T3 logiques sportives et conduites sociales pierre parlebas

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RÉSEAUX DANS LES JEUX ET LES SPORTS Pierre Parlebas Presses Universitaires de France | L'Année sociologique 2002/2 - Vol. 52 pages 314 à 349

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Pour citer cet article :

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Parlebas Pierre,« réseaux dans les jeux et les sports », L'Année sociologique, 2002/2 Vol. 52, p. 314-349. DOI : 10.3917/anso.022.0314

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ISSN 0066-2399


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LOGIQUES SPORTIVES ET CONDUITES SOCIALES


RÉSEAUX DANS LES JEUX ET LES SPORTS

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RÉSUMÉ. — Les foisonnantes caractéristiques de surface des jeux sportifs et leur surabondante variété masquent des structures sous-jacentes invariantes. Celles-ci sont illustrées par des réseaux d’interaction tels ceux des duels et ceux des systèmes de coalitions ; les propriétés formelles de ces structures (équilibre, symétrie, exclusivité...) témoignent des orientations marquantes que les Jeux olympiques ont adoptées pour magnifier les sociétés modernes. On peut déceler une parenté de structure entre le sport, d’une part, la démocratie et l’entreprise capitaliste, d’autre part. Ces homologies structurales, révélatrices de la réalité sportive, entraînent des conflits éthiques et politiques inéluctables. Les tensions qui traversent la démocratie libérale se retrouvent précisément dans le sport. Cette dissonance interne va provoquer, à l’égard du sport, des jugements fort différents et parfois même radicalement opposés. On est conduit à distinguer deux niveaux d’analyse : le niveau des réseaux objectifs qui, en s’imposant à tous, fondent la grammaire du jeu, et le niveau des réinterprétations subjectives que les différents acteurs élaborent dans leur contexte social particulier. ABSTRACT. — The profuse surface characteristic of sports games and their superabundant variety conceal invariable underlying structures. These are illustrated by interactive networks such as duels and coalition systems ; the formal characteristics of these structures (balance, symmetry, exclusivity...) exemplify the distinctive orientations adopted by the Olympic Games to magnify modern societies. Similarities of structure can be detected between sports on the one hand, and democracy and the capitalist entreprise on the other. These structural parallelisms which reveal the reality in sports unavoidably lead to ethnic and political conflicts. The tensions found in liberal democracies thus appear in sports. This internal divergence produces very different and sometimes radically opposed judgment about sports. We are led to distinguish two levels of analysis : an objective network level that lays down the game’s grammar and a subjective reinterpretation level elaborated by various actor in their specific social contexts.

Le sport et les jeux méritent-ils une étude qui leur soit propre ? Un intérêt certes timide mais réel se dessine, de plus en plus, en faveur de la prise en compte du sport dans les travaux sociologiques. Cependant, force est de constater que celui-ci apparaît surtout L’Année sociologique, 2002, 52, n° 2, p. 315 à 349

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Un miroir de la société La relégation du sport dans les marges de la recherche sociologique nous paraît dépendante de jugements dépréciatifs liés à des préjugés culturels. Les pratiques associées au corps, au travail physique, au jeu et au sport ne sont pas jugées habituellement d’une grande noblesse, et la tendance générale de notre culture savante et de nos universités est de ne leur accorder qu’une place de second plan. À l’opposé, notre hypothèse sera que les activités ludiques et corporelles offrent un domaine profondément investi par les normes et les valeurs de leur société d’accueil. Les jeux et les sports autorisent une lecture sociologique qui dévoile les grandes orientations d’une culture, les choix fondamentaux de celle-ci à l’égard du lien social et de la communication, de l’espace et du temps, à l’égard des productions technologiques et des rapports avec l’environnement. Le sport est comme le miroir de la société, un reflet mais aussi en retour un agent dynamique de transformation ou de maintien de cette société. Une telle hypothèse doit être confrontée aux réalités sociales. Afin d’éviter de limiter le domaine du sport à une simple surface de projection de phénomènes extérieurs, il semble indispensable d’en étudier les pratiques dans leur fonctionnement même, dans les mécanismes d’action et de représentation qui sont à la source de leur accomplissement. Dans cette optique, une stratégie intéressante est de modéliser les situations de jeu et de sport, c’est-à-dire d’en présenter une simulation simplifiée, éventuellement mathématisée, sous la forme d’une maquette, qui sera souvent, dans notre cas, un réseau. À ce titre, le cas des jeux et des sports offre une chance exceptionnelle. Ceux-ci trouvent en effet leur existence dans un ensemble de règles facilement accessibles qui prévoient tous les éléments de logique interne nécessaires à leur mise en pratique :

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comme un simple champ d’application de conceptions extérieures, comme une illustration latérale, ou un encanaillement de bon ton. Cette position ancillaire est-elle inéluctable ? L’étonnante et croissante implantation du sport dans les sociétés modernes appelle, semble-t-il, une analyse sérieuse et originale : pour quelles raisons le sport connaît-il un tel succès, et parmi la myriade de jeux sportifs attestés dans les différentes cultures, comment se fait-il que seul un petit lot d’entre eux, sous le nom de sport, ait réussi à s’imposer ?


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modalités des interactions entre joueurs, conditions d’espace et de temps, types d’utilisation des objets... Le chercheur qui se propose d’étudier les jeux sportifs se trouve par certains côtés, en position étonnamment favorable. En effet, alors que dans les situations sociologiques ou linguistiques classiques, l’enquêteur est souvent tenu de mener une longue étude préalable pour tenter de dégager lui-même au risque de se tromper, les traits et règles de fonctionnement de la communauté étudiée, dans le cas du sport les codes essentiels lui sont fournis d’emblée. Et ces règles, dont il a connaissance « d’entrée de jeu », ne se limitent pas à la simple régulation de la situation relationnelle, elles en assurent aussi la fondation. C’est-à-dire que le chercheur a entre ses mains, dès le départ, les éléments constitutifs de la situation culturelle qu’il se propose d’étudier. Il peut alors tenter d’établir la radioscopie des activités ludosportives qu’il se refuse à considérer comme de simples « boîtes noires ». Il se donne ainsi pour projet, à partir d’une solide connaissance des règles et d’une minutieuse observation des pratiques de terrain, de modéliser les structures de fonctionnement révélatrices des jeux et des sports. Cette formalisation peut paraître comme une gageure, car, par exemple, comment identifier des structures invariantes là où la variation prolifère ? La mise en modèles veut attester d’une stabilité dans les jeux. Or, le principe même du spectacle sportif ne reposet-il pas sur le caractère instable, unique et imprévisible de chaque rencontre, sur l’incertitude de son déroulement ? Les universaux des jeux et des sports À contre-pied de ces apparences, nous postulons que les conduites des joueurs s’accomplissent au sein de systèmes d’interaction stables qui en spécifient le champ des possibles de façon nécessairement limitante. Qu’il s’agisse du rugby, du basket, de l’escrime ou du judo, le sport est un univers fermé ; le sport est un monde de la clôture. L’immense variété des conduites ludosportives de surface n’est que la manifestation bigarrée de permanences qui prennent corps dans des structures profondes. Ces structures sous-jacentes jouent le rôle de matrices d’engendrement des comportements d’action et des événements qui scandent le déroulement du jeu (communications entre joueurs, scores, gain du match, prise de rôles...). On les retrouve, sous des modalités diffé-

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rentes, dans toutes les pratiques ludocorporelles ; aussi les nommerons-nous, les « universaux » des jeux et des sports. Sept d’entre eux ont été clairement identifiés au cours de travaux précédents, notamment le réseau des communications motrices, le réseau des interactions de marque, le système des scores, le réseau des rôles sociomoteurs et la structure des sous-rôles1. Au niveau intermédiaire qui est le leur, ces « universaux » du jeu sportif vont permettre d’ « expliquer les phénomènes en construisant des mécanismes élémentaires qui les engendrent », pour reprendre l’expression que M. Cherkaoui applique au niveau ultime de la recherche2. Ici, il s’agit de formaliser les structures de fonctionnement et les mécanismes générateurs des actes de jeu auxquels, dans un second temps, le sociologue devra donner sens. La démarche adoptée consiste à modéliser l’ensemble des universaux pour chaque pratique ludosportive considérée. Ces structures opératoires, porteuses de la logique interne de l’activité, représentent les systèmes de fonctionnement à la base de tout jeu sportif. Le chercheur pourra ainsi exhiber les caractéristiques propres à chaque jeu sous forme de modèles objectivables, établir des comparaisons argumentées et utiliser certaines propriétés de ces structures pour élaborer des outils d’observation et de traitement des données recueillies sur le terrain. L’hypothèse de base est que la formalisation du réseau va permettre d’en déduire des propriétés mathématiques pertinentes qui seront interprétables de façon féconde sous l’angle sociologique3. Bien entendu, cette voie d’approche n’en exclut aucune autre. Les réseaux mis au jour ne prétendent pas épuiser le phénomène étudié ; leur ambition est de proposer des outils inédits, objectivement contrôlables, offrant l’espoir d’une interprétation nouvelle, fortement argumentée. Cette modélisation et ces observations effectuées, le sociologue aura pour tâche d’interpréter les structures mises au point et les matériaux recueillis. Le parcours est exigeant, mais il a l’avantage d’interroger les données sous un nouveau jour. Les démarches qui se contentent « d’appliquer » les conceptions sociologiques clas1. Cf. 1999, Jeux, sports et sociétés, Paris, INSEP Publications. 2. M. Cherkaoui, 2000, « La stratégie des mécanismes générateurs comme logique de l’explication », dans L’acteur et ses raisons. Mélanges en l’honneur de Raymond Boudon, Paris, PUF. 3. P. Parlebas, 2002, « Elementary mathematical modelization of games and sports », dans The explanatory power of models, Bridging the gap between empirical and theorical research dans the social sciences, Metodos series, Kluwer Academic Publishers, Dordrecht.

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siques risquent de ne retrouver en fin de parcours que ce qu’elles avaient déjà mis au départ. En recourant à une méthode différente, qui modélise les configurations d’action et les conduites motrices des acteurs en jeu, on peut espérer mettre à découvert des résultats originaux et non plus une reproduction de constats déjà connus. Non seulement cette démarche n’est pas opposée aux procédures sociologiques classiques (questionnaire, entretien, observation participante...), mais elle réclame leur intervention à titre d’indispensable complément. Les aspects classiquement dénommés « qualitatif » et « quantitatif » s’appellent l’un l’autre et sont ici indissociables si l’on veut « comprendre » et remettre en contexte les données formalisées obtenues. Cette quête des universaux et des invariants, n’est-elle pas utopique ? Quels phénomènes importants la modélisation peut-elle découvrir et en quoi une éventuelle mathématisation peut-elle être révélatrice du contexte culturel ? C’est à ces questions que nous allons tenter de répondre. Il n’est bien sûr pas envisageable de présenter ici tous les développements requis ; aussi allons-nous examiner à titre d’exemple un ou deux universaux et, afin de montrer la valeur opératoire des modèles, nous nous attacherons à explorer quelques-unes de leurs propriétés mathématiques. En bref, peut-on élaborer des modèles représentatifs des sports, dont les propriétés seraient révélatrices d’une conception des rapports humains idéalisés, propre à leur société d’accueil ? Réseaux sociaux et équilibre Les situations ludosportives étant très diversifiées, il est indispensable que les modèles conçus pour les simuler présentent une formalisation qui, tout en étant rigoureuse, soit suffisamment souple. Les notions d’interaction et de système étant à la base de cette modélisation, il est apparu que l’objet « réseau », relayé par la théorie des graphes, était bien adapté à ce sujet. Au cours des dernières décennies, ainsi que le développe V. Lemieux dans son récent ouvrage Les réseaux d’acteurs sociaux (1999)4, le point de vue des réseaux a été appliqué dans de multiples directions : réseaux de communication, de parenté, d’affinité, d’entreprises, de clientélisme, de motivation... En faisant 4. V. Lemieux, 1999, Les réseaux d’acteurs sociaux, Paris, PUF.

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la part belle au système social global, tout en laissant pleine latitude aux manifestations locales de chaque acteur, la perspective des réseaux évite les aspects intolérants du conflit classique opposant l’holisme à l’individualisme. Il ne semble pas abusif d’avancer, ainsi que l’ont fait récemment A. Degenne et M. Forsé (1994), que la théorie des réseaux propose un « nouveau paradigme »5. Le recours au modèle réticulé apporte-t-il à l’interprétation sociologique des éléments nouveaux facilitant une meilleure compréhension des jeux traditionnels et du sport moderne ? Nous mettrons à l’épreuve cette modélisation en ciblant l’analyse des réseaux sur les éclairages sociaux que peuvent suggérer quelques propriétés formelles et contraignantes, notamment les propriétés d’équilibre et de symétrie. Par réseau, nous entendrons, pour reprendre la définition proposée par le mathématicien E. Lucas en 1894, un « système formé par des points [...] reliés entre eux par une ou plusieurs lignes »6, autrement dit, un ensemble de sommets, associé à une ou plusieurs relations. En langage moderne, un réseau c’est un graphe ; il s’agit d’une configuration brute, qui, en tant que telle, n’est chargée d’aucune signification sociologique préalable. Le réseau se voudra une fidèle réplique de la réalité étudiée sous l’angle de la pertinence retenue ; c’est un « modèle » à l’aide duquel le sociologue, en fonction de sa théorie, imitera de façon simplifiée la situation étudiée. Au départ, à l’égard du réseau, on ne préjugera d’aucune propriété mathématique, ni d’aucune caractéristique sociale particulière. Le réseau représente donc essentiellement un outil mathématique que l’on veut neutre, qui pourra mettre au service du chercheur les multiples ressources de la théorie des graphes. Au sociologue de modéliser ses situations avec pertinence et d’en tirer les interprétations les mieux ajustées possibles. La propriété d’équilibre qui va retenir notre attention a été mise en avant par le psychologue F. Heider, en 1946, puis reprise et développée par plusieurs chercheurs, notamment D. Cartwright, F. Harary (1956)7, puis C. Flament (1965)8. De son côté et à la 5. A. Degenne, M. Forsé, 1994, Les réseaux sociaux, Paris, Armand Colin. 6. E. Lucas, 1979 (1894), Récréations mathématiques, Tome IV, p. 129, Paris, Albert Blanchard. 7. F. Harary, R. Z. Norman, D. Cartwright, 1968, Introduction à la théorie des graphes orientés, Paris, Dunod. 8. C. Flament, 1965, Théorie des graphes et structures sociales, Paris, Mouton / Gauthier-Villars.

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même époque, C. Lévi-Strauss (1945)9 a représenté tout système parental par un « atome de parenté » dont chaque liaison était affectée d’un signe positif ou négatif, démarche qui est à la base de la définition de l’équilibre ; tout en tirant parti de cette propriété, cet auteur n’a cependant pas poursuivi dans cette voie. La prise en compte de l’équilibre s’appuie sur des graphes auxquels sont associées deux relations : l’une considérée comme positive et affectée d’un signe « + », l’autre jugée comme négative et affectée d’un signe « – ». On parle alors d’un « bigraphe » « signé ». L’intérêt de cette procédure tient pour beaucoup à la multiplicité des situations relationnelles qui peuvent être représentées de façon évocatrice sous ce double jour : relations de choix, de rejet, de préférence, d’amitié, d’hostilité, d’entraide, d’antagonisme, de compétition... Par ailleurs, la propriété d’équilibre, ainsi que nous le verrons, introduit des contraintes extrêmement fortes qui donnent lieu à des configurations très éloignées de ce que produirait le hasard. Les réseaux équilibrés sont donc des configurations théoriquement très rares. Aussi, quand ils sont attestés dans la réalité sociale, peuton alors penser qu’ils sont porteurs d’une signification intéressante à expliciter. L’équilibre devient donc dans cette optique un outil puissant de mise en évidence de certains phénomènes sociaux. La modélisation à l’aide des réseaux est applicable à tous les jeux sportifs quels qu’ils soient : certains offrent un réseau très fluet, d’autres un réseau richement vascularisé. Nous appuierons cette étude sur un ou plusieurs exemples choisis chemin faisant, en sachant que la généralisation de la démarche à tous les jeux et à tous les sports reste notre toile de fond, ce type de recherche devant aboutir à une étude comparative de l’ensemble des jeux sportifs. Les réseaux d’interaction motrice des jeux sportifs Une équipe de sport collectif, de basket-ball par exemple, représente typiquement ce que V. Lemieux (1999) nomme un « réseau d’acteurs sociaux », dont les sommets symbolisent ici les joueurs, et dont les arcs figurent les transmissions du ballon à l’aide de passes. Cependant, le réseau étant conçu comme un système, il 9. C. Lévi-Strauss, 1958 (1945), « L’analyse structurale en linguistique et en anthropologie », Anthropologie structurale I, Paris, Plon, p. 37-62.

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doit inclure tous les éléments qui sont partie prenante de façon nécessaire dans sa mise en action immédiate. Ce n’est donc pas le réseau d’une seule équipe de basket qui sera représenté, mais la configuration qui met conjointement, en affrontement direct, les deux équipes opposées définissant tout match réel. Il devient donc indispensable de distinguer deux types d’interaction motrice : une interaction de coopération « positive » ou communication motrice proprement dite (passes au sein de chaque équipe), et une interaction d’opposition « négative » ou contre-communication motrice (interception, tir antagoniste entre les équipes). Doté de deux relations, de signe opposé, le réseau d’interaction motrice du basketball devient alors un bigraphe « signé » (cf. Figure 1).

Figure 1. — Réseau des interactions motrices du basket-ball et matrice associée Ce graphe est l’illustration canonique du duel d’équipes : deux équipes totalement solidaires (relation S positive et complète) sont diamétralement opposées (relation R négative du graphe biparti complet). Les réseaux de tous les sports collectifs modernes sont homomorphes à ce réseau de jeu à deux joueurs et à somme nulle.

Il semble important d’attribuer une place centrale à ce qui fait la spécificité de la dynamique du groupe ludosportif : les interactions corporelles médiées par le ballon, qui permettent à l’action motrice – fer de lance du jeu – de s’accomplir. Le graphe prendra donc en compte les interactions de coopération et d’opposition de type praxique sans s’intéresser aux autres échanges, de type verbal par exemple. Complémentairement, les interactions des joueurs avec un public éventuel, dont l’influence émotive est elle aussi parfois considérable, ne seront pas saisies par ce modèle. Dans ce premier temps, l’objectif est de ne prendre en considération que les éléments

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faisant partie de la logique interne du jeu, c’est-à-dire ceux qui interviennent de façon nécessaire et suffisante pour que l’action motrice puisse pleinement se dérouler en respectant les règles et l’esprit du jeu (les autres éléments du contexte seront étudiés dans un deuxième temps). Si l’on veut éviter toute confusion, il est capital de procéder ainsi avec rigueur et d’isoler les variables, notamment celles qui ne sont pas constitutives de la tâche, telles les interactions verbales et l’intervention du public. En bref, ainsi défini, le réseau des communications du basket va illustrer un invariant du sport : le faisceau de tous les possibles sur le plan des communications et des contre-communications motrices (cf. Figure 1). Pour chaque jeu sportif quel qu’il soit, on peut dresser ainsi le réseau de l’ensemble de ses interactions motrices potentielles. Dans les jeux sportifs sans ballon, l’interaction motrice s’accomplit de façon variée, parfois par l’intermédiaire d’un instrument (l’arme en escrime, le « témoin » dans les relais...), parfois par la prise de possession d’un espace favorable (prise de « la corde » dans les courses, prise du vent dans les régates...), ou encore par le contact direct (« coups » et « prises » dans les sports de combats, « toucher » de la main dans certains jeux traditionnels tels les Barres...). Ce graphe des interactions motrices, rigoureusement fidèle à la règle du jeu, représente le canevas fondamental sur lequel viennent se tisser tous les échanges moteurs d’une rencontre ludosportive. Aussi peut-on penser que certaines propriétés de cette configuration vont, d’une part déterminer en partie les séquences d’interaction actualisées par les joueurs, d’autre part être révélatrices de certaines orientations culturelles de la société qui a produit ce réseau. Que peut-on dire par exemple de la propriété d’équilibre des réseaux de communication des jeux sportifs ? Les contraintes de l’équilibre Rappelons en quelques mots les grands traits de cette propriété fondée sur les signes des liaisons. On adopte habituellement la convention selon laquelle la relation de solidarité S est considérée de signe positif, et inversement, la liaison de rivalité R considérée de signe négatif. Le signe d’une séquence d’arêtes est égal au produit des signes de ces arêtes tel que l’indique la classique « règle des signes » (+ × + = + ; + × – = –, etc.) ; ce qui revient à dire qu’une séquence est de signe positif si elle possède un nombre pair (ou nul) d’arêtes négatives.

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Dans le cas des sports collectifs, l’engagement relationnel des pratiquants est total : sur le terrain, deux joueurs ne sont jamais en situation de neutralité ou d’indifférence. Tous les réseaux d’interaction sont donc « complets », ce qui signifie que chacune de leurs paires de sommets est reliée par une arête, positive ou négative. Il s’ensuit que tous les triplets de sommets constituent des trianglescycles attestés d’ordre 3. La remarque est d’importance dans la mesure où Claude Flament a montré que, sous l’angle de l’équilibre, on pouvait étudier toutes les configurations d’un graphe complet à l’aide d’une démarche fondée sur la seule prise en compte des triades. Ces derniers deviennent ainsi les unités minimales d’analyse, les « atomes de l’équilibre » qui permettent d’évaluer les réseaux sous cet aspect. Dans cette présentation, nous supposerons que les graphes signés sont exclusifs, autrement dit que l’intersection des deux relations de rivalité R et de solidarité S est vide (ce qui est le cas dans tous les sports). Dans un tel graphe G équilibré, l’ensemble R des arêtes négatives définit alors un graphe biparti et constitue un cocycle dans G. Selon la règle des signes, tout triangle est positif et donc équilibré s’il contient zéro ou deux arêtes négatives, et complémentairement, il est négatif et partant déséquilibré s’il possède une ou trois arêtes négatives. Finalement, sur les quatre types de triangles « signés » possibles, deux sont équilibrés et deux déséquilibrés (Figure 2). Dans cet esprit, considérons un joueur de basket-ball et explorons toutes les possibilités de lien social qu’il peut actualiser dans le triangle qui le réunit à deux autres joueurs. Passons en revue successivement toutes les liaisons signées réalisables entre ce joueur et les deux autres, et examinons dans quel rapport ces deux derniers acteurs doivent être alors pour respecter la propriété d’équilibre. Ainsi que le signale le tableau de la Figure 2, en référence au joueur considéré face à son micro-groupe, trois cas d’équilibre sont identifiables : — les deux autres joueurs sont tous deux mes amis : ils sont donc amis entre eux ; — les deux autres joueurs sont tous deux mes ennemis : ils sont donc amis entre eux ; — l’un est mon ami et l’autre mon ennemi : ils sont nécessairement ennemis entre eux. Aisée à mettre en œuvre sur un triangle, cette démarche devrait être étendue à tous les n (n – 1) (n – 2) / 6 triangles d’un graphe complet possédant n sommets. Et l’on devine combien il devien-

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Figure 2. — Les diverses modalités du triangle « signé », atome de base de l’équilibration d’un réseau On observe que la propriété d’équilibre entraîne des contraintes d’alliance et de contre-alliance très stricte (deux triangles sont autorisés et deux sont refusés).

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drait vite fastidieux de repérer ainsi les signes respectifs de tous les triplets d’un réseau. Cependant, de façon heureuse, les caractéristiques d’équilibre prennent forme dans un théorème fondamental mis en avant par Harary et Flament. Ce théorème à grande portée généralisante, justifiant que l’on s’intéresse à la propriété d’équilibre, s’énonce ainsi : « Un graphe est équilibré si et seulement si, tous ses sommets peuvent être bipartitionnés en deux classes ou groupes de telle sorte que les arêtes intragroupales soient toutes positives, et les arêtes intergroupales toutes négatives. » Voilà qui simplifie considérablement les frondaisons apparemment inextricables de certains graphes ! Un modèle exemplaire : le duel Finalement, pour qu’une situation sociale, comportant à la fois des liaisons négatives et positives soit équilibrée, une seule catégorie de cas est possible : quand on note la présence de deux blocs qui, totalement solidaires intérieurement, sont totalement antagonistes l’un vis-à-vis de l’autre (l’autre cas possible d’équilibre est trivial : il requiert que toutes les liaisons soient positives). Ce théorème offre une réponse du type « tout ou rien » : le réseau est équilibré ou il ne l’est pas. Il est cependant possible de nuancer et d’évaluer un degré de déséquilibre : il convient alors d’estimer le plus petit nombre d’arêtes dont il suffirait d’inverser le signe pour rendre le graphe équilibré (cet indice de déséquilibre est une « distance » entre le graphe considéré et le graphe équilibré le plus proche). Au cours de cette étude, nous ne prendrons en considération que les structures d’interaction pleinement équilibrées, dans la mesure où, apparaissant sans tache, elles deviennent socialement emblématiques de valeurs et de normes épurées pouvant illustrer un idéal. Sachant qu’en situation de tirage aléatoire, portant sur l’attribution du signe des arêtes, de tels réseaux ne rassemblent qu’un très faible pourcentage de cas, leur présence massive dans les pratiques sociales attestées semble être riche d’une signification qu’il conviendra de mettre au jour. Précisément, qu’en est-il du réseau de communication du basket-ball présenté dans les pages précédentes ? Constitué de deux blocs soudés totalement opposés l’un à l’autre, il répond strictement à la définition de l’équilibre. Son tableau de liaisons présente un « pavage » caractéristique qui, d’une part regroupe deux pôles posi-

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tifs en deux carrés serrés autour de la diagonale principale, et d’autre part rassemble deux plages négatives dans les deux ailes restantes (cf. Figure 1). On est en présence d’un affrontement absolu entre deux adversaires, c’est-à-dire d’un « jeu à deux joueurs et à somme nulle » pour reprendre la terminologie que Von Neumann a proposé en théorie des jeux. Ici, les joueurs sont en réalité des acteurs collectifs, c’est-à-dire, des équipes telles que, tout point gagné par l’une d’entre elles est remporté au détriment de l’autre. En empruntant au langage de l’escrime, Georges Guilbaud avait proposé d’appeler « duel » tout affrontement de ce type, quel qu’en soit le contenu, littéraire, ludique, diplomatique, commercial ou militaire10. C’est donc par un retour aux sources que nous pourrons qualifier de « duels » les rencontres sportives de cette catégorie, duel « d’individus » ou duel « d’équipes », selon le cas. C’est alors qu’une constatation massive s’impose : tous les sports collectifs en vogue dans notre société sont bâtis sur ce même modèle. Matchs de football, de volley, de rugby, de handball ou de hockey possèdent tous la même structure de duel offrant un homomorphisme spectaculaire, aux effectifs près. Le réseau de coalitions La découverte de l’omniprésence de l’équilibre aux effets relationnels typés et très impliquants, encourage à explorer encore plus à fond les ressources de cette propriété. L’examen de l’ensemble du corpus des jeux sportifs révèle ainsi un autre réseau d’interactions, très proche du précédent et très caractéristique, mais qui ne répond pas aux propriétés de l’équilibre. Il s’agit des compétitions qui opposent au contact un grand nombre d’équipes, telles par exemple les épreuves d’athlétisme de relais, les courses cyclistes, les régates de voile. Le graphe d’une telle situation dénote la présence de plusieurs cliques ou coalitions qui s’opposent toutes entre elles (Figure 3). Ainsi que le signale G.-Th. Guilbaud, à propos des jeux de société, « ce mode de coalition est fixé par la règle du jeu » (1954)11. C’est en quelque sorte l’antagonisme absolu de deux blocs soudés qui se généralise à n blocs solidaires. Le graphe de coalitions ainsi obtenu 10. G.-Th. Guilbaud, 1954, Stratégies et décisions économiques. Études théoriques et applications aux entreprises, Paris, Éditions du CNRS. 11. Ibid.

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n’est pas équilibré, car il renferme un triangle interdit : celui qui, composé de trois arêtes négatives, relie tout trio de joueurs appartenant à trois équipes différentes. Cette négation de l’équilibre paraît en l’occurrence gênante car, dans la logique des liens sociaux de coopération et d’opposition, le réseau de coalitions ne fait que démultiplier les confrontations qui répondent à des exigences du même ordre que celles de l’équilibre. Aussi avons-nous proposé (1987) d’assouplir la notion d’équilibre en distinguant deux degrés différents12 : — un biéquilibre : qui correspond à la définition classique de l’équilibre dans la lignée de Heider et de Harary, que nous avons rappelée dans les pages précédentes. Sa structure caractéristique est le réseau dichotomique du duel qui n’accepte au maximum que deux classes d’équivalence ; — un multiéquilibre : moins exigeant que le précédent, qui admet plus de deux classes d’équivalence et autorise donc la triade aux trois arêtes négatives. Sa structure caractéristique est le « réseau de coalitions ». Un graphe signé complet sera réputé équilibré (multiéquilibré) si et seulement si l’ensemble de ses sommets peut être multipartitionné en plusieurs classes ou groupes de telle sorte que chaque arête positive soit intragroupale et chaque arête négative intergroupale. Tout graphe biéquilibré est ainsi un cas particulier des graphes de coalitions multiéquilibrés. Nous utiliserons désormais l’épithète « équilibrée » pour qualifier toute situation correspondant à un réseau de coalitions, donc à toute situation multiéquilibrée (sachant que les graphes biéquilibrés font partie de cette classe, l’inverse n’étant pas vrai). Au point de vue social, une situation équilibrée correspond donc à deux ou à plus de deux coalitions qui sont radicalement opposées les unes aux autres (rappelons qu’il faut y ajouter le cas trivial dénué d’antagonisme où le groupe est cristallisé en une clique unique). L’examen attentif des réseaux des sports, rigoureusement organisés sur le mode de l’opposition abrupte de blocs solidaires souvent nombreux, poussait à opérer un tel élargissement de la notion d’équilibre. Mais d’autres chercheurs ont proposé une analyse du même type, entraînés eux aussi par la logique des situations sociales qu’ils examinaient, tel G. Ribeill dans son étude des tensions qui opposent des groupes politiques ou idéologiques 12. 1987, Éléments de sociologie du sport, Paris, PUF.

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Figure 3. — Graphe de coalitions illustrant un réseau de multiéquilibre On est en présence de trois blocs soudés, totalement opposés les uns aux autres (ce graphe se généralise à un nombre quelconque de cliques aux effectifs variés).

(1973)13. Parallèlement, à la suite de Davis (1967), C. Flament a repris le problème en formalisant deux notions indépendantes qui peuvent éventuellement se conjuguer : le « groupage » (regroupement des éléments d’un réseau en plusieurs composantes connexes disjointes) et la « parcimonie » (limitation des composantes à un maximum de deux) ; dans cette perspective, un graphe groupable et parcimonieux est biéquilibré (Flament, 1996)14. Chemin faisant, nous constatons que l’analyse des situations sociales et la formalisation mathématique se sont réciproquement influencées, chacune permettant à l’autre de faire un pas en avant. 13. G. Ribeill, 1992, Tensions et mutations sociales, Paris, PUF. 14. C. Flament, 1996, « Psychologie sociale et formalisation : théorie des graphes et équilibre structural », dans J.-C. Deschamps et J.-L. Beauvois, Des attitudes aux attributions. Sur la construction de la réalité sociale, Grenoble, PUG.

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Le réseau équilibré, notamment le duel, offre une structure relationnelle exacerbée où la solidarité et l’antagonisme sont portés à leur paroxysme : chaque sujet agissant y est extrêmement dépendant de ses partenaires d’équipe, et absolument opposé à ses adversaires. Il est dos au mur : il terrasse ou se fait terrasser. L’adoption d’un schéma aussi tranché dans la communication et la contrecommunication motrices ne peut manquer de correspondre à des représentations sociales fortement appuyées. Aussi pourrait-il être intéressant de plonger ce modèle de réseau dans un ensemble emblématique des pratiques sportives de notre société afin d’observer la place qui lui a été accordée. Nous retiendrons comme référentiel le corpus des Jeux olympiques, dans la mesure où ceux-ci se proclament représentatifs des valeurs et de l’éthique de nos sociétés. Ainsi que l’affirme, en place d’honneur, l’éditorial du numéro du Courrier de l’Unesco consacré à « Sport et compétition »15 : « Pour l’Unesco, dont l’une des missions est de veiller à la pureté des valeurs éthiques qui fondent le sport, ce dernier continuera d’être un indispensable vecteur de fraternité planétaire, tant qu’il restera, pour la plupart des hommes, cette “école de noblesse” où Pierre de Coubertin, il y a déjà un siècle, voyait sa vocation première. » Étonnante surface de projection émotive, les Jeux olympiques se veulent la vitrine ostentatoire des vertus de notre culture. Il serait alors sans doute révélateur d’observer comment ils organisent cette « fraternité planétaire », par exemple en mettant en œuvre concrètement le lien social dans son accomplissement corporel. Quel jeu subtil fomentent-ils entre la solidarité et la rivalité ? Bref, quelle importance prend la propriété d’équilibre dans les réseaux d’interaction motrice mis en œuvre par les Jeux olympiques ? L’examen de l’ensemble des épreuves sportives, sous le point de vue de leurs réseaux respectifs d’interaction motrice, conduit à distinguer six classes de situation, chacune étant caractérisée par un type de rapport à l’équilibre (Figure 4). 1 / Le duel d’équipes : dont le basket-ball a fourni le support de présentation dans les pages précédentes. Deux blocs solidaires 15. Bahgat Elnadi et Adel Rifaat, 1992, Éditorial Le courrier de l’Unesco, spécial Sport et compétition, décembre, Paris.

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Les choix spectaculaires des Jeux olympiques


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Figure 4. — Les grandes catégories de réseaux des Jeux olympiques (1992) Ces 309 réseaux témoignent d’une étonnante homogénéité. Il suffit de six classes d’équivalence pour les regrouper tous selon des modèles très typés, tous stables, exclusifs, équilibrés et égalitaires.

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sont abruptement affrontés. Le réseau est biéquilibré. Les exemples sont abondants : football, handball, volley-ball, water-polo, hockey, etc. 2 / Le duel d’individus : le réseau est semblable au précédent, mais en sachant que chacune des deux équipes est réduite à un seul joueur. Le graphe est biéquilibré. Ce modèle est illustré par les sports de combat (judo, lutte, boxe), l’escrime (fleuret, épée, sabre), le tennis en simple, etc. 3 / La structure de coalitions d’équipes : plusieurs équipes soudées, en nombre supérieur à deux, s’opposent radicalement ; nous avons vu que le réseau d’interaction est alors multiéquilibré (courses de relais, régates de voile en équipage, courses cyclistes, etc.). 4 / La structure de coalitions d’individus : chaque coalition est réduite à un seul joueur ; c’est le cas du « chacun pour soi ». Le réseau est multiéquilibré (courses de ski de fond, courses d’athlétisme en demi-fond et en fond, marathon, etc.). 5 / La structure de stricte coopération : intervenant en équipe, les joueurs unissent leurs efforts, sans nouer d’interaction motrice instrumentale avec leurs adversaires. La relation de rivalité est vide sous l’angle moteur ; le graphe est biéquilibré, trivialement, car l’un des deux sous-ensembles d’opposition est vide (canoë-kayak collectif, compétitions d’aviron, patinage en mixte, gymnastique rythmique, etc.). 6 / La structure en solo des sports psychomoteurs : chaque pratiquant agit en isolé, sans nouer d’interaction motrice opératoire avec quiconque, partenaire ou adversaire ; ces réseaux sont biéquilibrés trivialement. Les illustrations en sont très nombreuses : athlétisme (sauts, lancers, courses de vitesse), gymnastique (barre fixe, poutre, anneaux...), haltérophilie, etc. Par contraste avec les sports qui imposent aux joueurs des interactions motrices entre des partenaires et/ou des adversaires (sports « sociomoteurs » ou sociojeux), ici le pratiquant intervient en solo, sans entretenir aucune communication ou contre-communication motrice avec quiconque (sports « psychomoteurs » ou psychojeux). L’analyse révèle que ces six catégories recouvrent toutes les épreuves olympiques, sans exception (Figure 4). La conclusion est donc étonnante : aucun réseau d’interaction des épreuves olympiques ne transgresse la propriété d’équilibre. Or, la combinatoire des possibles, associée aux deux relations de rivalité et de solidarité est immense et regorge de graphes déséquilibrés. Le panorama olympique, qui n’affiche aucun réseau déséquilibré, est de ce fait excep-

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tionnel et ne peut être dû au hasard. L’institution sportive a donc effectué des choix qui ont eu pour effet d’éliminer les réseaux non équilibrés. Peut-on expliquer cette radicale élimination, et corrélativement cette concentration des réseaux du sport dans une frange aussi étroite du spectre des possibles ?

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Plusieurs hypothèses peuvent être avancées : — Les réseaux non équilibrés produiraient des structures confuses et ingérables dans la réalité du terrain. Il est vrai que tous les sports collectifs socialement attestés de nos jours reposent sur un réseau biéquilibré, et que tout se passe comme si ce modèle était considéré comme le seul qui se prête à un jeu sportif intelligible. Qu’en est-il réellement ? En dehors du sport, existe-t-il des jeux qui possèdent des réseaux déséquilibrés ? À vrai dire, de tels réseaux non orthodoxes sont bel et bien attestés dans le domaine aujourd’hui délaissé des jeux sportifs traditionnels. Nombre de ces derniers, qui ont suscité un véritable engouement pour des générations de pratiquants, transgressent allègrement la propriété d’équilibre. Considérons l’un d’entre eux, bien caractéristique, nommé « Les Trois camps » qui met en confrontation directe, sur un grand terrain, trois équipes soudées. Ses règles prescrivent un pouvoir de prise par simple touche de type circulaire, tel que les joueurs du camp P peuvent capturer les joueurs du camp V, lesquels peuvent s’emparer des membres du camp R qui, à leur tour, ont pour tâche de se saisir des joueurs du camp P. À première vue, ce système de prise se traduit par un graphe de coalitions paraissant anodin (Figure 5). Cependant, l’antisymétrie de ce droit de capture s’exerçant sur un triangle de joueurs, entraîne un véritable paradoxe relationnel. En effet, lorsqu’un renard R capture une poule P, il protège la vipère V (menacée par cette poule P). Or, du point de vue du renard, la vipère qu’il protège ainsi, c’est précisément son prédateur direct qui a droit de prise sur lui ! L’acte censé assurer le point gagnant ouvre la voie au point perdant (Figure 5). Et ce même mécanisme circulaire et contradictoire se reproduit pour chacun des membres des trois cliques opposées. Autrement dit, plus un joueur accomplit d’actions de prise gagnantes, plus il conspire à sa perte. Nous sommes typiquement dans le phénomène de « double contrainte »

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Pour quelles raisons éliminer les réseaux déséquilibrés ?


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P

-

P

+ R

V

R

V

La « double contrainte » ludique En capturant P qui menace V, R protège V (or, c’est V qui cherche à capturer R).

P

+ +

-

R

+

V

Le réseau est truffé de cycles négatifs, et donc déséquilibré.

Figure 5. — Un cas exemplaire de réseau d’interaction non équilibré : le jeu sportif traditionnel des Trois camps La règle rend ce jeu « paradoxal » en imposant aux joueurs des actes qui entraînent leur défaite.

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découvert et analysé par Gregory Bateson (1977)16 : pour gagner, le joueur doit capturer ses adversaires désignés, mais plus il réussit de captures, plus il devient vulnérable et s’achemine vers la défaite. C’est la règle qui rend le déséquilibre et le « paradoxe » inéluctables dans les Trois camps. Dans de nombreux autres jeux, sans être totalement imposé, le paradoxe trouve des conditions favorables à son émergence : c’est le cas des pratiques où la relation entre les joueurs est ambivalente. L’intersection entre les deux relations de rivalité R et de solidarité S n’est pas vide : le bigraphe n’est plus exclusif et les cycles négatifs, indicateurs de déséquilibre, imposent alors leur présence dérangeante. Les jeux traditionnels « de type paradoxal » sont nombreux (la Balle assise, le Gouret, la Porte, l’Ours et son gardien, la Galoche, les Quatre coins, etc.) et signalons en passant, que loin d’être injouables, la plupart de ces jeux suscitent encore un étonnant engouement de la part des enfants et des adultes qui s’y adonnent. L’argument affirmant le caractère irréaliste d’une pratique des activités ludomotrices à réseau déséquilibré est donc résolument mis hors jeu. — Les réseaux déséquilibrés détériorent la spectacularité sportive. Le sport est un spectacle qui cherche à mobiliser le maximum de spectateurs. Il représente un produit de masse qui tente de se vendre. Il lui faut proposer un spectacle rentable qui attirera les foules sur les stades et devant les écrans de télévision. Comment retenir le chaland ? La recherche de situations claires et sans ambiguïtés, immédiatement accessibles au néophyte et favorables à la projection émotive, est une constante qui est à l’origine du contenu de l’évolution des règlements sportifs. À ce titre, l’équilibre est le garant de situations cristallines où la coopération et l’opposition s’affirment de façon éclatante. Un spectacle de masse doit être facile à « lire », sans trop de subtilités byzantines, et l’équilibre du réseau de communication est l’un des facteurs importants d’une lecture immédiate et sans détours. Le modèle du duel biéquilibré, compte à coup sûr parmi les plus attractifs, et sa bipolarité affichée favorise une interprétation affective de type manichéen. Des duels, tels ceux du football ou du rugby, favorisent l’identification du spectateur à ses héros et sont propices à une exaltation émotive en faveur d’un favori au détriment d’un adversaire vilipendé. Et tout en augmentant le nombre des pôles d’antagonisme, le réseau à coalitions multiples respecte la 16. G. Bateson, 1977, Vers une écologie de l’esprit, Paris, PUF.

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clarté et la loyauté de l’affrontement, maintenues par le multiéquilibre. Le non-équilibre du réseau provoque, avons-nous vu, la communication paradoxale, et celle-ci va brouiller un spectacle qui se voudrait limpide, pur et loyal. Le déroulement du jeu devient alors incohérent et est perçu comme « injuste ». Il crée un « effet pervers » qui apparaît comme un véritable cas d’école : les actes intentionnels des joueurs produisent des conséquences non intentionnelles. La composition des actions individuelles suscite une situation collective renversante qui prend les joueurs à contre-pied. Exaltant le franc-jeu, le spectacle sportif condamne le double jeu. Dans son étude du désordre social, Raymond Boudon souligne que les institutions s’ingénient à supprimer les effets pervers qui sont ainsi, par ces efforts d’élimination, à la source des transformations de la société : « La fonction principale de l’organisation sociale, écrit-il, est l’élimination des effets pervers » (1977)17. L’évolution des jeux sportifs au cours du dernier siècle en est une éclatante illustration. S’appliquant à éradiquer tout effet pervers perturbateur, l’institution sportive a autoritairement évincé tout jeu sportif susceptible de le faire surgir, et notamment tout jeu sportif non équilibré. — Les réseaux déséquilibrés offusquent l’éthique sportive. Les lignes précédentes le laissent pressentir : le spectacle sportif n’est pas au seul service d’une esthétique désintéressée ; il est lié à des représentations sociales, à des valeurs, à une conception sous-jacente de la société. Il est le représentant symbolique d’un idéal social. Le sport se veut à l’image des conditions de loyauté et d’égalité, prônées par les sociétés démocratiques modernes. Les réseaux déséquilibrés, traversés de liaisons contradictoires, n’y souscrivent pas. Le modèle d’excellence de la rencontre sociale culmine dans la structure des graphes équilibrés, mais il y faut un complément indispensable : la symétrie. Pour que la confrontation soit équitable, les adversaires affrontés doivent en effet disposer des mêmes droits et des mêmes armes. Cette similitude totale des statuts et des pouvoirs attribués aux adversaires respectifs permet au sport de se prévaloir hautement de l’égalité des chances. Cette symétrie en miroir du duel se généralise aux réseaux de coalitions (symétrie engendrée par le groupe de transformations qui laissent le réseau invariant). Dans les sports collectifs, équilibre et symétrie offrent le symbole d’une confrontation équitable où règne l’égalité des chances. La fra17. R. Boudon, 1997, Effets pervers et ordre social, Paris, PUF.

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ternité des équipiers et l’adversité des opposants se donnent libre cours en une transparence exemplaire, car l’équilibre prend corps dans un jeu « à information complète », selon l’expression de la théorie des jeux. De nombreux jeux sportifs traditionnels, notamment des duels pourtant passionnants mais qui n’associent pas l’équilibre et la symétrie, ont été résolument récusés par les instances institutionnelles : le Drapeau, l’Épervier, Gendarmes et voleurs, la Délivrance, le Double drapeau, la Balle à l’ours ; parallèlement, les sports de combat et l’escrime dont les spécialités sont surabondantes (boxe, lutte, judo, fleuret, épée, sabre) ont rejeté tout duel dissymétrique comme le furent les spectaculaires assauts des gladiateurs romains, rétiaires et autres mirmillons. Bien que très spectaculaires et même populaires, les combats inégalitaires sont systématiquement repoussés par les instances sportives qui redoutent comme la peste que l’on confonde le sport et le cirque. Point d’affrontement grotesque ni de clowneries où l’on s’esclaffe, mais des duels nobles dans lesquels des conditions justes et équitables magnifient la vaillance et la dignité des combattants. On ne peut y échapper : le souci éthique est omniprésent dans le sport. — Propriétés en renfort de l’équilibre. Dans la même ligne, les réseaux des sports sont tous « exclusifs », c’est-à-dire ont tous des relations R et S disjointes : le sport n’admet pas l’ambivalence relationnelle ; on est « avec » ou on est « contre », jamais les deux à la fois. À l’opposé, dans certains jeux traditionnels telle la Balle assise, un joueur peut décider, à son gré, s’il accorde à l’égard d’un participant donné une passe de coopération ou s’il lui décoche un tir d’opposition. La règle autorise ici deux liens contradictoires entre les deux mêmes pratiquants au même moment, possibilité absolument bannie au rugby ou au tennis. Le sport interdit le « double jeu », source de déloyauté et de trahison. Une autre propriété formelle des réseaux sportifs possède une correspondance fortement chargée de signification sociale : la stabilité, définie par l’invariance des deux relations R et S. Autrement dit, un joueur ne change jamais de partenaire ou d’adversaire au cours d’une rencontre : quelles que soient ses motivations et ses préférences, il ne peut tourner casaque. Au cours d’un match de football ou de volley-ball, il lui est interdit d’appartenir tantôt à une équipe et tantôt à l’autre : cette félonie est exclue. Ce n’est pas le cas de nombreux jeux traditionnels de réseau instable, au cours desquels la règle autorise ou impose au pratiquant de changer abruptement de camp : à l’Épervier, à la Balle au chasseur, à l’Ours et son

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gardien, le joueur atteint devient brutalement l’adversaire de son précédent partenaire (le réseau restant exclusif). Chaleureusement protégé par un coéquipier, tel pratiquant va quelques secondes plus tard, se mettre à pourfendre son ancien protecteur de ses attaques agressives. De tels revirements de comportement battent en brèche l’éthique sportive ; celle-ci revendique un modèle de rencontre fondé sur la loyauté et la fidélité, susceptible de lui conférer une image incontestable de pureté sans tache. Ce rapide examen révèle aussi que l’équilibre des réseaux se renforce de quelques autres propriétés mathématiques élémentaires (symétrie, exclusivité, stabilité) dont la Figure 3 confirme qu’elles ne tolèrent aucune transgression dans l’abondante palette des Jeux olympiques. En revanche, il apparaît que les jeux traditionnels n’obéissant pas à ces contraintes sont foisonnants et ont connu par le passé un beau succès. Bien qu’il soit banni du sport, le déséquilibre des réseaux n’est donc pas incompatible avec une pratique sociale réussie des jeux sportifs. En bref, deux phénomènes semblent être à la source de l’éradication du déséquilibre des réseaux du sport : la recherche de la spectacularité et l’affirmation d’une éthique ostentatoire. Pouvons-nous essayer de mieux comprendre les raisons d’être d’une telle orientation ? Des analogies de structures « À quel enchaînement de circonstances doit-on imputer l’apparition dans la civilisation occidentale et uniquement dans celle-ci, de phénomènes culturels qui – du moins nous aimons à le penser – ont revêtu une signification et une valeur universelles ? » Cette question qui ouvre le livre de Max Weber18 liant le capitalisme à l’éthique protestante, se pose également de façon aiguë au sujet de ce phénomène culturel qui a récemment envahi la planète : le sport. Comment expliquer cette invasion ? Comment se fait-il, que parmi les myriades de jeux physiques attestés de par le monde, se soit établie l’hégémonie d’une petite portion d’entre eux qui ont imposé leur logique propre au reste de la planète ? Les grandes fédérations sportives, de football, tennis ou basket, regroupent désormais davantage de nations que ne le fait l’ONU. Les jeux de niveau local ont laissé la place aux pratiques sportives de 18. M. Weber, 1964 (1947), L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Paris, Plon.

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niveau global. Les jeux de village disparaissent ou plutôt, grâce au sport, la planète s’est elle-même transformée en un grand village. La mondialisation du sport est devenue un fait social massif qui s’est affirmé comme tel depuis déjà plus d’un siècle. On peut en effet considérer que l’acte institutionnel fondateur de cette mondialisation a été l’organisation couronnée de succès des Jeux olympiques d’Athènes en 1896, dont l’objectif était bel et bien de conférer au sport « une signification et une valeur universelles » selon l’expression de Weber. S’il revient à l’historien de reconstruire, par le menu, les cheminements de cette montée en puissance, le sociologue peut répondre pour sa part en recherchant des analogies entre le fait étudié et un faisceau de caractéristiques pertinentes du contexte social. C’est ce qu’a mené à bien Max Weber en montrant de flagrantes parentés de structure entre les comportements de l’entrepreneur capitaliste et les prescriptions du protestantisme. Les traits majeurs du puritanisme reconstruits sous forme d’un « type idéal » apparaissent en fidèle correspondance avec les caractères les plus saillants du capitalisme moderne. Ce qui est intéressant pour notre propos, c’est la démarche wébérienne dont « le principe de l’explication consiste donc ici, souligne Raymond Boudon, à mettre en évidence la parenté logique entre deux phénomènes sociaux ou deux aspects de l’ordre social »19. C’est une telle « recherche des homologies structurales » que nous poursuivons dans notre étude du phénomène sportif. C’est également dans cette perspective qu’un auteur tel Erwin Panofsky20, a réussi le tour de force de mettre en évidence une parenté de structure entre l’architecture des cathédrales gothiques et la conception des exposés de la scolastique médiévale. Cet homomorphisme est traqué dans les croisées d’ogives, dans la rose des façades, dans les colonnettes et les piliers de la nef dont les principes d’organisation sont, souligne l’auteur, d’une « extraordinaire cohérence » répondant aux mêmes exigences que celles du plan d’ensemble exposé dans la Somme théologique. Autrement dit, la cathédrale gothique est un exposé, dans la pierre, de l’argumentation scolastique, non par des inscriptions superficielles, mais dans son agencement interne et dans l’architecture profonde de l’édifice. C’est dans la recherche de ce type 19. R. Boudon, 1977, Les méthodes en sociologie, Paris, PUF. 20. E. Panofsky, 1967, Architecture gothique et pensée scolastique, Paris, Éditions de Minuit.

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d’analogie structurale adaptée au sport que nous essayons de nous situer. Notre croisée d’ogives, ce sera la propriété d’équilibre du réseau. Le danger qui guette une telle recherche serait de se cantonner dans les homologies de surface et dans les idées trop générales. C’est la raison pour laquelle nous avons identifié des structures enfouies sous la luxuriance des faits de surface, en postulant qu’elles recélaient une grande part de la pertinence des situations. La démarche ici entreprise est donc claire : de la configuration des structures ludosportives identifiées, on déduit des propriétés mathématiques précises que l’on tente alors de mettre en analogie avec des caractéristiques sociales (normes, valeurs, représentations sociales, institutions...). Pour que cette parenté de structure décelée possède quelque validité, il convient que les réseaux sportifs exhibés aient peu de chance d’être produits par le hasard seul, qu’ils présentent un pourcentage d’occurrences empiriques élevé, et enfin que les valeurs sociales correspondantes soient facilement identifiables et révélatrices d’une franche orientation. Le discours sportif, tant celui de Pierre de Coubertin que celui des responsables de l’UNESCO, s’appuie avec une constance ostentatoire sur des considérations éthiques, et fait ouvertement référence aux principes majeurs de la démocratie. Il est d’ailleurs une concordance qui ne peut manquer d’intriguer l’observateur : l’époque décisive de la création des fédérations sportives a été la fin du XIXe siècle, tout comme l’ère de la réelle implantation des régimes démocratiques occidentaux. Autrement dit, sport et démocratie se sont imposés, dans le même lieu (la façade nord-ouest de l’Europe) et à la même époque (le dernier tiers du XIXe siècle). N’est-ce là que pure coïncidence ? Il apparaît que les grands traits du phénomène sportif, dont certains ont été mis en évidence dans l’étude des réseaux, sont en étroite correspondance avec les caractéristiques du régime démocratique : le contrat fondateur régissant la rencontre, l’égalité des chances offerte à tous, la clarté et la loyauté des échanges, l’assurance d’un arbitrage juste et équitable, le respect du vaincu qui pourra retenter sa chance ultérieurement. Ce parallélisme a été souligné par Norbert Elias qui affirme que « les passe-temps de type sportif et la structure du pouvoir en Angleterre ont évolué parallèlement »21. En montrant que cette parenté s’est dessinée dès le XVIIIe siècle, Elias affirme qu’on observe « une analogie manifeste » entre la structure 21. N. Elias, op. cit.

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du régime parlementaire anglais et la sportification des passe-temps. Cette concordance conférerait au sport un rôle important dans le processus social de maîtrise de la violence, c’est-à-dire, affirme Elias, dans le processus civilisateur. On peut contester cette interprétation, mais toujours est-il que notre rapide examen des propriétés des réseaux sportifs autorise pleinement le constat d’une homologie de structure entre le régime démocratique et l’organisation sportive. Cette parenté a favorisé la mise en œuvre contemporaine d’un processus de mondialisation du sport qui a explicitement commencé, tant dans les discours que dans les faits, dès la fin du XIXe siècle. Un autre parallélisme n’a pas échappé aux observateurs : on note une correspondance indiscutable entre les caractéristiques du capitalisme lié à la révolution industrielle et les grands traits de l’entreprise sportive. Là encore, la coïncidence spatiale et temporelle fait choc : le lieu d’émergence commun est l’Angleterre qui va entraîner l’Europe occidentale, et l’époque partagée est encore la seconde partie du XIXe siècle. De l’artisanat à l’industrie, du jeu local au sport mondial ; dans les deux cas, on aboutit à une activité de masse dont la spectacularité pour le cas du sport est le fer de lance. Le sport est devenu une multinationale du spectacle. On voit bien se dessiner une forte compatibilité et d’indiscutables correspondances entre, d’une part le marché et le règne de la concurrence, et d’autre part la rencontre sportive et la loi de la compétition. L’ethos du sportif est en phase avec l’ethos du chef d’entreprise. La production de masse, caractéristique de ces deux secteurs, entraîne une foule de traits communs : la standardisation, l’alignement sur les mêmes règles, la rationalisation et la disparition des identités de terroir au profit d’une entité homogénéisée fondée sur l’uniformisation. Le sport devient un esperanto du corps. Les principes du capitalisme industriel et ceux de l’entreprise sportive vont se rejoindre et mettre en congruence leurs deux « types idéaux » respectifs : placer la compétition en figure de proue, favoriser la libre circulation des acteurs et le libre accès aux échanges, mettre sur pied une organisation rationnelle, fonder la stratégie sur le calcul et la mesure, rechercher le rendement et la performance. Max Weber lui-même n’écrit-il pas que la poursuite de la réussite capitaliste « a tendance aujourd’hui à s’associer aux passions purement agonistiques, ce qui lui confère le plus souvent le caractère d’un sport »22 ? L’analyse des réseaux confirme cette parenté de 22. M. Weber, op. cit., p. 225.

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structure (symétrie, équilibre, système des scores...). La massification du sport, de concert avec l’essor du marché industriel a, elle aussi, grandement ouvert les voies à la mondialisation23.

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Le constat est donc troublant. Schématiquement, le « type idéal » du phénomène sportif présente de fortes analogies structurales avec les types idéaux respectifs de deux univers sociaux qui, paradoxalement, affichent entre eux quelques franches divergences. Considérons par exemple l’égalité des chances, prônée avec tant d’insistance par le monde sportif. Cette égalité initiale est revendiquée tant par la démocratie que par l’entreprise libérale. Cependant, pour la première, elle se veut une garantie d’équité débouchant sur l’harmonie des rapports humains. Pour la seconde, elle est la condition d’apparition d’une élite dont les scores et les performances vont affirmer une brutale domination ; dans ce dernier cas, l’égalité de départ est ce qui va donner tout son prix à l’inégalité de l’arrivée (donc à la suppression de l’égalité initiale). Il en va de même pour la libre concurrence et les arbitrages éventuellement nécessaires. L’économie libérale va souhaiter un marché totalement ouvert et dénué d’intrusion étatique, alors que le pouvoir démocratique interviendra pour réguler ce qu’il jugera comme des dérives abusives et préjudiciables aux plus démunis. Décentralisation et libre initiative contre centralisation et État régulateur. L’opposition n’est pas mince. D’une part, un darwinisme sportif où dans la jungle des compétitions surgissent les « meilleurs », c’est.à-dire ceux qui gagnent et dominent le vulgaire ; de l’autre, un ensemble d’expériences collectives où la confrontation donne à chacun l’occasion d’affirmer ses possibilités sans recherche systématique de hiérarchisation et avec pour toile de fond un souci de solidarisme. Le premier survalorise l’élite, le second se porte au secours des faibles. Face à ces entrechocs, on pourrait donc se demander si les parentés de structure avancées dans les pages précédentes entre le sport d’une part, et d’autre part la démocratie puis le capitalisme, conservent une réelle validité. 23. J.-P. Warnier, 1999, La mondialisation de la culture, Paris, La Découverte.

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Un conflit inéluctable


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Finalement, deux phénomènes dont l’analyse des réseaux a souligné l’importance, semblent être à la source du développement du sport : la spectacularité qui est manifestement du côté du marché libéral, et la préoccupation éthique qui rejoint l’exigence démocratique. Si la politique ne se décide pas à la Corbeille, elle en est cependant largement tributaire ; l’économique et le politique sont manifestement interdépendants. L’opposition entre libéralisme et démocratie que nous avons précédemment relevée est donc inéluctable. Elle n’est cependant pas rédhibitoire : chaque nation va gérer les frictions, parfois rudes, selon son propre tempérament. Cette alliance conflictuelle se retrouve dans toutes les démocraties actuelles dont l’appellation générique « démocratie libérale » n’a pu éviter de mettre côte à côte les deux tendances dissonantes. Les analogies structurales que ces deux univers divergents entretiennent respectivement avec le sport trouvent ainsi leur explication : elles témoignent d’une connivence de fait – fût-elle contestée – entre ces deux orientations majeures des démocraties modernes qui s’entrelacent dans le système sportif. Le régime de démocratie libérale est inévitablement traversé de tensions permanentes entre des exigences parfois contradictoires. Ces déchirures apparaissent en parallèle dans l’institution sportive, condamnée à vivre et à assumer une tension entre des pôles opposés : la libre initiative de l’acteur et la contrainte du système, la décentralisation et la centralisation, la solidarité et l’antagonisme, le désintéressement et l’attrait du gain. L’égalité et la liberté dans le sport ? Certes, mais est-ce pour favoriser la fraternité ou pour exalter la supériorité ? Constamment présente, cette ambiguïté rend les jugements délicats. D’autant que les éléments financiers interfèrent avec les principes éthiques. Ainsi du célèbre arrêt Bosman, promulgué en 1995 par la Cour de justice européenne, qui a autorisé tout footballeur d’un pays membre de la Communauté à signer un contrat dans n’importe quel club européen de son choix. Prononcé à la suite de la plainte du joueur professionnel belge Bosman, cet arrêt a institué une véritable libéralisation de la circulation des footballeurs à l’intérieur des clubs européens. Refus de l’esclavagisme des joueurs antérieurement asservis par les clubs omnipotents ou surenchère capitaliste au bénéfice des clubs les plus fortunés ? Souhaitable fluidité offerte aux initiatives individuelles ou inéquitable désorganisation collective des clubs ? Des entrechocs de ce type vont susciter maintes controverses. C’est ainsi que l’on voit des auteurs éminents s’opposer de façon

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abrupte. D’une part, par exemple J. Huizinga condamnant les « démonstrations de masse » du sport qui « devient un facteur stérile »24, ou J.-M. Brohm affirmant que le sport est « une institution de domination idéologique reproduisant les structures et superstructures du capitalisme d’État, qu’il soit d’inspiration libérale ou d’inspiration bureaucratique totalitaire »25 ; d’autre part, par exemple R. Caillois qui glorifie le « rôle civilisateur » des « jeux du stade » dont la « nouvelle espèce d’émulation inaugure une école de loyauté et de générosité »26 ou N. Elias affirmant le rôle du sport dans la « pacification des mœurs » et dans « l’avancée du procès de civilisation »27. Les démonstrations de ces différents auteurs sont souvent appuyées sur le rappel de faits certes unilatéraux mais incontestables. Il semble bien qu’on ne puisse échapper à cette déchirure constitutive. Le sport est un Janus dont les deux visages sont inéluctablement condamnés à s’opposer. Nous inclinons d’ailleurs à penser que c’est cette ambivalence foncière capable d’assurer de constants compromis entre des visions antinomiques qui a permis au sport de traverser sans dommage les violents soubresauts du siècle dernier. Ainsi pourrait-on expliquer ce qui apparaît comme une stupéfiante continuité politique : peut-on nier en effet l’étonnante identité des attitudes globales adoptées à l’égard du sport par les différents gouvernements pourtant ouvertement antagonistes qui se sont succédé en France depuis plus d’un demi-siècle : Front populaire, régime de Vichy, IVe puis Ve République ? N’est-il pas intriguant de constater que le Commissaire général qui, sous les ordres du maréchal Pétain a conçu la « Charte des sports » en 1941 est la même personne qui, en 1964 a dirigé la rédaction de la « Doctrine du sport » sous l’autorité du général de Gaulle ? Deux remarques peuvent être dégagées des propos précédents : — L’analyse des universaux des jeux sportifs, et notamment des réseaux, a révélé que le sport s’est nettement démarqué des jeux traditionnels aux structures plus variées, plus décentralisées et plus conviviales, et cela au profit de structures valorisant la compétition et la domination du vainqueur. Les règles sportives sont désormais conçues et modifiées pour satisfaire à des exigences de 24. J. Huizinga, 1951 (1938), Homo ludens, Paris, Gallimard. 25. J.-M. Brohm, 2001, « La théorie critique du sport. De “Partisans” à “Quel corps ?” », Éducation physique et sciences, sous la direction de C. Collinet, Paris, PUF. 26. R. Caillois, 1967 (1958), Les jeux et les hommes, Paris, Gallimard. 27. N. Elias, 1994, Sport et civilisation. La violence maîtrisée, Paris, Fayard.

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spectacularité, ce qui a été à l’origine d’un puissant mouvement de mondialisation. — Cette option compétitive systématique, prise par le sport, reste indiscutablement compatible avec les principes démocratiques, mais elle penche en faveur d’une exploitation politique et commerciale. Il faut reconnaître qu’il est tentant pour un pouvoir politique peu scrupuleux, de détourner à son profit l’organisation et la discipline sportives. Lorsqu’il prête au sport une valeur civilisatrice éminente, Elias a-t-il oublié qu’en 1933 il a dû fuir les persécutions antisémites nazies, exercées pourtant par un régime qui avait fait du sport un rouage très important de son dispositif institutionnel ? Le fait que les activités sportives possèdent une place importante dans la formation et s’inscrivent de façon notable dans les processus de socialisation et d’éducation décuple leur influence au sein de la société. Là encore, les conflits de conceptions vont ressurgir de plus belle. Deux niveaux d’analyse Nous devons nous rendre à l’évidence. Il n’est pas réaliste d’associer à la pratique sportive des effets sociaux unilatéraux qui seraient obtenus de façon quasi mécanique. Prétendre que le sport développe certaines conséquences sur un mode strictement déterminé est une illusion. Aussi est-il déroutant que d’éminents sociologues, ainsi que nous l’avons observé, défendent des points de vue particulièrement tranchés et hautement antinomiques les uns des autres. Afin d’éviter de transformer l’étude des jeux en simples tests projectifs qui consisteraient à n’y reconnaître que ce que l’on y aurait soi-même placé au préalable, il semble indispensable de revenir aux sources. Aux sources, c’est-à-dire aux matrices d’engendrement des actions de jeu, tant individuelles que collectives. Il s’agit donc de fonder l’étude sur le contenu propre des situations sportives, sur leurs réseaux basiques, sur les opérations objectives et contrôlables que ces structures déclenchent de la part des joueurs sur le terrain. Grâce aux prescriptions des règles, tout le champ des possibles peut être identifié. Ce premier niveau d’exploration qui décrit les réseaux ludosportifs fondamentaux c’est-à-dire les universaux (réseaux d’interaction, de marque, des scores, des rôles...) autorise déjà un premier lot de conclusions fort importantes. L’analyse des

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systèmes d’interaction témoigne de propriétés réticulées précises qui suggèrent des interprétations argumentées ; les propriétés d’équilibre, de symétrie, d’exclusivité ou de stabilité par exemple, exaltent un modèle épuré du duel et de l’affrontement de coalitions qu’il semble fécond de mettre en correspondance avec le contexte social et politique. Dans un tel modèle où la compétition est hyperbolique, prétendre que le sport est fondé sur l’entraide et la solidarité, comme il est souvent dit, apparaît comme une pure contrevérité ; la coopération y intervient sans conteste, mais elle n’est ici qu’un sous-produit de l’opposition (qui triomphe toujours dans le score). Si l’on avait souhaité développer la solidarité, les activités ludosportives dont le réseau est coopératif ne manquaient pas ! L’analyse de ses structures de fonctionnement révèle que le sport répond à une idéologie de la conquête et de la domination. Notre position est sans ambages : l’examen des réseaux sportifs formalisés offre des arguments forts permettant d’attribuer une signification sociale aux activités sportives. C’est là qu’intervient un second niveau d’analyse. Quel que soit l’aspect objectif et mathématisable des réseaux ludosportifs, ceux-ci vont être actualisés de façon subjective par des acteurs et des groupes variés aux aspirations et aux mentalités fort dissemblables. Chaque joueur va vivre à sa façon personnelle sa circulation dans les réseaux ; chaque groupe, chaque équipe va adopter une stratégie originale. Les réseaux ne sont donc que des supports, certes prédéterminants dans une certaine mesure, mais qui pourront être réinterprétés de multiples façons. Autrement dit, ces réseaux sont de type probabiliste et non déterministe. On peut d’ailleurs aisément en avoir confirmation par une observation précise du déroulement aussi bien de jeux d’enfants que des compétitions de Coupe du Monde (et les arcs des graphes peuvent alors être affectés des probabilités répondant aux fréquences empiriques relevées). Les réseaux deviennent ici des outils d’observation et d’expérimentation des pratiques sur le terrain28. Dans ce contexte surgissent alors, avec force, différentes variables qui vont infléchir dans un sens ou dans un autre les conduites motrices des acteurs : variables d’âge, de genre, de niveau culturel, de classe sociale, de communauté ethnique... Au sein d’un réseau de contraintes précises, chaque pratiquant va avoir ses bonnes raisons 28. Cf. par exemple, 1988, « Analyse et modélisation du volley-ball de haute compétition », dans Science et motricité, no 4, p. 3-22, Paris, Éditions de l’INSEP.

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pour choisir telle option plutôt que telle autre. Nous avons pu montrer qu’au cours de certains jeux sportifs, des joueurs faisaient tout ce qu’il fallait pour perdre – tout en feignant de jouer dans l’esprit du jeu – car perdre pour eux était gratifiant dans la mesure où le rôle de perdant les projetait sur le devant de la scène29. Dans d’autres cas de figure, un participant choisissait d’être battu afin d’entraîner un autre joueur dans sa chute. En dehors de ces exemples extrêmes de subversion de la règle, surabonde une myriade de situations intermédiaires livrées aux choix subjectifs des pratiquants. Le recours aux enquêtes de terrain devient alors une étape indispensable ; les entretiens sont révélateurs des motivations des joueurs, des raisons qu’ils invoquent et des mobiles qui les poussent à adopter telle ou telle stratégie. Au cours de cette interprétation de second niveau, il n’est même pas impossible d’affirmer que la mise au premier plan de la compétition, de la victoire, voire de la violence, puisse devenir un atout éducatif en faveur de la sociabilité ! En effet, l’exposition au risque et à la brutalité permet de contrôler les réactions ainsi suscitées ; pour reprendre une expression parfois appliquée au rugby, le sport est un jeu de voyous qui devrait être pratiqué par des gentlemen. Les réseaux de compétition permettraient ainsi de connaître l’antagonisme de l’intérieur afin de le mieux maîtriser par expérience contrôlée ; en relation de surplomb, la coopération resterait à la base de la rencontre. On peut ainsi retourner les apparents déterminismes des réseaux. C’est cette marge de réinterprétation qui est à la source des stupéfiants écarts d’analyse que nous avons précédemment observés de la part d’auteurs peu conscients, semble-t-il, des aspects éminemment spéculatifs de leur position péremptoire ; c’est cette latitude de second niveau qui autorise des positions éducatives ou politiques aussi contrastées. Ces deux niveaux d’analyse doivent être soigneusement différenciés. Le premier révèle la « grammaire du jeu » pour reprendre l’expression que Ferdinand de Saussure30 applique au jeu d’échecs pour faire comprendre la pertinence du système de la langue. Cette grammaire du jeu, notamment illustrée par des réseaux objectivés, expose la logique interne, la logique spécifique de l’action motrice 29. Cf. 1973, « Analyse mathématique élémentaire d’un jeu sportif », dans Mathématiques et sciences humaines, no 47, p. 5-35, Paris, Mouton / Gauthier-Villars. 30. F. de Saussure, 1972 (1916), Cours de linguistique générale, Paris, Payot.

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propre à chaque situation de jeu sportif ; le pouvoir génératif de ces réseaux est ici prédominant. Les caractéristiques de ces réseaux et leur grammaire de jeu apparaissent révélatrices de certaines orientations fondamentales de leur société d’accueil. Le second niveau dévoile les modes d’appropriation de ces ressources que les acteurs choisissent de mettre en action au sein de ces structures. Le système s’impose, mais l’acteur en dispose. Et ce que révèlent les enquêtes de terrain, ce sont les multiples façons selon lesquelles la logique externe, variable (les données particulières de chaque contexte) va influer sur la logique interne, fixe (les caractéristiques bien définies de chaque jeu sportif). La logique interne recèle des prédéterminations très fortes, relatives aux aspects fondamentaux des comportements des joueurs, que mettent en relief les propriétés des réseaux basiques. Cependant, ces prédéterminations peuvent être remodelées par le contexte de chaque situation : les enjeux, le public, les caractéristiques des joueurs et celles du club, les finalités poursuivies... Et à nouveau les réseaux pourront offrir les canevas objectifs sur lesquels on observera les décisions subjectives des joueurs sur le terrain. En définitive, l’étude des jeux et des sports requiert une analyse propre de leurs réseaux sous-jacents, révélateurs d’une orientation sociale majeure, notamment à l’égard des processus d’interaction et de sociabilité. Cependant, cette étude appelle en complément une plongée de ces modèles formalisés dans les différents contextes correspondants, tant il est vrai qu’une connaissance réaliste des jeux sportifs est indissociable d’une prise en compte approfondie des stratégies des joueurs au sein de leurs sociétés d’accomplissement. Pierre PARLEBAS Faculté des Sciences humaines et sociales - Sorbonne Université René-Descartes - Paris V RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES G. Bateson, 1977, Vers une écologie de l’esprit, Paris, PUF. R. Boudon, 1969, Les méthodes en sociologie, Paris, PUF. R. Boudon, 1977, Effets pervers et ordre social, Paris, PUF. J.-M. Brohm, 2001, La théorie critique du sport. De « Partisans » à « Quel corps ? », Éducation physique et Sciences, p. 135-148. Sous la direction de C. Collinet, Paris, PUF. R. Caillois, 1967 (1958), Les jeux et les hommes, Paris, Gallimard.

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M. Cherkaoui, 2000, « La stratégie des mécanismes générateurs comme logique de l’explication », L’acteur et ses raisons, Mélanges en l’honneur de Raymond Boudon, p. 130-151, Paris, PUF. A. Degenne, M. Forsé, 1994, Les réseaux sociaux, Paris, Armand Colin. N. Elias, 1994, Sport et civilisation. La violence maîtrisée, Paris, Fayard. B. Elnadi et A. Rifaat, 1992, Éditorial « Le courrier de l’Unesco » spécial Sport et compétition, décembre, Paris. C. Flament, 1965, Théorie des graphes et structures sociales, Paris, Éditions Mouton / Gauthier-Villars. C. Flament, 1996, « Psychologie sociale et formalisation : théorie des graphes et équilibre structural », dans J.-C. Deschamps et J.-L. Beauvois, Des attitudes aux attributions. Sur la construction de la réalité sociale, Grenoble, PUG. G.-Th. Guilbaud, 1954, Stratégies et décisions économiques. Études théoriques et applications aux entreprises, Paris, Éditions du CNRS. F. Harary, R. Z. Norman, D. Cartwright, 1968, Introduction à la théorie des graphes orientés, Paris, Dunod. J. Huizinga, 1951 (1938), Homo ludens, Paris, Gallimard. V. Lemieux, 1999, Les réseaux d’acteurs sociaux, Paris PUF. C. Lévi-Strauss, 1958 (1945), « L’analyse structurale en linguistique et en anthropologie », Anthropologie structurale, p. 37-62, Paris, Plon. E. Lucas, 1979 (1884), Récréations mathématiques, Tome IV, Paris, Éditions Albert Blanchard. E. Panofsky, 1967, Architecture gothique et pensée scolastique, traduction et postface Pierre Bourdieu, Paris, Minuit. P. Parlebas, 1987, Éléments de sociologie du sport, Paris, PUF. P. Parlebas, 1992, Sociométrie, réseaux et communication, Paris, PUF. P. Parlebas, 1999, Jeux, sports et sociétés, Paris, Éditions de l’INSEP. P. Parlebas, 2002, « Elementary mathematical modelization of games and sports », dans The explanatory power of models, Bridging the gap between empirical and theorical research in the social sciences, Metodos series, Kluwer Academic Publishers, Dordrecht. G. Ribeill, 1974, Tensions et mutations sociales, Paris, PUF. F. de Saussure, 1972 (1916), Cours de linguistique générale, Paris, Payot. J.-P. Warnier, 1999, La mondialisation de la culture, Paris, La Découverte. M. Weber, 1964 (1947), L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Paris, Plon.

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