L'interstice urbain : Habiter l'(in)habituel - mémoire de fin d'études

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IN TER STI CE L’interstice urbain : habiter l’(in)habituel Victoire de Cournuaud - promotion 2020

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L’interstice urbain : habiter l’(in)habituel L’architecture interstitielle ou comment investir les espaces résiduels et les vides inattribués de la ville.

Victoire de Cournuaud - promotion 2020

sous la direction de Gauthier Herrmann



remerciements

Je tiens à exprimer ma reconnaissance envers mon directeur de mémoire, Gauthier Herrmann, pour ses conseils avisés, la rigueur demandée, sa confiance et son écoute. Je remercie Jean-Marie Lemesle, directeur de l’Ecole Bleue et Romain Richard, directeur des études, ainsi que le corps professoral pour le partage de leurs passions. Une pensée pour mes parents et mes soeurs pour leur soutien, leurs lectures et relectures durant la rédaction de ce mémoire. Un remerciement particulier à mes amis, et rencontres, qui de près ou de loin, à Paris ou en Thaïlande, ont rendu ces six années d’étude passionnantes. Enfin, merci à tous ceux qui m’ont convaincue de la justesse de la voie empruntée pour mon avenir professionnel.

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table des matières

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introduction

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premier chapitre Histoire des junkspaces et interstices urbains A. le Junkspace de Rem Koolhaas, un espace résiduel et irrationnel

1. Un découpage issu des excès et défaillances des politiques urbaines modernes 2. Un vide qui se nourrit de ses contradictions, échappant aux normes et au contrôle B. Le non-lieu, une question urbaine, anthropologique et sociale

1. Une expérience spatiale et sociale de l’interstice : Aldo Van Eyck 2. Construire des territoires existentiels : Santiago Cirugeda 3. L’interaction sociale comme forme d’urbanité : SYN - Atelier d’exploration urbaine C. Un espace en « réserve », entre aspects formel et économique

1. L’interstice, une « solution de continuité » dans l’ espace majeur de Marc Hatzfled 2. Une « disponibilité » urbaine, propice au renouvellement de la ville

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deuxième chapitre Interstices didactiques et démonstratifs : une logique d’opportunité et d’appropriation A. L’interstice, une dynamique publique

1. Horror vacui : un vide spatial à combler impérativement ? 2. L’hypothèse de l’ « interstice programmé » de Laurent Karst 3. L’Atelier d’Architecture Autogéré invite l’habitant à devenir un acteur de l’interstice B. La théorie du « tiers paysage » de Gilles Clément

1. Le « tiers-paysage », un refuge pour la diversité biologique dans l’interstice urbain ? 2. Tver en Russie et Arnhem aux Pays-Bas : quand le végétal devient un levier politique de renouvellement urbain C. La question de temporalité des interstices urbains

1. L’interstice : un temps de pause dans l’effervescence de la ville 2. L’indétermination de l’interstice comme catalyseur de projet ?


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troisième chapitre Interstices conceptuels : des hétérotopies créatrices A. (In)habitable : habiter les espaces interstitiels

1. La création de micro-habitat comme réponse architecturale à l’interstice urbain : la Maison Keret de Jakub Szczesny 2. L’atelier Bow-Wow, un laboratoire d’expérimentations en milieu urbain dense au Japon B. « L’imaginaire du lieu » : une politique expérimentale des singularités

1. Michel Foucault et l’architecture à l’épreuve des territoires dits « entre-deux » 2. Une conception rhizomique guattari-deleuzienne de l’interstice ?

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conclusion

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bibliographie et sitographie

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introduction


introduction

« Le moment est grave, car il n’existe plus rien d’autre que du temps et de la vitesse, du temps qui passe, mais plus d’espace. Il faut maintenant créer de l’espace et il faut l’occuper pour comprendre cette accélération. » Heiner Müller [1]

La rapide croissance des métropoles a généré malgré elle des incohérences territoriales, que nous appelons « interstices ». Traditionnellement, ces derniers sont imaginés comme des espaces inutilisés, générés en tant que sous-produits de la planification urbaine, en tant que marges imprévues qui résultent a fortiori d’une action planifiée sur le territoire urbain. Ils sont généralement associés à des terrains vacants, des terrains vagues laissés à l’abandon, mais cette image n’épuise pas toute la portée de la notion d’interstice. Comment décrire les interstices intra-urbains face à l’aménagement qui façonne la ville ? Où se situe l’interstice ? Quel est le lien entre l’interstice et son environnement ? Il est de plus en plus difficile d’établir une définition claire et univoque de la ville contemporaine, de différencier ce qui doit être considéré comme le premier plan de la ville, et ce qui lui est minoritaire. Leur séparation est floue, et par conséquent notre point de vue d’observation même est remis en question. Etymologiquement « interstice » signifie « ce qui se trouve entre » [2] ; cet « entre-deux » se réfère au fait qu’il est entouré d’espaces mieux institutionnalisés. Et c’est la manière dont l’interstice vit son « encerclement » qui nous intéresse ; seul il ne vaut rien, alors qu’il prend tout son sens dans la relation qu’il entretient avec son environnement.

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(1). Heiner Müller, cité par Thomas Sieverts, Entre-ville une lecture de la Zwischenstadt, éditions Parenthèses, Marseille, 2004, page 163. (2). Du latin interstitium, de inter : « entre » et stare : tenir ; « se placer entre les deux » ; il est généralement défini comme un « mince espace » dans une substance ou entre différents éléments.


L’interstice urbain : habiter l’(in)habituel

Dans Espèces d’espaces, Georges Pérec nous livre une description équivoque d’une ville ordonnée, où chaque défaut doit être corrigé : « Les immeubles sont à côté les uns des autres. Ils sont alignés. Il est prévu qu’ils soient alignés, c’est une faute grave pour eux quand ils ne sont pas alignés : on dit alors qu’ils sont frappés d’alignement, cela veut dire que l’on est en droit de les démolir, afin de les reconstruire dans l’alignement des autres » [3]. Quelles sont alors la place et la fonction de ces lieux interstitiels dans notre contexte urbain discipliné ? Comment ces espaces contribuent-ils à la construction de la ville, à la perception et à la représentation de ces espaces ? La question n’est pas ici de définir ce qu’il convient de construire dans ce terrain vacant, mais de comprendre et d’interroger le potentiel de ces lieux, leur devenir et rôle dans la ville contemporaine. Nous pensons que l’interstice a la qualité de mettre en lumière les relations complexes de la ville et aider les architectes à progresser dans sa compréhension.

(3). Georges Pérec, Espèces d’espaces, éditions Galilée, Paris, 1974, page 65. (4). Hélène Hatzfeld, Marc Hatzfeld et Nadja Ringart, Quand la marge est créatrice. Les interstices urbains initiateurs d’emploi, éditions de l’Aube, Paris, 1998, page 5.

Dans un premier temps, à travers la critique du junkspace de Rem Koolhaas, nous nous interrogerons sur les processus qui ont fabriqués les interstices et les types de phénomènes et d’interactions sociales qu’ils attirent. Nous nous pencherons sur les travaux de Aldo Van Eyck, de Santiago Cirugeda, de Luc Lévesque et son atelier d’exploration urbaine, pour comprendre l’interstice urbain comme politique, anthropologique et social. Ces cicatrices laissées dans le paysage urbain s’opposent-elles par nature à l’« espace majeur », définit par Marc Hatzfeld comme celui « qui fixe la norme » [4], ou bien leurs rapports sont-ils plus ambiguës ?

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introduction

Puis nous évoquerons la notion d’espace public et la relation qu’entretiennent les habitants avec l’interstice urbain. Est-il nécessaire que ces derniers soient des acteurs et non seulement spectateurs des projets interstitiels comme le met en avant l’Atelier d’Architecture Autogérée (AAA) ? Pour aller plus loin, nous questionnerons la théorie de l’« interstice programmé » de Laurent Karst, pour qui « de petites interventions architecturales dynamiques et innovantes doivent aujourd’hui s’insérer naturellement dans le tissu urbain de nos villes, de manière à répondre à de nouveaux besoins collectifs » [5]. En nous appuyant sur l’idée de Tiers Paysage de Gilles Clément, nous nous demanderons quels sont les moyens de réappropriation et la marge de manœuvre des interstices urbains. En parlant d’appropriation, nous tenterons de constater que les interstices ne sont pas hermétiques, ni réellement fermés, ni vraiment ouverts. Mais alors que sont‑ils ? A cette étape de la recherche, il nous semble importer de questionner le caractère indéterminé de l’interstice. (5). Laurent Karst, « L’interstice : un nouvel espace d’émancipation urbaine », in Machines de guerre urbaines, sous la direction de Manola Antonioli, édition Loco, Portugal, 2015, page 118. (6). Michel Foucault, « Des espaces autres », in Dits et écrits, éditions Gallimard, 1994, page 752. (7). Marc Augé, Non-lieux, Introduction à une anthropologie de la surmodernité, éditions du Seuil, Paris, 1992. (8). Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille Plateaux, éditions de Minuit, Paris, 1980.

Après avoir questionné le micro-habitat comme solution architecturale de l’interstice urbain afin de rendre habitable l’inhabituel, en analysant les travaux de Jakub Szczesny et de l’atelier Bow-Wow, le dernier axe utilisé dans notre recherche sera celui d’hétérotopie, néologisme introduit par Michel Foucault [6]. Contrairement aux « non-lieux » [7], les hétérotopies sont des espaces où peuvent s’élaborer des dynamiques sociales et politiques nouvelles, des lieux privilégiés pour l’intervention des plasticiens, architectes et designers. Ainsi, expérimenter l’interstice comme rhizome, au sens de Gille Deleuze et Félix Guattari [8], ne nous offrirait-il pas un champ des possibles pour réinventer l’espace urbain ?

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I.

HISTOIRE DES JUNKSPACES ET INTERSTICES URBAINS


partie A Le Junkspace de Rem Koolhaas, un espace rĂŠsiduel et irrationnel


premier chapitre

1. Un découpage issu des excès et défaillances des politiques urbaines modernes

Rem Koolhaas, à la formation de scénariste et de cinéaste, est un architecte et théoricien néerlandais. Son agence, l’OMA (Office for Metropolitan Architecture), se distingue, depuis sa création en 1975, par ses contributions pratiques et - pour ne pas dire avant tout - théoriques à la réflexion urbanistique contemporaine. Rem Koolhaas est de ces architectes, strictement tourné vers l’avenir, qui ignorent les polémiques à son encontre, s’en amuse même, capable de dire et faire son contraire. Il nous invite à un questionnement permanent sur ce qu’est et ce que fait la ville d’aujourd’hui. Dans son livre Junkspace, en trois courts essais parus entre 1995 et 2001 [9], il rend compte de ses interrogations critiques devant les dérives de l’urbanisme moderne. En effet, maintenant que plus de la moitié de la population mondiale est citadine et que l’étalement urbain est devenu un phénomènes quasiment incontrôlable, l’architecture se perd, selon lui, dans une production de bâtiments et signe sa déchéance. Reprenant l’intuition de son ouvrage New York Delire [10], Rem Koolhaas développe l’idée de la Bigness : les nouveaux bâtiments sont désormais fait d’une telle taille qu’ils n’ont plus besoin de s’intéresser au contexte dans lequel ils s’inscrivent. (9). Bigness (1995), La ville générique (1995) et Junkspace (2001). (10). En 1978, Rem Koolhaas propose une analyse de l’organisation urbaine de Manhattan la décrivant comme une expérimentation collective où le naturel et le réel ont cessé d’exister pour habiter « la splendeur et la misère de la condition métropolitaine : l’hyperdensité ». Rem Koolhaas, New York Délire [1978], trad. Catherine Collet, édition Parenthèses, Marseille, 2002.

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Anonymes, fades, sans fonction claire, et standardisés, ils produisent une telle « distance entre le cœur et l’enveloppe » que « par leur taille, les bâtiments de ce genre entrent dans un domaine amoral, par-delà le bien et le mal. Leur impact ne dépend pas de leur qualité » [11]. Ces lieux monstrueux deviennent des entités séparés, dépourvus de caractère. 0r, « que reste-t-il une fois que l’identité a été abandonnée ? Le Générique ? » [12] s’interroge-t-il. Selon lui, cette aspiration au gigantisme produit bien la Ville Générique, au sens de quelque chose qui n’est plus un original, mais une pâle copie, simplifiée et stérile, du paysage urbain. Il énumère avec pessimisme des espaces sans fins, en citant par exemple les centres commerciaux, les hôpitaux, les parcs d’attraction ou encore les aéroports et toute technologie favorisant l’expansion comme l’ascenseur, la climatisation, l’escalator, ne laissant aucune chance aux habitants de s’échapper, les forçant à une dérive consumériste [figure1]. Partant alors du principe que l’architecture s’extrait du contexte urbain, et subséquemment tend à disparaître, Rem Koolhaas nous incite à identifier et à analyser le nouvel espace produit : le junkspace. Le terme de junkspace, énoncé par Rem Koolhaas dans son essai éponyme, transpose l’idée des spacejunk, détritus humains encombrant l’espace, aux domaines de l’architecture et de l’urbanisme. Le mot anglais junk possède plusieurs significations : pacotille, camelote, bric-à-brac, machins [13] ; junkspace peut alors littéralement être défini comme un espace aberrant et inutile. Cet espace superflu, Rem Koolhaas le présente comme le produit intrinsèque de la modernisation : « Ce que la modernisation a construit (…), ce n’est pas l’architecture moderne mais le Junkspace. Le Junkspace est ce qui reste une fois que la modernisation a accompli son œuvre ou, plus précisément, ce qui coagule pendant que la modernisation suit son cours : sa retombée. La modernisation avait un programme rationnel : partager les bienfaits de la science, universellement. Le Junkspace est son apothéose, ou sa dissolution » [14].

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premier chapitre

Rem Koolhaas décrit de manière assez cynique et brutale ces terrains abandonnés, jusqu’à les dépeindre comme les déchets de l’aménagement urbain contemporain. Leur production n’est ni accidentelle, ni fortuite, ce sont des territoires rendus structurellement inutilisables, représentant les failles de l’ensemble d’un système urbain rigide et planifié. « Ce sont les restes d’une division qui ne tombe pas juste, les chutes du découpage fonctionnel de l’espace » [15]. En somme, la grande majorité des villes contemporaines sont contraintes simultanément à gagner en densité et à croître inexorablement, et cette rapide croissance des métropoles a généré malgré elle des incohérences territoriales s’illustrant par un « Junkspace dépolitisé et dés-architecturé [qui contamine] tout l’espace et se diffuse de façon visible à travers la surconsommation et la sur-stimulation » [16]. (11). Rem Koolhaas, Junkspace, trad. Daniel Agacinski, éditions Payot & Rivages, Paris, 2011, page 33. (12). Ibid., page 45. (13). Définition du dictionnaire Thesaurus. Disponible à l’adresse : www.thesaurus. (14). Rem Koolhaas, op. cit., page 81. (15). Patrick Desgeorges et Antoine Noshy, « L’impensé de la ville », in Construire autrement, sous la direction de Patrick Bouchain, collection L’impensé, éditions Acte Sud, Arles, 2006, page 171. (16). Ana-Alice Finichu, « Machines de guerre et agencements architecturaux de résistance », in Machines de guerre urbaines, sous la direction de Manola Antonioli, éditions Loco, Portugal, 2015, page 182.

2. Echappant aux normes et au contrôle, un vide qui se nourrit de ses contradictions

Ces espaces résiduels dépeints par Rem Koolhaas, sont la conséquence d’une homogénéisation de l’aménagement urbain ; ils créent un certain lissage des territoires, et se donnent à lire comme des fractures dans la ville, des espaces en excès. Conscient cependant du caractère antinomique du junkspace, qui « semble être une aberration», Rem Koolhaas le décrit aussi comme « l’essence, ce qui compte » [17]. Ainsi un paradoxe assez explicite se dessine dans la description de l’auteur : « Plus la ville est indéterminée, plus son junkspace est spécifique » [18]. Plus la ville s’étend et devient générique, plus le junkspace s’émancipe des normes urbanistiques.

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Esquivant ces dernières, restant exclusivement (en tout cas dans le monde occidental) articulée autour de la notion de centralité, l’interstice invite les architectes à penser et dessiner cette entité spatiale anormale. « Echappant à un certain contrôle, ils sont l’exacte contraire des espaces figés par des fonctions ou des formes assignées par la planification urbaine. La rationalisation programmée de la ville semble ici défaillante » [19]. Ces lieux damnés, ces « non-lieux » [20] dont parle Marc Augé, peuvent-ils avoir par conséquent de la valeur ? [21] (17). Rem Koolhaas, Junkspace, trad. Daniel Agacinski, éditions Payot & Rivages, Paris, 2011, page 82. (18). Rem Koolhaas, op. cit., page 106. (19). Katia Gagnard, « Dans les interstices : Etienne Boulanger », in Machines de guerre urbaines, sous la direction de ManolaAntonioli, éditions Loco, Portugal, 2015, page 95. (20). Marc Augé défend l’hypothèse que « la surmodernité est productrice de non-lieux » au sens où « si un lieu peut se définir comme identitaire, relationnel et historique, un espace qui ne peut se définir comme identitaire, relationnel et historique définira un non-lieu ». Marc Augé, Non-lieux, Introduction à une anthropologie de la surmodernité, éditions du Seuil, Paris, 1992, page 100. (21). Romain Paris, « La valeur des délaissés », in Construire autrement, sous la direction de Patrick Bouchain, collection L’impensé, éditions Acte Sud, Arles, 2006, page 176.

Intéressons-nous maintenant au travail de Etienne Boulanger (1976-2008) Plug‑in Berlin, un travail moins dans une logique architecturale qu’expérimentale, permettant avant tout une critique du mécanisme urbain. De 2001 à 2003, il dessine méthodiquement une nouvelle cartographie de la capitale allemande en identifiant les vides, les interstices sans statut ni fonction, les micro‑espaces oubliés issus de sa reconstruction. Par la suite, il élabore différentes interventions in situ, il y installe de petites constructions précaires [figures 2 et 3] sur le principe du parasitage. En se les appropriant, mais sans ignorer la résistance historique de ces interstices, il leur rend temporairement une identité et un statut. « Par sa façon de révéler ces nouveaux lieux, d’utiliser ces espaces, d’habiter ces interstices, il entre en opposition et transgresse l’ordre naturel des choses ; il y provoque une cassure. (…) Il rouvre la situation en créant un évènement. Il expérimente les limites de ce qui est permis, de ce qui est possible, et teste la résistance d’un modèle de société. » [22] Le dessein d’expérimentation d’Etienne Boulanger révèle la qualité contradictoire de l’interstice : si ce dernier se lit comme un

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premier chapitre

défaut de la ville, il s’en nourrit aussi ; ils sont les « produits de mouvements contradictoires, presque spasmodiques de la ville sur elle‑même » [23]. Quelques années après Junkspace, Rem Koolhaas allait déclarer : « Le vide affirme une sorte d’effacement de toute oppression, dans laquelle l’architecture joue un rôle important » [24]. Ainsi se dévoile le potentiel inédit des interstices, offrant de nouvelles possibilités d’aménagement pour la ville contemporaine, devenant une composition spatiale à part entière dans le paysage urbain. Dans son analyse du travail théorique de Jonás Figueroa, architecte et enseignant à l’École d’Architecture de l’Université de Santiago au Chili, Marc Dumont (1978) nous livre la réflexion tout à fait pertinente de ce dernier : « L’interstice ne serait plus considéré comme un point endémique, une erreur de parcours, mais à concevoir un opérateur d’urbanisation, un potentiel de développement des villes. Il s’agit bien moins de penser le « remplissage » des vides par rapport à ce qui leur est extérieur, que d’organiser et d’articuler le reste de la ville à ces interstices qui est une perspective tout à fait stimulante. (...) Afin de ne [saisir les interstices] plus uniquement que comme des compléments d’objets indirects, des périphéries de centres, parce que vides de centre n’implique pas vide de sens. » [25].

(22). Katia Gagnard, « Dans les interstices : Etienne Boulanger », in Machines de guere urbaines, sous la direction de Manola Antonioli, édition Loco, Portugal, 2015, page 96. (23). Hélène Hatzfeld, Marc Hatzfeld et Nadja Ringart, Quand la marge est créatrice. Les interstices urbains initiateurs d’emploi, éditions de l’Aube, Paris, 1998, page 18. (24). Rem Koolhaas, Vers une architecture extrème, éditions Parenthèses, Marseille, 2016, page 59. (25). Marc Dumont, « Penser la ville incertaine : périmètres et interstices », 10 janvier 2006, in EspaceTemps. Disponible à l’adresse : www.espacestemps.net. Pour toutes les références issues de ce site, se reporter à l’adresse complète en sitographie. (26). Rem Koolhaas, Junkspace, trad. Daniel Agacinski, éditions Payot & Rivages, Paris, 2011, page 93.

En somme, en dépit d’un portrait négatif du Junkspace, Rem Koolhaas l’estime comme « une toile sans araignée ; bien que ce soit une architecture des masses, chaque trajectoire est strictement unique ». Son anarchie est pour Rem Koolhaas « un des derniers moyens tangibles de faire l’expérience de la liberté » [26].

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[fig. 1] espace de circulation, centre commercial de Part-Dieu, Lyon, France, photographie de Jeremie Morel.


[fig. 2] Etienne Boulanger, Plug-in Berlin, 2001-2003, Berlin, Allemagne, photographie issue d’un ensemble de 99 vues, tirage argentique noir et blanc 13 x 18 cm.

[fig. 3] Etienne Boulanger, Plug-in Berlin, 2001-2003, Berlin, Allemagne, capture d’écran de la vidéo de l’intervention artistique disponible sur le site de la fondation Etienne Boulanger.


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partie B Le non-lieu, une question urbaine, anthropologique et sociale.

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premier chapitre

1. Une expérience spatiale et sociale de l’interstice : Playgrounds par Aldo Van Eyck

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le quadrillage étroit de Amsterdam se voit modifier sous les bombardements nazis, créant des terrains vagues abandonnées en plein cœur de la capitale des Pays-Bas. Aldo Van Eyck (1918-1999), architecte et théoricien néerlandais, soumet l’idée de les coloniser avec des jardins d’enfants. À cette époque, il n’y avait que quelques parcs privés ; il prend alors conscience du potentiel urbain de ces vides sous la forme d’un grand terrain de jeu public. Entre 1947 et 1955, il investit une soixantaine de « dents creuses » [27] grâce à des modules de jeux temporaires [figures 4 et 5]. En 1978, on en dénombre plus de sept cents. Aujourd’hui, il n’en reste qu’une vingtaine. Au centre de l’actualité il y a une trentaine d’années, Aldo Van Eyck développe une syntaxe architecturale singulière ; il ne partage pas l’attrait fonctionnaliste de ses architectes contemporains. De par ses fréquentations artistiques de l’avant‑garde, il privilégie a contrario l’expérimentation de la relativité. Le belge de 77 ans, Francis Strauven, nous en livre une définition dans sa monographie consacrée à l’architecte : « L’idée de la relativité, qui s’est manifestée à l’aube du XXe siècle dans les arts et les sciences, signifie que la cohérence des choses ne réside pas dans leur subordination à un principe central et dominant mais dans leurs relations réciproques. Elle implique que la réalité n’a pas de structure hiérarchique intrinsèque, régie par un centre fixe. (…) Cette réalité polycentrique n’est toutefois nullement un chaos de fragments isolés et détachés. C’est un tout complexe dans lequel les choses, bien qu’autonomes, sont finalement fortement liées les unes aux autres. Il s’agit d’une cohésion dans laquelle les relations entre les choses sont aussi importantes que les choses elles-mêmes » [28].

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(27). « parcelle ou groupe de parcelles non bâties insérées dans un tissu construit. Espace vide entouré de constructions : en ville, un terrain vague est une dent creuse. Elle peut être créée par la démolition d’un édifice. » Définition disponible à l’adresse www.fncaue.com. (28). Francis Strauven, Aldo van Eyck : Accomplir la nouvelle réalité en architecture, conférence de juillet 2009, page 116. Disponible à l’adresse www.researchgate.fr. Pour toutes les références issues de ce site, se reporter à l’adresse complète en sitographie.


L’interstice urbain : habiter l’(in)habituel

Nous nous intéressons en particulier à trois aspects des aires de jeux d’Amsterdam : la conception d’éléments interdépendants mais égaux, leur modularité censée stimuler l’imagination de l’enfant, et leur relation interstitielle avec l’environnement urbain. Comme Lefaivre et Tzonis le disent « En regardant la configuration à partir de laquelle les terrains de jeux sont construits, nous sommes immédiatement frappés par la prédominance de formes géométriques claires : cercles, carrés, et triangles » [29]. Aldo Van Eyck conçoit des éléments structurels simples dont le bac à sable, la voûte d’escalade et les barres basculantes. Il s’applique à ce qu’aucun d’eux ne se démarquent spécialement, créant une composition non hiérarchique. « Chaque fois à nouveau il établit des cadres de référence décalés les uns des autres, il [marque] des points de vue équivalents, il [relativise] la hiérarchie conventionnelle de l’espace par l’instauration de centres excentriques »[30].

(29). « Looking at the configuration out of which the playgrounds are made, we are immediatly struck by the predominance of clear geometrical shapes : cricles, squares, and triangles ». Liane Lefaivre et Alexander Tzonis, Aldo Van Eyck : Humanist rebel, éditions 010 Publishers, Rotterdam, 1999, page 70, notre traduction. (30). Francis Strauven, op. cit., page 121. (31). « tools for imagination », Ingeborg de Roode, « The play objects : more durable than snow », in Aldo Van Eyck : The Playgrounds and the city, sous la direction de Ingeborg de Roode et Liane Lefaivre, éditions 010 Publishers, Rotterdam, 2002, page 84, notre traduction.

Par ailleurs, Aldo Van Eyck ne leur attribue pas de fonction désignée : il crée intentionnellement des équipements au sens pluriel et non défini, comme des « outils pour l’imagination »[31], pour utiliser son propre phrasé. Il laisse librement les enfants s’approprier l’aire de jeu et développer leur créativité. Marqué par la pensée du philosophe et théologien Martin Buber (1878 - 1965), Aldo Van Eyck développe une approche humaniste du monde contemporain passant par la capacité à créer des lieux de dialogue, de rencontre, de relation et de réciprocité. Aldo Van Eyck souligne la nécessité d’avoir une incidence sur la vie quotidienne des gens. Pour lui, l’architecture doit faciliter l’activité humaine et promouvoir les interactions sociales. En investissant Amsterdam, il valorise des espaces non-exploités, connotation négative du paysage urbain ; autant de vides qui peuvent, ici, pallier le manque d’espace de jeu, et transformer un quartier en espace ludique.

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premier chapitre

2. Construire des territoires existentiels : Santiago Cirugeda

Le collectif Recetas Urbanas, implanté à Séville et mené par l’architecte Santiago Cirugeda, propose, comme il le dit lui-même, « des stratégies subversives d’occupation urbaine » [32]. Il propose une réflexion sur les dents creuses du centre historique de la ville espagnole, dans une démarche de revalorisation de ces espaces paralysés, souvent inaccessibles. L’objectif est d’investir temporairement ces terrains délaissés et ainsi revitaliser ces vides urbains résiduels, de « prouver qu’il est possible de développer les espaces marginaux », et pour cela qu’il « faut en retourner l’image négative afin de les définir comme des composants de l’agencement urbain. »[33]. En s’inspirant de la théorie d’Aldo Van Eyck, décrite précédemment, Santiago Ciruega va plus loin en politisant son travail. En effet, le collectif a dû débattre longuement avec la ville pour réaliser ses projets ; la municipalité imposant de fermer toutes les parcelles nues avec un mur protecteur de 2,4m de hauteur afin qu’elles ne deviennent pas des lieux insalubres chargés de décombres. La mairie a le droit d’exproprier les terrains si le propriétaire ne présente pas de projet de construction dans les deux ans. Avant cette loi, il existait à Séville des terrains publics et privés restés inoccupés pendant 20 ans sans que la mairie ne réagisse.

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(32). « Estrategias Subversivas de Ocupación Urbana ». Voir sur le site www.recetasurbanas.net. Traduction du site. (33). Ana-Alice Finichio, « Machines de guerre et agencements architecturaux de résistance », in Machines de guerre urbaines, sous la direction de Manola Antonioli, édition Loco, Portugal, 2015, page 181.


L’interstice urbain : habiter l’(in)habituel

Prenons deux projets Echafaudages : Construire des abris urbains [34] (1998) et Aménagement et occupation temporaire de parcelles de terrains [35] (2004). Le premier consiste à installer un échafaudage, fait de nervures en acier et de feuilles de plastique souples, de quatre mètres carrés sur la façade d’un bâtiment choisi afin de faciliter son agrandissement [figures 6 et 7]. « Cet échafaudage fonctionne comme une pièce temporaire, éventuellement reliée aux espaces intérieurs de la maison, mais accessible depuis l’espace public de la rue » [36]. Cette extension minimale, compatible avec la loi espagnole sur le patrimoine, permet une excroissance urbaine spontanée à portée de ces citoyens. Pour le second, Recetas Urbanas propose d’ouvrir ces parcelles délaissées au public sous la forme de parcs temporaires au cœur de la ville [figure 8]. Leurs opérations consistent à coût faible à démolir partiellement ou totalement les murs d’enceinte, nettoyer le terrain, retirer les décombres et installer leur mobilier conçu en détournant des objets de chantier. Ainsi l’espace revit et s’inscrit dans le caractère évolutif de la ville. « Dans son travail, Cirugeda ne cherche pas à supprimer ou à remplir le territoire entre-deux, mais à le valoriser comme potentiel de la ville contemporaine. Dans ce sens, il tente de redéfinir l’image que l’usager de la ville se fait de l’entre-deux ; et, en tant qu’architecte, il souhaite peut-être inconsciemment raccrocher ces espaces de l’image esthétique que la ville se donne. » [37] Dans Machines de guerre urbaines, Ana-Alice Finichio s’interroge sur le caractère pertinent des démarches de Santiago Ciruega et son agence. Recetas urbanas prône une architecture éphémère et réversible, une sort de guérilla créative. Du point de vue qui nous intéresse, il défend une appropriation des espaces interstitiels de la ville contemporaine, notion que nous développerons plus loin dans notre recherche. (34). « Andiamos : construir refugios urbanos », Voir sur le site www.recetasurbanas.net. Traduction du site. (35). « Ordenación y ocupación temporal de solares ». Ibid. (36). « Este andamio funciona como una habitación temporal, vinculada y conectada eventualmente con los espacios interiores de la casa, pero accesible desde el espacio público de la calle ». Ibid. (37). Ana-Alice Finichio, op. cit., page 192.

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premier chapitre

3. L’interaction sociale comme forme d’urbanité : SYN - Atelier d’exploration urbaine

Au début des années 2000, Luc Lévesque, architecte et professeur en histoire et théorie des pratiques architecturales contemporaines au sein de l’Université Laval du Québec, crée avec Jean-François Prost et Jean-Maxime Dufresne, deux artistes diplômés en architecture, l’atelier d’exploration urbaine SYN à Montréal. Leurs micro-interventions urbaines questionnent les rapports qu’entretiennent les citoyens avec leur environnement et les usages qu’ils en font. Ils abordent leur travail d’exploration comme « une occasion d’intervention, de recherche et de réflexion » [38] en proposant une approche interstitielle du paysage. Marqué par les images des nombreux espaces vides et indéterminés autour du mur de Berlin dans le film Les ailes du désir de Wim Wenders [39] [figure 9], Luc Lévesque est séduit par ces territoires architecturaux et urbains, plus ou moins abandonnés, offrant une intensité nouvelle, quelque chose dont il pourrait s’inspirer. Comment allait-il intervenir dans ces espaces qui le fascinaient ?

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(38). Description de l’atelier sur le site www.amarrages.com. (39). Wilhelm Ernst Wenders, dit Wim Wenders, est un réalisateur, producteur, scénariste de cinéma et photographe allemand, né en 1945. Il réalise Der Himmel über Berlin (Les ailes du désir) en octobre 1987.


L’interstice urbain : habiter l’(in)habituel

Le point de départ de sa réflexion trouve son origine dans les travaux de Frederic Thrasher (1892-1962). En effet, les premières évocations de l’interstice dans la réflexion urbaine ne proviennent pas d’architectes comme tels, mais de sociologues, comme ceux de l’Ecole de Chicago [40]. Parmi eux, Frederic Thrasher va publier en 1927 un ouvrage The Gang [41] dans lequel il s’intéresse au phénomène des gangs d’adolescents américains de Chicago. Il définit lui-même le concept fondamental de son étude comme l’interstitiel ; l’interstice étant utilisé pour définir la distribution spatiale des gangs qui s’installent dans les espaces vacants de la ville, définie par Robert Park comme une « mosaïque de petits mondes qui se touchent mais ne s’interpénètrent pas » [42]. Les interventions urbaines de ces adolescents participent alors pleinement à la nouvelle « image de la cité » [43] pour reprendre le titre du livre de l’urbaniste Kevin Lynch (1918-1984). Dans ce dernier, il défend l’importance d’espaces non programmés, ouverts au changement, aux manipulations spontanées, à l’ambiguïté et au risque d’aventure - des conditions assez proches de celles que Frederic Thrasher associe aux zones interstitielles où les gangs peuvent satisfaire leur imaginaire et leur « quête romantique de nouvelles expériences » [44] ; une quête pour laquelle, comme le souligne Kevin Lynch, « un terrain vague peut être préférable à un jardin de roses » [45].

(40). L’École de Chicago est d’abord une école de sociologie fondé à l’Université de Chicago en 1892. Par la suite, nous désignerons habituellement sous l’expression « École de Chicago », un ensemble de travaux de recherches, essentiellement concentrés sur la sociologie urbaine, conduits, entre 1915 et 1940, par des enseignants et des étudiants de l’université de Chicago. Ces travaux regroupent une série impressionnante d’études sur les problèmes auxquels la ville de Chicago était alors confrontée du fait de sa très forte croissance, tels que la criminalité, l’immigration, la délinquance, le logement des minorités, etc (41). Frederic Thrasher, The Gang : A Study of 1,313 Gangs in Chicago [1927], édition University of Chicago Press, Chicago, 1963. (42). « mosaic of little worlds wich touch but not interprenetrate », Robert Park, « The City : Suggestions for the investigation of human behavior in the city environment », in The American Journal of Sociology, édition University of Chicago Press, vol. 20, n°5, mars 1915, page 608, notre traduction. Article consultable sur le site www.journals.uchicago.edu. Pour toutes les références issues de ce site, se reporter à l’adresse complète en sitographie. (43). Kévin Lynch, L’image de la cité [1960], trad. Marie-Françoise Vénard et Jean-Louis Vénard, édition Dunod, Paris, 1998. (44). « a romantic quest for new experience », Frederic Thrasher, op. cit., page 68, notre traduction. (45). Kévin Lynch, op. cit., page 187.

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premier chapitre

Luc Lévesque s’appuie sur cette sociologie urbaine de l’interstice - qui désigne ce dernier comme un lieu d’altérité et de pratiques informelles - et en déduit qu’il n’est pas nécessaire de transformer radicalement ces territoires interstitiels pour les révéler, mais plutôt de construire de petites interactions avec les habitants pour basculer leur regard sur les vides paysagers de leur quartier. « Alors que les espaces publics sont de plus en plus abordés ou conçus comme infrastructures et décors d’une programmation spectaculaire à grand déploiement, notre action ludique et son relais local soulignent notamment l’importance de l’échelle de proximité et les potentiels d’une temporalité misant sur un processus de surgissement participatif et circonstanciel pour alimenter des pistes alternatives de réactivation de l’urbanité. » [46] L’atelier SYN propose des expériences d’interventions minimales et ludiques reposant sur l’installation temporaire d’un mobilier nomade, comme une table de pique-nique pour Hypothèses d’ammarage initié en 2001 à Montréal [figure 10], ou un baby-foot pour Hypothèses d’insertion au Québec en 2002, mais aussi dans le quartier de la Chapelle à Paris en 2008 [figure 11]. Questionnant l’accessibilité et l’urbanité de ces espaces interstitiels, ces dispositifs agissent comme des catalyseurs de rencontres ; ils créent des interactions sociales et éphémères entre les habitants du quartier.

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(46). Luc Lévesque, « Le jeu comme « interstice social ». À propos d’une expérience d’intervention ludique à Paris », in Vivre ensemble dans l’espace public, sous la direction de Charles Perraton et Maude Bonenfant, édition Presses de l’Université du Québec, 2009, page 203.


[fig. 4] Aldo Van Eyck, Playgrounds, 1960’s, rue Laurierstraat, Amsterdam, Pays-Bas, photographie en noir et blanc de Ed Suister.


[fig. 5] Aldo Van Eyck, Playgrounds, 1960’s, rue Laagte Kadijk, Amsterdam, Pays-Bas, photographie en noir et blanc des archives de la ville d’Amsterdam.


[fig. 6 et 7] Santiago Cirugeda, Andamios : Construir refugios urbanos (Echafaudages : construire des abris urbains), 1998, SÊville, Espagne, photographie du collectif Recetas Urbanas.


[fig. 8] Santiago Cirugeda, Ordenación y ocupación temporal de solares (Aménagement et occupation temporaire de parcelles de terrains), 2010, Séville, Espagne, photographie du collectif Recetas Urbanas.


[fig. 9] WIm Wenders, Der Himmel über Berlin (Les ailes du désir), 1987, capture d’écran du film.


[fig. 10] SYN - Atelier d’exploration urbaine, Hypothèses d’amarrages, 2001, Montréal, Canada, photographie de Guy L’Heureux.

[fig. 11] SYN - Atelier d’exploration urbaine, Hypothèses d’insertion, 2007, rue Riquet, Paris, France, photographie de Jean-Maxime Dufresne.


L’interstice urbain : habiter l’(in)habituel

partie C Un espace en « réserve », entre aspects formel et économique

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premier chapitre

« la forme d’une ville / Change plus vite, hélas ! que le cœur d’un mortel » Charles Baudelaire, « Le Cygne », Les Fleurs du Mal. [47]

Charles Baudelaire (1821-1867) remarquait déjà les changements causés par le nouvel aménagement urbain ‑ici, il s’agit des travaux du baron Haussmann initiés à Paris‑ et subséquemment le caractère non figée de la ville. Si nous emboîtons le pas de Gilles Clément, architecte paysagiste, nous dirions que les vides issus des défaillances urbaines, ces espaces « en marge » dans leur rapport à la ville, représentent une « réserve » immense en matière de potentiel de développement des villes contemporaines. Il nous explique dans son Manifeste du Tiers Paysage que « La « réserve » est un lieu non exploité. Son existence tient au hasard ou bien à la difficulté d’accès qui rend l’exploitation impossible ou coûteuse. Elle apparaît par soustraction du territoire anthropisé » [48].

1. L’interstice, une « solution de continuité » dans l’espace majeur de Marc Hatzfeld

Les théoriciens, philosophes, architectes et urbanistes, interrogeant cet espace délaissé dans leurs travaux respectifs, se rejoignent sur un point : l’interstice, sous toutes ses formes, peut être défini comme un espace discontinu faisant front à ce que pratique l’espace majeur. Par ce néologisme, Marc Hatzfeld, précise que les vides résiduels de la ville marquent une rupture avec la démarche urbanistique dite « normale » dans la mesure où « ils s’opposent à l’espace qui détermine le caractère dominant de la ville [qu’il appelle] espace majeur. Il est plus grand, incluant, et de ce fait, fixe la norme » [49].

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(47). Charles Baudelaire, « Le Cygne », v.7-8, in Les Fleurs du Mal, éditions Louis Conard, Paris, 1917, page 150. (48). Gilles Clément, « Manifeste du Tiers Paysage » 2003, in Gilles Clément. Disponible à l’adresse : www. gillesclement.com. Pour toutes les références issues de ce site, se reporter à l’adresse complète en sitographie. (49). Marc Hatzfeld, Hélène Hatzfeld et Nadja Ringart, Quand la marge est créatrice. Les interstices urbains initiateurs d’emploi, éditions de l’Aube, Gémenos, France, 1998, page 13.


L’interstice urbain : habiter l’(in)habituel

L’analyse de l’auteur nous permet d’affirmer que l’interstice n’est pas totalement autonome dans la mesure où il n’existe que « dans son rapport à l’espace qui l’entoure et le définit. (…) Son existence en dépend. » [50]. Il nous paraît nécessaire, à cette étape de la recherche, de distinguer les vides urbains « conventionnels » des interstices urbains. Les premiers incarnent les flux, usages et activités entre les différents éléments bâtis de la ville, alors que les seconds sont des espaces incongrus, aux formes et configurations diverses, qui surgissent partout. Pour Pascal Nicolas-Le Strat, théoricien et praticien de la notion d’interstices, « Ils agissent à la fois de l’intérieur et à l’opposé de ce qu’est la ville et son urbanisme » [51]. Les vides représentent alors les espaces mineurs dans la pensée de Marc Hatzfeld, et a contrario les interstices évoquent une logique de fracture intrinsèque à la ville. Comme nous le rappelle Katia Gagnard dans Machines de guerre urbaines, « L’interstice serait donc déterminé par ce qui l’entoure, il ne constitue en aucun cas une limite, une barrière, ou une interruption », mais plutôt une articulation entre deux éléments qui « provoque une respiration dans la continuité et empêche simplement l’uniformisation d’un tout » [52]. Suite à ces propos, il paraît maladroit de parler de « limite » de l’interstice - dans la définition que nous soumet le professeur de géographie Christiane Rolland-May, « la limite d’un objet [est] un concept bivalent relatif à l’interface entre l’objet et son environnement » [53], car c’est bien dans ce langage formel qu’il révèle tout son potentiel. A cette ambiguïté, Marc Hatzfeld propose la réponse du pli comme substitut lexical à la limite. « Le pli est en effet de la même matière que l’espace majeur, mais il s’en distingue par son mouvement » [54]. (50). Marc Hatzfeld, Hélène Hatzfeld et Nadja Ringart, op. cit., page 14. (51). Pascal Nicolas-Le Strat, « Multiplicités interstitielles », hiver 2008, in Multitudes, n°31. Disponible à l’adresse : www.multitudes.net. Pour toutes les références issues de ce site, se reporter à l’adresse complète en sitographie. (52). Katia Gagnard, « Dans les interstices : Etienne Boulanger », in Machines de guerre urbaines, sous la direction de Manola Antonioli, édition Loco, Portugal, 2015, page 95. (53). Christiane Rolland-May, Limites, discontinuités, continu : le paradoxe du flou, 2003, in L’information géographique. Disponible à l’adresse : www.persee.fr. Pour toutes les références issues de ce site, se reporter à l’adresse complète en sitographie. (54). Marc Hatzfeld, Hélène Hatzfeld et Nadja Ringart, op. cit., page 14.

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premier chapitre

Nous rejoignons ici l’analyse de Marc Dumont dans son article « Penser la ville incertaine » : « L’idée générale n’est pas nouvelle, on la retrouve chez de grands auteurs classiques comme Aristote, lorsqu’il explique que ce n’est pas le marbre qui fait la statue, mais son bord : c’est par sa surface, sa limite, que l’on peut comprendre ce qu’est un objet. (…) Et il nous a semblé [que les interstices] révélaient, comme le bord de la statue, le corps de la ville, dans la mesure où ce qui s’y passe raconte ce qui ne peut pas se passer dans le reste de l’espace urbain » [55]. (55). Marc Dumont, Penser la ville incertaine : périmètres et interstices, 10 janvier 2006, in EspaceTemps. Disponible à l’adresse : www.espacestemps.net. Pour toutes les références issues de ce site, se reporter à l’adresse complète en sitographie. (56). Gilles Deleuze, cité par Marc Hatzfeld, Hélène Hatzfeld et Nadja Ringard, op. cit., page 15. (57). « Il s’agit de trouver des solutions que l’espace majeur est incapable de faire émerger ou même qu’il interdit. Il s’agit de résoudre des problèmes posés dans l’espace majeur et traitables seulement à sa périphérie ». Marc Hatzfeld, Hélène Hatzfeld et Nadja Ringart,La ville travaille les question de l’emploi dans ses interstices, septembre 1997, in Les Annales de la Recherche Urbaine n°76, page 14. Disponible à l’adresse : www.annaledelarechercheurbaine.fr. Pour toutes les références issues de ce site, se reporter à l’adresse complète en sitographie.

Ainsi, nous illustrons le concept philosophique de l’interstice comme « pli », nourrissant une relation étroite avec l’espace majeur. Marc Hatzfeld nous rappelle la pensée deleuzienne, prenant alors tout son sens dans cette expérience interstitielle : « C’est peut-être à la limite que la texture apparaît le mieux, avant la rupture ou la déchirure, quand l’étirement ne s’oppose plus au pli, mais l’exprime à l’état pur » [56]. En ce sens, il serait hasardeux de parler de « discontinuité ». Nous préférons le terme « solution de continuité ». La continuité appelle sans conteste au passage d’un élément à un second, excluant alors toute notion de limite. La notion de « solution » est empruntée à Marc Hatzfeld lorsqu’il précise la fonction d’un interstice [57]. Par ce rapprochement, nous défendons l’idée que l’expression « solution de discontinuité » implique qu’il se passe quelque chose, un évènement venu perturber cette fine frontière entre les deux parties. Cette dissension apparente nous laisse alors imaginer l’interstice comme potentiel espace d’expérimentations à la ville en transition, lui rendant une place rare mais entière dans la composition urbaine.

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L’interstice urbain : habiter l’(in)habituel

2. L’interstice offre une « disponibilité » urbaine, propice au renouvellement de la ville

Cette réflexion sur la « solution de continuité » de l’interstice, abordée précédemment, nous permet de qualifier les interstices, à la manière de Pascal Nicolas-Le Strat, de réserve de « disponibilité » urbaine. Pour lui, ils « représentent ce qui résiste encore dans les métropoles, ce qui résiste aux emprises réglementaires et à l’homogénéisation » [58]. Nous aimerions nous arrêter un instant sur la notion de « résistance » amorcée par le théoricien. En rupture avec la planification classique de la ville, l’interstice a ça de particulier qu’il « ruse avec ce qu’est la ville elle-même, en jouant avec ses tensions internes et ses propres contradictions » [59]. Comme nous avons pu l’illustrer avec les exemples de Aldo Van Eyck, Santiago Cirugeda, et de l’agence SYN, l’interstice relève de l’architecture, du social et inévitablementd’unepenséepolitique.Cesespacesdisponibles se déterminent par leur faculté à s’opposer à la planification classique urbaine. Cette habilité à résister contribue à faire de l’interstice un outil de contre-pouvoir non négligeable dans le processus de fabrication de la ville. A ceci près qu’il ne peut être envisagé dans la conception traditionnelle des contre-pouvoirs « qui tirent leur énergie (et leur raison d’être) du rapport en négatif qu’ils entretiennent avec leur contexte institutionnel », mais que le potentiel interstitiel « tient des processus qu’il est susceptible d’amorcer » [60]. Ainsi, ces territoires singuliers sont porteurs d’un élan créatif et politique. Le travail de plusieurs artistes consiste à mettre en évidence cette résistance et ce caractère singulier des espaces résiduels urbains. Ils y imaginent des interventions plastiques suscitant la curiosité de la foule et accentuent ainsi la possible future réinsertion de ces espaces dans la dynamique de la ville. C’est ce que fait l’artiste new-yorkais Kurt Perschke, avec son projet RedBall : il installe un ballon rouge de cinq mètres de diamètre dans les interstices des villes qu’il parcourt. [figures 11 et 12] Compressé entre deux volumes, ce ballon dialogue avec l’architecture, les vides et les surfaces de la ville.

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premier chapitre

A la fois installation éphémère, sculpture chromatique, la RedBall invite les passants à suivre son parcours et révèle ainsi des espaces singuliers du tissu urbain. « Grâce au projet RedBall, j’utilise mon opportunité en tant qu’artiste pour être un catalyseur de nouvelles rencontres au quotidien. Grâce à la nature magnétique, ludique et charismatique de la RedBall, l’œuvre est en mesure d’accéder à l’imagination ancrée en chacun de nous. » [60] nous livre Kurt Perschke. Le destin alternatif, dans le sens que leur vocation est détourné temporairement par des acteurs sortant des cadres traditionnels de la planification urbaine (ici un sculpteur), de cette installation artistique démontre la capacité d’invention dans ces espaces. En conséquence, cette résistance permet à l’interstice de proposer aux architectes un espace capable d’inventer de nouveaux types de projets dynamiques avec différents champs d’application possibles. Dans ce sens, Philippe Pignarre et Isabelle Strengers constate que « la notion d’interstice appelle le pluriel. […] L’interstice ne donne en effet pas de réponse, mais suscite de nouvelles questions» [61]. Nous serions tenter de reprendre ici la réflexion de Gustave-Nicolas Fisher dans son livre Psychologie de l’environnement social : « Cela suppose qu’un aménagement soit au départ conçu et considéré comme une trame à l’intérieur de laquelle on puisse inscrire son propre projet, plutôt que comme un cadre préétabli et rigide auquel il ne reste plus qu’à se conformer » [62].

(58). Pascal Nicolas-Le-Strat « Multiplicités interstitielles », hiver 2008, in Multitudes n°31. Disponible à l’adresse : www.multitudes.net. Pour toutes les références issues de ce site, se reporter à l’adresse complète en sitographie. (59). Ibid. (60). Ibid. (60). « Through the RedBall Project I utilize my opportunity as an artist to be a catalyst for new encounters within the everyday. Through the magnetic, playful, and charismatic nature of the RedBall the work is able to access the imagination embedded in all of us. » Kurt Perschke, voir sur le site www.redballproject, notre traduction. (61). Philippe Pignarre et Isabelle Stengers, La sorcellerie capitaliste - Pratiques du désenvoütement, éditions La Découverte, Paris, 2005, page 149. (62). Gustave-Nicolas Fischer, Psychologie de l’environnement social, éditions Dunod, Paris, 2011, page 102.

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[fig. 11] Kurt Perschke, Red Ball Project, juin 2008, Toronto, Canada, photographie du site officiel du projet.


[fig. 12] Kurt Perschke, Red Ball Project, avril 2009, Taipei, Taiwan, hotographie du site officiel du projet.



II.

INTERSTICES DIDACTIQUES ET DéMONSTRATIFS : UNE LOGIQUE D’OPPORTUNITé ET D’APPROPRIATION


partie A L’interstice, une dynamique publique


deuxième chapitre

1. Horror vacui [63] : un vide spatial à combler impérativement ?

Nous l’avons compris du premier chapitre, certains espaces urbains contemporains échappent à la maîtrise de l’urbanisme qui a voulu s’imposer comme une « science royale » aux villes et à leurs habitants. La composition de la ville occidentale, se fondant sur les principes et concepts de place et de rue autour desquels se construisent méthodiquement les différents bâtis, présente en effet des « failles », des situations produisant des sortes de vides résiduels, souvent aléatoires et désordonnés, que nous avons appelés « interstices ». Mais ces espaces vacants exigent-ils nécessairement d’être comblés ? Rem Koolhaas nous confie dans Etudes sur (ce qui s’appelait autrefois) la ville, ses craintes à propos du phénomène d’horror vacui que les sociétés ressentent aujourd’hui : « Il ne faut pas oublier que la ville, autrefois, était une énorme machine ; les lieux publics délimitaient un territoire ouvert aux conflits, aux échanges et, éventuellement, aux compromis. Aujourd’hui, à cause de ce déplacement du public vers le privé, ce territoire n’existe plus. Nous souhaitons que nos conflits se règlent ailleurs. Dans le même ordre d’idées, nous ne supportons plus le vide ou le neutre dans nos villes ; chaque centimètre carré est « préparé d’avance » et participe de l’écriture d’un scénario, de sorte qu’une stupéfiante complexité s’organise désormais à l’intérieur des villes » [64]. (63). La locution horror vacui est latine et signifie « peur de l’espace vide ». Dans les arts visuels, l’horror vacui représente le phénomène selon lequel les artistes remplissent une surface de détails, ne laissant aucun espace vide. (64). Rem Koolhaas, Etudes sur (ce qui s’appelait autrefois) la ville, trad. Francis Guévremont, éditions Payot & Rivages, Paris, 2017, page 219.

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L’interstice urbain : habiter l’(in)habituel

Selon lui, « nous avons transformé la ville en une surface dont chaquecentimètrecarrédoitdirequelquechose,doitproclamer une sorte de vision » [65]. En ce sens, nous nous apercevons que l’espace urbain est de plus en plus limité et contrôlé par les forces productives des grandes métropoles. Noyé sous une pression publicitaire, ou bien bétonné au détriment de surfaces végétalisées, il est régi aujourd’hui par un urbanisme de masse. Dans son ouvrage Les Trois écologies, Félix Guattari dénonce aussi l’appauvrissement et l’homogénéisation produites par l’ascendant capitaliste des médias et de l’espace public : « des productions de subjectivité « primaire » (…) se déploient à l’échelle véritablement industrielle, en particulier à partir des médias et des équipements collectifs » [66]. Le potentiel de ces espaces résiduels est malheureusement souvent récupéré par ces mécanismes consuméristes. Le vidéaste indépendant Gilles Paté, qui enseigne à l’école nationale d’architecture de Versailles depuis 2011, nous explique en effet que « l’espace urbain est aujourd’hui conçu de manière « préventive », aménagé par les architectes, designers, paysagistes pour éviter les angles morts et favoriser une visibilité maximale de l’espace, empêcher la stationnement prolongé des personnes par des assises réduites, fragmentées, rendues inconfortables par leurs formes et matériaux. Les aménageurs veulent ainsi accélérer les « flux humains » vers les zones commerciales piétonnes où le déplacement public génère de la consommation » [67]. Les différentes structures mises en place par l’Etat pour éliminer les irritants visuels (les palissades, blocs de béton, herbes folles, et implicitement les sans-abri, jeunes punks et autres marginaux facilement repérables) empêchent les regroupements éventuels de citoyens et dissuade la rencontre fortuite, alors que cette potentialité de rencontre est l’un des fondements même de l’espace public [figure 13 et 14].

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deuxième chapitre

En somme, il devient évident que la mondialisation menace directement la présence et surtout le devenir de l’espace interstitiel, comme l’annonçait déjà Marc Augé : « quand les bulldozers effacent le terroir, (…) c’est au sens le plus concret, le plus spatial, que s’effacent, avec les repères du territoire, ceux de l’identité » [68]. Les espaces interstitiels sont plus que jamais menacés par un urbanisme capitaliste qui conduit à la disparition progressive des espaces collectifs et des espaces susceptibles d’être appropriés. Au lieu de parasiter inutilement la ville, ces espaces pourraient être investis pour « recréer des lieux ou plus modestement contribuer à la qualité des espaces et de leurs usages pour donner envie de se rendre disponible à la rencontre » [69]. (65). Ibid., page 219. (66). Félix Guattari, Les Trois écologies, édition Galilée, Paris, 1989, page 52. (67). Gilles Paté, « Interventions, camouflages, prises de parole : créer des lieux dans la ville », in Machines de guerre urbaine, sous la direction de Manola Antonioli, édition Loco, Portugal, 2015, page 105. (68). Marc Augé, Non-lieux, introduction à une anthropologie de la surmodernité, édition Le Seuil, Paris, 1992, page 63. Dans cet ouvrage, il y est plus question d’une étude du phénomène de la surmodernité - très vite libellée dans sa modalité essentielle l’excès - qu’une étude sur les non-lieux. « La surmodernité (qui procède simultanément des trois figures de l’excès que sont la surabondance événementielle, la surabondance spatiale et l’individualisation des références) trouve naturellement son expression complète dans les non-lieux ». Marc Augé, op. cit., page 136. (69). Gilles Paté, op.cit., page 106.

2. L’Atelier d’Architecture Autogéré (AAA) invite l’habitant à devenir un acteur de l’interstice

Pour échapper à la désolation de la « Ville Générique » [70], et en même temps empêcher une réduction du champ des actions possibles dans le milieu urbain, il s’agirait d’intervenir dans l’ « espace public » physique en tant qu’ensemble des espaces ouverts à la pratique sociale des individus - rues, places, interstices, espaces en mutations, friches urbaines - pour interroger l’ « espace public » cette fois-ci en tant que concept politique hérité des lumières : espace de communication et discussion se rattachant à l’idée de démocratie et de débat politique, comme garantie et lieu d’expression de nos libertés.

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L’interstice urbain : habiter l’(in)habituel

En ce sens, nous nous interrogeons sur la possibilité d’expérimenter collectivement - c’est-à-dire avec la participation des habitants - de nouveaux usages de l’espace. Dans son ouvrage Reconquérir les rues [71], Nicolas Soulier illustre différentes pistes d’action afin que les habitants puissent dialoguer et soustraire la rue à la surabondance des réglementations, à la stérilisation des espaces, à l’emprise de la voiture, grâce à des projets participatifs susceptibles de réduire l’exclusion à la fois spatiale et sociale dont ils font l’objet. Comment et en quoi les interstices permettent-ils de réinventer et révéler aux citoyens le caractère sensible de l’espace public ? Quels types d’interventions et d’interactions sociales permet l’appropriation de ces espaces par les habitants ?

(70). Rem Koolhaas, Junkspace, trad. Daniel Agacinski, éditions Payot & Rivages, Paris, 2011, page 45 (71). Nicolas Soulier, Reconquérir les rues, éditions Ulmer, Paris, 2012. (72). Description de l’atelier sur le site www.urbantactics.org.

Prenons l’exemple de l’Atelier d’Architecture Autogérée (AAA), une association collective de recherche et d’action autour des mutations urbaines et des pratiques sociales de la ville contemporaine. Leurs équipes regroupent des architectes mais aussi des sociologues, des artistes, des étudiants, des urbanistes et s’allient aux habitants du quartier. En effet, la première volonté de AAA est d’impliquer les habitants en tant que participants actifs de leurs projets : « En valorisant la position d’habitant et d’usager comme condition politique, nous développons ensemble des outils d’appropriation symbolique des espaces de proximité et nous renforçons le pouvoir de décision et d’action des acteurs de terrain dans la ville » [72]. De 2001 à 2005, en accord avec les propriétaires des lieux, AAA investit la Halle Pajol, ancien entrepôt SNCF, pour y mener le projet participatif ECObox avec les habitants du quartier de la Chapelle à Paris. Dans le but de transformer ce lieu en un projet vivant de quartier, partagé et mené par tous, l’atelier y aménage des jardins collectifs, constituant le noyau autour duquel gravitent différents micro-équipements comme un module cuisine, ou une bibliothèque mobile et modulable [figures 15 et 16].

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deuxième chapitre

En démocratisant l’expérience interstitielle, AAA conteste l’ancien discours des architectes affirmant « une difficile rencontre de la culture savante de l’architecture avec celle populaire de ceux qui l’utiliserons » [73]. AAA a réalisé un deuxième projet similaire, dans le quartier de Saint-Blaise , dans le 20ème arrondissement cette fois. Le projet 56, du nom de la parcelle - ancien passage fermé suite à la construction d’un nouveau bâtiment - intervient donc dans un espace laissé à l’abandon et considéré comme inconstructible à cause des nombreux vis-à-vis des immeubles voisins. Suite à une concertation des habitants du quartier, qui a rassemblé plus de 150 personnes, sur le devenir de ce terrain, AAA crée également un jardin collectif et un espace convivial servant à la fois d’abri et de lieu de rencontres où « partager » et « construire ensemble » sont les mots d’ordre [figures 17 et 18]. (73). Elise Macaire, « Expérimenter la coproduction de l’architecture », in Lieux communs - Les Mondes de l’architecture, Les Cahiers du LAUA, n°17, janvier 2015. (74). « À l’époque grecque classique, la place publique, centre administratif, religieux et commercial de la cité. Dans une ville nouvelle, espace piétonnier en général couvert, centre important d’activités diverses. » Définition disponible à l’adresse www.larousse.fr. (75). Gilles Paté, op. cit., page 112.

En investissant et en inventant de nouvelles manières d’habiter les espaces vacants de la ville, AAA crée des lieux d’échanges dynamiques, des nouvelles agoras [74] contemporaines. Les habitants deviennent des « programmateurs » de l’espace public et cette appropriation devient la matière même des projets interstitiels : autrement dit, le sujet se construit à travers l’altérité. « Contre l’urbanisme unidimensionnel des lieux passants, faisons par nos actions ralentir les flux et recréer des lieux de vie » [75].

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L’interstice urbain : habiter l’(in)habituel

3. L’hypothèse de l’ « interstice programmé » de Laurent Karst

L’interstice ne présente pas uniquement une brèche physique dans le tissu urbain de la ville, mais offre aussi la possibilité d’une multitude d’interventions et d’usages, « autant de petits programmes qui permettent de répondre à de réels besoins et qui permettent également de créer du lien social, de favoriser les échanges, d’accentuer l’entraide entre les habitants et de provoquer des rencontres et des dialogues à petite échelle » [76]. Cette déclaration de Laurent Karst, architecte, designer et professeur à l’école nationale supérieure d’art et de design de Dijon, fait écho aux projets de AAA décrits précédemment. Selon lui, « de petites interventions architecturales dynamiques et innovantes doivent aujourd’hui s’insérer naturellement dans le tissu urbain de nos villes, de manière à répondre à de nouveaux besoins collectifs » [77]. L’interstice est donc bien plus qu’un simple défaut de la ville que le pouvoir public tente de combler à tout prix, il nous offre une autre approche de l’urbanisme questionnant le tissu urbain classique de la ville ce que Pascal-Nicolas Le Strat laissait entendre lorsqu’il déclarait qu’il « représente la parfaite métaphore de ce que peut être le mouvement de l’antagonisme et de la contradiction dans la ville postfordiste : un mouvement qui s’affirme au fur et à mesure de ce qu’il expérimente, qui monte en intensité grâce aux modalités de vie et de désir qu’il libère, qui s’oppose à la hauteur de ce qu’il est susceptible d’inventer et de créer » [78]. En ce sens, Laurent Karst nous invite à aller plus loin avec sa notion d’ « interstice programmé » qu’il définit comme la suite logique de toutes ces observations expérimentales. Il propose de laisser consciemment dans le tissu urbain des espaces disponibles, appropriables et adaptables, où s’inventeraient à tout moment de nouvelles formes de relations sociales.

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deuxième chapitre

Pour reprendre son phrasé, il avance l’idée d’un « principe d’indétermination programmatique » : les vides seraient alors prévus, dessinés par les architectes et urbaniste et offrirait une nouvelle dynamique dans l’espace urbain. Il nous décrit son idée comme suit : « Des retraits rendus possibles alors permettraient de libérer des vides et de supporter des usages complémentaires, ponctuels, conçus comme de petits équipements à l’échelle d’une rue ou d’un quartier : de petits espaces ouverts « mutables », prêts à fonctionner en contrepoint d’un espace bâti souvent trop figé et hermétique. Repenser les villes en ces termes, projeter des interstices, permetd’impliquerdavantagel’usagerdanssonenvironnement et de le rendre potentiellement acteur. L’architecture, l’urbanisme acquièrent une souplesse nouvelle qui offre des opportunités d’appropriation. L’interstice programmé, au même titre que la place et la rue pourrait être un nouveau composant urbain ; un entre-deux où la distinction public/privé s’estompe et se démocratise, un vide ouvert, non délimité potentiellement appropriable et qui pourrait entretenir avec la rue ou la place un rapport ambigu mais dynamique. » [79]

Lieux d’altérités et de pratiques informelles, ces vides programmés permettraient d’« introduire dans l’espace urbain de nouvelles fonctions vitales : partager et échanger » [80] et révèleraient autrement la ville. « Révéler » signifie porter en surface une couche invisible, quelque chose qui existe en substance mais qu’on ne peut pas voir. Un univers sous-jacent apparaîtraitalorsdecesespaces;LaurentKarstnousproposeraitil une relecture de la ville passant par la « théâtralisation » de l’espace urbain ? L’architecture peut alors être conçue comme un ensemble de processus dont la créativité (esthétique et politique) dément les analyses cyniques de Rem Koolhaas sur la « Ville Générique » et ses étendues anonymes et répétitives.

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(76). Laurent Karst, « L’interstice : un nouvel espace d’émancipation urbaine », in Machines de guerre urbaine, sous la direction de Manola Antonioli, édition Loco, Portugal, 2015, page 118. (77). Ibid., page 118. (78). Pascal Nicolas-Le-Strat, « Multiplicité interstitielle », in Multitudes n°31, éditions Actes Sud, Arles, 2008. Article consultable sur le site www.multitudes.net. Pour toutes les références issues de ce site, se reporter à l’adresse complète en sitographie. (79). Laurent Karst, op. cit., page 118. (80). Ibid., page 118.


[fig. 13] Gilles Paté et Stéphane Argillet, Le repos du fakir, avril 2002, place de Clichy, Paris - 9ème arrondissement, France, capture d’écran de la vidéo.


[fig. 14] Gilles Paté et Stéphane Argillet, Le repos du fakir, avril 2002, avenue Secretan, Paris - 19ème arrondissement, France, capture d’écran de la vidéo.


[fig. 15] AAA (Atelier d’architecture autogérée), ECOBOX, 2001-2005, quartier de la Chapelle, Paris - 18ème arrondissement, France, photomontage.


[fig. 16] AAA (Atelier d’architecture autogérée), ECOBOX, 2001-2005, quartier de la Chapelle, Paris - 18ème arrondissement, France, photographie des modules.


[fig. 17] AAA (Atelier d’architecture autogérée), Passage 56, 2006, rue Saint-Blaise, Paris - 20ème arrondissement, France, vue de la rue.

[fig. 18] AAA (Atelier d’architecture autogérée), Passage 56, 2006, rue Saint-Blaise, Paris - 20ème arrondissement, France, vue du jardin.


[fig. 19] AAA (Atelier d’architecture autogérée), Passage 56, 2006, rue Saint-Blaise, Paris - 20ème arrondissement, France, vue du jardin.


partie B La théorie du « Tiers paysage » de Gilles Clément.


deuxième chapitre

Nous retenons des parties précédentes que l’interstice est un lieu singulier de la ville, un lieu ouvert et propice à l’action collective de par sa dimension anthropologique et sociale. Constantin Petcou le définit comme un lieu « altérotopique », un lieu « de désapprentissage des usages assujettis au capi-talisme et de réapprentissage d’usages singularisés, en pro-duisant une subjectivité collective et spatiale propre aux sujets investis (…) d’espaces construits et partagés « avec les autres », avec ceux qui diffèrent de nous et qui nous importent » [81]. Si les individus présentent un tel désir de s’approprier ces espaces, Gilles Clément propose de l’expliquer par son idée de « Tiers Paysage » [82] que forment les interstices. Il les définit comme « un territoire pour les multiples espèces ne trouvant place ailleurs » [83].

1. Le « Tiers Paysage », un refuge pour la diversité biologique dans l’interstice urbain ?

Gilles Clément, ingénieur horticole, paysagiste, écrivain et enseignant à l’Ecole supérieure du paysage à Versailles, développe dans son manifeste une réflexion autour de la notion de « Tiers Paysage », qu’il définit en introduction comme un « fragment indécidé du Jardin planétaire, le Tiers paysage est constitué de l’ensemble des lieux délaissés par l’homme. Ces marges assemblent une diversité biologique qui n’est pas à ce jour répertoriée comme richesse. Tiers paysage renvoie à tiers-état (et non à tiers-monde). Espace n’exprimant ni le pouvoir ni la soumission au pouvoir. Il se réfère au pamphlet de Siesyes en 1789 : « Qu’est-ce que le tiers-état ? - Tout. Qu’a-t-il fait jusqu’à présent ? - Rien. Qu’aspire-t-il à devenir ? - Quelque chose. » [84]

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(81). Constantin Petcou et Doina Petrescu, « Agir l’espace (notes transver-sales, observations de terrain et question concrètes pour chacun de nous) », in Multitudes, n°31, 2008, page 106. (82). Gilles Clément, Manifeste du Tiers Paysage [2004], éditions du commun, Saint-Germain sur Ille, 2016. (83). Ibid., page 16. (84). Ibid., page 7.


L’interstice urbain : habiter l’(in)habituel

Le terme de « Tiers Paysage » naît d’un regard porté sur le Limousin. Gilles Clément analyse le paysage de Vassivière par balance des ombres - les forêts sombres et bourrues - et des lumières - les pâtures [figure 20]. Et puis entre, il observe des espaces indécis, un ensemble qui « n’appartient ni au territoire de l’ombre ni à celui de la lumière. Il se situe aux marges. (…) Entre ces fragments de paysage aucune similitude de forme. Un seul point commun : tous constituent un territoire de refuge à la diversité. Partout ailleurs celle-ci est chassée » [85]. Gilles Clément les nomme alors « Tiers Paysage ». Le nombre d’espèces recensées dans un champ, une culture ou une forêt gérée est faible en comparaison du nombre recensé dans un délaissé qui leur est attenant [figure 21]. Avec son projet du parc Matisse à Lille, L’île Derborence, Gilles Clément crée un espace, à 7m au-dessus du niveau du sol, accueillant 3500m2 de nature vierge. Cette friche végétale inaccessible et inexploitable par l’homme devient ainsi un réservoir de diversité biologique au cœur de la ville [figure 22]. (85). Ibid., page 7. (86). Le Corbusier, « La cité jardin est une utopie pré-machiniste », in La villa radieuse. Eléments d’une doctrine d’urbanisme pour l’équipement de la civilisation,éditions Vincent, Fréal & Cie, Paris, 1964. (87). Gilles Clément, « Privilégier le vivant sur la forme », novembre 2017, in PCA-Stream. Disponible à l’adresse : www.pca-stream.com. Pour toutes les références issues de ce site, se reporter à l’adresse complète en sitographie. (88). Gilles Clément, Manifeste du Tiers Paysage [2004], éditions du commun, Saint-Germain sur Ille, 2016, page 50.

Ainsi, à l’inverse de la « cité-jardin » [86] qui est compartimentée en petits éléments d’usage privé, il s’agirait de laisser la place à l’abandon et à l’incertitude paysagère. En ce sens, le végétal, à l’image du « Tiers Paysage », peut également jouer un rôle essentiel dans la réactivation des espaces publics, à condition que le jardinier / architecte ne soit plus là pour domestiquer ou bien dompter la nature mais bien pour l’accompagner : « au lieu de présenter [ces délaissés] comme une perte de pouvoir sur l’espace, un abandon ou une négligence, on peut au contraire les considérer comme une revalorisation spatiale » [87]. Cette richesse de la marge et de la limite territoriale remarquée et explorée par Gilles Clément, « constitue, par nature, un ensemble dérèglementé assimilable à un espace de liberté partout en régression sur la planète » [88].

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deuxième chapitre

2. Tver en Russie et Arnhem aux Pays-Bas : quand le végétal devient un levier politique de renouvellement urbain

« Les friches ont toujours existé. L’histoire les dénonce comme une perte du pouvoir de l’homme sur la nature. Et si on jetait sur elles un regard différent ? Ne seraient-elles pas les pages neuves dont nous avons besoin ? » Gilles Clément [89] La nouvelle fabrique de la ville contemporaine n’est pas faite uniquement d’architectures spectaculaires et de grands projets d’urbanisme institutionnel, mais se nourrit également au quotidien d’interventions d’architectes et designers, engagés dans des dimensions sociale, politique et écologique, et dans une conception participative de l’habiter. Alors identifiée comme une condition nécessaire d’un développement urbain durable, l’introduction du végétal dans la ville ne doit plus être recherchée uniquement pour ses fonctions esthétiques mais bien pour toute son importance éthique, sociale et politique. En effet, nous remarquons que la dimension paysagère n’arrive que trop fréquemment à la fin de la réalisation d’un projet, comme prétexte à une « végétalisation » décorative et superficielle des espaces. Il s’agit donc de prendre en compte le paysage comme composant à part entière du projet urbain.

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(89). Gilles Clément, « Le jardin en mouvement », in Construire autrement, sous la direction de Patrick Bouchain, éditions Actes Sud, Arles, 2006, page 164.


L’interstice urbain : habiter l’(in)habituel

Nous nous appuierons une nouvelle fois sur le livre Machines de guerre urbaines, dans lequel Nathalie Blanc et Cyria Emelianoff illustrent la volonté d’intégration du végétal dans la ville comme une « forme de renouvellement urbain » avec deux exemples européens [90]. En Russie, la ville de Tver et ses quelques quarante mille habitants contemplent tristement la détérioration de son patrimoine bâti et de ses chaussées. Délaissés par la municipalité, les citoyens vont alors se mobiliser autour d’une association locale, celle du jardin botanique attaché à l’université, avec laquelle ils décident de s’appuyer « sur le végétal comme élément central de requalification [de leurs] lieux de vie » [91]. Ensemble, ils créent en premier lieu un jardin collectif, « un coin de nature et de récréation » [92], à partir de matériaux de récupération [figure 23], puis revalorisent peu à peu chaque pied d’immeuble. Ce sont principalement les femmes qui participent à ces travaux de réaménagement, et déclenchent une dynamique de réappropriation des espaces communs. De « fil en aiguille » pour reprendre l’expression des deux auteures, ce travail sur l’extérieur a entraîné diverses actions sur l’ensemble des parties communes de la ville, et une véritable organisation citoyenne naît.

(90). Nathalie Blanc et Cyria Emelianoff, « Formes de renouvellement urbain du « fil en aiguille » au processus alternatif », in Machines de guerre urbaines, sous la direction de Manola Antonioli, édition Loco, Portugal, 2015, page 43 à 53. (91). Ibid., page 43. (92). Ibid., page 44.

De la même manière, autrefois le refuge du domaine des chasses royales, la ville de Arnhem aux Pays-Bas, victime des bombardements de la Seconde Guerre mondiale, voit ses quartiers se dégrader jusqu’aux années 1970. Puis, lassés des réseaux de prostitution, de l’immigration turque, et des mauvaises fréquentations qui investissaient de plus en plus les espaces délaissés, les habitants se mobilisent et misent sur une « végétalisation » de l’espace public afin de le revaloriser [figure 24]. En commençant par la floraison des balcons, l’organisation collective plante des arbres, crée onze jardins et un parc écologique dans une cour d’immeuble. Aidés par des artistes, les habitants réalisent un véritable « bijou urbain », pour reprendre la formule des auteurs, qu’ils entretiennent eux-mêmes par la suite.

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deuxième chapitre

Aussi « [faut-il] souligner la dimension politique de cette action : le vert est devenu synonyme de résistance à bien des titres. (…) La politique urbaine est devenue très volontaire en matière d’espaces verts et d’espaces publics » [93]. (93). Ibid., page 52. (94). Félix Guattari, Les Trois Ecologies [1989], éditions Galilée, 2008. Dans cet ouvrage, il théorise la notion d’ « écosophie » en expliquant que l’écologie est avant tout pratique et plurielle. Dans Les Trois Ecologies, Félix Guattari repense les trois types de pratiques écologiques : l’écologie environnementale (pour les rapports que l’homme entretient avec la nature et l’environnement), l’écologie sociale (pour les rapports aux réalités économique et sociale, autrement dit les liens entre les hommes au sein de chaque société qu’ils créent et dont ils participent), et enfin l’écologie mentale (pour les rapports à la question de la production de la subjectivité humaine : en me construisant comme sujet au milieu d’autres sujets, déjà je m’engage écologiquement). (95). Nathalie Blanc et Cyria Emelianoff, op. cit., page 53.

Ainsi, ces deux exemples s’inscrivent dans la perspective guattarienne d’une « écosophie urbaine » [94] : le souci écologique ne concerne pas seulement les environnements naturels, le domaine bâti ou les territoires physiques, mais également une réinvention des « territoires existentiels » individuels et collectifs. Nathalie Blanc et Cyria Emelianoff le soulignent dans leur conclusion : « l’investissement est incontestablement esthétique du point de vue de la justification, mais aussi en termes de spectacle proposé aux yeux des citadins ; les jardins sont des décors discrets, enchâssés dans le tissu urbain, mais ils correspondent aussi à un investissement éthique et au projet d’une vie meilleure au niveau individuel et collectif dans le contexte urbain. » [95] En somme, l’utilisation du végétal génère des projets communs proposés à tous, porteurs de liens sociaux nouveaux, et participe au renouvellement urbain.

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[fig. 20] Gilles Clément, Manifeste du Tiers Paysage, 2006, schéma explicatif de son analyse du paysage du Limousin et de Vassivière sous l’ombre d’un côté et la lumière de l’autre.

[fig. 21] Gilles Clément, Manifeste du Tiers Paysage, 2006, schéma explicatif de son analyse de la diversité des espèces dans le paysage du Limousin.


[fig. 22] Gilles ClĂŠment, ĂŽle Derborence, 2006, parc Henri Matisse, Lille, France, photographie de Claudine Colin.


[fig. 23] rue Tverskaïa, 2001, Tver, Russie, revalorisation végétale des parcs publics.


[fig. 24] Groengroep garden, 2006, quartier Spijkerkwartier, Arnhem, Pays-Bas, revalorisation des pieds d’immeubles.


partie C La question de temporalitĂŠ des interstices urbains.


deuxième chapitre

En interrogeant la temporalité des interstices urbains dans cette partie, nous ne pouvons plus taire la genèse du mot : l’interstice fut d’abord « l’intertisse ». En effet, nous trouvons sa première utilisation dans les textes bibliques en tant que « temps que l’Eglise fait observer entre la réception de deux ordres sacrés » [96]. Ce qui signifie que l’interstice avait au départ un sens temporel plutôt que spatial. Ainsi, les espaces interstitiels ne se définissent pas uniquement par leurs caractères spatiaux comme nous les décrivions jusque-là, mais également comme un intervalle de temps entre deux moments bien précis : comme un « temps de veille » pour reprendre le phrasé de la docteure en urbanisme Lauren Andres [97]. Que peut nous révéler le question de la temporalité de l’interstice urbain sur son essence et son sens ?

1. L’interstice : un temps de pause dans l’effervescence de la ville

Le sociologue allemand Hartmut Rosa (1965) développe dans son ouvrage majeur Accélération, une critique sociale du temps [98] une réflexion assez pessimiste sur le phénomène d’accélération comme un moteur certain du monde contemporain. Il entend par « accélération », les transformations perpétuelles de notre société : la ville et ses codes se renouvellent en permanence, et sous la pression de ce rythme effréné, les habitants se doivent de refuser la lenteur et se retrouvent enfermés dans cette dynamique d’accélération. Nous vivons selon lui dans « une société à la fois figée et frénétique » [99], à la fois en mouvement permanent mais surtout prisonnière de celui-ci. Ainsi, Hartmut Rosa définit cette accélération non pas comme un progrès mais comme un phénomène nous privant de notre émancipation et autonomie.

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(96). « Garder les interstices. Les interstices sont ordinairement de trois mois. Dispenser des interstices. » Définition du dictionnaire de l’Académie française de 1935. Disponible à l’adresse : www.dictionnaire-academie. (97). Lauren Andres, « Temps de veille de la friche urbaine et diversité des processus d’appropriation : La Belle de Mai (Marseille) et le Flon (Lausanne) » in Revue de géographie de Lyon, n°81, Lyon, 2006, pages 159-166. (98). Hartmut rosa, Accélération : une critique sociale du temps, édition La Découverte, Paris, 2003. (99). Ibid.


L’interstice urbain : habiter l’(in)habituel

En exergue de l’introduction du mémoire, nous avions cité Heiner Müller : « Le moment est grave, car il n’existe plus rien d’autre que du temps et de la vitesse, du temps qui passe, mais plus d’espace. Il faut maintenant créer de l’espace et il faut l’occuper pour comprendre cette accélération » [100]. Il prend ici tout son sens : face au constat des flux d’une accélération constante et croissante, la pratique de l’interstice est à considérer comme une envie de décélération et de respiration dans le tissu urbain. C’est dans ce contexte que l’appropriation des espaces résiduels de quartiers par les habitants peut se comprendre comme un acte de résistance à cette accélération. Ces derniers ont besoin de moments de respirations et d’imprévus, aussi bien temporels que spatiaux, car nous évoluons vers des territoires de plus en plus saturés où le temps devient précieux.

(100). Heiner Müller, cité par Thomas Sieverts, Entre-ville une lecture de la Zwischenstadt, éditions Parenthèses, Marseille, 2004, page 163. (101). Maurice Halbawchs, Ecrits d’Amérique, recueil de textes sous la direction de Christian Topalov, édition EHEES, Paris, 2012, page 325. (102). Marc Dumont, Penser la ville incertaine : périmètres et interstices, 10 janvier 2006, in EspaceTemps. Disponible à l’adresse : www.espacestemps.net. Pour toutes les références issues de ce site, se reporter à l’adresse complète en sitographie.

Quand Maurice Halbwachs (1877-1945) propose la métaphore de l’éponge [101] pour visualiser cette image d’une ville alvéolaire, il veut signifier que l’interstice n’est pas tant une cavité accidentelle dans la ville mais un vide assez plein finalement en termes d’intensité, un élément de structure qui participe activement à la vie urbaine. A l’image d’une partition musicale, composée de mesures, de temps et d’accélérations, la vie urbaine ne demande qu’à entretenir des temps de pause dans les multiples rythmes de la ville. Et c’est alors là qu’intervient l’interstice, inscrivant dans la mosaïque urbaine son rythme propre, une temporalité de transition à la capacité d’évoluer et de s’adapter aux besoins des citadins. En ce sens, les connotations spatiales et temporelles de l’interstice sont indissociables lorsque

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l’on parle d’interstice urbain. De plus, la définition de l’Eglise donnée précédemment sous-entend que l’interstice est tout aussi important que les deux ordres sacrés qui le génèrent : il permet une respiration qui rythme la succession d’évènements pérennes, une respiration durant laquelle le flottement subsiste contrastant avec le rituel figé d’un ordre sacré. Des multiples pratiques peuvent s’y produire, « parce qu’on y fait des choses que l’on ne peut pas faire ailleurs, (…) ils invitent les urbanistes et les politiques à accepter que les sociétés puissent vivre avec du non-programmé » [102] ; la force d’un espace vide, c’est finalement qu’il peut facilement être transformé pour des usages en évolution.

2. L’indétermination de l’interstice comme catalyseur de projet ?

Dans un monde de plus en plus urbanisé, le filet disciplinaire appliqué sur la société est de plus en plus tressé, stratégique. Au même moment, et avec autant d’intensité, la tactique déployé par l’individu pour s’en extraire forme la trame de son quotidien. Il y a effectivement deux mondes parallèles, celui pyramidal, organisé, tramé de la raison, et celui labyrinthique de l’expérience, de la micro-ruse quotidienne. » Peter Fianu [103] Dans le territoire cadré et planifié de nos métropoles, alors que la place donnée au partage et à l’échange est devenue quasiment nulle, que l’espace public « aurait perdu de sa capacité à mettre harmonieusement en personne les personnes para- delà leur appartenance sociale, sexuelle, générationnelle » [104], les citadins s’approprient les espaces interstitiels : ils souhaitent s’organiser un vivre-ensemble temporaire pour échapper au rythme trop accéléré de vie.

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L’interstice urbain : habiter l’(in)habituel

Et c’est en réactivant les espaces résiduels et délaissés de la ville, « ces espaces [qui] n’ont pas de fonction assignée et ne semblent pas avoir de légitimité parmi l’ensemble des lieux de la ville », que ces derniers vont pouvoir de nouveau créer des rencontres. « C’est justement cette condition indéterminée et floue qui fait de ces non-lieux des lieux de possibles » [105]. Nous sommes ici d’accord avec Pascal-Nicolas Le Strat qui déclare que « du fait de leur statut provisoire et incertain, les interstices laissent deviner ou entrevoir un autre processus de fabrication de la ville, ouvert et collaboratif, réactif et transversal. [Les interstices] nous rappellent que la société ne coïncide jamais parfaitement avec elle-même et que son développement laisse en arrière-plan nombre d’hypothèses non encore investies » [106]. Mais les processus qui s’en dégagent sont-ils plus importants que le lieu en lui-même ? L’indétermination de l’interstice est-elle une de ses conditions d’ailleurs ?

L’imprévisibilité de ces espaces offre une part d’incertitude et de flou permettant aux architectes de tester, d’explorer, sans être garanti du résultat final ; ils conçoivent de l’inattendu. Nous pouvons parler d’expérimentations interstitielles. Illustrons notre propos avec le cas du restaurant Nomad, conçu par l’architecte Toyo Ito à Tokyo en 1986 [figures 24]. A l’origine, un hôtel devait être construit sur deux terrains adjacents, cependant après des déboires administratifs l’un deux a dû être abandonné pour une durée indéterminée. Mais au lieu de le laisser vacant, les promoteurs ont opté pour une solution provisoire : l’architecte japonais a alors dessiné un refuge gastronomique provisoire. D’une architecture souple et légère, il sert d’ « oasis aux aventuriers qui parcourent la ville au gré de leur inspiration » [107]. Cette expérience insolite est d’autant plus forte par son caractère éphémère et répond à la définition de l’interstice comme avant tout un terrain disponible temporairement, « voué à être comblé pour réapparaître ailleurs, c’est un espace fuyant qu’on ne peut évidemment pas tenter de « conserver » en le figeant » [108].

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deuxième chapitre

Prenons un autre exemple : en 2005, le collectif Exyzt crée dans une dent creuse du quartier de Poble Nou à Barcelone, le projet S.E.T (Station Extra Territoriale). Cet immeuble en échafaudage de huit étages, adapté au gabarit de ses voisins, est construit et habité en l’espace de 3 jours. La façade de la construction devient un écran géant, où le collectif projette une image de la nouvelle tour Agbar de Jean Nouvel, transformée en fusée et décollant vers les étoiles [figures 25 et 26]. Nous catégoriserons ici le projet interstitiel de performance audiovisuelle et pyrotechnique et cette dernière perdure dans les esprits tandis que l’entité spatiale disparait pour se réintégrer au tissu urbain, attendant une nouvelle intervention. (103). Peter Fianu, cité par Sophie Gironnay, Les archi-fictions de Montréal - Six villes invisibles, catalogue de l’exposition au Monopoli, la galerie d’architecture de Montréal, 2006, page 60. (104). Denis Delbaere, La fabrique de l’espace public. Ville, paysage et démocratie, éditions Ellipses, Paris, 2001, page 58. (105). Katia Gagnard, « Dans les interstices : Etienne Boulanger », in Machines de guerre urbaines, sous la direction de Manola Antonioli, édition Loco, Portugal, 2015, page 95. (106). Pascal-Nicolas Le Strat, « Multiplicité interstitielle », in Expérimentations politiques, éditions Fullen, Montpellier, 2009. (107). Sophie Roulet et Sophie Soulie, Toyo Ito, l’architecture de l’éphémère, éditions du Moniteur, Paris, 1991, page 44. (108). Luc Levesque, Montréal, l’informe urbanité des terrains vagues, in Les annales de la Recherche Urbaine : Paysages en ville, n°85, éditions Plan Urbanisme Construction Architecture, La Défense, 1999. Disponible à l’adresse : www.annalesdelarechercheurbaine.fr. Pour toutes les références issues de ce site, se reporter à l’adresse complète en sitographie. (109). Henri Lefebvre, Critique de la vie quotidienne 3 - De la modernité au modernisme,Pour une métaphilosophie du quotidien, édition L’Arche, Paris, 1981, page 105-106.

Conçues pour une période de transition, ces expériences interstitielles sont par essence fragiles et amenées à se transformer ou disparaître. Que ce soit par leur maintenance dans un état incertain, ou par une requalification plus pérenne, « l’interstice qui a été ouvert ne se maintiendra actif et créatif qu’à condition de se porter en avant et de poursuivre sans relâche son travail de recomposition, qu’à condition de préserver son indéfectible singularité » [109].

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[fig. 24] Toyo ito, restaurant Nomad, 1986, Tokyo, Japon, photographie de Tomio Oashi.

[fig. 25] collectif EXYZT, interstice avec le projet S.E.T (Station Extra Territoriale), 2005, quartier Poble Nou, Barcelone, Espagne, photographie de Brice Pelleschi.


[fig. 26] collectif EXYZT, projet S.E.T (Station Extra Territoriale), 2005, quartier Poble Nou, Barcelone, Espagne, photographie de Brice Pelleschi.



III.

INTERSTICES CONCEPTUELS : DES HéTéROTOPIES CRéATRICES


partie A (In)habitable : habiter les espaces interstitiels.


troisième chapitre

Nous empruntons ici l’idée de la formule « in(habitable) » à l’architecte et plasticienne brésilienne Nivalda Assunção de Araujo. Interrogée par la vie souterraine de Brasilia, où enfants et adultes sont contraints de vivre dans les égouts de la ville, elle met en place une production plastique importante autour de cette notion. Elle la définit comme « habiter à l’intérieur une structure organique, concernant l’idée d’ « habiter » un espace inhabituel et singulier, et surtout vide en apparence. » [110] 1. La création de micro-habitat comme réponse architecturale à l’interstice urbain : la Maison Keret de Jakub Szczęsny

Il y a 2100 ans, dans un traité intitulé De architectura, le premier théoricien de l’architecture, Vitruve (90 av.J-C - 15 av.J-C), développe le « mythe de la cabane », née du besoin des hommes de construire un abri pour se protéger des intempéries. Depuis, le micro-habitat, qu’il ne faut pas comprendre comme une version simplifiée de la maison individuelle mais comme la préservation des fondements de l’habitat dans un espace condensé, questionne les architectes. Par le micro-habitat, l’architecte peut-il réinventer une nouvelle manière d’investir l’interstice urbain ? Pour Le Corbusier penser le potentiel de la maison comme machinique signifie mettre en lumière la spécificité fonctionnelle de l’habitat et l’imaginer comme un outil, à la fois, porteur de changements et au service des changements urbains actuels : « élargi, approfondi, dirigé vers ses buts réels, le machinisme est, en vérité, toute une civilisation aux possibilités innombrables » [111]. Comment l’architecte polonais Jakub Szczesny s’approprie l’interstice urbain en y inventant une maison pratique, une nouvelle « machine à habiter » [112] pour reprendre le célèbre phrasé de Le Corbusier ? (110). Nivalda Assunção de Araujo, « (In)habitable : expériences vécues dans des lieux souterrains », in Machines de guerre urbaines, sous la direction de Manola Antonioli, édition Loco, Portugal, 2015, page 262. (111). Le Corbusier, Sur les quatre roues, édition Denoël, Paris, 1970 page 16. (112). Le Corbusier, Vers une architecture, édition Arthaud, Paris, 1977, page 73.

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L’interstice urbain : habiter l’(in)habituel

A l’image de Berlin, Varsovie en Pologne a subi les ravages de la Seconde Guerre mondiale et des projets d’urbanisme d’après-guerre. Ces derniers, en rupture avec le tissu ancien de la ville, laissent apparaître nombre de cicatrices, que nous avons appelé interstices urbains. En 2009, le festival WolaArt invite l’architecte polonais Jakub Szczesny à investir l’un d’eux. Et pas n’importe lequel, une fente allant de 72 à 122 centimètres de large, séparant d’un côté un bâtiment en brique, fragment du passé historique de la ville, et de l’autre côté un immeuble en béton, résultat d’une architecture se disant moderne [figure 27]. Pour souligner la tension entre les deux bâtiments, Jakub Szczesny décide d’y insérer, sans les toucher, une nouvelle forme d’habitat, poussant la micro architecture à ses extrêmes. Projet devenu réalité seulement en 2011, l’architecte imagine une maison de 14 mètres carrés, la maison Keret. Elle dispose de tous les éléments fonctionnels nécessaires, reliés par une échelle étroite sur toute sa hauteur. Construite sur deux étages, elle est de forme triangulaire afin d’éviter de trop grandes hauteurs qui pourraient renforcer un sentiment d’oppression mal venu. Face au caractère exigu du lieu, l’architecte décide de peindre toute la structure, composée essentiellement de plastique et de métal, en blanc. Ainsi, les panneaux translucides, faisant office de murs, laissent pénétrer la lumière qui vient se refléter sur les murs blancs et diffuse une atmosphère paisible à l’intérieur de la maison. [figures 28 à 31] Pensée pour l’écrivain israélien Etgar Keret, la maison se veut un espace de méditation, impliquant une perception sensitive de l’espace où l’individu prend conscience de son corps et de son identité. Souvent décrite comme la maison la plus étroite du monde, réduite à son strict minimum, elle devient une seconde « peau » [113] pour son occupant, à travers laquelle il « s’extrait du monde extérieur et développe son propre univers » [114].

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troisième chapitre

En somme, alors que « tout semblait sur son chemin : l’étroitesse de l’espace, l’infrastructure, la loi et l’argent » [115], Szczesny met en lumière avec sa maison Keret le potentiel créatif et créateur de l’espace interstitiel. Ce lieu qui avait été pensé pour une durée de quatre ans, fait aujourd’hui partie de la collection permanente du musée d’art moderne newyorkais, le MOMA. Cette expérience interstitielle atteint « du seul fait de sa dynamique, un fort degré d’expérimentation et de création et une grande intensité dans l’élaboration et l’exploration de ses agencements. (…) Ce qui [la] caractérise, c’est bien [son] énergie propre : [sa] capacité à initier, à embrayer, à amorcer » [116]. Force à croire que le projet va en inspirer plus d’un pour habiter ce qui semblait inhabitable. (113). « J’habite ma maison comme j’habite ma peau ». Primo Levi, « Ma maison », in Le métier des autres. Notes pour une redéfinition de la culture, éditions Gallimard, Paris, 1992, page 13. (114). Chloé Braustein « micro-architectures ou macro-design ? » in Micro-architecture, l’architecture d’aujourd’hui, n°338, Paris, juin 2000, page 93. (115). « Everything seemed to stand on its way: the space narrowness, the infrastructure, law and money », notre traduction. Voir sur le site www.szcz.com. (116). Antonio Negri et Michael Hardt, Empire, éditions Exils, Paris, 2000, page 85.

2. L’atelier Bow-Wow, un laboratoire d’expérimentations en milieu urbain dense au Japon

Lorsque nous nous attardons sur la question de la densification urbaine, nous ne pouvons pas passer à côté de l’expérience vécue par les asiatiques, et notamment les japonais, sur leur territoire. Avec près de 126 millions d’habitants recensés début 2020, le Japon est le onzième pays le plus peuplé du monde. 14 millions d’entre eux habitent à Tokyo, ce qui représente près de 6400 habitants par kilomètre carré, plaçant la capitale au premier rang mondial en termes de densité géographique. Habiter un espace, en particulier en tant qu’espace domestique, est devenu un véritable défi pour la capitale. Une nouvelle fois, la micro échelle pourrait-elle être la solution, et venir s’insérer entre les bâtiments déjà existants ? C’est ce que va tenter de montrer l’atelier d’architecture Bow-Wow.

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L’interstice urbain : habiter l’(in)habituel

Fondé en 1992 par Momoyo Kaijima et Yoshiharu Tsukamoto, l’atelier tente de penser la ville japonaise autrement. Afin de bouleverser les normes établies, les interstices urbains semblent le terrain idéal pour réinventer de nouvelles formes d’habitat. Les deux architectes se nourrissent de leurs investigations sur la morphologie et la complexité de la ville de Tokyo pour proposer un certain nombre d’expérimentations. En effet, en parallèle de leur travail sur le terrain, ils publient plusieurs ouvrages, notamment Made in Tokyo [117] en 2001 et Pet in architecture [118] l’année suivante dans lesquels ils recensent les édifices interstitiels de la ville. Forts de ces enquêtes, ils s’efforcent d’optimiser toutes parcelles constructibles, même très petites, en y construisant des structures légères aux matériaux bruts, prônant la mixité des usages. Préfèrant mettre l’accent sur les espaces intermédiaires, il y a peu de pièces distinctes dans leurs habitations privées. Par exemple, en 2008, ils imaginent une maison pour un couple, leurs trois enfants et leurs livres, où les espaces de vie propres aux habitants sont exagérément restreints au profit des bibliothèques, des espaces de travail et de lecture. Fil rouge de l’édifice, les livres représentent plus de la moitié de la superficie totale, et font la part belle aux espaces transitoires [figures 32 à 34]. Les deux architectes ne cachent pas leur préférence pour les espaces partagés souvent distribués autour d’un « escalier-séjour », un espace de circulation vertical qui devient un lieu de vie à part entière. Leur Tour Machiya en est une belle illustration. Sur un terrain à peine plus grand qu’une place de parking, l’édifice met en scène un escalier désaxé qui relie sept paliers habitables. Chaque espace est mis en relation avec un autre, les cloisons sont quasi absentes accentuant l’impression d’un seul espace presque infini [figures 35 à 37]. Leurs projets sont le résultat d’un vrai travail d’agencement au sens où « agencer signifie le processus d’arranger, d’assembler, d’organiser et de mettre ensemble. Un agencement est un tout, formé par l’interconnectivité et les flux entre les parties qui le composent » [119].

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troisième chapitre

« Tout le génie de l’agence Bow-Wow est d’inventer de l’espace là où il n’y en a pas » [120]. Les paroles de Francis Rambert, directeur de l’Institut Français d’Architecture, pour présenter les deux architectes japonais de passage au Palais de Chaillot en février 2008, transcrivent parfaitement tout l’enjeu de leur travail. L’atelier Bow-Wow est l’un de ces laboratoires d’expérimentations où « l’art de la demeure et du territoire » décrit dans Mille Plateaux [121] par Deleuze et Guattari prend tout son sens. Pour ces derniers, l’architecture ne peut construire un espace lisse mais bien un espace strié, complexe rendant riche la qualité de vie des habitants, même dans les lieux les plus exigües. L’inhabitable devient alors (in)habitable. (117). Momoyo Kaijima, Yoshiharu Tsukamoto et Junzo Kuroda, Made in Tokyo, édition Kajima Institute, Tokyo, 2001. (118). Momoyo Kaijima et Yoshiharu Tsukamoto, Pet architecture : Guide Book, édition World Photo Press, Tokyo, 2002. (119). « An assemblage is a whole whose properties emerge from the interactions between parts ». Manuel DeLanda, A New Philosophy of Society, édition Bloomsbury, 2013, page 8. Notre traduction. (120). Francis Rambert, cité par Céline Chahi, Bow-Wow, l’art de la mini-maison, février 2008. Article disponible à l’adresse : www.maisonapart.com.Pour toutes les références issues de ce site, se reporter à l’adresse complète en sitographie. (121). Félix Guattari et Gilles Deleuze, Mille Plateaux, éditions de Minuit, Paris, 1980.

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[fig. 27] Jakub Szczesny, la maison Keret, 2009, Varsovie, Pologne, photographie de Bartek Warzecha, vue de la rue.

[fig. 28] Jakub Szczesny, la maison Keret, 2009, Varsovie, Pologne, image 3D de Jakub Szczesny.


[fig. 29] Jakub Szczesny, la maison Keret, 2009, Varsovie, Pologne, axonomĂŠtrie et croquis de Jakub Szczesny.


[fig. 30] Jakub Szczesny, la maison Keret, 2009, Varsovie, Pologne, plans.

[fig. 31] Jakub Szczesny, la maison Keret, 2009, Varsovie, Pologne, photographie de Bartek Warzecha, vue de l’escalier.


[fig. 32] Jakub Szczesny, la maison Keret, 2009, Varsovie, Pologne, photographie de Bartek Warzecha, vue de la chambre.


[fig. 33] Atelier Bow Wow, Ikushima Library, 2008, quartier Kokubunji, Tokyo, Japon, photographie de l’atelier Bow Wow, vue de l’extérieur.

[fig. 34] Atelier Bow Wow, Ikushima Library, 2008, quartier Kokubunji, Tokyo, Japon, photographie de l’atelier Bow Wow, vue du salon.


[fig. 35] atelier Bow Wow, Ikushima Library, 2008, quartier Kokubunji, Tokyo, Japon, coupe du volume général, dessinée par l’atelier Bow Wow.


[fig. 36] Atelier Bow Wow, Tour Machiya, 2010, quartier Shinjuku, Tokyo, Japon, photographie de l’atelier Bow Wow, vue de l’extérieur.


[fig. 37] Atelier Bow Wow, Tour Machiya, 2010, quartier Shinjuku, Tokyo, Japon, maquette de l’aspect général de l’atelier Bow Wow.

[fig. 38] Atelier Bow Wow, Tour Machiya, 2010, quartier Shinjuku, Tokyo, Japon, photographie de l’atelier Bow Wow, vue de l’escalier.


partie B « L’imaginaire du lieu » : une politique expérimentale des singularités.


troisième chapitre

« L’époque actuelle serait peut-être plutôt l’époque de l’espace. Nous sommes à l’époque du simultané, nous sommes à l’époque de la juxtaposition, à l’époque du proche et du lointain, du côte à côte, du dispersé. Nous sommes à un moment où le monde s’éprouve, je crois, moins comme une grande vie qui se développerait à travers le temps que comme un réseau qui relie des points et qui entrecroise son écheveau.» Michel Foucault [122] 1. Michel Foucault et l’architecture à l’épreuve des territoires dits « entre-deux »

Le terme d’ « hétérotopie » émerge dans l’œuvre philosophique de Michel Foucault (1926-1984), quelques années avant sa théorisation explicite dans sa célèbre conférence radiophonique de 1967 intitulée « Des espaces autres ». Ce texte ne sera retranscrit qu’en 1994, précédé de celui d’une autre conférence « Le corps utopique » diffusée quelques jours plus tôt. La toute première référence de ce nouveau concept date de 1966 dans la préface de Les mots et les choses en ces termes : « Les utopies consolent (…). Les hétérotopies inquiètent, sans doute parce qu’elles minent secrètement le langage, parce qu’elles empêchent de nommer ceci et cela, parce qu’elles brisent les noms communs ou les enchevêtrent, parce qu’elles ruinent d’avance la syntaxe, et pas seulement celle qui construit les phrases, - celle moins manifeste qui fait tenir ensemble (à côté et en face les uns des autres) les mots et les choses. » [123]

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(122). Michel Foucault, « Des espaces autres », Dits et écrits, éditions Gallimard, 1994, page 752. (123). Michel Foucault, Les mots et les choses, éditions Gallimard, 1966, page 7.


L’interstice urbain : habiter l’(in)habituel

Du grec hétéros « autre », « différent », et topos « lieu », Michel Foucault a souhaité illustrer par ce terme l’émergence d’un lieu ou de lieux nouveaux, qu’il oppose, pour mieux les comprendre, aux utopies. Ces dernières définissent une absence de lieu, représentant une « société elle-même perfectionnée ou l’envers de la société, mais, [qui] de toute façon, sont des espaces fondamentalement, essentiellement irréels » [124]. A contrario, les hétérotopies définissent des lieux réels, dessinés dans l’institution même de la société, mais qui ne sont pas entièrement intégrés dans l’espace commun, créant alors des « sortes de lieux qui sont hors de tous les lieux » [125]. Michel Foucault conclue : « Ces lieux, parce qu’ils sont absolument autres que tous les emplacements qu’ils reflètent et dont ils parlent, je les appellerai, par opposition aux utopies, les hétérotopies » [126]. Des hétérotopies créatrices que Michel Foucault décrit positivement comme des lieux de l’altérité et d’exception.

(124). Michel Foucault, « Des espaces autres », op. cit., page 752. (125). Ibid., page 753. (126). Ibid., page 753. (127). Stéphane Malka, cité par Déborah Antoinat, Porosités urbaines, une piste pour le renouvellement urbain, septembre 2011, in Midionze. Disponible à l’adresse : www.midionze. com. Pour toutes les références issues de ce site, se reporter à l’adresses complète en sitographie.

Nous vous invitons à lire toutes les expériences sur lesquelles nous nous sommes appuyées jusque-là en lumière avec le concept d’hétérotopie. Pour les architectes et designers, les territoires entre-deux sont autant d’espaces, souvent de petite échelle, confrontés à l’éphémère, au temporaire, à l’inachevé. A l’épreuve de ces paradoxes architecturaux, ils comprennent que leurs caractères contraires ne conduisent pourtant pas à une incompatibilité. Penser les interstices urbains comme des hétérotopies pourrait être le point de départ de leurs travaux dans le but de « transcender l’âme du lieu en [lui] trouvant un nouvel usage » [127].

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troisième chapitre

2. Une conception rhizomique guattari-deleuzienne de l’interstice ?

Dans sa proposition d’interstice programmé, Laurent Karst identifie les interstices urbains comme des lieux où il est possible de produire de nouveaux territoires d’émancipation sociale. Nous avons parlé dans le chapitre précédent de son désir de « laisser dans la composition urbaine des trous, des espaces potentiellement appropriables, des espaces adaptables, ouverts à des fonctions à venir » [128]. Cette démarche s’éclaire d’autant plus après l’analyse des travaux de Michel Foucault, dans lesquels il propose d’identifier ces « trous » comme des « emplacements irréductibles les uns aux autres et absolument non superposables » [129] constitués par « des relations de voisinage entre points ou éléments ». Ainsi, cette science d’une « hétéropologie » des lieux met en lumière la notion de « réseau ». Est-ce là le devenir et la survie de ces espaces résiduels urbains si particuliers ? Les penser comme un réseau ?

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(128). Laurent Karst, « L’interstice : un nouvel espace d’émancipation urbaine », in Machines de guerre urbaine, sous la direction de Manola Antonioli, édition Loco, Portugal, 2015, page 118. (129). Michel Foucault, Dits et écrits, éditions Gallimard, 1994, page 572.


L’interstice urbain : habiter l’(in)habituel

Pour aller plus loin, nous nous demandons s’il ne serait pas nécessaire, voire indispensable, de lire les interstices comme une conception rhizomique, à l’image de la définition de Félix Guattari (1930‑1992) et Gilles Deleuze (1925-1995) dans leur livre Rhizome : « Le rhizome est une antigénéalogie. C’est une mémoire courte, ou une antimémoire. Le rhizome procède par variation, expansion,conquête,capture,piqûre.Al’opposédugraphisme, du dessin ou de la photo, à l’opposé des calques, le rhizome se rapporte à une carte qui doit être produite, construite, toujours démontable, connectable, renversable, modifiable, à entrées et sorties multiples, avec ses lignes de fuite. » [130] Vincent Jacques, enseignant à l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Versailles, nous aiguille dans son dernier ouvrage Deleuze pas à pas [131] dans la compréhension de la philosophie des deux auteurs de Mille Plateaux [132], œuvre phénoménale écrite en 1980. Dans cette dernière, Félix Guattari et Gilles Deleuze appellent « à un nomadisme de la pensée contre les formes de l’Etat en elle… Mais le nomadisme, peu importe son champ d’application, ne peut se comprendre qu’au cas par cas dans l’agencement qui lui donne consistance, la machine de guerre » [133]. Les deux philosophes avancent l’idée d’un nouvel outil performant, capable de repenser des nouvelles pratiques politiques, anthropologiques, architecturales, dans le but de repenser et réinventer le tissu urbain. Vincent Jacques nous prévient en effet : « Il faut d’emblée éviter tout contre sens : la machine de guerre n’a pas la guerre pour objet, mais bien l’espace lisse qu’elle compose, occupe et partage. »

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troisième chapitre

En vue des caractères principaux du rhizome guattarideleuzien : « à la différence des arbres ou de leurs racines, le rhizome connecte un point quelconque avec un autre point quelconque, et chacun de ses traits ne renvoie pas nécessairement à des traits de même nature, il met en jeu des régimes de signes très différents et même des états de nonsignes » [134], se pourrait-il que l’outil guerrier de l’interstice soit sa conception rhizomique ? En ce sens, il s’agirait de le penser « non plus [comme] un attachement à la forme, à la pérennité ou même à une localisation précise et stable, mais [comme] une multiplicité de connexions potentielles, « entre-monde » de la transformation » [135]. [figures 39 et 40] (130). Félix Guattari et Gilles Deleuze, Rhizome, éditions de Minuit, Paris, 1958. (131). Vincent jacques, Deleuze pas à pas, éditions Ellipses, Paris, 2014. (132). Félix Guattari et Gilles Deleuze, Mille Plateaux, éditions de Minuit, Paris, 1980. (133). Vincent Jacques, op. cit., page 175. (134). Félix Guattari et Gilles Deleuze, op. cit. (135). Luc Levesque, « Montréal, l’informe urbanité des terrains vagues » in Les Annales de la Recherche Urbaine : Paysages en ville, n°85, éditions Plan Urbanisme Construction Architecture, La Défense, 1999, pages 47-57. (136). Gilles Deleuze, « Post-scriptum sur les sociétés de contrôle », in Pourparlers, Les Éditions de Minuit, Paris, 1990, page 247.

Nous finirons ce dernier chapitre sur les mots de Gilles Deleuze : « Il n’y a pas lieu de craindre ou d’espérer, mais de chercher de nouvelles armes » [136]. Et penser l’interstice urbain comme conception rhizomique pourrait en être une.

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[fig. 39] Fernand Deligny, cartes et lignes d’erre, 1969-1979, reproduction de Anaïs Masson, issue des archives de Jacques Allaire et Marie-Dominique Guibal.


[fig. 40] Richard Giblett, Mycelium Rhizome, 2008, collection particulière, Melbourne, Australie, dessin au crayon à papier, 120 x 240 cm.


conclusion


conclusion

Grâce à l’analyse théorique du travail de Rem Koolhaas, nous avons établi, au départ de notre recherche, que son junkspace était le malheureux (nous dirions maintenant « heureux » ?) résultat de la révolution industrielle, de la standardisation des bâtiments modernes et d’une démographie exponentielle. Ces défaillances urbaines ont laissé apparaître dans la ville quantité d’espaces vacants pour la plupart délaissés. Après nous être interrogée sur la qualité interstitielle des travaux d’Aldo Van Eyck à Amsterdam, de Santiago Cirugeda à Séville et de l’agence SYN à Montréal, nous avons conclu que ces espaces étaient à l’origine de pratiques architecturales singulières, mais aussi de pratiques sociales et politiques. Cette transversalité des disciplines nous conduit à penser que ces territoires ne peuvent être appréhendés sans tenir compte des dynamiques de pouvoir et de résistance de la ville. Et c’est justement dans cette capacité à résister que l’interstice révèle tout son sens. « Résister, c’est créer des brèches, de nouveaux espaces de liberté » [137]. Il nous paraît clair aujourd’hui que la définition non restrictive de l’interstice est celle d’un lieu en limite qui, par effet de rupture, raconte ce qui se passe dans l’espace majeur tel que par Marc Hatzfeld l’a défini [138]. Parce que l’interstice est soumis à la tension du « pli » deleuzien, il se présente comme une « solution de continuité » dans le (137). Ana-Alice Finichio, « Machines processus de planification de la ville. Plutôt qu’un simple de guerre et agencements architecturaux de résistance », in Machines de vide dans le paysage urbain, il agit comme un composant actif guerre urbaines, sous la direction de Manola Antonioli, édition Loco, Porde ce dernier, permettant de multiples expérimentations. tugal, 2015, page 193. (138). Marc et Hélène Hatzfeld, Nadja Ringart, Quand la marge est créatrice. Les interstices urbains initiateurs d’emploi, éditions de l’Aube, Gémenos, France, 1998.

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L’interstice urbain : habiter l’(in)habituel

Par la suite, à propos du postulat de Rem Koolhaas selon lequel « nous avons transformé la ville en une surface dont chaque centimètre carré doit dire quelque chose, doit proclamer une sorte de vision. » [139], mais aussi celui de Luc Levesque selon lequel « l’aménagement paysager constitue à cet effet une stratégie cosmétique passe-partout » [140], nous nous sommes interrogée sur l’interstice en tant que logique d’opportunité publique. Dans Machines de guerre urbaine, Laurent Karst nous livre en effet une hypothèse tout à fait intéressante : « [les interstices] permettent d’engager un dialogue avec les riverains de manière à identifier leurs besoins, de mener une réflexion collective nouvelle sur ces programmes d’appoint, à mi-chemin entre le public et le privé » [141]. Autrement dit, il propose aux riverains de devenir des « programmateurs » de l’espace public. En souhaitant faire entrer la réflexion interstitielle dans les pratiques habitantes, l’architecte designer introduit la notion d’appropriation qui permettrait de faire de ces interstices des puissants leviers de requalification urbaine. Le végétal, en s’inspirant de la notion de « Tiers Paysage » de Gilles Clément [142], joue aussi un rôle essentiel dans la réactivation des espaces publics et dans le développement de la ville contemporaine, comme nous l’avons illustré avec les exemples des villes de Tver en Russie et de Arnhem aux Pays-Bas. De la même manière, les interstices permettent d’offrir une multitude d’usages conçus pour des périodes indéterminées ; et « c’est justement cette condition indéterminée et floue qui fait de ces non-lieux des lieux de possibles » [143]. (139). Rem Koolhaas, Etudes sur (ce qui s’appelait autrefois) la ville, trad. Francis Guévremont, éditions Payot & Rivages, Paris, 2017, page 219. (140). Luc Levesque, « Montréal, l’informe urbanité des terrains vagues : pour une gestion créatrice du mobilier urbain», in Les annales de la Recherche urbaine : Paysage en ville, n°85, éditions Plan Urbanisme Construction Architecture, La Défense, 1999, page 57. (141). Gilles Clément, Manifeste du Tiers Paysage [2004], éditions du commun, Saint-Germain sur Ille, 2016. (142). Laurent Karst, « L’interstice : un nouvel espace d’émancipation urbaine » in Machines de guerre urbaines, sous la direction de Manola Antonioli, édition Loco, Portugal, 2015, page 117. (143). Katia Gagnard, « Dans les interstices : Etienne Boulanger », in Machines de guerre urbaines, op.cit., page 95.

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conclusion

(144). Philippe Pignarre et Isabelle Stengers, La sorcellerie capitaliste - Pratiques du désenvoûtement, éditions La Découverte, 2005, page 149. (145). Michel Foucault, « Des espaces autres », in Dits et écrits, éditions Gallimard, 1994. (146). « Deux termes contraires ne peuvent dépasser leur contradiction que par la victoire définitive d’un de deux combattants, tandis que deux termes différents peuvent combiner leur hétérogénéité, par hybridation. La fécondité de l’adaptation résulte en la capacité qu’elle possède de faire rencontrer, de faire coproduire et coadapter des forces hétérogènes et différentes qui ne s’opposent pas selon la logique des contraires, mais se développent selon la logique des séries autonomes et indépendantes. » Maurizio Lazzarato, Puissances de l’invention : La psychologie économique de Gabriel Torde contre l’économie politique, éditions Les empêcheurs de penser en rond, Paris, 2002.

Dans le dernier chapitre du mémoire, nous avons étudié la notion de micro-habitat comme solution architecturale interstitielle. La maison Keret de Jakub Szczesny et les travaux de l’atelier japonais Bow-Wow répondent, pour la première, au morcellement des espaces suite aux dégâts de la Seconde Guerre mondiale, et pour les seconds, au manque cruel de place dans le tissu urbain dense du Japon. Présenté comme une réponse plus que satisfaisante à la question interstitielle afin de rendre l’inhabituel habitable, le micro-habitat n’est pas pour autant l’unique car ce « que peut un interstice est une inconnue, à ceci près que la notion d’interstice appelle le pluriel. (…) L’interstice ne donne en effet pas de réponse, mais suscite de nouvelles questions » [144]. Ainsi, nous nous sommes intéressés au concept d’« hétérotopie », introduit par Michel Foucault en 1966 [145], pour éclairer le dessein des expériences interstitielles étudiées jusque-là. Espace qui fait exception aux conditions ordinaires de la vie, l’hétérotopie nous permet de voir l’interstice comme un lieu d’altérité où « la différence agit différemment que l’opposition » [146]. Ce qui nous emmène à proposer la lecture de l’interstice urbain éclairée par la conception rhizomique au sens de Gilles Deleuze et Félix Guattari, rendant vivant le tissu urbain par une multiplicité de connexions à entrées et sorties multiples.

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L’interstice urbain : habiter l’(in)habituel

En somme, parler d’un espace interstitiel signifie aller au-delà de la dichotomie centre-périphérie, que nous pourrons aussi appeler la dichotomie noyau-marge. Après cette première réflexion sur la notion d’interstice comme espace « entre-deux », nous souhaiterions revenir sur deux choses. Tout d’abord, une précision mineure mais non négligeable : nous préférons la notion d’ « espace commun » à celle d’« espace public » pour mieux appréhender l’interstice. Penser l’interstice comme « espace commun » porte à l’imaginer comme un espace solidaire regroupant une collectivité autour d’un projet. Nous rejoignons sur ce point Constantin Patcou et Doina Petrescou dans leur essai « Au rez-de-chaussée de la ville » [147] qui le définissent comme « un espace [à la fois] intermédiaire entre l’intimité d’une habitation et la globalité de la ville, [et le] seuil d’un immeuble qui, une fois franchi, ouvre sur la multiplicité et la transversalité des rues, [mais] également, une des parties communes, ni espace privé, ni espace public, mais effectivement une part de commun partagée par l’ensemble des résidents » [148].

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conclusion

Le second point que nous voulons souligner, plus substantiel à notre avis, c’est que l’espace interstitiel n’est pas seulement un lieu physique (tout aussi intéressant formellement soit-il) mais bien le phénomène même d’une rencontre. Ainsi, selon une pensée spinoziste, l’interstice acquiert sa juste grandeur pour peu qu’on le considère comme signe dans le sens où « [il] n’est pas signifiant [mais] il produit » [149]. L’ « hétérogenèse » [150] décrite dans les pages précédentes alimente notre théorie de réciprocité (sous-entendu par la rencontre) et singulièrement la notion de multiplicité réactualisée par Gilles Deleuze et Félix Guattari dans Mille Plateaux. Comme « ce qui compte dans une multiplicité, ce ne sont pas les termes ou les éléments, mais ce qu’il y a « entre », le between, un ensemble de relations non séparables les unes des autres » [151], intrinsèquement l’interstice offre un « devenir » [152] à la ville contemporaine. C’est la raison pour laquelle il ne suffit pas d’étudier les interstices en tant qu’espaces à proprement parler mais bien en prenant en compte tout leur potentiel expressif au sein d’une rencontre. (147). Constantin Petcou et Doina Petrescu, « Au rez-de-chaussée de la ville », in Multitudes, n°20, éditions Actes Sud, Arles, 2005. Disponible à l’adresse : www.multitudes.net Pour toutes les références issues de ce site, se reporter à l’adresse complète en sitographie. (148). Constantin Petcou et Doina Petrescu, op.cit., page 75. (149). Vincent Jacques, Deleuze pas à pas, éditions Ellipses, Paris, 2014, page 137. (150). Nous rappelons qu’il s’agit de l’idée qu’entre des choses très différentes, il peut y avoir « une continuité intensive » Vincent Jacques, op.cit., page 140. (151). Gilles Deleuze, Deux régimes de fou, Textes et entretiens, 1975-1995, éditions de Minuit, Paris, 2003, page 285. (152). Vincent Jacques, op.cit, page 139. (153). René Tabouret, préface de l’édition française, Thomas Sieverts, Entre-ville, une lecture de la Zwishchenstadt, éditions Parenthèses, Marseille, 2004, page 7.

C’est là que réside la tâche de l’architecte à partir des matériaux qui composent la ville. L’interstice ne doit plus y apparaître comme un « défaut » mais en le considérant positivement comme « susceptible de projet un projet durable fait de projets multiples » [153], un devenir.

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bibliographie

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soigneusement imprimé et relié par l’imprimerie Launay 45 rue Linné - 75005 Paris



« Le monde évolue parce que certains marchent à côté des chemins. C’est dans la marge que se font les plus claires corrections » Robert Mallet

Ecole Bleue 146 bis rue de Charonne 75011 Paris


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