LE TRANSFERT D'APPRENTISSAGE DANS LES ACTIVITÉS PHYSIQUES ET SPORTIVES Pierre Parlebas et Éric Dugas Armand Colin / Dunod | Carrefours de l'éducation 2005/2 - n° 20 pages 27 à 43
ISSN 1262-3490
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Pour citer cet article :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Parlebas Pierre et Dugas Éric,« Le transfert d'apprentissage dans les activités physiques et sportives », Carrefours de l'éducation, 2005/2 n° 20, p. 27-43. DOI : 10.3917/cdle.020.0027
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▲ Pierre Parlebas, Eric Dugas Université Paris 5- René Descartes GEPECS- EA 3625, Axe 5
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nvisagée comme une pédagogie des conduites motrices, l’éducation physique permet de considérer le sujet en tant que personne agissante et non en tant que simple machine biologique productrice d’habiletés motrices. Toute activité physique mobilise les conduites corporelles des pratiquants en sollicitant plus ou moins leurs ressources cognitives, relationnelles, affectives, expressives ou décisionnelles. La conduite motrice prend ainsi en compte les caractéristiques subjectives de l’individu agissant (perception, image mentale, représentation, anticipation…) et peut être définie comme l’organisation signifiante du comportement moteur.
E
Le transfert : notion-clef de l’apprentissage Dans une situation d’enseignement, l’intervention du professeur d’éducation physique vise à influencer les conduites motrices des apprenants en vue d’atteindre les objectifs fixés. Dépendants de normes éducatives, les effets recherchés provoquent généralement une transformation de ces conduites. Tout au long de l’initiation, les comportements des élèves sont façonnés, changent et évoluent continuellement. Tout apprentissage est une succession de transformations qui conduisent l’apprenant à modifier ses comportements et, espère-t-on ainsi, à les améliorer sans cesse. Il ne peut y avoir d’apprentissage et de progrès sans une persistance de l’action passée dans l’accomplissement de la tâche présente ; sinon les conduites motrices des élèves n’évolueraient pas et seraient à reconstruire perpétuellement. Toute mise en œuvre pédagogique et didactique recherche cette influence positive afin de développer l’adaptation et l’efficacité motrices des sujets agissants. En sciences humaines en général, et en éducation physique en particulier, ce processus de transposition
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■ Études et recherches
Le transfert d’apprentissage dans les activités physiques et sportives
Carrefours de l’éducation • 20 • Juillet-décembre 2005 • • • • • • • • • • • • • • •
Études et recherche
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se nomme le « transfert d’apprentissage », et son intervention apparaît capitale. Cependant, cette notion semble peu connue ou reconnue. Et de façon surprenante, certains professionnels de l’éducation physique vont même jusqu’à mettre en doute son existence. Dans le cadre de l’éducation physique et sportive, l’enseignant doit choisir et programmer des activités pertinentes, adopter une intervention pédagogique adéquate, et organiser avec opportunité l’aménagement matériel de la tâche proposée. Il est évident que l’imbrication de tous ces paramètres offre de multiples choix pédagogiques à l’enseignant. Les effets dus aux apprentissages moteurs seront variables en fonction de chaque type de situation motrice proposée. L’enjeu éducatif est de taille et soulève maintes interrogations : peut-on évaluer l’influence de l’activité passée sur l’action présente? Comment rendre compte de la capacité à réactualiser des conduites antérieures dans des situations nouvelles ? Est-il possible de différencier les pratiques physiques selon les conséquences éducatives variées que leur apprentissage met en évidence ? L’exploration de ces effets obtenus est au cœur de notre recherche et pose bel et bien le problème du transfert d’apprentissage. Les psychologues se sont intéressés depuis fort longtemps à ces processus d’apprentissage, notamment dès le début du XXe siècle avec les travaux exemplaires d’Ebbinghaus portant sur la mémoire. Au cours du dernier siècle, une floraison de recherches a clarifié la question et a contribué à mettre en évidence de façon indiscutable les effets de transfert (G. Oléron, 1964). On peut définir le transfert comme l’effet que l’on constate quand l’exécution d’une activité modifie de façon positive ou négative, l’accomplissement d’une activité nouvelle ou la reproduction d’une ancienne. Dans le cas où l’influence des acquis est favorable, on parle de « facilitation » ou de « transfert positif » ; dans le cas contraire « d’inhibition » ou de « transfert négatif ». Dans chacun de ces cas, le transfert peut être « rétroactif » (influence d’une tâche nouvelle sur une tâche antérieure) ou « proactif » (l’exécution d’une tâche modifie l’accomplissement d’une nouvelle tâche). La place déterminante qui revient à la notion de transfert en éducation physique invite à analyser les principales figures qui en illustrent les manifestations.
Différents types de transfert Le transfert intraspécifique En éducation physique, le transfert est souvent postulé de façon implicite quand l’enseignant propose une succession de séquences relatives à la même activité, censées se préparer les unes les autres. Ce cas de figure d’une grande banalité représente le transfert intraspécifique que certains spécialistes dénomment aussi « transfert intratâche » ou encore « transfert proche » (R. Schmidt, 1993). Ce type de transfert témoigne de la généralisation des acquisitions dans une perspective de
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complexité croissante. Dans ce contexte, les acquisitions de chacune des étapes de l’apprentissage sont censées se transférer plus ou moins partiellement aux situations suivantes en s’inscrivant dans ce qu’on a coutume d’appeler une «progression» d’exercices. Ce type d’apprentissage correspond à une démarche de base fondamentale utilisée quotidiennement pour obtenir des progrès moteurs significatifs. Cependant, ce cloisonnement didactique centré sur une spécialité déterminée risque de limiter les effets obtenus à des avancées « en couloir », restreintes à une discipline donnée. Il est fréquent d’entendre dire par exemple qu’on ne peut apprendre à sauter à la perche qu’en sautant à la perche, ou à jouer au basketball qu’en pratiquant ce sport. Ne pourrait-on pas identifier un transfert moins restrictif qui déborderait les acquis d’une seule spécialité et qui serait à la source d’une portée généralisante des apprentissages ?
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La pratique d’une activité peut-elle engendrer des progrès dans l’accomplissement d’une autre activité ? Il est étonnant de remarquer que ce type de transfert est peu exploité, parfois même contesté. Cependant, une telle orientation n’est pas à négliger. Elle pose le problème de l’existence d’une deuxième figure de transfert : le transfert interspécifique (encore appelé transfert « intertâche » ou bien « transfert lointain »). Le contexte éducatif invite à s’interroger sur le choix des activités et sur le contenu des séances visant à répondre aux objectifs poursuivis. On peut formuler l’hypothèse que ce transfert interspécifique assure un liant de continuité parmi l’extrême diversité des activités physiques. Ce liant est parfois prononcé, parfois ténu, mais il participe indiscutablement de l’unité de l’ensemble des pratiques motrices. On envisage parfois ce type de transfert entre des activités qui paraissent d’emblée très proches les unes des autres, par exemple entre le tennis et le ping-pong, le handball et le basket-ball, le lancer de grenade et le lancer de javelot. Paradoxalement surgissent alors parfois des transferts négatifs (qui révèlent que le processus est complexe et requiert une étude en profondeur), ou encore le transfert n’est envisagé que de façon unilatérale, dans un but étroit de préparation technique. C’est ainsi que de très nombreux auteurs tels M. Baquet (1943) ou F. Mahlo (1969) suivis par un grand nombre d’enseignants de sports collectifs, ont perçu les jeux traditionnels comme des petits jeux inférieurs et simplement préparatoires à la pratique des sports collectifs jugés supérieurs et plus perfectionnés. C’était là une conception partiale et partielle du transfert interspécifique mis au service d’une idéologie sous-jacente inavouée.
Le transfert réinvesti dans la vie quotidienne Ce troisième niveau de transfert est paradoxalement très peu étudié, alors qu’il est constamment invoqué dans les différentes théories éducatives. Ce type de réin-
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Le transfert interspécifique
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Études et recherche
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vestissement en situation extrascolaire est capital si l’on souhaite que l’école ne vive pas en vase clos. Serait-il normal que les savoirs, les savoir-faire et les savoirêtre acquis par l’enfant s’évanouissent dès les portes de l’école franchies ? L’école se veut une préparation à la vie : ce que l’on y apprend doit donc pouvoir être réinvesti dans la vie sociale quotidienne. Cette transposition positive, particulièrement souhaitable, est continuellement affirmée comme un allant de soi. L’appel à l’ensemble de la personnalité de l’élève, et notamment au contenu en profondeur de ses conduites motrices, s’avère ici déterminant. Le sport dit-on, est une école de la loyauté et de la fraternité. De telles propositions péremptoires sont régulièrement assénées sans la moindre vérification scientifique. L’éducation physique apparaît comme le paradis des bonnes intentions ; mais l’enfer lui aussi n’en est-il pas pavé ? La pratique du judo et de la boxe influence-t-elle favorablement, comme il se dit, le contrôle de soi et l’agressivité à l’égard d’autrui ? Est-on si sûr que les sports collectifs favorisent, sur le plan global d’une classe d’élèves, le respect des règles, l’esprit de citoyenneté et le développement de relations socioaffectives harmonieuses ?
Une démarche expérimentale Le foisonnement d’interrogations et la nébuleuse qui entourent cette thématique nous ont conduit à mener une recherche visant à mettre en évidence des transferts d’apprentissage lors de séances d’éducation physique à l’école élémentaire. Afin de se prononcer sur la réalité de ces effets, notre étude se fonde sur une démarche expérimentale de terrain qui permet de comparer, grâce à des groupes-contrôles, les éventuels progrès moteurs des participants à différents types de situations motrices. Les expérimentations sont toutes menées «en double aveugle», c’est-à-dire que ni les élèves ni les enseignants ne sont au courant des hypothèses et des objectifs de la recherche. Deux plans expérimentaux ont été menés à bien sur le terrain, sous la conduite d’Eric Dugas. D’une part, nous avons confronté des situations psychomotrices (athlétisme) à des situations sociomotrices (jeux traditionnels et sports collectifs), ce qui engage à comparer l’influence respective de domaines d’action motrice apparemment différents. D’autre part, nous avons confronté des situations psychomotrices standardisées à d’autres situations psychomotrices porteuses de nouveauté et d’imprévu (parcours d’obstacles chronométrés), ce qui invite à évaluer l’influence de l’incertitude du milieu extérieur (due ici à un changement de parcours à chaque séance). Complémentairement, la recherche a également testé le rôle de l’enseignant en évaluant les effets de deux modalités pédagogiques différentes : une pédagogie dite « ludique » dénuée d’intervention didactique, et une pédagogie dite « signifiante » qui cherche à favoriser la prise de conscience des principes d’action à actualiser. La mise en place d’un tel protocole expérimental en grandeur réelle soulève bon
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nombre de problèmes. Il a fallu en effet « neutraliser » les variables intempestives les plus évidentes et tenter de contrôler du mieux possible les liaisons entre variables indépendantes et variables dépendantes. Dans ce contexte, les premières difficultés consistent à rendre inopérants les facteurs réputés « parasites » susceptibles d’être insidieusement responsables des effets de transfert constatés.
Expérimentation en situations sociomotrices
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L’organisation du plan expérimental (fig. 1) a rendu nécessaire la constitution de groupes pouvant être considérés comme comparables. À cette fin, les enfants ont été choisis de façon à former des groupes « équivalents » à l’égard de variables dont on connaît l’influence systématique : le niveau d’aisance motrice, l’âge, le genre, les résultats scolaires, les PCS (profession-catégorie professionnelle et sociale) des parents. L’expérimentation a porté sur 10 classes, chacune de 24 élèves : la planification montre que l’agencement des prétests et des post-tests a été systématiquement organisé pour tester l’influence des sports collectifs sur les jeux traditionnels et, réciproquement l’influence des jeux traditionnels sur les sports collectifs. Une difficulté de taille a surgi : comment « évaluer » le niveau d’aisance motrice de chaque acteur? Bien entendu, cette évaluation a été faite dans des conditions identiques pour tous les groupes. Mais quel type de mesure effectuer ? Nous avons opté pour une observation par vidéo qui autorise une analyse en différé plus fidèle et plus approfondie pour chaque sujet, avec ralenti, arrêt sur image, mesure précise des durées et visionnement répété. L’évaluation des comportements sociomoteurs des élèves fait souvent partie des préoccupations des enseignants et d’ailleurs, un certain nombre d’outils d’évaluation sont à leur disposition (J.-F. Grehaigne, 1992; BrauAnthony, 1994). Cependant, notre problème était de définir une « mesure » adaptée à des conduites motrices accomplies dans des jeux collectifs très différents (football, basket-ball, Balle au chasseur, Passe à dix…). Chaque enfant a reçu une note comprise entre 0 et 40 ; 20 points ont été accordés aux comportements associés au maniement du ballon (passe, tir, interception, dribble, réception, récupération…) dont la moitié affectés aux interactions avec partenaires et l’autre moitié aux interactions contre adversaires ; les 20 autres points ont été attribués aux comportements sans ballon (occupation de l’espace et des intervalles, déplacement, démarrage, préaction, feinte…) que nous avons jugés aussi importants que les premiers. La grille d’observation utilisée a pris en compte toutes ces interactions décelées par les « indicateurs » comportementaux correspondants, qu’il s’agisse de réussite (valeur positive) ou d’échec (valeur négative). Finalement, pour chaque enfant, les informations pertinentes ont été résumées par un « indice » d’aisance motrice qui a pris en considération tout à la fois les interactions maladroites et les interactions réussies. Cette procédure par vision-
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Mise en œuvre méthodologique
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Études et recherche
1 semaine
4 semaines
1 semaine
Phases II (Apprentissage) 8 séances
III Post-test 1 séance
Bloc expérimental A
A1 n = 24
SCO
Sports collectifs Pédagogie ludique
SCO
A2 N = 24
SCO
Sports collectifs Pédagogie signifiante
SCO
Bloc expérimental B
B1 n = 24
SCO
Jeux traditionnels Pédagogie ludique
SCO
B2 N = 24
SCO
Jeux traditionnels Pédagogie signifiante
SCO
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Bloc expérimental C
C1 n = 24
JT
Jeux traditionnels Pédagogie ludique
JT
C2 n = 24
JT
Jeux traditionnels Pédagogie signifiante
JT
Bloc expérimental D
D1 n = 24
JT
Sports collectifs Pédagogie ludique
JT
D2 n = 24
JT
Sports collectifs Pédagogie signifiante
JT
Bloc témoin E
E1 n = 24
SCO
Athlétisme Pédagogie ludique
SCO
E2 n = 24
JT
Athlétisme Pédagogie ludique
JT
Observations
Pratique de 3 sports collectifs
Pratique de 8 jeux traditionnels
Pratique de 8 jeux traditionnels
Pratique de 3 sports collectifs
Pratique sans coopération ni entraide opératoires
Fig. 1 – Plan expérimental en situation sociomotrice permettant de mettre en évidence le transfert d’apprentissage en fonction de la nature de la tâche effectuée et de la modalité pédagogique employée. Comparaison entre 8 groupes expérimentaux (Blocs A, B, C, D) et 2 groupes-témoins (Bloc E). SCO : sports collectifs – JT : jeux traditionnels
nement vidéo possède l’immense avantage de s’appuyer sur des données précises, reproductibles et vérifiables, mais elle présente l’inconvénient d’être très coûteuse en durée d’analyse : plusieurs centaines d’heures de visionnement ont été nécessaires pour analyser les comportements de nos 240 enfants en jeu. Les données ainsi recueillies sont traitées selon des procédures statistiques adéquates. Dans un premier temps, l’analyse de la variance a révélé qu’il n’existait pas de différence significative entre les résultats au prétest des 10 groupes, malgré la différence des moyennes relevées. Cette homogénéité confirme que ces groupes peuvent être considérés comme équivalents. En revanche, le post-test décèle un effet du « facteur-groupe » indiquant que ces classes d’élèves obtiennent des résultats significativement différents après la phase d’apprentissage. Dans un second temps,
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I Pré-test 1 séance
Groupes
Le transfert d’apprentissage dans les activités physiques et sportives
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a été utilisée l’épreuve du t de Student adaptée au cas des échantillons appariés, permettant de vérifier plus finement si les progrès observés sont significatifs.
Résultats Regroupés dans la fig. 2, les résultats globaux apparaissent tranchés et autorisent des interprétations dont certaines sont à contre-courant des idées reçues. . Transfert intraspécifique. Comme on pouvait s’y attendre, la pratique d’une activité entraîne un transfert intraspécifique positif dans l’accomplissement de cette même activité. C’est ce que montrent massivement les quatre groupes A1 et A2 pour les sports collectifs, et C1 et C2 pour les jeux traditionnels. Pré-test Phase I
Cycle d’apprentissage Phase II
Post-test Phase III
Groupe Exp. AI (n = 22)
SCO 16,61
SCO (Pédag. ludique)
SCO 19,51
+2,90 (**)
+
Groupe Exp. A2 (n = 23)
SCO 17,88
SCO (Pédag. signifiante)
SCO 22,91
+ 5,03 (**)
+
Groupe Exp. B1 (n = 23)
SCO 16,88
JT (Pédag. ludique)
SCO 20,54
+3,67 (**)
+
Groupe Exp. B2 (n = 24)
SCO 18,11
JT (Pédag. signifiante)
SCO 23,56
+5,45 (**)
+
Groupe Exp. C1 (n = 24)
JT 16,60
JT (Pédag. ludique)
JT 19,46
+2,86 (**)
+
Groupe Exp. C2 (n = 24)
JT 17,24
JT (Pédag. signifiante)
JT 21,93
+4,69 (**)
+
Groupe Exp. D1 (n = 23)
JT 20,74
SCO (Pédag. ludique)
JT 23,70
+2,96 (**)
+
Groupe Exp. DE (n = 23)
JT 16,70
SCO (Pédag. signifiante)
JT 21,24
+4,55 (**)
+
Groupe témoin E1 (n = 24)
SCO 14
Athlétisme (Pédag. ludique)
SCO 13,27
-0,73 (NS)
≈
Groupe témoin E2 (n = 23)
JT 16,38
Athlétisme (Pédag. ludique)
JT 15,38
-1 (NS)
≈
Ecart Sens du transfert Ph. III – Ph. I
A
B
C
D
E
Fig 2 — Effets de transfert enregistrés sur les 10 groupes d’expérience. Les écarts entre les deux tests dénotent la présence d’un transfert d’apprentissage hautement significatif dans tous les groupes, sauf dans le cas de l’athlétisme. SCO : sports collectifs ; JT : jeux traditionnels ; ** : résultats significatifs à.01 ; NS : résultats non significatifs.
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Tâche Groupes
Carrefours de l’éducation • 20 • Juillet-décembre 2005 • • • • • • • • • • • • • • •
Études et recherche
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. Transfert interspécifique. La comparaison des groupes B1 et B2 révèle que la pratique des jeux traditionnels suscite une amélioration significative des performances en sports collectifs, et les groupes D1 et D2 montrent en parallèle que la pratique des sports collectifs entraîne des progrès accentués dans la pratique des jeux traditionnels. Il existe manifestement un transfert interspécifique hautement significatif entre sports collectifs et jeux traditionnels, et cela dans les deux sens. Il est constamment affirmé que les jeux traditionnels sont des petits jeux introduisant aux sports collectifs ; les résultats observés montrent qu’il serait tout aussi légitime de prétendre que ce sont les sports collectifs qui sont préparatoires aux jeux traditionnels ! En réalité, on peut en conclure que ces deux types de jeux sportifs présentent un grand nombre de traits de logique interne fort semblables. Ces résultats confirment qu’ils font partie d’un même grand domaine d’action sociomotrice caractérisé par des interactions entre partenaires et adversaires. . Absence de transfert interspécifique. Les deux groupes-témoins E1 et E2, testés respectivement en sports collectifs et en jeux traditionnels, ne sont le siège d’aucun progrès moteur (on remarque même une légère tendance au transfert négatif). Il est donc clair que les pratiques psychomotrices de l’athlétisme n’entraînent aucun effet d’apprentissage positif dans les pratiques sociomotrices de sports collectifs et de jeux traditionnels. Prétendre que l’athlétisme constitue un sport « de base » qui faciliterait l’épanouissement moteur dans l’accomplissement des autres activités physiques, comme il est si souvent répété, n’est donc qu’une aimable fable. On observe une sorte d’étanchéité entre pratiques psychomotrices et pratiques sociomotrices qui témoigne à coup sûr de la coexistence de deux domaines d’action motrice dont les logiques internes respectives sont, malgré les apparences, abruptement différenciées. . La dimension didactique. En situation dite de « pédagogie ludique », l’enseignant organise la séance, rappelle les règles et assure la régulation relationnelle mais ne propose aucun accompagnement didactique. En revanche, en situation de pédagogie dite « signifiante », il suscite la réflexion des élèves sur leur mode opératoire, sur les stratégies les plus efficaces, sur les façons de se démarquer et de favoriser le jeu des partenaires, sur la nécessité de « lire » le comportement des autres joueurs afin d’apprendre à anticiper et à préagir. Les données recueillies sur les groupes A1, B1, C1 et D1 dégagent un résultat quelque peu insolite : les élèves réalisent des progrès hautement significatifs en l’absence de toute intervention didactique ! Ce constat montre que la pratique est en elle-même génératrice de transfert ; la pratique améliore la pratique, hors toute intrusion magistrale. Cependant, les résultats des groupes A2, B2, C2 et D2 sont encore plus spectaculaires dans le cadre de la pédagogie signifiante. L’intervention didactique de l’enseignant suscite des progrès très prononcés encore plus significatifs que les précédents, et d’autant plus intéressants que le niveau atteint est très accentué.
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Cette étude a repris l’expérimentation dont nous avons rendu compte dans la revue Éducation physique et sport (P. Parlebas, E. Dugas, 1998). Les résultats obtenus alors nous semblaient tellement prononcés et étonnants que nous avons souhaité les soumettre à vérification. Le plan expérimental ici mis en œuvre a repris la démarche initiale, bien entendu avec de nouveaux élèves, en augmentant les précautions méthodologiques (davantage de groupes expérimentaux et de groupes-témoins) et en approfondissant l’exploration de certaines variables (notamment la variable didactique). Le constat est sans ambiguïté : les résultats enregistrés dans cette nouvelle recherche sur le transfert confirment en tous points ceux déjà observés lors de la première expérimentation. Certains de ces résultats devront être repris et sans doute nuancés, mais ils semblent bien présenter un caractère crucial : séparation tranchée entre pratiques psychomotrices et pratiques sociomotrices (et notamment, présence du domaine à part de l’athlétisme), appartenance des jeux traditionnels et des sports collectifs au même domaine d’action sociomotrice sans hégémonie de l’un des deux secteurs, possibilité d’apprentissage réel en l’absence d’intervention didactique, apport supplémentaire indiscutable de l’accompagnement didactique qui favorise un apprentissage nettement plus accentué qu’une pratique libre.
Expérimentation en sitiations psychomotrices L’objectif principal de cette autre recherche est d’évaluer le rôle de la variable « incertitude informationnelle issue du milieu extérieur » au cours des phénomènes d’apprentissage de type psychomoteur. À cette fin, ainsi que le détaille le plan expérimental de la fig. 3, certains sujets répètent un parcours d’obstacles fixe pendant sept séances d’entraînement, alors que d’autres changent de parcours à chaque séance. L’incertitude d’information est liée au vécu des sujets ; elle répond au rapport de l’acteur avec l’environnement : il y a incertitude informationnelle dans le second cas car, à chaque fois, le parcours est nouveau et donc porteur d’imprévu (tout comme un skieur qui s’engage dans une piste inconnue, ou un alpiniste qui grimpe en «à vue»). Les élèves qui ont répété le même parcours sont-ils «meilleurs» en fin d’apprentissage que ceux qui se sont entraînés sur des parcours variés ?
Méthodologie Le schéma expérimental présenté ici est la reprise du dispositif que nous avons exposé en 1969 dans l’article : « Apprentissage et transfert en éducation physique » (Éducation physique et sport, n° 99 bis). Cette étude menée à l’époque avec Jean Vives avait donné lieu à une application de la part de Jean Letessier. Complémentairement, J.-P. Famose avait repris cette démarche et en avait présenté une illustration expérimentale intéressante portant sur plusieurs classes de lycéens (J.-P. Famose, EPS n° 107, 1971). La nouvelle mise en œuvre ici exposée, de plus grande ampleur, a été conduite avec Eric Dugas dans le cadre des
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Études et recherche
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recherches du laboratoire LEMTAS, de la faculté des sciences sociales-Sorbonne (université de Paris 5). On dispose de sept groupes qui effectuent un apprentissage de sept séances, encadré dans tous les cas, en prétest et en post-test, par le même parcours P1. Quatre d’entre eux sont expérimentaux : les deux du bloc A répètent le même parcours, A1 en pédagogie « ludique » et A2 en pédagogie « signifiante » ; les deux groupes du bloc B changent de parcours à chaque séance, respectivement selon les deux modalités pédagogiques retenues. Trois groupes-témoins du bloc C s’offrent à la comparaison ; C1 effectue un entraînement psychomoteur foncier (qui « neutralise » la variable « dépense énergétique ») ; C2 s’adonne à des jeux sportifs collectifs (donc en situation sociomotrice, à dépense énergétique équivalente) et C3 se consacre à des jeux de société de type cognitif (présence d’une dimension stratégique, mais absence d’action motrice). La « mesure » des performances motrices est ici assurée de façon classique par le chronométrage du temps de parcours de chaque élève. Les effets de transfert éventuels apparaissent dans les écarts enregistrés entre les performances du prétest P1 et celles du post-test P’1 (le même parcours P pour tous). Les parcours ont été conçus de telle sorte qu’ils ne présentent aucune difficulté insurmontable ; comportant des obstacles couramment utilisés en éducation physique (bancs, poutres, haies, plinths, cheval d’arçon, espaliers, cerceaux…), ils sollicitent une action motrice qui gagne beaucoup à s’appuyer sur une stratégie réfléchie : prise d’élan adaptée, pose éventuelle des mains, reprise des appuis après l’obstacle, changement de pied, « enroulement » des obstacles, changement de rythme… Puisqu’il s’agit d’enregistrer d’éventuels progrès à l’égard d’un parcours initial de prétest qui sera reproduit en post-test, nous sommes ici dans le cas d’un transfert « rétroactif ».
Résultats . Transfert intraspécifique. Les résultats sont massifs : les groupes A1 et A2 qui sont en répétition du même parcours P, connaissent des progrès spectaculaires. L’effet de transfert est impressionnant. . Transfert interspécifique. Pour les élèves des groupes B1 et B2 qui changent de parcours à chaque séance, l’amélioration des performances reste hautement significative, mais elle est cependant moins prononcée que dans le cas précédent. Incontestablement, lors de l’apprentissage d’une technique psychomotrice en milieu standardisé, la répétition de la même épreuve aboutit à de meilleures performances que l’accomplissement d’épreuves variées.
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Le transfert d’apprentissage dans les activités physiques et sportives
Effets de Sens du Post-test Transfert Transfert (P’1) (P1-P’1) (en rétroactif sec.)
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Nouveau parcours (P9)
Tâche Groupes
Pré-test (P1)
Cycle d’apprentissage
Groupe Exp A1 (n = 27)
56,11s
P1 répété Pédagogie ludique
47,60s
8,51s (**)
+
54,74s
Groupe Exp A2 (n = 19)
57
P1 répété Pédagogie signifiante
46,67
10,33 (**)
+
55,71
Groupe Exp B1 (n = 20)
54,35
Parcours variés Pédagogie ludique
50,80
3,55 (**)
+
52,55
Groupe Exp B2 (n = 25)
55,60
Parcours variés Pédagogie signifiante
49,24
6,36 (**)
+
50,96
Groupe Témoin C1 (n = 16)
55,67
Entraînement foncier Pédagogie ludique
54,19
1,48 (NS)
≈
54,73
Groupe Témoin C2 (n = 17)
55,53
Jeux sportifs collectifs Pédagogie ludique
54,71
0,82 (NS)
≈
57,35
Groupe Témoin C3 (n = 21)
58,48
Jeux cognitifs Pédagogie ludique
55,67
2,81 (**)
+
56,19
A
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C
Fig. 3 — Plan expérimental relatif aux apprentissages des parcours (les résultats correspondent aux moyennes des temps de parcours des groupes, notés en secondes). La colonne des écarts témoigne des effets de transfert ; la colonne P9 enregistre les performances à ce parcours P9 nouveau pour tous les élèves.
Les élèves qui répètent le même parcours réduisent de plus en plus l’incertitude issue des obstacles à franchir. Plus cette incertitude décroît, plus ils tendent à automatiser des comportements de mieux en mieux adaptés à des obstacles stables et sans surprise, qui deviennent ainsi peu à peu « domestiqués ». En revanche, les élèves qui font face à un nouveau parcours lors de chaque séance, doivent traiter de nouvelles informations : il leur faut « reconnaître » des obstacles inédits, s’y adapter sur le champ tant bien que mal, avant d’en changer à nouveau. Le franchissement des difficultés qu’ils découvrent séance tenante, est plus approximatif et beaucoup moins « ajusté » au millimètre que dans le cas standardisé précédent. . La dimension didactique. Là encore, on constate que la pratique ludique des parcours, bien que dénuée d’intervention didactique, engendre des effets de trans-
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B
Carrefours de l’éducation • 20 • Juillet-décembre 2005 • • • • • • • • • • • • • • •
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Études et recherche
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. Les groupes-témoins . L’entraînement foncier du groupe C1 n’est pas suffisant pour améliorer la performance accomplie au parcours P1. Dans ce type de parcours, la technique de franchissement des obstacles se révèle décisive. Les effets de transfert semblent bel et bien s’appuyer sur les principes d’action motrice ajustés au franchissement des obstacles du parcours. . La pratique des jeux sportifs collectifs du groupe-témoin C2 n’a pas provoqué d’amélioration significative. Une pratique sociomotrice de jeu collectif n’a pas eu d’effet de transfert significatif sur une pratique psychomotrice de parcours. Leurs traits respectifs de logique interne sont trop éloignés les uns des autres. L’étanchéité entre ces deux domaines d’action motrice, cette fois-ci dans le sens du sociomoteur vers le psychomoteur, est à nouveau vérifiée. . Le groupe-témoin C3 qui s’est adonné à des jeux de société est, étrangement, le siège d’un effet d’apprentissage positif. On peut formuler l’hypothèse selon laquelle la mise en alerte cognitive permanente sollicitée par les jeux de stratégie s’est transposée avec réussite dans les stratégies de franchissement des obstacles du parcours P1. Cependant, ici, nous pencherions plutôt pour une réaction particulière des élèves de ce groupe dont les performances au prétest étaient nettement inférieures à celles des autres. Se prenant au jeu, les élèves ont pu beaucoup plus aisément, améliorer leur temps de parcours en créant un écart significatif. Nous garderons cependant en mémoire ce constat intriguant, qui incitera à explorer plus avant l’influence des processus cognitifs dans les stratégies praxiques.
Transfert dans le cas d’un parcours nouveau Que se passera-t-il si l’on propose à nos sept groupes d’effectuer un parcours P9 inédit, identique pour tous, après la séance du post-test P’1 ?
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fert positifs très significatifs. Et là toujours, les ouvertures et les généralisations de la pédagogie signifiante y ajoutent des gains d’apprentissage très importants, d’autant plus méritoires à obtenir que les performances sont alors d’un niveau accentué. La pédagogie ludique entraîne donc globalement des transferts positifs significatifs, mais moins prononcés que ceux de la pédagogie signifiante. Une bonne prise d’information, un bon décodage des obstacles et de leur enchaînement sollicitent des processus cognitifs que l’accompagnement didactique s’ingénie à favoriser. La pédagogie signifiante obtient de meilleurs résultats dans la mesure où elle invite activement à la compréhension et à la mise en œuvre des principes d’action les mieux adaptés à la logique interne des situations-problèmes posées (c’est le trait distinctif entre A1 et A2, puis entre B1 et B2). Notons que les effets positifs suscités par les variables « absence d’incertitude » et « apport didactique » s’ajoutent ici en provoquant des gains d’apprentissage cumulés de façon systématique.
Le transfert d’apprentissage dans les activités physiques et sportives
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La fig. 3 indique les moyennes des sept performances de groupe obtenues au parcours P9 ; celui-ci a été conçu pour être du même niveau de difficulté que les précédents (il se révèle légèrement plus facile, entraînant un temps moyen inférieur d’environ une à deux secondes relativement à P1). L’analyse de la variance ne dénote pas de différence significative entre les groupes ; une analyse post-Hoc plus fine (test LSD) montre cependant que le groupe expérimental B2 se différencie des autres groupes. Partiellement contrastées, mais ne présentant pas de différence massive, les performances à P9 devront être interprétées avec prudence.
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. Comparaisons P9 avec post-test P’1. La première colonne de la fig. 4 indique les écarts entre le post-test P’1 et le nouveau parcours P9. Une information intéressante est donnée par la comparaison de ces écarts selon les groupes. Le constat est frappant : les deux groupes du bloc A qui, au post-test P’1, caracolaient en tête, loin en avant, perdent totalement leur avance en P9 et se retrouvent derrière les deux groupes du bloc B L’écart qui témoignait d’un considérable transfert intraspécifique au bénéfice du bloc A s’est effondré. Autrement dit, le haut niveau de performance acquis par la répétition du même parcours s’est évanoui dès l’exécution d’un parcours nouveau. Il n’y a pas eu réinvestissement positif des acquis. . Comparaisons P9 avec prétest P1. Qu’en est-il vis-à-vis du prétest P1 ? Dans une perspective complémentaire à la précédente, l’interprétation s’appuie encore sur la comparaison entre groupes. Les écarts entre P9 et le prétest P1 enregistrent les effets sur P9 d’un éventuel transfert pro-actif des huit séances interpolées. Les hiérarchies se sont renversées: ce sont les deux groupes du bloc B qui, cette fois-ci, supplantent les deux groupes du bloc A. Autrement dit, face à un parcours inédit, le fait d’avoir changé de parcours à chaque séance entraîne une meilleure performance que le fait d’avoir reproduit le même à chaque séance. Dans sa recherche de terrain, J.-P. Famose a obtenu les mêmes résultats : aucun effet de transfert pour le groupe répétitif et un transfert positif pour le groupe changeant (EPS n° 107 et Dossier EPS n° 50). La répétition favorise l’adaptation, mais peut nuire à l’adaptabilité. Les deux premiers groupes-témoins enregistrent les gains les plus faibles ; le groupe C2, qui s’adonne à des jeux sportifs collectifs, est même le siège d’un recul de performance ! (l’étanchéité entre activité psychomotrice et activité sociomotrice est ici encore confirmée). Le groupe C3, de type cognitif, conserve son résultat intriguant dont nous avons déjà parlé.
Interprétations Que pouvons-nous conclure de l’ensemble de ces données ? Précisons d’emblée que ces résultats exigeront d’autres confrontations avec des dispositifs expéri-
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Résultats
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Études et recherche
mentaux plus approfondis ; il y faudra confirmation. Cependant, des pistes d’interprétation se dégagent nettement : . Quand il s’agit d’assurer une performance dans une technique psychomotrice stable et uniformisée, l’apprentissage fondé sur la répétition est le plus efficace. Dans un milieu standardisé, la répétition permet aux pratiquants de perfectionner des séquences gestuelles optimales, chacune pouvant s’enchaîner aux suivantes par anticipation dans d’excellentes conditions. Le transfert intraspécifique se révèle ici déterminant. En revanche, dans un environnement porteur d’incertitude, le pratiquant doit être sur le qui-vive, détecter l’information utile et trouver dans l’urgence les réponses les mieux ajustées.
Caractéristiques
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Parcours répété
A1
+ 7,14
- 1,37
+ 8,51
Pédagogie ludique
A2
+ 9,04
- 1,29
+ 10,33
Pédagogie signifiante
Parcours changeants
B1
+ 1,75
- 1,80
+ 3,55
Pédagogie ludique
B2
+ 1,72
- 4,64
+ 6,36
Pédagogie signifiante
C1
+ 0,54
- 0,94
+ 1,48
Entraînement foncier
C2
+ 2,64
+ 1,82
+ 0,82
Jeux sportifs collectifs
C3
+ 0,52
- 2,29
+ 2,81
Groupe cognitif
Groupes témoins
Fig. 4 — Résultats obtenus par les 7 groupes à l’exécution d’un parcours P9, nouveau pour tous, relativement à leurs performances respectives au prétest P1 puis au post-test P’1. Face à un parcours nouveau, la supériorité du bloc A (au parcours répétitif) s’effondre et la prééminence du bloc B (au parcours changeant), s’affirme (2e colonne).
Dans un premier temps, celles-ci seront nécessairement assez grossières. L’exécutant ne dispose pas de réponses toutes prêtes qu’il suffirait de peaufiner petit à petit (comme dans la situation précédente); le transfert interspécifique est, ici aussi, significatif, mais moindre que le transfert intraspécifique de type répétitif. . Quand une épreuve nouvelle est proposée, les pratiquants répétitifs se trouvent en porte-à-faux. Leur acquis « prêt-à-porter » est en décalage ; habitués à reproduire, ils doivent découvrir de nouvelles solutions, traiter l’information neuve, prendre des décisions. Dans un premier temps, ils sont désarçonnés et accusent un recul spectaculaire de performance (au parcours P9). Il serait intéressant de savoir si cette perturbation persiste longtemps lors d’une succession de nouveaux parcours ; cette recherche ne peut pas le préciser. Les gains d’apprentissage assurant la supériorité dans l’accomplissement de parcours répétitifs, maîtrisés et automatisés, n’ont pas été transposés lors de l’ac-
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Écarts entre P9 et Écarts entre P9 et Effets le post-test P’1 : le prétest P1 : de transfert sur P : (P9 – P’1) (P9 – P1) (P1 – P’1)
Le transfert d’apprentissage dans les activités physiques et sportives
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complissement d’un parcours nouveau. Un transfert intraspécifique efficace acquis par automatisation dans un environnement stable ne donne pas lieu à une transposition positive dans un environnement porteur d’incertitude.
Groupe A2 (même parcours répété)
10,33 1,29
9,04
P1 - P’1 P1 - P9
Groupe A2 (parcours changeants)
6,36 4,64
Gain d’apprentissage (en secondes)
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Fig. 5 — Effets d’apprentissage sur le parcours nouveau P9 dans les deux groupes à intervention didactique. Le groupe A2, de type répétitif, qui avait bénéficié d’un transfert massif sur le parcours initial P1 (10,33s), connaît un recul spectaculaire de 9,04s et ne gagne finalement que 1,29s sur P1. En revanche, le groupe B2, qui avait connu un transfert rétroactif moins accentué (6,36s), n’enregistre qu’un faible recul (1,72s) et garde un gain final important sur P1 (4,64s). L’exposition à l’incertitude (changement de parcours) associée à l’accompagnement didactique se révèle le plus favorable à l’adaptabilité motrice.
Le groupe B1 qui franchit des parcours variés en pédagogie ludique, ne connaît pas de réussite spectaculaire à P9, alors que B2 dont les parcours variés sont pratiqués en pédagogie signifiante, réalise à P9 des gains relatifs très accentués. Apprendre à changer favorise l’adaptabilité, mais cette capacité est surtout sensible dans le cas d’une pédagogie signifiante. Le fait pour l’enseignant de solliciter activement auprès de ses élèves les principes d’action motrice, semble indiscutablement favoriser la résolution des problèmes praxiques qui leur sont posés. Les élèves doivent identifier et reconnaître le type de difficulté qu’ils affrontent : ce processus de « catégorisation », qui joue un rôle capital dans le déclenchement de la stratégie, n’est pas nécessairement spontané ; il peut être grandement développé par l’intervention didactique qui attire l’attention sur le type d’obstacle et les styles stratégiques les mieux adaptés. La dimension cognitive de la résolution de la tâche, qui correspond à une véritable « intelligence motrice », peut être sollicitée et développée de façon efficace par l’intervention de l’enseignant. Cependant, dans le cas où le pratiquant répète les mêmes parcours, cette intervention reste limitée et de peu d’effet pour d’éventuelles généralisations. Il apparaît donc bien que la variabilité de l’environnement et l’incertitude dont celui-ci est porteur, représentent des caractéristiques fondamentales des situations
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Études et recherche
psychomotrices. La recherche des effets d’apprentissage en milieu stable et certain, appelle de nombreuses répétitions des mêmes comportements moteurs, alors qu’en milieu porteur d’incertitude, la réussite appelle l’affrontement de difficultés variées suscitant une réflexion active sur les stratégies à mettre en œuvre. Dans le premier cas, il s’agit d’une adaptation qui peut devenir très « pointue » et spécialisée mais peu transposable ; dans le second, il s’agit davantage d’une adaptabilité, moins ajustée à chaque cas mais susceptible d’une performance beaucoup plus généralisante et transférable à des situations nouvelles.
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Le transfert d’apprentissage plonge les activités physiques et sportives dans la dynamique temporelle, dans la dynamique des transformations. Etudier le transfert, c’est étudier l’évolution des conduites motrices au cours du temps, c’est observer l’influence de l’expérience passée sur la pratique présente. Sans la persistance de cette influence, la motricité serait à réinventer à chaque instant. Ainsi que l’écrit Bertrand During, « Chercher l’explication du transfert, c’est se demander comment s’organise, en éducation physique et sportive, l’activité de l’élève » (B. During, 1981). Pour être interprétée, cette activité demande que l’on pénètre au cœur des processus intimes de la motricité. Quels sont les facteurs qui influencent ces transformations et de quelles manières ? La mise à découvert des changements enregistrés ne peut-elle apporter un éclairage sur les affinités qui rapprochent certaines activités et sur les disparités qui en éloignent d’autres ? En dévoilant leurs connivences ou au contraire leurs dissonances par la présence ou l’absence d’un transfert d’apprentissage, les multiples activités physiques et sportives suggèrent qu’elles appartiennent à des domaines d’action différenciés. Le recours au transfert n’est pas toujours nécessaire ni suffisant pour déceler les grandes familles de pratiques, mais il y aide beaucoup en tant que fil conducteur, et s’avère parfois décisif. Qu’ont montré les expérimentations précédentes ? Qu’il n’y a pas de transfert donc pas de continuité entre les jeux sportifs collectifs et les activités d’athlétisme ; leurs traits respectifs de logique interne sont en franche discordance. En revanche, les sports collectifs et les jeux traditionnels – siège de transferts réciproques – se révèlent en continuité ; on y retrouve d’ailleurs des caractéristiques très proches de logique interne, liées à la communication motrice. L’interprétation des résultats incite ainsi fortement à distinguer deux grands domaines d’action motrice nettement différenciés : l’un se référant aux pratiques sociomotrices, et l’autre aux pratiques psychomotrices. Dans ce dernier cas, les manifestations du transfert montrent que le facteur « incertitude informationnelle » engendre deux familles d’activités fortement dissemblables selon qu’il affecte ou non l’environnement dans lequel se déroule l’action. Ces travaux expérimentaux apportent donc tout un lot de résultats qui soulignent le rôle majeur de la logique
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Le transfert : un fil conducteur
Le transfert d’apprentissage dans les activités physiques et sportives
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interne des pratiques directement liée à l’activité des participants : ils confirment la présence de plusieurs domaines d’action motrice hétérogènes, fondés sur des traits distinctifs tels l’interaction motrice et l’incertitude issue du milieu extérieur. Les activités physiques et sportives présentent une unité fondamentale en ce qu’elles sont toutes des manifestations de l’action motrice de leurs pratiquants. Cependant, ces manifestations se distribuent dans plusieurs domaines fortement différenciés, tels que chacun d’eux propose un sous-univers d’action cohérent et original. Une franche diversité dans l’identité. C’est un atout considérable pour l’éducation physique de pouvoir proposer une aussi grande variété de modes d’action dans le maintien de son identité fondée sur les conduites motrices des personnes agissantes.
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