UNION FRANCAISE DU FILM POUR L’ENFANCE ET LA JEUNESSE
REVUE DE PRESSE COLLEGE AU CINEMA 2007 - 2008 LETTRE D’UN CINEASTE A SA FILLE Réalisé par Eric Pauwels Film dédié à Lotte Assistants : Éliza Smierzchalska et Mathias Gokalp Image : Rémon Fromont, Éric Pauwels Son : Ricardo Castro Montage : Rudi Maerten Mixage : Michel Goossens (RTBF) Étalonnage : Roger Vervoenen (Meuter-Titra) Peintures et dessins : Éliza Smierzchalska Assistant caméra : Aliocha van der Avoort Sons directs : Aline Jeandenans Production : Ulrike, CBA, RTBF-Carré noir, avec l’aide de la Communauté française de Belgique Distribution : CBA Format : 1,66 – 16 mm, NB et Couleur. Durée : 50 minutes FILMOGRAPHIE DE ERIC PAUWELS 1976/83 - Série de 10 documentaires etnographiques sur les danses de possessions 1985 - VIOLON PHASE 1986 - HAMLET OU LES MÉTAMORPHOSE DU JEU 1986 - RITES ET POSSESSION EN ASIE DU SUD-EST 1986 - UN FILM 1988 - FACE A FACE 1989 - VOYAGE ICONOGRAPHIQUE: LE MARTYRE DE SAINT SÉBASTIEN 1990 - TROIS DANSES HONGROISES DE BRAHMS 1991 - LES RIVES DU FLEUVE 1992 - LETTRE A JEAN ROUCH 1993 - LA FRAGILITÉ DES APPARENCES 1998 - POUR TOUJOURS 2000 - LETTRE D’UN CINEASTE À SA FILLE BIOGRAPHIE DE ERIC PAUWELS
Né à Anvers en 1953
FORMATIONS:
- Diplôme de réalisation films à l’INSAS (Bruxelles) en section mise en scène radio-théâtre - Etudes au laboratoire audio-visuel des sciences religieuses à l’école Pratique des Hautes Etudes à Paris. - Docteur en cinéma (Sorbonne): thèse sous la direction de Jean Rouch. .../...
ERIC PAUWELS Peut-on écrire d’une manière aussi désinvolte que sûre qu’Eric Pauwels se moque éperdument de savoir s’il fait de la fiction ou du documentaire, et bien aventureux serait celui qui classerait dans l’une ou l’autre catégorie des films comme les rives du fleuve ou la fragilité des apparences. Il lui importe seulement de faire du cinéma. Ce qu’il met en pratique en utilisant supports et formats différents, vidéo et pellicule, support 8 et 16 ou 35mm, en les mélangeant, en travaillant avec sa propre maison de production Ulrike, en assurant souvent la prise de vue, en s’entourant d’une équipe qui est comme sa famille professionnelle. Il est impossible d’imaginer qu’il ne monte pas avec Rudy Maerten et qu’il ne travaille plus avec Josse De Pauw. En apparence sa filmographie emprunte trois directions, l’ethnologie, les films sur l’art et la danse et enfin l’essai cinématopgraphique, seul mot convenable pour définir des films somptueusement inclassables. Mais, plus profondement, toutes ces démarches se confondent et se recoupent et ne sont que des entrées différentes dans ce qui fondent sont cinéma, le travail sur le corps, celui des possédés, des danseurs, des acteurs, le corps réel ou le corps représenté. Le corps et la voix, celle qui dit, celle qui déclame, celle qui raconte, celle qui converse, celle qui chante. S’il y avait une explication à trouver -mais faut-il trouver une explication à la création? - on pourrait interroger sa biographie. Ce cinéaste a fait des études de théâtre à l’INSAS et a passé sa thèse de doctorat à la Sorbonne sous la direction de Jean Rouch. Le milieu de la danse et de la musique lui est proche et familier. Il aime écrire et il est l’auteur de deux pièces de théâtre. Parfois, il joue (dans un film d’Olivier Smolders) ou il lit ses textes. Tout ceci forme un réseau de convergences qui nourrit et étaye ce qu’il filme, le rassemble aussi. C’est en voyageur-ethnologue qu’il a pris d’abord la caméra, en filmant an Asie du Sud-Est des danses de possession comme son maitre Jean Rouch lui avait appris, à la juste distance, là ou la captation et le regard ne deviennent pas des manipulations ou désir de surenchère folkloriste. Suivra Violon Phase. Une danseuse «possédée» comme un derviche, tourne sans fin, la caméra du réalisateur l’accompagnant dans ses mouvements, épousant elle aussi le rythme de la danse. Transe d’ailleurs et d’ici, ce passage va lui permettre de mettre en place son éthique, sa réflexion: comment approcher le corps d’un danseur, comment filmer le mouvement, capter l’énergie. Son expérience d’ethonologue lui a appris le respect de la prise en continu, du non-déplacement opéré par une mise en scène surajoutée, le respect du temps et de l’espace. Ce sont les principes qu’il va explorer avec des variantes dans trois danseuses hongroises de Brahms et Improvisation. Avec Hamlet ou les métamorphoses du jeu, c’est un autre corps qu’il va alors mettre en scène, possédé non plus par un dieu ou un esprit mais pris par une autre perte de contrôle, celle de l’alcool. Le dispositif est simple. Un acteur va déclarer huit fois le monologue d’Hamlet. Entre chaque prise il boira deux verres d’alcool et l’expérience durera sept heures. L’ivresse monte, la mémoire flanche, la voix se fait hésitante, le sérieux s’estompe et le drame devient joyeux. Mais le sur-moi, le sacré du théâtre empêchent la débâcle. Si entre les prises l’ivresse était sévère, lorsque le corps de l’acteur était sollicité par le texte, le pire était évité, la mécanique à dire se remettait en place. C’est le corps d’un saint qui va être le sujet du Martyre de Saint Sébastien, jeune centurion livré aux flèches de ses bourreaux pour n’avoir pas voulu renoncer à sa foi chrétienne. Comment au cours des siècles, des écoles, des pays, a-t’on représenté celà: corps supplicié et souffrant ou offert à la jouissance de la douleur, corps viril ou grâce efféminée? Ce voyage dans les musées européens est accompagné d’un journal de bord lu en voix off qui livre à la fois des éléments autobiographiques et des réflexions de cinéaste sur le regard, le montré et le représenté, le «mis en images».
Pour élargir son champs et quitter la culture et le savoir (théâtre, peinture, chorégraphie, ethnologie), même si ces territoires sont abordés en posant sans cesse des questions de cinéma, Eric Pauwels va «inventer» une forme de narration qui n’appartient qu’à lui, un récit polymorphe et polyphonique qui s’apparente au jeu, au puzzle, au plaisir des histoires gigognes, à la nécessité trop souvent délaissée de la digression. Peut-on dire qu’il va filmer des corps heureux, pris entre scénario et improvisation, fiction et réalité? Les Rives du fleuve comme la Fragilité des apparences sont des films de déplacement, de la campqgne à la ville, de la ville à la mer. Tous les deux sont des tournages d’été où il y a bonheur du soleil, la sensualité de la chaleur, le désir de séduire. Comme ils ne sont ni bétonnés comme une fiction linéaire, ni condamnés à traiter d’un sujet comme documentaire, ils sont en état de liberté et de légèreté pris entre l’apesanteur et la grâce. Pour ce faire, Eric Pauwels a convoqué toute sa famille réelle ou professionnelle (dans les deux cas affectives), où tous ceux qui lui sont proches sont invités à être eux-mêmes. Les acteurs jouent, les musiciens répètent, les artistes créent, les raconteurs racontent des histoires. Ces films se fondent sur un postulat qui peut s’énoncer comme un jeu: «Et si...». Et si l’on disait que l’été, la campagne en plein travail des champs, moisson, etc .., alors que dans la ville déserte seuls quelques artistes sont là à préparer la rentrée, tel est le fil qui réunit les séquences des rives du fleuve. «Et si l’on partait passer une journée à la mer», ouvert à toutes les rencontres et au seul aléa de son bon plaisir en retrouvant l’esprit d’enfance, sera le lien qui rassemble les personnages de «la Fragilité des apparences». Mais toujours au travers de ces vagabondages, il y a une réflexion sur ce qui préoccupe le cinéaste, le regard, le mouvement et le récit. C’est le regard qui va être au centre de son dernier film, le plus fictionnel de tous, «Pour toujours». Organisé comme un jeu de pistes, il conforte la réalité de personnages rassemblés par les jeux du hasard à la captation de cette réalité par la photo ou la vidéo. C’est encore un film d’interrogation et de divagation que Pauwels est en train de réaliser (Lettre d’un cinéaste à sa fille), «un film artisanal et libre ... un film sur le pourquoi et le comment du cinéma, sur les questions
qu’il pose : comment rendre l’invisible visible? Que se passe-t-il entre les images? Comment raconter une histoire?» Jacqueline Aubenas.
« Lettre d’un cinéaste à sa fille » : Extraits d’articles. Portrait d’un homme qui cherche.
Cinéaste bruxellois né à Anvers, Eric Pauwels est quelqu’un d’atypique dans sa profession. Il se moque éperduement de savoir s’il fait de la fiction ou du documentaire, il lui importe seulement de faire du cinéma. Ancien élève de l’INSAS (Bruxelles), docteur en cinéma, passionné par l’écriture à laquelle il s’adonne volontiers (même s’il avoue que pour ce film il n’a écrit que deux ou trois pages de scénario et que le « gros » du travail s’est effectué au montage), les milieux de la danse et du théâtre ne lui sont pas étrangers et de nombreuses références à des œuvres classiques ou contemporaines émaillent ses œuvres.
Inclassable…
Véritable « essayiste » de la caméra, c’est avec l’œil d’un éthnologue qu’il filme en Asie du sud-est des danses de possesssions à ses débuts. L’instant comme moteur de la vie. Une œuvre qui touche et pousse à réfléchir sur ce que nous sommes vraiment.
Les merveilles du regard
(21/01/2002. La Marseillaise des Alpes. G.M.).
Manifeste fragile de mille histoires aux différentes tissures, « Lettre d’un cinéaste à sa fille » s’annonce ludique mais non privé. Eric Pauwels est un regardeur de grains de vie. Cette fois, Charlotte, sa propre graine montée en herbe, suscite ce film artisanal et libre, un poème fait d’érudition et d’émotion. Tout part d’une question, comme une fille en pose à son père : Pourquoi tu ne fais pas des films pour enfants ? La question trotte dans la tête du cinéaste belge qui se moque avec ivresse des catégories usuelles, fiction, documentaire. Seul le film existe. … « Lettre d’un cinéaste à sa fille » se parcourt comme un voyage aux pays des merveilles du monde qui nous entoure. Chaque histoire porte sa trace pour rendre l’invisible visible, entre réalité et cinéma, entre le conte et le jeu, entre le je du tournage pus du montage. …Il transmet une façon de voir le monde, dans un regard qui défriche ce monde avec intensité. Posant un jour cette question anodine, Charlotte osait-elle rêver preuve plus éclatante et légère du merveilleux ?
(20/04/2001 – Le Soir. Dominique Legrand.).
Terres d’enfance.
Un film à sa taille d’enfant. Un film d’images, d’histoires puisées dans ses souvenirs de petit garçon comme dans la mémoire collective. Il était une fois un oiseau chanteur. Il était une fois un sultan bibliophile qui avait dressé ses chameaux à se ranger par ordre alphabétique. Une météorite tombée dans la plaine de l’Oural, mangée, morceau après morceau, par les habitants du village de Tabori, convaincus de ses vertus aphrodisiaques. Une petite fille qui a perdu sa poupée. Un clown qu’on enterre…Des histoires comme ça, des histoires à faire pleurer les petites filles, des histoires pour grandir. Parce que disait Cocteau, « l’enfance sait ce qu’elle veut, elle veut sortir de l’enfance » (La difficulté d’être).
(11/04/2001 - Cinéma magazine. Isabelle Fajardo).
Au pays des merveilles. Parfois dans la grisaille des films qui collent à notre quotidien, surgit un film rare qui nous éclaire comme un soleil et nous fait ressentir ce que la vie a de beau et de libre. Lettre d’un cinéaste à sa fille, le dernier film d’Eric Pauwels, est de cette qualité - là et touche à ce que le cinéma a de plus de fort et de plus vrai. Véritable tour de force d’écriture, en état de grâce permanent, cette lettre cinématographique au «je» si personnel, dépasse de loin le simple propos d’un père à sa fille. Elle réussit à nous rendre manifeste, au-delà de toute attente, l’essence même d’un savoir fragile fait d’érudition et d’émotions, élaboré au fil du temps et qu’une certaine poésie du cinéma est seule à même de nous faire ressentir. Le souci d’Eric Pauwels en s’adressant à sa fille, en lui écrivant ce film, n’est pas de lui délivrer un message, ni de lui donner une leçon de morale ou de vie. Ce qu’il cherche à lui transmettre tient tout entier dans une façon de voir le monde, dans un regard qui est déjà un usage du monde. Un regard qui va derrière les apparences, là où s’arrête le passage du temps, et qui appréhende ce territoire imaginaire de tous les possibles, de toutes les merveilles. Ce lieu utopique, cette part d’irrationnel que nous avons en commun, Eric Pauwels va tout au long de sa Lettre en parcourir la géographie hasardeuse, nous en proposant des paysages surprenants au gré de ses souvenirs, jouant de cette mémoire des arts et des hommes qui, au gré des voyages et des rencontres, apparaît comme le plus précieux des trésors. Et ce trésor, il va l’offrir à sa fille sous forme d’histoires singulières à mi chemin entre rêve et réalité. Des histoires qui, à l’égal des contes de notre enfance, sont de l’instant ou de l’éternité tant elles ignorent les
illusions et les pièges de l’Histoire. Elles tissent entre nous et l’univers une relation qui est sans artifices, sans distance, immédiate et qui nous les rend essentielles, pareilles à ce lien invisible et sacré, qui du conteur à celui qui l’écoute, crée la complicité et est déjà l’ébauche d’un partage. Pour mettre en image ces instants de l’invisible, Eric Pauwels, avec cet art qui fait les grands conteurs, va se donner une totale liberté d’invention, revisitant le cinéma avec un rare bonheur, osant se passer des règles et des conventions pour trouver cette légèreté de ton, cette esthétique de l’abandon qui survient quand celui qui écrit le fait sans contrainte. Il y a un goût d’anarchie dans cette Lettre d’Eric Pauwels, au sens où loin des sentiers battus, il ne se préoccupe que de ce qui le touche, de ce qui lui plaît, de ce qu’il nous donne. Et rien ne vient le distraire de ce voyage immobile où il nous entraîne au côté de sa fille par la magie envoûtante de sa voix, jusqu’au plus profond de ce plaisir qui naît de notre émerveillement. Car ici les images et les sons se mélangent et se répondent en un montage subtil où se crée une étrange fascination. Nous en sortons comme ébloui, ayant vécu cette parole comme un moment, de bonheur et peu nous importe alors de comprendre l’alchimie de cet art occulte qui nous bouleverse et nous possède, seul nous occupe ce temps du rêve éveillé qui est pour nous comme le creuset d’une création du monde, notre monde, l’instant fantastique où le récit utopique devient réalité, notre réalité. Lettre d’un cinéaste à sa fille est plus qu’un très grand film, c’est un film tout simplement et c’est formidable de la part d’Eric Pauwels de l’avoir voulu ainsi, aussi simple et aussi clair que le regard d’un enfant. Philippe Simon
Cinergie - 01/11/2000