Vers une nouvelle culture sportive européenne partagée William Gasparini Doyen de la Faculté des Sciences du sport et membre de l’Institut d’Etudes Avancées de l’Université de Strasbourg (USIAS)
Toutes les enquêtes européennes sur le sport nous indiquent des phénomènes comparables dans les différents pays membres (une baisse progressive de la pratique physique et une activité majoritairement non compétitive) mais également des différences (une diversité des «cultures du corps» et des modèles sportifs au sein de l'UE). Réalisée en 2013, l’enquête Eurobaromètre sur le sport et l’activité physique révèle que 58 % des citoyens de l’Union européenne déclarent pratiquer une activité physique ou sportive (dont 41% au moins une fois par semaine et seulement 8% très régulièrement). Le nombre de personnes déclarant ne jamais pratiquer d'activité physique ou sportive s’élève à 42% (augmentation de 3 points depuis l’enquête de 2009). Dans l’Union européenne, les hommes font également plus de sport et d’exercice physique que les femmes, cette différence étant particulièrement marquée chez les 15-24 ans. Dans tous les pays européens, les femmes forment une majorité de la population inactive, sauf au Danemark, en Finlande et en Suède. L’enquête constate par ailleurs un lien entre la possession d’un faible capital culturel et économique et l’inactivité physique chez les femmes notamment. Ainsi, la sédentarité progresse en Europe mais touche davantage les classes populaires et les femmes que les catégories plus élevées, mais également les jeunes adultes fascinés par les écrans : la pratique des jeux vidéo et de la communication via les réseaux sociaux (smartphones, tablettes et PC...) conduisent les 18-24 ans à marcher moins que les autres en moyenne. En 40 ans (1970-2010), soit en deux générations, on observe ainsi une chute de certaines performances physiques comme par exemple la capacité à faire une course légère d’endurance (un 800 mètres par exemple) chez les jeunes. Enfin, il est désormais admis que la pratique régulière d’une activité physique à intensité modérée contribue à la réduction de plusieurs facteurs de risque et de nombreuses pathologies. Dès lors, l’activité physique et sportive fait désormais partie intégrante du traitement de nombreuses maladies chroniques dans le cadre de l’éducation du patient. Cependant, l’activité sportive n’est pas à concevoir uniquement dans sa dimension sanitaire. Pour les citoyens européens, le sport est aussi globalement perçu comme une voie possible pour le développement du dialogue entre les différentes cultures qui cohabitent en Europe. D’après plusieurs enquêtes d’Eurobaromètre, presque trois Européens sur quatre considèrent le sport comme un moyen de promouvoir l’intégration, tandis que 64 % des citoyens européens pensent que le sport permettrait de lutter contre la discrimination. 81 % d’entre eux considèrent le sport comme une occasion de dialogue entre les différentes cultures. Pratiquée par des populations socialement marginalisées vivant dans des quartiers urbains ou espaces ruraux défavorisés, l’activité sportive permet souvent de recréer du lien social et de la mixité –sociale et sexuelle-. Néanmoins, malgré des expériences réussies de dispositifs socio-sportifs de cohésion sociale, le recours au sport dans les banlieues a davantage servi à pacifier les territoires de l’exclusion qu’à créer une véritable culture corporelle et sportive basée sur la mixité et le vivre-ensemble. Ainsi, 32 % des filles pratiquent un sport en club dans les Zones d’Education Prioritaire contre 51 % dans la moyenne nationale et plus de 80 % dans les classes moyennes et supérieures. D'une façon générale, l'écart de pratique sportive entre filles et garçons est plus important parmi les jeunes issus des quartiers populaires. Dans les quartiers populaires, les installations sportives et les espaces sportifs d’accès libre sont utilisés quasi-exclusivement par les garçons, alors que les dispenses d’EPS (en natation notamment) sont de plus en plus fréquentes pour les filles. Selon le sexe, la fréquentation de la rue ou des structures de loisirs n’est pas la même. Les politiques d’aménagement sportif ont également renforcé cet aspect
sexué de la ville avec une géographie des lieux de loisir essentiellement masculine (cf terrains de pétanque, city stades, skateparks, terrains de football…). Dans ce nouveau contexte d’augmentation de la sédentarité et d’émergence de nouvelles fractures sociales, sexuelles et « communautaires », comment développer un sport (ou une activité physique) pour toutes et tous ? L’activité physique et sportive étant également reconnue dans la prévention primaire et secondaire de certaines pathologies, dans quelle mesure des médecins peuvent-il prescrire des activités physiques ? Comment redonner goût à l’activité sportive dans un cadre collectif, porteur de valeurs de citoyenneté ? Comment lutter contre les inégalités sociales et territoriales dans l’accès aux pratiques sportives ? Comment vivre le sport à tous les âges, de la petite enfance au 4ème âge ? Selon quelles modalités élaborer un sport fondé sur la mixité tant sociale que sexuelle et intergénérationnelle ? Comment rendre l’espace sportif public aux filles et aux femmes ? Quelles sont les activités physiques et sportives les plus appropriées pour développer le vivre-ensemble et le bien-être ? Comment faire vivre et appliquer les principes de laïcité et de diversité dans les équipements et espaces sportifs ? Comment construire une nouvelle culture sportive copartagée par les citoyens et les acteurs européens d’un sport citoyen ? Autant d’interrogations sur les différentes problématiques du sport-loisir et du vivre-ensemble par le sport qui seront abordées et discutées tant par les acteurs européens du sport que par des universitaires européens au cours de l’Université européenne du sport. Organisée à Strasbourg, ville universitaire européenne d’excellence et lieu d’expérimentation d’une nouvelle culture sportive urbaine, cette première manifestation permettra de lancer un projet européen de plateforme d’échanges et d’expérimentation qui sera suivi par un comité scientifique européen. Ces Universités seront également alimentées par des réunions thématiques territoriales et des expériences locales d’animation et d’éducation par le sport. Le thème général d’une nouvelle culture européenne du sport se déclinera en trois parcours -l’enfant et le sport, la santé et le bien-être et les territoires sportifs-, qui se déclineront chacun en quatre ateliers-conférences. Références bibliographiques -GASPARINI W., KNOBE S., DIDIERJEAN R. (2014), “Physical activity on medical prescription: social factors affecting chronically ill patients. A qualitative case study in Strasbourg (France)”, Health Education Journal, 74 (6), p. 1-12. -GASPARINI, W. (Coord.) (2013), France et Allemagne : le sport à l’épreuve des identités, Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande, n°4, Tome 44, 2013 -DIGENNARO S., GASPARINI, W. (2013), « La costruzione di una Europa sociale dello sport », Rivista di Scienze dell'Amministrazione, 1, Italie, p. 27-44. -GASPARINI W. (2013), « Le sport et la diversité : construction et circulation d’une catégorie de pensée », revue Diversité, N° 171, janvier 2013, p. 25-33. -GASPARINI W., NOIRIEL G. (2013), « S’intégrer dans la communauté nationale par le sport : sociogenèse d’une catégorie de pensée », Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande, n°4, p. 411-423 -GASPARINI, W. & POLO J-F. (Coord.) (2012), L’espace européen du football : dynamiques institutionnelles et constructions sociales, revue Politique européenne, n°36, juin 2012 -GASPARINI W., COMETTI A. (Ed.) (2010), Sport facing the test of cultural diversity. Integration and intercultural dialogue in Europe, Strasbourg, Council of Europe Publishing. -GASPARINI W., TALLEU C. (Ed.) (2010), Sport and Discrimination in Europe, Strasbourg, Council of Europe Publishing. GASPARINI W., VIEILLE-MARCHISET G. (2008), Le sport dans les quartiers. Pratiques sociales et politiques publiques, Paris, PUF, 2008 GASPARINI, W. (Coord.) (2008), L’intégration par le sport ?, Revue Sociétés contemporaines (Presses de Sciences Po), n° 69, mars 2008