Presse Geluck 2014 -10 arts magazine (pp74-77)

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portrait

Philippe Geluck, l’iconoclaste

Pollock, Mondrian, Munch… Les grands artistes y passent les uns après les autres. Sous le pinceau de Philippe Geluck, qui souligne au passage les mécanismes du marché de l’art, ils sont moqués gentiment par « Le Chat ». Avec ses toiles et sculptures, Geluck s’immisce avec succès dans un milieu où rire est mal vu. Portrait du père du matou pince-sans-rire, à l’occasion d’une nouvelle exposition à Paris, à la galerie Huberty & Breyne. Pascaline Vallée texte

Merci Viktor, 2014. Philippe Geluck, dans son atelier.

S’il est bien un adjectif qui s’applique à Philippe Geluck, c’est celui d’iconoclaste. Au sens courant du terme, ce créateur défie les traditions. Avec une grande « gourmandise », comme il le dit lui-même, il navigue depuis plus de trente ans entre illustration et toiles ou sculptures, entre théâtre et chroniques humoristiques. De cet homme aux multiples facettes, on en connaît forcément au moins une : dessins publiés dans les journaux, albums, affiches publicitaires, émission télé Lollipop

en Belgique, présence chez Laurent Ruquier ou Michel Drucker à la télévision française… Depuis 1983, date de naissance du Chat dans le quotidien belge Le Soir, l’animal a envahi la vie de Philippe Geluck, prenant le pas sur ses aquarelles à l’humour noir, influencées par Topor ou Folon. Mais l’artiste reste iconoclaste, au sens cette fois étymologique du terme, et continue à démonter les principes religieux ou idéologiques, grâce à son arme à lui, l’humour.


À voir Exposition

du 17 octobre au 29 novembre

Si, aujourd’hui, le personnage avoue en couverture de son tome 19, Le Chat passe à table, qu’il « ne respecte rien », le temps de la repentance n’est pas venu pour autant. L’art croqué Dernière cible en date, le monde de l’art. Aux récentes Brafa de Bruxelles, Art Paris et Drawing Now Paris, les toiles et dessins de Philippe Geluck évoquaient Pollock, Mondrian ou Matisse, et plus largement, l’art et son marché. Cette apparente nouveauté vient pourtant de loin, Philippe Geluck ayant côtoyé le milieu de l’art avant celui de la bande dessinée. À 18 ans, alors qu’il participe à une exposition au Palais des Beaux-Arts

de Bruxelles, ses dessins sont repérés par la galerie Maya, qui représente alors Pierre Alechinsky ou Henri Michaux. « Trois ans plus tard, j’ai monté une exposition personnelle à la galerie, raconte-t-il. Cela m’a permis de réaliser ma première très grande œuvre, de 4 mètres sur 2, et des toiles sur châssis. J’ai trouvé ça passionnant de passer du dessin en petit format sur ma table à une gestuelle beaucoup plus large et de monter sur des murs. » Depuis, il a conquis non seulement les murs mais aussi les poches de jean, les cuisines et les chambres, en créant toute une gamme d’objets en parallèle de ses albums et illustrations. Le jeu des formats semble infini, comme le montre Ready Made

HUBERTY & BREYNE GALLERY, Paris

91, rue Saint-Honoré, 1er. 11h-19h (sf dim., lun. et mar.). Gratuit. Tél. : 01 40 28 04 71. www.petitspapiers.be

à lire Le Chat passe à table

sortie le 8 octobre « Le Chat » tome 19, éd. Casterman, coffret contenant deux albums de 96 pages et « La Gazette du Chat », 17,95 €.


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portrait • Philippe Geluck

Fumier de Pollock, 2011, acrylique sur toile, 1x1m. Mêle-pêle, 2014.

« Une des pires malédictions qui puisse frapper un créateur, c’est de commencer à se prendre pour lui-même. »

Yourself, une œuvre exposée en 2008 à la galerie Lansberg, à Paris. Elle est composée de deux toiles, l’une représentant le Chat et l’autre une bulle dans laquelle on peut lire : « Avec un système pareil, le jour où on veut me faire dire autre chose, il n’y a qu’un tableau à changer. » Sérieux mais pas trop Même si « Le Chat » est devenu une petite entreprise, Philippe Geluck s’attache à rester avant tout un inventeur. « Une des pires malédictions qui puisse frapper un créateur, c’est de commencer à se prendre pour lui-même. » Un travers trop présent selon lui dans le milieu artistique. « Je voudrais lancer un mouvement, celui des peintres rigolos. La peinture n’est pas très drôle, on peut le constater à travers

toute son histoire. Même les représentations humaines sont souvent tragiques, empruntées, pesantes. » Lui préfère un Duchamp ou un Magritte à tous les grands maîtres classiques. « Duchamp ne se prenait pas au sérieux, Broodthaers non plus. Ce sont des poètes, des rigolos. Et ils sont parvenus à prendre les pisse-froid à leur propre piège. Quand on peut tout à coup faire délirer les marchés de l’art avec un ready-made ou une œuvre qui est juste une arnaque, c’est formidable ! Duchamp ne le faisait pas pour que ça se vende des millions. C’est une belle claque philosophique à tout ce monde-là. » Ne pas se prendre trop au sérieux, mais maîtriser son sujet. L’humour de Philippe Geluck repose sur des connaissances et une admiration véritables. Un sentiment qu’il nomme la « jalousie positive » le pousse « à

tenter d’autres choses », à mettre à sa sauce le savoir tiré de ceux qu’il estime, comme le peintre américain Jackson Pollock, dont le dripping apparaît souvent sous son pinceau. « J’ai réussi mon coup quand je parle d’un artiste que je connais, que mon dessin fait rire à plusieurs niveaux, qu’il est un peu foutage de gueule et que c’est quand même joli à regarder. Il faut beaucoup de qualités conjointes, mais de temps en temps cela fonctionne. » Autrement dit, il faut trouver l’équilibre entre la moquerie et l’hommage. « Je ne crois pas que je puisse m’inspirer d’artistes que je n’admire pas. » Et l’art contemporain ? « Je rends hommage à Alechinsky, Soulages, qui sont dans mon panthéon. Pour les autres, attendons qu’ils soient réellement inscrits dans l’histoire de l’art. » Qui aime bien « Chatit » bien.


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Philippe Geluck • portrait

repères

1954

Naît à Bruxelles. 1972

Participe à l’exposition « La Vénus de Milo ou les dangers de la célébrité », au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles.

1983

« Le Chat » naît dans les pages du Soir.

2003

Pour ses 20 ans, « Le Chat s’expose » à l’École nationale des beaux-arts de Paris, puis à Bruxelles, Bordeaux et Rennes

2014

Participe pour la première fois à des foires par l’intermédiaire de la galerie Huberty & Breyne (Brafa, Art Paris Art Fair et Drawing Now Paris).

Merci Soulages, 2014. Travailler moins pour gagner moins, 2014. J’achète, 2013, acrylique sur toile, 1,3x1,3m.


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