Analyse de la situation des enfants victimes de la traite en Republique du Congo (2007)

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Analyse de la situation des enfants victimes de la traite en RĂŠpublique du Congo

RĂŠpublique du Congo

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Analyse de la situation des enfants victimes de la traite en République du Congo Publiée à l’occasion de la célébration de la Journée de l’enfant africain (19 Juin 2007)

Les citations figurant dans ce rapport représentent le point de vue des personnes citées et pas nécessairement celui de l’Unicef

Ministère de la Santé, des Affaires Sociales et de la Famille

Fonds des Nations Unies pour l'Enfance Bureau du Congo Brazzaville D-34, rue Lucien Fourneau, BP 2110 Tel : (242) 81 50 24 Fax : 81 42 40


Préface

On estime à 200. 000 le nombre de mineurs affectés chaque année par la traite des enfants en Afrique de l'Ouest et du Centre. S'il est certain que le Congo n'est en rien épargné par ce phénomène, ses dimensions demeurent difficilement mesurables, notamment du fait de la particulière sensibilité du sujet. Le présent rapport se propose de nourrir l'état des connaissances en matière de traite des enfants en République du Congo. Deux réalités distinctes y sont mises en lumière. La traite transfrontalière, concerne majoritairement Pointe Noire où les enfants victimes sont pour la plupart originaires d'Afrique de l'Ouest. Commis à des activités de pêche ou de commerce, les enfants sont l'objet d'un accord entre tuteurs et parents qui placent en eux l'espoir du gain d'une importante somme d'argent à leur retour lorsque le contrat prend fin. Brazzaville quant à elle, se révèle être une zone de convergence des enfants en provenance de République Démocratique du Congo. Ces derniers occupent des activités éreintantes, alors que les jeunes filles se retrouvent parfois contraintes à la prostitution. La traite interne ensuite, qui se définit comme le déplacement d'enfants à des fins d'exploitation au sein d'un même territoire, s'observe également à Brazzaville et Pointe-Noire. Les cas des enfants non accompagnés suite aux conflits armés, des enfants placés en confiage, des jeunes à la recherche d'emploi ou bien encore des mineurs enlevés, s'inscrivent comme les situations causales les plus saillantes qui dérivent parfois dans l'engrenage de la traite. Victimes de traite transnationale ou interne, les enfants exploités, qui évoluent dans des conditions de vie particulièrement difficiles, ne reçoivent la plupart du temps en contrepartie de leur labeur qu'un maigre salaire au vu de leurs longues journées de travail et de la pénibilité de celui-ci. Devant de pareilles réalités, comment articuler alors une réponse idoine et efficace ? Des stratégies de réduction de la pauvreté à l'échelle nationale et sous régionale se doivent d'être élaborées et mises en œuvre afin de résoudre les causes profondes de la traite. Un renforcement de l'appareil législatif permettra en outre d'apporter une nécessaire réponse en amont du phénomène, via un effet préventif, mais également en aval, par des sanctions judiciaires adressées à l'endroit des trafiquants. De surcroît, la mobilisation de la société civile assurera également un rôle de prévention grâce aux efforts de communication et de plaidoyer en faveur de la lutte contre la traite des enfants. La conjugaison de ces trois facteurs constitue la condition sine qua non de la réalisation de l'objectif premier et communément partagé par l'ensemble des acteurs de lutte contre la traite : la réinsertion de l'enfant dans le respect de son intérêt supérieur. L'UNICEF est heureux et fier de pouvoir apporter son appui à ce processus au Congo et de contribuer ainsi au respect des droits des enfants.

Dr Koen Vanormelingen Représentant UNICEF République du Congo

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Table des matières

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Résumé

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1 Introduction

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2 Les objectifs de l’étude 2.1 L’objectif général 2.2 Les objectifs spécifiques

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3. Méthodologie 3.1 Concepts et définitions 3.2 Les lieux d’enquête 3.3 La population enquêtée 3.4 Les techniques de collecte de données 3.4.1 Les enquêteurs 3.4.2 Les outils méthodologiques 3.4.3 Le déroulement des entretiens 3.5 La composition de l’échantillon 3.6 Les difficultés rencontrées 3.7 Les opportunités 3.8 Les limites des données recueillies

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4. Les résultats de l’enquête 4.1 La répartition de l’échantillon global 4.2 Les différentes formes de traite des enfants 4.2.1 La traite transfrontalière 4.2.1.1 Les enfants d’Afrique de l’Ouest 4.2.1.2 Les enfants de la République Démocratique du Congo 4.2.2 La traite interne 4.2.3 Au-delà de la traite, l’exploitation des enfants 4.3. La perception de la traite 4.3.1 La perception de la traite par les ressortissants d’Afrique de l’Ouest 4.3.2 La perception de la traite par les Congolais 4.4 L’ampleur du phénomène 4.5. La cartographie des acteurs et des interventions actuels et potentiels de m la lutte contre la traite des enfants 4.5.1 Cartographie des acteurs et des interventions au niveau national 4.5.2 Cartographie des acteurs et des interventions au niveau local 4.5.2.1 A Pointe-Noire 4.5.2.2 A Brazzaville

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5. Les recommandations

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6. Conclusion

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7. Bibliographie

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Remerciements

Ce travail d'analyse de la situation des enfants victimes de la traite au Congo a été possible grâce à la collaboration de tous les partenaires et acteurs de la lutte contre la traite. Nous remercions particulièrement Madame Emilienne Raoul, Ministre des Affaires Sociales, de la Solidarité, de l'Action Humanitaire et de la Famille, pour les efforts sans cesse renouvelés qu'elle déploie en faveur des groupes vulnérables en général et des enfants en particulier. Nous remercions aussi les agents de la Direction Générale de l'Action Sociale et de la Famille, pour leurs contributions et leur disponibilité, tant au niveau national que départemental. La municipalité de Pointe Noire et ses arrondissements au niveau des arrondissements ont été d'une aide précieuse pour nous et ont apporté leur soutien dans toutes les phases de l'enquête. Nos remerciements s'adressent également aux ONG, aux organisations internationales et aux représentants de la Communauté des Etats d'Afrique de l'Ouest qui ont fait preuve d'une grande disponibilité et qui ont partagé leurs expériences et connaissances de la problématique. C'est aussi l'occasion de remercier l'UNICEF, notamment l'équipe du Programme de Protection, ainsi que le bureau de Pointe Noire pour leur soutien quotidien dans la réalisation de cette étude. Nous n'oublions pas les membres de l'équipe d'enquêteurs, à savoir : 1- Sandra Maignant 2- Constance Mafoukila 3- Chetel Kouanga, 4- Noellie Vierge Massangha Mengha, 5- Alfred Ngambou, 6- Destin Mephin Boungou, 7- Cedar Miyamou, 8- Nina Kiyindou, 9- Jean Paul Balembokebi 10- Sosthène Nganga 11- Bienvenu Kitembo Enfin, une pensée particulière est adressée aux enfants qui ont témoigné de leur histoire, de leurs souffrances et aussi de leurs espoirs lors des entretiens. Ce rapport leur est dédié.

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Abréviations

ACBEF : Association Congolaise du Bien-Etre Familial ACOLVF : Association Congolaise de Lutte contre les Violences faites aux Femmes AEED : Action Espoir des Enfants en Détresse AFVP : Association Française des Volontaires du Progrès AGR : Activité Génératrice de Revenus ALTO : Action de Lutte contre le Trafic des enfants de Afrique de l’Ouest APEEC : Association des Parents d’Elèves et d’Etudiants du Congo APTS : Association Panafricaine Thomas Sankara ASI : Action de Solidarité Internationale ATTAC 3 : Attaque contre la prostitution infantile, la drogue et le SIDA BIT: Bureau International du Travail BRAOC: Bureau Régional pour l'Afrique de l’Ouest et du Centre CAS : Circonscription d’Action Sociale CEEAC : Communauté Economique des Etats d’Afrique Centrale CEDEAO : Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest CEMIR : Commission d’Entraide aux Migrants et aux Réfugiés CICR : Comité International de la Croix Rouge CIREV : Centre d’Insertion et de Réinsertion des Enfants Vulnérables DRTV : Digital Radio Télévision FEFCO : Fédération des Enfants et des Femmes du Congo HCR : Haut Commissariat aux Réfugiés MSF : Médecins Sans Frontières OFSI : Organisation des Femmes pour la lutte contre le SIDA OMS : Organisation Mondiale de la Santé RDC : République Démocratique du Congo UNICEF: Fonds des Nations Unies pour l'Enfance

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Résumé Le phénomène de la traite des enfants au Congo a pu être identifié dans les deux principales villes du pays, à savoir PointeNoire et Brazzaville. Il se manifeste à la fois sous la forme transfrontalière et sous la forme interne. A Pointe-Noire, les enfants victimes de la traite identifiés sont issus, par ordre d'importance selon leur effectif, de cinq pays de l'Afrique de l'Ouest : le Bénin, le Mali, la Guinée (Conakry), le Sénégal et le Togo, ainsi que d'un pays de l'Afrique Centrale : le Cameroun. Ces enfants sont emmenés au Congo dès l'âge de 9 ans en moyenne. Ils sont pour certains analphabètes, pour d'autres à peine scolarisés (deux ou quatre ans de scolarité). A leur arrivée, ils sont engagés par leurs compatriotes dans un contrat implicite et tacite fondé sur la promesse qu'ils repartiraient au pays, chacun avec une valise chargée de pagnes et de vaisselle, muni d'un billet retour et d'une somme représentant leur indemnité de retour, variant entre 200 000 et 500 000 Fcfa. Les conditions de vie des enfants enquêtés victimes de la traite sont difficiles. Ils sont obligés de se lever dès 4h00 du matin pour des activités domestiques avant de se rendre au marché à 7h00, pour étaler et vendre les marchandises tout au long de la journée. Ils reviennent à la maison vers 18h00 pour reprendre les travaux ménagers et préparer le repas. Il ressort que les maltraitances physiques comme psychologiques sont fréquentes à leur encontre. A Brazzaville, les enfants victimes de la traite transfrontalière viennent plus de la République Démocratique du Congo que des pays de l'Afrique de l'Ouest. Les enfants de la RDC accompagnent des trafiquants ou des intermédiaires qui leur promettent un visa facile pour l'Europe ou l'Afrique du Sud. A leur arrivée à Brazzaville, ils sont accueillis par leurs compatriotes ou par des Brazzavillois qui les tiennent par la suite dans une exploitation liée à la vente de

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marchandise ou à la prostitution. Celle-ci se développe Particulièrement auprès des jeunes filles dès l'âge de 12 ans. Le marché de la prostitution organisé par des proxénètes contraint les plus jeunes (12 à 15 ans) à mener leurs activités dans des chambres de lieux spécialisés appelés « nganda », tandis que les plus âgées sont obligées de se tenir devant les débits de boisson pour attirer les clients au bar. Ne récupérant qu'à peine 30% de leur recette journalière, ces filles sont également victimes de maltraitances psychologiques, de vols et de harcèlement sexuel de la part des proxénètes. Les enfants victimes de la traite issus de la RDC sont particulièrement présents dans les activités de commerce, notamment la vente ambulante de produits divers (arachides, eau refroidie, glace, crème, …). Ils travaillent pour des employeurs qui, à la fin de la journée, les rémunèrent d'une somme de 500 Fcfa. Ils sont parfois logés par les employeurs dans des maisons de passage et nourris en fonction de la recette du jour, tandis que les autres dorment dans des « squats » aux alentours des marchés, changeant fréquemment d'endroit pour éviter les agressions et les vols de nuit. Le phénomène de la traite interne a été observé à la fois à Pointe-Noire et surtout à Brazzaville. Plusieurs formes de traite interne ont pu être identifiées, notamment l'exploitation des enfants non accompagnés suite aux guerres, les enfants domestiques ou vendeurs suite au confiage de l'enfant à une tierce personne (un membre de la famille ou une connaissance), les enfants attirés par des promesses d'emplois bien rémunérés ou plus rarement des enfants enlevés pour être exploités. L'ampleur du phénomène n'a pu être définie de manière précise. Cependant la communauté béninoise à Pointe-noire estimerait à près de 1800 le nombre d'enfants potentiellement victimes de la traite.

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Introduction De nos jours, en Afrique de l'Ouest et du Centre, des milliers d'enfants sont victimes de la traite ou d'exploitation. La traite est certes un phénomène ancien, mais la prise de conscience de son ampleur et de ses implications est relativement récente. L'Afrique du Centre, intégrée dans le processus régional de lutte contre la traite, particulièrement à travers l'accord multilatéral de coopération régionale de lutte contre la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants en Afrique de l'Ouest et du Centre signé à Abuja en juillet 2006, est essentiellement perçue comme une zone de destination. En 2000, une étude sur les flux d'enfants entre le Togo et le Bénin a révélé l'existence d'un trafic entre le Bénin et le Gabon. En avril 2001, l'affaire du navire « Etireno » à destination du Gabon,1 transportant 139 passagers dont 43 « enfants-esclaves » béninois a contribué à alerter l'opinion publique sur le phénomène des enfants victimes de la traite à destination de l'Afrique Centrale. Le Congo a pris également conscience du phénomène. En 2004, la Commission Diocésaine Justice et Paix a dénoncé la situation de quelques enfants de l'Afrique de l'Ouest exploités par leurs compatriotes dans un rapport intitulé « Pointe-Noire : Enfants esclaves, enfants travailleurs. » Après avoir été saisie par une jeune fille béninoise victime de la traite à Pointe-Noire et qui souhaitait rentrer dans son pays, la Commission Justice et Paix a mené une enquête auprès de ces enfants exploités. Cette enquête a révélé le parcours, les activités ainsi que les conditions de vie de ces enfants. Ce rapport a donné lieu à un plaidoyer auprès des autorités municipales de Pointe-Noire qui a contribué à la création d'un observatoire de l'enfance vulnérable.

Il ressort de ce rapport que ceux qui exploitent ces enfants ne sont pas leurs géniteurs. Ces enfants sont transportés du pays d'origine au Congo par des intermédiaires qui exigent en échange une somme d'argent. Les personnes qui les accueillent leur promettent un travail rémunéré ou un apprentissage scolaire. Or, installés, ces enfants sont victimes de l'exploitation. Ce sont là les caractéristiques fondamentales de la traite selon la définition de la traite des personnes. En juillet 2006, le Congo, faisant partie des Etats présents à la conférence d'Abuja, n'a immédiatement pu signer l'accord en raison de dispositions constitutionnelles stipulant une ratification pour tout texte traitant de l'état des personnes ; mais le processus est actuellement en cours. Ainsi, le Ministère des Affaires Sociales, de la Solidarité, de l'Action Humanitaire et de la Famille représentant le pays à cette rencontre a ressenti la nécessité de documenter le phénomène afin 1) d'établir l'existence de la traite au Congo, 2) d'en identifier les différentes formes et 3) d'en apprécier l'ampleur. Dans ce contexte, le MASSAHF a dans un premier temps, commandité l'étude sur la situation des enfants victimes de la traite au Congo. Ce rapport présente les résultats de l'analyse de la situation des enfants victimes de la traite au Congo réalisée entre le 30 octobre et le 15 décembre 2006. Ces résultats ont été centrés autour de huit points traitant respectivement du contexte socioéconomique du pays, du cadre légal portant sur la protection de l'enfance, des objectifs de l'étude, de la méthodologie utilisée, de la perception du phénomène dans le pays, de l'ampleur du phénomène, de la cartographie des acteurs et des recommandations.

1 N. Fanou-Ako ; A.F. Adihou, 2000. Rapport sur le trafic des enfants entre le Bénin et le Gabon. AntiSlavery. Cotonou.

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1. Le contexte relatif à la traite des enfants au Congo Les Congolais vivent dans un contexte qui se caractérise par un certain nombre de mutations socio-économiques et conjoncturelles dont les influences touchent toutes les couches de la société. Les mouvements migratoires

salaires réduisent leurs charges familiales, s'appuyant souvent sur leurs femmes. Les divorces, les négligences et abandons d'enfants, l'expulsion des foyers (des orphelins et des veuves), divers types de maltraitances sont désormais courants à Brazzaville.

Depuis le début de la colonisation les principaux groupes ethniques du Congo ont vu apparaître progressivement de nombreux changements socioculturels. L'éclatement des espaces traditionnels de vie, l'influence des cultures d'emprunt ont contribué à l'affaiblissement des organisations communautaires de base et des mécanismes de régulation des rapports humains. Pour satisfaire divers besoins, les adultes quittent chaque année leur village pour vivre en ville. Brazzaville est un grand carrefour pour les Congolais qui sont en quête de bien-être, d'emplois salariés, de sécurité morale (crainte de la sorcellerie et des pressions familiales, etc.) ou d'opportunités d'épanouissement (loisirs, études, mariages, vacances, etc.). Malgré les difficultés matérielles et économiques rencontrées, beaucoup de familles préfèrent rester en ville plutôt que de repartir au village. La conjoncture sociale Le Congo importe des pays étrangers plusieurs produits de première nécessité (aliments, médicaments, habits, appareils divers) mais aussi des connaissances techniques et scientifiques, et autres aspects culturels, etc. Les retombées de l'augmentation des prix de tous ces produits et la baisse des prix de ventes des ressources naturelles à l'étranger ou la dévaluation ont eu des répercussions sur la qualité de vie des populations et sur le bien-être des enfants. Plusieurs parents se trouvant au chômage ou ayant des bas

On note également une augmentation des taux de non scolarisation et de déscolarisation des enfants alors que le pays avait dépassé le taux de scolarisation de 100 % depuis les années 1970. Le tissu économique marqué par 2 les crises économiques et par l'arrêt des recrutements à la fonction publique s'est détérioré davantage avec les conflits armés de 1993 à 2000. De nombreuses infrastructures, biens matériels, unités de production et vies humaines ont été détruits. Ceci a eu pour conséquence l'aggravation de la situation de paupérisation et le développement des 3 déchirures sociales et familiales . La solidarité traditionnelle s'est relâchée, entraînant l'affaiblissement de l'autorité parentale sur la progéniture. La crise des valeurs liée à la démission parentale, la violence et la perte de repères identificatoires ont fait émerger et accroître des phénomènes tels les enfants de la rue et la traite des enfants.

2 Conclusions du congrès de l'enseignement à Brazzaville en 1970 3 JP. Poaty, 2002. « Analyse de la situation des enfants et des femmes au Congo ». UNICEF.

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Les crises sociopolitiques et les conflits armés La situation sociale du Congo s'est détériorée davantage avec les conflits armés de 1993 à 2000. De nombreuses infrastructures, biens matériels, unités de production et vies humaines ont été détruits. Les enfants, les femmes et les personnes âgées ont payé le plus lourd tribut. L'évolution des mentalités et des comportements des individus et des familles Nous retenons ici les grands changements qui peuvent avoir des répercussions sur les comportements des enfants, jusqu'à les pousser à adopter des attitudes de fuite ou de dénégation des parents. Sans protection parentale, les enfants sont exposés à tous les risques. La place et l'importance accordées aux enfants ne sont plus respectées par tous. La facilité avec laquelle les couples se forment et que les enfants naissent entraîne une négligence. Les grossesses et enfants non désirés sont de plus en plus nombreux et beaucoup de parents refusent d'assumer certaines responsabilités. Pourtant les unions libres et les mariages (surtout coutumiers) sont en augmentation chaque année. Félicité Tchibindat et Isabelle Goma en parlaient en ces termes : « Dans la société congolaise les femmes restent valorisées par leurs fonctions de reproductrices et d'éducatrices des enfants. La femme mariée (quelque soit le type d'union) éprouve un sentiment de sécurité et de reconnaissance sociale». A côté de cette représentation traditionnelle, plusieurs facteurs, d'introduction récente, tendent à fragmenter cette image. En ce qui concerne les hommes, la crise économique a entraîné une irresponsabilité croissante de leurs fonctions d'époux et de pères. De plus en plus de femmes assument le rôle de chef de ménage en zone urbaine comme en zone rurale.

Plusieurs enfants vivant dans des ménages reconstitués - un des parents se remettant en couple avec un nouveau partenaire après un divorce - subissent des sévices, privations et maltraitances pouvant les pousser à fuir la cellule familiale pour rejoindre les enfants des rues. La scolarisation qui a contribué à l'amélioration des conditions de vie de nos populations et à l'émancipation des femmes perd progressivement sa côte auprès des familles. Après avoir été adoptée massivement par toute la population, elle est désormais indexée comme source de certaines difficultés vécues par les enfants. Elle est même pratiquée de façon sélective dans de nombreuses familles. En effet, face aux difficultés économiques et sociales, plusieurs parents choisissent de n'envoyer qu'une partie de leur progéniture. Les filles sont souvent gardées à la maison pour donner plus de chances à leurs frères4. Le cadre légal La traite des enfants n'a pas encore été intégrée dans les textes législatifs nationaux, cependant un certain nombre de dispositions peuvent être appliquées dans le cadre de la répression des trafiquants. La plupart des textes nationaux visant la protection et le bien-être des enfants sont issus des textes internationaux que le pays ratifie et adopte depuis l'époque coloniale. Des dispositions d'ordre général fixent le cadre de protection juridique des enfants au Congo : - La loi n° 073-84 du 17 octobre 1984 portant le Code de la Famille ; elle comporte de nombreuses dispositions qui consacrent l'importance de l'enfant et le rôle protecteur de l'Etat.

4 JP. Poaty, 2002. « Analyse de la situation des enfants et des femmes au Congo ». UNICEF.

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Les enfants naturels sont alignés sur le même rang que ceux nés dans le ménage. Des allocations familiales sont versées aux parents salariés, etc ; - Le Code de Procédure Pénale, le Code Pénal et le Code du Travail comportent également des dispositions de protection des mineurs ; - L'ordonnance n° 62-26 du 28 juillet 1962 portant interdiction de procédés de nature à caractériser l'appartenance à une personne d'une ethnie déterminée ; elle protége les enfants contre des injustices et discriminations basées sur l'appartenance ethnique ou autre nationalité ; - La loi n° 60-18 du 16 janvier 1960 tendant à protéger la moralité de la jeunesse congolaise ; - Le décret n° 60-95 du 03 mars 1960 réglementant la fréquentation des débits de boissons et dancings par les enfants de moins de 16 ans ; - Le décret n° 60-93 du 03 mars 1960 portant interdiction aux enfants de moins de 15 ans de circuler ou de paraître dans les lieux publics de 20h à 05h ; - Le décret n° 60-94 du 03 mars 1960 réglementant la fréquentation des salles de cinéma et de spectacles par les enfants de moins de 16 ans. Cependant la plupart de ces textes datent des années 60 dont un grand nombre sont désormais désuets et de moins en moins appliqués. D'autres textes plus spécifiques peuvent être considérés dans la protection des enfants victimes de la traite : L'article 34 de la Constitution stipule que «l'Etat doit protéger les enfants et les adolescents contre l'exploitation économique ou sociale. Le travail des enfants de moins de 16 ans est interdit ». Cette disposition est également définie dans le Code du Travail à l'article 116 : « Les enfants ne peuvent être employés dans aucune entreprise même comme apprentis avant l'âge de 16 ans sauf dérogation du Ministre de l'Education Nationale… ».

Toutefois aucune sanction n'est définie dans cet article et son application est limitée à l'emploi des enfants dans une « entreprise », il n'est donc pas applicable aux enfants travaillant dans le secteur informel. L'article 307 du Code Pénal portant sur les menaces verbales et les articles 309 à 312 sur les blessures, les coups volontaires, les voies de fait ou autres violences permettent de condamner un auteur de maltraitance. L'article 312, spécifique aux enfants, permet de condamner les parents légitimes ou adoptifs ou toutes autres personnes ayant autorité sur l'enfant ou ayant sa garde. Les privations de nourriture ou de soins sont également mentionnées et réprimées. Les articles 344 et 344 bis du Code Pénal condamnent le proxénétisme des mineurs même si l'enfant est consentant, ainsi que les intermédiaires « entre les personnes se livrant à la prostitution ou à la débauche et les individus qui exploitent ou rémunèrent la prostitution ou la débauche d'autrui ». Cette disposition permet de condamner de 6 mois à 2 ans d'emprisonnement et d'une amende de 400 000 à 4 000 000 Fcfa les proxénètes ainsi que les intermédiaires qui leur fournissent les jeunes filles. Le cadre législatif actuel de la protection de l'enfance ne permet de condamner que les auteurs ou complices de proxénétisme ou les auteurs de maltraitances. L'exploitation économique des enfants dans le secteur informel n'est pas interdite. Toutefois, le projet de Code de Protection de l'enfant, actuellement soumis à l'adoption par l'Assemblée Nationale comprend des dispositions plus appropriées à la protection des enfants victimes de la traite ou d'exploitation, notamment les quelques articles suivants :

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Article 54 : De la protection de l'enfant contre les abus et les violences sexuelles Tout outrage public, attentat à la pudeur ou viol en la présence ou sur la personne de l'enfant est interdit. Article 55 : Des mesures à prendre contre la violence et la négligence L'enfant qui a subi des violences ou des négligences au sein de sa famille ou celui qui n'a plus de famille ou qui en a été séparé, a droit à une protection de remplacement par une institution habilitée. Cette décision tiendra compte de son épanouissement. Article 60 : De la traite, de la vente, du trafic et de toutes autres formes d'exploitation de l'enfant La traite, la vente, le trafic et toutes les formes d'exploitation de l'enfant sont interdits en République du Congo. Article 65 : De la protection de l'enfant contre l'exploitation sexuelle, le proxénétisme, la prostitution et le tourisme sexuel. Sont interdites : - l'exploitation sexuelle de l'enfant sous toutes ses formes ;

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- l'incitation de l'enfant à la débauche ; - l'incitation de l'enfant à des fins de prostitution ; - l'incitation ou la contrainte de l'enfant à se livrer à une activité sexuelle ; - la pratique sur l'enfant des activités liées au tourisme sexuel ; - toute autre activité liée au sexe. Article 68 : De la protection de l'enfant contre l'emploi précoce et les pires formes de travail Sont interdits, l'emploi précoce, les pires formes de travail et toute autre activité domestique mettant en péril la santé physique ou mentale de l'enfant. Un décret pris après avis de la Commission Nationale Consultative du Travail fixera la liste et la nature des travaux et les catégories d'entreprises interdites aux enfants et l'âge limite auquel s'applique cette interdiction. Article 70 : De la protection contre toute autre forme d'exploitation Toute autre forme possible d'exploitation de l'enfant ou contre l'enfant est interdite par la présente loi.

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2. Les objectifs de l'étude 2 . Les objectifs de l'étude 2.1 L'objectif général Cette étude vise à documenter le phénomène de la traite des enfants au Congo afin de développer une meilleure connaissance de son ampleur, des causes profondes, de ses conséquences et de définir les stratégies et les politiques de protection, de prévention, de surveillance, de rapatriement et de réinsertion des enfants victimes de la traite.

§Documenter et analyser le phénomène de la traite sur la base des informations recueillies auprès des principaux partenaires qui agissent dans la lutte contre la traite des enfants et des enfants victimes ; § Elaborer les outils méthodologiques de collecte et d'analyse des données (questionnaire, guide d'entretien, focus group…) ; Apprécier la perception de la traite et les aspirations des différentes communautés ;

2.2 Les objectifs spécifiques

§ Etablir une revue documentaire et la cartographie du phénomène ;

§Formuler une série de recommandations permettant ensuite de développer un plan d'action national, y compris les mécanismes de suivi.

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3. Méthodologie Le temps imparti pour l'étude étant très restreint, les deux consultantes se sont par conséquent réparties les sites d'enquête. Ainsi, Constance Mathurine Mafoukila a recueilli les informations sur la ville de Brazzaville, tandis que Sandra Maignant s'est chargée de la ville de Pointe Noire selon le calendrier suivant : du 7 au 15 novembre 2006 à Pointe Noire et du 7 au 24 novembre 2006 à Brazzaville. 3.1 Concepts et définitions Enfant : « un enfant s'entend de tout être humain âgé de moins de dix huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu 5 de la législation qui lui est applicable » . La traite des personnes : a) « L'expression traite des personnes désigne le recrutement, le transport, le transfert, l'hébergement ou l'accueil de personnes par la menace de recours ou le recours à la force ou à d'autres formes de contrainte par enlèvement, fraude, tromperie, abus d'autorité ou d'une situation de vulnérabilité, ou par l'offre ou l'acceptation de paiements ou d'avantages pour obtenir le consentement d'une personne ayant autorité sur une autre aux fins d'exploitation . […] b) Le consentement d'une victime de la traite des personnes à l'exploitation envisagée, telle qu'énoncée à l'alinéa a) du présent article, est indifférent lorsque l'un quelconque des moyens énoncés à l'alinéa a) a été utilisé.

internationale a préféré le terme de traite, utilisé notamment dans le Protocole de Palerme. C'est donc ce terme qui sera utilisé dans le cadre de ce rapport. La traite interne : elle se déroule à l'intérieur d'un pays, le plus souvent des zones rurales vers les grands centres urbains mais aussi vers les zones rurales où prédominent les activités agricoles. La traite transfrontalière : elle met en présence au moins deux pays et concerne les enfants victimes de la traite dans un pays étranger, frontalier ou non. Exploitation : « l'exploitation comprend, au minimum, l'exploitation de la prostitution d'autrui ou d'autres formes d'exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l'esclavage ou les pratiques analogues à l'esclavage, la servitude ou le prélèvement d'organes7» . C'est aussi « l'action de tirer un profit abusif 8 de quelqu'un ou de quelque chose » . Maltraitance : la maltraitance d'un enfant s'entend comme toutes formes de mauvais traitements physiques et/ou affectifs, de sévices sexuels, de négligence ou de traitement négligent, ou d'exploitation commerciale ou autre, entraînant un préjudice réel ou potentiel pour la santé de l'enfant, sa survie, son développement ou sa dignité dans le contexte d'une relation de responsabilité, 9 de confiance ou de pouvoir . Enfant réintégré/réintégration familiale : processus de retour de l'enfant dans sa 10 famille biologique ou protectrice .

c) Le recrutement, le transport, le transfert, l'hébergement ou l'accueil d'un enfant aux fins d'exploitation sont considérés comme une “traite des personnes” même s'ils ne font appel à aucun des moyens énoncés à l'alinéa a) 6 du présent article » .

La réunification : est le fait de réunir l'enfant et les membres de sa famille ou ceux qui se sont occupés de lui, dans le but d'établir ou de récréer ces rapports à long terme.

Les deux termes « traite » et « trafic » sont généralement utilisés indistinctement. Cependant, la communauté

Enfant réinséré / réinsertion sociale: enfant dont les liens familiaux sont rétablis ainsi que sa dignité et son épanouissement en vue de lui assurer un avenir meilleur11.

5 Article 1 de la Convention Relative aux Droits de l'Enfant 6 Article 3 du Protocole de Palerme (Protocole additionnel à la convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, AG des NU, R-55/25 du 15/11/2000). 7 Article 3 du Protocole de Palerme (Protocole additionnel à la convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, AG des NU, R-55/25 du 15/11/2000).

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3.3 La population enquêtée Les enfants vendeurs ambulants, vendeurs dans les marchés, les enfants prostitués, etc, ont été interviewés tout comme les responsables des ONG intervenants dans le domaine de la protection de l'enfance, les responsables des services étatiques impliqués ainsi que les représentants des représentations diplomatiques. 3.4 Les techniques de collecte des données 3.4.1 Les enquêteurs

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Tuteur/tutrice : terme employé par les Africains de l'ouest pour désigner les employeurs des enfants. Nganda : cadre aménagé servant à la fois de restaurant et de débit de boissons. 3.2 Les lieux d'enquête Conformément aux termes de référence, toutes les investigations relatives à cette étude ont été menées à Brazzaville et Pointe-Noire. Ces deux villes ont été sélectionnées en raison de leurs activités économiques et de leur pouvoir d'attraction sur des populations susceptibles d'avoir besoin d'une main d'œuvre bon marché infantile. Les différents marchés de chaque ville ont été visités ainsi que les sites potentiels de prostitution

A Pointe Noire, deux équipes de deux enquêteurs ont été mobilisées. Une équipe pour les marchés et une seconde pour les sites de prostitution. Les quatre enquêteurs avaient tous une trentaine d'années et avaient été formés et recrutés par l'UNICEF pour une étude sur les violences sexuelles et la prostitution peu de temps auparavant. A Brazzaville, deux équipes ont également été formées. La première équipe était composée de 4 enquêteurs étudiants à l'Université ayant déjà une expérience de la recherche de terrain, notamment d'une enquête sur la consommation de la cigarette au Congo (General Consumer Survey 2004). La seconde équipe était composée de deux enquêteurs de l'ONG ATTAC3, une ONG spécialisée dans la lutte contre la drogue, la prostitution et le SIDA qui a déjà effectué une enquête auprès des jeunes mineures prostituées en septembre 2005.

8 Définition de www.answers.com 9 Définition de l'OMS 10 UNICEF, 2005. Principes directeurs pour la protection des droits des enfants victimes de la traite. Modèle d'accord bilatéral sur la coopération et l'entraide judiciaire pour la protection des enfants de la traite transfrontalière. UNICEF Dakar 11 AFVP, 2004. Rapport de la formation : module de formation pour les travailleurs sociaux. Module II : procédure. Thème 5 Préparation à la réinsertion. AFVP. Cotonou.

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3.4.2 Les outils méthodologiques Des guides d'entretiens ont été élaborés à destination des enfants mais aussi des institutions rencontrées telles que les représentations diplomatiques, les ONG ou les centres d'accueil. Un guide simplifié a également été utilisé lors d'entretiens collectifs, notamment avec les enfants vendeurs ambulants et les jeunes filles prostituées qui se déplacent le plus souvent en groupe. Les informations recherchées ont été obtenues au cours d'une discussion de mise en confiance, une série de petites questions permettant par exemple de déduire le nombre d'heures de sommeil par nuit, le nombre d'années d'exploitation de l'enfant… De plus, une grille d'observation a été élaborée afin de recueillir une première série d'informations sur le nombre d'enfants travaillant sur un site donné, le type d'activité effectuées… Cet outil a notamment été utilisé sur la plage « Base AGIP » où les pirogues de pêcheurs accostent, sur les marchés et sur les sites de prostitution de jeunes filles. Certaines informations n'ont pas été toujours obtenues, telles que les heures de sommeil, le niveau scolaire ou la situation des parents. L'opinion de l'enfant sur sa situation a également été difficile à obtenir, ainsi que ses propositions pour lutter contre la traite. Lors des entretiens sur les marchés, les enfants n'étaient pas libres de parler, anxieux d'être observés par les autres commerçants. Il est également difficile pour un enfant d'analyser sa situation et de se positionner en tant que victime.

Les entretiens avec les enfants se sont déroulés différemment en fonction du lieu de leur rencontre. Les enquêteurs avaient mémorisé le guide et ne prenaient aucune note face à l'enfant ni n'enregistraient les témoignages. Le concept de traite a été défini avec les enquêteurs comme un déplacement à des fins d'exploitation afin que la compréhension du phénomène soit la même par tous. Cependant ce terme n'a pas été utilisé avec les enfants interviewés, préférant l'expliquer sous forme de « déplacement des enfants pour travailler ». Dans un premier temps, nous avons sillonné les rues des quartiers et les marchés de la ville pour observer les mouvements, les activités et les loisirs des enfants. Puis, nous nous sommes rapprochés des services spécialisés et des ONGs spécialisées (associations et orphelinats) en vue de les questionner sur les missions de leurs structures, leur connaissance du phénomène. Dans un troisième temps, nous avons rencontré différents responsables des services étatiques afin d'apprécier leur connaissance du phénomène de la traite des enfants et les dispositions appliquées pour la prévention et la lutte.

3.4.3 Le déroulement des entretiens Les entretiens se sont déroulés avec les services ou organisations ayant un lien probable avec les enfants victimes de la traite ainsi qu'avec les enfants. Nous avons interrogé des responsables des services publics (commissariat de police, poste de gendarmerie, immigration, services sociaux), des orphelinats et centres d'accueil des enfants en difficulté, des ONGs spécialisées, des représentations diplomatiques et des membres des communautés concernées.

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Une observation systématique des milieux de vie et des lieux de travail susceptibles d'attirer des enfants a permis de découvrir les conditions dans lesquelles ces enfants passent le plus clair de leur temps. Durant trois semaines, nous nous sommes rendus dans les principaux marchés, les ngandas, les rues des grands quartiers, les arrêts de bus et autres lieux publics célèbres (boites de nuit, lieux de grands rassemblements). Nous avons ainsi trouvé différentes conditions : « enfants travailleurs », « enfants victimes des maltraitances », « enfants de la rue » et « enfants victimes de la traite ». Sur les marchés, les enquêteurs travaillant en binômes, ont abordé les enfants vendeurs en prétextant un achat puis en posant quelques questions de mise en confiance. Le choix des enquêtés s'est opéré selon la convenance, en fonction de la disponibilité des enfants et de leur bon vouloir. Lorsque la tutrice était présente, ils ont soit demandé un article non présent sur le stand afin de l'éloigner le temps de discuter avec l'enfant, soit un des enquêteurs négociait un prix tandis que l'autre s'entretenait avec l'enfant. Malgré cette méthodologie, les enfants restaient inquiets et apeurés de toutes ces questions posées, notamment les enfants d'Afrique de l'Ouest vendeurs sur les stands fixes, à portée de vue des autres commerçants. Les quelques garçons interviewés ont semblé toutefois plus à l'aise pour répondre que les jeunes filles. Les enfants vendeurs ambulants ont été abordés sous forme d'entretien collectif afin de faciliter l'expression des interviewés. Dans les orphelinats ou les centres d'accueil, les enfants ont également été entretenus en groupe.

Concernant les jeunes filles prostituées, les techniques d'approche ont divergé en fonction des circonstances, avec un effet « boule de neige », les jeunes filles nous indiquant certaines de leurs collègues ou d'autres sites de prostituées mineures. De façon générale, un enquêteur abordait une jeune prostituée, lui offrant un verre en échange d'un peu de compagnie et d'une petite conversation. D'autres fois, les enquêteurs se sont fait passer pour des écrivains à la recherche d'informations sur le monde de la prostitution, ou bien ce sont des « chef de site » qui contrôlent les activités de prostitution et la sécurité des filles qui nous ont référé des jeunes filles. Les entretiens avec ces jeunes filles ont nécessité une longue mise en confiance, notamment quant à leur anonymat et l'absence d'enquête policière. 3.5 La composition de l'échantillon L'échantillon est composé de 114 enfants répartis entre Pointe Noire et Brazzaville. L'échantillon est relativement faible compte tenu de la sensibilité du sujet et de la difficulté d'approcher les enfants potentiellement victimes de la traite. Il s'agit, par conséquent d'une enquête qualitative, basée sur des études de cas, les chiffres obtenus ne sont donc valables que pour l'échantillon d'enfants interviewés et ne sont pas généralisables. La réalisation d'une enquête statistique aurait nécessité l'identification de l'ensemble de la population des enfants victimes de la traite afin de procéder à une sélection aléatoire des enfants interviewés, ce qui n'est pas réalisable en l'état actuel de nos connaissances. L'échantillon est réparti entre les villes de Pointe Noire et de Brazzaville comme suit :

Ville d’exploitation

Lieux d’identification Marché

Pointe Noire

Centre d’accueil ONG

Total Pointe Noire Brazzaville

Marché Orphelinats

Total Brazzaville Total général

Liberté Tié-Tié Grand marché Centre des mineurs ALTO

Total Poto-Poto

Nombre d’enfants interviewés 1 7 15 1 19 dossiers d’enfants identifiés victimes de la traite

43 19 46 6 71 114

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Répartition des enfants interviewés par lieux d’identification

Source : enquête à Pointe Noire et Brazzaville

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La différence d'échantillon entre les deux villes s'explique par un manque de temps dans la ville de Pointe Noire et l'accent qui a été porté sur les jeunes filles prostituées de Brazzaville. Les recherches en matière de jeunes filles victimes de la traite à des fins d'exploitation sexuelle se sont révélées infructueuses à Pointe Noire. 3.6 Les difficultés rencontrées

§ Le temps imparti pour la consultance était très court, (un mois et demi), ne permettant pas d'obtenir plus de témoignages d'enfants, de diversifier les sources et d'approfondir des aspects peu documentés de la traite tels que la traite des enfants congolais vers le Gabon, des circuits d'adoption illégale ou la prostitution des jeunes filles ; § Le sujet encore tabou, en particulier parmi les communautés d'Afrique de l'Ouest n'a pas permis d'accéder facilement à l'information. Ceci a été accentué par la médiatisation du lancement de la consultance à Pointe Noire après que le Directeur Général de l'Action Sociale ait fait une restitution de la conférence d'Abuja de juillet 2006, sur la signature d'un accord multilatéral de coopération régionale de lutte contre la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants en Afrique de l'Ouest et du Centre. Les communautés d'Afrique de l'Ouest, notamment la communauté béninoise accusée « d'esclavage des enfants », est particulièrement sur la défensive. Les entretiens d'enfants ont été très difficiles à réaliser, environ un enfant sur deux refusait de répondre aux questions des enquêteurs sur les marchés et trois jeunes filles sur quatre sur les sites de prostitution :

3.7 Les opportunités

§ La communauté des Etats d'Afrique de l'Ouest à Pointe Noire s'est révélée particulièrement organisée et disponible ; § La mobilisation de l'ONG ALTO nous a permis d'obtenir des informations décisives dans la compréhension et la perception du phénomène par les différents acteurs ; § La Commission Justice et Paix qui avait réalisé la première enquête sur le sujet, a facilité la rencontre avec des personnes ressources clés, acteurs potentiels de la lutte contre la traite ; § Les représentations diplomatiques des Etats d'Afrique de l'Ouest ont été particulièrement réceptives au sujet, elles-mêmes déjà impliquées dans le rapatriement d'enfants victimes de la traite ; § Les autorités municipales de la ville de Pointe Noire ont également démontré une volonté de prendre en compte les enfants en difficulté à travers la mise en place d'un observatoire de l'enfance vulnérable. Elles se sont également montrées disposées à faire partie des acteurs d'une stratégie nationale/locale de lutte contre la traite des enfants. 3.8 Les limites des données recueillies L'impossibilité de procéder à une enquête statistique sur la base d'un échantillon représentatif et aléatoire nous limite à une enquête basée sur des études de cas qui permettent d'avoir un aperçu des tendances, des types de profil, des parcours d'enfants mais qui ne sont pas généralisables à tous les enfants victimes de la traite au Congo.

§ L'accès au milieu de la prostitution a été très délicat, la nature illégale de l'activité des jeunes filles mineures et les soupçons d'enquête policière porté sur les enquêteurs ont conduit l'un d'entre eux à être frappé par un proxénète. Une fois encore le manque de temps de ne nous a pas permis d'approfondir le sujet.

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4. Les résultats de l'enquête 4.1 La répartition de l'échantillon global Les chiffres mentionnés dans les graphiques ci-dessous sont les effectifs et non des pourcentages.

4.1.3 Répartition de l'échantillon des enfants interviewés par type d'activité Autres; 7

Domestiques et Restauration; 3

La majorité (61 %) des enfants interviewés est de sexe féminin. Elles sont notamment surreprésentées parmi les ressortissants d'Afrique de l'Ouest. A l'inverse, les garçons sont majoritaires parmi les enfants congolais.

Domestiques;11 Prostitution; 23

Vente; 47

4.1.2 Répartition de l'échantillon des enfants interviewés par nationalité

Domestiques et vendeurs; 23

Togo; 2

Bénin; 38 RDC; 37

Cameroun; 1 Mali; 5 Guinée; 3

Congo; 25

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Sénégal; 3

Les enfants ressortissants d'Afrique de l'Ouest représentent la population la plus importante de l'échantillon, soit 47 %. Puis les enfants issus de la RDC représentent 32 % de l'échantillon et les Congolais 21 %.

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4.1.1 Répartition de l'ensemble des enfants interviewés par sexe

L'activité principale des enfants interviewés est la vente (40 %), puis la prostitution (21 %). Les travaux domestiques sont également importants, souvent complémentaires des activités de vente ou de restauration. La rubrique « autres » regroupe les activités de vulcanisation, de porteurs, de cireurs de chaussures, ou de travail champêtre. Il est également important de noter la combinaison de plusieurs activités telles que la prostitution et le travail domestique ainsi que parfois la vente.

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4.1.4 L'âge moyen au début de l'exploitation Afrique de l'Ouest : 9 ans Congo : 9 ans RDC : 10 ans Les enfants identifiés semblent avoir commencé à travailler à peu près aux mêmes âges, quelque soit leur pays d'origine. L'âge moyen est toutefois légèrement supérieur pour les enfants de la RDC car les jeunes filles prostituées, qui composent plus de la moitié de l'échantillon des enfants de la RDC, commencent en général leur activité à partir de 12 ans. 4.1.5 Niveau scolaire des enfants Pays Afrique de l’Ouest Congo RDC

Aucun 15 4 18

Niveau scolaire Primaire Collège 12 2 13 11

2

Total 29 17 31

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Les enfants congolais victimes de la traite paraissent avoir un niveau scolaire supérieur à celui des enfants ressortissants de la RDC ou de l'Afrique de l'Ouest.

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4.2 Les différentes formes de la traite des enfants au Congo La traite des enfants au Congo a été identifiée sous les formes transfrontalière et interne.

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4.2.1 La traite transfrontalière La traite transfrontalière au Congo a été identifiée à Pointe Noire par la présence d'enfants d'Afrique de l'Ouest dans les secteurs du commerce et de la pêche et à Brazzaville par l'identification d'enfants originaires de la RDC particulièrement dans les secteurs du commerce et de la prostitution. 4.2.1.1 Les enfants d'Afrique de l'Ouest La communauté des Etats d'Afrique de l'Ouest est très présente au Congo notamment à Pointe Noire où ils se sont concentrés après la guerre. Les communautés les plus représentées sont les Béninois, les Maliens, les Sénégalais, les Guinéens (de Conakry) et les Togolais. Les Béninois sont particulièrement bien organisés avec l'élection d'un président de colonie et de son bureau représentant les différents corps de métier (commerçants, chauffeurs, artisans et pêcheurs) chargé de régler les conflits internes à la communauté. Le contexte du départ A l'origine, ce que nous appelons aujourd'hui traite des enfants était une pratique culturelle exercée dans l'intérêt de l'enfant. Les familles les plus nanties accueillaient les enfants de leurs parents plus pauvres afin d'assurer leur éducation et leur scolarisation, leur garantissant un meilleur avenir en échange de petits travaux domestiques. Les enfants ainsi placés sont appelés « vidomégon » au Bénin, ce qui signifie littéralement en langue fon « enfants placé chez quelqu'un ». C'est un « phénomène social » qui rentre dans une pratique culturelle ancienne conforme aux principes de la solidarité familiale, communautaire ou clanique. Cependant, en raison de la crise économique qui sévit dans toute l'Afrique de l'Ouest, le niveau de vie a diminué, les frais de scolarité ont augmenté et les familles autrefois nanties se paupérisent.

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Des différences d'échantillon peuvent intervenir en raison de l'intégration des dossiers des enfants rapatriés de l'ONG ALTO qui ne mentionnaient pas toutes les informations contenues dans le questionnaire.

Sénégal; 3 Mali; 5

Togo; 2

Guinée Conakry; 3 Bénin; 37 Cameroun; 1

La grande majorité des enfants sont originaires du Bénin mais les autres nationalités sont également représentées. La région d'origine Répartition des enfants béninois interviewés par zone d'origine

Atlantique; 1 Plateaux; 2

Cotonou; 5

Porto Novo; 11

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Caractéristiques des enfants ressortissants des Etats d'Afrique de l'Ouest interviewés

Le pays d'origine

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Parallèlement, dans les zones rurales la vie devient de plus en plus difficile, les rendements agricoles ont chuté car les paysans n'ont plus les moyens d'acheter les engrais dont le coût augmente. De plus, en raison du taux de mortalité infantile en baisse, les familles ont désormais une charge familiale supérieure sans que leurs revenus n'aient augmenté. Ces familles n'ont donc plus la possibilité de scolariser ou de placer leurs enfants en apprentissage, ni parfois de leur assurer les trois repas par jour. La solution du placement d'un enfant au sein d'une famille en ville est donc perçue à la fois comme une chance d'ascension sociale,un revenu potentiel supplémentaire, mais aussi comme une diminution de leurs charges12. La migration de ces enfants est devenue une « norme sociale » entraînant une légitimation de la traite au sein des communautés. Ainsi, la perspective d'aller travailler à l'étranger et la promesse de revenir avec une forte somme d'argent est une opportunité que ni les parents, ni les enfants ne souhaitent laisser passer.

Le sexe La majorité des enfants interviewés est de sexe féminin (90%, soit 38 filles pour 4 garçons). L'âge moyen de départ des enfants est de 9 ans, compris entre 5 et 16 ans. Le niveau scolaire La grande majorité des enfants n'ont aucun niveau scolaire ou un faible niveau de primaire en raison du départ précoce des enfants. 12 B. Brioni, 2004. Les enfants du Bénin désœuvrés. AFVP http://www.6bears.com/enfantsbenin2.htm

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Répartition des autres nationalités par zone d'origine

Pays d’origine Togo Cameroun Mali Sénégal

Ville d’origine Lomé Yaoundé Bamako Ziguinchor Saint Louis

Effectif 2 1 5 2 1

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Les enfants originaires du Bénin interviewés sont tous issus de la partie sud pays comme le montre la carte ci dessous.

Cartographie des départements d'origine des enfants béninois victimes de la traite à Pointe Noire

Les flêches indiquent l’origine des enfants avant leur transfert vers le Congo

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Le parcours La majorité des enfants interviewés ne fait pas partie de la famille du tuteur (18 sur 22 enfants interviewés, 82 %) afin d'éviter les conflits familiaux en cas de difficultés. Ces enfants sont donc confiés aux tuteurs moyennant une somme qu'il est difficile d'estimer tant les chiffres varient d'une source à l'autre. Cependant, le contrat implicite qui lie les parents au tuteur inclut la prise en charge des frais de transport par avion jusqu'à Pointe Noire, une avance de 2 ans de salaire, qui semble correspondre à 120 000 Fcfa (environ 5000 Fcfa par mois) pour la famille ou l'intermédiaire chargé de trouver les enfants. Dans ce cas, la famille n'obtient qu'une faible somme (entre 20 000 et 50 000 Fcfa) tandis que l'intermédiaire toucherait en moyenne 200 000 Fcfa. A sa majorité, l'enfant repart dans son pays d'origine avec une valise composée de pagnes et de vaisselle, le billet du retour et une somme d'argent variant entre 200 000 Fcfa et 500 000 Fcfa. Afin de faciliter le déplacement de l'enfant, de faux actes de naissance sont établis mentionnant un lien de parenté avec entre les tuteurs et l'enfant. De manière plus simple, les actes de naissance des enfants légitimes des tuteurs sont aussi utilisés pour les enfants victimes de la traite d'un âge équivalent, grâce à l'absence de photo sur les documents. Aucun contrôle de douane ne peut alors prouver qu'il n'y a pas de liens de parenté et les enfants peuvent voyager sans difficultés malgré une récente loi limitant les déplacements des enfants béninois à l'étranger. Une jeune fille a également témoigné de la rédaction d'un laissez-passer par son père l'autorisant à voyager avec ses tuteurs. Les activités menées Le commerce Les ressortissants des Etats d'Afrique de l'Ouest sont réputés pour leur savoir faire en matière de commerce. Ils sont particulièrement nombreux au Grand marché et au marché de Fond Tié-Tié.

Même s'il est difficile de faire des généralités, il semblerait qu'une certaine ÓUnicef Congo tendance se dégage quant aux activités menées par les enfants au cours d'une journée. Ils commencent leur journée autour de 5h00 du matin afin d'accompagner le pousseur qui achemine les marchandises vers le stand. Après l'installation des produits mis à la vente, l'enfant est chargé de surveiller les voleurs, d'assister dans la vente, ou de gérer seul un étalage en fonction de son âge et de réaliser les diverses petites courses. De retour à la maison vers 18h00, on lui confie les travaux domestiques, dont la vaisselle, la lessive, le nettoyage de la maison et la collecte de l'eau aux robinets tard dans la soirée en raison des difficultés d'approvisionnement en eau de la ville, avant de pouvoir enfin se coucher vers 23h/00h. Salima, arrivée à 16 ans au Congo, témoigne également des activités qu'elle menait. Témoignage de Salima « Je suis fatiguée de me lever à 4h00 du matin pour débuter le travail et de finir à 22h30 pour me coucher. Depuis mon arrivée, je suis toujours restée à la maison pour les travaux de ménage, je fais la lessive pour elle (la tutrice) et ses enfants. Après il faut attacher 5 bidons d'eau en sachet de 25F. Je manque de soins, d'hygiène et de vêtements. Je dois toujours préparer de grosses marmites sur de grands foyers de 4h00 à 6h30. Je n'ai pas de repos sinon c'est des injures. Je ne veux plus retourner vivre auprès de ma tutrice car elle risque de me corrompre avec ses idées de me faire dua bien comme toujours elle dit alors qu'elle n'a jamais rien fait pour me rendre heureuse. »

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La pêche Une communauté composée principalement de Béninois, de Togolais ainsi que de Ghanéens est installée dans un campement de fortune sur la base AGIP, petit port de pêche à proximité d'une zone industrielle. La pêche s'effectue le plus souvent de nuit, les pirogues prennent la mer vers 17h pour ne revenir qu'au petit matin. Les enfants les plus âgés partent en mer, tirent les lourds filets tandis que les plus jeunes aident à tirer la pirogue sur la plage et déchargent le poisson. Les jeunes garçons sont également mobilisés pour le nettoyage des poissons achetés par les Congolaises. Ils sont rémunérés 200 Fcfa par caisse, dont chacune contient au moins 50 poissons. Les filles sont quant à elles chargées des travaux domestiques, de couper le petit bois, de nettoyer, de fumer et de vendre le poisson. La rentabilité des activités Il est bien sûr très difficile d'établir avec certitude le profit généré par des activités de commerce qui sont très aléatoires. Cependant, d'après des témoignages de la communauté ouest africaine, un stand de vente fixe engendre un chiffre d'affaire journalier compris entre 20 000 et 50 000 Fcfa. Les enfants travaillent seuls sur les stands à partir de 15 ans en moyenne, soit environ 5 années de travail bénévole pour un chiffre d'affaire mensuel estimé à 700 000 Fcfa. (Moyenne de 35 000 Fcfa x 5 jours x 4 semaines). Par conséquent, sur 5 années de travail, le chiffre d'affaire s'élève à 42 000 000 Fcfa pour un investissement de 670 000 Fcfa détaillé comme suit : § 120 000 Fcfa d'avance pour les parents ou l'intermédiaire ; § 300 000 Fcfa de billet d'avion ; § 200 000 Fcfa d'indemnité de départ ; § 50 000 Fcfa de valise ; Total de 670 000 Fcfa.

Il faut également mentionner les activités ménagères réalisées par les enfants ainsi que les différentes petites courses qui génèrent une économie de personnel domestique.

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Les conditions de vie La majorité des enfants témoigne de maltraitances physiques, notamment de privations de sommeil (entre 5 et 7 heures par nuit), de nourriture, de coups de bâton, coups de fils électriques,… clairement visibles sur les épaules dénudées des enfants. Les maltraitances psychologiques, les blâmes, les injures sont également fréquents « quand je fais une erreur, elle (la tutrice) nous insulte d'idiots moi et ma mère » témoigne ce jeune garçon de 15 ans. « Depuis mon arrivée, je n'ai jamais la paix, je ne fais rien de bon pour ma tutrice et son mari. Ils ne font que me battre jour et nuit, au marché comme à la maison pour rien » témoigne également cette jeune fille de 16 ans arrivée 5 ans plus tôt au Congo. Certains enfants ont aussi mentionné des privations de nourriture, de sommeil et des maltraitances graves telles que cette enfant de 12 ans enfermée dans un placard durant deux jours pour avoir volé de l'argent. Les enfants les plus sujets aux maltraitances sont ceux qui ne font pas partie de la famille du tuteur.

Le rapport sur investissement est donc très important même s'il faut retirer le coût des marchandises ainsi que les frais de nourriture de l'enfant.

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Les liens du sang qui pouvaient représenter une forme de protection ou un garde-fou contre les maltraitance ne sont pas présents, les enfants sont donc soumis à la bonne volonté de leurs tuteurs pour leurs conditions de vie et de travail 13. Les maltraitances subies peuvent également avoir des conséquences sur le développement physique, psychologique et social de l'enfant. D'après une étude menée au Togo, il semble, qu'au-delà des violences physiques parfois graves, ce sont les violences psychologiques qui demeurent les plus marquantes. Ainsi, les humiliations en public, les accusations à tord (notamment de vol), les menaces, les insultes des parents, etc, sont les faits exprimés par les enfants comme déclencheurs d'une fugue ou de révolte. Les maltraitances physiques les plus traumatisantes sont, d'après les entretiens réalisés, les privations de 14 nourriture et de sommeil . La libération Lorsque l'enfant atteint l'âge requis pour son retour au pays, certains tuteurs usent de tous les stratagèmes pour éviter de libérer l'enfant. Ils lui demandent de patienter le temps de réunir l'argent, ou ils estiment qu'il n'a pas suffisamment travaillé pour « amortir » l'investissement ou encore l'enfant est accusé de vol. C'est pourquoi, certaines jeunes filles tombent volontairement enceinte pensant ainsi se libérer de leur tutelle mais sans succès. Si le litige est trop important, le président de la colonie béninoise peut être sollicité, intervention qui conduit le plus souvent à un rapatriement, parfois sans indemnité. Cependant, les enfants ont de plus en plus connaissance des activités de l'ONG ALTO et de la possibilité d'avoir recours à leurs services pour négocier leur retour ainsi que l'indemnité promise.

La volonté d'un retour dans le pays d'origine Depuis mars 2006 l'ONG ALTO a identifié 19 enfants victimes de la traite dont 12 ont été rapatriés vers le Bénin, les 7 restant ayant été réintégrés chez leur tuteur après une médiation. La majorité des enfants sont venus auprès de l'ONG suite à des maltraitances ou des menaces qu'ils ne supportaient plus (16 cas sur 19). Contrairement à ce que l'on pourrait penser, ce n'est donc pas le non respect du contrat qui pousse les enfants à la révolte, mais les maltraitances ou les menaces. A la moindre erreur commise les enfants sont sévèrement punis. La perte de 200 Fcfa au marché, l'oubli de laver une assiette, l'achat d'une boisson, la discussion avec un homme sont autant de fautes qui les exposent à la colère de leurs tuteurs. Les enfants témoignent d'une peur quotidienne, d'injures et de menaces qui ne sont plus supportables. Cependant la dénonciation de leurs conditions de vie à une personne extérieure est à hauts risques et les expose à une sévère répression. La révolte des 19 enfants identifiés par l'ONG est intervenue après une durée moyenne d'exploitation de 2,7 ans, soit une durée assez courte par rapport à la durée prévue par le contrat (environ une dizaine d'année). De nombreux enfants en activité interviewés au marché ont également témoigné de maltraitances mais ils préféraient prendre leur mal en patience en attendant le jour de leur libération afin de pouvoir enfin travailler à leur propre compte. Ainsi, 10 enfants sur les 23 interviewés ont déclaré ne pas souhaiter rentrer dans leur pays d'origine, mais vouloir s'installer à leur propre compte grâce à l'argent promis à la fin de leur contrat. Le travail difficile est considéré comme un passage obligé avant de pouvoir « travailler pour eux même ». Ils sont partis avec l'objectif de « gagner beaucoup d'argent » pour aider leurs parents, leur famille, c'est la mission qui leur a été confiée, ils n'ont pas le droit de décevoir.

13 O. Feneyrol, 2006. Les petites mains des carrières de pierre. Enquête sur un trafic d'enfants entre le Bénin et le Nigeria. Terre des Hommes. Cotonou. 14 S. Maignant, 2006. Documentation et analyse des processus de réintégration familiale et de réinsertion sociale des enfants victimes de la traite au Togo. UNICEF.

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Témoignage de Lydie, 17 ans rapatriée au Bénin par l'ONG ALTO « Il y a deux mois, maman m'a tapée parce qu'on l'a informée que j'avais acheté du jus pour boire. J'étais obligée de fuir la maison parce qu'elle m'a fait des menaces. Après avoir passé deux jours dehors, elle m'a rattrapée et m'a ligotée en complicité avec trois jeunes du quartier qui m'ont mise nue. Je suis restée ligotée nue jusqu'au lendemain matin. Au mois de mai, le même scénario de bastonnade reprend au grand marché en présence de quelques mamans qui n'ont pas pu la maîtriser car j'avais manqué de respect à un certain B. au marché. Comme cette bastonnade continuait encore deux jours plus tard avec tous les objets qu'elle avait à sa portée j'ai déserté la maison pour vivre auprès de Mme G. Les gens m'ont conseillé d'aller voir ALTO pour gérer la situation ». Témoignage de Naïma, 12 ans réintégrée chez ses tuteurs « J'ai fui la maison car ma tutrice m'a tapée avec un bâton (morceau de palette). Elle m'a dit de faire la vaisselle et je l'ai faite mais il y avait une assiette qui se trouvait dans la chambre que je n'ai pas lavée aussitôt et quand elle a posé la question je lui ai dit que je vais le faire tout de suite et elle me dit de tout laisser, même les habits que je lavais. Elle me faisait des menaces, que je n'irai pas au marché voilà que je me suis sauvée et que j'ai passé la nuit à la station. Et au grand jour, je me retrouve dans les mains d'ALTO ».

La dénonciation de leurs conditions est par conséquent d'autant plus difficile et ne semble intervenir qu'en dernier recours, lorsque les limites de l'acceptable ont été atteintes pour l'enfant.

faciles et bien rémunérés, des projets de mariage, la quête de meilleures conditions de vie, l'imitation des camarades, et le goût de l'aventure.

4.2.1.2 Les enfants en provenance de la République Démocratique du Congo

Les petits vendeurs de rues

Le contexte du départ Du fait de la proximité des milieux de vie, de l'ancienneté des échanges et de la facilité des langues de communication, de nombreux enfants de la RDC traversent le fleuve pour s'installer au Congo. L'histoire atteste que de nombreux groupes ethniques ont toujours vécu à cheval sur les deux rives du fleuve Congo, notamment les Congolais originaires des provinces du Bas-Congo. La présence de parents et de terres héritées des ancêtres congolais, amène facilement des jeunes générations vers les villages du Pool, de la Bouenza ou des Plateaux. Ces migrations déterminées par des appartenances claniques sont difficiles à contrôler. Dans ce contexte, la situation actuelle de la RDC particulièrement difficile contribue au déplacement des enfants vers le Congo Brazzaville. Les enfants victimes de traite que nous avons rencontrés ont cité plusieurs causes à leur déplacement, notamment des promesses de voyage vers des pays étrangers (France, Canada, Afrique du Sud), des emplois

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Caractéristiques des ressortissants de la RDC vendeurs dans les rues Sexe La grande majorité des enfants vendeurs de rue rencontrés étaient des garçons (17 garçons pour 1 fille) L'âge moyen au départ est de 9 ans, compris entre 5 et 14 ans. Niveau scolaire Le niveau scolaire des petits vendeurs de rue est faible, plus de la moitié d'entre eux n'ont jamais été scolarisés. Région d'origine La majorité des enfants sont originaires de Kinshasa, les autres étant issus des provinces du Bas-Congo et du Kivu.

Les activités menées - La majorité des enfants interviewés fait de la vente fixe ou ambulante, cependant ils sont également recrutés dans d'autres activités. Dans ce domaine, les caractéristiques relevées durant nos observations sont : - Les emplois sédentaires Il s'agit des emplois qui se font dans des lieux fixes et faciles à repérer ; on les trouve dans la couture, coiffure, les services de restauration, les emplois de maison ou la vente des produits alimentaires et divers. - Les emplois à grande mobilité C'est la spécialité des commerçants ambulants proposant les produits suivants : eau glacée, arachides, réparation et cirage de chaussures, soins des ongles etc.

Le parcours La rentabilité des activités La plupart de ces enfants sont venus pour travailler cependant certains sont venus à Brazzaville en espérant pouvoir acquérir un visa pour l'Europe ou l'Afrique du Sud. Brazzaville est perçue comme un passage obligé, une ville de transit pour quitter facilement le continent. Certains ont rejoint des connaissances ou des compatriotes qui les accueillent à Brazzaville. Ils sont d'abord considérés comme des membres de la famille, puis ils travaillent dans l'atelier du tuteur, qui prélève une partie de l'argent promis en contrepartie des services qu'il lui rend (hébergement, nutrition, soins médicaux, assistances diverses). Des ententes sont aussi réalisées avec d'autres artisans ayant besoin de main d'œuvre bon marché. La promesse d'un emploi bien rémunéré et de meilleures conditions de vie sont les arguments les plus utilisés pour attirer cette main d'œuvre infantile docile.

La rentabilité des activités menées par ces enfants varie selon la recette journalière. Dans l'ensemble, ils semblent être satisfaits de ce qu'ils gagnent. Ils ne donnent que peu d'informations sur leurs revenus, par pudeur ou par crainte des représailles. Ceux qui vendent de l'eau glacée ont dit parvenir à faire un chiffe d'affaire journalier de 5000 à 6000 Fcfa. A la fin de la journée, ils sont nourris par les employeurs et rémunérés au taux de 500 Fcfa. La rentabilité de ces petits vendeurs de rue n'est donc pas négligeable, avec un chiffre d'affaire estimé à 30 000 Fcfa par semaine pour un coût de main d'œuvre de 3000 Fcfa. Les conditions de vie Les conditions de vie varient selon la durée de séjour. Certains enfants sont logés dans des maisons de passage entretenues par des compatriotes où ils vivent en communauté pour une meilleure sécurisation de leurs biens.

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Cartographie des provinces d'origine des enfants de la RDC victimes de la traite à Brazzaville

Sens de transfert des enfants

Ces enfants sont parfois aussi nourris en fonction de la recette journalière. Les enfants qui ne sont pas hébergés par les employeurs se regroupent dans de petits « squats » en ville autour des marchés où ils sont fréquemment victimes d'agressions et de vol durant la nuit. Très mobiles, ils vivent en groupe et changent souvent de lieu d'habitation fuyant aussi des employeurs à qui ils ont volé de l'argent ou de la marchandise. La volonté d'un retour dans le pays d'origine La plupart d'entre eux considèrent leurs conditions assez supportables, eu égard aux difficultés connues dans le pays d'origine. Beaucoup n'envisagent le retour au pays qu'en cas de réussite sociale. La peur des critiques des parents

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et du déshonneur pour la famille est au centre des préoccupations de ces enfants. Ces arguments sont justifiés par la pauvreté des parents et l'envie d'aider leur famille. Les projets de retour en terre natale sont nombreux dans le lot des enfants enquêtés mais tous émettent des réserves à cause des difficultés qui persistent dans leurs milieux d'origine. Presque tous les enfants ayant des intentions dans ce sens, pensent avant tout à l'idée d'aider les parents restés au pays (surtout pour ceux qui y ont laissé des frères et sœurs). Les retours rapides et définitifs ne sont pas envisagés par crainte de retomber dans les difficultés économiques qui ont causé le départ.

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Les jeunes filles victimes de la traite à des fins d'exploitation sexuelle Outre les activités de vente ambulante ou fixe, les jeunes filles mineures de la RDC, semblent être victimes d'une prostitution organisée qui répond à une demande croissante «de chair ou de viande fraîche ». La croyance traditionnelle selon laquelle un homme accroît sa puissance mystique ou qu'il conserve sa jeunesse en ayant des rapports sexuels avec un enfant peut en être une explication. La banalisation du rapport sexuel ou la recherche de nouvelles expériences sexuelles en raison du développement des films 15 pornographiques dans les vidéoclubs peuvent également expliquer cette attirance pour les jeunes filles. Des établissements spécialisés se sont alors développés ainsi que des rues consacrées à la prostitution des jeunes filles. Les proxénètes n'ont pas de difficulté à trouver de la main d'œuvre parmi les enfants en situation de grande vulnérabilité dans la région. Caractéristiques des jeunes filles prostituées Le sexe Les 23 enfants prostitués interviewés sont tous de sexe féminin. L'âge moyen de départ des enfants est de 12 ans. L'âge de départ des jeunes filles prostituées est plus élevé que leurs compatriotes de sexe masculin travaillant dans les activités de la vente mais cela reste extrêmement jeune pour des activités de prostitution. Le niveau scolaire La grande majorité des enfants n'ont jamais été scolarisés ou ont un faible niveau de primaire. Malgré l'âge de départ

un peu plus élevé que les garçons, le niveau scolaire des jeunes filles reste équivalent. Ce sont des enfants qui n'auraient probablement pas été scolarisés s'ils étaient restés dans leur pays d'origine, donc potentiellement victimes d'exploitation économique en RDC. Le pays d'origine Le parcours D'après nos enquêtes, le phénomène de la traite des enfants à des fins d'exploitation sexuelle semble essentiellement concentré sur Brazzaville. Outre la proposition d'un emploi bien rémunéré, d'une vie meilleure, les intermédiaires leur proposent un visa pour l'Europe ou l'Afrique du Sud. La promesse du visa semble être un prétexte qui se développe afin d'attirer les jeunes filles et de les retenir. Ainsi, dès leur arrivée à Brazzaville, elles sont confiées à une personne ressource (un proxénète), qui se chargera de les aider dans leurs démarches administratives pour l'obtention du visa. L'intermédiaire, qui peut également être le parent ou la connaissance, disparaît alors après une probable rémunération. Etant donné que les procédures administratives d'obtention de visa sont longues et coûteuses, il est demandé aux jeunes filles de travailler dans un bar en attendant, puis de répondre aux avances des clients pour enfin exercer exclusivement la prostitution. Lorsqu'elles commencent à se rebeller, les proxénètes leur donnent « la liberté » de partir mais en remboursant les frais engagés. Prises au piège, l'espoir d'obtenir un visa est plus fort que le dégoût de leur activité qui leur donne malgré tout de quoi manger, se loger et s'habiller. La majorité des jeunes filles n'était pas informée de l'activité qu'elles allaient mener, on leur avait promis des travaux domestiques ou des emplois de serveuses.

15 F. Nkeoua, 2006. Etude sur l'exploitation sexuelle des enfants à Pointe Noire. UNICEF, Congo.

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L'une des jeunes filles est tombée enceinte et a abandonné le bébé dans un orphelinat avant de retourner chez sa « marraine » à Bacongo. Les frais d'accouchement à l'hôpital ont été pris en charge par la marraine. Les activités menées Elles travaillent soit dans les bars ou ngandas, devant les mini-hôtels ou encore pour les plus jeunes dans des maisons closes où elles sont à l'abri des regards des non avertis. Cependant, toute personne intéressée a connaissance de ces lieux dont les adresses circulent facilement. Entre 12 et 15 ans, les jeunes filles sont confinées dans les chambres des ngandas, puis lorsqu'elles sont un peu plus âgées, autour de 15 ans, elles sont considérées comme « défraîchies » et peuvent sortir pour attirer les clients au bar. Quelques ngandas et mini-hôtels ont fait de la « viande fraîche » une spécialité dont certains établissements accueillent jusqu'à 25 prostituées mineures. Une telle spécialisation nécessite un approvisionnement régulier, les plus jeunes sont les plus rentables en raison d'un tarif inversement proportionnel à l'âge de l'enfant et d'une forte demande des clients pour ces fillettes. Les principaux sites de prostitution infantile ont été localisés dans les quartiers de Bacongo, Makélékélé, Moungali et Ouenzé. Témoignage de Rose et de Gigi, 14 et 15 ans, originaire de la RDC, prostituées depuis 2 ans. « Nous avons été amenées par une femme qui habitait Brazzaville. Elle est venue à Kinshasa pour un cas de décès. Elle nous a dit que les conditions de vie à Brazzaville sont très agréables. On a accepté de faire la traversée avec la femme (elle-même prostituée) et on est allée chez elle à Bacongo, à côté du marché. On a commencé à travailler pour la femme. Notre studio s'est transformé en chambre d'hôtel qui reçoit des hommes toute la nuit. »

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La rentabilité de l'activité Les proxénètes soutirent en moyenne 70% des recettes journalières des jeunes prostituées. Sur la base de 3000 Fcfa la passe, un proxénète gagne en moyenne 4000 Fcfa par jour et par prostituée. Un établissement accueillant 25 jeunes filles génère par conséquent un chiffre d'affaire moyen journalier évalué à 100 000 Fcfa, 7 jours sur 7, 3 semaines par mois en raison d'une semaine d'indisposition des jeunes filles. Avec un chiffre d'affaire estimé à 2 100 000 Fcfa par mois, l'activité est très lucrative, ce qui peut aussi expliquer son développement. Autrefois localisé à quelques lieux, le phénomène semble s'être développé dans des rues entières d'après les membres de l'ONG ATTAC 3.

Les conditions de vie Le plus souvent logées dans une chambre en ville louée à plusieurs, les chambres d'hôtels sont consacrées à l'activité professionnelle où les jeunes filles travaillent en moyenne de 22h à 3h du matin. Elles sont toutefois surveillées de près, notamment les plus jolies et les plus jeunes qui attirent le plus de clientèle. Les prix varient entre 3000 et 5000 Fcfa en fonction de la beauté de la jeune fille, de son âge et de la durée du rapport. Le proxénète encaisse l'argent et ne leur retourne que environ 30% du gain de la journée. Les 70% restant sont destinés aux frais d'hôtel, d'eau, d'électricité et de visa lorsque ce stratagème a été utilisé. Une « épargne obligatoire » est également prélevée qui leur sera remise plus tard. La majorité d'entre elles se considèrent exploitées (même si ce terme n'a pas été spécifiquement employé) par le proxénète et « trompées ». On leur avait promis un travail de serveuse ou de domestique, pas de prostituée, les querelles avec le proxénète à ce sujet sont fréquentes. Leurs biens sont également régulièrement confisqués et toutes témoignent d'insultes, de brimades et parfois d'harcèlements sexuels ou de viols de la part du proxénète.

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La volonté d'un retour dans le pays d'origine Les jeunes filles ne peuvent quitter ce milieu que si elles bénéficient d'une aide pour se détacher du proxénète ainsi que pour trouver une autre source de revenus très rapidement. Ce ne sont pas des jeunes filles disposées à faire à un apprentissage, par exemple, de plusieurs années avant de pouvoir à nouveau gagner de l'argent. Il faut pouvoir leur trouver une activité génératrice de revenus rentable à court terme et qui ne nécessite pas une longue formation. Ainsi, après trois années d'exploitation sexuelle, une jeune fille de 15 ans « recrutée » par un de ses compatriotes depuis la RDC a souhaité rentrer à Kinshasa après la mort de ses parents pour s'occuper de ses deux frères. Après quelques mois, elle est retournée à Brazzaville poursuivre ses activités de prostitution, accompagnée d'un de ses frères qu'elle a pu scolariser. De plus, la majorité d'entre elles ne souhaite pas rentrer à Kinshasa (10 sur les 15 jeunes filles interviewées) car elles ont quitté leur famille sans les prévenir, certaines n'ont plus de parents, plus d'attache à leur pays d'origine mais également en raison de la honte de l'activité exercée. Elles témoignent d'un profond sentiment de trahison à l'égard de leur connaissance ou parent qui les ont introduite dans ce milieu. Elles déplorent également la « cupidité » de leurs compatriotes qui « les obligent à rentrer dans ces activités ». Toutefois, qu'elles souhaitent retourner dans leur pays d'origine ou non, la plupart d'entre elles ont déjà un projet d'insertion professionnelle tel que la mise en place d'une AGR, l'apprentissage d'un métier ou plus rarement une (re)scolarisation. 4.2.2 La traite interne La traite interne est définie par le déplacement des enfants à des fins d'exploitation au sein de leur pays, le plus souvent des zones rurales vers les centres urbains. Ce phénomène, particulièrement développé et documenté en Afrique de l'Ouest est également

présent au Congo. Cette forme de traite a été étudiée plus particulièrement à Brazzaville pour des questions de temps et de logistique mais elle est également présente à Pointe Noire. Les différents parcours Les enfants non accompagnés suite aux guerres Avec les mouvements des populations provoqués par les guerres, beaucoup d'enfants se sont retrouvés dans des conditions difficiles à gérer par les familles et les services spécialisés. Volontairement ou non certains ont changé de milieux de vie et d'activités. Alors qu'au début des affrontements les populations quittaient Brazzaville pour se réfugier dans les zones rurales, les bombardements des centres des régions du Sud, ont provoqué des mouvements inverses. C'est ainsi qu'on trouve à Brazzaville des enfants déplacés plusieurs fois (Brazzaville-VillagesBrazzaville), ceux qui ont fui leur village pour s'installer dans les villes plus sécurisées et ceux qui ont changé de quartiers au sein d'une même localité. La fuite due aux bombardements est la première raison des départs pour les enfants rencontrés. Pour ne pas manquer de soutien pendant ces longs mois de traversée de zones inconnues, beaucoup d'enfants acceptaient la compagnie d'étrangers; c'est à la fin de la guerre que beaucoup d'entre eux ont réalisé la complexité de leur situation de dépendance vis-à-vis de leurs bienfaiteurs. Nourris et logés, ils travaillent comme petits vendeurs de rue ou comme domestiques et ne sont pas scolarisés. La rapidité de l'enquête ne nous ayant pas permis d'aller dans tous les quartiers de la capitale, 77% des enfants présentant les caractéristiques de victimes de traite sont surtout originaires du Pool.

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La pratique du confiage Au niveau national, la tradition de confiage permet aux familles de laisser partir un ou plusieurs de leurs enfants avec un parent vivant dans une autre localité. Des amis de « grande confiance » ou des beaux parents sont souvent transformés en tuteurs ; quand on le leur propose sans qu'ils ne le demandent c'est signe d'amitié et de confiance. Il est souhaitable d'ailleurs de ne pas attendre ces demandes, car ils doivent anticiper pour montrer leur bonne volonté à rendre service aux autres. En prenant ces charges, on dit qu' « ils remboursent une partie de la vie qu'ils ont reçu de leurs parents ». Dans la société traditionnelle, les enfants étaient éduqués et entretenus par tous les membres de la famille, du clan, de la communauté et du village. A leur tour ils devaient assister d'autres parents16. Les charges ainsi prises étaient récompensées par les services et le respect que les enfants entretenus leur donnaient. Selon les coutumes, chaque membre de la famille a le devoir de prendre en charge des enfants et de les scolariser. Cependant, la paupérisation des ménages et le retard scolaire des enfants ne leur permet plus d'être scolarisés, ils sont alors mobilisés pour les travaux domestiques ou pour des activités génératrices de revenus telles que la vente ambulante de produits divers. La recherche d'un emploi A Brazzaville, 77% des enfants interviewés présentant les caractéristiques de la traite interne étaient originaires du Pool. Les enfants rencontrés à l'occasion de cette enquête ont affirmé avoir quitté leurs familles d'origine en raison d'un rejet des parents suite à un remariage, au décès des parents, pour fuir des maltraitances, ou afin d'apporter un revenu supplémentaire à la famille car les parents n'ont pas la possibilité de les prendre en charge. Dans la majorité des cas, les enfants ont fui une situation difficile sans prévenir leurs parents (11 enfants sur 15 interviewés) avec l'objectif d'améliorer leurs conditions

de vie. Ils ont le plus souvent suivi des marchands de passage qui leur proposaient un emploi bien rémunéré. Arrivés à Brazzaville, ils travaillent comme vendeurs ambulants pour ces patrons mais ils ne sont pas logés. Ils sont payés environ 500 Fcfa par jour et pour certains sont nourris en fonction de la recette journalière. Ainsi, des enfants se déplaçant en groupe d'une dizaine, ont été recrutés dans la région du Pool et vendent diverses marchandises (arachides, eau glacée, ski…) pour le compte d'un même employeur. L'enlèvement d'enfant Deux enlèvements d'enfants ont également été signalés notamment cet enfant « volé » : Jules a 7 ans au moment de l'enquête. Il raconte son histoire : « J'avais 4 ans lorsqu'une dame inconnue de ma famille m'a volé. J'habitais au quartier Kinsoundi avec ma mère. Je suis né après la mort de mon père. Maman s'occupait de mes trois sœurs et de moi en vendant des légumes au marché Total. Chaque jour elle me laissait avec mes sœurs toute la journée. Quand elles allaient à l'école, je restais avec les autres enfants du quartier. Ce sont les autres mamans qui me donnaient souvent à manger et me lavaient. Comme j'étais gentil avec tous ceux qui me donnaient à manger, je partais souvent avec ceux qui me prenaient la main. C'est comme ça que je suis parti ce jour avec tantine Mado. Elle m'a amené dans une voiture et nous sommes partis chez elle, très loin. Depuis ce jour je ne voyais plus ma mère. Je restais dans mon coin car elle ne voulait pas me voir dehors. Je faisais beaucoup de choses à la maison puis j'ai commencé à vendre des choses pour elle au marché du quartier. Elle me tapait et me refusait à manger quand je ne venais pas avec l'argent. C'est parce qu'elle me tapait beaucoup qu'elle m'a cassé un bras. Comme j'avais mal pendant deux jours, sans médicaments, j'ai fui chez un tonton du quartier. Lui il avait pitié de moi et m'a gardé pour venir me laisser dans cette école (un orphelinat) ».

Caractéristiques des enfants victimes de la traite interne Des différences d'échantillon peuvent intervenir en raison de l'absence de certaines informations pour quelques enfants interviewés.

16 A. Douglas Wandji, 2004. « Questions pendantes ». Ecovox. Magazine de l'écologie et du développement durable. Bafousam. (Cameroun) N°32 septembre - décembre 2004.

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Le niveau scolaire La majorité des enfants ont un niveau scolaire primaire, soit un niveau supérieur à celui des enfants victimes de la traite transfrontalière.

Lekoumou; 1

Bouenza; 1

Plateaux; 1

Pool; 10

Unicef Congo - Analyse de la situation des enfants victimes de la traite

Département d'origine

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Le sexe La majorité des enfants interviewés sont des garçons, (17 garçons pour 6 filles) L'âge moyen du départ des enfants est de 9 ans, soit une moyenne d'âge équivalente aux enfants victimes de la traite transfrontalière.

Le principal département d'origine des enfants victimes de la traite interne interviewés à Brazzaville est le Pool. En effet, Brazzaville a longtemps fait partie du Pool avant d'être un département propre. Il est donc plus proche géographiquement, et économiquement et culturellement lié au Pool.

Origine des enfants victimes de la traite interne

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4.2.3 Au delà de la traite, l'exploitation des enfants Outre le phénomène de la traite transfrontalière des enfants d'Afrique de l'Ouest, des enfants de la RDC et de la traite interne, de nombreux enfants sont victimes d'exploitation économique sans que la dimension de déplacement n'intervienne. D'après l'enquête menée au Congo intitulée « L'analyse de la situation des enfants et des femmes au Congo » de 2002, des milliers d'enfants seraient exploités dans les grandes agglomérations dont 40 % travailleraient 17 sous l'autorité d'un tuteur . Le contexte très urbanisé de la République du Congo et la paupérisation des ménages en ville, sont des facteurs favorisant le développement d'une main d'œuvre infantile bon marché mobilisée pour le transport des marchandises sur le marché, la vente ambulante, les petits métiers tels que les cireurs de chaussures ou encore la prostitution. Il s'agit des enfants des rues, des enfants de la RDC arrivés par leurs propres moyens ou des enfants congolais vivant parfois chez leurs parents mais travaillant pour un patron dans un quartier voisin afin de compléter le revenu familial. Même s'il ne s'agit pas de la traite selon la définition du Protocole de Palerme qui fait intervenir la notion de déplacement et d'exploitation, ces enfants restent malgré tout exploités par des employeurs. La promesse d'aide financière et de protection est le principal appât utilisé pour mobiliser cette main d'oeuvre bon marché. De peur de rater les bienfaits proposés par certains adultes, beaucoup d'enfants acceptent de les accompagner, de les assister dans leurs activités, ou d'être employés suivant leurs conditions. En raison de la conjoncture qui a réduit les opportunités de survie et le pouvoir d'achat des populations, les Congolais ont appris à jouer de leur intelligence (bonne ou mauvaise) pour développer des stratégies facilitant l'obtention des gains. Tout ce qui concourt à la réussite des stratégies de survie est entretenu

sans gêne. C'est ainsi que tout ce que peuvent faire des enfants dans le sens d'obtenir des biens ou de l'argent n'est plus automatiquement critiqué ou condamné. Dans certains milieux, ces enfants sont même encouragés et félicités. Le cas particulier de l'exploitation sexuelle Les investigations menées dans ce milieu ont certes démontré l'existence de jeunes filles victimes de la traite à des fins d'exploitation sexuelle, toutefois nombre d'entre elles, dont des jeunes filles congolaises, sont victimes d'exploitation sexuelle. Cette constatation a également été faite par l'ONG ATTAC 3 lors d'une enquête auprès de 32 prostituées mineures à Brazzaville. Appelées aussi Fioti Fioti, la majorité d'entre elles ont 18 entre 13 et 15 ans (21 jeunes filles sur 32 ). Les jeunes filles de RDC, viennent à Brazzaville par leurs propres moyens, pensant trouver un métier tel que serveuse, domestique ou garde d'enfants et gagner beaucoup d'argent. Cependant, à leur arrivée elles sont accueillies par leurs compatriotes qui les orientent vers les activités de prostitution, contre une probable rémunération. Les jeunes filles congolaises ont quant à elles quitté leur famille en raison de conflits familiaux, de remariage des parents, de manque d'argent ou après le décès de leurs parents. Conseillées par des amis ou des connaissances, elles « s'inscrivent » auprès d'hôtels ou de ngandas spécialisés pour y exercer la prostitution. Les proxénètes exploitent une situation de grande vulnérabilité de ces jeunes filles à des fins commerciales très lucratives. A Pointe Noire, les enquêtes dans ces milieux n'ont pas permis d'attester de la présence de jeunes filles victimes de la traite à des fins d'exploitation sexuelle mais nous avons pu identifier des groupes de prostituées congolaises mineures dans les quartiers de Rex et de Fond TiéTié. Les plus jeunes (à partir de 15 ans) se déplacent en groupe de trois ou quatre.

17 J.P Poaty, 2002. Analyse de la situation des enfants et des femmes au Congo UNICEF Brazzaville. 18 ATTAC 3, 2005. Enquête sur les filles mineures prostituées sous l'emprise des proxénètes à Brazzaville ATTAC 3. Brazzaville.

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Appelées dans leur jargon « les mercenaires » ou « tchoucoumessous », elles sont accompagnées d'un « gourou » qui assure leur protection contre les viols et les agressions en échange d'une rémunération. La logique de groupe prédomine dans ce milieu très difficile, où être seule, c'est prendre des risques.

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Témoignage : Hélène et Sylvie 16 et 18 ans, prostitués depuis 3 ans ÓUnicef Congo

« Nous sommes venues du village, nos parents se connaissent mais nous n'avons pas de liens de parenté. Nous sommes venues à Brazzaville par nos propres moyens en vue de poursuivre des études. N'ayant pas de parents sûrs capables de nous héberger et de nous soutenir financièrement, nous avons vite accepté des aides d'un gentil tonton qui nous rendait de grands services. Nous l'avons connu à notre arrivée dans la première parcelle où nous avions trouvé un petit studio. Dès que nous avions épuisé nos maigres économies ramenées du village, nous avons régulièrement reçu les dons de ce voisin de parcelle. Quelques mois après, celui-ci nous parla de ses problèmes financiers et nous proposa un « petit boulot du soir ». Sous sa conduite, il nous montra comment attendre des clients devant un nganda du quartier. Il nous rassurait de sa protection en nous proposant des hommes qu'il disait connaître. Ce qu'il nous présenta comme un jeu pour exploiter ces hommes se transforma en véritable métier régulier. Ce sont les menaces et brimades qu'il faisait chaque fois qu'on parlait d'arrêter de satisfaire un client qui ont attiré notre attention. C'est lui qui récupérait tous les gains, payait le loyer et le nécessaire pour la nourriture, les habits et la maladie… Il se servait de nous chaque fois qu'il en avait aussi envie. Nous avions respectivement 13 et 15 ans, quand tout a commencé. Nous ne pouvons pas nous libérer car nous sommes souvent menacées de mort. Il a appris où vivent nos parents et les a corrompus. Ceux-ci le prennent pour un bienfaiteur et ne nous croiraient pas si on se plaint. Le travail est dur car les heures ne sont décidées que par lui ; nous ne pouvons refuser personne et il gagne plus que nous… »

4.3. La perception de la traite Le phénomène de la traite des enfants est perçu de manière différente dans les diverses communautés. 4.3.1 La perception de la traite par les ressortissants d'Afrique de l'Ouest Comme il a déjà été mentionné précédemment, le phénomène de la traite des enfants en Afrique de l'Ouest est avant tout un phénomène culturel qui a été détourné de son but premier qui servait l'intérêt de l'enfant. Ainsi, l'enfant n'est pas considéré comme un travailleur mais plutôt comme un apprenti commerçant. Les tâches ménagères sont exigées en échange de l'hébergement et la nourriture de l'enfant, cela fait également partie de l'apprentissage de la vie et de l'éducation que tout enfant doit avoir. Les tuteurs sont donc perçus par la famille comme des bienfaiteurs qui apportent une éducation et l'apprentissage d'un métier gratuitement. La notion d'exploitation est totalement exclue, étant définie à leurs yeux comme le fait de « gagner de l'argent sur le dos d'un enfant ». L'enfant est considéré en apprentissage dans le commerce. Ils donnent donc l'opportunité à un enfant d'apprendre un métier gratuitement et d'obtenir une somme d'argent à la fin de leur contrat, somme d'argent qu'aucun enfant ne pourrait acquérir en Afrique de l'Ouest. Même si les tuteurs reconnaissent qu'ils devraient employer une personne pour gérer les stands de marchandises, ils invoquent le manque de fidélité, le vol et la paresse des Congolais pour justifier le recrutement des enfants originaires d'Afrique de l'Ouest. « Ces enfants sont fidèles, plus faciles à gérer et sont plus travailleurs que les Congolais. Ils veulent gagner de l'argent, ils sont là pour travailler» résume un pêcheur béninois. De plus, les mauvais traitements à l'égard des enfants qui leur sont fréquemment reprochés ne sont pas perçus comme de la maltraitance. Encore une fois, cela fait partie du processus d'éducation de l'enfant.

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« Nous sommes contre la maltraitance mais pour le bâton. Chez nous les enfants ont besoin du bâton pour comprendre » explique un commerçant. Une tutrice dont l'enfant s'est réfugiée à l'ONG ALTO après avoir été battue confirme : « S. n'a jamais été battue et elle est entre de bonnes mains. Si elle commet des bêtises, elle est corrigée par sa grande sœur sous ma responsabilité. Elle est une fille capricieuse, menteuse et même têtue que je prends soin de gérer à ma façon. » 4.3.2 La perception de la traite par les Congolais La traite des enfants est à la fois un phénomène transfrontalier mais aussi interne comme nous l'a démontré cette enquête. Cependant, on assiste à une stigmatisation des Ouest Africains, en particulier des Béninois que l'on accuse « d'esclavagistes » et de graves maltraitance à l'égard des enfants. Il y a également une peur de « contamination », terminologie employée de façon récurrente par les Congolais. Ainsi témoigne le responsable d'une ONG : « de plus en plus, on a nos propres enfants congolais qui sont dans les marchés et qui vendent. Ce phénomène a contaminé le milieu local. Et si on ne prend garde, des centaines d'enfants congolais finiront 19 dans la rue, vendeurs ambulants ». Concernant la traite interne, la plupart des personnes enquêtées ont déploré la dureté des travaux que les jeunes enfants sont obligés d'exécuter, mais sans condamner ceux qui les emploient. Ces derniers étant considérés plus comme des bienfaiteurs que comme des malfaiteurs. Les enfants qui travaillent sont plutôt encouragés à continuer car diton « ils apprennent à connaître la vie en travaillant et en se prenant en charge ». Plusieurs enquêtés ont soutenu que « tant que la traite et l'exploitation d'un enfant n'aboutissent pas à sa mort, il ne faut pas condamner ceux qui l'utilisent ; ces derniers lui donnent l'occasion de gagner sa vie et le protègent contre la mendicité et le vol ».

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Certains n'ont pas accepté les termes définissant la traite des enfants : Ils contestent la juxtaposition des concepts ''commerce '', ''exploitation'' et ''recrutement''. Ces mots ne prennent pas le même sens dans le contexte congolais car la cohabitation enfants/adultes est conçue et vécue dans une logique de supérieur/inférieur », « puissant/faible » et « nanti/démuni ». Ces rapports sont aussi perçus selon la logique de « complémentarité » : adultes et enfants se rendent mutuellement service. Les termes contestés ici étaient redéfinis comme suit : ‘'Déplacements'' = « Kunata » (en Kituba) et « Kumema » (en lingala) = amener avec soi ; ''Hébergement '' = « Kuyamba na ndako ou na yinzo» = recevoir à la maison / chez soi ; « Exploitation » = « Ko pesa mossala » (en lingala) ou « Kupesa kisalu » (en Kituba) = donner du travail ; « Ku baka mwana na kisalu » = prendre un enfant pour le faire travailler ; « kupesa mwana kisalu » = donner du travail / emploi à un enfant. D'autres ont soutenu que « les déplacements et les utilisations qu'on fait subir aux enfants de nos jours ne doivent pas être dramatisés. Cela participe à la culture congolaise de solidarité et de préparation des jeunes à la vie ».

19 Unicef Congo, 2006. Pointe-Noire, Stratégie urbaine. Document média.

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Enfin, beaucoup d'enquêtés ont voulu nuancer les choses en demandant qu'on distingue les situations avant de les considérer. Cela du fait que toutes les situations de « déplacement, de confiage et d'exploitation des enfants ne sont pas condamnables » : parmi les parents on trouve ceux qui exigent aux enfants de travailler, ceux qui les encouragent et ceux qui ne savent pas ce que font leurs enfants. En somme, l'opinion générale qui s'est dégagée consiste à voir la traite des enfants comme « une possibilité de survie qui leur est offerte face au dénuement des parents, à l'hostilité des milieux de vie et à l'incertitude de l'avenir ». Tout ce qui a été condamné de cette pratique ce sont les maltraitances infligées aux enfants subissant la traite. De manière générale, la traite n'est perçue qu'à travers l'angle de la maltraitance. Or, la traite est définie par le protocole de Palerme comme « un déplacement à des fins d'exploitation ». L'élément constitutif de la traite est bien l'exploitation et non pas la maltraitance qui n'est qu'une possible conséquence de la traite. La traite interne, qui se manifeste sous diverses formes, n'est pas perçue comme de l'exploitation. Il s'agit au même titre qu'en Afrique de l'Ouest, d'une tradition de prise en charge des enfants dans leur intérêt qui a été dévoyée vers l'exploitation. Dans le cas des orphelins, les tuteurs offrent l'hébergement et la nourriture à un enfant qui n'a plus aucun soutien familial et dont la seule issue serait la rue. Ainsi, les travaux domestiques ou la vente ambulante exercés par l'enfant sont perçus comme un dédommagement des frais engagés mais c'est aussi une source de revenu supplémentaire pour le tuteur qui n'est pas négligeable. Même s'il est certainement dans l'intérêt de l'enfant qu'il soit pris en charge par un tuteur, c'est un enfant privé de scolarisation, d'affection et qui demeure victime d'exploitation économique.

4.4. L'ampleur du phénomène Selon l'UNICEF, chaque année 200.000 mineurs sont victimes de ce trafic en 20 Afrique occidentale et centrale . Au Congo, l'ampleur du phénomène est extrêmement difficile à évaluer, notamment en raison de la sensibilité du sujet qui ne permet pas de faire une estimation précise. Cependant, d'après plusieurs témoignages de la communauté d'Afrique de l'Ouest, il est estimé que 90 % des familles béninoises auraient un enfant travaillant à leur service. Le consulat du Bénin apprécie à 2000 le nombre de couples ressortissants béninois à Brazzaville et Pointe-Noire, soit 1800 enfants potentiellement victimes de la traite auxquels il faut ajouter les autres nationalités d'Afrique de l'Ouest pour lesquelles nous n'avons pas de données. Concernant les enfants originaires de la RDC, il est également difficile d'estimer le nombre d'enfants victimes de la traite. Seule la police des frontières du Beach a estimé que 80 enfants par jour traverseraient le fleuve sans contrôle. Accompagnant les handicapés ou aidant au transport des marchandises de leurs « grands frères » ou « tonton » importateurs/exportateurs entre les deux rives, ils sont exemptés de papiers d'identité et de laissez-passer. La majorité d'entre eux repartiraient le jour même vers Kinshasa accompagnant toujours ces grands frères contre une petite rémunération. Les autres enfants, dont le chiffre ne peut être estimé à l'heure actuelle sans une enquête approfondie, se noient dans la masse de la communauté de RDC de Brazzaville, exposés à toutes formes d'exploitation. Au niveau de la traite interne, comme il a été mentionné précédemment, le contexte d'une population très urbanisée incite à assimiler l'exploitation des enfants à la traite interne.

20 ECOVOX n° 32 septembre- décembre 2004. Le magazine de l'écologie et du développement durable.

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Cependant, d'après les estimations des Congolais, environ 60% des familles congolaises bénéficieraient de l'assistance d'un enfant confié par un membre de la famille ou par une connaissance. Dans la majorité des situations cette pratique se déroule dans l'intérêt de l'enfant, toutefois certains de ces enfants ”placés” peuvent également être victimes de la traite interne. Les enfants orphelins sont également des enfants à risque, ainsi, les 270 000 enfants orphelins congolais, notamment suite aux guerres ou au SIDA, sont de potentielles victimes de l'exploitation/de la traite pour lesquelles il n'y a plus de réseau familial protecteur. 4.5. La cartographie des acteurs et des interventions actuels et potentiels de la lutte contre la traite des enfants Afin de lutter efficacement contre la traite des enfants, les acteurs doivent être impliqués aux différents niveaux d'intervention en fonction de leur compétence. La cartographie suivante des acteurs permet de répertorier les partenaires déjà impliqués dans le processus et les activités menées, ainsi que d'identifier les acteurs potentiels de la lutte contre la traite. 4.5.1 Cartographie des acteurs et des interventions au niveau national Au niveau national, le rôle de coordination est tenu par la Direction Générale de l'Action Sociale. Engagée dans la dynamique sous régionale de lutte contre la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, la Direction Générale de l'Action Sociale a démontré une prise de conscience du phénomène, notamment à travers une volonté d'approfondir les connaissances sur le phénomène de la traite au Congo. A ce titre, dans le cadre d'une stratégie nationale de lutte contre la traite, la Direction Générale de l'Action Sociale

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pourrait conserver ce rôle à travers l'élaboration d'un plan d'action national et la coordination des activités de lutte c o n t r e l a t r a i t e , d e sensibilisation/prévention et de l'identification des enfants à leur rapatriement ou réintégration sociale en concertation avec les ministères impliqués (Ministères du travail, de la justice et de la sécurité). De plus, la Direction Générale de l'Action Sociale serait également un acteur clé dans le plaidoyer gouvernemental pour la ratification des textes internationaux, notamment le Protocole additionnel à la convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants (aussi connu sous le nom de Protocole de Palerme) et l'accord multilatéral de coopération régionale de lutte contre la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants. Ce rôle de coordination implique également la mobilisation de fonds et le plaidoyer auprès du pouvoir législatif pour l'adoption d'éventuels textes nationaux de lutte contre la traite des enfants. 4.5.2 Cartographie des acteurs et des interventions au niveau local La cartographie des acteurs et des interventions dans le domaine de la traite des enfants permettra ainsi de mieux connaître les acteurs déjà engagés aux différentes étapes de la lutte contre la traite et les acteurs potentiels dans chaque ville. 4.5.2.1 A Pointe-Noire La problématique de la traite des enfants à Pointe Noire se focalise essentiellement sur la traite des enfants originaires d'Afrique de l'Ouest qui est la forme la plus documentée et dont les acteurs sont les plus organisés.

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La prévention/sensibilisation A l'heure actuelle, l'acteur principal de la sensibilisation de la population sur le phénomène est la Commission Diocésaine Justice et Paix de Pointe Noire. Première organisation a avoir signalé le phénomène auprès des autorités et des organisations internationales à travers un rapport intitulé « Pointe Noire : enfants esclaves, enfants travailleurs » ; elle est aujourd'hui financée par l'UNICEF pour poursuivre la sensibilisation auprès de la population. Concernant la prévention, seule l'ONG ALTO a procédé à des interceptions d'enfants en provenance du Bénin à l'aéroport de Pointe Noire. Grâce à leur statut stipulant l'objectif de lutte contre la traite des enfants, les membres de l'ONG ALTO se sont placés dans l'aéroport auprès du service de l'émigration. Repérant les Béninois accompagnés de jeunes enfants, les membres ont intimidé les potentiels trafiquants dont certains, sous la pression ont rapatrié les enfants vers le Bénin. Les contrôles de l'émigration aux deux aéroports, notamment aux aéroports de Pointe Noire et de Brazzaville et à la plage du Beach qui accueille les bateaux en provenance de la RDC ne semblent pas garantir à l'heure actuelle l'enregistrement et le contrôle rigoureux des entrées d'enfants sur le territoire congolais. En effet, il apparaît que les enfants de RDC notamment passent la frontière sans papiers d'identité et sans payer la traversée par bateau. D'autres acteurs pourraient aussi être mobilisés pour la sensibilisation tels que le bureau de la colonie béninoise, le Consulat du Bénin, la CEDEAO ou les imams. Les représentants des communautés religieuses, notamment de la religion musulmane sont des partenaires potentiels ayant une grande influence auprès des Africains de l'Ouest ainsi qu'une grande capacité de mobilisation communautaire.

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Responsables de l’ONG ALTO

Les services de l'émigration et de l'immigration sont également des partenaires incontournables dans les actions de prévention aux frontières, notamment sur les principaux sites répertoriés comme de potentiels lieux de passage des enfants victimes de la traite transfrontalière, à savoir les aéroports de Pointe Noire et de Brazzaville, la plage du Beach et les postes de frontières avec le Gabon. L'identification Les principaux acteurs de l'actuel processus d'identification sont membres de la Communauté des Etats d'Afrique de l'Ouest. L'ONG ALTO qui accueille les enfants victimes de la traite ayant fui leur lieu d'exploitation a déjà identifié 19 enfants depuis mars 2006. Ces enfants se sont présentés d'eux-mêmes auprès du président dont les activités commencent à être connues de la communauté, ont été référés par des voisins ou connaissances ou ont été identifiés grâce à des appels anonymes. Après avoir été écouté, un dossier est constitué pour chaque enfant incluant une fiche de renseignements, sa photo et son histoire rédigée. Le consulat béninois, a également été mobilisé pour une vingtaine de cas de traite des enfants entre 1990 et 2002. Les enfants se présentent d'eux-mêmes au consulat ou sont dénoncés par des voisins mais comme le montrent ces chiffres, ce mode d'identification reste

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assez rare. Certains enfants se sont aussi réfugiés chez le président de la colonie béninoise qui les héberge durant les négociations avec les tuteurs pour un rapatriement ou le plus souvent une réintégration chez les employeurs. D'autres acteurs pourraient également intervenir dans l'identification des enfants victimes de la traite, notamment les commissariats de police et les Circonscriptions d'Action Sociale répartis dans chaque arrondissement, les chefs de quartiers et leurs démembrements par blocs (brigades) ainsi que des ONG telles que le SAMU SOCIAL. L'accueil et la prise en charge A l'heure actuelle, aucune structure d'accueil d'enfant n'héberge officiellement des enfants victimes de la traite. Quelques enfants victimes de la traite interne ont été identifiés dans des orphelinats ou des centres d'accueil mais de façon marginale. Ces enfants sont donc le plus souvent hébergés chez le président de l'ONG ALTO ou chez le président de la colonie béninoise. L'enfant est pris en charge médicalement si besoin, le plus souvent pour des plaies sur le corps, aux frais de la famille d'accueil. Une enfant identifiée par ALTO a également bénéficié d'une visite chez un psychologue en raison de troubles de la personnalité. Cependant, ces enfants qui ont pris le risque de fuir une situation d'exploitation et le plus souvent de maltraitance, sont au cœur d'un conflit impliquant les différents membres de la Communauté des Etats d'Afrique de l'Ouest. Il semble donc préférable, afin de garantir la sécurité et l'intérêt supérieur de l'enfant, qu'il soit accueilli dans un lieu neutre, bénéficiant d'une prise en charge professionnelle et adaptée. Ainsi, deux centres d'accueil ont été identifiés comme de potentiels partenaires dans l'hébergement et la prise en charge de ces enfants. Le centre d'accueil des sœurs salésiennes Madre Moreno, spécialisé dans l'accueil des

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jeunes filles semble être un lieu adapté. Outre un hébergement sécurisé, les enfants bénéficient d'une assistance médicale, d'une initiation aux activités manuelles et éducatives et de cours d'alphabétisation. Une assistance psychologique est également prévue à court terme. De plus, la présence du foyer Laura Vicuna à Cotonou des sœurs salésiennes, spécialisé dans l'accueil, la réinsertion familiale et sociale/ professionnelle des jeunes filles victimes de la traite au Bénin, permettrait d'assurer un suivi des jeunes filles rapatriées. La grande majorité des enfants identifiés victimes de la traite à Pointe Noire sont des jeunes filles, (36 jeunes filles pour 4 garçons), cependant un centre doit également être identifié pour l'accueil des garçons. L'espace enfant, est le centre identifié pour l'accueil des jeunes garçons où un hébergement sécurisé et une assistance médicale leur sont proposés. Il est également important de signaler que parmi les jeunes filles identifiées par l'ONG ALTO notamment, certaines d'entre elles ont plus de 18 ans (entre 18 et 21 ans) et seront difficilement acceptées dans les centres d'accueil. Bien que n'étant plus considérées comme des enfants, elles ont besoin de la même protection et prise en charge. Le rapatriement Depuis les années 90, environ une quarantaine d'enfants victimes de la traite ont été rapatriés vers le Bénin, dont 12 enfants identifiés par l'ONG ALTO en 2006, une vingtaine par le Consulat du Bénin et une dizaine par le président de la communauté béninoise selon des procédures différentes. Les enfants rapatriés par l'ONG ALTO Après avoir été identifié, l'enfant est écouté par les membres de l'ONG. Les employeurs / tuteurs sont ensuite invités afin de présenter leur version des faits. Si l'enfant souhaite rentrer dans son pays d'origine, les membres négocient avec les tuteurs le paiement de la valise composée de pagnes et de vaisselle, le billet retour et une indemnité évaluée en fonction de la

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durée de travail de l'enfant. Puis les parents de l'enfant sont contactés au Bénin via des membres relais de l'ONG présents à Cotonou et l'enfant est remis à ses parents à l'aéroport. Le plus souvent, l'enfant voyage avec un de ses tuteurs ou avec le président de l'ONG ALTO lorsqu'il est disponible. Aucun suivi n'est effectué auprès des enfants rapatriés, seule une jeune fille âgée de 21 ans lors de son départ est retournée à Pointe Noire pour y installer un petit commerce. Elle est suivie par l'ONG ALTO notamment dans la gestion des conflits avec son ancienne tutrice qui la menace de sorcellerie. Les enfants rapatriés par le consulat du Bénin (suspension des rapatriements depuis 2002) Après avoir écouté l'enfant, les tuteurs sont convoqués par le secrétaire du consulat afin d'entendre leur version. Si l'enfant était victime de la maltraitance, il était rapatrié vers le Bénin aux frais du tuteur. Le consulat prenait alors attache avec le Ministère des Affaires Etrangères du Bénin afin de procéder à la recherche des parents de l'enfant. Une fois les parents identifiés, l'enfant pouvait être rapatrié. Durant la négociation et la recherche des parents, l'enfant était hébergé chez le secrétaire du Consulat qui exigeait auprès des tuteurs le paiement d'une somme forfaitaire de 1000 Fcfa par jour pour la prise en charge alimentaire. Cependant, depuis 2002 le Consulat a décidé de suspendre le rapatriement des enfants en raison de l ' a b s e n c e d e m e s u r e s d'accompagnement pour la réinsertion de l'enfant, de suivi et de la forte probabilité d'un nouveau départ. Le consulat reste toutefois un partenaire de l'ONG ALTO et du président de la communauté béninoise dans l'établissement des documents de voyage des enfants. Les enfants rapatriés par la communauté béninoise Depuis 2002, une dizaine d'enfants ont été rapatriés par la communauté béninoise. L'enfant se réfugie chez le président de la colonie qui convoque ses tuteurs afin d'apprécier le conflit. Dans la mesure du possible, une médiation avec

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les tuteurs est tentée afin de maintenir l'enfant au Congo, (environ une trentaine de cas depuis 2002). Si la négociation échoue, l'enfant est rapatrié au Bénin aux frais du tuteur chez ses parents d'origine. Ces procédures, exceptées celle adoptée par le consulat du Bénin mais qui n'est plus active aujourd'hui, ne mobilisent pas les autorités du pays d'accueil ni du pays d'origine. Le rapatriement de l'enfant est réalisé de manière informelle, sans s'assurer que les conditions soient réunies pour une réintégration familiale réussie, sans aucune mesure d'accompagnement et sans suivi. De plus, le voyage de retour de l'enfant avec ses tuteurs, notamment lorsqu'il a été victime de maltraitances peut engendrer un traumatisme supplémentaire. Afin d'améliorer les conditions de rapatriement des enfants originaires des Etats d'Afrique de l'Ouest, d'autres acteurs peuvent être mobilisés tels que les représentants de la CEDEAO pour l'établissement de laissez-passer vers les pays qui n'ont pas de représentations diplomatiques au Congo et la prise de contact avec les autorités compétentes du pays d'origine de l'enfant (Ministère des Affaires Etrangères, Ministère des Affaires Sociales, ou commission spécialisée en fonction du pays) tout en maintenant informées les autorités locales compétentes telles que la Direction Départementale de l'Action Sociale.

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La réintégration /réinsertion Aujourd'hui seule la réunification familiale à l'aéroport de Cotonou semble être organisée lors du rapatriement des enfants au Bénin par l'ONG ALTO. Cependant, le processus qui implique une enquête sociale auprès de la famille et la préparation des parents au retour de l'enfant afin de s'assurer des bonnes conditions de réintégration familiale n'est pas effectif. De même, aucun accompagnement économique /scolaire /professionnel n'est proposé pour une réinsertion sociale de l'enfant. Comme nous l'avons déjà mentionné, une collaboration entre les sœurs salésiennes de Pointe Noire et le foyer Vicuna des sœurs salésiennes de Cotonou pourrait être mise en place, permettant d'assurer une bonne réintégration familiale et réinsertion sociale des enfants rapatriés. La mobilisation des commissariats d'arrondissements, de la gendarmerie et du Ministère de la Justice à travers ses tribunaux dont les tribunaux pour enfants semble importante dans la mise en place d'une stratégie de protection des enfants mais aussi d'une répression contrôlée des auteurs de la traite des enfants.

4.5.2.2 A Brazzaville La prévention et la sensibilisation, l'identification, l'accueil et la prise en charge, le rapatriement des enfants, la réinsertion, la protection judiciaire et la répression, sont des activités du Gouvernement en association avec les ONG, les organisations internationales, et les représentations diplomatiques, des pays impliqués. L'identification Le Gouvernement, les ONG et les organisations internationales sont impliqués. L'accueil et la prise en charge Le Gouvernement, les ONG et les organisations internationales sont impliqués. Le rapatriement des enfants Le Gouvernement, les ONG et les organisations internationales sont impliqués. Réintégration/réinsertion

La coordination Le rôle de coordination revient à l'Etat qui devra mettre en place un mécanisme de

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suivi, de contrôle et de coordination des activités de lutte contre la traite.

Le Gouvernement, les ONG et les organisations internationales sont impliqués.

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5. Les recommandations

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Des recommandations d'ordre général sont proposées notamment aux acteurs de la coordination au niveau national, toutefois, étant donné le caractère régionalisé de traite des enfants au Congo, des réponses seront également à apporter de manière spécifique dans chaque ville où le phénomène a été identifié avec le plus d'acuité. A l'Etat Congolais

§ ratifier les textes internationaux en matière de lutte contre la traite tels que le Protocole additionnel à la convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes en particulier des femmes et des enfants (le Protocole de Palerme) ainsi que l'accord multilatéral de coopération régionale de lutte contre la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants (l'Accord d'Abuja) ; § accélérer la mise en place effective de l'observatoire de l'enfance vulnérable de Pointe Noire, outil de collecte des données sur la traite des enfants mais peut être aussi coordinateur des actions de lutte contre la traite ;

§ encourager l'intégration du Congo dans la dynamique sous régionale initiée par l'accord d'Abuja, mais aussi au niveau de CEEAC qui est dans un processus de mise en place d'un plan d'action régional de protection de l'enfance pour l'Afrique Centrale et d'une unité en charge de la traite des personnes au sein du Secrétariat Général de la CEEAC appuyé par l'UNICEF ; § accélérer la mise en réseau des acteurs du rapatriement des enfants vers le Bénin serait également souhaitable, notamment en intégrant une dynamique initiée par le bureau régional de l'UNICEF avec le Bénin, le Togo et le Gabon. Cette collaboration pourrait aboutir à la signature d'un accord bilatéral avec le Bénin qui semble, à l'heure actuelle le principal pays d'origine de enfants victimes de la traite transfrontalière à Pointe Noire. Une collaboration étroite peut également être envisagée avec l'UNICEF Kinshasa afin d'organiser d'éventuels rapatriements d'enfants vers la RDC ; § garantir le respect des droits de l'enfant victime de la traite et améliorer sa prise en charge, en collaboration avec les acteurs de la société civile ; § étendre les activités de l'observatoire de l'enfance vulnérable de Pointe Noire pour assurer la coordination des activités de prévention et répression ; § renforcer les connaissances et les capacités des acteurs impliqués à chaque niveau d'intervention, en matière de la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants afin de s'assurer d'une compréhension commune du phénomène, avec un accent spécifique sur les notions d'exploitation et de maltraitance ; § élaborer la stratégie et définir un plan d'action de lutte contre la traite (et l'exploitation) des enfants. De manière pratique, le Gouvernement devra être très regardant dans la mise en œuvre des stratégies spécifiques ci-après :

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La sensibilisation dans un premier temps, il serait souhaitable d'identifier et d'organiser les acteurs potentiels de la sensibilisation, notamment les chefs de quartiers qui pourraient être regroupés en comités par arrondissement et en une fédération départementale ; § puis, après s'être assuré d'une compréhension commune à tous les acteurs de la définition de la traite, il s'agit d'élaborer des messages de sensibilisation en y intégrant des membres de la communauté ciblée et si possible des enfants victimes afin d'adapter les messages à chaque public. Il faut cependant veiller à ne pas stigmatiser une communauté en particulier telle que les Béninois ou les jeunes filles de la RDC. La prévention

§ outre la prévention qui doit être menée dans les pays d'origine des enfants, une formation des agents de l'émigration permettrait de limiter et de contrôler les flux d'enfants aux frontières. L'enregistrement

§ les interceptions d'enfants victimes de la traite aux frontières devront être consignées dans des registres et des statistiques transmises à l'observatoire ; § une fiche de renseignements standardisée à tous les acteurs de l'identification devra être mise en place permettant d'enregistrer les enfants victimes de la traite, données transmises à l'observatoire annuellement. L'identification

§ au delà des actuels acteurs de l'identification, il serait souhaitable de former d'autres acteurs, notamment les chefs de quartier, les assistants sociaux et les commissariats d'arrondissement qui orienteraient les enfants vers les structures appropriées ; § de plus, une identification active des enfants sur les lieux d'exploitation permettrait de lutter plus efficacement contre le phénomène et d'améliorer les conditions de travail et de vie des enfants.

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Ce mode d'identification ne doit pas être présenté sous forme de répression mais plutôt comme un accompagnement progressif visant à alléger les charges de travail des enfants et à améliorer leurs conditions de vie. L'expérience de la fondation Terre des Hommes à Lomé dans l'identification des enfants travailleurs sur le grand marché pourrait être partagée. L'accueil et la prise en charge

§ comme il a déjà été mentionné, il est important d'identifier en collaboration avec les directions départementales de l'Action Sociale, les centres d'accueil potentiels des enfants en transit permettant de les héberger dans un lieu sécurisé, neutre, où les enfants seraient pris en charge médicalement et psychologiquement ; § la prise en charge par ces centres d'accueil est également l'occasion d'élaborer un projet de vie avec l'enfant, intégrant la réintégration et la réinsertion sociale ; § les centres sélectionnés devront toutefois bénéficier d'un appui financier pour l'aménagement des locaux ou le recrutement de ressources humaines supplémentaires. La protection juridique

§ il est essentiel que chaque enfant placé dans un centre d'accueil soit couvert par une ordonnance de placement émise par le juge des enfants.

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La réintégration/réinsertion

§ dans la majorité des cas, la réintégration et la réinsertion seront assurées dans le pays d'origine de l'enfant par les acteurs présents sur place. Toutefois la possibilité d'une intégration locale pour les plus âgés notamment, qui souhaiteraient s'installer à leur propre compte doit être proposée. La possibilité d'un maintien chez les tuteurs avec une amélioration des conditions de vie et un suivi rigoureux peut également être une solution envisageable si l'enfant le désire. Le rapatriement

§ mettre en place une commission technique de prise en charge des enfants victimes de la traite afin d'assurer la conformité du processus de rapatriement avec les principes directeurs de l'UNICEF ; § des contacts devront être pris avec les autorités des pays concernés par les rapatriements d'enfants afin d'identifier les interlocuteurs compétents dans chaque pays ; § la CEDEAO pourrait être un intermédiaire adapté entre les autorités congolaises et les interlocuteurs des pays de la CEDEAO. Cependant, malgré sa reconnaissance par le siège de la CEDEAO, elle n'a pas encore la possibilité de délivrer des laissez-passer pour faciliter le retour de l'enfant dans son pays d'origine. Un plaidoyer auprès de la CEDEAO serait nécessaire afin qu'elle puisse acquérir cette compétence ;

§ il serait souhaitable de faciliter l'extradition des trafiquants étrangers vers leur pays bénéficiant de lois spécifiques sur la traite des enfants afin qu'ils soient jugés. Les autorités compétentes pourraient être formées à l'outil d'aide à la rédaction des requêtes d'entraide judiciaire développé par l'ONUDC. La coordination

§ il serait souhaitable que l'Etat prenne en charge la coordination des activités de lutte contre la traite des enfants, notamment par la mise en place d'une structure de suivi et de contrôle des activités. A l'Unicef en particulier

§ appuyer les actions du Gouvernement, notamment par le renforcement du cadre institutionnel de protection des enfants dans ses capacités de conception et de mise en œuvre d'une stratégie nationale en matière de lutte contre la traite des enfants et la protection des droits des enfants victimes de la traite ; § appuyer le plaidoyer pour la ratification des textes internationaux en matière de lutte contre la traite auprès du gouvernement ; § renforcer l'équipe du programme Protection.

§ un accord bilatéral sur la coopération et l'entraide judiciaire pour la protection des enfants victimes de la traite transfrontalière pourrait être signé notamment avec le Bénin. La protection juridique et la répression

§ une formation des agents de la police, de la gendarmerie et des juristes permettrait de les informer sur le phénomène de la traite et de faciliter la condamnation des auteurs avec les lois nationales disponibles malgré l'absence de loi spécifique sur la traite ;

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6. Conclusion Le présent rapport a permis d'établir l'existence du phénomène de la traite des enfants au Congo, sous sa forme transfrontalière et sous sa forme interne. La forme transfrontalière a été mise en évidence avec la présence d'enfants originaires d'Afrique de l'Ouest notamment à Pointe Noire, venus principalement du Bénin, du Mali, de la Guinée (Conakry), du Sénégal, du Togo, mais aussi avec les enfants issus de la RDC, particulièrement à Brazzaville. La traite interne a été identifiée sous la forme du confiage traditionnel, des enfants détournés en exploitation domestique, et des enfants non accompagnés durant les guerres. Le Congo est donc essentiellement un pays d'accueil même si quelques informations non confirmées nous laissent supposer la présence d'enfants congolais victimes de la traite au Gabon. Les réseaux n'ont pas été clairement identifiés, toutefois des intermédiaires basés au Bénin seraient chargés du recrutement des enfants à destination

de Pointe-Noire. D'autre part, les « nganda » à Brazzaville font appel à des intermédiaires chargés de recruter de jeunes filles, notamment en RDC. Mais, concernant les enfants venant de la RDC, il est important de ne pas trop « catégoriser » les enfants victimes de la traite et ceux victimes d'exploitation, et surtout les jeunes prostituées mineures. Pour ces enfants qui traversent le fleuve en quête d'une vie meilleure avant d'être exploités économiquement par leurs compatriotes ou par les Congolais, la frontière est extrêmement floue entre l'exploitation et la traite. C'est une donnée à prendre en compte dans le plan d'action de lutte contre la traite, la violence et la maltraitance des enfants qui sera élaboré et mis en œuvre au Congo. De ce fait et au regard de tout ce qui précède, il est clair que saisir l'ampleur de ce phénomène doit être un des objectifs à poursuivre par d'autres investigations qui s'imposent.

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7. Bibliographie AFVP, 2004. Rapport de la formation : module de formation pour les travailleurs sociaux. Module II : procédure. Thème 5 Préparation à la réinsertion. AFVP. Cotonou. ATTAC 3, 2005. « Enquête sur les filles mineures prostituées sous l'emprise des proxénètes à Brazzaville ». ATTAC 3. Brazzaville. A. Bayeni, 2006. Etude sur la pauvreté urbaine en République du Congo. Ministère du Plan, de l'Aménagement du territoire, de l'Intégration économique et du NEPAD. Brazzaville. M. Black, 1997. Les enfants domestiques. Manuel pour la recherche et l'action. Anti-Slavery International. B. Brioni, 2004. Les enfants http://www.6bears.com/enfantsbenin2.htm

du

Bénin

désœuvrés.

AFVP

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Analyse de la situation des enfants victimes de la traite en République du Congo

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