Utopie, ville et modèle de société.

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UTOPIE, VILLE ET MODÈLE DE SOCIÉTÉ. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Mémoire de fin d’étude - Valentine DUFRASNE Faculté d’Architecture La Cambre-Horta 2018

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UTOPIE, VILLE ET MODÈLE DE SOCIÉTÉ. Qu’en est-il aujourd’hui ?


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Mémoire en fin de cycle dans le but de l’obtention du grade de master en architecture. Etudiante : Valentine DUFRASNE Promoteur : Luc DELEUZE Faculté d’architecture La Cambre Horta Université Libre de Bruxelles


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L’utopie et la société idéale existent peut-être mais il faudrait pour les accomplir sortir du genre humain, […] Swift évoquait une race de chevaux raisonnables, les Houyhnhnms1.

Utopie Smart city écoquartier écovillage Ville intelligente

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La race de chevaux raisonnable « qui ont reçu en partage une disposition naturelle à toutes les vertus, et n’ont aucune notion, aucune idée, de ce que serait le mal dans une créature rationnelle, leur grand principe étant qu’il faut cultiver la raison et se laisser entièrement gouverner par elle » in TROUSSON, Raymond, Voyages au pays de nulle part, Ed. L’université libre de Bruxelles, 1975.


TABLE DES MATIERES


INTRODUCTION

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UTOPIE 12 VILLE

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SOCIETE CRITIQUE

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Quel idéal pour aujourd’hui ? L'ESPACE MODELE

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Ville intelligente, « Smart city »

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Eco-initiatives citoyennes

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Ecolieux : écoquartiers, écovillages

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DETOUR HISTORIQUE

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Renaissance XV-XVIe siècle

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Les villes idéales XVe siècle

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Hippodamos de Milet (Ve siècle AJC)

44

Le siècle des lumières XVIIIe siècle

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Révolution industrielle XXe siècle

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Charles Fourier (1772-1837)

51

Ebenezer HOWARD (1850-1928)

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PROPOSITION D'UN AILLEURS

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Les éco-initiatives citoyennes

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Ecoquartier « Bo01 »

63

Écovillage « Eotopia »

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Conclusion 82 Les Villes intelligentes

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Smart city : la « ville ancienne » de Barcelone

83

Smart city : la ville nouvelle de Songdo

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Conclusion 100 CONCLUSION GENERALE

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BIBLIOGRAPHIE

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Périodiques

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Mémoire / TFE

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Podcast et documentaire

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Sitographie

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REMERCIEMENTS

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Quelles sont les utopies de demain ? Pouvons-nous encore rêver d’un dessein collectif ? Comme à chaque époque lourde de bouleversements et de défis, de nouveaux modèles de sociétés se dessinent à l’horizon. L’explosion démographique du XXIe chamboule nos villes en quête de nouveaux schémas directeurs. Intégrant les nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication afin d’optimiser la qualité de vie de ses habitants, les Smart cities (Villes intelligentes), progressent partout dans le monde. Prônant un retour à la nature dans la ville et un impératif de décroissance pour préserver ce qu’il reste du monde vivant, les éco-initiatives citoyennes, fleurissent à chaque coin de rue. Entre croissance et décroissance, expansion et retenue, nature et artifice, économie et citoyen, individualisme et collectivisme, technologie et artisanat, machine et humain, il semblerait que deux perspectives s’esquissent.


INTRODUCTION


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Quel travail mérite nos vies ? A l’aube de mon grand saut dans le monde du travail, celui auquel je vais dorénavant offrir la plus grande partie de mon temps de vie, des questions émergent : si le travail aujourd’hui tend à nous définir en tant que personne, à quelle personne ai-je envie d’aspirer ? Quels défis ai-je envie de me lancer ? Et surtout, pour ne pas me perdre, quel sens, quelle ligne directrice ai-je envie d’une part de définir, d’autre part, de m’efforcer à suivre ? S’il m’est encore possible de rêver, d’ouvrir des impensés, l’Utopie, ce « lieu de nulle part » est pour moi la branche à interroger afin d’explorer ces quêtes d’un monde meilleur tant de fois inventées, parce qu’elles ont tout à voir avec l’architecture qui nous anime, celle qui construit l’avenir. Dans ce mémoire, je m’intéresserai aux projets qui s’imaginent, se construisent pour demain, et dont selon moi deux grandes idées se dégagent : les macro/megalo villes soit les Villes intelligentes et les microprojets, les villes inachevées soit les éco-initiatives citoyennes. Quelles possibilités s'offrent à nous aujourd'hui ? Qu'est-ce qui est à prendre ? Qu'est-ce qui est à craindre ? Je retracerai l’héritage de ces notions, car il n'y a pas de projet crédible sans conscience de son histoire, en essayant de retracer à travers certains projets phares, l'origine de ces deux familles. Ensuite, nous verrons concrètement comment ces notions au travers de leurs histoires se traduisent dans nos sociétés.


UTOPIE


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Le mot Utopie , du grec eu-τόπος, dont l’adjectif, eu, signifie « bon » et qui associé au nom commun τόπος, peut se traduire par « lieu du bonheur » ; ou alors de u-τόπος, où le u privatif toujours combiné au nom « τόπος », peut être interprété comme le « lieu de nulle part » - on notera en outre que Thomas More nomme son île d’Utopie, dans ses échanges écrits avec son ami Erasme, « Nusquama » qui en latin signifie « Pays de nulle part » -. Ce terme apparaît donc pour la toute première fois en 1516 lors de la première édition du livre éponyme de Thomas More1, dont le nom complet en latin « De optimo reipublicae statu deque nova insula Utopia » énonce « La meilleure forme de la communauté politique et la nouvelle île d’Utopie »2. L’appellation d’Utopie, a depuis reçu bon nombre de sens, de valeurs, de significations, c’est un mot porteur d’histoire et qui, imprégné d’une tendance lourde, ne finira peut-être jamais d’évoluer à travers les époques. Le terme se définit, entre autres, actuellement comme suit ; « Projet dont la réalisation est impossible, conception imaginaire »3. C’est cette tendance à faire abstraction de la réalité, à la refuser, qui est à présent communément appelé Utopie. « Un projet utopique » est alors aujourd’hui teinté de cynisme et a un aspect quelque peu péjoratif. Or, Thomas More et les auteurs qui ont emprunté ce mot voulaient plutôt élargir le champ des possibles puisque l’utopie ne relève pas de l’impossible mais au contraire de la possibilité offerte par la fiction de heurter le présent. « L’utopiste s’autorise à voir le monde tel qu’il est vraiment, afin de pouvoir le changer »4. 1

Thomas MORE (1478-1535), écrivain humaniste, théologien et homme politique anglais, il est nommé chancelier du roi par Henry VIII et meurt guillotiné sous ses ordres après avoir défié son auorité religieuse. 2  Traduction de Jean SERVIER, 1991 in CLARK, Ben, Utopies, distances et décentralisations : Jean Hensens et les échelles du commun, Ed. Université libre de Bruxelles, 2017. 3  Dictionnaire français petit Larousse, https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/utopie/80825 [consulté le 16 Juillet 2018] 4  CARON, Aymeric, Utopia XXI, Ed. Flammarion, 2017, p.11.


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UTOPIE

Les utopies ont donc toujours été en lien avec le réel de telle manière que ce lieu du bonheur et simultanément de nulle part, se manifeste à chaque époque car l’homme face à sa situation, s’est toujours plu à imaginer un monde meilleur à la fois né de son imagination et profondément ancré dans son temps. Et si ce lieu n’est de nulle part, c’est probablement que l’utopie ne prétend pas être une réponse mais un questionnement. « On appellera utopie la distance qu’une société est capable de prendre avec elle-même pour feindre ce qu’elle pourrait devenir »1. On voit donc cette tendance dès l’apparition même du mot Utopie, puisqu’à travers son livre Utopia, l’humaniste anglais Thomas More, tente de mettre en forme une espérance universelle, celle d’une société idéale en réponse à la crise sociétale qu’il est en train de vivre. Nous sommes à l’époque d’Henri VIII, et l’aristocratie voit dans l’industrie lainière en plein développement, un moyen de se faire beaucoup d’argent. L’accomplissement du besoin de la haute bourgeoisie aboutira à une réorganisation totale du monde rural ; toutes les fermes seront remplacées par de grands pâturages destinés à l’élevage de moutons2. Le manque de diversité et la surpopulation animale conduira à de grandes épidémies aussi mortelles que ravageuses, elles feront chuter brutalement la production et provoqueront d’importantes crises économiques. Cet abus sociétal verra donc une grande partie de la population rurale sombrer dans la misère, la privant de tout moyen de subsistance. Beaucoup de villages s’écrouleront. C’est dans ce contexte de capitalisme naissant que Thomas More dénonce un régime autoritaire et injuste. Il imagine, espère un monde meilleur, et entreprend dès lors la projection d’une organisation sociale idéale, une société modèle qui serait tout le contraire de la sienne.

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SCHAER, Roland, Utopie la quête de la société idéale en Occident, Ed. Bibliothèque nationale de France, 2000, pp. 16-19 2  C’est le phénomène des enclosures où les nobles s’approprieront les terres que des paysans habitaient et cultivaient.


Fig. 1 : gravure d'Ambrosius HOLBEIN extraite d'Utopia de Thomas More, 1518.


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UTOPIE

Toutefois, si le mot Utopie n’a été inventé qu’en 1516, on peut déjà trouver la source du genre textuel dans l’Antiquité chez Platon qui décrit l’Atlantide, dans Timée et Critias (421-415 AJC). Platon dépeint une civilisation dont la prospérité éblouissait toutes les autres. Une civilisation faite de dirigeants descendant du Dieu Poséidon et dont la sagesse et la tempérance leur permirent de diriger vertueusement l’Ile de l’Atlantide (situé par Platon à l’Ouest du Détroit de Gibraltar, dans les années 9.500 AJC). Mais voilà qu’un jour, les générations passant, les Atlantes devinrent plus humains que divins, convoitise et orgueil finirent par dominer leur comportement. Après avoir conquis de nombreuses terres voisines, ils affrontent la Grèce archaïque. Les grecs parviennent à vaincre les Atlantes juste avant que les deux cités ne soient englouties par un cataclysme déclenché par Zeus, roi des dieux, qui avait décidé de les châtier pour les ramener à plus de modération. Bien sûr ce mythe nous renvoie à l’acte d’hubris1, le plus grand des péchés dans l’antiquité mais il nous montre aussi que Platon dénigre quelque peu la société et ses contemporains en les mettant en garde de ne pas tomber dans la facilité, la convoitise et l’orgueil à l’instar de leurs ancêtres. L’origine architecturale du genre néanmoins, apparaît bien en même temps que le livre de Thomas MORE, où l’on constate, notamment à travers les écrits de Françoise CHOAY, que la description et l’importance du territoire ainsi que son organisation spatiale sont primordiales. Or, chez Platon, l’espace ne peut être idéal car son organisation en soi est la raison même de la déperdition des hommes. Il voit un danger dans l’acte seul de bâtir. A l’inverse, bien qu’il soit conscient des risques que l’élaboration de l’espace engendre, Thomas MORE, éclairé par les caractéristiques de la Renaissance qui lui sont indissociables - à savoir : la naissance de la perspective qui permet de représenter l’espace tel qu’il est vraiment et change la conception de l’ordre, le changement de la figure de l’architecte qui prend désormais entièrement part au processus de

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Le pêché d’orgueuil


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la construction, de même que le plan qu’il établit et qui, à travers le prestige accordé aux mathématiques et à la géométrie, acquiert de plus en plus de valeur. -voit de réelles qualités dans l’espace qui offre des possibilités infinies et complexes. « Pour le philosophe grec l’espace n’a pas d’être propre, qu’il est pour les hommes l’occasion par excellence de leur déperdition. Cette vocation maléfique de l’espace, la prévalence de sa face négative reçoivent sans doute leur expression la plus vigoureuse dans le mythe des Atlantes du Critias […] En confrontant l’austérité de la cité primitive de Poséidon, entièrement fermée sur ellemême, à la splendeur de la capitale en permanente expansion qu’elle est devenue grâce à l’art des Atlantes, Platon entend désigner et stigmatiser la perversité du bâtir. La sophistication de son organisation ouverte au devenir et la somptuosité de son architecture signent la perte d’une société que son hubris conduit à la catastrophe « Et chaque roi, en recevant [le palais] d’un autre roi, embellissait les embellissements antérieurement réalisés, enchérissant toujours autant qu’il le pouvait sur son prédécesseur » (op.cit., 115c). Pour More, quels que soient ses dangers et ses mirages, l’espace est réellement ambivalent. Il comporte une face authentiquement bénéfique »1 Nous pouvons désormais faire les constatations suivantes : les utopies sont attachées à la notion de modèle spatial, elles sont inévitablement liées à leur époque et elles relèvent de la critique sociale ou politique. Dès lors, nous pouvons attribuer à la définition de l’utopie certains moments qui, selon Françoise CHOAY se présentent selon le schéma suivant :

• Société critique : on remet en cause la société. • Espace modèle : on imagine un espace pour cette idée. • Société modèle : on traduit l’idée dans la ville, à travers l’urbanisme, etc. 1  CHOAY, Francoise, La Règle et le Modèle. Sur la théorie de l’architecture et de l’urbanisme, Nouv. Ed. Le Seuil, 1996, p.52.


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UTOPIE

Nous rencontrons une proposition plus ou moins semblable chez Henry LEFEBVRE1 :

• La connaissance et critique du réel • L’exploration des possibles • La proposition d’un ailleurs Gardons donc en tête ces trois règles indissociables de l’utopie afin de pouvoir ensuite analyser les projets d’hier et d’aujourd’hui.

1  LEFEBVRE, Henri, Utopie expérimentale : pour un nouvel urbanisme, in Revue française de sociologie, n° 2-3, 1961, pp.191-198.



VILLE


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« Agglomération relativement importante et dont les habitants ont des activités professionnelles diversifiées. (Sur le plan statistique, une ville compte au moins 2 000 habitants agglomérés.) »1

« Les habitants des villes, par opposition aux gens de la campagne ou, jadis, de la Cour. »2 Depuis toujours, les êtres humains s’organisent en foyers d’habitations pour maximiser leur chance de survie. On trouve les premières traces de « villes » dès la fin de la préhistoire, là où les chasseurs cueilleurs d’abord nomades, ont fini par établir un camp qui deviendra village puis bourg pour enfin devenir, une ville. Les populations, après avoir assuré leur besoin premier de survie, se préoccupent ensuite d’améliorer leur qualité de vie, et c’est ainsi que depuis tous temps, les hommes se déplacent vers les villes dans l’espoir d’y trouver une meilleure qualité de vie mais aussi de meilleures possibilités d’emploi et d’éducation. On observe également que la ville est définie comme un acte de rupture avec la nature, opposée à la campagne. Les habitants ont des métiers spécialisés, artisans dans divers domaines, ils vont d’un point de vue économique produire des choses différentes et opposées au monde rural, à la campagne, donc au non urbain. La création d’une ville est un acte d’émancipation, elle deviendra le lieu de la culture et des manifestations de l’esprit alors que le village, étroit et niché dans la nature exprime une petitesse d’esprit et un stade de développement primitif déconnecté - ce principe est évidemment réducteur de la richesse réelle de la campagne, mais cette tendance à minimiser les attraits et l’intellect des habitants « sauvages » de la campagne par certaines personnes peut toujours être d’actualité -. La ville se délimite et son enceinte la protège de la violence de la nature. Elle s’affirme et se manifeste finalement comme la victoire de l’homme sur les éléments. 1

Dictionnaire français petit Larousse, https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/ville/82000 [consulté le 16 Juillet 2018] 2  Op.cit.


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VILLE

Et même si depuis tous temps, la Nature peut nous inspirer des songes, elle ne fait pas le poids face à l’attirance que la ville exerce sur nous. Au fil du temps, la ville n’a cessé de gagner du terrain, jusqu’à la furieuse poussée contemporaine de mégapoles que nous connaissons. Ainsi, aujourd’hui, plus de 50% de la population mondiale vit en zone urbaine1, et cette tendance ne fait que progresser d’années en années. En réalité, la ville, produit de l’homme, lieu de réalisation de l’humain, a en fait plus que tout autre lieu, à voir avec l’imaginaire, puisqu’elle est conçue et habitée par l’homme lui-même qui à travers elle, rêve de voir accomplir tous ses désirs. Jan Gehl, architecte, précise notamment cette notion lors d’une interview : « Les êtres humains se sont regroupés et on construit des villes pour pouvoir pleinement se rencontrer, et ensemble, développer la culture. Les villes ont joué un rôle majeur dans le développement des civilisations et je pense que cela va continuer. C’est un lieu de bouillonnement, de confrontation d’idées, d’accueil de la différence. […] »2 Nous verrons plus tard que c’est précisément cet antagonisme créé entre la ville et la campagne qui posera question et conduira à la proposition de nouveaux modèles de sociétés idéales intégrant une volonté de réconciliation entre la ville et la campagne.

1

Indique le service des populations du Département des affaires économiques et sociales de l’ONU dans l’édition 2014 du rapport sur les perspectives de l’urbanisation. http://www.un.org/fr/development/desa/news/population/world-urbanization-prospects.html [consulté le 10 Juillet 2018] 2  DION, Cyril, Demain : Un nouveau monde en marche, Ed. Actes Sud, 2015, p.136.



SOCIETE CRITIQUE


QUEL IDÉAL POUR AUJOURD’HUI

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Quel idéal pour aujourd’hui ? Nous allons désormais nous essayer, selon les étapes de l’utopie définies notamment par Françoise CHOAY que nous avons formulées plus tôt, à une critique de la société d’aujourd’hui pour ensuite nous efforcer à énoncer en quoi, selon nous, consistent les utopies actuelles. Nous sommes en pleine révolution numérique, dans une société post-industrielle, à l’heure de la mondialisation. La révolution numérique et la rapidité d’évolution des innovations technologiques influencent notre société et ont des conséquences notamment sur nos libertés et notre droit à la vie privée. En effet le citoyen, afin d’améliorer sa condition de vie, est considéré aujourd’hui, pour son bien, comme un producteur de données. Il est en permanence pisté, « observé ». Cela lui permettra par exemple, de trouver plus facilement une place de parking ou de recevoir des informations et publicités plus ciblées, insérant ses goûts et ses habitudes de consommations. D’un point de vue social, en accord avec la société capitaliste dans laquelle nous vivons, la révolution numérique préconise la performance et nous charge d’informations afin de nous rendre plus efficaces, plus polyvalents, plus connectés. Les milliards de réseaux, de puces, de capteurs, de transmetteurs et d’écrans font maintenant partie de nos vies. Et pourtant, comme l’évoque le documentaire Arte « Hyperconnectés : le cerveau en surcharge », de plus en plus d’études démontrent les effets néfastes de cette connectivité sur notre cerveau (état de fatigue mentale, augmentation du stress et du risque de burn-out au travail, etc.). Les sollicitations externes liées à l’hyper connexion (email, smartphone, etc.) monopolisent jusqu’à un tiers des prestations du travailleur moyen. Désormais, les moyens de communications nous rendent joignable à tous moments, en tout lieu, à tout instant. Cependant, il semble qu’aujourd’hui il soit de plus en plus difficile de se parler, de se découvrir, d’imaginer un dessein collectif. Nous sommes, semblet-il, en manque d’utopie mobilisatrice.


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SOCIETE CRITIQUE

« Bien sûr, on pourrait dire aujourd’hui qu’avec les moyens numériques nous pouvons entrer en communication sans nous voir. Mais les possibilités physiques et interpersonnelles de la rencontre sont fondamentales dans le développement de nos sociétés. La communication indirecte ne pourra jamais remplacer la communication par le dialogue, face à face »1 La croissance et le profit « travailler plus pour gagner plus »2, nous obligent à être de plus en plus compétitifs et donc plus individualistes dans une société de la performance. Par ailleurs, alors qu’on exige du citoyen qu’il travaille plus, l’emploi disponible tend à disparaitre en raison du progrès technologique. Ceci n’est bien sûr pas nouveau, au début du siècle dernier ce constat était déjà bien réel. Il était d’ailleurs le thème de nombreux débats, et au comptoir des cafés, et lors des dissertations bien pensantes de nos parents. Il devient également difficile de prendre du temps pour soi et pour les autres, de penser à ce qui serait mieux pour nous, de nous intéresser à la politique, à la culture, etc. . Nous restons en quelque sorte passifs face à ce qui paraît aujourd’hui être le seul système possible, qui à force de volonté de croissance détruit l’environnement, provoque des guerres liées au contrôle des énergies des minerais, mène au réchauffement climatique et à une perte de la biodiversité. Ces effets et les problématiques récentes telles que l’écologie, la surpopulation, la pollution généralisée, les élevages intensifs et l’usure trop rapide des ressources naturelles tendent cependant à une prise de conscience collective. Elles inquiètent et appellent à des changements politiques mais aussi et surtout pour l’instant, à de plus en plus de soulèvements citoyens qui prônent la solidarité,

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DION, Cyril, Demain : Un nouveau monde en marche, Ed. Actes Sud, 2015, p.141.

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SARKOZY Nicolas, Slogan de sa campagne présidentielle de 2007


QUEL IDÉAL POUR AUJOURD’HUI

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le partage et le respect de la planète et du vivant. Nous pensons notamment au mouvement les indignés1 d’il y a quelques années et plus récemment aux plateformes citoyennes2 où de simples citoyens décident, en dépit de l’ordre établi, de se réunir et d’agir.

1  HESSEL, Stéphane, Indignez-vous. Ed. Lepetitlitteraire, 2014. Stéphane HESSEL, co-rédacteur de la Déclaration universelle des Droits de l’homme, appelle, dans son petit essai Indignez-vous, à "ne pas démissionner, ni à se laisser impressionner par l’actuelle dictature internationale" 2  Chez nous en Belgique sur facebook, une plateforme créée pour acceuillir les migrants


L'ESPACE MODELE


VILLE INTELLIGENTE, « SMART CITY »

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La proposition d’un ailleurs en tant que modèle de société peut aujourd’hui être représentée par deux tendances que nous différencierons ici sous les noms de Ville intelligente (Smart city) et d’éco-initiatives citoyennes. Nous commencerons par les définir brièvement afin de prendre connaissance des caractéristiques qui les définissent.

Ville intelligente, « Smart city » Le concept de Ville intelligente apparaît en réponse à la révolution numérique et à toutes les problématiques que rencontre la ville d’aujourd’hui, notamment et surtout la question de la croissance démographique, puisqu’en 2050 ce ne sera plus 50%, mais 70% de la population mondiale qui peupleront les villes. En sachant que les villes n’occupent que 2% de la surface terrestre mais consomment plus de 80% de l’énergie et produisent 60% des émissions mondiales de gaz à effet de serre1, il paraît impératif de préserver et organiser leurs ressources et de rapidement relever ce défi politique, sociétal et environnemental. C’est dans ce concept que la ville intelligente, d’origine anglo-saxonne est apparue et ce déjà à partir des années ‘80 dans les mégalopoles d’Asie comme Hong Kong ou Singapour, où l’on retiendra entre autres, le projet Supertrees - qui équipa la ville entière d’arbres artificiels de presque 50 mètres de haut, munis d’un système de récupération d’eau pluviale et recouverts d’une espèce de peau vivante et de cellules solaires, offrant un soutien aux plantes, tout en éclairant la ville et régulant la température -. Les villes intelligentes fleuriront ensuite en Corée du sud et dans les émirats pour finalement arriver en Europe, où semble-t-il l’approche de la Smart city est quelque peu différente puisqu’elle choisit d’adapter ces nouvelles technologies et leur évolution aux particularités culturelles et territoriales que chacune des villes possède. La notion d’intelligence comprend notamment l’efficience énergétique, la mobilité douce, l’habitat intelligent et les réseaux intelligents. Le concept de Smart city se base principalement sur l’analyse et la valorisation des données qui permettront l’efficacité 1

https://fr.unhabitat.org/urban-themes/changement-climatique/ [consulté le 15 Juillet 2018]


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L'ESPACE MODELE

économique, environnementale et citoyenne : ces disciplines performeront en interrelation permanente. Le partage des données fait partie intégrante de la Smart city, il est destiné à visualiser et comprendre le fonctionnement ainsi que les disfonctionnements de toute la société et ses besoins. A partir ces informations, il convient de trouver de nouveaux services « intelligents ». Le concept s’applique plus généralement aux grandes villes et mégapoles suivant les principes traditionnels néo-libéraux de croissance, de compétitivité et de développement urbain. En réponse à une analyse critique, la ville intelligente tente donc de rassembler des convaincus ou d’éradiquer des dangers afin de créer une nouvelle ville, plus connectée, plus durable tout en utilisant les nouvelles technologies. On définira ici la Smart city comme : « une ville intelligente et durable, une ville novatrice qui utilise les technologies de l’information et de la communication (TIC) et d’autres moyens pour améliorer la qualité de vie, l’efficacité de la gestion urbaine et des services urbains ainsi que la compétitivité tout en respectant les besoins des générations actuelles et futures dans les domaines économique, social, environnemental et culturel»1.

Selon Rudolf GIFFINGER2, les villes intelligentes peuvent être classées selon six critères principaux ; • Une économie intelligente ou « smart economy » : Cette économie est fondée sur la productivité, l’esprit d’innovation et d’entreprenariat. Elle se doit d’être performante et attrayante au niveau international et jongler avec une interconnexion entre le monde local et le monde globalisé.

1  Bien qu’il n’existe pas une seule définition de la smart city, le groupe spécialisé de l’Union Internationale des Télécommunications (UIT) sur les villes intelligentes et durables a approuvé cette définition en octobre 2015. in Smart cities : le futur de la ville, les villes du futur, les villes du futur ?, Le magazine du conseil n°20, Septembre 2016, p.4. 2  Expert en recherche analytique sur le développement urbain et régional et professeur à l’université de Vienne. GIFFINGER, Rudolf, Smart cities – Ranking of European medium-sized cities, Centre of Regional Science, 2007.


VILLE INTELLIGENTE, « SMART CITY »

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• Une mobilité intelligente ou « smart mobility » : les utilisateurs des transports deviennent des producteurs de données et contribuent à améliorer la gestion du flux urbain. La mobilité intelligente a donc accès aux données de transport et à l’état de la circulation du réseau routier en temps réel, grâce à des écrans électroniques dans les stations, à des capteurs d’informations et à des caméras. • Un environnement intelligent ou « smart environnement » : Les nouvelles technologies permettent une protection et une préservation des ressources et milieux naturels ainsi qu’une diminution de la pollution. Via ces nouvelles technologies, comme les capteurs, senseurs, etc. Il est désormais possible d’économiser de l’énergie. • Une population intelligente ou « smart people » : Le citoyen occupe une place essentielle dans le fonctionnement de la ville. Il participe aux débats publics et à la vie de quartier à travers l’utilisation, la manipulation et l’analyse des informations disponibles grâce aux nouveaux outils technologiques. Il n’est plus consommateur de services mais partenaire du développement de sa ville. • Un mode de vie intelligent ou « smart living » : Ce mode de vie met en œuvre des moyens pour garantir un milieu de vie sécurisé dans une ville culturellement dynamique, offrant des services de santé et d’éducation. Les bâtiments sont aussi plus intelligents pour permettre d’améliorer la gestion de l’énergie et de réduire les consommations. • Une administration intelligente ou « smart governance » : L’administration intelligente permet une étroite collaboration entre les différents acteurs, publics et privés, et les citoyens. Les nouvelles technologies de l’information et des communications (TIC) aident à faire fonctionner la ville plus efficacement. Ces technologies sont déployées en complément d’une stratégie plus globale, basée sur la réponse aux besoins des citoyens sur le long terme.


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L'ESPACE MODELE

Après avoir éclairé le sujet des Villes intelligentes, nous allons désormais nous consacrer à définir ce que nous considérons comme être sa proposition antonyme : les éco-initiatives citoyennes.

Eco-initiatives citoyennes Ecolieux : écoquartiers, écovillages Ces initiatives ont le point commun de s’appuyer sur l’importance de conscientiser et responsabiliser le citoyen aux questions écologiques. Elles sont également généralement de taille modeste, de l’échelle du hameau, à l’échelle du quartier. Tantôt, en ville, de préférence en réhabilitant des espaces sinistrés en ensembles de logements coopératifs, où l’économie et les services sont centralisés, « locaux », afin d’éviter un maximum les transports motorisés de longue distance. Les écoquartiers tentent de végétaliser un maximum les villes, et s’efforcent d’assurer leur transition énergétique, en s’éloignant de la (grande) ville, qui ne cesse d’absorber les ressources de la planète et accapare la main d’œuvre en désertifiant au passage la campagne. Selon les adeptes des écovillages, la ville rend les humains de plus en plus indifférents les uns aux autres ; déconnectés de la nature, ils n’ont plus l’air de comprendre qu’ils dépendent d’elle pour survivre. La grande ville est inscrite dans un système de perpétuelle croissance auquel les défenseurs des écovillages ne croient plus. Le but des écovillages est donc de créer une société alternative, autosuffisante afin de s’essayer à faire mieux que « la grande société », en expérimentant, comme dans un laboratoire, des alternatives de constructions, d’économie et de société. L’ambition est d’avoir le plus faible impact sur l’écosystème et cela passe par la construction d’habitats légers et autonomes. On favorise alors la substitution, le réemploi, la réparation, l’utilisation partagée, le recyclage.


ECOLIEUX : ÉCOQUARTIERS, ÉCOVILLAGES

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Ces écovillages s’implantent le plus souvent en zone rurale au plus proche de la terre, des arbres, des champs et se regroupent en un petit collectif, partageant les mêmes visions ; partenaires d’un revival utopique avec un certain rejet de la politique descendante.

Enonçons à présent les caractéristiques des écoquartiers et des écovillages selon les critères principaux de la Smart City énoncés plus tôt. Ecoquartiers :

• Economie : mutualisation et proximité des services, mise en place d’une stratégie locale d’autosuffisance d’un quartier. • Mobilité : mobilités douces et site proche des transports en communs. • Environnement : activation des ressources et développement du potentiel socio-urbain du territoire de la ville et de son environnement, bonne gestion des déchets, des eaux et des réseaux de chaleur. Forte présence de la végétation. • Population : l’écoquartier va de pair avec l’implication de ses citoyens et leur adhérence aux exigences écologiques du quartier qui reposent sur leur participation. Il favorise la mixité socio-urbaine basée sur le développement de lien social et de l’écocitoyenneté. • Mode de vie : cohabitat, entraide et écocitoyenneté. Le quartier offre des fonctions de services locales liées à l’habitat comme les commerces, les écoles et les résidences hôtelières. Les bâtiments doivent répondre à un bon fonctionnement social, urbain et répondre aux exigences écologiques. • Administration, gouvernance : à l’échelle du quartier, l’administration se veut davantage renforcée par la coopération et l’implication des citoyens.


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L'ESPACE MODELE

Ecovillages : • Economie : modèle économique alternatif d’autosuffisance basé sur la circularité et la coopération. • Mobilité : douce. • Environnement : rural, afin de faire pencher la balance, ne souhaitent pas de peupler d’avantage les villes surpeuplés. • Population : un petit ensemble de personnes consentantes, décidées à proposer d’autres modes de vie favorisant la décroissance et l’impact minimal sur l’écosystème. • Mode de vie : entraide, collectivité. habitats légers et autonomes. • Administration, gouvernance : le collectif s’engage à décider et à construire ensemble… un défi dans notre société où l’individualisme prime. Mais en outre d’être un défi parfois difficile à relever, la collectivité est un atout : échange de connaissances, mutualisation des savoirs, partage d’outils et stimulation permanente.


ECOLIEUX : ÉCOQUARTIERS, ÉCOVILLAGES

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« Hier le progrès c’étaient les voitures, les immenses buildings. Aujourd’hui on le voit davantage en termes de bonheur, de santé. C’est la qualité qui remplace la quantité. Une fois les besoins immédiats acquis, les gens commencent à se demander ce qu’est une « bonne vie » et lorsqu’on regarde ce que le modèle d’hier nous propose à Miami ou à Los Angeles, avec tout ce trafic automobile, on peut être tenté de se demander : « est-ce vraiment la meilleure chose que l’humanité puisse faire pour nous ? »1

1  DION, Cyril, Demain : Un nouveau monde en marche, Ed. Actes Sud, 2015, p.142.


DETOUR HISTORIQUE


ECOLIEUX : ÉCOQUARTIERS, ÉCOVILLAGES

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Après avoir brièvement identifié les particularités des Villes intelligentes et des Eco-initiatives citoyennes, nous pouvons passer par un détour historique. À travers l’histoire de l’Utopie, les projets déjà imaginés, parfois édifiés, nous tenterons de discerner des courants de pensées qui se rapprochent des modèles de sociétés proposés aujourd’hui. Pour ce faire nous allons tenter de définir deux familles pouvant être identifiées dans le champ utopique comme ce que nous allons appeler d’une part, les Utopies étatiques, découlant d’une volonté politique, à la recherche de la constitution parfaite1 et de l’autre, les Utopies citoyennes, émanant d’une volonté d’émancipation sociale et de coopération.

Symbolique : la forme des villes On pourra distinguer, à travers les époques que la forme de l’espace modèle proposé diffère. À travers des observations analytiques, nous comprenons que la forme des villes n’est pas anodine, ni vide de sens, elle est d’ailleurs souvent intimement liée aux croyances et aspirations de l’époque. Elle pourra parallèlement parfois nous renseigner sur le type d’Utopie qu’elle présente et qui nous intéresse ; Utopie étatique ou Utopie citoyenne. Voici déjà quelques observations que nous pouvons exposer, notamment grâce aux divers écrits du professeur, urbaniste et architecte Jean DE SALLE. Ainsi, le cercle peut être considéré comme le symbole du ciel et des cycles cosmiques. L’Atlantide, île divine, se construit suivant un plan composé d’anneaux concentriques englobant une alternance d’eau et de terre. Pour Platon, et dans l’Antiquité où règne une importante croyance divine, le cercle représente la forme parfaite par excellence.

1  ABENSOUR, Miguel et JONOVER, Louis, Utopiques : Tome 1, Le procès des maîtres rêveurs. 3e édition revue et augmentée, Ed. Sens & Tonka, 2013, p.78.


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Carl Gustav JUNG1 a également montré que le symbole du cercle est une image archétypale de la totalité, de la psyché, le symbole du soi, alors que le carré est le symbole de la nature terrestre, du corps et de la réalité. On constate que le temple gallo-romain est circulaire et inscrit dans un carré, on peut dès lors y voir une illustration des interrelations du ciel et de la terre, tout comme le Panthéon par exemple où la verticalité nous amène à la coupole (cercle) de l’église, symbole céleste divin pour finalement revenir sur terre à un plan carré, quadrillé, concret, réel. En tant que forme enveloppante, le cercle est aussi le symbole d’une protection assurée et sans limite. On le voit dans les villes du moyen-âge où l’enceinte est le lien de défense des villes, mais aussi des temples et des tombes pour empêcher les ennemis, les mauvais esprits d’entrer. Le carré désigne la terre par opposition au ciel, de là, par extension il est le symbole de la cité terrestre qui est axée par rapport aux quatre points cardinaux, les axes se croisent à angles droits. La croix représente les axes cardinaux que constituent le symbole géométrique qui permet à l’homme de s’orienter, s’ordonner, se structurer à travers une quadruple orientation, elle permet de délimiter les domaines de la vie. Le carré symbolise l’ordre, l’arrêt. Il implique une idée de stagnation, de solidification d’un ordre clair dans la perfection tandis que le mouvement léger, instable, est circulaire, arrondi. On pourra également remarquer dans certains plans de villes, que la croix et par extension le plan quadrillé est souvent utilisé pour composer les parties privées, individuelles alors que le plan centré définit plutôt les parties publiques et communautaires.

1  Carl Gustav JUNG (1875-1961) médecin et psychiatre suisse, fondateur de la psychologie analytique, grand penseur


RENAISSANCE XV-XVIE SIÈCLE

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Renaissance XV-XVIe siècle « Le rôle de l’observation visuelle s’est affirmé au cours du XV e siècle ; le témoignage de l’œil commence à devenir critère de vérité, moyen privilégié de contrôle, contre le témoignage du verbe et de la tradition. […] Si, en vertu d’un identique rapport avec la vérité, l’espace bâti occupe dans le livre de More la place de la loi chez Platon, c’est que désormais, pour More, homme du XVI e siècle, la vérité s’inscrit dans l’espace ; le lieu de la certitude est déplacé, il se situe dans la vision et non plus dans la parole. »1 La Renaissance déplace donc les certitudes et les croyances de même que le Dieu moyenâgeux descend sur terre pour faire place à un homme-dieu, plus réel, plus accessible. On passe d’un idéal céleste à un nouvel idéal terrestre, plus atteignable (un des facteurs qui permit l’émergence de l’Utopie). Les représentations divines sont désormais anthropomorphes, l’homme est au centre du monde et la terre, au centre de l’univers. La Renaissance est marquée par cette vision anthropocentrique où la réalité n’est perçue que par la seule perspective humaine. Ainsi le but de toute utopie est d’imaginer et d’établir un monde habité par l’homme et projeté, critiqué par celui-ci. L’Antiquité est considérée alors comme la période idéale, une perfection vers laquelle il faut tendre. L’archéologie, et notamment les fouilles entreprises dans le forum romain permettront de redécouvrir l’art, l’architecture et la sculpture antique. La naissance de l’imprimerie offrira la culture et le savoir au plus grand nombre et amplifiera ce phénomène d’hellénisme, qui conduira à l’émergence d’une élite d’humanistes (Thomas More, Erasme, etc.). Ces moyens développés pour une propagation du savoir et ce retour à l’Antiquité mèneront à l’avènement de premiers grands traités d’architecture comme « De re aedificatoria » où Léon Batista ALBERTI va tenter de définir les grands principes architecturaux, du grand au minime, de l’urbanisme au design. Il pense l’architecture comme un ensemble, une unité « la ville est une grande maison et 1

CHOAY, Francoise, La Règle et le Modèle. Sur la théorie de l’architecture et de l’urbanisme, Nouv. Ed. Le Seuil, 1996, p.209.


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inversement la maison est une petite ville »1, et la ville comme un « tout », parallèlement, l’Utopie apparaît comme une réflexion d’unité, la recherche d’une harmonie inatteignable. Les six principes de la conception concernent selon Léon Batista ALBERTI ; la région (regio), l’aire (area), la partition ou plan (partitio), le mur (paris), la couverture (tectum) et les ouvertures (apertiones). Il croise ces axiomes de la conception aux trois choix d’application de la nécessité (necessitas), de la commodité (commoditas) et du plaisir (voluptas), il en tirera des règles et des analyses. L’architecture va donc se théoriser et l’architecte se voir attribuer de plus en plus de responsabilités.

« La perspective artificielle crée un espace mathématisé, continuum homogène et indifférencié que n’a pas connu l’Antiquité. Celle-ci est demeurée attachée à un espace perspectif naturel, « agrégatif » et non « systématique ». Mais l’espace systématique de la perspective est aussi celui du système de coordonnées, celui qui permet à Brunelleschi de construire le premier plan à l’échelle. Or l’espace modèle d’Utopie est un plan. »2 La naissance de la perspective va transmettre aux concepteurs de l’espace un pouvoir privilégié qui contribuera à l’émergence de la science moderne - pensons aux œuvres de Léonard DE VINCI qui avec son homme de Vitruve, illustrera également la notion de centre et l’importance qu’elle aura à la Renaissance -. Les places, rues, cours, jardins prennent de plus en plus d’ampleur. L’espace public, communautaire, occupe une place centrale. Cet engouement pour l’ordre, la géométrie et la proportion apparaît avec l’importance que va prendre l’état moderne et son besoin de s’établir, de se territorialiser, de marquer ses limites afin de mieux contrôler sa ville, son « entité ». La Renaissance est une

1

« Civitas […] maxima quaedam est domus et contra domus minima quaedam est civitas » (chap.9, p65) in CHOAY, Francoise, La Règle et le Modèle. Sur la théorie de l’architecture et de l’urbanisme, Nouv. Ed. Le Seuil, 1996, p.100. 2  CHOAY, Francoise, La Règle et le Modèle. Sur la théorie de l’architecture et de l’urbanisme, Nouv. Ed. Le Seuil, 1996, p.210.


LES VILLES IDÉALES XVE SIÈCLE

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période d’émancipation où l’Utopie mettra en scène deux notions essentielles : liberté individuelle et transformation sociale. Là où dans l’Antiquité la liberté n’était essentiellement que politique, elle est à présent simultanément sociale et individuelle

Les villes idéales XVe siècle La renaissance et l’avènement de l’Utopie sont concomitants à l’apparition dès le XVe siècle, des dessins et des plans de villes idéales. Les propositions et études du FILARETE tout comme celles de de VINCI et des tableaux de l’école de Pierro Della FRANCESCA, ne représentent cependant pas l’idéal textuel que l’on peut lire au XIVe et au XVe siècle mais bien l’image concrète d’une ville possible. Ces artistes représentent le décor urbain idéalisé par les humanistes de la renaissance, un décor où les monuments et les espaces urbains se réfèrent à l’Antiquité mais sont également profondément nourris des théories architecturales modernes élaborées par Léon Battista ALBERTI (inspiré de Vitruve, architecte antique). Il s’agit donc bien de représenter la nouvelle ville moderne, la cité contemporaine gothique est, elle, exclue du cadre, plus rien n’y fait référence. Ces scènes reflètent une recherche de l’harmonie et soulignent l’importance donnée aux édifices publics d’empreinte classique. Elles énoncent un espace urbain ordonné mais teinté de variétés puisque les architectes de cette nouvelle cité s’occupent chacun de la construction d’un palais autonome aux exigences propres. Ces constructions s’harmonisent entre elles et créent un paysage aussi divers que singulier. FILARETE et sa cité idéale « Sforzinda » au XVe siècle présente ce que l’on pourrait qualifier pour la première fois d’Utopie étatique puisque l’organisme urbain qu’il met en place est rigoureusement géométrique, régi par le centre en haut duquel se trouvent le palais du prince et le temple de dieu.


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Les citoyens ne sont que des sujets soumis au bon vouloir du prince et dépendent de lui, bien loin donc de la logique de communauté et « du bien commun ». L’organisation en forme de grille se veut d’assurer l’ordre et l’efficacité de la société dans laquelle les règles sont dictées par « l’Etat » et non par l’individu ou une communauté de citoyens. On y retrouve comme dans la plupart des plans des cités idéales de la Renaissance, les caractéristiques suivantes :

• Un caractère insulaire • Une centralité marquée • Un plan concentrique • La mise en scène de bâtiments publics inspirés de l’antiquité • L’importance de l’enceinte • L’inscription de la ville dans une forme parfaite. Certains croquis du FILARETE et de sa cité idéale exposent des typologies architecturales comme « la maison du vice et de la vertu » un prototype-objet englobant toutes les fonctions urbaines : un hôpital, des prisons, des bâtiments destinés aux marchands et aux commerçants, un palais royal, une grande église, etc. Tout comme ses contemporains et les modèles humanistes, il entend revenir au passé antique, en l’utilisant pour construire un avenir qui tendrait vers la perfection. Il fait preuve d’innovation et d’imagination en proposant de nouvelles structures urbaines, comme son ensemble composé de maisons et d’ateliers boutiques toutes munies d’un jardin et d’un puits individuel desservis par un réseau de canaux. Cet ensemble est dessiné comme un prototype parfait pour établir, par tranches successives, une cité idéale.


Fig. 2 : La Cité idéale / L'école de Pierro DELLA FRANCESCA

Fig. 3 : Types architecturaux de la Cité idéale du FILARETE / Croquis reproduits d'après le Traité


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Hippodamos de Milet (Ve siècle AJC) Nous évoquerons Hippodamos de Milet, car bien qu’il ne soit pas un artiste de la Renaissance, sa pensée fut largement répandue tout au long du quattrocento, notamment grâce à la propagation et l’intérêt vorace pour les écrits de l’Antiquité. Ainsi, Aristote (IVe siècle AJC) dans "La politique" (II, VIII) nous parle d’Hippodamos de MILET qu’il estime être l’inventeur de la « parfaite constitution » d’une ville (aristè polithéïa), c’est le premier qui « entreprit de tracer un plan de constitution idéale », il « inventa le tracé géométrique et découpa Pirée en damier ». Après la destruction de la ville de Milet, l’Architecte a pour ambition de créer un plan qui traduirait explicitement les lois de la cité en faisant correspondre les quartiers de la ville à chacune des fonctions des citoyens. Dès lors, il entreprend de découper la ville selon un système orthogonal, en damier, ce système permettra de distinguer trois quartiers correspondant aux trois classes sociales de la cité : artisans, agriculteurs et défenseurs armés. La ville compte plus ou moins 10 000 habitants, au centre on y retrouve l’agora, symbole de la constitution idéale, là où les magistrats se tiendront pour débattre et décider du meilleur ordre à mettre en place. On retrouve donc ce lien entre établissement d’une meilleure constitution et la construction urbaine. Dans ce sens, il se rapproche de l’Utopie puisque toute Utopie établit ce rapport indissociable entre la maîtrise de l’espace et l’établissement d’un nouvel ordre social. La cité exprime aussi la relation entre l’homme et la nature : le tissu urbain organisé en damier est entouré de son environnement agricole qui, de par sa topographie, forme des remparts naturels. Cette organisation en grille pourrait se construire à l’infini, restant inchangée sur les différents niveaux du site. Cet aménagement de l’espace en damier sera repris par Aristote dans l’Antiquité, et réinterprété ensuite à la Renaissance, d'où il nous est parvenu. Cette proposition définira un idéal d'espace mathématique où règnent la droite et le damier. Hippodamos de MILET exprimera avec son


Fig. 4 : Hippodamos de Milet / Projet d'une CitĂŠ idĂŠale / Le damier.


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plan de ville les premiers rêves de perfection d’un Etat idéal, une tentative de retranscrire dans la ville un désir d’ordre et d’harmonie. C’est en cela qu’on le placera dans notre famille d’Utopie étatique, à la recherche de la constitution parfaite.

Le siècle des lumières XVIIIe siècle Pour beaucoup, « le XVIIIe siècle est l’âge d’or de l’Utopie […] ce siècle passionné de remise en question [s’est épanoui] dans des spéculations abstraites sur la meilleure forme de gouvernement de justice, d’économie et de morale »1 Il s’agit soit de projets de législation : Jean-Jacques ROUSSEAU, MORELLY, etc. soit d’œuvres plus littéraires (conte, roman, théâtre, digression) à l’imagination débordante : Restif DE LA BRETONNE, DIDEROT, VOLTAIRE, MONTESQUIEU, l’abbé PREVOST, Bernardin de SAINT-PIERRE, CASANOVA, MARIVAUX et même SADE. Ils décrivent la cité parfaite avec un début romanesque, souvent un voyage où l’on découvre une île oubliée, secrète, protégée de la corruption extérieure. Lieux merveilleux : une Arcadie, un Pays de Cocagne, un paradis perdu, « un pays où tout va bien »2 où s’épanouissent les « bons sauvages ». s’en suivent des descriptions incroyables mêlant fantaisie, merveilleux, fantastique et voyage dans le temps (c’est le début de l’Uchronie). On y retrouve, par comparaison, une critique de la société réelle avec ses abus et ses injustices, mais assez peu d’organisation sociale, politique et architecturale.

1  TROUSSON, Raymond, voyages au pays de nulle part, Ed. L’université libre de Bruxelles, 1975, p.21. 2  Voltaire dans Candide, avec son Eldorado


LE SIÈCLE DES LUMIÈRES XVIIIE SIÈCLE

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Il y aura cependant chez certains auteurs un « investissement des possibles : […] petite société égalitaire et communautaire, utopie étatiste et contraignante […], apologie de progrès scientifique et technique ou nostalgie de la bienheureuse simplicité naturelle, utopies bourgeoises fondées sur l’ordre monarchique et la propriété mesurée -Communisme agressif chez Morelly ou coopératives chez Restif de la Bretonne - »1 L’on retrouve peut-être ici les ancêtres, d’une part, des smart cities et d’autre part, des écolieux. En outre « le bonheur se trouve dans un gouvernement bien conçu [à la Jean-Jacques ROUSSEAU], […] changez les lois, et vous changerez les hommes, trouvez un bon despote, bien « éclairé » et le peuple sera heureux »2 Chez les troglodytes de MONTESQUIEU, « ces paisibles agriculteurs ignorent le tien et le mien […] l’interêt des particuliers se trouvent toujours dans l’intérêt commun […] sous la douce férule d’un patriarcat débonnaire »3 Le bonheur doit s’imposer aussi avec violence, chez Gracchus BABEUF et ses babouvistes « un bonheur commun, spartiate et vertueux »4 . Idées qui finiront mal pour BABEUF. L’on sait comment ce siècle se termine et sème les graines de la démocratie que nous connaissons, même si le régime de la Terreur décapite. Les principes de Liberté, Egalite, Fraternité font encore rêver les utopistes d’aujourd’hui et les concepteurs, constructeurs de viesvilles nouvelles qui corroborent notre sujet.

1  R. TROUSSON, op.cit., p.128. 2  R. TROUSSON, op.cit., p.129. 3  R. TROUSSON, op.cit., p.139. 4  R. TROUSSON, op.cit., p.139.


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Révolution industrielle XIXe siècle La révolution industrielle provoque une impressionnante poussée démographique dans les villes, et les campagnes se voient ainsi désertées au profit du développement urbain. L’Angleterre sera la première touchée par ce mouvement dès 1801, avec par exemple à Londres, une population passant de 864.845 habitants en 1801 à 1.873.676 en 18411. La France et l’Allemagne suivront à partir de 1830. La ville doit donc s’adapter à la nouvelle société qui l’habite. Elle se verra dès lors favorable aux capitaines d’industrie et aux financiers qui représentent une partie importante de la société. La ville se transforme avant tout avec la rationalisation des voies de communication, la construction de grandes gares et la percée des grandes artères afin d’optimiser l’accélération des transports devenu indispensable. Ensuite la spécialisation des secteurs urbains 2 (le quartier des affaires concentré autour de la bourse et les quartiers d’habitations périphériques destinés aux privilégiés) ainsi que de nouveaux organes urbains 3 comme de grands centres commerciaux et de grands hôtels, sont élevés et modifient l’apparence de la ville. Le centre déborde et commence à étouffer, l’urbanisation due à l’industrie se déploie dès lors dans les banlieues, où les classes moyennes et ouvrières seront desservies ; « la ville cesse d’être une entité spatiale bien délimitée »4. Ce phénomène de changement de morphologie urbaine provoque des réactions et des réflexions sur la ville, sur ce qu’elle devient, ce qu’elle était, et ce qu’elle devrait tendre à être. Certains en viennent même à comparer la grande ville à un cancer ou à une verrue. Ils dénoncent l’état de délabrement physique et moral que le peuple urbain subit. Les grandes villes industrielles ne peuvent offrir aux ouvriers, toujours plus nombreux, que des habitats insalubres où l’hygiène est déplorable. Tous les jours, des milliers de travailleurs parcourent des distances épuisantes qui séparent leur lieu d’habitation de leur lieu de travail. Les voieries nauséabondes, la monotonie des constructions et l’absence de jardins dans les quartiers populaires contribuent à cette sensation 1  CHOAY, Françoise, l’Urbanisme, utopies et réalités, Ed.Seuil, 1965, p23. 2

F. CHOAY in op.cit., p.11.

3  F. CHOAY in op.cit., p.11. 4  F. CHOAY in op.cit., p.11.


RÉVOLUTION INDUSTRIELLE XIXE SIÈCLE

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suffocante et à la décroissance de l’hygiène morale des habitants. Cette dissonance entre, les quartiers d’habitations des classes sociales ouvrières et ceux des classes aisées, crée des ségrégations. Toutes ces faiblesses urbaines apparaissent en définitive comme le résultat de conséquences sociales, économiques et politiques ; Industrie et industrialisme, entraînent la rivalité des classes mais aussi la recherche du profit, l’exploitation de l’homme par l’homme. La mécanisation du travail et de la production, contribuent aussi à considérer l’homme comme une « machine » ; toutes ces notions vont servir de catalyseur pour faire germer de nouveaux idéaux. Elles enclencheront les principaux axes de réflexion pour une ville nouvelle. Face à ces constatations, « La révolution industrielle est l’événement historique clé qui entrainera le devenir humain et promouvra le bien-être »1.

« Le bonheur est une idée neuve en Europe »

Saint-Just.

Avec la révolution française l’utopie semble rejoindre l’histoire, notamment avec Gracchus BABEUF2 ; le premier socialiste utopiste qui défend le fait d’agir plutôt que de rêver. La révolution industrielle déchainera les tensions sociales et laissera place à des bouleversements sociaux. Revenons un instant à notre classement d’Utopie en deux familles d’Utopie étatique et d’Utopie citoyenne que nous avons définies plus haut comme d’une part, découlant d’une volonté politique, à la recherche de la constitution parfaite3, et de l’autre, comme émanant d’une volonté d’émancipation sociale et de coopération. A ce propos, nous pouvons relever dans les écrits de Françoise CHOAY, deux modèles qu’elle nomme respectivement modèle progressiste et modèle culturaliste et qui nous permettront de mieux situer les différentes branches de l’Utopie citoyenne que nous tentons, entre autres, de 1  F. CHOAY, op.cit., p.17. 2  Gracchus BABEUF (1760-1797), révolutionnaire français mort guillotiné. Lors de la révolution française, il défend un projet socialiste qui prône l'égalité et le juste partage des richesses entre bourgeoisie et proletariat. La liberté l'emportera finalement sur l'égalité. Après avoir constitué une association de la révolte des égaux, estimé dangereux face au pouvoir mis en place, Gracchus BABEUF, dont le prénom choisi par ses soins fait référence au personnage romain Gracchus qui libéra les esclaves, sera guillotiné. 3  ABENSOUR, Miguel et JONOVER, Louis, Utopiques : Tome 1, Le procès des maîtres rêveurs. 3e édition revue et augmentée, Ed. Sens & Tonka, 2013, p.78.


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définir. En effet, ces modèles font tous les deux parties de notre famille d’utopie citoyenne puisque l’ordre ne vient pas de l’état mais toujours ou de l’individu, ou d’une communauté d’individus. Voici leurs définitions et les caractéristiques qui les sous-tendent : Le modèle progressiste met en place une conception de l’individu humain comme « type ». Dans ce modèle, un certain rationalisme, une sorte de « recette miracle » basée sur des analyses poussées doivent permettre d’offrir des solutions aux problèmes que les hommes rencontrent avec la société et leurs semblables. Dans leurs réalisations, les progressistes accordent une place centrale à la notion de logement. Ils veulent établir les règles du « logement standard ». Les prototypes, les phalanges, les quartiers doivent pouvoir vivre en autarcie. Ces prototypes proposent des espaces ouverts et plus libres que la ville industrielle massive et dense. De ces systèmes, émerge la notion de ville campagne, qui tend à ramener l’air et la verdure au cœur de la ville. De l’idée de prototype découle le fait que ces modèles soient « hors du temps » coupés du contexte qui les accueille et indéfiniment juxtaposables. Le modèle culturaliste, lui, met en place une conception de groupement humain, de communauté. Par conséquent, on ne soucie plus autant de l’individu et de son logement standard mais de l’environnement et des édifices communautaires qui garantiront son épanouissement personnel. Chaque membre de la communauté est apprécié pour ses spécificités propres, on ne cherche pas à le placer dans une case d’individu-type, contrairement au modèle progressiste. Les culturalistes partent du constat de déclin culturel et patrimonial que les villes industrielles engendrent en désagrégeant, petit à petit, l’unité organique des cités. « Faites le tour de vos monuments édimbourgeois. Des damiers, encore des damiers, toujours des damiers, un désert de damiers… ces damiers ne sont pas des prisons pour le corps mais des sépultures pour l’âme »1

1

John Ruskin dans une de ses conférences ; RUSKIN, John, Eloge du gothique, trad. franç., 1910, 2e conférence, p.38 in CHOAY, Françoise, l’Urbanisme, utopies et réalités, Ed.Seuil, 1965, p23.


CHARLES FOURIER (1772-1837)

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Romantiques, les culturalistes sont pour un retour aux formes du passé et à la culture. Ils traduiront ces aspirations dans un espace aux limites précises et déterminées en prenant en compte les irrégularités du site. Selon eux, seul un organisme organique dans lequel chacun tient son rôle originel peut intégrer ces irrégularités et les apports successifs de l’histoire. Ce modèle, puisque circonscrit, ne pourra se répéter à l’infini et les logements bien qu’ils présentent le témoignage d’une simplicité face à la splendeur des édifices publics et communautaires, ne devront pas être semblables, mais, témoins des envies et aspirations de chaque groupe d’individus. La ville, conséquence d’âmes collectives n’est plus vue en termes de progrès et de rendement mais en termes de culture et d’épanouissement. Cependant, selon Françoise CHOAY, ce retour au passé ne peut avoir lieu qu’en éliminant les imprévus et par extension les créations contemporaines. C’est en ce sens que le modèle culturaliste reste bien un modèle où la ville est, à l’instar du modèle progressiste, considéré comme un objet reproductible, industriel. Et c’est en ce sens, que nous pouvons classer ces propositions de modèles dans le champ utopique, puisqu’arrachées à leur lieu temporel, elles sont précisément de « nulle part ».

Charles FOURIER (1772-1837) Charles FOURIER met en place un système qui n’est pas basé sur une analyse économique mais sur les passions humaines. Après avoir classé ces passions, il les utilise comme facteurs sociaux puisque seule leur libre expression devra permettre de réaliser le bonheur de l’homme. Chez Charles FOURIER et dans son Phalanstère (réunion des passions) tout est classifié, réglé, quantifié, mesuré et prêt à être intégré dans son projet de société idéale. Selon lui, l’homme doit être fait pour le bonheur, sinon le monde n’a aucun sens. L’harmonie du monde que FOURIER appelle le « Plan de Dieu » ne peut se réaliser que si l’on regroupe les hommes - dans la recherche d’un homme type - en fonction de leurs passions dominantes, constituant des « séries passionnées ». Il propose dès lors un modèle de coopérative de 1500 habitants regroupés dans ce qu’il appelle un « phalanstère ». Dans ce combat vers l’harmonie, le


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phalanstère est l’unité de base ; il est à la fois une école, une crèche, un espace de travail et un habitat collectif. Cet édifice central fonctionnera comme un prototype, un laboratoire à la recherche du meilleur système qui se situera au centre d’une commune de 22,8 km. Ce prototype devra, selon Charles FOURIER, dans un premier temps, être construit avec des matériaux peu coûteux (briques, bois, etc.) afin de pouvoir tester et ajuster les dimensions optimales de la communauté. Autour du phalanstère se placeront d’autres bâtiments comme un théâtre, des fabriques, une église, un jardin d’hiver, et d’autres petites habitations pour les agriculteurs. Ces constructions seront distribuées dans trois enceintes qui délimiteront la commune : une enceinte d’arbres, une enceinte de gazon et une enceinte de palissades. Afin d’analyser les fonctions humaines et tendre vers l’harmonie, il faut que le phalanstère parvienne à vivre en autarcie en dehors de la ville industrielle et de sa misère matérielle et morale. Charles FOURIER spécifie dans ses écrits que les descriptions architecturales minutieuses qu’il fait ne doivent pas être exhaustives ; les phalanstères devant être à la base d’une volonté d’individus, ses caractéristiques varieront naturellement en fonction des communautés. Ces édifices deviennent cependant, après avoir fait l’objet d’une analyse fonctionnelle complète, des prototypes définis une fois pour toute. A travers toutes ses descriptions, il est difficile de croire qu’il n’ait pas tout planifié jusqu’au moindre détail. Le phalanstère est finalement un modèle, d’habitation collective, d’ateliers et de constructions rurales. Il propose d’établir un logement standard pour un individu type ; tout est calculé afin d’assurer l’efficacité du « bonheur » humain. On classera le phalanstère de Charles FOURIER dans les Utopies citoyennes puisqu’il doit être à la base d’individus volontaires dans le but d’organiser un bonheur collectif. On remarquera cependant que le modèle du phalanstère peut être facilement réversible, très fermé et restrictif, il pourrait finalement autant servir une Utopie d’ordre étatique.


EBENEZER HOWARD (1850-1928)

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Ebenezer HOWARD (1850-1928) Les Cités-jardins « La question qui intéresse actuellement le peuple est celleci : qu’allons-nous faire de la démocratie maintenant que nous l’avons ? De quelle nature sera la société que nous allons édifier avec son aide ? Ne verrons-nous rien d’autre qu’une série sans fin de Londres et de Manchester, de New York et de Chicago, avec leur bruit, leur laideur, leur course à l’argent, leurs spéculateurs et leurs affairistes, leurs grèves, leurs contrastes de luxe et de crasse ? Ou serons-nous capables d’édifier une société où l’art et la culture seront pour tous et où quelque grand but spirituel dominera la vie des hommes ? » Daily Chronicle, 4 mars 18911 Nous sommes en Angleterre, en pleine époque victorienne là où la révolution industrielle est à son apogée. Le pays est partagé entre d’un côté, une classe sociale riche et dirigeante, et de l’autre, le prolétariat. Ebenezer HOWARD, lui, issu du prolétariat, aspire à une société plus égalitaire et se rapproche du milieu socialiste de l’époque qui s’oppose au pouvoir centralisé et tente de proposer des solutions aux problèmes que l’Angleterre connait concernant l’emploi, le logement, et la santé. Logements insalubres, surpopulation, compétitivité, Ebenezer HOWARD s’insurge contre la gravité des effets de l’industrialisation, de l’incohérence et de la décadence de la société victorienne. Il est partisan d’une révolution pacifique qui se démarque d’un idéal rigide, autoritaire. Après avoir fait le constat des enjeux et failles de son époque, il s’essaye à projeter un idéal et imaginer un espace pour son idée. En outre il s’inspire et se nourrit des écrits de John RUSKIN2

1

HOWARD Ebenezer, les Cités-Jardins de demain, Ed. Dunod, 1969, p.100.

2

John RUSKIN (1819-1900) Écrivain, penseur. Le modèle culturaliste évoqué se dégage de ses oeuvres. Il eu une influence considérable notamment sur le goût de l'Angleterre victorienne et ses critiques économiques de l'époque.


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« […] Ruskin analyse impitoyablement les conséquences du système industriel et la déchéance du travail humain qui, axé sur les notions de profit et de production, a cessé d’être l’accomplissement d’une fonction vitale. »1 Il sera également inspiré plus tard par les pensées de Pierre KROPOTKINE : révolutionnaire russe, père du communisme libertaire et du coopératisme, il s’oppose au darwinisme social, mouvement du XIXe siècle, qui postule, s’appuyant sur les théories de l’évolution de Darwin, que les luttes entre les hommes, les crises capitalistes et leurs vagues d’exclusion, voire d’éliminations ne doivent pas être freinées par des obstacles tels que la protection sociale, l’entraide et la charité. La concurrence et la lutte pour la vie, selon les partisans du darwinisme social, sont une évolution nécessaire, source du progrès pour la société. Pierre KROPOTKINE va prendre le contrepied de cette théorie, notamment dans son livre « L’entraide, un facteur de l’évolution » et essayer de prouver, à travers l’histoire des sociétés primitives, que les communautés les plus performantes n’ont pu survivre et faire face aux adversités que par l’entraide, la rivalité n’étant que secondaire. L’homme est un animal social qui ne peut vivre que collectivement et c’est au degré de développement d’aide aux plus faibles que l’on pourra mesurer le degré de civilisation d’une société. Ebenezer HOWARD prône aussi une société basée sur l’entraide, la solidarité et la coopération qui ne peut se gérer qu’à l’aide de nouveaux pôles de tailles modestes, à l’écart des villes et de leur chaos malsain.2 Il est résolument anti-urbain et défend le principe de décentralisation C’est donc selon ces principes de décentralisation et de coopération qu’ Ebenezer HOWARD imagine sa « cité idéale », la Cité Jardin qu’il présentera dans son livre « To-morrow : a Peaceful Path to Real Reform », comme une alternative qui prétend pouvoir résoudre le problème de l’habitat humain à l’ère industrielle. Elle se présente comme une réconciliation entre la ville et la campagne. Cette cité 1  CHOAY, Françoise, l’Urbanisme, utopies et réalités, Ed.Seuil, 1965, p-159-160. 2

Parallèle aux écovillages d’aujourd’hui où Cyril Dion commente dans son livre « Demain un nouveau monde en marche » à propos de l’écovillage du hameau des Buis « selon Pierre ou Yvan, ces contextes sont biens moins fragiles que les métropoles dépendantes des réseaux denses et complexes, de leurs approvisionnements quotidiens par camions, et sont une réponse bien plus adaptée aux crises qui s’annoncent dans le futur » p.134.


Fig. 4 : Garden City 1898 / Projet de la CitĂŠ-Jardin d'Ebenezer HOWARD


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désignée par Ebenezer HOWARD comme la « Town-country », rassemble les qualités de ces deux milieux permettant d’améliorer la qualité de vie des ouvriers, ainsi plus proche de la nature mais non loin de la ville, où leur lieu de travail se trouve. L’espace modèle d’Ebenezer HOWARD Indépendante de toute ville existante, elle ne constitue pas la prolongation d’un quelconque tissu urbain, ce qui lui permet d’un point de vue économique et politique de s’opposer au pouvoir central (décentralisation). On retrouve ici le côté insulaire des utopies (cfr Utopia, Thomas MORE) qui souvent font table rase du contexte existant afin de pouvoir appliquer leurs idées à l’abri de toutes contraintes extérieures. Défenseur de la géométrie, Ebenezer HOWARD, opte pour une cité jardin de forme radio-centrique qui agit comme un nouvel ordre social plus droit, plus juste, plus équitable et manifeste sa supériorité sur le désordre urbain que représentent les villes industrielles. Six boulevards de 36 mètres de large découlent d’un centre urbain clairement végétalisé et délimitent six quartiers. Le centre destiné aux services publics à la manière du forum romain, est le lieu de rencontre où les citoyens s’approprient l’espace à leur façon. Ebenezer HOWARD se rend bien compte que son modèle d’une géométrie si stricte ne pourra s’implanter n’importe où, et admet dès lors que celui-ci devra s’adapter à l’implantation dans laquelle elle s’insérera. Comme un écho à certaines Cités idéales imaginées aujourd’hui, dès la fin du XIXe siècle, alors que nous ne sommes qu'à l’aube de l’avènement des voitures comme moyen de transport de prédilection, Howard maintient les circulations douces comme échelle de mesure spatiale pour sa cité. Il limite donc les dimensions de la ville afin de permettre à ses habitants de se déplacer aisément depuis leur logement vers le centre et inversement. La cité couvre 400 hectares et est entourée d’une ceinture verte, comprenant 2000 hectares de zone agricole. La partie bâtie ne dépasse pas les 1150 mètres de diamètre, ainsi le citoyen le plus reculé du centre ne devra parcourir que 550 mètres environ pour atteindre le centre civique. Un réseau ferroviaire situé en périphérie de la cité assure un échange entre le centre civique et les usines et manufactures implantées dans le


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périmètre de la cité et protège le centre des nuisances sonores qu’un train à vapeur peut occasionner. Les cités pourront se regrouper autour d’une ville plus importante dont la population sera plus élevée (max 58 000 habitants). L’établissement de limites (ceinture verte, réseau ferroviaire) est capital pour assurer le bon fonctionnement de ces villes, ainsi si elles y sont forcées, les villes se subdiviseront à l’aide de créations de nouveaux centres civiques mais ne devront pas franchir les limites (physiques et politiques) établies. La Cité Jardin a une croissance limitée et définie.

En termes de logements, étant donné qu’Ebenezer HOWARD n’est ni architecte ni urbaniste, nous n’avons de lui pas beaucoup d’informations concernant la description du bâti. L’on sait cependant que l’unité de base de la communauté qu’il souhaite créer, demeure la famille, son souhait résidant dans le fait que chaque famille puisse avoir accès à une propriété « d’une parcelle de 20 pieds sur 130 pieds » muni d’un jardin privé. Ces parcelles de logements s’implantent selon la trame que définissent les six quartiers concentriques délimités par les six avenues chacune de 36 mètres de large, pénétrant la ville en partant du centre civique. La ville, selon Ebenezer HOWARD, doit accueillir 32.000 citoyens répartis dans six quartiers destinés à loger respectivement, 5000 habitants. « Remarquant la grande variété qui règne dans l’architecture et la conception des maisons […] – certaines ont des jardins communs et des cuisines coopératives- nous apprenons que le respect d’une ligne générale dans l’aspect des rues en même temps que le souci d’une harmonieuse diversité dans la construction des maisons sont les points principaux sur lesquels les autorités municipales exercent leur contrôle, et que si les dispositions sanitaires sont rigoureusement imposées, les goûts et les préférences individuels sont largement encouragés. »1 Contrairement à la vision totalisante et donc parfois totalitaire de la perfection qu’implique trop souvent les espaces modèles imaginés par les utopistes, Ce que nous pouvons retenir des propos d’Ebenezer 1

HOWARD Ebenezer, les Cités-Jardins de demain, Ed. Dunod, 1969, p.15.


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HOWARD concernant les logements est qu’il met l’accent sur la diversité des goûts de chacun. Il n’est pas question d’uniformité ou de maisons identiques et monotones qu’un rythme régulier viendrait anesthésier. Non, ici la variété est mise à l’honneur et l’idée est que chaque membre de la coopérative mise en place retire de l’autre des savoirs et se nourrisse de ses particularités et différences. L’on voit que dès le départ, l’idée était de créer une société à part, à l’écart du mode de vie consumériste et capitaliste que l’Angleterre, en pleine mutation démographique, offrait à ses habitants, attirés par l’offre du travail des villes industrielles. Ces habitants de plus en plus nombreux étaient logés, entassés les uns sur les autres dans des habitations insalubres. Le choix était tout de même certain puisque la campagne mourante ne parvenait même plus à offrir à ses habitants un salaire décent. Pour pallier ces manquements, Ebenezer HOWARD souhaite offrir aux ouvriers et à leurs familles, un mode de vie plus sain et plus proche de la nature, dans un système d’autosubsistance. La cité jardin sera une entité indépendante qui ne devra plus dépendre des grandes villes bien qu’un réseau de circulation permette encore des échanges. Tout comme John RUSKIN, Ebenezer HOWARD est pour un retour à un artisanat et à des techniques plus traditionnelles qu’il appliquera en accord avec la pensée initiée par le mouvement arts & Crafts1, aux métiers présents dans la cité qu’il crée.

Ainsi les trois secteurs économiques ont chacun une place bien définie dans le plan imaginé pour la Cité-Jardin ; • Le secteur primaire qui compte le pâturage ainsi que les cultures céréalières et fruitières sera situé à l’extérieur de la ceinture végétale qui entoure la ville • Le secteur secondaire définit par les usines et entrepôts seront eux, placés en périphérie de la cité.

1

Initié entre autres par William MORRIS (1859-1896) dans les années 1860, ce mouvement prône un retour à l'artisanat et à la nature, il peut être considéré comme l'initaiteur du Modern Style


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• Le secteur tertiaire comprenant les activités commerciales et de services se trouve au centre de la cité, là où les citoyens pourront arpenter une galerie commerçante proposant des produits locaux ainsi que des denrées alimentaires provenant des villes avoisinantes. Toujours dans un esprit de coopérative autosuffisante, Ebenezer HOWARD, promeut un contrôle par ses membres, des activités économiques de la cité. Les habitants peuvent dès lors décider d’accorder ou non à une entreprise, l’établissement de son activité sur une parcelle en fonction de ses intentions, de son implication dans la coopérative, de son honnêteté, de sa salubrité, etc. Pour assurer une égalité et ne pas favoriser la compétitivité, chaque besoin est satisfait par un seul commerce qui possède le monopole de son domaine de vente. Cependant, s’il déçoit la communauté et ne respecte pas les valeurs établies, son activité sera remise en jeu et laissera place à la concurrence afin que les habitants puissent librement choisir le plus apte à reprendre sa place. Ebenezer HOWARD, a foi en l’homme et est certain que sa communauté évoluera, quoi qu’il en soit, vers une société fraternelle, plus égalitaire.

L’édification des premières Cités-Jardins Après avoir établi la planification de son projet, Ebenezer HOWARD cherche à tout prix des investisseurs prêts à construire les premières Cités Jardins. Mais il peine à trouver des collectifs coopératifs non animé par la cupidité, comme qu’il l’avait espéré, il devra finalement pour assurer la viabilité de son projet, se résigner à faire affaire avec de riches investisseurs, magnats de l’industrie, qui voient dans le projet d’Ebenezer HOWARD, non pas la beauté de ses idées de coopération et de fraternité, mais une manière de faire des bénéfices. L’idéal de société égalitaire, décentralisée afin d’échapper aux déboires du capitalisme des grandes villes, se voit finalement entaché de principes fonciers alors qu’Ebenezer HOWARD et ses adeptes voulaient justement s’en détacher.


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C’est dans ces conditions que naît finalement en 1903, la première cité jardin. Construite par les architectes et urbanistes anglais Raymond UNWIN et Barry PARKER, la Cité Jardin de Letchwork, plus organique que les plans d’une géométrie pure proposés par Ebenezer HOWARD se voient également amputés des « magnifiques boulevards -chacun de 36 mètres de largetraversant la ville en partant du centre […] » 1. Mais l’initiateur des Cités-Jardins ne s’en offusque pas et voit dans le succès de cette première amorce de cité-jardin, la potentialité certaine que ses idées se propagent et assurent un avenir à l’entreprise de la véritable Cité Jardin de demain. Et c’est ainsi, que le début du XXe siècle se voit parsemé d’ensemble de logements inspirés de la Cité Jardin, notamment en Belgique, qui après la seconde guerre mondiale où le déficit de logements dû aux ravages de la guerre associé à l’attrait de la ville et son augmentation démographique, voit dans le modèle d’Ebenezer HOWARD un moyen de faire des économies et de construire de nombreux logements en peu de temps, souvent selon les mêmes plans et avec les mêmes matériaux. C’est aussi le début de la prise en charge des pouvoirs publics dans la construction de logements sociaux et dans un contexte industriel florissant où les entreprises proposent dès lors à leurs employés des logements monofamiliaux munis de petits jardins dans un quartier doté de nombreux espaces verts. Ressortent donc du projet initial d’Ebenezer HOWARD, les idées de

• Groupement d’habitats, concept innovant permettant de faire des économies considérables. • D’intégration des espaces verts, offrant une meilleure qualité de vie aux habitants du quartier. • D’affectation de logement de qualité pour chaque famille.

1

HOWARD Ebenezer, les Cités-Jardins de demain, Ed. Dunod, 1969, p.13.


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Cependant les concepts de vie communautaire, de coopération et de décentralisation du pouvoir et des activités économiques ne semblent pas avoir été pris en compte, et les différentes typologies de logements oubliés à des fins budgétaires laissent souvent place à une série de maisons et jardins identiques oubliant la variété de goûts et préférences individuelles encouragés par Ebenezer HOWARD, transmettant une certaine standardisation monotone. Après ce détour historique, nous pouvons revenir aux propositions de nouvelles sociétés que nous avons brièvement définies plus tôt : les villes intelligentes et les éco-initiatives citoyennes. Nous verrons pour chaque proposition un exemple concret qui nous permettra d’identifier des similitudes historiques.


PROPOSITION D'UN AILLEURS


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Les éco-initiatives citoyennes Ecoquartier « Bo01 » L’écoquartier Bo01 - « Bo » signifiant « habiter » en Suédois, 01, se référant à l’année de son édification – se trouve dans la ville de Malmö, situé à l’extrême sud de la Suède et séparé par la mer de sa ville voisine danoise : Copenhague. Dans les années 1900, la ville de Malmö ayant basé son économie sur l’industrie portuaire, est en pleine crise : l’activité économique maritime décline et le taux de chômage et de criminalité explose. La ville doit se relever et met dès lors en place un plan de reconversion économique basé sur une croissance verte : la construction du pont de l’Øresund (bijou technologique, symbole d’une économie verte) qui reliera la ville et sa voisine Copenhague ainsi que l’inauguration de l’université de Malmö contribueront à cette reconversion. Mais c’est en 1995, avec l’idée d’une exposition européenne sur l’habitat et l’écologie, que Tommy HEDLUND, président d’une ASBL municipale, met en marche un espoir pour ce qui deviendra plus tard, une nouvelle société modèle pour la ville de demain. C’est ainsi que naît le projet de la création d’un écoquartier sur l’ancienne friche industrielle du port ouest de Vastra Hamnen, un quartier déserté. L’objectif est de démontrer qu’il est possible de vivre confortablement dans un environnement sain, en ville, tout en étant économe en ressources naturelles et en énergie. Dès le départ, le défi est d’atteindre les 100% d’autonomie grâce aux énergies renouvelables. En 2001, mille appartements sont construits et leur consommation présente déjà une réduction de 40% par rapport à la moyenne des bâtiments suédois (100 kilowattheures par m² et par an). Petit à petit, le quartier se développe et les derniers bâtiments construits parviennent à obtenir une consommation toujours plus faible (50 kilowattheures par m² et par an). Ces performances reposent sur des stratégies mises en place notamment en termes de :


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• Chauffage : mise en place d’un système centralisé géothermique qui va puiser de la chaleur dans les eaux tièdes contenues dans les roches calcaires à 90 mètres de profondeur. Panneaux photovoltaïques, combustion des déchets qui produisent du biogaz. • Électricité : une éolienne suffit à la consommation de 1000 appartements. • Eau : les toits des unités de logements sont végétalisés et récupèrent les eaux de pluie ; ils sont également surmontés de chauffe-eau solaires. • Déchets : mise en place d’un système de déchets pneumatiques, - les déchets sont directement emportés sous terre grâce à des générateurs et détenteurs qui aspirent par dépression les déchets qui y sont versés, ils sont ensuite amassés en un point centralisateur et directement expédiés vers un point de collecte des déchets – une partie des déchets est recyclée et la combustion des ordures alimentaires servira à produire du biogaz. A l’intérieur, des compteurs intelligents permettent aux habitants de régler leur consommation en eau et en électricité comme ils le souhaitent et proposent des solutions de réduction. Afin d’optimiser une réduction de la consommation, des économiseurs d’eau sont installés sur les robinets et les chasses d’eau. A l’extérieur, de nombreux espaces verts ont été aménagés et offrent un abri aux oiseaux. Des fontaines, des bassins et des canaux alimentés par les eaux de pluies, égaient le paysage de biodiversité.

« Sentir les saisons, voir des arbres, de l’eau est indispensable dans la ville de demain, continue Daniel. Des études dans les hôpitaux suédois ont montré que les guérisons étaient bien plus rapides si les patients sont au contact de la nature. »1.

1

DION, Cyril, Demain : Un nouveau monde en marche, Ed. Actes Sud, 2015, p.129.


Fig. 5 : Plan de l'écoquartier Bo01


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La valorisation du front de mer avec l’aménagement d’un quai en bois et la mise en place de ruelles piétonnes se prêtent à la promenade, loin des nuisances de la circulation automobile. 8km de pistes cyclables et des transports en commun fonctionnant au biogaz, mènent au centre-ville. Tous ces moyens mis en place, incitent le citoyen à opter pour une circulation douce. Même les voitures destinées à l’entretien du quartier sont électriques, tout est là pour faire oublier aux habitants la « vieille ville industrielle ». En matière d’urbanisme et d’architecture, le quartier Bo01 est à mille lieux des grands ensembles modernes qui entourent le centre-ville de Malmö, et contrairement à de nombreux ensembles modernes, on y trouve des ruelles :

« L’architecte Klas THAM s’est inspiré de vieilles villes médiévales européennes ; il s’est demandé ce qui les rendait si agréables et a développé sa propre théorie. Dans ce petit réseau de ruelles on ne sait jamais sur qui on va tomber, si un vieil ami ne va pas surgir au coin de la rue. La ville devient pleine de rencontres inattendues. Il voulait créer le même sentiment »1. Certains bâtiments sont collectifs, d’autres individuels mais aucun ne se ressemble, ils laissent ainsi place à la diversité. Cord SIEGEL et Maria LARSSON sont architectes et ont construit trois immeubles du quartier. Ils en habitent un et nous explique :

« Quand on a commencé ce projet, on avait environ trente ans, un âge où on va généralement s’installer en banlieue dans un pavillon. Notre idée était d’amener notre maison individuelle dans la ville […] Ici, nous consommons moins d’énergie que dans une maison individuelle, c’est plus facile de vivre de façon durable […] »2 Pour eux, construire leur maison, la rendre 100% autonome et pouvoir rester en ville était un rêve de longue date et au vu de l’attrait mondial que le quartier rencontre, auprès de citoyens, des élus, des architectes et des écologistes, ils ne sont visiblement pas les seuls à le partager. 1  DION, Cyril, Demain : Un nouveau monde en marche, Ed. Actes Sud, 2015, p.128. 2  C. DION, op.cit. p.132.


Fig. 6 : Ecoquartier Bo01/ Petites ruelles


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Quelques commerces de proximité se sont installés au pied des immeubles - cafés, restaurants, coiffeurs, salle de sport, supermarché bio, etc. – et contribuent à l’autonomie du quartier. Parmi 35 points écologiques avancés, le quartier et la performance des bâtiments se doivent d’en appliquer 15 d’entre eux. L’accent sera mis sur la qualité des choix des matériaux notamment des isolants favorisant la performance énergétique, sur le maintien de la biodiversité et de la densité du tissu urbain. Sur 1000 m², 500m² concernent le logement, 300m² sont attribués aux espaces verts ainsi qu’à la circulation des eaux et les 200m² restant comprennent les zones semi-imperméables recouvertes de graviers. La moitié des habitants du quartier sont propriétaires et l’autre moitié, locataires. Les prix sont abordables par rapport à la moyenne suédoise et s’élèvent à 900 € par mois pour un trois pièces de 65m². Toutes ces dispositions, sont des stratégies de la ville qui se veut d’introduire plus de mixité afin que ces quartiers ne se transforment pas en « ghetto bourgeois ». Le succès de l’écoquartier doit d’ailleurs beaucoup à la qualité des services mis en place par la Ville et la Région ainsi qu’aux moyens déployés par celles-ci pour que ce projet voie le jour et prouve son efficacité. Le programme de développement régional «Esprit de Scanie1», notamment, a joué un rôle central dans l’implication des habitants et leur évolution de point de vue quant à leur mode vie. Le programme a mis en marche un large processus de consultation - auprès des autorités locales, des organisations, des entreprises, des associations ainsi qu’auprès des citoyens - et de nombreuses actions concernant l’éducation à l’environnement. Ces démarches ont permis un réel changement de comportement des citoyens impliquant un respect du site et de sa biodiversité. Architecturalement aussi, des stratagèmes ont été mis en place afin de conscientiser et intéresser les habitants de l’écoquartier :

1  Province suédoise dont Malmö est le chef-lieu


Fig. 7 : Ecoquartier Bo01


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« […] Une Tour transparente la jouxte, remplie d’une obscure tuyauterie et surmontée d’une petite éolienne. Cord appelle ça « la tour pédagogique » nous montrons l’énergie au lieu de la cacher. A la fois dans les murs, sur les toits, sur les compteurs. C’est une façon de la rendre plus réelle pour que les habitants y fassent attention… »1. Pour finir de redorer l’image de la ville de Malmö, la construction d’une tour résidentielle haute de 190 mètres est commandée à l’architecte espagnol, Santiago CALATRAVA. Edifiée en 2005, c’est la plus haute tour de Scandinavie, la première de l’histoire à avoir une forme torsadée. Cette tour concède à la ville un nouveau symbole, un signal, informant le monde du passage d’une ville autrefois reconnue pour son industrie navale à une nouvelle ville plus internationale, exemple d’une croissance verte. Et c’est ainsi que, combinée au pont de l’Øresund, à la nouvelle université et à l’exemplarité du quartier Bo01, la tour Turning Torso affirme avec encore plus de vigueur l’avenir prospère de la ville qui voit aujourd’hui fleurir sur son territoire, l’implantation d’industries pharmaceutiques, d’entreprises « vertes » et d’autres qui donnent le ton, comme Microsoft. Parallèlement à ce projet, la ville de Malmö engage un autre processus de réhabilitation d’ensemble de logements des années 50 ; le quartier sinistré d’Augustenborg doit être revigoré en essayant d’atteindre les standards écologiques. Les espaces extérieurs sont aujourd’hui plantés d’espaces verts et d’étangs qui offrent un paysage agréable. Les eaux de pluies et les eaux usées sont drainées puis réutilisées pour les plantations et recyclées pour les sanitaires. Tout comme dans le quartier Bo01, la présence de panneaux photovoltaïques, d’une éolienne et de toits végétalisés surmontés de chauffe-eau solaires permettent de viser une performance de 100% d’énergie renouvelables concernant les besoins en électricité et en chauffage de ces bâtiments. En tant que coopérative, la ville et les habitants travaillent ensemble afin d’encourager les comportements

1  DION, Cyril, Demain : Un nouveau monde en marche, Ed. Actes Sud, 2015, p.132.


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propices au maintien et à l’amélioration du mode de vie du quartier. Les idées des habitants ont d’ailleurs donné vie au système de triage de déchets et à leur production de biogaz ainsi qu’à la réhabilitation des cours des immeubles. Avec 16 millions investis par la ville de Malmö dans la dépollution du sol du site industriel du Bo01 et 27 millions engagés par le Gouvernement suédois dans la mise en place de dispositions écologiques pour l’écoquartier et pour la ville, on perçoit qu’ici le projet ne tient pas qu’à une seule petite coopérative mais tout d’abord à l’urgence dans laquelle la friche industrielle a dû être réhabilitée, et à l’impératif de refonder une nouvelle économie. Il était indispensable de ne pas rester cloîtrer dans une vision dépassée de production industrielle. Corrélativement, comme nous avons pu l’observer tout au long de ce mémoire, l’Utopie, cette impulsion qui nous pousse à prendre de la distance, à reculer, pour penser un « autre », apparaît dans des périodes de grandes souffrances, de désordre social. Et c’est précisément ce sentiment de désespoir dans lequel se trouvaient quelques milliers d’ouvriers, suivi du départ de près de 40.000 habitants qui donneront à la ville, l’élan unanime de création d’une nouvelle société modèle. Du chaos, naîtra l’harmonie : principe fondateur de toute utopie. Au sein du quartier bo01, toutes les idées sur le développement durable ont été testées, comme dans un laboratoire, certaines sont retenues, d’autres sont écartées. Un lien peut être d’ailleurs établi avec l’intention que Charles FOURIER avait lorsqu’il énonce, comme nous l’avons vu plus tôt dans l’élaboration de son Phalanstère, que dans un premier temps, les bâtiments devront être édifiés avec des matériaux peu couteux (briques, bois, etc.) afin de pouvoir tester et ajuster les dimensions optimales de la communauté. D’autres parallèles nous semblent intéressants d’être relevés et c’est aux modèles culturalistes présentés par Françoise CHOAY et décrits plus tôt que nous ferons référence, notamment à leur désir de retour au passé et à l’unicité organique des villes médiévales récemment démantelées au profit de la ville industrielle. On retrouve chez Klas THAM, l’un des architectes de l’écoquartier Bo01, ce même attrait


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pour la forme des villes médiévales qui laisse place à l’inattendu et rend la promenade attrayante. Au sein des modèles culturalistes, les Cités-Jardins d’Ebenezer HOWARD présentent de nombreuses similitudes avec l’écoquartier suédois quant à cette aspiration, devenue aujourd’hui presqu’un impératif, à ramener la nature et la biodiversité dans nos villes.

On retrouvera aussi : • L’accent mis sur la diversité de typologies des unités de logements • La notion de cohabitat • La notion d’autarcie • La présence de commerces de proximité • L’importance de la communauté et de l’entraide qui renforce la conscience et la responsabilité de chacun Les différences, elles, résident dans le processus de décentralisation si cher à Ebenezer HOWARD, ici l’intention n’est pas de fuir la ville, ni d’aller s’installer ailleurs, dans ce « pays de nulle part » mais bien de réinvestir la ville, de la travailler, la changer, la rendre meilleure. Par la faisabilité et la réussite même du projet Bo01, l’écoquartier a prouvé qu’il avait dépassé l’Utopie.

« Antérieure à elle (la révolution), mais condition de la pensée révolutionnaire, l’utopie en est le ferment mais non le garant »1. L’écoquartier bo01 peut être apparenté à l’Utopie au moment où, parties d’une critique sociétale, les perspectives d’avenir et d’espoir ont germé. Les récoltes, elles, ne peuvent être attribuées qu’aux différents acteurs qui, à partir des caractéristiques propres au territoire dans lequel ils s’implantaient, ont rendu le projet concret et habité.

1  VUARNET, Jean-Noël, Utopie et atopie, Littérature, Ed. Larousse, 1976.


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Nous avons vu ici l’exemple d’un écoquartier « modèle » qui fonctionne bien et il n’est pas seul dans sa catégorie. Cependant d’autres écoquartiers n’ont pas subi le même sort. La question et la définition du territoire jouent un rôle important dans l’élaboration d’un écoquartier. Certains ayant poussé l’autarcie à l’extrême se retrouvent seuls sur leurs îles ou leur ghetto. Or, la création de ces quartiers nouveaux doit être motivée par la nécessité de rénover la ville dans son ensemble. L’écoquartier doit communiquer avec son environnement. En choisissant de s’implanter sur un territoire délocalisé, le danger est d’avoir des projets qui ne respectent qu’en partie la notion d’écoquartier et qui finalement, contribuent à augmenter l’empreinte écologique, notamment en termes de trajets, la proximité des services n’ayant pas été mise en place1. Ces « faux » écoquartiers peuvent également aggraver, en investissant des terrains inoccupés, le phénomène d’urbanisation des villes tout en continuant à faire disparaître des écosystèmes. Dans nos villes européennes, des milliers de bâtiments sont sinistrés et offrent la possibilité de transformer nos cités sans s’étendre davantage. Il faut réhabiliter, réinvestir nos villes. L’écoquartier se doit d’être le garant de la fin de la ville extensive, vers la ville sur la ville. Pour assurer la viabilité de ces projets et son impératif de développement durable, il est donc central de mettre en place un système autonome et de proximité, capable de ne pas imposer à ses habitants de parcourir des kilomètres pour accéder à leur lieu de travail, aux commerces et aux services. Un système en lien avec la ville. Il est également essentiel de faire évoluer le comportement des habitants en favorisant les échanges et les concertations (écologiques, politiques, économiques) dans les quartiers existants dès les prémisses du projet. En effet, les habitants, ces « exploitants » de l’écoquartier jouent un rôle indispensable quant à la durabilité et à la pérennité du projet ; ils sont les garants de la gestion écologique de ces quartiers. S’ils ne se sentent pas impliqués et entendus, ça ne peut pas fonctionner.

1 https://www.lemoniteur.fr/article/l-ecoquartier-ne-doit-pas-etre-une-enclave-ecologique-pourbobos.1905269 [consulté le 20 Mai 2018]


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Des projets comme l’écoquartier Bo01, d’échelle considérable, engageant le citoyen, le quartier, la commune, la ville et la région, il en faut pour rendre réel d’autres possibles, d’autres manières de vivre. En construisant son image, en tant que vitrine mondiale d’économie verte, la ville de Malmö prouve la force et l’utilité de ces projets d’ « exemplarité ». Leurs voisins européens ne peuvent désormais plus rabâcher l’excuse du « projet utopique » lorsque certains s’élèvent et demandent à construire et à vivre mieux. Ces écoquartiers sont pourtant bien enracinés dans une logique capitaliste de profit, puisque c’est dans ce monde qu’ils prennent lieu et c’est avec ce monde qu’ils doivent dealer. Autour de ces « sentinelles » qui freinent et régulent le capitalisme de croissance, gravitent des micro-organismes. Ces micro-organismes émergent du citoyen et de toutes ces petites initiatives locales qui contribuent à déranger l’ordre établi. Micro-organismes, micro-structures, micro-démocraties, microarchitectures ; ces initiatives prônent la nécessité urgente d’un retour à la décroissance. Elles sont, de par leur taille et leur faisabilité à grande échelle, davantage apparentées à l’Utopie, non-lieu de l’expérimentation infinie. À l’instar de l’utopie, ces initiatives, bien qu’« excessives », contribuent à faire changer les mentalités et à construire, en rapport à l’ordre social, un dessein collectif.

« En son sens faible, l’utopie n’est que l’envers du réel, récit creux d’un ordre actuel. En son sens plus riche, elle relève d’une capacité de concevoir du nouveau à partir des éléments sociaux qui existent déjà : en même temps qu’elle construit et imagine une société autre, elle donne des fondements théoriques nouveaux qui permettent de penser un changement qui était impossible »1 Sensibles aux problèmes d’urbanisation excessive, – rappelons que plus de la moitié de la population est aujourd’hui logée dans les villes – ces mouvements défendent un retour à une échelle plus humaine, à un monde fondé sur la logique du vivant.

1  JEAN, Georges, Voyages en utopie, Ed. Gallimard. Découvertes Gallimard ; 200. Philosophie, 1994, p.158.


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Cette volonté se traduit en ville, par de petits projets basés sur des alternatives de vie tel que des supermarchés bio, locaux, des magasins de vêtements éthiques, des repair café (apprendre à ne pas jeter, réparer), des jardins partagés enseignant la permaculture, la création d’évènements et d’écoconstructions. Toutes ces initiatives sont basées sur la coopérative. Elles fleurissent par petites touches, ici et là, dans les failles, et concourent à une ouverture de possibles.

En zone rurale, des communautés commencent à s’installer sur des terrains afin d’expérimenter, tester une toute autre société et voir concrètement, s’il est possible de vivre autrement. Toutes ont l’ambition d’avoir le plus faible impact sur l’écosystème et cela passe entre autres par d’autres modes d’habitation, d’autres façons de manger, de boire ou de consommer.

Écovillage « Eotopia » Dans le mot « eotopia » ; nous pouvons nous arreter sur le verbe latin eō signifiant « aller, avancer, avoir lieu, etc. » ou encore sur le verbe grec εἶμι : « aller ». Dès lors, associé au nom commun τόπος, Eotopia peut se traduire par : « un lieu où on avance ». Le projet débute par le rêve un peu fou de trois jeunes étudiants qui décident de partir du Pays-Bas jusqu’au Mexique, sans un sou en poche. Après avoir été accueillis, logés, souvent nourris à travers le monde, ils découvrent que la solidarité existe partout. En effet, ils sont convaincus qu’une économie alternative, basée sur le « modèle économique naturel » à savoir ; le troc, est la seule économie équitable pour tous. A l’écart du consumérisme, de l’économie marchande et de la ville, ils imaginent un écovillage où ils pourraient concrétiser leur rêve. Revenus de leur voyage, un des étudiants, Benjamin, et sa femme rencontrée au Mexique, organisent plusieurs réunions afin de présenter leur projet dont une à Freiburg, en Allemagne, où quelques personnes de nationalités différentes expriment le même désir de mettre en cohérence leurs aspirations à un autre mode de vie.


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Ils partent dès lors, en France, à la recherche du lieu qui servira à établir leur communauté. De 2013 à 2016, quelques faux espoirs se succèdent jusqu’à ce qu’ils se résignent, ensemble, à réunir leurs économies et à acheter un lieu à 250km de Paris ; l’utopie concrète est mise en route. Paradoxalement, leur rêve sans argent a dû, pour voir le jour, être acheté. Ils ont peut-être perdu en crédibilité mais aujourd’hui, neuf personnes habitent dans le village d’Eotopia et plus de 140 visiteurs de dix nationalités différentes sont déjà venus voir de plus près ce que le village propose. Plusieurs activités y sont développées ; la construction d’une Tiny house, des ateliers de réparations d’objets, la création d’un jardin biologique basée sur la permaculture, l’expérimentation de la vie zéro déchet, l’éducation au véganisme, etc. Chaque visiteur apporte un peu de son aide mais aucun horaire ou ordre n’est imposé. Chaque soir, une séance de méditation collective est organisée, tout le monde s’exprime à propos des ressentis de la journée, suivant les principes de la communication non violente. Pour être en cohérence avec leurs idéaux de respect du vivant, le village se veut végan : tous les produits venant de l’exploitation animale (lait, œufs, fromages, médicaments testés sur les animaux), y sont proscrits. C’est aussi un moyen de réduire leur impact écologique au maximum. Lucie, résidente de 24 ans, explique :

« J’ai décidé de proscrire les produits venant des animaux pour ne pas financer les responsables de la maltraitance animale. Aujourd’hui, avec la crise écologique, c’est une nécessité de passer au véganisme. La déforestation et l’accaparement des terres pour l’élevage produisent plus d’un tiers des émissions des gaz à effet de serre. Cela a un plus grand impact que tous les moyens de transport réunis. »1. Concernant l’éducation, Yasmin, la compagne de Benjamin explique qu’elle préfère élever sa fille au village entouré de la communauté :

1  https://eco-villages.eu/2017/04/26/eotopia-un-ecovillage-vegan-au-pays-des-cigognes/ [consulté le 25 Mai 2018]


Fig. 8 : Ecovillage Eotopia


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« L’école formate les enfants. Ils y apprennent la violence, le harcèlement. Ce n’est pas ce que je souhaite pour ma fille. Ici, elle apprendra la tolérance, la solidarité et le partage. On veut lui apporter encore plus que l’école. Et puis être mère, c’est à temps complet. Inspirée par le documentaire « Être et devenir » et par des témoignages de personnes ayant vécu l’expérience, je souhaite m’y dédier jusqu’à ce qu’elle ait l’âge du collège. Après elle sera libre de choisir si elle veut rentrer au collège ou non »1. De fait, ces documentaires montrent que comparés aux enfants élevés dans un schéma scolaire classique, ceux qui grandissent au contact permanent d’autres cultures, d’autres natures et d’autres langues sont plus débrouillards et avisés. Comme nous l’avons déjà évoqué, Eotopia, qui compte aujourd’hui seulement neuf personnes, veut pouvoir fonctionner sur une économie du troc, du don. Benjamin la résume comme suit :

« Dans mon esprit, l’économie du don serait un système qui ne peut fonctionner qu’au niveau local. Il fonctionne grâce à des acteurs d’un système économique qui acceptent de faire des choses pour leur bien-être et celui des autres. Tout le monde ne fait que les choses qu’il a envie de faire. Sur ce principe, on va avoir des menuisiers, des agriculteurs mais pas des gens qui ont envie de fabriquer de petites pièces en plastique. C’est donc une économie écologique et responsable, qui repose sur la confiance et supprime une grande partie des produits de consommation. »2 Il explique également que d’après ses lectures, pour qu’une économie du don puisse être viable, il faut que la communauté ne dépasse pas 150 personnes. En effet dans ce système, il faut pouvoir se faire confiance et donc se connaître. Mais l’économie du don et l’objectif de n’avoir aucun effet néfaste sur l’écosystème demandent beaucoup de concessions. Ils ont dès lors choisi une transition douce pour ne pas devenir trop sectaire et risquer de voir le projet se désagréger. Sur place, quelques compromis ont donc dû être faits quant à l’usage de l’électricité et de l’essence. On pourra y voir un grand frigo (éteint en hiver), un 1  PUCHOT, Pierre, Eotopia pour vivre sans argent, Mediapart, 2016, p.3. 2  P. PUCHOT, op.cit., p.5.


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petit chauffe-eau et d’autres appareils qui ne peuvent pas toujours répondre aux exigences écologiques. Et même s’ils voulaient que leur écovillage fonctionne sans déchet, et que les habitants ne consomment qu’exclusivement bio et local, quelques produits ne le sont pas et contiennent des emballages. Chaque jour, Eotopia se construit et d’une volonté spontanée, naissent de petites réalisations architecturales. Elles témoignent d’un savoir-faire acquis à force d’expériences et d’échanges. Un four solaire, une douche fait uniquement de matériaux de récupération, un « rocket stove » (un foyer à bois qui permet de faire chauffer de l’eau et de cuisiner avec très peu de bois), des composts, des installations liées à la permaculture comme une spirale d’aromatiques (qui permet d’utiliser un minimum d’espace tout en répondant aux exigences climatiques de chaque plante), etc. Une forêt de bambous leur permet de répondre à leurs besoins en matériaux. Ils en coupent les tiges, les font sécher et les utilisent pour construire au quotidien. L’élaboration d’une Tiny house est en marche : un petit habitat écologique sur roulette fait de matériaux recyclés et qui consomme le moins possible, pourra bientôt accueillir de nouveaux arrivants. À l’initiative du projet, Sandrine explique que la Tiny house fera 15m², et comprendra : une petite mezzanine pour la chambre, des toilettes sèches, une douche et une petite partie cuisine. De grandes fenêtres permettront de laisser entrer un maximum de lumière. Selon Sandrine, il est essentiel de réfléchir à quels sont nos réels besoins :

« Moins j’ai eu de choses dans ma vie, plus j’ai été heureuse »1. Bien que la Tiny house sera faite à partir de matériaux de récupération, certaines choses doivent être achetées : l’énergie (réseau d’énergie verte Enercoop qui alimente déjà le village), la douche en inox, l’isolation en laine de bois et laine de chanvre,

1 https://eco-villages.eu/2017/04/26/une-tiny-house-a-eotopia-un-exemple-concret-deco-construction/ [consulté le 25 Mai 2018]


Fig. 9 : Ecovillage Eotopia / rocket stove / foyer Ă bois


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certaines structures lourdes, etc. Cette Tiny house devra couter plus ou moins 20 000€. Dans les faits, difficile de faire sans argent… Essayer, c’est déjà beaucoup. Vivre avec peu d’argent n’est pas facile cependant Dominique (41 ans), résidente d’Eotopia, explique :

« joindre les deux bouts, c’est devenu très compliqué, j’ai quelques ennuis avec ma banque en ce moment, dit-elle avec un sourire. Mais honnêtement, je ne regrette rien. Entre le super salaire de la banque à l’époque, presque 3000 euros par mois, et cette vie de galère financière, il n’y a pas photo. Je me sens tellement plus libre et mieux dans ma peau aujourd’hui, j’ai du temps pour moi, pour vivre. »1. Les habitants d’Eotopia expriment qu’ils ont le sentiment d’apporter beaucoup plus à la société en s’investissant dans le projet, en partageant leurs connaissances et leurs découvertes, qu’en ayant un travail salarié. A notre époque où en un clic il est possible d’obtenir tout ce dont nous avons besoin sans devoir bouger autre chose que le petit doigt, pouvoir accomplir, construire et réaliser des choses de ses mains, procure plus de satisfaction et de plaisir que l’on ne pense. Là est tout l’enjeu des écovillages : pouvoir trouver du plaisir ailleurs que dans la consommation. La réussite du projet réside dans la faculté de ses résidents et de ses participants à évoluer. Eotopia doit être un endroit propice à stimuler la réflexion, à concevoir les choses différemment, notamment dans la manière de concevoir les relations humaines : abandonner l’habitude de critiquer les autres et apprendre à nous examiner nousmême. Le changement individuel est vu comme l’acteur principal du changement global. Cela n’a rien d’un fantasme égoïste, c’est un rêve basé sur l’harmonie du vivre ensemble. « sois le changement que tu veux voir dans le monde »

1

P. PUCHOT, op.cit., p.2.

Gandhi.


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Le risque est cependant de rester coupé du monde. Ces initiatives ne peuvent pas juste s’extraire de la société et vivre dans leur petite bulle sans argent, sur leur « île », dans leur monde. Elles doivent se réaliser par la communication et empiéter sur la société, travailler avec elle. Tout a plus de sens quand on est entre les deux, il faut trouver le juste milieu entre les rêves et la réalité. Dans cette critique sociétale, ce désir de prendre du recul et de vivre en accord avec la nature, nous retrouvons encore certains principes vus plus haut : A l’instar des Cités-Jardins d’Ebenezer HOWARD :

• La décentralisation. Afin de compenser l’exode rural et l’agglutinement des villes, les écovillages se placent généralement en zone rurale. A leur échelle, ils repeuplent les campagnes et aident à rajeunir la population. • L’autarcie. En s’installant à la campagne, les écovillages sont en harmonie avec la nature et peuvent, grâce à elle, cultiver et récolter leurs vivres à la source. • La coopérative. L’entraide, l’échange et le vivre ensemble sont les racines du projet. • La confiance et la foi en l’humain. L’économie du don et le bon fonctionnement du village Eotopia en particulier, se basent sur la confiance, sur la solidarité et la certitude que lorsqu’on reçoit, on a envie de donner. Comme dans le projet de nouvelle société d’Ebenezer Howard, il a fallu faire des concessions pour aller au-delà du rêve. L’Utopie réalisée ne peut être parfaite et doit faire avec son temps.

Conclusion Nous avons vu que ces constructions de « morceaux » de villes dites utopiques sont possibles et même plus qu’urgemment nécessaires.


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Le projet et la réalisation n’ont rien d’utopiques, d’ailleurs ils sont vivables, remarquables, durables et déjà réalisés. Ce qui est malheureusement utopique c’est de croire que tous les êtres humains ont la conscience de cette urgence, de ce bénéfice à vivre ensemble, en confiance, en respect de l’autre. Bref, que toutes les intervenantes et tous les intervenants, habitants et dirigeants sont prêts à faire ce pari. Il faut pourtant le constater, toute une série de malaises construisent notre quotidien : facilité, prédominance de la consumérisation, de l’argent, de la compétition et de la performance à tout prix. « L’homme est un loup pour l’homme » disait Thomas HOBBES, alors que faire ? Essayer, éduquer, ouvrir des impensés c’est déjà une ébauche de réponse à la question.

Les Villes intelligentes Le cas de la Ville intelligente présente une problématique plus complexe que celle des écolieux. Tout d’abord parce que le terme de Smart city est un mot plurivoque que nous allons essayer de résumer au mieux. C’est à la fois une série d’idéaux urbains et une multitude d’expériences très concrètes. Il définit aujourd’hui un principe directeur de la nouvelle urbanité. Car, force est de le rappeler, le XXIe siècle sonne l’avènement de nouvelles technologies et, avec elles, des as du marketing à l’origine d’innovations technologies toujours plus alléchantes. Les politiques les soutiennent et diffusent cette nouvelle offre sous l’appellation séduisante de « smart city ». Ainsi, si cette nouvelle gamme de technologies présumées intelligentes est souvent porteuse de grandes promesses de développement pour les villes de demain, mais il faut raison garder face à un nouveau marketing menaçant de les transformer en simples arguments de vente. D’emblée, le concept de smart city peut s’appliquer à de nombreux domaines et s’implanter sporadiquement ou dans la ville entière. Sa mise en œuvre est différente dans chaque ville en fonction de différents facteurs intrinsèques à celle-ci : •

Le niveau de développement.


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Les ressources et les aspirations de la ville.

La volonté de changement et de la réforme.

On distinguera les villes nouvelles (basées et construites sur le concept de smart city) des villes « anciennes », en transition (transformées selon le concept de smart city).

Smart city : la « ville ancienne » de Barcelone Barcelone est considérée comme la ville européenne la plus avancée dans le concept de smart city. Tout d’abord comme nous n’avons pas encore évoqué Barcelone, nous pouvons repasser par un petit détour historique. En effet la capitale de la Catalogne dont le plan a été restructuré et développé en 1859, peut être classé dans le répertoire d’utopie urbaine. Après l’expansion démographique qu’elle a connue dans le milieu du XIXe siècle, un programme de restructuration est mis en place pour répondre aux besoins d’expansion et pour métamorphoser plus rapidement la cité afin d’en faire une « ville idéale ». Le plan d’urbanisme est élaboré par l’ingénieur Ildefonso CERDA et exprime la grandeur du programme d’expansion envisagé. Le plan orthogonal en damier (cfr Hippodamos) est pensé pour une expansion régulière : un modèle pouvant être répété à l’infini. De grandes artères diagonales coupent le réseau orthogonal de lotissements urbains et permettent aux utilisateurs de contempler le caractère grandiose de la ville nouvelle. On ne perçoit pas de hiérarchie entre les axes. Le plan est ambitieux et étendu. Ildefonso CERDA veut créer une forme urbaine idéale : selon les lois du rationalisme positiviste propre à son époque, Ildefonso CERDA donne ce qu’il pense être une réponse universelle basée sur la science de l’organisation spatiale des villes. Il met en place des principes immuables, des règles. En effet le positivisme prône l’idée que les sciences pourront résoudre, à l’aide des mathématiques, tous les problèmes jusqu’à la politique. Auguste COMTE1 envisage même la science en tant que religion. Le modèle d’Ildefonso CERDA 1 Auguste COMTE (1798-1857) est un philosophe français, fondateur du positivisme.


Fig. 10 : Barcelone, 1859 par Idelfonso CERDA / L'expansion urbaine comme CitĂŠ idĂŠale


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prend également en compte des données sociologiques intégrant la condition de la classe ouvrière et dessinent des profils idéaux à partir de la dimension de l’homme moyen. Cet homme moyen devient la valeur centrale autour de laquelle les mesures d’une caractéristique humaine étaient groupées suivant une courbe normale. A l’origine de l’urbanisme de CERDA, on retrouve le modèle progressiste évoqué plus haut. Notamment les pensées et théories de Charles FOURIER avec sa recherche obsessionnelle de l’harmonie et des lois qui la régissent. La recherche de l’individu type également. Il faut réformer la société par l’espace. La ville de Barcelone est donc encore aujourd’hui construite selon une trame isotrope « en damier » qui traduit un désir d’ordre social et de modèle propice à l’expansion infinie de la ville. La trame, à laquelle CERDA donne une dimension politique et isotrope, permet à chacun d’accéder à la même vitesse au même endroit. A l’utopie historique spatiale de la ville de Barcelone, s’ajoute aujourd’hui un nouveau modèle de société : La ville intelligente. Le concept consiste dans les grandes lignes à appliquer internet à toutes choses et à la ville en général. L’objectif est de devenir plus efficient en matière de gestion la ville à l’aide des nouvelles technologies. La technologie et les processus mis en place permettront de savoir à tout moment ce qu’il se passe dans la ville afin de prendre les décisions adéquates. Ces technologies seront appliquées dans la gestion de l’énergie, de l’eau, de la lumière, de la collecte des déchets, des transports, etc.

Irene Compte Lobera, directrice exécutive de l’entreprise Urbiotica à Barcelone explique1qu’ils mettent en place des produits qui constituent un système complet pour récolter les données de la ville en temps réel. Dans sa gestion quotidienne des services urbains, par exemple, ce système permettra une diminution des couts opérationnels mais aussi une meilleure durabilité des services.

1  YouTube. (2014, Mars 27), Smart city, un concept de ville intelligente - Barcelone, Juillet 2016 [Video File].


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Quelques exemples concrets sont déjà mis en place : une application mobile vous conduit jusqu’à une place de parking libre et s’actualise constamment, en temps réel. Une autre application indique le niveau de remplissage des containers à déchets et permet une collecte intelligente des camions. Des capteurs d’ambiance évaluent les niveaux de bruit, de pollution atmosphérique, de température, de luminosité, et des taux d’humidité relative. Les données de ces capteurs vont dès lors circuler par les moyens informatiques que l’entreprise a mis en place et informer les acteurs concernés.

C’est un secteur qui fait partie de l’économie verte. Dans le domaine de l’éclairage urbain par exemple, une économie d’énergie de 30% a déjà pu être faite. La ville a remplacé les ampoules à incandescence de 1100 lampadaires par des ampoules à LED afin de réduire la consommation énergétique. Elle a également équipé ces lampadaires de capteurs permettant de détecter la proximité des piétons. Dès lors, lorsque les rues sont vides, l’éclat de la lumière est atténué afin de consommer moins d’énergie. La ville de Barcelone, en accord avec plusieurs entreprises, souhaite apporter plus de connaissances techniques aux professionnels du développement durable et plus de notions de développement durable aux techniciens. Cette formation englobe l’énergie mais aussi toutes les questions qui consiste à « améliorer une ville ».

Smart city : la ville nouvelle de Songdo La ville de Songdo est la smart city par excellence, elle fait figure d’exemple en la matière. Cette ville nouvelle est bâtie sur un terrain gagné sur la mer jaune en Corée du sud. Sa construction débute dans les années 2000, après la crise économique subie par la Corée du sud en 1997. Ce projet fait partie d’un plan d’aménagement plus vaste destiné à créer une zone économique franche sur la zone côtière et relier Séoul à la mer jaune dans un continuum urbain. Le plan comprend trois zones :

• A l’ouest Yeongjong (où se trouve l’aéroport) : consacré à la logistique et au tourisme.


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• Au Nord, Cheongna (où se trouve le port) : consacré à la finance et au divertissement. • A Sud, la Ville nouvelle de Songdo : consacré au business international et aux nouvelles technologies. D’ici 2020, ces trois zones devraient réunir 50 000 habitants et, avec la ville d’Incheon de Séoul, créer une mégalopole de plus de 300 000 habitants. Ainsi, Songdo offre une fiscalité inédite très prisée par les grandes entreprises, permettant ainsi de relancer l’activité économique du pays. Cela explique pourquoi ces entreprises privées ont aujourd’hui la main mise sur un projet publiquement lancé par le gouvernement. En outre, la ville de Songdo bénéficie d’une situation très avantageuse pour les échanges internationaux étant donné qu’elle est à trois heures d’avion d’une soixantaine de villes de plus d’un million d’habitants. C’est l’agence d’architecture Kohn Pedersen Fox Associates (KPF), une des plus grandes agences d’architecture au monde reconnue pour ses projets de grande échelle, qui est en charge d’exécuter le master plan de Songdo ainsi que les bâtiments majeurs de la nouvelle ville. Dans ce projet interviennent également la banque américaine Morgan Stanley, Gale International, POSCO ou encore Microsoft, faisant de celui-ci un nouveau modèle de partenariat public-privé dans la conception de la ville. Rappelons que ce modèle est un projet pilote, destiné à être exporté et appliqué à d’autres villes du monde. Nous sommes ici totalement dans le caractère insulaire et a-contextuel de l’Utopie : une toute nouvelle ville imaginée sur une « île » artificielle appelée polder, et donc conçue entièrement par l’Homme. Les concepteurs sont libres de créer de toute pièce une nouvelle société modèle, extraite de leur vision de la cité idéale.


Fig. 11 : Evolution des polders de Songdo, de 1992 à 2016. D'après Google earth time lapse


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Le prototype de la ville parfaite n’est cependant pas seulement le produit d’un fantasme, mais est également soumis à différents critères. En effet, Songdo répond à des critères relatifs à l’écologie, l’attractivité, l’identité et l’ubiquité développés ci-après. Ainsi, Songdo répond tout d’abord au critère écologique. Elle est construite autour d’un parc et possède 40% d’espaces verts sous lesquels se situe un immense système sous-terrain de récupération des eaux de pluies. Ces eaux sont ainsi recyclées et redistribuées pour arroser les espaces verts, nettoyer les rues et alimenter les chasses d’eau. Un réseau pneumatique de collecte de déchets semblable à celui de l’écoquartier suédois que nous avons vu plus haut est également mis en place, mais à plus grande échelle car tous les bâtiments de la ville y sont connectés. Les déchets sont recyclés, compostés et utilisés pour produire du biogaz destiné à alimenter la ville en chauffage. Les toitures sont surmontées de panneaux solaires eux-mêmes reliés au réseau électrique central. Un autre réseau de fibre optique s’étend sous toute la ville afin d’offrir le meilleur débit internet à tous les utilisateurs. Un total de 127 kilomètres de pistes cyclables sont proposés aux habitants afin que toutes les infrastructures qui leur sont nécessaires soient accessibles à moins de quinze min à vélo. Les parkings se placent presque tous en sous-terrain afin d’optimiser la place en surface pour tout autre moyen de transport et ainsi assurer une image d’éco-cité. L’objectif de la ville de Songdo est de produire 70% de CO2 de moins qu’une ville classique de même grandeur. Elle s’assure dès lors l’image d’une ville propre et attractive. Ensuite, Songdo répond au critère identitaire, et ainsi, au critère d’attractivité. Elle s’est créée une nouvelle identité en se distinguant des autres villes par sa prise en considération des expériences de ces dernières. En effet, les architectes de la KPF ont décidé de s’inspirer des villes historiques remarquables et de les rassembler en un même lieu afin d’asseoir Songdo dans la lignée des grandes métropoles du monde. En résulte une ville traversée par de grands boulevards haussmanniens, organisée autour d’un grand parc inspiré de Central Park à New York, et irriguée par des canaux dont on dirait sorties d’une carte postale de Venise. A noter que l’agence d’architecture KPF est aussi entrée dans la compétition


Fig. 12 : Le central Park de Songdo

Fig. 13 : Le centre de contrĂ´le des opĂŠrations de Songdo


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plus récente des tours qui fleurissent le paysage urbain de Songdo. Force est de constater que ce mélange d’icônes tantôt historiques, tantôt futuristes et de paysages occidentaux présente tous les attraits pour séduire les populations internationales. Enfin, Songdo répond au critère de la ville ubiquitaire. Pour être totalement considérée comme intelligente, la ville de Songdo se devait également d’être dotée d’un système de centralisation des informations. D’emblée, ce système est équipé de caméras et de capteurs en tous genres dont les informations sont traitées par un système central relié à un centre de commande des opérations, l’Integrated Operation Command Center. Ce centre est chargé d’apporter des solutions adéquates aux problèmes constatés par les caméras. Ce système et les moyens déployés pour le mettre en place font de la ville de Songdo la première ville omnisciente et ubiquitaire. La maîtrise de toutes les composantes entrant dans le fonctionnement interne de la ville permet de perfectionner le fonctionnement des services pilotés par des algorithmes - des services que l’on retrouve à toutes les échelles, dans tous les domaines. A titre d’exemple, on peut relever le système d’identification d’automobiles en infraction de stationnement, fonctionnant grâce à des lecteurs de plaque d’immatriculation. Dans ce cas, un sms est envoyé au conducteur pour lui signaler l’infraction et le guider vers une autre place. S’il n’opère pas, une amende lui est directement envoyée. On peut encore citer le système de badges qui permet aux habitants de Songdo d’utiliser les transports en commun, d’accéder à leur lieu de travail et de rentrer chez eux. En somme, tous les équipements de la ville sont dotés de capteurs spécifiques qui rendent immédiatement compte d’un appareil défectueux, et déclenche d’emblée une procédure de réparation par un agent. Un écran de contrôle installé dans chaque appartement permet aux habitants de contrôler depuis leur smartphone leur production de déchets ainsi que leur consommation d’énergie et de CO2. Notons qu’au sein des immeubles, des concours mensuels sont organisés afin d’encourager les habitants à produire le moins de CO2 possible, avec par exemple un accès gratuit à la salle de sport à la clé. Les cannettes et les emballages sont équipés de capteurs qui permettent à l’usager de gagner quelques centimes s’il recycle bien ses déchets. Il est indéniable que compter sur la bonne volonté des habitants ne suffit pas, il faut les récompenser jusqu’au


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plus petit geste afin d’atteindre les objectifs. Grâce à un vaste système de visio-conférence, les usagers peuvent accéder depuis leur salon à une multitude de services comme faire ses courses, suivre des leçons ou encore consulter son médecin. Ce vaste système est présent dans les logements mais aussi dans les écoles, les hôpitaux et les bureaux. Le prototype de la ville de Songdo est une vraie révolution dans le domaine de conception des villes. Cette conception de la ville selon un système informatique pilotable trouve son origine dans les théories cybernétiques. Le mathématicien Norbert WIENER donne en 1947, la définition du terme cybernétique (du grec κῠβερνήτης : « pilote, gouverneur ») comme « théorie entière de la commande et de la communication aussi bien chez l’animal que dans la machine ». Cette approche cybernétique consiste à considérer que les êtres vivants, les machines et les systèmes économiques et sociologiques fonctionnent tous selon les mêmes lois et principes d’autorégulation. Cette vision scientifique et systémique de l’organisation de la ville la réduit à celle d’un ordinateur, complexe mais présentant des failles comparables. Cette vision scientifique n’est pas sans rappeler la vision rationaliste évoquée plus haut dans le plan d’urbanisme de la ville de Barcelone, dessiné par l’ingénieur Ildefonse CERDA (1859). Il prônait également l’idée que les sciences pourraient résoudre, à l’aide des mathématiques, tous les problèmes allant de la plus petite échelle à la plus grande. Le modèle de Songdo, ce prototype de ville transposable, répondant à de nombreuses règles censées atteindre une harmonie parfaite n’est pas sans rappeler non plus le socialisme utopique du modèle progressiste de Charles FOURIER : pourtant, il semblerait que les intentions des deux projets soient diamétralement opposées. L’un, bien que basé sur un individu type prône la coopérative et la gouvernance venant d’en bas, une Utopie Citoyenne tandis que l’autre prône l’individualisme et la gouvernance venant d’en haut, une Utopie étatique.

Si ces nouveaux systèmes intelligents sont révolutionnaires en termes d’efficacité, de sécurité et d’écologie, ils présentent toutefois des inconvénients.


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Tout d’abord, relevons que ces nouveaux systèmes intelligents couplés à l’utilisation permanente des smartphones, conduisent à une diminution du nombre de rapports sociaux qu’entretiennent les résidents. Les interactions de la vie urbaine sont ainsi totalement redéfinies et risquent peut-être de détériorer la qualité de vie des habitants plutôt que de l’améliorer. Étant donné que tout le fonctionnement interne de la ville dépend de systèmes informatiques logarithmiques, celle-ci est indubitablement exposée aux risques d’attaques informatiques. À l’échelle de l’individu, ce sont des centaines d’informations transmises au réseau qui peuvent être à la merci de hackers et d’entreprises peu scrupuleuses. Cette réalité rappelle d’ailleurs dangereusement les scénarios dystopiques de Georges ORWELL dans 1984 ou de Philip K.DICK dans Minority Report. Plus qu’une dystopie, Pierre-Paul MAETER relève dans son analyse critique « la ville "intelligente" ou la ville de l’intelligence ? »1 le caractère mystique, religieux que présente la Smart City. En effet, l’idéal de cette ville numérique réunit les caractéristiques que le théologien Rudolf OTTO2 prête au divin :

• Mystérieux : car les machines, les capteurs et les algorithmes restent des termes très vagues dont la plupart des citoyens ne comprennent pas le fonctionnement. • Terrifiant : en raison de la puissance d’action de la machine et la rapidité de l’évolution numérique qui ne cesse de gagner du terrain. • Fascinant : à cause de l’intelligence que représente le cerveau numérique, cette machine qui devient de plus en plus humaine et qui peut répondre à toutes nos questions.

1

MAETER, Pierre-Paul, La ville « intelligente » ou la ville de l’intelligence ?, in Le Magazine du Conseil, n°20, 2016, pp.17-19. 2  https://fr.wikipedia.org/wiki/Rudolf_Otto [consulté le 4 Juillet 2018]


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De plus, l’accès au système de « contrôle » de la ville la rend vulnérable et les risques de vandalisme et de terrorisme sont d’autant plus inquiétants puisque cette tour de contrôle est censée pouvoir gérer toutes les composantes de la ville. La rapidité des innovations de la TIC (Technologies de l’Information et de la Communication) pose également question quant à l’obsolescence urbaine. En effet, en quelques années ces systèmes qui façonnent la ville deviendront obsolètes et devront être remplacés par d’autres systèmes plus performants alors que la ville, elle, doit pouvoir durer quelques décennies voire quelques siècles. Enfin, en tant que centre d’attraction pour les grandes entreprises internationales et concurrente des mégapoles voisines (Singapour, Hong Kong, Tokyo, etc.), l’offre immobilière de Songdo s’adresse au départ presqu’exclusivement aux expatriés travaillant dans le business international ainsi qu’aux classes les plus aisées de la population. Cela annonce dès lors l’absence de mixité sociale qui, couplée au manque d’interactions sociales grandissant à mesure que la technologie progresse, limite les contacts humains. On constate que, si la ville semble vouloir diminuer les tensions sociales, celle-ci en crée de nouvelles. L’avènement du numérique va de pair avec l’individualisation de l’expérience. La révolution numérique marque en effet le passage de l’âge de l’information de masse à l’âge de l’information spécialisée, individualisée. Francis PISANI, journaliste, a visité la ville de Songdo et nous explique dans l’émission de radio « la ville connectée » (France culture) que c’est une ville perturbante, pour lui, elle est à la fois invivable et indispensable. Lors de sa première visite en 2014, il remarque que les rues sont vides, les supermarchés et les centres commerciaux n’accueillent pas plus de clients. En interrogeant un habitant dans la rue, celui-ci lui explique que le problème réside dans le fait que personne ne se connait. La ville alors toute neuve (les travaux finaux ne se termineront qu’en 2020), ne parvient donc pas à créer un dynamique socio-culturel, dynamique sans laquelle il n’y a pas de vie urbaine qui vaille la peine.


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Trois ans plus tard, Francis PISANI constate qu’il y a plus de circulation, plus de gens : la vie commence à peine. Chose plus inquiétante, lors de son entretien avec Scott Summers, senior viceprésident de Gale (une des entreprises mères de Songdo), celui-ci lui explique que la seule chose qui lui déplait est que l’on peut apercevoir quelques affiches aux fenêtres des appartements ou des commerces. Un peu de désordre en somme, or c’est ce désordre même qui permettra de donner vie à la ville de Songdo. En termes d’habitants, la ville semble atteindre petits à petits ses objectifs, avec des offres immobilières beaucoup plus faibles que le marché immobilier de Séoul, nombre de citoyens viennent s’installer mais le problème pour l’instant c’est que les compagnies, spécifiquement dans le domaine des finances, s’y installent peu : « la faute à un environnement des affaires trop réglementé en Corée du sud » explique Scott SUMMERS, des incitations fiscales ont pourtant déjà été mises en place. Le monde doit cependant faire face au problème d’urbanisation des villes et plus particulièrement en Asie où la chine et l’inde s’urbanisent de quelques dizaines de millions d’habitants par an. Et c’est en cela que Francis PISANI estime que la création de ville nouvelle telle que Songdo est indispensable. La nouvelle urbanité représentée par les Villes intelligentes est caractérisée par l’avènement des nouvelles technologies mais aussi par le triomphe de l’économie du marché. Ce qui différencie les plans de villes proposés par Ebenezer HOWARD ou par Le Corbusier des villes nouvelles d’aujourd’hui est qu’ils étaient menés et conçu par des architectes. Aujourd’hui, d’autres acteurs comme les géants de l’immobilier et du numérique rentrent en compte et s’emparent de la question de la ville. Les architectes ne sont plus concepteurs de la ville. A ce propos, Evgeny MOROZOV, nous rappelle que ce qui anime les entreprises de l’économie numérique n’est pas de rendre les villes « intelligentes » mais bien de « définir de nouveaux objets de valeurs et s’enrichir en en captant la valeur »1 1 MOROZOV, Evgeny et HAAS, Pascale, Le mirage numérique : Pour une politique du Big Data, Ed. Les Prairies Ordinaires, 2015.


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L’architecte Rem KHOOLAAS1 s’exprime sur le sujet dans une retranscription d’une conférence donnée à la commission européenne lors de la série Digital Minds for a New Europe, à Bruxelles, le 24 septembre 2014 : « This transfer of authority has been achieved in a clever way by calling their city smart – and by calling it smart, our city is condemned to being stupid » soit « Ils ont habilement réalisé ce transfert d’autorité en appelant leur ville intelligente, et en l’appelant « intelligente », notre ville est condamnée à être stupide. » Rem KHOOLAAS déplore ce transfert d’autorité, ce dernier se traduit en architecture par le fait qu’elle ne puisse plus qu’exprimer les valeurs du secteur privé au détriment des valeurs publiques. Ce changement s’est opéré selon lui dès les années septante, au même moment où l’urbanisation des villes a explosée et où les architectes ont cessé d’écrire des manifestes. A cette époque, le meilleur argument de vente des villes devient la sécurité : elles deviennent dès lors plus prévisibles et moins aventureuses. Selon lui, les architectes ont cessé de penser la ville, et c’est dans ce vide que le concept de Smart city s’est engouffré. Il déplore également les discours alarmistes des promoteurs de la Ville intelligente : ceuxci basent leur argumentation sur les désastres à venir pour vendre leurs solutions et quelle que soit la gravité du problème, les systèmes mis en œuvre rendront les solutions efficaces. Cette vision simpliste réduit la complexité des défis urbains et infantilise ses citoyens : cette infantilisation se retrouve d’ailleurs dans l’esthétique de ces villes intelligentes (« mini Europe », icônes colorées et dispositifs inoffensifs censés supprimer toute possibilité de transgression).

L’Europe du XXIe siècle et la révolution numérique concourent, selon Rem KHOOLAAS à un changement de trinité : les valeurs traditionnelles de liberté, d’égalité et de fraternité ont été remplacées par celles du confort, de la sécurité et de la durabilité. Grégoire BIGNIER dans son livre « Architecture et économie circulaire », nous explique également que le modèle de Ville Intelligente doit son succès à la sécurité qu’il assure et à l’optimisation qu’il permet. Un autre problème est relevé dans ce livre : dans le système 1 http://ec.europa.eu/archives/commission_2010-2014/kroes/en/content/my-thoughts-smart-city-remkoolhaas.html, [consulté le 20 Juillet 2018]


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mis en place dans la Smart city, le bâtiment est conçu de telle manière qu’il ne peut fonctionner sans infrastructures. Le bâtiment et les infrastructures sont deux entités conçues conjointement, elles rendent donc impossible l’autonomie en architecture. Fanny LOPEZ dans son ouvrage « Le Rêve d’une déconnexion. De la maison autonome à la cité auto-énergétique »1 nous explique en s’appuyant sur les travaux de l’architecte Alexander PIKE, qu’historiquement l’autonomie en architecture et ses tentatives sont intéressantes mais qu’elles restent souvent marginales et ne s’appliquent pas à un développement urbain de masse. Selon les écrits de Fanny LOPEZ, nous pouvons donc supposer que les tentatives d’écovillages étudiées précédemment sont vouées à rester en marge de la société… C’est donc la voie opposée qui s’impose, présenté comme le seul modèle possible de la ville contemporaine, la Smart grid2. Dans ce modèle, l’hyperconnectivité du bâtiment implique sa dépendance aux opérateurs urbains. Ainsi, la Smart city et ses dérivés présentés comme la grande réponse aux problèmes écologiques annonce une contradiction fondamentale. Entre connexion et autonomie, le développement urbain est corrélé à une dette croissante vis-à-vis de la biosphère, comprenant :

• L’extraction des ressources naturelles en phase de construction d’autant plus que les équipements numériques sont souvent fabriqués avec des matériaux coûteux et rares comme l’aluminium, • La dépendance des bâtiments irréversible vis-à-vis des opérateurs de réseaux et • L’impasse du stockage de déchets non-recyclables des équipements technologiques en phase de démantèlement.

1  LOPEZ, Fanny, Le Rêve d’une déconnexion. De la maison autonome à la cité auto-énergétique, Ed. La Villette, 2015 2  Réseau électrique intelligent


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Ce système ne règle donc pas une grande partie des problèmes écologiques en matière de bâtiment, au contraire il puise constamment dans des ressources qui ne pourront pas être recyclées. Le problème est laissé derrière eux. Ce problème n’est d’ailleurs pas appliqué uniquement aux Smart cities, on retrouve également des systèmes Smart dans de nombreux écoquartiers, ceux-ci permettent certes l’optimisation de la gestion de l’énergie, mais à quel prix ? Quoiqu’il en soit les TIC (Technologies de l’Information et de la Communication) sont bel et bien installées dans nos vies et elles seront pleinement intégrées à nos villes de demain. Mais il faut rappeler que la ville de Songdo, avant d’être une smart city est avant tout une Ville nouvelle et à l’image de Chandigarh1 ou de Brasilia2 , elle prétend être une cité idéale, parfaite, qui à vouloir tout résoudre ne laisse aucune place à l’informel. Ces villes nouvelles du XXe siècle n’ont d’ailleurs pas su tenir leurs promesses puisque dès le début de leur construction, des bidonvilles les ont fleuries et en occupent aujourd’hui une grande partie. Selon Antoine PICON, auteur du livre « Smart cities : Théorie et critique d’un idéal auto-réalisateur », ces villes nouvelles, porteuses d’idéaux d’optimisation globale, qui aujourd’hui gagnent du terrain en Asie, sont très loin des villes existantes. En effet, 90% des villes qui sont aujourd’hui qualifiées de Ville intelligente sont des villes que l’on connaît, porteuses d’histoire. Elles vont devoir évoluer, se transformer mais l’optimisation restera partielle et devra prendre en compte le poids des trajectoires historiques. En tant qu’architecte, il nous explique que le numérique peut aussi devenir un espace de liberté. Concevoir une ville pour des citoyens qui savent à tout moment où ils sont peut générer des libertés architecturales. La ville n’a plus besoin d’être la carte d’elle-même :

1

Chandigargh, Inde : Ville nouvelle créée en 1977 par Le CORBUSIER

2

Brasilia, capitale de la république fédérative du Brésil : Ville nouvelle créée en 1960 par Oscar NIEMEYER et Lucio COSTA


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autrefois on faisait de la composition urbaine avec l’obsession que les gens sachent où ils se trouvent. L’enjeu principal réside donc dans le fait de réconcilier planification et liberté de créer : les architectes ne peuvent pas être de simples exécutants. Francis PISANI, nous explique également dans son essai « Voyage dans les villes intelligentes : entre datapolis et participolis » que deux pôles, deux directions dans l’élaboration de Ville intelligente existent : la datapolis, dont la gestion de la ville s’appuie sur la collecte et l’utilisation des données de ses usagers et la participolis, où l’intelligence réside dans la participation de ses citoyens qui participent au design et à la gestion de l’espace. Soit, une ville où l’élaboration vient exclusivement d’en haut, une autre, où elle émerge de ses citoyens. Entre Utopie étatique et Utopie citoyenne.

Nous venons de voir l’exemple type d’une datapolis : la ville de Songdo. Cependant des villes comme Barcelone, Copenhague, Amsterdam, etc. ne sont pas aussi radicales. À Amsterdam par exemple, l’architecte Zef HEMMEL à la direction de l’urbanisme de la ville, a mis en place un nouveau projet : la WikiCity. À l’image du site Wikipédia, le projet s’appuiera sur la participation de chacun dans le but d’en enrichir le contenu. Le but est de créer un « cerveau collectif » (et non unique) où chaque citoyen s’exprime librement sur les besoins et envies qu’il a pour sa ville : chaque expérience locale est prise en compte. Le projet permettra de construire un nouveau modèle de planification urbaine sur base d’initiatives citoyennes. La planification urbaine est donc basée grâce aux TIC, non plus sur l’intelligence centralisée de la cybernétique mais sur l’intelligence collective de ses citoyens.

Conclusion La Ville intelligente soulève un problème politique, quelle est sa gouvernance, qui prend les décisions ? Les villes doivent se rendre compte que cette question est fondamentale : il ne faut pas laisser les géants de l’économie numérique s’accaparer nos villes et décider


seuls de ce qui est bon pour nous. La politique doit donc reprendre la main sur l’économie et les initiatives citoyennes doivent s’amplifier pour pouvoir démocratiquement accompagner la production de ces nouveaux moyens de gouvernance. Il est également intéressant de relever les propos de Francis PISANI concernant le fait que nous nous sommes construits des attentes, des visions de la ville de demain qui nous viennent de la science-fiction. Ces anticipations possèdent un caractère autoréalisateur, la représentation que nous nous faisons des métropoles du futur conditionne la manière dont on pense et construit leur développement. L’avenir n’est donc pas une fatalité mais souvent le résultat de ce que nous avons imaginé et rêvé : à nous de ne pas laisser nos villes dérailler dans la dystopie.


CONCLUSION GENERALE


Nous avons, tout au long de ce mémoire, modestement essayé de vous proposer un voyage en Utopie, dans un premier temps mythique et littéraire puisqu’à la base il s’agit de cela. Pour suivre, en Utopie historique, sociale, politique, citoyenne et étatique avec leurs dérives, et pour terminer, une Utopie qui les réunit toutes : l’Utopie en architecture. Nous nous sommes arrêtés en chemin sur deux types de sociétés modèles qui semblent façonner le monde de demain : Les éco-initiatives citoyennes (écoquartiers, écovillages, etc.) et les Villes intelligentes ou Smart cities. Nous avons pu constater que ces deux modèles de société puisent leurs sources, consciemment ou inconsciemment, dans toutes celles que j’ai évoquées (la liste n’était évidemment pas exhaustive, il s'agissait d'un survol très général pour en arriver à notre propos particulier et en capter les similarités). L’on y retrouve les principes de base modifiés, adoptés, transformés, appliqués à notre époque en tenant compte des nouvelles réalités : • Les progrès fulgurants de la technologie : omniprésence de l’hyperconnexion dans les villes intelligentes • Les progrès des sciences humaines : redécouverte primordiale de l’importance de la nature mais aussi l’entraide, l’échange, la solidarité, etc. entre êtres vivants • L’urgence de changer de vision du monde en commençant petit, en respectant tout : vivants et non-vivants • L’impératif de protéger ce que nous avons eu en héritage et que nous devrons laisser en héritage : la planète, la nature mais aussi les lieux. Il faudra les réhabiliter, ces lieux condamnés, abimés, pollués par l’homme.


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CONCLUSION GENERALE

Au travers de ces principes nous avons donc pu définir que ces deux types de sociétés sont en effet basés sur les fondements que posent l’Utopie. Ils partent tous deux du constat de l’urgence de repenser nos villes et nos modes de vie à partir de l’écologie. L’explosion démographique et l’usure trop rapide de nos ressources naturelles délimitent de nouvelles lignes d’horizons. Celles-ci se séparent peutêtre ici. Tandis que les éco-initiatives citoyennes nous parlent de ralentir, et préconisent une décroissance généralisée, un retour à la nature et à certaines pratiques anciennes, les Villes intelligentes définissent, elles, de nouvelles sources de valeur pour une croissance certes plus écologique mais toujours accélérée, en quête de profits. L’économie du marché semble avoir pris la main sur certaines de ces villes au détriment des services publiques qui se retrouvent consommateurs dépendants et non pourvoyeurs. Ainsi, si ces deux modèles se rejoignent dans leur valorisation de l’écologie, il est possible que les perspectives auxquels ils tendent ne se rejoignent jamais. A l’inverse, peut-être que leur convergence donnera naissance à un troisième modèle, regroupant les principes des deux modèles en en modifiant certains. De ces différentes supputations, seul l’avenir déterminera la plus juste. D’emblée, le rôle de l’architecte devra se réaffirmer et se repositionner. L’architecte devra-t-il faire des choix entre ces deux modèles ? Comment réussira-t-il à combiner approche écologique, souci de la nature et efficacité en termes de marché ? Force est d’affirmer que chacun devra se positionner dans le tumulte d’idées qu’a déclenché l’avènement du XXIe siècle.


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Nous avons bien dit plus haut, une Utopie qui les réunit toutes et nous terminerons avec une citation de Jean-Baptiste BARONIAN qui ouvre son Dictionnaire amoureux en soulignant, selon nous, l’importance de notre profession : « avec le temps, avec l’âge, [j’espère me rendre compte] que j’ai presque toujours été l’architecte de mes désirs. Plans discrets, plans fous, plans frileux, plans foireux, plans éclatants, plans sur la comète… »1 Personnellement, nous trouvons que tout y est : « Presque », dans une construction d’une ville nouvelle, il est normal que tout ne soit pas parfait mais perfectible. C’est l’habitant, les concepteurs, le temps, les imprévus, la vie qui peaufineront le projet. « Désirs », ils sont multiples, c’est celui de tout homme, dans le cas des architectes c’est de retrouver avant tout le plaisir de vivre ensemble, d’habiter, d’éprouver un lieu. « Discrets », certaines interventions commencent petit et devront peut-être le rester pour ne pas être corrompues. « Frileux » et « foireux », il faudra lutter contre toute une série de contingences qui dépassent les créateurs, comme le pouvoir du marché à l’échelle mondiale et se rendre compte parfois hélas, que « la fin justifie les moyens ». « Fous et éclatants », on peut imaginer que ces constructions seront tantôt des phares de sociétés « exemplaires », modèles éclatants et transposables ou des symboles de la surpuissance dont il faudra se méfier. « La comète », ici nous prenons le mot dans un sens plus concret au contraire (bien que « plans sur la comète » corresponde à l’idée communément répandue de l’Utopie) et pensons à notre univers, notre monde, notre terre, notre planète à garder tels des sentinelles et des lanceurs d’alerte.

1  BARONIAN, Jean-Baptiste, Dictionnaire amoureux de la Belgique, Ed : Plon, 2015.


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Iconographie fig. 1 : gravure d'Ambrosius HOLBEIN extraite d'Utopia de Thomas More, 1518. in CARON, Aymeric, Utopia XXI, Ed. Flammarion, 2017, p. couverture. fig. 2 : in VERCELLONI, Virgilio, La cité idéale en Occident, Ed. Félin, 1996, p.39. fig. 3 : in VERCELLONI, Virgilio, La cité idéale en Occident, Ed. Félin, 1996, p.42. fig. 4 : in VERCELLONI, Virgilio, La cité idéale en Occident, Ed. Félin, 1996, p.4.


SITOGRAPHIE

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fig. 5 : http://ecoquartier.ch/wp-content/uploads/2016/05/malmoecoquartier-vastra-hammen-bo01.pdf fig. 6 : https://eau123go.wordpress.com/2011/10/21/malmovastra-hamnen-bo01-ecoquartier/ fig. 7 : https://eau123go.wordpress.com/2011/10/21/malmovastra-hamnen-bo01-ecoquartier/ fig. 8 : © Mathilde Habousha fig. 9 : © Mathilde Habousha fig. 10 : in VERCELLONI, Virgilio, La cité idéale en Occident, Ed. Félin, 1996, p.139. fig. 11 : http://www.galeintl.com fig. 12 : http://www.galeintl.com fig. 13 : http://www.galeintl.com



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Remerciements

Je remercie mon promoteur Luc Deleuze de m'avoir soutenue dès le départ. Les discussions que nous avons partagées et les personnes que vous m'avez permise de rencontrer m'ont grandement éclairée. De fait, je remercie Vincent Cartuyvels et Jean de Salle de m'avoir si gentiment fait part de leurs connaissances précieuses sur le sujet. Merci à Alexia, Usur, Boris et Pierre. Enfin, je remercie ma maman pour nos passionnantes conversations et son soutien infini.



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