T1 chronique morale a l'ecole du jeu sportif michael clad

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À L'ÉCOLE DU JEU SPORTIF Michaël Clad Presses universitaires de Caen | Le Télémaque 2007/2 - n° 32 pages 9 à 20

ISSN 1263-588X

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Pour citer cet article :

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Clad Michaël,« À l'école du jeu sportif », Le Télémaque, 2007/2 n° 32, p. 9-20. DOI : 10.3917/tele.032.0009

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CHRONIQUE MORALE

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Résumé : La pratique des sports à l’école est éminemment ambiguë : constamment sollicités (au titre de l’épanouissement de soi, de l’éducation à la citoyenneté…), ils sont constamment secondarisés, voire ignorés. L’auteur opère un certain nombre de rappels historiques utiles. Dans sa tradition historique, aristocratique ou populaire et villageoise, le sport est d’abord détente et plaisir ; sous la forme de l’agôn, il vise la victoire et demande rigueur et patience. L’éducation physique et sportive à l’école peut-elle favoriser à la fois le jeu et l’esprit de compétition ? En fait, comme le rappelle M. Serres, la pratique du sport est bien plutôt « apprendre à perdre » et son usage (scolaire) serait dès lors une habituation à l’échec – sauf à assumer sa pure dimension de jeu et admettre qu’il ne sert à rien (mais sa rationalisation didactique ne plaide pas en ce sens).

Le propos qui suit repose, en premier lieu, sur une expérience de confrontation directe avec la réalité, parfois âpre, éminemment complexe, toujours implacable, de la situation d’enseignement vécue sur une période courte de douze années à essayer d’enseigner l’éducation physique et sportive dans une zone d’éducation prioritaire de facture classique en direction de collégiens plus animés par l’envie immédiate d’orchestrer le chahut, de commettre des incartades ou de saboter le travail en classe que par le souci d’accomplir leur humanité, de se préparer à l’exercice critique d’une citoyenneté future ou de se former en vue d’une activité professionnelle éventuelle. Il s’appuie ensuite sur une double conviction : d’une part qu’« un corps enseignant sans foi pédagogique, c’est un corps sans âme » 1, et ce malgré l’opprobre jeté, en raison de multiples dérives, sur la recherche rationnelle des moyens et méthodes propres à faciliter les apprentissages ; d’autre part qu’une théorie de l’éducation physique et sportive ne peut être, axiologie éducative et axiologie morale étant indissociables, qu’une théorie morale de l’éducation physique et sportive. Il s’inscrit enfin dans le cadre de la recherche d’une raison éducative commune. Car aussi spécifique que puisse être cette réflexion, elle renvoie, indirectement mais sûrement, à d’autres interrogations qui intéressent ou devraient intéresser cette fois l’ensemble : comment faire vivre, ici et maintenant, la promesse d’émancipation portée par l’idéal fondateur de l’école ? Comment transformer un projet d’éducation démocratique en pratiques concrètes et réalistes ? Comment concilier aspirations de l’individualité et exigence de justice sociale ? Comment, entre conversion et croissance, favoriser l’acceptation libre et raisonnée des règles communes ?

1. É. Durkheim, Éducation et Sociologie, 7e éd., Paris, PUF (Quadrige), 1999, p. 121.

Le Télémaque, no 32 – L’enfant et l’imaginaire – novembre 2007 – p. 9-20

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Comment, pour le professeur, donner l’exemple du détachement, figurer l’arbitre, juger selon la vérité ?

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Indifférent aux sollicitations dont il fait l’objet, le sport a la faculté en même temps de pouvoir y répondre favorablement. Imperméable aux intentions les plus disparates qui, bonnes ou mauvaises, trouvent en lui le moyen de satisfaire toutes les aspirations, il lui est possible de les absorber sans distinction. Capable de s’accommoder des attitudes morales ou politiques les plus divergentes et les plus discutables, il est aussi en mesure de les déjouer. Au service de tous, il n’appartient en définitive à personne. Il n’est donc pas vraiment surprenant, dans un moment de détresse civique où l’école ne parvient plus, ou très mal, à résoudre les problèmes que la société s’autorise désormais à penser pour elle, où plus personne ne sait exactement très bien ni quoi ni comment ni pourquoi enseigner à des enfants qui refusent d’être des élèves, de constater que le sport, cantonné jusqu’ici à jouer un rôle d’appoint, se voit aujourd’hui orné d’innombrables vertus en matière de formation scolaire. Et la reconnaissance de cette nécessité ne s’arrête pas là. Il ne suscite pas seulement l’intérêt spontané chez les enfants les plus récalcitrants, il est en passe, en tant que système contraignant de normes adapté aux exigences de l’individualisme contemporain, de se présenter comme un vecteur incontournable pour préparer à la détermination de soi et à la socialisation des êtres. La question n’est donc pas de savoir si le sport est utile à l’individu ou à la société, si sa place, face aux mathématiques, à la lecture ou l’écriture, est légitime ou à remettre en cause, s’il faut l’opposer aux disciplines dites fondamentales comme si la lutte de liberté contre la naturalité pouvait se mener au mépris de la base sensible de l’appropriation de soi. Il s’agit de le rendre à lui-même en le définissant non pas en fonction d’exigences morales mais en partant, par réduction eidétique, de ce qu’il est, à savoir un lieu d’expression régulée et de manifestation contrôlée de l’attitude ludique, un moment jovial de répit pimenté par l’excitation de la rivalité, un pur espace-temps de loisir. On l’a aussi peut-être perdu de vue en chemin mais le sport est axiologiquement neutre. Il n’est pas à l’origine d’une morale, il ne fait que la présupposer. Il est, par nature, amoral. Il faut donc l’orienter dans une direction qu’une conviction raisonnée juge souhaitable. Et cette tâche ne peut être effectuée en état d’extraterritorialité. Elle relève de la compétence et de la responsabilité de l’éducation physique et sportive qui est chargée de concevoir et de mettre en œuvre l’enseignement du sport à l’école ou, plutôt, à l’invite d’un langage créé de toutes pièces pour satisfaire l’adoucissement des mœurs scolaires, l’enseignement des activités physiques, sportives et artistiques. Abstraction faite du contexte défavorable dans lequel la confusion persistante entre pratique du sport associatif et enseignement du sport scolaire n’a jamais été aussi grande et les risques d’externalisation de l’éducation physique et sportive aussi présents, il lui appartient, en effet, de donner, hors des frontières de la tribu qui la retient en otage,

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Éducation physique et sport…


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les raisons pour lesquelles elle cultive ce champ concret où la morale non militante, donc peu visible, de l’action désintéressée trouve, enracinée en lui, son hexis. De cette façon, l’éducation physique et sportive dont aujourd’hui les élèves reconnaissent d’autant plus l’autorité qu’elle n’a rien ou presque à leur dire, dépositaire de la gymnastique antique des pédotribes pour qui le corps n’était pas un moyen mais une fin, ferait d’une pierre deux coups. D’une part, elle se maintiendrait à distance respectable de la dynamique de démocratisation de l’obscurantisme et, d’autre part, elle rendrait un bien meilleur service aux élèves en ne réduisant pas le sport à un simple auxiliaire en qui, pour les besoins de la cause, elle a toujours su trouver un fidèle allié de circonstance fidèle allié témoignant cependant d’une bien piètre gratitude à son égard, mais en acceptant de voir en lui la condition d’une formation qui ne saurait être morale qu’en étant simultanément ludique. Sans pour autant espérer, prosaïsme de l’action oblige, voir un jour l’éducation physique et sportive parvenir à maturité, rien n’interdit de lui donner les moyens d’œuvrer dans cette direction. L’humanité n’avance-t-elle pas qu’en se vouant aux problèmes qu’elle est incapable de résoudre ?

Ludus, agôn, skholé Depuis l’époque des premiers sporters britanniques, « joyeux compagnons dont les journées étaient consacrées à des jeux ou des exercices seyant leur rang » 2, le sport n’a cessé d’évoluer. Alors qu’il constitue au départ un privilège et un devoir, qu’il se confond avec la vie de la noblesse, il va progressivement être assimilé, sous les effets conjugués des transformations de la société, de l’évolution de l’art de la guerre et de la suppression de la chevalerie, à une distraction sans danger. Dans un premier temps, la pratique des armes se voit conservée. Mais elle n’est plus préparatoire aux devoirs d’État. Le sportsman est « un homme qui s’adonne au “sport” ou le pratique, plus particulièrement qui poursuit ou chasse les animaux sauvages ou le gibier pour son plaisir » 3. Par la suite, aux alentours du XVIIIe siècle, avec l’apparition du patronised-sport qui, à l’initiative des gentlemen-players, associe des exercices aristocratiques et des jeux d’origine populaire, le sport se voit encore altéré. Il n’est plus le seul apanage de la noblesse. D’autres classes peuvent prétendre le pratiquer. Jusqu’au XIXe siècle, le sport constitue donc, avant qu’il ne devienne tout autre chose qu’une simple échappatoire à la longue monotonie des jours, « des jeux que pratiquent des gens aisés dont il charme et occupe l’oisiveté et aussi une classe populaire à laquelle il fournit les distractions dont son labeur a besoin » 4. Il est donc pratiqué, dans la ligne du jocus du Moyen Âge, à des fins essentiellement récréatives. Il

2. J. Ulmann, De la gymnastique aux sports modernes. Histoire des doctrines de l’éducation physique, 3e éd., Paris, Vrin, 1997, p. 324. 3. Ibid., p. 325. 4. Ibid., p. 326.

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permet de se détourner des préoccupations de l’instant, de sortir de la grisaille du quotidien. On s’y adonne dans le but d’éprouver de la joie, de poursuivre une satisfaction liée au simple fait de le pratiquer. C’est donc à bon droit qu’on peut dire de lui qu’il est un jeu, mais un jeu pas tout à fait comme les autres. Le sport se pratiquant dans la rivalité, il entre dans la catégorie de l’agôn qui est :

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Dès lors, la conquête du résultat se substitue à la notion de plaisir de jouer de façon désintéressée. Le sport perd ainsi ce qui fait de lui une activité récréative sans enjeux particuliers. Il s’agit désormais de gagner, de rechercher la victoire. Outre la concentration, l’entraînement et la volonté de vaincre inhérents à l’esprit qui est le sien, la compétition se présente comme une forme particulièrement aboutie du mérite personnel dans la mesure où elle laisse les concurrents seuls face à leurs ressources, qu’elle les invite à en tirer le meilleur parti et à s’en servir dans des limites fixées et égales pour tous. Elle est une manière d’offrir, par opposition à l’alea qui est démission de la volonté, abandon au destin, une solution au problème de l’égalité de tous, de créer artificiellement les conditions d’égalité que la réalité refuse aux individus. Dans une société d’égaux, la compétition constitue le référent symbolique et majeur de l’excellence sociale et de la juste concurrence. Ainsi, à partir de ces deux traits essentiels et de façon formelle, on peut dire que faire du sport, c’est engager son corps, individuellement ou collectivement, à jouer selon des règles avec et contre un ou plusieurs adversaires. Mais cette définition ne facilite pas la tâche de l’éducation physique et sportive qui, on le sait, peine à être reconnue comme une véritable discipline d’enseignement scolaire. Si le jeu sportif est le moyen, parmi d’autres possibles, de l’éducation physique et sportive, comment peut-elle alors prétendre s’intégrer dans une institution fondée sur le travail et centrée sur l’individu appréhendé dans sa singularité incomparable ? Comment soutenir l’idée que l’on peut “jouer” à se “confronter” dans le cadre de la skholé ? Le jeu, par opposition au travail qui reconnaît la réalité du poids du monde et implique la soumission à ce qui est autre dans la liberté, relève de la culture libre. En tant que tel, il ne peut répondre aux exigences de la scolarité. Rien en lui ne le prédispose d’une quelconque façon à fonder la notion d’éducation. Il n’est pas ce « concept synthétique » liant obéissance et liberté, contrainte et volonté. Il évoque bien plutôt une activité peu contraignante, essentiellement gratuite, parfaitement

5. R. Caillois, Les Jeux et les Hommes, Paris, Gallimard (Folio Essais), 1967, p. 50.

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un combat où l’égalité des chances est artificiellement créée pour que les antagonistes s’affrontent dans des conditions idéales, susceptibles de donner une valeur précise et incontestable au triomphe du vainqueur. Il s’agit donc chaque fois d’une rivalité qui porte sur une ou plusieurs qualités (rapidité, endurance, vigueur, mémoire, adresse, ingéniosité, etc.), s’exerçant dans des limites définies et sans aucun secours extérieur, de telle façon que le gagnant apparaisse comme le meilleur dans une certaine catégorie d’exploits 5.


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stérile, certes stimulante mais sans grande conséquence pour la vie réelle. Il est cependant incomplet de considérer que le jeu ne renvoie qu’exclusivement à une atmosphère vaine, légère et insouciante. Il peut, en certains cas, comme pour l’agôn, appeler rigueur et volonté, demander concentration et précision, nécessiter travail et application. Il ne se limite pas à une seule tendance désignée, en référence à un comportement enfantin, sous le nom de paidia. Tendance qui est régie par un principe de « divertissement, de turbulence, d’improvisation libre et d’épanouissement insouciant, par où se manifeste une certaine fantaisie incontrôlée » 6. Il se caractérise aussi par une composante complémentaire et inverse appelée ludus qui s’exprime par le besoin de plier la nature anarchique, exubérante et capricieuse de la première « à des conventions arbitraires, impératives et à dessein gênantes, de la contrarier toujours davantage en dressant devant elle des chicanes sans cesse plus embarrassantes, afin de lui rendre plus malaisé de parvenir au résultat désiré. Celui-ci demeure parfaitement inutile, quoiqu’il exige une somme constamment accrue d’efforts, de patience, d’adresse ou d’ingéniosité » 7. Cette seconde tendance associe ainsi la présence de limites et la faculté d’inventer à l’intérieur de ces limites. Elle implique les notions de règle et de liberté. Malgré cette secrète parenté avec le travail scolaire, souvent laissée de côté, ce qui ne signifie en rien que l’un et l’autre puissent être confondus, le jeu ne va toujours pas de soi, aussi bien en pratique qu’en théorie, pour l’éducation physique et sportive. Le jeu, qui médiatise pourtant le passage de la nature à la culture et représente, en tant qu’activité à peu près pure, un domaine d’exercice idéal où la motricité trouve à s’accomplir, continue de rester dans les limbes. L’éducation physique et sportive, soucieuse de rayonner au sein d’un espace large, lui préfère les notions d’exercices, de situations ou de tâches motrices. Que peut-il bien en être alors d’un jeu qui se pratique dans la compétition ? L’éducation physique et sportive peut-elle, pour ce qui la concerne, s’offrir le luxe d’être suspectée de contribuer à entériner ou à accentuer l’échec scolaire en heurtant la sensibilité exacerbée d’un individualisme démocratique adossé à un égalitarisme du plus petit dénominateur commun ? Il suffit de jeter un bref coup d’œil sur les efforts fournis par l’éducation physique et sportive pour fouler le sol de la Terre promise qu’a toujours, même sur fond de mythe, représenté à ses yeux l’institution scolaire pour comprendre que c’est prendre un bien grand risque que d’assumer la présence de la compétition, quand bien même celle-ci resterait ludique, c’est-à-dire sans grand intérêt. Au regard de la réalité, le paradoxe de la situation n’est pas mince. Là où l’éducation physique et sportive se refuse ou, à tout le moins, rechigne à comparer, de façon explicite, les élèves à la lumière de leurs prestations, il se trouve que par ailleurs, du côté des usagers, la manifestation d’un désir appuyé de se mesurer, dans le jeu, les uns aux autres est bel et bien à enregistrer comme un fait, massif, objectif. Comment se fait-il, dans un contexte d’émergence d’un modèle général

6. Ibid., p. 48. 7. Ibid.

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des conduites à base d’évitement de la confrontation, que les élèves expriment un besoin aussi insistant de faire du sport ? Est-ce uniquement en vue de se défouler, de “s’éclater” et d’évacuer, comme il est convenu aujourd’hui de le penser, un stress accumulé pendant des heures à s’ennuyer, assis, sur une chaise ? On sait tout d’abord que ce qui est refusé pour les âmes est accepté sans réserves pour les corps. Nul motif donc à s’offusquer que les uns et les autres se voient, après effort physique, répartis à l’aune de l’inégalité juste. La compétition n’est pas la solution à la réalisation de l’égalité entendue comme « la consécration de l’indépendance primitive des hommes » 8. Elle est, à l’autre bout de la chaîne des deux figures de l’égalité, « principe d’émancipation de l’acteur particulier vis-à-vis de toute forme de dépendance qui déterminerait d’avance et du dehors son destin […]. Elle consiste dans le droit égal pour chacun de se déterminer par rapport à la condition commune et de prendre distance à l’endroit des autres. Davantage, elle est légitimation du dessein de se mesurer aux autres, sur la base d’une demande que ce soit justement sur un pied d’égalité […]. Elle est enfin, dans la même ligne, revendication fondamentale que les hommes soient appréciés et jugés en tant que fils de leurs œuvres » 9. Pour l’éducation physique et sportive, sommée de contribuer au rétablissement de l’égalité des chances, cette difficulté inattendue représente bien plus qu’une simple épine dans le pied. Incapable de l’évacuer complètement sans prendre le risque de retomber dans les travers d’une gymnastique moribonde, l’éducation physique et sportive fait en sorte de la manipuler avec beaucoup de précaution dans la plus grande discrétion. Et pourtant, une éducation physique et sportive au clair avec elle-même se rendrait vite à l’évidence que le jeu sportif, bien loin de la discréditer encore davantage, la renforce et lui donne sens. Si pour Kant « on doit pouvoir franchir des passerelles étroites, gravir des hauteurs escarpées où l’on voit devant soi le vide, marcher sur un plancher vacillant. Si un homme ne peut faire cela, il n’est pas complètement ce qu’il pourrait être » 10, de la même manière, on doit pouvoir aujourd’hui se confronter, seul ou en équipe, à un ou plusieurs adversaires, exercer sa liberté de mouvement et de jugement dans le rapport de force physique, user de ruses, abuser de feintes et faire preuve d’ingéniosités techniques et tactiques pour tendre vers la victoire au risque de perdre. Si un élève ne peut faire cela, il n’est pas complètement élève. Sans le jeu sportif, il n’est pas ce qu’il doit être. Avec lui, il n’est pas non plus tout ce qu’il peut être. Issu de la culture libre, le jeu sportif est une composante essentielle de l’éducation physique et sportive et, par extension, de la culture scolaire qui, sans elle, ne serait pas non plus tout à fait “c’qu’elle est”. Il y a tout lieu de penser que l’éducation physique et sportive n’a pas encore tiré toutes les conséquences théoriques qui devraient pourtant s’imposer.

8. M. Gauchet, la Démocratie contre elle-même, Paris, Gallimard (Tel), 2002, p. 142. 9. Ibid. 10. E. Kant, Réflexions sur l’éducation, 8e éd., Paris, Vrin, 2000, p. 141.

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Apprendre à perdre

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le sport couronne le plus souvent le gagnant, le meilleur footballeur, le ballon d’or, la médaille d’or aux jeux Olympiques, le finaliste, le champion, bref, toujours le vainqueur. Mais à y réfléchir de près, voyons, sur cent, sur mille, sur dix mille coureurs, qui gagne ? Un. Sur dix mille sauteurs en hauteur, sur cent mille athlètes… qui gagne ? Un. Un seul. Nous parlons toujours, nous ne parlons que de celui qui gagne, de l’exception rarissime. Les médias ne célèbrent que l’or et la victoire. Or je définis le sport comme l’activité humaine où tout le monde perd. En effet, statistiquement, pour le plus grand nombre, tout le monde perd. Schumacher, c’est l’exception rarissime. Anquetil, c’est l’exception rarissime. La médaille d’or, il n’y en a qu’une dans le monde tous les quatre ans pour une spécialité donnée. De quoi parlez-vous ? De ce qui n’arrive presque jamais ? Mais cette exception a finalement peu d’intérêt, car ce qui est intéressant, ce qui est concret, réel, présent, inévitable, c’est la masse de gens qui participent. Or la foule perd. Donc, je définis le sport comme l’occupation ou l’activité humaine où tout le monde perd. Et cette activité me paraît humaine parce que tout le monde y perd 11.

La mise en relation de ce savoir avec la conception wébérienne de la mission du professeur, bien que, il est vrai, moralement située à contre-courant du temps présent, suffirait à l’éducation physique et sportive, par le canal de ses agents, à justifier le sens de son action, à trouver sa raison d’être, sans même avoir recours à une quelconque formulation explicite sur sa portée instructive, éducative et formatrice : La tâche primordiale d’un professeur capable est d’apprendre à ses élèves à reconnaître qu’il y a des faits inconfortables, j’entends par là des faits qui sont désagréables à l’opinion personnelle d’un individu ; en effet il existe des faits extrêmement désagréables pour chaque opinion, y compris la mienne. Je crois qu’un professeur qui oblige ses élèves à s’habituer à ce genre de choses accomplit plus qu’une œuvre purement intellectuelle, je n’hésite pas à prononcer le mot d’« œuvre morale », bien que cette expression puisse paraître pathétique pour désigner une évidence aussi banale 12.

11. M. Serres, Petites chroniques du dimanche soir. Entretiens avec Michel Polacco, Paris, Le Pommier, 2006, p. 22-23. 12. M. Weber, Le Savant et le Politique, Paris, UGE (10 / 18), 1959, p. 82-83.

Le Télémaque, no 32 – novembre 2007

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L’éducation physique et sportive n’enseigne pas, problème supplémentaire, des vérités de fait ou de calcul censées aider, par la maîtrise des compétences intellectuelles fondamentales, à établir l’autonomie processuelle de la personne. Elle fait la promotion, après avoir effectué le tri sur le marché des pratiques corporelles, de ce qu’elle estime être utile pour le corps. Elle instruit moins qu’elle n’éduque. C’est d’ailleurs de façon tout à fait stérile, ce que bien souvent, face à l’objectivité des savoirs disciplinaires, elle se voit reprocher ou contester. En apparence solide, cette critique est néanmoins fragile. L’éducation physique et sportive n’enseigne pas uniquement un corpus de gestuelles et de techniques corporelles aisément identifiables, elle transmet, à condition de laisser une marge de manœuvre suffisante au jeu sportif, une vérité accessible au plus grand nombre. Comme le souligne Michel Serres :


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Perdre un match, pour des élèves en proie à l’idéologie de l’intégration, de la réussite et de l’ascension sociales par le sport, même dans le cadre strictement gratuit de son enseignement à l’école exception faite de l’obtention d’une note qui, soit dit en passant, ne porte pas véritablement à conséquence, c’est faire l’épreuve d’une réalité parfois désagréable. La pratique du sport ne permet pas, comme tente de le distiller péremptoirement le discours bonimenteur d’une oligarchie sénile mais néanmoins maîtresse dans l’art de pratiquer un cynisme à ciel ouvert, de « sensibiliser les jeunes à l’importance d’une bonne hygiène de vie pour la santé, au goût de l’effort, à l’importance de l’endurance et de l’exercice, au respect des règles et de l’autre, et au travail d’équipe » 13, elle apprend aux élèves une vérité autrement plus assurée, à savoir que non seulement il n’est en aucun cas possible, sauf à s’en remettre entièrement à l’alea, d’avoir tout, tout de suite, sans rien faire, mais que c’est bien plutôt la probabilité de ne jamais rien obtenir même en s’appliquant à la tâche qui fait force de loi valable pour tous. Il ne s’agit pas, bien évidemment, d’amener les élèves à faire à tout prix l’épreuve du manque ou du renoncement jusqu’à un point de frustration intolérable et génératrice de tous les désordres. Il s’agit, plus modérément, plus subtilement et plus sagement d’inviter les élèves, par le jeu sportif, à envisager le “plus” quand bien même on fait l’expérience du “moins”, d’apprendre à mûrir par détachements successifs en attribuant un sens subjectif à la résignation volontaire, à se passer de ce qui est refusé. La défaite n’est pas vécue comme un traumatisme qui marque durablement et dont on ne se relève pas. Elle n’est pas non plus envisagée ou comprise comme une injustice, source de tous les ressentiments, mais comme l’issue inéluctable, presque fatale, devant laquelle, cependant, les uns et les autres conservent la liberté de pouvoir y échapper. C’est d’ailleurs tout l’art du médiateur – recherche de la maîtrise, de l’amélioration et du perfectionnement des qualités physiques mise à part – que de permettre aux élèves, avec les moyens dont il dispose, d’articuler, en un seul et même bloc, la difficile combinaison entre volonté de victoire et science de la défaite. L’association de ces deux inconciliables est facilitée, entre intransigeance et indulgence, par un rappel ferme et sans détour, mais sans insistances ou gesticulations verbales aussi inutiles qu’indigestes, de ce qui constitue l’essentiel de l’apprentissage. Essentiel résidant dans l’actualisation des dispositions naturelles, dans la mobilisation des ressources pour parvenir à un résultat qui, finalement, importe moins que la mobilisation elle-même, et dans l’insatiable épreuve du plaisir. Elle est aussi facilitée en raison même de la logique interne qui la sous-tend, à savoir que sa fécondité réside dans sa stérilité, que la victoire ne vaut pas la chandelle, « c’est-à-dire que le plus grand profit qu’on puisse attendre de la partie reste inférieure au coût de la lumière qui l’éclaire » 14. Autrement dit, à l’école du jeu sportif, les élèves apprennent « à ne rien négliger pour le triomphe, tout en gardant ses distances avec lui. Ce qui est gagné peut-être perdu, se trouve même

13. G. de Robien, discours prononcé à Marseille, 19 février 2007. 14. R. Caillois, Les Jeux et les Hommes, p. 13.

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destiné à être perdu. La façon de vaincre est plus importante que la victoire même et, en tout cas, plus importante que l’enjeu. Accepter l’échec comme simple contretemps, la victoire sans ivresse ni vanité, ce recul, cette ultime réserve par rapport à sa propre action, est la loi du jeu » 15. Ce procédé systématique ne revendique aucune originalité particulière. Il se borne, sans fioritures, à concrétiser, par le canal du ludus, une valeur suprême dans l’enceinte d’un gymnase laissé à l’abandon, à l’image de l’environnement urbain passablement délabré dans lequel, d’ailleurs, d’un point de vue esthétique, il s’insère merveilleusement bien. Il s’inspire de l’éthique aristocratique des Anciens, glane tout ce qu’il peut dans le champ, en friche, des républicains modernes, pour composer, inévitablement, avec l’idéal individualiste de la démocratie de masse. Soutenu par un éclectisme bienveillant, il s’efforce, dans le cadre confiné de la situation d’enseignement, de donner effectivement à voir, éloigné de la jactance incantatoire habituellement convenue, cette attitude élégante quelque peu énigmatique, quasi mystérieuse, connue sous le nom de fair-play, dont tout le monde, dans un empirisme dégradé, vante excessivement les charmes, que tout un chacun se plaît à courtiser, le plus souvent de façon assez maladroite d’ailleurs, mais que seul un petit nombre d’élus parvient, dans la plus neutre application du principe méritocratique, à pénétrer en profondeur, donc à comprendre, la raison pouvant penser plus que l’entendement ne peut connaître. Il l’invite, en fait, à se révéler à elle-même pour que les élèves, moins sensibles à sa beauté plastique que séduits par sa bonté laïque intrinsèque, originaires de tous les horizons, sombres comme dégagés, n’aient d’yeux que pour elle, l’honorent, en actes et tous ensemble, comme il conviendrait de le faire. Cependant, il faut nuancer et se garder de tout triomphalisme mal placé. Tout d’abord, le double mouvement, universalisation du particulier, particularisation de l’universel, ne réussit pas, loin s’en faut, à tous les coups. L’action éducative, il ne faudrait pas l’oublier, n’est qu’une succession d’erreurs qui ne fait que prolonger un tâtonnement sans conclusion. C’est d’ailleurs en cela, il faudrait aussi le rappeler, qu’elle reste attachante, profondément humaine. Elle ne peut ensuite se déployer que sur un terme relativement long dont les effets sont difficilement évaluables de façon objective dans le présent immédiat. Il y a bien un arsenal de signes qui ne trompent pas mais ils ne permettent pas d’aller jusqu’à la confirmation, tranchée et définitive, d’une stabilisation et d’un réinvestissement de l’acquis à un moment différé et audelà du lieu de son éclosion initiale. Il ne serait pas moins intéressant de se demander si, dans l’autre sens, ce ne serait pas plutôt cette disposition civique du corps et de l’esprit qui faciliterait la vie du jeu sportif. Plus radicalement encore, dans quelle mesure ne serait-ce pas la moralité qui donnerait naissance à la pratique désintéressée du sport et qui favoriserait ensuite son plein épanouissement ? Pour être pratiqué, sans animosité, dans la volonté d’inviolabilité des règles, aussi bien de droit que morales, le jeu sportif n’est-il pas forcé, en amont, de s’appuyer sur des joueurs

15. Ibid., p. 24.

Le Télémaque, no 32 – novembre 2007

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À l’école du jeu sportif


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Chronique morale

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au caractère tempéré et préalablement configuré en ce sens ? En partant de cette hypothèse, qui demanderait à être vérifiée, la pratique du jeu sportif ne serait plus seulement l’instrument de la dernière chance au service d’un idéal moral à accomplir. Elle deviendrait alors, une fois ruinée sa prétention à se vouloir éducative, une voie d’accès à l’intelligence des contradictions et tensions qui frappent aujourd’hui l’école en général, et qu’une société incapable de se réfléchir elle-même ne contribue pas, en l’acculant en permanence, à aider dans l’exercice de sa fonction. Quoi qu’il en soit des réponses susceptibles d’être apportées à ces interrogations et des perspectives nouvelles offertes au jeu sportif, contentons-nous ici de continuer à le considérer, non sans réserves, comme le véhicule d’une certaine forme de moralité, en l’occurrence la morale de l’action désintéressée. L’école du jeu sportif ne se fixe alors qu’un seul but : aider à en faire émerger le contenu à la surface. Faire du sport à l’école, c’est donc engager son corps, individuellement ou collectivement, à jouer selon des règles avec et contre un ou plusieurs adversaires en vue d’accomplir son humanité, éprouver la joie de se soumettre aux impératifs de l’affrontement courtois et accepter de se confronter dans une rivalité étrangère à la soif impériale de conquête de soi sur autrui, le tout au nom de l’épanouissement social. C’est vouloir gagner tout en sachant perdre pour jouir de se voir grandir et trouver sa place au milieu de ses camarades de classe. C’est éprouver du plaisir à se faire violence for nothing. C’est, dans l’unité de la volonté collective, faire œuvre de soi à l’ombre des disciplines intellectuelles. C’est se saisir de l’objectivité du monde en s’amusant. C’est se cultiver par, pour et dans l’attitude ludique.

Le praticien prend parti Un récent ministre de l’Éducation nationale ne déclarait-il pas : « le sport rappelle à chacun ce que j’ai souvent dit à propos des savoirs fondamentaux : si l’on veut maîtriser une pratique, qu’elle soit physique ou intellectuelle, il faut de l’entraînement. Et cette rigueur de l’entraînement s’applique aux disciplines intellectuelles » 16. Dans le cadre de la campagne électorale pour l’élection présidentielle de 2007, campagne qui a fait, selon la rumeur, de l’éducation une priorité absolue, plusieurs candidats ont été amenés à préciser et développer leur point de vue sur l’enseignement du sport à l’école : ici, le sport constitue un des « meilleurs remparts contre l’agressivité » 17 ; là-bas, « je suis convaincu que, grâce au sport, beaucoup d’enfants, dans tous les milieux sociaux, retrouveraient confiance en eux, que l’éducation à la citoyenneté s’en retrouverait renforcée, et que les enseignants pourraient faire leur cours devant des enfants plus calmes et plus disponibles […]. Le sport développe des qualités humaines qui sont essentielles à la vie en société et dans le monde du travail :

16. G. de Robien, discours sur le développement du sport scolaire, lors de la signature d’une convention au Centre national de rugby, 18 janvier 2007. 17. S. Royal, discours de Villepinte, 11 février 2007.

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le charisme, l’esprit d’équipe, le sens des autres » 18. Le sport s’ouvre ainsi à tous les possibles en matière de souhaitable. En définissant le sport en fonction des prérogatives de l’instant et des urgences du moment, ministres en action et prétendants au palais semblent ignorer que les vertus dont on fait l’apanage du sport ne sont, en vérité, que contingentes. Il ne suffit donc pas de le couronner verbalement ni même de le pratiquer assidûment pour qu’il apporte sa caution à des valeurs morales, qu’il serve de modèle de vie exemplaire ou de réussite sociale. Pour cela, il a besoin qu’on le mette en situation favorable en l’éclairant puis en l’orientant. Non seulement le sport peut ne pas être éducatif ou, selon l’éthique contemporaine, porteur d’épanouissement personnel mais il est, dans l’autre sens, tout à fait en mesure, sous le poids de la multiplication d’injonctions guidées par le souci exclusif et tout pragmatique de l’efficacité au détriment d’une réflexion de fond sur ce que “savoir jouer sportivement” implique et nécessite, de provoquer les effets inverses de ceux initialement prônés et recherchés. Les conséquences de ces déclarations empruntes d’une grande mansuétude à l’égard d’une pratique corporelle méprisée en tant que telle et ignorée quant à sa véritable portée, ne sont pas minces à l’endroit de l’éducation physique et sportive. On attend d’elle, lorsqu’on ne l’ignore pas, tout ce dont à peu près elle n’est pas à même de répondre. On prétend, à travers elle, moraliser, sans grande force de conviction, une jeunesse désœuvrée alors qu’on ne sait plus par quels moyens la discipliner. On lui attribue les meilleures intentions du monde afin d’en faire, de façon implicite, un instrument attractif de normalisation des conduites scolaires. On fait mine de vouloir développer la culture physique du corps à l’école pour en définitive la mettre au service de celle de l’esprit qui seule est prise en compte et valorisée. On fait appel à l’éducation physique et sportive non pas tant pour aider les élèves à se réaliser que pour donner, à titre décoratif, un peu de contenu à de creuses politiques éducatives qui naviguent à vue. À ces considérations indues provenant de l’extérieur s’ajoutent, comme si cela ne suffisait pas, les difficultés internes. En effet, depuis son intégration au début des années 1980 au sein de l’école, l’éducation physique et sportive, soucieuse de faire bonne figure et de se mettre aux ordres du jargon et des dogmes de la pédagogie officielle, a adopté un langage pseudo-scientifique truffé de termes managériaux et d’inepties didactiques qui n’a eu pour effet que de brouiller encore un peu plus les pistes. Il aurait peutêtre été préférable d’assumer une identité, qui, j’en conviens, vaut ce qu’elle vaut, c’est-à-dire pas grand-chose, sans succomber à la tentation de la « barbarie douce » 19. Mais l’éducation physique et sportive a fait le choix de noyer l’essentiel dans la routine et de dissoudre le réel de la situation d’enseignement dans un magma discursif inintelligible. Seulement, tout comme sa dénégation, la dissolution du réel ne supprime pas le réel ; au mieux elle en retarde le choc. En restant cramponnée à la maxime surannée qui voudrait qu’éduquer physiquement et sportivement ne serait 18. N. Sarkozy, Convention pour la France, d’après Éducation : le devoir de réussite, 22 février 2006. 19. J.-P. Le Goff, La Barbarie douce. La modernisation aveugle des entreprises et de l’école, Paris, La Découverte, 1999.

Le Télémaque, no 32 – novembre 2007

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À l’école du jeu sportif


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pas jouer, l’éducation physique et sportive n’y a rien gagné en crédibilité, bien au contraire. En voulant progresser citius, altius, fortius, là où il aurait été judicieux, avec habileté, prudence et objectivité pratique, d’avancer mollo, l’éducation physique et sportive n’a fait qu’amoindrir ses forces jusqu’à l’épuisement. Comme bon nombre d’espèces issues de la nature culturelle de l’homme qui ont trouvé une place sur cette terre, l’éducation physique et sportive est apparue au sein d’un monde dont rien ne laissait suggérer qu’il la préparait ou la désirait. En l’état actuel de désagrégation intellectuelle dans lequel elle semble se complaire, il lui est difficile d’envisager, sans perdre en lucidité, l’éventualité d’une extinction imminente. Attachée coûte que coûte à son statut de discipline “mineure”, l’éducation physique et sportive, en attente, immobile, dans le couloir de la reconnaissance que jamais elle ne quittera, ne parvient toujours pas, empêchée par le voile de la puérilité, à imaginer devoir un jour ou l’autre s’élever, underground, l’arme à l’œil et sourire aux lèvres, au rang d’art “majeur”. Si au bout du compte elle n’a pas eu besoin de fossoyeurs pour creuser, seule, sa tombe, elle n’est, en revanche, manifestement pas encore assez mûre, au moins sur le plan théorique, pour prendre en main le destin qui est le sien, mettre en œuvre sa propre “fin”.

Michaël Clad Collège Victor Hugo, Noisy-le-Grand

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