En jeu, le sport peut il aider à bien vieillir

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invité

Auteur d’un rapport sur la pratique des « âgés »

Pr Daniel Rivière, comment le sport peut-il aider à bien vieillir ?

L’offre sportive destinée aux seniors est mal connue des principaux intéressés. C’est l’une des conclusions du rapport remis fin janvier à Valérie Fourneyron et Michèle Delaunay.

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rofesseur Daniel Rivière, vous avez remis fin janvier, au nom du groupe de travail que vous présidiez, un rapport sur la pratique sportive des « âgés ». Qu’est-ce qui vous a conduit, dans votre parcours de praticien, à vous intéresser plus particulièrement au public des seniors ? Cela fait vingt-cinq ans que je m’intéresse au sport-santé, à la fois en termes d’éducation à la santé, d’éducation thérapeutique ou de prise en charge des pathologies chroniques par les activités physiques et sportives (APS). Cette démarche s’adresse à tous, « de 7 à 77 ans », valides ou personnes en situation de handicap. Mais comme notre population avance de plus en plus en âge en raison du prolongement de l’espérance de vie, j’intègre dans les

prescripteur d’activités physiques

bénéfices de l’activité physique la notion de « longévité » et, surtout, l’idée d’ajouter « de la vie aux années », plutôt que « des années à la vie ». Ce que l’on peut résumer en une formule dont j’assume le paradoxe : « mourir en bonne santé ». Ce que l’on appelle aussi le « bien-vieillir »… Précisément. Parmi les personnes âgées, les gériatres distinguent « les robustes » – qui ont un vieillissement réussi et qu’il convient d’accompagner – et les personnes en perte d’autonomie ou dépendantes. On parle aussi de personnes « fragiles » pour caractériser celles qui souffrent de problèmes d’audition, de vision, perdent l’appétit, dont les muscles fondent et qui ont des difficultés d’équilibre… Ainsi fragilisées, elles risquent de chuter et de devenir dépendantes. Or, si on prend en charge ces personnes, tant sur le plan de l’activité physique que sur celui de la nutrition, ce processus est tout à fait réversible.

Le Pr Daniel Rivière, 61 ans, est responsable des services d’exploration respiratoire et de médecine du sport au CHR de Toulouse. Parallèlement, ce pneumologue de formation enseigne la physiologie respiratoire et la physiologie de l’exercice à l’université de Toulouse III. Il est aussi responsable de l’enseignement de la médecine du sport en Midi-Pyrénées. Il y a une vingtaine d’années, Daniel Rivière fut l’un des premiers à utiliser l’activité physique comme traitement : « Nous avons montré avec un collègue diabétologue que l’on pouvait réduire la prise de médicaments chez des patients atteints de diabète de type 2. Nous étions des précurseurs : à l’époque, ce n’était pas du tout entré dans les mœurs de soigner les gens par autre chose que des médicaments. » C’est au regard de ce parcours que la ministre des Sports et la ministre déléguée aux Personnes âgées et à l’Autonomie lui ont commandé un rapport, réalisé par un groupe de travail réunissant une cinquantaine de personnes : experts de santé, représentants des ministères concernés, des établissements spécialisés, des fédérations sportives*, des mutuelles… Intitulé « Dispositif d’activités physiques et sportives en direction des âgés », ce rapport a été remis fin janvier à Valérie Fourneyron et Michèle Delaunay. ● *Escrime, gymnastique volontaire, EPMM, randonnée pédestre, retraite sportive, Fédération Léo Lagrange. Depuis, celles-ci ont été rejointes par l’Ufolep.

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Le rapport parle des « âgés » : mais quand devient-on « âgé » ? Ce terme a été choisi par Madame Delaunay : on dit bien « les jeunes », pourquoi ne pas dire « les âgés » ? Jusqu’à présent, on était considéré comme « âgé » ou « senior » à partir de 65 ans. Dans mon esprit, cela reste le cas. Cependant, parce qu’il insiste sur la prévention, le rapport prend en compte les « âgés » dès 50 ans. Pourquoi ? Parce que nous souhaitons profiter du fait que ces personnes sont encore en activité professionnelle pour les sensibiliser, au sein de leur entreprise, à la pratique d’activités sportives, dans une perspective d’entretien physique qui pourra se prolonger ensuite, au moment de leur retraite. De façon générale, les Français sont trop sédentaires : plus du tiers d’entre nous ne fait pas le minimum d’activités physiques conseillé. Vous insistez sur le manque d’information en matière de lutte contre la sédentarité : une campagne nationale est-elle programmée ? À court terme, des éléments du rapport seront probablement mis à profit par les ministres, pour les deux lois à venir sur le sport et sur le vieillissement. Ensuite, à moyen terme, une campagne grand public est en effet envisagée, d’autant plus que l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) mène actuel-


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lement un travail sur les recommandations de nutrition, d’activité physique et de sommeil pour les personnes avançant en âge. Mais ceci ne doit pas nous empêcher de rechercher dès à présent les canaux d’information les plus efficaces pour informer les personnes âgées, notamment via les collectivités locales ou territoriales, puisque ce sont les conseils généraux qui ont la compétence pour ce public. Autre point souligné par le rapport : la nécessaire formation des professionnels de la santé à la prescription d’activités physiques. Cela concerne-t-il avant tout les médecins de famille ? Cela concerne tous les médecins, et en particulier les médecins de premier recours que sont les généralistes. Les étudiants en médecine reçoivent aujourd’hui un enseignement sur la prévention par les APS. Quant aux médecins en exercice, cela peut passer par des formations spécifiques proposées par certains organismes, ou par la formation professionnelle continue. Mais cela prendra du temps… Comment envisagez-vous l’accueil de ce public qui, souvent, n’a pas un passé de pratiquant sportif : dans les clubs, ou bien à travers des ateliers mis en place par les collectivités locales, éventuellement en partenariat avec les comités sportifs, comme c’est le cas pour l’Ufolep dans plusieurs régions ? La réponse est en partie contenue dans votre question. En réalisant ce rapport, nous nous sommes rendu compte que l’offre d’activités sportives était très riche. Le problème est que les âgés n’en profitent pas suffisamment, même s’il est vrai que les personnes les plus fragiles sont aussi les plus difficiles à mobiliser… C’est donc moins un problème d’offre que de politique globale de santé. Les modes de pratique peuvent être très variés. Un senior peut fort bien avoir une activité physique autonome : il suffit de conseiller les gens, et à titre personnel je fais cela tous les jours. Il peut aussi avoir une pratique licenciée : le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) s’efforce aujourd’hui de développer le sport-santé au sein des fédérations. Il y existe aussi une fédération dédiée aux seniors, la Fédération Française de la Retraite sportive. S’y ajoutent les activités proposées par de multiples associations dont le sport n’est pas l’objet principal, et toutes les actions mises en place par les collectivités locales ou territoriales. Nous suggérons aussi d’ouvrir aux seniors les structures sportives non utilisées durant la journée. Même si se pose alors la question de l’encadrement… Et aussi celle du coût… Mon crédo est qu’il faut supprimer tous les freins possibles. Si l’argent en est un pour les personnes en difficulté, trouvons le moyen de leur offrir cette activité physique. Pour les seniors qui sont plus à l’aise financièrement, on peut aussi imaginer qu’à titre incitatif une partie du coût de la pratique soit prise en charge par une structure aidante : une association, une collectivité... Certaines mutuelles de santé ou caisses de retraite sont prêtes à participer au financement d’activités sportives. Mais elles ne le feront que si elles reçoivent l’assurance de leur utilité. D’où l’idée d’un « label » correspondant à un référentiel de compétences pour les personnes encadrant la pratique des âgés.

Parmi les pistes lancées par le rapport figure la création d’un carnet de « santé sportive » pour les seniors, avec la possibilité de licences « multi-fédérales »… Le rôle d’un rapport est de faire avancer les choses et de formuler des propositions qui ne se traduiront pas forcément aussitôt en actes. Pour bien connaître le monde sportif, j’ai conscience que cette licence « multi-fédérale » est presque une utopie... Ceci dit, rien n’empêche deux ou trois fédérations de se rapprocher pour proposer dès demain une licence « santé » commune.

Daniel Rivière : « Je défends l’idée d’ajouter “de la vie aux années”, plutôt que “des années à la vie”. »

L’Ufolep a eu l’occasion de vous présenter son projet « seniors » : parallèlement à la fidélisation de ses licenciés de plus de 50 ans, son ambition est de toucher les personnes les plus éloignées de la pratique physique et sportive. Cette démarche est-elle en phase avec votre propre analyse ? Oui, d’autant plus que vous êtes multi-activité. Quand on s’adresse à des personnes sédentaires, peu convaincues de l’intérêt de se « bouger », il faut qu’elles prennent plaisir à cette activité physique, ce qui passe par une pratique diversifiée. Et cette multi-activité, l’Ufolep me paraît tout à fait en mesure de la proposer. Le groupe de travail constitué à l’occasion de ce rapport a été pérennisé au sein du pôle ressources national « Sport, Santé, Bien-Être ». Quelle est votre nouvelle « feuille de route » ? Elle n’a pas encore été fixée, car le pôle est en cours de réorganisation. Son objet dépasse d’ailleurs la seule catégorie des seniors. Soyons clairs : s’occuper des âgés est important pour améliorer leur qualité de vie et retarder la perte d’autonomie. Mais notre ambition est de modifier les comportements à l’échelle de l’ensemble de la société, en faisant passer le message suivant : une activité physique raisonnée et régulière est nécessaire à une vie en bonne santé. Et à mes yeux ce message s’adresse en priorité aux enfants et aux adolescents, qui sont les adultes de demain. ● Propos recueillis par Philippe Brenot Avril 2014

Le rapport « Dispositif d’activités physiques et sportives en direction des âgés » est téléchargeable sur www.sports. gouv.fr et sur www.social-sante. gouv.fr

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