/FR_Affordable%20price%20for%20water%202010

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Tout le monde convient que l’eau doit être d’un prix abordable mais personne ne sait ce que cela signifie précisément. Une étude portant sur une centaine de pays montre que l’eau est généralement très chère pour les plus démunis et abordable pour la grande majorité des usagers1. Cette disparité mériterait d’être corrigée car elle porte sur un bien qui, selon la tradition, est offert. Comme proposé par Angel Gurria, Secrétaire Général de l’OCDE : « Measures need to be set in place to ensure affordable access to the poorest to adequate water supply and sanitation ». Dans les faits, d’importants progrès restent à faire pour que les plus démunis aient accès à cette eau potable qui n’est souvent disponible que pour ceux qui peuvent en payer le prix. Toutefois, il faut noter que plus de 50 États développés et en développement ont déjà pris des mesures pour rendre l’eau abordable pour tous et réduire le nombre de personnes « qui n’ont pas les moyens de s’en procurer » comme acté dans la Déclaration du Millénaire. 1. Voir De l’eau à un prix abordable, Paris 2008, 260 p. (disponible sur le site : www.academie-eau.org). Pour tous renseignements complémentaires : ADEDE, henri.smets@smets.com.

1. le prix de l’eau potable Le droit à l’eau porte sur l’accès à l’eau potable et à l’assainissement à un prix abordable. Il ne suffit pas d’avoir la possibilité de s’approvisionner en eau potable, il faut en plus que le prix demandé ne soit pas trop élevé au regard des ressources. L’eau est considérée comme étant d’un prix inabordable s’il faut y consacrer trop de temps ou d’argent de sorte que cela réduise de façon sensible les moyens de chacun d’acquérir d’autres biens et services essentiels. L’enfant qui porte des seaux d’eau ne peut aller à l’école et la mère qui doit payer très cher l’eau de la borne-fontaine ne peut acquérir d’autres biens essentiels. En Europe, les plus pauvres n’arrivent souvent plus à payer leur eau et l’État doit intervenir pour se substituer aux défaillances de paiement. D’un point de vue statistique, le caractère abordable de l’eau est mesuré par le rapport entre le prix payé pour l’eau et l’assainissement et le revenu disponible du ménage concerné (indice d’abordabilité). Pour les ménages médians (défini comme ayant un revenu qui est dépassé par 50 % de la population), ce rapport est généralement de l’ordre de 1 % dans les pays développés et de 2,5 % dans les pays en développement pour des usagers branchés au réseau. Dans tous ces pays, l’eau est considérée comme étant abordable pour les ménages médians. Ces chiffres reflètent la politique nationale de tarification de l’eau et, en particulier, les importantes subventions destinées à alléger la facture d’eau. Pour les ménages pauvres, c.-à-d. ceux qui ont un revenu de 40 % ou moins du revenu des ménages médians, l’indice d’abordabilité est beaucoup plus élevé car la consomma-

tion d’eau varie peu avec le revenu alors que celui-ci est beaucoup plus faible. Dans les pays développés, cet indice est généralement de l’ordre de 2,5 % mais peut atteindre 3,5 % (Fig. 1) alors que dans les pays en développement, il est nettement plus élevé et varie entre 4 et 12 % (Fig. 2). Dans certaines régions d’un pays, l’eau est plus chère et les revenus plus faibles avec pour conséquence que l’indice d’abordabilité des ménages pauvres peut atteindre 15 %. L’eau potable est physiquement « disponible » mais économiquement inaccessible ! Faute de pouvoir se payer une eau saine, il faut consommer de l’eau insalubre. Figure 1

Figure 2

INDICES D’ABORDABILITÉ EN EUROPE

INDICES D’ABORDABILITÉ DES PAYS D’AMÉRIQUE LATINE (CEPLA)

Les valeurs de l’indice sont concentrées autour de 2,5% Nombre de pays européens

10 8

8

6

6

4

4

%

2 0 0

1

2

3

Indice d’abordabilité des ménages pauvres

4

%

2 5

0

4

8

12

Indice d’abordabilité des 20 % les plus pauvres parmi les ménages branchés


Il n’existe pas au niveau international de valeurs reconnues pour caractériser le niveau inabordable du prix de l’eau, mais seulement des « références » comme par exemple :

PNUD OCDE et Commission européenne Banque asiatique de développement

3 % 4 % 5 %

Au niveau national, l’eau est très certainement d’un prix inabordable lorsque les pouvoirs publics se décident à prendre des mesures pour en réduire l’incidence au bénéfice des personnes les plus affectées. En Europe, les pouvoirs publics ont réagi lorsque l’indice d’abordabilité a dépassé 3 % mais d’autres ne s’en préoccupent pas. Dans les pays en développement, les valeurs de l’indice au-delà desquelles une action est prise sont probablement plus élevées. Au cours des dernières années, plusieurs pays ont officiel-

lement adopté des valeurs de l’indice d’abordabilité pour adapter leur politique de tarification de l’eau aux capacités contributives des populations. On notera que l’indice choisi par les états est proche de 4 %. Les objectifs officiels des Etats en matière d’abordabilité de l’eau : de 2 à 6 % du budget du ménage

Lituanie Irlande du Nord Argentine Venezuela Chili États-Unis Indonésie Kenya Mongolie

2 % 3 % 3 % 3 % 3 % 4 % 4 % 5% 6%

2. LA PRATIQUE DES ÉTATS Pour rendre l’eau plus abordable pour les ménages, les États : a) subventionnent l’eau des ménages et réduisent les taxes sur l’eau ; b) allègent la charge de l’eau pour les petits consommateurs (par exemple, en augmentant le prix payé par les gros consommateurs et par les usagers non domestiques) ; c) soutiennent des programmes d’amélioration de l’efficacité économique du secteur de l’eau et de réduction de la consommation d’eau des ménages (lutte contre le gaspillage). Certains États ont pris en plus des mesures d’assistance sociale (par exemple, augmenter l’aide au logement) et des mesures spécifiques pour rendre l’eau potable plus abordable pour les ménages démunis : a) assistance pour réparer les fuites et réduire les consommations inutiles ; b) assistance pour aider l’usager à faire appel aux diverses aides sociales disponibles et être ainsi mieux en mesure de payer les diverses consommations dont l’eau ; c) création de tarifs réduits pour l’eau au bénéfice des ménages démunis (tarif social) et/ou fourniture d’aides ciblées d’effet équivalent. De telles mesures ont été prises par plus de 50 États dont au moins 14 pays industrialisés (voir ci-contre) sans que l’on fasse toujours beaucoup de publicité.

PAYS AYANT MIS EN ŒUVRE DES TARIFS SOCIAUX POUR L’EAU

Aide pour l’eau au bénéfice de catégories de personnes en situation de précarité.

Europe Amérique Autres Belgique Argentine Afrique du Sud Bulgarie Bolivie Australie Brésil Cap Vert Espagne Chili Chine France Colombie Corée du Sud Grèce Hongrie Costa Rica Gabon Italie États-Unis Inde Lituanie Guatemala Indonésie Luxembourg Mexique Japon Nicaragua Kenya Malte Panama Maroc Pays-Bas Paraguay Mongolie Pologne Pérou Pakistan Portugal Royaume-Uni Saint Kitts Singapour Russie El Salvador Sri Lanka Turquie Uruguay Tunisie Ukraine Venezuela

3. ADAPTER LE PRIX DE L’EAU AUX CAPACITÉS DES PLUS PAUVRES La pérennité des services de l’eau exige qu’ils soient en équilibre financier compte tenu des subventions. L’objectif des Etats est que chacun ait accès à l’eau potable, pas que chacun paye le même prix pour le m3 d’eau potable comme s’il s’agissait d’une marchandise quelconque. Une modalité pour faciliter l’accès à l’eau serait la fourniture d’un quota d’eau gratuit ou à prix réduit par ménage ou par personne. Dans le cas des bornes-fontaines gratuites, l’accès à l’eau potable pour tous est assuré mais il faut porter l’eau. Dans le cas de l’eau de réseau, l’effet de ce type de mesure sur les plus démunis dépend de la manière dont sont financées les consommations au-delà du quota, notamment lorsque plusieurs familles partagent le même compteur. Une autre approche consiste à n’offrir un tarif réduit ou des aides qu’aux personnes démunies pour les aider à payer

leurs factures d’eau dans la limite d’un certain volume. Cette approche limitée à un certain volume d’eau implique de déterminer quels sont les bénéficiaires et qui en financera le coût. L’identification des bénéficiaires est plus facile dans les pays distribuant des avantages « sociaux ». Lorsque les informations sur le revenu des ménages manquent, on peut se baser sur des critères plus simples comme le type d’habitat, le quartier, pour pouvoir consentir des tarifs particuliers. De même, on peut créer des tarifs favorables pour les usagers des bornes-fontaines et éviter de leur vendre l’eau à un prix très supérieur à celui du tarif minimal pour des personnes raccordées. Si la proportion des personnes démunies est importante, il est préférable de réduire le prix de l’eau pour tous par des subventions et d’augmenter les impôts.


Coût des mesures pour rendre l’eau plus abordable Le coût des mesures sociales varie avec le nombre de bénéficiaires. Selon les renseignements obtenus dans les différents pays, ce coût est généralement très faible. En effet, si 15 % de la population reçoit une aide de l’ordre de 30 % de la facture moyenne, l’aide attribuée aux plus démunis représente 4,5 % du prix total de l’eau. Comme l’aide concerne en général, moins de personnes, elle est moins coûteuse à financer.

La mise en place des mesures sociales ne signifie pas nécessairement une augmentation du prix de l’eau pour les usagers domestiques. En effet, le financement de l’aide pour les plus démunis peut correspondre à la suppression des avantages indus de certaines institutions ou personnes « protégées » (factures impayées, tarifs préférentiels, privilèges, etc.). Il est également possible d’augmenter la part des subventions croisées, de réduire les taxes sur l’eau, voire même de financer les mesures sociales avec la réduction de prix obtenue lors de la renégociation d’un contrat de délégation.

Tableau 1

TARIF SOCIAL ET AIDE CIBLÉE DES MéNAGES DéMUNIS Comment ?

qui paye ?

L’aide apportée aux ménages peut prendre la forme d’une aide à la personne (par exemple, versement d’un chèque, d’un bon d’eau) ou d’une réduction tarifaire (rabais sur la facture). S’il n’y a pas de compteurs individuels, il est possible de distribuer la contre-valeur d’un quota d’eau. Le financement des aides pour l’eau des personnes démunies peut être assuré par les pouvoirs publics au niveau central, départemental ou municipal au titre des politiques sociales (subventions à charge des contribuables), mais peut aussi être assuré par les usagers dans le cadre des politiques de solidarité (subventions croisées à charge des gros usagers ou des entreprises). Il prend parfois la forme d’une action conjointe des distributeurs (usagers) et des pouvoirs publics (contribuables) qui financent un fonds social pour l’eau ou des réductions de dettes. Le tableau ci-contre montre la diversité des solutions possibles.

Réduction des tarifs

Aide à la personne

Usagers

Royaume-Uni Australie

Afrique du Sud Begique (Wal.)

Usagers et contribuables

Colombie Panama

France FSL Mexique

Contribuables Pologne Chili

Estonie Lituanie

4. QUELQUES EXEMPLES DE mesures SOCIALes Plus de 50 États ont déjà choisi de mettre en place des tarifs sociaux ou des mesures équivalentes. Les exemples qui suivent concernnent des pays où l’eau est plutôt chère et où une aide pour payer la consommation d’eau peut se justifier. . En Belgique les usagers de la Région Wallonne financent un fonds social de l’eau au moyen d’une taxe sur la consommation d’eau de 1,25 c€/m3. Ce fonds est réparti entre tous les centres municipaux d’aide sociale qui redistribuent cette aide aux ménages en difficulté de paiement avec leurs factures d’eau (140 €/an en moyenne). 0,50 % des abonnés en bénéficient. En France, un système similaire (FSL) est cofinancé par les pouvoirs publics et les

Figure 3

INDICES D’ABORDABILITÉ EN COLOMBIE. EFFETS DE LA RéDUCTION TARIFAIRE SUR LES DÉPENSES DES MÉNAGES

Indice d’abordabilité de l’eau

14 12 10 8

Valeur moyenne de l’indice pour chaque décile de revenu

Sans aide

6

Avec aide

4 2 0

1

2

3

4

5

6

Décile de revenus

distributeurs privés mais le nombre de bénéficiaires est moins élevé (0,25 % des abonnés). . Au Chili les personnes ayant de faibles revenus d’après leur municipalité (16,6 %) ont droit à la prise en charge partielle ou totale par l’État de leur consommation d’eau limitée à 15 m3 par mois. Les municipalités versent aux distributeurs l’aide à laquelle les usagers démunis ont droit (9 $ /ménage/an en moyenne). Ces aides représentent globalement 5,9 % du chiffre d’affaires. . En Colombie les usagers pauvres identifiés par leurs quartiers ou logements bénéficient d’une réduction tarifaire alors que les usagers aisés et les entreprises payent un prix plus élevé pour l’eau (subventions croisées). En outre, l’État verse une subvention d’équilibre. La Figure 3 fait apparaître que les personnes du premier décile de revenu (les 10 % les plus pauvres) qui auraient dû payer 14,7 % de leurs revenus pour l’eau ne payent que 9,5 % grâce au tarif social. Ce chiffre est encore assez élevé puisque les autres personnes payent 3,7 % ou moins . En Afrique du Sud un quota d’eau gratuit de 6 kl par mois (200 litres/jour) est attribué à tous les ménages. Ce quota a été jugé insuffisant par un Tribunal de Johannesburg. En pratique, à Soweto, 45 % de la population ne paye rien et 55 %, 5 € /mois pour l’eau. Par ailleurs, les indigents reçoivent un quota gratuit supplémentaire de 4 kl/mois. . Au Kenya le Plan officiel prévoit que le prix de l’eau vendue au kiosque doit être inférieur au double du prix de base (tarif de la première tranche). . Aux États-Unis les aides pour l’eau varient d’une ville à l’autre. à San Antonio (Texas), un ménage très pauvre peut recevoir 8,80 $ par mois pour payer l’eau. . En Hongrie 5,6 % des usagers bénéficient d’une réduction de 20 % sur leurs factures d’eau. Le coût de la mesure est pris en charge par le distributeur et la municipalité.


. Au Brésil (Porto Alegre) La tarification de l’eau est progressive et, en outre, les usagers démunis (65 650) bénéficient d’une réduction de 60 % s’ils consomment moins de 10 m3/mois. . En Uruguay les personnes âgées démunies consommant moins de 10 m3/mois bénéficient des services d’eau et d’assainissement à titre gratuit.

5. CONCLUSIONS L’augmentation continue du prix de l’eau rend nécessaire d’évaluer si le prix de l’eau reste abordable pour les plus démunis. La proportion de personnes concernées est très supérieure dans les pays en développement mais le problème existe néanmoins dans les pays développés où il est plus facile à résoudre.

. Au Panama, (Panama), Venezuela (Merida) et Nicaragua (Managua), les tarifs de l’eau dans les bidonviles sont plus faibles. . Au Gabon (Libreville), 10 000 abonnés sur 100 000 bénéficient d’un tarif réduit de 50 % s’ils consomment moins de 15 m3/mois et les bornes fontaines sont en accès gratuit. . Au Niger Les personnes titulaires d’une carte d’indigent ont droit à 6 m3 d’eau gratuite par mois.

le, Pour que l’eau soit d’un prix abordab : it dra il convien doit m  d’inscrire dans la loi le principe selon lequel l’eau ; tous être d’un prix abordable pour diverses m  d’évaluer l’indice d’abordabilité pour les ns et régio ses diver les dans té socié la de tes composan ; d’identifier les cas d’eau inabordable mesures m  de mettre en place des tarifs sociaux et des nis. dému plus des re factu la r allége équivalentes pour

PRIX INABORDABLE L’eau est d’un prix abordable en France pour presque tous mais certains ménages démunis doivent consacrer plus de 3,5 % de leur revenu pour payer leur eau. Cette valeur de l’indice d’abordabilité correspond aux indices utilisés dans les autres pays d’Europe, aux valeurs maximales de l’indice en vigueur en Irlande du Nord et aux États-Unis et aux références proposées par les organisations internationales. Elle correspond au seuil d’intervention des organismes français de solidarité (FSL) lorsqu’ils viennent en aide aux usagers endettés pour payer leur eau ; elle est associée au prix maximum que payent pour l’eau 95 % de la population. Vu la loi sur l’eau : « chaque personne [...] a le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous », les pouvoirs publics devraient intervenir lorsque l’eau est « trop chère ». A titre d’exemple, pour ne dépasser l’indice d’abordabilité de 3,5 %, les titulaires du RMI (revenu de 806 €/mois pour un couple et un enfant) devraient recevoir 12 €/mois d’aide si l’eau (120 m3/an) coûte plus de 4 €/m3.

La Coalition Eau est un groupement de 25 ONG mobilisées en France et à l’international pour l’accès de tous à l’eau et l’assainissement. Membres : Acad, Action Contre la Faim, Adede, Avsf, CCFD, CRID, 4D, East, Eau Vive, Enda, Green Cross France, Gred, Gret, Helen Keller International, Hydraulique Sans Frontières, Ingénieurs Sans Frontières, Initiative Développement, les Amis de la Terre, Réseau Foi et Justice Afrique Europe, Secours Catholique, Sherpa, Solidarité Eau Europe, Toilettes du Monde, Triangle Génération Humanitaire, WWF. www.coalition-eau.org m coordination@coalition-eau.org


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