Telquel 552

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N°552. DU 4 AU 10 JANVIER 2013. 15 DH. 3,5 €. 2,60 dinars tunisiens

BASSIMA HAKKAOUI “LA PLACE

D’UN VIOLEUR EST EN PRISON”

2013

DOCUMENT

10 PA GE S

L’ANNÉE DE TOUS LES

DIRECTEUR DE LA PUBLICATION KARIM BOUKHARI

w w w. t e l q u e l - o n l i n e . c o m

DANGERS… ET DE TOUS LES ESPOIRS AUSSI


N°552 4 au 10 janvier 2013 Directeur de la publication et de la rédaction Karim Boukhari

SOMMAIRE 4

L’ÉDITO de Karim Boukhari

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L’INTERROGATOIRE BASSIMA HAKKAOUI

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Dieu est mon seul refuge” 8 16

L’ESSENTIEL

ENVIRONNEMENT Les défis écologiques du Maroc

TRIP’TIC de Fahd Iraqi

Désertification, stress hydrique, déforestation, pollution de l’air et de l’eau… les maux qui menacent l’équilibre écologique du royaume sont nombreux. Le point.

L’actu 18

Documentation, iconographie Khadija El Alaoui, Yassine Maghni Crédit photos Tniouni, AFP, AIC PRESS

EN COUVERTURE

2013 L’année de tous les dangers… et de tous les espoirs aussi MAROC

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28 PARLEMENT Benky et les femmes ÉCONOMIE 30 ENVIRONNEMENT Les défis écologiques du Maroc

PHÉNOMÈNE L’Amérique au bord de la crise de nerfs Les Etats-Unis ont échappé de peu à la catastrophe le 1er janvier, grâce à un accord les empêchant de sombrer dans le précipice budgétaire.

34 MAGHREB STEEL Sauvée par les cols blancs MONDE 36 PHÉNOMÈNE L’Amérique au bord de la crise de nerfs 38 COURRIER

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Voyages, voyages

SCANDALE La traite des Philippines

Le mag 40 SCANDALE La traite des Philippines

Pour la première fois, des bonnes philippines témoignent à visage découvert du calvaire qu’elles vivent avec leurs employeurs marocains.

CULTURE 44 REPORTAGE Rêves sous chapiteau

Directeur administratif et financier Amine Lahlou Responsable administrative Oumama Maaroufi Assistante de direction Fatima Boutouzzaze Comptabilité Ziane Mansour Facturation Khalid Er-Rouif Recouvrement Abdelhak El Faiz, Sofia Lahlou Abonnements Souad Ghomari Standard Touria Hassani, Fatima Lachguer Logistique Abdelkrim Rassiane, Nasser Maatallah CTP et impression Idéale Distribution Sochepress Conception graphique Ahmed Arfaoui TELQUEL est édité par Presse Directe S.A. à directoire et conseil de surveillance 28, avenue des FAR, Casablanca. Tél. 05 22 22 09 51 (LG) Fax : 05 22 22 09 64 Fax rédaction : 05 22 22 05 63 E-mail : courrier@telquel.info Dossier de presse 24/01 Dépôt légal 0165/2001

DÉPARTEMENT COMMERCIAL

46 THÉÂTRE Subventions, premier acte 48 AGENDA

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50 COM’ D’ENTREPRISES

58 ZAKARIA BOUALEM

Directeur artistique Ahmed Arfaoui Maquettistes Nawal Hallaji, Ahmed Asmar

Directrice générale Wassila Slassi w.slassi@telquel.info

42 CINÉMA Caméra contestataire

52 TELQUEL & VOUS Votre supplément services

Rédacteur en chef Fahd Iraqi Chef des actualités Driss Bennani Responsable Web Youssef Ziraoui Secrétaire de rédaction Fadwa Islah Rédaction Réda Allali, Mohammed Boudarham, Jules Crétois, Hassan Hamdani, Nina Kozlowski, Mehdi Michbal, Ayla Mrabet, Hicham Oulmouddane, Clair Rivière, Meryem Saadi, Youssef Ziraoui Collaborateurs Samir Achehbar, Fatym Layachi, Kenza Sefrioui, Abdellah Tourabi Correspondants Aïcha Akalay (Paris) Farida Ayari (Tunis) Révision Abdelmoula Arafa

CINÉMA Caméra contestataire Le premier documentaire de Nadir Bouhmouch, My Mahkzen and me, avait produit un énorme buzz sur la Toile. Rencontre avec un réalisateur très engagé.

Coordinatrice des ventes Wafaa El Ouilani w.elouilani@telquel.info Chefs de publicité Mounia Abousair m.abousair@telquel.info Siham Mabchour (chef de pub, TelQuel & Vous) s.mabchour@telquel.info

Le numéro précédent a été tiré à 40 320 exemplaires

abonnement@telquel.info


© ERRAMI

EDITORIAL

KARIM BOUKHARI

Et maintenant, on va où ? i vous êtes des lecteurs assidus de la presse marocaine, toutes tendances confondues, vous aurez sans doute relevé la manière très peu élégante, pour ne pas dire outrée et outrageante, avec laquelle l’arrivée de Driss Lachgar à la tête de l’USFP a été accueillie. Si vous avez raté cet épisode, je vous le déroule en accéléré, comme un petit cadeau de fin d’année, vous allez voir, cela en vaut la peine… En gros, et sans jeu de mots, le nouveau numéro 1 des socialistes, appelé à devenir de facto le premier opposant aux islamistes, souffre d’être gras, gros, de porter une moustache traditionnelle et de pointer un pedigree proche de zéro. Il ne descend de personne, il est beldi là où on l’aurait préféré smart, il parle le langage de la rue plutôt que celui de la poésie ancienne et de toute la littérature politique franco-marocaine accumulée, il fait intellectuellement pâle figure devant le flegme et la prestance d’un Abderrahim Bouabid ou même d’un Fathallah Oualalou, et il accuse de surcroît une énorme surcharge pondérale qui le ferait davantage passer pour le grossiste du coin que pour le plus bel espoir de la social-démocratie marocaine. Un leader de “poids”, donc, mais un homme du peuple plutôt qu’un homme d’Etat. Vous parlez d’une déconfiture ? Maintenant, réveillons-nous et ouvrons bien les yeux : la victoire de Lachgar est tout sauf une surprise. Mieux, elle ne souffre d’aucune contestation. C’est un homme d’appareil, qui tient la base du parti de la rose et c’est bien la base qui l’a porté tout en haut. Point barre. S’il y a quelque chose à comprendre, c’est bien ailleurs qu’il nous faudra aller la chercher. Sans faire injure à personne, Lachgar est à l’USFP ce qu’est Chabat à l’Istiqlal et, dans son genre, Benkirane au

S

PJD. Figurez-vous, et le fait n’a été relevé nulle part, que c’est la première fois que les trois principaux partis du pays sont dirigés par des hommes de la post-indépendance. Des quinquas aux airs et aux manières de Monsieur tout le monde. Sociologiquement, le fait est totalement inédit. Il mérite que l’on s’y attarde un peu… Benkirane a “hérité” du parti fondé par Abdelkrim El Khatib, le docteur de Leurs Majestés (Mohammed V et Hassan II), Chabat a arraché l’Istiqlal à la famille Fassi Fihri (ce n’est pas une mince affaire) qui a toujours géré le parti comme un patrimoine foncier, et Lachgar a battu à plate couture tous les intellos et les “j’aurais voulu être président de la république” qui émargent parmi les descendant de Mehdi Ben Barka et Omar Benjelloun. Aussi peu consistant - intellectuellement – qu’il puisse être, ou paraître, le trio Lachgar – Chabat – Benkirane ressemble davantage au Maroc d’aujourd’hui. Il est le fruit de notre monde, rondouillard, volubile et démago. Il est “jeune” et cela cadre assez dans le contexte marocain, un pays jeune dirigé par un chef d’Etat jeune. On peut lire cela comme un nivellement par le bas, bien entendu. La règle démocratique (n’oublions pas que ces gens ont été élus par leurs bases) nous oblige aussi à lire cela comme une homogénéisation de la néoréalité socio-politique qui est la nôtre. Donc autant faire l’existant plutôt que de rêver d’un passé révolu : Ben Barka, Benjelloun, Bouabid ou même Boucetta étaient aussi le produit de leur époque. Ils ne reviendront pas. Ou alors si, mais il nous faudra travailler pour, beaucoup accumuler, prendre en main la génération prometteuse des 20 – 30 ans, et attendre quelque temps. Sur ce, je vous (nous) souhaite une joyeuse année. I Commentez l’édito sur www.telquel-online.com

OUVRONS LES YEUX : BEN BARKA, BENJELLOUN, BOUABID OU MÊME BOUCETTA N’ÉTAIENT QUE LE PRODUIT DE LEUR ÉPOQUE. ILS NE REVIENDRONT PAS…

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TELQUEL 4 AU 10 JANVIER 2013


L’INTERROGATOIRE

le PV

DE MERYEM SAADI

BASSIMA HAKKAOUI

Smyet bak ? Hammadi Hakkaoui. Smyet mok ? Fatima Fouad. Nimirou d’la carte ? B 550730 Ça vous fait quoi d’être la seule femme du gouvernement ? Je trouve ça dommage, j’aurais bien voulu qu’on soit plus nombreuses. Surtout que je pense être beaucoup plus observée que les autres ministres du fait que je suis la seule représentante du sexe féminin. Vous voulez dire observée par les médias ? Oui, absolument. Ils m’ont attaquée dès le début, en m’attribuant des phrases que je n’ai jamais dites ou en interprétant mal mes paroles. Je pense que ça les a dérangés de voir une femme voilée à la tête d’un ministère, ils ont donc voulu détruire ma crédibilité. Je ne me reconnais pas dans l’image que les médias donnent de moi. C’est de la violence politique, en particulier quand ils sortent des rumeurs incroyables. Comme celle affirmant que vous êtes la deuxième 6

ANTÉCÉDENTS

1960 Naissance à Casablanca 1996 Obtient son diplôme d’études supérieures en psychologie sociale 2002 Elue députée pour la première fois 2005 Décès de sa petite fille Hiba 2012 Est nommée ministre de la Solidarité, de la Femme et de la Famille au sein du gouvernement Benkirane.

épouse de Mustafa Ramid, le ministre de la Justice ? Oui, a3oudou billah ! Ou encore celle disant que mon mari a une deuxième épouse. Ce n’est absolument pas vrai, mon mari n’est pas polygame. Mais heureusement que j’ai une forte personnalité et que je suis soutenue par mon parti et mon entourage. Et votre mari dans tout cela ? Qu’est-ce que ça lui fait d’être Monsieur Bassima Hakkaoui ? Il le vit bien. Il est professeur universitaire d’économie, il est donc aussi occupé que moi. Il a apprécié la rumeur “Bassima Hakkaoui deuxième épouse de Ramid” ? Non, pas du tout. Il n’a pas trouvé cela drôle, il était affolé. Il a appelé la radio qui est à l’origine de cette rumeur, en expliquant qu’elle portait atteinte à sa personne. Vous n’avez jamais pensé à porter plainte ? Non, je préfère envoyer des messages de rectification. J’aime et je respecte le travail des médias, même s’ils ont parfois tendance à ne pas vérifier leurs informations…

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Gravir les échelons dans un parti islamiste lorsqu’on est une femme, c’est difficile ? Pas plus que dans une autre formation. J’ai toujours eu la confiance des membres du parti, et ils m’ont confié régulièrement des responsabilités à haut niveau. Je n’ai pas à me plaindre. Cela fait presque neuf mois qu’Amina Filali s’est suicidée. La réforme de l’article 475, c’est pour bientôt ? C’est en cours. Cet article va changer, c’est certain. La place d’un violeur est en prison et nul part ailleurs. Mais cela va se faire dans le cadre de la réforme du Code pénal, le chantier du ministère de la Justice. Mon ministère prépare également une loi contre la violence à l’égard des femmes. Elle devrait voir le jour en 2013, inchallah. Vous tenez toujours à votre projet de référendum national sur l’avortement ? Oui, mais pas tout de suite. Avant cela, il faut qu’il y ait un débat national entre des acteurs bien définis tels que les médecins, les ouléma, les sociologues et les militants asso-

TNIOUNI

“Dieu est mon seul refuge” “Les médias ont voulu détruire ma crédibilité.” ciatifs. Il doit d’abord y avoir concertation entre ces différents corps pour proposer un projet de loi qui tienne la route. Après, je pense que ce sera au peuple de trancher. Et vous avez un plan concernant les mères célibataires ? J’y travaille. Les associations font un travail énorme pour les soutenir mais, jusqu'à présent, l’Etat n’a pas trouvé de solution pour les aider à s’intégrer dans la société ou à faire en sorte que leurs enfants aient une existence normale et épanouie. En juin dernier, sur Al Jazeera, vous avez scandalisé l’opinion publique en affirmant que “les matchs de foot attirent les enfants des rues, qui restent coincés dans la ville faute de moyens pour rentrer chez eux”. Vous pensez toujours cela ? Vous savez, je maîtrise le dossier des enfants des rues.

Ma thèse en psychologie sociale, je l’ai faite sur les enfants mendiants, et cela m’a pris six ans de travail. Je les ai suivis sur le terrain, je leur ai parlé et j’ai vu comment ils vivent. C’est l’une des très rares études académiques sur le sujet. Je considère donc que je connais bien cette question. Votre dernier passage sur Moubacharatan Maâkoum sur 2M vous a valu une poursuite en justice de la part du chercheur Saïd Lakhal, que vous avez accusé de ne pas être “un homme pieux”… Il faut remettre les choses dans leur contexte. J’ai fait un lapsus, je vous l’accorde, mais je l’ai rectifié immédiatement. Tous ceux qui ont vu l’émission le savent très bien. Je voulais expliquer à une intervenante égyptienne sur le plateau qu’il n’était pas islamiste comme elle le pensait. Je sais que je n’aurais jamais dû dire qu’il n’était pas “pieux”. Je n’ai pas à juger son degré de foi religieuse. Mais je me suis excusée tout de suite, je ne comprends donc pas pourquoi il m’attaque en justice.

Si vous pensiez que Bassima Hakkaoui était une femme austère et coincée, eh bien détrompezvous. Madame la ministre est plutôt sympathique, et prend tout son temps pour répondre aux questions. Même les plus épineuses. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, elle n’est pas forcément susceptible, même lorsqu’il s’agit de parler de son style vestimentaire ou de ses dérapages répétés dans les médias. Elle n’hésite pas non plus à raconter des anecdotes sur son enfance ou sur ses années à l’université, tout en sirotant tranquillement son verre de thé à la menthe, confortablement installée dans son bureau situé au quartier Agdal à Rabat. Elle se montre également très volubile dès qu’il s’agit d’exprimer son point de vue sur le féminisme, la presse marocaine… ou encore sur ses goûts musicaux. Ce qu’elle écoute en voiture ? Sami Youssouf et Marcel Khalifa, bien sûr, mais aussi, tenez-vous bien, Paco de Lucia, sans doute en souvenir de ses “années lycée”, avant le voile, la politique et le reste.

Les passages télévisés en direct ne vous réussissent pas vraiment … Vous savez, ce n’est pas facile d’être invitée dans une émission où vous êtes encerclée par des intervenants qui sont clairement contre vous et votre parti. Malheureusement, nos émissions de débats ne respectent pas la pluralité politique, il n’y a aucun équilibre. Les invités de Moubacharatan Maâkoum ne représentaient pas le véritable paysage politique marocain. Vous pensez aussi, à l’instar de Benkirane par exemple, que la direction de l’information de 2M n’est pas très fan du PJD ? Ce n’est pas nouveau. Il suffit de regarder leurs émissions. Mais les téléspectateurs ne sont pas stupides, ils sont conscients de tout cela. Ils savent que le traitement fait par 2M nous concernant n’est pas impartial. Le voile, vous l’avez mis quand ? En 1982, quand j’étais à l’université. Avant, je n’étais pas très pieuse, je me posais beaucoup de questions existentielles. J’ai essayé d’avoir des réponses à

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mes questions et je les ai trouvées dans la religion. J’ai fini par admettre qu’il y avait un Dieu créateur. Quand la conviction s’installe, vous vous sentez soudainement très proche de Dieu. Dieu est réellement mon seul refuge, je me tourne vers lui dans les situations difficiles. On vous reproche souvent votre style vestimentaire austère. Vous avez déjà pensé à changer de look ? Oui, mais je n’y arrive pas. Au désespoir de ma couturière, qui me propose toujours des vêtements plus originaux. Mais c’est plus fort que moi, je reviens toujours à mon style habituel. Vous êtes radicalement différente de Nezha Skalli, votre prédécesseur. Quel genre de relations entretenez-vous ? Elles ne sont pas fameuses. Nous avons souvent été amenées à travailler ensemble lorsque nous étions parlementaires. Mais lorsqu’elle était ministre, elle trouvait que j’étais trop agressive avec elle, alors que je faisais simplement mon travail en tant que députée de l’opposition. Et je ne lui ai jamais manqué de respect. I 7


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