Libération du lundi 22 mai 2017

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2,00 € Première édition. No 11195

LUNDI 22 MAI 2017

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CANNES «120 Battements par minute»: film choc des années sida

CÉLINE NIESZAWER

8 PAGES SPÉCIALES

ÉLECTIONS LÉGISLATIVES

MACRON À QUITTE OU AFP

DOUBLE

Aura-t-il une majorité ou devra-t-il cohabiter? Le chef de l’Etat joue dès juin l’avenir de son quinquennat. Avec le vent dans le dos. PAGES 4-8

FORUM QUAND LA VILLE ENTRE EN GARE

4 PAGES CENTRALES

IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,50 €, Andorre 2,50 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,00 €, Canada 5,00 $, Danemark 29 Kr, DOM 2,60 €, Espagne 2,50 €, Etats-Unis 5,00 $, Finlande 2,90 €, Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,90 €, Irlande 2,60 €, Israël 23 ILS, Italie 2,50 €, Luxembourg 2,00 €, Maroc 20 Dh, Norvège 30 Kr, Pays-Bas 2,50 €, Portugal (cont.) 2,70 €, Slovénie 2,90 €, Suède 27 Kr, Suisse 3,40 FS, TOM 450 CFP, Tunisie 3,00 DT, Zone CFA 2 300 CFA.



“MATHIEU KASSOVITZ EXEMPLAIRE ET INCLASSABLE“ - LES INROCKS

NOUVELLE SAISON, DÈS LE 22 MAI

CRÉATION ORIGINALE


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ÉVÉNEMENT

ÉDITORIAL

LÉGISLATIVES

Par

ALEXANDRA SCHWARTZBROD

Heurts de vérité pour Macron

Tempo Chef des armées, maître des horloges et de la communication, sauveur de l’Europe et de la relation franco-allemande, atomiseur de partis traditionnels… en une semaine, Emmanuel Macron sera parvenu à imposer son rythme, sa personnalité et son mode de travail à une classe politique et une société déboussolées par une campagne d’une violence inouïe. Il parait déjà loin le temps du jeune homme pressé et avide de prendre la lumière. A l’image de son arrivée à l’Elysée le 14 mai, de ce pas lent et martial qui, d’un coup, l’a projeté dans la fonction, le nouveau chef de l’Etat n’entend plus se faire dicter son agenda et ses choix. C’est lui, et lui seul, qui donne le tempo, quitte à passer pour autoritaire. Voilà les ministres au pas, sommés de gommer leurs divergences politiques et de choisir entre leurs mandats d’élus locaux-régionaux et leur portefeuille ; voilà les vieux partis prévenus, il ne fera aucun cadeau ou si peu. La droite l’a compris qui, pour ce premier weekend de campagne, a tenté de mettre en avant une nouvelle génération incarnée par… François Baroin et Valérie Pécresse, deux figures héritées du passé. Quelle crédibilité ont ces deux-là qui, tour à tour, auront soutenu Nicolas Sarkozy, Alain Juppé et/ou François Fillon, tournant leur veste au rythme des échecs ou des affaires ? «Ici, nos convictions passent avant nos ambitions», a clamé samedi la présidente de la région Ile-deFrance. On se pince ! Le bouleversement en cours sur la scène politique n’épargnera personne. Au PS, du moins ce qu’il en reste, certains ont saisi l’ampleur de la tâche à venir pour réinventer la gauche et retroussent déjà leurs manches. Si l’on en croit la popularité du nouvel exécutif, les Français apprécient cette classe et ces pratiques politiques nouvelles. Elles n’ont pas intérêt à décevoir. •

Libération Lundi 22 Mai 2017

A trois semaines du premier tour des législatives, la majorité présidentielle part favorite face à des partis traditionnels explosés. Renouvellement inédit en vue à l’Assemblée. ANALYSE

Par

JONATHAN BOUCHETPETERSEN Photo ALBERT FACELLY

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rois petites semaines pour amplifier, infirmer ou simplement nuancer le résultat d’une présidentielle historique. Principal enjeu des législatives des 11 et 18 juin: le scrutin donnerat-il une majorité absolue à La République en marche (LREM) d’Emmanuel Macron ? Etape capitale. Si l’équation comporte de multiples inconnues, il semble au moins se dessiner que le nouveau chef de l’Etat ne devrait pas, à l’inverse, avoir à subir une cohabitation synonyme de coup d’arrêt précoce à son quinquennat naissant. C’est déjà beaucoup. L’irruption d’En marche, cet outil de disruption, au centre de l’échiquier change la donne électorale, c’est incontestable. Mais le quadripartisme du premier tour de la présidentielle ne devrait pas résister au scrutin majoritaire à deux tours des législatives. Selon un sondage Harris Interactive (1) d’intentions de vote nationales publié jeudi –un outil fragile

quand des législatives sont le fruit de 577 scrutins–, la majorité présidentielle LREM-Modem semble disposer d’une nette dynamique (32%). Un classique de la Ve République. Ce qui l’était moins jusqu’à la dernière présidentielle, c’est le mano à mano de LR et du FN pour la seconde place (19%), devant La France insoumise (15%) et très loin d’un PS (6%) toujours aussi décroché.

Boulet. Après avoir explosé la gauche socialiste lors de la présidentielle, Macron entend profiter de la séquence législative pour fracturer encore un peu plus la droite LR-UDI. Laquelle, délestée du boulet Fillon et emmenée par François Baroin (lire page 5), veut retrouver dans les urnes la majorité que tous les sondages lui promettaient encore il y a peu. Mais c’était avant qu’un Premier ministre juppéiste, Edouard Philippe, ne mène la campagne législative de LREM (lire page 7). Ou que Bruno Le Maire et Gérald Darmanin ne soient nommés à Bercy, dans un casting gouvernemental qui semble avoir trouvé sa cible puisque selon l’Ifop pour le JDD, le chef de l’Etat affiche 62 % de bonnes opi-

nions et le locataire de Matignon, à la notoriété moindre, 55%. A trois semaines du scrutin, difficile de dire à quoi ressemblera la nouvelle Assemblée. Mais on peut parier sans trop s’avancer qu’il y aura un groupe Modem au Palais-Bourbon. Le parti de François Bayrou a en effet obtenu l’investiture LREM dans plus d’une trentaine de circonscriptions jugées gagnables – ce qui a d’ailleurs créé localement tensions et déceptions chez des marcheurs «historiques» (lire page 8). Autre quasi-certitude, alors que LREM a investi 50% de candidats de la société civile et que la proportion monte à 60% dans les rangs de La France insoumise (lire Libération de ce week-end), le nouvel hémicycle devrait accueillir un nombre inédit de primo-députés et plus largement de non-professionnels de la politique. La dynamique de renouvellement sera d’autant plus importante que la loi sur le non-cumul des mandats, votée durant le précédent quinquennat, entre en application pour ces législatives. De quoi faire de ce scrutin une bascule sociologique mais aussi générationnelle alors que plusieurs figures historiques de

l’Assemblée raccrochent. Selon un décompte de France Info, au moins 212 députés sur 569 sortants ne seront pas en lice le 11 juin, c’est deux fois plus qu’en 2007 ou en 2012. Après une présidentielle qui a vu leurs leaders faire des scores dans les urnes, mais toujours en l’absence d’une représentation proportionnelle, combien de députés le FN et La France insoumise réussiront-ils à propulser au Palais-Bourbon? Si Marine Le Pen à Hénin-Beaumont et, dans une moindre mesure, JeanLuc Mélenchon à Marseille semblent bien partis pour l’emporter et devenir députés pour la première fois, l’enjeu pour chacun d’eux est de faire son entrée à la tête d’un groupe aussi conséquent que possible. Histoire de ne pas être cantonné au rôle de bruyant figurant et de donner du crédit au statut d’opposant en chef à Macron que l’un comme l’autre revendiquent. Quant au PS, dont la convalescence pourrait durer mais dont le contrôle reste source de convoitises, il va surtout essayer de limiter la bérézina, avec comme étalon ses 57 députés en 1993 et un objectif officieux de 80 élus. Macron n’a choisi d’y


Libération Lundi 22 Mai 2017

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www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Gérard Larcher et François Baroin samedi au Parc floral de Paris, lors d’une réunion publique.

candidats avaient décliné, préférant faire campagne sur leur terrain. Encore plus rares étaient les signataires de l’appel à répondre à «la main tendue» de Macron. Pressée d’en découdre avec En marche à l’occasion du «troisième tour» de juin, la droite? Le cœur n’y est pas. Après trois mois d’une campagne cauchemardesque plombée par les affaires de leur candidat, celle-ci n’est pas arrivée au bout de son chemin de croix. Un cadre du parti croit pouvoir maintenir à l’Assemblée nationale l’étiage actuel de 200 députés, guère plus. «Si Macron avait des gars solides et implantés, là ce serait un carnage», se rassure-t-il. Loin de la «reconquête» vendue par les ténors LR.

«Une élection n’ouvre pas la saison des transferts, la démocratie ne peut pas être un mercato gouvernemental.»

épargner, comme à droite, que les figures les plus compatibles en laissant une cinquantaine de circonscriptions sans candidats. Une mansuétude tactique dont profitent Manuel Valls (lire page 6), Myriam El Khomri, Marisol Touraine, mais aussi les LR Thierry Solère ou Franck Riester. Manière de traiter de futurs élus dont il aura besoin pour voter tout ou partie des textes que le gouvernement présentera.

Les Républicains, peu convaincus de convaincre

Financement. Pour chaque for-

En public, François Baroin et les ténors LR disent espérer une cohabitation. Mais, en privé, la confiance en une victoire aux législatives s’étiole.

mation, si l’enjeu du scrutin est bien sûr politique, il est aussi financier. Ce n’est pas un détail. Depuis 1988, les résultats aux législatives déterminent principalement le montant du financement public. Cela explique pour bonne part l’empressement d’un Bayrou à obtenir le maximum d’investitures ou celui des partisans de Mélenchon à s’autonomiser de leurs «alliés» communistes. Pour La République en marche, c’est l’occasion d’asseoir, comme ses concurrents, son financement sur la dotation publique. Et non plus sur la donation privée. • (1) Enquête réalisée en ligne du 16 au 18 mai sur un échantillon de 1 019 personnes.

D

ès qu’elles l’ont aperçu, elles ont fondu sur lui pour l’embrasser à pleines joues. «Ah, Monsieur Georges Fenech, mais c’est horrible ce qui nous arrive! Qu’est-ce qu’on va devenir?» se lamentent trois militantes du Val-d’Oise, dans les rangées de la salle louée au cœur du Parc floral de Vincennes pour l’unique meeting du parti Les Républicains dans la campagne législative. «Eh bien, on va sauver les meubles et essayer d’avoir un groupe puissant à l’Assemblée», tente le député du Rhône. Sans succès. «Holala, c’est une

déroute. Oui, une catastrophe», reprend le chœur de sexagénaires, avant de poser pour un selfie avec l’ex-magistrat. Fenech s’efforce à nouveau de remonter le moral des troupes: «Allez, on va se ressaisir, les 24% de Macron au premier tour de la présidentielle ne lui suffisent pas pour obtenir une majorité et l’électorat de droite attend de pouvoir s’exprimer.»

«Carnage». Un peu plus loin, Roger Karoutchi croise un ami. «Heureusement que tu es là, pour l’instant y a pas lourd…» Celui-ci prend de ses nouvelles. Le sénateur des Hauts-deSeine bougonne: «Mieux, ça se verrait, non?» Certes, le gratin du parti, de Valérie Pécresse à Gérard Larcher, était réuni samedi, et LR avait mis en scène ses jeunes pousses afin de concurrencer En marche sur le créneau porteur du renouvellement, mais la plupart des

Contenir. Si en aparté

pas grand monde n’y croit sincèrement, chacun entretient officiellement le rêve d’une cohabitation à l’issue du scrutin de juin. François Un jeune candidat donne Baroin même à François Baroin du «futur Premier ministre». L’intéressé s’y verrait bien, se proposant d’offrir à Macron «la majorité qu’il faut à la France». Il y a un côté lunaire à l’entendre détailler les réformes qu’il s’imagine conduire après les législatives. Comme si trois élus LR n’étaient pas au gouvernement. Baroin y fait à peine allusion. «Une élection n’ouvre pas la saison des transferts, la démocratie ne peut pas être un mercato gouvernemental. Etre dans le vent, c’est avoir un destin de feuille morte», professe-t-il seulement. Dimanche, Eric Woerth et Christian Jacob se sont montrés plus saignants à l’égard de leurs ex-camarades nommés à Matignon et à Bercy. Edouard Philippe «va aller faire campagne contre les candidats qu’il a désignés dans la commission d’investiture des Républicains et du centre. Comment peut-on avoir ce degré de cynisme?» cingle le premier, invité d’Europe 1, estimant que le Premier ministre juppéiste –«un ami», prend-il la peine de préciser– «se fourvoie». Sur RTL, le chef de file des députés LR minimise, lui, un «démarchage individuel». Pas question d’y voir l’ébauche du commencement de la refondation politique voulue par le nouveau chef de l’Etat. Pour contenir les tentations macronistes dans ses rangs, la droite se raconte l’histoire d’une recomposition qui n’aura pas lieu. Ou alors plus tard, mais pas avant les législatives. A chaque jour suffit sa peine. «Là on n’est pas dans une coalition, on est dans un truc à la con, s’irrite un cadre LR. La recomposition, elle se fera sur un projet mais aujourd’hui on ne s’est pas encore mis à table.» Ultime argument pour maintenir ses distances avec En marche –et espérer survivre–, la droite se lance dans un inhabituel plaidoyer pour le pluralisme politique. Woerth accuse ainsi Macron de «chercher à créer un parti unique. C’est d’une grande violence». Le nouveau président, prévient-il, «va cumuler absolument tous les pouvoirs, je pense que c’est critiquable». LR a décidément la «reconquête» modeste. LAURE EQUY



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