LE SPORT SUR LA SCÈNE ÉDUCATIVE Michel Anstett ERES | Les Cahiers Dynamiques 2005/2 - n° 34 pages 20 à 25
ISSN 1276-3780
Article disponible en ligne à l'adresse:
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-les-cahiers-dynamiques-2005-2-page-20.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 109.190.111.104 - 26/03/2015 15h49. © ERES
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Anstett Michel,« Le sport sur la scène éducative », Les Cahiers Dynamiques, 2005/2 n° 34, p. 20-25. DOI : 10.3917/lcd.034.0020
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Distribution électronique Cairn.info pour ERES. © ERES. Tous droits réservés pour tous pays.
La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 109.190.111.104 - 26/03/2015 15h49. © ERES
Pour citer cet article :
02_LCD34_interieur
20
11/04/08
L E S
C A H I E R S
10:54
Page 20
D Y N A M I Q U E S
N° 3 4 A V R I L
2005
é c l a i r a g e MICHEL ANSTETT
Le sport sur la scène éducative
i le sport et les pratiques sportives ne peuvent échapper à la question du sens qui les sous-tend, certains travaux parfois dénonciateurs et simplistes réduisant le sport à un simple instrument idéologique au service du Capital et des classes dominantes sont, osons l’avouer, particulièrement mal adaptés à l’analyse des pratiques sportives dans le secteur de l’éducation. Ces propos ont néanmoins occupé le champ des sciences humaines et du travail social durant de nombreuses années. À tel point que dans les années 70-80, il valait mieux qu’un éducateur parle d’activités de loisirs avec un groupe de jeunes que d’activités sportives, les premières étant libératrices (civilisation des loisirs), les secondes aliénantes et primaires (petite tête et gros biscottos). Tout au plus était-il admis de parler d’« équi-thérapie » ou d’« escaladothérapie », la clinique venant ici à la rescousse pour légitimer des pratiques éducatives de seconde zone… Or, ces brillantes joutes oratoires et théoriques n’ont pas seulement interdit d’autres paroles, elles ont occulté et occultent toujours des pans entiers de la pra-
S
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 109.190.111.104 - 26/03/2015 15h49. © ERES
(*) Cet article est une version abrégée du texte de Michel Anstett paru sous le titre « Mise en scène, mise en jeu, mise en jambes », in Sports, jeunesses et logiques d’insertion, Paris, La documentation française, 1995, p. 13-24.
tique sportive ordinaire, où les dérives ne se nomment pas aliénation, dopage, hypercompétition, corruption, mais où les questions se posent en termes de modalités d’accès aux activités, de plaisir, de sociabilité ordinaire, de modes d’encadrement et de déontologie, d’intérêts physiques, psychologiques et pédagogiques liés à une activité physique douce et régulière. En outre, ces approches par trop macrosociologiques, ou trop centrées sur le sujet parlant, oubliaient une réalité qui par son évidence pouvait sembler banale, à savoir : l’activité motrice sous toutes ses formes est pour l’enfant psychiquement structurante et participe à son accession au symbolique et à la socialisation. L’enfance et l’adolescence sont des moments où, par excellence, le jeu et le mouvement sont au fondement du développement physique et mental (corps, spatialité…). Un enfant qui ne joue pas est un enfant malade, idem pour un enfant qui ne bouge pas. Le sport a comme support, comme outil premier le corps, mais ce corps n’est pas seulement un simple contenant à la disposition du sujet ou du social. Le corps humain, vu “L’enfance et l’adolescence sont des moments où, par excellence, le jeu et le mouvement sont au fondement du développement physique et mental.”
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 109.190.111.104 - 26/03/2015 15h49. © ERES
Dans le champ de la protection judiciaire de la jeunesse et de l’éducation spécialisée, la pratique sportive n’est pas une fin en soi. Pour Michel Anstett,(*) sociologue, le sport est une mise en scène, une mise en jeu, une mise en jambes. Parce que la pratique d’un sport n’est jamais neutre, pas plus que le désir de le faire pratiquer, la question du sens doit être permanente sur la scène éducative.
L E S
11/04/08
C A H I E R S
10:54
Page 21
D Y N A M I Q U E S
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 109.190.111.104 - 26/03/2015 15h49. © ERES
Un corps travaillé Parler du sport, c’est peut-être d’abord parler du corps et des opérations motrices faisant de la motricité humaine une motricité qui n’est plus animale. Mais c’est aussi parler de l’autre, du regard, du jeu et de l’imaginaire. En observant les indiens Caduvéo peindre leur corps, Claude Lévi-Strauss pressent que, derrière ce rituel indigène, se joue le rapport singulier unissant les hommes à leur corps, à savoir : le corps de l’homme ne devient vraiment humain que lorsqu’il a été travaillé. Travail à entendre ici comme une activité de transformation de la nature, propre aux hommes, qui les met en relation et qui est productrice de valeur. Ainsi l’homme, à la différence de tous les animaux, est détenteur d’un corps animal et humain parce que travaillé. Un corps qu’il sait ou qu’il devine porteur de sens, de signes et de valeurs propres à son groupe, à sa classe et à lui-même. Tatoué, peint, maquillé, scarifié, redressé, modelé, travaillé, le corps reste pourtant un « lieu » pluriel. Corps-enveloppe que j’habite et qui me cache, mais qui me révèle aussi aux autres. Mais cette image de soi n’est que la partie corporelle saisie par le regard des autres, sans que l’on sache vraiment jamais ce que l’on donne à voir ou ce qui est vu à notre insu. Le corps implique et souvent malgré soi. L’opacité du sujet à lui-même ne concerne pas seulement son inconscient, elle concerne aussi son corps. De l’humanisation à la socialisation, nombreuses sont les formes de travail sur le corps. L’éducation sphinctérienne fait partie de ces tous premiers dressages corporels, intervenant souvent avant même que le petit d’homme n’accède à la station debout. Les variantes sont ensuite nombreuses et c’est par exemple en apprenant à manger à un très jeune enfant que l’on « découvre » que
2005
manger avec une fourchette est un apprentissage long, difficile et parfois délicat. Cette éducation continue des corps dans toutes les sociétés par inculcation, imposition mais aussi par imitation, s’effectue et se réalise dans tous les moments du quotidien, du lever au coucher et jusque dans des actes apparemment les plus immobiles. L’école est en cela un des hauts lieux des apprentissages corporels contemporains. De la station assise prolongée à l’apprentissage de « la belle écriture » en passant par le « bien respirer » pour savoir « bien réciter », tout en étant tenu de « bien se tenir », l’enfant, l’adolescent et le jeune adulte reçoivent en permanence une double éducation et un double savoir. Un savoir-penser et un savoir technique du corps, les deux restant indissociables. Il en est de même pour tous les autres actes ordinaires de la vie quotidienne comme la marche, le manger, le travail, la danse, et bien sûr le sport. Le geste imité Ainsi, le sport, entendu comme une des formes contemporaines d’éducation du corps, est bien une technique sociale à l’usage des corps. Il n’y a rien de naturel dans la gestuelle sportive, elle est apprise, inculquée mais aussi imitée : c’est une technique interactive, un modèle d’information et de communication tel que défini par Wiener.(1) Cette puissance de l’imitation en matière sportive est particulièrement évidente lorsque l’on regarde jouer les enfants au foot, au basket, au tennis… À travers le geste imité circulent toute une symbolique sociale, des identifications, des codes, des savoir-être dissimulés derrière des savoirfaire et des faire-savoir. L’importance de l’audiovisuel est sur ce dernier point considérable et nous renvoie à cette fonction du regard et de l’image, image de soi à travers les autres, image des autres à travers soi, mais aussi image informelle et médiatisée où le corps est mis en acte, mis en scène. Déjà, Marcel Mauss pointait, il y a plusieurs décennies, l’influence du cinéma américain sur la démarche des femmes françaises. Aujourd’hui, les jeunes des banlieues et d’ailleurs ne marchent plus comme John
21
i n q u e s t a
à l’échelle de l’histoire humaine, est un corps humanisé, produit par le social mais aussi producteur de notre humanité. En cela, le corps se travaille autant qu’il nous travaille et qu’il nous a travaillé.
N° 3 4 A V R I L
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 109.190.111.104 - 26/03/2015 15h49. © ERES
02_LCD34_interieur
22
11/04/08
L E S
C A H I E R S
10:54
Page 22
D Y N A M I Q U E S
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 109.190.111.104 - 26/03/2015 15h49. © ERES
Wayne ou Marcel Cerdan, ni de la même façon que les « chevelus » des années 70. Par contre, la démarche et le look des noirs américains, basketteurs de surcroît, participent de façon certaine à ces nouvelles manières de tenir et de mouvoir son corps. Ces évolutions, ces variances nous indiquent par ailleurs comment s’opèrent de nouveaux modèles identificatoires auxquels participe le phénomène sport. Regards, look, vêtements, média…, autant de choses qui collent à la peau. Plus encore, ces variances gestuelles et corporelles, l’émergence de nouveaux sports et de nouvelles pratiques, nous indiquent que le sport n’est pas seulement pur instrument d’inculcation sociale ou idéologique, mais aussi tout autant expression de nouvelles cultures ou contre-cultures. Le sport, mais aussi le corps, sont autant institués qu’instituants. Dès lors, s’il nous faut interroger les relations profondes existant entre les pratiques sportives et la socialisation, il est impératif de penser le sport comme un travail du corps et sur le corps tout à fait spécifique. Mais une spécificité incluse dans une signification sociale globale où la question du corps dans sa relation au sujet et à son humanité est centrale. Car si le corps n’est humain que du fait d’être travaillé par l’homme, l’inversion de cette proposition est aussi possible. L’homme n’est homme que du fait d’être travaillé par son corps. Un fait social total Bruno Huisman et François Ribes, à propos du livre de Leroi-Gourhan Le geste et la parole, condensent en quelques lignes cette relation dialectique existant entre corps et humanisation : « Il devient alors possible de ramasser en quatre critères principaux les marques essentielles de la distinction humaine : c’est la station verticale, la libération de la main, le raccourcissement de la face et le développement corrélatif du cerveau qui vont conduire l’homme au seuil de la conscience et de là à la technique et à l’organisation sociale. L’évolution technique de l’espèce ne peut d’ailleurs être disjointe de son évolution biologique : c’est de façon dialectique que le corps
N° 3 4 A V R I L
2005
de l’homme s’est fait à travers les opérations techniques qu’il effectuait. » (2) Ainsi, assimiler une technique signifie pour l’homme assimiler les opérations motrices incarnées dans cette technique, cet outil. Outil qui participe et découle du processus d’hominisation faisant de la motricité humaine une motricité qui n’est plus animale. Ces opérations motrices constituent notre patrimoine biologique, culturel et social où le corps, premier outil de l’homme, est travaillé, façonné par l’homme et la technique. Corps, humanisation, mythe, surgissement du symbolique et de l’imaginaire, les liens unissant opérations motrices, techniques du corps et socialisation sont complexes. Il en est de même pour le jeu dialectique unissant le corps, les techniques du corps dont le sport et l’œuvre de socialisation. Le fait sportif est « un fait social total ». Tout essai de compréhension de ces faits de totalité ne peut intervenir qu’en tenant compte de la complexité, non réductible à une seule variable aussi visible soit-elle. Le sport n’est pas en soi aliénant ou insérant, mais il reste toujours le support ou l’expression d’un autre travail. Travail éducatif et de socialisation, voire d’assujettissement, mais aussi travail intrapsychique rendu possible grâce à la médiation du corps, autorisant la mise en jeu d’interactions entre les différentes instances psychiques, intersubjectives, sociales et symboliques. Le sport n’est qu’un épiphénomène d’une tendance plus lourde, une inflexion durable de nouvelles « mentalités corporelles », auxquelles participent tous les champs de la société. Les discours sur le sport (et sur le corps) sont en effet intimement articulés aux représentations que chaque société développe autour de la question de ce qui est bon ou mauvais pour l’homme et pour sa Cité. Au fil du temps Si le sport et les activités physiques font désormais partie de notre environnement « naturel », les objectifs associés à ces pratiques ont évolué au fil du temps et peuvent même fortement différer d’un lieu à l’autre. Le secteur de l’éducation spécialisée n’é-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 109.190.111.104 - 26/03/2015 15h49. © ERES
02_LCD34_interieur
02_LCD34_interieur
L E S
11/04/08
C A H I E R S
10:54
Page 23
D Y N A M I Q U E S
N° 3 4 A V R I L
2005
23
valorisation du corps, du plaisir, l’énorme développement du secteur de la santé, l’extension du light, du fun, du cool, du soft, du svelte, du souple… sont en effet autant de courants et de mouvements qui participent aux recompositions de nos nouvelles représentations en matière d’activités physiques et sportives, le tout sur toile de fond d’hyper-médiatisation, médiatisation à laquelle n’échappent pas non plus les professionnels. Or, c’est à partir de ce nouvel environnement qu’il nous faut, nous, praticiens du social et de l’éducatif, interroger nos pratiques et les significations que nous leur assignons ou qui s’imposent à nous. Un train d’évidences peut en cacher un autre. Utilisations différenciées Lors d’une étude action menée en 1991 (4) auprès d’une centaine d’institutions ou de structures utilisant le sport en direction de jeunes « défavorisés » ou en difficulté d’insertion, quelques pistes ont pu être dégagées. Il ressort tout d’abord que dans tous les cas, les pratiques sportives sont intégrées
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 109.190.111.104 - 26/03/2015 15h49. © ERES
i n q u e s t a
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 109.190.111.104 - 26/03/2015 15h49. © ERES
chappe pas non plus à ces lentes et profondes évolutions qu’il n’est pas possible d’assimiler uniquement à des phénomènes de mode plus ou moins conjoncturels. Jean-Marie Brohm (3) emploie, d’ailleurs, le terme de « mentalités corporelles » pour décrire ces pratiques « de longues durées qui évoluent graduellement ou par rupture, selon des périodisations majeures qui rythment une culture ou une civilisation ». Les nombreux travaux existants sur l’éducation spécialisée au xixème siècle et au début du xxème confirment, qu’en la matière, l’utilisation du sport dans le secteur de la rééducation n’est pas nouvelle. Les notions de discipline, d’ordre, de rigueur et de redressement sont les termes les plus souvent mis en avant pour justifier et légitimer les pratiques physiques alors en vigueur. À cette époque, dans le manuel du parfait éducateur, les concepts d’insertion, d’intégration ou d’assimilation n’ont pas encore été « scientifiquement » élaborés. Mais l’histoire est en marche… La fin des grandes idéologies, la montée de l’individualisme, de l’hédonisme, la
24
11/04/08
L E S
C A H I E R S
10:54
Page 24
D Y N A M I Q U E S
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 109.190.111.104 - 26/03/2015 15h49. © ERES
aux missions des institutions et aux projets de leurs acteurs, c’est-à-dire : soit à la production de savoir-être relationnels et au développement personnel, soit à la production de liens sociaux facteurs de réinsertion et de requalification sociale. Mais l’analyse laisse aussi apparaître qu’au-delà des missions spécifiques à chaque structure, le lien institutionnel d’origine, voire la profession, influent considérablement sur le choix des sports pratiqués. Il y a même une forte relation entre les sports pratiqués et les publics visés, ou une forte relation entre les sports proposés et la représentation que les acteurs ont de ces dits publics. Interrogés sur ces correspondances, peu de professionnels ont pu motiver leurs choix de façon affirmée. Ainsi, là où des équipes de prévention parleront de socialisation pour expliquer le pourquoi du recours au foot, des équipes d’hébergement parleront d’abord d’activité structurante à forte valeur hygiénique, et cela pour le même sport. Il est clair que nous avons à faire dans ces deux cas précis à de légers mais réels décalages imputables aux environnements institutionnels, mais aussi aux choix professionnels et théoriques dominants ou minoritaires dans ces diverses institutions. Il est tout aussi évident que l’ensemble des pressions environnementales influent sur les stratégies de communication des promoteurs. Un service de prévention exerçant dans un quartier « chaud » a ainsi plus de chance d’être légitimé dans son action et financé en mettant en avant l’insertion, plutôt qu’en mettant en avant un objectif d’amélioration de la psychomotricité d’un groupe de jeunes. Reste que ces variations ne sont pas toujours volontaires et pas forcément objectivées. Pourtant, ces utilisations différenciées à partir d’une même pratique devraient nous poser question. Le sens en question Il est souvent difficile de nier l’intérêt pédagogique qui résulte d’une activité sportive intégrée à un projet éducatif ou social. Il demeure néanmoins impératif que ce même projet soit sous-tendu par une
N° 3 4 A V R I L
2005
réflexion et encadré par une déontologie professionnelle clairement identifiée et contrôlable par des tiers. Car, il ne suffit pas de dire que le sport est socialisant, structurant, épanouissant, pour donner du même coup valeur à toutes les pratiques. Dans certains contextes, les pratiques sportives mais aussi éducatives peuvent être, en fonction du projet, davantage aliénantes et manipulatrices que libératoires. Ici encore et dans le secteur de l’éducation spécialisée, comme dans bien d’autres domaines, sous couvert des meilleures intentions, se nichent parfois les vieux démons de la violence, consciente ou inconsciente, physique ou symbolique. Pour preuve, cette institution ayant mis au centre de son projet éducatif, la pratique obligatoire et intensive d’un sport collectif. De victoire en victoire, tous vivaient intensément cette passion, elle aussi devenue collective. Et puis survint le premier échec, les premières désillusions et, en quelques mois, toute l’institution (professionnels et pensionnaires) fut en crise. Il fallut un bon moment à cette équipe, avec l’aide d’intervenants extérieurs, pour comprendre ce qui s’était passé. L’activité avait, en fait, masqué durant des mois une crise latente et non identifiée. Le sport avait donné un semblant de sens à un projet pédagogique, inexistant depuis longtemps. La pratique sportive dans cet établissement n’était pas au service d’un projet éducatif, mais rendait service aux professionnels et à l’institution en danger d’implosion. Les exemples de ce type sont nombreux, bien que rarement aussi nettement analysés. La pratique d’un sport n’est jamais neutre, le désir de le faire pratiquer non plus. En cela, le recours de plus en plus fréquent aux sports comme réponse ou comme panacée au malaise des jeunes ou des banlieues mérite notre plus grande attention. Car, en effet, les risques d’instrumentalisation d’un ensemble de pratiques sportives ou culturelles s’avèrent être aujourd’hui (tout comme hier sous d’autres formes) tout à fait d’actualité et peuvent à terme générer des effets boomerang aux retombées peu maîtrisables. Le sport fait peut-être recette mais ne peut certes pas
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 109.190.111.104 - 26/03/2015 15h49. © ERES
02_LCD34_interieur
L E S
11/04/08
C A H I E R S
10:54
Page 25
D Y N A M I Q U E S
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 109.190.111.104 - 26/03/2015 15h49. © ERES
Motivation et engagement Ces considérations portant sur les dérives possibles des pratiques sportives en direction des publics en difficulté ne sont pas secondaires mais elles ne doivent pas, non plus, masquer l’autre versant positif et dynamique du sport dans un travail d’éducation. Formation sportive et formation intellectuelle ne s’opposent, en effet, aucunement si toutes deux se réfèrent aux finalités premières de l’éducation, à savoir éduquer : conduire hors de, donner à chacun des possibilités nouvelles, permettre à tous de se dépasser. La grande majorité des activités auxquelles nous avons eu accès (à travers l’étude action, les colloques et les multiples échanges) ont, en commun, à des degrés divers, la motivation des jeunes et l’engagement professionnel des adultes. Les jeunes y sont abordés dans leurs potentialités et non pas à partir de leurs manques. « Ils sont capables de. » Ces activités sportives, ludiques ou plus compétitives,
2005
s’appuient en outre sur la participation active de chaque individu, bien qu’elles se pratiquent en groupe. Elles mettent en jeu le corps, mais elles mobilisent aussi les affects dans un rapport à soi et aux autres. En cela, la richesse des activités sportives observées réside dans l’équilibre recherché entre activité structurée et activité créatrice, l’ensemble étant le plus souvent générateur de plaisir et de liberté partagés. Mais tout cela n’est pas magique et, en aucun cas, le sport ne peut servir de posologie ou de médicamentation. Les effets attendus d’une pratique sportive demeurent des plus aléatoires. Trop d’éléments propres au sujet, à son environnement et au social interfèrent et s’articulent pour qu’il soit possible de porter une quelconque évaluation globale sur les vertus ou les dangers supposés du sport en direction de la jeunesse. L’évaluation peut, au mieux, se faire a posteriori, de façon individuelle et qualitative, sans qu’il ne soit jamais certain de pouvoir isoler ce qui relève de la pratique elle-même ou de tout autre chose comme, par exemple, une rencontre décisive ou une relation déterminante à un moment donné de l’histoire du sujet. Pour le redire autrement, le sport est un phénomène social et culturel impliquant totalement le corps et le sujet agissant. • ma (1) wiener (Norman), Cybernétique et société, Paris, Plon, 1962. (2) huisman (Bruno), ribes (François), Des philosophes et le corps, Paris, Dunod, 1992. (3) brohm (Jean-Marie), Le corps : un paradigme de la modernité, Actions et recherches sociales, Ramonville-Saint-Agne, Erès, 1985. (4) anstett (Michel), demetriades (C.), dubouchet (Denis), Le sport comme moyen éducatif, préventif ou thérapeutique, adssea Savoie et Jeunesse et Sports, 1991.
25
i n q u e s t a
servir de recette à l’acte d’éducation ou de socialisation. L’acte n’étant jamais réductible à l’action et moins encore à l’activité. Dès lors, pour répondre à la question pourquoi et comment le sport peut être un outil éducatif ou d’insertion, il ne faut peut-être pas aller gratter trop loin dans la recherche des vertus intrinsèques à un sport (sociomotricité, psychomotricité, socialisation, insertion et tutti quanti…) mais plutôt interroger le contexte général et particulier dans lequel se développe l’activité. Il serait ainsi utile que tous les professionnels concernés par cet outil interrogent en premier lieu le projet sous-jacent à la pratique elle-même et son adéquation avec le milieu, les pratiquants et les principes éthiques qui régissent notre société, ainsi que toute action d’éducation et de promotion de la personne.
N° 3 4 A V R I L
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 109.190.111.104 - 26/03/2015 15h49. © ERES
02_LCD34_interieur