invitée
A ssociée
au groupe de recherche
E scol
de
P aris -VIII
Colette Catteau : « donner du sens aux apprentissages en EPS dès la maternelle » Militante des activités physiques, sportives et artistiques en EPS dès le plus jeune âge, Colette Catteau apporte son regard sur les rencontres Usep alors que s’annonce le 8e Printemps des maternelles.
C
olette Catteau, vous avez été membre du groupe « maternelle » au sein de l’équipe Escol de l’université Paris-VIII. Quel était l’objet de ses travaux ? Les interrogations posées par l’équipe Escol concernent la façon qu’ont les élèves de tirer profit de manière « différenciée » des situations mises en place à l’école : certains élèves, en particulier ceux le moins en connivence avec la culture scolaire, ne perçoivent pas les enjeux cognitifs qui sont derrière les tâches et, au-delà du « faire », ne saisissent pas ce qu’il y a à apprendre. Il s’agissait donc de mieux comprendre en quoi les pratiques scolaires, dès la maternelle, peuvent non seulement construire mais aussi entretenir de manière involontaire la difficulté des
INSTITUTRICE DE MATERNELLE PUIS CPC EPS Institutrice de maternelle dès 1971, maître formateur, Colette Catteau devient en 1989 conseillère pédagogique EPS dans la circonscription de Sénart, près de Melun (Seine-et-Marne), jusqu’à sa retraite en 2004. Lorsque l’école normale devient IUFM, cette militante du GFEN (Groupement français d’éducation nouvelle) reprend des études en sciences de l’éducation et obtient sous la direction de Bernard Charlot un DEA portant sur le thème du rapport au savoir. Elle intègre alors le groupe de recherche Escol (Éducation, socialisation et collectivité) de l’université Paris-VIII, dont les travaux sont consacrés à l’influence des pratiques enseignantes sur les apprentissages des élèves. Colette Catteau a signé de nombreux articles et plusieurs ouvrages, dont deux manuels aux éditions Revue EPS : Quatre activités d’EPS pour les 3-12 ans (2000) et Danse, acrosport, gymnastique rythmique : activités artistiques pour les 3-12 ans (avec Anne-Marie Havage, 2005). Elle est par ailleurs la belle-fille de Raymond Catteau, fameux pédagogue qui dans les années 1960-70 révolutionna l’apprentissage de la natation et a encore publié fin 2008 La natation de demain (Atlantica).
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élèves (1). S’interroger sur les effets des pratiques enseignantes, c’est aussi se donner les moyens de pouvoir agir et « d’inverser la tendance ». Quelle est la spécificité de l’EPS pour des enfants de maternelle ? Elle tient évidemment à ce qu’il s’agit d’enfants en plein développement moteur, cognitif et social. Pour autant, je milite dès l’école maternelle pour des contenus s’appuyant sur les activités physiques, sportives et artistiques (APSA). Cela permet de donner du sens, pour les enfants mais aussi pour les enseignants. Je me souviens par exemple que, lorsque j’étais CPC, certains me disaient : « On a travaillé avec les cerceaux, mais maintenant qu’est-ce qu’on fait ? » Quels conseils leur donniez-vous ? D’utiliser par exemple les actions motrices spontanées des enfants. Ils aiment courir, se laisser tomber, se suspendre… Eh bien, mettons en parallèle la signification émotionnelle que l’enfant donne à ces actions avec la signification émotionnelle des activités (2). En gymnastique par exemple, les petits recherchent une sorte de mise à l’épreuve à travers la hauteur, le vertige, de même qu’ils adorent grimper ou se pendre la tête en bas. Il faut donc mettre en place des dispositifs où ils vont pouvoir expérimenter cette sensation du vertige. Jeune institutrice de maternelle, je me suis également rendu compte que les situations duelles que je proposais en lutte aux petits ne fonctionnaient pas : au lieu de résister, comme le suppose la tâche, certains enfants se laissaient volontairement mettre à terre… J’ai donc compris qu’il fallait plutôt leur proposer des situations collectives : sortir les autres enfants du tapis, un groupe contre un autre, ou alors s’unir tous ensemble pour retourner la maîtresse qui fait la tortue… Mais comment progresser dans les apprentissages ? Prenons l’exemple des sauts en contrebas en gymnastique avec des petits. Dans un premier temps, j’aménage des dispositifs qui répondent au plaisir de l’enfant de chuter sur un
Philippe Brenot
tapis de réception et lui laisse le temps d’éprouver cette sensation, qu’il n’a peut-être pas eu l’occasion d’expérimenter dans son milieu familial. Puis je demande aux élèves d’arriver équilibrés sur les pieds. Cette réception sur les pieds permet de construire la tonicité du corps – l’enfant se prépare à sauter et à se réceptionner – et transforme l’intentionnalité de l’action en passant de la « chute » au « saut ». L’enfant reste alors plus longtemps en l’air, ce qui permet de complexifier la situation : enchaîner avec une roulade pour les moyens, ou faire des figures quand on est en l’air avec les grands. Or certains enseignants font toujours la même chose, que ce soit avec des petits, des moyens ou des grands. Les laisser se débrouiller avec des cerceaux par exemple… Quelles autres activités un enseignant de maternelle peut-il utiliser comme support aux séances d’éducation physique ? Efforçons-nous de proposer aux enfants le menu le plus varié possible car les compétences motrices et les émotions ressenties ne sont pas les mêmes en athlétisme, activités gymniques, jeux collectifs et de lutte ou en activités artistiques. Et pourquoi pas de la natation ou de l’escalade quand c’est possible ? Bien sûr, avec des petits je n’aborderai pas les activités collectives dès la rentrée et je commencerai plutôt avec des jeux de locomotion, des activités de manipulation et de la danse. L’idéal est de répartir ces activités sur l’année et sur les trois ans de maternelle. Mais pour que les enseignants saisissent tous les enjeux d’apprentissage derrière ces activités, encore faut-il qu’ils soient formés à l’analyse des activités physiques sportives et artistiques ! Vous avez écrit un article au titre en forme de double question : « Pourquoi les petits à la maternelle ne font pas toujours ce que l’on attend d’eux ? Quel regard porter sur leur activité parfois débordante ? » (3) Comment peut-on aider un enseignant à aborder les activités physiques et sportives avec des petits ? En éducation physique les enfants ne sont plus contenus – plus de table ni de chaise – et se pose la question de la gestion du groupe. Rassurons tout d’abord les jeunes enseignants : si les enfants courent partout c’est normal : c’est là une façon de s’approprier l’espace. C’est pourquoi je m’appuie sur ce besoin pour entrer dans les activités. Par exemple, lorsque nous venons pour la première fois dans un gymnase pour y pratiquer des jeux de balle, au lieu d’asseoir d’emblée les élèves pour leur énoncer les consignes du jeu « vider caisse », je les laisse d’abord s’approprier les lieux et jouer chacun librement avec un ballon. De même, en athlétisme je commence par un jeu où la maîtresse est poursuivie par les élèves, tout en organisant mon déplacement, afin de les amener ensuite vers une course dans un espace orienté, avec départ et arrivée. Je pars donc du besoin des enfants, tout en sachant dès le début vers quel type d’activité les orienter, et pour quel objet d’apprentissage. Ceci rejoint le souci de passer du « faire » à « l’apprendre » : pouvez-vous développez ? Le « faire », c’est l’immédiateté de la tâche : les élèves sont « actifs », mais à l’issue de la séance il n’en reste rien. L’apprentissage nécessite du temps, il faut « s’exercer » et se projeter dans l’avenir, tant pour l’enseignant que l’élève. Cela passe entre autres par des consignes claires. Prenons un dispositif gymnique où il faut gravir des plans inclinés sans
mettre les genoux, seulement avec les pieds et les mains. Tout au long de la séance, je suis attentive au respect de cette contrainte qui ne va pas d’elle-même pour les enfants, puis en clôture je reviens sur cette exigence en demandant qui a essayé et qui a réussi, ou non. À la deuxième séance, j’explique que cette fois tout le monde doit y arriver, et à la troisième je reprends l’exercice mais en descente, ce qui est plus difficile. De même, pour l’enfant, ne pas savoir s’il fait de la gym ou de l’athlétisme procède aussi d’une certaine confusion. Identifions clairement les activités physiques sur lesquelles nous nous appuyons et employons les mots justes. Par exemple, au trampoline on ne « saute » pas, on « rebondit ». Ce n’est pas seulement une affaire de vocabulaire : les mots du savoir aident les enfants à catégoriser et à penser le monde qui les entoure.
Colette Catteau : « La question essentielle reste celle de la formation initiale et continue des enseignants. »
Justement, la rencontre Usep en maternelle peut-elle être l’occasion d’identifier l’objet d’apprentissage et d’inscrire les élèves dans une dynamique de progrès sur le plan moteur ? Oui, à condition, comme pour toute rencontre venant conclure un cycle d’apprentissage, de ne pas voir celle-ci comme une fin en soi. La rencontre donne un but aux apprentissages et incite les enseignants à travailler de manière régulière. Mais surtout pas de bachotage : j’insistais bien sur cela lors des rencontres danse que je proposais en Seine-et-Marne. Du point de vue du CPC, les rencontres favorisent un travail sur le long terme : elles constituent une base pédagogique qui permet d’apporter du contenu et d’aller observer les collègues en train de faire leur séance, afin de mieux les accompagner. Janvier 2013
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La rencontre Usep est aussi l’occasion de « brasser » les élèves et de sortir des murs de l’école… Oui, en particulier pour les écoles en milieu rural. Et en milieu urbain, la rencontre permet parfois d’avoir accès au gymnase dont dispose une autre école mais pas la sienne. Pensons aussi à sortir de locaux souvent exigus pour pratiquer certaines activités comme l’athlétisme : si c’est possible, pratiquons-le à l’extérieur ! Lorsque j’étais CPC, nous organisions durant l’année des rencontres intermédiaires – gymnastique, jeux en gymnase, danse – et à la fin de l’année nous reprenions toutes ces activités en réunissant petits, moyens et grands sur un stade ou dans un grand gymnase : on appelait ça « la fête ». En 1989, à l’occasion du bicentenaire – cela date, mais la formule reste pertinente – nous avions également mis en place des rencontres de proximité privilégiant les échanges petits-moyens-grands et utilisant la correspondance scolaire. Y-a-t-il eu des évolutions notables concernant l’EPS en maternelle depuis l’époque où vous étiez encore enseignante puis CPC ? N’étant plus sur le terrain, il m’est difficile de répondre. En tout cas je ne suis pas sûre que l’on ait beaucoup avancé sur l’identification des objets d’apprentissage. On lit encore dans des publications spécialisées qu’il faut que ce soit « ludique » avant tout… Trop souvent à la maternelle, et pas seulement en éducation physique, on « habille » les tâches afin de les rendre attrayantes pour les élèves. Mais cela ne fait que brouiller les choses. Par exemple, lors d’un exercice de saut en longueur en athlétisme, on invente une petite histoire en expliquant qu’il faut passer par-dessus « une rivière » parce qu’il y a « des crocodiles dedans » : on sollicite donc l’activité symbolique. Un certain nombre d’enfants basculent alors dans un jeu de fiction en s’écriant par exemple : « Ah j’ai peur ! » ou au contraire vont défier les crocodiles ! Or l’activité se suffit à elle-même : pas besoin d’en rajouter ! Mais les écoles maternelles disposent-elles de plus de moyens ? On ne peut évidemment pas faire de gymnastique sans tapis. Les écoles maternelles disposent depuis quelques années de
davantage de « gros matériel ». Selon les endroits, les enseignants ont également pris l’habitude de demander l’accès à des équipements extérieurs. Mais, j’insiste, la question essentielle reste celle de la formation initiale (qui fournit le cadre de réflexion par rapport aux APSA et au développement de l’enfant) et de la formation continue (qui, une fois confronté aux difficultés de l’animation des séances d’éducation physique, permet de pointer les problèmes concrets afin d’y répondre). De cette formation dépend aussi le travail en équipe des enseignants, pour construire les apprentissages des élèves, ou tout simplement se répartir les créneaux d’utilisation de la salle de gym… Or nous sommes de plus en plus en difficulté sur la question de la formation. Pour revenir aux rencontres Usep, quel rôle les parents accompagnateurs peuvent-ils jouer ? La question ne se limite pas aux seules rencontres Usep mais se pose dès que l’on a besoin de parents accompagnateurs. Nous savons que, s’ils ne sont pas formés à l’activité, les parents auront tendance à tenir l’enfant, à le sécuriser au maximum, voire à l’empêcher d’agir, ce qui va à l’encontre de la finalité d’apprentissage. Il faut donc leur exposer les règles de fonctionnement et les buts poursuivis, comme pour la natation ou pour les formations en escalade que nous organisions avant nos sorties en forêt de Fontainebleau. Il faudrait pouvoir au minimum organiser une information préalable auprès des parents afin qu’ils aient eux aussi conscience des enjeux d’apprentissage qui sous-tendent les exercices qu’ils auront à encadrer. ● Propos recueillis par Philippe Brenot et Marguerite Liron
(1) Apprendre à l’école et apprendre l’école. Des risques de construction d’inégalité dès l’école maternelle, sous la direction d’Elisabeth Bautier, Chronique Sociale, 2006. (2) Référence à Bernard Jeu : Le sport, l’émotion, l’espace, Vigot 1977 (3) In Pratiques de réussite pour que la maternelle fasse école, sous la direction de C. Passerieux, GFEN, Chronique Sociale, 2011, p. 134.
LA « RENCONTRE ASSOCIATIVE », THÈME DU PRINTEMPS 2013 travail « petite enfance », situe sa réflexion
contre associative à l’école maternelle ».
sur la maternelle dans le prolongement du
La « trace » de cette rencontre pourra
domaine « agir et s’exprimer avec son corps »,
évoquer le corps, la santé, l’estime de
successivement défini dans les textes et pro-
soi, l’action motrice, la vie associative ou
grammes officiels en 2002 et 2008. Nous
l’empreinte écologique, sur des supports
souhaitons également mener notre action en concertation avec les acteurs du secteur. C’est
variés. La production collective élaborée
Rencontre du Printemps des maternelles.
par les classes ou écoles participantes
pourquoi, comme l’an passé, le Printemps des maternelles 2013
pourra être exposée lors d’une rencontre départementale phare.
s’inscrira dans la dynamique créée autour du colloque national
Les productions sélectionnées – et adressées sous format
de l’AGEEM (Association générale des enseignants des écoles
numérique – feront ensuite l’objet d’un palmarès rendu public
et classes maternelles publiques) sur le thème : « Grandir et se
en juin et seront présentées à l’occasion d’un rassemblement
construire ; l’enjeu des traces à l’école maternelle ». Pour cette
national. ●
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de mettre en avant l’idée de « La ren-
En Jeu
L’Usep, et plus particulièrement le groupe de
édition du Printemps des maternelles, l’Usep a ainsi choisi
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Pascal Feneau, élu national responsable du GT Maternelle