Marguerite raconte‌
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Mes premières années Mon nom est Marguerite Davy. On me surnomme Guite. Je suis née en 1923 à Soissons, ville que je n’ai pas vraiment eu l’occasion de connaître car mes parents, André et Marie Gigon, n’y étaient que de passage et l’ont quittée pour le Mans alors que je n’avais que six mois. Ma mère était enseignante et mon père notaire, mais comme il ne possédait pas sa propre étude, il exerçait comme clerc auprès d’autres notaires. En fait, mon grand-père, qui était également notaire, n’avait pas attendu que son fils obtînt son concours et avait revendu son étude. Mon père chercha un temps à en acquérir une, il en visita beaucoup, mais elles étaient toujours très isolées, ce qui ne pouvait lui convenir car il souhaitait garder ses enfants auprès de lui et surtout leur épargner le pensionnat qu’il avait connu et mal vécu durant ses jeunes années. 3
J’eus à peine le temps d’apprendre à marcher et de commettre mes premières bêtises – comme tremper le Journal Militaire de mon père dans la soupe - que nous étions repartis pour Caen d’où ma mère était originaire. C’est dans cette ville que j’ai grandi et que j’ai mes premiers souvenirs. Je ne fus pas longtemps la seule enfant de la famille. En 1925, j’eus une petite sœur, Thérèse, puis en 1929 le garçon que mes parents avaient tant attendu et espéré vint enfin : Michel. Nous vivions dans une grande demeure en forme de L que maman avait héritée de son père. Elle était si vaste que nous louions en permanence le dernier étage et que mes grands-parents paternels purent s’y installer avec nous, eux vivant au rez-de-chaussée et nous au premier étage. Chaque dimanche, l’un des petits-enfants descendait déjeuner chez les grands-parents, chacun son tour, un par un, c’était notre habitude ainsi. A l’arrière de la maison nous avions un jardin toujours fleuri de magnifiques roses que tout le monde admirait et qui faisait la fierté de mon grand-père. J’allais à l’école Saint-Pierre-des-Corps. Une école qui a complètement disparu pendant les bombardements. J’y entrai tardivement, en dixième, car 4
Maman souhaitait nous garder, ma sœur et moi, le plus longtemps possible à la maison. C’est d’ailleurs elle qui nous apprit à lire et à écrire. Je me souviens très bien de notre premier jour de classe. Maman nous avait habillées avec un soin tel, nous affublant de coquets petits chapeaux, que nos petites camarades de classe se moquèrent de nous. J’ai donc travaillé beaucoup pour réussir à être première et montrer aux autres fillettes de quoi j’étais capable. En fait, les élèves de cette école étaient surtout reconnaissables à la cape bleu-marine qu’elles portaient et qui faisait partie de leur uniforme. A la maison, ma grand-mère m’enseignait le piano. Elle trouvait que je jouais bien et que j’avais l’oreille musicale. Chaque jour je passais du temps avec elle à répéter et faire mes gammes. Ma sœur n’eut jamais ce privilège et ce fut comme un petit drame pour elle. Elle ne goûtait vraiment pas cette deuxième place que le sort lui avait attribuée entre une sœur aînée et un petit frère très gâté. Il est vrai que l’on passait tout au petit Michel malgré ses bêtises parfois très imaginatives. Les jours de marché aux chevaux, il lui arrivait par exemple de se poster à une fenêtre et d’envoyer des baquets d’eau sur les passants. Et puis il était adoré et choyé par la gouvernante de ma grand-mère qui lui faisait toujours 5
tous ses caprices. Au point qu’un jour elle lui remit ma jolie petite Torpédo adorée, sur laquelle il lorgnait, et qu’il ne trouva rien de mieux à faire que de me la démolir ! Je l’ai bien regrettée ma petite voiture ! En 1939, j’avais seize ans. J’allais au lycée catholique de Saint-Pierre à Caen. Nous avions chez nous une jeune Anglaise, Monica, qui participait à un programme d’échanges. Nous nous entendions très bien et riions beaucoup. Elle était très sympathique et très drôle. En juillet 1939 elle vint avec nous en vacances à SaintVaast La Hougue, où des amis de la famille, les Cormier, possédaient une maison qu’ils nous prêtaient. Cet été là, le temps fut particulièrement froid, nous étions même obligés certains jours de faire du feu dans la cheminée. L’eau de mer était également très fraîche : cela ne favorisa pas les leçons de natation pour Michel qui, de ce fait, n’a jamais bien appris à nager. Début septembre, la menace de la guerre se fit plus forte. Monica dut repartir plus tôt que prévu. Elle plia bagages et repartit pour l’Angleterre. On ne peut pas dire qu’on n’avait pas vu venir les choses. Mon père et mon grand-père avaient souvent discuté de la situation. Ils répétaient que ça finirait mal… Puis le maréchal Pétain reçut les pleins pouvoirs et signa l’armistice avec les Allemands. Je vis des bagarres éclater dans les rangs des lycéennes entre les 6
partisanes du maréchal et celles qui aspiraient à poursuivre le combat. Très tôt en fait nous eûmes connaissance que la résistance s’organisait de l’autre côté de la Manche. Nous avions entendu parler du général de Gaulle par nos professeurs qui s’étaient engagés dans la clandestinité. Certains d’entre eux s’embarquaient la nuit pour gagner l’autre côté et faire passer des gens. Parmi eux, mon professeur d’Anglais, une dame qui avait passé son enfance en Angleterre. C’était très dangereux, elle risquait vraiment gros. Je n’aurais jamais pu faire ce qu’elle faisait, j’aurais eu trop peur. Ma grand-mère est aussi décédée le 16 octobre 1939. Ce fut un choc. Je n’avais pas imaginé qu’elle pût nous quitter si tôt. Elle avait 72 ans, un cancer l’emporta très rapidement. Pour toutes ces raisons 1939 fut une bien terrible et triste année. Pendant l’Occupation, nous allions normalement à l’école. Bien sûr, nous avions un peu peur des Allemands et on se dépêchait de rentrer pour ne pas les croiser. Caen était entièrement occupée et l’occupant faisait sa loi. Les hommes étaient réquisitionnés pour certaines tâches. Je me souviens que certaines nuits mon 7
père était contraint d’aller garder les voies de chemins de fer. Il partait avec son casse-croûte et ne revenait qu’au matin. Il devait s’assurer avec d’autres hommes que les voies n’étaient pas piégées. Une fois il fut même emmené comme otage dans un train de permissionnaires allemands qui allait de Cherbourg à Amiens. Comme un train précédent avait été attaqué par la résistance, les Allemands prenaient avec eux des boucliers humains. Nous avions toujours peur qu’il arrivât quelque chose à mon père. Mon père avait un ami d’enfance qui était médecin à côté de Pontorson, le docteur Potel. Il nous envoyait des paquets avec de la nourriture, surtout de la viande. Tout n’arrivait pas toujours. Malgré tout, grâce à lui, nous avons certainement moins souffert que d’autres familles. Et puis maman se débrouillait avec ce qu’elle avait sous la main. Sa grande spécialité de l’époque c’était le beefsteak sans viande que tout le monde trouvait très bon. On n’a jamais compris comment elle le réalisait, on se contentait de le déguster et de l’apprécier.
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Pierre Pendant la guerre, j’entrai à la faculté de Caen où je suivis les cours de lettres classiques. Mes parents m’avaient transmis le goût des langues anciennes. J’appréciais tout particulièrement le grec. Lors d’une retraite religieuse des étudiantes de la faculté, je fis la connaissance de Zaby Davy qui était, quant à elle, étudiante en mathématiques. Nous étions assises à table l’une à côté de l’autre. Nous ne nous connaissions pas du tout. Dans la conversation, elle me demanda si nous étions nombreux à la maison. Je lui répondis que non, que nous n’étions que trois. Elle me dit que chez elle, ils étaient huit enfants. J’en fus très surprise. Je lui dis : « C’est très bien, c’est très beau ». Même à l’époque c’était un chiffre considérable. Le soir venu, je racontais la chose à maman. Elle me demanda alors le prénom de la mère de Zaby. Quand je lui répondis que c’était Charlotte, elle comprit que la jeune femme avec laquelle j’avais sympathisé était la fille d’une de ces vieilles connaissances. Quand ma mère, Marie, était enfant, elle avait dans son entourage deux Charlotte. L’une, Charlotte Leroi, était la 9
gouvernante de la maison, elle aidait ma grand-mère, très prise par la comptabilité de l’entreprise de mon grand-père, et s’occupait de maman ; la seconde, Charlotte Leclerc, vivait avec sa famille à quelques pâtés de maison. Cette dernière avait sept ou huit ans de plus que maman. Comme Charlotte passait devant la maison pour aller à l’école, elle prenait maman au passage chaque matin. La mère de Zaby était précisément cette Charlotte. Par la suite, Charlotte Leclerc épousa Paul Davy et s’installa à Evreux. Mais pendant la guerre, deux de ses enfants étaient venus à Caen pour leurs études : Zaby, que j’avais donc rencontrée par hasard, et Pierre, qui était étudiant en médecine. Maman, qui était très reconnaissante de tout ce que Charlotte avait fait pour elle par le passé, décida d’inviter ses enfants à la maison. C’est ainsi que je fis la connaissance de Pierre. L’invitation fut renouvelée régulièrement par Maman mais comme Pierre et moi étions deux natures très timides, nous ne nous parlions presque pas. En revanche, nous nous regardions beaucoup… Pierre logeait avec un autre étudiant, M. Fillouse, dans une maison rue de Bayeux qui appartenait à trois vieilles filles. Ils les avaient surnommées respectivement Marie bacouette, Marie torchon et Marguerite cotcotcot. C’était vraiment tout à côté de chez nous et je passais par cette rue quand je rentrais de la faculté. Immanquablement Pierre se trouvait à la fenêtre de sa chambre et me regardait passer sans mot dire. Je me disais : « Mais il est drôle celui-là, toujours à sa fenêtre ! ». Je sentais bien qu’il y avait quelque chose mais 10
je me refusais à interpréter trop son attitude, j’avais peur de me faire des idées. En réalité, et je le sus plus tard, il avait étudié mes horaires et m’attendait. Une après-midi, alors que j’étais sur le chemin de la maison, le père Préel m’aborda. C’était le père d’une de mes amies. Etonnamment je le rencontrais chaque fois que je rentrais de la Fac, ce qui m’ennuyait beaucoup. Il s’était amouraché de moi, il me semble. Ça ne me plaisait pas du tout. Par chance, ce jour-là, Pierre remontait également la rue pour rentrer chez lui. Je l’aperçus et accélérai le pas pour le rejoindre, faussant ainsi compagnie au père Préel qui ne manqua pas de me dire : « Je vous y prends à courir après les jeunes gens ! » Pierre et moi avons poursuivi notre route ensemble, toujours aussi silencieusement.
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Sous les bombes des Alliés Le jour du bombardement de Caen par les Alliés, pressentant que nous aurions besoin de provisions, mon père nous envoya Thérèse et moi chercher du pain. Je faillis y rester, une bombe tomba presque à côté de la boulangerie. Je sentis le souffle de l’engin dans ma jupe. Je me mis à courir dans la rue au milieu des gravats et me réfugiai dans un abri situé un peu plus loin. Je m’y endormis debout, comme tétanisée. Entre-temps Thérèse avait réussi à regagner la maison. Mon père, ne me voyant pas revenir avec elle, partit me chercher. Il interrogea des passants qui surent lui indiquer où j’étais. Il me retrouva dans l’abri, toujours endormie, debout. Ce fut un vrai traumatisme pour moi. Par la suite, mon père fabriqua un abri à la maison. Je n’en sortais quasiment plus, hormis quand Pierre venait chez nous. Malheureusement, Pierre ne resta pas à Caen, il fut mobilisé et dût partir à Rouen : l’étudiant en médecine qu’il était devait s’occuper des blessés. Il passa chez nous pour nous dire au revoir. Quelques jours plus tard les Allemands réquisitionnaient notre maison ; je pensais que je ne reverrais plus jamais Pierre. 13
Pendant près d’un mois, Caen fut bombardée par les forces alliées qui cherchaient à détruire les voies de communication allemandes dans les villes et villages normands. Nous nous étions réfugiés à l’Abbaye aux Hommes 1 avec des milliers d’autres Caennais. Les bombardements étaient incessants. Quand les sirènes retentissaient pour signaler l’imminence d’une attaque, nous nous précipitions pour descendre à l’abri dans les caves de l’Abbaye. Tout allait souvent très vite et il arrivait que certains d’entre nous ne parviennent pas à rentrer à temps. Un jour, je vis mourir ainsi une jeune étudiante que je connaissais de vue. Elle traversait la cour pour rentrer dans l’Abbaye quand elle fut atteinte par des éclats d’obus. Une autre fois, ce fut mon père qui fut blessé. Il se tenait derrière une sorte de soupirail dont la vitre explosa. Il reçut des éclats de verre dans l’œil et souffrit par la suite d’un décollement de la rétine. A la libération de Caen, nous fûmes évacués et envoyés à Barfleur, du côté de Cherbourg, où nous étions logés à l’hôtel. Je me souviens d’une promenade que nous 1
Pendant la bataille de Caen, l’Abbaye fut transformée en centre d'accueil de la défense passive. Ce fut le plus important des cinq centres d'accueil, il abritait une foule de 3 500 personnes début juillet et plus de 8 000 à la mijuillet à la veille de la libération de la rive gauche de la ville. Des croix rouges, fabriquées avec les moyens du bord, étaient disposées sur les murs et les toits de l’Abbaye, ainsi que dans le parc, afin de signaler cet îlot sanitaire aux bombardiers ; le secteur était ainsi protégé des bombardements aériens, mais de très nombreux obus, envoyés par les Alliés, puis par les Allemands, firent tout de même plus de 50 victimes (21 tués et une trentaine de blessés). Les réfugiés s'installèrent dans l'abbatiale et dans les anciens bâtiments conventuels, les dortoirs du premier étage étant réservés aux malades et ceux du second étage aux personnes âgées impotentes et grabataires ; les caves de l'abbaye servaient d'abris lors des bombardements.
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fîmes à Cherbourg. La petite plage était entièrement recouverte de matériel militaire. On ne comprenait vraiment pas comment ils avaient pu débarquer une telle quantité d’armements lourds ! Enfin nous pûmes rentrer à Caen. Il ne restait plus grand-chose de la ville, que ruines et décombres. Notre maison n’avait pas échappé à la catastrophe. Ce fut un choc terrible pour toute la famille et un traumatisme profond pour mes parents. Il ne restait quasiment plus rien de notre chère demeure. Et puis des pillards étaient passés par là ! Un mur porteur avait toutefois résisté, ce qui nous permit d’entreprendre quelques fouilles. On retrouva intacte notre armoire normande, encore pleine de linges. Elle avait même réussi à soutenir une partie d’un plafond. Ma mère retrouva également son argenterie qu’elle avait cachée dans une malle et enterrée dans la cave en terre. Pendant cette période, nous étions hébergés à Caen par des amis de la famille. Michel s’amusait beaucoup. Il allait voir les Américains et leur demandait du chocolat. Il fit même la connaissance d’un Anglais, Laurence, qu’il ramena à la maison. Il s’enticha un peu de moi… Mes parents restèrent amis avec lui. Il finit par épouser une Suédoise. Il avait toujours été clair pour lui qu’il n’épouserait pas une de ses compatriotes, « parce qu’elles font trop mal la cuisine », disait-il. Après quelques mois, les Américains nous convoyèrent en camion militaire à Paris afin que mon père pût recevoir des soins pour sa blessure à l’œil. Sur le chemin du 15
retour, nous nous arrêtâmes à Evreux pour rendre visite à Charlotte et à sa famille. J’appris que Pierre venait d’être envoyé à Cherbourg, chez les Marins. C’était en fait une forme de sanction disciplinaire. Il n’avait pas été très sage à Rouen : il s’était octroyé une permission sans consulter ses supérieurs, ce qui lui avait d’abord valu de dormir en prison militaire. Ça ne l’avait pas tellement atteint, il s’était dit : « Ça ne fait rien, je vais pouvoir travailler ». Et puis, de toutes façons, on lui avait donné les clés de la prison afin qu’il puisse vaquer à ses occupations pendant la journée. A force de n’en faire qu’à sa tête, il fut plus durement puni et on l’expédia à Cherbourg.
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C’est alors qu’on s’est écrit… (août 1945) Pierre finit par obtenir une permission. Il passa par Caen, pensant me voir, et tomba sur mon grand-père auquel il laissa ses coordonnées à Cherbourg. Je ne savais pas quoi faire. J’avais vraiment très envie de le revoir. Une très bonne amie à moi, Jacqueline, à qui je me confiai, me dit : « Je serais toi, j’écrirais ». Alors j’écrivis à Pierre. J’étais tellement peu sûre de moi que ce fut Jacqueline qui posta cette première lettre. La réponse ne tarda pas… Pierre me faisait comprendre dans sa lettre que mes sentiments étaient partagés mais qu’il n’avait pas voulu se dévoiler plus tôt, ne s’en sentant pas le droit car il devait encore terminer son service militaire et ses études de médecine. Je lui répondis que j’étais prête à attendre...
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Pierre écrivit à ses parents pour les informer de ses intentions à mon égard2, puis il profita d’une nouvelle permission pour passer me voir un dimanche à Caen. Nous décidâmes de nous balader dans Caen. C’était assez irréel comme promenade romantique : autour de nous, tout n’était encore que décombres. Au début nous étions plutôt gênés et assez silencieux, même si Pierre, qui était d’un naturel plutôt taquin et prenait un malin plaisir à me choquer, n’attendit pas que nous fussions au bout de la rue pour me déclarer que son grand-père s’était marié trois fois. Il m’expliqua par la suite que celui-ci avait en fait été veuf par deux fois, d’où ses nombreux mariages… A force de marcher, nous nous retrouvâmes aux abords d’une gare désaffectée ; des Américains y flirtaient avec des françaises. Pierre me dit : « Eux ils savent faire ! » Nous suivîmes la voie de chemin de fer et, enfin, nous tombâmes dans les bras l’un de l’autre. C’est comme si soudainement nous étions seuls au monde… Puis nous avons refait le trajet en sens inverse, bras dessus-bras dessous, sans plus nous soucier de rien. Enfin Pierre repartit par le train. Le lendemain quelqu’un vint me dire : « Vous étiez avec un jeune homme hier. » Notre correspondance reprit de plus belle. Nous nous écrivions presque quotidiennement des lettres où nous nous racontions nos journées par le détail ; nous y parlions
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La lettre de Paul Davy en réponse à son fils se trouve dans la correspondance de Pierre et Marguerite.
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également de nous-mêmes, de nos qualités et de nos défauts supposés ou réels ; nous échangions sur Dieu, l’amour, le couple, et le sens que toutes ces choses confèrent à la vie d’un être humain. Par délicatesse et sans doute un peu par pudeur, Pierre et moi nous vouvoyions, un vouvoiement qui a persisté jusqu’à notre mariage et qui n’a pris fin que parce que Pierre trouvait snobs ces couples mariés qui se donnent du vous. Malgré notre timidité respective, nous nous étions promis de tout oser nous dire, sans jamais rien nous cacher, et c’est sur cette promesse que notre couple s’est construit et grâce à elle qu’au fil des années nous avons toujours pu veiller à rester proches et unis. Notre correspondance ne put rester secrète très longtemps dans ma famille. Mon « affreux » frère Michel qui mettait son nez partout avait remarqué que je guettais le courrier chaque jour. Pierre m’avait pourtant bien dit de m’en méfier ! C’est même Michel qui finit par dire à mes parents que j’aimais bien un garçon…
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La grande famille Davy Pierre me parlait beaucoup de sa famille, à commencer par ses frères et sœurs. A la maison, ils étaient huit enfants : Marie Lucie était l’aînée, puis venaient Jean, Albert, Isabelle (la Zaby que je connaissais déjà), Bernard, Pierre, Françoise et le benjamin Georges-Claude. Ils eurent des trajectoires professionnelles très variées : MarieLucie devint religieuse ; Albert, bijoutier à Mantes ; Isabelle, professeur de mathématiques comme son père ; Françoise, institutrice. Georges-Claude est malheureusement décédé à 23 ans des suites de la tuberculose. Pierre racontait que lorsqu’ils étaient enfants, les garçons étaient plutôt turbulents parce qu’ils cherchaient à se faire remarquer et qu’ils allaient parfois jusqu’à grimper sur la table pour montrer qu’ils existaient. Charlotte, la maman, était plutôt placide et peu portée sur les questions domestiques. Elle disait souvent : « On n’a pas huit enfants en n’étant pas fatiguée ! ». Quant à Paul, le papa, il était assez bohème. Il y avait donc toujours eu beaucoup d’ambiance dans la grande maison familiale. Paul Davy était professeur de mathématiques, un brillant professeur qui aurait certainement fait une plus 21
éminente carrière s’il n’avait refusé un poste plus prestigieux à Paris. En fait, il ne se voyait pas déménager avec ses enfants et quitter sa grande maison ébroïcienne pour un appartement parisien. Il fit donc toute sa carrière à Evreux et eut même le privilège d’avoir certains de ses enfants en classe. Pierre me raconta que lorsqu’ils étaient en retard pour rendre leurs devoirs, ses frères et lui se rendaient dans la salle à manger qui tenait lieu de bureau à leur père et glissaient discrètement leurs copies dans la pile. De vrais chenapans ! Paul Davy avait également deux sœurs, Marie et Isabelle, et un frère, Georges, qui jouaient tous trois un rôle important auprès des huit enfants. Georges avait suivi des études de lettres, philosophie et droit à la Sorbonne.3 C’était un homme brillant, professeur de philosophie et philosophe lui-même. En 1955, il devint directeur de la Fondation Thiers, un poste qu’il conserva pendant 20 ans et qui lui valut de rencontrer des personnages illustres comme le Général de Gaulle ou le chancelier allemand Konrad Adenauer au moment de la réconciliation franco-allemande. Georges avait quatre enfants. Quand ils venaient à Evreux pour les grandes réunions de famille, ceux-ci profitaient de ce dont ils manquaient à Paris : un grand jardin avec des arbres fruitiers et une grande maison… L’été, les douze enfants se retrouvaient dans la propriété familiale de Coutances où vivaient tante Marie et tante 3
En 1905-1906, Georges Davy travailla sous la tutelle du sociologue Emile Durkheim, alors suppléant de la chaire de Science de l’Education à la Sorbonne. Cette rencontre marqua sa carrière.
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Isabelle. Tante Marie était la plus âgée des deux sœurs ; c’était aussi la plus autoritaire, une vraie maîtresse-femme à laquelle tante Isabelle semblait soumise. Tante Marie commandait et tante Isabelle faisait la cuisine ! Comme elles n’avaient pas eu d’enfants, elles recevaient régulièrement à l’année un ou deux des enfants de leurs frères. Ainsi Pierre y passa deux ans avec son frère Bernard et y fit sa 4ème et sa 3ème. Mais il n’apprécia pas particulièrement le séjour ! Pierre les trouvait bourgeoises, bien plus bourgeoises que ses propres parents. Avec elles, il fallait toujours être tiré à quatre épingles, ce dont les enfants de Charlotte n’avaient vraiment pas l’habitude. Bernard se montra gentil mais Pierre leur en fit voir de toutes les couleurs. Il avait décidé qu’il ne répondrait pas à leurs brimades et qu’il ne leur montrerait plus aucun sentiment. Il tint bon. Il passa deux ans dans un profond mutisme. Quand Pierre devint médecin, son statut changea auprès des deux tantes : elles se mirent à le considérer comme le petit roi de la famille. Oubliant tous ses mauvais coups, il devint leur petit chouchou… Pierre parlait aussi très souvent de l’oncle Gustave, le demi-frère de Charlotte. Il était né du premier mariage de son grand-père tandis que Charlotte était le fruit de la troisième et dernière union. Gustave était un poète-pharmacien qui possédait une officine à Montparnasse. Il était marié mais n’avait pas eu d’enfant. Il avait donc beaucoup reporté son affection sur ses neveux et nièces. Il se montrait très drôle avec eux, leur racontait des blagues ou leur faisait des petits dessins humoristiques. Il était vraiment très apprécié et les
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enfants racontaient souvent « les histoires de l’oncle Gustave ». Quand il est décédé, Pierre a hérité de ses poèmes et les a conservés précieusement. Certains ont été écrits pendant la guerre et sont très touchants 4 ; d’autres sont révélateurs de l’humour du personnage. Pierre avait eu une enfance très heureuse dans cette grande famille. Et quand il m’en parlait à l’époque, il espérait que nous aurions autant d’enfants que ses parents. Cette perspective m’effrayait un peu. Je n’étais pas sûre d’avoir assez d’énergie… Quand nous nous sommes fiancés en 1945, Pierre me dit : « Il faudra que je vous présente ma Révérende-Mère. » Il parlait de sa sœur, Marie-Lucie, qui était rentrée dans les ordres après avoir été professeur de lycée pendant une courte période. Pierre était très proche de son aînée. Quand ils étaient enfants, elle était littéralement en extase devant lui et bien qu’il fût le plus jeune, Pierre faisait exprès de la faire marcher et réussissait toujours à lui faire faire des bêtises pour lesquelles elle seule était punie, surtout par les tantes à Coutances. Marie-Lucie était à Orbec à l’époque mais tous deux s’écrivaient régulièrement. Pierre lui annonça donc la bonne nouvelle et lui proposa de nous rencontrer. Marie-Lucie était vraiment très heureuse pour son frère et avait hâte de me rencontrer. 4
Quelques poèmes de l’oncle Gustave figurent après la correspondance de Pierre et Marguerite.
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Nous sommes donc partis un week-end en prenant le train à Caen. J’avais la possibilité de dormir sur place mais Pierre dût se trouver une chambre dans les environs car il était bien évidemment hors de question qu’il reste au couvent avec nous. De ces deux jours je me souviens surtout qu’au retour, pour regagner la gare d’Orbec, nous sommes passés par un chemin superbe, dont les bas-côtés étaient tout fleuris, ce qui nous émerveilla. Pierre me dit alors : « Nous aurons une maison avec un jardin comme ça ! » En fin d’année, Pierre vint passer les fêtes de Noël chez nous. Ce fut notre première longue période ensemble. C’est pendant ces vacances que j’allai pour la première fois à Coutances et que je fus officiellement présentée à tante Marie et tante Isabelle.
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Deux ans de fiançailles Nos fiançailles durèrent deux ans. Après avoir été démobilisé, Pierre choisit de finir sa médecine à la Faculté de Paris. Il m’arrivait d’aller le voir là-bas. J’étais alors accueillie par Mme Barillet, une amie de ma famille qui avait également perdu sa maison pendant la guerre et avait quitté Caen pour la capitale. Mme Barillet s’était beaucoup occupée de moi avant la naissance de Michel ; comme elle n’avait pas d’enfant, elle m’avait vraiment gâtée. C’est donc avec plaisir qu’elle me recevait chez elle à Paris. En mai 1946, Pierre contracta les oreillons. Il fut tellement atteint qu’il dût rentrer à Evreux chez ses parents. Il lui fallut garder le lit pendant près de trois semaines. C’était très impressionnant car son visage était très gonflé. J’avais déjà eu les oreillons quand j’étais en 2nde. A l’époque, j’avais si bien été isolée pour éviter la contagion que je m’étais énormément ennuyée. Je n’avais pas envie qu’il arrive la même chose à Pierre. Je me rendis donc à son chevet et passai une semaine chez mes futurs beaux-parents. Pierre, alité, ne quittait presque pas sa chambre. Malgré tout, il était content parce que j’étais là et que nous pouvions nous voir et nous parler de vive voix. 27
Un jour, alors que je me trouvais dans la chambre de Pierre, Paul Davy entra dans la chambre de son fils et nous dit : « Ce n’est pas toujours très bon de rester avec un jeune homme dans une chambre. » Pierre et moi en avons bien ri car quand j’allais le voir à Paris, nous étions souvent seuls. 1946 fut aussi l’année où mes parents quittèrent Caen pour s’installer à Dozulé dans le Calvados. C’est dans cette ville que je commençai les préparatifs du mariage, qui était prévu pour septembre 1947, et que je conçus ma robe de mariée d’après un patron que j’avais choisi. Je n’avais de toute façon pas grand-chose d’autre à faire. L’année suivante, Pierre commença son internat à l’hôpital de Lisieux. Il m’arrivait régulièrement de prendre mon vélo pour parcourir la trentaine de kilomètres qui me séparaient de lui.
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Enfin mariés ! (1947-1950) Notre mariage eut lieu le 13 septembre 1947 à Dozulé. Ce fut une belle journée plutôt ensoleillée. Je me souviens qu’il y avait beaucoup de demoiselles d’honneur à l’église. Les festivités se passaient dans la maison de mes parents. Deux pièces entières avaient été réservées pour nos invités et ma mère avait cuisiné pour tout le monde. Le soir, nous devions quitter Dozulé pour Caen et passer la nuit chez des amis, les Hurelle, mais quand nous sommes arrivés, nous n’étions pas en bon état : tous les deux nous étions malades ! Quand nous sommes allés nous coucher, je me dis en plaisantant que Maman avait voulu nous empoisonner… Après notre mariage, il fut décidé que nous passerions au tutoiement ! C’est là que Pierre me dit qu’il n’avait pas envie que nous ressemblions à ces familles bourgeoises où les couples se vouvoient et où les enfants vouvoient leurs parents. Ce n’était vraiment pas son genre. Il n’aimait pas les snobs ! Pierre avait pris deux semaines pour notre voyage de noces. Nous passâmes la première en Bretagne. Nous étions 29
partis en train avec deux vélos pour pouvoir faire de belles ballades sur place. Nous avons séjourné du côté de Quiberon, puis à Belle-Ile-en-Mer. Pour une raison que j’ai oubliée, nous ne sommes revenus à Quiberon qu’avec un seul vélo… La seconde semaine, nous l’avons passée à Coutances chez les tantes de Pierre. Comme Pierre n’avait pas encore achevé son internat, qui durait deux ans à l’époque, je m’installai avec lui à Lisieux. Nous habitions dans l’hôpital même, des petits appartements étant réservés aux internes. La ville n’avait pas été épargnée pendant la guerre et, en 1947, elle en portait encore les stigmates : tous les décombres n’avaient pas été déblayés. Certaines ailes de l’hôpital n’avaient d’ailleurs toujours pas été complètement refaites. Mais Lisieux était loin d’être la seule ville concernée. Je me souviens qu’à l’occasion du repas de thèse d’un collègue de Pierre, nous étions allés sur la côte et que nous avions pu constater que tout était bien loin d’être reconstruit. A Lisieux, je ne restai pas sans activité. Grâce à Marie-Lucie, j’obtins un poste d’enseignante dans l’institution privée où elle-même enseignait. J’y appris le latin, le grec et l’histoire-géographie à des classes de 3ème, 2nde et Terminale. Mais cela dura peu de temps car notre premier enfant, Chantal, vint au monde le 11 septembre 1948.
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A Dreux L’année suivante, nous étions de retour pour six mois chez mes beaux-parents. Pierre passa ses derniers mois d’internat à l’hôpital d’Evreux. Notre deuxième enfant, JeanLuc, vit le jour dans cette ville, le 9 octobre 1949. Deux enfants à un an d’intervalle, voilà qui inquiétait beaucoup Maman. Pendant ma grossesse, elle s’était confiée à une de ses cousines, qui était par ailleurs pharmacien. Elle lui avait dit : « Quand même, il faudrait lui dire de faire attention ! » Cette cousine, qui était connue pour sa bonne humeur et son humour, lui avait répondu, hilare : « Mais qu’est-ce que tu veux lui dire ? » Pierre songeait bien sûr à ouvrir son propre cabinet. L’oncle de mon père lui conseilla de s’installer à Dreux qui était une ville qui ne comptait pas encore beaucoup de généralistes. De plus, cet oncle y possédait une maison qu’il n’occupait pas et qu’il voulait bien nous prêter. Il fut donc convenu que nous irions visiter les lieux afin de nous faire une idée.
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En 1950, Dreux était encore une ville très mignonne cernée par la campagne. Rien à voir avec la ville d’aujourd’hui toute bétonnée, avec ces affreux grands immeubles ! Pierre et moi, nous avions pris le train pour nous y rendre. Il avait neigé, la campagne environnante et la ville étaient couvertes de blanc. C’était tout à fait charmant et nous avons tous deux beaucoup apprécié les paysages. La maison, quant à elle, était située rue Saint-Denis, une rue du centre-ville mais par laquelle on gagnait tout de suite la campagne à l’époque. Elle n’était pas immense mais elle convenait parfaitement à notre petite famille et l’activité de Pierre, qui n’eut pas à réfléchir bien longtemps avant de se décider. Le 1er avril 1950, nous étions donc installés dans notre nouvelle maison et Pierre recevait ses premiers patients. Il n’y avait effectivement que deux ou trois médecins à Dreux et ils étaient tellement surchargés qu’ils n’hésitèrent pas à envoyer des patients à leur nouveau collègue. Mon mari a donc eu rapidement une clientèle conséquente. Le pire, c’était le jour du marché : les gens affluaient à son cabinet et devaient faire la queue dans l’escalier. Pierre faisait aussi beaucoup de visites à domicile, notamment dans les zones un peu plus rurales. Je crois que c’est dans ces années-là qu’il dut aller soutenir sa thèse à Paris. Je l’avais accompagnée avec Chantal, qui était encore toute petite. Les soutenances se passaient à la Faculté de Médecine, dans le quartier de l’Odéon. Tous les étudiants concernés étaient convoqués en même temps.
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On nous fit entrer dans une pièce très impressionnante, immense, pleine de messieurs qui attendaient de passer devant le jury. Malgré le monde, on n’entendait pas une mouche voler. Quand Pierre fut appelé, Chantal cria « Papa » et courut derrière lui. Je dus la rattraper et sortir avec elle. Les doctorants étaient informés le jour même de leur résultat. Pierre valida sa thèse et passa à autre chose. Il ne garda rien de ce travail et je ne peux même pas me souvenir du sujet sur lequel il portait. A l’époque, je m’occupais du secrétariat de Pierre, y compris les nuits où il était de garde. Nous avons d’ailleurs vécu une période particulièrement pénible et fatigante à cause de ces gardes. Du fait qu’ils étaient si peu nombreux, les médecins de Dreux avaient décidé que pour que leur tour revienne moins souvent, et donc pour être tranquilles plus longtemps, chacun allait faire une semaine complète de garde. Ils se rendirent vite compte de leur bêtise : ils furent tous tellement épuisés par ces sept jours et nuits consécutifs consacrés aux patients qu’ils choisirent de revenir à des gardes moins longues et plus régulières.
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Rue Saint-Jean Au bout de quatre ans passés rue Saint-Denis, il nous fallut penser à déménager, la maison était devenue trop étroite pour notre famille. Il faut dire que Bruno était né le 12 mars 1951 et qu’Isabelle était prévue pour janvier 1955. Quelques visites nous suffirent à trouver notre bonheur : Pierre tomba immédiatement amoureux du grand jardin de la maison que nous visitâmes rue Saint-Jean et il se décida à l’acheter sans hésitation. Il honorait ainsi la promesse qu’il nous avait faite à Orbec quelques années plus tôt. Pierre a toujours adoré s’occuper de son jardin. Il avait son potager où il faisait pousser un peu de tout. Et surtout, le jardin était pourvu d’arbres fruitiers incroyables : des cerisiers, des pommiers, des pruniers… Quand ils étaient en fleurs, c’était magnifique. Le 1er janvier 1955, peu de temps avant notre déménagement, j’accouchai d’Isabelle. J’espérais qu’elle serait notre dernier enfant car des semaines après l’accouchement je me sentais encore très fatiguée. J’avais dit à Pierre que je trouvais que quatre enfants c’était déjà bien suffisant. Il s’était montré rassurant, me disant : « Ça va aller quand même ». Nous ne nous doutions pas que j’étais à 35
nouveau enceinte et qu’Anne-Sophie naîtrait seulement dix mois après Isabelle, le 23 novembre 1955. Ces deux grossesses consécutives m’épuisèrent tellement qu’après la naissance d’Anne-Sophie je partis me reposer un mois dans le sud avec ma belle-sœur, Françoise, et une de mes amies. Je laissais Pierre à la maison avec nos enfants. A notre arrivée à Cannes, on voyait encore de la neige un peu partout mais le climat se réchauffa bien vite et le printemps arriva avec l’éclosion des premières fleurs. C’était vraiment très joli. Ce n’était pas encore le Cannes d’aujourd’hui même si les Anglais étaient déjà très nombreux sur la Croisette. Pierre m’écrivait régulièrement, il me transmettait les messages des enfants qui le pressaient pour savoir quand reviendrait leur mère. Ma fille Anne-Sophie m’a toujours reproché de l’avoir laissée alors qu’elle n’était qu’un bébé. Pourtant nous ne sommes parties qu’un mois. Je ne pense pas qu’à cet âge ça ait pu autant la marquer….
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La maison médicale Un des camarades de médecine de Pierre, M. Guillay, était également venu exercer à Dreux comme généraliste. Ses débuts étaient laborieux et il peinait à se constituer une clientèle quand une grosse entreprise s’installa à proximité de son cabinet et que les ouvriers, frappés par la grippe, se précipitèrent chez lui l’hiver suivant. Son activité démarra alors en flèche. Il ne faisait plus que travailler. Un jour, sa femme en eut assez, elle trouvait qu’elle ne voyait plus son mari et elle le menaça de divorcer. Pierre proposa donc à Guillay de s’associer et de s’installer avec lui rue Saint-Jean. Cette association s’est poursuivie jusqu’à la retraite de M. Guillay. Malheureusement le pauvre n’en profita pas beaucoup : il succomba à des problèmes cardiaques trois ans plus tard, à 63 ans. Pierre pensait que c’était l’excès de travail qui avait rendu son confrère cardiaque. Pour accueillir son confrère rue Saint-Jean, il nous fallut réaliser des travaux importants dans la maison. Le simple cabinet de Pierre devint une maison médicale, séparée du reste de notre habitation, bien que les deux espaces
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s’emboîtaient et qu’une partie de notre étage se trouvait directement au-dessus du local professionnel. Pour ma part, j’ai toujours pensé que le nouvel agencement avait abîmé notre maison, d’autant que lorsque Pierre prit sa retraite, il céda les murs de la maison médicale et que le garage attenant sous le porche devenait passage commun. Tant que nous étions là, les deux associées qui succédèrent à Pierre nous laissaient utiliser le garage, mais quand il fut question, après mon départ, de vendre la maison, elles firent savoir aux enfants qu’il n’était pas question de séparer les bâtiments. Tout cela a compliqué la vente de la maison car il fallait trouver un acheteur qui acceptât la copropriété.
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La vie de famille Pierre travaillait très dur et souvent très tard, surtout les premières années qui suivirent son installation, quand il n’y avait pas encore assez de médecins à Dreux. Les choses s’arrangèrent par la suite mais, malheureusement, pendant cette période, il ne vit pas beaucoup les enfants. Il rentrait souvent après 23 heures et bien sûr, ils étaient déjà tous couchés. Malgré tout, il restait au courant de tout ce qui pouvait leur arriver car je lui racontais par le menu les anecdotes du jour et les petites et grandes aventures qu’ils vivaient à la maison ou à l’école. Nos enfants avaient chacun leur caractère particulier. Chantal était une enfant très sage, vraiment pas difficile. JeanLuc était plutôt du genre à ne pas s’en faire et il n’était d’ailleurs pas toujours très sage à l’école. Ses professeurs disaient : « Il est bien gentil mais il est très dissipé ». En fait, c’était une amusette, il faisait ce qu’il fallait à l’école, mais sans plus. Tout le contraire de ses sœurs qui étaient des bûcheuses très consciencieuses et avaient de très bons résultats. Bruno était un peu à part dans la famille, il avait une sensibilité plus littéraire, il était un peu poète. Anne-Sophie n’était pas toujours très commode. Elle avait son petit caractère. Un soir qu’elle refusait de manger malgré mes 39
efforts pour la convaincre et que son père rentrait, je me plaignis à lui en lui disant : « Elle ne veut rien manger, je n’en peux plus, j’en ai marre ! ». Pierre lui mit une fessée, ce qu’elle n’a pas digéré. C’était d’ailleurs exceptionnel car, en général, Pierre était toujours très gentil et très doux ; mais il est vrai que les enfants ne devaient pas faire de caprices quand il travaillait. Et puis quand il parlait, il fallait l’écouter. Il imposait aux enfants de parler chacun leur tour, il ne supportait pas que tous parlent en même temps. Pierre et moi avions de fortes préventions contre la télévision qui commençait à se répandre dans les foyers français. Nous craignions tous deux que les enfants y passent trop de temps et négligent leur travail scolaire. Nous avons tout de même fini par en acheter une à cause de Jean-Luc qui souffrait beaucoup de devoir avouer à ses copains qu’il n’avait pas de poste à la maison. En revanche, nous n’avions aucune prévention contre le piano ! Chantal et Jean-Luc prirent des leçons mais tous deux ne portaient pas le même intérêt à son étude. Chantal était très assidue, sérieuse et volontaire tandis que Jean-Luc avait plutôt tendance à faire le « piano buissonnière » : à l’heure de sa leçon, le chenapan disparaissait et se cachait dans la pièce de la maison où nous gardions un grand nombre de petits meubles – pièce qui devint plus tard notre bibliothèque. Les enfants voyaient très souvent leurs grands-parents maternels puisqu’après leur retraite, mes parents quittèrent
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Dozulé et s’installèrent dans la maison laissée vacante rue Saint-Denis. A la maison j’étais assistée par du personnel. Je fus vraiment très bien servie pendant toutes ces années. Encore aujourd’hui, quand je me plains d’être fatiguée, les enfants me disent souvent : « Tu es fatiguée ? Mais tu n’as jamais rien fait ! » Nous avions une bonne d’origine polonaise, Milka, qui logeait avec son mari dans la dépendance aménagée dans le jardin. Elle s’occupait très bien des enfants ; elle était très dynamique. Il lui arrive encore d’aller voir Isabelle et malgré le cancer du sein contre lequel elle lutte, elle est encore très énergique. Elle est vraiment admirable. J’avais également une personne pour s’occuper du repassage : Paulette. Un jour, Paulette voulut apprendre l’art du repassage à Chantal mais celle-ci refusa, lui rétorquant : « Pas besoin, j’aurai une bonne plus tard ! » ; ce qui ne s’avéra pas vrai. Il y eut aussi Susette, une Portugaise qui resta à notre service pendant 17 ans. Elle était très dévouée et toujours d’excellente humeur. J’en garde un excellent souvenir. J’avais beaucoup d’affection pour elle mais malheureusement un cancer l’emporta. Grâce à toutes ces personnes je restais assez libre, je pus même officier comme catéchèse pendant mon temps vacant. En fait notre vie de famille ne se déployait vraiment qu’au moment des vacances, quand Pierre était pleinement avec nous. Il s’octroyait un mois entier de congés en été pour se reposer. Les quinze premiers jours, nous ne le voyions que l’après-midi : il avait tellement besoin de récupérer qu’il 41
faisait des grasses matinées jusqu’à midi. C’était un peu une cure de sommeil pour lui. Une fois ces quinze premiers jours passés, les vacances commençaient vraiment, avec un Pierre plus dynamique et plus présent. Pendant cinq ans la famille se rendit en Bretagne, puis Pierre récupéra une vieille maison familiale à Coutances qui était louée jusque là et qui nécessita quelques travaux : elle fut notre lieu de villégiature estivale pendant près de dix-sept ans. J’y restais tout l’été avec les enfants. Même à Coutances nous avions du personnel du cru pour nous donner un coup de main. Nous allions aussi régulièrement aux sports d’hiver dans les Alpes, dans des stations suisses et autrichiennes. Il nous arrivait souvent de partir avec des amis, des collègues de Pierre. Les deux dernières fois, ce fut à Val d’Isère avec notre fille Isabelle et son mari Patrick. Je m’y suis d’ailleurs cassé la jambe, ce qui me valut d’être redescendue par hélicoptère. A présent je ne pourrais même plus aller à la montagne. Je ne supporte plus l’altitude. Je fais des malaises et je tombe dans les pommes… Lors d’un séjour à Saint-François Longchamp, en 1964, nous retrouvâmes tout à fait par hasard la famille Jacquet qui était descendue tout comme nous à l’ « Auberge Ensoleillée ». Nous avions fait leur connaissance à Dreux : tous deux étaient médecins et M. Jacquet avait quelquefois remplacé Pierre. Nous nous étions perdu de vue après leur déménagement pour l’Oise. Après ces retrouvailles inattendues, nous retournâmes ensemble plusieurs années de suite, à Pâques, à Saint-François Longchamp. Ce qui ne fut pas sans conséquence pour la vie de Chantal… 42
Quand les enfants furent tous dans l’adolescence, je voulus reprendre des études. Je m’inscrivis à l’Institut Catholique de Paris, rue Assas. Je suivis une formation en sciences religieuses de 1969 à 1975. Je n’étais plus aussi souvent à la maison. Je partais en train le matin, direction gare Montparnasse, et rentrais le soir. J’obtins le diplôme de l’Institut Supérieur de Pastorale Catéchétique avec la mention bien le 23 juin 1975. J’aurais bien aimé poursuivre plus avant mes études parisiennes mais les enfants, qui me reprochaient d’être plus souvent à Paris qu’à la maison, me décidèrent à arrêter. Je continuai néanmoins à enseigner à l’Institut catholique SaintPierre-Saint-Paul de Dreux.
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Les enfants dans la vie active Petit à petit les enfants volèrent de leurs propres ailes et quittèrent le nid. Tous surent assez tôt ce qu’ils voulaient faire de leur vie. Chantal se maria assez jeune, à 22 ans. Ce qui est drôle, c’est qu’elle a un peu reproduit le modèle de ses parents puisqu’elle est mariée à Philippe Jacquet, le fils des deux amis médecins que nous avions retrouvés par hasard au ski, et qu’elle connut donc très jeune. Quand Chantal et Philippe eurent Virginie en 1971, ils firent de moi une jeune grand-mère de 48 ans très fière ! Ils eurent Nicolas quelque quatre ans plus tard. Chantal a exercé jusqu’à la retraite la profession d’orthophoniste dans un Centre Médico-Psycho-Pédagogique auprès d’enfants scolarisés. Jean-Luc voulait être médecin. Ce ne fut pas sans difficulté car à trois ans, il eut une méningite qui lui laissa des séquelles au niveau des oreilles. Quand il fit sa médecine à Caen, certains lui dirent qu’il ne pourrait pas aller au bout, arguant qu’un médecin a besoin de toutes ses facultés auditives pour ausculter ses patients. Il n’a pas abandonné, il 45
s’est accroché et, au fur et à mesure, l’appareillage s’est amélioré, ce qui lui permit d’exercer tout à fait normalement. Jean-Luc a fait toute sa carrière en Seine-Saint-Denis. Il prit sa retraite plus tôt que prévu après avoir subi une violente attaque dans son cabinet qui lui valut un mois d’hospitalisation. Jean-Luc se maria deux fois. Il eut deux enfants avec sa première épouse, Joëlle, qu’il avait rencontrée à la faculté de médecine : Romain est né 1978 et Chloé en 1980. Il n’a pas eu d’autre enfant avec Michelle, sa seconde épouse. Bruno était un garçon très doué. Il obtint une licence de lettres de l’Université de Caen, puis il alla à Paris. Il avait réussi un concours pour un poste prestigieux au Centre de Documentation de la Délégation Générale de l’Information, qui était alors rattachée au cabinet du Premier ministre. Malheureusement, il s’est donné la mort à 29 ans, en 1980. Une tragédie pour toute la famille…. C’était un garçon très sentimental. Il avait connu une jeune fille en 1ère dont il était tombé éperdument amoureux, mais son sentiment n’était pas partagé et elle ne répondit jamais à ses attentes. L’année de son bac, il fit une première tentative de suicide, mais qui ne l’empêcha pas d’être reçu à cet examen. Il n’a jamais réussi à passer à autre chose, il n’a jamais pu surmonter ce chagrin d’amour. Il a poursuivi cette jeune fille mais il n’y avait rien à faire. Isabelle admirait son père, alors elle a tout naturellement suivi ses traces. Comme Jean-Luc, elle fit sa médecine à la Faculté de Caen mais elle commença à exercer auprès de Pierre, à la maison médicale, tout en habitant à Anet. Isabelle et son mari, Patrick, déménagèrent ensuite à 46
Bourdonné, à côté de Houdan. Elle fit pendant quelques années le trajet Bourdonné/Dreux avant de s’installer professionnellement à Houdan. Eux aussi ont eu deux enfants : Sébastien en 1978 et Emilie en 1985. Anne-Sophie voulait être institutrice. C’est toujours son métier aujourd’hui. Comme Isabelle, elle n’a pas encore atteint l’âge de la retraite. Elle enseigne dans une école de Poissy à des petits de CP-CE1. Elle s’est mariée à 20 ans avec Eric. Trois enfants sont nés de leur union : Samuel en 1979, Baptiste en 1980 et Ludovic en 1985.
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La retraite Les gens adoraient Pierre : même s’il n’était pas un grand bavard, ses patients savaient qu’ils pouvaient compter sur lui. Quand il prit sa retraite en 1990, il reçut beaucoup de témoignages d’affection et un patient lui écrivit même un poème, si bien rédigé et si touchant que nous l’avons conservé précieusement.5 Beaucoup de Drouais le connaissaient : il était l’un des plus anciens médecins de la ville et il avait été un de leurs conseillers municipaux pendant douze ans. Sa retraite fut pour nous l’occasion d’aller un peu nous promener mais nous n’allions pas trop loin car au fond nous n’étions pas de grands voyageurs. Nous avons surtout visité les hauts lieux de la culture européenne : l’Espagne où nous sommes allés deux années de suite, d’abord à Ibiza, puis en Andalousie, et l’Italie – nous aimions beaucoup Rome où nous sommes retournés plusieurs fois. Nous profitions aussi de l’appartement à Granville que nous avions acheté après avoir revendu la maison de Coutances.
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Ce poème se trouve en annexe. En fait, il a été écrit en 1980 pour les 30 ans de carrière de Pierre à Dreux.
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La maladie de Pierre En 2004, on diagnostiqua à Pierre la maladie de Parkinson. Il fallut faire des travaux dans notre maison car il n’était plus question que Pierre utilise les escaliers. Tout le bas, côté jardin, fut refait pour qu’il dispose d’une salle de bains et d’une chambre au rez-de-chaussée. Malheureusement son état se dégrada tout de même assez vite. C’est une maladie vraiment affreuse. Pierre l’a supportée gentiment, courageusement. Ça m’a beaucoup marquée, c’est tellement pénible de voir quelqu’un souffrir sans rien pouvoir faire. Et il a vraiment beaucoup souffert… Pierre nous a quittés le 13 février 2008. Je n’ai pu rester longtemps seule dans notre grande maison de Dreux. Mes filles se sont occupées de me trouver un appartement à Houdan, tout près d’Isabelle. Mais c’est difficile, j’ai un peu de mal à m’y habituer. Je ne me sens vraiment bien que lorsque je suis en vacances chez l’un ou l’autre de mes enfants. J’aime bien avoir du monde autour de moi, j’ai les idées plus claires et j’ai l’impression que les mots me reviennent plus facilement. 51
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La grande famille Notre famille s’est considérablement agrandie en quelques décennies. Les petits-enfants ont eu des enfants. Ce qui est étrange, c’est que mes petites-filles ont eu des filles et mes petits-fils des garçons. Je me sens très fière de cette nombreuse famille même si j’ai parfois l’impression que tout s’accélère très vite. Il y a deux ans j’avais six arrière-petits enfants ; aujourd’hui j’en ai dix, et ce n’est sans doute pas fini. Je me sens la doyenne mais il est vrai que je commence à me perdre dans toutes les ramifications et lors des grandes réunions familiales, il m’arrive de me dire : « C’est bizarre toute cette grande famille ! » Oui, c’est étrange de penser que d’une certaine façon toutes ses branches sont parties de Pierre et moi…
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En guise de dernier chapitre… Pour terminer ce livre de souvenirs, nous avons pensé au fameux questionnaire de Proust que Bernard Pivot avait l’habitude de poser à ses prestigieux invités. Marguerite s’est prêtée au jeu… Nous avons adapté le questionnaire à ses goûts et à ses souvenirs. Quelle est, selon vous, votre principal défaut ? Je suis colérique et impatiente. J’ai peur de l’ennui. Quelle est votre principale qualité ? Peut-être la gentillesse. Quel défaut supportez-vous le moins chez autrui ? Je ne sais pas vraiment. Quelle est la qualité que vous appréciez le plus chez autrui ? L’attention, la prévenance. Quel est le moment de l’année que vous préférez ? L’été pour le soleil et la chaleur, les départs en bord de mer.
Quel est votre plat préféré ? 55
C’est un dessert : la mousse au chocolat ! Je suis plutôt « sucré ». Quel est votre vin préféré ? Le Bordeaux ! Quelle est la couleur dont vous ne pourriez pas vous passer ? J’aime les couleurs chaudes : le jaune, le rouge, l’orange et toutes les fleurs qui sont dans ces tons. Dans quelle ville auriez-vous aimé vivre ? Une ville au bord de la mer. Caen. Ou une ville de Gironde ou du midi. Quel est le moyen de transport que vous aimez le plus ? L’avion. Mon premier voyage en avion, c’était à Ibiza. Ensuite nous sommes allés en Espagne, en Andalousie. Quel voyage regrettez-vous de ne pas avoir pu faire ? J’aurais aimé aller sur la lune. Si vous pouviez voyager dans le temps, à quelle époque iriez-vous ? A la Renaissance. Quel est votre film préféré ? J’ai oublié son titre. C’est un film que j’ai vu au cinéma quand j’étais toute jeune, un film sur la mer. Quel est votre peintre préféré ? J’aime beaucoup les impressionnistes, en particulier Monet. Nous allons de temps en temps nous promener dans ses jardins à Giverny, en général au printemps.
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Mais mon tableau préféré est la marine que j’ai au salon et qui appartient à l’école impressionniste. Dans quel musée rêveriez-vous d’être enfermée pour la nuit ? Au musée des impressionnistes : le musée d’Orsay. Quelles sont vos lectures favorites ? Aujourd’hui je lis surtout des romans historiques. En ce moment, par exemple, je lis une biographie de Louis XIII. Quelles émissions de télévision aimez-vous particulièrement ? J’aime bien regarder le sport. L’athlétisme, le patinage, le tennis. Avec Pierre, nous suivions tous les ans Roland Garros. Pierre aimait aussi beaucoup les séries policières, ce qui n’était pas mon cas. Je regarde aussi tous les jours le journal. En ce moment, on parle surtout des élections… Je ne peux pas voir Martine Aubry, comme beaucoup de médecins qui lui reprochent encore d’avoir mis en place les 35 heures. Quant à François Hollande, je ne le trouve pas terrible ! Quel héros de roman auriez-vous aimé être ? Un héros ou une héroïne de Chateaubriand, rêvant devant la mer. Si vous ne pouviez garder qu’un seul disque d’un grand compositeur, lequel serait-ce ? Je garderai les Nocturnes de Chopin. Quel est votre plus grand regret ? Je regrette de ne plus jouer de piano. Mon père et ma grandmère étaient de bons pianistes. Je voudrais m’y remettre,
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comme Chantal qui, depuis qu’elle est à la retraite, prend des leçons avec un professeur. Et puis, après le décès de mon mari, je m’étais dit que j’allais prendre une voiture et faire le tour de France… Je fais plutôt le tour de mes enfants et petits-enfants. Je suis un peu nomade.
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Correspondance Pierre et Marguerite 1945 - 1947
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Lettres de Pierre Davy 1945 Cherbourg, le 15 août 1945 Ma chère Marguerite, J’ai reçu votre lettre ce midi et je ne veux pas vous faire attendre la réponse davantage, vous devez être sur des charbons ardents. En toute franchise, j’ai largement partagé votre sympathie ; j’aurais bien été volontiers au-delà si je n’avais pas encore quatre années d’études à faire après mon service militaire, dont la durée n’est pas encore fixée. Ce délai important m’a obligé à me mettre en garde contre des sentiments que je ne me serais pas reconnu le droit de vous avouer si longtemps à l’avance. Il s’est passé tant de choses ces six dernières années. Je croyais simplement avoir été prudent et avoir bien fait puisque voilà un an que nous ne nous sommes pas rencontrés et que rien ne semblait devoir nous rapprocher l’un de l’autre ; votre lettre m’apprend que je m’étais trompé. J’en suis d’ailleurs ravi. Et si vous croyez avoir le courage d’attendre aussi longtemps, écrivez-moi, je rattraperai vite le temps perdu. Quant à vous excuser, il n’en est pas question, je vous félicite plutôt de la dure décision que vous avez prise. La seule chose que je regrette c’est de vous avoir laissée si longtemps dans le doute, je vous en ai dit la raison, et vous en demande pardon. 61
Je suis encore à Cherbourg, ça fait un mois et demi, je devais y être 8 jours ! J’attends une autre affectation mais elle n’arrive pas vite ! Et vous que devenez-vous ? Et toute votre famille ? C’est moi maintenant qui attends une réponse mais j’attends avec calme. Bien amicalement. P. Davy Cherbourg, le 20 août 1945 Ma chère Marguerite, Ce matin j’ai envoyé une demande de sursis puisque les étudiants ont le droit d’être démobilisés pour finir leurs études. Je serai rappelé après, j’ai encore un an et demi de service à faire mais j’aime beaucoup mieux continuer ma médecine avant d’avoir oublié tout ce que j’ai appris, bien que depuis le 6 juin 1944 je n’aie à peu près rien fait, ça ne me fera qu’un an d’arrêt. Et puis il y a une deuxième raison, encore meilleure, que vous devinez, c’est qu’un soldat n’a pas les mêmes empêchements qu’un étudiant pour se marier. J’espère encore que la direction au service de santé ne va pas nous garder, ce qu’elle serait pourtant capable de faire. C’est tellement dans ses habitudes de garder les gens plus longtemps que dans les autres armées. A Cherbourg il va rester, paraît-il, un médecin pour l’armée de terre alors que tout de suite il y en a des quantités. J’en ai rencontré 7 ou 8 et je n’ai certes pas vu tout le monde puisqu’eux mangent au mess en ville et 62
que moi je mange avec les officiers de l’hôpital à l’hôpital. Je trouve très bien votre proposition de n’avoir aucun secret l’un pour l’autre, c’est la meilleure préparation à l’avenir où ce sera chose indispensable. J’avais bien pensé en recevant votre première lettre qu’Isabelle était au courant puisque vous aviez daté du 13 août, date de son passage à Caen. Mais la date de départ le 14 à 4 heures le matin me laissait un doute. Elle devait arriver le 13 au soir à 9 heures et n’a donc pas pu vous prévenir avant ; or je ne pense pas que vous ayez été mettre la lettre à la gare au milieu de la nuit et ce n’est pas elle qui l’a mise le matin puisqu’elle repartait à 7 heures seulement. Deux solutions : Simple coïncidence de date, vous n’avez même peut-être pas vu Isabelle le 13 au soir ; Le postier a oublié de mettre son tampon à jour avant de s’en servir. Voilà comment j’ai essayé de savoir si elle était au courant. Que vous ayez eu l’adresse à Cherbourg, ça ne m’étonnait pas puisqu’en venant j’étais passé chez vos parents et que j’avais vu votre grand-père. Si j’ai mis un timbre c’est parce que je suis arrivé après la levée à l’hôpital. Le vaguemestre était déjà parti et ça aurait retardé ma réponse de 24 heures. L’autre jour j’ai failli écrire à mes parents et puis je n’ai pas voulu le faire avant d’avoir votre avis. Qu’estce que vous en pensez ? Il me semble qu’il serait plus gentil de leur dire nous-mêmes que de leur laisser trouver seuls, ce qu’ils ne manqueront pas de faire un jour ou l’autre, si ce n’est déjà fait pour les vôtres. Car j’aime 63
mieux vous dire que Michel par exemple sait parfaitement à quoi s’en tenir. Vous voyez que je tiens ma promesse de ne rien vous cacher ! Je me rappelle maintenant certaines phrases qu’il m’a dites et qui ne me laissent aucun doute. Surtout ne le disputez pas, il comprendrait le fin mot de l’histoire mais si vous voulez qu’il ne sache pas tout, vous devez jouer serré. Dites-moi ce que vous en pensez. Hier il y avait ici une grande kermesse pour le retour des prisonniers. Il y avait beaucoup de monde, surtout le soir. Figurez-vous qu’il y avait un feu d’artifice et qu’il n’y en avait pas eu depuis 1938 ou 1939. Il y a des quantités de gosses qui n’en avaient jamais vu. Je ne sais pas encore si je rentrerai à Caen ou à Paris, mais ce sera probablement à Paris. Déjà l’année dernière j’y aurais été si on avait su à quoi s’en tenir avec les préparations à Caen. Je croyais que Zabie rentrerait à Caen et c’est pourquoi j’y étais retourné. Caen est certainement beaucoup plus sympathique que Paris comme ville et surtout comme Faculté. A Caen tout le monde se connaît et c’est la vie de famille. Cette année il y aurait encore l’avantage de se retrouver mais je crois qu’il vaut mieux ne pas en tenir compte au moment de se décider et le faire à froid. C’est mal dit, mais je pense que vous comprenez ce que je veux dire. Surtout n’ayez pas peur de me renvoyer mes lettres avec les fautes soulignées en rouge, ça m’est arrivé une fois avec l’une de mes sœurs et je ne le prends pas comme une sottise mais comme une marque d’intérêt. Vous avez du travail si vous voulez faire de moi un homme comme il faut. Vous vous dites paresseuse, on 64
voit que vous ne m’avez jamais regardé de près. L’effort physique ne me coûte peut-être guère mais le travail intellectuel c’est tout différent ! J’espère que ça va changer avec l’aide des prières que je ferai pour vous et que vous ferez pour moi. Courage ma petite amie et peutêtre à bientôt (quand je quitterai Cherbourg je pourrai m’arrêter entre deux trains). P. Davy Cherbourg, le 24 août 1945 Ma chère petite Marguerite, J’ai reçu votre lettre ce midi, je n’ai pas voulu y répondre avant d’avoir travaillé ; à dire vrai ça a marché tout seul. Je n’ai pas trouvé le temps long comme ça m’arrive et je ne me suis pas endormi sur mon bouquin, ce qui m’arrive pourtant, aussi facilement l’après-midi que le matin ou le soir. Par endormi j’entends parti dans une douce somnolence, très agréable, où vous avez maintenant toujours une place importante. Enfin aujourd’hui j’ai travaillé alors ce soir je peux vous écrire. Tout à l’heure je vais écrire à mes parents. Je ne sais pas trop comment leur dire, mais vous allez m’inspirer. Je vais aussi l’écrire à ma sœur aînée, celle qui est au couvent, comme ça nous bénéficierons de ses prières. Quoiqu’elle ait déjà certainement beaucoup prié sans les connaître pour celles qui seront un jour ses belles-sœurs. Elle demandera sûrement à vous connaître et j’espère que vous pourrez venir avec moi à Orbec quand je re-serai civil au mois de septembre avant la rentrée de leurs élèves, ce qui est la condition du logement des dames au couvent. Pour les hommes, tant 65
pis s’ils couchent sous les ponts ! Ils doivent se débrouiller eux-mêmes. Entendu pour dimanche prochain. Je communierai à la messe de 8 heures pour vous, pendant que vous le ferez pour moi à Caen. Ainsi nous serons ensemble malgré les quelque 130 km qui nous séparent. Le dimanche je n’ai pas le choix. Il n’y a que cette messe à laquelle je puisse aller de façon sûre car « la visite », chose sacrée entre toutes, commence à 9 heures 25 ou 30 et n’est pas toujours terminée assez tôt pour permettre d’aller à la grande messe et les messes de fin de matinée sont impossibles car on mange à midi et l’hôpital est loin de toute église. Pour être un saint je veux bien mais j’en suis encore loin. C’est tellement plus simple de tirer au flanc. Surtout dans l’armée où c’est la règle. Enfin c’est entendu je m’appliquerai dans tout ce que je ferai, puisqu’être saint c’est essentiellement faire bien tout ce qu’on fait, car pratiquement on fait de gré ou de force à peu près tout ce qu’on doit faire. Je ferai donc bien tout ce que je ferai et je l’offrirai pour « nous deux » et pour tous ceux qui nous entourent. La semaine prochaine nous aurons la visite de Notre-Dame de Boulogne (29,30,31). J’espère qu’elle voudra bien faire siens les projets de ses deux enfants que nous sommes. Vous me demandez ce que je veux que vous soyez ! Eh bien, avant tout, ne soyez plus timide. Je sais ce que c’est que d’être timide et je n’aime pas ça – peutêtre parce que je le suis et que ça me gêne beaucoup alors tâchez de ne plus l’être. Et moi, qu’est-ce que je dois faire ? 66
Je vous quitte ma Guite chérie, j’espère vous voir bientôt. Je serai démobilisé au début de septembre mais j’espère « aller chercher mes affaires civiles avant cela ». Dire qu’au début j’étais libre tous les dimanches ! Pierre
Réponse de Paul Davy à son fils, Pierre Lundi 27 août 1945 Tu demandes notre consentement pour te marier avec Marguerite Gigon mais tu ne dis pas si tu as le consentement de l’intéressée ? Je suppose que oui, sans quoi notre consentement serait bien inutile. Donc si l’intéressée accepte, nous acceptons aussi. « Marguerite » est un nom que j’aime beaucoup et je serai content que notre nouvelle fille porte ce nom. J’espère qu’elle a toutes les qualités, ce qui est encore plus important qu’un joli nom, et je t’approuve tout à fait de désirer te marier de bonne heure. Je voudrais bien que nos filles puissent en faire autant, et qu’Albert tarde le moins possible. Nous venons de recevoir de bonnes nouvelles de Zabie, enchantée de son voyage mais nous voudrions bien en avoir aussi de Bernard. Albert nous a dit que Bernard avait eu une prolongation de 4 jours mais les 4 jours sont écoulés et Bernard est toujours dans le maquis. Une lettre que je lui avais écrite a été réexpédiée à l’envoyeur. J’espère qu’il n’est pas malade (??) C’est
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bien insupportable les gens qui ne donnent pas de leurs nouvelles. Voudras-tu me dire si Marguerite Gigon a la plume facile ou si au contraire elle laisse sa famille longtemps sans nouvelles. RSVP (ces initiales ne servent pas à désigner un parti politique). Quand tu auras quelques loisirs, parle-nous un peu de ta fiancée. Sait-elle faire la cuisine ? Tricoter ? Stopper ? Ecrire à la machine ? Téléphoner ? Conduire une auto ? Etc. Est-elle musicienne ? Je t’envoie un peu d’argent puisque tu es dans la purée. J’espère que l’Etat sera solvable et finira par te payer tes dettes. Affectueux baisers de tes deux parents (actuellement seuls à Evreux). Je ne suis pas en vacances actuellement, je donne une dizaine de leçons par semaine. PS. : Avant de t’engager par des fiançailles officielles, tu ferais bien de prendre des renseignements sur la santé des parents, car l’honorabilité ne semble pas faire de doute. Ta maman qui connaît sa mère ne sait cependant rien au point de vue santé. C’est elle qui me charge de te faire cette recommandation tout en pensant que dire cela à un étudiant en médecine est peut-être superflu, tu y auras sans doute songé déjà. Aussitôt que tu auras des renseignements précis sur ce point de vue santé, écrisnous. On sait combien désastreux a été le mariage de Pierre Guillot par exemple. Désires-tu que la chose reste secrète ou bien désirez-vous des fiançailles officielles prochaines ? 68
Le 30 août 1945 Marguerite chérie, La fortune sourit aux audacieux, elle sourit aussi sans doute aux amoureux. L’employé de Caen s’était payé notre tête, l’express doit arrêter à Evreux et deuxièmement, j’avais la correspondance à Serquigny pour Evreux. Enfin tout s’est bien passé et je suis arrivé ici vers 9 heures 15. Heureusement qu’on a raté le premier, ça nous a fait une heure et demie de rab. J’espère que ce soir vous n’avez pas trop le cafard et que les yeux rouges que j’ai entrevus n’ont pas duré. C’est dur de se séparer et ça me fait du bien de vous écrire ce soir. Ma petite Marguerite, tâchez de retrouver votre calme d’autrefois. Vous êtes rassurée maintenant ; je comprends mieux encore maintenant votre état, au fond vous êtes très nerveuse et vous étiez à bout de nerf, ma pauvre Guite. Si j’avais su, j’aurais parlé l’année dernière. Quelle année vous avez dû passer ! Ça me fait peur maintenant quand j’y pense. Vous avez rudement bien fait de m’écrire. J’étais loin de soupçonner que vos sentiments aient dépassé tellement une bonne sympathie. Vous avez dû me trouver gauche, bête, parce que vous êtes arrivée déjà beaucoup plus loin que moi. J’ai l’impression que vous m’aimez encore plus que je ne vous aime et je crains que vous ne soyez déçue ce soir. Je me suis senti en retard, vous avez un an d’avance, mais je mets les bouchées doubles. Mais attention, pas d’emballement juvénile vous a dit le père, sans cela je ne 69
pourrai jamais vous rattraper, même en courant. Et surtout vous vous énerveriez beaucoup. Attention hein, ma petite Guite, laissez-moi vous rattraper. Ce soir, je me sens en feu : ou bien je vais rêver très agréablement ou bien je ne vais pas dormir. Je ne sais pas lequel. Moi le calme. Ça pousse dans mon cœur, je voudrais vous avoir encore dans mes bras, c’est si bon. Tâchez de rester bien calme, de dormir la nuit, de manger régulièrement - ça, il le faut de gré ou de force – pour dormir c’est plus dur mais pour manger ça dépend de votre volonté et j’espère qu’elle sera forte, n’est-ce pas ma grande fille ! Maintenant vous n’avez plus à avoir peur, oui vous serez ma petite femme chérie, dans bien longtemps mais courage ça viendra ! En attendant de vous avoir avec moi toujours pour de vrai, vous me feriez plaisir fou en m’envoyant une photo, une vraie, une grande, où on vous voit bien. Quand je vais être civil dans un ou deux jours, je m’en ferai faire une pour vous spécialement – avec mes lunettes puisque c’est mon genre de beauté. Pauvre chou, si je me moque comme cela de vous c’est parce que je vous aime bien. C’est si bon d’aimer quelqu’un qui vous aime, maintenant je ne saurais plus vivre sans cela, j’en avais bien senti le besoin avant mais pas comme maintenant. Si je m’écoutais, je mettrais 10 lignes de qualificatifs : c’est beau… épatant… merveilleux… Mon style n’est pas formidable mais vous comprenez quand même, n’est-ce pas ? Je vous remercie de la lettre du Père, elle est bien, hein !
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J’ai honte de toutes ces souffrances que je vous ai imposées égoïstement pendant un an, excusez-moi ! On est si heureux maintenant. Maintenant que les premiers sont donnés, on va pouvoir se dévorer les joues de baisers, je commence le premier et je vous dirai quand j’aurai fini. Si on pouvait se revoir bientôt Guite ! Pierre Le 2 septembre 1945 Ma chère petite fiancée, J’espérais une lettre de vous pour ce matin mais mon espérance a été déçue. Celle que vous m’aviez envoyée à Cherbourg n’est pas encore revenue et comme je ne serai là que demain soir, ça me fait encore 24 heures à attendre. Enfin ça ne fait rien puisque ce matin j’étais avec vous à la messe et à la communion. A propos maintenant que je serai civil nous pourrions choisir un autre jour que le dimanche car ça ne nous demande pas un grand effort supplémentaire de communier le dimanche puisque nous le faisons tous deux très souvent. Ma dernière lettre était un vrai sermon sur le calme etc. alors cette fois je n’en dis rien, j’en ai d’ailleurs pris ma part car le soir, et les deux jours après, je n’avais ni faim ni envie de dormir. Je ne pouvais pas manger. C’est drôle les réactions du cœur sur l’estomac. J’ai été à Rouen mais je n’avais pas toutes mes affaires alors je n’ai pas été démobilisé. J’y retourne demain lundi et j’espère bien être civil demain soir. 71
L’administration militaire est en bon ordre ! J’ai reçu une troisième feuille d’appel sous les drapeaux. J’avais eu la seconde à Cherbourg il y a environ trois semaines. Je ne désespère pas d’en recevoir d’autres d’ici quelque temps. J’ai reçu la lettre que Papa m’avait écrite en réponse à mon annonce. Naturellement ils acceptent et il me dit : « Marguerite est un nom que j’aime beaucoup et je serai content que notre nouvelle fille porte ce nom. » Plus loin il met : « Désires-tu que la chose reste secrète ou bien désirez-vous des fiançailles officielles prochaines ? » Qu’en pensez-vous ? Pour moi, je n’ai guère d’avis. Des fiançailles si longtemps à l’avance ça fait drôle et d’un autre côté c’est plus simple que de faire toujours attention à ce qu’on dit. Si vous avez un avis sur le sujet, je l’adopterai aussitôt. J’ai écrit à Jean - Jean c’est l’aîné, celui qui est marié et est à Paris - pour lui dire et je compte l’écrire aux autres frères et sœurs un de ces jours. Je vous ai fait un arbre généalogique sommaire de la famille pour que vous puissiez vous y reconnaître un peu quand je vous parlerai de l’un ou de l’autre. Voudrez-vous m’en faire un aussi de chez vous, pour me placer votre tante qui m’intimide et vos cousins, cousines, tantes, oncles dont j’ignore le nombre. Papa est le deuxième de quatre : tante Marie, tonton Georges, tante Isabelle. Lequel Georges est marié à « tante Marie Rose ». Quatre enfants dont trois mariés : 1) Mady devient Mme Jacques Painvain avec un garçon, Dominique, quelques mois. 72
2) Michel épouse Monique, une fille, Laurence, quelques mois 3) Nicole devient Mme Jacques Villey avec un enfant attendu pour septembre 4) Alain, 16 ans. Les Villey susnommés sont ceux de Caen. Jacques est le cousin germain du Docteur Raymond Villey. Chez nous, huit enfants : 1) 2) 3) 4) 5) 6) 7) 8)
Marie, religieuse à Orbec Jean épouse Jeanne Hoenig Albert Zaby Bernard Pierre Françoise Georges-Claude
Maman a un frère, tonton Gustave et sa femme tante Augusta. On dit tonton Georges et tonton Gustave. Il n’y a pas de noms irréguliers chez les tantes : on dit tante… à tout le monde. Ainsi vous trouvez : - 2 oncles - 4 tantes - 4 belles-sœurs - 4 cousins germains - 3 cousines germaines Soit 21 + 3 enfants de cousins germains 73
Ça n’est pas si compliqué que cela. Mais il est minuit et demain je pars à 6 heures 30 pour Rouen alors je vous dis bonsoir, ma chérie, je vous embrasse bien fort en vous souhaitant bon courage. Pierre Le 4 septembre 1945 Ma Guite chérie, J’ai été gâté hier soir en rentrant de Rouen. J’avais cinq lettres dont trois de vous. Celle qui est passée par Cherbourg et les deux suivantes, toutes deux datées du 31. J’étais heureux comme un roi. J’ai regardé tout à l’heure si je trouvais des photos à vous envoyer mais il n’y en a que des moches et vieilles. Je ne sais pas ce qu’on en a fait. C’est vrai que depuis la guerre on en a pris moins mais quand même ! Il y a aussi des pellicules, je les porterai demain à tirer pour voir ce qu’elles donnent. Sur la première, il y a Bernard Marie Lucie et moi. Elle date de juillet 1940. La seconde est de 1939, en août : Françoise, GeorgesClaude, Zaby, Alain et moi en train de jouer une pièce de notre invention. Zaby était proviseur, j’étais professeur et il y avait trois élèves. La troisième est de 1938 à peu près : Albert, GeorgesClaude, Nicole, Françoise, moi et Bernard.
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Ma pauvre Guite c’est tout ce que j’ai trouvé à vous envoyer ; et pourtant il y en a beaucoup d’autres mais je ne sais pas où on les a mises. Cet après-midi je me suis fait photographier exprès pour vous, j’espère que ce sera bien mais il faut attendre 15 jours, alors j’espère que je vous aurai montré l’original avant. Après demain je compte aller à Paris pour voir un peu comment ça va s’arranger et tirer des plans sur la comète, puis je compte aller à Coutances quelques jours d’où j’irai régler des affaires à Cherbourg. Ils n’ont pas voulu me payer à Rouen. Et j’espère que je pourrai vous ramener avec moi pour faire connaissance avec la famille ; en passant par Orbec car naturellement MarieLucie demande à vous connaître. Elle me demande vos goûts, je ne sais pas quoi répondre, d’ailleurs je ne les connais pas et je ne vois pas bien ce que sa question veut dire. Elle vous le demandera elle-même ou bien elle regardera. J’espère que vos parents sont rentrés et que vous serez débarrassée de vos charges de maîtresse de maison qui vous empêchaient de venir. Oui je suis trop je-m’en-foutiste, je me l’étais déjà dit et il n’y a que vous qui me l’avez dit. Ce matin j’avais une lettre de Marie-Lucie et elle me dit la même chose, elle me parle de mon « langage qui a l’air d’un peu se moquer de tout ». Oui je me moque de beaucoup de choses, de presque tout, surtout en paroles d’ailleurs et ça me fait croire que c’est de l’orgueil. C’est si bien porté au XXème siècle d’être je-m’en-foutiste, surtout dans l’armée, mais je n’y suis plus.
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Quand j’avais 12 ans à peu près, je me mettais en colère tout le temps, et puis je ne voulais jamais céder, ça a du bon, ça développe le caractère, ça donne de la volonté mais malheureusement je ne l’ai jamais bien employée cette volonté. J’ai été deux ans chez mes tantes que je n’aimais pas du tout et pendant tout ce temps je me suis habitué à ne rien manifester, ni joie ni peine, c’était idiot mais c’est comme ça. Si bien qu’il y a des gens qui croient que je ne ris jamais. J’aurais mieux fait d’employer ma volonté à travailler, ça aurait mieux valu. J’essaierai de le faire maintenant. Avec vous je n’aurai pas besoin de cacher ce que je pense, mais vous voyez à qui vous avez à faire dans le fond, j’ai une tête de cochon. Dans l’armée aussi je commençais à être classé dans ce qu’on appelle les fortes têtes. C’est pour cela que j’ai été envoyé à Cherbourg. Quand on me menaçait d’une punition, je répondais : « Je m’en fous ». Et j’avais l’impression que c’était vrai. Je suis même sûr que c’était vrai et ça parce que je voulais m’en foutre. Je me raisonnais pour me prouver que je m’en foutais parce que je ne voulais pas céder. Oui, c’est bien de l’orgueil ! Vous voyez pauvre Guite, vous avez un fiancé orgueilleux. Je ne le savais pas au début de cette lettre mais maintenant j’en suis sûr. Et ce n’est même pas de l’orgueil qui sert ; si encore il me faisait travailler mais non ! Oh Guite, je suis content que vous m’ayez dit ça parce que vous voyez, vous m’aidez à me connaître mieux et puis maintenant je pense avec vous. C’est le meilleur moyen de ne plus faire qu’un et c’est à ça que nous devons arriver. Si vous saviez comme je vous aime 76
encore plus tous les jours, surtout quand je vous écris. Mais je suis bête, vous le savez, c’est la même chose pour vous. Bientôt on pensera tous les deux exactement pareil, vous voyez, on s’est demandé les photos tous les deux ensemble. Elles m’ont fait beaucoup de plaisir les photos, surtout une, c’est celle où on vous voit le mieux. Et puis il y en a deux où je vous cherchais parce que j’avais lu « je suis sur toutes » mais naturellement je ne vous y trouvais pas. Je vous renvoie la lettre du Père mais avant je vais la copier, puis je vais me coucher parce qu’il est tard, 2 heures 15. J’ai commencé à relire vos lettres il était minuit ! Le temps passe si vite avec vous. C’est parce que je vous aime beaucoup. Bientôt on osera se parler comme on s’écrit maintenant, c’est si bon d’avoir quelqu’un à qui on dit tout, même quand ce n’est pas intéressant. Vous êtes encore timide car vous me dorez la pilule, vous mettez quinze lignes pour dire simplement : « Pierre vous êtes trop je-m’en-foutiste, un peu c’est bien mais trop c’est trop. » J’aime qu’on me parle franchement, rudement. Et j’aime tellement mieux les gens qui disent ce qu’ils pensent au lieu de mentir pour essayer de faire plaisir comme c’est si fréquent maintenant. C’est pour cela que votre lettre m’a fait très plaisir, parce que vous osez me dire mes défauts. Vous aurez de quoi dire parce que j’en ai, vous verrez quand les premiers temps seront passés. Ce sera si bon alors de pouvoir compter l’un sur l’autre pour effacer les petits défauts au fur et à mesure qu’ils apparaîtront. Je vous dis bonsoir ma Guite bien-aimée. Je vous aime chaque jour davantage. 77
Le 8 septembre 1945 Ma chère Marguerite, Quel pays que Coutances ! Figurez-vous que le 8 septembre il n’y a pas de messe après 8 heures, ni même à 8 heures. Comme je n’étais pas prévenu, eh bien je ne l’ai pas eue. Je vais devenir païen, un défaut de plus, non pas un défaut parce que païen ne veut pas dire mauvais mais enfin on se comprend. J’espère que les trois jours qui nous séparent vont passer rapidement. Quelle joie de vous retrouver pour de vrai parce que se voir un peu comme on s’est vus, ça n’est pas se voir. Vite qu’on soit à mercredi. On mettra Thérèse dans le wagon à côté, comme ça elle ne se moquera pas de nous. Quand j’ai annoncé notre grande nouvelle à Françoise, elle n’a absolument pas été étonnée. J’attendais la réaction puisque c’était la première personne à qui je le disais de vive voix, mais elle le savait. J’ai eu beau lui demander, elle n’a jamais voulu me dire qui le lui avait dit. J’ai cru un moment qu’elle nous avait rencontrés à Caen car elle devait y être le jour où j’y étais passé – le 30 août. Elle ne me le dira pas avant qu’on se voie à Orbec. Hier, j’ai fait un excellent voyage, c’est un peu long 4 heures pour faire 100 km mais le principal c’est d’arriver. Je suis bien tombé, ce soir il y a « réception » c’est-à-dire que les cultivateurs chez qui mes tantes étaient réfugiées viennent diner ; la maison est sans dessus dessous, c’est tordant. Quel dommage que vous ne soyez pas là, vous verriez la maison vraiment comme elle est. Il n’y a rien de tel que des préparatifs pour connaître 78
les gens tels qu’ils sont. Je vais tâcher de vous dire ce que c’est Coutances pour nous. Tous les ans, nous nous y retrouvions avec mes cousins et on s’y amusait beaucoup, on en a tous un souvenir épatant. Mais les hôtesses sont deux vieilles filles qui, naturellement, ont un caractère particulier, mais nous aiment énormément. Pour elles, nous sommes la seule famille et elles ont beaucoup l’esprit de famille. Elles attachent beaucoup d’importance à des petits faits qui pour nous ne comptent pas, le « qu’en dira-t-on » etc. Elles sont bourgeoises dans le sang. Mais malheureusement, elles aimaient bien à nous abreuver de sermons dont je n’ai cessé de rire, et je n’ai jamais caché ce que j’en pensais, au contraire. Quand on est un peu orgueilleux, on n’aime pas les sermons, surtout quand ils sont adaptés juste pour vous. Et rien que pour vexer, je me suis mis bien souvent à faire le contraire de ce qu’on me prêchait. Vous savez, je suis mauvais et ça aurait pu mal tourner quand je suis venu chez elles pendant deux ans. C’est l’âge ingrat, j’étais en 4ème et 3ème ; alors mes pauvres tantes en ont vu de toutes les couleurs, surtout que je suis paresseux et qu’elles auraient voulu que je travaille autant que mon père et mon oncle. Heureusement, à cette époque, j’ai commencé à connaître la JEC et je n’ai pas complètement mal tourné. Pourtant, au naturel, j’ai bon cœur, je crois du moins, mais quand j’ai pris quelque chose ou quelqu’un en grippe, alors là je retrouve ma tête des grands jours. Il y a quelques années, j’ai découvert que mes sœurs, cousins et cousines pensaient comme moi, mais ils étaient plus diplomates. Moi j’ai toujours mis les pieds dans le plat.
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C’est compliqué un caractère humain. J’ai toujours mal pris les sermons de mes tantes, peut-être parce qu’elles faisaient constamment des rapprochements défavorables avec les siècles passés (orgueil) et, au contraire, j’ai toujours aimé que les gens que j’aime me disent mes défauts. Vous savez, vous m’avez fait beaucoup de plaisir quand vous m’avez dit que vous me trouviez « je m’en-foutiste » parce que ça m’a montré qu’on n’était plus timides l’un avec l’autre, au moins par lettres. Je n’ai jamais osé dire ce que je pensais mais alors complètement qu’à vous. Avec mes parents j’ai toujours été timide. C’est parce que je vous aime, je suis sûr que c’est ça la vraie signature de l’amour. C’est cette confiance-là qui permet aux époux de ne faire qu’un. Un de ces jours, j’annoncerai à mes tantes que je suis fiancé mais je n’ose pas leur dire tout de suite, j’ai peur du déluge de questions. Et puis il y a mon oncle et mon cousin Alain qui sont là et je n’ai pas envie de leur dire, alors je crois que je leur dirai après, par lettre. Elles y ont droit, comme réparations, que je leur dise tout de suite. Il y a presque un mois que j’ai reçu votre lettre. Il me semble que c’était hier, ça donne bon espoir pour attendre x années. J’arrive au bas de ma page, alors je vous quitte ma petite Guite chérie. A mercredi et vous pouvez être sûre que je ne raterai pas mon train. Pierre Davy
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Dimanche soir Guite chérie, Je vous ai écrit hier, mais au moment de mettre la lettre, j’ai appris qu’il n’y avait pas de train et donc pas de levée entre le samedi matin et le lundi, alors je ne l’ai pas mise et Françoise la portera jusqu’à Caen, ce qui l’avancera un peu. En effet, Françoise repart demain avec Georges-Claude, elle restera deux ou trois jours à Orbec et nous l’y retrouverons mercredi. Dans 48 heures nous serons ensemble. Je ne vous écris pas une lettre ce soir, je rajoute seulement un petit mot à ma lettre d’hier. J’aime bien vous écrire, ce que je vous raconte n’est peut-être pas toujours intéressant mais ça vous apprend à me connaître. Ce matin, je n’ai pas pu aller à 8 h puisque Coutances n’a pas de messe à cette heure-là, alors je suis allé à 7 h30, c’était l’heure la plus voisine, c’est bon de prier ensemble. Quelle chance de passer quelques jours ensemble, seulement si on ne veut pas que toute la ville le sache, nous ne devons pas nous promener bras dessus-bras dessous. C’est une petite ville et vous savez ce que c’est qu’une petite ville. Enfin nous aurons le jardin et la campagne pour prendre nos ébats librement. Je me sens des envies de vous écrire : je vous aime, je vous aime etc. pendant deux ou trois pages. Ça me calmerait. Il y a des moments où je suis presque heureux. A mercredi, ma Guite. J’irai vous prendre vers 7h moins le quart rue de Courseulles ou place Saint-Martin. Votre Pierre qui vous embrasse et qui vous aime. 81
Evreux, le 29 septembre Ma Guite chérie, J’ai reçu avec beaucoup de plaisir votre lettre d’hier soir. Je pense que vous avez reçu la mienne ce matin. Je donnerai celle-ci à Françoise qui part demain matin pour Caen, aussi elle ne sera pas longue car il est déjà plus de minuit et son train est à 7h, or il faut qu’on soit en avance pour enregistrer tout son matériel. Aujourd’hui Bernard est rentré à la maison. Le ème 3 démobilisé en un mois. Il va retourner un de ces jours au grand séminaire qui est replié à Cracouville, à 7 ou 8 km d’Evreux, puisque ses locaux à Evreux sont détruits depuis 1940. J’espère que vous n’avez pas commencé Péguy hier, et que comme ça on lira le même passage en même temps. Pour que ce soit bien fait, j’ai commencé aujourd’hui au début. Il faut me discipliner un peu. Je vous l’offre. Pour la lettre, je crois que vous feriez mieux d’écrire. Quand Jeanne était venue, on attendait tous sa lettre pour voir un peu le genre etc. Là c’est différent puisque nos deux familles ne sont pas inconnues l’une à l’autre, mais je crois que c’est préférable. Elle sera lue avec attention. J’obéirai, mon cher Gouvernement, j’irai voir de votre part Anne-Marie Claesen. Sait-elle les liens qui nous unissent ? Robert Lefrançois m’a indiqué un nouveau tuyau. Il y a paraît-il encore une arche de libre sous le Pont Saint-Michel, c’est un bon filon à exploiter. 82
Aujourd’hui il a fait un temps splendide, une vraie journée de printemps. Il aurait fait bien bon être ensemble. Je ne le regrette pas puisque nous l’avons offert. Mon Dieu, que votre volonté soit faite et non la nôtre. Nous pensons avec notre cervelle d’humains imparfaits. Heureusement que votre sagesse divine est là pour nous donner l’occasion d’efforts que nous ne chercherions pas de nous-mêmes. Faites-nous sortir de notre état passif, que nous entrions dans l’actif. Notre beau chant jéciste dit « Jécistes, en avant ! ». Ayons le courage de notre idéal. C’est dur de faire passer l’idéal dans la vie courante mais, mon Dieu, avec vous, ce sera un jeu d’enfant. Vous aimez bien vos grands enfants. Bénissez-nous, Seigneur, parce que nous avons péché, parce que nous pécherons encore, mais surtout parce que nous essaierons de pécher moins. Bénissez nos efforts, rendez-les fructueux pour votre plus grande gloire. Nous vous offrons ensemble nos efforts communs et nos efforts particuliers. Ça m’ennuie d’aller à Paris, ça m’ennuie beaucoup, parce que c’est l’inconnu, parce que je suis timide donc orgueilleux, égoïste, mais je vous l’offre, nous vous l’offrons ; parce que Marguerite l’offre avec moi, pour que cette année soit bonne. Ça n’est pas un diplôme que je vais chercher, c’est une formation que je veux acquérir. J’aurai dans les mains la vie de vos créatures. Qu’est-ce que je ferai si je ne sais pas les guérir, si je ne suis pas un bon médecin ? Et puis je suis toujours timide, comment réconforter les souffrants, les malades ? Comment avoir la simplicité voulue pour aider Marguerite à élever nos enfants comme vous le voulez ? Non, mon Dieu, je ne dois plus être timide. Je dois être fort. 83
Marguerite, qui vous représente pour moi sur la Terre, m’aidera en votre nom. Merci, mon Dieu, de m’avoir donné ce soutien, un soutien aussi agréable, aussi bon. Je l’aime de toute mon âme, je vous aime en elle et je l’aime en vous. Merci mon Dieu. Merci beaucoup. Marguerite, je vous remercie de la prière que vous avez faite dans votre lettre. Vous voyez bien que vous savez vous ouvrir en notre amour commun pour le Seigneur. Nous nous aimons d’un amour sain parce que nous aimons d’un même amour une tierce personne et que celle-ci est Dieu. Je pense toujours à vous et je vous aime. P.Davy Evreux, le 10 novembre 1945 Ma petite Guite chérie, Dimanche soir. Nous écoutons en ce moment les résultats à la TSF – 30% de communistes ! Enfin ce sont des résultats partiels et peut-être qu’à la fin ça baissera le pourcentage. Ce matin j’ai été à la grand-messe puis cet aprèsmidi nous sommes allés voter – donc rien de sensationnel. Je suis arrivé hier soir à 9h15. Le midi j’ai mangé chez les Gustave mais on s’est mis à table à 1h30 alors ! Puis est arrivée une visite de Mme Guicheux de Montmartre, vous savez l’amie de maman qui fait du tricot, si bien que le temps d’aller à la Porte d’Orléans et retour je n’ai pu me confesser. Je le ferai mardi avant la 84
messe, mais je suis vexé de ne pas l’avoir fait avec vous. J’y ai repensé trop tard et j’étais pris par mon train. Enfin, 48h de retard ne paraîtront pas beaucoup. Ça me fait un peu drôle d’être ici sans vous. Autrefois, quand je venais à la maison, c’était le bout du monde. Je n’avais rien de plus à attendre. Mais maintenant, ici, il me manque quelque chose tant il est vrai que l’homme laisse tout – famille, parents, etc. – pour aller vivre avec sa femme. Oui ma petite fiancée chérie – ma future petite femme chérie. Ce sera bien chic, n’est-ce pas, ce jour-là, ce temps-là, car ça ne durera pas un jour mais… toujours. Je n’ai pas pensé à vous dire l’autre jour pour les chaussettes. Naturellement oui, mon chou. Comment vouliez-vous que moi je juge ? Je viens de demander à Maman, elle a dit oui. J’espère qu’il est encore temps, sinon tant pis. Je vous embrasse bien fort ma chérie. Pierre Mercredi soir, 14 novembre Ma Guite chérie, Je viens de travailler une heure, alors je prends une petite récréation, naturellement ma pensée vole vers vous tout de suite. Je revoyais les quelques jours avant le bombardement. Plusieurs jours je suis allé à la messe le matin, c’était le moment des examens et, à cette époque, on a toujours une ferveur spéciale qui, au fond, soit dit en passant, est un peu factice, on ressemble au type encore valide et qui demande l’aumône, car si on n’a rien fait 85
pendant l’année, ce n’est pas cette ferveur passagère de trois jours qui y changera quelque chose. Je repensais donc à ces quelques jours, à un jour en particulier où je m’étais mis près de vous, à droite de l’allée centrale. J’étais content d’être près de vous et pourtant il n’y avait rien entre nous qu’un pèlerinage datant de 15 jours. Oh ! Guite, je m’en souviendrai toujours. Et puis en remontant ensemble et sans rien dire, naturellement, on a rencontré Marie Tortue. Ça devait être le jeudi. Le vendredi Zaby a été se promener en bateau et le samedi elle partait et j’avais encore mon examen. Et le jour de la Pentecôte, j’ai l’impression que ça vous barbait de faire du vélo et que vous y êtes venue… Oh Guite, je sens comme je vous aime, avec quel plaisir je vous serrerai sur mon cœur, ça viendra, courage, mon petit chou. Et vous ne saviez pas peut-être que je vous ai souvent guettée. Vous aviez remarqué que j’étais souvent à ma fenêtre. Je vous attendais, ma Guite chérie. J’ai d’ailleurs été récompensé de mes attentes car vos visites étaient fréquentes les derniers jours. Vous veniez voir les résultats de Zaby… Tout cela se passait au soleil, c’était bien plus gai que le temps de maintenant. Et malgré tout ce que qui se passait sous ses yeux, Mlle Marie Jordonne voulait vous faire entrer au couvent ! Ah ! La récréation est terminée. Au travail, c’est demain la colle ! Naturellement il faut que vous mettiez quelque chose derrière la photo, et quelque chose de bien. Vous avez 15 jours pour le trouver. J’ai eu ce soir deux lettres de vous. Je n’avais pas dit mon nom à la concierge, alors elle voulait simplement les rendre au facteur ! Folle ma concierge ! 86
Complètement folle ! Une lettre de Guite ! La renvoyer, mais elle est dingo ! Mon Jésus chéri, je vous aime et j’aime votre créature, ma Guite, de tout mon cœur. Marguerite matérialise, objective l’amour que j’ai pour vous, mais c’est vous que j’aime en elle. C’est parce qu’elle est chrétienne que je l’aime. C’est votre fille, mon Dieu, et c’est ma sœur et ce sera ma femme ! Ma femme ! Oui, ma femme. Et je serai son mari et nous serons un devant vous, solidairement responsables de nous deux et de nos enfants ! Et de ceux qui nous entourent ! Merci mon Dieu et bonsoir ma chère, chère fiancée. P.Davy 7 décembre 1945 Ma Guite chérie, Ce matin je suis parti avant que le facteur ne soit passé, alors je n’ai pas encore votre lettre. Je vous écris avant de rentrer chez moi car la levée m’obligerait à ressortir mettre cette lettre. Ce matin, je me suis réveillé à -10 alors je suis arrivé seulement pour l’offertoire. (…) Ce matin il y a eu du remue-ménage à l’hôpital. Une infirmière a fait une piqûre d’eau oxygénée à un gosse de 3 ans au lieu de sérum. 5 minutes après, il était mort. On lui a fait 36 piqûres pour le ravigoter, mais sans résultat, et de la respiration artificielle pendant 2 heures, si bien que je suis sorti de l’hôpital trop tard pour aller manger à Louis le Grand (j’ai mangé quand même, tranquillisez-vous). Mais s’il n’y avait que cela ! La 87
pauvre infirmière était… (Je ne trouve plus mes mots, ça devient grave). Elle a dû l’annoncer à la maman qui arrivait juste pour prendre des nouvelles. Heureusement que ces accidents ne sont pas fréquents ! Tout cela ne vous intéresse pas beaucoup sans doute mais ça m’a fait un peu impression. Le pauvre gosse. Remarquez, il est bien tranquille maintenant et ce n’est pas lui qui est à plaindre. (…) Ma petite Guite chérie, je ne sais plus quoi vous dire, j’avais des tas de choses mais ça ne vient pas. Si. Vous me demandiez ce qu’évoque pour moi la crèche ? D’abord ça me rajeunit, je redeviens gosse (cf. amour), ça chauffe un peu le cœur ! Et puis ça m’écrase un peu aussi. C’est un symbole – il y a de l’inconnu et du grand de caché là-dessous. Et puis l’influence des vacances et des cadeaux quand on était tous à Evreux il y a 15 ans ! C’est un peu un mélange de crèche et de temps de Noël mais les deux sont intriqués ensemble. Ce que Noël est pour moi maintenant ? C’est un anniversaire, c’est un don de toute Sa personne que le Christ a fait ce jour-là : -
Don dans la joie à Noël ; Don dans le deuil au Vendredi Saint ; Don d’un troisième genre tous les jours à la messe qui, somme toute, refait les deux précédents.
Jésus vient en nous comme il est venu sur la terre à Noël il y a 1945 ans. Et il vient sous la forme de pain et de vin qui figurent le don du Vendredi Saint.
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Et puis il y a à côté encore cette façon dont les hommes fêtent cet anniversaire. Tous les petits Jésus de la Terre que leurs parents rendent heureux ce jour-là. Il y a une atmosphère de joie qui naturellement m’attire. Oui, cette joie est juste, raisonnable. Elle est voulue par Dieu et nous n’avons pas le droit de nous y refuser (le vieux Scrooge de Xmas Carol). Ça n’est pas une fête locale, ni nationale mais humaine. Ce jour-là c’est toute la Terre qui est joyeuse ou du moins la plupart des hommes sur tous les continents. Alors, ma Guite, ce jour-là nous serons joyeux, nous serons ensemble et ce sera Noël. Jésus qui se fait à notre taille. Jésus le petit enfant. « Laissez venir à moi les petits enfants ». Alors qu’au fond il est tout aussi bien Dieu que plus tard. Il est le même exactement qu’à 33 ans. Mais on le sens plus accessible, plus à notre portée. Pour regarder un Saint qu’on représente adulte ou plus près de Lui pour regarder la Vierge, on lève la tête. Pour le regarder Lui en croix, on lève la tête, mais pour regarder la crèche on la baisse. Il est là tout petit, à notre portée, devant nous. Fêter la naissance du Christ c’est très psychologique et puis c’est plus facile pour les petits enfants puisqu’Il est de leur taille. Et pour les grandes personnes, ça leur rappelle la foi naïve mais combien intense de leurs jeunes années ! Vive Noël et soyons gais, toujours gais avec un sourire, n’est-ce pas ma Guite chérie ! La petite sœur du petit Jésus qui sera ma petite femme ! Je vous embrasse bien fort. P. Davy.
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1946 4 janvier 1946 Petite Guite chérie, Je vous écris dans le train, encore la même comédie, je n’ai pas d’encre. Le train a une heure de retard alors je tremble. J’espère que nous arriverons encore avant le départ de celui de Caen mais ce sera bien juste. Pauvre Guite, si on arrive après, vous n’aurez rien demain ! J’aurais dû vous écrire tantôt mais je me disais : je n’aurai rien à faire dans le train, j’écrirai et je la mettrai en arrivant. Votre lettre m’a fait bien plaisir, j’étais tellement certain que vous auriez le cafard, ma petite nerveuse chérie. Je ne l’ai pas eu non plus mais je me sentais cependant bien triste. C’est si bon d’être ensemble. Quand je pense que dans un mois nous aurons encore 8 jours ! J’ai l’impression que le Bon Dieu nous gâte un peu ! A nous de nous montrer dignes. Guite, je suis bien content de nos vacances mais dans le fond j’ai l’impression d’avoir perdu mon temps. On n’a rien fait pendant 10 jours ! Je ne suis pas pleinement satisfait. Du point de vue, Guite, du sentiment, ça va, mais du point de vue du travail !!! Il ne faudra pas que les 8 jours de février soient pareils. Mon petit chou que j’aime beaucoup beaucoup, comme ce sera chic quand on aura notre chez nous, à nous deux, Guite et Pierre ensemble, mariés, chez eux ! On peut bien avoir le courage d’endurer les préparatifs quand on a un horizon aussi beau ! Ce sera vraiment 90
épatant. On aura du travail pendant 8 jours. « Compagnons d’éternité » etc. etc. Ce soir je vrais reprendre mes Evangiles. Alors c’est Saint Mathieu qu’on prend ? C’est lui que je prends ce soir. Avez-vous pris la photo ? Je n’y ai pas pensé au moment où vous avez fait votre valise. J’espère que votre Davy-Passoire n’a pas oublié trop d’affaires à Evreux, c’est pourtant une bonne habitude que j’ai prise. J’espère que vous n’avez pas cherché ma cravate dans votre taudis. Je l’ai retrouvée, je l’avais roulée dans l’un de mes gants. Chou chou chou, ce n’est pas très facile d’écrire, mon crayon est un peu court. J’ai sommeil alors les idées ne viennent pas vite. Ce matin, 1er vendredi de la semaine du mois et de l’année, nous avons reçu ensemble le Seigneur Jésus qui nous a unis une fois de plus. Demain je me lèverai à 9h car je ne serai sûrement pas couché avant minuit et demi. Mon Jésus, donnez-nous le courage de faire toujours votre volonté. Nous vous aimons de tout notre cœur, donnez-nous la grâce de manifester toujours notre amour de vous, notre gaieté, notre religion qui est votre loi, votre volonté. Nous vous aimons beaucoup mais augmentez notre amour l’un de l’autre et de nous deux de vous, que chacun de nous se prépare pleinement pour que nous vous bâtissions une belle maison, un chic foyer. Petit chou chou chou, je vous aime de tout mon cœur et je vous embrasse. Votre Pierre chéri. P. Davy. 91
Vendredi 8 janvier 1946 Petite Guite à moi, Il a dû pleuvoir sur le massif central car il est 9h et il y a encore de l’électricité. Est-ce que ça vous intéresse une conférence sur le marxisme et le léninisme ? Il y en a une le 8 février et j’ai bien envie de vous y emmener mais ce sera peut-être tard pour rentrer. Elle commence à 20h45. C’est fait par un Prof de l’Institut Catholique qui connaît Lénine mieux que les communistes. C’est lui qui a fait la contradiction à Pierre Hervé6 l’autre jour. Ce matin, rien que d’aller à St Paul j’avais déjà les oreilles toutes mordues par le froid, tant mieux notre « assemblage » n’en sera que plus fructueux pour notre éternité. Un petit foyer bien chic qui fasse rayonner le Christ ! Ce sera épatant. Des enfants pas timides et chrétiens ne ressemblant pas à leurs parents sur le premier point et les dépassant sur le second. Oh petite Guite chérie, ce qu’on sera heureux ensemble. Ça donne du courage pour se préparer. 13 jours ensemble, ça va être superbe. Combien de personnes avons-nous à voir ? De mon côté, 3 ou 4 sera un maximum mais du vôtre ! On visitera tout Paris ! Je m’en vais à l’hôpital, à tout à l’heure, j’emporte cette lettre, je la finirai en route. (…)
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Pierre Marie Hervé, né le 23 août 1913 à Lanmeur (Finistère), mort le 8 mars 1993 à Châtel-Censoir (Yonne), est un résistant, journaliste, professeur et homme politique français, membre du Parti communiste français.
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Je vous aime beaucoup, beaucoup, de plus en plus. A bientôt. Bon courage. Dépêchez-vous dans St Luc pour qu’on tâche d’en parler. Ce sera difficile car on traine un peu. Je vous serre bien fort sur mon épaule et je vous embrasse de tout mon cœur qui vous appartient pour toujours. Votre Pierre chéri. P. Davy Vendredi 31 janvier 1946 Ma petite Guite chérie, Voilà, je vous écris avec un stylo neuf que je viens de construire. Il a une contenance inégalée jusqu’à ce jour. Simplement j’ai fait une laparotomie et j’ai enlevé tout l’intérieur, ainsi il doit contenir au moins 60 gouttes. Avant cela j’ai fait mon ménage c’est-à-dire rangé un peu, tourné le matelas etc. Ce matin il y a de la neige alors j’ai les pieds mouillés et conséquemment « rafraîchis ». Enfin, ce n’est encore pas catastrophique. Cela glisse un peu et les accidents, bénins en général, sont nombreux. C’est aujourd’hui notre jour d’adoration et pour commencer la journée je ne suis pas – oh ! – allé à la messe. Je me suis réveillé à 9h10. Je vais aller faire une visite dans une église parce que je ne suis pas allé à la messe cette semaine, ce qui prouve que malgré de beaux discours, le fond ne vaut pas cher. C’est véritablement tout eux et comme adoration, cela laisse à désirer. Au début de l’année dernière, quand j’allais manger à Louis Le Grand j’allais tous les jours à St 93
Séverin soit avant, soit après dîner. Par conséquent depuis un an la qualité n’est pas améliorée. Et pourtant, on est toujours prêt à s’envoyer des coups d’encensoir ou presque. Nous nous regardons pratiquement comme de bons chrétiens ! « Des gens bien pensants » et même « pratiquants » puis, hélas, on en arrive à diviser les chrétiens en pratiquants et non pratiquants. C’est quand même formidable. Au fond tout cela c’est de l’orgueil. Nous sommes plongés dans un monde orgueilleux au maximum et dans le bain, on subit la contagion. Or Dieu se retire des peuples orgueilleux car ceux-ci n’ont pas besoin de lui puisqu’ils considèrent qu’ils se suffisent à eux-mêmes. Mon Dieu, vous vous êtes retiré du peuple juif mais ne vous retirez pas du peuple de France ! Nous vous adorons ! Chérie, c’est terrible mais je ne sais pas adorer du fond du cœur. Des formules toutes faites qui ne veulent plus rien dire par le fait qu’on les récite par cœur, c’est tout ce que je suis capable de faire. J’aurais voulu faire une prière d’adoration avec vous mais je suis sec comme un coup de trique. Il ne vient rien. Je vais lire des Psaumes, je crois qu’il y en a la plus grande partie qui est dans cet esprit. A vrai dire je n’en ai pas lu beaucoup et ce n’est pas la peine d’avoir tant de prières à sa disposition quand on n’en profite pas. Au fond quand nous sommes mollassons, nous sommes complètement coupables car nous avons des ressources énormes dans n’importe quel livre de messe et nous avons toujours un livre de messe à portée de main. Et nous serons jugés en
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fonction des facilités qui nous ont été données. Alors notre jugement sera sévère. Mon Jésus, je vous adore et je vous aime parce que vous nous avez choisis pour être de votre peuple, parce que par le baptême vous nous avez fait fils de Dieu. Je vous aime parce que vous avez donné votre sang, votre vie, pour nous, pour nous permettre de profiter de votre bonté infinie. Nous vous adorons dans votre création qui manifeste de façon éclatante votre force infinie, votre nature infinie, qui nous permet de sentir toujours votre présence bienveillante et votre infinie bonté. Je vous remercie pour toutes les grâces que vous nous avez données, dont vous nous avez comblés, en particulier celle de notre connaissance et de notre amour. Oh ! Jésus, roi du Ciel et la Terre, régnez dans nos cœurs ! Vous êtes notre chef et notre but suprême. Nous vous adorons dans votre infinité. Ma chérie, je vous aime en Jésus. Lundi 4 mars 1946 Ma petite Marguerite chérie, J’ai eu ce matin votre lettre de jeudi-vendredi que je n’avais pas eu samedi, j’aurai peut-être ce soir celle de samedi-dimanche. Samedi, je suis resté chez moi bien sagement pour voir si Zabie passait mais je n’ai vu personne, elle est venue à Paris vendredi pour se faire inscrire. J’avais son manteau chez moi et elle devait le prendre chez Tonton Gustave où je devais le porter mais je ne l’y avais pas porté alors elle ne l’a pas eu. Puis je suis allé à la gare 95
pour lui porter des affaires à remporter à Evreux mais je ne l’ai encore pas vue. Heureusement il y avait des Ebroïciens connus et j’ai confié mon petit paquet à un voisin. (…) Alors mercredi on entre dans le Carême ! Qu’estce qu’on fera de plus pendant ce carême ? Les bonnes sœurs n’écrivent pas ! Les gosses ne mangent pas de bonbons ! Et les amoureux ? Je cherchais notre prière d’union et je trouve : « La grâce de la maternité est une dérivation du cœur de Dieu qu’il met dans le cœur de la mère afin qu’elle aime et qu’elle guide ses enfants selon le bon plaisir divin. » « Est-ce que je ne boirai pas le calice que mon père me présente. » Math. XXVI, 39 « Faire de temps en temps au cours de la journée une communion spirituelle comme point de départ d’un nouvel élan vers Dieu. » D. Col. Mam. C’est ça que je vous propose, au moins une fois par jour et plus si on a le cafard ou si on a soif. On a toujours sur la Terre une messe en train de se dire, une conversion en train de se faire. L’autre jour vous me disiez votre avis sur le grand retour. Savez-vous qu’il entraîne une conversion ou un retour toutes les 10 minutes ! Ça ne se voit pas faire. 7 000 0000 de consécrations à N.D. etc. mais je ne suis pas chargé de faire la réclame. (…) « La véritable piété consiste beaucoup moins dans un grand nombre de prières et de pratiques que dans la recherche sincère et loyale de la sainte volonté de Dieu. » D.Cl.Man.
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Alors n’est-ce pas « nous faisons (souvent hélas théoriquement) bien ce que nous faisons », par exemple on écrit bien quand on écrit une lettre. On la fait bien et courte plutôt que mal et longue. Oui, pendant le carême, faisons un effort sur ce point là encore. Le bel ouvrage, cette qualité essentielle du Français et essentiellement française, c’est prier de faire quelque chose bien pour l’amour de Dieu. Mon amour chéri, faisons des efforts pendant le carême et puisque nous sommes des hommes, donnons un sens à nos efforts. Je n’ai plus, après un si beau sermon, qu’à vous dire à demain, ma chérie. Adieu donc mon Eugénie. Je vous embrasse de toute mon âme et de tout mon amour. Votre Pierre chéri. PS. : J’ai donné les tickets à Jeanne pour qu’elle touche le KKO à Nogent car je n’en trouve nulle part à Paris. Mais vous ne m’avez envoyé que 3 tickets et vous êtes 6, envoyez donc les autres. Samedi 30 mars 1946 Marguerite chérie, Le docteur 79 est en réalité une doctoresse, moi j’ai le numéro 107. J’ai eu le 79 pendant quelques jours de vendredi à hier matin c’est-à-dire juste une semaine. Il était déjà attribué à une jeune fille quand on me l’a donné. Mais elle était absente assez souvent si bien qu’on
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ne s’en est aperçu que 8 jours après ! On cherchait tous les deux le 79 en même temps. Je n’ai pas beaucoup de courage pour travailler. Je suis sur mon bouquin mais je pense à une jeune fille plus qu’à mon anatomie. Il y a des types qui sont très forts et si vous voulez épouser un externe, je pourrai vous en citer quelques-uns. Quant à moi, depuis 8 jours, je n’ai pas fait grand-chose. Quand je rentre de l’hôpital, je suis fatigué pour le reste de la journée ! D’ailleurs j’ai toujours sommeil, et travailler quand on a sommeil c’est bien difficile. Enfin il faut que je vous laisse dans votre rêve, mais tâchez de ne pas vous tordre le pied en vous réveillant quand vous vous réveillerez. Pauvre chou ! Je voudrais bien vous faire plaisir mais vraiment ! Enfin je vous aime. Je vous aime de tout mon cœur. Et si on n’est jamais que deux pouilleux, ça n’a pas d’importance pourvu qu’on s’aime bien. « Nous nous marierons ensemble, ma charmante, belle Eugénie. » Enfin je travaille quand même, « on ne sait jamais » dirait Marguerite si elle était là, la pauvre pitchoune, mais malheureusement elle est à 180 km et même un peu plus 210 au moins. Il y a combien de Dozulé à Lisieux ? C’est effrayant quand je pense que le concours est dans 11 jours. Dites-moi sincèrement : pensez-vous que je serai reçu ? C’est pour savoir s’il faudra prendre des ménagements pour vous annoncer le résultat. (…) Si j’ai envie d’être reçu, c’est rien que pour vous car moi je m’en f… éperdument depuis trois semaines. Non, je ne m’en fiche pas mais ça me paraît tellement problématique. Et puisque je ne m’installerai pas dans une grande ville, ça n’a qu’une importance relative. Le 98
seul avantage c’est que je me donne un plan de travail. Et puis si j’étais reçu, j’irais perdre mon temps dans un service rébarbatif et ça me forcerait à faire deux ans de plus. (…) Evreux, 1er mai 1946 Guite chérie, Quelle vilaine petite fille vraiment ! Ne pas venir soigner son Pierre. Pauvre chérie, il ne faut pas que je vous dise cela car bien que le disant en blaguant ça risque d’augmenter votre peine, surtout dans l’état de nervosité où je vous ai laissée. Ce n’est vraiment pas facile d’écrire allongé, je vais m’assoir un peu. Vous attendez des nouvelles, eh bien voilà. A droite, ça a continué à enfler et je suis à peu près symétrique. A gauche, ça n’augmente pas, il y a même je crois une légère tendance à dégonfler. Hier, dans le train, j’ai essayé de manger mais j’ai calé après une demi-tartine. Ce matin j’ai voulu goûter un gâteau sec trempé dans mon café au lait mais j’ai vite compris. Quand je ne mange pas, ça ne me fait absolument pas mal, j’en suis quitte pour manger des bouillies ou du potage avec des biscottes bien ramollies. (…)
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2 mai 1946 Ma petite Guite chérie, Si vous saviez ce que je suis malade, vous vous évanouiriez certainement. 37.7° ce matin, 37.5° ce soir. C’est une catastrophe. Et s’il n’y avait pas la « contagion », mes trois semaines de vacances supplémentaires risqueraient bien d’aller à vau-l’eau mais je suis contagieux. Quel dommage que vous ne soyez pas là, ça prolongerait nos vacances ! J’ai été un peu déçu ce matin, j’attendais une lettre mais elle n’est pas venue, ni ce soir. En fait, ne voyant pas de lettre, je me suis imaginé des choses fantaisistes, que vous n’aviez pas reçu la lettre et que vous preniez l’express de 11h ce matin qui n’arrête pas à Evreux et que vous vous retrouviez à Paris à 4h. Le train repartant à 5h moins 20, il arrive ici à 6h30, mais personne. Celui de Caen est arrivé puisqu’il est 8h15, mais personne. Je ne sais pas pourquoi je m’acharne à vous attendre puisque si vous étiez venue, ça aurait été hier, ou bien ce sera dimanche soir ! Vous voyez que si mes mandibules (Oh shocking !!) sont gênées dans leur évolution, mon imagination n’est absolument pas paralysée. Tout va très bien et je m’arme de patience. Je dors, je somnole, puis je lis (Candide, Zadig… Le Club des Culottés, le bouquin scout que j’avais rapporté pour Georges-Claude et dont on a parlé l’autre jour). Je vous ai fait un portrait assez ressemblant de votre joli Pierre. Je croyais avoir désenflé mais la glace ce matin m’a 100
prouvé le contraire. Sur le carton, l’auteur vu par luimême dans une glace. Sur ce papier un orthodiagramme réduit quatre fois. (…) J’espère qu’une bonne âme va bien vouloir se charger de ma lettre. Actuellement tout le monde doit être au mois de Marie. Et notre curé branle doucement la tête en chantant « c’est le mois de Marie… » Hier soir les voisins d’en face rouspétaient tant et plus. Ils sont MRP farouches et justement, par le plus grand des hasards, il y a eu une panne au moment du discours de Maurice Schumann, hasard périodique au moment des sermons de carême. A Paris, au début de l’année, il y avait aussi de ces hasards au moment des discours du Général de Gaulle. (…) Comme je n’ai pas grande activité, je n’ai pas grand-chose à vous raconter, alors je termine ici ma lettre. D’ailleurs 9h sonnent et il est temps que j’envoie mon courrier spécial. Ma petite chérie, je n’ai plus qu’à vous dire chérie chérie chérie, je vous aime aime aime. Je vous embrasse de tout mon cœur qui est à vous pour toujours. Cent mille baisers de votre Pierre chéri. Pierre 3 mai 1946 Mon petit chou chéri, J’ai eu vos deux lettres ce matin. Chic chic chic. J’attends dimanche avec impatience. J’aurai ma source intarissable auprès de moi et j’espère bien arriver à la tarir. D’ailleurs les raisons physiologiques de votre hyperémotivité seront sans doute disparues et si vous pleurez, ce sera de nous 101
revoir après une si longue séparation ! Pauvre chérie, je vous fais enrager mais si je n’ai pas pleuré je n’en avais pas moins un étau qui me serrait les intérieurs. Enfin c’est de l’histoire ancienne et maintenant nous vivons d’espoir. Il y avait deux choses qui m’empêchaient de vous forcer à venir : les élections d’abord puis je me disais si Michel ou Thérèse les attrapent, Mme Gigon restera toute seule. Ça ne grossit plus d’ailleurs, vous pouvez en juger par mon diagramme. Vous trouvez que plus on a de grosses oreilles et plus on est beau garçon ! Moi pas. (…) Donc dans 49 heures…. j’embrasserai tant que je pourrai et je serai embrassé tout autant. On entendra pchiii… et les oreilles seront dégonflées comme par enchantement. Je n’ai pas beaucoup de courage d’écrire à vos parents et peut-être à Mme Comby !!! Je dois écrire aussi à Paris, au patron etc. mais je remets tous les jours au lendemain. En attendant que je le fasse… vous direz bien merci à vos parents. Je suis confus de leur avoir dispensé aussi généreusement le germe des oreillons. J’espère que personne n’en fera usage. Ma Guite chérie, je vous aime et je vous embrasse. Ma soupe refroidit sur la table alors je mange vite. Je vous aime bien bien bien et vous embrasse de même. J’attends dimanche soir avec impatience. Votre petit Pierre chéri. Coutances, le 22août Ma petite Guite chérie, J’ai bien reçu votre lettre ce matin, c’est admirable, elle n’a pas mis longtemps à venir.
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Il est 10h et toute la maison repose depuis une demiheure cependant que j’écris mes mémoires à la façon des grands hommes de lettres. Ce serait bien mieux de le faire à la lueur d’une chandelle éteinte, bien plus poétique n’est-ce pas surtout si j’étais assis sur une pierre en bois. J’en ai écrit 12 pages et je suis à Plancoët. (…) J’ai toujours votre livret de famille. Dois-je vous le renvoyer en recommandé ou le prendrez-vous en venant à Evreux ? De toute façon je le tiens à votre disposition si vous venez le chercher. Pauvre chou, si vous pouviez venir le chercher, je serais enchanté mais hélas cela ne dépend pas de moi. Zaby se maintient assez faiblement. Je ne sais pas ce qu’elle a. C’est essentiellement nerveux. Elle est d’ailleurs très fatiguée et au fond je crois qu’il aurait été plus raisonnable qu’elle ne vienne pas. Elle était trop fatiguée. J’espère qu’elle acceptera demain et après-demain de se reposer complètement et de rester couchée mais avec elle ? Et vous, mon chou, votre œil vous fait-il encore mal, et votre dos, et votre ventre, et votre tête ? On croirait que je m’adresse à une loque humaine, pauvre chou que j’aime j’aime j’aime. Hier nous sommes allés à Coutainville visiter les propriétés de mon capitaliste de frère. 3 hommes, 2 vélos, on alternait pieds et bicyclette et nous avons mis 1h30 pour 12 bons kms. Le soir, nous avons laissé Georges-Claude à Coutainville avec Bernard qui y était à demeure car nous sommes allés faire un tour de barque et avons raté le car de 5h30. Aussi Alain et moi sommes rentrés en vélo. Ce matin, nous devions y retourner mais un des vélos était en panne, l’axe des roues avant en trois morceaux. On en a trouvé un, heureusement et j’ai fini de le poser à midi juste, alors nous avons dîné et cet après-midi il a crachiné, alors nous sommes restés à Coutances. Georges-Claude est rentré ce soir par le car. 103
10h30, tout dort autour de moi et je vais les rejoindre dans les bras de Morphée. Bonne nuit, je vous embrasse. Vendredi Il est l’heure de la levée, je vous embrasse comme je vous aime c’est-à-dire beaucoup beaucoup beaucoup. Votre Pierre Paris, jeudi matin 9h dans le petit jardin de la tour Saint-Jacques. Le jardin est tranquille mais autour quel va et vient. Les Halles finissent à peine et Paris entre en ébullition. Je suis à la porte de chez moi, ils démolissent encore un bout de mur, alors la poussière m’a chassé. Enfin ils reboucheront cela ce soir ou demain j’espère. Actuellement j’ai deux occupations : je travaille et je pense à ma Guite. Le reste est bien peu de chose. J’aimerais mieux ne faire que la seconde mais j’ai un petit reste de raison qui me fait travailler. Ma chérie chérie, je vous aime de tout mon cœur. Hier nous étions ensemble et demain nous y serons encore. Et bientôt nous ferons ensemble une retraite épatante et dans…..nous serons ensemble pour toujours. Nous avons encore une belle perspective et nous n’avons je crois pas le droit de nous plaindre, il y a tellement de gens plus malheureux que nous.
Je sens quelque chose en moi de serré encore, mais en même temps je sens combien je vous aime et tout ce que l’avenir nous réserve de joie et de bonheur. D’un côté je suis tout chose d’une séparation que j’accepte et que j’offre ; d’un autre côté je suis tout heureux de ce feu ardent que je sens en moi, c’est ma Guite qui est là. La 104
chanson à Ursule7, si idiote qu’elle soit, n’est pas si… non au fond, ce n’est pas un feu, c’est une emprise, une possession. Un feu, si on ne l’alimente pas, meurt ; je crois que l’amour ne peut pas mourir. Il peut, peut-être, se transformer en haine mais je crois qu’il ne peut disparaître. Dieu a créé l’amour pour durer toute l’éternité et je crois que l’homme aura beau faire et se démener, il ne peut pas se débarrasser de ce caractère éternel de l’amour. En tous cas, pour nous ce problème n’a aucun intérêt puisque nous nous aimons pour toujours toujours toujours. Et je vous embrasse comme je vous aime c’est-àdire un embrassement qui dure toujours toujours toujours. Votre petit Pierre chéri. Pierre Mercredi 27 novembre Ma Guite chérie, Je vous envoie un petit roman que j’ai lu l’autre jour et que je vous recopie. J’ai trouvé qu’il s’appliquait très bien à vous et je pense que l’auteur vous a connue autrefois. 7
Chanson de Fernandel dont le refrain est : « Oh U! Oh Ursule! Pour toi d'amour mon cœur brûle Il faudrait, il faudrait une pompe à vapeur Pour éteindre le feu qui consume mon cœur »
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Pourquoi « si j’étais à vous pour toujours », estce que vous ne l’êtes pas ? Est-ce que votre parole et la mienne n’ont plus de valeur ? Vilaine petite peste, je ne vous lâcherai pas de sitôt ! « Est-ce que je peux tout vous dire ? » : depuis que nous sommes fiancés, c’est bien la 10ème fois que je vous donne libéralement cette permission et j’espère que demain vous m’aurez écrit de quoi il retourne. Maintenant que vous m’avez piqué au vif, j’ai le droit d’avoir une explication ou bien alors je serai fondé à faire les pires suppositions et muni de cette lettre à vous « trainer devant les tribunaux ». Ah ! Non, zut ! On n’est pas mariés alors je ne peux pas vous mener au tribunal. Je voudrais bien vous « éclairer » mais les dossiers sont un peu vagues et, comme vous dites, je n’ai pas l’essentiel. Enfin je vais aller chez le commissaire faire une déclaration d’autorisation pour que vous puissiez m’écrire de quoi il retourne. Lundi soir, je suis allé chez Albert qui était seul. Zézette est à Evreux. J’y suis retourné hier en sortant de l’hôpital avec ce qu’il me fallait pour travailler et je n’ai eu votre lettre qu’hier soir en rentrant. L’Enigme Roman Il était une fois une petite fille, qui vivait tranquille chez ses parents. Elle avait de beaux cheveux blonds, de grands yeux profonds où miroitaient la franchise et….l’amour. Sa sensibilité était profonde, très profonde, et le jour où elle rencontra l’amour, pour elle la 106
fin du monde était arrivée, sa vie était changée, l’avenir riant et le passé bien loin. Tout son Romantisme naturel puisque libéré pouvait se donner libre cours. Et les rêves à deux, puis avec une petite famille, se pressaient et s’enchevêtraient dans son imagination féconde. Le « Toi » aimé était flanqué de toutes les qualités présentes ou à venir, car s’il ne les avait pas encore toutes, du moins elle était sûre qu’elles viendraient un jour. S’appuyant l’un sur l’autre, ils monteraient toujours pour devenir le ménage parfait. L’attente obligatoire, imposée par les études, était voilée, éclipsée par l’éclat du feu nouveau, chaque jour plus ardent. Ils se voyaient de temps en temps, aux vacances, mais le rythme exigé par un amour dévorant s’accélérait chaque jour, et l’attente devint insupportable à l’un comme à l’autre. Ils s’écrivaient des lettres éperdues et qui satisfaisaient de moins en moins un besoin d’union qu’exagérait encore une séparation plus ou moins bien acceptée. L’Inévitable arrive, notre petite amie vivait de son amour dans un monde auquel elle tenait de moins en moins. Son état psychologique d’amoureuse faisait vivre son esprit dans un monde fictif où son amour était le maître incontesté tandis que son corps se débattait sur la Terre. L’Entente entre le corps et l’âme, qui réalise un équilibre stable, était rompue, et l’équilibre concurremment détruit. La dissociation théorique s’accompagnait d’une dissociation pratique, et notre malade d’amour présentait physiquement un certain nombre de symptômes, parmi lesquels je citerai : un mal particulier à se lever le matin, un manque d’entrain qui
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freinait sa vivacité naturelle, une humeur irrégulière, j’en passe et des meilleures. Son âme, irritée d’une désobéissance du corps, désobéissance qu’elle se sentait incapable de maîtriser immédiatement du fait de la dissociation signalée plus haut, s’énervait et vous imaginez vous-même le cafard qui s’en suivit. Le cafard, c’est la décrépitude de l’esprit qui devient incapable de juger, prend le bien pour le mal et parfois le mal pour le bien, s’exagère la moindre difficulté. Ainsi n’est-il pas rare de voir les cafardeux s’accuser des plus grandes fautes. Un soir de cafard, notre petite fille écrivait à son doux ami : « Je voudrais vous dire des tas de choses mais je n’ose pas. (…) Cela m’aiderait pourtant. » ; « Je me demande si je peux » ; « Je ne suis pas chic. » ; « Je n’oserai plus vous regarder en face » ; « J’ai peur de vous faire de la peine » ; « vous me croyez meilleure que je ne suis » ; « je voudrais être très très loyale envers vous ». Vous attendez un indice au moins, peut-être deux. Eh bien vous serez déçus, il n’y a rien qu’une mise en page importante, vous lisez avec inquiétude, vous dévorez fiévreusement le reste de la lettre, mais non ! L’Esprit ne commande plus le corps ! Le respect humain l’a emporté, l’esprit apeuré, mais le corps, la main du corps, a refusé de transcrire. Et si je ne vous avais pas expliqué, cher lecteur ou lectrice, la raison de cet acte, vous pourriez attendre un dénouement de Roman Policier. Une fuite. Une disparition de l’amante au grand désespoir de l’amant qui se jette à la Seine. 108
Mais non ! Tout cela n’est que du bluff, car nos héros sont chrétiens, et le dénouement est tout autre. L’amant qui connaissait l’amante au profond d’elle-même, et pas comme ces zéros du roman policier, a vu dans ce désarroi une preuve de confiance et un sursaut d’amour. Il enrage de ne pouvoir prendre la tête chérie contre son sein généreux mais offre cette nouvelle déception pour sa Guite chérie. Le nom m’a échappé, vous savez maintenant le nom de l’héroïne et je serais indiscret de continuer. Lui NB. : Ils seront mariés, seront très heureux et auront beaucoup d’enfants comme dans tout roman digne de ce nom. Copyright by Davy et Cie Il y a combien de jeunes filles qui ont rêvé en lisant un roman et qui ont désiré en vivre un ! Et il y en a combien qui l’on vécu effectivement ! 3 décembre 1946 Guite chérie, Dimanche « On ne s’aime jamais comme dans les histoires. S’aimer c’est lutter constamment contre des milliers de forces cachées qui viennent de nous ou du monde. » Jean Anouilh 109
Mardi
Je continue sur cette feuille où j’avais marqué une citation du Carnet de la JEC. Il y en a de pas mal. Je voulais commencer par vous envoyer des tickets de savon. Vous en avez sûrement dépensé pour votre dernière lettre. Et justement je n’en dépense pas, je meurs d’envie d’être pouilleux. Je me vois très bien faisant les poubelles ou raclant les ruisseaux. Quel dommage que vous ne vouliez pas partager une aussi belle existence. Vous êtes une bourgeoise finie. Mais vous avez raison, ça fait du bien d’être secoué de temps en temps. Je vous ai dit souvent de le faire. « Tout vient à point à qui sait attendre » et c’est venu. Je vous remercie, je ressens une peine que je crois salutaire après avoir lu et relu votre lettre. J’aime bien mieux ça qu’une lettre où vous répétez 36 fois « je vous aime » parce que ça prouve que notre amour est capable de résister aux petites intempéries inévitables. Je voudrais que mon « optimisme béat » ou mon « je m’enf…tisme » ne minimise pas trop les effets de cette lettre. Trop dure ! Non, je ne vois pas de dureté làdedans – je n’y vois que de l’amour. (…)
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1947 Paris, vendredi midi, 3 janvier 1947 Guite chérie, Si on avait su, j’aurais pu vous attendre car mon train est parti seulement à 6h50 c’est-à-dire à l’heure du vôtre. Il y avait une quantité de soldats de camp d’aviation qui embarquaient et ils étaient en retard. L’exactitude militaire. Avec ce brouillard en plus de la nuit, je n’ai pas pu vous revoir et je n’osais pas laisser mon jambon tout seul. Il attend paisiblement que je le porte chez son destinataire. Mon voyage fut allongé de 25 minutes environ par l’attente du départ. Et il ne faisait franchement pas chaud. J’espère que vous êtes chauffés dans votre train ! Je vous aime, ma chérie, et je suis relativement gai malgré cette nouvelle séparation. Nous nous sommes quittés avec un grand espoir et une plus complète confiance dans l’avenir. Il y a de quoi être gai complètement et pourtant, un petit moment, ça me serrait mais j’ai vite rétabli la situation. Non, vraiment, je ne suis pas comme les autres fois. D’habitude nous nous quittons comme des chiens battus, avec une attitude passive et démoralisatrice devant la catastrophe tandis que cette fois j’ai une impression de puissance, de dynamisme. Nous avons une attitude active et conquérante qui engendre la joie et le bonheur. Oui, la vie est à ceux qui savent vouloir. Ceux
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qui savent vouloir se lever le matin, se quitter sans chagrin … et vaincre toutes leurs tendances mauvaises. Nous serons de ceux-là, n’est-ce pas. Ensemble tout est possible, nous nous transformerons. « Avec notre ferraille nous forgerons l’acier victorieux. » Alors en avant, jeunes joyeux actifs conquérants.
Dimanche 5 janvier 1947, 3h30 Guite chérie, Ah ! Ça va mieux que la lettre précédente que je viens d’écrire. J’écrivais aux tantes pour le nouvel an et je n’avais rien de sensationnel à raconter ! J’en ai mis 4 pages quand même mais j’y ai mis le temps. Heureusement qu’avec vous cela glisse tout seul. Bon !! Il ne fait pas très chaud et mon âme s’en ressent. Chérie, chérie, il y a mon cœur qui fonctionne comme une chaudière de chauffage central. Si vous êtes en verve, vous devriez mettre un petit mot aux tantes, elles seraient très flattées, mais ce n’est pas indispensable et si cela vous embête trop, ne le faites pas. Je suppose que les convenances exigent que j’écrive à vos parents mais… je ne sais pas quoi dire. Faites-moi un brouillon. L’autre soir je suis allé porter votre petit paquet Bd de la Motte-Picquet. J’ai vu Monique, sa mère, sa fille et son fils. Michel vous réglera par CCP. J’ai laissé le n° et le prix etc. Alors je transmets tous les remerciements à qui de droit. 112
Hier, je suis allé comme d’habitude à l’hôpital et l’après-midi je suis allé à la fac pour le cours de 2h mais ces messieurs prolongent leurs vacances, alors pas de cours. Je suis alors rentré chez moi pour avoir une lettre mais il n’y en avait pas. La poste est évidemment surchargée de travail et c’est la mauvaise période pour les amoureux. Le soir, je suis allé présenter mes vœux à mon cousin André Piquois et j’y ai fait un dîner succulent. Potage, rillettes, rôti de porc, pommes sautées au beurre, salade, fruits, 2 mokas, thé, rhum, Calvados vieux, le tout arrosé d’un Bordeaux généreux. Je vous mets l’eau à la bouche pour quand vous viendrez car vous êtes invitée la prochaine fois que vous viendrez à Paris. Je vous surveillerai sans quoi vous risqueriez de partir sur la tête. Ce midi, j’ai mangé chez moi car mon oncle Gustave n’était pas chez lui, alors je me suis cassé le nez sur sa porte. Je suis passé chez mon boucher et j’ai mangé un repas à ma façon. Pâtes, beefsteak et 2 crêpes. Je n’avais pas de pain car je n’ai pas apporté de tickets, je devais en prendre chez Tonton Gustave ce midi. Il est parti faire un remplacement du côté de Grenelle. Ce soir, je vais m’inviter chez Jean mais auparavant il faut que je porte cette lettre à Saint-Lazare. Voilà 20 Frs de métro dans une journée ! Ce n’est pas drôle de vivre à Paris. J’avais l’intention d’écrire aussi aux filles mais je n’ai pas le temps, ce sera pour plus tard, une fois de plus. Ma Guite passe bien avant elles, n’est-ce pas. Ce matin je suis allé à la messe de 11h et pour cela je me suis réveillé vers 11h. Mon réveil disait 11h mais l’exactitude n’est pas son fort. Je suis arrivé un peu avant l’Epître. Je m’étais réveillé vers 8h30 mais j’ai 113
profité qu’il n’y a pas d’hôpital le dimanche. C’est bien commode maintenant qu’on donne la Communion à toutes les messes. Et je commence à être un habitué de cette messe. Demain je commence mon nouveau métier. J’espère que cela rendra et que… vous devinez la suite. Ce serait quand même épatant. On aurait attendu un temps raisonnable. Est-ce que vous avez été une bonne fille courageuse, gaie et vivante. J’espère que oui, ma chérie chérie que j’aime. Je voudrais que vous soyez toujours toujours gaie et heureuse, comme cela on aura un foyer épatant. En attendant, je vous aime et je vous embrasse de tout mon cœur. Votre Pierre. Mardi 7 janvier 1947 Guite chérie, Je suis un très très vilain petit voyou car ce matin je ne suis pas allé à la messe. Mon réveil a sonné un peu en avance, alors pour ne pas me rendormir, et tout en me faisant de beaux raisonnements, j’ai allumé mais aussitôt après il y a eu la panne et je me suis réveillé à 9h moins le quart si bien que j’étais même un peu en retard à l’hôpital, d’autant plus que sur la ligne 75 il n’y a pas d’autobus très fréquemment. Le métro ne va pas plus vite car c’est la ligne Chatelet-Lilas ou bien alors descendre à Gare de l’Est mais on met plus longtemps je crois. (…) Enfin le fait est là, je suis encore paresseux et mon expérience montre que de beaux projets et de beaux 114
raisonnements ne suffisent pas. Il faut un geste presque héroïque sans quoi notre « école de la volonté » risque d’aller à vau-l’eau. Aussi, demain je suis fermement résolu à obtempérer au signal de mon réveil, même s’il sonne un quart d’heure trop tôt, parce que j’ai besoin de me retremper dans le Christ et par lui de vous retrouver. Hier j’ai fait mes premières armes de voyageur de commerce. C’est bizarre, avec ces gens que je ne connais pas, je ne suis pas trop timide. Jusqu’ici les résultats ne sont pas sensationnels. Enfin un peu de foi et on soulève les montagnes. Si ce n’est pas cela, ce sera autre chose mais nous nous marierons bientôt. J’avais deux lettres hier ! La Poste ne fonctionne pas si mal pour un 6 janvier, alors quand on nous dit que la France est pourrie, il faut rire au nez de ces pessimistes. (…) Je crois aussi que c’est parce que nous avons fait miroiter l’espoir de se marier bientôt que les derniers moments ont été ce qu’ils ont été mais si je n’en ai pas systématiquement parlé les autres fois c’est parce que c’est dangereux pour des gens nerveux. Si on s’habitue à la pensée de se marier en septembre et qu’après on ne puisse pas pour une raison ou pour une autre, vous imaginez la déception et l’état dans lequel ça vous mettrait, ça nous mettrait même, parce que si je suis moins nerveux que vous, le choc serait quand même violent. Alors il faut jouir de cet espoir mais sans s’y adonner trop tant qu’il reste problématique. Or vous savez qu’il y a encore bien des problèmes à résoudre d’ici là. Mais, en même temps, cet espoir n’est pas inutile car il nous stimule certainement. En attendant je vous 115
aime, parce que vous êtes une petite fille joyeuse et que cette jeune fille joyeuse est justement ma Guite, celle qui sera ma petite femme pour toujours, qui devra me soutenir de temps en temps et partager toutes les joies et toutes les peines, tous les espoirs et toutes les désillusions, c’est-à-dire tous les événements qui rompent et qui forment en même temps le train-train de la vie. Or chacun de ces événements, quand il est vécu et partagé avec un être aimé, nous unit davantage à cet être si bien qu’on sera toujours plus « un » jusqu’au jour où nous serons un pour l’éternité. (…) Votre Pierre chéri. Mercredi 15 janvier 1947 Guite chérie, Mon état d’âme. Eh bien je suis un peu débordé. Je sens que j’ai un travail fou et j’ai l’impression de ne pas avancer vite. Pourtant je vais aux cours et entre, je travaille à la bibli. Le soir je travaille encore de 9 à 12 au moins mais la qualité doit être médiocre parce que j’ai cette impression de patinage. Pourtant il faut, si je veux une bourse, et je le veux, il faut que j’aie de bonnes notes à l’examen. A l’hôpital c’est un peu pareil, mais tout le monde en est là car personne n’a encore fait de dermato. Et puis il n’y a rien de bien précis. Il n’y a pas beaucoup de signes certains et celui qui n’est pas spécialisé doit toujours nager. Un peu avant ma philo j’avais lu un truc qui disait : « Si en sortant de philo tu te poses des problèmes 116
c’est que tu as fait une bonne année ; si tu sors de philo en ayant résolu des problèmes, tu as perdu ton temps. » Je crois que la dermato c’est un peu cela. Il y a évidemment des exceptions qui confirment la règle. Au fond si, je sais ce qui me déborde, c’est ce qu’on espère, c’est de se marier. Cela pose tellement de problèmes qui sont difficiles à résoudre. Et pourtant nous le voulons. Quand j’entends dire qu’un tel attend un appartement pour se marier, ça me fait un petit coup. Et quand je sors mon portefeuille pour n’importe quelle dépense je me dis : ce qu’il en faut ! Quand je travaille ici, j’ai toujours plus ou moins cela derrière la tête et… Non, je crois que la solution ne vient pas tant de nous que de Dieu. Il faut avoir une grande confiance et je n’ai pas du tout de mal à me priver de votre visite parce que j’ai l’impression que notre sacrifice nous rapproche l’un de l’autre. C’est en fonction de ces sacrifices que le Bon Dieu nous unira en septembre ou qu’il ne fera pas attendre encore. Les gens diront : ils ont de la veine d’avoir trouvé à se loger, et nous dirons merci mon Dieu qui nous avez exaucés mais il ne nous exaucera que dans la mesure où nous le mériterons. Au fond je ne vois pas de solution humaine directe. Il doit y avoir dans cette sorte de découragement une part de désillusion. Au fond je me croyais déjà riche avec mon journal et mon internat ; alors cela me donne sans doute un peu de spleen. Nous sommes toujours pareils, vous voyez, on est bien faits l’un pour l’autre. Ce soir je vais aller à Franconville. Zézette est à Evreux et je devais aller tenir compagnie à Albert. Il m’a mis un mot lundi et je l’ai trouvé à 9h le soir en rentrant, 117
et hier je ne pouvais pas y aller car je suis allé faire une petite séance d’affichage. Cela me gêne un peu de vous dire cela parce que je vois votre réaction. « Peuh ! Ça ne sert à rien. Je n’y crois pas au fond ! Toutes vos histoires… » Voilà ce que me dit Guite. Or moi j’y crois, j’y crois énormément et je considère cela comme un devoir. Si je n’avais pas Marguerite avec moi je n’aurais pas hésité une seconde à m’engager pour l’Indochine au mois de décembre quand il y a eu de la bagarre. J’ai l’impression que vous vous seriez dit la même chose « Peuh ! Babiole. Au fond je n’y crois pas à vos histoires. » Il y a des gens qui savent ne pas rendre leur vie monotone. Pour cela ils sortent d’eux-mêmes. Je ne sais pas ce qu’ils feraient dans votre cas mais vous le trouverez peut-être. Bien sûr vous avez quelque chose à faire toujours mais il n’y a que les gens qui ont trop à faire qui sont occupés. Toutes les vieilles filles ont des tas d’occupations à faire parce qu’elles n’ont rien à faire et qu’elles attribuent beaucoup d’importance à des tas de babioles, ce qui fait rire le monde, et c’est cela qui les différencie du monde. Bien sûr je ne vous compare pas à une vieille fille, je veux simplement vous dire que moins on a de choses à faire et plus on en a. C’est pendant les vacances que j’ai le plus de choses à faire et je n’en fais aucune. Je vous quitte, ma chérie, en vous embrassant bien fort comme je vous aime. Pierre
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Paris, le vendredi 19 janvier 1947 Ma Guite chérie, 4h, une petite chambre sombre Un homme assis écrit… Un réveil fait tic tac C’est l’hiver. Voilà qui est digne d’un poète moderne et quel Roman à écrire ! Un jeune amoureux vit à Paris loin de sa fiancée. Ils n’ont pas le sou, alors ils ne peuvent se marier. Oh ! Mais c’est vrai qu’on en a déjà parlé du Roman à écrire. Quand on en lit un bien, on a envie de le vivre et quand on le vit, on a hâte qu’il soit fini. Mais celui-ci finira, Dire merci, et il finira bien. « Ils furent heureux et eurent beaucoup d’enfants. » Et puis ils ne sont pas à plaindre parce qu’ils se retrouvent quatre fois par semaine tandis que de nombreux incroyants qui sont séparés tout pareil n’ont pas cette ressource supérieure, ressource a même un petit sens péjoratif qui ne me convient qu’à moitié car qui, en la matière, dit ressource sous-entend « pis-aller » (je ne sais si ce terme est familial ou général) Or, les joies de l’union dans le Christ sont un idéal et non un pis-aller. Et puis je ne les plains pas nos deux jeunes premiers parce qu’ils sont à l’école de la formation. On n’est heureux que quand on a conquis son bonheur en mangeant de la vache enragée pendant un certain temps. Certains jours mes châteaux en Espagne de jeunesse étaient bizarres. Alors que ceux de beaucoup de 119
gens sont d’être riches etc., j’ai souvent rêvé d’être pauvre domestique d’un maître hargneux ou des choses équivalentes. C’est une vocation bizarre, n’est-ce pas. Naturellement, comme tout orgueilleux qui se respecte, j’avais le beau rôle parce que je subissais les injustices sans rien dire. Hélas ! C’est bien loin de la réalité et si je m’étais trouvé dans cette situation, je crois bien que j’aurais réagi tout différemment. Je crois qu’il y a là simplement un besoin de sacrifice. Vous m’avez dit déjà que vous sentiez de temps en temps un besoin, analogue, de sacrifice. C’est bizarre que lorsqu’il se présente on a souvent beaucoup moins d’entrain à le supporter. Si, pourtant, je crois que le dernier a été très bien accepté mais nous avions une aide pour ce faire. D’ailleurs le sacrifice le plus difficile ce n’est pas un grand coup de temps en temps mais celui qui n’est presque rien à faire par soi-même mais devient énorme par sa répétition. Au fond c’est l’habitude du sacrifice, c’est toujours pareille école de volonté. Je ne sais pas pourquoi je pense à cela mais puisque j’y pense au moment de vous écrire, je vous l’écris, ça n’est d’ailleurs pas très bien ordonné. D’ailleurs qu’est-ce que j’ai à dire d’autre que ce que je pense ? Ce que je fais est réduit ou du moins, si ce n’est pas réduit, c’est peu varié. Entre l’hôpital le matin et travailler à la bibli ou chez moi il n’y a pas grande variété. Il faudra qu’on sache d’avance quand vous viendrez pour que je puisse prendre des places dans un concert ou un théâtre quelconque. Concert romantique s’il y en a ou Wagner.
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Je n’ai pas pensé à vous dire que vous êtes reine. Car je suis roi. On a tiré les rois lundi à Franconville et vous êtes reine. Je vous félicite de cet heureux événement et quand je serai riche, je vous paierai une couronne en or. J’avais aussi des vœux à vous transmettre de la part de plusieurs personnes mais je ne sais plus très bien qui. Et des remerciements de la part de Jeanne. Les gants sont ric rac et il ne pourra pas les mettre bien longtemps. Il les a déjà mis pour sortir l’autre jour, petite promenade dominicale entre Papa et Maman. Je vous embrasse dans le petit cou de tout tout mon cœur. Je vous aime. Pierre. Vendredi soir Je suis sidéré. Comment avez-vous lu ma lettre ? A la lumière d’une chandelle, et assise sur une pierre en bois. Où Diable êtes-vous allée chercher que je vous trouvais nouille. Je vous ai écrit au fil de la plume, aussi je ne sais plus ce que j’ai mis mais je n’ai jamais pensé que vous fussiez nouille et je ne sais pas comment vous avez pu penser cela. Quand j’ai lu au début de votre lettre « ma réaction a été une crise de larmes », j’ai bien cherché ce qui l’avait provoqué et quand j’ai lu la raison de cette chose et bien, je n’ai pas compris, même maintenant après 2h30 de recul. Je ne comprends pas. J’ai le cœur lourd des gens qui ne pleurent pas facilement, je voudrais vous serrer bien fort sur moi pour vous montrer ma vraie pensée et pour consoler ce chagrin dont la raison m’échappe. Je ne croyais pas vous avoir dit 121
quelque chose de méchant et je pense que c’est un malentendu ou plutôt mal écrit parce qu’hélas je pourrais crier de toute ma voix que vous ne m’entendriez pas. Pauvre chou. Je vous aime bien bien. Enfin, les larmes nous rapprocheront. Vous vous rappelez, les rares fois où on a pleuré ensemble ont toujours amené après une période plus intime. Voyons le corps du délit : si d’abord se marier n’est pas aussi compliqué que cela, et j’ai bon espoir. Sur ce point je reconnais mes torts, même avant votre lettre je les avais reconnus. Je devais avoir le cafard en vous écrivant. (…) Il n’est pas question de vous laisser derrière, mon chou, parce que vous n’y êtes pas. Nous ne faisons qu’un, nous sommes ensemble et solidairement responsables de nous deux. Est-ce que c’est ce passage qui vous a fait pleurer ? En tous cas vous ne le comprenez pas avec le sens que moi je lui donne. Vous considérez cela comme une attrapade alors qu’il ne comporte pas le plus léger reproche. (…) C’est votre dernière lettre qui me disait que votre vie était monotone entre vos lectures… Et vous sembliez déplorer cette monotonie. Il est donc naturel que vous essayiez de rompre cette monotonie car un saint triste est un triste saint, et la monotonie est une source de maladie chez les jeunes filles. Par conséquent, vous devez essayer d’être toujours gaie et vous y étiez résolue ces jours derniers. Or il y a des gens gais sur terre. Vous le savez aussi bien que moi, ces gens gais je ne sais pas comment ils font mais ils sont gais et leur vie n’est pas monotone. 122
Les gens qui sont toujours gais, quand ils sont loin de leur bon ami Pierre, arrivent à être gais quand même. Je ne sais pas où ils prennent leur gaieté ! Voilà, je crois, la même chose dite sous une autre forme. Mais qu’est-ce que cela a de triste ? Je ne vois pas ce qui peut déclencher une crise de larmes ! Je vous conseille de prendre modèle sur les gens gais et vous pleurez, alors je ne comprends plus ! Vous êtes habituée, petite mâtine, à ce que ce soit moi qui travaille, qui pense et qui dise : « Faites ceci, faites cela ». Alors comme je ne vous ai pas mis la recette de cuisine habituelle, vous croyez que je ne veux pas vous la dire ! Simplement je ne la connais pas, je ne sais même pas s’il y a une recette ou si c’est un état d’âme qui est expansif. Sur le moment je croyais sans doute que c’est en sortant de soi-même et, au fond, je le crois encore qu’on peut être gai, parce qu’en sortant de soi on change son état d’âme. Vous me disiez au début de cette lettre : « Je me suis levée tôt (traduisez : j’ai fait un effort ou, ce qui revient au même, je suis sortie de moimême) et je me sentais plus gaie, plus heureuse ». C’est au fond le même train-train que dans nos lettres précédentes, dit d’une façon différente et qui, nous l’avons vu, doit être moins heureuse. Vous soulignez « je ne sais pas ce qu’ils feraient dans votre cas, vous le trouverez peut-être ». Puisque je ne le sais pas, comment pourrai-je vous le dire ? Nous cherchons quelque chose, moi je ne le trouve pas, eh bien je souhaite que vous le trouviez ! J’ai beau me creuser la tête, je ne vois aucune difficulté d’interprétation !
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Vous deviez avoir mangé des cailloux et être troublée par une digestion difficile. Pauvre chou, si je vous fais enrager, ça ne va plus marcher. Il n’est pas question de vous laisser derrière, mon pauvre chou, je vous l’ai déjà dit. Quant à vous traiter de vieille fille, je ne croyais pas que ce que je disais pouvait vous insulter du tout. Un petit garçon qui met son doigt dans le nez, on lui dit : « Si tu continues, ton nez va pousser et il faudra le porter sur une brouette ». Vous êtes le petit garçon et la vieille fille, c’est le nez sur la brouette. Est-ce clair ! Vous aviez vraiment les idées noires ou alors je m’exprime comme un manche à balai. Comment pouvezvous penser que je n’ai pas envie de vous voir ! Vous savez bien ce que j’en pense, vilaine fille, et je crois que ce n’est pas la peine de vous répondre, d’autant qu’il est 8h10 et que je dois porter cette lettre à Saint-Lazare tout à l’heure. Mon restaurant va être fermé, alors je me dépêche de vous embrasser, vilaine fille aux idées noires. Et tâchez de ne plus penser d’aussi vilaines choses de votre Pierre qui vous aime beaucoup beaucoup et sera très heureux, quoi que vous puissiez en penser, le jour où vous viendrez le voir à Paris. Les dernières lignes sont écrites dans le métro alors !!! Je vous embrasse mon chou chéri beaucoup beaucoup comme je vous aime. Pierre
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Mercredi 5 février 1947 Petite Guite chérie, Alors comme cela vous êtes déçue par ma lettre de l’autre jour parce qu’il n’y avait pas chérie à chaque ligne. Je vous ai dit déjà souvent pourtant que j’avais horreur de ce mot-là. De deux choses l’une, ou je l’emploie sans y penser avec vous sans y attribuer de valeur ou bien je le mets à contrecœur parce qu’il ne traduit pas ma pensée. Je ne peux pas employer le même mot en vous parlant à vous alors que je l’entends employer à toutes les sauces par des gens qui ne s’aiment absolument pas. Les femmes qui font le trottoir n’ont qu’un mot à la bouche « chéri ». Est-ce que vous pouvez comparer notre amour au mobile qui fait agir ces femmes-là ? Et pourtant, à d’autres moments, ma chérie c’est ma chérie. Et c’est ma Guite à moi. Si, au fond, ce terme garde sa valeur dans l’intimité ; alors là, ma chérie, oui, c’est vraiment ce que j’ai de plus cher, mais dès qu’il y a un tiers, quel qu’il soit, rien que d’entendre ce mot, cela me fait mal. C’est probablement parce que je ne suis pas expansif. Les sentiments les plus intimes, cela s’exprime seul à seul avec celui ou celle qu’on aime. Et ce qui me gêne c’est en employant ce mot en public de dévoiler tout le fond de mon âme, preuve justement que ce mot a une grosse grosse valeur puisque rien que de le dire, cela traduit toute mon âme. Ma petite Guite, je vous aime beaucoup beaucoup et j’espère que vous viendrez bientôt, les Rameaux étant le 30, le milieu du trimestre c’est le 14, donc le 14 devrait être le milieu de votre séjour à Paris. 125
Paris, samedi 8 février 1947 Ma Guite chérie, Pauvre chou, je sais bien que vous avez été frustrée d’une lettre et j’avais l’intention de vous écrire jeudi mais je n’ai pas eu le temps. Je prends du retard chaque jour, alors il n’y a pas de solution possible ! Je voulais vous écrire mais mercredi soir, je me suis couché à 2h du matin, alors si je vous avais écrit, cela aurait fait 3h, et je ne pouvais pas jeudi matin. Je ne suis pas allé à l’hôpital parce que je ne savais pas l’heure, ma montre est détraquée et 35h par jour environ. Et mon réveil n’était pas remonté. J’en ai profité pour me laver trois paires de chaussettes parce que je n’en ai plus et j’aurais dû aller nu-pieds. J’ai dû écrire à Evreux pour renvoyer des cartes d’alimentation qu’ils me demandaient et à Coutances parce que j’ai reçu au début du mois deux paquets pour lesquels je n’avais pas remercié encore… faute de temps. Demain dimanche, la levée est de bonne heure et je ne vais pas mettre cette lettre ce soir. Pendant les vacances de Pâques j’écrirai une dizaine de lettres d’avance, comme cela, quand je serai trop en retard, je n’aurai que des mots d’actualité à ajouter au bout. Il paraît que j’écris mal, c’est Papa qui m’a écrit cela. C’est normal : j’écris trop. Cela me fait mal dans le bras. L’autre jour où j’avais séché le cours de l’hôpital j’avais écrit 30 pages dans la journée. Après il reste à les apprendre. Albert aurait dû se mettre papetier et non pas horloger, j’aurais dévalisé sa boutique.
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Votre lettre de ce matin me confond. Je regrette bien de vous mettre dans cet état par mes irrégularités épistolaires. Vous avez l’air de croire que j’ai arrangé un « système » pour ne vous écrire que 3 fois cette semaine, comme si c’était exprès et prémédité. Vous êtes une vilaine fille et je ne vous aime pas quand vous êtes nerveuse. J’aime beaucoup les gens qui savent se dominer et rester maîtres d’eux-mêmes. Quand vous me dites que j’ai mon compte, c’est une erreur. Quatre lettres par semaine, cela ne me suffit absolument pas et pour que j’aie mon compte, il me faut la fille qui les écrit pour toujours toujours. Et tant que je ne l’aurai pas, je serai insatisfait. Et même quand je l’aurai, ma Guite chérie, il faudra qu’elle ne soit pas nerveuse, sans cela je la calmerai avec un seau d’eau. Et pas avec un sot, ni avec un sceau municipal. C’est très mal d’être nerveuse comme cela et je fais les gros yeux. Vous avez l’air de vous complaire dans votre nervosité. « Eh bien, je suis nerveuse comme je suis blonde ou comme j’ai du poil aux pattes ». Mais je ne suis pas du tout de cet avis-là. Et quand vous vous jetez sur le facteur, tâchez de ne pas le renverser ni de lui faire mal. Qu’est-ce que ce nouveau verbe : paiser ? L’impératif donne Paix ! Alors je crois comprendre, et si la séparation vous « paise » (donne la paix) alors tout est très bien. J’ai pourtant à moitié peur en employant ce verbe inconnu de faire un contresens. En tous cas, comme adoration, cela se pose là ! Je vous charrie, mon pauvre chou, et comme vous prenez tout à la lettre, cette lettre risque de vous flanquer encore le cafard. 127
N’ayez pas peur, ce que je dis c’est pour vous stimuler et je vous aime bien bien. Alors confions-nous bien de tout notre cœur au bon Jésus qui saura bien arranger les choses si nous faisons vraiment des efforts. Au revoir ma petite Guite chérie, je vous aime beaucoup et j’espère que vous serez bien sage et moins nerveuse. Moi aussi je voudrais vous avoir dans mes bras mais pourquoi désirer ce qui est momentanément impossible ? Au lieu de cela, pensons à autre chose et soyons gais, toujours gais. Si vraiment nous avions Dieu dans notre cœur nous serions toujours gais, car Jésus c’est le bonheur infini. Je vous embrasse encore. Votre Pierre chéri. Le 11 mars 1947 Ma petite Guite chérie, Je vous remercie de vos vœux et j’espère qu’ils seront exaucés, à partir de maintenant lorsqu’on fait des vœux à l’un ils s’adressent autant à l’autre, car nos vies sont liées pour l’éternité. Et tout ce qu’on peut me souhaiter vous touche autant que moi. Les résultats de l’externat sont parus et malheureusement, ou heureusement, au fond je n’en sais rien, je ne suis pas sur la liste des élus. De Caen il y en a 3 je crois : Dupont, Dercombe (le fils du dentiste) et Charpentier. C’est Jacques Jean qui m’a apporté cette nouvelle, lui aussi est collé, ainsi que tous ceux que nous connaissons et qui se présentaient, sauf un de Paris. 128
Le médecin chef m’a répondu, le nombre des candidatures était très élevé etc. … ils ne peuvent plus engager de personnel avant que le service soit établi définitivement. Pour l’histoire de l’appartement, cet espoir sera peut-être comme le précédent, on verra bien ! Je commençais à vous écrire tout à l’heure quand est arrivée cette visite inattendue dans ce taudis. Tout était en l’air comme d’habitude mais c’est normal chez un garçon vivant seul. Il va voir le film du pèlerinage à Chartres, alors j’irai probablement avec lui s’il y a des places convenables à un prix accessible. On verra bien. Ce matin, j’avais une lettre d’Evreux en plus de la vôtre. Papa me dit : « Je suppose que Marguerite t’a dit…. », mais elle ne m’en a pas parlé. Vous n’avez pas été loquace sur votre voyage. Il faut que j’aie des nouvelles par un tiers. S’il y a -5° à Dozulé, il y a au moins 10 ou 15 audessus à Paris. Il fait trop chaud et on se promène en maillot de bain. Pas tout à fait encore mais presque, il fait très beau, sauf qu’il a plu cette nuit et aussi, je crois, hier. Cela fait de la gadouille pour mes chaussettes blanches. (…) C’est du beau de rager parce qu’on rate la messe. Quand on va à la messe, on devrait être dans un tel état d’esprit qu’on ne rage pas à la 1ère occasion ! (…) Vous avez du toupet de me demander pourquoi je n’ai pas « assez bien » à ma colle ? Je termine vite parce qu’il est tard et je dois porter cette lettre pour qu’elle arrive. Je vous embrasse bien bien fort comme je vous aime. 129
Votre Pierre chéri. Samedi soir Ma petite Guite chérie, Ma fenêtre est ouverte et j’entends le fin gazouillis ! Hélas… l’horrible charabia des gens du quartier. Et ach ! ach ! ach ! J’entends aussi un poste TSF qui joue une musique genre chevaux de bois. Enfin c’est le quartier qui veut cela. 9h15 c’est une heure sympathique et la nuit tombante sur une campagne calme, ce serait une joie ! Enfin cela viendra quand nous aurons une belle maison au milieu d’un parc de grands noyers et châtaigniers !! Nous passerons ce qui nous restera de soirée à prendre le frais en nous reposant sous les châtaigniers (attention dans la nuit on ne doit pas se mettre sous un noyer). Nous avons encore de belles heures à vivre si Dieu le veut. Et j’ai pensé à croire que les fiançailles sont le plus beau temps. Le mieux, à mon avis, doit être les premières années et au-delà de cinquante ans de mariage quand on a la chance d’avoir une petite retraite tranquille. Mais quoi qu’il vienne, nous serons toujours heureux et nous chanterons par notre bonheur la gloire du Seigneur aussi bien que le gazou que j’entends maintenant à la place de la musique de chevaux de bois. Cet après-midi j’ai passé une colle de TP de Méd. Op. et j’ai attrapé un « Mal », ce qui n’a aucune importance d’ailleurs ; ce qui importe c’est l’examen de
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lundi. J’ai pourtant appris pas mal de choses élémentaires ces jours-ci, il faut croire que c’est encore insuffisant. J’étais à travailler à la bibliothèque de la fac, aussi je ne suis pas allé à la première causerie sur le mariage. Je suis allé à la seconde, faite par un docteur qui « expliquait » et ses explications ne m’ont pas appris grand-chose si ce n’est qu’il mélange centrosome et chromosome. Vos souvenirs de philo doivent vous permettre d’être aussi savante que lui. Ensuite il a chanté les louanges de Mendel parce qu’il était curé mais, en tant que Français, il aurait pu faire mention de Wadand qui fit les mêmes découvertes en même temps et qui a donc exactement autant de mérite. (…) Vendredi 25 avril 1947 Guite chérie, Je vous répondrai un jour à la question sur la prédestination de l’amour mais je n’ai vraiment pas eu le temps. (…) Oui, j’ai lu aussi il y a trois mois dans une « presse médicale » ou autre journal de même genre un article sur le relancement du cœur par massages etc. C’est assez curieux en effet. Ils donnaient des statistiques assez fortes de réussite. Il s’agissait surtout de malades atteints de syncope en cours d’opération. J’avais lu cela à Saint-Louis et je n’avais pas tout à fait fini l’article quand la sonnette de fermeture m’a obligé à partir. Cela a dû vous abasourdir car je me rappelle vous avoir dit que 131
l’âme ne quittait pas le corps immédiatement, que je ne savais pas dans quelle mesure elle la quittait, ce qui vous avait paru être une horreur digne d’un hérétique. En réalité, la vie n’est pas bien définie : où commence-t-elle ou finit-elle ? C’est une flamme, dit-on. Où est le début et la fin d’une flamme ? Quand on étudie les animaux inférieurs, il est très difficile de mettre une limite. Il existe un parasite « la mosaïque du tabac » que certains auteurs ont classé dans les minéraux et d’autres dans les végétaux. En effet, on peut la cristalliser, donc c’est un minéral, et n’ayant pas été cristallisée, elle peut redevenir parasite du tabac et se développer. Elle est un exemple parmi tant d’autres. Et la limite entre les végétaux est encore plus floue car il y a quantités d’organismes que l’on classe suivant les époques en végétaux ou animaux. La plupart des microbes en font partie. Il n’y a donc rien d’aussi indéterminé que le début de la vie, il est normal qu’on n’en sache pas plus long sur l’autre bout, et un auteur dont le nom m’échappe (j’avais lu cela il y a un an peutêtre) disait : « Rien n’est plus sûr que la mort, rien n’est plus indéterminé que le moment où elle survient ». L’Eglise de Dieu est donc souverainement inspirée qui, depuis longtemps, permet d’administrer 20 minutes après la mort apparente. Il s’agit simplement de donner une nouvelle définition de la mort. On considérait comme absolue l’équation : arrêt du cœur = mort. Les expériences citées montrent non pas que l’on ressuscite mais que notre conception de la mort est fausse. L’homme est faillible, n’est-ce pas. On a bien cru longtemps que la Terre était carrée, que le soleil tournait autour d’elle, et dans le 132
même domaine de la vie, Pasteur a eu du mal à démontrer que la génération spontanée n’existait pas. Si les savants marxistes sont orgueilleux, non pas d’un orgueil personnel mais d’un orgueil de la science, de la matière, ils diront : « Nous avons ressuscité » ; s’ils ne le sont pas, ils diront : « Il reste à donner une nouvelle définition de la mort ». Je vous quitte car il faut que j’aille acheter une enveloppe avant le cours qui est à 5h (j’avais TP de Pharmaco. de 2 à 4h). Je vous embrasse bien bien fort. P.Davy Mardi 29 avril Guite chérie, « Ils seront un »… dans la vie, même en cueillant du muguet. Dimanche j’étais à Franconville, j’avais apporté ma pharmaco et, chose extraordinaire, j’ai travaillé 1h30 dimanche. L’après-midi nous sommes allés nous promener dans le bois qui dominent la Vallée de la Seine, pas celui où nous sommes allés avec vous mais de l’autre côté, en traversant Franconville. Et là nous avons cueilli du muguet, bas, très fleuri, mais comme il y avait beaucoup de monde, on le cueillait même en bouton, cela fleurit très bien dans l’eau avec un peu de sucre ou mieux de digitaline. J’en ai distrait quelques brins cueillis en pensant à vous et pour vous, et je les ai rapportés dans mon portefeuille à votre intention, mais je n’avais pas beaucoup de temps pour vous écrire hier. Je les ai collés hier soir sur ces cartons pour qu’ils voyagent bien mais 133
ils ont perdu beaucoup de leur odeur dans mon portefeuille tandis que le vôtre l’a gardée complètement. Je vous remercie bien bien bien, il sent très bon. Vous voyez comme nous sommes un. Nous cueillons du muguet ensemble sans le savoir. J’avais mis ma lettre à la poste à Franconville avant 11h, elle aurait dû partir ! Il n’y a peut-être pas de levée le dimanche. Oui, c’est dommage pour les tasses mais on en trouvera peut-être de mieux encore ! On verra bien. Même sans tasses à thé on s’aimera bien. Mais vous allez croire que je les trouvais mal alors que je ne les ai pas vues donc pas jugées. Vous vous méprenez parfois de choses comme cela. Ainsi l’autre jour vous avez cru que je voulais plus de lettres mais je n’y pensais même pas. Vous voyez des allusions alors qu’il n’y en a pas. Est-ce que votre amour vous pèse si lourd ? Moi, je le porte allégrement. Pauvre chérie, on vous donnera de la quintonine ou quelque autre bonne cochonnerie du genre. Oui, nous allons profiter du mois de mai mais j’ai perdu mon chapelet. Il était en deux, il manquait déjà une douzaine et cette fois, elles manquent toutes. Heureusement que j’ai dix doigts aux mains, cela tombe rondement bien. C’est très bien de rester gaie tout le temps et plus vous êtes gaie, plus je vous aime, mais évidemment je ne peux pas vous dire comment parce que les mots peuvent faire des phrases banales mais ne peuvent pas traduire des sentiments profonds (à moins d’être un écrivain de qualité) mais pour un pecnaud c’est bien difficile de s’exprimer.
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Oui, je devais vous dire ce que je pense de moi mais je ne m’en rappelle plus. Pour retrouver, je reprends vos dernières lettres. Oui, bien sûr que j’avais deviné qui vous avait donné un livre, on l’aurait trouvé avec moins de renseignements. Non, l’autre dimanche, je ne suis pas allé aux conférences sans quoi je vous l’aurais dit. Avez-vous pu lire le papier que je vous avais envoyé ? 210 + 300, cela aurait fait 510 frcs et je les ai mis de côté mais il n’y a que 300 frcs dessus puisque tant va la tasse à l’eau… D’ailleurs on aurait bien acheté les 12. Vous semblez dire que Dieu intervient directement dans chaque amour qui se forme à la surface de la terre : « Cette attirance de deux êtres qui ne se connaissent souvent pas est voulue par Dieu. » Je crois que cela n’est pas. D’abord parce que si l’amour est splendide, il est bien des cas dans la réalité où il est immoral, amour adultère…. (amour qui n’est pas moins fort). Or je ne crois pas que Dieu y préside, que Dieu veuille le mal. Ensuite, je crois que si deux êtres étaient prédestinés à s’aimer, prédestinés par Dieu, il n’y aurait plus liberté de la part de l’homme (ce qui entre autre supprime la responsabilité de l’homme). Or, l’homme est libre. Cette liberté existe même dans l’appel au sacerdoce, je crois qu’elle existe, à plus forte raison, dans le choix de l’époux. « Dans la pensée de Dieu, nous étions de toute éternité destinés à être l’un à l’autre ». Je ne crois pas. Je crois que Dieu savait que nous serions l’un à l’autre, il savait que nous nous rencontrerions, que nous nous 135
aimerions, cela d’accord, mais ce n’est pas lui qui a décidé, c’est nous. Comment le sait-il ? Alors que nous décidons nous-mêmes. Parce qu’il connaît tous les facteurs de notre choix. Et puis il y a la question de l’existence du temps auquel je ne crois pas. Je crois que, à l’origine, Dieu a créé le monde et les principes du monde, les principes qui commandent l’évolution du monde, et qu’il laisse agir. Il se contente de regarder et de fournir une âme quand ses collaborateurs, les hommes, ont procréé. Il intervient par les miracles en ajoutant un facteur ou en exaltant un des principes qui gouvernent le monde. Une guérison miraculeuse est obtenue par l’évolution normale de la matière, évolution précipitée par la volonté de Dieu. Chaque être ressent une attirance vers ses semblables mais c’est un phénomène biologique sur lequel on peut influer. On peut rendre une personne coléreuse ou… Dans le cas de l’amour, l’attirance se fait avec un être de sexe opposé à cause d’un simple équilibre hormonal et on peut, en changeant cet équilibre, inverser cette attirance qui devient attirance vers une personne de même sexe. La science est la découverte par l’homme des principes créés par Dieu pour diriger le monde. Comme ses principes sont infinis, nous n’arriverons jamais à savoir tout. La science se présente, à mon avis, comme une participation à la connaissance de Dieu. Et lorsqu’on prétend que la science est indépendante de la religion, je crois que l’on veut retirer Dieu de sa création et qu’ainsi 136
la création, donc la science elle-même, perd tout son sens. On s’écarte un peu de la question. Si on met un rat dans un labyrinthe avec une sortie obscure et une impasse éclairée, le rat se précipite dans l’impasse éclairée. L’homme qui fait cette expérience sait d’avance ce que fera le rat, et pourtant le rat était libre d’aller là où il voulait. En mettant l’homme à la place du rat et Dieu à la place de l’homme, on peut comprendre que Dieu sait d’avance sans influer cependant sur notre volonté. Le rat a obéi à son instinct, il s’est dirigé vers la lumière. Tant que le rat est esclave de ses instincts, il n’est pas libre en réalité, il n’a qu’une liberté théorique puisqu’en excitant son instinct on influe sur sa volonté. Mais l’homme possède une intelligence et une âme en plus du rat et le jour où il saura (chacun en son fors intérieur) être maître de ses instincts, il sera libre. Chacun est d’autant plus libre qu’il est plus maître de lui, qu’il a plus de volonté. Or on est responsable chacun de soi et de ses voisins. Pour agir, il doit donc s’efforcer d’être libre. Ainsi l’homme instinctif se sent attiré vers toutes les femmes qui ont quelques appâts tandis que l’homme maître de ses instincts repousse cette attirance jusqu’au jour où il rencontre celle, ou celui si c’est une femme, qui l’attire un peu plus que ce qu’il peut réprimer, ou bien s’il est très maître de lui et qu’il peut tout réprimer, il choisit librement une compagne, il la choisit « à froid ». C’est un peu trop mathématique car il y a des instincts plus forts que les autres, aussi celui qui est attiré par l’argent résiste à n’importe quelle beauté ou
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n’importe quel charme, ou valeur personnelle, pour rassasier son désir d’argent. Pour savoir qui on aimera, il faudrait connaître exactement ses besoins, ses désirs, qualités spirituelles, intellectuelles, envie d’argent, envie de beauté, gaité, instinct sexuel, orgueil, réussite dans le monde et il y a une foule de facteurs. Il faudrait les étudier chacun et chercher quelqu’un qui réponde exactement ou suffisamment. Là où la liberté intervient c’est pour choisir les qualités qui devront entrer en ligne de compte et délaisser celles qui n’en valent pas la peine. L’homme est libre d’aimer qui il veut mais Dieu, qui nous connaît mieux que nous ne nous connaissons nous-mêmes, connaît d’avance notre choix. Tâchez de chercher et de trouver une pensée dans ce long bafouillage. Voilà 1h30 que je suis avec vous et je n’ai pas travaillé. Maintenant j’ai un cours. Je tâcherai de savoir ce que je pense de moi dans une prochaine lettre. (…) Je vous aime bien bien ma chérie parce que vous répondez à la fois à mes instincts non maîtrisés et aux qualités que ma faible volonté avait déclaré comme essentielles dans l’ordre hiérarchique. (…) Oui, mon chou, vous êtes mon complément chéri chéri. Pierre. Le mercredi 30 avril Ma petite Guite chérie, Voilà, je suis prêt à partir, 5h25, et il faut que l’on soit à la Gare du Nord à 6h15. J’ai dix fois le temps mais 138
si je veux que vous ayez votre lettre en temps utile, il faut que je l’écrive maintenant. 30 avril. Hum, le temps approche, dans 14 jours je passe la pharmaco. et après les autres à un rythme accéléré, enfin on verra bien, il ne faut jamais se casser la tête. Je vous aime, je vous aime. J’ai rêvé de vous cet après-midi. Vous savez, vous pouvez très bien me parler de notre installation, ça ne m’empêchera pas de travailler. Ce jour-là cela faisait boum boum mais j’y pense souvent et cela m’aurait probablement fait la même chose sur un autre sujet qui nous soit aussi à cœur. Hier vous aviez la longueur ! Alors aujourd’hui il y en aura moins long parce que je n’ai quand même pas bien longtemps à vous écrire avant de partir. Ma théorie est probablement fausse sur certains points, c’est le premier jet et je ne m’étais même jamais posé cette question à moi-même. J’étais poussé par les idées qui arrivaient sans avoir le temps de les critiquer. J’ai l’impression qu’elle est un peu trop… disons matérialiste, elle ne tient pas assez compte du psychisme qui a pourtant une part énorme. Le monde est constitué de matériel et de psychisme (corps et âme) qui ont l’air d’être complètement séparés à première vue alors qu’au fond ils retentissent énormément l’un sur l’autre. D’un côté il y a les matérialistes qui sont gênés par leur esprit (bien qu’ils ne soient pas toujours spirituels) et de l’autre les existentialistes qui sont gênés par leur corps. Entre deux il y a la bonne moyenne où se trouve la vérité. L’homme, corps et âme. Mais comment découvrir le lien (la vie ?) entre l’un et l’autre. C’est un des mystères que la science n’a pas éclairé et n’éclaircira probablement jamais car cela touche à la nature même de 139
Dieu. L’âme, faite à son image, n’est pas au niveau de l’homme. Je philosopherai bien comme cela pendant des heures. Tout cela, au fond, n’est que du laïus et n’a que bien peu d’importance : on s’aime bien, c’est l’essentiel. « J’aurais des tendances » parfois à être porté à l’existentialisme quoiqu’au fond je ne sache pas grandchose de ce sujet. Ah ! 6h moins le quart en bavardant. Je vous embrasse bien bien comme je vous aime. Pierre Paris le 23 juin Guite chérie, Vous n’avez droit qu’à un tout petit mot aujourd’hui pour vous annoncer que je suis reçu. J’ai eu raison de ne pas préparer l’oral puisque cela s’est révélé inutile. En chirurgie ! On verra jeudi mais je travaille un peu. Je suis justement à la bibliothèque dans ce but mais j’ai travaillé juste 1h30 et j’ai écrit à Perrette dont l’anniversaire est le 25. J’ai donc partagé le papier que j’avais en deux, une feuille pour chacune. Il faut que j’aille voir encore à la Sorbonne puisqu’on ne sait pas quand sera le résultat, on peut l’avoir à tout moment. Ce matin, j’ai bien reçu votre photo et je vous en remercie mais j’aime encore mieux la réalité. Le paquet serait un peu plus gros mais je le préférerais nettement. Enfin cette photo n’est pas mal du tout, et si elle a le
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défaut de n’être qu’une photo, personne n’y peut rien. Mon chou, je vous aime bien. J’ai eu ce matin une lettre d’Evreux, voici les projets. Papa et Maman partent à Briançon le 12 juillet et Bernard le 6, il quitte le poste le 3 juillet. Il n’y a pas de date prévue pour le retour. Je crois que Georges-Claude sera à ce moment à son camp dans les Pyrénées. Ils me demandent si j’irai mais c’est évidemment impossible. Qu’est-ce que j’irais faire là-bas sans vous ? 5h. Pas de blague, il ne faut pas que je rate la levée et je dois encore passer à la Sorbonne et mettre une carte à Evreux. Je vous embrasse bien bien fort. Pierre 25 juin 1947 Ma petite Guite chérie, J’écris à Lisieux en même temps qu’à Dozulé, je viens de voir une annonce : Internat à Lisieux, 3 500 francs par mois, c’est un peu maigre, plus aides opératoires, au fond c’est peut-être aussi bien que beaucoup, et puis cela a l’avantage de la proximité. J’aurai l’avantage de connaître mon homonyme ! On verra bien. Dozulé-Lisieux, ce n’est pas si loin, aussi j’écris dès ce soir. Il sera toujours temps après de dire non. Autre nouvelle : Zaby, comme on s’y attendait, est admissible. L’oral commence le 2 juillet, aussi je ne sais pas à quelle date elle pourra passer si c’est par ordre alphabétique, elle se trouvera au début !
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A demain, une lettre plus longue avec mon résultat. Je vous embrasse. Pierre. Lisieux, vendredi 11 juillet 1947 Ma petite Guite chérie, Je n’ai pas grand-chose de neuf à vous annoncer. Je suis allé ce matin donner une anesthésie pour le 2ème chirurgien. Je ne l’aide qu’à l’hôpital car il a une infirmière attachée à sa personne. Elle lui fait des paperasses pour les expertises, et en se faisant aider par elle, cela lui permet de lui donner un traitement convenable. Tout à l’heure, vers 4h, on va faire une petite opération. Le métier entre petit à petit. J’ai écrit hier à Jean pour lui envoyer les photos que j’ai reçues hier matin. Elles sont très bien mais j’ai oublié de les lui mettre dans l’enveloppe… Je n’ai plus qu’à recommencer mais s’ils vont chez le grand-père au 14 juillet, il ne les aura pas pour les lui montrer. Vous m’en ferez tirer une série, ou bien vous me direz combien on vous doit pour celle-ci et vous garderez la suivante. Tiens, je vous dois toujours le sac de Perette mais l’argent est toujours au Crédit lyonnais à Paris. Si je peux sortir ce soir, je demanderai un compte dans une banque ici et je demanderai aussi un compte chèques postaux nouveau car pour changer d’adresse il faut payer tandis que pour en avoir un nouveau c’est gratuit. C’est bien administratif. Enfin c’est comme cela. Ça leur fait un peu plus de paperasses et puis c’est tout.
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Je crois que d’après les projets, les parents doivent arriver à Briançon aujourd’hui. Je crois que c’est le 10 qu’ils avaient fixé leur départ ou peut-être le 15, je ne sais plus. Et vous, mon petit chou, qu’est-ce que vous devenez ? Il n’y a pas si longtemps que je vous ai vue et pourtant il me semble qu’il y a un temps fou ! C’est vrai qu’il s’est passé bien des choses depuis, ne serait-ce qu’une colle, source d’émotions fertiles et un changement assez complet dans la vie. J’entends un cochon sous ma fenêtre (un vrai), je ne sais pas s’il sera pour nos estomacs ou pour la kermesse. Car dimanche il y a grande kermesse dans les jardins de l’hôpital en faveur… je crois… des petits vieux de l’hôpital. Je vous quitte pour aller charcuter un peu, non pas le cochon de tout à l’heure mais deux patients qui sont peut-être d’impatients patients. Je vous embrasse, ma chérie, de tout mon cœur à vous pour toujours. Pierre Non datée Guite chérie, Finalement je suis de garde aujourd’hui et je regrette de ne pas avoir pu vous écrire vendredi car vous auriez pu venir. Mais vendredi vers 2h30 j’ai reçu un coup de téléphone de papa qui était à Lisieux et je suis allé le voir au Couvent. Vers 5h j’ai été rappelé à l’hôpital et je n’ai été libre qu’à 8h moins le quart, si bien 143
que 1/ je n’ai pas pu le conduire au train comme j’en avais l’intention ; 2/ la levée était faite, la dernière à la poste est à 7h30. Enfin dans 15 jours, il ne sera plus question de lettres et ce sera pour de bon. Je vous envoie le brouillon de la lettre à Célestin, je n’ai guère mis qu’une demi-heure à la pondre, je croyais que ce serait plus long. J’ai l’intention d’aller à Evreux mardi soir et de rentrer mercredi soir. Je n’en ai pas parlé à Tonton car il n’est pas venu ce matin mais il ne peut pas refuser. Je ferai faire ma prise de sang mardi, c’est le mardi qu’on les fait et on ne les envoie que ce jour-là. J’en ai d’ailleurs deux à faire pour l’hôpital. J’ai reçu le projet de contrat et je vais l’envoyer à Evreux en même temps que cette lettre avec un petit mot (pas un mot de 5 lettres). Quand je pense que dans 15 jours environ on sera mariés ! Enfin que voulez-vous, il faut bien passer par ce moment embêtant. Tout le monde y passe et on en meurt rarement. Il faudrait aussi fixer approximativement le trajet et les dates exactes de notre petit voyage. Pour le mariage aussi je ne peux guère vous dire le nombre de chambres. Il en faut une pour mes tantes puisqu’elles ne peuvent pas facilement coucher l’une sans l’autre comme on le projetait l’autre jour. Remarquez que ceci serait aussi vrai pour Zaby, Françoise et Zézette en attendant de l’être pour vous. Je vous embrasse de tout mon cœur. Votre Pierre chéri à vous pour toujours. Pierre
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Dimanche Guite chérie, Je crois bien que je répondrai non à Monsieur le Maire et à Monsieur le Curé si ma future m’abandonne dès avant notre mariage. Je vous ai attendue hier, je vous avais même gardé de l’apéritif mode maison et puis personne. Je reste seul et solitaire dans Lisieux ensoleillé. Voilà près de quinze jours que je ne vous ai pas vue. Enfin, dans 13 jours je vous emporterai pour toujours et de ce jour, finie votre liberté : vous me suivrez partout, comme cela je ne resterai pas quinze jours sans vous voir. Pauvre chou chéri, vous n’avez pas été gâtée spécialement. J’ai souvent l’intention de vous écrire mais je ne réunis pas souvent les conditions nécessaires alors je pense à vous mais vous n’en retirez rien de matériel. Quand je pense à certaines considérations sur l’amour détaché que nous échangions, je constate que nous faisons fausse route. L’amour se manifeste par des faits matériels et la lettre comme l’embrassement… n’en sont qu’une preuve supplémentaire. Je voudrais connaître l’avis des jeunes tourtereaux sur la question. Ils doivent être comme nous l’année dernière, à disserter sur l’amour matériel tout en s’embrassant. Mon âme aime ton âme. Ce qui est d’ailleurs parfaitement réel mais il ne faut pas dissocier le physique du moral. Il me faut faire un effort pour ne pas avoir le trac comme la veille des examens. Au fond on se lance absolument dans l’inconnu et c’est tout naturel qu’on ait un peu le trac. Ce qui ne serait pas naturel serait de ne pas l’avoir. Et pourtant si nous avions 145
une confiance totale !!! C’est justement l’évangile d’aujourd’hui : les lys des champs sont mieux vêtus que Salomon dans sa splendeur8. 2h sonnent au clocher du village. J’ai mangé tard parce que la soupe n’était pas cuite. La soupe en l’occurrence était du chou-fleur à la crème. Demain, je pense, Dufy sera rentré et je pourrai peut-être partir mardi et mercredi. Il faudrait que j’aille à Caen pour trouver mon costume de mariage puisqu’il n’y en a pas à Evreux. Il est probable que je n’en aurai pas plus à Lisieux qu’à Evreux. De toute façon je suis incapable de l’acheter seul, il me faudrait votre concours. Il y aura encore un monde fou dans le train mais c’est là une considération auxiliaire. Il faudrait aussi fixer un itinéraire. Il n’y a pas de train commode pour Dinan. La plupart descendent sur Rennes directement à partir de Do. Et je ne sais pas comment nous partirons. Qui vivra verra. Peut-être que finalement nous aurons l’appartement du bas dans le pavillon isolé. Car les travaux supposent un emprunt et l’emprunt suppose des imbéciles pour prêter, alors peut-être qu’en attendant nous pourrions y installer nos pénates. J’ai reçu la réponse de la faculté. Les examens seront le 10 et le 15 octobre à 8h le matin. Même chose qu’en juillet : écrit puis oral, sans savoir le résultat, ce qui suppose qu’on y retourne, c’est embêtant. Les Gustave ne sont pas sûrs de pouvoir venir mais c’est cependant très probable. Les tantes viennent certainement, ainsi que Tonton Georges et Tante Marie-Rose. 8
Matthieu 6, 22-33
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J’avais une lettre d’Evreux, ce que je vous ai écrit vendredi, qui me le disait, mais impossible de remettre la main dessus. (…) André Piquois ne pourra peut-être pas venir. Je ne sais plus ce que Papa met exactement. Il demande aussi qu’on l’inspire pour nous offrir un cadeau. Avezvous des inspirations ? Il y a quand même encore quelques petites questions à mettre au point. Je vous envoie le contrat, je n’ai pas pu lire la modification apportée par Maître Sellier. Il y a une clause pour le cas où j’aurais une clinique… de façon qu’en cas de décès de votre part on ne puisse pas m’obliger à vendre. Je ne me vois pas avec une clinique mais sait-on jamais ? Je n’ai toujours pas de réponse de Célestin, il mijote une réponse de longue haleine. J’ai justement retrouvé le brouillon que je vous avais annoncé l’autre jour. J’ai retrouvé la lettre de Papa qui est simplement restée avec le projet de contrat. De projet pour les fairepart il n’est pas question, peut-être maman vous a-t-elle écrit ? Zaby et Françoise rentrent le 2 septembre. Georges-Claude est à Coutances. Voilà les dernières nouvelles et informations. Bernard repeint la véranda. Quand Henri viendra-t-il ? Je n’en sais rien, il ne tardera sans doute pas. Je vais descendre mettre cette lettre à la poste, je ne sais quand elle arrivera puisque l’autre dimanche, elle n’est pas partie !
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Je vous quitte ma petite Guite chérie en vous embrassant bien bien fort de tout mon cœur qui sera bientôt à vous légalement. Votre Pierre Lisieux, 2 septembre Guite chérie, Je vous envoie un mot avant de partir. Je m’en vais à Evreux. Je vais m’occuper de chaussures, veston, cravate etc. Je serai parti 48h. Je rentre jeudi. (…) Si je ne trouve pas tout ce qu’il faut, je pousserai jusqu’à Caen où vous viendrez me retrouver jeudi l’après-midi. Dans ce cas je tâcherai de vous téléphoner de façon à vous prévenir à temps. Ci-joint la lettre reçue de Célestin. Faut-il demander un chanoine ? Ou être tout bonnement mariés par le curé de la paroisse. Je vous joins également ma feuille de BW9 pour le cas où cela vous intéresserait. Je ne suis pas syphilitique. Mon petit chou chéri, dans 10 jours vous serez Mme Davy et dans 11 nous serons mariés… J’ai justement écrit à Evreux pour leur demander l’essentiel de ce que vous rappelez, nombre d’invités etc. certificats et compagnie. Je vous aime mon chou, à bientôt bientôt. Je vous embrasse de tout mon cœur. Pierre 9
Résultat au test de la syphilis.
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Lisieux, le 3 septembre 1947 Guite chérie, Je ne trouve pas d’autre papier pour vous écrire, je viens de terminer mon bloc pour une lettre aux tantes. Je vais vous téléphoner tout à l’heure au sujet de mon pantalon. On a trouvé ce qu’il faut à Evreux. J’ai du moins un veston, des chaussures, des gants. Maman s’occupe de la cravate et des chaussettes. Est-ce que vous avez besoin d’une petite fille pour tenir votre voile parce que Nicole ne sait pas quoi faire de sa fille. Que peut-on en faire ? Réponse SVP. Si vous voulez de l’argenterie, Maman peut en apporter. Françoise demande que vous gardiez deux rubans rouges étroits pour faire deux petits nœuds à sa robe. Est-ce que les gants de Maman et Perette doivent être longs ou courts ? Car elle n’en a, je crois, que des courts. Comment est le chapeau de M. Gigon pour savoir comment mettre Papa. Françoise propose de remplacer l’Ave Maria difficile et peu connu par « Vierge de France Oh notre Dame… » dont elle a commandé la musique en 6 exemplaires. Elle demande s’il faut polycopier les chants. Nota : Dans le silence du matin d’Henri Colas se trouve fans le livre « Chantez les gars ». Vérifiez-en la musique car généralement on le chante de travers. Comme prévu Papa et Maman partent le 12 à 7h le matin. Ensuite Perette, Zaby, Bernard, Henri et peut149
être Zette partent à 3h d’Evreux. Albert et peut-être Zézette arriveront sans doute le matin (peut-être par Mézidon !). Les tantes arriveront probablement de Lisieux où elles passeraient deux ou trois jours avant pour voir Marie. Jean ? André Piquois ? Nicole et Jacques Villez arriveront le matin de Caen avec ou sans Roselyne suivant votre réponse. Tante Marie-Rose avec les tantes, très probablement la veille, peut-être le matin seulement si elles sont à Lisieux. Voilà tout ce que je peux vous dire de neuf. Evidemment il reste des points d’interrogation. Je vais à la gare porter cette lettre pour que vous l’ayez demain et je vous téléphone tout à l’heure. Je vous embrasse bien bien fort ma petite femme chérie. Votre Pierre
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Lettres de Marguerite 1945 Caen, le 22 août 1945 Mon cher Pierre, J’attendais avec impatience votre lettre. J’aime mieux que vous m’écriviez 43 place de l’ancienne boucherie, car le courrier arrive à 9h tandis qu’avenue de Courcelles il passe à midi. C’est une très bonne idée d’avoir demandé un sursis. Presque tous les étudiants ont l’air de le faire. J’espère aussi que la direction du Service de Santé ne va pas vous garder. Je n’ai pas vu Isabelle à Caen. C’est une simple coïncidence. Je lui avais simplement écrit quinze jours auparavant pour lui demander votre adresse. Oui, écrivez à vos parents. Il ne faut pas faire de « cachotteries ». Mes parents le savent en effet. Quant à Michel, je ne sais pas. Il est bien possible qu’il le sache et il faudrait en effet jouer serré pour lui laisser ignorer tout. Ayant déclaré l’autre jour que je ne savais plus un mot de grammaire grecque, il prétend me la faire revoir et le jour où je le verrai entre « quatre-z-yeux », je lui en parlerai, car ce pitre sait quand même être sérieux. Depuis que je suis rentrée, il ne me laisse pas tranquille une minute et prétend surveiller mon courrier. J’aimerais mieux que vous soyez à Caen qu’à Paris, mais il ne faut pas en effet que ce soit cela qui influe sur votre décision. J’irai faire des petits voyages à 151
Paris de temps en temps. Je trouverai toujours une âme charitable – famille ou amis – pour me recevoir. Vous ne faites pas tant de fautes que cela. Peutêtre en trouveriez-vous aussi dans mes lettres ? Je n’en ai relevé qu’une belle dans votre première lettre : « courrage ». Vous avez autant de travail que moi, Pierre, si vous voulez faire de moi une femme. Vous savez, je ne suis pas parfaite, hélas, et je sais bien que je trouverai en vous l’appui nécessaire. Ne trouvez-vous pas que nous pourrions avoir une messe par semaine à laquelle nous communierons l’un pour l’autre ? Ce serait chic de se retrouver dans l’Eucharistie ? Surtout nous avons certainement besoin du Christ l’un et l’autre pour nous aider à être digne l’un et l’autre, à fondre nos âmes et nos caractères. Mais cela ne nous est peut-être pas très facile en ce moment ; nous pourrions prendre le dimanche. Si nous commencions dimanche prochain ? Quel couple nous ferons si nous sommes paresseux l’un et l’autre. Papa m’a fait hier un beau sermon sur la paresse ; aussi ce matin ai-je fait une version latine et cela marchait comme sur des roulettes. Il est vrai que c’était pour vous. C’est entendu, je prierai ou plutôt continuerai à prier pour vous, car puisque je ne sais rien vous cacher, je n’ai pas cessé de le faire depuis l’année dernière, demandant au Seigneur Jésus de me faire connaître sa volonté et lui disant que je ne pourrais jamais en aimer un autre que vous. Et Il a tout arrangé. C’est merveilleux, n’est-ce pas ?
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Vous, vous prierez pour que je devienne la femme que vous voulez que je sois. Dites-moi ce que vous exigez ? Je vais me remettre au travail puisqu’il faut que je me cloître, mais vous êtes là pour m’aider et c’est une bien bonne présence. Au revoir, mon Pierre chéri, courage aussi à vous. Comme je serai heureuse de vous revoir même entre deux trains. Affectueusement vôtre, Marguerite PS. : Je voudrais encore vous demander quelque chose. C’est qu’ensemble nous essayons d’être des saints. C’est dur tout seul, mais à deux c’est plus facile et ce doit être le rêve de tout chrétien. Bien sûr, avant, nous ferons bien des bêtises, mais on n’est pas parfait du premier coup. Courage.
Caen, le 27 août 1945 Mon cher petit Pierre, J’admire votre courage et vous avoue très humblement que je ne peux pas travailler avant de vous avoir écrit. Il est vrai qu’il est déjà tard dans la matinée pour commencer une version qui demande trois heures. Ce sera pour cet après-midi.
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Moi aussi j’ai la maladie du sommeil, mais depuis que je suis rentrée de Touraine je dors quand même moins. Je me réveille à 5h tous les matins, c’est pour cela que j’ai sommeil. Que faut-il faire, Docteur, contre les insomnies ? Ce n’est pas gentil de se moquer de vous. Moi aussi, je trouve des somnolences très douces et agréables, mais il faut lutter. Vous êtes moins paresseux que moi, vous travaillez. Il est vrai que je suis en train de faire une version grecque qui manque de charme. Mais on ne fait pas ce que l’on aime, n’est-ce pas ? Ce qui est terrible avec les études littéraires, c’est que cela porte trop au dilettantisme. Caprice et fantaisie y trouvent tout leur soûl et il faut savoir s’imposer une discipline de travail, ce qui est difficile pour des gens paresseux. Je suis sûre que vous aurez très bien su quoi dire à vos parents. Quant aux miens, ils sont ravis. Maman dit en riant qu’elle ne vous recevra plus, car vous êtes un voleur ; à part cela, elle est très contente. Je ne l’ai pas encore dit à Michel. C’est lui qui m’a donné votre lettre aujourd’hui et comme il n’est pas bête, il s’est peut-être demandé qui pouvait m’écrire sans timbre, mais il ne m’a pas fait de réflexions. Pendant dix jours, je ferai mon apprentissage de future maîtresse de maison, car papa, maman et Michel partent mercredi faire une randonnée dans la Manche, d’abord à Granville, puis chez un ami de papa qui est médecin près d’Avranches. Je resterai donc seule avec grand-père et Thérèse. Pendant ce temps ma tante et une
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de mes cousines vont venir voir grand-père, ce qui fait qu’il me faudra nourrir tous ces gens. Moi aussi j’ai communié à la messe de 8 heures dimanche. Ainsi nous avons été ensemble, mais il faut que je vous dise qu’une heure après je n’étais pas « bonne à prendre avec des pincettes ». Vous voyez que je suis loin d’être parfaite, mais j’ai pensé à vous et j’ai rentré mes paroles désagréables. Oui, c’est vrai, être saint c’est faire tout ce qu’on sait faire parfaitement ; mais c’est dur. Enfin nous sommes deux. Vous avez plus le feu sacré que moi. Moi aussi j’offrirai tout et je ferai pour « nous deux » à ceux qui nous entourent, à commencer par cette version grecque : « Le père songe pendant la nuit à son fils ». Le titre n’est pas très encourageant. Oui, priez Notre-Dame de Boulogne pour qu’elle fasse siens nos projets et qu’elle nous aide à monter ensemble dans l’amour de Dieu puisque cet amour qui nous unit vient de l’amour même de Dieu. Vous aviez remarqué que j’étais timide ; décidément c’est visible. Je fais la guerre à cette timidité depuis l’âge de 14 ans. J’ai fait des progrès mais ce n’est pas encore parfait. Surtout j’ai des crises qui me paralysent parfois. Aidez-moi à ne plus l’être. Je vous promets de ne pas l’être avec vous. Est-ce que je suis timide dans mes lettres ? Je vous assure que je vous dis tout tel que je le pense. Vous non plus alors, vous ne serez pas timide avec moi, de telle sorte que lorsque nous nous reverrons nous puissions parler cœur à cœur, sans aucune gêne. Ce que je veux que vous soyez : « quelqu’un » pour que je puisse m’appuyer sur vous – car vous savez, 155
je suis très faible et je me rends parfaitement compte que vous êtes plus courageux que moi – et devenir quelqu’un à mon tour. Moi aussi j’espère vous voir bientôt. Peut-être viendrez-vous pour la crémaillère, car il est à peu près certain que nous aurons un logement pour la fin de septembre 74 rue de Bayeux. Figurez-vous que toutes mes amies disent que bientôt je leur apprendrai mes fiançailles. Il faut croire que c’est écrit sur ma figure. Aussi je vais me cloîtrer ; mais elles viennent me déranger dans mon cloître sous prétexte qu’elles ne m’ont pas vue depuis un an, et ce sont elles qui m’empêchent de travailler. Il faut que je les mette à la porte. Heureusement c’est mardi le départ pour le centre JEC à Honfleur. Je ne les verrai pas pendant ce temps. Je n’y vais pas à cause du départ de mes parents et de l’arrivée de ma tante. Je vous quitte, mon Pierre chéri, et vous communique une lettre d’un Père jésuite que j’ai connu cette année à Paris et qui est absolument épatant. C’est d’ailleurs ce qui m’a poussé à vous écrire ; car il trouvait que c’était déséquilibrant de rester ainsi. Vous voyez que je ne vous cache rien et que je ne suis plus timide avec vous. Maintenant j’ai vraiment envie de tout vous dire ; non, je ne me sens plus gênée avec vous. Quelle joie de penser que je vous reverrai bientôt. En attendant, au revoir et bon courage. Marguerite
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Caen, le 29 août 1945 Mon cher petit Pierre, Je n’osais pas vous écrire quand il y avait quelque chose qui ne marchait pas. Vous voyez que je prends de l’assurance et que je suis moins timide. C’est un conseil que je viens vous demander ce soir. A me voir au milieu de tous mes bouquins, on croirait que je travaille toute la journée, mais hélas, ce n’est pas le cas. Pourtant une fois que j’y suis, cela va bien, mais il faut s’y mettre. Depuis longtemps je veux faire une licence d’histoire, mais mes parents ne veulent pas, et comme je n’ai pas encore de certificat, je peux encore changer. Qu’en pensez-vous ? Je n’ai jamais su quoi faire parce que j’aime tout à peu près de la même façon. C’est terrible de ne pas avoir de goûts délimités. Après tout, c’est peut-être bien ce que je veux faire. Je ne sais plus. Vous allez vous dire que je suis une fille bien compliquée. Et puis rien ne va tout de suite parce que je suis trop nerveuse. Passez-moi un peu de votre calme. Aidezmoi à acquérir de la volonté. C’est cela qui me manque pour travailler. Vous savez, j’ai besoin de vous pour devenir ce que vous voulez que je sois. J’essaie de vaincre ma timidité. C’est dur, mais je le fais pour vous faire plaisir. Je sais bien que c’est idiot d’être timide, que c’est de
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l’orgueil. J’ai peur qu’on se moque de moi, c’est pour cela que je n’ose pas et cela me rend encore plus ridicule. Priez, mon Pierre chéri, pour que je ne sois plus timide, en un mot que je sois moins bête. Vous comprenez, j’ai peur d’être timide encore quand je vous reverrai et cela vous sera désagréable. Maintenant que je vous ai dit ce que je voulais vous dire, cela va mieux. Vous allez peut-être me trouver bizarre, mais il faut bien que vous me connaissiez telle que je suis avec tous mes défauts. Maintenant je vais travailler parce que je suis soulagée et je vais le faire en union avec vous. Peut-être verrez-vous Michel à Cherbourg, qui sait ? Car il sera la semaine prochaine à Querqueville chez son ami Jean-Charles Lemperière. Quand pensez-vous quitter Cherbourg ? Vous me préviendrez, n’est-ce pas ? Je vous quitte, mon Pierre chéri, pardonnez-moi tout ce que je vous ai dit, mais il fallait que je vous le dise pour que ça aille mieux. Marguerite A dimanche dans le Christ. Dimanche soir, 10h Pierre chéri, Quelle joie. Aujourd’hui j’ai vécu plus intensément avec vous. Je vous ai senti plus près. Je vous 158
aime, oh, je vous aime tellement. Chaque jour je réalise davantage ce que vous êtes pour moi c’est-à-dire tout. Je voudrais vous dire tout ce qui s’est passé aujourd’hui mais je ne peux pas. C’est trop difficile à exprimer. Et puis surtout je suis couchée et je m’endors. Pourtant si vous étiez là j’aurais une foule de choses à vous dire, mais je crois que je m’endormirais aussi car j’ai terriblement sommeil. Alors je dormirais sur votre cœur, c’est si bon. Je m’endors… Bonsoir mon petit chéri. A demain. A samedi ! Travaillez bien. Je vous aime. Lundi midi Je reçois deux lettres ensemble. Je suis gâtée. Vous pouvez juger de ma distraction par l’énormité des fautes d’orthographe. Cela m’inquiète parce que j’en faisais très peu. Je prends successivement vos lettres et j’y réponds. Pour votre chambre, faites comme vous voulez, ce n’est pas moi qui monterai les six étages. C’est plus agréable, je trouve, de vivre dans une chambre que l’on a meublé suivant ses goûts. Elle a aussi l’avantage d’être beaucoup plus près du quartier latin et en tant que perchoir elle sera plus aérée. C’est à vous de décider mon chéri, je ne suis encore que votre future moitié. Si vous allez perdre votre âme dans des bistrots louches, j’y mettrai bien vite le « holà ». Mon sac ? Petit curieux, vous le verrez dimanche. J’ai encore à lui trouver une fermeture adéquate.
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Pour le concours, vous me direz le dernier canard, c’est celui-là que je croirai. Pourquoi ne pourrai-je pas suivre la retraite comme il faut ? Et ma raison, qu’en faites-vous ? Et ma volonté ? (hum !!!) Pour Françoise, il faut que j’aille voir la mère de mon amie, puisque celle-ci est partie rue Monsieur. Que de choses à faire avant la retraite ! Vilain garçon qui ne veut pas venir me voir et si je lui disais de rester c’est bien lui qui serait le premier attrapé ! Enfin je ne veux plus vous embêter. Il y a une phrase que je ne comprends pas, expliquez-moi : « Si vous voulez compter vous devez être dans les 1 000 en jeu pour être mariée » ??? Je ne veux pas servir de cobaye. J’en ai déjà servi, ça me suffit. J’ai honte de voir la courbe de mon moral. Ce n’est pas bien. J’aurais bien des choses à vous dire, mais comme vous ça reste dans mon cœur et ça me serre. Je voudrais vous embrasser mais je le ferai bientôt. Et puis je me jette dans vos bras. Serrez bien fort, c’est à vous ce gros paquet. J’espère que dimanche vous vous réveillerez plus tôt pour la messe mais si vous vous couchez en face de moi, ce dont il est question, je vous réveillerai. Vous croyez que la courbe de mon caractère est semblable à celle de mes lettres ? Alors mon petit Pierre, je vous en souhaite. Il est bien possible que ce soit cela en effet. Alors vous aurez à me dresser. Vous avez l’air d’avoir un drôle de propriétaire.
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Non, le dimanche on ne doit pas travailler mais le travail intellectuel n’a jamais été défendu ! Paresseuse qui profite du jour du Seigneur pour contenter sa paresse. Vous me faites penser aux pharisiens de l’Evangile ! Pardonnez-moi ma méchanceté. Je comprends que vous ayez eu trop chaud avec votre chandail il y a quelques jours. Je vais aller chercher les épreuves cet après-midi. Vous allez être content. Il est midi 20, il faut que j’aille manger, alors je vous quitte en vous embrassant de toutes mes forces jusqu’à ce que vous criiez. Votre Guite Caen, le 31 août 1945 Mon Pierre chéri, Je ne sais pas si vous êtes comme moi mais je ne me sens plus gênée du tout. Comme je ne veux vous faire aucune réserve, il faut que je vous dise ce que j’ai ressenti près de vous. J’ai eu une minute le sentiment intense de la présence de Dieu et j’ai trouvé ça merveilleux. J’étais invitée chez une amie à dîner, et contrairement à ce que je vous ai dit, j’avais très faim, elle m’a simplement dit que j’avais l’air passablement dans la lune. Hier soir j’ai pris de bonnes résolutions. Il faut quand même que je travaille, la vie oisive ne vaut absolument rien. Le tout c’est de s’y mettre, mais on s’y 161
mettra ensemble. Car vous aussi il faut que vous travailliez. Y’a-t-il un concours d’externat ? Et pensezvous le passer ? Si oui, ce serait peut-être mieux. Vous allez voir que je vais avoir des ambitions pour vous. J’ai pensé aussi hier soir que nous étions deux pour la vie et pour l’éternité et j’ai trouvé cela merveilleux que nous devions nous sanctifier l’un par l’autre. C’est épatant quand on y pense. Est-ce que vous me permettez de vous dire ce que je vous reproche – oh ! ce n’est pas grave – d’être un peu trop « je-m’en-foutiste ». C’est avec toute mon affection que je vous dis cela et j’aime un peu ce « je-m’enfoutisme », mais pas trop tout de même. J’espère que vous me pardonnerez mon petit Pierre, mais je trouve qu’il faut qu’on puisse se dire tout, même nos défauts. Dites-moi à votre tour, sérieusement, ce que vous me reprochez, pour que je me corrige. Dites-moi aussi quelles conceptions vous avez du mariage ; je trouve que cela peut être tellement grand. Je reviens de faire le marché comme lorsque je serai mère de famille ! Je me demande où vous avez passé la nuit. Je n’ai pas très bien dormi et je me disais « où est-il ? ». Moi je pense que vous serez à Evreux quand vous recevrez cette lettre. Vous me direz ce que vous faites, ce qu’ont dit vos parents. Je réalise un peu plus maintenant que je suis fiancée et je trouve cela épatant. J’ai bien eu un peu de peine de vous voir partir, parce que je ne sais pas quand je vous reverrai mais il faut savoir se quitter. Après tout 162
nous ne sommes pas si loin l’un de l’autre puisque nous sommes unis dans le Christ. Je voudrais aussi une photo de vous parce que cela me fait mal à la tête de me rappeler vos traits et comme nous ne sommes pas appelés à nous voir souvent, j’aurai souvent mal à la tête. Je vous quitte, mon Pierre chéri. Travaillons comme si nous étions l’un à côté de l’autre et vous verrez, cela ira tout seul. A bientôt j’espère. Marguerite
31 août Mon petit Pierre chéri, Merci de votre si gentille lettre, de votre amour. A mon tour je vous envoie le mien. Oui je vous aime mille fois plus que moi-même depuis longtemps. Cela ne m’étonne pas que l’employé se soit payé notre tête. Tant mieux, puisque nous avons pu ainsi être plus longtemps ensemble. Non je n’ai pas le cafard, il faut savoir être courageux. Même loin vous êtes près de moi quand même. J’essaie de rejoindre votre âme. J’essaie de retrouver mon calme mais j’ai du mal à réaliser que ce à quoi je pensais depuis si longtemps, comme ne devant peut-être jamais arriver, s’est réalisé. Je suis trop heureuse pour être très calme. Je déborde de
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joie et cela se voit puisque tout le monde se demande ce que j’ai. Oui, je suis un paquet de nerfs, Pierre, et c’est à vous de le calmer. Oui, j’étais à bout, je n’en pouvais plus. Et je me disais souvent : s’il savait dans quel état il me met, mais après tout, il ne pense peut-être même pas à moi. Mais malgré des efforts désespérés de volonté, je ne pouvais pas vous oublier. Je savais à quoi je m’exposais mais jamais je n’aurais pu en aimer un autre. J’aurais été finir mes jours je ne sais pas où. Pourtant je me disais c’est impossible que ce ne soit pas lui et vous voyez le Bon Dieu a tout arrangé. Vous êtes maintenant mon Pierre chéri. Je l’avais dit au Père au mois de mars et il m’avait dit d’y penser non pas comme une chose certaine mais comme une chose possible. Il m’avait dit cela développera votre délicatesse et votre sensibilité. Et comme j’ai une sensibilité très vive, trop vive parce que je souffre trop, j’ai pensé à vous encore davantage. Enfin il faut bien souffrir sur terre. Il paraît que c’est le propre des nerveux. Je ne vous ai pas trouvé gauche du tout. Je l’étais certainement autant que vous, mon petit Pierre. Je vous aime beaucoup, beaucoup, mais je n’ai pas l’impression que vous m’aimiez moins que moi. Je ne suis pas déçue du tout, au contraire, et je crie de tout mon cœur, de toutes mes forces, que je vous aime. Je vous laisse me rattraper, mon Pierre chéri, mais il ne faut pourtant pas que je piétine pour autant puisqu’on doit toujours aller de l’avant.
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Pour vous faire plaisir, je vais rester bien calme et je vais travailler, ce qui va me calmer plus encore, puisque vous êtes près de moi. Vous ne trouvez pas que la vie est magnifiquement belle, passionnante. Je mange, soyez sans crainte, mais je dors peu et remue comme une anguille dans mon lit. J’ai pris l’énergique résolution hier soir de rester sur le dos et de ne plus bouger, et j’ai dormi jusqu’à 6 heures, c’est bien. Pour la photo, il faut attendre que papa et maman soient rentrés : ils voulaient justement m’en faire faire pour m’avoir à 20 ans. Je vais avoir en attendant les photos du pèlerinage de Chartes que vous montrerez à Isabelle. Je suis sur trois. Vous me chercherez. Oui, c’est merveilleux de s’aimer, c’est si pur, si purifiant. Moi non plus je ne pouvais pas vivre sans cela, mais il y a longtemps que je m’en suis aperçu. Pourvu que je sache vous aimer comme il faut. Comme ce sera chic de ne plus faire qu’un pour toujours. Je voudrais répondre au Père, pouvez-vous me renvoyer sa lettre ; c’est un Père épatant, à tous points de vue, et d’une intelligence hors ligue. N’ayez plus honte, mon Pierre chéri, les souffrances étaient nécessaires. Il y a un an je ne méritais pas d’être fiancée. Oui, nous sommes bien heureux maintenant et quand je pense que cela n’aura pas de fin puisque nos deux âmes sont immortelles, cela me ravit. Moi aussi je vous dévore de baisers – avec un « s » et non un « z », ceci pour vous taquiner (orthographe !!!).
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Oui, je vous embrasse comme je vous aime, si vous savez combien. Dites bien des choses aimables à Zaby de ma part et à Françoise aussi. Marguerite Caen, 4 septembre 1945 Mon Pierre chéri, Vous devez recevoir trois lettres de moi, plus celle-ci. Moi aussi, dimanche, j’étais avec vous. C’est chic, n’est-ce pas ? Oui vous avez raison, nous pouvons choisir un autre jour que le dimanche pour nous retrouver dans le Christ. Choisissez celui que vous voudrez, ça m’est égal puisque j’y vais tous les jours en ce moment, étant donné que je me réveille à 6h tous les matins, et puis ça me rapproche de vous. Vous me direz le jour que vous aurez choisi. C’est moi qui vais vous faire un sermon. Voulezvous manger, monsieur. Si je ne dors pas très bien, je dévore par contre, et Thérèse s’en inquiète. Mais je crois qu’il faut renoncer et dormir. Oui, c’est drôle les réactions du cœur sur l’estomac, mais il faut se forcer ; ce n’est pas toujours facile, et je sais que mon voisin de table – Michel – trouvait cela épatant, lui qui est toujours affamé. Pour les fiançailles officielles, je suis de votre avis, si longtemps à l’avance ça fait drôle, mais d’un 166
autre côté c’est plus simple. Enfin j’en parlerai à mes parents quand ils rentreront. Depuis mercredi qu’ils sont partis, ils ne nous ont pas donné signe de vie. Ils se promènent tellement bien qu’ils en oublient leurs enfants. Je le dirai à Michel quand il rentrera. J’en entendrai de toutes les couleurs, mais depuis le temps qu’il me taquine, je commence à avoir le caractère fait et je peux vous dire, au dire de tous, que j’ai bon caractère. Ces dernières vacances encore, j’étais chez des amis qui ne s’en sont pas privés. Quand je me baignais, le père de mon amie disait qu’il voyait le niveau de la rivière monter etc. Enfin on s’est toujours moqué de ma corpulence, de mes gestes. Michel n’en perd pas un. Enfin ce n’est pas très méchant. Mais je sais que vous, au moins, vous serez moins méchant. Cet après-midi, j’ai l’intention de travailler, espérons que ce sera plus que l’intention – « l’enfer est pavé de bonnes intentions ». J’ai un professeur qui me corrige mes devoirs et il rentre bientôt de vacances, et si je ne fais rien, il va dire que je me moque de lui. Il va donc falloir que je m’y mette. Mon petit Pierre, je pense bien souvent à vous et cela m’aide. Vous savez, je sens que je deviens calme. Ça y est. Vous commencez à déteindre sur moi et puis c’est votre sermon de l’autre jour qui fait son effet. C’est vrai, je vous dois l’obéissance. Mais ce n’est pas très difficile d’obéir quand on aime beaucoup quelqu’un. Je vois que vous ne vous couchez pas de bonne heure puisque vous m’écrivez à minuit. Il est vrai que lorsqu’on ne peut pas dormir, c’est bien assommant de se coucher. 167
A bientôt dans le Seigneur Jésus, quand vous voudrez. Ci-joint une lettre de notre maîtresse de division quand j’étais en 1ère et philo. Il était bien juste que je lui annonce mes fiançailles. Sa lettre est très bien, je trouve. Je vous quitte, mon Pierre chéri, et vous dis à bientôt. Je vous embrasse avec toute la profondeur de l’amour que j’ai pour vous. Marguerite
Caen, le 28 septembre 1945 Mon Pierre chéri, Nous sommes très bien arrivés à 10h30 mais j’ai un mal de tête épouvantable et je suis très vaseuse, aussi vous m’excuserez. Michel n’a pas été du tout étonné, mais il a été surpris parce qu’il ne s’attendait pas au moment. En tous cas on n’a pas eu besoin de lui dire le nom de mon fiancé. D’après ce que vous m’avez dit, cela ne m’étonne pas. Si vous venez, nous pourrons arriver à vous coucher, évidemment ce ne serait pas possible pendant quinze jours mais vous voyez que vous pouvez venir de temps en temps sans coucher sous les ponts. (…) Vous remercierez pour nous vos parents de l’aimable et long accueil qu’ils nous ont fait. Il serait
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peut-être mieux que je leur mette un mot pour les remercier, qu’en pensez-vous ? La séparation a été moins dure que je ne l’aurais cru. C’est peut-être parce que nous avons bien mis notre amour dans le Seigneur. C’est chic. Il n’en reste pas moins qu’il me manque quelque chose. Demain je communierai pour vous plus spécialement, pour que vous soyez bien courageux, que vous travailliez bien, pour que vous soyez un saint. Je vous aime, je vous aime de plus en plus. Et cet amour n’aura pas de fin – c’est merveilleux quand on y pense. J’ai emporté un peu de votre âme chérie et ce m’est une bien douce consolation. Je vous dirai toutes mes peines et toutes mes joies et vous ferez de même. Je n’ai pas le cafard mais il faut que je sois énergique. Je sais que vous, vous le serez. Mon Dieu, je vous offre avec Pierre cette séparation. C’est dur, mais c’est pour vous. C’est certainement pour notre plus grand bien à tous les deux puisque vous ne voulez que notre bonheur. Faites que cette séparation serve à votre plus grande gloire et au salut des âmes. Donnez-nous cet amour rayonnant dont nous rêvons. Donnez-nous de vous posséder tellement que vous transparaissiez à travers nous. Pardonnez-moi d’avoir déjà envoyé promener quelqu’un tout à l’heure. Je vous quitte, mon petit Pierre ; c’est aussi une façon de parler puisque nous sommes toujours unis. Je pense bien à vous et je me sens très calme. Je crois que vous avez un peu déteint sur moi de ce point de vue là. J’attends une lettre demain matin, j’espère que mon espoir ne sera pas déçu.
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J’essaie de m’imaginer ce que vous faites en ce moment ; peut-être veillez-vous, qui sait ? Au revoir, je vous aime et je vous embrasse avec tout mon amour Marguerite Bien des choses aimables à toute votre famille. Excusez mon écriture, mais j’écris sur mes genoux. Au revoir, mille baisers.
Caen, le 29 septembre 1945, 10h15 Mon Pierre chéri, Merci de votre photo. Je l’aime beaucoup. C’est mon Pierre bien aimé qui est dessus. Oui, c’est bien son grand regard droit et sincère d’où l’on voit toute son âme. J’irai me faire photographier samedi. Car nous devons aller en pèlerinage à la Délivrance. J’en dois un pour mon bac de philo ; il est temps de le faire, n’est-ce pas ? Et j’en profiterai pour aller jusqu’à Luc. Comment allez-vous faire pour Paris ? Je prie de tout mon cœur pour que cela s’arrange au mieux. Oui, j’ai gardé mon calme ; comment ne pas être calme : je suis à vous et vous êtes à moi. J’ai emporté un peu de votre âme et la séparation ne peut pas me l’ôter. Moi aussi, Pierre, j’aime votre âme, votre foi, votre joie, de plus en plus même. Je vous découvre chaque jour davantage et c’est pour moi une joie toujours renouvelée.
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C’est merveilleux, tellement chic. Merci mille fois mon Dieu, pour notre bonheur. Moi aussi, j’aimais bien le prénom de Saint Julien et j’aimais venir y prier le soir quand on ne voyait plus que la lampe du sanctuaire. Oui, nous aurons à rebâtir nos pauvres églises détruites. J’aime aussi beaucoup la France et notre terre normande. Voyez-vous, nous avons les mêmes goûts. J’ai lu le passage de Péguy que vous m’indiquez, mais dans mon livre c’est page 49. Oui, je l’aime aussi parce qu’il parle de la France. J’ai lu aussi le passage suivant : l’enfant qui s’endort10. Je l’aime peut-être 10
Charles Péguy, Rien n’est beau comme un enfant qui s’endort, in Le Mystère des Saints Innocents (1912) Rien n’est beau comme un enfant qui s’endort en faisant sa prière, dit Dieu. Je vous le dis, rien n’est aussi beau dans le monde. Je n’ai jamais rien vu d’aussi beau dans le monde, Et pourtant j’en ai vu des beautés dans le monde Et je m’y connais. Ma création regorge de beautés. Ma création regorge de merveilles. Il y en a tant qu’on ne sait pas où les mettre. J’ai vu les millions et les millions d’astres rouler sous mes pieds comme les sables de la mer. J’ai vu des journées ardentes comme des flammes ; Des jours d’été de juin, de juillet et d’août. J’ai vu des soirs d’hiver posés comme un manteau. J’ai vu des soirs d’été calmes et doux comme une tombée de paradis. Tout constellés d’étoiles. J’ai vu ces coteaux de la Meuse et ces églises qui sont mes propres maisons. Et Paris et Reims et Rouen et des cathédrales qui sont mes propres
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encore plus. C’est si simple, si frais, si pur. Il est épatant ce Péguy. Qu’en pensez-vous ? Entendu, dimanche nous communierons pour nos cadets. Entendu pour les communions les jours impairs. Lundi, voulez-vous que ce soit à une intention particulière : pour que papa trouve vite une situation ailleurs et qu’ils ne restent pas trop longtemps dans cette installation précaire. Mercredi : pour que nous réalisions bien les plans de Dieu pour nous. Maintenant j’attends vos intentions. Qu’ai-je fait aujourd’hui ? J’ai lavé votre laine et l’ai mise à sécher. Je ferai votre chandail en faisant apprendre à Jacqueline Potel son histoire. Elle me l’a demandé. Je ne peux pas charitablement lui refuser. Cet après-midi, j’ai raccommodé mes socquettes. Il y avait tellement de trous que j’y ai passé trois heures. J’ai eu l’intention de faire un gâteau pour Françoise demain, mais je ne le ferai que demain matin. A part cela, j’ai fait des rangements dans mes affaires et je n’ai pas tout à fait fini. J’ai envoyé un peu promener Thérèse et Michel. Voilà mon examen de conscience fait et sans m’en apercevoir je l’ai fait devant vous. Vous avez le droit de savoir tout.
palais et mes propres châteaux, Si beaux que je les garderai dans le ciel. J’ai vu la capitale du royaume et Rome capitale de la chrétienté. J’ai entendu chanter la messe et les triomphantes vêpres. Et j’ai vu ces plaines et ces vallonnements de France Qui sont plus beaux que tout. J’ai vu la profonde mer, et la forêt profonde, et le cœur profond de l’homme. (…)
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Je vais me coucher après avoir fait un « bout de prières vocales » et une plus longue prière pensée où vous aurez certainement une grande place puisque vous êtes inséparable de moi. Bonsoir mon petit Pierre que j’aime beaucoup, beaucoup. A demain avant d’aller mettre cette lettre à la poste. A demain aussi dans le Seigneur Jésus. Je vous envoie ce soir mille baisers bien affectueux et vous dis à demain matin après la messe. Je vous aime. Marguerite Dimanche matin, 7h15 Bonjour, mon Pierre chéri, tout à l’heure nous serons à la messe et nous communierons ensemble. Comme ça va être chic ! Il y a quelque chose que j’avais oublié de vous dire à Evreux. C’est de ne pas être médiocre. Je le suis, je sais, mais j’ai horreur de la médiocrité et veux en avoir horreur. Etre tiède, oh non ! Il faut être des chrétiens parfaits ou rien du tout, c’est-à-dire vivre intensément notre christianisme, ce qui n’empêche pas de rire et de faire le pitre. Vous serez un saint pitre et ce sera très agréable pour la société. A toute à l’heure, je vais faire ma toilette. Mon Dieu, nous vous offrons tous deux cette journée, elle est à vous.
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10h Je reprends cette lettre. J’ai prié avec vous pour nos cadets. Dites-moi ce que vous allez faire ; j’ai hâte de le savoir. Vous êtes sans doute comme l’oiseau sur la branche, mais confiance en la Providence. J’ai pris la résolution d’être plus aimable, et vous ? Mais vous ne serez pas là pour me rappeler à l’ordre quand je l’oublierai. Au revoir, mon chéri, si je m’écoutais, j’en mettrais des pages et des pages encore, mais il faut que j’en garde pour les autres jours. Je vous aime, je vous aime de tout de mon cœur. Quand j’en aurai assez de vous le dire, je vous préviendrai. J’aime aussi cette photo quoique sombre parce que c’est si bien vous. Je vous quitte pour porter cette lettre à la poste afin que vous l’ayez demain. Au revoir mon Pierre chéri, je vous embrasse comme je vous aime. Marguerite PS. : Jacqueline Thierry m’écrit : « Hier j’ai fait un pèlerinage à Notre-Dame-sur-Vire. J’ai bien prié pour « vous ». » C’est gentil, maintenant elle ne nous sépare plus. Elle a raison car nous sommes de plus en plus inséparables, n’est-ce pas ? Encore beaucoup de baisers. Guite.
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Caen, lundi 1er octobre 1945 Mon Pierre bien-aimé, Merci encore de cette bonne lettre, de votre prière. C’est presque une prière d’un bout à l’autre. Vous êtes formidable. Vous priez bien plus facilement que moi. Vous êtes bien plus simple. Il faut absolument que j’y arrive aussi. J’ai eu votre première lettre après la seconde, parce que je viens de rencontrer Françoise, place Malherbe. Elle est allée retrouver « sa petite Eugénie ». Nous sommes toujours sans logement avec de plus en plus d’ennuis. Entendu, demain je prierai avec vous pour votre frère Bernard. C’est vrai que ce n’est pas rien d’être le représentant du Christ sur la terre. Non, je n’ai pas commencé Péguy hier. Je le commencerai aujourd’hui. Je vais écrire ce soir à vos parents. Cela me coûte beaucoup mais tant pis. Je joindrai ma lettre à celle de maman. Elle écrit à vos parents pour les remercier de l’accueil qu’ils nous ont fait et pour leur dire combien elle est contente de vous voir entrer dans notre famille. Qu’en pensez-vous ? Maman croit que nous pourrions faire des fiançailles officielles pendant les grandes vacances prochaines (…) Cela ne m’étonne pas que Robert Lefrançois vous ait indiqué une arche du pont Saint-Michel, car il affectionne particulièrement ce pont. Déjà l’année dernière quand il n’avait pas de chambre, il avait cherché quel pont serait le plus confortable et il avait trouvé que 175
ce serait le pont Saint-Michel. Mais ce n’est pas une solution. Et je souhaite vivement que vous trouviez vite une chambre. Je n’ai pas du tout envie d’être la femme d’un voleur de grands chemins. Pierre, vous n’êtes pas un voleur. Ne me racontez pas d’histoires – tous malhonnêtes, je ne peux pas les croire ; je vous connais trop maintenant pour que cela prenne. Il fait toujours un temps splendide et demain, nous allons à la Délivrance au lieu de samedi, et j’en profiterai pour aller à Luc. Mais la photo sera ratée, car je ne peux pas arriver à me coiffer. Oui, mon Dieu, faites-nous sortir de notre état passif, comme le dit Pierre, donnez-nous une horreur profonde de la médiocrité. C’est tout ou rien. Donneznous, comme le dit Pierre, le courage de notre Idéal. C’est dur, mais il faut que nous y arrivions. Aidez-nous. Fortifiez-nous. Donnez-nous le courage d’être ce que nous voulons être. Faites que nous soyons francs avec nous-mêmes. Faites que tous les deux nous travaillions à votre seule et unique gloire et quand nous aurons accompli sur la terre votre volonté, donnez la béatitude céleste à tous les deux car nous sommes unis, vous le savez bien puisque c’est vous qui nous avez unis. Donnez-nous d’être fiers de notre foi, donnez-nous un dynamisme fou. Nous sommes heureux, infiniment heureux. Ne mettons pas notre foi sous l’éteignoir. Donnez-nous cette joie profonde qui dilate tout l’être, qui fait que tout semble léger même les plus cruelles souffrances. Donnez-nous de vous aimer chaque jour davantage par notre mutuel amour puisque c’est votre
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volonté. Faites que notre amour soit toujours plus beau et qu’il serve à votre gloire. Mon Dieu, faites que Pierre soit un bon médecin, qu’il voie en ses malades non seulement le corps mais aussi l’âme. Il peut faire un bien fou. Il en a l’étoffe. Fortifiez-le. Je vous promets de l’aider, puisque vous nous avez créés l’un pour l’autre. Je crois que nous sommes de plus en plus inséparables. Faites que tous les deux nous ne soyons plus timides. Aidez-nous, c’est dur, mais c’est pour vous. Merci mon Dieu de m’avoir donné Pierre. Avec lui, c’est impossible d’être médiocre. C’est une mutuelle action de grâce que nous vous faisons. Nous sommes tellement heureux. Cela devient plus facile de prier devant vous. Merci mon petit Pierre de m’avoir tant aidée. Quel soutien vous êtes pour moi. Je vous aime de plus en plus. Vous êtes ce que j’ai de plus cher au monde. Tenez-moi au courant de toutes vos pérégrinations. Je veux savoir où vous êtes, ce que vous faites. C’est chic, de plus en plus chic, merci mon Dieu. Et cela durera toujours toujours sur la terre comme au ciel. C’est formidable quand on y songe. Il y a de quoi être fou de joie. Pierre, vous allez peut-être me trouver bébête, mais je suis follement heureuse ; j’en trépignerai de joie. Je vous aime, je vous aime. Moi aussi mon Dieu, je vous aime en Pierre et je l’aime en vous. C’est la meilleure façon de l’aimer pleinement, totalement, avec tout moi-même.
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Au revoir, petit Pierre chéri et à bientôt. Non, nous ne nous quittons plus, c’est bien pour toujours. Je vous embrasse comme je vous aime. Marguerite Excusez cette écriture, mais je ne sais ce que j’ai et ce que mon stylo a. L’encre vient trop et je suis obligée d’écrire à toute vitesse. Caen, mercredi 3 octobre 1945 Mon petit Pierre chéri, Décidément Paris n’a pas l’air de vous plaire. Dans le quartier latin, il y a deux églises assez proches, Saint Séverin que j’aime beaucoup, elle est en partie romane, elle devrait vous plaire. Elle est assez sombre et on y prie très bien. L’autre est Saint Jacques. Vous ferez à votre tante mes excuses les plus sincères. Je me souviens en effet avoir marché sur je ne savais pas quoi le dernier jour où j’ai vu Zaby et ce devait être un cadre d’après ce que vous me dites. J’en suis honteuse et confuse et n’oserai jamais paraître devant votre tante. Vraiment vous n’avez pas de chance dans vos pérégrinations. Je prie intensément pour vous. C’est le seul moyen pour moi de vous retrouver. Je fais aussi votre chandail et c’est bien doux de travailler pour un être bien aimé. (…) Vous avez encore envie d’être au berceau ? Vous ne serez pas un homme c’est-à-dire un être agissant, 178
pensant. C’est tout de même passionnant d’avoir vingt ans. Moi aussi quand je suis perdue, je pense à vous et c’est fini. C’est quand même chic d’être deux pour pouvoir s’appuyer l’un sur l’autre. Nous aussi nous sommes un peu perdus. Nous avons tous les empoisonnements possibles et inimaginables au point de vue logement. Papa va peut-être finir par écrire au maire, ce qui prouve que ça va mal. C’est impossible de vivre à six dans une pièce sans se gêner. Enfin il n’y a qu’à offrir. Tous les jours à la messe, je vous offre avec moi et je me sens plus près de vous. Je pense avec vous, je vous suis ou j’essaye de vous suivre partout. Je ne pourrais pas me passer de la messe en ce moment, sans cela je tomberais folle. (…) Entendu pour jeudi. J’espère d’ailleurs que le Bon Dieu aura pitié de son petit Pierre et que la comédie va finir bien vite. Courage mon chéri, si vous voulez, on va prier un peu ensemble. Mon Dieu, faites que Pierre soit bien courageux, qu’il ne se sente pas trop perdu dans le grand Paris. Trouvez-lui bien vite une chambre. Maintenant il a fait tout ce qu’il a pu. Aidez-le. Donnez-moi d’être pour lui le soutien que vous voulez. Vous savez combien je l’aime. Faites que je l’aime comme vous le voulez. Donnez-nous à tous les deux de ne pas tomber fous avant notre mariage parce que ce serait une catastrophe. Quand nous perdons pied, donnez-nous bien vite une bouée de sauvetage. Faites que nous nous attachions désespérément à vous.
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Courage, mon petit Pierre, je vous aime, vous savez bien que je suis avec vous-même quand nous sommes loin l’un de l’autre. Pour vendredi, si vous voulez, nous demanderons au Seigneur Jésus de fortifier nos deux volontés, qu’il fasse de nous des forts. Au revoir mon chéri, bon courage. Moi aussi il me faut du courage pour vivre dans ce taudis où on perd tout, où on perdrait même la tête si elle ne tenait pas fortement sur nos épaules. Michel me parle souvent de son cher beau-frère. Vraiment cela ne pouvait pas lui faire plus plaisir. Je vais écrire à quelqu’un que je connais à Paris qui pourrait peut-être vous louer une chambre. Bien mieux, j’ai une idée, je vais écrire au Père jésuite très débrouillard, je vais le faire tout de suite. Au revoir encore, je vous embrasse, mon chou, comme je vous aime c’est-à-dire beaucoup beaucoup beaucoup. PS. : Bien mieux encore. J’écris au Père en question, mais il serait aussi simple que vous alliez le voir ; il aura sans doute reçu ma lettre et vous aurez aussi la réponse plus vite. On le voit le matin à Vanves, 15 rue de Paris. Prendre le métro d’Issy, descendre à Petits Ménages, maintenant Corentin Celton. Prendre le boulevard des Lycées, la rue Normande, tournez à droite et vous tomberez dans la rue de Paris, près du n°15 : action populaire. On le voit aussi l’après-midi 79 avenue de Breteuil (15ème). Vous demandez à la concierge (peu aimable) si le Père Dunand (c’est son nom) est là. Il n’est pas toujours à Paris, et pour ne pas vous casser le nez, vous feriez mieux de lui téléphoner le matin, au 180
début de la matinée ou vers midi-1 heure. Vous seriez plus sûr de le trouver. N° de téléphone : MIC 33-33. Vous lui direz que vous êtes mon fiancé et que vous venez de ma part. Il sera certainement très heureux de faire votre connaissance. Il n’est pas du tout intimidant et très blagueur. Mais est-il là en ce moment ? Pour le savoir, téléphonez. Vous allez dire que j’ai l’esprit d’escalier, car j’ai rouvert ma lettre pour ce post-scriptum. Bon courage et bonne chasse. Encore mille baisers bien affectueux à mon petit Pierre. Marguerite
Caen, jeudi soir 4 octobre Mon petit Pierre bien-aimé, Je vous mets un mot ce soir pour vous envoyer mon cafard. Vous n’en avez peut-être pas ce soir, mais cela va me faire du bien de vous dire tout ce qui ne va pas. Je suis énervée, si je ne me retenais pas, j’enverrais tout le monde promener. Je suis fatiguée. Je me dégoûte moi-même. Je suis orgueilleuse. Je ne peux pas accepter une observation. Je me rebiffe aussitôt. Quelle femme vous aurez, mon pauvre Pierre, mais elle a envie de se corriger et demande que vous l’aidiez. Je travaille à votre chandail et cela me fait un plaisir fou, mais pour mélanger les deux couleurs, c’est
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tout un travail de patience. J’espère que vous n’avez pas trop froid. Bonsoir, mon petit chéri, cela va mieux maintenant que je vous ai dit tout ce qui n’allait pas. Je me couche parce que j’ai mal dans le dos. Il serait peutêtre plus sage que je me repose un peu et que je n’aille pas à la messe tous les jours, qu’en pensez-vous ? En tous cas à demain quand même dans le Seigneur Jésus. Je ne sais pas ce que j’ai, mais mes parents veulent que j’aille voir le toubib parce que j’ai tout le temps mal à la tête, mais il me dira une fois de plus qu’il ne sait pas d’où cela vient. A demain, mon chéri, bonsoir. Vendredi soir, 10h Excusez ce pâté. Il était tout petit mais c’est une méchanceté de Thérèse. Je cherchais un buvard et pendant ce temps, elle l’a étalé. Je l’ai traitée de tous les noms. Merci infiniment de votre lettre. Je l’attendais avec impatience et ce matin, j’ai été bien déçue de ne rien avoir. Je me suis dit : attendons ce soir. Vilain moqueur. Qu’est-ce que ça veut dire : « si les petits cochons ne mangent pas avant » ? Je suis contente que vous ayez enfin une chambre en vue. J’ai écrit à vos parents et cela ne m’a pas tant coûté. Je savais que votre oncle Gustave avait été au mariage de M. Lefrançois, mais j’avais oublié de vous le dire. 182
Le pèlerinage à la Délivrance est remis à dimanche et Françoise viendra probablement avec nous. Si le photographe peut, je me ferai photographier dimanche ou tout du moins prendrai un rendez-vous. Oh mon Pierre, vous n’êtes pas malhonnête. Votre lettre est cousue de fautes d’orthographe, soit dit en passant. Je suis méchante, n’est-ce pas ? Quant à nous, la question logement se fait de plus en plus angoissante. J’ai sommeil, épouvantablement sommeil, alors je fais un examen de conscience avec vous. Pour tout vous dire, ce n’est peut-être pas pareil pour vous ; je souffre de la séparation plus que je ne croyais, mais cela fait quelque chose de cher à offrir, alors tant mieux. Je vous aime, je vous aime toujours plus. Aujourd’hui j’ai surtout travaillé à votre chandail et je mets des lunettes pour ne pas avoir mal à la tête quand je travaille et le remède n’est pas trop mauvais. Puis j’ai goûté chez une amie. J’ai encore été orgueilleuse comme un paon. Pardon Jésus, Seigneur Jésus, demain j’essaierai de faire mieux. Vous voyez, je suis loin d’être parfaite. Demain vous viendrez en moi et cela m’aidera à me rapprocher de mon Pierre chéri qui me manque tant. Je vous offre cette souffrance avec lui. Je serai bien courageuse, nous le serons tous les deux. Merci d’avoir mis Pierre près de moi pour m’aider. Sans lui maintenant je ne pourrais pas vivre. Merci. C’est tellement merveilleux d’avoir quelqu’un sur qui s’appuyer, surtout quand ce quelqu’un est choisi par vous. Je sens bien que je l’aime de plus en plus et par là que je vous aime davantage. Mon Dieu, je 183
veux vous crier que je l’aime beaucoup beaucoup, et cela j’en ai le droit puisque je l’aime en vous et que je vous aime en lui. Vous savez bien pourquoi je l’aime. Je sens comme un besoin de me donner totalement sans réserve. Ce qui me chiffonne quelquefois mon Dieu, c’est de penser que je pourrais me replier sur moi-même, lui cacher quelque chose. Non jamais. Mon Dieu, faites qu’avec lui je sois très très simple. Pierre c’est vous près de moi. C’est pour l’éternité que nous sommes ensemble. Je crois que tous les deux, nous pouvons vous regarder bien en face. Oui, nous sommes à vous totalement tous les deux, car c’est impossible de nous séparer. Mon Dieu, pourquoi est-ce que j’ai envie chaque jour davantage d’être plus encore à lui ? Cela me dévore. Bénissez ce soir vos deux enfants qui vous aiment. Unissez-les même dans le sommeil. Je vais dormir à Caen et Pierre à Paris, mais Pierre-Marguerite cela ne fait qu’un. Cette fois mon petit Pierre, je vous avoue en toute franchise que je peux prier très facilement devant vous. Vous ne me gênez plus du tout, au contraire. Pouvoir dire n’importe quoi devant un être chéri, c’est merveilleux : non, je ne vous cacherai jamais rien. Vous êtes mon petit Pierre à moi et je suis votre Marguerite à vous toute entière, sans réserve. Vous pouvez tout prendre. Je ne m’appartiens plus. J’appartiens à Dieu et à vous uniquement. J’ai un besoin de don total qui me dévore et que je ne peux rassasier. C’est épatant de ne plus s’appartenir.
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Caen, lundi 8 octobre 1945 Mon petit Pierre chéri, Je suis gâtée ce matin, 2 lettres soit 10 pages. C’est chic. Merci de tous les détails que vous me donnez sur votre vie. Je peux ainsi vous suivre plus facilement. Moi aussi mon petit Pierre, je sais clairement une chose que l’on ne pourra jamais m’ôter, c’est que vous êtes tout pour moi. Oui, c’est chic d’avoir un fiancé, d’avoir quelqu’un sur qui s’appuyer. Remercions ensemble le Seigneur de vous avoir aidé. Il ne pouvait pas vous laisser coucher sous les ponts, mon petit chéri. (…) Ma santé ? Elle va bien à part quelques petits détails qui me font traiter de piquée par ma famille. Depuis quatre jours, mon pouce droit n’a plus qu’une demi-sensibilité. C’est original, mais désagréable. Mon rhume semble enfin terminé. Je dors et mange bien. Nerveuse ? Je le suis de temps en temps. Mais on ne peut pas être parfait du premier coup. Dans Péguy, (…) l’examen de conscience n’est pas mal. Cela m’a fait bien rire. Hier enfin, nous avons fait notre pèlerinage familial. Nous sommes rentrés à 2h claqués. J’ai fait rire tout le monde avec ma façon de marcher tellement j’avais mal aux pieds. Je ne savais pas comment poser les pieds par terre. J’ai prié beaucoup pour vous, de toutes mes forces et je me suis aperçue une fois de plus que vous étiez tout pour moi. Un chasseur a failli nous prendre pour cinq lapins et nous lui avons chanté sottises. Nous avons reçu à 185
quelques mètres de nous une grêle de plombs. Un peu plus et vous ne me revoyiez plus. Il est vrai que ça ne m’aurait peut-être pas tuée. Il y en a des idiots sur terre. Aussi ce matin je me suis reposée et n’ai pas été à la messe. Mais il me manque quelque chose. Tantôt j’irai faire une visite au Saint Sacrement, cela me fera du bien. Vous auriez dû recevoir une lettre aujourd’hui, mais je l’ai envoyée chez votre frère, ne sachant pas toutes vos pérégrinations. Pauvre petit Pierre, ce n’est pas de ma faute. Non je n’ai pas reçu d’intention. Mais j’en ai pris une. Comme vous je crois que l’amour n’est pas au plan de l’homme. D’ailleurs tout amour vient de Dieu, qui est l’Amour même, l’Amour par excellence. Je comprends l’amour ainsi : comme un don de Dieu qui doit retourner à Lui. En tous cas, nous sommes faits pour aimer ; l’être humain normal tend de toutes ses forces vers l’amour. Amour devrait être synonyme de Charité. Oui, l’amour est certainement sur un plan supérieur. C’est normal d’ailleurs. Mais il me semble qu’il nous paraît ainsi parce que nous n’en voyons le plus souvent que les caricatures. Je ne sais pas si vous comprendrez très bien ma pensée. Il me semble que ce n’est pas très clair. Aimer en Dieu, c’est participer à la vie même de Dieu puisque le Père et le Fils engendre perpétuellement l’Esprit Saint qui est l’amour du Père et du Fils. Je ne me souviens pas si nous avons parlé de la communion des Saints et du Corps mystique au pèlerinage. Le Corps mystique est le thème du prochain pèlerinage à Chartres. 186
Ce qui est merveilleux, c’est de pouvoir se dire que l’un et l’autre nous sommes membres du Corps mystique du Christ et par là unis intimement à lui. C’est cela qui me fait, qui doit nous faire, supporter la séparation. Vous allez me gronder et cela m’ennuie, mais je ne me suis pas encore fait photographier. Quelle idée aussi de m’envoyer à Luc. Enfin j’irai sans faute cette semaine. Vos photos d’identité vous ressemblent vraiment de très loin. Cela vaut à peu près celle qu’il y a sur ma carte de jeunesse musicale. Votre tante ne m’a peut-être pas trouvée timide à côté de Zaby, mais c’est tout. Je suis hélas encore timide. Et puis il y a des gens qui m’intimident moins que les autres. (…) Peut-être irons-nous habiter Rouen quelques années, deux ou trois, si nous trouvons un logement. Si nous avions un logement nous partirions tout de suite. En effet, papa a envie de rentrer dans le notariat. Grand-père n’a jamais voulu lui céder son étude et par conséquent qu’il soit notaire. Il l’est de titre, comme un avocat sans cause. Un notaire de Rouen lui offre une situation intéressante et il la prendrait s’il avait un logement. Papa ira à Rouen samedi voir un peu. Il se remettrait ainsi au notariat et dans quelques années, quand Michel aura fini ses études secondaires, il achèterait une étude à la campagne ou alors fonderait un cabinet fiscal près de Paris. Voilà les derniers projets !!! En tous cas Rouen n’est pas trop loin de Paris ni d’Evreux, c’est le principal. Et puis, là-bas, je ne connais
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presque personne, on n’aurait pas besoin de se cacher. Enfin ce ne sont que des projets. Ce premier vendredi du mois de septembre, nous avons été à la messe ensemble et certainement des gens nous ont remarqués qui se sont empressés de le dire aux uns et aux autres. Car il y a des gens qui le savent et qui n’ont pu le savoir autrement. Ce que les gens peuvent être bêtes quand même, cancan etc. Merci mon Dieu de m’avoir donné mon fiancé. J’avais besoin de quelqu’un sur qui m’appuyer. A qui je puisse tout dire. Pouvoir lui ouvrir mon âme toute grande sans réticence, ce que c’est chic. Lui dire toutes mes joies et toutes mes peines, tout ce qui me gêne et me tracasse. C’est patient un fiancé, et au moins le mien l’est. Faites que je sois plus simple avec lui pour qu’il n’ait pas besoin de tout m’arracher avec un tire-bouchon. Merci de l’avoir fait pitre. Merci de l’avoir gardé pur. J’avais tellement peur de tomber sur n’importe qui et vous m’avez trouvé un garçon épatant. Est-ce que je méritais ? Non peut-être, mais c’est parce que je suis faible. Ce qui est merveilleux, c’est de vous voir en lui. Je ne peux vous séparer. Impossible de penser à Pierre sans penser à vous, impossible de penser à vous sans penser à Pierre. C’est dilatant, c’est merveilleux. Merci de l’immense joie que vous m’avez donnée, que vous me donnez. Merci de m’avoir donné Pierre. Au revoir mon petit chéri que j’aime. A bientôt. Je vous embrasse de toutes mes forces. Votre Marguerite
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Caen, mardi 9 octobre Mon Pierre bien-aimé, (…) Demain ou plutôt samedi, je veux une lettre, j’ai dit. Je deviens autoritaire. Mais si vous ne voulez pas m’écrire, ne m’écrivez pas. Je n’ai eu que deux lettres cette semaine, ce n’est pas beaucoup. Si vous m’écrivez vendredi, j’aurai la lettre samedi. Au revoir mon petit Pierre bien aimé. J’ai moins mal à la tête alors cela va mieux. Mais il faut que j’aille chez le toubib demain et ça me barbe. L’autre jour c’était chez le dentiste et il m’a fait un mal. Heureusement je l’ai offert pour vous. S’il n’y avait pas vous, je ne pourrais pas vivre. D’ailleurs ce n’est pas pour rien que le Bon Dieu vous a mis près de moi. Vous êtes chic, chic. Je vous aime énormément et je suis follement heureuse, malgré un cafard passager. Maintenant je vous dis ce que je pense, comme je le pense, sans timidité. Quand ça va mal, je pense à vous, vous êtes devenu la respiration de ma vie. C’est épatant. Et puis il y a du soleil aujourd’hui alors je vois tout en rose. Je vous aime mon Dieu dans votre création. J’aime ce ciel sans nuage, ce soleil radieux et je déteste la pluie. Elle est pourtant nécessaire. Alors je l’aime pour son utilité. Merci mon Dieu d’avoir fait le monde si beau. Quelle merveilleuse harmonie et dire que l’homme s’ingénie à la détruire. Que sera le ciel alors ? Je vous offre le rire de cette journée, à Vous, à Pierre. Vous savez combien je l’aime, mon petit Pierre chéri, c’est vous qui avez voulu que je l’aime. Je vous le donne. Vous savez pourquoi je l’aime. Il est chic, très chic. Dites-lui qu’il 189
m’aide à être chic. Je suis un monstre en ce moment. J’envoie promener tout le monde. Pardon. Aujourd’hui je serai plus sage. Je suis comme une enfant gâtée. Je le suis aussi. Voilà, vous m’avez trop gâtée. Au revoir mon Pierre que j’aime follement. Je vous embrasse en vous serrant très très fort jusqu’à ce que vous criiez. Votre Guite Vendredi 12 octobre Mon Pierre chéri, Je ne me gêne pas, quand je n’ai pas de papier à lettre sous la main, je prends n’importe quoi. Quand Pierre Davy se pose professeur de français, il ferait bien de ne pas faire de fautes d’orthographe : « évidemment », il faut 2 « m », monsieur. Je suis méchante. C’est parce que je viens de relire votre dernière lettre. Taquinerie en passant. Aujourd’hui, journée épatante, ensoleillée, de quoi vous mettre du baume dans le cœur pour huit jours. Je viens de ranger vos lettres par ordre chronologique et j’ai constaté qu’il y en avait 16, c’est un petit commencement. Ce matin, messe à 8h dans le bureau de l’abbé, très sympathique. J’ai eu quelques distractions. Je me trouvais en face d’une caricature de l’abbé fumant sa pipe. Alors j’ai ri intérieurement. Mais je pense que le Bon Dieu ne m’en veut pas pour cela. Ce soir, réunion à
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5h avec l’abbé sur la béatitude « Bienheureux les doux ». Vous voyez que j’ai l’intention de refaire la JEC. Aujourd’hui j’exulte de joie. Je ne sais pas pourquoi et c’est ma joie que je vous envoie, mon fiancé chéri. Joie débordante peut-être parce que j’ai communié ce matin, parce qu’il fait merveilleusement beau, parce que je vous aime, parce que je suis fiancée, un mélange indescriptible de choses qui comblent mon âme. Alors je vous envoie ce mélange. Il faut bien que vous le partagiez. Qui pourrait le partager sinon vous ? J’ai oublié aussi de vous envoyer un trèfle à 4 feuilles trouvé par maman sur la route de la Délivrance dimanche et qu’elle vous offre. C’est sa spécialité. Je n’en ai jamais trouvé, mais elle, elle tombe toujours dessus. Je vous écris aujourd’hui pour vous envoyer ma joie uniquement. J’avais besoin de la communiquer à quelqu’un. Il fallait que le trop plein s’évacue. Je suis heureuse à cause de tout le bonheur que vous me donnez. Je ne pouvais pas en rêver de plus grand ici-bas. Mais pendant que je vous écris, votre chandail n’avance pas. J’ai encore les ¾ du dos à faire. C’est terrible, je suis tout le temps dérangée. Mais quand quelqu’un vous dérange, on doit toujours répondre : « Je t’attendais », n’est-ce pas ? Quand on a une once de charité. Merci mon Dieu de la grande joie que vous me donnez aujourd’hui. Demain ou après-demain, ce sera peut-être le cafard. Vous me connaissez. Vous savez bien que je ne sais pas garder de mesure. Aidez-moi à être toujours égale. Dites à Pierre qu’il m’aide à y arriver. Lui, il se maîtrise beaucoup plus facilement que moi. Il 191
est vrai que c’est un garçon. Et les garçons sont souvent plus rassis que les filles. Donnez-moi un peu de son calme. Au fond je suis calme, mais je déborde de joie, joie de vivre. C’est beau la vie, c’est magnifique malgré toutes les souffrances, à cause de ses souffrances et aussi de ses joies. C’est un mélange de joie et de souffrance qui fait qu’elle est passionnante. Donnez-nous de vivre pleinement. Oui, donnez-nous la grâce d’une vie pleine, remplie pour que lorsque vous aurez jugé que notre tâche est finie en ce monde, nous n’ayons pas les mains vides. Faites que Pierre et moi, nous vivions intensément. Merci de nous avoir unis pour votre plus grande gloire. Au revoir mon Pierre bien-aimé. A bientôt. Je vous aime de toutes mes forces, de tout mon cœur, avec tout mon être. Votre future PS. : Peut-être vous écrirai-je un peu plus souvent qu’il n’est convenu : quand ça déborde, il faut que je vous le communique tout de suite. Au revoir mon petit chou. Mardi 16 octobre 1945 Mon grand Bébé parisien chéri, Moi aussi je suis passoire. A l’instant où je vous écris, je pense que c’est l’anniversaire de la mort de ma grand-mère paternelle aujourd’hui et je n’y ai pas pensé dans ma communion ce matin. Pourtant elle le méritait,
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car elle m’aimait beaucoup et je l’aimais beaucoup. Elle est morte le 16 octobre 1939. Je ne comprends pas ce qui se passe. Vous vous plaignez comme moi de ne pas avoir de lettres. Pour moi, je vous écris généralement par retour et mets une lettre vers 5h à la poste. La recevez-vous le lendemain ? Quant à vous, je ne comprends pas du tout ce que vous faites. Ou plutôt si, je comprends pourquoi je suis plusieurs jours sans lettre, c’est parce que vous les mettez à la boîte le lendemain matin au lieu du jour. Normalement je reçois vos lettres le lundi, le mercredi et le vendredi, ou le jeudi et le samedi, mais quand je suis trois jours sans lettre, ça ne va plus. Il faudrait s’arranger pour qu’il n’y ait jamais plus de deux jours. (…) Et puis c’est parce que vous oubliez de mettre vos lettres à la poste que je n’ai pas de lettres, « tête percée ». Soyez un peu charitable. Pardon de parler sur ce ton. Mais les oublis arrivent à des gens très bien. (…) Pardonnez-moi de vous avoir donné le cafard la semaine dernière. Cette semaine je ferai tout mon possible pour que vous ne soyez pas sevré de lettres (…) Mlle Lefrançois m’écrit ce matin qu’elle vous invitera un jour un dimanche à déjeuner avec Robert car elle voudrait connaître « le grand garçon sympathique qui va devenir le mari de sa petite Guite ». J’espère que vous ne serez pas timide, car elle n’est pas du tout intimidante et je suis loin d’être timide avec elle. Pour tout dire, je manque souvent de respect. C’est « ma grande girafe ». Je lui avais trouvé une petite sœur au zoo et je lui demande quelquefois des nouvelles.
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C’est maintenant à peu près sûr que nous irons à Rouen. Mais il faut que je demande si on peut y faire histoire. Merci pour toutes vos connaissances. Oui, vous avez raison, le Bon Dieu est bien bon. Il y a des moments où je me demande si je vibre au même unisson que vous. Je le voudrais tant. Mais j’ai l’impression que vous aimez encore plus le Bon Dieu que moi. Pourtant je l’aime. Oh ! Aidez-moi Pierre. J’ai besoin de vous, très besoin. Je vous aime, je vous aime. J’ai soif de vous, parce qu’en vous, il y a Dieu, il y a la Trinité tout entière. Mon Dieu, apprenez-moi à vous respecter en lui. Oui, je vous aime en lui et je l’aime en vous. Si j’ai si soif de lui, c’est parce que j’ai soif de vous qui êtes en lui. Je ne peux pas vous dire ce que j’éprouve. C’est impossible. Je vous aime tellement que je ne peux pas exprimer cet amour. Mon Dieu, merci de m’avoir donné Pierre, d’avoir permis que je l’aime à ce point en vous. Il est tout pour moi en ce monde. Merci de m’avoir donné ce merveilleux appui pour vous aimer. Avec lui, je vous aimerai encore plus que je ne vous aime. Purifiez chaque jour davantage notre amour pour que nous soyons bien vôtre. Comme dit Pierre, nous ne serons pas tout à vous comme des prêtres ou des religieuses, mais après tout, on ne peut être aussi saints. La sainteté s’accommode de tous les genres de vie. Vous nous voulez à vous tous les deux, ensemble. C’est votre volonté, alors c’est très bien. De tout notre cœur nous nous donnons totalement à vous.
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Mon petit Pierre, je vais vous faire part de quelque chose. Si vous comprenez ce qui se passe, expliquez-le-moi. J’ai l’impression qu’en moi il y a duel entre l’amour humain et l’amour divin. C’est une impression et je ne dois pas y faire attention. J’aime pourtant beaucoup le Bon Dieu et quand je me raisonne, je me dis qu’au fond c’est normal que je vous aime plus sensiblement que Dieu, si on peut dire. C’est parce que je sens moins mon amour pour Dieu que pour vous que cela me fait cette impression. Au fond question de sensibilité, donc il ne faut pas y attacher d’importance. Croyez-vous que tout est dans l’ordre ? Je vous demande cela parce que vous n’avez pas l’air comme cela. (…) J’envoie moins promener les autres. Mais vous, ce n’est pas pareil mon petit Pierre. De vous, je crois que je supporterai tout. Mais pour vous faire plaisir, je vais me corriger. Si ça vous donne le cafard, je ne vous écrirai plus quand je l’ai. Pourtant il ne part que lorsque je vous l’ai envoyé. C’est chic, c’est épatant. Je vous en enverrai sûrement d’autres. Mon pauvre Pierre, j’ai envie de tout mettre sur votre dos, de mettre mon âme à nu complètement pour que vous me connaissiez bien et que vous ne soyez pas déçu. Je crois maintenant que je pourrai vous parler de tout sans me faire trop prier. Je veux devenir très simple, de plus en plus simple pour vous faire plaisir, pour que vous n’ayez pas de mal à me connaître, pour que nous soyons plus qu’un. Oh ! Etre un tout à fait sans aucune réserve : au fond, c’est de cela que j’ai soif. Etre un pour toujours dans le Seigneur Jésus, pour la terre et pour le ciel. Cela suppose, pour y arriver, un oubli total de soi. Hélas, nous sommes tellement 195
égoïstes. Il faudrait que nous arrivions l’un vis-à-vis de l’autre à une parfaite transparence. Qu’en pensez-vous ? Je vous quitte, mon chéri, pour que cette lettre parte et que vous l’ayez demain. Vous me direz si elle est arrivée le 17. A bientôt, mon Pierre chéri. Je vous embrasse de tout mon cœur en vous serrant très très fort (moralement, spirituellement…). Votre Guite Mardi soir, 16 octobre 1945 Mon petit Pierre bien-aimé, Ce soir je voudrais me jeter dans vos bras parce que j’aurais beaucoup de choses à vous dire. Mais c’est impossible. Je ne peux le faire que par l’intermédiaire de Dieu, alors je me jette en lui pour vous retrouver. Impossible de vous trouver ailleurs. Mon Dieu, merci de faire le trait d’union. Ce soir je voudrais être près de Pierre pour prier avec lui, car j’ai une envie folle de prier. C’est drôle les effets de l’amour, de l’amour compris en vous. Seigneur Jésus, aidez-moi à être digne de Pierre, digne de son âme. Je vous adore en lui. Pouvoir faire une minute abstraction de sa personne humaine pour ne plus voir que son âme habitée par vous. De vous voir l’un et l’autre, c’est merveilleux. Plusieurs fois, près de lui, en pensant que vous étiez en lui, j’ai éprouvé pour lui un immense respect. Au fond je ne sais pas vous chercher en dehors de lui. Et 196
maintenant je concilie très bien l’amour que j’ai pour vous et celui que j’ai pour lui. Pour qu’il n’y ait pas de duel entre ces deux amours, il ne faut pas vous séparer tous les deux. Aussi tout est dans l’ordre. Merci encore de m’avoir donné Pierre. Je ne sais pas comment vous remercier, comment vous prouver ma reconnaissance ? Par un amour vécu bien chrétiennement. Aidez-nous à être des chrétiens 100%. Pas un christianisme de bigote, à l’eau de rose ou raplapla, mais un christianisme intensément vécu. C’est dur peut-être, mais nous sommes deux, deux qui nous aimons assez pour pouvoir nous aider mutuellement à être ces chrétiens parfaits que vous voulez. Mon Dieu, faites que je sois plus forte pour que Pierre puisse s’appuyer sur moi. C’est moi qui m’appuie sur lui. Qu’est-ce que je lui donne en retour. Je sens bien que je suis plus égoïste que lui. Il se donne davantage et plus intensément. Moi ce ne sont que des velléités et des belles paroles. Aidez-moi à lui faire de ma personne un don effectif. Pardon ce soir pour toutes mes bêtises de la journée. Passez l’éponge, vous êtes tellement bon. Pardon surtout pour cet orgueil qui ne veut pas plier. Demain ce sera mieux, je vous le promets. Je suis faible. Aidez-moi à être plus forte. Pardon avec Pierre pour que nous soyons bien ensemble. A demain. Bonsoir mon petit Pierre. Si vous aviez été présent, ça aurait été pareil (quel français !). C’est cela qui est merveilleux. Vous voyez, votre fiancée fait de petits progrès (elle ne se donne pas de coup de pied). Ainsi la prochaine fois que nous nous reverrons, ça marchera tout seul. 197
Ce soir, nouveau rhume : j’aurai l’air intelligent sur la photo ! Mercredi, 3h30 Quelle joie ! Encore une lettre ce matin : mardimercredi, cela fait déjà deux pour la semaine. Merci mon petit Pierre. Merci de votre amour. Puisque vous ne criez pas encore alors je vous serre encore plus fort sur mon cœur jusqu’à ce que vous criiez. Mais je ne vous entendrai pas alors je peux continuer. Nous ne sommes pas encore partis à Rouen, papa devait y partir en janvier pour y prendre sa situation, mais il ne pourra probablement pas, alors cette situation lui échappera peut-être. Car les caisses d’allocations familiales vont être nationalisées prochainement et il n’y aura plus qu’une caisse unique par département et en ce moment, il y en a trois. Celle de papa sera dissoute et il est question, c’est même certain, de donner d’assez grosses indemnités aux directeurs allant jusqu’à un million pour les plus âgés. Evidemment papa voudrait en bénéficier, ce qui retardera notre départ. En tous cas, Thérèse et moi allons avoir une chambre indépendante au 4 rue de Bayeux, après bien des complications. Il n’y a pas de cheminée, donc pas de feu. Mais on verra si on ne pourra pas mettre un tuyau débouchant sur une fenêtre. Enfin on verra. Je vous quitte, mon chéri, pour que cette lettre parte. Je vais porter votre chandail à Michèle Lempérière qui le déposera chez ses cousins rue Denfert-Rochereau. Je vais lui demander l’adresse exacte et je vous l’enverrai
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aussitôt. Vous pourrez le prendre à partir de vendredi matin. Au revoir, je vous embrasse de tout mon cœur. Guite Vendredi 19 octobre1945 (…) Merci aussi pour votre explication. Elle est très claire, vraiment c’est impossible de ne pas comprendre et je la crois tout à fait orthodoxe. Maintenant j’ai très bien compris et vous pourrez vous rendre compte que le duel a cessé. Ce qu’il ne faut pas, c’est chercher Dieu en dehors de l’être aimé, mais au contraire en lui. Ainsi tout duel cesse et on arrive à une parfaite stabilité. Vraiment maintenant j’ai compris l’ordre de Dieu. Alors ça va. Je comprends parfaitement que l’amour humain soit très fort puisqu’en effet c’est le plus grand des amours terrestres. Il a été voulu par Dieu ainsi. Il est pur, grand et noble puisqu’il nous élève vers lui et au fond nous donne des ailes. Je ne me reconnais pas du tout. L’année dernière j’étais tout autre. Et c’est normal. Vous avez l’esprit très clair, c’est épatant. Je ne suis pas bouchée en maths au point de ne pas comprendre votre explication mathématique. Si j’avais à choisir entre Dieu et vous, je ferais exactement ce que vous pensez et il en serait de même pour vous, je pense. La sensibilité sert quelquefois dans l’amour de Dieu. Il arrive parfois qu’on sente sa présence. Evidemment si on ne se basait que là-dessus, notre foi serait peu solide. C’est de la confiture, si vous comprenez 199
cette comparaison. Il est relativement facile de le sentir dans sa créature et dans sa création. Il ne m’est pas du tout difficile de le voir en vous. Je n’ai pas du tout envie d’écraser ma sensibilité. Et puis il est normal que nous nous témoignions notre affection. Nous avons un corps. « Qui veut faire l’ange fait la bête », disait Pascal. Oui, il faut nous prendre tels que nous sommes. Merci donc pour votre cours de philo. Il est très intéressant. (…) Merci Pierre de votre sévérité. Continuez. Vous avez raison. Je me suis regonflée près de vous et je n’ai plus envie de pleurer. Mais j’ai encore un vague cafard, une angoisse, je ne sais pas pourquoi, alors je vous l’envoie. Au revoir, je vous embrasse bien bien fort. Votre Guite Maintenant je ne m’analyse plus. J’irai droit à vous, comme à Dieu, mais il y a des choses que je n’oserai plus vous dire. Je vous assure que tout ce que je vous dis est vrai. Et puis je vous aime c’est tout. Samedi matin 20 octobre 1945 Mon petit Pierre, J’ai une fois de plus oublié mon papier à lettres. Mais cela n’a pas d’importance, n’est-ce pas ? Oui, Pierre, j’ai l’impression quoi que vous en pensiez que je vous aime comme il faut. Je vous aime en 200
Dieu et soyez sûr pas plus que Dieu. Je sais parfaitement que l’acte d’adoration n’est dû qu’à Dieu et je ne suis pas idolâtre, je crois. Ce serait dommage d’ailleurs. Non, vous n’envoyez pas dire ce que vous pensez, mais j’aime cent fois mieux cela et cela fait du bien parfois d’être secoué. Oui, j’ai quelquefois regardé un homme et je les ai souvent trouvés bêtes, grossiers, etc. et j’avoue que pour moi vous n’êtes pas un homme comme les autres, mais ne croyez pas quand même que vous êtes le seul. Si je vous ai demandé de m’acheter « Etoile au grand large » de Guy de Larigaudie c’est pour vous l’offrir et vous verrez que ce garçon avait une trempe peu ordinaire. C’est un livre que j’aime beaucoup. Et vous ? Avez-vous regardé quelquefois une fille ? Que voulez-vous, c’est normal que l’on chérisse les gens. Sachez quand même que je sais être dure. Vous ne vous en doutez peut-être pas, vous vous en apercevrez peut-être un jour. Sous mes airs tendres, je ne le suis pas toujours. Je le suis seulement avec les gens que j’aime énormément. Je sais que ce n’est pas vous aimer que de vous bercer de douces illusions. Tout ce que je vous ai dit, je l’ai pensé en vous comparant à d’autres. Il me semble cependant que je vous ai dit plus de défauts que vous ne m’en avez dits. En effet, je ne dois pas vous féliciter pour votre travail. 2 heures c’est vraiment peu. Alors je pense que nous nous marierons à 80 ans comme prévu, Pierre. Ce que je dis, je le pense vraiment. Il faut absolument travailler davantage. Vous le pouvez. Vous devez avoir suffisamment de puissance de travail et puis, c’est une question de volonté. Et quand vous voulez, vous êtes
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volontaire, cabochard même. Soyez cabochard pour votre travail. Donc finies mes admirations puériles. Je vous promets de vous secouer, tant pis si je ne suis pas très tendre. Il est vrai qu’avec vous, elle reprendra vite le dessus cette paresse. Je ne vous serre sur mon cœur, alors, que si vous travaillez et comme je suppose que vous allez le faire très courageusement, je vous serre très fort pour vous donner du courage. Merci pour la vache qui regarde passer un train. Cela me rappelle une image qu’il y avait dans la petite histoire de Bainville : une fille avec une natte dans le dos, les bras et les doigts écartés, se pâmant d’admiration devant un tuf-tuf antédiluvien. Je vais donc essayer de vous regarder avec les yeux de la raison et faire taire mon cœur puisque vous le voulez. Ce sera la meilleure façon de vous aimer. Je rengaine mes compliments pour des jours meilleurs. (…) Pour l’éducation des enfants, ils ne seront pas gâtés, soyez-en sûr, j’ai horreur des enfants mal élevés. Quand vous aurez encore des reproches à me faire et cela ne fait pas l’ombre d’un doute, je referai un chandail pour éponger !!! Vous pensez bien que je ne suis pas encore bête au point de croire que ce que vous me dites est par animosité. Non, mon chéri, pas encore à ce point-là ! (…) Au revoir, mon chéri. Soyez sûr que je ne vous en veux pas, au contraire. Je vous aime encore bien plus. (…) Au revoir. Je vous embrasse bien bien fort. Votre Guite
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Mercredi 24 octobre 1945 Mon petit Pierre chéri, Savez-vous qu’en tant que « vache » j’appartiens à l’espèce des ruminants ? Aussi ne vous étonnez pas si j’ai ruminé la lettre dont on ne parle plus. Je suis méchante, n’est-ce pas ? C’est très joli toutes ces histoires mais vous ne me dites pas quand vous avez l’intention de venir ?... Moi aussi je pense à vous tout le temps et c’est merveilleux. Oui, je pense aussi que ces séparations sont très formatrices et je n’envie absolument pas les vieilles filles. (…) Mon petit Pierre, continuez de m’écrire tout ce qui vous passe par la tête. Même si c’est désagréable. Cela me fait du bien vous savez. Moi aussi je suis orgueilleuse et si vous me faites des compliments, je le serai encore plus. Aujourd’hui je me sens bien à l’aise avec vous et je vous redis que je vous aime follement, de plus en plus. Bientôt je ne pourrai pas vous aimer plus. Si pourtant, mais alors qu’est-ce que ce sera dans l’avenir ? Si je ne communiais pas tous les jours, cela n’irait pas, car c’est la seule façon de m’unir à vous puisque je m’unis au Christ qui vit en vous. Au fond, quand on y pense, c’est merveilleux l’Eucharistie. Mon petit Pierre, nous en vivrons autant qu’il nous sera possible. Oui, pouvoir tout se dire dépasse tout le bonheur que je croyais possible. Pouvoir se vider complètement dans une autre âme, c’est vraiment merveilleux. C’est vous maintenant qui allez dire : « tellement gentille, tellement ceci, cela » ! Voulez-vous rengainer 203
vos compliments. Oh ! Pardon, c’est vrai, on n’y pense plus. (…) Pierre, je ne voudrais pour rien au monde vous rendre orgueilleux et je ne servirai mes compliments que lorsque vous les aurez vraiment mérités. Ne croyez pas que malgré mon admiration je vous trouve parfait. Vous êtes molasse, moi aussi. Quel couple de limaces ! Il faut que ça change. Non, pas de mollasseries, c’est horrible les gens qui se trainent. Je ne sais si vous êtes comme moi mais j’ai une profonde aversion pour les mollusques. Travaillez mon chéri. Vous allez me trouver rasante si je vous le dis tous les jours. Merci aussi pour la « petite vacharde ». Je n’ai pris la résolution de me taire que lorsqu’on me faisait des observations méritées ou non, mais pas avec vous, voyezvous. Il faut bien que je vous montre que je suis quelquefois méchante, sans cela vous me croiriez trop bonne. Hier soir j’avais un cafard fou. J’ai eu envie de vous l’écrire et puis je ne l’ai pas fait. Je vous aime énormément. Je voudrais vous embrasser, me jeter dans vos bras. Au fond me faire choyer ! Quelle horreur ! Quel monstre je suis ! Il faut que je sois courageuse. Evidemment on est bien près de vous. Si je vous dis cela c’est pour que vous voyiez à qui vous avez affaire. Je me rends compte que je suis égoïste. Pierre, est-ce normal d’avoir envie de se faire choyer ? Répondez-moi bien franchement, les yeux dans les yeux. Mon Dieu, puisque notre amour est humain au fond, c’est normal qu’on ait envie d’être avec l’autre. Je vous offre cette soif de lui pour votre plus grande gloire, 204
pour être plus près de vous : oui, je vous aime vraiment, mon Dieu. Et puis vous êtes venu ce matin en moi et vous nous avez unis. Alors je suis très heureuse. Il y avait un mariage à la messe ce matin et j’ai pensé au nôtre. Ce sera, Jésus, épatant, puisque c’est vous qui nous mariez ; puisque ce jour-là vous vivrez tout entier en chacun de nous. Préparez-nous bien tous les deux, nous en avons grand besoin. C’est tellement grave. Au revoir, mon chou bien-aimé. Oh ! Je vous serre très très fort sur mon cœur jusqu’à ce que vous criiez. Votre Guite à vous tout entière. Pierre, dites-moi encore ce que vous trouvez de mal en moi. Je vous dirai ce que je trouve de mal en vous.
Mardi 30 octobre 1945 Mon Pierre chéri, Je vous aime, je vous aime, c’est le cri de mon cœur en ce moment. Vous pouvez m’écrire, maman viendra me porter vos lettres et ce n’est que mercredi soir que je rentre me sanctifier. Dites-moi alors à quelle heure vous arriverez, car vous viendrez sans doute d’Evreux. Pour changer, j’ai mal à la tête et cet après-midi je vois le dentiste. Oui, c’est cela, on demandera aux saints du ciel de nous aider à être saints. Pierre, pourquoi pas ? Après 205
tout, il n’y a que cela qui compte. Etre sainte avec vous, mon petit Pierre, ce sera épatant. Je vous aime de plus en plus. Et cet amour remplit tellement mon cœur que j’aime être seule, seule avec Dieu et avec vous. Pendant ces deux jours de retraite, au fond ça va être chou, on va n’être que tous les trois. Mon petit Pierre, vous allez prier pour que j’y voie clair, puisque vous avez dit que je ne me connaissais pas. Aidez-moi. J’ai soif de vous, bien soif. Vous êtes ma seule raison d’être en ce monde. Il faut qu’ensemble nous travaillions au règne de Dieu. Pierre, je pense quelquefois, si nous n’avions pas la foi ? C’est une grâce de l’avoir. Nous serions cent fois moins heureux sans elle. Merci mon Dieu de nous avoir donné la foi. Je ne peux pas vous dire tout ce que je ressens. Je me sens à vous pour toujours et cela me ravit, toujours, toujours, est-ce vrai une chose pareille. Que ce sera chic le jour de notre mariage : pouvoir se dire ça y est, c’est pour toujours, toujours. J’ai eu les photos hier. Ce n’est pas bien merveilleux, mais je suis toujours très mal en photo parce que je suis très nerveuse. Vous verrez que ce n’est pas un chef-d’œuvre. Je ne suis bien que lorsqu’on me prend sans que je le sache et sans que je m’en aperçoive. Vous n’avez qu’à le faire un jour. Mon petit Pierre, donc je crois que vous êtes fait sur le même modèle que moi et je m’aperçois qu’au fond un cœur de garçon n’est pas différent d’un cœur de fille. Je fais des découvertes ! Après tout, il n’y a pas tant de différences. Une âme de garçon et une âme de fille sont de la même essence. Au ciel, il n’y aura plus ni garçons ni filles. Vous allez rire de mes découvertes un peu 206
naïves mais tant pis. Il n’y a que vous à en rire, alors ça m’est égal. Je vous aime……………..énormément. Je feuillette « Etoile au grand large » de Guy de Larigaudie et je tombe sur un passage que j’aime bien : « Le terrassier et le moine devraient avoir la même pensée : mon Dieu, faites que j’accomplisse ma vocation. L’un doit s’efforcer d’être un bon moine et l’autre d’être un bon terrassier. Leurs destinées ne sont point différentes. Chacun mettant en œuvre ses capacités et ses dons s’accomplit lui-même et par là travaille à la gloire de Dieu. » C’est vrai que chacun doit accomplir pleinement sa vocation. Nous nous aiderons mutuellement. Ce n’est pas pour rien que nous nous aimons et ce n’est pas pour rire. C’est grand, profondément sérieux, ne trouvez-vous pas ? Au revoir, mon Pierre que j’aime infiniment. A bientôt, quelle joie immense et profonde. A jeudi dans le Seigneur Jésus. Je vous embrasse bien bien fort et je vous aime comme il n’est pas possible de vous aimer plus, c’est-àdire de toutes mes forces, de toute mon âme, de tout mon cœur. Votre Marguerite Voici un autre passage de Guy de Larigaudie intitulé « Jeunes filles », vous me direz ce que vous en pensez. (Il s’adresse aux garçons). « Les jeunes filles sont l’image précieuse de notre mère lorsqu’elle avait notre âge. Petites ou grandes, blondes
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ou brunes, elles sont claires, nettes et saines, et Dieu luimême doit sourire lorsqu’Il les voit passer. Plus tard seulement, lorsque tu seras plus mûr, tu découvriras parmi elles la femme de demain. Aujourd’hui considère-les simplement comme de franches compagnes. Une éducation faussée nous a trop souvent appris à ne voir dans la femme qu’une occasion de péché, au lieu d’y déceler une source de richesses. Mais, sœurs, cousines, amies, camarades ou cheftaines, les jeunes filles sont les compagnes de notre vie, puisque dans notre monde chrétien nous vivons côte à côte, sur le même palier. Sans doute la camaraderie entre garçons et filles est chose infiniment délicate, qu’il faut mener avec prudence et régler chacun pour soi à sa propre mesure. Mais c’est un manque à gagner que de négliger ce don de Dieu que sont les vraies jeunes filles. Elles ont une vertu de pureté dont le rayonnement nous est salutaire, à nous qui devons batailler sans cesse pour maintenir cette même pureté. Si elles savent se tenir à leur place – et c’est d’elles uniquement que dépend, en leur présence, la tenue des garçons – leur influence peut être profonde. Il n’est que de voir sur une plage ou à la piscine les jeunes gens cherchant à éblouir les jeunes filles. Un regard admiratif, un sourire suffisent pour donner à un garçon le coup de fouet d’amour propre qui le fera sauter, malgré sa crainte, du haut du plongeoir. Pourquoi, sur un plan différent, ce même renfort et ce même sourire ne donneraient-ils pas à ce garçon plus de lumière et de cran dans sa vie ? 208
La chanson d’une eau vive entraîne loin du marais. La présence des jeunes filles grossièretés et lourdeurs – certaines d’entre elles, rencontrées aux heures mauvaises, vous clarifient littéralement l’âme. Nous sommes de grands garçons maladroits et patauds, les jeunes filles nous forment à la politesse et à la courtoisie – leur présence nous allège et rétablit l’équilibre. Nous sommes trop cérébraux. Les jeunes filles comprennent d’un seul coup ce que nous disséquons péniblement avec notre raison. Leur présence est un apaisement. Elles sont un sourire et une douceur. Mon Dieu, faites que nos sœurs les jeunes filles soient harmonieuses de corps, souriantes et habillées avec goût. Faites qu’elles soient saines et d’âme transparente, qu’elles soient la pureté et la grâce de nos vies rudes, qu’elles soient avec nous, simples, maternelles, sans détours ni coquetteries. Faites qu’aucun mal ne se glisse entre nous et que, garçons et filles, nous soyons les uns pour les autres une source, non de fautes, mais d’enrichissement. Dimanche 4 novembre 1945 Mon Pierre bien-aimé, Pas de cafard ce soir, simplement un certain malaise parce que je n’ai pas été assez simple avec vous. Aidezmoi, je vous en supplie. C’est trop bête. Je manque de volonté. Il faut que vous arriviez à obtenir de moi la spontanéité. Ce serait tellement mieux.
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Je retrouve tout ce que je voulais vous dire ce matin et en plus, les quelques notes que j’ai prise sur une instruction du Père qui traitait de l’amour. Je voulais donc vous dire, vous savez à peu près tout : 1) Comment envisageons-nous la chasteté avant le mariage. 2) L’éducation des enfants 3) Faire de ce sacrifice qu’est la séparation et l’attente un approfondissement de notre amour 4) Quand nous avons soif l’un de l’autre, offrir cette soif pour la gloire de Dieu. Penser que nous serons pour toujours l’un à l’autre, quand Il lui plaira. Voilà les quelques notes sur la préparation au mariage. Il s’agit de préparer une chic vie, une vie joyeuse : Chasteté : se faire une très grande idée du mariage et de l’amour. Donner la vie est au premier chef participer à l’œuvre de la création. Le mariage est donc une chose sainte, sacrée. Le 6ème commandement nous défend de détruire l’ordre établi par Dieu. La chasteté comporte de véritables sacrifices. L’âme vraiment chaste se prépare une belle vie, un chic foyer, se fortifie le caractère. Moyens : Croire que la chose est possible, avoir confiance en Dieu. Prier intensément. Prier la Sainte Vierge. Avoir un grand idéal, de grands désirs intenses, 210
éperdus (désir d’apporter au fiancé ou à la fiancée et aux enfants quelque chose d’intact). Pratiquer d’avance le don de soi. Préparations du cœur : Garder son corps et son cœur. Savoir nous conserver pour pouvoir mieux donner ensuite. Un sentiment ne dure que pénétrer de volonté. Se préparer à être épouse et mère (ça, ce n’est pas pour vous, mais comme vous êtes curieux !!! [Vilaine fille, vous allez dire]) : sourire envers et contre tout, s’oublier. Il faudra se sacrifier pour le mari et les enfants. L’amour conjugal n’est qu’un aspect de l’amour qui fait toute vie chrétienne. Voilà, mon petit Pierre, ce que je voulais vous dire. Quant à la résolution, je la cherche toujours. Seigneur Jésus, nous vous offrons ensemble cette séparation ou du moins faites qu’elle serve à votre plus grande gloire, à l’approfondissement de notre amour en Vous. Mon Dieu, nous vous l’offrons de tout notre cœur. C’est dur (pour moi toujours), mais il faut que ce soit dur. Cela fait mal un peu, mais tant mieux. Vous avez tant souffert Jésus. Comme homme vous avez pu dire, j’ai mal à la tête. Cela a bien dû vous arriver. Vous avez écrit : Père, s’il se peut, que ce calice s’éloigne de moi. C’est parce que vous souffriez trop. Quand vous avez su Lazare mort, vous avez pleuré parce que vous l’aimiez. Alors vous comprenez bien notre sacrifice. Aussi nous vous l’offrons totalement. Faites qu’il donne à Pierre le courage de travailler. A moi aussi. Nous nous abandonnons tous les deux totalement. Nous vous 211
donnons notre amour. Unissez-nous quand vous voudrez. J’aime Pierre encore plus. Toujours plus. C’est comme cela que vous voulez que je l’aime, mais pour lui-même. Bon courage, mon petit chéri. Je vous aime follement, vous savez combien. Je vous embrasse avec toute mon affection et tout mon amour. Guite Mardi 6 novembre 1945 Mon Pierre bien-aimé, Pas de lettre ce matin. Fiat. Vous deviez être très pris hier. Mais je me sens plus courageuse depuis que nous nous sommes vus. Je voudrais vous dire ce que je ressens. Mais c’est impossible, cela m’étouffe. Oh je vous aime ! Je vous aime de plus en plus. Je viens d’embrasser la chère photo. Oui, Pierre, vous êtes plus que ma future moitié et moi plus que votre future moitié. J’ai l’impression d’avoir gardé un peu de votre âme. Oui, c’est vrai, je vous porte un peu en moi. Quelle joie ! Alors nous pouvons bien être séparés puisque je vous ai. Et puis il faut toujours sourire. Ensemble, pendant cette séparation, nous nous préparerons à Noël. Quelle joie si le premier janvier nous pouvons tous les deux l’un à côté de l’autre offrir notre année tout entière au Seigneur. Ainsi nous vivons d’espoir. Mais on a toujours l’espoir de se revoir. Alors en avant. Pendant que j’y pense, quelle est la nouvelle adresse de Zaby ? 212
Je vous quitte, mon Pierre chéri, et vous retrouverai ce soir. 3 heures Je viens de retrouver deux pellicules où je suis. Je me souviens que les positifs n’étaient pas trop mal, mais je ne les ai plus. Elles sortent des décombres, aussi je me demande si elles sont encore bonnes, qu’en pensezvous ? 10 heures La journée s’est bien passée, calme et joyeuse. Vous étiez en moi mon chéri. Ma joie et mon bonheur augmentent de jour en jour. Merci mon Dieu. Bonsoir mon petit Pierre, je tombe de sommeil. Je vous serre bien fort sur mon cœur. A demain.
Samedi 10 novembre Mon Pierre chéri, (…) Au fond, quand on y songe, c’est formidable d’être maman. Aidez-moi, mon Dieu, à me préparer à cette grande tâche faite de renoncements nombreux. C’est fini, je ne m’appartiens plus. Je vous appartiens, vous savez bien, vous m’avez donné à Pierre et, plus tard, il me faudra m’oublier encore totalement pour ces petits que vous nous donnerez.
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Alors je vous dis avec Pierre merci mon Dieu pour toutes les souffrances et tous les sacrifices que vous nous réservez. Nous sommes deux à les supporter. Oui, c’est vrai, il est juste que nous attendions, que nous souffrions. Notre vie sera plus belle. Pierre, je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais c’est fou ce que j’ai changé depuis que je suis fiancée. Non, je ne me reconnais plus. Ce que j’étais avant et ce que je suis maintenant, c’est totalement différent et à tous points de vue. C’est vous qui avez apporté ce changement. C’est quand même chic. Oh oui, Pierre, j’ai conscience que je suis bien à vous, que vous étiez le seul à qui je puisse appartenir pour toujours. Nous étions faits pour aller ensemble. C’est épatant. Chaque jour je fais des découvertes sur la beauté et la profondeur de l’amour chrétien. Pierre, avec l’aide de Dieu, nous aboutirons à un amour d’âmes entre elles. Elles sont déjà bien unies, nos âmes, mon Dieu, resserrez encore plus cette union. Ainsi nous serons forts. Et quand on sera vieux, nous ne ferons plus qu’une seule âme, avant aussi espérons-le. Pierre, vous êtes pour moi un don magnifique de Dieu. Nous allons commencer à emménager la chambre du 74 et nous nous usons la cervelle pour savoir comment y mettre le plus de meubles possible ! C’est compliqué la vie. Dans un mois notre terrain sera déblayé. Ils ont enlevé la clôture que vous avez vue. Il va falloir que nous y allions voir tous les jours, car on récupérera peut-être quelques petits objets et ça fait toujours plaisir. Et puis notre terrain déblayé, on pourrait peut-être mettre une baraque sur le terrain et ainsi nous 214
serions tranquilles et dirions « Zut à tout le monde », comme dit papa. Mon petit Pierre, ce sera la volonté de Dieu. Au fond nous ne voulons que Sa volonté. Il y a des jours où je me dis comment pourrions-nous vivre sans Dieu. Mais c’est une grâce d’avoir la foi. Au revoir, mon chéri. Travaillez-bien. Lundi, c’est la journée chargée il me semble, je penserai bien à vous. Je me sens plus courageuse, parce que vous êtes courageux. Alors courage encore. Je vous aime et je vous embrasse de tout mon cœur. Votre Guite Dimanche soir 11 novembre Mon Pierre chéri, Tout le monde m’embête, que n’êtes-vous là pour me défendre ? Je n’ai rien dit parce que je ne voulais rien dire. Ils m’ont dit ce soir que je serai une piètre femme d’intérieur parce que la soupe était trop salée et qu’il y avait soi-disant de la terre dedans ! J’ai pensé que mon petit Pierre ne serait pas si difficile. (…) J’ai retrouvé samedi trois petites poupées. Ce sont trois spécimens de la collection. J’en avais entre 15 et 20 ! Je vois que je retombe en enfance (…) Mon Dieu, bénissez Pierre. Il est à vous, mais il est aussi un peu à moi. Je veux l’aimer toujours plus, être digne de lui. Et puis ce soir mon cœur brûle pour lui, 215
alors je vous offre cette soif d’amour pour votre plus grande gloire. Mercredi 14 novembre, 5 heures Mon Pierre bien-aimé, (…) Mon petit Pierre, est-ce que vous connaissez bien votre Evangile ? Moi pas et je trouve que c’est une lacune. Ne croyez-vous pas qu’on pourrait l’étudier un peu ensemble ? Mais c’est peut-être trop vous demander, alors je me débrouillerai toute seule. Dites-moi simplement ce que vous en pensez. Que vous dire encore ? Vous allez croire que ça m’embête de vous écrire ! Non, mais tout ce que je veux vous dire reste dans mon cœur et ne peut pas sortir. Estce que vous me permettez d’être indiscrète avec vous ? Quand vous m’aurez répondu, je vous poserai les questions que je veux vous poser. En attendant, je vous aime de tout mon cœur. Au fond je suis encore timide avec vous. Mais je crois que ce n’est plus pour longtemps. Je vous aime, mon chéri, plus que moi-même et vous embrasse. Guite PS. : Et puis non, je crois que je n’ai pas le droit d’être indiscrète. Il y a un jardin secret que je dois respecter. Je n’ai pas le droit d’y pénétrer. Au fond je ne sais pas au juste jusqu’où va l’intimité. Je vous aime. Au fond je n’aurais pas dû vous dire cela 216
peut-être. C’était le fond de ma pensée. Non, je n’ai pas le droit de pénétrer dans le coin de votre âme seul à seul avec Dieu. Si je vous ai dit cela, c’est parce que je sens un besoin plus grand d’intimité. Vous comprendrez j’espère ce « jus informe ». C’est un cadeau que je vous fais. Mais cette fois je crois avoir trouvé la cause de mon malaise, de mes cafards. C’est tout simplement parce que je sens un besoin plus grand d’intimité. Mais, au fond, elle sera ce que le Bon Dieu veut qu’elle soit. Mon petit Pierre, maintenant que je vous ai livré mon angoisse, cela va mieux. C’est à vous de résoudre le problème. Vous allez me dire que je suis une fille insupportable. J’ai peut-être rêvé quelque chose d’irréalisable. Là-dessus je me cache la tête sur votre épaule pour ne pas voir votre réaction. Je vous aime, je vous aime de plus en plus. Je voudrais tellement faire un avec vous. A demain. Samedi 17 novembre 1945 Mon Pierre chéri, Comment se fait-il que jeudi vous n’ayez pas eu de lettre puisque je vous ai écrit tous les jours. C’est votre concierge qui doit être fautive. Pauvre chou, cela vous apprend à être courageux. Quant à moi, je suis toujours enrhumée, c’est un véritable bonheur. Et ce matin j’ai entrepris de chanter en faisant le ménage en cuisine. C’est une belle réussite. Pour compléter votre collection de photos je vous envoie celle de ma communion où je n’ai pas l’air maligne. J’ai l’air d’une vache qui regarde passer un 217
train. Et puis une autre. Je vous dirai si vous pouvez la garder quand la maison sera déblayée. Si on retrouve les albums à photos, elle sera en double, donc vous pourrez la garder. Quelle est la 3ème qui est « passablement moche » ? Sur celle où il y a Thérèse et moi, je dois avoir 9 ans. Moi aussi cela m’arrive d’avoir l’esprit creux. Je crois que ça arrive à tout le monde. Vous aimez mieux les petites filles que les petits garçons ? Et moi je préfère les petits garçons évidemment, mais depuis longtemps d’ailleurs car j’ai fait le catéchisme aux deux et les filles étaient plus insupportables que les garçons, surtout moins franches. Je sais bien que dans les milieux populaires, les enfants sont spécialement mal élevés. Oui, bébête, l’histoire de Normandie ne me passionne pas au point de suivre le cours. Mon professeur d’Histoire du Moyen-âge est à tendance communiste, communiste même. (Ce qui est intéressant à étudier dans l’histoire de la Normandie est la naissance du prolétariat). Evidemment c’est un historien. Quant à M. Contamine, il serait à tendance monarchique, orléaniste. Louis-Philippe est notre plus grand roi. Ce n’est pas un historien impartial. A part cela, ses cours sont passionnants. Oui, je crois que lorsque je vous envoie un sourire, je le fais ; mais je ne ris pas toujours en vous écrivant. (…) Tous les matins je suis tiraillée entre la messe et mon lit : résultat, j’arrive toujours en retard à la messe. Vous voyez que mon courage est quelquefois défectueux. Pourtant je ne veux pas céder. Ce serait de la mollesse. 218
Se lever d’un seul bond à l’heure dite est le meilleur moyen de passer une bonne journée. Puisque mon heure de lever est 7h30. Debout même s’il fait froid ! Tous les jours, je me lève à 7h45-7h50. Mais il faut que ça change. Samedi prochain j’ai envie d’aller me confesser. Je fais des progrès sur l’an dernier. Ça permet de faire le point, c’est mieux, ne trouvez-vous pas ? Vous me disiez l’autre jour que vous étiez plus courageux depuis que vous étiez fiancé, moi aussi. L’amour est tout de même une grande force. Il y a le désir de devenir quelqu’un de bien par amour pour l’autre, pour être digne de lui et ça, c’est stimulant. Ce qui ne veut pas dire que je suis toujours courageuse ! Car avoir le cafard, c’est manquer de courage. A cet après-midi. Lundi 19 novembre Pierre chéri, (…) Pierre, je crois qu’il est nécessaire que nous nous connaissions à fond pour vivre la vie que nous avons rêvée. Cette interpénétration n’est peut-être pas obligatoire ; mais si on veut que notre union soit un amour parfait, je crois que c’est nécessaire, et puis je ne conçois pas le mariage autrement. Mon désir le plus grand est de connaître votre âme à fond et que vous connaissiez la mienne de même. Alors puisque c’est d’un commun accord, nous pouvons nous permettre d’être nous-mêmes l’un avec l’autre. Oui, nous voulons faire un pour l’éternité. Alors nous pouvons y aller.
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On étudie l’Evangile ensemble ? Par où commence-t-on ? J’ai eu peur de vous demander un effort parce que je ne vous connaissais pas à fond. Mais cette lettre me révèle bien des choses sur votre caractère. Pour vous dire toute la vérité, puisque je ne dois et ne veux rien vous cacher, je ne vous croyais pas si foncièrement religieux. Comment ai-je pu penser une chose pareille ? Pardon d’avoir douté de vous. Pardon de vous avoir fait mal. Oui, pardon de vous avoir fait de la peine. Non, vous ne m’avez jamais rien refusé. Je savais pourtant que vous étiez capable d’efforts. Je sais maintenant à qui j’ai affaire, à quelqu’un. Ce que vous avez remarqué à Notre-Dame, je l’ai remarqué à Montmartre. Les gens ne parlent pas. Tout juste. Mais déambulent sans même voir que le Saint Sacrement est exposé perpétuellement. Ils n’ont même pas un regard pour Celui qui, lui, les regarde. De vrais chrétiens qui pratiquent intégralement leur christianisme il en est bien peu maintenant. Est-ce que nous en serons ? Ne soyez pas honteux parce que vous n’avez pas osé dire votre chapelet les bras en croix, je n’aurais pas eu plus de courage, alors soyons honteux tous les deux de n’être pas capable de braver le respect humain. (…) J’arrive à ce que vous attendez avec impatience, mais je vous ai fait trainer en longueur, mon pauvre Pierre, par manque de courage peut-être. 1) Aimez-vous la Vierge ? Oui, certainement. Vous dites plus facilement votre chapelet que moi. Alors apprenez-moi à l’aimer. Je l’ai surtout aimé
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pendant le débarquement. Pourtant c’est notre maman du ciel. 2) Quelles sont vos réactions devant un beau paysage, en un mot devant la beauté ? Vous allez vous demander pourquoi je vous demande cela. C’est parce que je veux arriver à vous connaître. 3) Aimez-vous la pureté ? Tout ce qui est sans mélange etc. 4) Comment comprenez-vous le sacrement de l’Eucharistie ? A quoi correspond-il en vous ? Si je suis trop indiscrète, Pierre, dites-le-moi. Vous pouvez aussi l’être avec moi. Je me pose aussi cette question. Mais je me demande si elle est réalisable. Je ne crois pas. Peut-être certains pourraient la réaliser, mais la majorité des gens ? Plus tard arriver à nous ouvrir l’un à l’autre nos consciences ? J’ai peut-être rêvé d’une trop grande union. Je n’en sais rien et quand je déraille, mon petit Pierre, remettez-moi dans le droit chemin. C’est votre rôle. (…) Ce que vous êtes pour moi ? Pas un garçon. Quand Michel était petit, il n’aimait pas les dames et quand on lui disait que maman était une dame, il disait non ce n’est pas une dame, c’est ma maman. Eh bien, vous, c’est la même chose. Vous n’êtes pas un garçon, vous êtes mon fiancé, c’est-à-dire mon compagnon de toute éternité, l’âme sœur, avec lequel je ne dois plus faire qu’un. Pierre, je crois que le Bon Dieu nous demande d’être très unis, vous ne croyez pas ? Il n’aurait pas mis
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en nous cette soif d’union spirituelle, si ce n’était pas sa volonté. Alors à mercredi dans le Seigneur Jésus. Je vous aime encore bien plus, toujours plus, et regrette amèrement de vous avoir fait de la peine. Pardon. Courage pour le lever du matin et le travail. Naturellement vous êtes absous. Je vous quitte, cette fois en vous embrassant bien bien fort et en vous envoyant tout mon amour. Mon Dieu, faites que nous soyons des chrétiens parfaits. Au revoir, Pierre chéri, je vous aime. Votre Guite Vendredi, 11 heures Mon Pierre chéri, Que vous êtes moqueur, vilain garçon, mais c’est ce qui fait aussi votre charme (…) Si, Pierre, je crois tout ce que vous me dites et si vous étiez là en ce moment, je pleurerais. Vous croyez que je n’ai pas confiance en vous ? Oh si, mais il y a des moments et vous allez m’arracher ce qui me fait mal de vous dire parce que cela va vous faire de la peine. Alors pardon, je vous aime tant, mais ce n’est pas ma faute si je pense cela quelquefois, c’est de la faute de maman et autres personnes. J’ai trop souvent entendu dire que les hommes étaient des animaux, alors malgré toute la confiance que j’ai en vous, quelquefois j’ai peur. Oh non, Pierre, vous n’êtes pas un animal, d’abord vous êtes un 222
chrétien. Rassurez-moi. Non, vous ne ferez jamais de bêtises. Je vous aime, ôtez-moi cela de la tête. Et puis maintenant je vous connais suffisamment pour me rendre compte à qui j’ai affaire. Pardon de vous avoir dit cela, je ne voulais pas vous le dire, c’est vous qui m’avez forcée à vous le dire : « Il y a quelque chose qui vous gêne ? » C’est mal de ne pas l’avoir dit plus tôt ? Pardon alors, je vous aime. Je voudrais que vous soyez là. J’ai une envie folle de pleurer ; Pierre chéri, pourquoi est-ce que j’ai eu peur ? Rassurez-moi. Faites-moi comprendre que je suis bébête. Pourquoi ai-je pensé à cela une minute ? Pierre, maintenant il n’y a plus rien du tout, maintenant vous pouvez lire à fond dans mon âme. Je vous l’ouvre tout entière, vous êtes mon chéri à moi. Mais si, j’ai confiance en lui. Mon Dieu, pourquoi avoir fait cette injure à celui que vous m’avez donné. Je sais bien qu’il est pur et c’est pour cela que je l’aime. Mais on nous a tellement dit que c’était rare qu’un garçon reste pur que j’ai douté une minute. Douter de lui, pauvre Pierre, cela va lui faire de la peine. Alors, Jésus, vous le consolerez en lui disant que j’ai une grande confiance en lui, immense maintenant. Oui, Pierre, vous avez raison, on va parler du sacrement du mariage, pour que nous puissions en profiter au maximum. Et puis, mon petit Pierre, on est aussi bébêtes l’un que l’autre. Cela ferait du bien tout de suite de se jeter dans les bras l’un de l’autre. Oui, Pierre, j’ai triché, je n’ai pas pris le temps de lire vos questions avant de lire vos réponses. Pardon de ne pas avoir fait ce que vous me demandiez.
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Pierre, cette fois je vous ai dit ce qui me gênait. J’ai une soif ardente de pureté, et puis vous aussi, je sais bien. Le Père m’avait dit un jour : « Le plus beau cadeau qu’un garçon puisse vous faire, c’est le don intime de sa personne, car je vous assure que cela aura été pour lui la source d’immenses sacrifices ». Pierre, je crois que maintenant cela ne me gênera plus de parler de tout cela avec vous. Non, il n’y a plus de gêne entre nous, de mon côté du moins, car du vôtre il n’y en avait sans doute pas. Oh je vous aime, Pierre, je ne peux pas dire combien. Ce matin, nous avons été ensemble. Savoir que vous communiez avec moi, que nous avons à la même heure le même Jésus en nous, c’est merveilleux. Alors on va se confesser ce soir. (…) Alors je vous quitte. Vous voyez que maintenant tout est limpidité et transparence entre nous, et maintenant je n’ai plus envie de pleurer mais je suis très heureuse et ce bonheur c’est vous qui me le donnez, mon chéri. Au revoir et à demain. Je vous aime et vous embrasse bien, bien fort. Votre Guite 3 heures. Encore un billet : J’ai honte de vous envoyer cette lettre : avoir pu penser une minute une pareille chose. Oh mon chéri, je vous aime. Mais je vous l’ai dit parce que nous nous sommes promis de n’avoir jamais de secret l’un pour l’autre.
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Et puis je me chamaille avec Thérèse parce qu’elle prend toujours mon Evangile. Je le lui laisse, il est moche. J’en voudrais un comme le vôtre, comme celui de Françoise, c’est le même je crois. Mardi matin, 27 novembre Mon petit Pierre chéri, Oui, au fond c’est formidable l’Eucharistie. « Si vous recevez bien le corps du Christ, vous êtes ce que vous recevez. » Au fond on n’y pense pas assez. On reçoit Jésus machinalement souvent. Oh Pierre ! J’aime communier avec vous. On est tellement plus unis après. Un jour que nous devrons communier ensemble, le jour de Noël ou au 1er janvier par exemple, on tachera de préparer très bien, ensemble, notre communion. Et si nous communions avec pleine conscience de ce que nous ferons, je crois qu’on sera très unis. Ce sera très chic. Oui, il n’y aura plus d’hommes ni de femmes au Ciel, c’est pour cela qu’il faut que notre union spirituelle soit très grande ; celle-là, elle durera l’éternité. Et puisque les amitiés de la terre doivent se continuer au Ciel, à plus forte raison notre union spirituelle qui ne sera autre chose qu’une grande amitié. J’espère que vous allez comprendre ce que je veux dire. Par exemple, pour moi, vous serez la seule personne à qui j’aurai livré mon âme, alors fatalement je serai plus encore à vous qu’aux autres. D’ailleurs c’est normal que l’union spirituelle demeure toujours puisque cela se passe entre nos âmes qui sont immortelles. Au fond l’union charnelle ne soit servir qu’à augmenter l’union des âmes. Union des corps, des cœurs, 225
des esprits, des âmes doivent se compénétrer intimement. C’est ainsi que je comprends le mariage. Et puis soyez sûr que si notre amour est chrétien, il ne se bornera pas à la terre. On arrive bien à vivre l’un près de l’autre tout en étant à 230 km l’un de l’autre, alors à plus forte raison au Ciel. J’espère que vous vous y retrouverez quand même dans tout ce charabia. Et puis c’est le Christ qui nous a unis, c’est fatal que notre union demeure au-delà de la terre. Pierre, nous serons un en lui alors, corps et âmes ; nous ne pouvons vraiment pas être plus unis. Ce matin, je me suis bien levée et j’ai demandé à Jésus que ma communion vous serve directement puisque nos âmes sont unies, tout de l’un appartient à l’autre. Donc j’ai demandé à Jésus qu’il entre un peu en vous bien que vous ne l’ayez pas reçu. Je vais moins vite que vous à lire Saint Marc, j’en suis au chapitre V. Quand je vous ai dit : étudions l’Evangile ensemble, voilà l’idée qui m’était venue : lire les quatre évangiles d’un bout à l’autre pour les connaître en entier et pouvoir en parler en connaissance de cause et se dire l’un à l’autre ce qu’on pense de tel ou tel passage qui nous a frappés ou bien encore étudier tel ou tel caractère de Jésus à travers son Evangile, mais avant de faire cela, il faut avoir lu les quatre en entier pour avoir une idée d’ensemble. En tous cas je me mets à prendre goût à l’Evangile, je crois que je ne l’ai jamais tant aimé. C’est forcé avec vous ! Pour ma part, cela me calme de lire l’Evangile. On sent tellement la douceur de Jésus. Un passage que j’aime énormément c’est « la tempête 226
apaisée ». Au fond c’est vrai, nous n’avons pas besoin d’avoir peur puisque Jésus veille et pourtant nous sommes bien souvent comme les apôtres. Au fond c’est formidable la vie chrétienne, il y a de quoi être fous de joie. Je suis immensément heureuse mon petit Pierre, je vous aime tellement. Et puis votre cadeau de dimanche m’a fait tellement plaisir ! Il faut qu’elle soit belle notre vie. Pierre, si nous sommes ainsi unis intimement, n’importe quelle tuile pourra nous tomber sur la tête et nous dirons : fiat. C’est quand même plus facile à deux que tout seul. Tout seul on a tendance à s’endormir confortablement dans son fromage comme le « rat qui s’est retiré du monde » de La Fontaine. A deux on pourrait le faire aussi évidemment, mais quand on ne le veut pas, c’est plus facile : deux volontés sont plus fortes qu’une. Mais évidemment, ce sera toujours l’effort. Tant mieux après tout, ce n’est pas tellement drôle d’être toujours dans ses pantoufles. J’ai lu le « Christ, vie de l’âme », j’avais peut-être 17 ans ; au fond j’étais trop jeune et je n’en ai pas retiré grand-chose. J’ai lu hier un passage sur l’amour que j’ai trouvé très beau, il faudra que je vous le copie. Mon petit Pierre, je vous aime de plus en plus. Je suis tellement heureuse d’être à vous. Pierre, vraiment le jour de notre mariage sera un bien beau jour. Je vous aime mon petit Pierre chéri et je vous embrasse bien bien fort. Votre Guite
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Mardi, 3h30 Mon petit Pierre chéri, Voici le passage que je voulais vous copier : « Ô amour de l’homme et de la femme, consacré par Dieu. Amour profond comme l’âme même. Amour paisible et sûr. Tu progresses dans la lumière par la croissance de chaque âme en Dieu. Amour qui connais toutes les indulgences, toutes les délicatesses, toutes les prévenances, amour fort. Pur amour, riche de toute une humanité épanouie et transfigurée par le souffle de la charité. Tu es dans l’épreuve l’abri sûr, le roi inébranlable ; tu exaltes et tu portes, tu relèves et tu préviens. Sans cesse tu fais vibrer le meilleur de nous-mêmes. Tu dilates l’âme à la mesure du monde Tu l’inities merveilleusement à la communion universelle dans le corps mystique du Christ. Tu es pour chacun, comme le sacrement de la Présence de Dieu. Amour qui fais de deux êtres une seule chair. Qui les cimente et les enracine l’un à l’autre par une longue suite de peines et de sacrifices. Tu les appelles à cette mystérieuse communion qui fait de deux êtres un seul cœur, un seul esprit, une seule humanité pour une œuvre commune, dans l’amour de Dieu. Tu t’incarnes merveilleusement dans cet être de chair sorti de leur chair, promesse de sainteté. Tu les fais un dans le Seigneur et c’est pourquoi le Seigneur est en toi. Tu les unis, tu les fonds si bien l’un en l’autre qu’il en sort pour chacun une nouvelle humanité en laquelle ils se 228
découvrent étrangement parents. Et chacun porte l’autre en lui, si étroitement uni qu’il ne s’en distingue plus. Mais tu n’asservis pas. Jamais tu ne brises ni n’imposes. Tu repousses comme sacrilège toute tyrannie, fût-elle admise de plein gré. Tu es respect et amour de la personne. Tu n’assimiles pas le plus faible au plus fort, mais tu les corriges l’un par l’autre, tu les conjugues harmonieusement, comme deux cordes sur le même instrument. Par toi, le souffle délicieux de la chaleur éveille en chaque âme sa propre personnalité, la stimule et l’épanouit. Par toi chacune marche vers sa plénitude et peut découvrir au travers de la vocation commune sa vocation unique, ce nom par lequel Dieu appelle chaque âme pour l’éternité. Ô amour, sacrement d’union et de sainteté. » Vendredi 30 novembre Pierre chéri, Pourquoi me faire peur ainsi, vilain petit garçon ! Vraiment je me demandais quelle était cette tuile et j’étais très inquiète. Oh ! Mon vilain bourgeois ! Dire que je l’aime quand même. Je voudrais bien pouvoir travailler ainsi. Mais dans les conditions où nous sommes ce n’est guère facile. Mais il faut tout accepter. Mon Dieu, c’est dur d’accepter de ne plus avoir de maison. Pierre, vous savez combien ça m’est dur. Il faut bien une croix, n’est-ce pas ? Et puis une compensation. J’ai l’amour, ce merveilleux amour qui me lie à vous, mon chéri. Oui, « chacun porte l’autre en lui si étroitement uni qu’il ne se distingue plus ». 229
Pierre, c’est vrai cela et ce sera de plus en plus vrai. L’année dernière à Paris, je ne me rendais compte de ce qu’était la vie des sinistrés que lorsque je venais en vacances. Que voulez-vous qu’on fasse à Noël dans un pareil taudis ? Pierre, je ne suis pas bien courageuse. Mais je vous assure que je n’ai guère d’idée. Si on avait une maison ce serait très facile. Donnez-moi alors des idées, mon petit chéri, j’ai à moitié le cafard. Non, je ne veux pas l’avoir. Dans trois semaines j’aurai mon Pierre avec moi, à moi, à moi toute seule. Hier soir j’aurais voulu mettre ma tête sur votre épaule et oublier tout en vous. Mais ce n’est que pour vous trois semaines. Je vous aime de plus en plus chaque jour. Depuis l’autre jour, vous savez, mon amour a encore grandi. Vous dire à quel point je vous aime, ce n’est pas possible. Je crois que le lundi 21 décembre, je vous sauterai au cou, tant pis pour le public de connaissances. D’ailleurs il n’y en aura peutêtre pas. (…) Le passage sur l’amour est tiré d’un livre que M. F. Comby m’a prêté et qui s’appelle « Le Sacrement est grand : témoignage d’un foyer chrétien ». Mais je ne sais plus l’auteur. Il me semble que c’est Christian ou quelque chose dans ce goût-là. Oh chéri ! Noël avec vous, mon Pierre bien-aimé, recevoir Jésus ensemble. Nous ferons alors la crèche dans notre cœur. Pierre, ça va être chic. Mon Dieu, merci pour la grande joie que vous allez nous donner. On vous dira merci ensemble. Alors on va essayer de faire quelque chose quand même, mais je vous assure que ce taudis me dégoûte. 230
Je me suis levée en trainant ce matin. Il faisait froid et pourtant j’étais réveillée depuis 7 heures. Pas encore confessé ! Oh ! Le vilain bourgeois ! Vous mangerez bientôt des cheveux blonds. Je vous en donnerai à manger autant que vous voudrez. J’ai soif de vous, très soif, mon petit Pierre. Ça me serre. Oh ! Je vous aime ! Au revoir, mon chou. PS. : J’ouvre ma lettre parce que j’ai oublié de vous dire que le bouquin de Thérèse était arrivé. Voulez-vous qu’on vous rembourse tout de suite ou bien à Noël ? Ce sera comme vous voudrez : ça fait 188 frcs. J’ai parlé à Michel et à Thérèse de la veillée de Noël. Thérèse n’a pas l’air très emballée parce que le taudis ne lui semble pas adéquat. Michel va réfléchir. Il trouve que c’est possible de faire quelque chose. Moi aussi d’ailleurs. Alors on tachera de trouver quelque chose de bien. On fera une répétition le lundi 24, dans notre chambre du 74 rue de Bayeux, comme cela personne ne s’en apercevra. Car, au fond, ça leur ferait plaisir. Ils ont tellement d’embêtements en ce moment. Quel rôle vous donnera-t-on, mon petit chou ? On réfléchira. On fera une veillée avant la messe de minuit et après la messe un petit réveillon, mais c’est l’œuvre de maman. Car c’était la coutume avant la guerre. Alors à demain, mon Pierre chéri. J’espère que tous ces châteaux en Espagne se réaliseront. Le terrain est à peu près fini de déblayer mais cela ne nous donne pas une maison. Encore mille baisers jusqu’à ce qu’il y ait un trou dans votre joue. Votre Guite 231
Dimanche soir, 2 décembre Pierre chéri, Dans trois semaines, je me dirai : il arrive demain. Je ne pense plus qu’à cela, j’ai bien le droit, n’est-ce pas, puisque cela ne m’empêche pas de faire ce que j’ai à faire. Quelle joie ! J’ai pensé avec Michel à la veillée de Noël. Quelles chansons appropriées pourrions-nous chanter ? Et que tout le monde sache ? Michel lirait un conte de Noël : les trois messes basses d’Alphonse Daudet, par exemple. Cela lui irait très bien. Vous, vous nous donneriez un numéro, je ne sais pas quoi. Enfin tout cela est à mettre au point. On ferait une crèche, il nous reste quelques personnages que Michel a retrouvés dans les décombres. Saint Joseph a la tête coupée mais Michel en rachètera un ainsi qu’un petit Jésus. Enfin on essayera de faire quelque chose. Journée pluvieuse. On a joué au bridge. J’ai été pas mal dans la lune, évidemment vous comprenez. Mon petit Pierre prenait de la place, une grande place. Je l’aime tellement. J’ai sommeil, alors je vous dis à demain. Bonsoir, petit chéri, je vous aime bien et vous embrasse. Lundi soir Mon Pierre chéri, Première journée de bibliothèque. Ce n’est ni trop foulant, ni trop barbant. Nous étions avec trois ou quatre 232
vieux crabes pas trop désagréables. J’ai fait la fiche des deux livres de biochimie médicale de Polonowski. Alors j’ai pensé à vous bien sûr. Evidemment trois semaines à 4 heures par jour nous suffiront, mais si nous n’en faisions que 2 heures, cela ne serait pas trop désagréable. J’ai travaillé un peu ce soir. Je vais commencer à devenir sérieuse. A chaque fois que je regarde votre tableau « Pierre-Marguerite au sortir de leur mariage le jour de leur mariage », je me tords absolument. Vous êtes d’une largeur ! Et moi microscopique à côté. C’est vraiment à garder. Le frère d’une de mes amies s’est marié dernièrement et ils sont unis au point que sa femme signe de son prénom + celui de son mari et le nom de famille évidemment. Comme si je signais « M. P. Davy ». Est-ce qu’il faudra que je fasse comme cela ? Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que je vois cela. Je ne sais pas pourquoi je vous dis cela. C’est parce que j’y pense. Ce soir, j’ai bien sommeil, alors je vous dis bonsoir, mon Pierre chéri. Dans trois semaines vous serez là. Ce sera la veillée de Noël. Plus que 21 jours. Je décompte les jours, c’est très amusant. Elle est bête, n’est-ce pas ? Mais vous l’aimez votre bébé. Je ne serai plus bébé quand j’aurai des petits enfants, du moins je l’espère. Et puis c’est normal d’attendre avec impatience ce que l’on a de plus cher au monde. Alors bonsoir, à demain, mon caricaturiste chéri. Décidément il est doué pour tout, cuisine etc. Ce sera bien agréable d’avoir un petit mari comme cela. Comme il sera gentil mon petit mari et comme je l’aimerai. Je l’aime tant déjà, mon fiancé chéri. 233
Mais bonsoir, je laisse courir mon cœur, pourtant j’ai sommeil. Dodo, il est 9h15 et il faut que je remonte la rue de Bayeux pour aller me « pioter ». Oh ! Je vous fais concurrence ! C’est pour vous montrer que je suis dégourdie ! Je ris en vous écrivant cela, d’un large sourire que je vous envoie. Sur ces imbécilités, cette fois bonsoir et à demain. Je vous aime. Guite Mercredi soir, 4 décembre Mon petit chéri, Je relis votre lettre de ce matin et dois vous avouer franchement que je ne sais pas grand-chose sur la médaille miraculeuse et que j’ai trouvé affreuse la chapelle de la rue du Bac. Jeudi, 3h15 Je continue cette lettre commencée hier (oh ! horreur !) pendant le cours d’histoire du Moyen-âge. Alors j’écoute d’une oreille. Mais je n’ai pas d’autre moment pour vous écrire aujourd’hui. Ce matin, je n’avais pas de lettre, peut-être en aurai-je une ce soir, du moins je l’espère. Enfin, j’accepte. Ce midi, nous avions à déjeuner une cousine. Elle voulait me voir à tout prix pour voir comment était la tête d’une fiancée. Elle voudrait bien vous connaître. C’est Mlle Caresmel dont je vous ai déjà parlé. Elle connaît des 234
tas de gens qui connaissent vos tantes. (Tandis que Robert Guiscard et son fils Bohémond bataillait, dit le professeur) Vous voyez que j’écoute quand même. Je ne pouvais tout de même pas laisser mon petit Pierre sans lettre. (Bohémond aurait été le vainqueur de l’Empereur à Durazzo, mais c’est faux). Vous voyez comme je suis attentive. Mon petit Pierre, pour ce qui est de la sainte Vierge, je vous en reparlerai à tête reposée. Je vais vous faire la description du cadre où je me trouve. A la table devant moi, 5 filles ; à ma table, 1 fille, 2 garçons et moi. A la table de derrière, 1 homme marié (40 ans à peu près). C’est maigre comme assistance. Pendant que je vous écris, le professeur pense que je gobe tout ce qu’il dit (Ce mariage était consanguin, dit le professeur, mais cette fois je ne sais plus ce dont il s’agit). Je vais vous scandaliser. Ne pas suivre pendant un cours ! C’est mal, n’est-ce pas, mais j’ai froid aux pieds. En secondaire, je n’ai presque jamais suivi un cours, à part les cours de Cosmo en philo parce que je ne mettais jamais le nez dans mon bouquin. Alors j’attends un sermon de votre part, ou vous manquerez à tous vos devoirs. (Nous sommes donc ici en pleine querelle des Investitures, les belligérants sont Pascal II et Henri V.) Je continue de suivre. Au tableau est écrit : de Papareschi, Pierleoni, Frangipani, Crescenzo, filius ursi. A droite du tableau, un grand plan de Paris ; au-dessus du tableau, une vue de Metz au XVIIe siècle ; à gauche du tableau, une bataille navale avec en scène des bateaux genre « Soleil royal », donc probablement XVIIe siècle. Plus à gauche, une vue du Louvres au XVIIe siècle. A droite de la pièce, une 235
bibliothèque avec trois ou quatre bouquins qui se battent en duel. A gauche, un poêle avec un grand tuyau, tout ce qu’il y a de plus esthétique ! Dans le haut des murs, une guirlande de petits dessins, art primitif. (C’est à cette date que nous voyons apparaître le manuscrit le plus ancien de la Chanson de Roland – Quelle date ?) Je ne suis pas, alors à tout à l’heure. Le cours est fini. Je rentre en vitesse voir si j’ai une lettre. Vendredi matin, 13 décembre Mon Pierre chéri, En même temps que votre lettre j’ai une lettre de Françoise qui m’envoie la photo. Il est mignon mon Pierre chéri. Je l’aime bien et puis on voit bien ses yeux que j’aime. Les miennes devront être de cette taille. Françoise me dit qu’elle partira en vacances le 29 seulement, alors je lui dirai de venir passer Noël avec nous. Elle est en maternité et me donne des détails sur les nourrissons. Je vous écris dans l’unique pièce et je suis seule avec grand-père souffrant. Il est dans le fauteuil et je ne le trouve pas bien du tout. J’avoue que je ne suis pas rassurée. Je voudrais bien que maman rentre. Pauvre petit chéri, vous n’avez pas de lettre mercredi. Mon petit Pierre, si vous aviez été là aujourd’hui, j’aurais pleuré dans vos bras. Ce n’est pas du tout votre lettre qui m’a fait pleurer. C’était vraiment un mélange d’un tas de choses.
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Pour la veillée, on commencera à la préparer vendredi soir. Cela suffira, je pense. Vous m’appelez « ma poulette chérie », eh bien, moi, je vais vous appeler « mon oiseau chéri » (c’est mieux que poulet) comme la tsarine Alexandra appelait dans ses lettres le tsar Nicolas II. Ne vous moquez pas de moi ! Je vois déjà le coin de vos lèvres se plisser. Je sais à qui j’ai affaire. Ce matin, nous étions ensemble, mon chéri. Et dans dix jours, ce sera la même chose. Pierre, est-ce qu’on ira souvent à la messe pendant les vacances ? Je continuerai d’y aller, mais m’y accompagnerez-vous tous les jours ou seulement à vos jours habituels ? Ce sera comme vous voudrez. Vous trouverez peut-être que ça fait trop. Pourtant je ne crois pas et j’ai peur de vous faire de la peine en disant cela. Est-ce que je vous connais assez pour que je vous pose cette question ? Bien sûr, petite sotte, qu’il m’accompagnera. Ce qui m’a fait dire cela, je ne sais pas. Peut-être parce que j’ai peur de vous donner une indigestion de religion. Je vous aime, mon Pierre bien-aimé. Quelle joie profonde pendant les vacances de Noël ! Pour les fiançailles, ce serait peut-être aussi bien, si évidemment nous avons un logement, de les faire aux grandes vacances prochaines car ça commence à être le secret de polichinelle. Qu’en pensez-vous ? Evidemment pour nous, ça ne changera rien bien que maman prétende que des fiançailles officielles engagent davantage. Mais mon petit Pierre, je ne crois pas que nous puissions nous engager plus. D’ailleurs, il y a encore le temps et ce fichu logement.
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Je vous aime de plus en plus chaque jour et ce n’est pas parce que ce sera officiel que je vous aimerai plus. Je ne crois pas. Si Françoise est là à Noël, elle va pouvoir nous donner des tuyaux. Je vais lui écrire ce soir. (…) Au revoir, mon Pierre chéri. La semaine prochaine, dernière semaine de séparation. Quelle joie ! Au revoir. A demain, ou plutôt pour vous à lundi. Je vous embrasse de toute mon âme. Votre Guite Caen, le 15 décembre Mon Pierre chéri, Je me mets en frais aujourd’hui. Je prends mon beau papier pour vous le montrer. Et puis je vous envoie ma photo. Mais l’enveloppe ne sera pas bien belle car la photo de va pas dans une enveloppe ordinaire, et je suis obligée de retourner celle que vous m’avez envoyée aujourd’hui, qui est plus grande. Maman a reçu ce matin une lettre de votre maman les invitant à venir à Lisieux le 2 janvier. Elle dit que les femmes iront coucher à Lisieux la veille pour laisser la place aux hommes venant de Paris. Elle dit à maman : « Je vous demande Marguerite pour l’envoyer au couvent ! » Que dites-vous de cela, mon petit Pierre ? Vous n’avez donc pas de réveil pour vous réveiller toujours si tard ? C’est vrai, j’oubliais que mon Pierre était un dormeur.
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Je ne vois pas très bien Zaby faisant la grève ! Moi je ne l’ai pas faite. D’ailleurs je n’étais pas à la bibliothèque ce jour-là. Vous êtes un sage. Mais moi j’ai beau me raisonner, je ne suis pas très calme. Je dors assez mal. Et c’est mon Pierre qui m’empêche de dormir. Non, ce quelqu’un que vous verrez à Noël, je ne le connais pas ! Vous le connaissez peut-être mieux que moi, c’est bien possible. C’est drôle mais moi aussi je verrai quelqu’un que j’aime beaucoup beaucoup à Noël. Mais je ne vous dirai pas qui c’est, parce que vous seriez jaloux. C’est un gentil petit garçon. Oh ! Il vous ressemble un peu, c’est pour cela que je l’aime. Il a des lunettes, un petit nez légèrement en trompette ou un pied de marmite, je ne sais, avec une oreille plus petite que l’autre. Des belles dents blanches quand il les lave, un petit sourire ironique au coin des lèvres, des cheveux en bataille le matin quand il se lève. Il est débraillé quand il fait son jardin, sélect quand il va dans le monde. Bref, un charmant petit garçon qui fait tout mon bonheur. Qui estce ? Eh bien, c’est mon Pierre chéri. C’est une devinette à la Monsieur de la Palisse. Si je vous ai dit d’acheter « Compagnons d’Eternité », c’est pour que nous le lisions tous les deux, alors vous pouvez commencer. (…) Aujourd’hui j’ai trotté en ville pour le Noël de mes parents. J’ai trouvé celui de maman, j’irai le chercher lundi ; il reste celui de papa. Je ne sais ou plutôt nous ne savons pas trop quoi lui donner. Enfin on verra. Mon petit Pierre, je vous dis à demain matin avant d’aller porter cette lettre.
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Bonsoir, bons baisers. Je vous embrasse bien bien fort. Guite Mercredi soir dans mon lit Mon Pierre chéri, Je suis toute tendue vers vous ce soir, oh ! mon Pierre bien-aimé, car le jour tant espéré approche. Demandons au petit Jésus qu’il bénisse notre séparation. Vous savez, je crois que vous serez obligé de me donner une autre photo parce que j’ai peur de dévorer celle-là. Heureusement (pour la photo) que je pourrai vous dévorer pour de bon dans cinq jours. Le docteur est venu voir grand-père ce soir. Il est à 39°6 et fait une forte bronchite. Rien d’inquiétant pour le moment, a-t-il dit. Papa en a profité pour lui montrer ma gorge qui me fait toujours mal, mais un peu moins quand même. J’ai un petit catarrhe pharyngé. Ça vous dit quelque chose ? Voilà ma maladie grave ! Il va dire « nouille-nouille, elle en verra d’autres ». (…) Dimanche, si vous voulez, nous offrirons toute notre journée à Marie-Lucie. Bonsoir, mon Pierre à moi, mon petit Pierrot chéri, que j’aurai bientôt la joie d’embrasser. Vous savez, j’en ai perdu l’habitude, alors je ne sais plus. Enfin on verra. Oh ! Je vous aime, je vous aime, mille et mille etc. fois. Bonsoir. A demain. Baisers. Guite 240
1946 Caen, le 3 janvier 1946 Mon Pierre chéri, Heureuse surprise, je n’attendais pas de lettre ce matin, mais mon Pierre chéri a pensé à moi quand même. Il est bien mignon mon petit Pierre. Contrairement à ce que je pensais, je n’ai pas eu le cafard hier soir, mais j’étais très heureuse, vous êtes tellement en moi mon chéri. Oui, j’ai l’impression de vous avoir plus intimement en moi, d’avoir votre vie dans la mienne et d’avoir mis la mienne dans la vôtre. C’est bien bon, c’est très chic. Je crois, voyez-vous, que depuis ces vacances de Noël passées ensemble, nous sommes encore plus près l’un de l’autre, et vous ? Non, je n’ai pas du tout le cafard. Je suis infiniment heureuse et je pense au mois de février. Ce sera chic encore, toujours plus chic, n’est-ce pas mon chéri ? La vie est belle, splendide, mon petit Pierre, belle à cause de ces joies, belle aussi à cause de ses sacrifices. Nous avons offert ensemble notre séparation, alors le Bon Dieu a voulu que ce soit moins dur. J’ai l’impression de m’être un peu rassasiée de vous, d’être pleine de vous. Oh ! Je vous aime tant mon Pierre. Après vous avoir quitté hier soir, nous sommes allés dîner et avons très bien dîné. Notre train en effet était un peu en retard et surchauffé comme le vôtre. Nous étions à 11 heures à la maison. Je me suis couchée à plus de minuit et pour une fois, ô horreur, j’ai fait la grasse matinée. Je me suis levée à 10 heures. C’est honteux, 241
n’est-ce pas ? Mais je suis d’aplomb maintenant et je vais pouvoir reprendre ma vie normale. Il fait tellement froid dans les amphis que j’ai commencé par sécher un cours cet après-midi. Je vais y aller simplement à 4h30. Je me sens calme, tout près de vous et de Dieu. Merci, mon Dieu, de m’avoir fait paraître moins dure la séparation. Faites qu’il en soit de même pour Pierre, mais je sais bien qu’il est courageux. Aidez-le dans son travail. Faites que cette nouvelle rencontre de février soit encore plus belle, puisqu’à chaque fois que nous nous voyons notre amour grandit. Seigneur Jésus, nous sommes à vous tous les deux. Aidez-nous à ne faire que votre volonté. Merci de m’avoir permis de passer ces vacances avec Pierre, ce que j’ai de plus cher au monde. Mon petit Pierre, je vais vous quitter. Je mettrai un mot ce soir à vos parents, car maman y ajoutera aussi un petit mot. Je vais me remettre à l’Evangile. N’oubliez pas de retourner chez Pagès voir si « Etoile au Grand Large » est réimprimé. C’est encore une partie de vos étrennes, je voudrais bien qu’il soit là. Au revoir, mon chou bien-aimé, à demain. Remerciez bien vos parents pour moi en attendant que je le fasse. Je vous embrasse de toute mon âme. Votre Guite chérie
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Caen, le 8 janvier Mon petit Pierre chéri, J’ai enfin toutes vos lettres. Lundi, celles du 3 et du 6. Mardi, celles du 5 et du 7. La poste pourrait faire attention quand même. J’ai en même temps une lettre de ma cousine qui me dit ceci : « J’ai vu mon futur cousin hier, mais j’ai bien regretté qu’il ne soit pas venu avec toi, il aurait été moins gêné. Téléphone-moi quand tu seras à Paris pour me prévenir du jour où tu voudras venir me voir. » Mais ce n’est pas de sa faute s’il a été gêné, mon petit chéri, c’est de la faute de maman. A sa place, j’aurais été tout aussi gênée. Moi aussi, je suis contente de nos vacances, mais je ne suis pas pleinement satisfaite. Au fond, on aurait pu travailler ensemble. En février, j’apporterai du travail, des cours à revoir par exemple. D’ailleurs quand vous serez à l’hôpital, je pourrai travailler. Oui, ce sera chic quand on aura notre chez nous. Il est possible que nous commencions à le bâtir matériellement en février. Oui, je crois qu’on aura du travail pendant ces huit jours. On m’invite à coucher partout en banlieue, mais de Paris je n’ai pas encore de réponse. Des amis m’invitent à Draveil pour couvert et coucher, avec vous bien sûr. On pourra y aller un jour, mais il sera encore intimidé. (…) Ce que j’ai gagné pendant les vacances ? Un plus gros morceau de vous. Quand j’aurai tout avalé, alors je serai rassasiée ! Elle est capricieuse votre Guite, mais Saint Luc c’est celui que vous préférez : il était peintre et médecin. 243
C’était le plus cultivé des évangélistes. Après tout, c’est moi qui le dis. Saint Jean c’était peut-être autant. La vieille poussière ne me manque pas. La salle de lecture en est pleine. Alors il faut que je me console d’avoir été paresseuse parce que vous l’avez été ! Nous sommes deux monstres ! C’est vrai que c’est dur de sortir du lit quand il fait froid. Mais plus on attend, plus c’est dur. J’en suis à ma 77ème lettre. Cela commence à faire et ce n’est pas fini ! Pas mal vos tracts. Au fond c’est le but de tout chrétien qui veut vivre son Evangile. On est chrétien ou on ne l’est pas. L’être à moitié, quelle horreur ! Hélas, c’est pourtant ce que nous sommes le plus souvent. Le Christ doit avoir quelquefois honte de nous, vous ne trouvez pas ? Oui, mon Pierre chéri, il le faut, nous avons le devoir de bâtir un foyer chrétien, très chrétien. Il sera d’autant plus heureux, joyeux, qu’il sera plus chrétien. La joie, c’est le Christ qui nous la donne. Au fond nous devons déborder de joie, Pierre, parce que nous avons le Christ : pourquoi avons-nous le cafard ? (Plutôt pourquoi ai-je quelquefois le cafard ?) C’est que je ne suis pas encore une sainte. Car « un saint triste est un triste saint ». Mais c’est mon petit Pierre qui fera de moi une sainte puisqu’il a charge d’âmes : la mienne d’abord. Et moi je m’emparerai de la sienne. Puis après, nous aurons en plus celles de nos petits avec leur caractère différent. Comme il faudra être compréhensifs et psychologues pour les découvrir chacun, et les aider, les former. Enfin ce sera une tâche magnifique ! Etre papa et maman ! C’est le plus beau nom que l’on puisse nous donner, 244
n’est-ce pas ? Et puis on sera gais chez nous, n’est-ce pas ? Ce sera chic, chic. Il faudra que nos âmes restent toujours jeunes pour être très près de celles de nos petits. C’est si beau une âme d’enfant. Un jour nous aurons d’abord un bébé dans les bras, un petit être candide, pur, qui ne connaîtra pas le mal, dont le regard sera si lumineux. Pierre, comme ce sera chic. Mon Pierre à moi, le Bon Dieu nous réserve bien des joies, bien des sacrifices aussi. Tout cela, c’est pour sa gloire, son unique gloire. Oui, nous devons former des saints : alors commençons par l’être nous-mêmes. C’est dur peut-être, cela demande des sacrifices, mais en avant ! Avec le Christ on peut tout. Pierre, comme je suis heureuse de vous appartenir à vous tout seul. Oui, le Bon Dieu nous a créés l’un pour l’autre, pour une union merveilleuse et sans fin. Mon Dieu, aidez-nous à ne pas être égoïstes, à ne pas garder uniquement pour nous cette grande joie, ce grand amour que vous nous avez donné de connaître. Donnez cette grâce à beaucoup d’autres afin que la France redevienne chrétienne par ces jeunes foyers chrétiens. J’irai me confesser samedi. Au revoir mon chou bien-aimé, mon petit Pierre à moi, mon fiancé chéri. A demain et à dans à peine un mois. Je vous embrasse de tout mon cœur qui vous aime infiniment. Votre Guite chérie PS. : J’ai soif d’un don total de plus en plus grand et je m’encroûte, ce n’est pas normal. C’est pour cela que j’ai 245
le cafard. C’est quand ma soif ne correspond pas à la réalité. Voilà. J’espère que vous comprendrez quand même votre Guite compliquée. Et puis vous comprenez toujours. Je m’aperçois que je vous aime encore plus qu’hier. Oui, je vous aime toujours plus et ce n’est pas une mollasse que je veux vous donner mais une âme bien purifiée. Don total à vous, c’est ce qui me fait rêver, mais je veux être digne de vous. Comme je ne veux pas me donner à moitié, vous aurez tout ou vous n’aurez rien. Je vous promets de faire des efforts. Je vous aime parce que vous me demandez des efforts. Je vous aime parce que vous m’aimez vraiment. Cette fois au revoir. Il faut que je coure vite porter ma lettre, sans cela vous ne l’aurez pas, mais vous serez fiat. Mille baisers. Guite Vendredi soir, 18 janvier Pierre chéri, J’étais en train de relire les lettres de cette semaine, avant je regardais votre photo, mais résultat : nostalgie. Tout mon être se tend vers vous, mon Pierre chéri, je vous aime, je vous aime profondément. Oui, c’est un sentiment qui sort du plus intime de mon être. Je sens comme je vous aime. Mais cela reste étouffé en moi. Je sens que je vous aime en Dieu et je lui parlais de vous tout à l’heure en lui demandant de faire de vous un saint. Votre âme, elle me passionne. Je la voudrais tellement 246
belle. Pierre, c’est formidable d’aimer. Il y a des moments où je sens combien votre âme m’appartient et combien la mienne vous appartient. Non, je n’ai pas encore réalisé toute la beauté de l’amour. Je voudrais pouvoir vous dire tout ce qui se passe en moi en ce moment mais c’est intraduisible. Je vous offre cette nostalgie. Elle est joie et souffrance. Mais vous comprenez bien. Mon Pierre, je ne veux pas vous aimer à moitié, je veux vous aimer vraiment, comme le Bon Dieu veut que je vous aime. J’aime le regarder en vous. Au fond de votre regard, votre âme, c’est un miroir. Il est tellement droit votre regard, mon chéri. Oh ! Pierre, j’aime votre droiture. Ce que j’ai aimé en vous, ce sont vos yeux, ce sont eux qui m’ont attirée. Je les aime vos chers petits yeux parce que c’est vous que je vois en eux. Pierre, mon chéri, vous resterez toujours droit, un garçon loyal. C’est tellement laid le mensonge. La chose qu’il faudra apprendre avant tout à nos enfants, c’est à ne pas mentir. Ma nostalgie se passe, si tant est qu’elle puisse se passer, parce que je vous envoie le trop plein de mon cœur ; sans cela, il éclaterait. Pierre, je vous aime beaucoup, énormément, follement et je vous embrasse de même. Votre Guite chérie qui a quelquefois des « crises », même quand vous n’êtes pas là, parce que vous n’êtes pas là, petit chou que j’aime. Mon petit Pierre, j’ai encore quelque chose à vous dire. Si je savais qu’un jour vous deviez perdre votre belle droiture, cela me ferait un chagrin fou. Mais je sais bien que non. 247
Samedi soir, 19 janvier Mon petit Pierre chéri, Bien sûr que je veux bien aller à la conférence sur le marxisme. Ce devrait être intéressant. Moi aussi, le matin, quand je vais à la messe, j’ai les oreilles qui me piquent, mais cela ne fait rien, n’est-ce pas ? Oh ! Mon Pierre chéri, on sera follement heureux ensemble. Vous ne trouvez pas qu’on était faits l’un pour l’autre, faits de toute éternité pour être l’un à l’autre. Alors préparons-nous bien, tous les deux ensemble, pas chacun de notre côté, ainsi l’adaptation sera facile. (…) Demain je vais sans doute à Bayeux avec Thérèse et des amis, et dimanche prochain, je serai avec mon petit Pierre. J’ai laissé Saint Luc depuis quatre jours. Je deviens païenne sûrement. Mais je l’emporterai à Paris. A demain, en Jésus. On lui demandera de faire de nos deux âmes une seule âme qui l’aimera beaucoup. Vous ne trouvez pas que l’amour oblige à se dépasser ? C’est formidable. Mais il ne faudra pas que nous nous endormions dans notre béatitude. Mon petit chéri, toujours plus haut, comme vous me le disiez dans une dernière lettre, toujours plus haut ensemble. Mon petit Pierre à moi, je vous serre bien fort sur mon cœur qui vous appartient pour toujours. Si vous voulez, on va faire un échange. Je vous prends votre cœur et je mets le mien à la place. Je suis bien sûr d’en avoir pris un gros morceau de votre cœur, mon petit Pierre, à chaque fois, j’en emporte un peu plus. C’est 248
quand même merveilleux de tant s’aimer. Si on n’était pas chrétiens, on ne s’aimerait pas tant. C’est parce que le Christ Jésus est dans notre amour que nous nous aimons tant. Alors il faut que nous l’aimions de plus en plus. Maintenant j’ai l’impression très nette d’avoir beaucoup changé depuis cinq mois, et vous ? Oui, vous faites maintenant partie intégrante de moi et moi de vous. Je sens que vous êtes désormais inséparable de moi. Et cela est délicieux. (…) Je vous embrasse, mon petit chéri à moi, comme je vous aime. Votre Guite chérie Mercredi 23 janvier Petit Pierre chéri, Il tombe de la neige mais elle fond, alors il n’y en aura peut-être plus samedi. Vous avez le cafard aussi, mon petit chou. Non, ce n’est pas cela que nous avons : nous avons soif l’un de l’autre. Alors mon petit Pierre, quand c’est ainsi, offrons cette soif au Bon Dieu. Elle est très ardente parfois, mais Lui, à ce moment-là, si nous savons nous tourner vers Lui, saura nous rassasier. Et puis dans trois jours, nous serons ensemble, courage mon petit chéri. (…) Pierre, le Bon Dieu n’est peut-être pas très content de nous. Mais c’est tellement dur de vivre comme nous vivons, c’est presque impossible de travailler dans cette pièce. On va peut-être nous enlever une ou deux armoires. Nous aurons ainsi un peu plus de place. Quant 249
aux baraques, celles qui sont arrivées ont été attribuées à la campagne. Pour Caen, on attend toujours et on peut attendre encore longtemps, a-t-on dit à papa à la mairie. Enfin, que la volonté de Dieu soit faite. Quant à vous, mon petit Pierre, courage pour votre travail. Si vous ne travaillez pas, nous ne nous marierons jamais. Je crois que si je n’avais que mes études à faire, je travaillerais. Mais, évidemment, il y a mille autres choses en dehors dont un homme n’a pas à s’occuper. Il faut bien que j’aide un peu maman, Thérèse ne le faisant pas ou peu, sans cela elle n’y arriverait pas. Remarquez que cela me sert autant et même plus pour mon avenir que ma licence d’histoire. Dites-vous, mon chéri, que si j’épluche des pommes de terre et repasse, si j’apprends de l’histoire, je le fais pour vous. Alors à votre tour, travaillez un peu pour moi. C’est vous qui êtes mon moteur, mon petit chou. Oui, c’est terrible d’être flemmard. J’en parle en connaissance de cause et le Bon Dieu a uni deux flemmards, certainement pour qu’ils se secourent mutuellement. Si je fais beaucoup de fautes d’orthographe, c’est parce que je pense trop à vous et que je ne fais pas attention. Avant ce n’était pas comme cela, et mon petit Pierre en fait autant. Nous formons un couple bien imparfait. Mais nous voulons nous dépasser nous-mêmes et avec l’aide du Seigneur Jésus, nous y arriverons. Avec lui, on peut tout. Vous pouvez me manger si vous voulez, mais je crois que je vous mangerai autant. Savoir lequel des deux survivra. Je sais bien, mon petit Pierre, que vous resterez droit et je n’ai pas peur. Je vous aime, je vous aime, mon 250
petit chéri. Moi aussi j’aspire à la joie de vous embrasser. Mais courage, un jour ce sera pour toujours, toujours. Alors offrons toutes nos misères pour le jour heureux où le Bon Dieu nous unira l’un à l’autre pour l’éternité. Voyez-vous, nous ne sommes pas encore assez prêts pour nous donner totalement l’un à l’autre. Aidons-nous mutuellement, c’est tellement chic. (…) Cette fois, je vous quitte, à bientôt mon chéri mignon, mignon, que j’aime infiniment, que je porte en moi, au plus intime de mon être. Je vous embrasse comme je vous aime. Votre Guite chérie Mercredi soir, 13 janvier Mon petit chéri, J’ai honte de moi et quand je vais vous dire ce qui m’est arrivé, vous allez avoir honte de votre Guite. Ce midi, je me suis mise en colère au point d’en trembler. C’est bien la première fois que cela m’arrive et j’en rougis en vous écrivant. Voilà, Thérèse a une éruption sur la figure, c’est tout simplement de l’acné, mais on croyait que c’était la rougeole et j’ai déclaré que je ne voulais pas coucher avec elle. Là-dessus on m’a traitée – c’est-àdire Thérèse, maman et grand-père – de froussarde. Je ne ferai jamais rien dans la vie etc. etc. et comme votre Guite est un peu fatiguée et que son amour propre a été vexé, elle ne se possédait plus. Naturellement elle a fondu en larmes et a pensé à son petit Pierre. Mais c’était
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fait. Ce soir, cela va mieux et elle a retrouvé son optimisme. Vous vous rappelez, vous me disiez souvent le soir que j’avais de la fièvre parce que j’avais les mains chaudes. Ce soir, cela me fait pareil. J’ai pris ma température et j’ai 37°5, est-ce de la fièvre, docteur ? Quelle est la normale ? A demain, mon petit chéri, mais il fallait bien que je vous dise que j’étais un monstre. Je vous aime et vous embrasse malgré ma méchanceté. Votre Guite 10 heures du soir Ce soir, j’ai les larmes aux yeux, mais c’est de bonheur que je pleure. Oui, on peut me dire tout ce que l’on voudra, on ne m’ôtera jamais mon bonheur, mon grand bonheur que je cache là au fond de mon cœur. Mon petit Pierre, c’est fou ce que je suis heureuse. Vous savez, je crois que nous avons fait encore un grand pas dans l’intimité. C’est beau, c’est magnifique, c’est dilatant. Je vous aime. Chéri, il m’est facile de vous rejoindre par delà ces 230 km qui nous séparent. Oui, je vous vois à votre table de travail et bientôt vous dormirez. Vous êtes si mignon quand vous avez les yeux clos. Oh ! Mon précieux petit bébé. Je vous envoie toute ma joie, tout mon bonheur, il est vôtre puisque c’est vous qui me l’avez donné, mon fiancé chéri. Merci, mon Jésus, pour cette union que vous voulez chaque jour plus intense, plus profonde. Pardon d’avoir été une vilaine fille aujourd’hui. Mais vous 252
m’avez redonné la joie. Je vous offre le travail de mon petit Pierre avec le mien. Et dans une heure nous dormirons tous les deux, ensemble, du même sommeil, sous votre regard. Pierre et Marguerite dormant sous le regard de Jésus, après lui avoir demandé pardon de leurs bêtises. Bonsoir, mon petit Pierre, à demain mon trésor chéri. Je vous embrasse en vous faisant un grand trou dans la joue. Guite Mercredi soir, 20 février Mon chéri, Je suis couchée et je pense à vous. Je pense à l’intention de la journée. Oui, prendre conscience de nos devoirs de fils de Dieu, de ce qu’exige notre filiation divine. Tout doit remonter vers le créateur. Pierre, est-ce que vous savez faire un acte d’adoration, c’est-à-dire vous reconnaître comme la chose de Dieu. Je crois que ce n’est pas si difficile que cela. Je l’ai fait avec vous un jour, le 1er janvier, vous vous rappelez notre communion. J’ai adoré vraiment Jésus en vous en faisant abstraction pour un instant de votre personne. Mon petit Pierre, c’est épatant d’être enfant de Dieu. Quand je pense qu’un jour, ces petits êtres à qui on donnera la vie seront des fils de Dieu. Oui, ce sera merveilleux. Pierre, cela me rend folle de joie d’avance. Oui, ce qui compte, c’est Dieu ; en dehors de lui, tout est vain. Il faut que nous le 253
comprenions bien tous les deux. Avec vous, mon petit Pierre, pour toujours, il faut que dans le ciel nous soyons deux mains jointes qui glorifieront Dieu éternellement. C’est pour cela qu’il nous a unis. C’est beau, c’est magnifique, il n’y a pas de mots pour le dire, oh ! mon trésor chéri à moi, à qui je peux tout dire, parler de n’importe quoi. J’ai sommeil, alors bonsoir, mon petit chou, à demain. Je vous embrasse et je vous aime. Guite Lundi matin, 25 février Mon Pierre chéri, Pas de lettre, fiat. Il y en aura peut-être une cette après-midi. Un sacrifice de plus ou de moins : on n’est plus à cela près. La chose qui importe est de bien accepter, mais c’est quelquefois dur. Il nous est arrivé hier soir un accident comique. Comme j’avais changé de manteau, j’avais oublié de prendre la grande clé du porche. Nous étions donc à la porte et pas moyen de se faire entendre, car dans cette maison, personne ne se dérange. Alors où coucher ? Deux solutions : chez les Rousseau ou chez les Comby. Nous voilà en route. Nous sonnons d’abord chez les Rousseau. Marie-Claude nous répond à son grand désespoir, Guy, Antoinette et les petits sont là, donc la maison est au grand complet. Alors nous entrons chez les Comby. Marie-Françoise étant partie à Paris vendredi, sa chambre était libre. Nous montons, frappons à la 254
chambre de Cécile. Pas de réponse, elle dormait depuis longtemps. Heureusement, tout le monde dormait sauf Jean, qui était couché mais lisait. Alors il dit qui est là ? On se nomme, on ouvre la porte et évidemment il ne peut s’empêcher de rire. C’était drôle, tout en n’étant pas drôle. Sans plus de frais il nous dit de gagner la chambre de Mimi et voilà la fin de l’histoire. C’est peut-être comique mais ce n’est pas plus drôle que cela. Maintenant papa cherche activement, car les D… nous demande tous les jours quand nous aurons une baraque, ce qui veut dire… D’autre part, papa et maman ont visité une maison américaine. C’est un peu camelote, gentillet cependant, mais beaucoup trop petit, 3 pièces, et beaucoup trop bas de plafond pour que nous puissions y mettre nos meubles. Une seule solution alors : quitter Caen pour juillet. Alors mon petit chéri, il faudra mobiliser le ciel, il finira bien par entendre. Si vous saviez ce que c’est dur parfois. Non, vraiment, avec toute la bonne volonté du monde, on n’en peut plus. Tout le monde maigrit à vue d’œil. C’est claquant. Et puis, il y a des limites à tout. Enfin, prenons patience, le Bon Dieu se laissera toucher certainement. Il faut avoir une confiance illimitée en lui. Ce qui est dur, évidemment, c’est de trouver en même temps situation et logement, mais rien n’est impossible à Dieu. Peut-être que nous n’acceptons pas assez bien, c’est pour cela qu’il nous fait attendre. A bientôt, mon trésor chéri, je finirai cette lettre cette après-midi car j’aurai peut-être une lettre, sinon j’irai la porter à la poste. Il suffit qu’elle soit mise avant 6 heures pour que vous l’ayez le lendemain. Avez-vous reçu toutes mes lettres de la semaine dernière le matin ? 255
Car la moitié de la semaine je les ai mises le matin, l’autre moitié l’après-midi. A tout à l’heure. Je vous aime de toute mon âme. Votre Guite Mardi 4h, 26 février Mon petit chéri, Je travaille soi-disant à la bibliothèque (pour être reçue) et je repense à votre lettre de ce matin que j’ai sous les yeux. Je trouve la réponse à « Comment Dieu a-t-il créé le monde sans rien ? » très claire et satisfaisante. La seconde question « Comment Dieu parfait a-t-il pu créer le mal imparfait » m’a souvent été posée par mon cousin et j’ai bafouillé pour la résoudre. Je crois comprendre assez bien. Vous dites : « Là je comprends moins parce que les hommes reçoivent de façon imparfaite, d’accord, mais parce qu’eux-mêmes sont imparfaits, et c’est Dieu qui les a créés !! » Je crois comprendre, car si nous sommes imparfaits, c’est parce que nous l’avons voulu. Dieu créa les hommes dans un état de perfection préternaturelle et de bonheur. Après la faute, évidemment, l’ordre était changé. Je ne sais pas si je comprends bien le problème du mal. J’ai peu lu sur ce genre de question. Dieu n’a pas voulu le mal, mais c’est l’homme qui par sa faute l’a fait entrer dans le monde. Il a été créé libre. Je crois qu’il faut remonter aux sources premières.
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La salle à manger est arrivée hier soir, nous n’avons plus qu’à trouver une maison ! Je vais être sage et travailler bien gentiment, comme une grande fille. Alors à demain, mon chéri. Je vous aime de tout mon cœur. Votre Guite Mercredi 3h15, 27 février Mon chéri, (…) Hier soir, la réunion avec l’abbé était très intéressante. Elle portait sur les valeurs intellectuelles de la femme, valeurs de cœur, etc. A vrai dire, nous n’avons eu que les valeurs intellectuelles et l’équipe avait fait une sérieuse enquête près des garçons et des filles non jécistes de leur année. Pour beaucoup, la femme est moins intelligente que l’homme. La vérité est que son intelligence est différente, beaucoup plus intuitive. La femme intellectuelle pure est insupportable. Heureusement, il y en a peu. Pour eux, elle ferait mieux de rester chez elle à faire de la pâtisserie etc. (ce qu’ils sont gourmands). Enfin la plupart ne supportent pas que leur femme mette son nez dans leurs affaires, ce qui a fait bondir l’abbé quand on lui a dit que c’était des réflexions de jécistes. « Ce n’est pas cela que je leur ai appris et je vois très bien d’où cela vient, ils se sont faits vider de la JEC l’autre jour » etc. mais je n’ai pas le temps de m’étendre plus longtemps, sans cela mon petit Pierre n’aurait pas de lettre. 257
Hier soir et aujourd’hui, je me sens très près de vous, mais au fond c’est vrai. Car pour nous, mon chéri, c’est la communion parfaite, tout au moins c’est ainsi que nous l’entendons. Quant à dire que je me mêlerai sérieusement de vos affaires professionnelles, non ; je ne serai pas qualifiée pour et surtout je devrai être discrète vis-à-vis de votre secret professionnel, mais en dehors de cela, il y a bien des choses où je pourrai vous aider et vous de même, ce sera chose facile puisque c’est déjà commencé. Nos âmes ne sont-elles pas très près l’une de l’autre, et cela est de plus en plus vrai. Je vous aime, mon chéri, chaque jour davantage. (…) Au revoir, mon petit trésor, mon chéri, mon petit garçon très calme, fait exprès pour sa Guite qui n’est qu’une grande nerveuse, mais à votre contact je deviendrai vite calme, j’ai déjà fait des progrès. C’est tellement reposant de vivre près de vous. Vite une maison où l’on puisse recevoir, où vous puissiez coucher. Je vous quitte, mon bien-aimé, en vous embrassant de toute mon âme qui est dans la vôtre. Votre Guite chérie Vendredi midi, 1er mars Mon petit chou, J’espère que le microscope ne vous a pas fait trop de mal aux yeux l’autre jour. Quant à vos colles, la prochaine sera mieux, n’estce pas mon petit chou. Je suis contente que votre poids
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n’ait pas changé. Je n’ai pas envie de vous voir malade, j’aime mieux vous voir travailler. Vous avez une façon de décrire votre position qu’il faut se tire-bouchonner la cervelle pour comprendre, mais vous l’avez fait exprès, vilain taquin ! Mais j’aime bien cela et si je lis vos lettres en public, on me voit rire parfois et j’entends souvent « Comme c’est drôle » (…) Oui, mon petit Pierre, c’est une très bonne idée : on devrait avoir tous les jours une prière commune d’union. Mais laquelle, chéri ? Vous devez avoir une idée, communiquez-la moi. Non, cela ne ferait pas double emploi avec saint Luc. Il faudrait que ce soit une prière d’union intense, je ne sais pas quoi, mais quelque chose qui nous rapproche davantage, une prière que l’on dirait quand on aurait soif l’un de l’autre. C’est une très bonne idée, mais je ne sais pas quoi. Comme fille j’ai l’esprit analytique et vous, comme garçon, vous l’avez synthétique. Alors tachez de faire synthèse de mes idées fouillées. A vrai dire, je ne vous en donne pas beaucoup. C’est plutôt quelque chose que je sens et que je ne peux pas exprimer. Dans saint Luc, j’en suis au chapitre XI. (…) « Dieu créa les hommes dans un état de perfection préternaturelle ». Voilà ce que j’avais mis. Non, l’homme n’a pas été créé parfait, sans cela il serait semblable à Dieu. Mais je ne comprends quand même pas très bien. Vilain petit garçon timide qui n’ose même pas poser les questions qui le tracassent. Chéri, si vous voulez, on ira se confesser samedi 9 mars pour votre anniversaire qui est le dimanche 10, et ce
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jour-là, l’intention sera vous, cela ne pourra pas être autrement. La salle à manger a été mise dans l’arrière magasin de Mlle Duthilleul en attendant qu’elle serve. Il existe quand même des femmes intellectuelles pures ! Cécile Morette11 par exemple, mais elles sont rares. Alors si j’avais été médecin, vous ne m’auriez pas épousé. Non, il ne faut pas que le mari et la femme soient trop identiques. Ils sont faits pour se compléter. Ma spécialité ?! Hum ! C’est une spécialité à la Dilettante. Ce qui n’est pas mieux pour cela, car j’ai une forte tendance au dilettantisme. Si je me mets à vous parler grec quand je serai gâteuse, vous ne trouverez peut-être pas la plaisanterie à votre goût. Mais soyez tranquille, mon petit chou, je vous ferai un gentil petit intérieur où vous serez heureux de vous reposer. Ah ! Mon petit chou, ce sera tellement chic de vous faire plaisir. Un homme aime bien trouver un « chez lui » agréable. Et puis il y aura toujours quelques petits gâteaux dans un coin, pour soigner votre gourmandise. Il est tombé quelques averses de neige ce matin, mais elle ne tient pas. Ce matin, j’ai communié avec vous, mon chéri. Mais j’avais l’esprit gelé. Au revoir, mon petit trésor à moi, mon Pierre que j’aime de tout mon cœur, de toute mon âme et que j’aime plus qu’hier encore. Je vous embrasse, mon chéri, de toute mon affection, tout mon amour. Votre petite Guite 11
Mathématicienne et physicienne française, née en 1922
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Lundi 4 mars 1946 Mon petit Pierre chéri, J’espère que vous aurez aujourd’hui toutes les lettres en retard, mon pauvre chéri. Votre cantique ne m’emballe pas spécialement non plus. Il est peut-être mieux chanté que lu. Elle est terrible cette Françoise mais cela ne m’étonne pas beaucoup car c’est une fille qui ne sait pas se ménager. A propos, vous ne m’avez pas dit quand était sa fête. Dans saint Luc, j’en suis toujours au chapitre XI parce que je n’ai pas lu depuis huit jours. De quoi est tirée votre phrase « Tout amour… » etc. Vous savez, j’aime bien les lettres de mon Pierre, même quand elles sont courtes. Avec la vôtre, j’ai une lettre du Père Bernard qui n’est pas réjouissante du tout. « Quant à votre travail actuel, je suis tout à fait d’avis qu’il faut le poursuivre, tout d’abord parce que vous n’êtes pas encore mariés et que (je vais vous faire bondir) il peut se présenter des catastrophes mondiales qui vous empêchent de réaliser ce rêve. Ensuite parce qu’une culture un peu plus poussée ne vous fera pas de mal dans votre vie conjugale et familiale. Si vous proposiez de cesser uniquement pour dépanner votre famille, je dirais peut-être oui. Mais j’ai peur qu’il y ait une tentation de paresse à la Gigon dans cette hésitation à continuer et je me méfie ! » A propos de l’âme qui n’est pas dans le temps, voilà ce que dit ce Père : « Quant à vos délicieuses 261
divagations sur la vie dans le temps ou hors du temps, elles n’ont rien d’hérétique, mais elles sont un peu naïves. Elles sont exactes en ce sens que notre âme en un certain sens vit déjà hors du temps (puisque le temps est lié à la matière) mais vous aurez bien des occasions, mes pauvres enfants, de vous apercevoir que vous n’avez pas encore abordé aux rivages de l’éternité purement et simplement ! rien qu’en étant obligés d’attendre 2 ans pour vous marier… Vous vous rendrez compte que le temps est une réalité qui ne se laisse pas oublier ! » Je vais vous renvoyer votre cantique. C’est très beau, mais tout cela on peut le demander au Bon Dieu sans chanter un cantique. J’ai peut-être tort, mais en principe je n’aime pas beaucoup les cantiques, cela me paraît souvent mièvre. Pierre, votre Guite est une vilaine fille, car elle vous cache quelque chose, c’est mal, n’est-ce pas ? Et bien, voilà, je ne vous envoie pas la lettre du Père bien qu’elle pourrait vous profiter autant qu’à moi parce que je lui ai posé une question à laquelle il me répond et que j’ai peur que cela vous fasse de la peine que je lui aie demandé cela. Remarquez que cela me gêne et que si vous me dites que cela ne vous fait aucune peine, je vous l’envoie. Pourtant il me semble vous connaître assez, mon chéri, pour savoir que cela ne vous fera rien. J’ai voulu me faire éclairer et de fait j’ai parfaitement compris quelque chose que j’avais compris avant, mais dont je voulais avoir la certitude par quelqu’un d’autorité. Il est vrai que vous n’aimez pas les jésuites ! Je n’en connais que deux, mais ne sont pas tels que vous les jugez.
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Je reviens au cantique, est-ce que Marie-Lucie le trouve bien, elle doit être plus apte que nous à juger les cantiques. Ce soir, je vais à la surprise-party de M.F. Comby et M. Comby étant scandalisé hier soir (en riant, je crois) parce que j’étais fiancée. Et que lui fiancé, il n’aurait pas fait cela, ce à quoi Mme Comby lui a dit : « Vieux jaloux », mais je lui ai dit que j’avais votre autorisation et que ce n’était pas chose habituelle chez moi. Evidemment je pourrais aller danser toutes les semaines à l’A pour m’entrainer et cela, je ne le ferais pour rien au monde. Je passe pour un phénomène, car il y a quand même encore pas mal de gens qui ne savent pas que je suis fiancée. Quand on me demande pourquoi je n’y vais pas, je réponds que j’ai sommeil, fatigue etc. Mon petit Pierre, je vous quitte pour aujourd’hui. A demain. Est-ce que vous allez à la messe ces jours-ci ? J’ai confiance, un jour nous nous marierons, ce n’est pas pour rien que le Bon Dieu nous a fiancés. Au revoir, mon petit chéri, je vous embrasse avec toute la tendresse de mon cœur qui vous appartient. Votre petite fiancée. Guite PS. : Est-ce que vous jeûnez mercredi ? Vendredi 8 mars Mon petit Pierre chéri, Une lettre hier soir et une lettre ce matin. Au poil, pour employer une expression qui vous est chère. 263
Votre passage lyrique n’avait rien de mal, au contraire ; en lisant votre lettre, je me suis trouvée transportée je ne sais où. Je croyais lire du Chateaubriand. (…) Mais oui, mon petit Pierre, en effet, vous n’êtes pas un caillou. Tiens, je n’y avais pas pensé. Quel solide foyer nous allons bâtir ensemble, surtout avec une pierre de cette qualité, une pierre précieuse, n’est-ce pas. Il sera inébranlable comme le roc. Mais au fond c’est merveilleux de s’appeler Pierre, c’est ce qu’il y a de plus solide. Il est vrai que ça ne résiste pas toujours aux bombardements, à part cela ça tient. L’érosion aussi dans nos pays pluvieux l’attaque parfois, mais ce n’est rien. Mon petit chéri, vous avez un très beau nom. Merci pour la sainte Bécassine. Je vois que le saint Bécasson est dimanche. Si vous voulez, nous prierons dimanche à cette intention. Dieu sait combien ce petit Bécasson nous est cher !!! Oui, mon petit Pierre, bon anniversaire. C’est le premier que je vous souhaite, alors je vous le souhaite avec toute la profondeur de l’amour que j’ai pour vous. Je vous envoie toute mon affection, tout mon cœur pour que vous soyez heureux, très heureux ce jour-là. Dimanche on priera pour le Bon Dieu accorde à mon petit Pierre toutes les grâces qui lui sont nécessaires pour être un parfait chrétien, pour être un bon médecin aussi, pour être plus tard un bon époux et un bon papa. Oui, mon petit Pierre est sans cervelle puisqu’il oublie tout. Heureusement qu’il aura une petite femme pour lui rafraîchir la mémoire de temps en temps. Ce n’est pas trop mal votre dernière colle, cela pourrait être encore mieux ! puisque vous me dites que je 264
suis aussi paresseuse que vous et ce n’est pas peu dire ! Oui, mon chéri, je crois que nous en possédons une certaine couche tous les deux ! Que seront nos enfants ?! Votre appartement serait très bien, un peu petit cependant, mais à quoi cela servirait-il d’habiter Paris si papa n’a rien à y faire ? Figurez-vous que nous avons failli aller à Ecos (Eure) mais la place est prise et c’était la pleine brousse. Enfin il paraît qu’il sera plus facile de se loger à l’automne, même à Caen, car on construit 1 000 maisons en dur, + les baraques, mais les baraques sont beaucoup trop petites pour nous : 3 pièces + 1 cuisine pour un loyer de 18 000 frs probablement. Nous aimons mieux pour le même prix une belle maison. De toute façon, nous n’avons pas envie de rester à Caen. Papa resonge à Rouen. Il parait qu’on peut encore se loger, difficilement évidemment, à Bois-Guillaume. Enfin on verra bien. En tous cas, nous aspirons à une grande maison, comme celle de Pontorson presque ; nos rêves sont évidemment trop grands mais s’ils se réalisaient en plus petit ce serait déjà très bien. Bien sûr, pauvre petite fille qui n’a pas de chambre pour y mettre seulement la photo de son Pierre où bon lui semble. Si vous me peignez la figure en noir, je vous la peindrai en rouge, car les peaux rouges doivent parler à peu près le même jargon que les noirs. Oui, chéri, vous avez raison, ce n’est pas commode de prendre la même heure, alors on prendra l’heure qui conviendra le mieux à chacun. Oui, on n’a pas soif toujours à la même heure.
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Oui, chéri, la lettre du Père confirme bien ce que nous avons dit. Oui, chéri, on en reparlera. J’aime votre lettre parce qu’elle me met à l’aise, elle est simple comme vous, petit Pierre, je vous aime. Non, mon petit chou, je ne me suis pas trouvée gênée à proprement parler par votre conduite. J’ai simplement réalisé quelque chose que je savais sans le savoir. En tout cas, cela ne m’a pas du tout choquée. D’ailleurs le Père dit bien que cela n’a rien de choquant et c’est normal d’ailleurs. Cela m’a travaillée parce que j’avais peur qu’il y ait quelque chose de ma part et c’est pourquoi j’en ai parlé au Père pour être plus sûre. Je ne peux pas arriver à lire le nom du bouquin que me conseille le Père, et vous ? Vous êtes mon petit chou, et moi je suis votre grand bébé, voilà, mais un bébé qui commence à grandir et à être un peu moins naïf. Je vais vous poser une question indiscrète : quelle lettre avez-vous commencé par lire, la mienne ou celle du Père ? Cela à titre de renseignement psychologique, pour voir jusqu’où peut aller la curiosité ou si elle sait se retenir. Ce n’est pas bien gentil de vous poser une question comme cela et tout compte fait, c’est de la curiosité de ma part. Mais c’est pensé et c’est dit, alors vous avez droit de savoir. Encore bon anniversaire, mon petit Pierre chéri. Je vous aime beaucoup, beaucoup, de tout mon cœur, de toute mon âme et je vous embrasse de toutes mes forces. Votre petite Guite chérie
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Lundi matin, 18 mars Mon trésor chéri, C’est le printemps et cela me rend ivre ; j’ai les jambes en coton et la tête qui branle, et hier j’allais de travers. Je suis ivre d’amour. Je n’ai pas de lettre ce matin, mais le concours en est cause sans doute et c’est très naturel, à moins que je n’en aie une cet après-midi. J’ai reçu simplement vos journaux. Hier j’avais résolu de travailler et deux démons tentateurs sont venus me chercher pour me promener et je me suis laissé tenter : il faisait si beau et comme nous étions trois fiancées, nous avions le cœur gai. J’allais de travers, vraiment, je ne sais pas ce que j’avais. Je sais bien que nous avons emprunté la voie ferrée, alors c’était plus difficile de marcher. Jean Comby me disait : « L’histoire a vraiment l’air de t’intéresser », ce à quoi je répondis : « Enormément, mais je fais une promenade hygiénique ». Il ne manquait que vous. Mais vous étiez dans mon cœur. J’ai lu un peu vite la réponse au fameux pamphlet pour vous donner mon opinion. Je trouve normal qu’il y ait eu une réponse, mais je trouve qu’une affaire comme cela n’est pas faite pour faire du bien à la religion et je me suis empressée d’emmener ces journaux dans ma chambre pour que papa ne tombe pas dessus parce que ça le mettrait hors de lui. Alors ce n’est pas la peine. Il y a des choses sur lesquelles je serais d’accord avec l’auteur du pamphlet, mais je ne peux pas vous donner vraiment d’avis, ayant lu trop hâtivement la brochure. Il faudrait 267
que je la relise, mais je crois que c’est à propos de l’apostolat du milieu. En France, les classes sociales sont très marquées et vouloir les fondre est une utopie. Remarquez qu’il y a effort dans ce sens du côté de la classe moyenne, mais la classe ouvrière ne veut rien entendre : elle a son orgueil de classe et dédain de la classe bourgeoise. Exemple. La JIC de Saint Julien ne marchait pas parce que tout était mélangé et il y avait jalousie de la part des petites employées. « C’est toujours les nobles qui sont à la tête. » Ce n’était pas des nobles pour cela, mais vous voyez l’esprit. On a bien essayé de les faire participer au commandement, mais elles n’avaient pas la culture nécessaire. Et à Saint-Etienne où c’est séparé, cela marche très bien. Je crois vraiment à l’apostolat du milieu par le milieu. Il faut tenir compte des différences de culture et d’éducation. Le mélange marche chez des enfants de 7 à 12 ans, et encore chez les filles beaucoup moins. En tous cas chez les Louveteaux, on a fusionné les deux groupes, c’est-à-dire le populaire et l’autre, et il y a accord parfait parce qu’il y a une véritable charité de la part des « bourgeois », si on peut dire. Et remarquez qu’on ne peut pas toujours le faire. Cela dépend des garçons à qui on a affaire. Tout cela est très joli mais une chose est certaine, c’est que je vous aime énormément quoi que vous pensiez, que vous fassiez. D’ailleurs, au fond, nous pensons la même chose. (…) Il est 3 heures, mon petit Pierrot, et il fait un temps splendide. C’est pour vous donner du courage pour le concours. Alors mardi on priera bien pour vous. En 268
tout cas, si ça ne sert pas directement au concours, cela servira à autre chose, à vous convertir de votre paresse peut-être. Vous allez dire « elle peut prêcher ». Oui, mais je prends un peu du sermon pour moi. Je prêche pour nous deux. Maman est très fatiguée en ce moment. Evidemment, avec la vie qu’elle mène, ce n’est pas très étonnant. Mon petit chéri, je vous aime bien. 5h15. Pas de lettre, alors fiat, mais cela me prouve que vous avez travaillé, alors je suis contente. Vous êtes un petit chou chéri et je vous quitte en vous embrassant bien, bien fort comme je vous aime. Votre petite Guite à vous Evidemment l’intention de mercredi, c’est votre examen. Mardi matin 19 mars, Saint-Joseph Mon petit Pierrot chéri, Vous n’êtes pas si bête que vous en avez l’air. Vous verrez pourquoi dans la suite. En tout cas, je vous aime bien parce que vous dites les choses carrément et que l’on sait à quoi s’en tenir. J’ai deux lettres aujourd’hui. Alors je suis contente et puis il fait beau, les petits oiseaux chantent. C’est merveilleux. Figurez-vous que nous avons le choix comme résidence entre : Boulogne s/mer ; Pont St Pierre (Eure) ; 269
Dozulé ; Meaux (40 km de Paris !) ; Lorient. Peut-être que rien n’aboutira. Enfin on verra bien. Si on vous croit mort, alors vous travaillez. D’ailleurs, quand vous voulez quelque chose, généralement vous le faites. Si vous avez donc décidé de travailler, vous avez exécuté votre décision. Au moins, celui qui se prépare pour décembre sera reçu, j’espère. Il l’aura bien mérité. C’est vrai, c’est demain le grand jour. Je prierai bien pour vous, mon trésor. Vous me passez votre distraction, ainsi hier soir j’ai emporté machinalement la clef de l’armoire et je suis rentrée à 7 heures. Maman me demande ce que j’ai fait de la clef, je lui dis que je ne l’ai pas et que c’est certainement Thérèse qui l’a. Thérèse arrive, je lui dis : « Tu ne peux pas faire attention, on ne peut rien faire à cause de toi », et tout en disant cela, je sors la clef de ma poche. Ça vaut à peu près votre lettre. Ce doit être l’excès de travail intellectuel. Je suis de votre avis et de celui de Jacques Villey pour mettre les enfants en classe. Les mettre un peu tard a cependant des inconvénients, ça peut les retarder dans leurs études à moins qu’on arrive à les mettre bien à niveau de la classe dans laquelle on les met. Je viens d’être dérangée par Mlle Caresmel qui nous a apporté une livre de beurre. Ça tombe de tous les côtés, alors venez vite pendant qu’on peut faire des gâteaux. Elle aura une petite intention pour vous demain et elle m’a fait enrager naturellement. Oui, mon petit Pierre, nous nous aimons pour la vie et cela c’est épatant. Oui, un seul et unique grand amour.
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Je ne vous gronde pas du tout pour avoir envoyé des tracts à Françoise Chapuis, mais étant donné qu’elle est assez prise, je ne sais si elle aura pu aller à cette réunion. J’espère que vous n’avez plus mal à l’œil, ni la fourmi dans les pieds. C’est cela, mes lettres sont maintenant qualifiées de roman-feuilleton. J’imagine ce que peut être un gros plat de nouilles amorphe. Cela doit faire un ensemble charmant. Non, je ne serai pas un plat de nouilles. Je vois que vous êtes un garçon intelligent : « Il n’a pas été question d’en vouloir à mort aux jésuites ». Ce serait dommage en effet d’avoir des partis pris tels. Mais je sais que vous n’avez pas de parti pris. Pour vous dire exactement ce que j’ai reçu en plein estomac, il faudrait que j’aie vos lettres de la semaine dernière et elles sont dans ma chambre. En tout cas, je me souviens de ceci qui m’a fait quelque chose, je ne me rappelle plus la phrase exacte mais en parlant des jésuites, vous avez dit : « Ils bavent tellement ils sont furieux de ne pas être à la tête de l’unité », quelque chose comme cela. Vous n’avez pas compris ce que j’ai voulu dire. En nous donnant totalement l’un à l’autre, nous nous donnons à Dieu. C’est-à-dire que nous faisons à Dieu le don total de nos deux personnes unies. C’est bien le don des deux ensemble que j’entendais. Voilà, quoiqu’intelligent, vous êtes bête. Apathie, amorphe, etc., oui, pan dans l’estomac ; heureusement que cela vient de vous et je ne me rebiffe pas parce que c’est vrai. Oui, donnez-moi votre maladie, 271
mon chéri, je la veux, donnez-la moi. Il y a quelque chose de très juste dans votre lettre, ce n’est peut-être pas tout à fait de vous parce que c’est peut-être un propos de l’Abbé : « Ce qu’un homme cherche auprès d’une femme c’est la douceur et la délicatesse qui sont reposantes après l’effort… ; ce qu’une femme cherche près d’un homme c’est la force, l’énergie, le courage. » C’est vrai, très vrai, et oui, encore plus vrai : « Et quand il n’y en a pas assez, elle le flatte pour le développer ». Oui, vous n’êtes quand même pas trop bête. Il y a des gens qui m’ont dit que vous n’aviez pas l’air commode. Vous ne saviez sans doute pas cela. Oui, mon chéri, je vous veux fort parce que je veux être forte et j’ai l’impression très nette – sans vous flatter – que vous avez fait des efforts dans ce sens. Vous êtes plus volontaire peut-être. Je ne sais pas, mais il y a quelque chose qui a changé en vous. Oui, c’est vrai, la femme a besoin d’admirer son mari. A ses yeux, il est toujours parfait. Cela n’empêche pas que j’aie une culotte, monsieur, et que si vous voulez la voir, l’hiver prochain, j’en mets une comme la vôtre. Et à nous deux ! Non, j’aime mieux rester à ma place et vous à la vôtre. Mais au fond, c’est peut-être vrai que vous n’avez pas l’air commode. C’est que vous ne vous laissez pas faire. Oui, j’admire, mais je vois quand même bien les défauts. Quant à la maman en admiration devant un laideron ! Peut-être, mais le papa est capable d’en faire autant. Certainement l’amour a une base physique indéniable, ce qui pour beaucoup est essentiel. Oui, mon petit morceau de Bon Dieu, je vous aime comme tel, c’est vrai, je vous aime beaucoup, 272
beaucoup. Oui, j’aime votre personne entière, corps et âme. Voilà, c’est tout et cela me suffit. En tout cas, l’amour tel que nous le connaissons est bien beau, capable de nous dépasser nous-mêmes et de nous élever jusqu’à Dieu, vous ne croyez pas ? J’ai un commencement de paralysie du côté gauche ! Ça va mal. Je ne peux plus me tourner. Enfin ce n’est pas grave. Courage pour demain, mon chéri. Quand vous recevrez cette lettre, vous serez sans doute débarrassé. Je vous envoie tout mon amour, tout mon cœur, toute mon âme. Je serai avec vous demain. Vous me direz le 23 quand vous pensez venir. Au revoir, mon petit chéri. Je vous embrasse de tout mon cœur. Votre Guite chérie Dimanche matin, 23 mars Pierre chéri, Je me suis levée du pied gauche ce matin, j’ai commencé par me chamailler avec Thérèse à propos d’un chiffon à chaussures. Il est fait seul pour les chaussures de Mademoiselle, vous pensez : mes chaussures sont trop sales ! Alors j’ai éclaté, mais c’est fini. Si « tomber la tignasse » veut dire aller chez le coiffeur, allez-y vite, parce que je ne vous aime pas avec les cheveux dans le cou.
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Nous nous marierons probablement à la campagne. Cela ne vous fait rien je pense. Il faut que je vous raconte l’histoire en long et en large. Papa est allé à Dozulé hier et cela semble bien s’emmancher, dio gratias ! Nous aurons la réponse définitive vendredi à cause du logement. Il n’y a qu’une maison de libre, qui sera libre bientôt, mais il faut accord avec le propriétaire et nous saurons cela vendredi. Nous ne pourrions vraiment trouver mieux, surtout en ville. Pensez : 12 pièces, nous n’aurions même plus assez de mobilier pour meubler tout. Donc 12 pièces, plus garage, commun, jardin pour – devinez – 4000 ou 5000 frs. Vraiment les loyers à la campagne ne sont pas chers. Comme cela vous pourrez venir tout le temps que vous voudrez. C’est la 2ème maison sur la route de Rouen en venant de Caen. Si cela se fait, nous partirions au début de juillet. Vous viendrez nous aider à déménager si vous voulez ? Si vous êtes libre, ça me fera plaisir. Vous voyez, tout a l’air d’aller. Il n’y a qu’à avoir une confiance illimitée en la Providence. Il y aussi à Dozulé l’un des deux médecins qui est un cousin germain du Père Bernard et qui est un type épatant aux dires du notaire. Il est extrêmement dévoué, va à la messe tous les jours, a une nombreuse famille… Ça serait chic quand même… Il se fait un petit chocolat au lait sans moi, le vilain, et moi alors ? Mon petit chou que j’aime, vous avez bien le droit pourtant. Je vois que vous avez du lait en poudre, vous ne pourriez pas nous en avoir. (…) Pour en revenir aux jésuites, si j’ai de la sympathie pour eux, si j’aime beaucoup le Père Bernard, cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de jésuites qui 274
déraillent. Alors je n’approuverai pas pour cela votre jésuite en question. Oui, mon petit Pierre, votre lettre est encore un peu embrouillée, c’est pour cela que ce n’est pas très clair dans mon esprit. J’espère que dans votre lettre de demain vous me direz quand vous venez. Si vous trouviez aussi un fouet pour battre les œufs, cela nous serait utile, mais vous n’allez pas savoir où trouver cela. Il faudrait peut-être mieux que vous demandiez à Jeanne. Je vous quitte, mon chéri, car nous avons quelqu’un à déjeuner et il faut faire cuisine et rangement dans notre pauvre taudis qui, si Dieu le veut, se transformera bientôt en palace. Au revoir, mon chou, à bientôt, très bientôt, j’espère ; je voudrais bien vous voir dimanche prochain ; enfin fiat ! Je vous embrasse avec toute mon affection et je vous aime de tout mon cœur. Guite Dimanche midi, 30 mars Mon chéri, Quelle vilaine encre, je crois que je vais être obligée de prendre un crayon. Pour la maison, en effet, on a l’accord du propriétaire, mais maintenant l’occupant ne veut plus s’en aller. Il a dû être mis en demeure de partir par la mairie. Nous n’aurons la réponse que demain, mais nous 275
tremblons un peu. Enfin, il faut avoir confiance. Si cela ne se fait pas, papa ne retrouvera jamais une occasion pareille. Il fait toujours un temps splendide, et dire que vous travaillez par ce temps. J’ai d’ailleurs aussi l’intention de travailler aujourd’hui. Je vais aller me promener un peu avec Michel ; il veut que je prenne sa jolie bobine en photo. À côté des nôtres, c’est un sacrilège ! Thérèse est en week-end et papa et maman vont aller à Vaucelles au concert d’orgue. Donc les oiseaux sont libres. Du mercredi saint au samedi, Thérèse ira à Solesmes avec les guides, alors je peux bien partir aussi. D’ailleurs maman a dit cela l’autre jour pour me faire marcher. (…) Au revoir, petit chéri, que j’aime, j’aime, j’aime. Oui, vous aviez raison de me dire l’autre jour que mon foyer était toute ma vie. Je ne vis que pour cela, en vue de cela. C’est vraie et unique vocation, ce qui ne veut pas dire que je serai toujours à nettoyer mes casseroles. Travaillez bien mon chéri, dans 15 jours vous serez récompensé, puisque vous aurez de nouveau votre petite Guite sur votre cœur. Je vous embrasse comme je vous aime et je vous envoie toute mon âme. Votre Guite chérie
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Mardi 2 avril Mon Pierre chéri, Je commence ma lettre avant d’avoir reçu la vôtre. Est-ce qu’il faudra que j’emporte un chapeau pour Pâques ? Ça m’embête. Pouvez-vous voir aussi si vous trouvez aux Belles-Lettres « La Traduction du Latin » de Marouzeau. Et puis nous rapporter encore du lait en poudre si vous trouvez. Après tous ces détails matériels, parlons d’autres choses. Il fait toujours un temps splendide ; à Pâques il fera peut-être encore beau, ce sera chic. J’ai votre lettre, comment se fait-il que vous n’ayez pas eu de lettre hier matin, je l’ai mise comme d’habitude, mon pauvre chéri. Enfin, pour Dozulé, papa a vu le notaire hier, il ne reste qu’un seul espoir. La maison d’à côté est celle du greffier et elle doit avoir 12 pièces également. Le greffier est mort déporté en Allemagne et sa femme a trouvé une situation à Dives, la maison est donc libre, mais pour qu’elle puisse vendre le greffe, il faut qu’il y ait un logement avec. Alors on envisage de couper la maison en deux, papa verra cela samedi avec la propriétaire. C’est le seul espoir, autrement il faut y renoncer. Espérons alors que cela pourra se faire et prions de tout notre cœur. Si cela ne se fait pas, papa cherchera encore à la campagne car c’est quand même le moyen de se loger. Dozulé est un patelin sinistre, c’est pour cela que c’est difficile : il y a un quart du bourg de détruit. En ville, à Caen, c’est vraiment impossible. A l’automne, sans doute ce sera un 277
peu plus facile, mais comme c’est au plus offrant, il y a des loyers qui atteignent 35 000 et 40 000 frs. C’est de la folie. D’ailleurs le loyer d’une baraque est de 12 000 frs pour 3 pièces et une cuisine, + 8 000 frs d’assurance. Donc 20 000 frs quand on a un terrain. Quand on n’en a pas, il faut louer en plus un terrain et cela atteint facilement 35 000 frs. Tout cela pour dire que la campagne est plus avantageuse. (…) Au revoir, mon trésor chéri, je vous embrasse bien, bien fort sur vos deux petits yeux pleins d’amour. Votre Guite Samedi 6 avril, 9h du soir Mon Pierre chéri, Une bonne nouvelle, nous allons maintenant à Dozulé. Nous partagerons sans doute la 1ère maison en question : 6 pièces et on tachera de faire la cuisine dans l’office. Donc 2 pièces au rez-de-chaussée, 2 pièces au 1er, 2 pièces au second. A moins qu’on ne s’en trouve une autre de libre. Alors Deo gratias ! Voilà ce que c’est que d’avoir confiance, du moins vous, parce que vous m’avez tellement attrapée parce que je n’ai pas de confiance que je n’ose plus dire que j’ai confiance. Alors remercions ensemble le Seigneur. Ce soir, je n’en peux plus ; je suis comme vous, je suis presque incapable de penser. J’espère que maintenant vous pouvez penser. Vite les vacances pour qu’on se repose ensemble. Je travaillerai pendant que vous ferez le jardin.
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Oui, le Père Riquet parle avec talent. Oui, mon chéri, nous devons vivre de Dieu et rien que de lui, et cela ensemble, et c’est ce qui est merveilleux. Pour ce qui est de l’amour conjugal, c’est certainement le plus fort, je crois. Vous savez, maman n’a certainement pas entendu ce que j’ai dit parce qu’elle aurait relevé, soyez tranquille. Je l’ai dit bas à dessein. C’est vrai que je vous aime plus que tout, mais cela ne m’empêche pas d’aimer maman ; ce n’est pas le même amour. Celui que j’éprouve pour vous est plus vif, plus exclusif. C’est normal d’ailleurs. Je vous aime d’autant plus que j’ai un immense besoin d’affection qui n’a jamais été assouvi ; vous vous rendez compte que je suis très sensible et maman pour nous quand on était petits était un véritable croquemitaine. Elle avait résolu d’être très sévère avec ses enfants parce qu’elle s’était fait chahuter par des élèves ; demandez à Mlle Lefrançois ce qu’elle en pense. Alors elle s’est dit – elle nous l’a dit plus tard – que si elle ne changeait pas, ses enfants la chahuteraient aussi. Evidemment elle est tombée dans l’excès contraire, surtout d’ailleurs parce qu’elle était malade et nerveuse. Elle va d’ailleurs beaucoup mieux. Mais, petits, nous aimions beaucoup mieux papa et surtout Michel le faisait sentir. Elle a dû en souffrir. Heureusement, quand nous avons réfléchi un peu, nous avons rétabli la situation. Oui, chéri, pour un enfant, sa mère c’est tout ; mais, au fond, l’amour maternel est à base de sacrifices et une maman ne doit jamais aimer ses enfants pour elle, mais pour eux, et accepter que l’amour qu’ils lui ont donné passe à un autre. Je trouve que c’est le sacrifice perpétuel presque de l’amour maternel, son 279
désintéressement qui fait sa beauté. Et j’espère quand je serai belle-mère ne pas être aigrie. Je ne sais si vous comprenez tout ce bafouillage, car tout le monde parle autour de moi et j’ai du mal à rassembler mes idées. Certainement l’amour maternel et l’amour conjugal sont d’ordre différent. Je crois qu’un garçon aime plus sa mère qu’une fille. Au fond, il y a presque toujours deux femmes dans la vie d’un homme, sa mère et sa femme. J’ai vu la réaction de papa à la mort de ma grand-mère. Je me rappelle comme si c’était hier la seule parole qu’il ait prononcée : « Ça y est, elle est partie… maman » et il a éclaté en sanglots. J’avais 16 ans et cela m’a beaucoup frappée. Remarquez que si maman mourait, j’aurais certainement beaucoup de chagrin. L’amour que j’ai pour vous n’est pas du tout le même. Il est plus profond, plus total. Non, au fond ce n’est pas comparable. Il n’en reste pas moins qu’il est parfaitement normal, on me l’a toujours dit, d’aimer son fiancé plus que tout, après Dieu. Alors mon chéri, je vous aime, après Dieu, plus que tout. Pierre chéri, je vous appartiens pour toujours, c’est cela la différence. Et puis non, ce n’est pas comparable. Vous avez raison, chéri, de me faire des observations. En effet, cela peut faire souffrir maman de s’entendre dire cela. Je l’entendrai dire à mon tour quand je serai maman. Au fond on doit tout à sa maman. Quelle joie de penser qu’un jour je serai maman. Pierre, je voudrais que ce soit bientôt. Je ne peux pas voir un bébé sans envie. C’est formidable. Déjà avant d’être fiancée, je rêvais d’être maman, mais maintenant plus que jamais. Mais cette fois, je sais que cela viendra un jour.
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Pierre, vous auriez presque pu être maman, vous ne comprenez pas mal du tout. Alors vous me comprenez et moi aussi je vous comprends de plus en plus. Quelle joie ! Je suis toute heureuse. Je vous aime et vous embrasse bien, bien fort. A demain en Jésus. Votre petite fiancée Dimanche 7 avril Mon petit chéri, Je vous aime ce matin beaucoup, beaucoup, plus qu’hier, toujours plus. Nous emménagerons entre le 8 et le 16 juillet. Je relis votre lettre. Mon chéri aime bien s’excuser, mais pourquoi au fond ne seriez-vous pas reçu en fin d’année. Une colle ne veut rien dire et j’espère bien que vous serez reçu quand même. Il y a une heure, nous étions ensemble, vous à Notre-Dame, moi à Saint-Etienne, mais c’était le même Jésus. Au revoir, mon petit trésor chéri, je vous embrasse de tout mon cœur qui vous aime toujours, toujours. Dans quelques jours ils seront ensemble et si Dieu le veut, ce sera encore un nouveau pas dans l’amour. Ce sera encore plus beau, n’est-ce pas mon petit Pierre ? Voyez-vous, depuis que je vous ai vu je me sens plus forte, parce que vous m’avez montré mes défauts, merci mon chéri ; si vous saviez comme je vous aime. Cette fois, à demain. Cette après-midi, je vais à un
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concert spirituel à Saint-Etienne par Marcel Dupré12, organiste de Saint-Sulpice. Alors à bientôt, encore mille baisers bien affectueux sur chacune de vos joues et sur vous yeux pleins d’amour. Votre Guite Caen, 1er mai Mon petit malade chéri, Qu’est-ce que votre Guite a fait depuis qu’elle vous a quitté. Elle a surtout pleuré et pleuré encore, car la source est intarissable. Vous comprenez, j’ai ravalé toute la journée mes larmes, surtout à partir de 5h, et comme je ne voulais pas pleurer dans la rue, j’ai fait des efforts surhumains, tant et si bien qu’après la réaction fut très forte. Ce qui m’a fait de la peine, c’est de vous voir partir seul ; si je m’étais écoutée, je serais partie avec mon ticket de quai. Vous savez, c’était très dur. Et voilà qu’aujourd’hui, il n’y a pas de courrier. Alors je ne sais comment va mon petit Pierre, et je continuer à pleurer. Mais depuis midi, il semble que la source s’assèche un peu bien que j’aie les yeux mouillés en vous écrivant. Mais ce ne sont plus des torrents. Tout le monde a voulu s’apitoyer sur mon sort et ça remue le fer dans la plaie, c’est tout. Il n’y a que mon petit Pierre qui puisse me consoler. Alors écrivez-moi une longue, longue, longue lettre. Mais je suis égoïste, car mon petit Pierre a peut12
Marcel Dupré, né à Rouen le 3 mai 1886 et mort à Meudon (Hauts-de-Seine) le 30 mai 1971, était un organiste, improvisateur, pédagogue et compositeur français.
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être autant de chagrin et comme c’est un homme qui se possède, il a su se maîtriser, car j’ai bien vu qu’il était ennuyé. Mais c’est vrai, vous êtes ma force : je vous l’ai demandé l’autre jour. Oh ! Comme je vous aime mon Pierre. Et puis, lui, il est couché par-dessus le marché, c’est encore moins drôle. J’essaie de me représenter mon chéri, dans sa chambre ou celle de Georges-Claude. Estce que vos oreilles ont encore grossi ? Si oui, vous allez devenir un beau garçon. Voyez-vous, j’ai surtout une grosse déception. Je me voyais tellement bien partir avec vous. Ce serait tellement délicieux de vous dorloter, vous monter vos repas, être à vos petits soins. Plutôt que de recevoir de vous un bouquet de fleurs, voyez-vous, j’aimerais mieux me dépenser pour vous. Il y a quand même dans mon amour un besoin de don, de don sous toutes ses formes à l’être aimé, chéri. Maman m’a expliqué hier soir les raisons de son refus momentané : si elle avait vraiment su que ça ne gêne pas votre famille, elle aurait dit oui, mais elle ne pouvait pas le savoir. C’est vrai que j’aurais peut-être dérangé vos parents. Et puis elle m’a dit que même si j’étais partie avec vous, j’aurais été à Paris à la Pentecôte. Alors on est réconsilliées (ça ne s’écrit pas certainement pas comme cela, mais je suis tellement vaseuse que je ne sais plus rien). Donnez un peu de cran à votre Guite. Pourtant elle en a quelquefois, mais ce matin 2ème déception puisqu’il n’y avait pas de courrier. Et puis hier soir Mimi m’avait dit pour me consoler : « Demain tu auras une lettre et il te dira de venir ». Et les facteurs se reposent ?! 283
En tout cas si Mimi doit avoir les oreillons, elle les aura car en plus elle m’a embrassée et comme je dois être porteuse du germe ! Enfin j’espère que cet après-midi mes yeux ne seront plus rouges et que mon nez n’occupera pas toute ma figure. Avez-vous remercié vos parents pour moi ? C’est aussi une des raisons pour lesquelles maman a dit non. C’est parce que je n’avais pas écrit. Dites-moi s’il faut que j’écrive. Bon courage mon petit malade, je vous dorlote par la pensée et vous embrasse sur vos deux oreilles, certaine que ça les fera dégonfler. Dites-moi tout ce que vous faites, comme cela je serai avec vous. Au revoir, vous n’allez pas être trop fier de votre Guite, mais c’est elle, telle qu’elle est, sans détour. Elle vous aime follement, alors son cœur souffre. Je vous embrasse de toutes mes forces. Votre petite fiancée Guite. Je n’ai pas le courage de travailler, j’ai plutôt mal au crâne et je me sens terriblement seule, il me manque mamour. Le 2 mai Mon petit Pierre chéri, Votre Guite est obligée de se poser un cas de conscience : aller vous voir aujourd’hui ou voter. Mais comme ma conscience et celle de mon Pierre me disent 284
de voter, j’obéis et offre ce sacrifice pour lui, pour la France. Alors au lieu de partir jeudi soir, je partirai dimanche à 5h. Que pensez-vous de ma décision ? J’avais l’intention de partir ce soir, papa et maman voulaient bien, mais je suis allée me renseigner à la mairie à l’instant et ne peuvent voter par correspondance que les militaires, réfugiés et gens du genre. Alors encore un petit fiat, mais dimanche soir je vous embrasserai sur vous deux mignonnes grosses oreilles, à moins qu’elles n’aient diminué. Je suppose que vous passerez encore toute la semaine prochaine chez vous, alors il ne sera pas trop tard. Qu’en pensez-vous ? Dites bien merci à votre maman de me permettre ainsi d’aller embrasser mon petit malade et passer encore quelques jours avec lui. Quel dommage que vous soyez parti si vite. Vous auriez vu des changements. Figurez-vous qu’on nous a enlevé hier la grande bête d’armoire qui était à droite en entrant et nous avons mis la nôtre à la place et, entre la fenêtre et l’armoire, le divan de Michel. Ce qui fait que nous avons beaucoup plus de place. On ne reconnaît plus la pièce. Cela fait moins taudis. Je ne suis plus triste puisque j’ai la perspective de revoir mon bien-aimé dans deux jours et fiat pour ces deux jours. Dormez bien mon petit chéri et reposez-vous. Dans deux jours je viendrai déposer une grosse bise sur chacune de vos joues et viendrai voir si mon petit malade est bien sage. Dites à Françoise que je serai ravie de partager sa chambre.
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A bientôt mon chéri que j’aime. Je vous écrirai demain encore pour que vous ne vous ennuyiez pas. Je vous embrasse de tout mon cœur. Votre Guite Caen, le 3 juin Mon Pierre chéri, Eh bien voilà, je suis collée, tant pis, tant mieux, c’est le Bon Dieu qui l’a voulu ainsi, alors j’ai confiance. Oh oui ! Mon bon petit Pierre, j’ai confiance en Dieu, davantage peut-être depuis que je suis fiancée, parce que je sens et je vois combien vous avez confiance. Mais c’est vous qui avez raison, alors nous aurons tous les deux une inébranlable confiance en lui et nous bâtirons notre foyer là-dessus. Pour Chartres : 1) J’arriverai vendredi. Dites-moi si quelqu’un viendra au train à Evreux sinon je prendrai le 1er. 2) J’irai coucher chez Mlle Lefrançois. Si vous pouviez voir les heures de train pour Bondy à la gare de l’Est, depuis 6 h du soir, cela m’arrangerait. Téléphonez simplement. 3) A quelle heure à peu près rentre-t-on à Paris le lundi de Pentecôte ? Si je prends le train gare de l’Est à 23h10, je crois que cela ira. Si je prenais celui-là, Mlle Lefrançois m’attendrait à la gare. Ce n’est pas si commode de coucher à Paris mais tant pis, et ce n’est pas plus loin au fond que la 286
Porte de Saint-Cloud, l’ennui c’est le train à prendre. 4) Faut-il apporter du ravitaillement ? 5) Viendrez-vous me chercher à la gare, sinon où dois-je vous retrouver et à quelle heure ? Bien sûr que si, je vous dirai tout ce qui me tracasse. Je vous aime tellement et surtout j’ai tellement confiance en vous que je vous dirais n’importe quoi. (…) Je sais bien que les équipes ne sont pas mixtes, mais cela ne fait rien, car on est par équipe uniquement sur la route. C’était comme cela l’an dernier. Les réunions de chapitres étaient mixtes. Et puis les chapitres marchent ensemble quand même, filles devant, garçons derrière, ou inversement. (…) Je viens de rencontrer Marguerite Fleury avec Thibault bras dessus-dessous. Ils ne se cachent pas non plus. Thibault est admissible en sociologie et logique, et Marguerite en grammaire et philologie, et elle va être licenciée, et on me fait honte avec cela. Vous acceptez quand même une Guite qui n’est pas toujours travailleuse. Mais je vais travailler, travailler à me former une personnalité, à me vaincre. C’est encore le principal des travaux, qu’en pensez-vous ? Me former, pour vous, pour mes enfants, avec votre aide, mon chéri ; si vous saviez comme cela me stimule. Que c’est chic d’être votre fiancée, moi aussi j’ai hâte d’être à vous et que vous soyez à moi, que nous ne fassions qu’un pour travailler au règne de Dieu. Chéri, c’est chic déjà d’être deux, c’est plus facile de monter, ne trouvez-vous pas.
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Je vous aime, je vous aime, je vous aime follement. Aujourd’hui j’ai la migraine naturellement. Au revoir mon chéri, à bientôt ; je vous vous embrasse bien, bien fort, de toute mon âme, de tout mon cœur à vous pour toujours, toujours. Votre Guite chérie Mardi 11h, 19 juin Mon chéri, Comme je suis heureuse que vous soyez reçu. Oui, vous avez raison, il faut avoir confiance. Cela vous réussit. C’est la meilleure méthode, je pense. J’espère que vous serez reçu aussi en bactério et au dernier examen. Tous les gens se marient, c’est embêtant, et j’ai deux lettres de félicitations à faire. Thérèse se défile devant son travail. C’est aussi embêtant qu’une lettre de condoléance. Figurez-vous qu’une amie « guide » de Thérèse a eu l’audace de dire, en voyant votre photo, que vous aviez l’air bébé. Oh ! Je l’étranglerais. Elle n’a pas dû se regarder. Et puis l’air ne fait pas la chanson. J’ai beaucoup de choses à faire, alors je vous quitte, mon chéri. A demain. Moi aussi je suis bien contente de vous avoir vu. Vous m’écrivez : « A demain matin puisque c’est mardi et nouveau régime ». Est-ce que c’est une corvée pour vous ? Je trouve que vous dites cela d’une drôle de
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façon. Ce n’est peut-être pas vrai du tout et ça fait drôle à lire. Au revoir, chéri, je vous aime, je vous aime beaucoup, beaucoup. Et comment va votre paresse ? Je vous embrasse comme je vous aime. Votre Guite chérie Caen, le 27 juin Mon Pierre chéri, Bien vous irez à Vezelay avec Thérèse, car je ne pourrai y aller. Je n’ai plus le sou et papa et maman le paie à Thérèse, mais moi, il ne faut pas y compter. Je vois que je ne vous verrai pas en juillet. C’est dur mais faites ce que vous voudrez. J’allais vous dire de venir le 6 ; le déménagement ne sera sans doute pas comme prévu le 10 et le 11 mais sans doute 10 jours après car papa n’a pas encore de successeur, alors il se trouvera juste pendant les fêtes à Vezelay. Vous ne serez même pas là pour mon anniversaire. Enfin tant pis puisque vous voulez voyager. Vous allez dire que je ne suis pas gentille. Mais évidemment, cela me contrarie, surtout parce que je ne peux pas aller avec vous. Pour le déménagement, on sera fixé demain. Alors si c’est vers le 20, Thérèse partie, il faut que je reste. Mais si vous avez envie d’aller à Vezelay, allez-y, ce sera un gros sacrifice pour moi. Tachez alors de me faire le plaisir d’être reçu à votre dernier examen. 289
Et puisque vous allez à Jouy le 15 juillet de toute façon, je ne vous verrai pas. Vous ne viendrez sans doute pas le 6 pour repartir si vite. Alors allez. C’est à contrecœur que je vous dis cela et si vous voyiez votre Guite tout de suite, ce n’est pas une Guite chic que vous verriez mais une Guite contrariée, et contrariée par son petit Pierre, mais il faut que je prenne sur moi. J’aurai toute la corvée du déménagement et emménagement, et après je serai claquée. Et puis quand me ferez-vous mes piqûres, la semaine des quatre jeudis sans doute ! Vous voyez comme votre Guite est vilaine. Elle est jalouse tout simplement parce que son petit Pierre veut aller se promener et qu’elle ne peut pas. Enfin on verra bien. Et puis cela m’est égal. J’espère que vendredi vous m’annoncerez que vous êtes reçu. Pensez-vous aussi que nous ferons une route en Bretagne ou est-ce tombé à l’eau ? Enfin fiat. Je sais bien qu’une fiancée et un mari peuvent se faire quelquefois de la peine sans s’en rendre compte, alors vous comprenez que je ne vous en veux pas. Et puis ma lettre vient aussitôt après avoir lu la vôtre, c’est une première réaction. Et vous voyez qu’elle n’est pas chic. Pardon alors d’avoir été dur. Je vous aime quand même. Non, en y réfléchissant, si vous voulez vraiment aller à Vezelay, allez-y ; j’en fais le sacrifice. Il faut que je sois chic. Je m’étais fait une joie de vous avoir le jour de mon anniversaire. Tant pis, je passerai outre. Comme vous voyez, c’est la 2ème réaction.
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Enfin je vous quitte, mon chéri, en vous disant que je vous aime bien et en vous embrassant bien fort. Guite PS. : On n’aura peut-être pas besoin de vos caisses mais je vous le redirai en temps. Dozulé, le 22 août Mon Pierre chéri, Votre lettre est partie de Coutances hier à 5h et je l’ai aujourd’hui, j’en suis restée « baba ». Je croyais que les lettres mettraient plus de deux jours à joindre ce patelin. Il paraît qu’en mettant une lettre pour Paris à 7h du soir à Dozulé, elle est à Paris le lendemain matin. Je retiens cela, n’est-ce pas. Mon petit Pierre, vous n’avez pas de pardon à me demander, j’ai été tout aussi vive et désagréable avec vous, alors à mon tour, pardon. Demander pardon à l’être qu’on chérit le plus au monde est-ce possible ? Oui pourtant. On peut être désagréable avec celui qu’on aime le plus. Au fond, Pierre, j’ai un peu honte. Il y a de notre faute à tous les deux. Je voudrais tant que notre union soit un accord parfait. J’ai pourtant un désir de plus en plus grand d’être à vous totalement. Est-ce parce que je suis de nouveau loin de vous ? Je ne sais pas, mais je vous aime, je vous aime. Pierre chéri, elle est quelquefois rude votre écorce et j’arrive à oublier ce qu’elle renferme alors que je sais ce qu’il y a au fond. C’est bête mais c’est ma sensibilité 291
qui réapparaît quand mon Pierre me dit des choses désagréables. Pierre chéri, ne croyez-vous pas que nous pourrions reprendre nos messes pour finir nos vacances ? Comme c’est vite passé les vacances quand même et dans 22 mois nous nous marierons, je l’espère du moins. Vous me direz quel jour et à quelle heure il faut que je me trouve à la gare de Caen. Maman me prie de vous demander ce qui vous ferait plaisir en remerciement de tous les services que vous nous avez rendus pendant le déménagement et qui n’étaient pas dus. Quelque chose d’utile peut-être tant qu’à faire. Vous allez encore me dire « je ne sais pas ». Creusez-vous bien la cervelle, quelque chose qui serve à votre profession ou autre, je ne sais pas moi, ou quelque chose dont vous avez envie, cherchez bien. Alors mon chéri, je vous quitte. Je viens de laver pas mal d’affaires et j’ai encore envie de dormir. Il est 4h30 ! J’ai faim à moitié, soif surtout. Amusez-vous bien, reposez-vous, grossissez, cela ne vous fera pas de mal. A bientôt, dans 8 ou 9 jours maintenant. En attendant, je vous aime beaucoup, beaucoup, mon chéri, et vous embrasse de tout mon cœur. Votre Guite chérie Dozulé, 31 août Mon chéri, Il y a un an, vous vous souvenez, deux amoureux se jetaient dans les bras l’un de l’autre après une longue 292
promenade pendant laquelle ils s’intimidaient l’un l’autre et ne savaient quoi se dire. Souvenir heureux, début d’une intimité qui ira sans cesse croissant, n’est-ce pas mon chéri ! En attendant, voilà notre séparation prolongée de quelques jours. Qu’est-ce que 5 jours dans une vie ? Au fond il faut être raisonnable, n’est-ce pas ? Donc à vendredi mon chou ; je partirai avec maman et les Dépaquit, maman devant aller à Caen ce jour-là. Je n’arriverai sans doute pas avant 10h30-11h à Caen. Avez-vous toujours l’intention de vous arrêter à Caen et de reprendre le train du soir ? Pourquoi avez-vous retardé votre départ ? Cela va vous faire rentrer plus tard à Paris et à l’externat ? Figurez-vous que Thérèse trouve que nous serons fiancés trop longtemps et que nous ferions bien de nous marier pendant les vacances prochaines, sans cela l’un des deux plaquera l’autre, réflexions faites sans doute après le camp. Oh horreur ! Que pense-t-on de nous ? Quelle idée les autres se sont faite de notre amour ? Se plaquer l’un l’autre. Ce n’est pas possible, mon Pierre chéri. Ils ont jugé sur l’extérieur. N’est-ce pas mon petit Pierre qu’on s’aime beaucoup, beaucoup, toujours plus ? J’ai fini ma robe, alors Albert peut se marier quand il voudra et nous pouvons nous « fiancer » quand nous voudrons. Il me reste les manches de votre chandail à faire, mais il me faut l’homme. Une idée me vient. Je suppose que vous avez retardé votre départ parce que vos parents sont arrivés à
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Coutances. D’après vos dernières lettres, ils ne me semblaient pas y être. (…) Je vous quitte, mon chéri, car il est 6h passées et si je veux que vous ayez cette lettre lundi, il faut que je me dépêche. Au revoir, chéri, mon trésor, mon chou, mon Pierrot, mon petit Pit, mon Pitchou, celui que j’aime le plus au monde. Je vous embrasse de tout mon cœur qui est dans le vôtre. Votre Guite Dozulé, samedi 28 septembre Mon petit Pierre chéri, Je viens me reposer près de vous, car depuis ce matin je n’arrête pas, puisqu’il y a réception demain. Marie-Claude et Marie-Françoise se sont invitées pour demain, alors j’ai accepté bien sûr et quand j’ai dit cela à maman, il y avait déjà un invité : le professeur de Michel. Alors toute la matinée, j’ai fait des petits gâteaux. Et tout l’après-midi du ménage. Il y a encore un gâteau à faire ce soir. Bénie soit la lumière ! Voilà enfin l’électricité revenue. L’autre jour sur le quai de la gare, Zaby m’a demandé quand seraient nos fiançailles. Alors je lui ai fait la sempiternelle réponse : que je n’en savais rien, et que ça pourrait être pendant les vacances de Noël si cela ne dérangeait pas votre famille. Qu’en pensez-vous ? Tout le monde me tanne avec cela et pour leur faire 294
fermer la bouche, je leur dis que ce sera à Noël. Si cette date vous agrée, parlez-en à vos parents, mais que ce soit comme vous voudrez. Il fait encore aujourd’hui un temps radieux. Il ferait bon de se promener bras dessus, bras dessous, à travers cette jolie campagne. Mais non, pas de rêves idiots, puisque la réalité est. Mon Pierre est à Paris, le nez dans ses bouquins. Sa Guite est à Dozulé, mais d’esprit bien souvent à Paris, et elle se dit qu’aujourd’hui il fait bien étouffant à Paris et qu’un air de campagne rafraîchirait un peu son bien-aimé. Figurez-vous que votre Guite a été paresseuse ce matin. Elle n’a pas été à la messe et a oublié de faire sa prière au petit Jésus. Qu’elle est païenne, n’est-ce pas ? Cependant elle s’efforce d’être gentille et douce, et constate avec satisfaction – je me gonfle – qu’il y a un certain progrès. Ce progrès, elle l’envoie à son Pierre, elle le lui offre de tout son cœur. C’est pour lui les efforts de sa Guite et pour elle les efforts de son Pierre. Mon petit chéri que j’aime profondément, mon petit chéri, profondément ancré en moi, je vous aime. Je voudrais vous dire ce que je ressens, tout l’amour que j’éprouve, vous dire ce qu’est cette force extraordinaire qui me soulève, ce que vous êtes pour moi. Oui, vous êtes tout pour moi sur cette terre, vous êtes celui qui a été placé exprès à côté de moi par le Seigneur sur cette terre, vous êtes mon Christ particulier et je suis le vôtre. Je sens combien nos âmes se correspondent désormais. La prière ne m’est plus difficile. Je sens m’envahir de toute part cette immense confiance en Dieu. Et cela vient de vous, mon chéri. Oui, je me rends compte que c’est à votre
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contact que j’ai compris qu’il fallait avoir confiance et c’est délicieux. Pierre, je vous aime, je vous aime. Oh non l’amour qui nous unit ne peut pas mourir : je le sens de plus en plus fort. J’ai reçu une lettre de Madeleine Préel qui me demande de prier pour elle. Je le ferai bien sûr, mais comment ne pas associer à ma prière la moitié de mon âme. Alors notre communion de mardi sera pour elle, n’est-ce pas ? Au revoir, mon chéri, je vous embrasse avec tout l’amour que je sens en moi. Votre fiancée chérie. Guite PS. : Le Dr Linglin m’a fait une piqûre hier soir. Rassurez-vous : il a eu du mal à trouver la veine, mais ne m’a piquée qu’une fois ; il a simplement cherché la veine un peu. En enfonçant l’aiguille, il ne m’a absolument pas fait mal. C’est sans doute que son aiguille est meilleure, plus pointue. Lundi 30 septembre 1946 Mon petit Pierre chéri, Depuis vendredi sans nouvelles, cela m’a semblé horriblement long. Mais c’est nous qui l’avons voulu. Une lettre le samedi ne serait quand même pas de trop. Vous allez attraper un rhume si votre chambre est toujours ouverte, car aujourd’hui il ne fait pas très chaud. (…) 296
Pouvez-vous arriver à trouver ce qu’il y a eu de plus ces derniers quinze jours que nous avons passé ensemble ? Je ne sais pas trop, mais il y a quelque chose de plus. Mon chéri, c’est formidable. Notre intimité s’est peut-être, s’est sûrement, resserrée. Mais il y a un petit quelque chose de plus impossible à exprimer. C’est épatant de tant s’aimer. Au fond si notre cœur souffre de la séparation, vous ne trouvez pas qu’il demeure au plus intime de nous-mêmes une joie et un bonheur sans mélange que rien ne pourrait nous ôter. Il y a cette joie profonde d’être l’un à l’autre pour toujours, cette espérance de don total qui nous force à nous dépasser nous-mêmes. Pourquoi voulez-vous être détaché de la terre ? C’est normal que l’on veuille être avec ce que l’on a de plus cher au monde. Alors bon courage, mon chéri, nous offrirons ensemble nos efforts de travail et de caractère. Je sens toujours ce même feu qui me dévore. Je vous aime ardemment. Je crois que cet amour qui me dévore va me dévorer encore longtemps et même davantage chaque jour. Si vous saviez comme je me sens prise maintenant, quelle place vous avez en moi. Mais cet amour, je veux le mettre en Dieu, je veux que plus il augmente, plus Dieu ait sa part. Pierre, comme c’est chic, chic, épatant, merveilleux. Je voudrais vous communiquer cette joie profonde qui me donne tant de calme. Je pense au bien que pourra nous faire une retraite ensemble. Comme ce sera chic. Tranquillisez-vous, mon chéri que j’appelais un mauvais toubib. Aujourd’hui, le Dr Linglin a fait exactement comme vous. Il a piqué deux fois. C’est la 297
faute de mes veines qu’on ne voit pas et comme j’allais tomber dans les pommes, il m’a allongée et désormais il me fera mes piqûres allongée. J’en ai encore deux cette semaine et trois la semaine prochaine, et ce sera fini. Hier nous avons bien reçu nos invités. Les gâteaux étaient délicieux et je me promets de recommencer pour mon Pierre. Je vous quitte pour l’instant mon petit chéri. A ce soir ou demain. Pour les photos, je ne pense pas les donner à développer ici. Pour cela, il faudrait que j’aille à Caen, et encore, chez Burge, ils n’en prennent plus pour le moment. Bon courage, petit chou que j’aime. Travaillezbien. Albert se marie-t-il toujours le 21 octobre ? Lundi soir (…) Donc je continue mon journal. Demain il faut que j’aille voir Jacqueline Lecoeur, depuis le temps qu’elle veut me voir. Michel qui était naturellement ce soir encore avec son inséparable François m’a dit que s’il faisait beau, nous irions à la mer avec la petite voiture. Quel dommage que mon Pierre ne soit pas là. Mais pas d’attendrissements imbéciles. Cela remplacera Coutainville. Le Dr Linglin qui emmène souvent quelques-uns de ses enfants quand il fait ses visites en campagne a emmené cet après-midi Michel avec ses deux garçons. Michel est revenu à peu près converti à la médecine. Déjà l’autre jour il nous a dit : « Si je passe facilement mes 298
deux bacs, je fais médecine ». Mais aujourd’hui, c’est encore plus impératif. Avec un mari et un frère médecins, il n’y aura qu’à attendre le dernier soupir. Pauvre chéri que j’aime et que je fais enrager. Mon chéri, si vous saviez comme cela me coûte de n’avoir qu’une lettre tous les deux jours, mais je tiendrai bon pour que mon Pierre soit reçu à l’externat. En ne m’écrivant que tous les deux jours, cela lui fait perdre moins de temps, il l’emploie à travailler pour que le sacrifice de sa Guite qui est aussi le sien soit récompensé. Je suis couchée, il est 10h15. Sur la petite table, il y a la grande photo de mon Pierre. Là-bas sur l’étagère, une quantité de photos de mon Pierre. Et puis dans la grande photo, je regarde les yeux de mon chéri et je m’enivre d’eux. Oh mon Pierre chéri, chéri, je vous aime de tout mon être. J’ai faim et soif de vous. Cet amour me dévore. Je ne sais pas comment vous dire, mais mon cœur est en feu. Et c’est mon Pierre qui y a mis ce feu. Bonsoir petit chou. Je vous serre bien fort sur mon cœur. Votre Guite à vous Jeudi 3 octobre Mon chou, Je m’installe confortablement pour répondre à votre lettre et voir si je vous ai bien compris. En tous cas, j’aime cette lettre car c’est mon Pierre, un morceau de lui. Merci mon chéri. Cela me fait tant plaisir de recevoir un morceau de mon Pierre. 299
Je vais vous raconter, avant, mes petites histoires pour me consacrer plus longtemps aux vôtres. Tous l’après-midi d’hier, nous nous sommes promenées. Il faisait délicieux. Nous sommes allées avec la petite voiture Lecoeur à 3km où nous avons passé l’après-midi chez des amies, toutes anciennes élèves de St Pierre. C’était épatant. Il faisait chaud et j’ai tricoté et avancé les socquettes de mon Pierre. C’était d’ailleurs un véritable atelier de tricot. Car l’une faisait un chandail à son mari, lequel a près d’1m90 je crois. Alors cela représentait un morceau. L’autre faisait un chandail à son fiancé, la troisième des socquettes à son fiancé. Vous devinez laquelle. Maman est toute heureuse d’avoir sa machine à laver : 6 000 frs, c’est quand même moins cher qu’une neuve et elle est comme neuve. Michel est parti lundi en pension, alors comme j’ai reçu cette lettre hier, je n’ai pu lui souhaiter sa fête de votre part. Mais revenons à votre lettre. Pardon, monsieur. Je sais coudre. Je pense qu’il s’agit de la doublure du blouson. Une doublure se coud à grands points sans quoi elle tire, mais comme mon Pierre enfile cela à toute vitesse, évidemment il fait tout craquer. Mon petit Pierre, je crois qu’il est normal que ce vide fait en nous par la séparation nous porte vers Dieu, puisque cela nous fait souffrir ; il est normal que nous offrions cette souffrance à Dieu, que nous lui en parlions. Non, Dieu ne me fait pas l’effet d’un bouche-trou. D’ailleurs je ne prie pas mieux depuis la séparation, mais depuis le jour où je vous ai dit que j’avais du mal à prier. De vous l’avoir dit m’a soulagée et depuis ça va bien. Si 300
vous étiez là, vous ne me reconnaîtriez pas, car je ne me reconnais pas moi-même. Je suis bien plus calme et plus douce surtout. De temps en temps, il y a bien des accrocs, mais il y a un grand progrès. Je sens que c’est en dehors de moi, que je n’y suis pas pour grand-chose. Je ne sais pas quelle est la force qui me pousse. Mais je n’ai pas encore fait de chemin de croix. Je n’ai même pas envie de me confesser, uniquement d’ailleurs parce que je ne veux pas me confesser au curé. Il paraît que ce n’est pas formidable. Mon petit Pierre, vous me dites : « J’ai peur de vous aimer aussi pour vous ». Si votre amour était complètement désintéressé, vous seriez un saint. J’aime follement votre âme, j’aime Dieu en vous, à travers vous, je crois quelquefois plus que du bout des lèvres, mais il me semble aussi vous aimer un peu pour vous-même. Quant à dire que vous faisiez fausse route, je crois aussi, mais pourquoi me demander pardon, mon chéri. Vous savez bien qu’il y a longtemps que vous êtes pardonné. Et puis, écoutez, ce n’est pas pour vous encenser mais ces derniers quinze jours, c’était presque bien. Et puis je vous comprends. Je me rends compte que c’est très fort. Pourquoi voulez-vous que je ne comprenne pas ? C’est parce que je suis physiquement et psychiquement différente de vous. Mais à force de pénétrer dans un garçon, on finit bien par le comprendre, si différente qu’on soit. Il y a un an, bien sûr, je ne vous aurais pas compris, mais cette année je crois comprendre. Vilain petit garçon qui me prend pour une imbécile ! Il est vrai que vous allez peut-être me dire : elle croit avoir compris mais elle se fourre complètement dedans. Evidemment j’ai relu plusieurs fois votre lettre 301
pour saisir votre pensée, mais cette fois je crois que ça y est. En tous cas, mon petit Pierre devient radoteur, car je trouve au début et à la fin de la lettre la même citation. Voilà ce que je retiens de cette lettre : c’est que vous voudriez être un saint et que vous déplorez de ne pas l’être parce que vous dites : « Si nous voulons que notre amour ne soit pas fantôme ou illusion à l’œuvre, nous devrions être en quête d’efforts à faire et nous avons souvent de la peine à faire à ceux qui se présentent à nous et nous sont presque imposés ». Alors tachons de faire joyeusement ceux qui nous sont imposés, après on s’en imposera quand on sera bien entraînés. Et puis, mon chéri, nous sommes l’un près de l’autre pour nous aider, nous épauler, et c’est bien chic. Je vous aime, aime, aime, d’un grand amour qui n’exclut pas Dieu, je vous assure. Au fond il nous a bien gâtés, alors notre vie devrait être une perpétuelle action de grâce. Question fiançailles ? Quand vous aurez fini de me faire marcher, vilain garçon ?! Voici mon élaboration, pour dire comme vous. Intimité stricte, c’est-à-dire parents, frères et sœurs. Etesvous partisan d’inviter ceux qui sont mariés ? Pas de faire-part. A quoi cela servirait-il ? Tout le monde le sait. Maman voudrait qu’on ait une messe. Nous pensons à la messe de minuit suivie d’un réveillon à la pâtisserie, et dans la cheminée une grosse bûche. Qu’en pensez-vous ? Evidemment tout cela si votre famille l’agrée. Si elle ne veut pas le jour de Noël, eh bien un jour entre Noël et le jour de l’An. Je trouve que ce serait sympathique le jour de Noël. Nous pourrions coucher tout le monde sauf vos
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parents. Mais il y a un hôtel très bien et on s’arrangera toujours avec même les amis et connaissances. Comme bague c’est autre chose. Je ne sais pas ce que vous voulez m’offrir, alors je trouve très délicat de dire mes goûts ; si vous voulez, je vous dirai cela à Paris et puis, au fond, je n’ai pas de goûts très arrêtés. J’aime assez le genre de celle de Zézette, mais je vous dis, je ne sais pas du tout. Quand vous m’aurez apporté un choix, je vous dirai ! Pauvre chou que je fais enrager. Quant à la taille de mon doigt, je l’ignore. Ce doit être celle de la petite bague qu’Albert m’a donnée. Comment voulezvous que je vous donne la taille de mon doigt ? Je ne sais pas comment ça se mesure. Je n’ai plus que 4 piqûres à faire et le docteur a toujours autant de mal à trouver mes veines. Il me semble que j’ai moins mal à la tête quand même bien qu’aujourd’hui j’aie des névralgies. Au revoir, mon chéri que j’aime. A demain en Jésus. Thérèse se morfond sur son examen et voudrait trouver un mari, alors on lui demandera d’envoyer un gentil mari à Thérèse. A demain, mon chéri, je vous aime et vous embrasse de tout mon cœur. Votre Guite PS. : Merci infiniment pour vos salutations et vos salutations les plus délicates etc. Je suis très touchée. Mon journal finit ici.
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Mardi 12 novembre Mon chéri, Je ne sais pas si c’est une excellente punition de priver l’autre de lettre quand on ne s’est pas confessé, surtout maintenant qu’on ne s’écrit plus que tous les deux jours. Mon chéri, jusqu’en janvier nous maintiendrons cet état de chose. Après on verra. En tout cas s’il me fait plaisir de vous écrire plus souvent, je peux le faire. Pour moi. Je crois que c’est nécessaire. Voyez-vous, j’ai l’impression de vivre moins intimement avec vous. Nos lettres qui, étant plus rares, devaient être plus profondes, n’ont rien gagné ou peu de choses en profondeur. C’est dommage. Au fond depuis jeudi, je ne sais pas ce que vous avez fait à part dimanche. Enfin on en reparlera. En tout cas vous ne changez rien jusqu’à l’externat. Ce matin je suis allée à la messe et cela m’a fait du bien. J’ai prié intensément pour vous, d’autant plus que toute la nuit j’ai pensé à vous dans mon sommeil très agité. Pourquoi ? Je ne sais pas. Mais c’est la première fois que cela m’arrive depuis 15 mois, c’est-à-dire le début de nos fiançailles. Peut-être que je vais faire comme vous : somnoler ? C’est par sympathie, voyezvous. A 3h30, je prends mes fonctions de mère de 13 famille jusqu’à vendredi soir. Déjà hier soir j’ai couché la dernière pour apprendre à l’emmailloter. Elle a pleuré un peu mais s’habitue à moi et me flanque des gifles, la vilaine ! Alors je ne pourrai aller à la messe mercredi et 13
Marguerite garde les enfants du couple Linglin parti à Paris pour les funérailles d’une nièce.
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vendredi. J’irai samedi à la place. Vous irez pour moi aussi. Hier soir, le Dr Linglin m’a prêté un bouquin qui me semble très bien ; j’en ai peu lu encore mais ce que j’en ai lu m’a plu : « Ce que Dieu a uni », de Gustave Thibon. Déjà Marie-Françoise Comby m’en avait parlé, mais comme elle le lisait, je n’ai pas pu le prendre. Le docteur m’a demandé aussi si j’attendrais votre thèse pour me marier. Je lui ai répondu que j’espérais que non, mais que je ne savais pas quand. Là-dessus il m’a demandé si vous voudriez être interne dès janvier, par exemple, chez les gardiens de la paix : je ne sais comment s’appelle cet hôpital, mais c’est celui des gardiens de la paix. Il y a été interne. De son temps il n’y avait pas de concours, il suffisait d’avoir 14 inscriptions, croit-il se rappeler (…). Si cela vous plaisez, dites-le moi et il ferait le nécessaire. Autant que ses amis et connaissances servent à quelque chose, m’a-t-il dit. J’oublie de vous dire que c’est de la chirurgie, petite chirurgie. Mais vous ne pouvez faire cela qu’en attendant autre chose. En 1936, il était payé 500 frs par mois, logé, nourri. C’est tout ce que j’ai à vous dire sur ce sujet. Vous ferez comme vous voudrez bien sûr. Puisqu’il m’a proposé cela, vis-à-vis du docteur il est plus joli que je vous en parle car il me demandera une réponse prochainement. Avez-vous 14 inscriptions ? (…) Je vais aussi aller tout à l’heure chez le bijoutier pour mesurer mon doigt. Oui, mon chéri, c’est vrai qu’on sent très bien qu’il faut laisser tout pour celui avec lequel on doit vivre toujours. Mais quand c’est son Pierre, c’est bien doux, n’est-ce pas ? 305
Noël ! C’est dans plus d’un mois encore. Courage. Courage. Un peu plus de huit jours seulement que je vous ai quitté et cela me paraît un monde. Je crois, chéri, que cela tient au peu de nouvelles que j’ai eues de vous. Une lettre mardi, jeudi, dimanche, une ce matin. Mais en ce moment je ne vous en demande pas plus, seulement que chacune m’apporte un peu plus de mon Pierre et quelques mots qui me le donnent. Dans cette courte lettre, il y a un petit passage qui est bien lui, ce qu’il ressent, celui-là je l’aime bien et cela me suffit. Je crois, mon chéri, sans orgueil, que l’on peut dire que nous nous aimons bien comme il faut, ne croyezvous pas ? Au revoir, mon chéri. Cette nuit, je serai peut-être réveillée par Claire. Elle crie quelquefois paraît-il. Alors je penserai à nos petits enfants de plus tard et à vous naturellement ; et puis si je ne dors pas mieux que la nuit dernière, je passerai la nuit avec vous. Je vous quitte, mon petit chéri que j’aime de tout mon cœur et je vous embrasse avec toute mon affection et ma tendresse. Votre Marguerite PS. : Le bijoutier est aimable comme une porte de prison : « Nous ne prenons la mesure du doigt que si nous vendons la bague ; si vous avez une bague qui aille, envoyez-la ». C’est ce que je fais puisque je vous envoie un colis. Alors vous trouverez la petite bague d’Albert au milieu des chaussettes. Elle va très bien. Au revoir, chéri. J’espère que la bague suffira sinon, eh bien, j’irai à Caen. 306
Dites-le-moi. A Caen nous connaissons deux bijoutiers qui le feraient certainement volontiers. Je vous embrasse encore mon chéri. Votre petite Guite chérie Dozulé, le 28 novembre Mon petit Pierre chéri, chéri, Merci infiniment pour votre petit roman. Je vois que vous connaissez fort bien votre héroïne. Je vous ai écrit l’autre jour sous le coup du cafard. Voilà pourquoi j’avais les idées si noires. Eh bien voilà, tout simplement, puisque vous avez le droit de savoir. Vous vous souvenez sans doute le jour où on a manqué la messe de dimanche, que je ne savais pas faire la différence entre un péché mortel et un péché véniel. Il ne faut pas grand-chose, vous savez, pour me mettre sans dessus-dessous. C’est un acte d’humilité et de courage que je fais, mon chéri, mais je sais que vous saurez certainement quoi me répondre, et puis je vous aime tellement. Eh bien, voilà, quelque temps avant mes règles, je ressens parfois des sensations violentes, je ne sais pas comment vous dire. En réalité je n’aime pas cela parce qu’en même temps ça me fait mal au ventre. Mais au fond il y a une sorte de plaisir et j’ai toujours peur de faire mal. Alors quand ça m’arrive, ça me rend malade. Ça me prend tout d’un coup et cela se suit d’un état nerveux excessif. Mais l’autre jour j’ai eu peur de m’y complaire et j’ai pensé à mon Pierre. Alors je me suis dit que j’étais une petite fille horrible et que mon Pierre ne 307
se doutait pas de cela. C’est pour cela que je n’osais pas le regarder, que je n’osais pas lui dire, et j’en avais pourtant bien envie de peur qu’il ne me croie plus parfaite que je ne le suis. Depuis j’ai communié parce que je me suis dit que ça ne me faisait pas mal. Voilà, c’est tout, mon chéri. Dites-moi ce que vous en pensez. Ça me fait du bien de vous dire cela. Je me sens plus près de vous. Oh oui ! Pierre ! Vite qu’on soit mariés pour que je puisse vous avoir sous la main quand il y aura quelque chose qui n’ira pas. C’est quand même formidable les liens qui nous unissent, car je ne dirais cela à personne d’autre. Oui, c’est formidable. Je crois que vous connaissez vraiment votre Guite. Elle a toujours peur de faire un péché grave et tout pour elle est une montagne. Heureusement qu’elle a un Pierre solide et qui sait la remettre en place. (…) Je vous aime bien, bien, mon petit Pierre. Dimanche, c’est le 1er dimanche de l’Avent, qu’est-ce qu’on va faire de plus pour préparer Noël ? Mon chéri, j’ai très confiance en vous. Oh oui, je vous aime. Je vous sauterais bien au cou tout de suite. Oui, vous êtes mon Christ particulier, mon compagnon d’éternité. On ira au ciel ensemble, n’est-ce pas mon chéri. Je vous quitte, non je vis avec vous, je voudrais vous en écrire des pages et des pages sur ma joie d’être à vous. Pierre, je repose un peu sur vous puisque je vous ai tout confié. Je me sens libérée et étrangement à vous pour toujours, toujours, toujours.
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Un de ces soirs, je reprendrai ma petite famille pendant que le docteur et sa femme vont chercher les bagages des parents de madame qui arrivent pour 3 mois. Au revoir mon chéri. A demain en Jésus. Comment va votre travail pour l’externat ? En tous cas, vous avez encore le temps d’écrire des romans. Je vous aime et vous embrasse de tout mon cœur qui vous appartient pour toujours. Votre Guite Dozulé, le 30 novembre Mon petit Pierre chéri, chéri, Mon chou, venir choisir une bague est beaucoup demandé. Si je veux retourner à Paris l’année prochaine, il ne faut pas que j’en demande trop. D’autant plus que maman vient de commander nos étrennes : deux sacs. Cela fera 5000 frs, alors je n’ose pas en demander trop. J’ai entièrement confiance dans le goût d’Albert. S’il faut absolument la mesure de mon doigt, je pense aller à Caen vendredi avec maman et me la faire prendre. Quant au choix de la bague, cela m’est complètement égal qu’elle soit en or gris. L’alliance, on verra plus tard. Je connais beaucoup de jeunes mariés qui ont une alliance en or jaune et une bague de fiançailles en or gris. Je ne trouve pas que cela fasse tellement ridicule. Mais, entre nous, la couleur de l’alliance après tout est un détail ; du moment que nous serons mariés ! C’est vrai, c’était pour avoir la même que vous. Eh bien si je la prends en or gris, vous la prendrez en or gris aussi, bien 309
que ce soit moins bien pour un homme, mais c’est une question de détail. Quant au genre, celles qu’Albert m’avait montrées me plaisaient bien. J’aime bien celle de Zézette. Vous n’aurez qu’à me faire un croquis. Je crois vraiment que ma présence n’est pas nécessaire. Voilà ma préférence : « genre Zézette ». Comme cela vous êtes renseigné. Si je ne vous ai pas dit mon goût jusqu’ici, c’est parce que je n’osais pas. Quant au mobilier Léon XIII, je ne crois pas que Léon XIII, pape du XIXe siècle, n’ait jamais créé un style. Pauvre chou, vous avez dit cela comme vous m’auriez dit zut – sans e, soit dit en passant. (…) Pourquoi êtes-vous fier de moi ? Parce que je fais des bêtises ? Ou parce que j’ai du cran ? (Le mot est un peu fort) Oui, mon chéri, la première fois que j’ai eu mes règles, j’ai été troublée de façon analogue et comme je n’étais pas prévenue, vous imaginez ce que cela a pu faire. Puis j’ai été des années sans rien éprouver. C’était le calme plat et cela recommence seulement depuis à peine deux ans. A vrai dire peu fréquemment, surtout au moment où je suis le plus nerveuse, comme cette fois-ci. C’est épouvantable le degré de nervosité. Je dors d’un sommeil très agité. Vous savez, ce n’est pas drôle d’être nerveux. Oui, au fond cela tient uniquement à l’état nerveux. Et ça vraiment, on n’y peut rien. Je me rends parfaitement compte que c’est en dehors de moi. Seulement pour réagir, quand on est nerveux, c’est épouvantable parce qu’on réagit trop brutalement. Quand je suis très nerveuse, au lieu de se chasser c’est obsédant,
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alors que si j’étais calme, cela partirait comme c’est venu. Non, mes règles n’ont pas toujours été douloureuses, heureusement. Cela dépend uniquement du degré de nervosité et de fatigue. Au fond je me demande si c’est très bon pour la femme de brosser au pied, et comme je le fais tous les jours, c’est peut-être trop. Cette fichue cireuse n’en finit pas d’être cassée. Enfin, assez sur ce sujet qui, comme vous le dites, n’a rien de passionnant. Mais je suis toute heureuse d’y voir clair et je m’explique des tas de choses que je ne m’expliquais pas avant. Je croyais que les autres n’étaient pas comme moi et je me croyais pervertie. Grâce à mon Pierre, j’ai compris. Il est quand même bien temps. Oui, on peut bien dire un rosaire pour le 8 décembre, c’est-à-dire 5 chapelets dans la semaine. Cela nous fera du bien de prier la Sainte Vierge, ne croyezvous pas ? La semaine prochaine, on prévoira pour l’autre semaine. Je suis occupée à faire les « Noël » de tout le monde. Et il faut que je fasse cela en cachette, ce n’est guère facile. Si nos fiançailles sont à Noël, votre maman m’avait promis je ne sais plus quels arbres fruitiers ; peut-être pourrait-elle les apporter puisqu’on aura le jardin à partir de décembre. Mon chou chéri, chéri, je vous aime bien, bien, bien, et demain je recevrai Jésus avec mon Pierre et il nous guérira de toutes nos misères. Merci mon chéri, vous êtes chic, chic. Il est vrai que vous n’avez pas de mal à comprendre puisque vous 311
êtes garçon. Merci mille fois. Moi aussi je suis toute heureuse de vous l’avoir dit. Je me sens plus près de vous, plus à vous. Oui, chéri, on sera inséparables. Et puis quand nous nous aimerons bien au-dessus de nos corps, quand notre amour – il l’est déjà – ne sera plus qu’un grand amour d’âmes entre elles, quand nous aurons tellement pénétré en l’autre qu’on ne fera plus qu’un éternellement avec lui, comme ce sera chic. Oui, mon chéri, je crois, je suis sûre qu’un jour il en sera ainsi, que notre âme entraînera notre corps. C’est ce qu’il faut d’ailleurs. Alors merci Seigneur de nous avoir promis l’un à l’autre. Merci pour cette union qui devient chaque jour plus intime. Faites qu’elle ne serve qu’à votre plus grande gloire. Je vous embrasse, mon chéri, comme je vous aime, et vous savez combien. Votre petite Guite Vous avez rétabli le calme en moi et c’est une grande chose. Merci mille fois. Dozulé, le vendredi 13 décembre 1946 Mon Pierre chéri, C’est bien la peine d’avoir tant pensé à vous et d’avoir eu le trac toute la journée d’hier et la matinée d’aujourd’hui jusqu’à l’arrivée du facteur ! Non, je ne sais pas le résultat car si vous ne savez au juste ce que vous avez mis ou pas mis, vous ne pouvez 312
pas savoir. Il se passe quelquefois des choses tellement extraordinaires aux concours qu’on ne peut rien savoir. Et puis on voit toujours les bêtises et on ne voit que cela. Je me souviens du français au bac. En français, j’ai eu depuis le début jusqu’à la fin une petite envie et je n’ai pas osé demander à sortir, si bien que j’ai trépigné sur ma chaise pendant 3 heures. Inutile de vous dire qu’au bout de 3 heures j’ai eu du mal à savoir ce que j’avais mis. J’ai eu l’impression d’avoir fait un devoir déplorable. J’ai eu 11.5. En latin, j’étais poursuivie par deux contresens, alors je ne pouvais pas avoir la moyenne ; j’ai eu 12. En grec, j’avais mis une bizarrerie, je ne sais plus laquelle, et ça me chiffonnait ; j’ai eu 11. On verra bien le résultat, mon chéri, et si vous êtes collé, vous recommencerez, ce dont vous n’avez guère envie. Mais vous pouvez toujours essayer jusqu’à la fin de votre médecine. On voit que vos muscles écrivassiers ne fonctionnent plus car j’ai eu bien du mal à lire et je dois dire que j’ai renoncé à déchiffrer certains mots. Quant à vos agents d’affaires, cela pourrait être intéressant si c’était quelque chose de sûr et de durable, et surtout si ça n’entrave pas vos études. Sans cela, c’est lâcher la proie pour l’ombre. Mais n’oubliez pas avant toute chose d’aller à la maison de santé des gardiens de la paix de la part du Dr Linglin voir de quoi il retourne. C’est l’assistant qu’il connaît mais je ne me rappelle plus exactement son nom, c’est quelque chose comme Lubin. Cela fait 15 jours qu’il a écrit. Il serait peut-être temps d’y aller. Vous verrez bien ce qu’ils vous diront. Mais il faut y aller, même si ça ne doit pas marcher, rien que par politesse pour le Dr Linglin. Je vous ferai faire sa 313
connaissance car il a envie de vous connaître. Vous verrez qu’il est très sympathique. Si par hasard, mais ce n’est peut-être pas possible, vous pouviez combiner votre internat et votre agence d’affaires, ce serait encore plus intéressant. A ce que je vois, je vous vois du 25 décembre au 3 janvier. C’est bien « maigrichon ». Vous ne m’avez pas l’air tout à fait emballé. « Si ça marchait, ma Guite !! » Alors quand donc, si ça marche, envisagez-vous notre mariage ? Je peux vous dire tout de suite que papa et maman feront des difficultés si nous nous marions en juin ou juillet car ils veulent aller à Lourdes, et maman veut faire sa saison à Luchon. Elle en a d’ailleurs grand besoin car sa santé empire. Alors il faut que ce soit avant ou après !!! Mais prévenez-moi car j’ai un tas de choses à faire et quand nous serons pour nous marier, j’aurais encore plus de choses à faire. Maman est en train de monter mon trousseau mais il y a pas mal de choses à faire. Enfin on en reparlera !!! Soyez tranquille, je ne me fais pas d’illusions parce que je n’ai pas encore envie de dégringoler trop vite, comme vous dites. En tout cas, si ça marche, vous pourrez toujours mettre de l’argent de côté pour notre voyage de noces ! Je suis moins énervée. C’était votre concours qui m’énervait et vous offrez à votre Guite une déception, vilain garçon ! Quant à l’oisiveté, j’ai autre chose à faire. Je ne sais pas comment j’arriverai à tout faire pour Noël, et puis il va y avoir la pâtisserie pour nos fiançailles etc. et grand ménage pour Noël, c’est-à-dire en plus de tous les jours. Carreaux, glaces etc. M.F. Comby se fiance aussi le 1er janvier. Ils seront 20. Nous, combien sera-t-on ? 314
Je vais à Caen dans huit jours pour une réunion des anciennes de St Pierre et j’aurai encore un tas de courses à faire. Tout le monde m’a demandé si vous étiez content de votre concours, ce à quoi j’ai répondu en lisant le passage de votre lettre concernant l’externat. (…) D’ici Noël j’ai à faire, je doute que tout soit fait : service à thé pour maman ; une robe à maman ; une chemise de nuit pour Thérèse ; un chemisier à maman ; et le dessus de lit des parents. Je n’y arriverai jamais. Je fais avec le reste de la laine de Jeanne des petites moufles à Robert. Il en restait juste de quoi faire une paire de moufles, mais évidemment ce n’est pas cela qui me prend du temps. J’espère qu’elles lui iront. Au revoir, mon chéri chéri. Dites-moi quand arriveront vos parents et vous-même pour qu’on leur retienne une chambre à l’hôtel et pour que maman voie M. le curé. Je vous aime et vous embrasse de tout mon cœur à vous tout entier. Votre Guite Jeudi soir, 19 décembre Mon Pierre chéri, Je vais à Caen demain, alors je commence ma lettre. Je ne pourrai répondre à votre lettre de demain puisque je l’aurai seulement demain soir. Mon chéri, dans quelques jours vous serez là. Comme ce sera chic. 315
Il est impossible d’avoir une messe à nos intentions le jour de Noël. Alors ce sera le 24. Maman a demandé comme intentions : les défunts des deux familles. Vos parents s’y uniront de cœur. Nos irons à la messe de minuit, ferons un petit réveillon en famille. Est-ce que cela vous va ? Et le jour de Noël, un déjeuner convenable. On tachera de créer une atmosphère sympathique. Le temps semble s’adoucir légèrement. En tout cas, on chauffera partout : cuisine, les Bourdon nous la prêtent pour ce jour-là. Heureusement, car ils ne s’en servent pas et ne s’en serviront jamais, ce qui nous fait pester. Donc feu dans la cuisine, salle à manger, escalier et les chambres. Quant à vous, mon chéri, vous ne serez pas plus mal puisque vous coucherez dans la salle à manger où on fait du feu en continu. Voilà mon chéri les dernières nouvelles. Mais vous arriverez bien avant Noël. Alors… on a le temps d’en reparler. Il paraît que la messe de minuit sera bien. Là-dessus, bonsoir mon chéri, à demain. Vous communierez tout seul car je suis obligée de prendre le car de 8h, M. Depaquit étant à Paris. Alors à bientôt, mon chéri, chéri. Je vous embrasse de tout mon cœur à vous pour toujours. Guite
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Vendredi, 2h30 Mon chéri, J’ai fait tout Caen pour trouver des fleurs. Je n’ai trouvé que du gui. Mimi me dit qu’ils mettront des feuillages. Nous en prendrons dans le jardin. Thérèse rentre avec moi ce soir. Au revoir mon petit chou. A bientôt. Je suis un tout petit peu nerveuse car le jour de votre arrivée approche, mais j’espère que vous m’aimez bien quand même. Je vous embrasse comme je vous aime. Votre Guite
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1947 Dozulé, le 4 janvier 1947 Mon Pierre chéri, chéri, Comme je veux étrenner mon beau papier à lettres, c’est par vous que je commence. En voyant le train dans la direction de Paris, je me doutais que c’était le vôtre. On aurait encore pu se voir 10 minutes puisque j’ai attendu 10 minutes. Enfin, peu importe, à 10 minutes près, le sacrifice était fait. Dans le train d’Evreux à Serquigny, il ne faisait pas chaud, ce n’était pas chauffé, et à attendre le train de Rouen j’ai attrapé l’onglée aux pieds ; heureusement le train de Rouen était bien chauffé. Moi aussi je me sens relativement gaie. Je suis très heureuse, mon chéri. Qu’avons-nous fait de plus pendant ces vacances pour que nous soyons si heureux ? C’est certainement parce que nous avons parlé avenir, mon chéri. Mais hier soir, une fois couchée, j’ai eu une petite crise de larmes, mais je me suis reprise bien vite. Tout en me sentant près de vous j’ai réalisé quand même que j’avais perdu la chère présence. Mais je suis redevenue gaie tout de suite, parce qu’au fond j’étais heureuse. J’ai demandé à papa si un étudiant avait droit à la prime de la mère au foyer. Il faut qu’il soit salarié. Un interne peut la toucher puisqu’il est salarié. Enfin on verra. Mon chéri, vous avez la réputation d’être un grand timide. Marie-Claude a dit à Thérèse qu’elle vous 318
connaissait cette fois tel que vous étiez, parce que l’autre jour vous vous étiez déridé. Mais le docteur Linglin a dit à papa qu’il avait l’impression qu’il vous avait gelé, que lui ayant été très timide comprenait cela, mais qu’une autre fois il faudrait vous dégeler. Vous voyez comme vous êtes encore un petit garçon timide. Oui, mon chéri, comme vous je suis persuadée que la vie est à ceux qui savent vouloir. Alors, comme nous voulons fermement nous marier, nous nous marierons. Sachez vouloir aussi ne plus être timide. Oui, mon chéri, une attitude active vaut infiniment mieux qu’une attitude passive. Au fond pour être heureux il faut regarder toujours en avant. Je crois que c’est cet avenir qui s’ouvre devant nous qui fait toute notre joie et notre bonheur. Au fond, ce sera peut-être bien de partir, mais qu’est-ce que cela fait puisqu’on s’aime bien. Et puis on est deux, mon chéri, alors on est plus fort. Comme vous je sens en moi un dynamisme fou. Qu’est-ce qui peut bien nous avoir ainsi donné des ailes. Et quand les gens sont cafardeux près de moi, cela me gêne parce qu’ils ne sont pas à l’unisson avec moi. Mais je sais que là-bas, à 230 km, mon Pierre vibre au même unisson, et cela me donne une joie ineffable de savoir que nous sommes unis dans la joie. J’ai bien pensé à aller à la messe ce matin mais je me suis réveillée trop tard. Alors on reprend nos messes du mardi, mercredi, vendredi, et notre évangile de St Jean. Je garde le bon pour des étrennes, mais vous avez mis : « à toucher avant le … » ; il fallait mettre une date. Alors je vous retourne le bon. Quand vous aurez mis une 319
date, vous me le renverrez, comme cela, munie de mon bon, mes parents me laisseront aller ! Mon chéri, je suis avec vous toute la journée. Ma vie, toutes mes actions, sont faites en fonction de mon Pierre. Oui, nous dépendons bien l’un de l’autre. Comme ce sera chic quand on sera mariés. Je vous aime chaque jour davantage, mon chéri. Je vous embrasse de tout mon cœur qui vous appartient pour toujours. Votre Guite A dimanche, c’est-à-dire à demain dans le Christ Jésus. Nous lui demanderons aussi de faire le pont encore davantage entre nous deux. Dozulé, samedi 11 janvier Mon chéri, Ce n’est pas la peine de retenir de place pour le concert ou théâtre. Devinez la tuile qui nous arrive. Enfin j’espère que ça ne se passera pas comme cela. Là-dessus mon moral a pris une formidable bûche. Justement vous parlez de sacrifice, en voilà un qui pourrait compter, mais je ne peux me résoudre à ne pas vous voir avant Pâques. Mon chéri, il faut qu’on se marie ou alors l’année prochaine, je pars à Paris. Voilà : Paule Laversière a la malencontreuse idée de se marier le 15 février et justement je voulais aller à Paris à cette époque. Et comme je sors tout le temps, chacun son tour. Comme cela entraînera des frais : 320
cadeau etc., papa ne marche pas pour les deux. Voilà la tuile. Il faut en plus que je lui prête ma belle robe. S’il n’y avait que cela encore ! Elle en a pourtant une très bien mais elle aime mieux la mienne. J’ai 1300 frs, je peux me payer le voyage, mais comme ils étaient réservés à payer quelque chose pour notre mariage ! Maman entend qu’ils soient employés à cela, mais le dernier mot n’en est pas dit. Vous parlez de sacrifice, eh bien ça pleut de tous côtés, mais je n’avale pas la pilule si vite que cela. « Ton Pierre, tu le vois souvent tandis que Thérèse sort moins que toi ! » C’est forcée, elle n’a pas de Pierre. Et puis peut-être y trouvera-t-elle l’âme sœur. Moi je veux très bien qu’elle y aille. J’en serai ravie pour elle. Mais je veux voir mon Pierre aussi. Il n’y a plus qu’une solution : se marier. Madame Rousseau trouve qu’on pourrait très bien se marier en septembre parce que son fils s’est bien débrouillé. Ils étaient aidés un peu par les deux familles mais pas beaucoup. Enfin on verra, on a confiance. En attendant les gros sacrifices, mon chéri, il y a les petits qui comptent encore plus : pour moi le lever du matin en est un chaque jour répété. C’est terrible. Encore ce matin, je me suis levée à 9h15 et je suis furieuse après moi. Je ferais bien de reprendre l’habitude d’aller à la messe tous les jours, cela me ferait du bien. Vous aviez des rêves bizarres, mon chéri. Moi je n’ai jamais rêvé de choses comme cela. J’ai rêvé d’être riche, mais de tout donner aux pauvres et, plus bizarre encore que vous, j’ai rêvé d’être une sainte, une drôle de sainte, allez, puisque tout le monde me disait : « Quelle parfaite petite fille ! » C’est peut-être après avoir lu des 321
livres comme Anne de Guigné 14et Guy de Fongalland15. Bref, je me croyais sur les autels, rêves non moins orgueilleux que les vôtres. Mais dans la réalité, c’est tout autre chose. A vrai dire, je ne rêve plus maintenant de pareilles choses. Je ne rêve que d’être une bonne mère de famille et de me marier bientôt. Mon chéri, faisons et acceptons parfaitement les petits sacrifices quotidiens, ce sont les plus durs et on verra après. Je suis très heureuse d’être votre Reine, mon chéri, et que vous soyez mon Roi. Au revoir, mon chéri. Mon moral remonte un peu en vous écrivant et puis, après tout, j’ai confiance. Au revoir. A demain dans le Christ. Je vous aime et vous embrasse de tout tout mon cœur.
Votre Guite chérie
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Anne de Guigné est née le 25 avril 1911 et décédée 11 ans plus tard, le 14 janvier 1922, en odeur de sainteté. Elle fut déclarée Vénérable par le pape Jean-Paul II en 1990. 15 Guy de Fongalland a vécu également 11 ans, entre le 30 novembre 1913 et le 24 janvier 1925. Il fut célèbre dans l’EntreDeux-Guerres comme modèle d’enfant saint. Un procès en béatification fut ouvert dans les années 40 mais sans succès.
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Lundi soir, 27 janvier, 9 h Mon petit Pierre chéri, Je crois bien que mon encre est gelée dans mon stylo ! Il fait – 10, alors nous nous sommes décidés à prendre nos quartiers d’hiver c’est-à-dire que je couche en bas, dans les draps de mon petit Pierre, et papa et maman dans ma chambre, mais cela ne va que lorsque Thérèse et Michel ne sont pas là. Il gèle partout. Dans la chambre des parents : – 5 ; dans la mienne : – 2. Mais elle est plus facile à chauffer que l’autre. Dans la laverie, il y a de magnifiques dessins dans l’évier. Sous le robinet, une délicieuse montagne de glace. Espérons que ce temps changera quand j’irai à Paris. Cette nuit, je vais sans doute encore faire des rêves roses, car la nuit dernière, je me suis réveillée dans les bras de mon Pierre. Seulement je suis tombée de haut quand j’ai vu que ce n’était pas vrai. (….) Oui, mon chéri, une retraite ce sera épatant. J’espère quand même qu’il fera plus chaud car en ce moment nous grelottons littéralement. Enfin, fiat, n’estce pas. Seulement je pense qu’il faut aussi offrir le froid pour le mois de septembre car ainsi l’an prochain, nous aurons chaud tous les deux. Mon petit chéri, je vous quitte pour ce soir en vous serrant bien bien fort, mon chéri que j’aime. Oui, j’ai hâte d’être à vous totalement pour toujours, toujours. Je vous embrasse de tout mon cœur. Guite 323
Le 6 février 1947 Mon petit Pierre chéri, Oui c’est bête d’aimer me faire dorloter, mais j’aime bien quand vous me dites « chérie » et que vous le pensez. Oui je vous comprends parfaitement de garder ce mot pour l’intimité. Puisque ce mot traduit toute votre âme, gardez-le pour les heures d’intimité, de cœur à cœur. Vous avez raison. Ne le dites que lorsque vous le pensez vraiment, mais je ne vous cache pas que lorsque vous me le dites quand nous sommes tous les deux et qu’à ce moment je sais que vous le pensez vraiment, ça me fait un plaisir fou. Il en est de même pour moi d’ailleurs : j’aime vous le dire quand je vous ai tout près de moi ; je ne vois rien d’autre à vous dire quand je suis parfaitement heureuse de vous sentir là. Donc il ne faut pas le profaner et le garder pour nos heures de seul à seul. Oui, mon « chéri » que j’aime, je viendrai bientôt. Je serais bien partie le 14 mais papa et maman vont à Caen ce jour-là. Papa ne peut remettre puisque c’est pour aller au (mot illisible) et qu’il est convoqué avant le 15. Il faudrait quand même fixer une date. Je m’arrêterai à Evreux pour déposer les deux sacs et prendre votre linge, mais je suis obligée d’y coucher et maintenant il n’y a plus que le train du soir qui y arrête. Alors partir le samedi ? Avec le dimanche c’est peut-être ennuyeux. Ou partir le dimanche. Dites-moi à quelle heure il faut que j’arrive à Paris pour que vous veniez me chercher ? D’un autre côté, avez-vous envie de m’emmener au théâtre, concerts etc. ? Si oui, il faudrait peut-être que 324
j’emmène une robe propre, alors j’aurais bien emmené celle des fiançailles que je n’ai pas mise ce jour-là parce qu’il faisait trop froid. Mais comme Thérèse va au mariage de Paule le 15 et qu’elle est obligée de coucher à Cherbourg, elle ne rentrera que le dimanche soir. Je partirais le lundi soir ; mais ma robe n’est peut-être pas nécessaire. Remarquez que si je tiens à l’avoir c’est parce qu’elle est invitée à deux surprises-parties et que j’ai peur qu’elle la mette. (…) Enfin, affaire de chiffon qui ne vous intéresse pas. A ce propos, nous étions invités tous les deux à la surprise-partie Comby, mais comme vous ne pouvez pas venir et que je vais à Paris, c’est très simple. Vous voyez que Thérèse va trois fois dans le monde aux jours gras, alors je peux bien me payer de l’intimité avec mon Pierre. Ne trouvez-vous pas que c’est juste et j’aurai certainement autant de plaisir qu’elle. Ce matin, j’ai reçu une lettre de Thérèse Cormier, mariée à Aunay s/Odon. Elle nous invite Thérèse, vous et moi, à venir la voir aux beaux jours, soit Pâques, parce qu’ils s’ennuient dans leur trou où ils ne voient que le médecin et sa femme avec lesquels ils sont d’ailleurs cousins. Elle a eu une fausse couche de quelques semaines à Noël et était absolument désolée. Alors je lui avais écrit pour la consoler. Elle me dit des choses qui me font terriblement envie, la vilaine. Enfin j’espère que cela viendra un jour. Elle me dit qu’elle ne désire qu’une chose, c’est d’attendre à nouveau un bébé. « Tu connaîtras un jour cette joie d’être dans l’attente, il n’y a rien de plus délicieux, malgré les petits malaises passagers. »
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Au fond, oui, ce doit être épatant. J’en rêve quelquefois, mais je sais bien qu’un jour ce sera vrai, n’est-ce pas mon chéri, chéri. (…) Oui, des assiettes à 15 frs, c’est intéressant si elles ne sont pas mal. Avez-vous trouvé une mine de couverts et d’assiettes ? Pourquoi voulez-vous que nos enfants aient sûrement la scarlatine ? Parce que vous le leur rapporterez ? Merci pour l’assimilation de mon esprit à une savate. Mon chéri, je me suis mal expliquée ; bien sûr que non je ne mets pas Dieu réellement dans toutes mes actions, hélas. Ce que je voulais vous dire, c’est qu’on a toujours en soi la présence latente de Dieu et que si on faisait plus attention, il serait plus facile de le mettre dans tous nos actes. Je ne suis pas une sainte, hélas, et vous aurez fort à faire pour en faire une de moi. Chéri, on tachera tous les deux que cette présence de Dieu latente en chacun de nous ressorte plus souvent à la surface de nous-mêmes. Ce que je voulais dire, c’est qu’il n’est pas loin de nous. Mais c’est nous qui sommes loin de lui. Mon chéri, je me range à votre avis et j’accepte et comprends la théologie à bon marché de mon Pierre dont la raison est plus logique, l’esprit plus équilibré que les miens. Vous ai-je dit que j’avais trouvé dans quels esprits vous classer ? Les esprits positifs, qu’en pensez-vous ? Alors à demain, 1er vendredi du mois. Et à bientôt pour de bon, mon chéri, chéri que j’aime. Je vous embrasse bien bien fort en attendant de le faire 326
réellement de toute mon âme. Oui, quelquefois je vous embrasse de toute mon âme, vous savez, en mettant tout moi-même. Votre Guite qui n’est pas parfaite du tout. D’ailleurs vous le savez bien. Guite PS. : Pensez-vous à la retraite ? Dozulé, mercredi 12 février Mon Pierre chéri, Je n’ai pas de lettre ce matin, mais après la première déception, j’ai dite vite « fiat » pour que cette nouvelle rencontre soit belle, pour qu’elle soit un avancement, pour qu’on s’aime plus et aussi pour que vous soyez content de votre Guite, parce qu’elle s’est dominée. Puisque dimanche nous serons ensemble, ce n’est pas un drame. Mon Pierre avait trop de travail pour m’écrire. Vous me direz en gros ce que vous avez fait depuis dimanche, mais je le saurai peut-être demain. Ce matin, je suis allée à la messe et j’ai communié pour vous, pour cette prochaine rencontre, et avec vous peut-être si vous avez entendu votre réveil. J’ai essayé de réaliser mieux que Jésus était en moi et il m’a aidée davantage à dire « fiat », voyez-vous, et puis j’ai essayé aussi de vous retrouver. Mais bientôt je vous aurai, alors j’accepte tout.
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Mon chéri, je vous aime de tout mon cœur. J’aime, après tout, faire un sacrifice que vous m’imposez. Je vous aime. J’ai reçu hier une lettre de Zaby16 qui me dit de prévenir quand j’arriverai, alors je vais écrire aujourd’hui que j’arriverai samedi soir. Elle me dit qu’elle croit qu’elle est moins contagieuse en ce moment, que c’est à la fin et au début que c’est le plus. Qu’en pensez-vous, docteur ? Mais ça m’est bien égal. Aujourd’hui il refait froid. Enfin, tant pis, je pars quand même. Mon Pierre me réchauffera et je le réchaufferai. Mon chéri, je vous quitte. A demain. A dimanche, je ne sais quelle heure. A vendredi avant, dans le Seigneur Jésus. On lui confiera ensemble, si vous voulez, cette nouvelle rencontre pour qu’elle soit chic, épatante. Je vous embrasse avec tout mon amour et toute mon affection. Vote Guite Caen, le 6 mars 1947 Mon petit Pierre chéri, Je n’ai réalisé que je vous quittais que lorsque je suis passée devant le contrôleur, mais le coup fut rude. Je me suis dit : « Mais je ne vais plus le voir ! ». Enfin, dans trois semaines je le reverrai. Alors ! Et puis il faut bien que nous fassions un peu carême.
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Zaby avait alors la scarlatine
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J’ai mal dormi cette nuit, mais j’ai dormi ce matin dans le train. J’ai fait hier le voyage debout. Heureusement que je n’allais pas jusqu’à Evreux. J’ai fait toutes vos commissions à vos parents. Votre maman m’a réquisitionnée pour dans trois semaines, c’est-à-dire que j’arriverai à Evreux le jeudi avant les Rameaux, car le baptême de Robert est fixé au lundi de Pâques très probablement. Jean vous l’a peutêtre dit hier. Bernard ira je pense prochainement à Paris, puisqu’il m’a demandé quand vous étiez libre. J’espère que mon petit chou est bien sage, qu’il travaille comme un ange et qu’il ne se fera plus jamais collé. Mais c’est sa Guite qui en est cause. Les vacances de Pâques seront donc comme prévu : la Semaine Sainte à Evreux et la Semaine de Pâques à Dozulé. Mon petit chou, je vais certainement m’habituer à ne plus vous avoir, mais je suis un peu dépaysée : je me sens toute drôle. Après quinze jours, évidemment c’est normal que ça me semble tout drôle. Votre papa m’a demandé si vous m’aviez menée au théâtre, concert, etc., alors je lui ai dit oui. Zut, il se remet à faire froid. Ce matin, en partant d’Evreux, il faisait chaud et voilà le vent qui remonte au nord. Enfin il paraît que ce n’est que jusqu’au 10. Mon chéri, je me sens à moitié vide, oui dépaysée. Je me sens vraiment drôle. Alors ma lettre va être creuse. Si je vous aime infiniment, je vous aime plus encore, car je crois vous connaître vraiment mieux. J’en ai l’impression du moins. Je commence à connaître mon Pierre compliqué et cela me fait bien plaisir. Il y a peut329
être entre nous un peu trop de familiarité mais j’ai l’impression que ce n’est pas un mal, car si nous étions guindés l’un avec l’autre, nous nous connaîtrions certainement beaucoup moins. Cela ne vous fait pas cette impression ? Et puis, mon chéri, je vous aime bien, bien. Merci Seigneur, pour cette nouvelle rencontre. Elle a été pour nous un avancement dans la connaissance mutuelle et je crois que c’est une bonne chose. Nous vous offrons ce carême, ces trois semaines qui nous séparent, pour qu’elles soient une bonne préparation à la fête de Pâques, pour que cette fête soit pour nous comme pour votre Eglise joie et rayonnement. Courage, mon chéri. A demain dans le Christ. Je vous embrasse de tout mon cœur qui vous appartient totalement. Votre Guite, qui sera gaie, je l’espère. Dozulé, le 7 mars Mon petit Pierre chéri, Fait-il chaud à Paris ? Si oui, j’y retourne tout de suite. Tiens, voilà une pénitence de Carême, le froid. J’espère que vous me direz si vous avez eu votre examen ou colle ? Regardez comme votre Guite sait encore bien sa leçon : 7 vertèbres cervicales, 12 dorsales, 5 lombaires, 5 sacrées, 6 coccygiennes. Ah ! Peut-être bien que je le saurai toute ma vie parce que c’est mon Pierre qui me l’a appris. 330
Mon chéri, comme vous j’ai eu une impression de mécontentement causée par la solitude. Ça fait drôle de ne plus être deux quand on l’a été quinze jours et il faut le temps de retomber sur ses deux pieds. Au fond je suis bien, bien contente. Quelles questions aurions-nous dû approfondir que nous avions ébauchées ? Je ne vois plus de quoi il s’agit. Quel progrès cette fois-ci ? Pour moi, j’en note un sensible. Je vous connais mieux, vos réactions, tout votre être. Je vois à qui j’ai affaire. Je me suis rendu compte à quel point vous étiez orgueilleux. J’ai aussi découvert davantage quel était votre idéal. J’ai l’impression d’avoir un peu pénétré dans ce domaine fermé, hermétiquement fermé quelquefois : je suis entrée dans mon Pierre compliqué. Voilà le progrès que je note pour moi, et il est énorme. Mais ce n’est peut-être pas cela que vous voulez ; c’est un progrès pour les deux ? Alors plus de simplicité de part et d’autre, je crois. Oh bien sûr, comme vous le dites, nous avons encore été mou-mou. Mais on ne se corrige pas du premier coup. Evidemment, il y a encore un gros effort à faire sur ce point. Intimité trop grande ? Je ne sais pas. Votre maman m’a parlé du voyage éventuel à Briançon ? Je me suis dit si, par exemple, on se mariait au début de septembre, ils auraient dû mettre leur voyage dans la seconde quinzaine de septembre au lieu de juillet. Ça aurait été notre voyage de noces. Il est vrai que tout cela n’est qu’à l’état de projet, aussi bien mariage que voyage. Dieu seul sait. Oui, mon chéri, ce serait bien chic si on se mariait au mois de septembre, mais… Il faut avoir confiance. 331
Pendant le reste de carême, je veux (faites comme moi si vous voulez) être gaie, joyeuse, pour préparer Pâques, qui est la fête de la joie par excellence, et aussi pour mon Pierre puisque c’est cela qu’il aime. Jusqu’ici cela va, voyez-vous, je reste optimiste. Dans trois semaines d’ailleurs, nous finirons notre carême ensemble. Vous savez que pour moi, rester optimiste suppose que je me surveille. Et puis, comme je suis gourmande, je veux faire quelques sacrifices du côté gourmandise. Est-ce que cela vous plaît ? Sinon donnezmoi un sacrifice commun. Car pour vous, rester optimiste et joyeux, c’est moins dur. Je vous aime, mon chéri, on sera tellement heureux ensemble, et c’est pour le bonheur mutuel que je veux prendre comme résolution de carême la gaieté. Il paraît que j’ai mauvaise mine et l’air fatigué. Qu’est-ce qu’ils racontent tous ces gens-là ? Pourtant on a été sages. Mais l’air de Dozulé va me ravigoter. Bon courage à vous aussi, mon chéri. Je pars à Evreux. Le jeudi de la Passion, c’est bientôt, n’est-ce pas ? Travaillez bien et mangez aussi car vous me faites l’impression de manger quand vous avez le temps. Au revoir. A dimanche encore dans le Christ. Nous lui offrirons cette joie immense de s’appartenir l’un l’autre car c’est une bien grande joie. Ce vendredi saint, on pourra refaire le même sacrifice que l’an dernier en essayant de le tenir plus longtemps, car c’est un vrai sacrifice, et puis aussi une affaire de volonté. Alors on ne s’embrasserait que le matin pour se dire bonjour et le soir, bonsoir. Et puis le jour de Pâques, on s’embrasserait toute la journée !!! 332
Cette fois je vous quitte, en vous embrassant bien, bien fort comme je vous aime. Guite Lundi 14 avril 1947 Mon petit Pierre chéri, Je vous écris du jardin, à l’endroit où nous avons joué aux dominos samedi. Il est 3h30, alors vous êtes maintenant à Paris. Mon cœur est tout triste. J’agis un peu comme un automate. Je me sens bizarre, il me manque la moitié de moi-même. Après chaque séparation c’est toujours ce même déséquilibre. Je vous ai embrassé ce matin et puis, pstt, plus personne, alors je me sens drôle, seule. C’est si bon d’être avec vous. J’offre, ou plutôt nous offrons, ce sacrifice ensemble pour que, bientôt, nous soyons toujours ensemble. Et puis dans un mois nous serons sans doute de nouveau ensemble, mais je ne vivrai dans espoir-là que dans huit jours. Tout de suite, c’est le choc de la séparation, et à chaque séparation c’est aussi dur, plus dur même, car on s’attache davantage l’un à l’autre. Que vous dire ? Que je retiens mes larmes pour que rien ne paraisse. Il me faudrait un bouquin très absorbant. Il fait beau encore, mais sans vous ce n’est plus pareil. Pour moi le soleil est plus pâle et les insectes qui volent autour de moi sont énervants. Demain, déjà, ce sera mieux sans doute.
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Je vous aime, mon Pierre chéri, ma chère moitié, ma moitié inséparable, tellement inséparable que lorsqu’elle n’est plus là, tout mon être est déséquilibré. Je suis allée à la messe après vous avoir quitté. Je crois que j’ai prié également comme un automate. Après j’ai commencé à ranger vos chères lettres, sans doute pour saisir quelque chose de vous, je ne sais pas. Et puis non, il faut être gaie, très gaie, parce que c’est la volonté de Dieu. Dans un mois je vous verrai et dans quelques mois, je serai peut-être votre femme, s’il plaît à Dieu. Bon courage à vous aussi, mon chéri, bon courage pour vos examens. Tenez, offrez-les-moi comme étrennes. Je serai très heureuse. Dites-moi ce qu’il faut que je fasse pour vous aider. Pierre, je voulais vous demander quelque chose avant de partir et je ne l’ai pas fait. Croyez-vous qu’on a été chic hier soir ? Je voudrais vous suivre partout. J’essaie de me demander ce que vous pouvez bien faire en ce moment. Si l’autre pouvait savoir quand on lui écrit, ce serait bien chic, car quand on écrit à quelqu’un, on lui parle. Alors en ce moment, je passe un petit moment avec vous, mais vous, vous ne le savez pas. Je vous aime de tout mon pauvre cœur bien seul. Je vous envoie toute mon âme. Pierre, savez-vous pourquoi je n’étais pas contente hier soir quand on s’est demandé ce qu’on pensait des vacances ? Parce que j’ai peur qu’on soit des médiocres. Mon chéri, il faut absolument que tous les deux nous travaillions notre volonté. 334
Au revoir mon petit chéri. Bon courage. Je vous embrasse comme je vous aime, vous savez combien. Votre petite Guite chérie Maintenant j’attends votre lettre. Le 21 avril 1947 Mon petit Pierre chéri, Aujourd’hui, deux lettres, chic. Mon sacrifice de samedi a été récompensé. Mais je ne suis pas contente après moi, parce que je voulais aller à la messe ce matin pour mon Pierre et j’ai été paresseuse. Alors si mon Pierre est tombé sur une question qu’il ne savait pas et s’il est collé, c’est de ma faute. Oui, c’est dommage que ces conférences sur le mariage n’aient pas eu lieu quand j’étais à Paris. J’aime mieux être à aujourd’hui qu’à il y a huit jours. J’avais trop le cafard. Je n’ai pas du tout été déçue par ce que vous m’avez dit de la beauté. J’ai très bien compris votre pensée et je suis entièrement de votre avis sur ce sujet. Et je ne suis pas assez sotte quand même pour me croire la plus belle des femmes ! Ce dont je me f…… complètement. Du moment que mon Pierre m’a aimée telle que le Bon Dieu m’a faite, c’est très suffisant. Cela veut dire que je ne suis pas horrible, c’est tout. Evidemment la beauté morale est infiniment plus nécessaire. Si c’est pour cela que vous avez pris votre Guite ??? Elle a pourtant tous les vices. 335
Comme vous, je crois, en effet, qu’on ne dit pas « je l’aime parce que ceci, parce que cela », mais je l’aime : elle a ceci, elle a cela. C’est quand même drôle l’amour, cette force qui nous porte vers un être dont on ignore tout, qu’on soupçonne simplement avoir les qualités requises. Ce que je pense, voyez-vous, c’est bien qu’il y a quelque chose de divin dans l’amour. Cette attirance de deux êtres qui ne se connaissent souvent pas est voulue par Dieu. C’est lui sans doute qui crée l’étincelle. Je ne sais pas ce que vaut cette explication, mais c’est ce que je pense. Par exemple, dans la pensée de Dieu, nous étions de toute éternité destinés à être l’un à l’autre. Dans la vocation religieuse, le Bon Dieu appelle bien tel ou tel. Eh bien, dans l’amour humain, c’est le Bon Dieu qui crée l’attirance de ces deux êtres. J’espère que vous comprendrez, car j’ai l’impression de n’avoir pas très bien dit ce que je pensais. Ce doit être encore confus. Pourquoi ? Je suis romantique mais non. Est-ce que vous aimez les Romantiques ? Après tout, vous, vous l’êtes un peu aussi sous vos apparences d’être insensible. Moi non plus je ne crois pas que les fiançailles soient le plus beau temps. Quand on sera mariés et qu’on aura un petit enfant, mon chéri, vous ne trouvez pas que notre amour sera élargi et que ce sera bien plus beau encore ? Et puis c’est vrai après tout, quand on s’est beaucoup aimés, quand on n’a vraiment fait qu’un, la vieillesse doit être belle. Oh, mon chéri, on ne sera jamais étranger l’un à l’autre. Alors mon pauvre chou, vous avez eu mal à votre colle. Je tremble pour l’examen. Enfin…
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En effet, cette conférence sur le mariage n’apprenait pas grand-chose. Vilain garçon qui ne fait que sa fantaisie ! C’est honteux. Hum ! Et moi qui prêche bien. Ce sera chic quand même mon Pierre, j’en rêve tous les jours, vous savez. Mon Pierre, aussi, c’est le plus gentil de tous les petits garçons. C’est vrai, pour moi, il est l’unique. Et être à lui pour toujours, c’est un vrai rêve. Mais je suis déjà à lui ; bientôt peut-être le Sacrement consacrera ce don. Comme ce sera chic. Je rêve de ne plus faire qu’un totalement avec vous, mon chéri, et vous ? Ce sera chic, chic. Il y a de quoi être follement heureux. (…) Il me semblait que j’avais encore quelque chose à vous dire mais je ne sais plus quoi. Oui, on devrait dire tous les jours à la Sainte Vierge une dizaine de chapelets en lui demandant que notre mariage soit bientôt, et par conséquent tout ce qu’il faut pour qu’il ait lieu. Au revoir, mon Pierre chéri. Encore quelque chose. J’ai l’impression de laisser un peu la Sainte Vierge de côté, et vous ? C’est dommage, il faut que je me reprenne. Elle est si puissante. Bon courage maintenant pour l’examen de Pharmaco. Je vous embrasse bien fort comme je vous aime. Votre petite Guite
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Mercredi 23 avril Mon petit Pierre chéri, Je voulais vous écrire hier pour vous dire toute ma joie de vous voir reçu à l’examen de Med. Op. Mais j’ai été prise toute la journée. Le matin par ma bibliothèque et l’après-midi chez le Dr Linglin. Mme Linglin étant à Caen, elle m’avait confié la garde des trois derniers. C’était la première fois que je manipulais un aussi petit moutard : 3 semaines, et ma foi, ce n’est pas plus compliqué qu’à 3 mois et au-delà. Vous voyez, maintenant je suis mûre pour être maman. Donc mon chéri, je suis très contente que vous soyez reçu. J’essaie d’écrire mieux parce que si vous ne pouvez pas lire, c’est que j’écris mal. Alors il faut que je vous dise qui m’a donné un livre. Eh bien voilà, c’est quelqu’un de très, très, très gentil. Pour donner un livre à quelqu’un, il faut être très gentil. Qui est-ce ? Eh bien voilà, c’est Jacq. Thierry, alors ne soyez pas jaloux. Qui pensiez-vous que c’était ? Ce que je pense de vous, mon chéri. Eh bien voilà : 1) Que vous avez des défauts comme tout le monde ; 2) Que j’en viendrai à bout de ces défauts, parce que je sens en vous un désir de bien-faire et que vous comptez sur moi comme je compte sur vous. Et c’est cela que je trouve formidable, épatant. Pouvoir s’appuyer l’un sur l’autre, pouvoir se connaître à fond et s’aider à mieux faire, c’est chic cela.
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3) Ce que j’aime en vous, c’est votre désir d’aider l’être aimé à se perfectionner. J’aime bien quand vous me reprenez, parce que je sais que vous m’aimez vraiment. Et puis ce que j’aime en vous, oh, il ne faut pas que je vous le dise, je vais vous rendre orgueilleux, c’est que vous êtes peu égoïste. C’est qu’avec vous, on peut pratiquer la charité du Christ. Oui, mon chéri c’est cela que j’aime en vous. Je trouve que c’est un peu le fond de votre caractère : quand vous me parlez de Jeanne, ou autre, c’est cela que je sens en vous. Ce que je n’aime pas en vous : 1) Votre volonté n’est pas aussi forte que je le croyais et que je le voudrais. Remarquez que je n’ai rien à dire. Il faudrait que nous la travaillions ensemble. 2) Vous êtes paresseux, mais cela dépend de la volonté. C’est terrible mais nous avons un peu les mêmes défauts. 3) Et puis vous êtes trop taquin, mais cela je l’aime bien quand même. Au fond, ce que je vous reproche, c’est un manque de volonté que vous êtes capable d’avoir. Voyez-vous, j’ai toujours rêvé d’avoir un mari volontaire, ce qui ne veut pas dire autoritaire, pour qu’il m’aide à acquérir de la volonté. Voilà ce que je pense de vous en ce moment. Et je vous aime de tout mon cœur. Finalement, êtes-vous allé aux conférences sur le mariage dimanche ? 339
Cela ne fait pas 510 frs pour les tasses mais 210 pour six. Pour 12 cela ferait 420 frs. Mais je croyais que vous ne vouliez pas dépasser 250 frs, alors je n’en ai demandé que six, si toutefois il en reste encore, car elles partaient comme des petits pains. Bon courage, mon chéri, pour la Pharmaco. J’espère que vous aurez la même chance et que, pendant les vacances, vous n’aurez pas de soucis d’examen. Avez-vous trouvé un appartement ? Moi non, et les gens me rient au nez quand j’en parle. Enfin maman n’a pas encore écrit à ses connaissances. Il faut que je la fasse se presser. Il paraît qu’on trouve plus facilement des appartements meublés, mais c’est plus cher. Il faudra peut-être que nous nous contentions de votre chambre. L’idéal ce serait de trouver un internat où on veuille bien me prendre. Au fond je suis encombrante, n’est-ce pas mon chou ? Bon courage. A bientôt. Je vous embrasse en vous serrant bien fort comme je vous aime. Votre Guite pour toujours, toujours, toujours toujours, toujours, toujours, toujours, toujours Jeudi 24 avril 1947 Mon petit Pierre chéri, « J’en lirais bien dix par jour ». Si je comprends bien, cela veut dire : « Ma petite Guite, écrivez-moi plus 340
souvent ». Je me trompe peut-être mais j’ai l’impression que c’est cela. Il est vrai qu’au fond moi je n’ai que cela à faire, vous écrire, et cela me fait passer un petit moment avec vous, c’est bien agréable. (…) Certainement qu’hier soir mon Pierre faisait « dodo » avant moi. Devinez à quelle heure je me suis couchée ? Ce matin, à 1h30. Qu’est-ce que j’ai bien pu faire jusqu’à 1h30. Eh bien voilà, hier soir M. et Mme Linglin sont venus prendre une tasse de thé. Mme Linglin est repartie à 10h30 donner à boire à son fils et le docteur a bavardé jusqu’à 1h15. A minuit, il a dit : « Oh, il faut que je m’en aille », et papa lui a dit qu’on ne s’ennuyait pas. Alors voilà. Nous avons parlé d’un tas de choses. Entre autre que le Père Bernard a failli venir prêcher une retraite pascale à Caen. Il compte bien venir un jour ou l’autre, a-t-il dit à son cousin, si bien qu’il viendra peutêtre nous marier. Et puis savez-vous que les Russes ressuscitent des gens morts accidentellement par des massages du cœur, et surtout par injection de sang en ouvrant la carotide et la jugulaire. Des médecins russes ont essayé sur des morts (accidentellement), morts depuis 5mn à une demiheure. Il y en a qui ont vécu quelques heures, d’autres qui sont revenus à la vie et qui ont eu des enfants. Il y a même un médecin russe qui a tué trois de ses amis pour les ressusciter après, ce à quoi il est arrivé. Je ne me serais pas prêtée à l’expérience ! Vous voyez, on a parlé d’un tas de choses. Le docteur a vu cela dans une revue. Cela pose le problème de la séparation de l’âme et du corps. Quand l’âme quitte-t-elle le corps ? Il nous passera l’article. Il y en a de drôles de choses sur la terre. Bientôt
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on ne mourra plus. Il est vrai que cela ne doit pas pouvoir se faire sur des gens morts de maladie ou d’usure. Moi je veux que vous soyez reçu à tous vos examens, aussi bien la patho que les autres. Si vous êtes reçu en patho et que vous estimiez ne pas la savoir suffisamment, ça ne vous empêchera pas de la revoir pendant les vacances, mais vous n’aurez pas de soucis d’examen. Alors bon courage pour la pharmaco. Je comprends très bien que ce ne soit pas marrant. Quand passez-vous l’examen ? Mon chéri, s’il plaît à Dieu, dans quatre ou cinq mois on sera peut-être mariés. Il faut vivre d’espoir. C’est ça qui me fait vivre. Six mois. Enfin on ne peut pas savoir avant juillet, alors ça se décidera vite. Peut-être que l’année prochaine vous aurez une femme de ménage. Elle vous prendra 25 frs de l’heure parce que c’est vous, sans cela ce serait 30 frs. (…) Votre Guite Samedi 26 avril 1947 Mon petit chou chéri, Je suis bien contente que vous soyez reçu à votre examen de stage. Mon Pierre travaillait 12 heures. Oui, ça alors, ça me renverse, et si je n’avais pas été assise, je me serais assise par terre !!! Pauvre chou va, je me moque de vous et je vous aime bien. Voyez-vous quand vous m’écrivez que vous êtes reçu à un examen, ça me fait le même effet qu’à vous. Je suis toute heureuse. C’est 342
presque comme si c’était moi qui étais reçue tellement on fait un, mon chéri. Quand repassez-vous l’examen de stage de Dermato ? Oui, mon chéri, au fond vous n’étiez pas si hérétique que cela quand vous disiez que l’âme ne quittait pas immédiatement le corps. Mon chéri, vous ne savez pas de quoi je prends conscience en ce moment ? Au début de nos fiançailles, chaque jour était pour moi un émerveillement, je réalisais petit à petit que j’étais fiancée et c’était très doux, très agréable. Maintenant j’ai réalisé que je suis fiancée. Cela ne m’étonne plus. Je suis habituée, pour ainsi dire, à cet état de chose que je considère d’ailleurs comme un pis-aller. Ce dont je prends conscience en ce moment, c’est de mon bonheur, de cet immense bonheur qu’est de vous appartenir sans réserve, de cette joie profonde que procure l’union de nos cœurs, de nos âmes. Oui, il y a vraiment de quoi être follement heureux, n’est-ce pas ? Je ne peux pas vous dire exactement ce que je ressens, parce que c’est difficile à exprimer, c’est une joie que je n’ai jamais ressenti aussi fortement. Cela me donne envie de sauter, chanter. Et cette joie, elle vient de vous. Je vous aime, mon chéri. Je suis à vous. C’est difficile, au fond, de s’analyser. Comprenez comme vous pourrez. Mais je suis sûre que vous comprendrez. Il y a quand même une petite ombre dans ce bonheur. C’est que vous n’êtes pas là, mais je la surmonte en me disant que bientôt je le reverrai et puis que bientôt, peut-être aussi, ce sera pour toujours.
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Bon courage, mon chéri, quand commencez-vous votre stage d’accouchement ? Je croyais que ce serait un peu plus tard. Il est vrai que le 1er mai est jeudi. Mais je ne comprends pas alors comment vous pourriez prendre huit jours vers la Pentecôte puisque vous serez en stage. Je croyais que ce stage était obligatoire ? Remarquez que je serai ravie de vous voir, mon Pierre, mon petit chou, mon chéri. Oh, je vous dévorerai bien, surtout que la ration de pain va être diminuée, alors pour compenser, je mangerai bien un morceau de mon Pierre, comme cela on serait plus un. Qu’elle est bête, hein ! Mais je l’aime bien mon Pierre. A demain dans le Seigneur Jésus. Aujourd’hui je suis allée à la messe pour remplacer hier. Au revoir mon petit chou chéri, je vous embrasse bien bien fort comme je vous aime. Votre petite Guite chérie Dozulé, le 5 mai 1947 Mon petit Pierre chéri, Tellement paresseux qu’il délaisse sa Guite ! C’est joli. Si c’était à cause de votre travail, ce serait différent, mais d’après ce que je comprends c’est pure paresse. « Après dîner, j’ai travaillé et écrit à Evreux et à Coutances. Je me suis couché à minuit en me disant demain j’aurai ma matinée pour écrire à Guite, et ce matin…. » Eh bien ce matin, j’ai eu la flemme. Hier nous avons passé une bonne journée. MarieClaude est venue hier et repartie ce matin. C’est 344
dommage que vous ne puissiez encore faire de remplacements. Son frère prend un remplaçant du 15 juin au 15 juillet. Ce sera pour l’année prochaine. Papa et maman sont allés à une vente à Bénerville près de Deauville et pendant ce temps la famille Linglin est venue nous demander ce que nous faisions. Nous avions décidé d’aller cueillir du muguet dans le bois mais il ne restait que ce qu’on a bien voulu nous laisser. Thérèse a tout emporté, si bien que je voulais vous en envoyer un brin et je n’en ai pas. Puis nous avons continué dans le bois jusqu’à Clermont d’où l’on a une vue magnifique. On voit Mézidon, Falaise, Caen, La Délivrance, la mer entre St Aubin et Houlgate. C’était vraiment très joli. Nous sommes revenus par la petite chapelle de Clermont (XIe s.). C’était vraiment ravissant, mais nous avons marché de 3h30 à 7h30 sans nous en apercevoir et sans nous arrêter, si bien que nous nous sentions tout de même un peu fatigués, surtout Denis avec ses petites jambes, car nous avons bien fait 14 km. Alors Michel et le docteur se sont relayés pour le porter sur leur dos, mais c’était fatigant. Et nous avons bien dormi cette nuit. J’ai rêvé à vous. Je pleurais toutes les larmes de mon corps parce que vous repreniez le train. Maman part prochainement à Luchon. Elle ne sait pas si c’est avant ou après la Pentecôte. J’espère que ce sera après. Oui, mon chéri, on va demander de tout notre cœur au Bon Dieu de nous donner un logement. J’espère que vous aurez bien su votre colle de pharmaco.
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Vous avez commencé votre nouveau stage puisque vous êtes allé à la Pitié ? Je baille comme une carpe. Je vous envoie quand même une petite fleur cueillie au cours de la promenade. A demain dans le Christ Jésus. Oui, on reparlera de notre logement. Je vous aime, mon chéri, malgré votre paresse, mais je ne sais pas pourquoi j’aime un paresseux, c’est peut-être pour le convertir. Bon courage. Je vous embrasse bien bien fort comme je vous aime. Votre Guite chérie PS. : Papa et maman ont rapporté de la vente un bassin pour nous en très bon état : 20 francs. Ils se sont dit que ça pourrait toujours servir ! Moi j’aurais préféré autre chose. Mercredi 20 mai Mon petit chéri, Je partirai jeudi maintenant que j’ai pris mes dispositions pour. Il est probable que vous arriverez un peu avant moi. Alors, vous ne mettez au monde que des garçons ! Peut-être que c’est ce que vous aurez un jour ! Dieu m’en préserve, quelle calamité !!! Surtout des garçons comme mon Pierre ! (…) J’espère que cette fois-ci vous serez reçu à l’examen de stage de Dermato. 346
Chic, après demain nous serons ensemble. Je suis toute à la joie de vous revoir. Ce matin, quand je revenais du marché, il y a un jeune homme qui m’a suivie et me voyant seule à la maison, il est entré et m’a tenu compagnie jusqu’au déjeuner après avoir allumé toutes les lampes. Vous devinez que ce jeune homme n’est pas très compromettant. Il a 3 ans. C’était Denis Linglin. Alors vous êtes rassuré. Il faut bien que je vous fasse un peu enrager. A jeudi mon chéri, je suis bien contente. Je vous aime de tout mon cœur. Pierre, se revoir encore une fois, je suis folle de joie. A bientôt. En attendant de vous embrasser et de vous serrer bien fort sur mon cœur, je vous embrasse de toute mon âme. Votre Guite Dozulé, le 31 mai 1947 Mon petit Pierre chéri, Oui, il fait une chaleur torride et je vous plains de tout mon cœur. J’aime bien la chaleur mais il ne faut pas abuser. En rentrant hier soir, après avoir lu votre lettre, j’ai eu l’impression moi aussi de recevoir une douche, car d’après ce que vous m’aviez dit, je croyais bien que vous seriez reçu. Mais au fond, cela ne me choque qu’à moitié : jeudi matin, j’ai trouvé que vous n’étiez guère dans votre assiette : chaleur, séparation, examen, 347
beaucoup de choses pour abrutir complètement mon Pierre. Au fond vous vous êtes peut-être un peu démonté. Mais si vous le saviez bien, vous n’aurez pas trop de mal en octobre. Croyez-vous que si vous êtes collé, c’est à cause de moi ? Je ne le crois pas. Enfin tant pis, mon chéri. Seulement je voudrais bien qu’il fasse moins chaud pour que vous soyez reçu aux autres examens et que vous n’ayez que la pharmaco à repasser. En tout cas, mon chéri, je suis tout près de vous et je vous aime bien, bien. Je ne crois pas que cette chaleur dure très longtemps, car aujourd’hui, j’ai bien mal à la tête. Malgré votre colle en pharmaco, pourra-t-on se marier quand même ? Quand on sera mariés, je ne vous empêcherai pas de travailler ; pendant que vous travaillerez, je ferai mon tricot. A mon avis, ce n’est pas du tout la même chose de se voir tous les jours ou quelques jours par mois. Oui, bien sûr qu’on arrivera bien à se débrouiller. Le jour où je serai sûre qu’on se marie, j’écrirai pour demander quelques leçons. Pour bien faire il faudrait que j’écrive au début de juillet. Thérèse Morival se marie le 6 septembre, et ils trouvent que c’est bien long. Nous, on trouve que cela viendra vite depuis deux ans. Comme tout est relatif ! J’ai également une lettre du Père Bernard qui me donne approximativement son programme de vacances. « Je sais seulement que je dois être en Ile-de-France du 2 au 7 août pour un centre national du droit de la JECgarçons. Si votre mariage avait lieu vers le 10 août, ce serait une chance de plus pour que j’y sois. Ensuite, je serai probablement en Allemagne. Peut-être, pourtant, viendrai-je à Versailles après le 15 août. Du 1er au 15 348
septembre, je serai sûrement en Allemagne pour une rencontre internationale de sociologues catholiques d’abord, pour un camp d’étudiants franco-allemands ensuite, donc mauvaise période pour que j’aille à Dozulé ! » Avec cela, il faudrait choisir le 10 août, la fin août, ou après le 15 septembre. Enfin on verra. D’un autre côté, papa et maman resteront au tout début de juillet. Papa ira rejoindre maman à la moitié de sa cure, comme cela, au fond, je ne serai guère que 4 semaines seule. Finalement il n’y a pas besoin que vous preniez de billets pour Luchon, on les prendra de Caen. Alors, vous allez être très riche. Je suis sur une piste de pyjama pour vous dans les 800 frs. Votre maman m’a dit qu’il vous en fallait absolument deux. Je pensais tout à l’heure qu’on pourrait faire un petit voyage de noces en Bretagne dans une petite crique ; tous les deux, ce serait très chic. Pour cela, tout compte fait, je ferai la robe de maman et elle me donnera le prix de la façon, et ça je le mettrai à notre voyage de noces. Ce sont mes petits projets. Simone Habert (Mme Dorly) m’a demandé jeudi ce qui me ferait plaisir. Elle a envie de nous offrir des assiettes à dessert ou un joli plat à gâteaux. Elle va nous gâter. A demain donc dans le Seigneur Jésus. On lui offrira notre déception et on lui confiera notre avenir. J’ai confiance, vous savez mon chéri. Il me semblait que j’avais quelque chose d’autre à vous dire, mais je ne vois plus quoi. Evidemment, il doit faire frais dans le métro, mais les distractions ne manquent pas. 349
Enfin, je vais bien prier pour que les trois examens se passent bien. Bon courage, mon trésor chéri. Je vous aime et vous embrasse de tout mon cœur qui vous appartient pour toujours. Votre Guite Dozulé, le 8 juin Mon petit chéri, C’est tout ce que je trouve dans la maison comme papier pour vous écrire. Oui, en effet, au bord de la mer il faut un temps merveilleux. Hier, le Dr Linglin est venu nous débaucher et nous sommes tous allés à Cabourg en auto et bicyclettes prendre un bain délicieux. C’était absolument épatant. Au moment d’entrer dans le bain il s’est mis tout à coup à faire plus frais et je me suis dit chic le temps se rafraichit, mais ce n’était qu’au bord de l’eau. En rentrant dans les terres, il faisait plus chaud et aujourd’hui, il fait le même temps qu’hier. Pauvre chéri, je vous plains bien. Vous n’imaginez pas ce que la mer était chaude, bien plus chaude qu’à Erquy au mois d’août. Le sable nous brûlait littéralement les pieds. Si on avait pris un bon bain ensemble, mon chéri ! Mais hélas ! Un jour cela arrivera. Nous avions emporté notre tente et c’était très confortable pour s’habiller et se déshabiller. Je voudrais bien que ça rentre un peu dans votre tête. Qu’allons-nous devenir sans cela. Alors il faudra dire adieu à notre plus cher désir. Il paraît qu’il est admissible de se faire coller en pharmaco mais pas en 350
patho. Le Dr Linglin travaillait au Luxembourg dans un coin bien ombragé, quand il faisait très chaud. Evidemment la météo n’est pas mal, mais on est dérangé. Cela ne m’étonne pas qu’il fasse frais dans la salle à manger d’Albert. Ici, dans la salle à manger où il fait relativement frais, il y a 24-26°. Dehors, 28-30°. En ce moment, il y a pas mal de vent ; il est un peu plus frais et le soleil se cache. Hier, le Dr Linglin a voulu me prendre en photo pour vous, mais j’ai bien peur que ce ne soit pas réussi. Que voulez-vous faire avec le soleil dans les yeux ? Il y en a une autre avec Claire sur mes épaules. Nous avons « tué le temps » agréablement comme dit Michel. Et je pensais à mon Pierre qui se liquéfiait sur son bouquin. Mon chéri, à demain dans le Seigneur Jésus. Je vais prier tous les saints du Paradis pour qu’il pleuve parce qu’il faut absolument que mon Pierre soit reçu. Je vous quitte mon petit chou. Je ne pense qu’à une seule chose. Vous devinez laquelle…. Si on veut, nous y arriverons bien. Bou courage, mon petit chou. Vous êtes là dans mon cœur. Je vous aime, je vous aime. Je suis en train de me demander s’il faut que je mette un mot à vos parents. Je ne peux pas le faire aujourd’hui puisque je n’ai pas de papier convenable. Je vous embrasse, mon chéri, bien bien fort, comme je vous aime, pour toujours. Votre Guite
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Mardi 17 juin 1947 Mon petit chéri, Moi aussi je suis très très contente de cette nouvelle ; mais notre projet de nous marier en août va peut-être tomber dans le lac si vos parents sont à Briançon fin juillet. En tout cas, le principal c’est que nous nous marions. Et tout cela m’émoustille. Je commençais à l’être déjà par notre prochain mariage. La nouvelle de Zaby m’émerveille un peu plus. L’an prochain vos parents auront une demi-douzaine de petitsenfants ! Ils rattraperont tonton Georges et tante MarieRose. Quand même mon chéri, vous pensez qu’on pourrait être mariés au mois de septembre ! Moi ça me faut un drôle d’effet. Ça va être épatant mon chéri. On se mariera peut-être ensemble ! Seulement maman qui est superstitieuse dit que lorsque deux couples se marient ensemble l’un des deux est malheureux. Histoire de bonnes femmes. J’espère que malgré tous ces événements qui rompent la monotonie des jours, vous potassez bien votre obstétrique. En ce moment Michel est en plein travail. Que fait-il ? Alors on va prier pour eux, n’est-ce pas ? Bientôt on ne s’y reconnaîtra pas dans les beauxfrères, les belles-sœurs, les cousins, les cousines… Il fallait que chez vous il y ait quelqu’un qui épouse un prof de maths. Et c’était à Zaby que cela revenait. Ils pourront mathématiser ensemble ! Et si nous 352
avons des enfants trop bouchés, ils auront grand-père, oncle et tante pour les déboucher ! Si bien que ce seront certainement des savants !!!! (…) Je vous aime, mon chéri, de tout mon cœur. (…) Je vous quitte, mon Pierre, espérant avoir demain le résultat de la patho. med. Bon courage. Je vous embrasse, mon chéri, bien bien fort comme je vous aime, en attendant d’être à vous pour toujours. Votre Guite PS. : Je n’ai pas encore pris ma dernière photo ! Je vais la prendre cette semaine car je prête l’appareil à papa et il part lundi. Vendredi 20 juin 1947 Mon Pierre chéri, Alors j’attends patiemment comme vous le résultat de vos examens. Allez-vous maintenant chercher quelque chose plus activement ? Ou avez-vous encore beaucoup de travail ? C’est vrai qu’il y a les oraux éventuels. Le bachot s’est pas passé, je crois, aussi bien que possible. Comme Alain, il est moyennement satisfait. En français, ça a marché. Il possédait bien son sujet. Mais on ne peut guère compter là-dessus, car cela dépend des correcteurs. En latin et grec, il y a deux contresens dans chaque version. Peut-être arrivera-t-il à la moyenne quand même, car les versions n’étaient pas très faciles, sans être très différentes. En math, il a fait tout ce qu’il 353
pouvait espérer faire : la question de cours et une question et demie du problème sur 4. Il doit pouvoir avoir la moyenne avec cela. Alors comme il se sent sur la tangente, il va préparer son oral. Quant à Thérèse, elle passe demain. Elle travaille et a travaillé comme une folle à coup d’orthédrine et d’une autre drogue dont j’ai oublié le nom et qui fait, paraît-il, encore mieux. Elle vise à faire ce que fait l’une de ses compagnes. Elle dort 3 heures par nuit. Mlle veut tout savoir, alors évidemment, dans ce cas, il faut en mettre un coup, et après l’écrit il y a encore 15 jours à travailler pour l’oral. Elle est vraiment folle. Mme Comby a dit à papa hier qu’à son avis, elle travaillait beaucoup trop, elle ne se donne pas une minute de répit au point qu’elle n’a pas été commandée le sac de Françoise parce que ça lui aurait pris un quart d’heure !! Ce n’est pas possible, elle est dingo. Seulement je suis furieuse parce que Françoise n’aura pas son sac en temps voulu. Résultat : cela lui agit sur les nerfs. C’est tout juste si elle a voulu recevoir papa hier. Au bout de 5 minutes elle lui a fait sentir que cela suffisait etc. Vous voyez le genre. Elle est maigre comme un clou. Elle va se détraquer complètement. Heureusement que c’est la dernière année !! Elle a dû faire commander le sac aujourd’hui par Cécile Comby. Papa part lundi pour Luchon, car maman commence à s’ennuyer. Elle maigrit beaucoup, dit-elle. Le résultat de Michel est le 27. (…) J’étais très nerveuse ces derniers temps mais j’ai compris pourquoi et aujourd’hui cela va mieux. Ce matin, je me suis réveillée au moment où vous me disiez « Il ne faut pas ». Je ne sais pas quoi. 354
En tout cas, mon petit chou, je vous aime bien bien. Moi non plus je ne vois pas Zaby mariée, mais au fond pourquoi pas ? J’aimerais quand même les voir. Bon courage encore pour cette fin d’année, mon chéri à moi pour toujours. Vous ne savez pas à quoi je pense. Ce sera épatant de vous avoir toujours près de moi, surtout de ne plus se quitter, mon chou, mon chéri à moi. Vous devriez avoir des ailes, vous viendriez m’embrasser comme cela, et aussitôt vous revoleriez vers Paris. Je suis bête hein ! En attendant, je vous embrasse bien bien bien fort comme je vous aime. Votre petite Guite Vendredi 27 juin 1947 Toutes mes félicitations à Zaby. J’espère que cette fois elle décrochera l’oral. Michel attend patiemment en faisant l’imbécile le résultat qu’on lui téléphonera dans la soirée. J’oublie le principal. J’oublie de vous dire combien je suis heureuse que vous soyez reçu à l’écrit de path. chirurgicale. Après ces examens, vous allez pouvoir m’écrire de longues lettres. Les parents se fichent complètement de nous. Depuis lundi que papa est parti, pas de nouvelles. Pas de nouvelles, bonnes nouvelles ! Oui évidemment, Lisieux ce ne serait pas mal comme situation, quoique un peu loin de Paris. Lagny serait mieux pour Paris. On verra bien. On arrivera peutêtre bien à se marier un jour quand même. Les vacances 355
en Dordogne, ce ne serait pas mal non plus, si vous étiez en 5ème année. Oui, on arrivera bien à se débrouiller. Courage. Vilain garçon qui me fait enrager. Alors votre neveu a encore des feux de dents. Avec des dents ce doit être un grand garçon. Oui, c’est vrai que vous écrivez de plus en plus mal. Au début de nos fiançailles, vous écriviez bien, maintenant j’ai parfois du mal à vous lire. Bien sûr que tous nos projets se réaliseront. Pourquoi pas ? C’est tordant d’être comme l’oiseau sur la branche. Cela force à avoir confiance. Chéri, si dans 3 mois ou 2 mois on était mariés, ce serait chic. Moi aussi je rêve beaucoup, mais au fond, bientôt peut-être, ce ne sera plus un rêve. Je vous aime, mon chéri. Oui, tous les deux tout seuls dans la vie ! Quand même, quand on y pense. Mais j’ai confiance, vous savez, on ne peut pas rester éternellement fiancés. Ce matin, nous avons eu de l’orage et cette aprèsmidi, il fait beau et moins chaud. Ce matin il n’y avait pas de messe mais on a distribué la communion. Alors j’ai prié pour mon Pierre, pour nos progrès. C’est drôle quand je pense à l’avenir. J’ai le trac, et vous ? J’ai le trac également aujourd’hui pour Michel. Lui, il l’a certainement moins que moi. C’est bizarre. Ce n’est pourtant pas moi qui passais le bachot. Si le résultat est donné avant la levée, je vais vous le mettre, et Alain ? Mon chéri, je vous aime bien, bien. Oui j’ai hâte d’être au mois d’octobre.
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En attendant ce résultat, je vais aller me promener avec Michel et le Dr Linglin jusqu’à Hotot-en-Auge. Au retour j’espère qu’il sera donné. 5h : Nous sommes à Hotot et nous avons vu tout ce qu’il y avait de beau dans le pays : l’Eglise et … le train qui a fait l’admiration de Denis. Mon chéri, chéri, je vais vous quitter. A dimanche dans le Seigneur Jésus. On lui demandera de nouveau de bénir tous nos projets et surtout qu’ils se réalisent bien vite. Demain, j’irai cette fois me confesser. Il vaut mieux ne pas attendre que cela fasse des mois. Excusez mon écriture mais j’écris sur mes genoux. Je vous embrasse, mon chéri, comme je vous aime, c’est-à-dire de tout mon cœur qui vous aime. Votre Guite Pierre et Marguerite se sont mariés en septembre 1947
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TÊmoignage de reconnaissance d’un patient du docteur Pierre Davy
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Anniversaire A Monsieur le docteur Davy avec sa profonde reconnaissance, Pierre LE BRONEC C’était au mois de mars, en mil neuf cent cinquante, Etant reçu médecin, quittant votre ville d’Evreux, Jurant de soulager l’humanité souffrante Veniez jeune et confiant vous établir à Dreux. Alors qu’un beau matin, appelé à la maison Pour visiter ma mère, pas tellement brillante, Vous nous avez produit une si forte impression Que nous eûmes vite fait de faire connaissance. Et puis, vous observant, mais sans en avoir l’air, J’avais perçu tout de suite votre grande douceur : Vous entendre parler sortait de l’ordinaire. Je vous avais jugé un homme de grande valeur Depuis ce matin-là et pendant des années Mon épouse et moi-même devenions vos clients Soignant en même temps toute la maisonnée Venant quand il fallait, toujours à bon escient. Et je tiens à vous dire toute ma reconnaissance Pour les soins éclairés donnés pendant treize ans A ma mère jadis de santé chancelante Qui, grâce à vous, atteint ses quatre vingt dix ans. Ce qui frappe chez vous : une tranquille assurance Mettant en pleine confiance toute votre clientèle Un diagnostic très sûr, toujours sans défaillance Font que les gens qui viennent vous restent tous fidèles. Mais il faut reconnaître parmi vos qualités, En plus de votre science, un dévouement constant. 361
Disponibles pour tous et sans partialité De jour comme de nuit, étant toujours présent, N’épargnant pas votre peine, pour encore vous dévouer Jadis à deux reprises, ce qui n’est pas si mal, Vous trouviez le moyen d’aller le soir siéger Parmi les membres du Conseil municipal. Nous vous avions élu avec une foi certaine, Conscients de votre valeur du point de vue médical. Il arriva qu’un jour, ingratitude humaine, La mairie changea de mains, mais en beaucoup plus mal. La mairesse est despote, mégalomane, sectaire. Certains des conseillers lui ayant résisté, Madame fit une colère, ils n’eurent plus qu’à se taire. Elle s’arroge tous les droits, et eux n’ont qu’à plier. Mais vous continuez d’assumer votre tâche Avec un air aimable reflétant la bonté. Moi je subis des ans l’irréparable outrage Mais on ne peut pas être et puis avoir été. C’est par cette poésie que j’ai voulu marquer Vos trente ans parmi nous : un bel anniversaire, Et j’en profite aussi pour encore vous souhaiter De longues années à vivre, un second trentenaire. Dans quelque temps, hélas, ma vie sera finie Grâce à vous, je l’espère, ce n’est pas pour demain. J’irai encore vous voir, n’en soyez pas surpris, Mes forces déclinant, j’aurai besoin de soins. Puis arrivera pour vous un jour la Retraite Où vous vivrez tranquille en toute sérénité Auprès de votre famille, heureuse et satisfaite, Couronnement d’une vie de travail acharné. Mais aujourd’hui, je tiens à vous faire un aveu : De vous avoir connu fut pour nous un bonheur 362
La preuve n’est plus à faire, dans toute la ville de Dreux, De tous les praticiens vous êtes le meilleur. Je voudrais pour finir, si cela se pouvait ? Que votre successeur soit à votre ressemblance, C’est la grâce et l’espoir que l’on puisse espérer. Pour cela il nous faut croire en la Providence. Fait à Dreux, le 2 mars 1980 Pierre Le Bronec
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Quelques poèmes de l’oncle Gustave
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MON PERE I Mon père, c’est pour toi que ces vers sont écrits, Je les ai si longtemps corrigés et mûris, Que leur style, pourtant bien timide et bien gauche, Ne rappelle plus rien de la première ébauche. J’aurais voulu trouver un modèle d’esprit Pour apprendre comment un compliment s’écrit, Comment on peut ouvrir tout simplement son âme Sans les vains ornements du rhéteur qui déclame, Il me semblait toujours ne pouvoir exprimer Combien j’ai de bonheur à te voir et t’aimer, Ni combien j’ai senti pour toi, depuis l’enfance, S’éclairer le respect et la reconnaissance. Je t’aimais comme on aime un protecteur tout puissant. Alors que je n’étais qu’un être languissant, La tendresse pliait devant ma fantaisie. Moi, je te trouvais fort et beau, sans jalousie. Ta présence rendait le mal moins douloureux, Quand la fièvre abattait mon regard langoureux, Ta gaîté soutenait mon pauvre corps débile ; J’écoutais tes conseils comme on croit l’Evangile, Je ne vivais qu’en toi, je voyais par tes yeux, Tous tes contradicteurs me semblaient odieux ; Heureux âge ou la foi se donne sans critique. Tu fus mon premier culte et le moins despotique.
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Depuis, j’ai raisonné par moi-même, ou l’ai cru ; Mon esprit s’est orné, mon savoir s’est accru. J’eus d’autres ambitions que de suivre ta trace, Je t’ai même jugé parfois avec audace. Faut-il t’en attrister ? Ô ! Père tu conclus Que nos esprits heurtés, ne se pénètrent plus ? Tu crois sentir en moi comme une impatience De faire prévaloir ma jeune expérience… Je t’aime d’un amour profond, tendre et discret, Non par stricte devoir, mais par un doux attrait, Non par un acquiescement au fait de ma naissance, Mais d’esprit, mais de cœur, en pleine connaissance. Je te juge si droit quoiqu’il puisse en coûter ! Modeste par principe, indulgent par bonté. Même en la discutant, je conçois ta pensée ; Je la reconnais belle et désintéressée… Mais, depuis quatorze ans, tant de maîtres adroits Ont moulé, loin de toi, mon esprit en leurs doigts Qu’ils ont développé ma critique naissante Au point d’en faire une manie envahissante. Est-ce un bien ? Un grand mal ? C’est très bénin surtout ; Un tout petit penchant qui s’infiltre partout, Mais pas en profondeur, pas au fond de mon âme. C’est parfois un regret furtif, jamais un blâme ; C’est le goût de te voir jeune toujours, et beau ; Mon maître, mon mentor, mon guide et mon flambeau.
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II C’est la sourde rancœur contre la destinée Qui ne peut t’épargner le poids de chaque année. Si je t’épluche alors d’un regard anxieux. Te scrutant, te palpant, attristé, soucieux, Quand je crois voir de l’âge un présage apparaître, C’est besoin de savoir et crainte de connaître. Non ! Ce n’est pas à toi, mon ami, mon papa, Que vont ses mots trop vifs dont l’accent te frappa ; C’est au destin méchant, implacable qui fait S’effriter l’idéal d’un modèle parfait. Tu résumais pour moi le seul exemple à suivre Et je souffrirais trop de te voir te survivre Et fléchir sous le fait des ans accumulés Comme un chêne aux rameaux par les étés brulés. Je sais que ma tendresse anticipe – importune – Que je cherche la terre en regardant la lune. Modeste, je devrais me contrôler d’abord. Je conseille un plus sage et suis un fou. J’ai tort ; J’ai tort de te lasser à vouloir te reprendre Quand je devrais surtout chercher à te comprendre. Pourquoi parler d’hiver dès la belle saison ? Non, tu n’es pas vieilli, de corps ni de raison, C’est toi qui, dans les champs, me fatigue à la marche ; Tu parais, près de moi, solide comme une arche De ce tant vieux Pont Neuf qui défia les temps Et qu’on cite en exemple aux pauvres aigrotants.
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Pardonne à ma jeunesse, à mon excès de zèle. Moi te froisser ? Jamais ! Moi, rougir, – lâcheté – Lorsque tu connaitras l’âge et l’infirmité? Jamais ! Jamais ! Grand Dieu ! Plutôt mourir de honte Que rougir du malheur que le sarcasme affronte, Que tomber (esprit faux) dans le hideux travers D’un cœur bas et mesquin, orgueilleux et pervers. Puisses-tu vivre assez, veillé par ma tendresse, Pour atteindre les bords de l’extrême vieillesse ; Même si tu devais glisser à petits pas Vers trop d’infirmités, je ne les verrais pas ; C’est ton cœur que mes yeux contempleraient, avides De retrouver en toi, souvenirs du passé, L’ami qui, sur ce cœur, m’a tant de fois pressé. J’ai retrouvé ces vers en fragments désunis Sur des feuillets épars, chiffonnés et jaunis, Dans un tiroir secret à serrure branlante Où, depuis quarante ans, ils dormaient dans l’attente.
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III Celui qu’ils ont chanté ne l’ai a jamais lus. Peut-être eut-il souri s’il les avait connus. Je n’ai jamais osé, dans ma pudeur craintive, – Par peur de chagriner et par fierté native – Je n’ai jamais osé les mettre sous ses yeux. Et maintenant mon père a regagné les cieux. Timides vers, tracés d’une main maladroite. Mais cependant jaillis d’une intention si droite ! Toi qui les inspiras, tendre mai, tu n’es plus. Pour toi, le bon lutteur, les temps sont révolus. Après quatre-vingts ans d’une vie accomplie, Tu reçois ton tribut pour la tâche remplie. Le seigneur exauça mon vœu, dans sa bonté : Ta vieillesse fut douce et sans infirmité. Il daigna t’épargner une lente agonie ; Tu t’éteignis d’un souffle, et, ta course finie, Tu mourus à ta table, un matin, sans effort Pour entrer doucement dans la paix et la mort. Voilà bientôt vingt ans ! Mais ton souvenir plane, Préservé, moi vivant, de l’oubli qui profane. Il m’imprègne et me guide et souvent me soutient. Nous sommes séparés, mais je suis toujours tien, Je pense encore pour toi, plus qu’autrefois peut-être, Bien souvent je te sens dans mes gestes renaître !
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Et plus je me sépare, en vieillissant aussi Des goûts de ma jeunesse exempte de souci, Plus j’évolue en apprenant ce qu’est la vie, Et plus mon esprit prend la route qu’a suivie Ton esprit clairvoyant, sage et désabusé. Car, à son tour, mon enthousiasme est bien usé Et si mes traits sont, paraît-il, ceux de ma mère, Mon regard triste, et le pli de ma bouche amère, Mes rides retombant en sillons infléchis : C’est toi ! Toi qui revis, qui m’inspires des gestes, Des mots, des sentiments. Nos hérédités restent. Et mêle, avec les ans, je reviens à tes goûts, Malgré tout, d’éléments étrangers entre nous ; Etudes et travaux, et soucis d’autre sorte. Mais, de te ressembler, cela me réconforte. A marcher sur ta trace, il me semble n’avoir Que mieux suivi le vrai chemin du vrai devoir. Ah ! La critique est loin, qu’en ma folle jeunesse, Je t’adressais alors par excès de tendresse ! Comme l’a dit Sacha – mot toujours de saison, Cri d’amour et de foi : Mon père avait raison !
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A MA MERE Lac d’opale, endormi sous un ciel pâlissant, Impalpable brouillard où s’estompent les âges Et que perce l’éclat des gemmes du couchant, Silencieux abîme où sombrent les images. O, lac du souvenir, stagnant sous les roseaux Et les blancs nénuphars de ma candide enfance ! J’ose à peine voguer et glisser sur tes eaux Et plisser ton miroir que mes rames offensent. J’y cherche un chant, un rêve, une ombre d’autrefois, Le souffle ranimé d’affections perdues, L’écho lointain – sans timbre, hélas ! A chère voix Le passé ressurgi, la présence rendue… En ce clair paysage aux décors irréels, Je vois, dans l’eau profonde ou flottant sur la rive, Une ombre séraphique, – ange immatériel – Qui cependant vécut sur terre, ardente et vive : Image de tendresse infinie et d’amour : Ma mère ! – ma maman ! – que j’ai si peu connue, Qui remonta si jeune au céleste séjour Et dont me sont si peu de traces parvenues ! J’avais quatre ans à peine, au matin de ta mort ; Je me souviens pourtant ; et ta photographie Soutient mes yeux d’enfant ; mais j’ai comme un remord De retrouver si peu d’elle-même dans ma vie.
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Combien as-tu manqué, mère, à l’enfant chétif Assoiffé de baisers qu’il refusait d’une autre : Certes, je fus choyé, mais je restais craintif Une mère adoptive est – et n’est pas – la nôtre. Deux femmes ont penché leur front sur mon berceau ; L’une, aux tout premiers jours – et je lui dois la vie – ; L’autre m’a vu grandir comme un frêle arbrisseau –Et son affection fut sincère et suivie – ; Mais laquelle revit et se prolonge en moi, Et marqua son empreinte, épaulant ma faiblesse ? Mes dons furent les tiens, mère, et viennent de toi Mais ta main a manqué pour guider ma jeunesse. J’ai feuilleté, d’un doigt distrait – presque engourdi – Tes lettres à mon père, écrites goutte à goutte D’une encre un peu pâlie, et, d’un cœur étourdi, Je m’en suis séparé sans les connaître toutes… Mère, je te demande un très humble pardon ! Ces feuillets recelaient le plus pur de ton âme ; Je les ai négligés dans un fol abandon. La guerre en dispersa les cendres dans la flamme. Qu’ai-je donc qui fut tien ? Ce fragile éventail, Ces souliers de satin mis le jour de tes noces, Quelques bijoux légers, ce mince étui d’émail, D’humbles rubans, et puis…mes souvenirs de gosse ! Ils sont bien effacés ! – comme ces bibelots Fanés, ternis, froissés, chères et pauvres choses 373
Portées avec amour, laissées avec sanglots, Reliques sans parfum des espérances closes. Quand s’aggrava ton mal, que s’annonça la mort, Tu fis, quittant les tiens, le total sacrifice, Mais prias Dieu clément de te permettre encore De veiller de là-haut sur ton enfant novice. Plus tard, tu lui serais étrangère ; il n’aurait – Hors peut-être les traits, la santé délicate –, Rien qui te rappelât ; plus tard, il grandirait Sans invoquer ton nom…Car l’enfance est ingrate. Il est vrai ! J’ai bien peu levé les yeux vers toi. Ton nom ne montait pas, dans l’épreuve, à mes lèvres : Je l’avais désappris ! Mais ton sang coule en moi ! Le chevreau restera le petit de la chèvre, L’agneau sera toujours l’enfant de la brebis, Et moi, je tiens à toi par mille attaches, Par ces hérédités qui sont nos vrais habits, Tous liens subtils dont le réseau se cache. Ta foi dans l’idéal orne mon univers, Ta sensibilité reparaît dans mes larmes, Ton penchant littéraire a fait naître mes vers Et ton sens de l’accueil est une de mes armes. Qui me dira si mon cœur a raison, Si je suis tien, ou si j’affirme… dans les nues ? Nul ne témoignera sur toi, dans ma maison Où je reste le seul vivant qui t’ait connue.
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Car je suis vieux ! Ton père était moins vieux que moi, Bien qu’il traîna déjà la goutte et des béquilles ; Et quand tu t’envolas, résignée en ta foi, Ton âge était celui qui te ferait ma fille. Mais quand je songe à toi, – moi, le front dégarni, Je me fais tout petit, ainsi qu’à ma naissance ; Je cherche tes genoux, comme l’oiseau son nid ; Je m’y blottis et je m’endors dans l’innocence. Et quand sonnera l’heure où mon cycle s’accomplit, Je paraîtrai, tremblant et seul devant mon juge, Tes trente ans de jadis, qui n’auront pas vieilli, Accueilleront mes cheveux blancs en doux refuge. Hors du temps, ne sais où dans le bleu firmament, Serré tout contre toi, confondant nos deux âmes, Porté par ta prière, enfin sauvé du drame, Ton fils t’appartiendra ! – ma petite maman.
Décembre 1946
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EN FAMILLE Le repas terminé, commença la veillée. Le dessert, prolongé, tournait en gais propos ; Les convives, diserts, la mine émoustillée, Semblaient fort éloignés de songer au repos. Enfin on se leva. Puis, les grâces chantées Par un chœur juvénile aux timbres de cristal, Chacun fit le service, et, dès la nappe ôtée, Les papas, sagement, ouvrirent leur journal. Les mamans avaient pris leur tricot légendaire, Toujours entre leurs doigts et jamais terminé ; C’était l’heure bénie où les bruits de la terre S’apaisent au foyer bien clos et condamné. Les jeunes, jacassant tel un vol d’hirondelles. Disparurent soudain, le front conspirateur ; L’un d’eux revint, fort digne, arrondissant son aile, Et fit assoir son monde en rang de spectateur. Le spectacle s’ouvrit par un chant de l’espace, Un refrain scout pimpant, scandé, sonore et clair ; Puis des airs d’autrefois, dont la mode s’efface, Mais qu’il est doux de retrouver un soir d’hiver. Vint la confession d’une petite fille – trois ans – mais, sapristi ; le fier tempérament ! Un mètre quatre-vingt, debout sur ses deux quilles ! Tendre enfant ingénue et propre, étonnamment !!!
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La suite s’éleva jusqu’à la tragédie : Une vierge martyre, un tyran rugissant, Un « bancal de tringlot », trois grains de parodie… Tout ! (jusqu’au pyjama !) tout fut éblouissant. Un joli matelot près de son Eugénie, Un superbe pompon, un soupir langoureux, Un duo si touchant (et c’est là du génie) Qu’on eut juré deux véritables amoureux. Le programme finit par le saint Evangile Mis en image – et quels santons ! – par les acteurs. Barbes de saint Joseph, si blanche – un peu fragile – Et tout ! Et tout ! Et l’effet bœuf des réflecteurs ! On dit que tout se clôt par des chansons en France. Un « O ! salutaris » fut notre chant final. Ce théâtre en famille eut quelque incohérence Mais ne fut certes pas morose ni banal. Si je vous ai conté cette simple veillée, Parmi d’autres non moins charmantes de gaîté, C’est qu’elle a ranimé, dans mon âme endeuillée, Un souffle de jeunesse – et m’a réconforté. O ! Ce rire éclatant, frais, limpide, sincère, Sans morgue, sans l’affreux, niais, sous-entendu, Ce rire de santé, reposant, nécessaire, A la jeunesse en fleurs et que – vieux – j’ai perdu !
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Les sept petits acteurs de la troupe endiablée N’ont besoin de personne ; ingénus et farceurs, Ils n’ont pas à courir vers d’autres assemblées Pour se distraire ; ils sont entre eux, frères et sœurs. La maison de famille est toujours la plus gaie. Matin ou soir, ses murs ont des échos joyeux ; La voix qui chante ici n’est jamais fatiguée. – La maison de famille a ce don merveilleux. Moineaux qui revenez au nid, le cœur en fête, Si ce cœur – vieillissant – paraît dans un linceul, Vous sentirez un réconfort – sus la défaite – Aux souvenirs d’enfance – et ne serez plus seuls.
31 décembre 1945
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SUR UN BANC Sur le banc de la chaumine, Quand les vieux prennent le frais, Se souviennent et ruminent – Ris et pleurs, joies et regrets – A l’heure où le crépuscule Nous dit : repos ! Ça suffit ! Où l’on compte son pécule, Ses pertes et ses profits ; A l’heure où la traversée S’achève – et l’on vient de loin ! – Où la voile est abaissée, Où, craintif, on fait le point J’apporte ces confidences, Entre nous, de vous à moi ; Peut-être est-ce une imprudence De ne rien garder pour soi ? Mon navire, en fin de courses, Vous offre sa cargaison ; J’en ai pour toutes les bourses, Les goûts, l’âge, les saisons ; Je vous ouvre ma pensée : Elle est modeste avant tout. Vous paraît-elle sensée ? C’est là son meilleur atout. 379
Demain, je reprends le large Pour un voyage plus long ; Je tiens à ranger ma charge Et surveiller son aplomb. Mon quai sombre dans les brumes Et s’endors sous le brouillard ? Mais l’air salin que je hume M’invite au prochain départ. Pour la grande traversée Dont aucun n’est revenu Et qui, sitôt commencée, Nous plonge dans l’inconnu Des pêches miraculeuses En des croisières sans fin… Hélas ! Mon âme est frileuse Et mon corps charnel a faim ! Ai-je été le bon pilote ? Ma soute ai-je bien garni ? Ma confiance est pâlotte Devant les flots infinis. L’âge et le jusant m’appellent Vers le large et l’horizon. Allumez dans la chapelle Un cierge pour l’oraison ;
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Que sa flamme qui chancelle Me fasse Dieu bien dispos ! Et vogue enfin ma nacelle Vers le Havre et le repos ! Mai 1944
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MONSIEUR CATON Monsieur Caton s’est levé, Ce matin, d’humeur maussade Et sa cravate en torsade Montre qu’il s’est énervé Bien avant de se lever ! C’est la faute, évidemment, La faute au gouvernement. Aux vitres, le givre a mis Les arabesques légères D’arborescentes fougères ; A ses doigts, l’hiver a mis Le martyre des fourmis. C’est la faute, évidemment, La faute au gouvernement. Quel hiver ! Les doigts sont gourds, Bleuis, maladroits et roides ; L’eau des lavabos est froide ! Et la panne, au petit jour, Rend le geste encore plus gourd… C’est la faute, évidemment, La faute au gouvernement.
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Il déjeune d’un café Sans grains parfumés des Iles ; Et l’audace de Basile Peut seule à ce point bluffer En le baptisant café ; Ce jus vient, évidemment, Des stocks du gouvernement. Enfin le voilà parti Pour vaquer à ses affaires. Un journal ? Peuh ! Pour quoi faire ? Notre homme est trop averti Pour être d’aucun parti : Il n’est pas, évidemment, L’homme d’un gouvernement ! Pourtant, il lit un journal ! Lequel ? L’Epoque ? Ou L’Aurore ? Il déteste qu’on pérore, Mais aime assez (c’est normal) Qu’on dise que tout va mal ! Et que c’est, évidemment, La faute au gouvernement. Il n’a pas de préféré… L’un croque du communiste, (Comme ceux-ci, les fumistes ! S’en vont bouffant du curé !
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– Chacun son mets préféré… La discorde, évidemment, Mine le gouvernement. Allons, bon ! Il faut prévoir Que les bouchers feront grève. Farge veut-il que l’on crève Et qu’on aille au marché noir ? (Quand gouverner, c’est prévoir !) Ce n’est pas, évidemment, Le cas du gouvernement. Certes, les petits copains – Aux beaux temps de la troisième – Se partageaient les tantièmes, Le beurre et les petits pains. Quoi de changé ? Les copains ! Mais le beurre, évidemment, Demeure au gouvernement. Monsieur Caton, sagement, Prône fort la discipline ; Mais lui-même ne s’incline Qu’au gré de son jugement Qu’il réserve – prudemment ! Sauf pourtant, évidemment, Sur notre gouvernement !
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Il arrive à son bureau Surchargé de circulaires, Impôts, taxes séculaires Dont l’afflux lui crie : Harro Sur le bourgeois pacifique Dont les plaintes horrifiques Comptent juste pour Zéro ! (Cà, c’est – trop évidemment, L’avis du gouvernement.) Il peste dans le privé, Mais trouverait incongrue Sa descente dans la rue. La poigne reste à trouver D’un chef pour nous relever ! Car il faut, évidemment, Un homme au gouvernement. Le bouquet serait de voir Dût crever la république, Le tripartisme et sa clique, Monsieur Thorez au pouvoir (Pour rigoler le grand soir) ! Ça ferait, évidemment, Les pieds au gouvernement Chacun fraude à qui mieux mieux, La loi n’est que pour les autres, Le tien deviendra le nôtre, 385
Le monde est aux factieux ; Pour le corriger en mieux, Le miracle, évidemment, Dépend du gouvernement. Que voulez-vous que Caton S’embarque en cette galère ! Où les grains les plus prospères S’entrelardent de bâton ! Non ! La rogne est pour Caton Mais le risque évidemment, Revient au gouvernement. Pauvre grincheux décavé, Trop riche d’esprit critique Pour suivre une politique Autre que du chien crevé ! Rien ne pourra te sauver… A moins, bien évidemment, D’être…le gouvernement !!! Janvier 1947
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POISSON D’AVRIL Grâce à ma cachotterie, Je te laisse sur le gril : Le million, la loterie ?... Poisson d’avril ! Que me dis-tu ? Que ma chance Ne tient plus que par un fil Et que j’ai perdu d’avance ? Poisson d’avril ?... En avril, dit le proverbe, Ne tient plus que par un fil Et que j’ai perdu d’avance ? Poisson d’avril ?... Oh ! Vrai ? Tu t’es promenée Au bras d’un bel alguazil Hier toute la journée ? Poisson d’avril ?... N’excite point trop ma verve, Modère un peu ton babil. Je grogne, quand on m’énerve !... Poisson d’avril ! Tu me nargues sans prudence, Tu souris d’un air subtil. Reçois donc ma confidence Digne de ce fou d’avril : 387
Dès que je quitte ma femme, Notre amour est en péril : A tout minois je m’enflamme !... Poisson d’avril ! On me chuchote à l’oreille Que c’est elle, paraît-il, Qui me rendrait la pareille !... Poisson d’avril ? Tu m’asticotes, ma belle, Prends garde ! Ventre St Gril ! Je fuirai, si tu m’appelles !... Poisson d’avril ! Las ! Dès que je suis loin d’elle, Il me semble être en péril Et je rentre à tire d’ailes, Moineau d’avril. Pardonne ! Moi ma querelle, Ne vaut pas un grain de mil ; Sois plutôt ma tourterelle Quand vient avril. Ma chanson n’est pas méchante, Ma blague n’a rien de vil : Pour le gai printemps, je chante Rondeau d’avril.
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Je termine ma romance, Pauvre Pierrot, pauvre Gil, Pauvre poète en démence, Par mon premier vœu d’avril : Puissions-nous longtemps encore Nous bécoter le profil En répétant : je t’adore !... Ainsi soit-il ! 1er avril 1944
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