé sur une rationalité instrumentale et un système hiérarchisé dans un contexte de grande homogénéité sociale et culturelle. Le passage vers un nouveau type de société, amorcé dans les années 1970, s’est accompagné de la revendication et de la revitalisation d’une partie de la tradition démocratique qui

40 Gallego (p. 6) citant Pateman. 41 Gallego (p. 7) citant Hanna Arendt.

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le verrons plus loin, dans le monde réel, la démocratie participative présente des aspérités, des contradictions et des effets secondaires qui l’éloignent de la simplicité propre à l’idéal.

l’intérêt public, le discours du citoyen impliqué se préoccupe de l’identification des différents intérêts individuels et/ou collectifs en jeu et de l’établissement de mécanismes qui permettent l’incorporation effective de ces intérêts dans les processus de prise de décisions. • Le discours du citoyen « empowered » se centre sur les groupes ou les communautés défavorisés ou marginalisés, c’est-à-dire exclus. Sachant que l’origine de cette exclusion est l’institutionnalisation d’une discrimination en raison de la classe, du sexe, de l’origine ou autre, le discours du public auquel des pouvoirs ont été attribués, revendique le besoin de créer des processus de formation collective des exclus, pour que ces derniers puissent agir en leur propre nom, c’est à dire, de manière autonome par rapport aux groupes dominants et aux bénéficiaires du statu quo.

4.3 Les différentes visions de la participation À partir des années 1990, la démocratie participative est parvenu à un niveau élevé d’acceptation, aussi bien dans les cadres institutionnels que dans les cadres non institutionnels et aussi bien auprès des universitaires que chez les professionnels. Un temps, les élitistes de la « vieille école » ont semblé vouloir rester dans leurs retranchements, dans les sièges des partis politiques et des organisations patronales. La participation s’impose, mais ni tous les auteurs, et encore moins toutes les institutions et les acteurs politiques, ne parlent le même langage participatif. Nous pourrions dire que le discours de la démocratie participative est adopté et adapté par une partie des principales idéologies politiques actuelles et placé au service de projets assez différents. En partant de la classification proposée par Barnes, Newman et Sullivan42, nous pouvons identifier quatre grandes modalités de discours sur la participation :

Il est important de souligner, en référence à ces discours, que nous parlons d’idéaux types, difficilement visibles sous leur forme première et appliqués de manière exclusive dans les institutions. Le plus courant est une combinaison d’éléments issus des différents discours, présentant des accents particuliers en fonction de la couleur politique du gouvernement et d’autres facteurs liés au contexte national et local. Derrière chaque discours sur la participation, se cachent différentes règles implicites (libérales, républicaine, autonome, communautariste, etc.) et leurs ajustements (et correspondance) aux diverses formes démocratiques peuvent varier considérablement. Sur la page suivante, le tableau 5 expose les risques de base et les implications de chaque modèle.

• Le discours du citoyen responsable (responsible public), qui met l’accent sur le devoir que les citoyens ont envers les autres et envers l’État pour le bon fonctionnement du système démocratique. On fait appel à l’importance décisive de la famille et des organisations non gouvernementales dans la configuration de la société. Sur ce point, le principe de l’autogouvernement est essentiel, et peut être entendu de façons diverses : comme une autodiscipline individuelle, comme un autogouvernement des communautés et/ou comme relation entre les individus et les communautés avec les administrations publiques du point de vue de l’autonomie. • Le discours du citoyen consommateur (consuming public), qui se fonde sur les attentes et sur les expériences des individus dans l’usage des services publics. Conformément aux prémisses de l’individualisme méthodologique, ce discours conceptualise la participation comme la capacité des citoyens de choisir librement un marché de biens et de services. Héritier de la tradition libérale, le citoyen consommateur qui participe ne se limite pas à être le réceptacle passif de la machine consommatrice, mais il veut devenir un agent actif dans la sélection de biens et de services publics auxquels il a droit en tant que contribuable. • Le discours du citoyen impliqué (stakeholder public) est basé sur le modèle de citoyen qui a (individuellement ou collectivement) un intérêt (matériel et/ou idéal) pour le bon gouvernement des affaires publiques, fait qui le pousse à participer pour pouvoir exprimer son opinion. Partant d’une conception pluraliste de

Au-delà des présupposés idéologiques inhérents à chaque discours, rien n’indique que ces modèles s’excluent mutuellement . Le fait que le rotary club de la ville organise une campagne de bienfaisance n’empêche pas la mise en œuvre d’un processus participatif pour l’élaboration d’un plan stratégique de la ville avec la participation des principaux agents sociaux. Et, cela, à son tour, n’empêche pas le fonctionnement d’un conseil d’usagers du centre d’assistance sanitaire, tout comme ce dernier n’empêche pas non plus le déploiement d’un projet d’auto-organisation et de formation des femmes immigrantes. Évidemment, il peut y avoir des points de friction et de conflit entre les différents processus si, par exemple, le plan stratégique affecte les intérêts de quelques illustres membres du rotary, si le conseil des usagers demandent à ce que la santé soit traitée en priorité dans le plan stratégique ou si les femmes immigrantes exigent un siège (ou deux) au sein du conseil des usagers. Mais tout cela, outre le fait d’être inévitable, serait aussi une preuve de la santé démocratique

42 Barnes, Newman i Sullivan (2007), introduction.

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Tableau 5 : Les discours de la participation et leurs implications Discours

Acteur

Finalité prioritaire

Instrument(s) de préférence

Idéologie la plus proche

Citoyen responsable Citoyen consommateur Citoyen impliqué (stakeholder) Citoyen « responsabilisé »

Individus membres de la société Individus consommateurs Entités et groupes organisés

Renforcement de l’État à partir des structures sociales traditionnelles (statu quo) Efficience et efficacité des services publics (value for money) Intégration et équité (société cohérente et juste)

Organes de participation de base corporative; conseils de notables Associations d’utilisateurs, réseaux de plaintes et de réclamations Organes et processus de libération ; militance politique et syndicale

Conservatrice

Groupes et communautés exclues

Renforcement et émancipation

Plans de développement communautaire ; démocratie directe (consultations)

Libérale Socio-démocratique Radical-démocratique

Source : Élaboration des auteurs à partir de Barnes, Newman et Sullivan

de la communauté. Les quatre discours de la participation formulés par Barnes, Newman et Sullivan sont non seulement compatibles, mais leur coexistence ou simultanéité est également positive, puisque chacun d’eux s’adresse à un type de public, avec des finalités et des types d’instruments spécifiques. Le jeu de leur interaction, s’il est bien mené, aboutit à une sorte de checks and balances entre les différents groupes et institutions, permettant un rééquilibrage du pouvoir au sein de chaque communauté.

différente » ; et dans une société où la différenciation ne cesse de s’accroître, les efforts de l’État pour parvenir à l’inclusion ne peuvent plus se contenter de quelques rares politiques, simples, homogènes et stables et il devient alors nécessaire de diversifier les actions, de segmenter les groupes cibles et de se munir d’instruments permettant d’évaluer les résultats des actions et de s’adapter aux nouveaux besoins. Dans ce contexte, une plus grande ouverture à la participation des bénéficiaires/consommateurs aux politiques sociales à la base de l’inclusion peut sembler tout à fait pertinente.

Note : Le citoyen consommateur en tant qu’agent d’amélioration des politiques sociales Le modèle de citoyen consommateur qui, d’emblée, peut sembler peu adapté à une approche progressiste de l’inclusion, apporte aussi des possibilités d’amélioration. En prenant le cas des politiques sociales, rappelons que l’État providence classique s’est caractérisé, dans ce cadre, par une logique fortement technocratique, avec des résultats suffisamment connus : des appareils capables de gérer, de manière relativement efficace et efficiente, des transferts monétaires et de certains services publics très basiques et homogènes ; mais, d’un autre côté, structurellement incapables non seulement de recevoir des signaux du milieu environnant (personnel, usagers, société en général) concernant d’éventuels problèmes, carences ou possibilités d’amélioration, mais aussi de s’adapter aux changements en faisant preuve de sophistication et qualité. Le principe constitutionnel d’égalité n’oblige pas seulement à « traiter toute personne égale en égal », mais aussi, de manière purement logique, à « traiter différemment toute personne

Cependant, quand la démocratie participative a été promue par les institutions, ce qui a généralement été le cas, le discours le plus couramment utilisé et appliqué a été celui du citoyen impliqué. Pourquoi ? Compte tenu du caractère intrinsèquement conservateur d’institutions conçues et réglementées dans le cadre d’un système de démocratie représentative, nous pouvons émettre l’hypothèse selon laquelle le discours du citoyen impliqué a été choisi parce qu’il est universaliste, qu’il s’adresse à tous en tant que citoyen et, surtout, parce qu’il donne à l’État un rôle prépondérant sans remettre en cause son fonctionnement ou sans émettre une critique aussi radicale que celle du discours du citoyen consommateur ou du citoyen « responsabilisé » (empowered). En définitive, le discours du citoyen impliqué est moins radical et, par conséquent, plus facile à aménager institutionnellement. Quoi qu’il en soit, le problème est que la prépondérance de ce genre de discours impliquant moins de risques et de transformations au détriment des autres, a, comme nous le verrons plus loin, contribué à la détérioration progressive de l’idéal de la démocratie participative. 37


4.4 Difficultés et erreurs de la démocratie participative

hommes participent en général nettement plus que les femmes, les personnes âgées plus que les jeunes, les nationaux plus que les immigrants et la classe moyenne supérieure, qui compte généralement un niveau d’études élevé, plus que les classes moyennes inférieures ou défavorisées.

À partir des années 1990, notamment en Europe occidentale et en Amérique Latine, la majorité des programmes ou projets municipaux promouvait la participation citoyenne comme une sorte de remède universel, applicable à tous les types de politiques publiques, en particulier aux politiques nouvelles et émergentes. Sont alors apparus, parallèlement aux règlements adoptés en matière de participation, des conseils communaux, sectoriels, territoriaux et des associations d’usagers, des concepts plus élaborés tels que les agendas 21, des projets éducatifs de la ville, des associations de citoyens, des plans intégraux participatifs, des plans stratégiques participatifs ou même des budgets participatifs, aux accents parfois mythiques dans le cas de la ville brésilienne de Porto Alegre. Ces processus ont donné un nouveau souffle aux gouvernements locaux et ont contribué à permettre une transition vers des systèmes de gouvernance locale, avec des institutions apparemment plus ouvertes, plus perméables à la société, mais aussi potentiellement plus inclusives.

Ce problème grave et structurel d’inégalité dans la participation fait que les nouveaux mécanismes et processus de participation des citoyens finissent trop souvent par reproduire les structures de pouvoir déjà existantes, sans promouvoir aucune sorte de transformation. En résumé : la participation est soi-disant conçue pour favoriser l’inclusion, mais ne touche pas suffisamment les personnes vulnérables et encore moins les personnes exclues. L’inégalité dans la participation est un véritable frein à la cause de la démocratie participative. Il existe un discours clairement anti-participation qui, en partant de positions entièrement démocratiques, engagées pour l’égalité et l’équité, refuse qu’une participation faible et biaisée puisse influencer les décisions des gouvernements. Cette position soutient que seule la démocratie représentative peut garantir l’égalité de tous les citoyens et citoyennes dans l’accès aux ressources et aux services publics.

Mais au fil des années, la démocratie participative a non seulement accumulé des succès, mais aussi des échecs retentissants. La participation citoyenne a eu du mal à tenir ses promesses et son implantation s’est progressivement ralentie. De manière significative, certaines des accusations qui étaient formulées à l’encontre de la démocratie participative sont similaires à celles auxquelles le paradigme de l’inclusion sociale a dû faire face.

Note : L’exclusion sélective, instrument de discrimination positive pour améliorer la participation Au sein des processus participatifs on peut parfois utiliser un certain type d’exclusion pour favoriser, paradoxalement, une participation plus inclusive. Dans l’analyse de l’expérience des processus de participation au Danemark, Agger et Larsen parviennent à identifier, en plus de l’exclusion structurelle des acteurs (qui définit et attribue la catégorie de « stakeholder ») et de l’exclusion discursive des thèmes (qui définit l’agenda et ce qui est ouvert ou pas à la participation), un type d’exclusion, temporaire et instrumental, que les promoteurs des processus peuvent utiliser pour favoriser une meilleure participation. Il s’agit, par exemple, de retirer momentanément la parole à des acteurs qui jouent un rôle trop important dans le processus pour la donner à d’autres acteurs qui n’ont habituellement qu’un rôle mineur, voire inexistant. C’est une manière, risquée mais apparemment effective, de contrecarrer les tendances à l’élitisation de la participation.

4.4.1 Quels acteurs ? Participation pour l’inclusion ou pour l’exclusion ? Le discours de la participation basée sur l’implication des acteurs sociaux (stakeholders) à l’élaboration des politiques publiques pose, d’emblée, le problème de la définition et de l’attribution de la catégorie de stakeholder. S’agissant de processus initiés par les institutions publiques, ce sont généralement les gouvernement qui se réservent cette prérogative essentielle et qui en font usage pour garantir que les participants se situent dans les paramètres de « normalité » définis par la logique intentionnelle elle-même. Ce simple fait, qui peut nous sembler « logique » et « naturel », ouvre la porte à l’inégalité et à l’exclusion dans la participation. Au-delà de cette forme d’exclusion délibérée, il en existe une autre, qui est implicite et dont la portée peut être déterminante si l’on ne fait rien pour la corriger. En effet, toutes les personnes ne font pas le même usage des opportunités de participation offertes par les institutions. On constate une nette inégalité dans la participation43, inégalité qui est socialement structurée car les

43 Par « participer », nous nous référons tant au fait de prendre part aux commissions, conseils ou forums de débat, qu’à la prise effective de la parole pour faire valoir ses propres positions et intérêts.

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distraction et de temporisation. Il s’agissait très certainement d’une manière particulière d’envisager la participation : un écran de fumée utilisé pour mieux dissimuler la politique réellement mise en oeuvre.

L’exclusion sélective est aussi utilisée, de manière plus générale, dans les politiques dont la finalité est de promouvoir l’auto-organisation de groupes sociaux minoritaires (ou minimisés). Par exemple, l’exclusion des hommes des groupes de femmes, dans le but de faciliter l’empowerment de ces dernières à travers la production de processus de subjectivation et de définition de demandes dans lesquels les hommes n’interviennent pas, démontre clairement que l’exclusion (temporaire ou partielle) du démos peut être possible lorsqu’elle vise à créer des conditions de participation plus libres, plus équitables et plus inclusives. Le même processus est à l’œuvre dans le cas des minorités autochtones et d’autres collectifs dotés de caractéristiques irréductibles et qui requièrent, dans tous les cas, un traitement spécifique pour que des conditions effectives de participation démocratique puissent leur être garanties.

Outre le fait qu’envisager un modèle de participation mécaniste, fondé sur des constructions bien articulées mais trop rigides, incapables de prendre le pouls de la société, est une erreur, ce qui accélère l’échec est le sentiment d’avoir été trompé et/ou de perte de temps. Lorsque la citoyenneté constate que la participation qui lui est proposée est faussée par le pouvoir institutionnel, qu’elle est insignifiante car ce qui est mis en jeu dans le processus participatif est infime par rapport à la portée du ou des problèmes de fond ou simplement parce qu’il représente un coût en termes d’opportunité, il se produit une déception, grande ou petite, mais d’égales conséquences : la volonté de ne pas revivre une expérience semblable et de ne pas recommencer à participer. 4.4.3 Consensus et dissension : Pourquoi tant de participation si nous n’aimons pas le conflit ?

4.4.2 Quelle finalité ? Participer pour « faire de la politique » ou pour dissimuler la politique ?

Participation et inclusion non seulement, influencent la conceptualisation de la politique au sein d’un régime particulier, mais elles affectent aussi les normes, les procédures et les valeurs permettant de réglementer l’affrontement politique dans les sociétés pluralistes. La démocratie participative, comme variante particulière de la démocratie, se caractérise par le fait que la citoyenneté participe de manière directe à la production, à la gestion et au règlement des conflits d’intérêts. La démocratie ne conduit pas à l’éradication du conflit d’intérêts, mais à l’institutionnalisation d’un traitement ordonné et pacifique de celui-ci.

L’utilisation effective des instruments de la démocratie participative par les citoyens répond rarement aux attentes initiales. Peu de personnes participent réellement et il est très difficile de fidéliser la participation. Mises à part les difficultés de nature professionnelle ou familiale, qui empêchent de consacrer du temps aux affaires publiques, il est probable que de nombreuses personnes n’aient pas répondu aux offres de participation car elles ne comprenaient pas la finalité du processus : Être informées ? Apporter son opinion? Prendre des décisions ? En définitive, qu’entend-t-on par participation ? Dans le système de démocratie représentative, les gouvernements élus décident seuls de l’agenda politique, ont tout pouvoir sur ce qui sera ouvert ou non à la participation et, dans la plupart des cas, ces gouvernements ont opté pour une participation de faible envergure, moins risquée pour les pouvoirs publics mais moins attractive pour les citoyens.

Malheureusement, le discours sur la participation et sur l’inclusion, presque dans toutes ses variantes et modalités, a peu à peu déplacé le conflit d’intérêts hors de son champs d’argumentation; comme si la finalité de la démocratie était de le conjurer et de ne pas lui donner d’expression institutionnelle. Cependant, comme l’avait alors indiqué Chantal Mouffe45, la démocratie devrait se tourner vers un modèle agonistique ; vers une organisation de la prise de décisions se fondant sur l’irréductibilité des intérêts inhérente aux sociétés pluralistes, qui place l’inévitabilité du conflit au centre du débat et qui affronte la possibilité de son règlement par la procédure démocratique. Dans le cadre de ce débat, afin d’aborder le problème de la participation et de l’inclusion/exclusion, il est nécessaire de convoquer le dytique conceptuel consensus/dissension.

Cleaver44 va encore plus loin, en affirmant que la cause principale de la perte de prestige de la démocratie participative a été d’accepter un discours trop optimiste et dénué de regard critique, vis à vis de la participation, dépourvu de toute vocation réelle à la transformation sociale. Dans cette optique, la participation est bonne en soi et il s’agit simplement de bien choisir et mettre en œuvre les techniques de participation appropriées à chaque type de processus, sans tenir compte, cependant, des objectifs de fond et du sens de telle ou telle activité. Il est sans conteste que ces enthousiastes de la participation ont souvent été, au sein des institutions, les victimes propitiatoires des realpolitikers, qui les ont manipulés et utilisés pour toutes sortes de manœuvres de

44 Cleaver, p. 598-600. 45 Voir : Mouffe (2000).

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En effet, les procédures de la démocratie participative, en particulier dans son application au niveau local, se sont caractérisées par la recherche du consensus social. Ceci a permis de relier directement les modèles participatifs et l’inclusion sociale, mais uniquement sous un angle : l’angle sous lequel le consensus est le résultat final de la résolution (éradication) du conflit. Une telle emphase et insistance sur l’importance du consensus, a induit les autorités à considérer la démocratie participative à l’échelle locale comme un dispositif de légitimation de leur action de gouvernement, plus que comme le cadre institutionnel au sein duquel la décision est prise de manière directe par la citoyenneté.

face, et d’autres, les femmes pauvres immigrantes ou issues de groupes minoritaires, étaient, jusqu’à récemment, toujours tombées sur le côté pile. L’histoire récente révèle des signes de progrès dans ce sens, mais il reste encore beaucoup à faire pour réduire ce côté obscur de la démocratie à sa plus simple expression. Si l’on veut avancer de manière significative vers une participation inclusive, les institutions devraient corriger le degré d’exclusion que crée leur cadre constitutionnel, ainsi que le système électoral et le fonctionnement habituel des administrations, et devraient instaurer des espaces et des processus ouvrant la participation aux groupes sociaux les plus défavorisés et les moins puissants.

4.4.4 Construction d’un « tabouret à un seul pied ». Où sont la représentation et la délibération ?

Mais il faut faire attention, car nous savons qu’étiqueter une institution ou une politique comme « participative » n’apporte aucune garantie. Que ce soit de manière intentionnelle ou non, les acteurs, publics ou privés, ayant le plus de capacités d’organisation et de capital culturel, savent placer ces mécanismes à leur service et finissent par imposer leurs objectifs, souvent présentés comme des solutions de consensus. Et une participation faible, homogène et pauvre en contenu peut mettre en doute le caractère démocratique de la démocratie participative.

Un dernier problème structurel du modèle de démocratie participative découle du manque de clarté concernant le rôle et la relation entre les trois éléments considérés comme les principes clés de la démocratie. Participation, Représentation et Délibération. Il n’est pas évident de savoir si la démocratie participative devrait compléter et améliorer le système représentatif, ou au contraire le dépasser. Nous avons en effet pu constater, à plusieurs reprises, que l’accent mis sur la participation au détriment des deux autres éléments conduit à faire abstraction du rôle clé qu’ils continuent à jouer, aussi bien au niveau normatif que dans le fonctionnement réel de la politique démocratique.

La critique de la démocratie participative n’implique pas son rejet et le retour à un modèle purement représentatif qui subit une crise encore plus profonde. Elle reste valable et nécessaire, mais elle doit être repensée et doit être replacée dans un contexte plus large, celui d’une démocratie qui conjugue des éléments représentatifs, des éléments délibératifs et des éléments participatifs pour atteindre de hauts niveaux de qualité institutionnelle et d’inclusion sociale.

La logique de la représentation a généralement été ignorée, comme si les partis, les programmes, les élections et les gouvernements démocratiquement élus n’étaient plus que des acteurs secondaires de la scène participative. En réalité, les gouvernements démocratiques conservent les principaux ressorts du pouvoir et le fait de les ignorer a contribué à la faible qualité de leur composition ainsi qu’à une moindre consistance et transparence de leurs pratiques. De même, en partant du présupposé selon lequel il suffit de « faire de la participation » pour provoquer des idées géniales et des résultats spectaculaires, l’importance de la délibération a été trop négligée. Ainsi, on a assisté à une multiplication des processus participatifs qui, mal conçus et mal exécutés, ont fini par engendrer des résultats de faible qualité.

Pour éradiquer les styles et les logiques qui écartent les individus et les groupes des processus politiques, les institutions engagées pour la démocratie participative doivent prendre des risques et, surmontant les mécanismes de légitimation et de « rentabilité » politique habituels, associés à des leaderships individuels et résolutifs, elles doivent donner un rôle beaucoup plus important à la communauté en promouvant tout particulièrement l’autoorganisation et la formation des personnes exclues et/ou risquant d’être exclues, à partir de structures solides et d’une base démocratique.

4.5 La démocratie participative dont nous avons besoin

L’argument utilisé pour nier l’empowerment des plus démunis, une prétendue incapacité à discerner et décider ce qui est le mieux pour eux, n’est pas recevable. En admettant les limites de la condition humaine, nous savons que tout individu est le mieux placé pour connaître ses propres et véritables intérêts. On nous dit également que seuls les spécialistes disposent d’un niveau approprié de connaissances pour prendre des décisions pour l’ensemble des citoyens. Mais les problèmes complexes qui touchent les sociétés

Nous avons vu qu’il existe de nombreuses nuances à prendre en compte dans la relation entre démocratie et inclusion. Inclusion et exclusion semblent être les deux côtés d’une même pièce lancée au hasard dans la construction d’un régime démocratique. Certains, les hommes aisés du groupe dominant, sont toujours tombés sur le côté 40


contemporaines ont justement la particularité de ne pas répondre entièrement à la logique de la rationalité instrumentale. Trop de variables, entretenant des relations multiples et dont les chaînes de justification sont difficiles à établir, sont en jeu. Par conséquent, le rôle que peuvent jouer les spécialistes afin de les résoudre est limité et, en tout cas, insuffisant. Sur une scène complexe, la politique démocratique n’est pas de trop et devient au contraire encore plus nécessaire.

démocratie, au-delà de l’effort délibératif louable, qui implique une plus grande participation, a mis en évidence les limites de la démocratie libérale, marquées par l’autonomie de la société civile et la conception négative de la liberté comme une non-interférence. Mais, en démocratie, la participation ne peut être conçue comme un simple échange de légitimité par un accès occasionnel au cadre décisionnel ou, pire encore, devenir un outil servant à externaliser ou déplacer les contradictions de la gestion publique vers les citoyens. Pour atteindre la plénitude, la démocratie participative devra faire face à l’inévitabilité de l’autonomie sociale et au caractère irreprésentable de la complexité propre aux sociétés pluralistes. À ce stade, la récupération de la crédibilité du discours participatif passe aussi par l’ouverture, sincère et courageuse, à la dissension et à la critique.

L’argument de la méfiance vis-à-vis de la capacité de discernement des classes populaires est encore plus douteux lorsque nous le comparons à la confiance totale, voire la confiance naïve, qui est habituellement accordée aux élites dirigeantes, qu’elles soient traditionnelles, patrimoniales, partisanes ou technico-scientifiques, lorsque l’on considère comme acquis que leurs avis ne répondent qu’à des motifs objectifs, dénués d’intérêts particuliers ou de classe. En admettant que ce phénomène se produise de manière isolée et individuelle, l’expérience historique nous prouve que les élites, en tant que groupe ou classe, disposent de l’idéologie comme instrument servant à la défense de leurs intérêts, et qu’elles n’ont fait de concessions significatives aux classes et groupes subordonnés qu’en réponse à des pressions effectives exercées par ces derniers par des processus de mobilisation plus ou moins massifs. En réalité, les droits, qu’ils soient civils, politiques ou sociaux, n’ont jamais été accordés, mais conquis par la mobilisation. Ainsi l’argument de la méfiance peut donc être renversé afin de défendre la cause de la participation. En effet, nous devons nous méfier des personnes, non pas des personnes qui sont exclues mais justement de celles qui occupent et gèrent le pouvoir, car c’est dans cette position que les personnes sont vraiment en mesure de faire un mal (ou un bien) significatif. Cette approche, développée de manière magistrale par Pierre Rosanvallon, nous amène à la conclusion selon laquelle la participation de ceux qui n’ont pas de pouvoir est absolument nécessaire pour surveiller, contrôler et évaluer l’usage que les élites dirigeantes font du pouvoir, même si ces élites ont été élues suivant une procédure démocratique. Ce courant de mobilisation et de participation motivé par la méfiance –de base, radicale, permanente– vis-à-vis des gouvernements démocratiques, Rosanvallon l’appelle la « contre démocratie ». Les pratiques « contre démocratiques », fondées sur une méfiance constructive, peuvent, lorsqu’elles sont bien appliquées, constituer une arme puissante capable de forcer les gouvernements à mettre en place des politiques d’inclusion réellement substantives. La solution passe donc par l’octroi aux citoyens d’un plus grand rôle dans la formulation, le suivi et l’évaluation des politiques. Jusqu’à présent, la démocratie participative a opéré comme une forme perfectionnée (parce que complémentaire) des démocraties représentative et délibérative, mais cet élargissement de la 41


5. Démocratie participative et Inclusion sociale : Propositions pour l’action

Le fait de parvenir à comprendre un problème, si profondes et sophistiquées que puissent être les connaissances acquises sur celui-ci, ne suffit pas à produire une contribution qui soit socialement pertinente. Ce qui intéresse réellement le personnel des administrations, politique et technique, et sans doute les citoyenne-s, est la ou les éventuelles solutions à ce problème. Malheureusement, les sciences sociales se sont plutôt concentrées sur l’analyse des problèmes et ont fait preuve de beaucoup plus de difficultés à concevoir des alternatives d’action. Pleinement conscients de cette carence, dans cette partie finale du travail, nous tenterons de passer de la théorie aux pratiques institutionnelles.

Sa proposition se fonde sur la correction des inégalité, sur la suppression des mécanismes de discrimination susceptibles de bloquer l’inclusion et sur l’activation de la citoyenneté à travers son implication à la prise de décisions collectives. À un tout autre niveau, mais assez proche quant aux contenus, nous trouvons le modèle de l’« inclusion active », formulé et diffusé par l’Union européenne. La dureté de la crise et ses conséquences sur le marché du travail ont probablement poussé l’organisation communautaire à abandonner le modèle antérieur, beaucoup plus centré sur le marché du travail. L’inclusion active est aussi basée sur une triade d’instruments, qui sont les suivants :

Nous avons défini l’inclusion comme un problème politique et nous l’avons fait avec un objectif particulièrement ambitieux. En effet, il ne s’agit pas uniquement de soulager les difficultés de ceux « qui ne peuvent pas suivre », mais de surmonter la fracture entre inclus et exclus en visant une société future (idéale) « where deprivation in all its forms is no longer a viable factor »46. Cet objectif aux réminiscences utopiques ne doit pas nous faire perdre de vue une tâche beaucoup plus simple et urgente à la fois: la formulation de principes et de lignes d’action permettant de (ré)orienter les politiques d’inclusion et de leur donner la force suffisante pour qu’elles puissent être les promotrices d’une véritable transformation sociale.

1. Une aide au revenu suffisante pour éviter l’exclusion sociale. Elle implique un droit à des ressources suffisantes pour vivre conformément à la dignité humaine, en tenant compte de la disponibilité active de la personne concernée, à l’emploi ou la formation professionnelle. 2. Un accès à des marchés du travail inclusifs. Il est nécessaire de promouvoir un meilleur accès au marché du travail en favorisant l’aide à l’orientation professionnelle personnalisée et des avantages financiers au profit des demandeurs d’emploi et des employeurs. 3. Un meilleur accès à des services sociaux de qualité. Il est fait référence à l’accessibilité (financière et territoriale) et à la qualité des services sociaux d’intérêt général (aides aux personnes, activités destinées à la réinsertion dans la société et dans le marché du travail et services de garde d’enfants à des prix abordables).

5.1 Les instruments des politiques d’inclusion La réflexion critique sur les notions d’inclusion a conduit à la formulation de diverses propositions visant à repenser les politiques d’inclusion de manière plus ouverte aux considérations de type social et surtout politique.

Dans ce cas, l’activation ne se rapporte pas à la participation politique, mais à la participation au marché du travail. En tout cas, l’importance donnée aux politiques sociales (transferts de revenus et services sociaux) comme instruments d’inclusion, est significative. Il s’agit d’un véritable changement de paradigme dont la continuité est éminemment souhaitable.

Nancy Fraser, par exemple, considère qu’à notre époque, qu’elle nomme l’« époque des politiques identitaires », les politiques d’inclusion sociale requièrent la combinaison de trois éléments essentiels : 1. La redistribution 2. La reconnaissance 3. La participation.

46 Gill, p. 3.

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5.2 Principes normatifs et opérationnels de la nouvelle politique d’inclusion

Nous disposons donc de trois principes directeurs qui nous permettent de discerner le type de participation dont nous avons besoin pour progresser vers une société inclusive :

Notre proposition nait de la critique à l’égard d’un paradigme de l’inclusion trop axé sur la dimension économique, homogénéisateur et insignifiant du point de vue politique. La confrontation de ces problèmes à une série d’éléments correcteurs avait donné lieu à un paradigme d’inclusion sociale correspondant davantage à la réalité et plus opérationnel du point de vie politique. Cette nouvelle manière de concevoir le phénomène de l’inclusion et d’envisager les politiques d’inclusion est à l’origine d’un ensemble de principes normatifs et opérationnels, que nous présentons dans le tableau suivant.

• Le principe d’intégralité requiert une participation intégrale, au sens où elle ne doit pas être uniquement limitée au secteur de l’économie mercantilisée (services de promotion économique, organisations patronales, syndicats et chambres professionnelles), mais ouverte à l’ensemble des cadres sectoriels de la société et à l’ensemble des acteurs, publics, privés et associatifs. Tout gouvernement souhaitant aborder l’intégralité doit incorporer, dans son fonctionnement normal, le travail intra-

Tableau 6 : La démocratie participative comme réponse aux problèmes d’inclusion Problèmes du paradigme d’inclusion

Éléments correcteurs du paradigme

Principes normatifs de l’inclusion

Implications pour la participation dans les politiques d’inclusion

Principes opérationnels de la participation pour l’inclusion

Économicisme

Intégration de toutes les dimensions de la vie

Intégralité

Participation des unités administratives et des agents sociaux des différents cadres sectoriels : économique, éducatif, culturel, etc.

• Gouvernement • Gouvernement • Gouvernement • Gouvernement

Discriminatoire

Reconnaissance de l’égalité dans la diversité

Égalité

Égalisation des conditions réelles de participation de la citoyenneté à un système démocratique de qualité

• Reconnaissance universelle de la pleine citoyenneté • Participation, représentation et délibération égalitaires • Contrôle, suivi et évaluation participative des politiques publiques

Insensible à l’inégalité et à l’injustice

Mobilisation « empowerment » sociale et politique pour l’inclusion

Augmentation de la participation des groupes exclus ou en risque d’exclusion aux différentes sphères de la vie collective.

• Subsidiarité • Démocratie économique • Démocratie de la croissance • Société en réseau

Source : Élaboration des auteurs

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transversal multi-niveaux relationnel stratégique


départemental (transversalité) et interdépartemental (gouvernement multi-niveaux) avec les acteurs sociaux (gouvernement en réseau). La complexité du cadre social et des politiques intégrales nécessite une planification stratégique. • Le principe d’égalité requiert une participation égalitaire, qui ne se contente pas d’offrir une égalité de chances en termes de participation, mais qui recherche une égalité des résultats dans la participation, pour permettre une réduction progressives des déséquilibres socialement construits (de sexe, d’âge, de classe, d’origine, etc.) dans la participation effective aux différents espaces de la démocratie institutionnelle : suffrage actif et passif pour tous les citoyens, y compris les étrangers ; articulation et défense d’intérêts ; contrôle des performances institutionnelles ; processus de délibération, de consultations des citoyens, etc. • Le principe du « empowerment » implique une participation qui octroie des pouvoirs. Cette forme de participation n’est pas principalement tournée vers les institutions ou soutenue par ces dernières, mais voulue et promue depuis la base. Elle se fonde sur la capacité de la société à s’auto-organiser et à se doter de ressources matérielles et cognitives de propriété sociale, en contribuant à la formation des groupes les plus démunis, sans oublier la collaboration critique avec les institutions et sans jamais renoncer à sa propre autonomie.

En définitive, l’incorporation de la transversalité pose la question de la modernisation de l’administration à travers un modèle relationnel qui inclue aussi la créativité et l’esprit d’entreprise. Ce nouveau modèle requiert une redéfinition des bases de la légitimité et du leadership, en distribuant des responsabilité et en construisant des leaderships plus partagés, la direction et le politique doivent toujours travailler en réseau, sans perdre de vue le plus important : les objectifs substantifs. En parallèle à l’élaboration d’une politique transversale substantive, telle que la politique d’inclusion, il est essentiel de développer la transversalité par la base, à travers des espaces et des instruments qui la promeuvent47. Cela serait le cas de : • Comités et commissions qui permettent une coordination effective et permanente entre les cadres dirigeants des administrations. • Politiques de ressources humaines favorisant la mobilité, la flexibilité et le travail en équipe. • Politiques de communication et de travail collaboratif 2.0. (Intranet, wikis, etc.). • Outils aussi bien de suivi (mémoires des secteurs, insérées dans une mémoire globale corporative) que d’évaluation (systèmes d’indicateurs). La création conjointe de ces outils est, outre un enjeu, un puissant créateur de culture transversale. • Cabinets de présidence capables d’exercer correctement des fonctions de promotion, de coordination et de suivi de l’action (à travers des plans stratégiques, des plans de mandat, etc.), ainsi que de production et de référentiel de connaissances appliquées. • Gestion par projet. En partant d’objectifs précis et d’un cadre temporel et budgétaire parfaitement définis, les problèmes permettent de mettre à l’épreuve et d’entraîner la capacité de collaboration entre personnes issues de secteurs différents. Un exemple paradigmatique de ce genre de projets serait celui des projets de régénération intégrale des quartiers, qui impliquent des interventions urbanistiques, de logement, sociales, culturelles, éducatives, d’éducation, de travail, de sécurité, etc. • Des politiques de participation citoyenne, qui apportent aussi une pression externe et incitent à la transversalisation.

5.2.1 Participation intégrale Les politiques d’inclusion doivent prévoir des interventions particularisées et intégrales, capables de comprendre les effets exclusifs que certaines conjonctions d’éléments ou de facteurs peuvent produire sur chaque personne en particulier. Cependant, la fragmentation et le partage propres aux politiques publiques ne facilitent en rien ce genre de propositions. Les interventions transversales sont encore très rares et le travail en réseau au sein de l’administration reste l’exception. Dans le domaine des politiques d’inclusion, la croyance dans le fait que ces dernières relèvent exclusivement des services sociaux et, s’il y en a, des politiques d’emploi, est encore très répandue. Il n’est pas évident de passer d’un type d’organisation éminemment sectorielle à un autre type d'organisation qui tienne compte de logiques transversales spécifiques. Le chemin parcouru par une institution a façonné une certaine culture organisationnelle, une façon de voir et de faire les choses qui conditionne fortement la prise de décision et le changement. Ainsi, un modèle réaliste de changement organisationnel prévoira l’incorporation de la transversalité en tant que processus ouvert, réalisé par étapes et de longue portée. Il est nécessaire de comprendre que la transversalité est plus une question d’état d’esprit que d’organigramme. C’est avant tout une manière de penser capable d’incorporer dans l’organisation certains usages, extrêmement bénéfiques : tenir compte de l’autre, consulter, collaborer, partager, etc.

Mais le travail transversal dans chaque administration ne suffit pas. Papademedtriou touche directement ce problème lorsqu’il affirme qu’une question « (...) that must be answered in all instances is how public institutions –public schools, bureaucracies, public service delivery agencies, police and judicial systems, political parties – can promote inclusion (and reject exclusion) more effectively? »48. Certains organes et institutions ayant une longue expérience en la matière sont déjà entièrement convaincus du fait qu’ils ne peuvent

47 Voir : Brugué, Canal et Payà, p. 170-171. 48 Papademedtriou, D.G.: “International migration and cities”. Dans : Sisk, p. 98.

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pas travailler seuls dans la lutte contre l’exclusion sociale et qu’il est indispensable d’articuler correctement les réseaux locaux complexes, le réseau des pouvoirs publics, le réseau économique et le réseau de citoyenneté, à partir du leadership de l’institution ayant le plus fort niveau d’engagement et de responsabilité. Dans une ville, il s’agit généralement du gouvernement municipal.

une perspective relationnelle consciente des interdépendances et visant à établir les complicités requises pour que tous les acteurs importants, au-delà des différends prévisibles quant à certaines mesures, puissent partager des ressources et des informations pour parvenir au meilleur Plan possible. 5.2.2 Participation égalitaire

La formule permettant de construire une réponse intégrale et stratégique au problème de l’exclusion sociale serait l’élaboration et l’approbation d’un Plan Local d’Inclusion Sociale. Un plan de ce genre comporte un travail élaboré de diagnostic pour identifier aussi bien les problèmes existant dans la communauté que les ressources publiques, privées ou associatives se trouvant disponibles pour les affronter (plan de ressources), un très ferme engagement pour la participation citoyenne, conçue dans le but de mettre en marche et d’alimenter correctement les réseaux de gouvernance de l’inclusion et, enfin, un puissant système d’indicateurs qui permette d’effectuer un suivi de qualité de l’évolution de l’exclusion et de l’impact des mesures adoptées pour promouvoir l’inclusion. Même si les outils peuvent être définis de plusieurs manières, deux éléments clés sont indispensables au processus: d’une part, il faut adopter une perspective véritablement intégrale, aussi bien dans les milieux professionnels que chez les acteurs ; d’autre part, il faut adopter

Pour atteindre une participation égalitaire, il est nécessaire d’effectuer des réformes politiques et de prendre des engagements budgétaires de plus grande portée allant au-delà de l’action des gouvernements locaux. Il faudrait au moins développer les fronts suivants : • D’abord, il faudrait éliminer, immédiatement ou dans une perspective temporelle raisonnable, toutes sortes de discrimination quant aux droits politiques au sein de la communauté. Cette reconnaissance universelle d’une pleine citoyenneté passe notamment par une bonne règlementation du droit au suffrage actif et passif des citoyens étrangers, qui devrait uniquement être défini en fonction du temps de résidence dans le pays. • Ensuite, il conviendrait de légiférer pour établir des mandats et des procédures très clairs afin de permettre le contrôle, le suivi et l’évaluation participative des politiques publiques également au niveau local. La concrétisation de ces mandats devrait être très souple, adaptée à chaque réalité locale, mais les décisions concernant l’ouverture ou non des processus gouvernementaux à la participation, ou sur le type de participation à promouvoir ou à permettre, ne devrait pas uniquement se trouver entre les mains des gouvernements. • Enfin, il faudrait promouvoir des changements permettant de parvenir à une plus grande égalité des résultats dans toutes les dimensions clés de la démocratie : – Dans la participation, en tendant à éliminer les déséquilibres sociodémographiques de la participation. – Dans la représentation, en parvenant à une plus grande égalité, sociodémographique également, entre représentants et représentés. – Dans la délibération, en garantissant que toutes les opinions pertinentes puissent être entendues dans les débats publics.

Figure 3. Réseau d’acteurs pour l’inclusion sociale sur le territoire Réseau des pouvoirs publics • Mairie • Équipe de gouvernement • Groupes politiques • Techniciens des secteurs municipaux • Politiciens et techniciens d’autres Écoles collectivités Universités Experts et professionnels Corps professionnels Réseau économique • Entreprises • Caisses et fondations • Médias

Entreprises d’insertion Coopératives d’initiative sociale Syndicats Associations industrielles et commerciales

Partis politiques Mouvements citoyens

• • • • •

Réseau de citoyens Associations d’intérêt social (thématiques et collectifs) Associations de voisinage Associations communautaires ONG Associations de parents Citoyens à titre individuel non affiliés

Avancer sur le terrain de l’égalité des résultats n’est pas chose simple. Nous avons vu que les stratégies et les projets concrets de promotion de la participation peuvent échouer, justement en raison des profonds déséquilibres socioculturels et autres qui sont inévitables sans une intervention explicite pour impliquer d’autres personnes et d’autres groupes au processus de participation. A l’instar des processus d’exclusion, les facteurs qui font obstacle à la participation sont cumulatifs et impliquent une diminution progressive des opportunités de faire entendre sa voix de citoyen-ne dans le cadre des affaires publiques.

Source : Équipe d’Exclusion sociale et Politiques d’inclusion de l’IGOP

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À ce stade, le modèle proposé par un groupe de chercheurs britanniques49, visant à réduire les inégalités qui se produisent dans la participation politique, en fonction des niveaux de capital économique et culturel des personnes, nous semble très intéressant. Le modèle s’appelle CLEAR, acronyme construit sur la base des cinq éléments suivants :

Le tableau 7 suivant ébauche un ensemble de mesures permettant de progresser dans les différents domaines proposés par le modèle CLEAR. Le type de démocratie participative implicite dans le modèle CLEAR recherche, outre une plus grande égalité politique, une approche plus souple, plus efficiente et plus efficace de la participation, de sorte que la balance coût-bénéfice de la participation soit positive pour une partie de plus en plus majoritaire de la société.

• Can do (pouvoir). Avoir les ressources et les connaissances pour pouvoir participer. • Like to (vouloir). Avoir un sentiment d’appartenance à la communauté qui rende la participation attrayante. • Enabled to (permettre). Avoir des possibilités réelles de participation. • Asked to (inviter). Être invité à participer par l’administration et/ou les organismes. • Responded to (répondre). Obtenir une quelconque preuve du fait que les opinions, les propositions, etc., formulées dans le cadre du processus participatif ont été prises en compte d’une manière ou d’une autre (ont été valorisées).

Dans tous ces changements, nous constatons que les pouvoirs publics tiennent un rôle très important, mais qu’ils ne pourront pas parvenir à eux seuls aux transformations dont la société a besoin. Pour y parvenir, il faut que la communauté elle-même, que les personnes et les groupes n’ayant pas conscience de leur pouvoir et qui ne l’exercent donc pas, fassent un pas en avant. Non seulement pour ôter une partie du pouvoir à ceux qui l’ont, et se l’approprier, mais aussi pour le faire croître et en faire un usage différent.

Tableau 7 : Politiques pour promouvoir la participation effective des personnes exclues ou en risque d’exclusion Facteur clé

Politique de réponse

Can do (pouvoir)

Développement communautaire, formation et développement, ainsi que soutien pratique à travers la dotation en centres sociaux et ressources destinés aux groupes ou aux communautés qui peuvent avoir besoin d’une aide pour trouver leur voie.

Like to (vouloir)

Aider à la construction d’un sentiment de communauté ou de voisinage. Les personnes doivent avoir un sentiment d’appartenance à la communauté afin d’être à l’aise dans un cadre participatif.

Enabled to (permettre)

Créer des canaux de participation là où la réalisation d’un suivi critique des politiques publiques et de l’action des gouvernements est possible, là où il existe une représentation d’une large gamme d’intérêts et pas seulement de certaines positions privilégiées. Investir dans des infrastructures civiques et les réseaux communautaires.

Asked to (inviter)

Systèmes de participation divers, réflexifs et susceptibles d’être adaptés car chaque groupe demandera une forme différente de mobilisation.

Responded to (répondre)

Un système politique et administratif capable d’apporter des réponses par des produits spécifiques (p.ex. mémoires des processus de participation), apprentissage continu et rétro-alimentation.

Source : Lowndes, Pratchett et Stoker.

49 Voir : Lowndes, Pratchett et Stoker.

46


5.2.3 La participation comme « responsabilisation » (empowerment)

Tableau 8 : Comment repenser le pouvoir ?

Le concept d’empowerment fait référence au développement des capacités des personnes, de manière à ce que ces dernières prennent conscience de leur pouvoir, l’assument, le développent et l’utilisent pour leurs projets de vie, conformément à leurs valeurs et à leurs préoccupations, dans un cadre de relations sociales et communautaires élargi, qui relie les sphères individuelle et collective. Pour progresser vers l’inclusion, les personnes exclues, et celles qui sont en situation de risque d’exclusion ou de forte vulnérabilité, doivent gagner du pouvoir. Mais pas n’importe quel pouvoir, il s’agit du pouvoir au sens large entendu au sens de capacités (connaissances et aptitudes de toutes sortes) utiles pour améliorer la qualité de vie des individus et des communautés qui en bénéficient. Il s’agit d’un nouveau genre de pouvoir, relationnel et partagé, nécessairement plus coopératif que compétitif car les ressources sont généralement dispersées –tout un chacun a des points forts et des points faibles– et les connaissances, y compris dans des domaines nouveaux comme celui des TIC50, se créent grâce au contact personnel et à l’échange au sein du système local luimême ainsi qu’entre systèmes locaux. En définitive, il s’agit d’un type de pouvoir « mou » dans les formes mais efficace dans ses effets.

Le pouvoir est…

Le pouvoir peut être…

Somme nulle. Il renforce certaines personnes au détriment des autres. Il divise ce qui existe déjà.

Mutuellement expansif. Il renforce les capacités de toutes les personnes impliquées. Il est créatif et générateur d’énergies et de nouvelles possibilités.

Une force unidirectionnelle : il y a ceux qui ont et ce qui n’ont pas. La vie se réduit aux puissants contre les faibles.

Un lien dialectique, allant dans les deux sens. Jamais personne n’est entièrement impuissant car les actions de chaque personne affectent d’autres personnes.

Contraignant et intimidant ; il fait peur.

Libérateur

Dominant et contrôleur

Collaborateur

Rigide et statique

Dynamique, toujours changeant

Essentiellement dérivé des lois, des statuts, de la force et de la richesse

Dérivé des relations, des connaissances, de l’expérience, d’un nombre de personnes, d’une organisation, de la créativité, de la vision, de la persévérance, de la discipline et de l’humeur.

C’est tout ce que je peux faire ou obtenir à cet instant

Il se charge de veiller au pouvoir relationnel et de le maintenir dans le temps

Et de quelle manière ce pouvoir doit-il être créé ? Essentiellement par l’auto-organisation de la société, par toutes sortes de groupes informels, de collectifs, d’organisations, de fédérations et de réseaux. Les pouvoirs publics doivent le promouvoir, doivent l’encourager et, surtout, ne peuvent pas le freiner. Dans le contexte actuel de crise, nous constatons que les entreprises du Tiers secteur social (économie sociale et solidaire) peuvent donner des réponses effectives aux situations sociales les plus compliquées, en apportant engagement, innovation, efficience ainsi qu’une immense capacité pour faire affleurer et mettre en valeur les ressources de la communauté, en créant ainsi une cohésion entre personnes et groupes. Et elles y parviennent en partant de la collaboration loyale avec les institutions dans toutes sortes de programmes et services de nature sociale, mais sans perdre la perspective critique envers les institutions et le fonctionnement de la société en général, ce qui, souvent, fait de ce secteur l’une des rares voix publiques en défense des droits des exclus. La déclaration des entreprises du Tiers secteur d’action sociale52 en Espagne est un exemple de ce rôle positif et proactif, que les organisations sont appelées à remplir.

Source : Moore Lappé51.

Dans cet idéal de société plus puissante, il y a des espaces qui ont été très peu explorés jusqu’à présent, car on considérait qu’ils appartenaient à la sphère commerciale et, par conséquent, étaient réservés aux entreprises à but lucratif. Reconnaissant le rôle

50 À ce propos, les réflexions de Zinnbauer sont particulièrement stimulantes. 51 Moore-Lappé, p. 93-93. Traduction et adaptation de l’auteur. 52 Le texte complet de la déclaration est joint en annexe, dans la partie finale du document.

47


essentiel de l’entreprise privée commerciale dans la création de richesses et d’emplois, nous estimons nécessaire de revendiquer la notion d’esprit d’entreprenariat social pour désigner tous les projets et initiatives qui permettent de créer des richesses, matérielles et immatérielles, à partir de visions, d’objectifs et de motivations éminemment sociales.

L’auteure nord-américaine, Frances Moore Lappé, dans son très récent ouvrage qui conjugue une approche théorique originale des questions sociales et écologiques à un sens pratique poussé, émet l’hypothèse selon laquelle l’abondance pourrait être un moyen de changer notre manière de voir nos communautés. Le modèle de démocratie qu’elle propose est extraordinairement simple : une démocratie vivante, construite par des personnes autonomes, engagées pour des valeurs de liberté et d’égalité et capables d’agir ensemble pour faire en sorte que ces valeurs prévalent.

Les villes ont besoin d’entrepreneurs sociaux qui explorent les possibilités de l’économie coopérative pour créer des espaces et des réseaux alternatifs de production, de distribution et de consommation ; alternatifs en ce qui concerne la propriété, alternatifs en ce qui concerne la distribution de charges et de bénéfices, et, enfin, alternatifs quant à l’engagement envers l’ensemble de la société, en défendant et en réalisant des valeurs comme le travail, l’équité, la solidarité et la durabilité.

Note : Liste de vérification de la démocratie vivante 1. Est-ce que je diffuse et permets d’étendre pouvoir et capacités ? Mon action crée-t-elle une plus grande conscience et une nouvelle forme de pouvoir qui renforce mes propres capacités et celles des autres ? Mon action réduit-elle les déséquilibres de pouvoir ? Contribue-t-elle à une correction simplement ponctuelle ou à une prise de décisions plus justes et plus effectives ? La responsabilité est-elle à sens unique ou est-elle exercée par de multiples parties qui rendent des comptes ?

Un dernier aspect à prendre en compte dans la stratégie de l’empowerment est la création d’espaces de communication autonomes, propres à la société, capables d’articuler de puissants flux de communication entre personnes et entre groupes, ainsi que de produire et de diffuser une façon, elle aussi alternative, de voir et d’analyser la réalité. Pour y parvenir, il faudrait utiliser aussi bien les canaux « traditionnels », issus de la « première » modernité (journaux, radios et télévisions communautaires), mais adaptés aux besoins actuels et, surtout, les nouveaux canaux, basés sur les TIC, qui offrent des instruments ouvrant beaucoup plus de possibilités pour l’articulation de réseaux participatifs.

2. Est-ce que je réduis la peur du changement et la peur de l’autre ? Suis-je un exemple du fait qu’il est bon d’avoir peur lorsque nous devons faire face à une nouvelle situation ? Est-ce que j’aide à changer les stéréotypes en accueillant et en valorisant la diversité ? Est-ce que je contribue à la construction de liens collectifs qui renforcent le courage, sans exclure d’autres personnes ?

En définitive, la notion de l’empowerment de la communauté se réfère à l’articulation de la société en réseau, mettant en valeur ses composantes internes, intégrant des éléments extérieurs afin de combler ses manques, et reliant le tout dans un cercle vertueux de croissance individuelle et collective.

3. Est-ce que j’apprends et enseigne les arts de la démocratie ? Mon effort tend-t-il à enseigner et à pratiquer l’école active, l’utilisation active des conflits, l’évaluation continue, le conseil et d’autres aptitudes essentielles pour pouvoir être effectif ?

5.3 Une démocratie inclusive est une démocratie vivante Nous avons débuté ce travail sur un ton pessimiste, par la constatation d’un ensemble de phénomènes et de tendances globales qui peuvent affecter la cohésion, la sécurité et le bien-être des villes. Cependant, lorsqu’il s’agit d’envisager des alternatives, le pessimisme n’est ni le remède ni la solution. Et s’y complaire ne mobilise pas, tout au contraire : cela paralyse et tue les initiatives. De plus en plus de personnes se proposent d’aborder les grands problèmes du monde –problèmes graves et souvent dramatiques– du point de vue de l’optimisme ; un optimisme que ne se fonde pas sur la désinformation et la stupidité, mais sur la conviction passionnée de la résilience des système vitaux, y compris les communautés humaines.

4. Est-ce que je crée un mouvement durable ? L’initiative est-elle intrinsèquement gratifiante, avec de grandes doses d’apprentissage réel, d’humour, de beauté, de célébration et de camaraderie ? L’initiative est-elle suffisamment visible pour que ceux qui se trouvent hors du cercle interne puissent se sentir motivés pour agir ?

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• Participative : espaces basés sur la délibération et sur le dialogue, ouverts à la participation des agents sociaux et des citoyen-ne-s en général. • Communautaire : organisations et collectifs créés pour défendre l’intérêt commun et veiller au bon fonctionnement des institutions démocratiques, à travers le suivi, la critique et, s’il y a lieu, la dénonciation.

5. Est-ce que je remplace le cadre limitatif par un cadre qui nous octroie du pouvoir ? Est-ce que j’aide à remplacer la présomption fondamentale de carence par celle d’abondance ? Est-ce que j’aide à remplacer la croyance en des lois économiques figées par la confiance en la créativité humaine ? Est-ce que je me recentre sur la bonté de la nature humaine –nos besoins de connectivité, de justice et d’effectivité–sur laquelle nous pouvons nous appuyer pour guérir la planète ? Source : Moore Lappé .

Instruments de sa mise en place dans le cadre local • Promouvoir une modification de la législation du régime local pour : 1. Approfondir la décentralisation ; 2. Garantir le droit de vote aux immigrants ; 3. Améliorer la représentation et 4. Établir des mécanismes participatifs efficaces de contrôle et d’évaluation de la gestion municipale. • Créer des espaces de participation divers, applicables à tous les domaines des politiques locales, mais attentifs également aux critères économiques, d’efficience et d’efficacité. Il ne faut pas perdre le vue que la participation n’est pas une finalité en soi, mais un moyen permettant le développement personnel et social.

Source : Moore Lappé53.

5.4 Les impacts positifs de la participation démocratique dans les dimensions de l’inclusion sociale : Inventaire de politiques

5.4.2 Politiques locales participatives pour l’accès au travail

Dans ce dernier point, nous souhaitons envisager un éventail de politiques concrètes d’inclusion qui peuvent être mises en œuvre par les gouvernements locaux à travers l’incorporation d’une participation intégrale, égalitaire et « responsabilisatrice »54. Ces actions, dans leur majorité, sont à la portée des gouvernements locaux et leur implantation dépend essentiellement de la volonté politique des équipes de gouvernement.

Justification • L’essence non démocratique de l’entreprise capitaliste est la cause principale de la distribution injuste du travail, des revenus que ce dernier génère et du sentiment d’aliénation de nombreux travailleurs vis-à-vis de leur travail. • Il en va de même en ce qui concerne les difficultés d’accès au crédit des personnes qui ne répondent pas à un certain profil d’idonéité sociale. • La centralité du travail rémunéré fait obstacle à la reconnaissance de la réalité du travail reproductif non rémunéré, essentiel pour le fonctionnement du système. Le manque de reconnaissance comporte un facteur d’exclusion pour les personnes qui l’exercent à temps complet.

5.4.1 Politiques locales participatives pour la citoyenneté politique active Justification • La participation est l’exercice de la citoyenneté à l’état pur. Le cadre municipal, en raison de sa proximité, offre de grandes possibilités pour le développement de la participation, dans toutes ses variantes. • La participation favorise l’inclusion sociale dans la mesure où : 1. Elle rend possible, en principe, le fait que toutes les voix soient entendues ; 2. Elle crée un sentiment de responsabilité envers la société ; 3. Elle met en relation des personnes et des collectifs divers et promeut leur reconnaissance mutuelle.

Modèle et concrétion démocratique • Participative : disponibilité d’espaces qui permettent d’incorporer la voix des travailleurs dans les aspects substantifs de la gestion de l’entreprise, dont la conciliation entre le travail productif et le travail reproductif, afin de parvenir à une distribution plus juste et socialement efficiente. • Communautaire : des entreprises coopératives pour la production, la distribution et la consommation de biens et de services de base pour les personnes ; coopératives de crédit pour pouvoir aider les

Modèle et concrétion démocratique • Représentative : une représentation politique vocationnelle, responsable, transparente et répondant à la volonté du corps électoral. • Directe : mécanismes à travers lesquels les citoyens peuvent décider, sans médiateurs, de certaines questions publiques.

53 Moore-Lappé, p. 165. Traduction et adaptation de l’auteur. 54 Nous ne prétendons évidemment pas faire un inventaire de toutes les politiques d’inclusion possibles, mais uniquement de celles qui lient explicitement inclusion et participation.

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nouvelles entreprises, coopératives de logement, etc., gérées par des personnes ayant peu de ressources et auxquelles elles participent ; des réseaux d’échange basés sur le temps ou sur des produits.

5.4.4 Politiques locales participatives pour l’accès aux services publics et à la protection sociale Justification • Le degré d’inclusivité (=couverture+intensité+flexibilité) des services et des prestations publiques dépend, dans une très large mesure, de décisions prises au plus haut niveau, mais aussi de la façon dont ces décisions sont appliquées et dont les services sont administrés au quotidien. Ainsi, la participation des usagers dans le suivi, le contrôle et l’évaluation de ces services et prestations est fondamentale. • Par ailleurs, il est presque impossible de parvenir à la protection de l’ensemble de la population avec les seules ressources de l’État. Dans de nombreux cas, l’implication de réseaux familiaux, collectifs ou communautaires peut être plus rapide, efficiente et efficace.

Instruments de sa mise en place dans le cadre local • Veiller au bon fonctionnement des espaces de rencontre et de négociation avec les représentants des travailleurs publics et promouvoir l’agenda de l’inclusion au-delà du conflit habituel sur les rétributions salariales. • Promouvoir la création de conseils de participation au sein des entreprises privées, en application du principe de responsabilité sociale corporative. • Négocier des aides et des contreparties avec les initiatives de production, de crédit et de consommation de nature coopérative qui émanent de la communauté, ainsi que d’autres types de réseaux liés au travail, rémunéré ou non, des personnes.

Modèle et concrétion démocratique • Participative : disponibilité d’espaces qui permettent d’incorporer la voix des citoyens/usagers dans le suivi et l’évaluation des services et des prestations publics. • Communautaire : renforcement des organisations et des réseaux sociaux fondés sur la réciprocité, capables d’apporter aide et protection en cas de besoin.

5.4.3 Politiques locales participatives pour la reconnaissance et la non discrimination Justification • La possibilité de discriminer quelqu’un est inversement proportionnelle au pouvoir politique disponible pour cette personne ou ce groupe. Ainsi, la discrimination se reflète souvent dans l’interdiction ou l’impossibilité pratique d’exercer la participation. • Sans protection légale appropriée des droits des minorités et sans une représentation politique qui reflète au moins leurs poids par rapport à l’ensemble de la population, les situations de discriminations ne pourront pas disparaître.

Instruments de sa mise en place dans le cadre local • Créer des associations d’utilisateurs veillant à la qualité des services publics. • Adapter les services publics à la diversité de leurs utilisateurs potentiels. • Négocier des aides et des contreparties avec les initiatives de protection et d’aide sociale qui émanent de la communauté.

Modèle et concrétion démocratique • Représentative : reconnaissance du suffrage actif et passif à toutes les personnes nées dans le pays ou y résidant depuis un certain temps. • Participative : disponibilité d’un espace qui permette d’articuler et de faire entendre la voix du collectif discriminé, afin de la renforcer ou pour pallier l’absence (provisoire) de droits politiques.

5.4.5 Politiques locales participatives pour l’accès à l’éducation et à la culture Justification • L’école comme première expérience vitale de participation, pardelà la famille. • L’éducation est une question qui concerne l’ensemble de la communauté (selon un proverbe africain bien connu « il faut tout un peuple pour éduquer un enfant »). • Éducation et culture apportent les ressources essentielles permettant à chacun de s’orienter et de s’adapter dans la société et l’économie de la connaissance. • La culture n’est ni un fait « naturel » ni un fait statique qui doit être accepté sans questionnement; en effet, il s’agit d’un fait socialement construit et qui, par conséquent, est critiquable, modifiable et adaptable à de nouvelles circonstances et à de nouveaux besoins. Ainsi, la participation est essentielle pour que

Instruments de sa mise en place dans le cadre local • Encourager la réforme de la loi électorale, en commençant par le droit de vote aux élections municipales. • Campagnes visant à promouvoir la participation auprès des collectifs discriminés ayant déjà le droit de vote, mais qui ne l’exercent que rarement, que ce soit par ignorance ou en raison d’un sentiment d’inefficacité politique. • Adoption du respect de la diversité comme principe de l’action politique du gouvernement. • Création de conseils municipaux participatifs permettant à ces collectifs d’être entendus et veillant à leurs intérêts. 50


la culture puisse refléter la riche palette de nuances d’une société et ne crée pas des espaces intouchables derrière lesquels peuvent se dissimuler des intérêts particuliers inavouables.

5.4.6 Politiques locales participatives pour la création de liens et de capital social Justification • Les individus ont du mal à sortir de leur propre dynamique personnelle (travail, études, etc.) et familiale, qui absorbe leur temps et leurs énergies quotidiennes. Pour créer un réseau social, en élargissant les contacts et les ressources potentiels à notre portée, nous devons d’abord rompre les murs de l’indifférence et la méfiance envers les autres. • A cette fin, il n’existe rien de plus efficace pour créer du lien entre personnes d’origines différentes que le partage d’une activité ou le travail pour un objectif commun. Cependant, il est nécessaire que ces activités soit organisées et dirigées, en mettant, si besoin est, l’espace et les ressources nécessaires à disposition.

Modèle et concrétion démocratique • Participative : des institutions pour faciliter la participation de tous les agents impliqués dans les processus éducatifs. De la communauté éducative et de chaque école. Des institutions pour faciliter la participation des citoyens aux médias publics et pour veiller ainsi à leur pluralité. • Communautaire : création, à travers des organisations ou des collectifs informels, de leurs propres projets éducatifs et culturels, susceptibles de créer des valeurs et des modèles alternatifs qui remettent en questions les valeurs et les modèles hégémoniques. Instruments de sa mise en place dans le cadre local • Conseil scolaire municipal avec l’implication de toutes les écoles. Conseils scolaires vivants et dynamiques. • Cartes scolaires faisant obstacle aux pratiques qui conduisent à la ségrégation scolaire. • Aides spécifiques aux écoles les plus engagées dans l’accueil et l’intégration de la diversité. • Aides spécifiques aux élèves ayant des difficultés économiques familiales. • Veiller à l’adoption par les écoles d’objectifs et de pratiques pédagogiques (le travail en groupe, assemblées d’élèves, etc.) favorisant l’inclusion. • Créer un organe de représentation de la citoyenneté dans les médias publics. • Négocier des aides et des contreparties avec les initiatives éducatives et culturelles qui émanent de la communauté.

Modèle et concrétion démocratique • Participative : disponibilité d’espaces où les citoyens puissent se rencontrer, partager des choses et, éventuellement, établir des liens durables. • Communautaire : des organisations ou des groupes informels qui permettent de partager des expériences et de réaliser des projets dans le cadre d’un espace ou d’une activité. Créer des espaces publics, au grand air (places, parcs, etc.) et couverts (centres civiques, centres de troisième âge et de jeunesse, piscines, etc.) de libre accès, qui permettent et promeuvent la rencontre entre personnes, à partir d’activités partagées (fêtes, marchés, foires, compétitions, etc.) organisées par la mairie ou par les utilisateurs eux-mêmes. Instruments de sa mise en place dans le cadre local • Négocier des aides et des contreparties avec les initiatives qui émanent de la communauté et visant à renforcer les liens entre les personnes qui partagent un même quartier, un âge, une passion, un sport, etc.

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Tableau 9 : Les impacts positifs de la participation des citoyens sur les dimensions de l’inclusion sociale Dimension inclusion

Modèles de démocratie

Instruments de sa mise en place dans le cadre local

L’inclusion comme emploi (accès au travail rémunéré : emploi + revenu)

• Participative : disponibilité d’espaces qui permettent d’incorporer la voix des travailleurs aux aspects substantiels de la gestion de l’entreprise, parmi lesquels la conciliation entre le travail productif et le travail reproductif, afin de parvenir à une distribution plus juste et socialement efficace. • Communautaire : des entreprises coopératives pour la production, la distribution et la consommation de biens et de services de base pour les personnes ; coopératives de crédit pour pouvoir aider les nouvelles entreprises, coopératives de logement, etc., gérées par des personnes ayant peu de ressources et auxquelles elles participent ; des réseaux d’échange basés sur le temps ou sur des produits.

• Veiller au bon fonctionnement des espaces de rencontre et de négociation avec les représentants des travailleurs publics et promouvoir l’agenda de l’inclusion au-delà du conflit habituel sur les rétributions salariales. • Promouvoir la création de conseils de participation au sein des entreprises privées (en application du principe de responsabilité sociale corporative). • Négocier des aides et des contreparties avec les initiatives de production, de crédit et de consommation de nature coopérative qui émanent de la communauté, ainsi que d’autres types de réseaux liés au travail, rémunéré ou non, des personnes.

L’inclusion comme protection (accès aux ressources et aux services publics)

• Participative : disponibilité d’espaces qui permettent d’incorporer la voix des citoyens/usagers dans le suivi et l’évaluation des services et des prestations publics. • Communautaire : renforcement des organisations et des réseaux sociaux fondés sur la réciprocité, capables d’apporter aide et protection en cas de besoin.

• Créer des associations d’utilisateurs veillant à la qualité des services publics. • Adapter les services publics à la diversité de leurs utilisateurs potentiels. • Négocier des aides et des contreparties avec les initiatives de protection et d’aide sociale qui émanent de la communauté.

L’inclusion comme reconnaissance (absence de discrimination)

• Représentative : reconnaissance du suffrage actif et passif à toutes les personnes nées dans le pays ou y résidant depuis un certain temps. • Participative : disponibilité d’un espace qui permette d’articuler et de faire entendre la voix du collectif discriminé, afin de le renforcer ou de pallier l’absence (provisoire) de droits politiques.

• Encourager la réforme de la loi électorale, en commençant par le droit de vote aux élections municipales. • Campagnes visant à promouvoir la participation auprès des collectifs discriminés ayant déjà le droit de vote, mais qui ne l’exercent que rarement, que ce soit par ignorance ou en raison d’un sentiment d’inefficacité politique. • Adoption du respect de la diversité comme principe de l’action politique du gouvernement. • Création de conseils municipaux participatif permettant à ces collectifs de s’exprimer et veillant à leurs intérêts.

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Dimension inclusion

Modèles de démocratie

Instruments de sa mise en place dans le cadre local

L’inclusion comme formation (accès à l’éducation et à la culture)

• Participative : des institutions pour faciliter la participation de tous les agents impliqués dans les processus éducatifs. De la communauté éducative et de chaque école. Des institutions pour faciliter la participation des citoyens aux médias publics et pour veiller ainsi à leur pluralité. • Communautaire : création, à travers des organisations ou des collectifs informels, de leurs propres projets éducatifs et culturels, susceptibles de créer des valeurs et des modèles alternatifs qui remettent en questions les valeurs et les modèles hégémoniques.

• Conseil scolaire municipal avec l’implication de toutes les écoles. Conseils scolaires vivants et dynamiques. • Cartes scolaires faisant obstacle aux pratiques qui conduisent à la ségrégation scolaire. • Aides spécifiques aux écoles les plus engagées dans l’accueil et l’intégration de la diversité. • Aides spécifiques aux élèves ayant des difficultés économiques familiales. • Veiller à l’adoption par les écoles d’objectifs et de pratiques pédagogiques (le travail en groupe, assemblées d’élèves, etc.) favorisant l’inclusion. • Créer un organe de représentation de la citoyenneté dans les médias publics. • Négocier des aides et des contreparties avec les initiatives éducatives et culturelles qui émanent de la communauté.

L’inclusion comme lien (disposer de liens et de réseau sociaux : capital social)

• Participative : disponibilité d’espaces où les citoyens puissent se rencontrer, partager et, éventuellement, établir des liens durables. • Communautaire : des organisations ou des groupes informels qui permettent de partager des expériences et de réaliser des projets dans le cadre d’un espace ou d’une activité.

• Créer des espaces publics, au grand air (places, parcs, etc.) et couverts (centres civiques, centres de troisième âge et de jeunesse, piscines, etc.) de libre accès, qui permettent et promeuvent les rencontres à partir d’activités partagées (fêtes, marchés, foires, compétitions, etc.) organisées par la mairie ou par les usagers eux-mêmes. • Négocier des aides et des contreparties avec les initiatives qui émanent de la communauté et visant à renforcer les liens entre personnes qui partagent un même quartier, un âge, une passion, un sport, etc.

L’inclusion comme citoyenneté (droits politiques ; participation dans la prise de décision publique)

• Représentative : une représentation politique vocationnelle, responsable, transparente et répondant à la volonté du corps électoral. • Directe : mécanismes à travers lesquels les citoyens peuvent décider, sans médiateurs, de certaines questions publiques. • Participative : espaces basés sur la délibération et sur le dialogue, ouverts à la participation des agents sociaux et des citoyen-ne-s en général. • Communautaire : organisations et collectifs créés pour défendre l’intérêt commun et veiller au bon fonctionnement des institutions démocratiques, à travers le suivi, la critique et, s’il y a lieu, la dénonciation.

• Promouvoir une modification de la législation du régime local pour : 1. Approfondir la décentralisation ; 2. Garantir le droit de vote aux immigrants ; 3. Améliorer la représentation et 4. Établir des mécanismes participatifs efficaces de contrôle et d’évaluation de la gestion municipale. • Créer des espaces de participation divers, applicables à tous les domaines des politiques locales, également attentifs aux critères d’économie, efficience et efficacité. Il ne faut pas perdre de vue que la participation n’est pas une finalité en soi, mais un moyen permettant le développement personnel et social.

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6. Conclusions

L’inclusion sociale est un concept qui a eu beaucoup de succès à l’heure de redéfinir les objectifs de la politique sociale face aux enjeux d’une nouvelle époque, caractérisée par le changement accéléré, la mobilité, l’instabilité et la fragmentation à tous les niveaux : dans l’économie, dans la société et dans la trajectoire vitale de chaque individu. La participation citoyenne, quant à elle, est aussi une idée très largement acceptée, envisagée comme une manière de sauver la démocratie de son éloignement croissant et de son inefficacité à l’égard des problèmes et des préoccupations des citoyens.

défense efficace d’intérêts privés. Et sous couvert d’inclusion sociale, peuvent aussi apparaitre des réalités comme la stigmatisation de tous ceux qui ne répondent pas à un modèle « correct » –professionnel / social / culturel– d’individu, de famille ou de communauté, aux répercussions aussi exécrables que l’assimilation, la marginalisation ou l’élimination. C’est pour cela que nous estimons, que nous croyons, qu’inclusion sociale et démocratie participative n’ont de sens qu’en tant qu’objectifs politiques engagés pour la reconnaissance de l’autre –de l’égalité dans la différence– et la défense des droits civils, politiques et sociaux. Ce sont des objectifs clairs qui permettent cependant l’application d’instruments très différents, qu’ils soient institutionnels ou non.

L’incorporation de ces concepts aux discours et, dans une moindre mesure, aux pratiques gouvernementales, a permis un certain nombre de progrès en matière de respect des droits de l’Homme, mais il est évident que cela n’a pas été suffisant pour venir à bout de l’exclusion ou des déficits en termes de qualité démocratique. Les progrès ont été sélectifs et se sont accompagnés de multiples situations de stagnation, voire de régression, se manifestant sous forme de précarité de l’emploi ou du travail, de dégradation des services de base ou de négation des droits politiques. Cette situation ne saurait être uniquement attribuée à la crise économique actuelle. Outre le fait d'avoir accru le nombre de victimes, la crise a certainement contribué à réduire la capacité des gouvernements, à tous les niveaux, à agir sur les problèmes à travers leurs politiques. Mais ces politiques étaient déjà affaiblies en raison du manque d’engagement réel de nombreux gouvernants, ainsi que des approches qui conçoivent le marché comme la seule forme valable et possible de réglementation sociale.

À la question précise de savoir si l’existence d’un démocratie plus participative est une condition nécessaire pour progresser vers des sociétés plus inclusives, nous sommes parvenus à la conviction que ce lien existe et qu’il est présent dans toutes les sphères de la vie sociale (le travail, les services publics, l’éducation, la vie quotidienne dans les quartiers, etc.). Qui plus est, nous considérons que, dans les sociétés urbaines, il n’y a pas d’inclusion possible sans participation. Parce que, sans une implication effective des personnes exclues dans leur processus d’inclusion, la mise en place de politiques sociales puissantes parvenant à une certaine redistribution des revenus et de la richesse à partir de transferts, est tout simplement impossible. Aucune transformation réelle n’est possible si elle n’est pas fondée sur l’autonomie des personnes.

Comment expliquer une telle différence entre discours et réalités ? Le problème réside probablement dans le fait d’estimer que les signifiants inclusion sociale et démocratie participative sont définis de façon univoque et évidente pour tout le monde. Cependant, ce n’est pas le cas. Comme nous l’avons vu, il existe différentes façons de concevoir la démocratie et chacune d’elles implique une configuration spécifique d’exclusion / inclusion. La participation citoyenne peut elle-même obéir à des approches et à des motivations bien différentes : en partant des actions développées pour (ré)générer la sphère publique, jusqu’à la

Comment parvenir à ce que les personnes exclues ou en risque d’exclusion se mobilisent ? D’abord, en reconnaissant et en acceptant les différences dans un cadre d’égalité ; ensuite, en éliminant les structures sociales créatrices d’inégalités ; enfin, en ne freinant pas et en ne décourageant pas les initiatives envisagées par ces groupes, même s’ils ne répondent pas entièrement aux modèles de la société dominante. Au contraire, il existe de nombreuses initiatives communautaires créatrices de valeur publique qui méritent d’être promues, sans être dirigées, à l’aide d’un soutien économique, technique et logistique des 54


pouvoirs publics . Il est également positif d’encourager des logiques de coproduction de services de manière conjointe avec les pouvoirs publics, ainsi que, logiquement, d’articulation des demandes collectives et des actions de lobbying en vue d’améliorer les services fournis par les institutions. La stratégie de l’inclusion doit donc être double : reconnaissance des droits (citoyenneté sociale) et promotion de l’auto-organisation ; et promotion collective et communautaire (empowerment) des personnes exclues. L’élaboration d’une feuille de route de propositions concrètes visant à la mise en marche de cette stratégie dans un contexte local génère de nombreuses alternatives. Parmi ces possibilités, la solution n’est ni d’appliquer un modèle basé sur le marché, qui a donné lieu à de trop nombreux échecs dans ce domaine, ni de revenir à l’État social protecteur, qui est trop rigide et qui étouffe l’autonomie sociale, mais de proposer un modèle mettant en valeur le meilleur du secteur public, du marché et du tiers secteur (économie sociale et solidaire) pour renforcer la sphère publique : valeurs publiques, services publics, espaces publics, etc., comme base de l’inclusion sociale. Parce qu’une sphère publique forte se construit jour après jour, en incorporant la participation sous des formats divers et adaptés à chaque contexte, aux institutions, aux entreprises et aux initiatives sociales.

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Annexe

Déclaration du « Tiers Secteur » de l’action sociale : Pour une stratégie d’inclusion sociale 2011 – 2020

afin de corriger les problèmes structurels à l’origine de l’exclusion et pour améliorer la distribution sociale de la richesse. Que les mesures qui sont actuellement prises pour sortir de la crise, déterminées par la domination des marchés financiers et impliquant une réduction drastique des charges sociales, ne supposent pas uniquement un risque évident de perte de qualité de vie et de bienêtre pour de nombreux citoyen-ne-s, mais comportent aussi une réduction des droits et conduisent à un accroissement de l’appauvrissement et des privations des personnes en situation de pauvreté, outre le fait d’être nuisibles à la reprise économique et financière.

Les organismes du Tiers Secteur de l’Action Sociale (TSAS), représentés par la plate-forme d’ONG de l’Action Sociale, la Plate-forme espagnole du Volontariat et du Réseau Européen de Lutte contre la Pauvreté et l’Exclusion Sociale dans l’État espagnol (EAPN – ES), réunis les 30 septembre et 1er octobre, lors de la Convention du Tiers Secteur de l’Action Sociale 2010 :

NOUS DÉNONÇONS : NOUS RAPPELONS : L’inexécution par les États membres des objectifs élaborés dans la Stratégie de Lisbonne 2000-2010, notamment ceux ayant trait à l’éradication de la pauvreté.

Que l’inégalité, la pauvreté et l’exclusion sociale ne détériorent pas seulement la qualité de notre démocratie, mais elles remettent aussi en question les valeurs et les principes sur lesquels elle se fonde. Ainsi, disposer d’une protection sociale appropriée, qui garantisse le bien-être et la dignité de toutes les personnes, est une aspiration à laquelle notre société ne saurait renoncer et qui acquiert encore plus d’importance, si cela est possible, en temps de crise.

NOUS CONSTATONS : Que la crise économique actuelle a non seulement contribué à une augmentation alarmante des taux de chômage, mais a aussi eu pour conséquence principale une augmentation de la pauvreté dans notre pays. Cela se traduit par la détérioration des conditions de vie de nombreuses personnes qui se trouvaient déjà en situation d’exclusion et par l’apparition de phénomènes de précarisation sociale qui touchent de nouveaux groupes de population, les plaçant dans une position de vulnérabilité. De plus, tout indique que, si aucune mesure sérieuse n’est prise de manière urgente, cette tendance ne fera que s’aggraver de manière préoccupante.

Que les pouvoirs publics sont tenus de garantir de manière effective les droits fondamentaux de toutes les personnes. Parmi ces droits, nous comptons celui de vivre dignement, ce qui requiert des revenus et des services suffisants pour pouvoir vivre correctement et une protection qui permette d’avoir des perspectives de vie et la capacité de prendre des décisions librement et en toute autonomie. Que l’inégalité est devenue la caractéristique principale d’une économie instable et condamnée à long terme au niveau global. Le développement économique n’a de sens que s’il est au service du bien-être des personnes. C’est pourquoi, il est indispensable de soutenir une croissance plus juste, en recherchant le bien-être à l’aide de facteurs économiques, politiques, sociaux et environnementaux. Ces facteurs doivent être prioritaires en termes de revenus mais surtout en termes de redistribution des richesses. L’accent doit également être mis sur les activités réalisées hors

Que les quinze années et plus de taux de croissance économique élevés que nous avons vécues dans notre pays, loin de réduire les taux de pauvreté, aussi bien relative que sévère, ont aussi aggravé les inégalités entre les secteurs les plus riches et les plus pauvres de la population. Aucun profit n’a donc été retiré de la plus grande période récente de prospérité économique qu’a connu notre pays 61


marché et sur des aspects non économiques tels que l’éducation, la santé, la qualité de la démocratie, la sécurité ou l’environnement.

À l'effectivité, à la garantie et à l'approfondissement des droits sociaux de toutes les personnes, reconnus aussi bien dans le Traité de l’Union européenne que dans la Constitution espagnole et dans les statuts d’autonomie. A cette fin, il est proposé, au plus haut niveau de l’État et avec l’engagement de toutes les administrations, un accord pour l’inclusion sociale qui développe le droit général à l’inclusion et qui garantisse à toutes les personnes la couverture de leurs besoins essentiels et la fourniture des aides nécessaires à leur promotion. Cet accord devrait contenir les services minimums ou l’ensemble des services que les différentes administrations, en fonction de leurs compétences, sont tenues de définir et de garantir. Cet accord engage à l’élaboration de plans d’inclusion prévoyant des mesures spécifiques, des objectifs quantifiables et des ressources appropriées, en tenant compte des besoins et des caractéristiques de chaque territoire.

Qu’une société dans laquelle non seulement les inégalités s’aggravent, mais aussi dans laquelle des groupes de personnes, pour la plupart des enfants et des jeunes, ne disposent pas des ressources indispensables pour vivre dignement, est économiquement inviable, démocratiquement injuste et socialement immorale. Que le rôle du Tiers Secteur de l’Action Sociale (TSAS) est fondamental pour mitiger les aspects les plus négatifs de la crise sur les groupes les plus vulnérables. En outre, le Tiers Secteur peut jouer un rôle essentiel, non seulement pour le maintien et le développement de la cohésion sociale, mais aussi pour permettre une reprise durable, à condition que ses potentialités et sa valeur ajoutée soient mises à profit de manière appropriée.

Dans le cadre de l’Année Européenne de Lutte contre la Pauvreté et l’Exclusion Sociale, à un engagement public qui se traduise par une volonté claire et décidée des institutions pour éradiquer la pauvreté dans les dix prochaines années, au moins dans ses formes extrêmes, ainsi que de parvenir à une réduction substantielle des inégalités, de la précarité et de la vulnérabilité, en faisant du développement et du bien-être des personnes l’objectif essentiel des politiques économiques. Cet engagement doit se traduire par des objectifs clairs, des budgets suffisants et des systèmes de contrôle et de suivi adéquats.

NOUS APPELONS : À l’adoption d’un Pacte d’État pour l’Inclusion Sociale pour les dix prochaines années, prévoyant l’engagement de l’ensemble des administrations et l’implication active des acteurs sociaux, notamment le Tiers Secteur, en vue de renforcer son rôle d’agent social. Ce Pacte d’État, qui doit être dirigé par l’Administration Centrale, requiert un large niveau de consensus social et politique et doit parvenir, comme objectif fondamental, à l’établissement d’un autre modèle de développement dans lequel les tendances structurelles créatrices d’exclusion seraient inversées.

À l’augmentation du pourcentage de budget social à 27 %, ce pour quoi il est indispensable de percevoir davantage, en suivant les principes constitutionnels de progressivité et d’égalité. Ceci implique l’élimination des fraudes patentes, notamment des personnes les moins solidaires, des systèmes d’imposition qui privilégient les capitaux élevés et la rationalisation des charges en fonction de critères de bien-être social.

Dans le cadre de la Stratégie de l’Union Européenne 2020, au développement de Plans d’Inclusion Sociale, aussi bien au niveau national qu’au niveau des communautés autonomes et des collectivités locales, allant au-delà des objectifs indiqués par celleci. Ces plans doivent induire une amélioration substantielle par rapport aux plans développés au cours de ces dix dernières années, il doivent être dotés d’objectifs clairs , disposer de ressources appropriées, de systèmes d’information et d’un suivi pertinent, ainsi que d’une implication adéquate des organisations sociales.

NOUS NOUS ENGAGEONS : À intensifier nos efforts et à œuvrer pour un modèle social plus juste, en défendant les droits des plus faibles et en dénonçant les situations d’injustice, de discrimination et de marginalisation, ainsi 62


qu’en luttant de manière décidée pour la promotion de toutes les personnes, notamment de celles qui souffrent le plus de l’exclusion. À collaborer étroitement avec l’ensemble des administrations publiques, ainsi qu’avec tous les acteurs économiques et sociaux, en participant activement aux politiques d’inclusion, aussi bien à leur conception qu’à leur exécution, leur suivi et leur évaluation, en apportant toutes les potentialités et toutes les forces vives de nos entités et en renforçant notre rôle en tant qu’interlocuteur et agent social. De même, nous nous coresponsabilisons de l’élan, du suivi et de la défense des mesures issues du consensus avec le TSAS. À travailler de manière unie et coordonnée avec les entités du TSAS, aussi bien sur le plan national que sur le plan des communautés autonomes et des collectivités locales, en redoublant nos efforts de coordination et en mettant en marche les processus nécessaires pour que cette collaboration soit étroite, coordonnée et renforce le travail de chaque entité. Nous sommes fermement convaincus qu’ainsi, nous pouvons mieux accomplir notre mission, puisque nous sommes mus par les mêmes valeurs, nous sommes impliqués dans les mêmes objectifs et nous pouvons mieux développer nos possibilités en tant qu’agent social.

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