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L'ESPACE EUROPÉEN DU FOOTBALL Dynamiques institutionnelles et constructions sociales William Gasparini et Jean-François Polo L'Harmattan | Politique européenne 2012/1 - n° 36 pages 9 à 21

ISSN 1623-6297

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-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Gasparini William et Polo Jean-François,« L'espace européen du football » Dynamiques institutionnelles et constructions sociales, Politique européenne, 2012/1 n° 36, p. 9-21. DOI : 10.3917/poeu.036.0009

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Introduction • 9

L’espace européen du football Dynamiques institutionnelles et constructions sociales William Gasparini, Université de Strasbourg Jean-François Polo Institut d’études politiques de Rennes

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i l’inscription formelle du sport dans les compétences de l’Union européenne est très récente (article 165 du traité de Lisbonne), l’espace européen du sport (non communautaire) est ancien. Porté par des instances sportives nationales et européennes, il se dessine à mesure que les fédérations sportives nationales et européennes font du continent un espace organisé de compétitions. Avant la Seconde Guerre mondiale, il n’existait que trois compétitions d’envergure dans le cadre européen (natation – 1889 –, athlétisme – 1934 – et basket – 1935 –). Entre 1952 et 1965, ce sont des coupes entre villes européennes, des compétitions entre les champions de leurs pays respectifs et, bien sûr, entre nations européennes qui sont instituées : saut d’obstacle (1952), football et gymnastique (1955), coupe d’Europe de basket et championnat d’Europe des nations de football (1958) et première coupe d’Europe des nations d’athlétisme (1965). Ainsi, la construction d’un espace européen du sport n’est pas le fait d’une action volontariste de l’Europe communautaire ou de tout autre grand projet politique d’après guerre, mais le résultat d’échanges de plus en plus importants entre les instances professionnelles sportives qui s’institutionnalisent. En 1954 est créée l’Union des associations européennes de football (UEFA), en 1955 la Coupe des clubs champions de football qui connut dès ses débuts un très vif succès populaire (Madsen, 2007). Cet espace européen du sport (ici du football) utilisa une cartographie du continent assez sensiblement différente de celles qui prévalaient au sein des principales organisations politiques. Elle fut ouverte aux pays de l’Europe de l’Est, ainsi qu’à la Turquie et à Israël. En revanche, on y trouve des objectifs proches de ceux des projets politiques fondateurs de la construction européenne comme la volonté des « pères de l’Europe » (Cohen, 2007) de transcender les rivalités européennes en les insérant dans un cadre réglementé. Tout comme dans de nombreux autres domaines (comme celui des échanges culturels), le sport a ainsi ouvert la voie

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à des échanges trans-européens de plus en plus importants, aussi bien dans le cadre étroit de l’organisation des compétitions sportives continentales que dans les dimensions plus larges qui en découlent en termes économiques et politiques.

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Le développement du sport professionnel sur le continent européen mais aussi la prise en compte des fonctions sociales du sport au niveau des États et des fédérations sportives ne pouvait que mener à la rencontre, puis à la reconnaissance de ce domaine par les institutions politiques européennes. Deux dimensions ont été à l’origine des interventions communautaires dans le domaine du sport. La première est relative à la régulation du football dans l’Europe communautaire et fut provoquée par l’arrêt Bosman1 rendu par la Cour de justice des Communauté européennes (CJCE) en 1995. Remettant en cause la règle de l’UEFA limitant à trois par équipe le nombre de joueurs ressortissants d’un pays de l’UE, la Cour a estimé à travers cette décision que le sport était une activité économique à part entière à laquelle devaient s’appliquer les règles du marché intérieur. Elle marque l’irruption du droit communautaire dans les activités sportives en dépit des réticences du mouvement sportif européen et des États. Cette dérégulation des règles du sport définies par les fédérations sportives au profit du principe de libre circulation des travailleurs communautaires sera confirmée par de nouveaux arrêts de la CJCE (arrêt Kolpak en 2003 notamment). Depuis l’arrêt Bosman, les restrictions portant sur le nombre des joueurs communautaires admis à évoluer dans les clubs d’États membres dont ils ne sont pas ressortissants ne sont plus permises. Il est à signaler que certains sportifs hors UE bénéficient également de dispositions favorables en matière de mobilité au sein de l’Union sur la base d’accords « préférentiels » conclus entre l’UE et leur pays2. Les intérêts sportifs défendus par les fédérations européennes ont dû ainsi s’effacer au profit d’une libéralisation du marché des travailleurs sportifs 1 CJCE, 15 décembre 1995, Bosman, aff. C-415/93, Rec.1995, p. 5040. 2 La Cour a rendu plusieurs arrêts dans ce sens : CJCE, 8 mai 2003, Deutscher Handballbund e.V. contre Maros Kolpak, affaire C-438/00, Rec. I-4135 ; CJCE, 12 avril 2005, Igor Simutenkov contre Ministerio de Educacion y Culture, Real Federacion Espanola de Futbol, affaire C-265/03. Ordonnance de la Cour (5ème Chambre) du 25 Juillet 2008, Nihat Kahveci c/ Consejo Superior de Deportes, Real Federación Española de Fútbol.

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Professionnalisation et institutionnalisation du sport européen


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3 Voir à ce sujet les nombreuses études portant sur les conséquences négatives de l’arrêt Bosman sur le sport professionnel : Husting A. (1998), L’Union européenne et le sport. L’impact de la construction européenne sur l’activité sportive, Lyon, éd. Juris-Service ; Bourdieu P. (1998), « L’État, l’économie et le sport », in R. Renoir (coord.), Football et sociétés, Paris, CREDHESS, n° 7, p. 13-19 ; Dubey J.-P. (2000), La Libre circulation des sportifs en Europe, Berne, Staempfli– Bruxelles, Bruylan ; Husting A. et De Waele J.-M. (2001), Sport et Union européenne, Bruxelles, Éditions de l’université de Bruxelles ; Manzella A. (2002), « La dérégulation du football », Pouvoirs, n° 101, p. 40-48 ; Le Noé O. (2005), « Le New Deal sportif après l’arrêt Bosman  : stratégie judiciaire et reconfiguration des relations professionnelles dans le football », in L. Israël, G. Sacriste, A. Vauchez et L. Willemez (dir.), Sur la portée sociale du droit. Usages et légitimité du registre juridique, Paris, PUF, 2005, p. 201-214 ; Garcia B. (2007), « UEFA and the European Union: from confrontation to co-operation? », Journal of Contemporary European Research, vol. 3, n° 3, p. 203-223 ; Robin G. (dir.) (2011), Football, Europe et régulations, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion.

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Face à un tel traitement du sport par la CJCE, une seconde dimension de l’intervention communautaire dans ce domaine, impulsée par la Commission européenne et encouragée par le mouvement sportif réclamant une exception ou une spécificité sportive européenne, va mettre l’accent sur les aspects plus sociétaux du sport. Cette période marque la véritable mise sur agenda d’une action européenne dans le domaine du sport (Garcia, 2009). Plusieurs communications, des discussions, un Livre blanc (2007) vont conduire à renouer avec une vision plus globale des activités sportives intégrant les diverses fonctions sociales traditionnellement assignées au sport (Gasparini, 2010). Concernant cette seconde dimension, le Conseil de l’Europe avait déjà précédé l’UE en adoptant dès 1984 sa « Charte du sport pour tous ». En 1997, une déclaration adoptée en marge du traité d’Amsterdam a souligné « l’importance sociale

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communautaires. En faisant entrer le sport dans la sphère économique, l’arrêt Bosman a ainsi contribué à sa marchandisation3. Mais on peut aussi y voir une régulation communautaire permettant de protèger le sport des « dérives » marchandes (Husting, 2009). En effet, s’il est possible d’envisager qu’une telle libéralisation ait pu contribuer à affaiblir le sentiment d’identification ou à diminuer l’intérêt de former des jeunes nationaux, Alexandre Husting (2009) souligne cependant qu’à aucun moment la Cour n’a obligé les clubs à recruter des joueurs étrangers. En cherchant à maximaliser leurs profits, ce sont les clubs professionnels européens qui ont créé un marché des « mercenaires » du football. La Cour a ensuite défendu une interprétation stricte des clauses de non-discrimination sur la nationalité. Cette première intervention communautaire, en remettant en cause la capacité de régulation de l’UEFA, s’inscrit donc dans la logique d’une intégration négative (Scharpf, 2000).


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du sport et en particulier son rôle de ferment de l’identité et de trait d’union entre les hommes ». En 1999, la Commission a remis au Conseil européen un rapport relatif à la « sauvegarde des structures sportives actuelles et [au] maintien de la fonction sociale du sport dans le cadre communautaire » (rapport d’Helsinki sur le sport) dans lequel elle évoque plusieurs phénomènes liés aux évolutions récentes du sport : dopage4, prépondérance de la logique commerciale au détriment de la logique sportive, tendance des grands clubs à s’organiser entre eux (à l’image du G14) au détriment des fédérations nationales garantes de l’équité sportive, différences de législation fiscale qui créent des inégalités entre les clubs, etc. Elle présente alors plusieurs propositions destinées à « concilier la dimension économique du sport avec sa dimension populaire, éducative, sociale et culturelle ». En juillet 2007, la Commission européenne a présenté le Livre blanc sur le rôle du sport au sein de l’Union européenne. Il réaffirme l’impact que peut avoir le sport sur l’ensemble des politiques européennes et identifie les besoins ainsi que les spécificités propres au monde du sport. Avec le traité de Lisbonne (article 165), le sport est définitivement inscrit dans le cadre des compétences communautaires. Enfin, dernière étape de cette institutionnalisation du sport au sein de l’Union européenne, le premier Conseil formel des ministres des sports européens s’est tenu le 10 mai de 2010, sous la présidence espagnole. Semblant prendre davantage en considération les différentes dimensions du sport, l’UE a ainsi réorienté sa politique en prétendant promouvoir le sport comme facteur de citoyenneté européenne et de compréhension interculturelle dans une Europe de plus en plus « diversifiée » (voir Gasparini, 2008, 2009). Il est dorénavant érigé en instrument d’intégration. Comme la culture (Polo, 2004), le sport est aujourd’hui de plus en plus considéré comme une manifestation socioculturelle qui peut contribuer à l’imprégnation quotidienne de l’idée d’un espace public européen. Et ce avec d’autant plus de force que du côté des citoyens de l’Union européenne, le sport semble globalement 4 Pour le Conseil de l’Europe, le dopage constitue une entrave à l’éthique sportive et une menace pour la santé des athlètes. Il est historiquement la première préoccupation du Conseil de l’Europe en matière de sport. En effet dès 1967, le Comité des ministres produit le premier instrument légal international concernant ce qui s’appelle alors le « doping » des athlètes. Le Comité des ministres du Conseil de l’Europe a ainsi adopté un certain nombre de résolutions avant de voter une Convention contre le dopage en 1989 (entrée en vigueur le 1er mars 1990) : Résolution (67) 12 sur le doping des athlètes, Recommandation n° R (79) 8 concernant le dopage dans le sport, Recommandation n° R (84) 19 relative à la « Charte européenne contre le dopage dans le sport », Recommandation n° R (88) 12 concernant l’institution de contrôles antidopage sans préavis hors compétition.

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L’objectif du dossier est d’étudier, à partir d’une analyse socio-politique du football, l’institutionnalisation d’un espace européen du sport. Cette perspective « permet de dépasser les dichotomies à l’œuvre dans les European Studies entre théories de l’intégration, entre l’analyse de l’intégration européenne et l’analyse de la gouvernance européenne et entre l’analyse de l’intégration européenne et l’analyse de l’européanisation » (Guigner, 2008, 48). Par espace européen, nous entendons l’ensemble des relations de pouvoir qui s’exercent dans un ordre institutionnel particulier (Lagroye, 1997), fruit de l’enchevêtrement d’ordres internes et européens. Loin de se soumettre aux injonctions européennes, une multitude d’acteurs sociaux et politiques se mobilisent et contribuent ainsi directement ou indirectement à construire l’Europe et à définir l’enjeu européen (Pasquier et Weisbein, 2004). La notion d’espace nous semble pertinente à plusieurs titres. L’espace du football européen est d’abord celui de l’ensemble des acteurs concernés par les mutations de ce secteur sportif à l’échelle européenne, à l’usage qu’ils en font (Jacquot et Woll, 2004) et à leurs relations de pouvoir : les États, les fonctionnaires, ministres et secrétaires d’État mais aussi les dirigeants sportifs, les fédérations et leurs pratiquants dont les stratégies

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Penser l’espace du football européen

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perçu comme un spectacle mais aussi comme une activité qui contribue à la santé et au dialogue entre les différentes cultures cohabitant en Europe : d’après plusieurs enquêtes d’Eurobaromètre, presque trois Européens sur quatre considèrent le sport comme un moyen de promouvoir l’intégration sociale et culturelle. D’autres ont mis en avant le processus d’identification à l’Europe que le sport permettait, parfois avec plus d’efficacité que toute politique de communication de l’UE. Pour Pierre-Édouard Weill, enquêtant sur le rapport à l’Europe de jeunes Français de milieux populaires issus de l’immigration, « l’identification à l’Europe renvoie d’abord à l’adhésion par enchantement à un socle de valeurs humanistes, dont le football apparaît comme le principal vecteur ». (Weill, 2009, 113). Constatant l’intérêt croissant du public (spectateurs et téléspectateurs) pour les compétitions européennes, la forte mobilité sportive intra-communautaire et l’implication des institutions européennes dans la définition du cadre d’action des fédérations sportives et des administrations nationales, certains analystes n’hésitent pas à conclure que l’activité sportive est « une des sphères de la vie sociale la plus européanisée » (Dunning, 2001).


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et les ressources proviennent pour l’essentiel d’autres champs structurés en fonction d’histoires nationales spécifiques. L’espace européen met ainsi en concurrence des structures institutionnelles, des savoirs et des habitus d’agents qui reflètent les différentes tentatives de transformer le champ sportif européen. Dans le cas du sport, la formation de cet espace s’est aussi accompagnée d’investissements savants qui ont contribué à définir et à borner l’espace du pensable. Dans de nombreux domaines, les pères fondateurs des institutions européennes et des études européennes ont en partie réussi à imposer leur vision politique et scientifique de l’Europe en opérant un double transfert des catégories politiques dans le champ scientifique et des problématiques savantes dans les discours politiques. Il s’agit alors d’interroger les catégories d’analyse et de pensée diffusées par des acteurs politiques et sportifs investis dans la production des normes sportives européennes. Dans sa dimension topographique, cet espace européen est aussi à géométrie variable dans la mesure où les décisions prises dans l’espace communautaire affectent l’espace européen élargi tel qu’il est circonscrit par les fédérations sportives. Cette tension n’est pas aussi anodine qu’elle peut sembler l’être puisqu’elle interroge aussi les frontières si débattues de l’Europe. Enfin, cet espace européen est également peuplé de citoyens dont les représentations sont affectées par les transformations des espaces nationaux, par les dynamiques de la globalisation, mais aussi par leurs pratiques sportives (sur le terrain mais également à travers les médias) et leurs identifications aux équipes qu’ils soutiennent. Privilégiant une sociologie des politiques publiques et des représentations de l’Europe à travers le football, le dossier vise d’abord à dépasser les seules approches normatives et institutionnelles du « sport européen » (voir notamment Pautot, 2009 ; Miège 1996, 2000). Se concentrant sur les structures objectivées que forment les relations institutionnelles, les analyses juridiques des spécialistes de droit communautaire appliquées au sport, ignorent souvent le rôle crucial des individus et groupes qui s’expriment au nom des institutions et des pays qu’ils représentent. L’analyse de l’espace européen du sport est ainsi détachée des rapports de force et des enjeux de pouvoir qui dépassent le cadre strictement sportif. À l’inverse, les contributions de ce numéro, notamment celles portant sur les processus d’identification (ou de rejet) à l’Europe que les supporters de football entretiennent avec leurs équipes nationales ou de club confirment bien l’institutionnalisation d’un espace européen du sport affecté d’une manière ou d’une autre par la construction européenne.

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Invité par le Conseil de l’Europe en 2008, le président de l’UEFA, Michel Platini, avait déclaré que « des millions d’enfants partout dans le monde sont devenus et continuent à devenir Européens en jouant au football sur un terrain boueux soit dans les villes, soit à la campagne, avant d’aller à l’école ». Au-delà de cette conviction partagée par de nombreux dirigeants de football, beaucoup de citoyens européens connaissent effectivement l’Allemagne, la Belgique, la Pologne, l’Italie ou l’Espagne grâce au football, soit pratiqué dans le cadre de tournois et de championnats (scolaires ou civils) dans un pays européen, soit vu à la télévision. Ces expériences produisent une certaine « européanisation », dans le sens d’une familiarité avec des footballeurs, des clubs, des territoires et des « styles de vie » européens. Ensuite, les institutions sportives européennes sont susceptibles d’imposer une carte mentale de l’Europe. Ainsi, à la différence de l’Union européenne (vingt-sept pays) ou du Conseil de l’Europe (quarante-sept pays), le territoire européen de l’UEFA est constitué de plus de cinquante-trois pays membres, incluant la Turquie, Israël, la Russie, le Kazakhstan, les Iles Féroé…. L’Europe du football est bien le plus grand espace européen. Par la diffusion télévisuelle de ses matchs tant dans ses pays membres qu’à l’extérieur, l’UEFA donne une vision très élargie de l’Europe et produit une « communauté imaginée » (Anderson, 1983). Non seulement la Champion’s League dessine un espace européen à travers des matchs joués à Barcelone, Istanbul ou Moscou mais elle produit aussi un discours européanisé sur les matchs de football, largement relayé par les médias européens. Cette croyance est renforcée par l’existence d’une chaîne sportive européenne – Eurosport – née en 1989 à l’initiative de l’Union européenne de radiodiffusion. Malgré l’idée séduisante d’un effet du football sur les citoyens européens, « l’européanisation par le sport » reste cependant à démontrer sociologiquement. Comme d’autres fonctions attribuées au sport (Gasparini, 2008, 2011), elle semble faire partie de ces prophéties auto-réalisatrices largement diffusées par des experts, responsables politiques et fonctionnaires européens. Le dossier abordera

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Si toutes les études présentées dans ce dossier sont centrées sur le football, c’est parce que cette discipline domine très largement l’ensemble des sports en Europe par le nombre de ses pratiquants amateurs ou professionnels, par sa médiatisation et sa popularité, par son développement économique et ses implications juridiques et, de manière générale, par son pouvoir politique et symbolique. Dès lors, il n’est guère étonnant que les confrontations, ajustements, adaptations aux normes et politiques communautaires ainsi que les cristallisations identitaires qu’elles produisent soient les plus visibles du champ sportif et dès lors suscitent particulièrement l’intérêt des chercheurs.


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plus particulièrement deux dimensions qui illustrent les dynamiques et les ambiguités de l’européanisaiton du football.

Les effets de l’intervention communautaire dans le champ sportif institutionnel

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William Gasparini et Michael Heidmann pour leur part, ont centré leur contribution sur l’étude du traitement européen des migrations de jeunes footballeurs. À partir d’une approche sociologique fondée sur de nombreuses données qualitatives, ils analysent les débats et controverses entre les acteurs de différentes institutions (Parlement européen, Unité sport de la Commission, direction de la Jeunesse et du Sport du Conseil de l’Europe, UEFA….) pour mettre en place une politique européenne de protection des jeunes footballeurs. John Marks s’est intéressé quant à lui aux efforts de l’UEFA et de son président Michel Platini pour tenter de résister à la « libéralisation économique excessive » du football à travers l’analyse de l’initiative Financial Fair Play Regulations de l’UEFA. Cette initiative annonce-t-elle un nouvel espace européen de régulation du football qui parviendrait à un meilleur équilibre entre ses dimensions économiques et sociales ?

Sport et Europe : des identifications à géométrie variable Il s’agira de s’interroger sur les effets des dynamiques sportives européennes (et pas seulement communautaires) sur les formes d’identification aux territoires, qu’il soit national ou local, et à l’Europe (voir Smith, 2002 ; Sandvoss, 2003). Les compétitions sportives internationales ou la simple organisation de ces manifestations mettent à jour des processus complexes de construction identitaire. Les trois dernières contributions de ce dossier s’intéressent ainsi aux représentations que le sport en général et le football en particulier peuvent générer dans trois pays ayant des statuts différents

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On s’intéressera ici aux effets des interventions directes ou indirectes de l’Union européenne dans le champ sportif à partir de l’exemple du football. Contribuant à limiter le pouvoir autonome de régulation du sport par les fédérations sportives, le cadre normatif et les politiques publiques de l’UE affectent l’autonomie des pouvoirs publics sur leurs capacités à mener une politique sportive ou à organiser le sport de façon autonome.


Au final, à travers l’exemple du football, les contributions du dossier montrent que l’espace européen du sport recouvre une double réalité : d’une part l’espace objectivé (la somme des politiques et organisations sportives nationales et européennes présentes dans cet espace ainsi que la politique sportive des institutions européennes) et, d’autre part, l’espace symbolique, c’est-à-dire la construction tant politique, scientifique et symbolique de « l’Europe du sport » par les acteurs individuels et collectifs européens. Les processus institutionnels observés sont alors intimement liés à des intérêts d’organisations et de groupes sociaux. À trop se concentrer sur les structures objectivées que forment les relations institutionnelles européennes, on oublie finalement le rôle crucial des individus et groupes qui (re)produisent ces institutions.

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dans leur relation à l’UE. Cornel Sandvoss (University of Surrey) a porté son attention sur les représentations territoriales et identitaires des supporters de football en Allemagne. Dans quelles mesures, la multiplication de compétitions sportives européennes, la migration des footballeurs professionnels à travers l’Europe et la dimension internationale croissante des championnats nationaux changent-elles le rapport des fans de football à leurs équipes ? L’Europe politique sort-elle renforcée de cette mutation de l’Europe sportive ? Jean-François Polo, à partir d’une étude sur les enjeux politiques du sport en Turquie, met en avant le recours au sport par les élites politiques et sportives turques pour démontrer la modernité et le dynamisme de ce pays engagé dans un processus de négociation d’adhésion à l’UE dont l’issue très incertaine nourrit et renforce des sentiments ambigus vis-à-vis de l’Europe. Enfin, Loïc Trégrourès s’est penché pour sa part sur le sport en Serbie, autre pays candidat à l’Union européenne dont la candidature est longtemps restée bloquée en raison d’un faible empressement des autorités politiques nationales à livrer les responsables des actes de guerre. L’ultranationalisme des supporters apparaît comme un défi adressé à une Europe perçue comme menaçante. Ce numéro spécial sur l’espace européen du football se terminera par quelques remarques conclusives d’Andy Smith, qui voilà dix ans, avait ouvert la voie à une réflexion sur l’articulation entre sport et intégration européenne (Smith, 2002), et qui invite ici à entreprendre une économie politique du football.

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William Gasparini

Maître de conférences en science politique à l’Institut d’études politiques de Rennes et membre du Centre de recherches sur l’action politique en Europe (CRAPE-UMR 6051). • jean-francois.polo@sciencespo-rennes.fr

politique européenne N° 36 | 2012

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Jean-François Polo

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Professeur des universités en STAPS (Sciences du sport), Spécialité : Sociologie du sport, membre de l’Équipe de recherche en Sciences sociales du sport (Équipe d’Accueil n° 1342), école doctorale « Sciences humaines et sociales. Perspectives européennes », Université de Strasbourg, Chercheur associé au Groupe de sociologie politique européenne (GSPE) - Université de Strasbourg. • gasparini@unistra.fr


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