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LE FOOTBALL, ILLUSTRATION D'UN MAL FRANÇAIS Gaël Raballand et Jean-François Marteau S.E.R. | Études 2009/10 - Tome 411 pages 331 à 340

ISSN 0014-1941

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-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Raballand Gaël et Marteau Jean-François,« Le football, illustration d'un mal français », Études, 2009/10 Tome 411, p. 331-340.

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Pour citer cet article :


Société Le football, illustration d’un mal français

45:17

1. Patrick Mignon, La Passion du Football, Odile Jacob, 1998.

2. Cité dans Eric Taïeb, « Les Equipes de France de Football et l’Intégration», Espaces et Sociétés, n° 104, p. 106, 2001. 3. Christian Authier, Les Bouffons du foot, Editions du Rocher, 2002, p. 37.

L

e football est intéressant à analyser en tant que révélateur du lien social. Il « reflète les modes de construction des identités collectives et individuelles et les rapports entre classes.1 » Il a suffi que l’Equipe de France remporte la Coupe du monde en 1998 pour que la perception du football par une partie de la société soit bouleversée. Du jour au lendemain, ce sport est devenu un exemple de réussite de l’intégration à la française. Consciemment et inconsciemment s’est diffusé le message que le football est un moyen efficace de promotion sociale et d’intégration. Une partie des intellectuels français a voulu y voir un symbole de la France qui intègre et qui gagne. Le capitaine de l’Equipe de France victorieuse, Didier Deschamps, déclara à ce propos : « cette victoire a dépassé le cadre du sport.2 » Dans cette euphorie ambiante, une partie des médias qui, quelques semaines avant le début de la Coupe du monde, ironisait sur le football ou brocardait l’équipe de France, s’est emparée de l’un et l’autre, tel Laurent Joffrin qui expliquait : « une équipe a érigé une nation »3. De son côté, *Chercheur-associé à l’Institut Choiseul, docteur en économie de l’Université de Paris-I, diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Strasbourg (e-mail : graballand@yahoo.com) **Fonctionnaire international.

Les auteurs tiennent à remercier Sylvain Cianférani, Hélène Elizabeth et Pierre de Charentenay pour leurs commentaires et suggestions.

Études – 14, rue d’Assas – 75006 Paris – Octobre 2009 – n° 4114

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BSE

Gaël R aballand* et Jean-F rançois M arteau **


Taïeb a décrit un « effet fraternité du mondial 1998 », écrivant : « Zinédine Zidane est un “Maghrébin” qui réconcilie la France avec ses “immigrés”. » A l’heure où l’école, l’armée et la fonction publique ne jouent plus guère ce rôle d’intégration, le sport, et plus particulièrement le football peut-il prendre le relais et contribuer à l’intégration dans la société française de populations qui sont à sa marge ? Est-ce que devenir Zinédine Zidane est une véritable possibilité pour un fils d’immigré ?

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Le football illustre l’un des maux français dans la mesure où il est entendu qu’à force d’abnégation et de travail, tout jeune, a fortiori vivant dans une banlieue, pourrait avec un peu de chance devenir footballeur professionnel. Mais la réalité est tout autre : il est virtuellement impossible de devenir footballeur professionnel étant donné la férocité de la sélection. Il n’est probablement aucun emploi où la sélection soit si forte. Aussi, c’est une erreur de louer la réussite de tel ou tel joueur pour en faire un exemple pour la jeunesse. Car, à l’heure où l’école perpétue les inégalités, le football ne peut pas devenir l’une des planches de salut pour les jeunes exclus du système scolaire, mais il peut au contraire contribuer à renforcer la cohorte de jeunes désabusés et frustrés s’il est considéré comme un moyen d’ascenseur social. Or, dans les banlieues, les études sociologiques confirment qu’une majorité de jeunes issus des quartiers défavorisés ne rêve que de devenir footballeur professionnel. Le sport est perçu comme un moyen, voire le moyen de promotion sociale. D’après une étude menée parmi des jeunes de quartiers défavorisés, au début des années 1990, plus des 2/3 des élèves souhaitaient devenir champions4 (et notamment footballeurs professionnels). En réalité, le footballeur professionnel est antinomique avec l’intégration car, par définition, le monde professionnel est élitiste et n’a pas besoin de plus de 100 nouveaux joueurs par an alors que, dans le même temps, ce sont plus de 150 000 jeunes qui sortent du système éducatif français sans diplôme5. Le parcours qui permet de devenir footballeur professionnel est une machine génératrice de frustration et non

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4. Catherine Vulbeau, « L’ E q u i p e S p o r t i v e , Espace de Socialisation », dans Du Stade au Quartier, Syros, 1993, p. 81-89.

5. Patrick Fauconnier, La Fabrique des « Meilleurs », Seuil, 2005.

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Un anti-modèle d’intégration : personne ne sera Zidane


7. On peut citer récemment pa r e xemple Mou r ad Meghni, Philippe Christanval, ou dans une moindre mesure Florent Sinama-Pongolle, Anthony Le Tallec et de nombreux autres.

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6. Chif fres cités dans Johann Harscoët, « “Tu Seras Pelé, Maradona, Zidane” ou… Rien », Le Monde Diplomatique, juin 2006, p. 24.

une échappatoire crédible. Moins de 3 % des jeunes entrés au centre de formation du PSG intégreront une équipe professionnelle. Les probabilités sont donc infimes. Si le football professionnel doit devenir le prochain modèle d’intégration, on peut d’ores et déjà affirmer qu’il a échoué… Entrer dans un centre de formation relève déjà de l’exploit tant la concurrence est rude : lors des stages de détection des joueurs potentiels, moins d’un jeune sur cent rejoindra un centre de formation6. En outre, être footballeur professionnel ne signifie pas jouer en Equipe de France ni être une véritable star du football. Des dizaines de joueurs7, en qui de nombreux espoirs ont été portés, n’ont jamais pu confirmer, à un haut niveau, leurs exploits de jeunesse. Promouvoir ce modèle, c’est prendre le risque d’engendrer une grande frustration. Johan Harscoët donne ainsi l’exemple d’un jeune joueur que tout le monde considérait comme un futur footballeur professionnel jusqu’au jour où, à 13 ans, en centre de formation, loin de sa famille, il s’écroula. Il est désormais maçon, dépendant de drogues douces, et n’a toujours pas réussi à surmonter la déception de sa vie. De plus, être en centre de formation conduit souvent à une filière d’études courtes. A l’Institut National du Football de Clairefontaine, à la fin de la seconde, près de deux élèves sur trois sont réorientés vers un BEP (Brevet d’Etudes Professionnelles) ou un CAP (Certificat d’Aptitude Professionnelle). La très grande majorité des stagiaires sera donc obligée de gagner sa vie grâce à un métier autre que le football, mais en n’ayant pas de baccalauréat, sans même penser à des études supérieures. Si le footballeur moderne entre de plus en plus tôt dans la carrière professionnelle, cette entrée précoce se fait en outre souvent au prix d’un déracinement géographique et social. Le footballeur moderne est un déraciné, qui, très jeune, doit affronter une rupture non seulement géographique mais aussi culturelle, et pas seulement pour les jeunes détectés hors de France. Guy Roux rappelait que la première génération des stagiaires de son club (dans les années 1980) était très majoritairement issue de la classe moyenne, citant les exemples d’Eric Cantona dont les parents étaient infirmiers, des frères Boli dont le père était responsable de la sécurité à l’ambassade de Cote d’Ivoire ou encore de Pascal Vahirua, fils d’un employé de l’énergie atomique. Aujourd’hui, 80 % des sta-


Le football comme vecteur d’intégration ? Alors pourquoi le football professionnel reste-t-il perçu comme un moyen de promotion sociale ? La réponse est assez simple. Elle est liée à l’échec de l’école comme moyen d’intégration dans la société des jeunes défavorisés. Comme l’a relevé Nicolas Bancel, « l’investissement dans le sport […] semble plus correspondre à une crise du […] modèle qu’à sa refondation.8 » En France, l’intégration est toujours en panne, ce qui semblerait montrer que, dix ans après la Coupe du monde 1998, le football n’a toujours pas réussi à remplir le rôle que certains lui ont attribué. Ce pays fait de plus en plus figure de mauvais élève de la classe parmi les membres de l’OCDE.

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8. Nicolas Bancel et Pascal Blanchard, « L’Intégration par le sport ? Quelques Réf lexions autour d’une Utopie », Migrance, n° 22, 2003, p. 59.

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giaires du centre de formation de l’A.J. Auxerre sont issus des banlieues des grandes villes, avec pour tous une obligation de réussite et une expérience qu’ils affrontent, parce qu’ils la vivent jeune, sans avoir pu bénéficier d’un référent familial accompli. La tendance récente qui semble par ailleurs concentrer les jeunes vers quelques centres de formation (ceux des plus grands clubs « européens » et relativement moins ceux des principaux clubs de villes plus petites comme c’était le cas dans les années 70 jusqu’au début des années 90) ne peut que renforcer le déracinement. La détection précoce correspond aussi à l’exacerbation de la concurrence. A quelques exceptions près, comment savoir à quatorze ans si un jeune, alors en pleine croissance, aura le talent pour entrer dans une équipe professionnelle six ans plus tard ? Face à cette question, les centres de formation ont apporté la réponse du nombre. L’idée est simple : recruter au plus large avec la conviction que dans le lot, certains émergeront nécessairement. Aujourd’hui, on évalue à près de 5 000 le nombre d’apprentis footballeurs inscrits dans les centres de formation français (contre moins de 1 000 footballeurs professionnels en activité en France). Ainsi, non seulement le footballeur moderne est de plus en plus jeune, mais il est contraint de se sacrifier beaucoup et très tôt, pour un rêve aléatoire. La proportion de jeunes intégrant un centre de formation et devenant professionnel est minime. Les chiffres sont implacables : statistiquement, personne n’a de chance d’être un nouveau Zidane avant dix ou vingt ans.


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10. Pour une démonstration de cet état de fait, voir Eric Maurin, Le Ghetto français, Seuil, 2006.

11. Christian Baudelot et Roger Establet, L’Elitisme Républicain, Seuil, 2009.

12. Pour une description du fonctionnement du modèle français et de l’exclusion d’une partie de la jeunesse qu’il produit, voir Timothy Smith, La France injuste, Autrement, 2006.

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9. Olivier Galland, Les jeunes Français ont-ils raison d’avoir peur ?, Armand Colin, 2009.

Chaque année, près d’un jeune sur sept sort du système scolaire sans diplôme. En raison de la « glorification du diplôme » dans le monde du travail et du mépris pour la formation continue, ce sont plus de 15 % de jeunes qui sont exclus de la société, dès l’adolescence, et condamnés, au mieux, à vivre de l’aide sociale toute leur existence. Un jeune sans diplôme a 40 % de chances d’être au chômage plus de trois ans après la sortie du système scolaire9. Au cours des deux dernières décennies, le nombre de jeunes qui se disent inquiets pour leur avenir a plus que doublé. Or, le problème réside bien dans le fait que l’école reproduit les inégalités alors qu’elle est censée les estomper. Il reste à prouver, en France comme ailleurs, qu’allouer beaucoup plus de moyens dans les écoles des quartiers défavorisés peut avoir un impact sur la réduction des inégalités sociales. C’est avant tout la mixité sociale qui semble avoir un impact important sur l’intégration des jeunes défavorisés. Or, la France paraît de plus en plus fonctionner selon le modèle de ghettos10, bien que personne ne le reconnaisse véritablement. La reproduction des inégalités réside notamment dans le fait que l’école française est avant tout orientée vers la production d’une élite (et crée par définition des exclus) en dépit d’un discours égalitariste11. Malgré une réforme lancée par tout nouveau ministre de l’Education Nationale, le modèle français reste fondé sur une sélection très forte à partir de la fin du collège (voire auparavant) qui aboutit à une différence de débouchés abyssale entre quelques milliers d’étudiants sortant de grandes écoles ou de quelques filières universitaires réputées, et plusieurs centaines de milliers de laissés pour compte aux différentes étapes de sélection et cantonnés à des perspectives d’emplois plus ou moins précaires. Le corollaire de cette approche est par ailleurs une dévalorisation de presque tous les emplois ne nécessitant pas une éducation supérieure. La France a donc choisi le chômage de masse, et notamment pour les jeunes, qui, sans diplômes, sont les exclus du système12. Le football professionnel n’a fait que reproduire ce modèle, en l’accentuant en termes de sélection et en le concentrant sur une tranche d’âge de 12 à 16-18 ans, sachant que ces laissés pour compte rejoignent directement les moins qualifiés des laissés pour compte du système global. Les jeunes défavorisés se tournent ainsi vers le football pour trouver la promo-


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13. Nicolas Bancel et Pascal Blanchard, Idem., 2003, p. 59.

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tion sociale que l’école ne leur donnera pas. Mais, « le sport est […], dans la perspective de l’intégration, un miroir aux alouettes, une utopie de substitution, par lequel la République ne transmettra pas ses valeurs dans les zones où elle se perçoit comme exclue.13 » Dans cette perspective, laisser aux jeunes de banlieue comme seul modèle Zinedine Zidane, Thierry Henry ou Nicolas Anelka est dangereux, car le corollaire de l’adhésion à ce modèle devient vite l’abandon complet de l’école et l’augmentation des risques de marginalisation. La société française se trompe de modèle pour ces jeunes : ce sont des chefs d’entreprises ou des décideurs politiques issus des mêmes banlieues qui devraient être mis en exergue, mais la médiatisation de ces footballeurs et la perspective de revenus colossaux est telle qu’on peut comprendre l’attrait du modèle Zidane. Pourtant, l’échec (quasiment systématique) d’apprentis footballeurs et ses conséquences ne fait l’objet ni de documentation ni de médiatisation. Cela ne suffirait sûrement pas à dissuader de nombreux candidats à une carrière de football professionnel, mais cela aurait le mérite d’informer sur les risques encourus lorsqu’on choisit de privilégier le football au détriment de l’école. Il est d’ailleurs intéressant de constater que, comme sur le reste du marché du travail, le football a attiré une population immigrée qui est encore plus précaire, car elle ne bénéficie pas de programmes d’aide sociale en cas d’échec. L’internationalisation de la détection est aujourd’hui une voie explorée par les clubs aux moyens financiers les plus réduits. Pour ces derniers, qui voient les meilleurs de leur département rejoindre les clubs les plus huppés, il s’agit de maintenir une détection de qualité à un coût faible. C’est par exemple aujourd’hui vers l’Afrique que se dessinent les nouveaux réseaux de détection (au moins pour la France ou la Belgique). Le mouvement s’est esquissé au courant des années 1990, avec notamment la création en Côte d’Ivoire de la première Académie de football. Les partenariats se sont ainsi multipliés et certains clubs, souvent les plus petits et les moins dotés financièrement, en ont d’ailleurs fait un axe prioritaire de leur stratégie de recrutement. Or, dans le cas d’un échec dans le monde du football professionnel, ces jeunes doivent rentrer au pays souvent après avoir été déracinés plusieurs années et sans formation véritable.


14. Pour plus de précisions, voir http://www.hsbaseballweb.com/

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15. Les critères et répartitions par université et par disciplines sont attribuées par le National Collegiate Athletic Association (http:// www.ncaa.com/) 16. Pour une analyse critique du système des bourses, voir Bill Pennington, « Expectations Lose to Reality of Sports Scholarships », The New Yo rk Tim e s , 10 ma r s 2008.

La formation aux Etats-Unis est bien plus efficace qu’en Europe. En effet, tout comme en Europe pour le football, très peu de jeunes joueurs réussissent à intégrer une équipe professionnelle de basket ou de football américain. Ainsi, moins de 1 % des joueurs faisant partie des équipes de lycée intègrera une équipe professionnelle de baseball14. Mais la principale différence réside dans le fait qu’au niveau de l’enseignement secondaire, à l’âge où en France on oriente vers les centres de formation, les meilleurs établissements essaient d’attirer les sportifs performants (y compris en football) en échange de prise en charge de frais de scolarité, et permettent ainsi l’intégration non d’une centaine de jeunes, mais de dizaines de milliers. En complément, les ligues de sport professionnel découragent très fortement le passage dans une ligue professionnelle avant d’avoir accompli plusieurs années d’université, avec des interdictions strictes (mais parfois partiellement respectées) de toute rémunération avant ce passage. Ainsi, un bon sportif aura a priori tous les atouts pour que le sport lui donne accès à la meilleure formation universitaire (dans un pays où les frais de scolarité sont exorbitants). Ensuite, tout jeune ayant atteint un niveau universitaire dans son sport possèdera un diplôme d’une université reconnue, licence ou master, qui lui permettra de gagner sa vie s’il échoue dans sa carrière sportive. Ainsi, aux Etats-Unis, ce sont plus de 130 000 jeunes qui perçoivent des bourses sur des critères sportifs au niveau de l’enseignement secondaire, ce qui en fait un outil de redistribution efficace15. Il est vrai qu’elles ne paient désormais que partiellement les frais de scolarité16, mais étant donné le nombre de jeunes aidés et le niveau d’étude, la probabilité d’intégration grâce au sport d’un jeune défavorisé dans le monde du travail est bien plus importante. Les exemples de joueurs universitaires américains brillants n’ayant pas réussi à devenir professionnels sont légion. Cependant, tout bon joueur de lycée intègre une université prestigieuse qui conduira à l’obtention d’un diplôme reconnu par tous (en dépit de l’absentéisme du joueur), qui lui-même débouchera sur un emploi plus ou moins bien rémunéré. On comprend alors que le sport est un véritable moyen d’intégration aux Etats-Unis, car le talent dans un sport peut, au mieux, conduire à une carrière profes-

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L’exemple américain ?


sionnelle et, au pire, à un bon diplôme qui sera synonyme d’intégration sociale et professionnelle. Mais ce système ne peut être appliqué en France puisqu’il oblige à sacrifier une partie des études pour se consacrer au sport dès le lycée.

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Autant les vertus d’intégration du football professionnel sont surestimées, autant les vertus éducatives de ce sport sont parfois sous-estimées, et c’est peut être sur ces points qu’il serait préférable d’insister. Le stade et, en particulier, les clubs de supporters jouent par exemple un rôle de socialisation très important pour certains jeunes de milieux défavorisés. Souvent en échec scolaire, le club de supporters structure parfois la vie de ces jeunes qui ne vivent que pour le match du week-end et s’intègrent dans une nouvelle famille, celui du club de supporters. Lors d’une enquête sociologique au sein d’un groupe ultra de l’Olympique de Marseille, le dirigeant de ce club de supporter affirme : « c’est nous [le club de supporters] qui répondons à l’exclusion [de ces jeunes] par la société, […] y’a beaucoup de jeunes qui sont désemparés et qui sont en quête d’identité et de but dans la vie.17 » Comme le relèvent les dirigeants de ce club de supporters, les connaissances en histoire et en science politique de ces jeunes se limitent souvent aux quelques enseignements inculqués par les plus anciens lors de discussions au local du club ou lors des déplacements en autocar. Se rendre au stade ou au local de supporters a donc un impact fort sur l’éducation des personnes exclues ou proches de l’exclusion. La pratique même du football est aussi considérée comme un espace de socialisation privilégié pour les jeunes. Le football est le sport le plus pratiqué en dehors de l’école et, à ce titre, il peut être un « facilitateur relationnel »18, capable de ramener le jeune vers le football plus institutionnalisé, contribuant, pour une part, à son intégration dans la société. A l’issue de son enquête, Catherine Vulbeau19 démontre l’importance que les jeunes accordent à l’équipe sportive comme élément d’intégration dans un groupe et, de là, dans la société. A ce titre, pour ceux qui sont en échec scolaire, le football devient un, voire le principal facteur de socialisation.

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17. Nicolas Roumestan, Les Supporters de Football, Anthropos, 1998, p. 164.

18. Paul Irlinger, « Sens de la Règle dans les Clubs Sportifs et dans la Cité », dans Du Stade au Quartier, Syros, 1993, p. 134. 19. Catherine Vulbeau, « L’ E q u i p e S p o r t i v e , Espace de Socialisation », dans Du Stade au Quartier, op.cit., p. 84.

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Un sous-investissement dans les vertus éducatives du football


2 0 . M a x i me Tr aver t , L’ E n v e r s d u S t a d e , L’Harmattan, 2002.

21. Ibid., p. 56, 80 et 88.

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22. William Gasparini et Gilles Vieille-Marchiset, Le Sport dans les Quartiers, Presses Universitaires de France, 2008.

Dans son étude sur le « football de pied d’immeuble », Maxime Travert20 a démontré le rôle éducatif que peut jouer le football dans certaines banlieues défavorisées. Il a ainsi mené une étude de plusieurs mois dans une banlieue de Toulon où le taux de chômage variait, selon les différentes parties du quartier, entre 25 % et 40 %, avec moins de 15 titulaires d’un diplôme (CAP, BEP, secondaire) sur 200 jeunes. Le principal message de son ouvrage est de montrer que, contrairement à des idées préconçues, le football de pied d’immeuble n’est pas anomique et s’affiche comme une pratique respectueuse de l’intégrité des joueurs21, avec des règles par accord tacite et un jeu centré sur le dribble. Le football de pied d’immeuble peut alors se révéler être une passerelle entre la cité et la vie hors de la cité puisque de nombreux jeunes commencent à jouer dans la rue, acquièrent une technique individuelle, puis rejoignent par la suite un club où ils apprennent la tactique et la discipline sur le terrain et en dehors du terrain. Depuis la fin des années 1980, les pouvoirs publics s’efforcent de développer des politiques d’insertion par le sport, et notamment en intégrant dans des clubs ces jeunes pratiquant le football de pied d’immeuble. Ainsi, dans la Loi Organique relative aux Lois de Finances (LOLF), qui divise le budget de l’Etat en missions dont le résultat est mesuré par des indicateurs de performance, le principal indicateur de l’action sociale et sportive dans les quartiers sensibles est « le nombre de licenciés dans les quartiers sensibles par rapport au nombre total de licences ». Serait-ce à dire que l’intégration par le sport doit se résumer à une intégration dans un club afin qu’un jeune puisse être détecté par la suite, et peutêtre devenir footballeur professionnel ? L’attrait du football professionnel et son élitisme ne sont jamais bien loin du football amateur. Or, comme le signalent les sociologues du sport, il est important de ne pas substituer aux valeurs de la République celles du sport, car le football professionnel ne peut combler ce vide et pallier les déficiences de l’école22. En effet, les valeurs promues par le sport (plus ou moins réelles) peuvent inclure l’esprit d’équipe, le respect des règles et le respect des autres, ainsi qu’une discipline individuelle pour parvenir aux

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Le football dans les banlieues touché par l’élitisme ambiant ?


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Aussi longtemps que l’école et l’entreprise n’arriveront pas à permettre l’intégration de toutes les composantes de la société française, le football professionnel restera probablement un idéal pour de nombreux jeunes. Il est cependant temps de briser le mythe du footballeur comme seul avenir pour de nombreux jeunes issus des quartiers défavorisés. L’intégration de ceux-ci ne passera jamais par le football professionnel, mais bien plutôt par l’école et l’entreprise qui doivent relever le défi. Mais pour cela, les pouvoirs publics doivent s’attaquer à la crise du modèle méritocratique scolaire français, et notamment aux principes d’une « école de sélection par l’échec »23. Et ce n’est pas une équipe victorieuse lors d’une Coupe du monde de football qui rendra la société française plus intégrée, sans émeutes et sans discriminations. Gaël Raballand et Jean-François Marteau

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2 3 . O l i v i e r G a l l a nd , op. cit.

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résultats escomptés. Le sport peut également communiquer des qualités d’organisation et de planification qui seront ultérieurement utiles dans la vie professionnelle. En revanche, même au niveau amateur, le sport reste fondé sur la notion de compétition et centré sur le fait de se distinguer par rapport aux autres. Ces dernières notions peuvent éventuellement servir dans un cadre professionnel, mais, même dans les sports d’équipe comme le football, elles ne pourront jamais être à même de communiquer les concepts-clés de l’éducation civique que sont l’intérêt général, la citoyenneté, le respect des idéaux républicains, la démocratie ou le service à la communauté dans son ensemble. Le sport ne peut pas faire d’un jeune un citoyen, comme certains voudraient le faire croire. Il peut tout au plus aider à socialiser certains jeunes exclus. Ceci explique le scepticisme récurrent de nombreux éducateurs et professionnels du mouvement sportif amateur à envisager le sport comme moyen d’intégration.


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