Manager dans la compexité : réflexion à l'usage des dirigeants

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RESUME : MANAGER DANS LA COMPLEXITE, REFLEXION A L’USAGE DES DIRIGEANTS (4eme édition), Dominique Genelot. Cet ouvrage fait référence en matière de management en univers complexes. L’AUTEUR Dominique Genelot a dirigé pendant trente ans le cabinet de conseil en management « Insep Consulting », une référence dans le conseil français en accompagnement des transformations des entreprises. Ce cabinet a rejoint en 2006 Bernard Julhiet Group (Havas Group). En intégrant les plus récentes recherches en matière de complexité, Dominique Genelot a renouvelé les approches traditionnelles du management des organisations complexes. Il est membre actif du réseau « Intelligence de la Complexité ». Il intervient aujourd’hui en tant que consultant auprès des directions d’entreprise pour les conseiller dans leur stratégie, leurs transformations, et leur développement managérial. L’OUVRAGE Ce livre naît de l’expérience de l’inefficacité des méthodes de raisonnement classiques, approches cartésiennes classiques avec une pensée analytique issue de la science mécaniste du XVIIe siècle, dans les situations complexes. Comment piloter, organiser, manager, construire des représentations ou des modèles significatifs des phénomènes complexes ? Des réponses commencent à émerger dans les années 70. La démarche de la pensée systémique pense les phénomènes en les reliant dans une globalité cohérente et finalisée. A la fin de cette décennie, les travaux de Prigogine sur les systèmes en état de déséquilibre proposent une « nouvelle alliance » entre la pensée scientifique classique et l’incertain. L’ouverture est faite. Les années 1980 connaitrons, principalement par l’intermédiaire des travaux d’Edgar Morin1, les premiers développements de la pensée complexe. I- Qu’est-ce que la complexité ? La complexité est le défi majeur de notre temps. Bien qu’il ne se limite pas à cet aspect, le terme désigne ce que nous avons du mal à comprendre et maîtriser. Il se diffère de la complication dont nous pouvons venir à bout avec de l’expertise et du travail. A mesure que certains aspects de la complexité sont compris, d’autres apparaissent avec leur lot d’imprévisibilité mais aussi d’ouverture et de possibilités nouvelles. Actuellement, l’entreprise évolue dans un environnement complexe dans lequel les dirigeants connaissent une « crise de l’entendement ». C’est là que se trouve le défi majeur de notre temps pour les dirigeants. Ils doivent dépasser le sentiment de confusion qui les assaille et voir dans la complexité non pas une source de difficultés, mais une opportunité de progrès. Pour cela, il convient de trouver des moyens pour penser la complexité. Toute époque développe un paradigme par lequel elle interprète et construit la réalité. Depuis trois siècles, la pensée cartésienne et la science newtonienne nous poussent à considérer le monde comme une mécanique finie et prévisible. Mais un ensemble d’avancées scientifiques (science des grands systèmes en équilibre, théorème d’incomplétude de Gödel, structures dissipatives, autoorganisation des systèmes, théorie du chaos, etc.) ouvre la voie à de nouvelles représentations de la réalité tenant compte de l’instabilité, de l’ouverture, de l’incertitude, de la contradiction, du paradoxe. Les caractéristiques de la complexité se manifestent à trois niveaux : la réalité, la représentation que se fait un observateur de cette réalité, la construction de la réalité qui conditionne les actions que nous entreprenons. Processus de décision en situation complexe Le 1er volume de La Méthode, œuvre majeure d’Edgar Morin, est publié en 1977 et leActions 6 e volume en 2006. 1


Situation complexe

Observateur

Représentation

Construction de la réalité

Au premier niveau, celui de la réalité, on retiendra les grands points suivants. 1) La complexité n’est pas synonyme de complication. 2) La réalité perçue reste toujours inachevée et incomplète. 3) Le tout et les parties sont liés dans une dialectique dynamique. 4) Les systèmes complexes sont le siège de causalités circulaires et de phénomènes récursifs si enchevêtrés qu’ils deviennent incompréhensibles et incontrôlables. 5) Les systèmes complexes s’auto-organisent. 6) Le complexe est une conjonction d’ordre et de désordre. L’incertitude et l’indécidabilité sont inhérentes aux situations complexes. 7) L’instabilité et l’évolution par bifurcations provoquent des changements d’état soudains dans les systèmes complexes. 8) Des logiques différentes et parfois antagonistes coexistent dans une dialogique au sein d’un système complexe. Au second niveau, on trouve nos mécanismes d’élaboration de nos représentations. C’est un transformateur qui construit dans nos têtes une représentation (modélisation) de la réalité. Elle n’est qu’une image de la réalité, interprétation subjective, contextuée et évolutive. Il est tentant, devant une situation complexe, d’adopter une attitude réductrice et de nous replier vers les visions et les outils simplistes. Mais, les dirigeants, se doivent de comprendre que leur système de représentation a trois composantes principales : 1) La vision générale du monde à laquelle nous nous référons, essentiellement constituée par le paradigme dominant de l’époque, par notre culture et par notre histoire personnelle. 2) Le contexte dans lequel nous nous trouvons qui colore notre point de vue. 3) L’intention, la vision ou le projet qui conditionnent nos interprétation. Ils pourront ainsi adapter leur mode de pensées à l’environnement, la nature des enjeux tout en se considérant comme partie prenante à la complexité qu’ils cherchent à piloter. Au troisième niveau, celui de la construction de la réalité qui conditionne les actions que nous entreprenons, il convient d’éviter d’adopter des conduites réductrices et mutilantes à l’égard des situations complexes et riches de potentialités. On doit prendre conscience de son système de représentation et l’élargir pour développer une intelligibilité constructive de cette complexité. Pour ce faire, on utilise la représentation systémique. Jean-Louis Le Moigne définit un système comme quelque chose qui poursuit des finalités dans un environnement actif et évolutif en exerçant une activité, en s’organisant et en évoluant sans perdre son identité. On y retrouve les cinq points fondamentaux qu’un dirigeant doit piloter tout en développant une compréhension élargie du contexte d’action et en sachant expliquer ses intentions. On est ici très loin de la logique analytique cartésienne, logique analytique réductrice et inopérante en univers complexe. II- Organiser et manager dans la complexité. L’organisation en univers complexe demande de distinguer et d’articuler des logiques différentes. En entreprise, de multiples logiques se côtoient, se superposent et s’entremêlent. Le réflexe d’exclusion de la pensée humaine tend à simplifier arbitrairement pour ne retenir qu’un aspect des choses, c’est la logique dialectique de disjonction et réduction. Le principe dialogique de distinction-conjonction nous amène à distinguer les logiques différentes et à les articuler les unes aux autres en référence à une logique de niveau supérieur qui les intègre sans réduire leurs spécificités, voir leurs antagonismes. Ce principe peut permettre de résoudre de nombreux problèmes de l’entreprise : dualité individu / entreprise, choix entre de nombreux styles de management, équilibre entre économique et social, etc. Le concept de métasystème permet de hiérarchiser des logiques différentes. Un métasystème est un système qui englobe un autre et lui donne un sens. Un niveau supérieur contrôle et oriente l’action du niveau inférieur qui, en retour fournit au niveau supérieur ce dont il a besoin pour exercer sa fonction. L’entreprise est un métasystème de quatre niveaux qui ont chacun leur logique, leur domaine d’activité et leurs méthodes. Le premier niveau est l’exploitation, celui qui agit en temps réel et cordonne les opérations. Le second niveau est la gestion, avec une logique de prévision, d’objectifs et de planification à court terme. Le troisième niveau est la stratégie, avec un travail de long terme et une attention portée à la co-évolution de l’entreprise avec son environnement. Le quatrième niveau est la prospective, une réflexion de long terme sur les mutations. Ces quatre niveaux hiérarchisent entre elles des logiques d’action et les personnes doivent, elles, savoir penser à plusieurs niveaux de logique, varier leurs points de vue


et articuler entre eux ces niveaux de visions différents. Cette mobilité mentale, cette complexification du pilotage de l’entreprise sont des facteurs de performance dans un monde complexe. Les clefs du pilotage des systèmes complexes sont l’information, la communication et la connaissance. Une réalité ne prend sens qu’à travers la prise de conscience de celui qui l’observe. Le sens attribué à une information est donc variable selon les personnes et selon les situations. Les technologies modernes qui permettent de reproduire l’information provoquent une prolifération de signes auxquels il est difficile de donner du sens. On perd ainsi de l’information. Une réponse peut être la réintroduction de médiations humaines et des stratégies cognitives pour piloter les automatismes électroniques. Ainsi, la communication est le processus de connaissance et d’ajustement réciproques qui permet la production d’un sens partagé. C’est une patiente construction d’une signification en commun. Ce n’est pas seulement ce que l’on à tendance à résumer aujourd’hui par les médias et les outils de transmission d’informations. Pour concevoir une communication efficace, il faut d’abord s’intéresser aux structures d’interprétation des récepteurs qui ont besoin de trouver du sens aux informations qu’ils reçoivent, au niveau de la logique qui est la leur. Dans l’entreprise, ils doivent trouver une cohérence entre le message institutionnel et celui du management. La complexité du management des hommes tient à la difficulté d’intégrer une immense diversité d’autonomies individuelles dans une communauté humaine sans cesse en recherche d’un sens partagé. Ainsi, l’être humain est apte à se construire lui-même, à se donner ses propres buts. L’imprégnation culturelle conditionne les représentations, les choix et les comportements des salariés qui sont des citoyens d’une société qui conditionne ses comportements. Pour répondre à cette situation complexe, l’entreprise doit devenir un lieu de construction de sens, de finalités partagées, où chacun peut à la fois développer son autonomie personnelle et contribuer au projet collectif. Les collaborateurs doivent donc enrichir leurs contextes d’interprétation, combiner les différents niveaux de compréhension des phénomènes. Dans cette élaboration de représentations porteuses de sens pour l’ensemble de la communauté, chaque instance à ses responsabilités : la direction incarne le sens et est porteuse des valeurs, ambitions des membres. L’encadrement a un rôle de médiateur et d’animateur pour relayer le sens. Les collaborateurs ont un rôle de concrétisation du sens et d’alerte sur les pertes de sens. Dans ce système complexe, il convient de considérer les différences et les conflits comme des innovations à valoriser. L’organisation évolue dans un contexte économique incertain et complexe qui rend la recherche d’un état idéal, fini ou optimal illusoire. Ses acteurs ne sont plus les rouages d’une mécanique programmée mais les nœuds d’un réseau qui développe des capacités d’intelligence réactives. Pour articuler les logiques différentes voire antagonistes de l’entreprise, elle doit adopter une métavision et hiérarchiser les fonctions, pas les hommes. L’entreprise doit passer d’une logique de la conformité à une logique dominante de l’invention. Le système doit à la fois être ouvert sur l’extérieur, autonomes et en permanente évolution pour être en capacité de s’adapter tout en restant lui-même. Cette capacité d’organisation ne peut émerger que si les conditions d’intelligibilité collective sont réunies avec une possibilité pour les membres de donner du sens à leur action. Les nouvelles méthodes d’organisation plus pertinentes en univers complexe existent. L’organisation par projets relève d’une logique d’invention. Le réseau est composé de personnes qui ont un pôle d’intérêt commun qui se relient pour poursuivre ensemble certaines finalités partagées. L’approche de la qualité s’est complexifiée et est devenue une transformation culturelle et managériale profonde. Les outils de gestion se fondent moins sur le coût direct de production mais sur un pilotage de la contribution des activités à la performance globale et au rendement d’ensemble de toutes les ressources pour mesurer la productivité. Le management de la connaissance est porté par les nouvelles technologies afin de produire et utiliser collectivement la connaissance pour générer de la valeur. La stratégie et la conduite du changement ont connu dans les années 1980 une rupture conceptuelle sous la pression de la complexité. La planification stratégique s’est transformée en management puis en réactivité stratégique. L’entreprise est dans un processus global d’adaptation et de réactivité aux évènements qui demande une conscience stratégique partagée et la référence à des buts d’ordre supérieur. La stratégie est une évolution permanente, le changement est continu et guidé par des actions programmées et des innovations orientées vers des finalités partagées. C’est la


conscience stratégique commune qui assure la cohérence des prises d’initiatives. Elle se fonde sur la stratégie de communication conditionnant l’engagement des personnes. L’innovation est le fruit d’un processus complexe et incertain qui se manage au deuxième degré par la création d’une culture de l’innovation. C’est un processus vital pour l’entreprise qui doit s’adapter à son environnement pour ne pas mourir. Elle se joue à trois niveaux. 1) Le niveau des produits et services. 2) Le niveau des technologies et des méthodes. 3) Le niveau des découvertes scientifiques et des évolutions de la pensée. Elle peut être favorisée en organisant le croisement des idées, le décloisonnement des spécialités, l’ouverture sur l’extérieur et la réflexion prospective. Une fois produite, l’idée innovante doit être accompagnée pour trouver sa place et son utilité dans l’environnement. On remarque donc que deux dispositions concourent à la réussite du processus : la capacité à produire des idées nouvelles (climat de mobilité mentale) et celle à les transformer en succès (variété et souplesse des méthodes de management). En conclusion, on peut retenir que le pilotage en situations complexes demande les dispositions d’esprit suivantes. 1) Remontez à la source de vos représentations. Demandez-vous si votre système de représentation est en adéquation avec votre projet. 2) Pilotez par les finalités. Mettez en questions les structures. Centrez-vous sur le projet poursuivi, sur les raisons d’être de l’activité. 3) Pensez et organisez l’entreprise comme un système ouvert, comme un tissu d’interactions. 4) Multipliez les connexions, créez des réseaux d’intelligence. 5) Intégrez l’incertitude dans les processus de pilotage. 6) Développez l’autonomie. Ouvrez des espaces à l’invention. 7) Sachez reconnaître et articuler des logiques différentes. Dépassez les antagonismes en vous référant à des logiques d’ordre supérieur. 8) Donnez du sens, construisez sur la culture. 9) Placez l’homme au centre. Couplez l’individu et le collectif. 10) Détruisez les idoles qui sont dans vos têtes. Renoncez à l’optimum mythique. Ressources complémentaires :  Réseau Intelligence de la Complexité : http://www.intelligence-complexite.org. Il est animé par l’association européenne Modélisation de la Complexité (MCX) et l’Association pour la Pensée Complexe (APC).  Edgar Morin, Introduction à la pensée complexe, Points Essais, 158 pages, 2005.  Edgard Morin, La Méthode : coffret en 2 volumes, Opus, 2462 pages, 2008.  Jean-Louis Le Moigne, Les épistémologies constructives, Que sais-je ?, 128 pages, 2012.  Edgar morin, L’aventure d’une pensée, Sciences Humaines n°spécial mai/juin 2013 : http://www.scienceshumaines.com/edgar-morin-l-aventure-d-une-pensee_fr_497.htm Citation de Pascal (1623 – 1662) : « Toutes choses étant causées et causantes, aidées et aidantes, médiates et immédiates, et toutes s’entretenant par un lien naturel et insensible qui lie les plus éloignées et les plus diverses, je tiens pour impossible de connaître les parties sans connaître le tout, non plus de connaître le tout sans connaître les parties. »


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