LA CONSTRUCTION DU REGROUPEMENT SPORTIF « COMMUNAUTAIRE » : L'exemple des clubs de football turcs en France et en Allemagne William Gasparini et Pierre Weiss Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) | Sociétés contemporaines 2008/1 - n° 69 pages 73 à 99
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Pour citer cet article :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Gasparini William et Weiss Pierre,« La construction du regroupement sportif « communautaire » : » L'exemple des clubs de football turcs en France et en Allemagne, Sociétés contemporaines, 2008/1 n° 69, p. 73-99. DOI : 10.3917/soco.069.0073
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ISSN 1150-1944
LA CONSTRUCTION DU REGROUPEMENT SPORTIF « COMMUNAUTAIRE » : L’EXEMPLE DES CLUBS DE FOOTBALL TURCS EN FRANCE ET EN ALLEMAGNE
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Résumé : Les « originaires » de Turquie constituent la première communauté immigrée en Europe et la première population étrangère dans le bassin rhénan. Les données empiriques recueillies dans des clubs de football français et allemands fréquentés majoritairement par des sportifs originaires de Turquie attestent d’un « entre-soi sportif ». Ces regroupements traduisent non seulement l’ambivalence de la construction identitaire des immigrés turcs mais aussi l’effet des modèles nationaux d’intégration par le sport et une sociabilité à caractère populaire. L’article propose d’étudier la signification sociale et culturelle de ce sport entre soi tant en France qu’en Allemagne ainsi que les facteurs structurels, politiques, identitaires et sociaux agissant de manière incitative ou dissuasive sur ce phénomène.
D
es enquêtes réalisées en France et en Allemagne révèlent que la discrimination « ordinaire » associée à la forte conscience identitaire des immigrés d’origine turque se traduit, pour nombre d’entre eux, par ce que chercheurs, responsables politiques et travailleurs sociaux désignent de plus en plus fréquemment sous l’expression de « repli communautaire » dans le domaine sportif (Blecking, 2001 ; Gasparini, 2007 ; Sen, 2006 ; Talleu, Weiss, 2007). On peut alors s’interroger sur ce phénomène : s’agit-il d’une affirmation identitaire stratégique conforme aux intérêts d’une minorité ethno-culturelle, d’un passage nécessaire avant l’ouverture à la nouvelle société d’accueil ou alors d’un effet des discriminations à l’encontre d’une population d’origine étrangère ? En tentant de répondre à cette question, le chercheur risque très vite de succomber à l’ethnocentrisme de la recherche en sciences sociales qui considère l’immigré en ignorant l’émigré (Sayad, 1999). En effet, comme le souligne Abdelmalek Sayad, tout se passe comme si la problématique explicite et implicite était toujours celle de l’adaptation à la société d’accueil 1. Dès lors, quand elle est soumise à la mesure de son inclination à l’intégration individuelle, la « communauté turque » de France ou d’Allemagne produit des résultats plutôt « médiocres », au regard des populations balkaniques musulmanes auxquelles elle
1/ Voir l’article de Sayad A. 1977. Les trois « âges » de l’émigration algérienne en France. Actes de la recherche en sciences sociales, no 15, p. 59-81.
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La population immigrée turque dispose aujourd’hui d’une organisation sociale et culturelle très structurée faisant largement référence au pays d’origine.
Qu’est-ce qui conduit les personnes issues de l’immigration à faire de l’entre-soi sportif ?
est régulièrement comparée dans les pays de l’Europe continentale (Manço, 2004). En effet, la population immigrée turque dispose aujourd’hui d’une organisation sociale et culturelle très structurée faisant largement référence au pays d’origine. Les chercheurs en sciences sociales ayant travaillé sur l’immigration turque nous indiquent que ces populations installées dans l’aire culturelle rhénane depuis plus d’une trentaine d’années privilégient le fonctionnement autour de structures communautaires (commerces, entreprises et associations) (Jund, Dumont, De Tapia, 1995 ; Tribalat, 1995, 1996 ; Kastoryano, 1998 ; Petek-Salom, 1998 ; Manço, 2000 ; De Tapia, 2005). Les enquêtes sur l’immigration réalisées par l’INED nous révèlent en effet que les immigrés de Turquie ont une sociabilité extrêmement forte, quel que soit le type d’indicateur choisi, tant au niveau interne qu’externe. Selon Tribalat (1995, p. 423), « Ils entretiennent un minimum de rapport avec la société d’installation (...). Les immigrés de Turquie ont en fait reconstitué en France un espace communautaire particulièrement hermétique ». Si l’on prend l’exemple du football, on constate que les originaires de Turquie 2 sont parmi les étrangers, les binationaux ou les personnes issues de l’immigration, ceux qui comptent le plus de clubs de football regroupant des pratiquants et des dirigeants provenant du même pays d’origine (Blecking, 2001 ; Gasparini, 2007). Font-ils alors de l’entre-soi parce qu’ils y sont contraints ou bien le font-ils de manière militante ? Qu’en est-il dans ce contexte du postulat selon lequel le sport est un puissant ferment d’intégration nationale ? La rupture avec ces catégories construites nécessite une confrontation au terrain et notamment une analyse de la pratique sportive « ordinaire », loin des effets de médias tendant soit à valoriser le « multiculturalisme sportif » dans le sport de haut niveau,soit, à mettre en exergue le « communautarisme sportif » 3. Qu’est-ce qui conduit les personnes issues de l’immigration à faire de l’entre-soi sportif ? Quelle est la dimension identitaire de ces regroupements associatifs ? À partir de données empiriques recueillies en Alsace et dans le Bade-Wurtemberg 4, nous tenterons de saisir les conditions tant sociales et culturelles que politiques qui conduisent des immigrés turcs (ou Français et Allemands d’origine turque) 5 à se 2/ En 2004, les Turcs représentent 16 % de l’immigration totale en Alsace, soit 28 500 personnes (INSEE Alsace, 2006). Dans le Bade-Wurtemberg, ils constituent la première population étrangère avec environ 320 000 ressortissants (Statistisches Landesamt Baden-Württemberg, 2005). 3/ Voir à ce sujet Gasparini W. 2007. Le sport, entre communauté et communautarisme, Revue Diversité (Ville École Intégration), no 150, p. 77-83. 4/ Land (à proximité de l’Alsace) le plus riche d’Allemagne comprenant 10 700 000 habitants, dont 12 % de nationalité étrangère. Divisé en quatre Régences (Fribourg, Karlsruhe, Stuttgart, Tübingen), il a pour capitale la ville de Stuttgart. 5/ Dans notre étude, sont considérés comme « originaires de Turquie » les immigrés turcs (nés en Turquie)
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Il s’agira d’abord d’attester de la réalité de la présence de clubs de football turcs dans l’aire géographique étudiée. En référence à Max Weber, nous considérerons un groupe « ethnique » 6 ou communautaire comme un groupe humain, non fondé sur la parenté, nourrissant une croyance subjective dans une communauté d’origine, à partir des similitudes de mœurs et de souvenirs (Weber, 1971). L’existence d’une même population immigrée dans une aire géographique relativement homogène tout en appartenant à deux pays différents permet alors de comparer les stratégies identitaires des immigrés ainsi que le regard porté par la société d’installation. En tant que méthode et moyen de démonstration (Vigour, 2005), la comparaison internationale contribue à mieux saisir les effets respectifs du contexte politique et des dispositions sociales et culturelles sur le fait social étudié. Selon les parcours individuels des immigrés d’origine turque, le « sport entre soi » peut d’autant plus représenter la forme associative légitime, qu’il est toléré dans l’aire culturelle d’accueil. En fonction du contexte national, le club sportif accueillant essentiellement des immigrés turcs peut être considéré ou non comme une première étape vers l’intégration nationale. Mais dans le même temps, les modalités de l’engagement sportif des immigrés ne peuvent s’appréhender que dans la relation entre un espace (national, local, sportif) et leurs positions, dispositions et trajectoires sociales qui les conduisent (pour une majorité) à s’investir, par exemple, dans une association sportive à caractère identitaire plutôt que dans une association sans lien avec leur origine nationale. Au-delà de la seule « identité turque », la superposition des ressorts ethniques et des ressorts sociaux pourrait alors permettre de mieux comprendre l’émergence d’un club sportif « turc » dans la société d’installation. En mettant en exergue les causes sociales du regroupement sportif, l’étude entend aussi dépasser l’opposition classique entre socialisation « communautaire » (Vergemeinschaftung) et socialisation « sociétaire » (Vergesellchaftung) (Weber, 1921). Les modalités de l’engagement sportif de minorités nationales ou de nationaux issus de l’immigration dépendent ainsi d’un ensemble de facteurs socio-démographiques, politiques, socio-économiques, culturels et historiques qui, en se combinant, produisent des situations à la fois cohérentes et variées.
et les populations (françaises ou allemandes) « issues de l’immigration turque » (nées dans le pays d’installation). Les désignations impliquent toujours une conception de la réalité sociale. Le qualificatif de populations « issues de l’immigration » a l’inconvénient de désigner des populations autochtones à partir de l’immigration de leurs parents. Reste que l’expérience de ces derniers continue à influencer le destin social de celles et ceux qui sont nés et installés en France ou en Allemagne – Voir à ce sujet Schnapper D. 2007. Qu’est ce que l’intégration ? Paris : Gallimard. 6/ M. Weber employait le terme « ethnique » avec des guillemets pour souligner les ambiguïtés de celui-ci.
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regrouper dans le football amateur. Cette population a été choisie car, dans les deux régions étudiées, les originaires de Turquie constituent la première communauté nationale issue de l’immigration.
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MÉTHODE D’ENQUÊTE
La stratégie adoptée pour analyser la construction du « sport communautaire turc » s’articule autour de deux volets 7 :
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– Un recensement des clubs de football implantés en Alsace et dans le BadeWurtemberg faisant référence à la Turquie. En France comme en Allemagne, la présence turque dans les clubs de football se décline de la manière suivante : d’un côté, une grande majorité des immigrés turcs pratique dans des associations sportives au nom faisant référence à la Turquie ; d’un autre, une minorité d’entre eux, d’un très bon niveau sportif, s’oriente plutôt vers des clubs « mixtes ». Enfin, les jeunes garçons dont les parents sont durablement installés en France pratiquent généralement d’abord dans les clubs « mixtes » avant de se diriger à l’âge adulte vers des clubs turcs. En Allemagne, seuls les clubs au nom turc regroupent en nombre important des adhérents originaires de Turquie (de 50 à 100 % des membres) 8. Le recensement des clubs turcs d’Allemagne a été effectué en avril 2007 à partir de l’examen des fichiers des 2600 clubs de football des Ligues de Bade, Bade du Sud et Wurtemberg. A contrario, il existe en France non seulement des clubs repérés comme « turcs » (par exemple, Fatih Sport, Football Club Anatolie, Istanbul Club, Union Sportive des Turcs...) mais aussi des clubs au nom totalement « neutre » mais composés majoritairement d’immigrés turcs. Dès lors, pour attester du fait étudié, nous avons procédé à un croisement de plusieurs indicateurs : le nom du club, les noms des membres du comité directeur et les noms des pratiquants. Du côté alsacien, le dénombrement des clubs « turcs » a ainsi été réalisé en mars 2007 grâce à l’analyse du « Fichier clubs » 9 de la Ligue d’Alsace de Football Association qui contient les noms des membres de tous les comités directeurs des 631 clubs de football. Même si nous ne pouvons pas déterminer la nationalité des dirigeants sportifs (sont-ils « naturalisés » français ou allemands, ont-ils gardé leur nationalité, voire ont-ils la double nationalité ?), nous pouvons tout de même repérer l’origine nationale à partir du nom en sachant que, dans le cas du football, il s’agit essentiellement d’hommes (qui, à la différence des femmes mariées, conservent leur nom patronymique). – Une étude qualitative à caractère exploratoire de deux clubs de football « turcs », l’un en Alsace (l’Union Sportive des Turcs de Bischwiller) et l’autre dans le Bade-Wurtemberg (le Türk Gencler Birligi de Lahr). Ces clubs ont été choisis en fonction de trois critères : la référence à la Turquie dans l’acte constitutif et dans le mode de fonctionnement du club 10, l’implantation dans une ville comprenant une forte proportion d’originaires de Turquie 11 et la forte présence de ces personnes dans le club de football local. Pour chaque association, nous avons interviewé 8 membres (président, entraîneur et pratiquants), soit 16 personnes au total.
7/ Cet article s’appuie sur les travaux personnels des auteurs ainsi que sur les résultats de deux enquêtes comparatives traitant de la participation sportive associative des immigrés turcs en Alsace-Moselle et dans le Bade-Wurtemberg : Recherche « Sport, migration et intégration » W. Gasparini (dir.) (avec la collaboration de R. Didierjean et P. Weiss), dans le cadre du programme COMENIUS 2.1, 2004-2008, « Développement de la compétence interculturelle par le sport dans le contexte de l’élargissement de l’Union Européenne », soutenu par la Commission européenne, 2006 ; P. Weiss, Enquête en cours sur les clubs de football à caractère « communautaire » dans les trois pays du bassin rhénan (Suisse, Allemagne et France) dans le cadre d’une bourse d’étude attribuée par la FIFA, 2007. 8/ Il est à signaler qu’en Allemagne, les clubs sportifs « ethniques » s’inscrivent dans une tradition de reconnaissance des minorités nationales et religieuses (Blecking, 2001). 9/ Les fichiers-clubs des Ligues sportives régionales comprennent les noms des membres licenciés (pratiquants et dirigeants bénévoles) dans un sport donné, ainsi que les fonctions et coordonnées des principaux bénévoles membres du comité directeur. 10/ Dans les deux clubs, les membres du comité directeur et les footballeurs sont majoritairement (à plus de 80 %) issus de l’immigration turque. 11/ À Bischwiller, les immigrés turcs représentent 13 % de la population totale de la ville (INSEE Alsace, 2006). À Lahr, 33 % de la population étrangère est d’origine turque, ce qui représente la première « communauté » immigrée de la ville (Statistisches Landesamt Baden-Württemberg, 2004). SOCIÉTÉS CONTEMPORAINES No 69
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DES POLITIQUES PUBLIQUES NATIONALES
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Si l’on prend pour indicateur de l’inclusion des immigrés en France et en Allemagne respectivement le rôle du sport amateur, on observe d’abord une différence entre « l’intégration » au pays d’accueil par la participation associative « républicaine » et « l’insertion » qui, tout en contribuant à la participation aux activités économiques du pays d’installation, préserverait l’identité culturelle d’origine dans le cadre d’activités associatives relevant du domaine privé. La lecture des programmes de politique sportive à destination des populations exclues ou « minoritaires » tant en France qu’en Allemagne indique que les réponses sportives en faveur de « l’intégration » des immigrés turcs sont fortement liées aux traditions et singularités nationales.
Les réponses sportives en faveur de « l’intégration » des immigrés turcs sont fortement liées aux traditions et singularités nationales.
■ INSÉRER LES IMMIGRÉS PAR LE SPORT
Longtemps la société allemande a vécu avec l’idée que les Gastarbeiter (travailleurs invités) d’origine étrangère n’étaient là que de passage (De Tapia, 2005). Ceci a justifié le développement d’une politique soutenant les actions collectives des minorités ethniques au détriment d’une réelle réflexion sur l’intégration desdits « migrants » dans la société 12. En matière de sport, on observe la mise en place de politiques de soutien aux associations sportives « ethniques », des dispositifs de lutte contre le racisme dans les stades de football et de politiques de gestion communautaire organisant notamment l’éducation multiculturelle ou le développement de compétences interculturelles chez les enseignants et les éducateurs sportifs. Les regroupements ethniques sont banalisés dans le cadre associatif, en particulier dans les clubs de football puisque, selon la conception allemande, le club sportif « ethnique » est considéré comme une première étape vers l’intégration nationale. Néanmoins, le développement de la xénophobie dans les stades de football au cours des années quatre-vingt dix et les exclusions d’immigrés de nombreux clubs sportifs (Sen, 2006) ont incité les autorités à réagir. C’est ainsi que « l’intégration des immigrés par le sport » devient un programme spécifique du Deutscher Sportbund (DSB) 13. À l’occasion de l’ouverture de la conférence « Intégration par le 12/ Depuis les années 70, la majorité des Länder ont ainsi tenté d’éduquer séparément une partie des enfants issus des minorités ethniques Par exemple, dans la perspective du retour, de nombreuses écoles allemandes proposent un enseignement en « langue maternelle » pour les enfants des migrants turcs. 13/ Fédération allemande des sports.
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■ INTÉGRATION OU INSERTION : LE POIDS
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sport » qui a eu lieu les 22 et 23 janvier 2007 à Stuttgart 14, Wolfgang Schäuble, ministre fédéral de l’Intérieur, a déclaré : « le sport remplit des tâches politiques et sociales importantes, y compris en intégrant les immigrés dans la société ». Lors de l’élaboration du plan d’intégration nationale mis en place par la Chancelière Angela Merkel, le sport occupe une place de premier plan. Pour Maria Böhmer, ministre fédérale déléguée à la migration, aux réfugiés et à l’intégration, le sport organisé allemand constitue « une chance énorme en termes d’insertion des immigrés » 15. Aussi, entend-elle encourager les clubs sportifs à accueillir davantage d’immigrés. Dès 2006, profitant de l’organisation de la Coupe du monde de football, le gouvernement allemand et la Fédération allemande de football (DFB) ont lancé conjointement une initiative visant à insérer les enfants issus de l’immigration par le football, notamment les filles turques ou d’origine turque. Selon Theo Zwanziger, président de la DFB, « si la religion n’est apparemment plus suffisante pour rapprocher les cultures, on peut y parvenir avec le football » 16. À un niveau plus local, pour le président du District d’Offenbourg de Football (Bade-Wurtemberg), « le sport est un vecteur d’insertion très important pour les populations d’origine étrangère ». Il rajoute : « Je trouve ça plutôt bien que des joueurs turcs participent au football organisé, que se soit dans des clubs allemands ou des clubs ethniques (...). Si je faisais une différence entre les deux, l’intégration par le sport ne voudrait plus rien dire 17. » Pour la fédération sportive allemande, le sport peut soutenir le dialogue entre le migrant et le reste de la population. C’est dans ce sens qu’elle défend l’engagement des associations de migrants turcs dans l’éducation des jeunes et la promotion de rencontres « interculturelles ». Par exemple, le projet « Strassenfussball für Toleranz » (« Football de rue pour la tolérance ») consiste à lutter contre l’exclusion des minorités ethniques dans le sport en proposant des tournois de football entre équipes composées de jeunes garçons et de jeunes filles de cultures différentes. ■ LE RISQUE DU « COMMUNAUTARISME SPORTIF » ?
En France, ces formes de politiques publiques sont absentes en tant que telles. On ne parle pas de « minorités ethniques » car les principes de la République française reconnaissent les individus et 14/ Capitale du Land Bade-Wurtemberg, cette ville très cosmopolite réunit des personnes venant de plus de 170 nations, dont 40 % sont des immigrés ou issus de l’immigration. Ministère fédéral de l’Intérieur, 2007. 15/ Déclaration du 29 janvier 2007. 16/ Déclaration du 3 mars 2006. 17/ Extrait d’entretien, 11 mai 2007. SOCIÉTÉS CONTEMPORAINES No 69
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18/ À l’exception de l’Alsace-Moselle, sous régime concordataire, où les communautés religieuses (catholique, protestante et israélite) sont reconnues en tant que telles. 19/ Par exemple, la convention de partenariat entre la Fédération Française de Football (FFF) et plusieurs entreprises signée le 15 novembre 2006 a pour objectif de promouvoir un dispositif de prise en compte du football dans les quartiers dits « sensibles » en développant l’égalité des chances et la lutte contre les discriminations par l’intégration professionnelle des publics sans emploi. Ce dispositif ne s’adresse pas à des jeunes issus de l’immigration mais à des jeunes en situation d’inactivité professionnelle. 20/ Il est à signaler que son constat se fonde non pas sur une enquête de terrain mais sur quelques cas qui lui ont été rapportés. Cet excès anti-communautaire dans le sport pourrait à terme avoir l’effet pervers d’agir comme une « prophétie créatrice », selon les termes de R. K. Merton : à trop projeter une lecture communautaire des phénomènes collectifs, celle-ci risque en effet d’être adoptée par les acteurs sociaux. 21/ Extrait d’entretien, 20 février 2005.
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non les communautés 18. Dans le sport, cette politique s’est traduite par une disparition progressive des clubs sportifs à base ethnique ou nationale (portugaise, algérienne, marocaine, tunisienne. ..) au profit du « brassage culturel » et du « creuset français ». Et si des clubs portent encore le nom du pays d’origine, ceux-ci regroupent généralement des sportifs de toutes origines culturelles confondues (Gastaut, 2003). En France, les dispositifs publics d’intégration par le sport s’adressent à des quartiers, des territoires ou des populations « à problèmes » et non à des groupes ou des minorités ethniques. Ainsi, les immigrés turcs ne bénéficient pas d’un soutien spécifique des pouvoirs publics parce qu’ils sont immigrés mais, éventuellement, parce qu’ils connaissent des difficultés sociales. Si la question de « l’intégration par le sport » est une thématique centrale des différentes politiques et actions mises en œuvre par le Ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative (MJSVA) ainsi que le Comité National Olympique et Sportif Français (CNOSF), l’intégration des immigrés (ou jeunes issus de l’immigration) par le sport ne fait pas l’objet d’une politique particulière 19. En 2003, le ministre des Sports, J.-F. Lamour, s’inquiète pourtant du nombre croissant de revendications qu’il qualifie de « communautaires » au sein des clubs affiliés à des fédérations délégataires d’une mission de service public 20. Ainsi, à l’occasion de la réflexion nationale sur la laïcité, il déclare devant la commission Stasi (Sénat, 28 octobre 2003) : « Le développement de ces clubs communautaires s’accompagne – fait nouveau – d’une logique de repli ». Lors du lancement officiel de l’« Année européenne de l’éducation par le sport », le 16 février 2004, il rappelle encore le danger du « communautarisme » dans le sport : « Pour que le sport reste un facteur d’intégration, de brassage social et culturel, nous devons, ensemble, rester vigilants face aux pratiques qui portent atteinte au pacte républicain, comme le développement de clubs communautaires. » Enfin, à un niveau plus local, pour le président de la Ligue d’Alsace de Football Association, « le football peut permettre à la communauté turque comme aux autres de s’exprimer ». Et de rajouter : « je m’oppose formellement à la création de clubs communautaires car cela revient à entrer dans une logique de ghetto, aux antipodes des valeurs véhiculées par le sport en général » 21.
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Ces exemples montrent assez clairement la singularité des référents nationaux. Les déclarations contradictoires faites par les responsables sportifs de part et d’autre du Rhin semblent aussi s’expliquer par la plus ou moins grande « politisation des identités » (Kastoryano, 1996).
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Or, malgré le traitement politique différencié, le constat du développement de regroupements sportifs pour de nombreux immigrés turcs tant en France qu’en Allemagne tendrait plutôt à rapprocher les deux pays, et notamment les deux espaces régionaux étudiés. En Alsace comme dans le Bade-Wurtemberg, on observe en effet une séparation et une juxtaposition des pratiques sociales entre les Turcs et le reste de la population ; le football illustrant parfaitement ce modèle endogène. Mais on observe aussi qu’à la différence des associations culturelles, cultuelles ou politiques, les associations sportives turques installées en France et en Allemagne apparaissent moins marquées par les divisions qui s’organisent habituellement sur une base identitaire d’ordre ethnique et religieuse (Turcs, Kurdes, orthodoxes, Alevis, Assyro-Chaldéens) ou idéologique et politique (extrême gauche turque, kémalistes, islam officiel, Diyanet, Milli Görüs, confréries) (Akgönül, 2005). Les clubs sportifs fréquentés par de jeunes turcs semblent en partie échapper à la normativité communautaire car les échanges avec d’autres clubs et avec la société d’installation sont plus nombreux du fait de la participation à des compétitions sportives « ouvertes ».
■ LE REGROUPEMENT SPORTIF DES IMMIGRÉS TURCS : UNE QUESTION DE SOCIOLOGIE
La littérature spécialisée dans l’étude des pratiques sportives des jeunes issus de l’immigration maghrébine indique que, de manière générale, l’appartenance sociale guide davantage les choix et les goûts sportifs que les origines culturelles et ethniques. Ainsi, d’après Baillet (2003), les garçons sont très nombreux à pratiquer le football et les sports de combat dans des clubs, non pas parce qu’ils sont d’origine maghrébine, mais parce qu’ils sont issus de milieux populaires. Les résultats des enquêtes nationales sur les pratiques sportives des jeunes français nous indiquent qu’ils se comportent finalement comme l’ensemble de la jeunesse française du même milieu social (Muller, 2003). Cependant, s’agissant d’analyser les loisirs des immigrés, les chercheurs associent fréquemment les populations issues des différentes vagues d’immigration sans dégager les spécificités de chacune (Coulangeon, 2007). SOCIÉTÉS CONTEMPORAINES No 69
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Selon Petek-Salom (1998, p. 88), « il s’agit pour les Turcs de travailler en France, d’y faire étudier les enfants, mais d’y vivre en étroite convivialité avec ses compatriotes, dans un décor intérieur qui rappelle la Turquie, en mangeant turc, en s’informant sur la Turquie, en conservant les modalités originelles de sociabilité extérieure grâce à la création de cafés, d’associations et de commerces ». Cependant, à la différence de l’Allemagne, les associations sportives implantées en France sont rarement déclarées comme associations turques. Pourtant, si l’on prend l’exemple du football en Alsace (premier sport régional en terme d’effectifs de pratiquants), parmi les nationaux étrangers immigrés ou les français issus de l’immigration, ce sont les Turcs qui comptent le plus de clubs de football regroupant des footballeurs et des dirigeants issus d’un même pays d’origine. Depuis quelques années, la Ligue d’Alsace de Football Association (LAFA) constate 22/ L’Alsace est la seule région de France où la population turque est, en nombre, plus importante que les autres communautés. 23/ Pour mémoire, le meurtre en 2005, à Colmar, d’une jeune fille turque (souhaitant épouser un non Turc) par son frère avec la complicité de la famille a largement occupé l’espace médiatique local (France 3 Alsace, les Dernières Nouvelles d’Alsace, L’Alsace). De même, la mort d’un joueur de football d’origine turque sur un terrain à Aspach-le-Bas (Haut-Rhin) le 21 juin 2005, à l’issue d’une rixe, a été d’emblée présentée par le quotidien Les Dernières Nouvelles d’Alsace comme le résultat d’un affrontement entre les « communautés » turque et maghrébine.
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Les études sur l’immigration montrent pourtant qu’à niveau social équivalent, les originaires de Turquie n’ont généralement pas les mêmes comportements en matière de loisir que les français issus de l’immigration maghrébine et n’affirment pas leur identité de façon strictement identique en France et en Allemagne (Tribalat, 1996 ; Kastoryano, 1998 ; Heckmann, Schnapper, 2003 ; Schnapper, 2007). Concernant les jeunes issus de l’immigration turque, hormis la monographie berlinoise réalisée par G. Gebauer et B. Bröskamp (1992) et quelques travaux récents sur les sociabilités sportives des français originaires de Turquie (Gasparini, 2006, 2007 ; Talleu, Weiss, 2007), il n’existe pas à l’heure actuelle d’analyses sociologiques approfondies tant sur leur pratique que sur leur sociabilité sportives. Pourtant, le groupe qu’il convient d’appeler les « Turcs d’Europe » représente la catégorie nationale la plus importante dans l’immigration en provenance de pays tiers : le quart de la population non communautaire qui vit dans l’Union Européenne est originaire de Turquie (Manço, 2004). Alors que l’Allemagne en accueille à elle seule les deux tiers, en France, les Turcs représentent seulement 4 % des étrangers. En Alsace, région frontalière avec l’Allemagne, ils constituent néanmoins la première communauté étrangère (INSEE, 1999 ; ORIV, 2006) 22. Sur le plan symbolique, l’image des Turcs qui se dessine souvent dans l’opinion publique renvoie à certains stéréotypes, à l’occasion relayés par les médias locaux 23.
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une augmentation des demandes émanant d’associations culturelles ou cultuelles turques (jusqu’alors sans vocation sportive) afin de créer de nouveaux clubs turcs ou de nouvelles sections pour jouer dans le championnat d’Alsace de football. Selon le directeur général de la LAFA, « de plus en plus de joueurs d’origine turque choisissent de quitter leur club pour aller jouer dans un club communautaire » 24. Le club sportif semble ainsi jouer un rôle d’intégration communicative (Callède, 1985) pour des sportifs ayant la même origine ethnique ou nationale 25.
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Mais le regroupement par origine nationale s’explique aussi par la structure sociale relativement homogène de la « communauté » turque, et notamment son recrutement majoritairement populaire (et rural pour la dernière vague d’immigration). À l’instar des fractions populaires françaises et allemandes, les originaires de Turquie sont victimes des mécanismes de ségrégation spatiale et territoriale qui concentrent les populations issues de l’immigration dans certains lieux et types de logement, favorisant par la même occasion le mode de regroupement par origine ethnique. Selon les chiffres de l’INSEE Alsace, en 1999, 73 % de la population active d’origine turque était ouvrière, avec une majorité d’ouvriers non qualifiés 26. Dans la région du Bade-Wurtemberg, 75 % de la population originaire de Turquie appartient aussi à cette catégorie socioprofessionnelle 27. Or, le football est l’un des éléments de la sociabilité ouvrière (Lamoureux, 1987 ; Verret, 1988 ; Faure et Suaud, 1994 ; Pociello, 1995 ; Mignon, 1998) et de la culture masculine (Elias, 1994). Il n’est donc pas surprenant que sa pratique soit plébiscitée par les immigrés turcs. Le club sportif constitue alors l’un des espaces de sociabilité dans lequel peut se déployer le « capital social » considéré comme « une forme spécifique de solidarité qui permet aux classes populaires de s’entraider » 28. Ainsi, à l’instar des autres lieux de sociabilité de l’immigration populaire turque (cafés, associations cultuelles et culturelles), le club de football fonctionne majoritairement sur une base ethnique. À l’inverse, appartenant globalement aux classes moyennes (voire supérieures), les 25 % de la population turque 24/ Extrait d’entretien, Ligue d’Alsace de Football Association, mars 2005. 25/ À la différence de l’intégration normative qui prend en compte la conformité de la conduite aux normes de l’institution, l’intégration communicative concerne davantage les échanges de signification au sein du groupe, qui permettent de préciser son degré de cohésion et de solidarité. Voir Callède J.-P. 1985. La sociabilité sportive : intégration sociale et expression identitaire. Ethnologie française, 15 (4), p. 327-344. 26/ INSEE Alsace, recensement de la population de 1999. 27/ Source : Statistisches Landesamt Baden-Württemberg, 2004. Selon ces mêmes sources, 35 % de la population allemande du Land appartient à cette catégorie socioprofessionnelle. 28/ Hannerz U. 1969. Soulside : Inquiries into ghetto, culture and community. New York : Columbia ; voir aussi Bourdieu P. 1980. Le capital social : notes provisoires. Actes de la recherche en sciences sociales, no 3, p. 2-3. SOCIÉTÉS CONTEMPORAINES No 69
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On passerait d’un entre soi à caractère ethnique à un entre soi à caractère social. Au-delà de la seule origine turque, les conditions sociales d’existence et l’implantation rurale ou urbaine ont sans doute un poids non négligeable dans le choix éventuel du regroupement sportif associatif à base ethnique.
On passerait d’un entre soi à caractère ethnique à un entre soi à caractère social.
■ DES CLUBS DE FOOTBALL « TURCS » DANS LE BASSIN RHÉNAN
En Alsace, sur un total de 631 clubs de football, on recense 21 associations dont le nom fait explicitement référence à un pays d’origine (soit environ 3,3 %) 31. Ces clubs regroupent des footballeurs et des dirigeants (nationaux, étrangers ou binationaux) appartenant aux différentes vagues d’immigration successives qu’a connues la France au cours du XXe siècle, notamment italienne, espagnole, portugaise, africaine, maghrébine et turque. Parmi eux, on dénombre trois clubs dont le nom fait explicitement référence à la Turquie : le Football Club Anatolie de Mulhouse (ville du Haut-Rhin de 110 000 habitants), le Fatih Sport de Haguenau (ville du nord du Bas-Rhin de 32 000 habitants située à proximité de la frontière allemande) et l’Union Sportive des Turcs de Bischwiller (ville du nord du Bas-Rhin de 12 000 habitants non loin de la frontière allemande). Néanmoins, l’analyse approfondie du fichier des effectifs licenciés de la Ligue d’Alsace de Football nous permet de repérer quatre autres 29/ L’intellingentsia turque est surtout présente à Strasbourg. Provenant des capitales politiques et économiques, elle se nourrit notamment des liens tissés dès les années trente avec l’université strasbourgeoise et du fait que la Turquie est membre fondateur du Conseil de l’Europe. Les enfants de ces groupes sociaux fréquentent généralement les clubs strasbourgeois de tennis, d’équitation, de basket, de gymnastique ou de danse pour les filles (Gasparini, 2007). 30/ Concernant les pratiques sociales de la grande bourgeoisie turque en situation de migration, cf. Behar D. 2006. Les voies internationales de la reproduction sociale. Trajectoires migratoires en grande bourgeoisie turque. Revue Européenne des Migrations Internationales, volume 22, no 3, p. 39-78. 31/ Données issues de l’analyse du fichier des clubs de la Ligue d’Alsace de Football Association (LAFA), 2007.
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restants s’engagent plutôt dans des clubs « non communautaires », notamment dans les grandes villes. À titre d’exemple, l’élite turque strasbourgeoise (fonctionnaires du Conseil de l’Europe, patrons, universitaires, gros commerçants...) fréquente généralement les mêmes clubs sportifs que l’élite économique de la ville (Gasparini, 2007) 29. Dans une logique de distinction sociale, les élites turques semblent préférer pratiquer des activités sportives et de loisirs dans des associations où ils sont en mesure de faire valoir leurs critères individuels (trajectoire, signes de richesse...) en lieu et pour place de leur appartenance collective 30.
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clubs majoritairement fréquentés par des joueurs et dirigeants issus de l’immigration turque : l’Olympique Strasbourg (ville du Bas-Rhin de 265 000 habitants), l’Union Sportive de Colmar (ville du HautRhin de 65 000 habitants), l’Association Sportive de Benfeld (ville du Bas-Rhin de 7 000 habitants) et l’Union Sportive de Wittenheim (ville du Haut-Rhin de 15 000 habitants située en banlieue de Mulhouse). D’autres clubs accueillent des footballeurs originaires de Turquie dans une moindre proportion, mais tout de même relativement élevée pour être signalée (environ 20 % des membres). C’est le cas du Sporting Club de Sélestat (17 000 habitants), du Cercle Sportif de Sainte-Croix-aux-Mines (2 000 habitants), du Cercle Sportif du Neuhof (quartier strasbourgeois d’environ 19 658 habitants), du Football Club d’Obernai (11 700 habitants) et du Football Club de Barr (7 600 habitants). Dans toutes ces villes principalement basrhinoises (hormis Sainte-Croix-aux-Mines), on observe par ailleurs une forte présence d’immigrés turcs 32. Ainsi, pour un total de 31 clubs de football en Alsace regroupant des populations issues de l’immigration, on compte sept associations majoritairement fréquentées par des « originaires » de Turquie (soit environ 22,6 %). Pour l’essentiel, ces clubs sont implantés dans des zones rurales. Il est à signaler qu’en Alsace, seulement 40 % des Turcs vivent dans les trois plus grandes villes d’Alsace, la population restante s’étant installée dans les petites ou les villes moyennes. Les raisons de cette implantation sont à articuler aux besoins économiques, mais aussi aux opportunités en terme de logement (ORIV, 2006). Déjà majoritairement populaires, les espaces ruraux à proximité de l’agglomération strasbourgeoise sont le territoire d’accueil privilégié par les catégories modestes constituées d’ouvriers et d’employés, parfois précarisées et chassées par le boom immobilier de la métropole 33. Dans le Bade-Wurtemberg 34, on constate un fort investissement des populations immigrées dans les clubs de football. En effet, outre 32/ Il faut signaler qu’en 1999, la population turque se répartit à 63 % dans le Bas-Rhin et 37 % dans le Haut-Rhin (INSEE Alsace). Dans ces communes, la part des Turcs est relativement élevée car l’activité industrielle y est fortement représentée et a attiré de la main d’œuvre. Si l’on prend l’exemple de la zone d’emploi de Strasbourg, on constate que parmi la population immigrée active, 13 % sont nés en Turquie (INSEE Alsace, 1999). Ajouter à cela, la proportion non négligeable d’enfants d’immigrés turcs (en partie française), et on peut aisément obtenir le taux de 20 % de footballeurs d’origine turque dans certains clubs locaux. Autrement dit, il semblerait que dans le cas des immigrés turcs, la carte du football-association se calque sur celle du travail immigré. 33/ Ce constat n’est pas spécifique à l’Alsace. En France, les employés et les ouvriers représentent plus de 60 % de la population du secteur rural. C’est la plus forte proportion après celle des zones périurbaines. Les campagnes sont donc aujourd’hui largement populaires du fait notamment de l’augmentation des prix du logement – Voir Guilluy C., Noyé C. 2004. Atlas des nouvelles fractures sociales en France. Paris : Éditions Autrement. 34/ Land situé au sud de l’Allemagne au cœur de la région tri-nationale franco-germano-suisse.
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Rhin, le regroupement sportif des minorités nationales ou ethniques s’inscrit dans une tradition historique 35. Aujourd’hui, on dénombre 400 clubs de football (sur un total d’environ 2 600) dont le nom fait référence à un pays d’origine (soit environ 15,4 %). Ces clubs regroupent des personnes issues de diverses vagues migratoires, entre autres italienne, portugaise, espagnole, yougoslave 36, grecque et turque. À la différence de la France, ce football « entre soi » se rencontre plutôt dans les grandes villes industrielles allemandes, dans lesquelles la main d’œuvre turque a longtemps constitué la principale ressource ouvrière.
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Population
Nombre
Nombre
Nombre
d’associations
de clubs de
de clubs de
sportives
football
football « turcs »
(1)
Nombre
Clubs
de clubs de foot se « turcs »/nombre référant
total de clubs se
à un pays
référant à un pays
d’origine
d’origine (ratio)
Stuttgart
593 000
440
80
13
50
26 %
Mannheim
308 000
310
42
3
8
37,5 %
Karlsruhe
286 000
207
52
2
5
40 %
Fribourg
216 000
164
23
1
6
16,7 %
Strasbourg
264 115
255
28
1
8
12,5 %
Mulhouse
110 140
197
22
1
7
14,3 %
(1) Dans ce tableau, nous avons uniquement pris en compte les associations affiliées aux différentes ligues de football régionales du bassin rhénan.
Dans les différents championnats organisés par les trois ligues de football du Bade-Wurtemberg 37, on dénombre globalement 150 clubs dont le nom fait explicitement référence à la Turquie 38 (soit 37,5 % de l’effectif total des clubs « ethniques »). Dirigées par des migrants turcs et fréquentées par des footballeurs d’origine turque, ces associations existent majoritairement dans les grandes agglomérations de plus de 100 000 habitants (Stuttgart, Mannheim, Karlsruhe, Fribourg, Heidelberg, Heilbronn, Ulm, Pforzheim et Reutlingen) mais aussi dans des zones rurales comme par exemple à Bräunlingen (6 225 habitants), Möglingen (10 450 habitants) ou encore Müllheim (18 000 habitants). 35/ Il existait déjà, avant le Troisième Reich, des associations sportives danoises, alsaciennes, juives ou polonaises en Allemagne (Blecking, 2001). À partir de 1871, l'empire allemand rassemblait une multitude de minorités ethniques et nationales : des polonais, des lituaniens, des cachoubes, des mazures, des sorbes, des alsaciens, des lorrains, des wallons et des danois faisaient partie des minorités, en plus des groupes autochtones tels que les juifs allemands et les rom, vulgairement appelés « tsiganes », qui vivaient déjà en Allemagne depuis la fin du Moyen-Âge. 36/ À partir de 1992, l’immigration yougoslave est composée de personnes provenant de plusieurs pays : Bosnie-Herzégovine, Serbie Monténégro, Croatie, Macédoine et Slovénie. 37/ Südbadischer Fussballverband (SBFV), Badischer Fussballverband (BFV) et Württembergischer Fussballverband (WFV). 38/ Cf. site Internet www.sbfv.de ; www.badfv.de ; www.wuerttfv.de.
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TABLEAU 1 Effectifs de clubs « turcs » dans six agglomérations du bassin Rhénan
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À titre de comparaison, si l’on étend l’aire d’étude au pays de Bâle 39, on remarque sensiblement le même phénomène mais avec une implantation de clubs essentiellement urbaine : les huit clubs turcs de la région nord-ouest de la Suisse participant au championnat de football du Nord-Ouest de la Suisse (Nordwestschweiz) sont déclarés à Bâle.
■ EFFETS CROISÉS : CONTEXTE CULTUREL
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L’existence de clubs de football « turcs » ne peut être totalement appréhendée si l’on ne dépasse pas le seul contexte politique des pays d’installation. La prise en compte de facteurs sociologiques et culturels s’avère nécessaire. D’abord, dans le contexte turc, le regroupement communautaire n’est pas en soi un problème. En effet, parce que la société ottomane était une société « à tiroirs », acceptant les diverses communautés religieuses et culturelles tout en les contrôlant, les modèles de société anglo-saxons conviennent mieux à l’idée que se font les Turcs d’une société nationale qui respecte les particularismes (Akgönül, 2005). Le modèle français d’intégration n’a pas pour les Turcs de supériorité évidente par rapport au modèle allemand. En effet, très solidaire et fortement structurée, la communauté immigrée turque s’adapte davantage à un modèle « multiculturaliste » (conforme au modèle ottoman d’intégration des communautés) qu’au creuset républicain, du moins pour les première et deuxième générations. Le lien communautaire est alors fortement revendiqué dans tous les domaines de la vie sociale. C’est pour cette raison que, tant en France qu’en Allemagne, lorsqu’ils sollicitent les pouvoirs publics pour obtenir des subventions ou pour créer des activités culturelles et sportives, les immigrés turcs le font très souvent en tant que « groupe homogène à part ». Or, à l’image de la société allemande ou française, la société turque est très hétérogène sur le plan social, religieux et ethnique. Il semble ainsi difficile d’affirmer l’existence d’une structure communautaire de « la population originaire de Turquie » installée en France ou en Allemagne. Cela reviendrait à affirmer qu’il existe des liens dits « primordiaux » (Geertz, 1963) que les membres partageraient dès leur naissance (liens familiaux ou une même religion, langue, etc.) et qui constitueraient « l’identité turque de base »
39/ Celui-ci se divise en deux cantons : Bâle-Campagne (517,5 kme ; 263 194 habitants ; 17,8 % d’étrangers) et Bâle-Ville (37,1 kme ; 186 871 habitants ; 28,4 % d’étrangers). Office fédéral de la statistique, 2004. SOCIÉTÉS CONTEMPORAINES No 69
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ET PRATIQUES POPULAIRES
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40/ Pour de plus amples détails, voir Rude-Antoine E. 2006. La pluralité du lien de conjugalité. Hommes & Migrations, no 1262, p. 22-30. 41/ Lorcerie F. 2001. L’étranger face au droit et au regard du droit, aspects sociologiques des recherches. In Kahn P. L’étranger et le droit de la famille. Pluralité ethnique, pluralisme juridique. Paris : La documentation française, p. 107. 42/ Comme en témoigne le développement des entreprises artisanales créées par les immigrés turcs (essentiellement dans le bâtiment). Par ailleurs, 25 % des Turcs d’Alsace sont propriétaires de leur logement contre 20 % des maghrébins et ils sont moins logés dans le secteur locatif social (34 % contre 50 %), Enquête FASILD Alsace, 2006. 43/ Voir le numéro spécial « Les Turcs et nous ». 2005. Revue Les Saisons d’Alsace, no 26, p. 38-39.
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(Isaacs, 1975). L’immigration a fait surgir toutes les différences ethniques régionales et linguistiques qui avaient été occultées lors de la formation de l’État-nation turc, avec ses tendances vers une homogénéisation culturelle (Kastoryano, 1998). Même si les modes d’organisation des familles reflètent ces divisions, se dessinent aussi des frontières sociales où les affinités culturelles, linguistiques et religieuses se trouvent renforcées par la mise en place des réseaux associatifs. Ainsi, comme les associations cultuelles, les mosquées ou les cafés turcs, les clubs de football constituent des lieux de sociabilité traduisant un style de vie populaire et entrepreneurial (parmi les dirigeants sportifs de ces clubs, on retrouve de nombreux artisans du bâtiment). Par ailleurs, en Alsace comme dans le Bade-Wurtemberg, la population turque est à 80 % d’origine rurale (ORIV, 2006) et les mariages mixtes sont très rares dans ces milieux ce qui renforce le regroupement par origine ethnique. Selon une étude réalisée en mars 1999 (conjointement au recensement de la population française de la même année), 98 % des couples d’immigrés où la femme est née en Turquie sont formés avec un homme originaire du même pays 40. Ainsi, malgré quelques évolutions, la jeune population turque de France conserve « une régulation traditionnelle assez générale : le maintien des étapes coutumières de la formation du mariage, l’interaction avec le village d’origine pour la sélection du conjoint » 41. Mais, moins que les populations maghrébines, les immigrés turcs s’insèrent davantage dans le tissu économique 42. On observe aussi que l’émigration turque des années 70 est largement originaire de l’Est de l’Anatolie, c’est-à-dire de régions pauvres et aux conditions climatiques défavorables (Rigoni, 2001). En Alsace comme dans le Bade-Wurtemberg, on assiste à un phénomène de recomposition des villages turcs, correspondant à des communautés géographiquement homogènes et solidaires. Ainsi, la population turque d’Alsace provient surtout des contrées pauvres d’Anatolie centrale et orientale, ainsi que de la côte sud-égéenne 43. 59 % des immigrés turcs d’Allemagne ont un emploi dans l’industrie et 41 % occupent un emploi dans les services (Eurostat, 2001). En Alsace, 76 % des immigrés turcs ont un diplôme équivalent ou inférieur au CAP. Cette situation se traduit par un taux de chômage important (plus de 20 % pour
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À l’échelle européenne, on constate alors que l’entre soi sportif des immigrés turcs n’est qu’un élément de style de vie d’une population immigrée d’origine rurale et populaire qui fonctionne sur un mode largement endogène.
les hommes) ainsi qu’un taux d’activité féminine très bas 44 (INSEE Alsace, 1999). À l’échelle européenne, on constate alors que l’entre soi sportif des immigrés turcs n’est qu’un élément de style de vie (Bourdieu, 1979) d’une population immigrée d’origine rurale et populaire qui fonctionne sur un mode largement endogène. Si la mixité des relations amicales entre jeunes allemands et français et jeunes originaires (ou de parents originaires) de Turquie s’est accrue en vingt ans, notamment grâce à l’école, les adolescents et jeunes adultes maintiennent d’autant plus des relations privilégiées avec la « communauté turque » et ses réseaux de sociabilité qu’ils sont issus de milieux populaire et ruraux 45. Les chercheurs allemands avaient d’ailleurs noté que la plupart des jeunes Turcs qui se regroupaient en « bandes » dans les quartiers défavorisés ne fréquentaient, en dehors de l’école, que des amis de la même origine qu’eux, aussi bien dans les groupes auto-organisés que dans les associations (Hanhörster, 2001) 46. En Allemagne, les offres de loisirs des municipalités en direction des jeunes « en difficulté » ont longtemps été différenciées en fonction de l’origine culturelle 47. Alors qu’un quart d’entre elles sont devenues allemandes, les 2,5 millions de personnes issues de l’immigration turque outre-Rhin continuent majoritairement à y vivre selon leurs traditions, excepté les fractions sociales les plus « intégrées » culturellement et économiquement (médecins, universitaires, intellectuels...) (Böcker, Michalowski, Thränhardt, 2004). Malgré les politiques sportives d’intégration et de « brassage culturel », depuis quelques années, les mouvements sportifs observent une volonté accrue de créer de nouveaux clubs « communautaires » et un certain nombre de joueurs d’origine turque choisissent de quitter leur club « français » ou allemand pour s’y investir. En Allemagne et à un degré moindre en France, on observe non seulement un grand nombre d’associations turques mais aussi une recrudescence de clubs de football faisant référence à la Turquie (dirigés par des migrants turcs et fréquentés par des pratiquants d’origine turque). Pour les immigrés turcs, le « sport entre soi » semble ainsi répondre non 44/ Environ une immigrée turque sur cinq occupe un emploi (INSEE Alsace, 1999). 45/ Effectiveness of National Integration Strategies Towards Second Generation Migrants, enquête réalisée en 2000 sous la direction de F. Heckmann, R. Penn et D. Schnapper, en réponse à un appel d’offre de la Commission européenne. L’enquête portait sur 2 226 enfants de migrants âgés de 18 à 25 ans, nés ou arrivés avant l’âge de 6 ans en France, Allemagne ou Grande-Bretagne. Le rapport est consultable sur le site Internet de l’Université de Bamberg, www.efms.uni-bamberg.de. 46/ Il existe en Allemagne des boîtes de nuit et des clubs sportifs réservés uniquement aux Turcs. 47/ Notamment à Berlin : aux filles de migrants turcs étaient surtout proposées des activités tournées vers la maison (couture, ordinateur...), au contraire de celles qui étaient proposées aux filles d’autochtones (par exemple, le sport) (Schwartz, 1992).
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seulement à un fort sentiment identitaire et à un style de vie populaire mais également à des discriminations réelles ou symboliques de la communauté d’accueil. Comme ont pu l’attester d’autres enquêtes 48, la dimension communautaire réside aussi dans la logique perçue derrière les difficultés vécues. La monographie d’un club sportif local invite alors le chercheur à replacer le fait étudié (le regroupement communautaire) non seulement dans son contexte politico-culturel mais aussi dans l’univers symbolique qui lui donne sens.
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L’enquêteur s’adressant à un habitant de la ville de Bischwiller (BasRhin) : « Pardon, pourriez-vous me dire où se trouve le stade de la Niedermatt 49 ? » Réponse : « Ah ! vous voulez dire, le club des Turcs ? ». Premier contact révélateur de la ségrégation de la population turque opérée par certains habitants. Pour comprendre pourquoi émergent des associations sportives regroupant des membres originaires de Turquie, il apparaît nécessaire de reconstituer non seulement l’univers symbolique qui prédispose le regard porté sur les clubs fréquentés par des originaires de Turquie mais aussi le champ sportif à l’échelle locale (Gasparini, 2000). Cristallisées dans le mouvement associatif local, les oppositions entre les groupes en présence se structurent en un champ des associations (Sayad, 1999) pouvant conduire des immigrés à se regrouper dans une double logique de préservation d’une identité et de rapport de force avec les autres clubs « de souche ». L’Union Sportive des Turcs de Bischwiller (France) et le Türk Gencler Birligi de Lahr (Allemagne) constituent à ce titre des exemples particulièrement éclairants d’un même double effet de solidarité tant sociale que culturelle et de rapport des « engroupes » locaux aux « hors-groupes » immigrés turcs (Merton, 1949). Ancienne cité industrielle de l’Alsace du Nord comptant 12 000 habitants 50, Bischwiller est la ville du Bas-Rhin qui compte le plus de ressortissants turcs (13,3 % de la population totale) 51. Pour cette raison, la ville est surnommée péjorativement par certains alsaciens « Turcwiller » ou « Bischtanbul ». Après une première vague 48/ Voir notamment Brouard S., Tiberj V. 2005. Français comme les autres ? Enquête sur les citoyens d’origine maghrébine, africaine et turque. Paris : Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, chapitre 7, paragraphe « Minorité et communautarisme, danger ou fantasme ?, p. 130-134. 49/ Situé à l’extérieur de la ville de Bischwiller, à proximité de sa zone industrielle, le stade de la Niedermatt est le terrain de football (en mauvais état et sous-équipé) attribué par la municipalité à l’Union Sportive des Turcs de Bischwiller. 50/ Bischwiller se situe à quelques kilomètres de l’Allemagne et à moins d’une demi-heure de Strasbourg dans le département du Bas-Rhin. 51/ Observatoire Régional de l’Intégration et de la Ville. 2006. Etrangers et immigrés en Alsace. Guide pour comprendre et agir. Strasbourg.
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■ LE « CLUB DES TURCS »
LE FOOTBALL COMMUNAUTAIRE
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d’immigration d’origine plutôt urbaine au début des années 70 (en provenance d’Istanbul et d’Ankara) 52, Bischwiller a connu à partir des années 80, une arrivée de populations plus rurales et un mécanisme de souche (installation définitive), conséquence du regroupement familial mais aussi d’alliances réalisées avec un conjoint originaire de la même région, souvent d’un même village. On retrouve sensiblement le même processus dans la ville allemande de Lahr, située à 20 km d’Offenbourg et 40 km de Strasbourg. Parmi ses 43 000 habitants, la ville compte 4 000 personnes d’origine étrangère dont 33 % originaires de Turquie 53. Arrivée dès les années 60, la population immigrée turque travaille principalement dans les secteurs de la mécanique, du bâtiment et de l’artisanat. Comme à Bischwiller, la population originaire de Turquie est relativement jeune (36 % ont moins de 17 ans et 37 % ont entre 18 et 40 ans) du fait notamment d’un retour important des retraités en Turquie.
L’UNION SPORTIVE DES TURCS DE BISCHWILLER (FRANCE)
– créé en 1975 par les premiers immigrés turcs – 85 licenciés dont 64 « originaires » de Turquie, soit 74 % de l’effectif total – 18 dirigeants dont 15 d’origine turque, soit 83 % – 3 équipes (Seniors A et B composées uniquement d’originaires de Turquie, 18 ans masculin) – niveau de « l’équipe première » : Promotion Départementale – socio-démographie des joueurs et dirigeants : ouvriers du bâtiment, artisans, travailleurs sociaux, lycéens dans des formations techniques, ouvriers en métallurgie. LE TÜRK GENCLER BIRLIGI DE LAHR (ALLEMAGNE)
– créé en 1981 – 110 licenciés dont 102 originaires de Turquie (soit 93 % de l’effectif total) – parmi les 102 originaires de Turquie, 82 sont de nationalité turque (74 % de l’effectif) – 2 équipes (Seniors A et B) – niveau de « l’équipe première » : Kreisliga A (secteur d’Offenbourg) depuis la nouvelle saison 2007 (avant, le club évoluait en Kreisliga B) – socio-démographie des joueurs et dirigeants : ouvriers et artisans du bâtiment, petits commerçants, chauffeurs routier, ouvriers en mécanique automobile.
52/ Répondant à un besoin de main d’œuvre plus qualifiée dans les industries locales. 53/ Chiffres du Statistisches Landesamt Baden-Württemberg, 2004. SOCIÉTÉS CONTEMPORAINES No 69
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Si ces populations se tournaient vers un club « communautaire », c’est aussi parce que les autres clubs et équipes sportives locales les tenaient à distance.
54/ Les six clubs de la ville de Lahr sont les suivants : Polizei SV Lahr, Post SV Lahr, SPVGG Lahr, TGB Lahr, FC Lahr-West et Lahrer FV. 55/ Dirigeants bénévoles pour la première génération d’immigrés et pratiquants - plus jeunes - pour la deuxième génération.
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La pratique d’un « sport entre soi » à L’Union Sportive des Turcs de Bischwiller (USTB) et au Türk Gencler Birligi de Lahr (TGBL) a longtemps été considérée (tant par les municipalités que par les ligues régionales de football) comme une première étape vers l’intégration locale. En effet, à leur naissance (1975 et 1981), ces clubs ont d’abord servi à accueillir les Turcs passionnés de football qui avaient passé l’âge de la scolarité et ne parlaient pas le français ou l’allemand. Excepté l’entreprise ou l’usine qui comptaient de nombreux travailleurs turcs, le club de football était l’une des seules institutions d’intégration pour ces immigrés adultes. Mais, si ces populations se tournaient vers un club « communautaire », c’est aussi parce que les autres clubs et équipes sportives locales les tenaient à distance. Ainsi, sur les trois clubs de football de Bischwiller et les six clubs de Lahr 54, seuls l’USTB et le TGBL comptent des footballeurs et dirigeants adultes (ou jeunes adultes) issus de la communauté turque de la ville. La plupart des membres 55 proviennent des mêmes villages d’Anatolie centrale et du nord-ouest de la Turquie, ainsi que de la Mer Noire. On remarque ainsi que très peu d’immigrés turcs ont joué dans le club « historique » de Bischwiller (le Football Club de Bischwiller – FCB -). Ancien dirigeant de l’USTB à la retraite, Necati nous explique qu’en 40 ans, seuls quatre Turcs ont été licenciés dans ce club « parce qu’ils avaient un bon niveau ». Selon Ahmet (Président de l’USTB), « l’intégration par le sport, quand on est bon, ça marche ! ». Pour un autre bénévole, « les débuts du club ont été difficiles (...). On n’avait pas droit aux subventions de la ville, ce sont les membres de notre communauté, les artisans, les entrepreneurs qui nous aidaient (...). On avait pas de club house, les gens se changeaient dans les voitures ». Né à Kayseri (Turquie), un ancien joueur du club actuellement dirigeant bénévole est arrivé en France en 1973 avec sa famille, après avoir transité par l’Allemagne. Il exerce le métier de charpentier dans une entreprise familiale « turque » et prend volontiers comme référence le modèle des clubs de football turcs d’Allemagne. Par le football, il souhaite « montrer une autre image des turcs pour être mieux accueilli ». Né en France, un joueur âgé de 27 ans est actuellement ouvrier dans une usine métallurgique. Selon lui « l’origine, ça joue énormément, je veux dire, un turc, il a plus de chance de venir chez nous..., dans l’autre club des alsaciens, au FCB, on est pas très bien accueilli ». Un autre joueur français d’origine turque de 26 ans nous avoue : « sur le terrain, quand on joue contre des petits clubs du nord de l’Alsace, je me suis souvent fait traiter de sale turc ! ».
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L’intégration par le sport, quand on est bon, ça marche !
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Du côté allemand, Erol (30 ans), né à Haslach (Allemagne) et de nationalité turque, joue au Türk Gencler Birligi de Lahr depuis plus de 12 ans. Scolarisé en Allemagne et actuellement chauffeur routier dans une entreprise de transport, il fait partie de la deuxième génération d’immigrés turcs. Son père (également chauffeur routier) est arrivé en 1970 et était considéré comme un travailleur « invité » en Allemagne. De nationalité turque, sa femme est originaire du village familial à proximité d’Istanbul. Il avoue être « fier » de pouvoir jouer dans ce club : « Quand j’étais petit et que je venais voir les matchs avec mon frère, je me disais : “vivement que j’aie 18 ans, je veux jouer dans cette équipe”. C’est un rêve pour moi de jouer ici dans cette équipe ! Il y a beaucoup d’associations allemandes, mais dans le club turc, le football, c’est autre chose. De nombreux joueurs qui étaient ici et qui sont partis, finissent par revenir, parce qu’ils ne retrouvent pas la même ambiance dans les clubs allemands (...). Ici,. .. on est comme des frères quand on est ensemble, non pas comme des amis, mais comme des frères. Et ça, tu ne le retrouves pas dans les équipes allemandes... peut être avec une ou deux personnes, mais pas plus ». Inséré dans un réseau d’associations turques (culturelles et cultuelles), il développe aussi de nombreuses activités de sociabilité à travers son engagement sportif (avec ses amis et ses coéquipiers, il suit les matchs du championnat turc à la télévision du club house de l’association). Il estime que son équipe est victime d’une certaine discrimination : « Des fois, des arbitres viennent ici avec des préjugés. Je pense qu’ils sifflent tout contre nous parce qu’on est une équipe turque. Pendant un match où il y avait quelques problèmes, un arbitre nous a même dit que si on n’était pas content, on avait qu’à créer notre propre championnat (...). » Un autre joueur (Hamdi) raconte : « Par exemple, si je suis sanctionné par un carton rouge, j’aurai une suspension plus longue qu’un joueur allemand. Quand j’étais suspendu six mois, je n’avais que tapé sur la main de l’arbitre, et le même jour, il y avait un match de foot à Lahr au cours duquel un joueur a frappé l’arbitre... j’ai pris six mois de suspension, alors que l’autre a pris quatre semaines. Chez nous, il y a beaucoup de joueurs qui sont suspendus... sur le terrain, la fierté est aussi plus grande ! ». Gökhan, entraîneur du club, explique que c’est la réussite sportive de son club qui donnera une « bonne image des Turcs ». Mécanicien automobile, il est né en Allemagne mais a conservé sa nationalité turque et ses attaches avec la communauté turque : « il faut que les Allemands voient que les Turcs sont des personnes correctes car tous prétendent qu’ils sont mauvais » (...). Sur le terrain, des joueurs allemands nous provoquent car ils savent que nous sommes fiers... On se doit de rester calme car nous sommes Turcs et nous vivons en Allemagne ». Dès lors qu’ils commettent une infraction au règlement sportif, les footballeurs semblent aussi déroger à une des règles les plus fondamentales de leur statut d’immigré, à savoir celle de l’irréprochabilité des 92
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■ LA FIGURE DU SPORTIF TURC ET LA FABRICATION DE « L’ESPRIT CLUB »
En France comme en Allemagne, les joueurs et les dirigeants se plaignent d’une certaine forme de discrimination, surtout lorsqu’ils rencontrent des équipes de petits villages. Le regard porté par les joueurs ou les dirigeants des autres clubs semble aussi façonné par des stéréotypes diffusés par les médias français et allemands qui participent au renforcement du sens commun sur le caractère « rude », « physique » et « sournois » des footballeurs turcs 57. À l’occasion du meurtre d’un joueur de football d’origine turque sur un terrain à Aspach-le-Bas (Haut-Rhin) le 21 juin 2005, le quotidien Les Dernières Nouvelles d’Alsace n’a pas hésité à informer d’emblée le lecteur de l’origine turque de la victime et de citer l’affrontement avec un joueur « appartenant à la communauté maghrébine ». En 2006, après l’assassinat (largement médiatisé) d’une jeune femme abattue par son frère parce qu’elle vivait à l’occidentale dans le quartier berlinois de Kreuzberg, on a aussi pu entendre fuser sur les terrains allemands des « Schwesternmörder » (« Tueurs de sœurs »).
Les Allemands nous voient comme des étrangers, mais nous nous voyons comme des Allemands !
56/ Burak est arrivé en Allemagne à l’âge de 4 ans en compagnie de sa mère, pour rejoindre son père. 57/ Lors du Mondial de football de 2002, l’envoyé spécial du journal Le Monde écrit : « Le grand calme des joueurs japonais n’a pas suffi à déstabiliser les Turcs, plus connus pour leur tempérament excessif ». Ou encore : « Les Coréens ont perdu, battus par des Turcs nettement moins brillants qu’eux, mais infiniment plus roublards (...). Les Turcs, malins, les ont laissés venir, pour mieux les poignarder dans le dos ». Extrait d’article paru dans le journal Le Monde, 2 juillet 2002.
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comportements, constituant la contrepartie de l’hospitalité « autochtone ». Les sportifs d’origine turque se voient alors dans l’obligation d’adopter tout un ensemble de « dispositions de soumission » (Sayad, 1999) sur le terrain de football, telles la malléabilité ou encore l’invisibilité. Ex-joueur et entraîneur du TGB Lahr, Burak (37 ans), né en Turquie et de nationalité turque, est le président du club depuis bientôt deux ans. Scolarisé en Allemagne 56, il fait partie de la deuxième génération d’immigrés turcs. Sa femme, de nationalité turque et originaire du village familial situé dans l’extrême nordouest de la Turquie, exerce à mi-temps le métier de femme de ménage. Il témoigne : « pendant les rencontres, nous essayons au maximum d’éviter les choses négatives (...). Tout ce qui se passe sur le terrain avec les spectateurs, les arbitres (...). J’essaye surtout d’aider nos jeunes joueurs et nos supporters à s’habituer à la mentalité allemande. Car notre mentalité, en tant que turc, est beaucoup plus portée sur l’émotionnel (...). Dans certaines situations, nous devons apprendre à rester plus calme. Et il ne faut pas oublier que nous sommes des étrangers installés en Allemagne ».
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Un dirigeant du club allemand de Lahr raconte : « Les politiques nous disent que la discrimination, c’est terminé, mais ce n’est pas vrai quand on a un prénom turc ! (...). Les joueurs adverses et les arbitres nous attendent sur le terrain parce qu’on est Turc ». Un autre joueur constate qu’il est souvent difficile de jouer au football dans certains villages allemands. Selon lui, « les Allemands nous voient comme des étrangers, mais nous nous voyons comme des Allemands ! ». À l’occasion de rencontres de football, les joueurs français ou allemands issus de l’immigration turque redeviennent des « étrangers ». Pour ce joueur du TGB Lahr, « quand les équipes allemandes jouent au football contre nous, c’est comme un sport national pour eux, comme si c’était l’Allemagne contre la Turquie (...). Nous avons alors des problèmes avec les spectateurs en dehors du terrain ». D’une catégorie juridique (celui qui ne possède pas la nationalité du pays d’accueil), la personne d’origine étrangère peut devenir la « figure » de celui qui n’a pas les qualités attendues de l’homo nationalis (Balibar, 2001), qui est différent sur le plan culturel, éthique, religieux. Associée au sentiment identitaire et à l’homogénéité sociale des immigrés turcs, cette discrimination tant sportive qu’ethnique semble aussi avoir contribué au phénomène de regroupement « communautaire » dans le sport. Le sentiment d’exclusion renforce la solidarité interne au groupe et contribue à l’apparition d’un « esprit club » faisant largement référence à la Turquie : affiches d’équipes de football dans les club houses, journaux sportifs, échanges verbaux, soirées au club entre familles et amis d’origine turque... Mais, au-delà du référant ethno-culturel, ce style associatif correspond au style même de la « culture ouvrière » (Verret, 1988) : échelles contrôlables de la camaraderie (petits clubs, petites soirées, petit club house), formalisations légères (fonctionnement « à la bonne franquette ») et hiérarchie minimale. On ne fréquente que ceux dont on est proche affectivement, localement, socialement, linguistiquement et culturellement, ceux avec lesquels il n’est pas besoin de formes (Gasparini, 2000). Les stratégies d’ouverture ou de repli associatif s’incarnent ainsi dans les membres du club (et notamment les dirigeants, plus âgés et anciens joueurs) qui ont un passé marqué par une histoire sociale d’émigré. La ville de Bischwiller est à ce titre exemplaire des rapports souvent difficiles entre club historique local né en 1904 (FCB) et club créé plus récemment (1975) par des immigrés turcs (USTB). Si les dirigeants du FCB ont en commun d’être relativement âgés, d’avoir une certaine ancienneté dans leur association et dans la ville et d’être majoritairement alsacien « de souche », les dirigeants de l’USTB ont en commun d’être plus jeunes (moyenne d’âge de 32 ans), majoritairement turcs ou français d’origine turque et occupant des professions d’ouvrier ou d’entrepreneur dans de petites entreprises artisanales (excepté le président, animateur socio-culturel). Or, malgré leur trajectoire sociale 94
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■ CONCLUSION
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En tant que production discursive socialement légitimée, les sciences sociales contribuent à la formation de nos manières de voir et d’apprécier les faits liés à l’immigration. Dans un contexte où des équipes de France « métissées » (en football, athlétisme, escrime, basket, combat...) représentent la nation française alors que les équipes nationales allemandes ne comprennent (pour l’instant) que des allemands « de souche », la réflexion sur la pratique sportive des immigrés conduit à interroger les notions d’intégration et de « sport communautaire », dans une société diversifiée que certains qualifient de « multiculturelle ». L’analyse des processus de construction d’identités collectives pose la question de la production, des transformations, de la mobilisation de ce que Max Weber (1921) nomme les « coutumes ethniquement importantes ». Parmi elles, on peut distinguer, comme il le fait luimême, celles que « constituent les frontières linguistiques précises (et) les communautés politiques ou religieuses nettement délimitées » et toutes les autres « coutumes » qui s’inscrivent dans la conduite de la vie quotidienne et qui « symbolisent l’appartenance ethnique ». Les clubs sportifs regroupant les originaires de Turquie en sont un exemple, mais leur existence ne se limite pas à l’expression de cette appartenance ethnique, elle est aussi liée au contexte politique de la société d’accueil et aux conditions sociales d’existence. L’analyse comparative franco-allemande fait ainsi apparaître des différences (par exemple, une politique d’insertion des immigrés par le sport et une plus forte densité de clubs turcs en Allemagne) et des similitudes, parmi lesquelles une forte présence de l’immigration turque et l’intensité du tissu associatif dans les deux régions étudiées. Cependant au-delà du seul effet politique, ce sont aussi les origines populaires et rurales des immigrés turcs qui expliquent en grande partie l’entre-soi sportif. En effet, hormis les petits chefs d’entreprise, les élites urbaines turques ne fréquentent que très rarement les clubs de football turcs, privilégiant davantage les clubs de tennis, d’équitation ou de danse « mixtes » mais marqués socialement dans un souci de distinction
58/ Depuis leur naissance, les deux « clubs turcs » n’ont cessé de progresser dans leur championnat départemental respectif, occupant actuellement une position de challenger dans l’espace du football local.
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ascendante et leurs bons résultats sportifs 58, ces derniers n’ont toujours pas acquis une reconnaissance symbolique à la hauteur de leur investissement.
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(Bourdieu, 1979) 59. Se traduisant par le recours à l’associatif « communautaire », l’intensité du sentiment d’appartenance à la communauté turque apparaît ainsi comme un effet de l’inclusion dans des réseaux sociaux spécifiques, de type populaire. Par ailleurs, le sentiment d’exclusion vécu par nombre de travailleurs turcs renforce la solidarité interne au groupe et contribue à l’apparition d’un « esprit club » faisant largement référence à la Turquie. Si les acteurs sociaux (dirigeants et footballeurs d’origine turque) s’organisent sur une base communautaire, c’est bien sous l’effet conjugué d’un « pli identitaire », de conditions sociales d’existence et d’une appropriation des modèles de la société d’accueil dans le cadre d’un processus d’acculturation.
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GASPARINI William WEISS Pierre Équipe d’Accueil en Sciences sociales du sport (EA 1342) Université Marc Bloch, Strasbourg II 14, rue René Descartes 67084 STRASBOURG Cedex William.Gasparini@umb.u-strasbg.fr pierre-weiss@hotmail.fr
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59/ Tiré de nos observations et notre connaissance personnelle de la communauté turque strasbourgeoise, ce constat est en cours de validation à travers une enquête auprès des « élites turques » installées à Strasbourg. SOCIÉTÉS CONTEMPORAINES No 69
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