Skate & espace public

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SKAT SKATE SKAT ET ESEEPACE ET ET ESPA PUBESLIC PACE Présentation projet profesionnel proposé par

Skate & espace public

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Proposition projet profesionnel présenté par

VALENTIN PEULMEULE

Quel dispositif mettre en place pour améliorer la cohabitation entre riverains et skateurs ?

2017/2018 e-artsup n’endosse pas la responsabilité du contenu développé dans ce mémoire. Il appartient à son auteur.


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Remerciements


REMERCIEMENTS Tout d’abord je tiens à remercier toute l’équipe pédagogique d’e-artsup Lille ainsi que Paris, pour avoir forgé mes connaissances et compétences qui font de moi, le designer que je suis aujourd’hui. Je remercie toutes les personnes qui m’ont soutenu lors de la rédaction de ce mémoire, plus particulièrement Romain Gié, pour son expertise et Maroussia Menant pour son indéniable support. Pour finir je tiens à remercier mes parents, qui m’ont toujours aidé et permis de pratiquer toutes mes passions, malgrés les blessures récurrentes. Ainsi que pour les échanges, réflexions et leur aide sur le sujet.

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Résumé - Abstract


RÉSUMÉ Ce mémoire résulte d’un constat particulier d’un manque de cohabitation entre skateurs et riverains. C’est ainsi qu’en s’intéressant à leurs enjeux respectifs, nous apercevons que tous deux se rencontrent dans un seul et même lieu, l’espace public. Une réflexion s’est donc portée sur la pratique du skateboard ainsi que l’espace public, afin de mieux comprendre leurs origines et leur trouver des liens, permettant par la suite de conceptualiser une solution pour améliorer les relations entre skateurs et riverains. La notion de ludification fit son apparition dans l’étude de l’espace public et de son futur, et ainsi grâce à nos observations sur la pratique du skate nous pouvons faire le parallèle entre les deux. Il fallait alors mêler riverains et skateurs en leurs apportant des nouveaux usages et intérêts en commun. Voici comment le projet C H I M E R A est né et qui aujourd’hui propose l’installation de dispositifs urbains hybrides entre mobilier urbain et module de skate.

ABSTRACT This essay results from a particular observation of a lack of cohabitation between skaters and residents. Thus, by looking at their respectives stakes, we see that they both meet in one and the same place, the public space. A thought is therefore focused on the practice of skateboarding as well as the public space, in order to better understand their origins and find them links allowing later to conceptualize a solution to improve the relationships between skaters and residents. The notion of ludification made its appearance in the study of public space and its future, and so thanks to our observations on the practice of skate we can make the parallel between the two. It was then necessary to mix residents and skaters by bringing new uses and common interests. Here is how the C H I M E R A project was born and which today proposes the installation of urban hybrid devices between street furniture and skateboard.

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PREFACE Dès l’âge de 5 ans je faisais du motocross en club, surement dû à un papa motard, bien entendu. La moto reste encore aujourd’hui une de mes passions, mais s’est vue écartée au profit des sports freestyle. Vers l’âge de 10 ans le bmx commença à m’attirer, après avoir tanné mes parents, voilà qu’à Noël apparut un joli BMX jaune. Ce fut la révélation, étant fils unique c’était le moyen que j’avais trouvé pour pouvoir me divertir seul. Les perspectives d’évolution étaient infinies. Habitant en campagne, mes premiers terrains de jeu furent les tas de terre et autres minuscules bordures disponibles dans mon petit village. Arrivé au collège ce fut la révélation quant à la rentrée j’appris que dans ma classe, un autre garçon aimait aussi le bmx. Nous nous sommes donc vite rapprochés et liés d’amitié, le vélo est alors devenu au fur et à mesure des années ma seule obsession, j’en parlais, j’en rêvais, je vivais BMX constamment. Mon ami était fils d’agriculteur, nous avions donc la possibilité d’utiliser ses champs pour créer nos bosses afin d’effectuer nos figures et progresser. Nous étions donc plus spécialisés dans le BMX freestyle “dirt”, qui consiste à utiliser un bmx et effectuer des figures sur des bosses de terre. Notre localisation, et nos moyens de transports ne permettaient pas forcément de faire les déplacements jusque dans les skateparks des grandes villes aux alentours. Arrivé fin collège, notre niveau c’était amélioré, nos parents nous avaient permis et rendu possible le fait de découvrir les skateparks alentours, cela s’est ressenti dans notre pratique par la diversité des figures et l’aisance apportée par le nombre de surfaces différentes rencontrées. Je suis alors rentré dans cette sphère du BMX où tout le monde se connaît, s’apprécie, se respecte, mon niveau dépassant celui d’amateur me permit de participer à des shows et démonstrations de BMX. Cependant ces années collègelycée furent ponctuées de blessures et de nombreux passages à l’hôpital. Décollement épiphysaire de la malléole, fractures des côtes, multiples orteils cassés, quadruple fracture du pied et j’en passe, ont beaucoup affecté ma pratique et remis en cause mon intérêt pour le BMX. Valentin Peulmeule par Agathe Oget / 2012

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Préface


Valentin Peulmeule par Bernard Peulmeule / 2011

Mon voisin, débutant la trottinette freestyle, m’a donné envie d’essayer. Je me suis donc laissé tenter, me disant que je me ferais peut-être moins mal. Ayant ce niveau de BMX, la trottinette freestyle m’apparut beaucoup plus simple, ce sport n’étant pas encore démocratisé comme aujourd’hui, je me décidais à m’y mettre plus sérieusement, au bout de 7 ans quand même de BMX. Je me suis fait assez vite remarquer et fut sponsorisé en team amateur par OXELO filière sport de glisse de chez Décathlon. J’ai donc bénéficié du matériel gratuitement et ai pu progresser. Mais la discipline a pris un tournant que je n’aurais jamais imaginé, les enfants âgés d’environ 7 à 10 ans ont pris littéralement possession des skateparks. La pratique de la trottinette en effet était simple aux abords, contrairement au BMX qui lui demande une certaine condition physique et impose rien que par sa taille un certain âge minimum de pratique. Cette dernière est devenue un réel cauchemar, passant de l’univers BMX où je m’étais fait des amis du même âge, voir plus petits ou plus grands venant de tous horizons mais partageant les mêmes valeurs, je ne me suis alors retrouvé qu’avec des “gosses”. La pratique doit avant tout être un plaisir à mes yeux et pour moi elle englobe le sport en lui-même mais aussi tout un univers autour, des amis, du partage, etc…

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Partant faire mes études sur Lille, ma pratique de la trottinette freestyle s’est arrêtée jour après jour. A peine arrêté, ne tenant plus en place, il me fallait un sport du même genre dans lequel je puisse m’exprimer. C’est alors que j’ai testé le roller freestyle pendant plusieurs mois, mais je me suis rendu compte que cela n’était pas fait pour moi, je préférais avoir les pieds libres. Il me fallait donc tester un nouveau sport freestyle, c’était décidé et ce sera le skateboard ! Deux jours plus tard voici qu’à l’âge tardif de 19 ans j’achetais ma première planche au shop local. Ce fut plus dur que ce à quoi je m’attendais, j’ai dû tout reprendre à zéro alors que dans les autres sports freestyle j’avais acquis un certain niveau et c’est cela qui m’a plu de suite, le défi était lancé ! Très rapidement je suis rentré dans ce monde et univers qu’était le skate, qui pour finir est assez différent de celui du BMX, à peine 15 jours après j’ai retrouvé d’anciens amis du collège, plus jeunes, qui eux étaient skateurs depuis cette époque. Je me sentis directement intégré et ils m’ont fait découvrir et vivre ce qu’était le SKATE : des amis, des bières, des feux de camps, des valeurs et parfois du skate !

Valentin Peulmeule / 2017

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Préface


Valentin Peulmeule par Jeremy Nadeau / 2017

Un an plus tard je déménageais sur Paris pour mon Master, la capitale étant très idéalisée dans les régions en termes de skate, je me suis fait à l’idée qu’en arrivant sur Paris ce serait génial pour skater. Mais cela ne se passa pas comme prévu, arrivé sur Paris, hop direction place de la République, Mecque des skateurs parisiens, et là désillusion. Sans connaissance sur Paris je pensais m’y faire des amis, mais déception totale, venant de la campagne je m’attendais à avoir des discussions avec les autres skateurs, des moments de partage, mais je me rendis compte que le nombre incalculé de skateurs le samedi après-midi ne favorisait pas du tout cela. C’est alors que je pris conscience des problématiques différentes entre le skate de ville et celui plus en campagne. Les mois passant je me suis aperçu que les skateurs avaient beaucoup plus d’interactions avec l’espace public mêlant passants, spectateurs, sdf, organisateurs, gérants de boutique, que nous en campagne où les cinq personnes que l’on rencontre, sont des habitants du village qui nous connaissent depuis que nous sommes petits et ne voient en aucun cas, une gêne par notre pratique. La population, le climat social, les échanges, les mentalités en effet n’étaient

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pas les mêmes du fait des différentes conditions de vie. En campagne les maisons sont individuelles et le plus souvent en retrait dans de grands jardins, le bruit lié à la pratique du skateboard dans la rue n’a donc pas les mêmes conséquences qu’à Paris par exemple où les bâtiments s’agglutinent les uns à côté des autres. Le nombre de pratiquants n’est pas le même non plus et cela engendre une distinction directe entre deux catégories de population, de même le nombre plus important de riverains et skateurs parcourant les espaces publics engendre forcément plus de conflits. C’est alors en arpentant la ville et à force de vivre des situations telles que je me suis intéressé à ce problème de cohabitation entre skateurs et riverains dans ces mêmes lieux qui sont en d’autres termes l’espace public. Grâce à mes différentes expériences en termes de sport de glisse urbain, et en termes de design lors de mes études, je vise à ajouter ma pierre à l’édifice concernant la cohabitation du skate dans l’espace public par le mélange de ces deux passions.

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Préface


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Le dico


LE DICO Le vocabulaire du skate est en effet assez particulier et complexe du fait de ses origines très anglophones. Nous ne ferons pas de différence entre le mot “skate” et “skateboard” signifiant la même chose. Le terme de “skateur” sera employé à la française afin de définir celui qui skate. Certains composants techniques du skate sont nommés à l’anglaise comme les “trucks”, qui sont les essieux en métal sous la planche permettant de tourner grâce à l’inclinaison de cette dernière. Concernant la planche, le skateur appelle l’avant et l’arrière de façon différente, le “nose” et le “tail” respectivement.

Cette pratique du skate s’effectue dans plusieurs lieux et de plusieurs façons, nous distinguerons donc deux catégories. Le “street” voulant dire littéralement “la rue”, est en effet représentatif de la pratique du skate dans les rues usant de l’architecture urbaine. Ainsi que le skate de “rampe”, “vert” signifiant la pratique du skate dans les courbes, skateparks, piscines etc... Dans cette catégorie les skateurs utilisent et pratiquent le plus souvent les “bowls” qui sont comme la prononciation l’indique à l’image de bols, ces derniers sont des fabrications dédiées au skate visant à recréer les formes des vagues et piscines de l’époque. Pour finir le skate s’étant développé, les compétitions apparurent, ainsi que le mot “contest”, signifiant uniquement la compétition de sport freestyle.

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Sommaire


SOMSOMSOMMAI MAI MAIRE RE RE Skate & espace public

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INTRODUCTION

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LES SPORTS FREESTYLE

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ORIGINES

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L’ESPACE PUBLIC

a. définitions 45 b. le mobilier urbain 47 c. ludification 50

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Sommaire

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LE SKATE AUJOURD’HUI

a. son développement 33 b. un mode de vie 35 c. les skateparks 40


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SKATE ET ESPACE PUBLIC

a. street skate 57 b. le détournement 63 c. skate et ludification 69

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MON GRAND PROJET

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CONCLUSION

a. analyse du milieu 73 b. la cible 75 c. C H I M E R A 76 d. cas concret 80 e. étude de marché 83 f. financement 86 g. diffusion 87

87 ANNEXES

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a. retro-planning 94 b. pistes créatives 96

SITO-BIBLIOGRAPHIE Skate & espace public

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CHIMERA - Les sports freestyle


INININTROTROTRODUCDUCDUCTION TION TION Skate & espace public

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INTRO Nous allons donc aborder deux thèmes principaux, celui du skateboard ainsi que celui de l’espace public. Ces deux notions sont en plusieurs points différentes mais se relient sur la majorité. Le questionnement de la cohabitation entre skateur et riverain se fera tout d’abord par l’analyse de ces deux domaines. Pour diriger nos recherches, nous allons nous concentrer sur la problématique qui est :

Quel dispositif mettre en place pour améliorer la cohabitation entre riverains et skateurs ?

En premier lieu nous observerons le milieu du skate, s’inscrivant dans le thème des sports de glisse urbain. Nous nous intéresserons donc en amont à ce type de sport et à ce que la notion de freestyle engendre. Puis nous aborderons ses origines afin de mieux comprendre les idéologies et l’image que véhicule le skate depuis son début. Dans un premier chapitre en ayant compris d’où et de quoi venait le skateboard, nous verrons comment le skate s’est développé et a pris une si grande importance aujourd’hui. Pour cela il sera question de s’intéresser aux évolutions que le skate connaît depuis les années 2000, allant de l’apport de technologies au niveau de la conception des planches, aux coûts économiques de son achat. Pour suivre cette étude nous porterons notre intérêt quant au mode de vie des skateurs. Sport d’origine marginal, il est nécessaire de s’intéresser aux pensées et vies de ces personnes, nous verrons donc, grâce à une multitude d’interviews de skateurs et d’analyses sociologiques, les différentes facettes du mode de vie “skate”. Pour suivre, il semble logique de s’interroger sur les lieux de pratiques de cette discipline. Venant principalement du surf, ces surfeurs d’asphalte eurent besoin de vagues en béton, nous étudierons donc la notion de skatepark avec ses atouts et inconvénients. Et aussi des raisons pour lesquelles les skateparks, aujourd’hui, ne regroupent qu’une seule partie des skateurs au profit de l’espace public. En second, nous analyserons l’autre facette du sujet, celle de l’espace public en lui-même. Pour commencer nous viserons à définir ce qu’est cet espace mais aussi à observer son histoire pour mieux comprendre les fonctionnements et enjeux qu’il représente à notre époque. De façon détaillée nous ciblerons et nous nous intéresserons au mobilier urbain, faisant des espaces publics ce qu’ils sont aujourd’hui. Ainsi nous découvrirons la notion de connotation le

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Introduction


concernant jusqu’aux futures perspectives d’évolution de ce mobilier. Cette réflexion sur demain nous entraîne tout droit vers le terme de ludification de l’espace public. Ensemble, il sera question d’analyser et de mieux comprendre ce que l’ajout du “ludique” dans un espace peut apporter à la ville. Dans un 3ème temps, il sera question de répondre à certaines interrogations concernant nos deux milieux. En étudiant la notion du “street-skateboarding”, nous observerons le cadre législatif de la pratique dans le milieu qu’est l’espace public, mais aussi en grandes parties, les conséquences sociales qu’elle engendre. Notre analyse visera à connaître l’impact du skateboard sur la société et ce qu’il représente à ses yeux. Pour cela nous étudierons des cas concrets, où la pratique du skate dans les grandes villes s’est fortement développée ces dernières années, ainsi que l’évolution du climat autour de cette discipline pour ces prochaines années. Puis nous ferons une observation concernant la vision qu’ont les skateurs de la ville. Nous aborderons donc une notion importante de la pratique, celle du “détournement” de l’espace public. Pour mieux comprendre, des skateurs nous feront part de leur “vision”, de ce “filtre” qui leur fait voir la ville autrement. Par conséquent nous verrons, la vision différente des skateurs, celle d’une pratique de la ville non-consumériste et de son impact sur nos espaces. Nous pourrons alors analyser si skate et principe de ludification vont ensemble. Les deux milieux apportant une nouvelle vision de la ville, nous les comparerons pour en déduire ou non une certaine compatibilité. Enfin après avoir analysé, étudié et compris nos deux domaines, nous verrons alors si la ludification et la pratique du skateboard sont en accord afin d’imaginer un futur en commun pour répondre à notre problématique. Nous déterminerons alors nos cibles permettant par la suite la présentation du projet C H I M E R A. Un projet visant à répondre aux problèmes liés entre skateurs et riverains, dans un même environnement qui est celui de l’espace public. Nous expliquerons le concept de “chimères” et de sa plus-value sociale, puis étudierons notre marché afin d’en résoudre une solution de financement permettant la création et la diffusion du projet à l’international.

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CHIMERA - Les sports freestyle


PARPARPARTIE TIE TIE 1 Skate & espace public

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PARTIE 1 - Les sports freestyle


LES SPORTS FREESTYLE Le skate s’inscrit dans une catégorie de sport assez spécifique que l’on appelle les sports freestyle. Différentes disciplines comme le BMX, le roller, le skate, le surf, le FMX et bien d’autres en font partie. Ces sports ont la particularité d’être pratiqués sans règles ni aucune forme de contraintes, ils sont symbole de liberté, de haute technicité et de “fun”. On distingue alors les sports de glisse dit “purs”, qui n’utilisent que l’énergie humaine ou naturelle disponible sur le moment, des sports motorisés. Le skate appartient donc à la catégorie des sports propres. Ces sports variés ont tous des caractéristiques communes, ils sont tous individuels et utilisent des accessoires comme planche, voile, vélo… Et sont d’une certaine complexité technique et physique. Ces sports dit “freestyle” ont énormément évolué au fil des années. Auparavant, n’étaient pas considérés auprès du grand public, aujourd’hui le caractère “extrême” de ces sports est valorisé, et des milliers de personnes en vivent chaque jour. La preuve en 2017 quand le skate, le bmx et le surf ont été reconnus sports olympiques mais aussi grâce à d’autres événements comme le FISE (1). Le FISE acronyme de Festival International des Sports Extrêmes, existe depuis plus de 20 ans et se base à l’origine dans la ville de Montpellier. Aujourd’hui il rassemble chaque année 480 000 spectateurs, 2000 riders sur 10 étapes mondiales dont 6 en France avec plus de 2 millions d’euros de budget d’organisation. La compétition grossit d’année en année et est le reflet de la popularité grandissante concernant les sports “freestyle”.

1 - FISE http://blog.lefigaro.fr/ sport-business/2014/02/lessports-extremes-surfent-surla-vague-du-succes.html Le Figaro / 2014 2 - Industrie de la glisse https://www.lesechos. fr/18/06/2010/LesEchos/20701-099-ECH_malgre-la-crise--l-industrie-de-laglisse-a-retrouve-son-allant. html Les Echos / 2010

En plus des événements ces sports “freestyle” représentent mondialement plus de 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires, avec principalement le surf, représentant 65% de ces revenus. Le skateboard quant à lui représente 12% ce qui équivaut quand même à 1,2 milliards d’euros. Ces revenus proviennent essentiellement de l’industrie du textile et des fabricants de matériels spécialisés. En France, l’on compte 3200 emplois (2), uniquement au Pays Basque, venant de cette filière des sports “freestyle”. Perception avec Remy Taveira par Octagon / 2016

Ces sports dit « freestyle » ont énormément évolué au fil des années.

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ORIGINES 3 - Historique du skate «Chronologie lacunaire du skateboard» Raphaël Zarka / 2009

L’invention du skate nous vient du surf. Dans les années 1780 (3) ce fut la première fois que l’on entendit parler du surf. A Hawaii en effet, ils avaient pour coutumes de glisser sur les vagues debout sur de longues planches en bois. Appelée le “he’e nalu”, la pratique était mixte mais hiérarchisée, il y avait donc des différences de taille de planches entre chefs et peuple. Les plus grandes planches pouvaient aller jusqu’à 7 mètres de long, tout en faisant plus de 70 kg et étaient alors appelées “olo”. Le “he’e nalu” s’est par la suite perdue du fait de sa pratique nue, qui n’était pas bien vu par les missionnaires calvinistes venant de NouvelleAngleterre en 1820. Cette tradition se marginalisa. Peu de temps après un révérend anglais s’est intéressé aux pratiques et coutumes locales, c’est alors que le terme de “surf-rider” est né, chevaucheur de vagues.

He’e Nalu à Hawaï / 1780

D’un autre côté, à la même époque vers 1860, une invention permettra au skate d’être ce qu’il est aujourd’hui. James Plimpton conçoit les premiers patins à deux rangées de roues alignées permettant de tourner. Le surf vit sa démocratisation en dehors des îles en 1907 lorsque George Freeth fit une démonstration de surf à Hawaii et impressionnant

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PARTIE 1 - Origines

la foule. Le succès était tel que des articles traversèrent le monde à ce sujet. Cela attira l’attention des Américains, Meyers Butte expérimenta alors de nouvelles combinaisons de bois pour alléger les planches. Il créa sa marque et fut le premier à fabriquer et vendre des planches de surf dans les années 30.


Le surf devient vite un sport incontournable sur la côte Est, et plus particulièrement à Venice Beach en Californie. Le surf s’est développé dans une certaine contre-culture politique du moment, revendiquant liberté, créativité et expression. La discipline du surf n’était alors régie par personne, mais les conditions météorologiques n’étant pas forcément toujours bonnes cela en empêchait la pratique. Des surfeurs ont donc eu l’idée de transférer ce feeling de glisse sur les vagues à la rue, quand le “swell” n’était pas au rendez-vous. Ces premiers pratiquants ont donc été appelés les “surfeurs d’asphalte”. Ils utilisaient des petites planches de surf surplombant 4 roues en métal sans roulements. Après-guerre dans les années 50 le skate connut une forme d’expansion dû au boom économique des Etats Unis. Des innovations technologiques étaient donc imaginables. Entre 59 et 65, le skate devient de plus en plus populaire aux Etats-Unis. Le développement industriel des régions comme la côte Est et Ouest permit au skate de passer de jouet à véritable équipement sportif. En 61 Larry Stevenson, rédacteur en chef du magazine “Surf Guide Magazine” écrit et publia des articles associant surf et skateboard. Un an plus tard, les premiers skates complets ont été mis en vente dans des surf shops, comme le célèbre “Valsurf” à North-Hollywood en Californie. Autour du skate s’est développé tout un univers. En 1963, la première pub de skate apparut dans le même magazine qu’en 61, celui de Larry Stevenson “Surf Guide Magazine”. Entre 1963 et 1965 les ventes de skateboard Makaha s’estimaient aux alentours de 4 millions de dollars. Une image se crée donc autour de ce sport et l’industrie du vêtement se spécialise alors comme Vans, qui depuis 1966 représente le skateboard à travers le monde. De même un an auparavant avec l’arrivée de la “Randy 720”, chaussure conçue spécifiquement pour la pratique du skateboard.

Eileen at Hermosa beach par Glen Lockett / 1970

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Z-Boys par Glen E. Friedman / 1980 4 - Culture skate http://www.soonnight.com/ paris/mag/actualites/le-skateboard-une-culture-urbaineun-sport-un-art,28,22516.html Soonnight / 2009

Les premières compétitions appelées contest apparurent en 1963 à Hermosa Beach en Californie. Le skate n’est donc plus un simple loisir mais devient une sorte de démonstration de compétences face à un public. C’est alors que des marques s’y intéressent et que le sponsoring débuta dans le milieu. A cette époque le skate était pratiqué plus comme une danse, du slalom, des figures au sol, mais une invention permit de faire évoluer la discipline de façon considérable : l’invention du kick tail. La forme de la planche avec cet arrière relevé “le tail” permit de nouveaux mouvements et enchaînements. Une deuxième prouesse technique fit évoluer la pratique, celle des roues en Uréthane. Inventée par Frank Nasworthy’s en 1972, cette nouvelle matière pour les roues donne de nouvelles possibilités et de nouvelles sensations, un “ride” plus rapide et plus confortable. En 1976 (4) apparurent les premiers skateparks, zones dédiées à la pratique du skateboard et signifie l’arrivée des premières rampes et kickers multipliant les possibilités de figures. Cette année-là une grande sécheresse vida les piscines californiennes, qui deviennent alors d’excellents terrains de jeu pour les skateurs. La courbe était raide et profonde, de nombreuses figures sont apparues à cette époque. Ces piscines, appelées “pools”, étaient une aubaine pour ces nouveaux skateurs, mais il fallait encore les trouver. De nombreuses techniques ont été mise en place à cette époque pour trouver ces piscines vides, allant de la demande dans les agences immobilières concernant l’emplacement des villas de riches jusqu’au survol en avion. De grandes teams naissent, par exemple les Z-Boys regroupant Jay Adams, Stacy Peralta et Tony Alva, dont l’on retrouve les exploits dans le film Les Seigneurs de Dogtown en 2005 par Catherine Hardwicke. Ce développement était donc présent en Amérique mais fut vite démocratisé dans d’autres pays comme en Allemagne grâce aux soldats américains. Munich devient alors la capitale du skate en Allemagne avec ses premiers skateparks et championnats nationaux de skate. Quant à la France ce fut en 1977, que le premier skatepark fut conçu par JeanFrançois Heuty et construit à Saint Jean de Luz le 14 juillet. L’affluence fut record avec 9000 personnes en à peine six mois. Mais le skatepark devint vite inroulable du fait des problèmes de revêtement le concernant. Dans la même année, la

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France organisait le premier championnat national de skateboard à Bayonne. Une grande avancée pour le skate fut l’invention du ollie en 1978 par Alan Gelfand. Figure consistant à décoller la planche du sol sans utiliser les mains. Les skateurs ont pu alors sauter sans l’utilisation de tremplins, kickers, rampes et la pratique s’orienta vers du “streetskateboarding” qui consiste à utiliser la rue comme terrain de jeu. On estime alors aux Etats Unis à plus de 20 millions le nombre de skateurs.

5 - Histoire skate https://www.skatedeluxe. com/blog/fr/wiki/skateboarding/histoire-de-skateboarding/#From-the-1990s Skatedeluxe / 2009

Dans les années 80 (5), le skate se développe et se crée une vraie image. Des magazines comme Thrasher au slogan “skate and destroy” ou encore Transworld Skateboarding représentent le skate à travers le monde. Les premières photos et vidéos VHS emplissent de codes l’imagerie du skate et allant de pair avec la façon de s’habiller, créèrent une vraie identité : blue jeans, veste en cuir, et chaussures Converse Chuck Taylor. L’esthétique punk étant assimilée par les skateurs, se créa le courant musical appelé “skate-rock” composé essentiellement de skateurs jouant du punk hardcore. La relation entre le skate et la musique pris une forte importance et en 1984 nous voyons la création de groupe mondialement connus aujourd’hui, comme les “Suicidal Tendencies”. Time Magazine en 1988 estime alors le nombre de skateurs aux Etats-Unis à près de 20 millions. Après Public Domain, “Shackle me not” fût la vidéo révélation en termes d’esthétique et d’image du skate, à la place de faire appel à un cameraman professionnel, Tony Magnusson et Mike Ternasky font passer les caméras aux skateurs qui peuvent alors se filmer l’un l’autre quand ils le veulent. L’image et le cadrage était de mauvaise qualité mais c’est cette esthétique héritée du monde un peu punk qui plut aux jeunes skateurs. Par la suite, il devient possible de vivre de cette pratique avec l’arrivée de grands sponsors et de la multiplication des compétitions. Des professionnels deviennent alors de plus en plus connus, à la manière des stars du basketball de l’époque. 1989, fut l’année de la première interdiction de skater sur les trottoirs de Venice Beach. En réponse à cela Powell Peralta sort une vidéo appelée

«Skateboarding is not a crime» et produit des autocollants avec ce slogan qui envahissent les rues et les planches. Jusque-là le skate n’est alors pas reconnu, en 1997, Jim Fitzpatrick après de longues années réussit à faire classer le skateboard comme sport “à

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6 - Skate underground http://www.lesarchivistes.net/ la-culture-skateboard-retoursur-le-devant-de-la-scene-underground/ Les archivistes / 2009

risques”. La loi AB 1926 protège donc désormais les gérants de skateparks, chacun est donc responsable de lui-même en cas d’accident. Dans ces années 90 (6), une baisse de la pratique est notée, au profit de nouveaux sports plus à la mode. Le milieu du skate de rampe est en plein déclin, ses idoles comme Steve Caballero et Steve Perralta vont péricliter au profit du street skate. L’essor de ce dernier va être accompagné d’une radicalisation de l’image du skateur, à l’époque déjà de culture underground c’est dans les années 90 que le cliché du skateur punk, drogué, voyou apparaît.

Film Kids par Larry Clark / 1995

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LE SKATE AUJOURD’HUI a. son développement

Dans les années 2000 un revirement de situation émerge, principalement dû à l’impact de la digitalisation. Les contenus photos et vidéos sont très présents dans la culture du skate, grâce à l’arrivée d’internet ces images vont pouvoir être diffusées et suivies dans le monde entier. Des événements comme les X-Games arrivèrent dans le milieu de la compétition et leurs diffusions à la télévision participent énormément à redorer le blason du skateboard. Par la suite la SLS “Street League Skateboarding ” apparaît et fait énormément parler du skate, du fait des gros “cash-prize” d’environ 200 000 dollars US qui sont offerts aux gagnants, ainsi qu’au nombre de spectateurs atteignant les 10 000 chaque année. Le skate atteint alors une diffusion et une ampleur mondiale. Nyjah Huston au SLS / 2017

Le skate atteint alors une diffusion et une ampleur mondiale.

Technologiquement la conception du skate va évoluer grâce à l’arrivée d’une multitude de marques, pour la plupart américaines, se penchant sur le créneau de la fabrication de planche. La possibilité de se fournir en matériel devient alors beaucoup plus simple. Alors qu’à l’époque les jeunes récupéraient de vieilles trottinettes pour en couper le guidon et ne gardant que la planche où l’on pose les pieds, aujourd’hui il est alors possible de trouver de quoi monter une planche complète dans la plupart des grandes villes. Les planches sont maintenant, pour l’essentiel, toutes fabriquées à partir de 7 couches d’érables collées à l’époxy. Cette fabrication ayant gagné

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7 - Au coeur du skate http://www.theriderpost.com/ disciplines/urban/plongezau-coeur-de-la-fabrication-dun-skate/ The rider post / 2013 8 - La saga du skate https://www.superprof.fr/ blog/decouvrez-la-saga-comptemporaine-du-skate/ Superprof / 2016

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sa réputation pour sa solidité, elle en est donc devenue universalisée et permis une expansion du nombre de planches fabriquées (7). Quant au reste des composants, les évolutions technologiques en termes de matériaux ont engendré un gain de poids et une diversité du matériel proposé. On voit alors apparaître des trucks “light”, des roues de dureté jamais encore égalée, de roulements de plus en plus performants ce qui apporta à la discipline de nouvelles possibilités avec un matériel plus léger, plus solide et plus rapide. Chacun peut alors se munir de son propre matériel facilement mais ce dernier a un coût. Pour l’achat de la planche seule, il vous faudra débourser une somme entre cinquante et quatre-vingts euros, sachant qu’environ tous les 3 ou 4 mois il faut en changer, pour un skateur pratiquant régulièrement. Les autres composants ne sont pas donnés non plus, et nous pouvons remarquer une hausse de prix exponentielle depuis les années 2000 à aujourd’hui du fait de leurs différents atouts techniques. Pour les trucks cela va s’élever aux alentours de soixante euros la paire, quant aux roues une quarantaine d’euros suffira et pour finir les roulements dans les trente euros. Une somme globale moyenne d’environ 200 euros pour pouvoir surfer l’asphalte. Le skate a donc un coût élevé du fait de ses composants très poussés devant être solides et efficaces mais le skate n’est pas qu’un simple objet purement technique, il est tout un symbole. Le style, la forme, l’originalité, l’exclusivité en sont des facteurs très importants (8). Le skate étant le reflet du skateur, il va alors choisir le skate qu’il lui faut par rapport à l’image qu’il s’en fait et aux différentes idées véhiculées par les marques. Le skate est en effet bien plus que du bois mais bien un mode de penser, un mode de vie.

PARTIE 1 - Le skate aujourd’hui


b. un mode de vie

Afin de mieux comprendre ce mode de vie nous allons établir le portrait du skateur pour cela il nous faut tout d’abord nous intéresser aux milieux sociaux dans lesquels il évolue. Pour la plupart à l’époque comme aujourd’hui, les skateurs ne sont pas issus des mêmes classes sociales. Nous pouvons remarquer que de grands skateurs comme Jim Fitzpatrick viennent de milieux aisés contrairement à d’autres comme Stacy Peralta d’un milieu plus modeste. Les origines sont donc très différentes et ont continuellement évolué comme au fil des années où le skate impacta des jeunes plus modestes des cités HLM (9) puis de plus aisés des beaux quartiers. La composition sociale et ethnoculturelle du milieu est donc très hétéroclite.

9 - Une pratique urbaine http://www.hommes-et-migrations.fr/docannexe/ file/1226/1226_05.pdf CNRS / 2000 10 - Le skate et la ville http://terrain.revues.org/2843 Revues Terrain / 1995

En termes d’âge nous pouvons voir que le skate cible essentiellement les jeunes ados entre 10 et 20 ans mais l’on constate une évolution de l’âge de la pratique vers la hausse. Ce qui est logique contenu du nombre de skateurs ayant pratiqué dans les années 80-90, ces derniers ont aujourd’hui 35-45 ans et certains d’entre eux pratiquent encore. Quant à la population féminine elle s’est vue se développer à vue d’œil par l’arrivée des skateuses professionnelles et de la digitalisation rendant le skate féminin plus visible et plus attirant. A l’instar de grandes skateuses, comme Leticia Bufoni, qui aujourd’hui fait partie des meilleures et à côté exerce une activité de mannequinat très médiatisée. Le milieu social, l’âge et le sexe n’ont donc pas d’influence sur la pratique du skateboard. C’est en effet tout un univers entier qui gravite autour du skate et qui depuis ses origines forge ce mode de vie. Pour mieux comprendre, voici quelques interviews de skateurs : «J’appartiens à aucun groupe idéologique ou religieux. Mais depuis quinze ans, je glisse et je consacre ma vie qu’à ça. Ce n’est pas un art martial que je pratique, c’est un art pacifique, la glisse. Ça développe des pensées, c’est comme si on affûtait un crayon de plus en plus fin. Et comme on sent un centre d’équilibre mental et physique très fort en soi, on est capable de jouer à n’importe quoi avec la vie ; parce qu’on sent qu’on a un véritable point d’appui pour déjouer tous les déséquilibres, tous... La société éduque mal ses enfants, on leur dit que c’est interdit mais on ne dit pas pourquoi, ni où est le danger... Le skate illustre ce côté fort qui tend à repousser les limites. Ça développe à la fois l’envie de connaître ses capacités, ses limites, ses extrêmes. » (10) Dominique « Ce qui nous a attirés dans le skate, c’était qu’autour, il y avait une culture skate, de la vidéo, de la musique par exemple, le skate-rock, avec des groupes comme Suicidal Tendencies, des fanzines, tout un univers, un langage skate. » Pascal et Christophe, seize ans «Le skate m’a sauvé la vie. Il m’a ouvert les yeux et les oreilles, m’a montré

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11 - La glisse «Des sports» Cristian Bromberger / 1994

comment cultiver à la fois mon indépendance et mes réseaux.» Pedro Winter Loret en 1962 (11) nous explique sa vision concernant la notion de la glisse “ Une sensation nouvelle profondément personnelle, libérée de toute contrainte et que nous appelons aujourd’hui l’»éclate» ou le «pied». Autrement dit, il s’agit là de la perception voluptueuse, toujours quelque peu vertigineuse et hallucinatoire. “ Ayant une première définition du sport en lui-même, en 1995, Loret nous parle alors de ce mode de vie si marginal “Née dans le sillage des valeurs contestataires de la beat generation, la glisse est, plus qu’une activité, un mode de vie fondé sur la marginalité, la rébellion, la primauté des sensations, la recherche de l’extrême, le « déguisement » “. Ce mode de vie prend en effet sa source dans les années 60, période à laquelle le skate se développa et où les cultures étaient alternatives, en rupture avec les règles sociales, dans une sphère de mouvements contestataires qui en Amérique ont énormément eu d’impact sur la société, la culture et l’art.

Beat Generation avec Pat Curren / 1957

Dans ce même ouvrage Loret nous expose les liens entre sport de glisse et certains courants d’art moderne, il compare les tenues des skateurs et différentes références artistiques comme pour les vêtements de couleurs fluo du mouvement psychédélique, de références au pop art, à Jean Michel Basquiat à la figuration libre. Ce mouvement pictural lancé dans les années 80 par des peintres sétois est en parfaite corrélation avec les sports de glisse, qui prime le ludique au sérieux. Car comme les peintres l’expliquaient, ils revendiquent le droit de peindre avant de penser et de figurer avant de créer du sens, ceci rejoignant la vision alternative des skateurs. Loret nous expose aussi le lien

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PARTIE 1 - Le skate aujourd’hui


avec l’art de rue, avec des skateurs affectionnant les sites désaffectés, graffés… le skate pour lui s’insère donc dans une même mouvance culturelle à la recherche de nouveauté, de spontanéité, d’improvisation et de provocation. Dans les années 80 (12) après le passage du skate de rampe au skate de rue, le skate va alors asseoir ce lien avec son idéologie rebelle et devenir une vraie culture à part entière. Le skate appuie donc son esthétique underground revendiquant cet idéal libertaire, clamé par des slogans punks tels que

12 - Du sport à l’art http://www.lemonde.fr/ culture/article/2011/06/11/ le-skateboard-du-sport-a-lart_1535004_3246.html Le Monde / 2009

«Do it yourself» «Fuck the World» Alliant le «j’menfoutisme» «white trash», et un perfectionnisme défiant les lois de la gravité au prix de mille souffrances, les skateurs deviennent d’influents modèles de la street culture. Autour de cela de nombreux artistes viennent s’agréger en prenant pour support artistique les planches comme Jim Philipps (13), Sean Cliver ou Art Dump. Jim Phillips fut un artiste majeur du mouvement skateboard des années 90, il réalisa la majorité des planches de la marque Santa Cruz, l’une des plus connues et qui aujourd’hui sponsorise encore les plus grands champions. La plupart des planches dessinées par Jim Phillips sont maintenant collectors et valent des centaines d’euros, et sont comparables à des toiles d’artistes.

13 - Jim Phillips http://artistes.le-site-du-skateboard.com/jim-phillips/ Le site du skateboard / 2009

Nous pouvons donc nous rendre compte des liens en skate et art, mais ce qui va le plus marquer la culture du skate c’est la photo et la vidéo. A l’époque le seul moyen de connaître les nouvelles figures des américains était les cassettes VHS qui parcouraient le monde. En plus des figures, leurs styles, leurs looks et leurs musiques étaient maintenant visibles. L’image dans le skate a pris une ampleur gigantesque, de nombreux photographes comme Michael Burnett, J. Grant Brittain ou Glen E. Friedman ou vidéastes comme Ty Evans, le Français Fred Mortagne ou le célèbre Spike Jonze ont été révélés. Fred Mortagne nous explique sa vision du skate en tant que vidéaste «Le skate aiguise l’œil de manière différente, à force de constamment regarder la ville pour rechercher des spots, on en découvre d’autres facettes. Cette pratique force à la créativité.» Deckarama par Jim Phillips et Jimbo / 2017

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«Toute une scénographie urbaine est montée en termes d’images-écrans […]. La mise en place de «sites», de lieux visuels, de paysages à voir obligatoirement, à travers des braquages lumineux, participent d’une visualisation médiatique de la ville. Le monde est aménagé chaque jour davantage pour être projeté sur un écran. Cela constitue un aspect étourdissant du devenir-image des lieux (urbains ou naturels, citadins ou paysagers) dans la manière de les disposer spatialement. » Mons Alain en, 2000 dans “La communication lumière de la ville. Un devenir-image des lieux”. Le skate participe énormément à ce “devenir-image, par le biais de captation vidéo en vhs puis numérique de la ville. A force d’être filmés certains spots sont devenus mythiques et ressortent comme lieu iconique d’une ville. Sur ces spots, le but est pour ceux qui le peuvent, de surpasser les actions déjà effectuées soit par des figures plus techniques, originales ou alors une lecture différente du spot. La ville devient alors un arrière-plan en action proposant de nouvelles possibilités de skate. Ces images sont prises mais surtout sont diffusées. La presse spécialisée en est pour beaucoup, le magazine le plus connu est Thrasher Magazine qui depuis 1981, rédigé par Jake Phelps skateur et musicien, expose les photos des plus grands skateurs. La diffusion de ce type de magazine est mondiale, d’autre comme Soma Skateboard ou Sugar Magazine sont plus locales mais chacun à sa façon influence le monde du skate. Les skateurs peuvent alors s’identifier et avoir pour modèle les plus grands skateurs. En plus de diffuser les performances, les photos et vidéos mettent en avant différents styles vestimentaires portés par des pros, le plus souvent sponsorisés par des marques spécialisées. On voit alors apparaître le style “skateur” dans les années 90, très marqué par le port du baggy et du tee-shirt large accompagné de grosses chaussures.

Premier magazine Thrasher par Jake Phelps / 1981

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Ces magazines, en plus des images contenant figures et styles vestimentaires, partagent des goûts musicaux. Thrasher dans chaque numéro nous propose une sélection musicale, plutôt typée punk rock, et alla même dès 1983 à publier 5 compilations de rock underground. Des musiciens de la scène rock alternative nous exposent ce lien entre musique skate et nous montrent la planche comme une école de la vie «Le skate m’a beaucoup appris sur le monde et comment se l’approprier. En opposition à la culture balnéaire californienne, la culture des cicatrices, du bitume et de la crasse m’a permis de m’exprimer par moi-même, d’être indépendant sans peur de me faire mal.» Randy Randall, guitariste de No Age, groupe de rock des années 2000. La musique prend donc une importante part dans la culture skate, d’origine punk elle appuie ce mode de vie, porté sur la marginalité. Depuis les années 2000, cette contre-culture a été rattrapée par son propre succès. Des événements tels que les X games, la vente des jeux vidéo comme Tony Hawks et bien sûr le développement des marques vestimentaires ont fait entrer cette discipline en marge dans la consommation grand public. Aujourd’hui des marques comme Vans ou Thrasher, à la base pourtant très identitaires et spécialisées sont maintenant portées par des personnes n’étant jamais montées sur un skate. La sphère du skate est révoltée par cet effet de mode, Jake Phelps nous expose son ressenti concernant la marque Thrasher “On n’envoie pas de produits à Justin Bieber ou Rihanna ou ces putains de clowns. C’est dans la rue que les vraies choses se passent. Du sang ou des croûtes, est-ce qu’on peut faire plus réel que ça ? “. L’esprit rebelle tente tout de même de souffler dans les rues et sur internet qui maintenant est le principal vecteur d’images de skate.

London Girls par Adam Katz Sinding / 2016

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c. les skateparks

14 - Conseil pour skatepark http://www.abcskatepark. com/ ABC skatepark / 2017 15 - Un acteur, la mairie https://www.acteursdusport. fr/article/les-communes.7447 Acteurs du sport / 2005 16 - No to modular park https://www.skatepark. org/park-development/ vision/2012/09/just-say-no-tomodular-skateparks/ Skatepark.org / 2012

Dans les années 90, le skate s’est donc vu se démocratiser et toucher de plus en plus de jeunes. L’accroissement de la pratique provoqua une demande en termes d’infrastructure dans les différentes villes. Les premiers skateparks firent leurs apparitions, le plus souvent grâce aux soutiens d’associations, afin de développer la pratique et permettent aux jeunes de s’épanouir. Mais la création d’un skatepark n’est pas simple, il a un coût. Pour commencer il faut en avoir la volonté, rares sont les mairies se mettant en tête seule l’envie d’une création de skatepark. L’influence des associations à ce niveau est très importante. Plus l’association est dynamique, plus elle a d’importance, plus elle arrivera à convaincre les mairies de la nécessité d’un tel projet. Par exemple ABC Skatepark (14) aide les skateurs venant de tous horizons à convaincre leurs mairies et à les aider tout au long du projet. Toutes ces associations sont régies par la loi 1901, leur accordant des aides de l’état et qui aujourd’hui donnent de nouveaux souffles au skateboard français. Le coût de la construction est donc pris en charge par la mairie de la ville ou village et des financements publics et d’autres aides régionales viennent le compléter (15). Beaucoup de skateparks créés dans ces années-là ne furent pas durables dans le temps et aujourd’hui une grande partie se retrouve inroulable (16). A l’époque, pour des raisons de coût la majorité des skateparks avait été construit de façon modulaire. C’est à dire des skateparks composés d’éléments distincts en métal ou pvc. Ces derniers sont alors posés ou fixés sur une dalle de bitume, ce qui engendre au fur et à mesure des années des problèmes de jonction entre ces modules. Par ailleurs pour des raisons de coût, les matériaux choisis n’étaient pas forcément de qualité ce qui engendra des problèmes d’usure.

Skatepark Comines par Skateparks Fabricant / 2011

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Marignane par Constructo / 2016

Pour répondre à ce problème la fabrication de la majorité des nouveaux skateparks est maintenant faite en béton et uniquement en béton. Il n’y a donc plus de possibilités d’accros entre les jonctions, la prise de vitesse sur le béton est considérable contrairement aux autres matériaux, l’évacuation des eaux est plus facile, le bruit est diminué du fait de l’absence de résonance, plein d’atouts qui facilitent la pratique et permettent de garder un équipement en bonne qualité dans le temps. Par conséquent la construction d’un skatepark en béton est profitable aux différentes disciplines de glisse mais son coût est plus élevé. Cependant les mairies bénéficient d’aides financières en augmentation ces dernières années, en 2017 le budget de la jeunesse et sport s’est vue augmenter de 8% (17), ce qui permet aux différentes mairies d’investir dans un dispositif durable et de qualité.

17 - Augmentation budget http://www.sports.gouv.fr/ presse/article/Un-budget2017-en-augmentation-de-8 Ministère des sports / 2017 18 - Une nouvelle vision http://www.constructo.fr/ page-d-exemple/presentation/ Constructo / 2017

L’évolution des skateparks vient donc des nouveaux matériaux utilisés mais surtout de groupes d’architectes ne voyant plus les skateparks comme des aires de jeux mais bien comme des œuvres architecturales. Constructo en fait partie, implantée à Marseille et fondée par 3 skateurs (18), elle propose une nouvelle approche de la construction du skatepark. Lauris, Samuel et Stéphane nous expliquent leur vision « Nos skateparks sont conçus sans à priori formels et découlent d’une implantation optimale par rapport à un site et un programme à chaque fois unique. Nous essayons de faire le projet le plus abouti possible avec le terrain et le budget imparti. En tant que pratiquants, nous restons particulièrement attentifs à l’aspect fonctionnel de nos ouvrages, pour que le projet soit attractif et adapté aux différents niveaux de pratique (du débutant au confirmé)» . Ils proposent donc des skateparks uniques, créés avec la place donnée de la façon la plus optimale et originale. En plus d’être lié à l’art, nous pouvons remarquer que le skate est donc étroitement lié à l’architecture tout autant de par l’utilisation de l’architecture urbaine mais aussi de celle des dispositifs architecturaux de pratique.

Skate & espace public

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La création de ces skateparks ou autres modules ne permet qu’à une seule partie des skateurs de s’exprimer. Leur monotonie, leur inéluctable conception, leur éloignement géographique et leur coût d’entrée posent problème. Cette partie de skateur préfère le street, avec cette part d’exploration afin de trouver des nouveaux spots et de détournement du mobilier urbain. Dans les grandes villes le street s’est énormément développé du fait de plusieurs points. Le prix au mètre carré y est cher, la ville préfère y construire des logements plutôt que des skateparks, le nombre d’infrastructures est donc faible comparé au nombre en constante progression de pratiquants. Et quand il y a skatepark, il se trouve le plus souvent en périphérie et s’il se trouve dans le centre-ville alors ce dispositif est limité en termes d’espace par conséquent en termes de possibilité. L’architecture présente dans les grandes villes est plus élaborée, il y a plus de bâtiments, de places publiques, d’aménagements urbains, de créations d’architectes, de mouvance en termes de construction, travaux etc. Tout augmente le nombre de possibilités de détournements donc de créations originales les pieds sur la planche. Le skate se sert alors en partie des skateparks, mais aussi de l’espace public, lieu de pratique qui lui n’est pas régi par les mêmes lois et mêmes contraintes.

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Mikey Taylor par X-Games ESPN / 2014

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Andrew Reynolds par TransWorldSkateboarding / 2014

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PARTIE 1 - L’espace public


L’ESPACE PUBLIC

a. définitions

Le terme d’espace public est polysémique (19), il définit un lieu débat public mais aussi un espace matériel correspondant à un lieu de rencontres et interactions sociales. Le terme fit son apparition dans les années 1950, utilisé pour la première fois par Kant, il sera mieux défini après les travaux de Jürgen Habermas en 1962. Habermas écrit cet ouvrage au 18éme siècle en Angleterre, époque de développement de l’urbanisation et de notion d’espace privé dans les villes et définit l’espace public comme « le processus au cours duquel le public constitué d’individus faisant usage de leur raison s’approprie la sphère publique contrôlée par l’autorité et la transforme en une sphère où la critique s’exerce contre le pouvoir de l’État. ». Habermas nous expose l’espace public comme des lieux fondés sur l’usage libre et public de la raison, dissocié de la sphère du pouvoir. Comme par exemple les cafés et théâtres qui pour Habermas ont multiplié les discussions et débats. Mais le terme d’espace public désigne pour lui des espaces plus abstraits que ces derniers, des lieux changeant et prenant la forme des rassemblements qui l’ont fait naître. Habermas nous expose une notion phare pour lui, concernant l’espace public, qui est “la publicité”. Pour lui c’est le fait de diffuser la parole et les débats à travers les médias afin d’avoir un impact sur la politique. Habermas évoque donc déjà dans les années 60 la corrélation entre espace public et liberté d’expression. Dès les années 70 le sens du mot va changer et plus être attribué à une certaine lecture de la ville, désignant un espace matériel avec des formes et usages bien définis.

19 - Définir l’espace public http://hypergeo.eu/spip. php?article482 Hypergeo / 2014 20 - Espace public et société «Le passant considérable. Essai sur la dispersion de l’espace public» I. Joseph / 1984

Cette lecture philosophique aborde maintenant plus une notion d’urbanisme. L’espace public en sociologie urbaine est donc un espace de rencontre sociale entre les gens s’exposant ou s’évitant. Isaac Joseph (20) dans la fin des années 80 est l’un des précurseurs en France de cette notion d’espace public. Pour lui cela correspond à un espace d’expériences et d’interactions entre les gens tout en restant dans l’anonymat. En urbanisme la définition de Joseph est encore peu matérielle, il sera plus question d’espace physique regroupant les lieux appartenant au domaine public, gratuits d’accès, aménagés et entretenus dans ce but. Le terme d’espace public vient donc remplacer celui d’espace libre, apportant une notion de non bâti, c’est à dire les rues, places et espaces verts comme les parcs et jardins.

Ces espaces deviennent des lieux de médiation sociale, représentent alors des valeurs et sont signe de la culture urbaine. Ces lieux ne sont plus simplement que fonctionnels mais regorgent de qualités et de sens. Des villes comme Lyon, Barcelone ou encore Bologne furent des précurseurs et deviennent alors des modèles en ce qui concerne ces espaces. Pour suivre dans ces années 80, la plupart des villes s’engagèrent à revaloriser

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21 - Espace et politique «Les espaces publics dans les politiques métropolitaines» A. Fleury / 2007 22 - Le sens de la ville « Réinventer le sens de la ville. Les espaces publics à l’heure globale» M. Lussault / 2001

ces lieux, ils sont donc plus présents, mieux aménagés mais aussi avec de nouvelles règles. Fleury en 2007 (21) nous explique les raisons pour lesquelles les politiques investissent dans ce type d’aménagement, elles sont multiples, soit pour améliorer la notoriété de la ville et augmenter l’attractivité, soit pour valoriser les déplacements doux ou encore pour redynamiser la vie de certains quartiers.

En occident l’espace public est très idéalisé, il est considéré comme un « espace vertueux de la citoyenneté, porteur intrinsèquement des vertus de l’échange interpersonnel » (Lussault, 2001)(22). Cependant cette idéalisation dissimule le sens premier de ces espaces qui est la diversité des usages et la complexité de ces acteurs. Aujourd’hui deux débats s’opposent entre ceux voyant un renouveau perpétuel du fait des pratiques diverses permettant une mixité sociale libre ou ceux voyant l’espace public comme des espaces privés ouverts au public, soumis à des règles restrictives, comme avec l’apparition des caméras de surveillance.

L’espace public par la ville de Grenoble / 2016

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PARTIE 1 - L’espace public


b. le mobilier urbain

En sociologie l’espace public est donc perçu comme nous dit Sennett dès 1977 (23) comme « un espace social des modes de vivre ensemble » et de «la reconnaissance de l’autre dans la sphère publique qui se transforme constamment ». Pour permettre ces échanges sociaux, l’espace public est principalement aménagé grâce au mobilier urbain. Nous allons analyser si cet acteur est en vérité un vecteur de création ou facilitation de lien. Jean Paul Biais lors des 6ème rencontres du mobilier urbain relève le fait que le mobilier soit un reflet de la société, de ses inégalités entre stabilité et errance. Chacun n’utilise pas la ville de la même façon, un sdf et un habitant n’auront donc pas la même façon d’utiliser un banc. L’espace public est à tous, il n’est donc pas de nature exclusif, ni sélectif, pour créer ou renforcer cette cohésion sociale il faut donc qu’il soit de qualité et suivent différentes règles. L’espace public, un lieu pourtant ouvert à tous, synonyme de liberté d’expression, et en fait envahi de règles.

23 - Un espace social «The Fall of public man» R. Senett / 1977 24 - Fonction d’usage http://schenfele.free.fr/files/ doc_6/01_ACT6_fonctions.pdf JPS Maramet / 2006

Nous abordons directement la notion de mobilier “connoté”. La connotation est l’ensemble des significations secondes provoquées par l’utilisation d’un mot en particulier, qui viennent s’ajouter au sens fondamental. Pour le cas du mobilier urbain nous parlerons donc de connotation d’usage (24). Un objet est donc défini par des usages bien précis dans l’inconscient collectif. En effet il est dit qu’un Le mobilier urbain banc est fait pour s’asseoir et non pas pour dormir. est défini par ses

différents usages.

Bancs public à Annecy par DonQuichotte / 2014

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25 - Mobilier et lien social http://www.sineugraff.com/ IMG/file/presse/Espaces-VertsLe-mobilier-urbain-vecteurde-lien-social.pdf Sineugraff / 2011

La majorité des gens voit en effet dans le mot “banc” simplement sa fonction d’usage originelle. C’est à dire pour laquelle il a été conçu, pour trouver cette fonction, il faut se poser la question « A quoi sert cet objet ? ». Dans le cas du banc c’est alors la fonction de s’asseoir qui prime. En plus de sa fonction d’usage, chaque objet traduit des sensations et émotions. Dans ce même cas, le banc est perçu comme symbole de détente, repos, calme, chaque objet dans l’espace public est donc défini par son usage premier pour la majorité de la population. Une utilisation contraire, apparaît donc marginale dans cet espace dit “public” où des règles visant au respect d’autrui sont intégrées. Dans la vie quotidienne beaucoup d’exemples de connotation d’usage et de réprimande du fait de son détournement d’usage sont présents, par exemple le fait qu’une chaise ait quatre pieds, il n’est donc pas “logique” dans notre société de se basculer sur 2 pieds, ou alors le fait de poser les coudes ou les pieds sur la table qui symbolise le repos alors que dans la “logique” la table n’est faite que pour manger. Depuis 1970 (25), le mobilier urbain est là pour servir la population, par exemple éclairer, afficher, se reposer ou encore sécuriser. Ce mobilier urbain est en pleine évolution, au fil des années il se renouvelle, des bornes pour les voitures électriques se créent quant aux fontaines qui elles tendent à disparaître. La création de ce mobilier est le reflet de l’évolution de la société, pour preuve, les flashcodes sur les boîtes postales qui supposent donc une évolution technologique, accessible des usagers. Cependant la création de ce mobilier n’est pas si simple, malgré la présence d’artistes ou designers, beaucoup de normes contraignent la fabrication. Malgré ça le choix en termes de mobilier urbain depuis 5 ans maintenant se voit accorder plus aux politiques qu’aux techniciens. Des choix d’aménagement deviennent politiques et non plus simplement sociaux. Beaucoup d’élus ne veulent plus de bancs alors que la population est vieillissante et a besoin de bancs pour se reposer. A la place des bancs on crée maintenant des salons de convivialité, l’objet ne change donc pas mais son emplacement et sa disposition changent. Philippe Bouradiot précise que « selon la destination de l’espace, le mobilier urbain doit s’intégrer dans la ville selon le lieu ». Le mobilier urbain au fur et à mesure se voit donc évoluer mais aussi se diversifier pour répondre aux différentes demandes de chaque espace public. Comme à la maison, nous possédons un mobilier différent pour le salon ou la cuisine, le mobilier prend donc sens quand il est dans un lieu, on ne peut donc dissocier mobilier urbain et son paysage.

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PARTIE 1 - L’espace public


Univers BW# par Sébastien Wierinck / 2017

Le travail maintenant reste à choisir quel mobilier urbain installer ? Chantal Duchène, maire adjointe à Ivry-sur-Seine nous explique qu’avant il faut choisir les liens sociaux que l’on veut créer ou non sur l’espace public, ce choix déterminera alors le mobilier à y installer. D’autre part le choix se fait aussi en fonction de la résistance, de l’esthétisme ou encore de l’entretien. Eric Manfrino affirme donc que le mobilier favorise ou au contraire défavorise certaines pratiques. Le mobilier urbain vise de plus en plus à développer certains liens sociaux, ce qui est plutôt positif dans une société en 2017 où les relations sociales se dégradent et où l’absence de convivialité est de plus en plus présente. Pour revaloriser ces liens le mobilier urbain continue d’évoluer et aujourd’hui ne répond plus uniquement à des problématiques publiques mais bien privées, comme nous énonce Yves Bozblec avec le développement du nombre de stationnements pour vélo, concernant les gens ne pouvant pas les rentrer chez eux. Pour Astrid Simon il faut alors prendre en compte des envies et contraintes des citoyens, afin de faire évoluer, voir créer, de nouveaux mobiliers urbains durant les prochaines années.

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c. ludification

26 - Ludification http://territoires.blog. lemonde.fr/2013/05/21/ ludifier-lespace-public-pourinciter-les-citadins-a-pratiquer-la-ville-lexemple-par-lemobilier-urbain/ Le monde / 2013

Comme nous avons pu l’analyser dans les précédentes parties, le mobilier urbain participe donc à inciter les citoyens dans des actions bien précises comme le fait de marcher, s’asseoir, déambuler etc… Pour augmenter l’impact de ce mobilier dans nos espaces publics la notion de ludification fit son apparition. Cela consiste à ajouter une part de “fun” et de “surprise” (26) dans le quotidien des gens. Pour Sonia Lavadinho et Yves Winkin la notion de ludification s’explique par « la capacité des villes à augmenter les déplacements en mode doux grâce à un recadrage ludique, éphémère ou permanent, des espaces traversés. » Pour Philippe Gargov la ludification serait un moyen de « réenchanter la ville », en disant cela il se réfère à l’apport des nouvelles technologies pour ludifier la ville, comme les applications mobiles par exemple. Mais de façon plus concrète cette ludification peut donc se faire grâce à un travail sur le mobilier urbain. Cela consiste à bousculer les codes, ajouter un côté fun dans l’utilisation, engendrant un étonnement de la part de l’usager visant alors à l’inciter à pratiquer plus fréquemment ces espaces publics. Cette ludification peut apparaître sous différentes formes, par exemple par l’intégration de mobiliers éphémères, ou par le détournement d’un usage classique du mobilier ou encore par l’apport de nouveaux usages. Tous ces exemples visent à faire de la ville un “terrain de jeu”, la rendant plus agréable pour tout un chacun.

Escalier-Glissade par la ville de Montréal / 2016

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Jeu de poubelles par la ville de Lucerne en Suisse / 2011

PARTIE 1 - L’espace public


Cette notion de ludification quant à elle se retrouve donc à l’opposé de la vision traditionnelle du mobilier urbain. Au 19ème siècle la consigne première était l’homogénéité visuelle et la discrétion de ce mobilier visant à mieux l’insérer dans son environnement. Pour preuve avec la création des fontaines Wallace, des kiosques ou les célèbres bancs verts de la ville de Paris, qui aujourd’hui constituent sa carte postale. Aujourd’hui encore nous retrouvons cette uniformisation comme avec les toilettes publiques de JC Decaux ainsi que les arrêts de bus ou stations Vélib’. Mais cette uniformisation rend la ville très homogène et surtout extrêmement normée. La notion de ludification vise donc à briser cette monotonie et son caractère très impersonnel. Pour cela elle a recours à des installations le plus souvent exceptionnelles, transformant l’espace dans lequel elles se trouvent ainsi changeant le regard des citadins. Comme exemple nous avons les fameuses fontaines Wallace qui par la Semapa ont été peintes de couleurs vives dans le 13ème arrondissement de Paris. Cette ludification pose question sur son appropriation il ne faut pas non plus que ce mobilier transformé ou nouveau soit inutile. Il faut que ces espaces restent compréhensibles en termes d’usages sinon c’est l’effet inverse, si le citadin ne comprend pas il n’utilisera pas. Cette couche de ludification doit donc faire en sorte de ne pas complexifier la compréhension de l’usage.

Changer le regards des citadins.

Dans les faits nous retrouvons plusieurs types de réalisations, tout d’abord l’installation de dispositifs éphémères transformant l’espace public pendant une période bien donnée. L’exemple le plus connu est celui du Parking Day, où les usagers s’approprient un emplacement de parking et lui donnent une nouvelle fonction durant une journée. A Lille durant cet événement en 2012, l’atelier Dientre (27) créa une terrasse amovible sur roulettes permettant de s’asseoir temporairement, à l’origine, sur différents emplacements réservés aux voitures. La surprise était-elle que les citadins ont fortement participé à l’usage de ce nouveau mobilier et rendant célèbre cette réalisation à travers la France. Ensuite nous retrouvons l’augmentation d’un mobilier urbain. Romain Bénard s’est intéressé au banc qui aujourd’hui est source de désamour (28). Longtemps mobilier symbolique de l’espace public incitant les gens à la marche car permettant de s’asseoir lors de halte, comme nous l’avons analysé dans la partie précédente il est délaissé car considéré comme un mobilier squatté par des “personnes indésirables”. Romain Bénard, dans son projet “bancs

Skate & espace public

27 - Parking terrasse http://dientre.com/projets/2012/11/terrasse-stationnement/ Dientre / 2012 28 - Bancs Ludiques http://www.romainbenard. fr/portfolio/bancs-publicsbancs-ludiques/ Romain Benard / 2013

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Bancs Publiques, Bancs Ludiques par Romain Benard / 2013

ludiques”, propose une version augmentée du banc avec l’intégration de pianos et d’interactions lumineuses. Ceci visant à créer la surprise chez les passants et transformant un moment d’attentes en un moment de jeu et partage. Après le côté éphémère, l’augmentation des usages, il est donc possible de détourner ce mobilier. Beaucoup d’artistes se sont amusés à détourner le mobilier classique urbain pour susciter l’étonnement et lui apporter de nouveaux usages. Par exemple l’artiste The Wa a détourné une poubelle en panier de basket dans les rues de Marseille. Il a donc complètement réinventé un simple geste, celui de jeter ses déchets dans une poubelle, en un jeu voire un défi pour les usagers. Cette notion de ludification fait donc de la ville un nouveau “terrain de jeu” pour ses usagers permettant de nouveaux usages et possibilités dans leur quotidien, grâce à l’apport d’un côté fun et décalé.

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PARTIE 1 - L’espace public


Skate & espace public

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CHIMERA - Les sports freestyle


PARPARPARTIE TIE TIE 2 Skate & espace public

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PARTIE 2 - Skate et espace public


SKATE ET ESPACE PUBLIC a. street skate

Le skate comme nous l’avons vu dans le chapitre 1, dans les années 80 - 90, le skate s’est démocratisé, et s’est répandu dans les grandes villes. Avec l’arrivée du ollie permettant de sauter trottoirs et autres obstacles, nous sommes passés de la rampe à la rue, d’où le nom de “street-skateboarding”. Les lieux majoritairement investis par ces skateurs street sont le plus souvent des espaces publics. Dans cette démarche de street, le skateur se balade dans la ville à la recherche de ce que l’on nomme “spot” (lieu, structure, architecture, mobilier), où il pourra user d’adresse et d’originalité pour effectuer ses figures. Le spot enfin trouvé, il n’est pas forcément comme le skateur le voudrait, pour améliorer la pratique, il applique une couche de wax afin de mieux “slider ou grinder” (glisser). Cela permet au spot d’être plus lisse et de limiter les frictions. Le skateur utilise donc la rue, les places, les trottoirs, le mobilier urbain comme surface de glisse liée à sa pratique et ses envies.

Mikey Rencz par X-Games ESPN / 2012

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Skate street par Janidel / 2013 29 - Législations skate https://www.superprof.fr/ blog/skater-dans-un-espacepublic Superprof / 2016

Le skate est donc en constante synergie avec l’espace public. Cependant il est régi par des lois comme tout autre moyen de transport. Les skateurs légalement sont assimilés aux piétons (29) d’après l’article R.412-34 du Code de la Route. Ils sont donc soumis à une obligation de bon sens et de prudence comme n’importe qui. Comme les piétons, ils se doivent de respecter certaines obligations particulières comme la circulation sur les trottoirs uniquement et non sur la route, de respecter les feux tricolores et ainsi traverser au niveau des passages piétons. L’activité du skateboard n’a pas de règles, ni lois officielles la concernant exclusivement dans le Code de la Route. En termes de lois les engins à roulettes non motorisés, incluant skate, roller, trottinette, ne requièrent en aucun cas d’autorisations pour pouvoir les pratiquer. Ces activités sont considérées au vu des lois comme des loisirs. Malgré cela le maire de chaque ville peut décider ou non s’il le souhaite d’en interdire la pratique dans l’entièreté de sa commune. En termes de sanction le skateur peut se voir relever d’une amende de 1ère classe entre 4 et 7 euros quant à son non-respect des conditions de circulation piétonne. Plus grave s’il met en danger la vie d’autrui par sa pratique, il peut être condamné à 15000 euros d’amende et 1 an de prison.

Le skate faisant partie de cet espace public lui aussi est donc soumis à certaines réglementations Considéré comme mais aussi aux regards des autres usagers de ce de l’inactivité. même espace. La pratique du skateboard se basant sur des principes de subversivité ne séduit pas forcément toute la population citadine. Pour les riverains, le stationnement des jeunes skateurs dans l’espace public est considéré pour certains de nonactivité, donc de temps perdu. Le fait que le skate se pratique de manière autonome confère aux non-pratiquants une image de non-encadrement qui n’aide pas à rassurer les citadins. Le skate est aussi associé à une image de dangerosité, effrayant les passants, en plus des risques visibles il y a une certaine nuisance sonore pour les habitants proches du fait des claquements des planches sur le sol. Le fait que la pratique du skateboard soit “anticonformiste” cela implique aussi une vision particulière la concernant.

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PARTIE 2 - Skate et espace public


Des cas concrets reflétant cette mauvaise perception du skate existent, comme par exemple avec la ville de Bordeaux et son espace public limité voir interdit aux skateurs. Aujourd’hui on estime à plus de 4000 pratiquants de skateboard à Bordeaux (30), c’est 10 fois plus qu’il y a 5 ou 6 ans, cette expansion considérable est non sans conséquence sur le partage de l’espace public et habitants non pratiquants. Beaucoup de plaintes ont été déposées concernant les nuisances sonores perçues par les riverains. Cependant la mairie, dans ce but de partage de l’espace public, propose des horaires aménagés sur certains secteurs du centre-ville comme le parvis des Droits de l’Homme ou la place des commandos de France. Le nonrespect de ces jours et horaires entraînera alors une sanction policière. De façon plus globale nous pouvons aborder le sujet des “anti-skate”. Ces derniers sont des dispositifs le plus souvent en métal, fixés sur le mobilier urbain pour empêcher la pratique du skateboard. Ces bouts de métal gênent pour ce que l’on appelle “grind” et “slide”, le skateur ne peut donc plus profiter d’une surface lisse pour y glisser, le mobilier devient alors “inskatable” et sans intérêt donc pour le skateur. Ces anti-skates sont donc fixés principalement sur les bancs publics, bordures ou encore rampes d’escalier, nous remarquons la pose de ce type de dispositif surtout dans les grandes villes. Nous avons l’exemple de la ville de Montpellier (31) et ses “curbs” anti-skatés de la place Albert 1er. Le “curb” a longtemps été skaté par les locaux, mais un jour, la sanction tombe, la mairie avait décidé d’installer ces fameux anti-skates. Peu avant un skateur local nous fait part de sa confrontation avec l’architecte de la place « Un jour, on est tombé sur un mec en moto qui nous a engueulé, c’était l’architecte. Il était écœuré parce qu’on skatait sur le mobilier urbain et nous on lui expliquait que ça faisait partie du lieu, quelque part on rendait un peu vivant ce qu’il avait fait : « C’est pas l’abîmer non ce n’est pas ça, nous on s’en sert »». Cet acte à fait disparaître tout un type de skateurs plutôt technique de la scène locale. « Moi le truc qui me plaisait c’était le curb une fois qu’il était anti-skaté et bien il y avait plus vraiment d’intérêt à occuper le spot » nous explique l’un des skateurs Montpelliérain. Résultat les skateurs locaux ont déserté le lieu et sont repartis à la conquête de nouveaux spots.

30 - Skate à Bordeaux http://gasr33.e-monsite.com/ blog/bordeaux-les-reglespour-le-skate-en-ville-sontassouplies-le-temps-d-un-test. html GASR / 2017 31 - L’influence de l’espace «En flat ou sur les curbs, l’influence de l’espace sur les interactions sociales chez les skaters montpelliérains» Julien Laurent / 2010

Anti-skate par Urbastyle / 2017

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32 - Banc anti-SDF http://blog.francetvinfo.fr/ bureau-londres/2014/06/20/alondres-des-bancs-anti-sdf-etanti-skaters.html France Info / 2014

33 - Accidents liés au sport http://inpes.santepubliquefrance.fr/70000/dp/99/ DP991105.pdf INPES / 1999

Des solutions beaucoup plus drastiques que ces anti-skates existent afin de limiter l’usage du mobilier urbain. A Londres, (32) dans le quartier de Camden, ont été installé des bancs bien spécifiques, après les pics métalliques disposés devant les immeubles et devantures de vitrine empêchant les sdf d’y dormir, voici ces nouveaux bancs, ayant comme volonté d’être par leur forme anti-sdf et anti-skate. Leurs formes, angles, courbes, matières visent à limiter les usages autre que l’assise, cela empêcha donc toute forme d’assoupissement horizontal prisé des SDF. Quant au skate, l’effet ne fut pas le même, les skateurs Londoniens en fait y ont trouvé en ce design particulier, d’origine non fait pour le skate, un défi à relever. « Ce banc a été conçu pour n’être qu’un banc, expliquent les skateurs locaux. C’est amusant de skater sur quelque chose comme ça, particulièrement créé pour qu’on ne puisse pas y skater !» Dylan Leadley Watkins et ses amis ont prouvé dans une vidéo qu’il était possible de skater ce banc et de s’y amuser tout de même. La limitation fut encore inefficace comme pour les anti-skates métalliques et encore plus pour ce cas où l’interdiction s’est transformée en un défi. Avec tous ces exemples nous nous rendons compte que beaucoup de moyens sont mis en place pour limiter la pratique du skate en ville. Le skate est donc plus ou moins mal vu par certains riverains. Les skateurs, au contraire, perçoivent différemment ces multiples “points négatifs”. Pour eux le fait de stationner dans les lieux publics signifie une occupation banale du lieu permettant des rencontres spontanées et la pratique du skate à n’importe quel moment. Le skate est un sport de longue haleine, pour qu’un skateur n’apprenne rien qu’à rouler, il lui faudra déjà un certain moment, l’apprentissage des figures est quant à elle bien plus fastidieuse. Un skateur va pouvoir répéter des centaines de fois pendant des années une même figure afin d’y arriver. Cela montre l’expertise et la maîtrise qu’a le skateur vis à vis de sa planche. En termes de dangerosité, nous nous rendons compte que le skateur dans la majorité des accidents est le principal touché de par ses actes, réalisations de figures, mauvaises réceptions etc. La preuve en est avec l’analyse de l’INPES (33) concernant les accidents de sports chez les adolescents, qui nous démontre que la chute est la principale cause des blessures et non la collision. Concernant cette visibilité des jeunes perdant leur temps, les skateurs eux ne le voient pas de la même façon. Pour eux le skate est une pratique individuelle certes mais qui se pratique en groupe, ce groupe est alors symbole d’espaces de partages, de plaisirs, de passions et d’échanges socio-culturels.

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PARTIE 2 - Skate et espace public


Notre Dame de Bordeaux par le journal Sud-Ouest / 2013

Cette vision plus ou moins négative concernant la pratique du skateboard est en évolution. Aujourd’hui le skate se démocratise de plus en plus et gagne en respectabilité. Nous pouvons analyser cette évolution grâce à plusieurs facteurs comme celui tout d’abord de l’arrivée du skateboard aux Jeux Olympiques. Le CIO en 2016 annonce l’ajout de 5 nouveaux sports dont le skate pour Tokyo 2020 (34), la nouvelle fit division auprès des skateurs en termes d’histoire et d’éthique du skate mais tous sont d’accord pour dire que cela va permettre une meilleure reconnaissance de leur discipline. Comme nous l’explique franchement Robin Bolian (35), skateur professionnel « Le point positif serait que les skateurs arrêteront de se faire prendre pour des guignols auprès des institutions ». Cela donnera même envie à des jeunes de se mettre au skate de par la rediffusion mondiale qu’aura cet événement comme nous le confirme Samuel Partaix « J’ai découvert le skate à la TV en regardant les X Games quand j’avais 10 ans et ce fut le déclic. Si les JO peuvent donner l’envie à d’autres jeunes de skateur, ce n’est que du bonus ! »

34 - Skate aux J.O. https://www.lequipe.fr/Adrenaline/Skateboard/Actualites/ Le-team-skateboard-franceaux-jo-2020/806068 L’equipe / 2017 35- Avis sur les J.O. D’autres exemples comme celle de l’enseignement du skate à l’école, https://www.lequipe.fr/Adrenaline/Tous-sports/Actualites/ nous montre l’évolution de la Jeux-olympiques-le-mondereconnaissance de la pratique mais du-skateboard-divise-enaussi de ses valeurs. Le premier cas deux/718760 d’enseignement du skate et le plus L’equipe / 2016 célèbre est celui du Lycée Bryggeriets de Malmö en Suède (36). Une classe est entièrement dédiée au skateboard depuis 2006 lors de la création Une reconnaissance du lycée. Les horaires en évolution. sont aménagés, le skate est enseigné au même titre que les autres matières, ce sport 36 - Skate à l’école, Suède urbain est en effet plus rationalisé http://www.theriderpost.com/ et institutionnalisé du fait de cet lifestyle/bienvenue-a-bryggeapprentissage, mais sont toujours riets-premiere-ecole-skateurs/ introduites les valeurs originelles The rider post / 2016 du skateboard. En second nous retrouvons en France dans la ville 37 - Skate à l’école, France de Bordeaux (37) la même initiative http://laskateboarderie. depuis septembre 2015 où les com/2017/02/01/une-sectionélèves du collège-lycée Notre Dame skate-dans-un-college-lyceepeuvent suivre des cours de skate en a-bordeaux/ La skateboarderie / 2017 plus des matières habituelles. Cela permet d’avoir 12 heures de skate par semaines, encadrées par un professeur de skate, pour un coût allant de 5 à 20 euros par mois.Ces derniers exemples montrent cette

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Skate aux J.O. par ABC skate/ 2016

évolution des pensées concernant le skate et reconnaît donc des vertues et valeurs à cette discipline. Mais ces différentes initiatives telles que les J.O. ou encore le skate à l’école font évoluer les mentalités certes, mais ne s’attaquent pas directement aux problématiques du skate dans l’espace public. L’on peut donc en dégager plusieurs constats. Tout d’abord, en ressort une certaine réticence de la population non skateuse concernant le skate de par son caractère marginal. Mais les mentalités changent grâce à la démocratisation de la pratique du skateboard, cependant peu de solutions sont apportées aux problèmes liés à la pratique du skate dans l’espace public, seul des limitations ou interdictions sont mises en place.

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PARTIE 2 - Skate et espace public


b. le détournement

En effet, citadins et skateurs n’ont pas la même vision de la ville et de l’espace. En tant que skateur, la ville, son mobilier, ses espaces, ses revêtements sont considérés comme tout autre, comme un filtre que l’on viendrait placer devant nos yeux. Le skate est un révélateur (38) d’une autre manière de consommer la ville, cette pratique serait selon Dominique Perrault, architecte-urbaniste, comme un « matériau qui permet d’accepter et d’aimer les paysages contemporains ». Le skate entretient donc une relation particulière avec la ville. La plupart des riverains, considèrent les rues seulement comme une surface de béton sur laquelle ils se déplacent. Contrairement au skateur qui lui redéfinit et s’approprie cet espace, un banc, une rampe d’escalier sont alors analysés, puis si les matériaux, les formes, les hauteurs sont en adéquation avec la pratique du skate, le skateur définit cet espace comme “skatable” et le lieu devient alors un “spot”. Un langage vient donc s’additionner à la perception commune de ces espaces. Par exemple un trottoir pour les skateurs se transforme alors en “curb”, des marches d’escalier en “ledges”(39), des rampes d’escalier en “handrail”. Tous ces objets urbains, utiles ou décoratifs qui sont perçus pour les riverains comme des obstacles à éviter se transforment alors en défis et nouvelles sensations pour les skateurs. Dominique, skateur, nous parle de ces différentes sensations perceptibles du skateur « Dans la rue, le skateur est capable de reconnaître l’état des goudrons. On est capable de parler de revêtements pendant des heures. On a nos mots pour parler des vibrations qu’on sent sous les pieds. Le goudron, c’est devenu un élément, le bois aussi, on fait corps avec eux pour glisser dessus... »

38 - Ville ludifiée http://owni.fr/2010/11/04/ ville-ludifiee-ville-lubrifiee/ OWNI / 2010 39 - Redéfinir par le skate http://florlecam.com/ULB/?p=1598 Florlecam / 2011

La ligne jaune par Cécile Camatte / 2013

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Mais avant de skater sur ces différents “spots”, il faut tout d’abord les trouver. La pratique du street-skateboard est un acte de déambulation, de découverte de nouveaux spots et nouvelles sensations, tant par l’usage des matériaux et des différentes formes d’objets trouvés ainsi que par les rencontres humaines effectuées. Alain, skateur, nous explique ce phénomène de filtre « C’est un autre regard sur la ville. Quand tu es skateur et que tu regardes un édifice qui se fabrique, tu regardes s’il y a des plans inclinés, des endroits pour faire des grinds, des rockslides et tout ça... Même maintenant où je ne fais plus de skate, j’arrive dans une ville et je me dis qu’il y a des méga trucs...

C’est un regard différent sur la ville, un regard pratique sur l’architecture. Tout de suite tu te demandes à quoi ça pourrait bien servir... ». La notion “d’arpenter” la ville prend tout son sens quand on s’intéresse à la consommation de la ville par les skateurs. La recherche de spot se fait de façon plus ou moins organisée, sous la forme d’un parcours improvisé comme de mini-expéditions. « On arpente la ville pour trouver des spots ou l’on peut pratiquer des figures nouvelles. Ce qui est bien, c’est les petites marches, les murets ; les bancs aussi... ». Cette quête de nouveau spot fait partie intégrante du plaisir de skater, chaque espace ou mobilier en fonction de son

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PARTIE 2 - Skate et espace public

type de matériau, revêtement, forme, va déterminer différentes possibilités d’enchaînement de figures. Lorsque le spot est repéré, le skateur se l’approprie pour en tirer le meilleur profit. Le banc n’est alors plus défini par la pause ni le repos mais par le saut, la mobilité, le mouvement et l’action. Mobilier urbain, rue, place, se trouvent détournés de leurs usages initiaux. Tous ces composants ordinaires de l’espace public sont donc détournés par les skateurs, cependant nous n’avons pas parler de l’art présent ces espaces. Les skateurs raffolent des ces sculptures ou dispositifs artistiques qui par leurs formes originales et uniques, le plus souvent apportent de nouvelles possibilités de figures ou d’enchaînements. Les œuvres contemporaines disposées dans les villes sont souvent de matériaux différents de ce que l’on trouve dans la rue, acier, inox, ultra-lisse, le tout amenant de nouvelles sensations de glisse. De plus en plus de photos ou vidéos de skate sont en effet des clichés de ces œuvres sculpturales détournées par les skateurs.


Raphaël Zarka nous explique sa vision des choses concernant cet acte « Plus irrévérencieuse que vandale, cette pratique de l’œuvre d’art souligne le dynamisme explicite de tout un pan de la sculpture moderne. Sur des sculptures le plus souvent abstraites et géométriques, d’inspiration cubo-futuriste ou constructiviste, les skateurs rendent effective l’idée de mouvement littéralement mise en œuvre par les artistes ». Ces sculptures sont en effet disposées dans l’espace public dans le but de créer des espaces d’expérimentations physiques dont la dimension ludique et exploratoire s’adresse à tous. Le fait de skater cet art moderne revient donc à effectuer une forme chorégraphique sur une forme sculpturale, cette dernière devenant alors “le socle temporaire d’une sculpture vivante” comme nous l’énonce Raphaël Zarka.

Riding Modern Art par Raphaël Zarka / 2017

Pour voir plus loin et analyser ce phénomène de détournement Raphaël Zarka, plasticien et skateur, s’intéressa à la notion de “skateable-architecture”, signifiant la création d’objets d’architecture pensés dès leurs conceptions pour la pratique du skateboard. De nombreux artistes ont par le passé déjà effectué des travaux dans ce domaine comme la création des modules de skates artistiques. Rich

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40 - Skateable sculpture http://www.journal-du-design. fr/architecture/skateablesculpture-par-rich-holland-24882/ Journal du Design / 2012 41 - Skate in space «Skateboarding, space and the city» Ian Borden / 2001

Holland (40) par exemple, architecte et artiste, a créé pour le musée d’arts modernes de Kiasma en Finlande, une énorme vague se refermant sur ellemême, comme un “tube”, faite en bois, mêlant alors module de skate et œuvre d’art contemporaine. Quant à Raphaël Zarka son concept fut de s’inspirer des formes géométriques d’un célèbre mathématicien du 19ème siècle, Arthur Moritz Schoenflies, afin de créer des modules en bois, skatable dans tous les sens, à plat, debout, superposés, de côté, emboîtés les uns dans les autres... Son but était de faire voyager ces diverses formes géométriques à travers le monde et ainsi se rendre compte du constant détournement de l’objet effectué par les skateurs et leurs différentes façons de disposer les éléments dans chacun de ces espaces. Nous nous rendons compte grâce à cette œuvre de Raphaël Zarka de l’immense possibilité qu’ont les skateurs à détourner la sculpture, la bouger, la retourner, la composer différemment, la prendre de côté, monté sur les arrêtes etc… Tant de paramètres qui offrent de nouvelles possibilités. Le skate détourne la ville mais y crée aussi de la valeur ajoutée. Grâce à ce regard particulier sur la ville, le skateur redonne vie à certains quartiers parfois délaissés. Ces lieux sans intérêts, “invisibles” pour la majorité de la population se voit redynamiser par la pratique du skate, qui en tant que skateur, y voit d’innombrables possibilités de créer. Borden en 2001 (41) nous explique cet ajout de par l’activité du skate sur ces lieux, « Les skateurs produisent de l’espace par les mouvements qu’ils effectuent sur des objets à priori inappropriés ». Dans ces lieux pourtant désertés des riverains, les skateurs eux y restent, comme le dit Jean-Noël Consales « ce qui fait qu’un endroit est un lieu c’est que l’on peut le nommer » est c’est le cas grâce aux skateurs qui nomme chacun des “spots” par des noms le plus souvent représentatifs des modules et de leurs localisations. En plus d’un nom certains lieux deviennent des références grâce aux vidéos et photos de skate, circulant dans le monde entier, les montrant sous un nouveau jour. Comme exemple la célèbre promenade de Islais Creek à San Francisco. En 1906 un tremblement de terre affecta cette zone et la rendit sans intérêt car trop chaotique, seules des usines s’y installèrent par la suite, mais des ouvriers ont accidentellement percé les conduites d’eaux. Résultat les eaux usées se sont déversées dans cette crique et rendant le lieu infréquentable car trop pollué. Malgré cela, au fur et à mesure des années, un aménagement y a vu le jour pour redonner vie à cette zone sinistrée. Fait de béton, de façon minimaliste, moderniste mais aussi de type art-déco, cet aménagement fut un vrai positionnement artistique. Dénuée de végétaux cette promenade ne ramena

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PARTIE 2 - Skate et espace public


Third and Army

Bryan Herman at Third and Army par Emerica / 2011

pas forcément les riverains à en profiter, le climat en fait y était plutôt austère. Cependant Mike caroll dans les années 95 skateur professionnel voit là d’innombrables possibilités pour sa discipline. De suite la crique se transforma en “spot” et fut diffusée dans la majorité des vidéos de skate de l’époque, c’était l’endroit où être. Le “spot” fut alors nommé “Third and Army”, et atteint le statut de haut-lieu. L’association gérant la promenade reconnaissant l’apport du skate à son lieu, accepta officiellement la pratique du skate et par la suite y a même permis d’y améliorer des parties du “spot” pour augmenter les possibilités de figures. En détournant ces lieux un autre phénomène a été perçu, celui de la sécurité. Pour la promenade de San Francisco ce fut le cas, l’intérêt porté par les skateurs sur ce lieu, créa une affluence et un flux continuel de personnes présentes dans ce lieu, d’origine plutôt insalubre et donc à l’écart de la ville. Jane Jacobs constate que plus il y a de personnes dans un espace public plus celui-ci est sûr. La simple présence des skateurs sur ce lieu permit de réduire les activités illégales, les dealers, prostituées et trafics en tout genre. Même si la pratique du skate est marginale et n’allait pas forcément contre le deal ou autre, mais cela rendait visible les différents acheteurs et échanges. L’activité du skate provoquait souvent des contrôles de Police, ce qui n’était plu alors possible pour les dealers et autres de rester dans la zone. Dans la même ville, un autre spot, le hubba hideout, était en fait un escalier sous lequel beaucoup de dealers traînaient car non visible de l’extérieur. Le

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spot devenu connu dans le monde entier grâce aux prouesses de certains skateurs pro, les dealers ont fui. Cependant une interdiction de skater a été déposée et fut sanctionnable de 300 euros d’amende, résultat, les riverains regrettent la quasi-permanence des skateurs permettant une présence sécurisante pour les habitants la journée mais surtout le soir. Nous pouvons donc nous apercevoir que le skate n’est pas qu’un simple usage de l’espace public mais une transformation de cet espace. Avec la particularité d’apporter un regard différent et sans cesse en éveil sur les formes et symboles urbains. Les skateurs perçoivent donc la ville de façon ludique et la transforme en un “terrain de jeu”.

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PARTIE 2 - Skate et espace public


c. skate et ludification

Comme nous l’avons défini dans le chapitre 2, la ludification des espaces publics vise au développement des moyens de transport doux afin de voir la ville autrement. Nous sommes en pleine corrélation avec la pratique du skateboard et cette façon de revoir l’espace public. En effet le skateboard est un mode de déplacement éco-responsable et éco-citoyen, il ne pollue pas. En ville, beaucoup de français continuent à prendre la voiture pour des trajets inférieurs à trois kilomètres, c’est pourtant un moyen de transport lent, 14 km/h en moyenne du fait de la circulation dense (42). Le skate se place donc en tant que possible moyen de transport de substitution.

42 - Transports Doux https://www.decathlon. media/dossier-presse/mobilite-urbaine/sport-et-ville.html Decathlon / 2015

La ludification se base aussi sur l’apport d’un nouveau regard sur l’espace public grâce à une version augmentée du mobilier urbain, mais aussi par le côté éphémère de certains dispositifs ou encore le détournement de ces espaces, le tout permettant de nouveaux usages. Ayant maintenant analysé la vision du skate, nous nous rendons compte que les procédés et résultats entre skate et ludification sont les mêmes.

Boll par Adrian Blanc / 2015

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43 - Ludifier nos villes «Comment “ludifier” nos villes «? Sonia Lavadinho et Yves Winkin / 2009

Tout d’abord la déambulation, le skate rejoint donc cette facette de la ludification, cette activité propose un moyen de profiter de la ville autrement. Le skate propose une activité alternative non consumériste, à la place de faire du shopping, de boire un verre, d’aller au cinéma, l’on parcourt la ville en profitant de ses architectures et infrastructures. La recherche de spot va dans ce sens-là aussi, car il provoque un déplacement à travers la ville afin de trouver un lieu adéquat, ceci va de pair avec la ludification, qui elle cherche à faire se déplacer la population d’une nouvelle façon moins banale. La notion d’arpentage peut donc être utilisée réciproquement de chaque côté. La ludification c’est aussi l’apport de l’élément ludique dans le quotidien urbain. Élément que l’on retrouve bien évidemment dans le skate avec la part de “jeu” que contient la pratique. Le skate est avant tout un loisir, malgré son côté sportif, il vise à se faire plaisir. La notion de détournement est présente chez les deux parties, la ludification détourne le mobilier urbain pour attirer la population et provoquer de nouveaux usages et intérêts. Quant au skate le détournement fait partie essentielle de la pratique, chaque objet est détourné afin de créer de nouvelles possibilités d’action. Nous avons remarqué que le skateur porte un “filtre” devant les yeux, permettant de trouver différents intérêts aux mobiliers urbains il en est de même avec la ludification qui, par l’ajout de couleurs décalées, de formes originales, d’usages modifiés, applique un filtre devant les yeux des riverains et provoque l’intérêt chez eux. Encore une fois nous remarquons la ressemblance entre les deux pratiques. La ludification vise à l’utilisation plus intense de l’espace public, le skate lui est intimement lié à cela, car il est une constante utilisation de cet espace. Des possibilités éphémères sont mises en avant par la ludification, et qui sont partagées aussi par la pratique du skate. Le skateur va de spot en spot, il les utilise comme il veut mais surtout quand il veut. La plupart des spots sont en effet éphémères, des planches de bois lors d’un chantier, des cartons empilés dans la rue, des cônes de signalisation, le tout en quelques jours aura disparu. Le skateur vise à saisir l’instant présent et se servir de son environnement à un instant T. Ce côté éphémère permet une originalité et un renouveau dans la pratique, engendrant de nouvelles sensations et la diversité. Similairement au skate, la ludification propose ce côté éphémère pour renouveler le regard et l’intérêt que portent les usagers sur le mobilier urbain. Comme décrit dans le chapitre 2, Sonia Lavadinho et Yves Winkin (43), voient la ludification comme un terme formé « à partir de “ludique” et de “fluidification” pour évoquer la capacité des villes à augmenter les déplacements en modes doux grâce à un recadrage ludique, éphémère ou permanent, des

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PARTIE 2 - Skate et espace public


espaces traversés ». Nous sommes alors en plein dedans avec la pratique du skateboard. Le skate et la ludification sont en effet similaires et proposent tous deux une nouvelle façon de voir la ville et ainsi transformer la ville en un “terrain de jeu”. Alors pourquoi ne pas réunir ces deux univers pour les lier et créer une meilleure cohabitation entre skateurs et riverains ?

Alors pourquoi ne pas réunir ces deux univers pour les lier et créer une meilleure cohabitation entre skateurs et riverains ?

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Guy Mariano par X-Games ESPN / 2013

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PARTIE 2 - Mon grand projet


MON GRAND PROJET a. analyse du milieu

Comme nous l’avons remarqué tout au long des précédentes analyses, skateurs et riverains des grandes villes sont donc distants, chacun utilise l’espace public à sa propre manière. En s’attardant sur l’histoire du skate nous avons pu déceler une tendance à une pratique plus urbaine dès les années 90. Les riverains et l’espace public quant eux existent dans les rues depuis de plus longues années, pour exemple le banc se démocratisa dès le Moyen-Age. La pratique du skateboard dans un environnement aussi connoté, empli de règles et valeurs, n’a donc pas fait que des heureux quant à son usage différent de l’espace public et de son mobilier. Elle se démocratisa de plus en plus dans nos grandes villes et touche de nos jours toute une partie de la jeunesse. Le skate ayant ses origines marginales et étant symbole de liberté, tant en termes d’expression que d’actes, s’imposant dans l’utilisation courante du mobilier urbain, provoqua alors un certain rejet de la population, stigmatisant les notions de riverain et skateur. Alors qu’en fait le skateur avant tout est aussi un riverain, il peut user de la ville comme les autres, mais ce dernier a simplement un regard différent sur les choses. En analysant la scène du skateboard, au fur et à mesure des années nous nous rendons vite compte que la pratique est en forte augmentation de part la digitalisation et l’effet de mode. Le nombre de skateurs est par conséquent de plus en plus important et allant de pair avec les interdictions et limitations qu’ils leur sont imposées. En étudiant le cas de certaines villes comme Bordeaux ou Montpellier, nous nous sommes aperçus que ces limitations de la pratique par la pose d’anti-skates ou d’horaires d’interdiction n’ont en rien résolu le problème du partage de l’espace du public. Cela n’a en effet engendré qu’un simple déplacement du problème. En observant de plus près ce phénomène, nous pouvons alors voir que les skateurs et riverains se sont de plus en plus éloignés socialement. Aujourd’hui, peu de riverains ne disent alors qu’un simple “bonjour” aux skateurs et inversement. La communication est en effet rompue, alors que chacun use de ce même espace qui, comme son nom l’indique est “public”. Un désintérêt, voir même une gêne, s’est installé entre ces deux partis.

Une communication et des échanges rompus entre skaters et riverains.

Depuis quelques années, nous pouvons aussi remarquer un abandon d’usage de l’espace public de par les riverains eux-mêmes. Aujourd’hui des solutions visant à rendre la ville plus attractive et en changer la manière de la percevoir se mettent en place. On parle alors de ludification de l’espace public. Cela consiste à ajouter une part ludique, de “fun”, d’éphémère, de détournement de cet espace, afin d’attirer les riverains à utiliser le mobilier urbain d’une autre façon et de redécouvrir la ville sous un autre angle.

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Place de la République, Paris par Pierre-Yves Brunaud / 2014

Le but est de recréer du lien dans un lieu de partage.

Ainsi après avoir étudié la manière de penser des skateurs, nous nous rendons bien compte que ludification et pratique du skate se rejoignent. Le skateur de par sa pratique voit la ville avec un filtre devant les yeux, pour lui un banc devient alors un “curb” quand celui-ci est de la bonne matière, hauteur, longueur etc… Il apporte la notion de “skatable” à ce mobilier urbain, n’ayant pour la plus plupart de la population qu’une seule et unique “fonction d’usage”. La ludification apporte aussi, à sa manière, une autre façon de percevoir ces éléments. Par ses attributs la ludification vise également à redynamiser certaines zones dénuées d’intérêts par les citadins. La pratique du skate provoque de même ce résultat. Le skateur, arpentant la ville, y voit dans ces zones vides, d’éventuelles possibilités de réalisation de figures. Par son utilisation le lieu se transforme en “spot” et est utilisé d’une nouvelle façon. De part la présence du skate nous avons aussi évoqué ses bienfaits sécuritaires, quant à la présence constante des skateurs dans ces zones dangereuses qui, alors sortent de l’ombre les dealers et autres activités illégales. La ludification de même, vise à augmenter les échanges entre les riverains dans cet espace, mais cela ne peut alors se produire si la zone est à risque. Skate et ludification semble faire bon ménage. Le skate ludifiant l’espace public pourrait donc être une solution afin de recréer un intérêt de la part des riverains à leur espaces publics, tout en y incorporant la pratique du skateboard et enfin par ce partage d’un même lieu, recréer du lien et mieux faire cohabiter skateurs et riverains.

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b. la cible

D’après cette précédente analyse nous nous rendons compte qu’il manque de liant entre skateurs et riverains. Notre observation des dispositifs contemporains déjà existant, mettant en avant la notion de “skateable architecture”, se sont révélés peu efficaces, quant à la résolution du manque de cohabitation entre skateurs et riverains. Cependant ils ont fait évoluer les mentalités, mettant en avant les valeurs de skate et sa vision. Chacun de ces dispositifs, en effet, était ciblé sur le skateur uniquement. Aucun d’entre eux n’engageait le skateur ainsi que le riverain dans une même solution. Il convient donc pour lier les deux parties que la cible soit élargie aux skateurs bien entendu mais aussi aux riverains en même temps.

Paving Space par Raphaël Zarka / 2017

Nous nous concentrerons donc à part égale entre ces deux types d’utilisateurs de l’espace public. Notre cible se portera alors sur deux archétypes bien distincts qui aujourd’hui représentent cette problématique. En premier nous retrouvons dans la catégorie des skateurs, un premier persona, un jeune garçon âgé de 17 ans, ayant pour passion le skateboard depuis son plus jeune âge, et cultivant le côté marginal de la pratique du skate. Ensuite dans l’autre catégorie, celle des riverains, nous pourrions imaginer un homme de 35 ans, marié et père de 2 enfants en bas âge, ne partageant en aucun point la passion du skate.

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c. C H I M E R A

C H I M E R A est une proposition de dispositifs artistiques hybrides mêlant usages et intérêts communs entre riverains et skateurs. Pour cela une analyse du besoin des habitants et des skateurs sera effectuée pour chaque dispositif et ainsi créer un nouveau type de dispositif urbain prévu dès son origine pour être skaté et utilisé par les riverains dans un espace public défini.

Ludifier l’espace pour répondre aux besoins de chacuns.

Ce concept propose alors une ludification de cet espace public par la pratique du skate, les dispositifs créés seront des mixtes entre détournement de mobilier urbain et détournement de module de skate, les deux ne formant plus qu’un seul corps.

Par ces dispositifs urbains, riverains et skateurs interagissent ensemble sur de mêmes objets. Contrairement aux mobiliers urbains traditionnels, connotés pour leurs fonctions d’usage, ces créations seront quant à elles faites pour les deux partis.

Premières pistes créatives, incrustation 3D d’une éventuelle chimère «Poubelle/Quarter»

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Premières pistes créatives, incrustation 3D d’une éventuelle chimère «Banc/Curb»

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Pour exemple, sur une place comme Bastille nous avons remarqué le manque de poubelles par rapport à la surface de la place et le nombre de passants ou stationnaires, ainsi que la présence d’une scène locale du skateboard en manque de modules sur cette zone plate. Nous proposons donc une ludification par le skate de cet espace, grâce à C H I M E R A. Créer et y installer des dispositifs artistiques hybrides mêlant poubelle et plan incliné de skate. Un objet décalé, original, détourné, sera alors formé et apporte donc un côté “fun” à la ville, créant ainsi la surprise et incitant les riverains à s’intéresser et user d’une autre manière l’espace public qui est leur. En tant que skateur, l’objet sera original, il apportera de nouvelles sensations de glisse ainsi qu’une esthétique particulière. Une fois installé et utilisé par riverains et skateurs respectivement, le lieu se transformera en “spot” et engendra alors lien et mixité sociale.

Premières pistes créatives, design des chimères en 3D

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Ces “chimères”, en fonction des villes, seront disposées de façon différente, car les besoins, les lieux ou les envies ne seront pas les mêmes d’une ville à l’autre. Ces diverses dispositions vont forcément engendrer la notion de parcours à travers la ville et ainsi permettre une vision différente de la ville. Skateurs et riverains verront la ville sous un nouvel angle, mais cette fois ci cette vision leur sera commune, chacun reconnaîtra en ces “chimères” leurs fonctions d’usage mais aussi leurs facettes skatables. Un côté éphémère à ces “chimères” pourra y être ajouté, par la réalisation de cycle de déplacements et transformations de ces dispositifs à travers la ville. Le changement de lieu et de “chimère”, poussera plus encore à l’arpentage de la ville des riverains et skateurs. Un renouveau serait alors constant, dynamiserait la ville et pousserait à une pratique nonconsumériste de celle-ci. Les moyens de transports doux seront alors valorisés comme la marche à pied, le roller, le skate ou encore la trottinette afin de déambuler dans la ville et en découvrir une autre facette. C H I M E R A sera ainsi implantée dans des lieux de forte renommée, mais aussi dans des endroits “invisibles”. Comme nous l’avons remarqué grâce à la pratique du skateboard, certaines zones délaissées reprennent vie. Pour ces “chimères” il sera d’amplifier ce phénomène en les implantant dans ces zones, afin de les réhabiliter et de leur redonner vie. Par la présence de ces dispositifs, les skateurs pourront alors premièrement les utiliser pour réaliser de nouvelles prouesses mais aussi voir la ville d’une nouvelle façon, du fait de l’arpentage urbain, généré par la disposition des “chimères”. Les riverains quant à eux, gagneront en confort, par l’ajout de mobilier qui n’était pas présent auparavant, banc, lampadaire, par exemple et par la revalorisation de leurs environnements urbains. Le tout dans une démarche écologique et citoyenne apportant des intérêts communs entre skateurs et riverains, permettant au fil du temps une meilleure cohabitation.

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d. cas concret

Paris, place de la Nation, un exemple de cas concret. Comme chaque dispositif sera différent, car conceptualisé en fonction du lieu et des besoins, il semble intéressant de se pencher sur un exemple de cas concret. En observant les dynamiques urbaines de piétonnisation du moment, la place de la Nation à Paris semble être un cas intéressant. Historiquement cette place est l’ancienne place du Trône, elle prit ce nouveau nom le 14 juillet 1880, signe de la révolution française. Au centre a été inauguré, un monument en Bronze, “Le triomphe de la République”, composé d’une figure centrale au centre d’un bassin où de gigantesques crocodiles / alligators, en bronze aussi, l’entouraient. En 1941, ces bêtes furent fondues lors de l’occupation allemande pour leur matériau.

Place de la Nation, Paris / 1908

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Aujourd’hui il reste donc la figure centrale et un environnement assez verdoyant au milieu de ce rond point. La mairie de Paris durant ces dernières années cherche à valoriser ses places et les rendre plus agréables pour les riverains. Ainsi le rond-point central se voit agrandi par la suppression de 4 voies de circulation autour de la place. Maintenant réservées aux piétons,cyclistes, etc… «Avec cette transformation inédite, ce sont près de 7000 m² qui seront rendus aux piétons marquant ainsi une nouvelle manière de faire la ville ensemble» nous explique la ville de Paris. On constate donc une amélioration en terme d’espace mais peu d’aménagements sont présents, seul un géant brumisateur a été installé en été. En ce qui concerne le skate, des aménagements DIY sont autorisés et le plus souvent gérés par le skateshop local Nozbone. On retrouve des curbs et slappy, tous deux destinés à la pratique du street skateboarding.

Tweet par Anne Hidalgo / 2016

Cette place par ses nouveaux enjeux et scène skateboard déjà présente, est idéale comme terrain de jeu pour le projet C H I M E R A. En ayant étudié sont passé historique il serait intéressant en effet de jouer avec l’image du crocodile. Symbole des années où la place était verdoyante et était un lieu de fête où le peuple se retrouvait. Réimplanter ces crocodiles sous forme de

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chimère apportera en plus de ses différents usages, une notion historique et artistique pour les riverains. Nous pourrions imaginer de les disposer tout autour de la place comme à l’époque, skateurs et riverains pourront bénéficier de nouveaux dispositifs urbains ayant un rapport avec le lieu dans lequel ils sont implantés et de nouveaux usages en commun. Pour les matériaux nous pourrions utiliser du métal comme à l’époque de Georges Gardet, le sculpteur. Ainsi pour le financement nous imaginons une collab avec le magasin Nozbone, déjà bien implanté dans le secteur et connaissant bien le lieu. Ainsi que d’étroits liens avec la municipalité, étant dans une même démarche de ludification des différentes places parisiennes.

Premières pistes créatives, design des chimères en 3D place de la Nation

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Vans x Karl Lagerfeld / 2017

e. étude de marché

C H I M E R A s’insère alors dans deux marchés, celui du skateboard ainsi que le marché public. Le premier marché, celui du skateboard, est en pleine croissance depuis ces 10 dernières années. Cela est dû au nombre de skateur en forte augmentation et de l’effet de mode “skateur”, développant depuis quelques temps l’industrie du textile “skate”. Cette mode a, par ailleurs, provoqué un boom au niveau du marché de la longboard par la hausse de ces ventes. Le skate s’en retrouve forcément touché, car les marques proposants les longboards sont en fait les mêmes ou alors des filiales de grands groupes financiers du skate. En termes d’image et sponsoring beaucoup de collab’ apparaissent comme la plus célèbre, celle entre Vans x Karl Lagerfeld ou encore Supreme x Louis Vuitton. Dans ces deux cas, des marques de luxe ont décidé de mêler l’image du skate à la leur, ce qui est profitable pour le marché du skate. Après la mode, les événements “skate” connaissent un fort accroissement, beaucoup de sponsoring et de collab’ apparaissent et se multiplient, proposant des événements de plus en plus intéressants et internationaux. Le skate ayant, de par ses origines, une certaine esthétique, une passion pour la captation vidéo, aujourd’hui, grâce à la digitalisation ce phénomène se répand à travers le monde. Internet a pris une part énorme dans cet univers et les marques l’ont bien compris, c’est pourquoi pour être plus présentes et plus visibles, elles usent de collaborations entre artistes et marques non-concurrentes, permettant une communication plus accrue. Nous avons l’exemple de “Paving Space” (44), où pour développer le projet de Raphaël Zarka, Isle et Carhartt en ont été les sponsors. L’expérience artistique a pu traverser les pays et jouir de son utilisation. Quant aux marques, de même, ils y gagnent par la diffusion de leur image, mais aussi gagnent en respectabilité en montrant un acte pour développer la pratique de ce sport.

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44 - Paving Space http://deparisyearbook.com/ paving-space/ DeParisYearBook / 2016

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45 - Budget Paris 2016 https://www.youtube. com/watch?time_continue=56&v=Eu6zc_kDa3k Mairie de Paris / 2015 46 - Plan investissement http://www.leparisien.fr/ paris-75/paris-75005/ budget-de-la-ville-de-paris-c-est-reparti-pour-untrou-10-06-2015-4850963.php Le Parisien / 2015 47 - Plan investissement https://www.paris.fr/actualites/le-budget-a-paris-comment-ca-marche-2998 Mairie de Paris / 2017

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Pour le second marché celui du public, la croissance n’est pas la même, mais le budget des grandes villes françaises se portent bien. Concernant le domaine de l’espace public nous discernons deux catégories, celle de la construction et celle du fonctionnement. Pour une ville comme Paris en 2016 le budget pour le fonctionnement “Aménagements urbains et environnement” (45) s’élève alors à 1.6 milliards, quant à celui de la construction à 88 millions d’euros. L’économie se porte donc plutôt bien surtout que la balance entre dépense et recette a été respectée. Anne Hidalgo, réévalua le programme d’investissements global de la ville de Paris et l’augmenta de 1.5 milliards d’euros en 2017. Passant de 8.5 à 10 milliards d’euros, ce plan (46) offre des perspectives prochaines pour la ville, s’étalant financièrement jusqu’en 2020. Aujourd’hui, les villes apportent de plus en plus de crédit à l’aménagement des espaces public.

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Pour la ville de Paris (47), “l’urbanisme et renouveau de l’espace public” prend donc la deuxième place en termes d’investissement juste derrière le “logement et mixité sociale”. La notion d’environnement est de plus en plus chérie des grandes villes. La mairie de Paris nous rappelle ses volontés en termes de futur « Paris vit et se modernise, poursuit la transition écologique, soutient ses quartiers populaires : nous devons être moteur de ce changement ». La dynamique écologique est un plus pour le projet C H I M E R A car il propose une approche de la ville par des moyens de transports doux. Ainsi nous pouvons remarquer une deuxième volonté concernant les quartiers populaires et qui en effet coïncide avec la démarche de développement de zones délaissées par l’installation des “chimères”.


Les tendances actuelles montrent de forts intérêts pour les codes du skateboard ainsi que la notion de renouveau urbain, d’écologie et de développement des zones délaissées, le projet s’inscrit alors dans des marchés favorables à sa création du fait de ces mêmes notions partagées. Cependant malgré que ces deux marchés se portent plutôt bien, le marché public reste incertain et plus compliqué. C’est pour cela qu’il semble plus intéressant de travailler en amont sur le marché du skate pour avoir plus de poids par la suite sur le marché public.

Budget par la ville de Paris/ 2017

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Bastille Days par Volcom / 2015

f. le financement

Pour le financement de C H I M E R A, il serait question de sponsoring. En ayant analysé le marché du skateboard, nous nous rendons compte que ce type de collaboration se développe énormément et permet à des artistes de réaliser leurs œuvres, travaux et de rendre concret les expériences imaginées. Nous avons comme exemple celui de Raphaël Zarka, plasticien français, avec Isle et Carhartt ou encore très récemment celui de Lucas Beaufort, illustrateur français, avec Dakine, Adidas, Krak, Electric, Active et Turbokolor. Dans le cas de C H I M E R A, il semble logique, étant dans la même démarche artistique que ces exemples énoncés, de chercher une marque ou plusieurs pouvant supporter les coûts financiers de la réalisation du projet. Quant à elles, les marques bénéficient de retombées économiques et d’une valorisation de leur image en s’associant à ce genre de projet, promulguant la pratique du skateboard. Dans le domaine de création de modules, sponsorisé par une marque de skate, nous avons le cas du “Volcom Bastille Days”. Volcom a en effet sponsorisé le travail de Croyde Mirandon, designer de skatepark, permettant sa réalisation et son installation à Bastille, puis installé aujourd’hui à République pour une durée indéterminée. Dans le cas présent, le designer Croyde Mirandon a reçu une compensation financière de la part de Volcom, qui elle gagne de l’argent sur la vente et l’installation de ces modules à la ville de Paris, mais aussi par le gain financier engendré par la diffusion de son image de marque. La solution de sponsoring paraît donc tout à fait plausible dans le marché actuel et donne de l’importance, du “poids” au projet, permettant de convaincre plus facilement le marché public de l’aménagement urbain. Ainsi pour les partenaires, un gain d’image et financier s’opère.

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g. la diffusion

Pour que le partenariat fonctionne, il faut que la diffusion du projet soit la plus grande possible. Pour cela, en ayant analysé la cible des marques de skate, nous pouvons vite déterminer l’importance d’un contenu digital. Nous aurions recours à une campagne vidéo, disponible sur le web, avec en amont un trailer vidéo, teasant la fabrication des “chimères”. Puis la diffusion de la vidéo concept, avec explications et interviews permettant un coup de com’ en étant reposté et cité dans la presse digitale du skateboard. Par la suite, C H I M E R A étant avant tout une expérience sociale, il serait intéressant et valorisant de faire voyager le projet, pour qu’il rencontre de nouveaux utilisateurs. A l’image de “Paving space”, projet artistique de modules de skate, qui s’est déplacé partout dans le monde, Paris, Berlin, Singapour, Londres et bien d’autres, développant les interactions avec des skateurs de tous horizons et promulguant les images de ses sponsors à l’international. Une vidéo pourrait en effet résulter de chacun de ces voyages pour développer cette visibilité. Un hashtag #chimera serait mis en place permettant aux riverains, arpentant la ville et prenant en photo ces dispositifs, de constituer toute une banque d’images montrant la ville sous un nouvel angle. La culture visuelle des skateurs étant très poussée, beaucoup d’entre eux se filment dans la rue et publient sur les réseaux sociaux, la diffusion du projet n’en sera que gagnante. Le partage de ce contenu renseignera et diffusera les lieux d’installations de ces “chimères “. Par ailleurs, pour atteindre encore plus de riverains, une campagne print sera alors effectuée et distribuée dans le secteur d’implantation de la “chimère”. Expliquant alors le concept et l’intérêt de cette structure, ainsi que des emplacements de certaines autres, engendrant une prise de conscience et une motivation à découvrir la ville sous un nouveau jour. Des événements pourront y être organisés, invitant skateurs et riverains, comme par exemple le “Chimera Tour”, visant à arpenter la ville en se baladant de “chimère en chimère”.

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Conclusion


CONCONCONCLUCLUCLUSION SION SION Skate & espace public

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CONCLUSION En analysant les deux milieux qui nous intéressent, nous avons pu mieux comprendre leurs enjeux respectifs. Dans le domaine du skateboard nous nous sommes rendu compte que, déjà dans le passé, ce sport intégrait une vraie notion de marginalité et de liberté pour ses pratiquants. Puis en observant son évolution au fil des années, nous nous sommes rendu compte de son expansion et de son importance dans la société de nos jours, avec ses codes, ses usages et son mode de vie. Ayant maintenant mieux compris l’histoire et la vision du skate nous nous sommes attardés sur leurs lieux de pratique. Nous avons discerné deux grandes parties, les skateparks et l’espace public, de suite nous sommes rendu compte des problématiques liées à ces skateparks et qu’en fait une grande partie des skateurs préfère skater dans la rue, mais pourquoi cela ? Légitimement, nous nous sommes intéressés à la notion d’espace public. Après avoir étudié ses différentes versions dans les domaines de la philosophie, sociologie et de l’urbanisme, nous sommes arrivés à un terme signifiant un lieu public, d’échange et de diversité sociale, contenant des formes et des usages bien définis. Lors de cette étude nous avons remarqué un pilier essentiel de cet espace public, le mobilier urbain. En s’intéressant de plus près, nous nous sommes rendu compte que ce mobilier était très connoté en termes d’usage. Pour les gens, un banc par exemple est fait pour s’asseoir et non pour autre chose. De ce fait il n’est pas “logique” pour certains que ce banc soit utilisé allongé par les sdf pour dormir. Mais nous avons aussi, au cours de ces années, remarqué une large évolution de ce mobilier. Aujourd’hui il ne répond plus seulement à des usages publics mais bien privés. C’est tout naturellement que l’on s’est projeté dans le temps en observant les nouvelles visions concernant ce mobilier urbain, visant à revaloriser les interactions sociales, perdues au fil du temps, dans l’espace public. Nous avons alors découvert la notion de ludification, qui en ajoutant un côté “fun” et nouveau à cet espace, permet d’apporter une nouvelle vision de la ville pour les riverains, et les invitent à arpenter cette nouvelle ville grâce à des moyens de transport doux. Cela fait de celle-ci un nouveau “terrain de jeu” pour ses usagers, en leur permettant de nouveaux usages et possibilités dans leur quotidien.

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Conclusion


Ayant analysé un par un ces deux milieux, nous nous sommes rendus compte qu’ils étaient étroitement liés. Nous nous sommes donc penchés sur la notion du skate street et de son impact sur son environnement. Grâce à cette étude, nous avons pu déceler des tensions entre riverains et skateurs, en analysant certaines grandes villes nous avons observé l’apparition des anti-skates, voir même d’interdictions à la pratique. En effet, les riverains voient le skate comme une pratique seulement symbole de subversivité et ne comprennent pas forcément pourquoi des jeunes peuvent rester sur une place pendant des heures “à ne rien faire”. De même le fait que les skateurs utilisent le mobilier urbain comme modules de skate et non pas comme il est “normal” de le faire, pose problème. Malgré cela nous avons remarqué une certaine évolution des mœurs concernant la pratique du skate, aujourd’hui l’on peut comprendre ce phénomène par le simple fait que le skate soit reconnu et admis aux Jeux Olympiques de 2020. Après avoir analysé la perception des riverains, il nous a fallu mieux comprendre celle des skateurs, nous nous sommes donc intéressés à leur vision de l’espace public. C’est ainsi que la notion de détournement nous fit mieux comprendre cette vision. Pour un skateur, un banc s’il est skatable devient alors un “curb”, si une rampe d’escalier est skatable alors elle devient à son tour un “hand-rail”. Le skateur en effet voit la ville différemment comme s’il avait un filtre devant les yeux. En plus de cela il l’utilise autrement par son arpentage constant de la ville et sa pratique non-consumériste de cette dernière. C’est alors que nous nous rendons compte des similitudes entre skate et ludification.

Tout deux regroupent les mêmes notions, arpentage de la ville grâce à un moyen de transport doux, une nouvelle vision de la ville, détournement du mobilier urbain, création de nouveaux usages, un côté “fun”, en de nombreux points ils se retrouvent. L’association de la ludification et de la pratique du skate semble donc un bon mélange pour mieux faire cohabiter skateurs et riverains dans ce même espace public. Pour cela nous avons en amont, suite à toutes ces recherches, défini que notre cible en effet devait être les skateurs mais aussi surtout les riverains. Aucun d’entre eux ne devait être mise à l’écart, c’est donc naturellement que la création d’un dispositif hybride mêlant mobilier urbain et module de skate semble alors logique, permettant aux deux parties de nouveaux usages et une perception de la ville différente. Grâce au projet C H I M E R A, les deux parties y trouvent un intérêt, pour les riverains un

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apport en mobilier dont ils ont besoin et la redynamisation de certaines zones délaissées et ainsi pour les skateurs de nouveaux modules permettant de nouvelles prouesses et détournements. Ces dispositifs seront donc créés en fonction des besoins des usagers et ne seront donc pas connotés plus par l’usage du riverain que celle du skateur, ce seront des “chimères” visant à améliorer au fil du temps la cohabitation entre riverains et skateurs. En étudiant les deux marchés dans lesquels s’inscrit le projet, il semble donc pertinent de faire une collaboration avec une ou des marques de skate, apportant poids et solidité au projet et ainsi permettant une plus facile insertion sur le marché public. Il sera donc aussi question de diffusion, augmentée grâce aux différents sponsors permettant aux “chimères” de voyager à travers le monde et étudier leurs impacts dans différentes grandes villes. Nous espérons qu’avec l’aboutissement de ce projet, cela améliore la situation entre riverains et skateurs. Mais du fait du caractère humain et social de la problématique, nous avons donc bien conscience que ce projet ne pourra pas tout résoudre du jour au lendemain. Nous voyons donc ce projet comme une pierre à l’édifice permettant, à son niveau, de faire évoluer les mentalités concernant la pratique du skateboard dans l’espace public.

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Conclusion


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ANNEXES retro-planning

Décembre TACHES

S1

- Idéations Chimères - Design Chimères - Réalisation cartes mobilier/modules - Atelier co-conception - Design Chimères 3D - Maquette Chimères - Test Fingerboard - Identité visuelle - Making of Instagram - Making of Vidéo - Prototype echelle 1:1 - Stand grand projet - Recherche collab’ - Événement premiers tests

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Annexes

S2

S3

Janvier S4

S1

S2

S3

Février S4

S1

S2

S3

S4


Mars S1

S2

S3

Avril S4

S1

S2

Mai S3

S4

S1

S2

Juin S3

S4

S1

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S2

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S3

S4


design chimères Recherche de formes «utile et skateable»

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Annexes


Design chimère dÊtournement poubelle

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Chimère n°1 «Poubelle et Quarter»

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Annexes


Chimère n°2 «Banc et Curb»

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mood board chimères

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Annexes


mood board identitĂŠ

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pistes identité visuelle

CHIMERA

CHIMERA

C H M R

CHIMERA

CHIMERA

CHIMERA

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Annexes

CHIMERA

CHIMERA

CHIMERA


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BIBLIOSITOGRAPHIE 1 - FISE http://blog.lefigaro.fr/sport-business/2014/02/les-sports-extremes-surfent-sur-la-vague-du-succes.html Le Figaro / 2014 2 - Industrie de la glisse https://www.lesechos.fr/18/06/2010/LesEchos/20701-099-ECH_malgre-la-crise--l-industrie-de-la-glisse-a-retrouve-son-allant.html Les Echos / 2010 3 - Historique du skate «Chronologie lacunaire du skateboard» Raphaël Zarka / 2009 4 - Culture skate http://www.soonnight.com/paris/mag/actualites/le-skateboard-une-culture-urbaine-un-sport-un-art,28,22516.html Soonnight / 2009 5 - Histoire skate https://www.skatedeluxe.com/blog/fr/wiki/skateboarding/histoire-de-skateboarding/#From-the-1990s Skatedeluxe / 2009 6 - Skate underground http://www.lesarchivistes.net/la-culture-skateboard-retour-sur-le-devant-de-la-scene-underground/ Les archivistes / 2009 7 - Au coeur du skate http://www.theriderpost.com/disciplines/urban/plongez-au-coeur-de-la-fabrication-d-un-skate/ The rider post / 2013 8 - La saga du skate https://www.superprof.fr/blog/decouvrez-la-saga-comptemporaine-du-skate/ Superprof / 2016 9 - Une pratique urbaine http://www.hommes-et-migrations.fr/docannexe/file/1226/1226_05.pdf CNRS / 2000 10 - Le skate et la ville http://terrain.revues.org/2843 Revues Terrain / 1995 11 - La glisse «Des sports» Cristian Bromberger / 1994

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Biblio-sitographie


12 - Du sport à l’art http://www.lemonde.fr/culture/article/2011/06/11/le-skateboard-du-sport-a-l-art_1535004_3246.html Le Monde / 2009 13 - Jim Phillips http://artistes.le-site-du-skateboard.com/jim-phillips/ Le site du skateboard / 2009 14 - Conseil pour skatepark http://www.abcskatepark.com/ ABC skatepark / 2017 15 - Un acteur, la mairie https://www.acteursdusport.fr/article/les-communes.7447 Acteurs du sport / 2005 16 - No to modular park https://www.skatepark.org/park-development/vision/2012/09/just-say-no-to-modular-skateparks/ Skatepark.org / 2012 17 - Augmentation budget http://www.sports.gouv.fr/presse/article/Un-budget-2017-en-augmentation-de-8 Ministère des sports / 2017 18 - Une nouvelle vision http://www.constructo.fr/page-d-exemple/presentation/ Constructo / 2017 19 - Définir l’espace public http://hypergeo.eu/spip.php?article482 Hypergeo / 2014 20 - Espace public et société «Le passant considérable. Essai sur la dispersion de l’espace public» I. Joseph / 1984 21 - Espace et politique «Les espaces publics dans les politiques métropolitaines» A. Fleury / 2007 22 - Le sens de la ville « Réinventer le sens de la ville. Les espaces publics à l’heure globale» M. Lussault / 2001

Skate & espace public

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23 - Un espace social «The Fall of public man» R. Senett / 1977 24 - Fonction d’usage http://schenfele.free.fr/files/doc_6/01_ACT6_fonctions.pdf JPS Maramet / 2006 25 - Mobilier et lien social http://www.sineugraff.com/IMG/file/presse/Espaces-Verts-Le-mobilier-urbain-vecteur-de-lien-social.pdf Sineugraff / 2011 26 - Ludification http://territoires.blog.lemonde.fr/2013/05/21/ludifier-lespace-public-pour-inciter-les-citadins-a-pratiquer-la-ville-lexemple-par-le-mobilier-urbain/ Le monde / 2013 27 - Parking terrasse http://dientre.com/projets/2012/11/terrasse-stationnement/ Dientre / 2012 28 - Bancs Ludiques http://www.romainbenard.fr/portfolio/bancs-publics-bancs-ludiques/ Romain Benard / 2013 29 - Législations skate https://www.superprof.fr/blog/skater-dans-un-espace-public Superprof / 2016 30 - Skate à Bordeaux http://gasr33.e-monsite.com/blog/bordeaux-les-regles-pour-le-skate-en-ville-sont-assouplies-le-temps-d-un-test.html GASR / 2017 31 - L’influence de l’espace «En flat ou sur les curbs, l’influence de l’espace sur les interactions sociales chez les skaters montpelliérains» Julien Laurent / 2010 32 - Banc anti-SDF http://blog.francetvinfo.fr/bureau-londres/2014/06/20/a-londres-des-bancs-anti-sdf-et-anti-skaters.html France Info / 2014 33 - Accidents liés au sport http://inpes.santepubliquefrance.fr/70000/dp/99/DP991105.pdf INPES / 1999

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34 - Skate aux J.O. https://www.lequipe.fr/Adrenaline/Skateboard/Actualites/Le-team-skateboard-france-aux-jo-2020/806068 L’equipe / 2017 35- Avis sur les J.O. https://www.lequipe.fr/Adrenaline/Tous-sports/Actualites/Jeux-olympiques-le-monde-du-skateboard-divise-en-deux/718760 L’equipe / 2016 36 - Skate à l’école, Suède http://www.theriderpost.com/lifestyle/bienvenue-a-bryggeriets-premiere-ecole-skateurs/ The rider post / 2016 37 - Skate à l’école, France http://laskateboarderie.com/2017/02/01/une-section-skate-dans-un-college-lycee-a-bordeaux/ La skateboarderie / 2017 38 - Ville ludifiée http://owni.fr/2010/11/04/ville-ludifiee-ville-lubrifiee/ OWNI / 2010 39 - Redéfinir par le skate http://florlecam.com/ULB/?p=1598 Florlecam / 2011 40 - Skateable sculpture http://www.journal-du-design.fr/architecture/skateable-sculpture-par-rich-holland-24882/ Journal du Design / 2012 41 - Skate in space «Skateboarding, space and the city» Ian Borden / 2001 42 - Transports Doux https://www.decathlon.media/dossier-presse/mobilite-urbaine/sport-et-ville.html Decathlon / 2015 43 - Ludifier nos villes «Comment “ludifier” nos villes «? Sonia Lavadinho et Yves Winkin / 2009 44 - Paving Space http://deparisyearbook.com/paving-space/ DeParisYearBook / 2016

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45 - Budget Paris 2016 https://www.youtube.com/watch?time_continue=56&v=Eu6zc_kDa3k Mairie de Paris / 2015 46 - Plan investissement http://www.leparisien.fr/paris-75/paris-75005/budget-de-la-ville-de-paris-c-est-reparti-pour-un-trou-10-06-2015-4850963.php Le Parisien / 2015 47 - Plan investissement https://www.paris.fr/actualites/le-budget-a-paris-comment-ca-marche-2998 Mairie de Paris / 2017

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VALENTIN PEULMEULE

www.valentinpeulmeule.com 3 passage Saint Antoine 75011 Paris 0644880490



VALENTIN PEULMEULE 2017/2018

Ce mémoire résulte d’un constat particulier d’un manque de cohabitation entre skateurs et riverains. C’est ainsi qu’en s’intéressant à leurs enjeux respectifs, nous apercevons que tous deux se rencontrent dans un seul et même lieu, l’espace public. Une réflexion s’est donc portée sur la pratique du skateboard ainsi que l’espace public, afin de mieux comprendre leurs origines et leur trouver des liens, permettant par la suite de conceptualiser une solution pour améliorer les relations entre skateurs et riverains. La notion de ludification fit son apparition dans l’étude de l’espace public et de son futur, et ainsi grâce à nos observations sur la pratique du skate nous pouvons faire le parallèle entre les deux. Il fallait alors mêler riverains et skateurs en leurs apportant des nouveaux usages et intérêts en commun. Voici comment le projet C H I M E R A est né et qui aujourd’hui propose l’installation de dispositifs urbains hybrides entre mobilier urbain et module de skate.


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