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Dossier de presse
CH. La Suisse en kit Suisse : who’s who, what’s what… le diagnostic complet!
Parution 23 novembre 2012.
Contenu • Argumentaire de présentation • Communiqué de presse • Note sur l’auteur • Le point de vue de l’éditeur • Extrait : «Jean-Jacques Rousseau ou les caprices de Narcisse »
EDITIONS XENIA SA | RONQUOZ 86 CH-1951 SION |TEL. +41 27 327 52 67 | FAX +41 27 327 72 44 | INFO@EDITIONS-XENIA.COM
Humour
Nouveauté novembre 2012
Sergio Belluz CH. La Suisse en kit Suissidez-vous!
CH, c'est bien sûr Confederatio Helvetica, mais c’est aussi Chroniques Helvétiennes, mais c’est encore Compendium Helvétique, mais c’est surtout Comédie Humaine, le résultat d’années de questionnements, de désirs de fuite, d’envies de retour. Davantage qu’un « dictionnaire amoureux », voici l’encyclopédie grinçante et hilarante de tout ce qui fait la spécificité suisse. A la fois recueil biographique, anthologie, chronique, who’s who, dictionnaire et vade-mecum, le présent ouvrage est le fruit d’une longue enquête de terrain et d’une fréquentation assidue des personnalités, des œuvres et des faits pris en ligne de compte. Avec une prose virtuose et espiègle, l’auteur y croque des personnages phares de la culture et de l’histoire suisse (Rousseau, Mme de Staël, Heidi, Blaise Cendrars, Oin-Oin, Jean Ziegler, Betty Bossi, Mme Stirnimaa, Zouc ou Jean-Luc Godard). Et l’on découvre le « kit » drôle, mais perspicace, des êtres, des concepts et des lieux communs qui font de la Suisse cette exception permanente. Avec les participations involontaires de Guillaume Tell, les Habsbourg, Calvin, le Dr Tissot, Lavater, Napoléon, Pestalozzi, Rodolphe Töpffer, Jeremias Gotthelf, Amiel, Alexandre Vinet, le général Dufour, Alfred Escher, Charles Secrétan, Isabelle Eberhardt, Bakounine, Ferdinand de Saussure, Le Corbusier, Edouard Rod, Carl Jung, Gustave Doret, Tristan Tzara, Dziga Vertov, Stravinsky, Ernest Ansermet, Georges Pitoëff, Ursula Andress, Marcel Ospel, Micheline Calmy-Rey, Michel Thévoz., Oskar Freysinger, Pipilotti Rist, Roger Federer, Mix & Remix et de bien d’autres encore. Licencié ès Lettres, chanteur, traducteur, journaliste, professeur de français en Russie, rédacteur en chef d’un magazine hispanique, documentaliste, fils d’immigré et fou de langue française, Sergio Belluz œuvre depuis plus de dix ans à ce portrait sans égal de la civilisation suisse.
COUVERTURE EN PREPARATION
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Suisse : who’s who, what’s what — bref, le diagnostic complet! EN EXERGUE
Chemin faisant, on y évoque en vrac les abris antiatomiques, le français fédéral, les Birkenstocks, le Messager Boiteux, le boudin jurassien à la crème, les cigares Villiger, le pasteur, le curé, l’armée secrète P-26, les croûtes au fromage, les bains du Marzili, le droit de vote des femmes, le dahu, le métro de Lausanne, les carnets Jeunesse et Sport, les fers à repasser Jura, l’histoire des fiches, les clés de chambre à lessive, le secret bancaire, les meubles Pfister, le foehn, la marine suisse…
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PARUTION
suisse littérature humour encyclopédie anthologie
FRANCE 23 novembre 2012 SUISSE 15 novembre 2012
Encyclopédie Humour ISBN 978-2-88892-146-2 16x22,6 cm., 384 p. EUR 26 | CHF 39.Dilicom : 2360 - Humour
EDITIONS XENIA SA | CP 429, CH-1951 Sion | T +41 27 327 52 67 F +41 27 327 52 66 info@editions-xenia.com | www.editions-xenia.com | skype : xeniabooks Diffusion SUISSE : Office du Livre | FRANCE : CED/Distribution Les Belles Lettres www.editions-xenia.com | page 2
Communiqué de presse Parution : CH. La Suisse en kit Sion, le 30 octobre 2012. Scoop : la Suisse et la Belgique sont en réalité deux pays distincts, malgré l’asile fiscal et le chocolat proposés par l’un et l’autre. CH. La Suisse en kit de Sergio Belluz permet de clairement différencier les deux en explorant les mystères de l’âme helvétique afin que chacun puisse se suissider sans devenir belge par inadvertance. Apparemment sans histoire et insolente de prospérité au centre d’une Europe en pleine débandade, la Suisse fait partout des envieux qui cherchent à tout prix la meilleure manière de se suissider pour résoudre leurs problèmes. Comment faire pour devenir suisse, riche et tranquille ? Si l’identité suisse existe, peut-on l’acquérir ou est-ce une tare purement génétique ? Dans CH. La Suisse en kit, Sergio Belluz étudie le phénomène sous toutes ses coutures à travers la vie et les œuvres de ses plus illustres indigènes et dans des extraits de textes surprenants et totalement inédits où ils se lâchent enfin sur leur pays. Histoire, religion, économie, politique, médias, émigration, immigration, pédagogie, traditions, langues, sexualité, féminisme, gastronomie, humour, peinture, musique, cinéma, théâtre, littérature, tout y passe, chacun amène son grain de sel et surtout son grain de folie. Un dictionnaire et un index général viennent compléter le portrait hilarant d’un pays beaucoup trop sérieux pour être honnête. Avec une prose virtuose et espiègle, l’auteur y croque des personnages phares de la culture et de l’histoire suisse (Rousseau, Mme de Staël, Heidi, Blaise Cendrars, Jacques Chessez, Oin-Oin, Jean Ziegler, Betty Bossi, Mme Stirnimaa, Zouc ou Jean-Luc Godard). Au fil des pastiches sont évoqués en vrac les abris antiatomiques, le français fédéral, les Birkenstocks, le Messager Boiteux, le boudin jurassien à la crème, les cigares Villiger, le pasteur, le curé, l’armée secrète P-26, les croûtes au fromage, les bains du Marzili, le droit de vote des femmes, le dahu, le métro de Lausanne, les carnets Jeunesse et Sport, les fers à repasser Jura, l’histoire des fiches, les clés de chambre à lessive, le secret bancaire, les meubles Pfister, le foehn, la marine suisse… Et l’on découvre ainsi le « kit » drôle, mais perspicace, des êtres, des concepts et des lieux communs qui font de la Suisse cette exception permanente. Littérature| Suisse | ISBN 978-2-88892-146-2 | 16x22,6 cm.,380p., CHF 39 | EUR 26 www.editions-xenia.com/livres/ch/ Informations et service de presse : Joëlle Légeret, éditions Xenia, joelle@editions-xenia.com
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Sergio Belluz, repères Né à Lausanne, Sergio Belluz a vécu dans différents pays (Italie, Grèce, Etats-Unis, Australie, Colombie, France, Russie, Espagne). Amoureux des langues, qui sont autant de visions de la réalité, d’univers culturels et sonores, il a été interprète-traducteur, professeur, documentaliste, rédacteur en chef du magazine culturel hispanique Mapalé. Passionné par la musique des mots et par les mots de la musique, il explore les techniques d’écriture non romanesques (essai, chronique, reportage, journal intime, récit de voyage, biographie, pastiche, conte, fable, théâtre, scénario ou chanson). Comme comédien, chanteur soliste et coach musical, il a écrit, créé ou participé à des spectacles mêlant musique et littérature (Mendelssohn et ses contemporains, opérette française et jeux de langue, Stravinsky et Ramuz, Britten et le Nô japonais, Berio et Sanguineti, Satie et les didascalies, Paris/Saint-Pétersbourg 1900). 1961
Naissance à Lausanne, de père italien et de mère suissesse
1979
High School Degree à Chicago
1990
Master en français, anglais et espagnol à l’Université de Lausanne
1992-2001
Documentaliste presse Alliance Sud/agence de presse InfoSud
1993
Virtuosité en chant classique à l’Institut de Ribeaupierre à Lausanne, expert : Hugues Cuénod
1994
Récitals Mendelssohn et ses contemporains (Kiev et Kharkov) et Ramuz sur des compositions d’Ernest Ansermet, Jean Binet et Igor Stravinsky, mise en espace Denis Maillefer (Octogone, Pully)
1996
Ecriture, interprétation et mise en scène du spectacle Toâ et Moâ autour de l’opérette et des jeux de langues (Lausanne, Vevey)
1996-1997
Rôle du Voyageur dans l’opéra Curlew River de Benjamin Britten, inspiré d’un classique du Nô japonais, direction Florence Grivat-Favre (Festival de la Cité, Lausanne/Festival de Cuenca, Espagne)
1997-2000
Participation à l’oratorio contemporain Laborintus II, de Luciano Berio, textes d’Edoardo Sanguineti, Ensemble Contrechamps, direction Giorgio Bernasconi (Genève, Zurich, Lugano, Bellinzone, Milan, Parme)
2001-2002
Content Manager auprès d’Edipresse Suisse, Lausanne
2002
Professeur de français à l’Université privée Gaudeamus à Moscou
2003-2005
Co-fondateur, rédacteur en chef et correspondant en Europe du magazine culturel hispanique Mapalé, interviews (Omar Porras, Alberto Manguel), articles de fond sur l’apport culturel latino-américain à la culture européenne.
2004-2005
Cours d’écriture de scénarios et de réalisation (Barcelone), atelier d’écriture avec Mathias Enard (Barcelone)
2005
Cours postgrade d’édition globale en espagnol (Barcelone)
2006-2007
Documentaliste presse auprès de DowJones (Barcelone) et de Médecins Sans Frontières (MSF) Genève
2008-2011
Traducteur-rewriter free lance Barcelone-Zurich
2011
Récitals Satie-didascalies et Paris/Saint-Petersbourg 1900, (Utrecht, Kiev, Odessa)
2012
Collaborateur de la Bibliothèque Sonore Romande pour aveugles et malvoyants à Lausanne. www.editions-xenia.com | page 4
Le point de vue de l’éditeur Qu’est-ce que la Suisse? Tout le monde se le demande. Les Suisses d’abord et bien entendu: ils ne pensent qu’à ça. Les étrangers, que la Suisse irrite, surtout parce qu’ils n’y sont pas. Et puis les immigrés, comme Sergio Belluz, à la fois «outsiders» et «insiders», qui se prennent à chérir et défendre cette auberge acariâtre qui en est pleine à craquer — d’immigrés — tout en maugréant sans cesse qu’elle ne veut pas d’eux! La Suisse, c’est une contradiction permanente. C’est exigu et surpeuplé, et pourtant plein de nature sauvage. C’est pingre et généreux: elle incarne à la fois la banque et l’esprit humanitaire. C’est souverain et pourtant très collabo, c’est fier et pourtant très servile, c’est calculateur et quelquefois totalement déraisonnable... C’est pas une nation — du moins selon Ramuz —, c’est une petite Europe atomisée en 26 micro-Etats jaloux de leurs prérogatives. Et pourtant, qu’elle parle romanche, français, allemand ou italien — voire anglais — la Suisse a quelque chose d’unique qui ne ressemble à rien au monde. Depuis dix ans, Sergio Belluz s’emploie à collecter, échantillonner et transcrire cette saveur unique de l’Helvétie dont les Helvètes eux-mêmes aimeraient parfois se débarrasser. Son livre, CH. La Suisse en kit, pourrait ressembler à un dictionnaire amoureux. Mais si c’en était un, on l’aurait su. Il paraîtrait aux éditions Plon. Non, CH, c’est bien plus concerté, plus sournois que ça. C’est une opération cohérente qui ressemble à la synthèse d’une molécule, à une sublimation d’essences visant à restituer un parfum rare. Car Sergio Belluz s’est si bien identifié à son sujet d’étude qu’il est devenu une Suisse à lui tout seul. Dans son théâtre de marionnettes, il fait défiler les figures les plus pittoresques de la comédie helvétique (CH) et il les fait parler avec des accents plus walsériens que du Walser, plus chessexiens que du Chessex, plus Zouquiens que du Zouc, plus bettybossiens que du Betty Bossi. Je vous recommande en passant sa recette exclusive du “Melting-pot à la suisse” selon Betty Bossi qui commence ainsi: “Le melting-pot à la suisse obtient une saveur si neutre grâce à ses éléments importés au compte-gouttes et impitoyablement pasteurisés. Durée de préparation: plus ou moins 3000 ans. Nombre de personnes: environ 7 millions et demi.” Ou alors, reportez-vous à sa nouvelle version de l’hymne helvétique pour comprendre à quel point il faut connaître et aimer un pays pour oser lui faire ÇA! De plus, Sergio Belluz est un philologue scrupuleux. Il nous offre en sus un utile glossaire des helvétismes, aussi personnel que le fameux dictionnaire de la langue anglaise de M. Samuel Johnson, d’une partialité légendaire — ce qui n’a pas empêché les Anglais de s’en servir avec délices pendant deux siècles. Enfin, notre explorateur propose une bibliographie et sitographie compacte, mais extrêmement bien pensée, qui permet d’approfondir les différents sujets bien plus efficacement que la plupart des séminaires obscurs et colloques universitaires fumeux que ce pays finance à son détriment. Le tout est complété, on s’en doute, par un index des noms et des thèmes plus minutieux qu’un mouvement d’horlogerie jurassien. Si tout cela ne vous suffit pas à vous suissider une fois pour toutes, c’est que le mieux, comme l’on aime à dire chez les Helvètes, est décidément l’ennemi du bien. Slobodan Despot, le 5 novembre 2012.
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Table des matières
Avant-propos
9
Prologue
15 WHO’S WHO
Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) ou les caprices de Narcisse Les rêveries du consommateur solidaire
31 36
Madame de Staël (1766-1817) ou la femme aux pouvoirs Micheline ou l’Helvétie
41 49
Gottfried Keller (1819-1890) ou la vie en rosse Roméo et Roméo au village
55 60
Johanna Spyri (1827-1901) ou sur nos sermons quand le soleil Hardie
65 71
Robert Walser (1878-1956) ou le péripatéticien et les microgrammes 77 La Promenade en ville 81 Blaise Cendrars (1887-1961) ou Tchaux Berthe L’Or de la Banque nationale suisse
87 92
Charles Ferdinand Ramuz (1878-1947) ou la patrie en robe des champs Le Grand beur dans la montagne
97 100
Jean Villard Gilles (1895-1982) ou les vaudoiseries de Scapin Euro
105 109
Friedrich Glauser (1896-1938) ou détectives et compagnies Le Règne des gradés
113 118
Charles-Albert Cingria (1883-1954) ou la morale en Berne La Reine Berne
123 128
Ella Maillart (1903-1997) ou Helvétiens sans frontières La Voie nouvelle : deux femmes, une Smart vers la Suisse allemande
131 144
Betty Bossi (1956-) ou la recette du bonheur suisse Le Melting Pot à la suisse (recette)
149 157
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Oin-Oin (1960-) ou à la va-witz comme je te poutze Oin-Oin : à la va-witz comme je te poutze
159 162
Max Frisch (1911-1991) ou pièces d’identité Andouilla
167 178
Friedrich Dürrenmatt (1921-1990) ou les planches à dessein La Retraite de la vieille dame
185 193
Nicolas Bouvier (1929-1998) ou un globe trop tard L’Usage alternatif du monde
201 208
Jean-Luc Godard (1930-) ou un Godard, des Godot La Méprise
215 220
Jean Ziegler (1934-) ou le vilain petit rapporteur Une Suisse sans soupçons sur ses sous
223 228
Zouc (1950-) ou jurassique parque Un Téléphone
233 238
Jacques Chessex (1934-2009) ou le Goncourt de circonstances L’Orgue
245 248
Fritz Zorn (1944-1976) ou la rage dedans Merkur
253 256
Peter Bichsel (1935-) ou la croix et la barrière La Suisse du non-Suisse
261 263
Roland Jaccard (1941-) ou art cynique et jouvencelles Dictionnaire du parfait suissique
267 269
Hugo Lœtscher (1929-2009) ou les méchants tours de Babel Si Dieu parlait suisse
277 279
Milena Moser (1963-) ou l’office prodigue La Ville des hommes de méninges
287 289
Épilogue
295
Hymne national suisse
298 WHAT’S WHAT
Vocabulaire de base
303
Bibliographie et références
335
Annexes
359
Index général
365
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Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) ou
les caprices de narcisse
À
chaque grand homme sa devise : Je sais que je ne sais rien (Socrate), Et pourtant, elle tourne (Galilée), To be or not to be (Shakespeare), Je pense donc je suis (Descartes), Cultivons notre jardin (Voltaire), Dieu est mort (Nietzsche) ou Be aware (Jean-Claude Van Damme). Celle de Jean-Jacques Rousseau a été toute sa vie Faites ce que je dis, pas ce que je fais. Protestant converti au catholicisme à l’adolescence, il revient au protestantisme à la quarantaine, alors même qu’il inclut La Profession de foi du Vicaire Savoyard dans son Émile (1762), un traité sur le développement de l’enfant qui non seulement n’aborde pas celui des filles, mais ne s’appuie en plus sur aucune expérience, Rousseau ayant mis tous ses rejetons en adoption. Réfractaire au progrès dans les sciences et dans les arts, qui corrompent la bonté naturelle de l’homme, il propose de révolutionner la manière de composer la musique. Il fustige le théâtre, immoral selon lui, mais écrit pour la scène, notamment un opéra, Le Devin de village, et une comédie, Narcisse ou l’amant de lui-même. Il garde une grande tendresse pour Alzire, pièce de Voltaire, dont il a aimé avec passion le théâtre, La Henriade et Les Lettres Philosophiques, mais déteste Voltaire toute sa vie et même au-delà, puisque, décédé le 2 juillet 1778 à Ermenonville, un mois après son ennemi, il a la malchance de le rejoindre plus tard au Panthéon pour l’éternité. De nos jours, une telle schizophrénie maniaco-dépressive à tendance paranoïaque l’aurait vite classé dans les cyclothymiques bipolaires borderline, ou pire, dans les ronchons soupe au lait. Jean-Jacques Rousseau n’est ni Français, ni Suisse, mais bien Citoyen de Genève, né en 1712 alors que la République indépendante de Genève, créée en 1541, prospère entre France et Confédération suisse. Rousseau ne devient suisse qu’à titre posthume, car Genève, accessoirement Rome
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protestante, n’accepte de rejoindre la Confédération, après plus de deux cent cinquante ans d’indépendance, que parce qu’en 1798, vingt ans après la mort de Jean-Jacques, elle a été annexée par la France de la Révolution et a été désignée comme chef-lieu d’un vague département du Léman. À la chute de Napoléon, elle préfère devenir, en 1815, République et Canton de Genève au sein de la Confédération suisse, qui respecte son indépendance et est favorable au protestantisme, plutôt que de finir en sous-préfecture protestante dans une France à majorité catholique qui n’arrivera de toute façon jamais à décentraliser le pouvoir et à lui laisser une place de choix. La mère de Rousseau, Suzanne, née Bernard, meurt neuf jours après sa naissance, son frère s’enfuit quand notre philosophe a neuf ans, son père, Isaac, le confie, alors qu’il n’a que dix ans, à un oncle pasteur. Une fois ado, vers 1728, Jean-Jacques n’a donc personne contre qui se rebeller et, au terme de son apprentissage chez un graveur genevois, se promène par la Savoie et arrive bien vite chez une mère de substitution, Mme de Warens, une Vaudoise de treize ans son aînée, établie à Annecy et rescapée d’un premier mariage qu’elle a fait annuler. Protestante convertie au catholicisme, ce qui lui vaut une rente confortable de 1 500 livres de l’époque de la part du duc de Savoie, elle va régulièrement à confesse pour ses péchés mignons, dont Rousseau, qui, en 1733, à l’âge de vingt et un ans, tombe dans ses bras, quoiqu’avec réticence. Bon élève, il apprend l’amour, les langues appliquées, l’utilisation de l’archet et la musique de chambre dans la grande maison de celle qu’il appelle Maman, maison située à l’emplacement de l’actuel Conservatoire de musique d’Annecy, où l’on joue d’ailleurs toujours de la flûte. Mme de Warens en profite pour le convaincre d’embrasser aussi la foi catholique et l’envoie à Turin à cet effet. En 1738, après une série de voyages en Suisse, en Italie et en France et de petits boulots par-ci par-là (précepteur, employé de cadastre, professeur de musique), il retrouve Mme de Warens, qui a alors trente-neuf ans (il en a vingt-six) dans un nouveau nid d’amour, aux Charmettes, près de Chambéry. À vingt-huit ans, il monte à Paris proposer à l’Académie des sciences un Mémoire sur un projet de notation musicale 1 (1740) qui vise à révolutionner complètement le domaine, inutilement compliqué et pas didactique du tout, selon lui. Do, ré, mi, fa, sol, la, si seraient remplacés par des chiffres de 1 à 7, les changements d’octaves par des points écrits à même le chiffre, en dessus pour la gamme supérieure, en dessous pour la gamme inférieure, 1
« Projet concernant de nouveaux signes pour la musique », in Œuvres complètes, tome 3, p. 448-453, Paris, Houssiaux, 1853.
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JeAn-JAcques rousseAu (1712-1778)
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dièses et bémols étant signalés en barrant le chiffre de manière montante ou descendante. On lui barre la route en lui mettant les points sur les « i », il est recalé, mais il se fait connaître et rencontre Diderot qui l’engage pour écrire quelques articles musicaux dans l’Encyclopédie. Après un court séjour à Venise comme secrétaire de M. Montaigu, ambassadeur de France, qui le vire après deux mois pour incompatibilité d’humeur, Rousseau revient à Paris, et, à trente-quatre ans, se met en ménage avec Marie-Thérèse Le Vasseur, dite Thérèse Levasseur, une lingère de vingt-cinq ans qu’il n’épouse que vingt-deux ans plus tard et dont il a cinq enfants, tous placés aux Enfants-Trouvés. En 1750, suite à une visite à Diderot, incarcéré à Vincennes pour une Lettre sur les aveugles qui a choqué quelques religieux ne voyant pas plus loin que le bout de leur nez, Rousseau décide de participer au concours de l’Académie de Dijon, dont le sujet, Si le progrès des sciences et des arts a contribué à corrompre ou à épurer les mœurs, est un avant-goût du débat actuel sur la violence à la télé. Il leur envoie son Discours sur les sciences et les arts, d’où il ressort que l’être humain étant bon au départ, le progrès contribue bien à corrompre les mœurs, sans compter que : grâce aux caractères typographiques et à l’usage que nous en faisons, les dangereuses rêveries des Hobbes et des Spinoza resteront à jamais2.
Le jury, gagné d’avance, lui accorde le premier prix, ce qui lui permet de publier son Discours et d’exposer ses idées sur la nature et l’innocence corrompus par la société, thème qu’il explore toute sa vie et qui revient régulièrement bien après sa mort dans tout débat sur l’éducation, l’écologie, les problèmes sociaux ou la criminalité. Après Le Devin de village (1752), son opéra, joué avec succès devant Louis XV, mais four total à l’Opéra l’année suivante, Rousseau écrit son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1754), où il continue sa critique du progrès en condamnant la propriété au passage. Il fait un court séjour chez Mme d’Épinay, sa protectrice, chez qui il rencontre Mme d’Houtetot qui ne demande qu’à l’être, ce qui fait qu’à la fin toutes deux l’envoient se faire protéger ailleurs. Revenu entre-temps au protestantisme calviniste de son enfance, il écrit sa Lettre à d’Alembert sur les spectacles (1758) où, d’accord avec les
2 « Discours sur les sciences et les arts », in Œuvres complètes, tome 1, p. 475, Paris , Houssiaux, 1852.
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pasteurs genevois, qui viennent d’interdire le théâtre à Genève par peur de la corruption, il affirme : Un des infaillibles effets d’un théâtre établi dans une aussi petite ville que la nôtre sera de changer nos maximes, ou, si l’on veut, nos préjugés et nos opinions publiques ; ce qui changera nécessairement nos mœurs contre d’autres, meilleures ou pires, je n’en dis rien encore, mais sûrement moins convenables à notre constitution3.
Cela ne fait pas l’affaire de Voltaire, Genevois d’adoption, qui a de petits arrangements avec lesdits pasteurs et fait jouer avec succès ses propres pièces dans le théâtre privé de sa propriété de Ferney, en banlieue genevoise. C’est d’ailleurs dans ces années-là que s’exacerbe la rage de Rousseau, fils d’horloger contre Voltaire, fils à papa, riche, intelligent, célèbre et drôle, par-dessus le marché, ce qui pousse Rousseau, excédé, à lui écrire, en 1760, une lettre pour le moins ambiguë : Je ne vous aime point, Monsieur ; vous m’avez fait les maux qui pouvaient m’être les plus sensibles, à moi votre disciple et votre enthousiaste. Vous avez perdu Genève, pour le prix de l’asile que vous y avez reçu vous avez aliéné de moi mes concitoyens pour le prix des applaudissements que je vous ai prodigués parmi eux ; c’est vous qui me rendez le séjour de mon pays insupportable ; c’est vous qui me ferez mourir en terre étrangère, privé de toutes les consolations des mourants et jeté pour tout honneur dans une voirie, tandis que vivant ou mort tous les honneurs qu’un homme peut attendre vous accompagneront dans mon pays. Je vous hais, enfin, vous l’avez voulu ; mais je vous hais en homme encore plus digne de vous si vous l’aviez voulu4 .
Un an plus tard, Rousseau publie La Nouvelle Héloïse (1761), roman sur l’amour naturel opposé au mariage d’intérêt, dans lequel Saint-Preux, précepteur de modeste condition, échange de longues lettres amoureuses et tristes avec Julie, sa jeune et riche élève devenue sa maîtresse, qu’il a dû quitter, car elle doit épouser quelqu’un de son milieu. Située dans d’idylliques paysages naturels lacustres et alpestres, l’intrigue doit beaucoup à ce qu’a vécu, à Annecy comme aux Charmettes, le jeune et modeste Rousseau avec Maman, éducatrice plus âgée et d’un milieu supérieur. Ce best-seller international fait des merveilles pour le tourisme en Suisse, des générations de lecteurs, anglais pour la plupart, venant soupirer sur les 3
« À M. D’Alembert sur son article Genève, dans le VIIe volume de l’Encyclopédie », in Œuvres complètes, tome 3, p. 146, Paris, Houssiaux, 1853. 4 « À M. de Voltaire, 17 juin 1760 », in Œuvres complètes, tome 2 : Correspondance, p. 125-126, Paris, Dalibon, 1826.
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JeAn-JAcques rousseAu (1712-1778)
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lieux de cet amour impossible, entre Savoie et Riviera vaudoise, en particulier Clarens et Vevey. En 1762, suite à la publication du Contrat Social et d’Émile ou de l’Éducation, on lui envoie la police et il doit, à 50 ans, se réfugier à Genève. L’Émile, avec ses théories sur le développement naturel de l’enfant, en particulier les passages sur la sexualité et la religion, cause un tel scandale que le livre est brûlé devant le Palais de Justice de Paris et devant l’Hôtel de Ville de Genève. Rousseau a beau se défendre dans ses Lettres de la Montagne (1764), ces dernières sont également condamnées, en Hollande, à Genève et à Paris. Rejeté de toutes parts, Rousseau doit fuir la France et la République de Genève et arrive, en 1765, dans l’île Saint-Pierre, sur le lac de Bienne, mais doit déguerpir un mois après. Invité par le philosophe anglais Hume, il part, début 1766, pour l’Angleterre, mais se brouille avec son hôte six mois plus tard. Il erre alors entre Meudon, dans les Hauts-de-Seine, où il vit dans la gêne, Trye, en Normandie, en proie à la nostalgie, et Bourgoin, dans l’Isère, où ce n’est que misère. En 1770, à cinquante-huit ans, de retour à Paris, il met la dernière main aux Confessions, commencées en 1765, à Rousseau, juge de Jean-Jacques (1772), aux Rêveries du promeneur solitaire (1776-1778), restées inachevées, et à un dictionnaire de botanique (1774). Il se fait encore renverser par un danois à Ménilmontant, en 1776, ce qui le plonge dans des abîmes de réflexions sur sa vie de chien. Il s’éteint deux ans plus tard à Ermenonville, à l’âge de soixante-six ans. C’est à Paris, lors d’une visite à Rousseau dans son appartement du 1er arrondissement, rue Plâtrière, aujourd’hui rue Jean-Jacques Rousseau, que son admirateur, Bernardin de Saint-Pierre, en 1772, l’entend dire : Il y a deux Rousseaux dans le monde : l’un riche, ou qui aurait pu l’être, s’il l’avait voulu ; un homme capricieux, singulier, fantasque ; c’est celui du public ; l’autre est obligé de travailler pour vivre, et c’est celui que vous voyez 5.
Le texte qui va suivre, que nous livrons ici sous toute réserve, est parfois intitulé XIe Promenade, parce qu’il semble se rattacher, par son thème, par sa structure et par son style, aux célèbres Rêveries de JeanJacques Rousseau, bien que ce dernier, par souci mathématique peut-être, n’ait officiellement écrit que dix Promenades, ni plus, ni moins. De sérieux
5
Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre, « Essai sur Jean-Jacques Rousseau », in Œuvres complètes, tome 12, p. 73, Paris, Méquignon-Marvis, 1818.
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doutes subsistent quant à l’authenticité de ce passage, notamment à cause de certains anachronismes, mais certains théoriciens et critiques littéraires, profession dont on connaît la propension à se rendre intéressant par des théories fumeuses (Kafka aurait écrit La Métamorphose parce qu’il avait le cafard, Proust écrivait des phrases à rallonges parce qu’il avait du temps à perdre, les best-sellers seraient naturellement sécrétés par Amélie Nothomb parce qu’elle mangerait des fruits pourris, on en passe), n’hésitent pas à soutenir que lesdits anachronismes sont en réalité de géniales prémonitions du penseur genevois. Au lecteur de se faire sa propre opinion.
Q Les rêveries du consommateur solidaire (Extrait) Nous n’avons guère de geste automatique de consommation dont nous ne pussions trouver l’explication dans notre cerveau reptilien, si nous en connaissions mieux les infinis méandres. Hier, 12 décembre, en me promenant le long de l’Arve, du côté de Carouge à Genève, je passai le pont qui relie la ville de Carouge à la ville de Genève et je continuai ma promenade en direction de la place de Plainpalais, à Genève même. Bien que je l’eusse faite le jour de l’Escalade, notre fête nationale à nous autres Genevois, cette promenade n’avoit rien de bien particulier en elle-même, mais me rappelant que j’avois fait plusieurs fois machinalement cette même pérégrination sous prétexte de faire des emplettes, j’en recherchai la cause profonde et me mis à rire de moi-même quand je vins à comprendre la relation entre mes déambulations, mes achats compulsifs et le fait que c’était un jour où tout Genève, par tradition, dégustoit la fameuse marmite en chocolat de la Mère Royaume, ainsi qu’une soupe de légumes, pour fêter la défaite des Savoyards qui avoient voulu nous envahir en 1602. À la sortie de la rue de Carouge, tout près du centre de Genève, sur une grande esplanade qui ressemble à un terrain vague et qu’on appelle la place de Plainpalais, s’établissent quelquefois des forains, quelquefois des kermesses et, tous les mercredis et les samedis, un grand marché aux puces où l’on trouve de tout et de rien. C’est la promenade favorite de beaucoup de Genevois, et je n’accomplissois là rien de bien original. Chaque étalage est tenu fort agréablement
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par un homme ou une femme qui s’empresse de vous conseiller au moindre signe d’intérêt pour un quelconque vistemboire de style indéfini. À force de fréquentation et après quelques achats compulsifs et inconsidérés, je m’étois fait quelques connoissances avec certains vendeurs ; ils ne manquoient pas, chaque fois que je visitois le marché, de me saluer chaleureusement et de m’inviter à leur étalage. Les premières fois, je fus flatté qu’on m’appelât M. Rousseau pour me faire sentir qu’on se rappeloit de moi et qu’on m’apprécioit, car durant toute mon existence, j’aurois été en manque chronique de reconnaissance ; j’achetai quelque bibelot de bon cœur et m’efforçai de poursuivre quelque temps ce commerce, en profitant même pour glaner dans le boniment volubile de la vendeuse ou du vendeur quelque information utile pour mes habituelles jérémiades adressées à mon riche voisin et ennemi intime, M. de Voltaire, qui est venu pervertir mes bons Genevois en leur faisant prendre goût à la comédie et aux comédiennes et qui, j’ai l’orgueil de le croire, inquiet par mes diatribes, passoit alors son temps à brouiller les pistes et à changer de domicile genevois, vivant tantôt aux Délices, tantôt en sa propriété de Ferney, tantôt en son château de Tournay, à Pregny-Chambésy, mais je m’égare. Voilà ce que je compris en y réfléchissant bien : car si j’avois bien analysé en détail, de manière chronique et maladive, d’autres aspects intimes de ma pensée tortueuse, je ne m’étois pas encore attaché à étudier de près mes habitudes de consommation. Cette réflexion en entraîna d’autres qui me firent voir combien les motifs de la plupart de mes achats ne me sont pas aussi clairs à moi-même que je le pensois : je sais que faire un achat me fait du bien et me permet de consoler un instant un cœur sensible que la moindre trahison suffit à déchirer ; mais je sais aussi que cette consolation ne dure que ce que durent les roses, et que mon cœur blessé retrouve très vite sa souffrance coutumière. Le plus grand soin de ceux qui me poursuivent de leurs sarcasmes étant que quelque pensée qui me vînt à l’esprit fût tournée en plaisanterie adressée à la galerie, j’ai tout lieu de croire que ma souffrance n’est pas près de s’éteindre. Je sais cela ; je sais bien que leurs critiques sont des leurres et je sais bien qu’une frénésie d’achats ne compensera jamais le chagrin sans fond sur lequel je me suis si souvent exprimé. Sachant cela, pourquoi n’arrivois-je point à modifier des habitudes devenues bien onéreuses au vu de mes revenus toujours plus maigres, et pourquoi ne pouvois-je point me conduire en consommateur responsable ?
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Il y a une espèce de pacte et même de contrat entre le vendeur et l’acheteur. C’est une sorte de couple intime qu’ils forment l’un et l’autre, plus solide souvent que celui qui lie les deux parties d’un mariage, et si le vendeur s’engage à fournir un produit qui convienne à l’acheteur, l’acheteur s’engage de même à conserver sa clientèle auprès du vendeur, tant qu’il lui fournira les produits demandés avec la même amabilité. Celui qui, chaque fois qu’il se rend chez le même vendeur, achète le même type de produit doit s’attendre à ce que ce vendeur ne lui propose que ce type de produits et quelques produits ressemblants, mais rien d’autre ; de même, si celui qui n’achète chez le même vendeur que le même genre de produit décide un jour, par caprice, d’en exiger un autre, il frustre un pacte tacite entre lui et le vendeur ; il énerve le vendeur qui avoit fait une réserve des produits privilégiés par l’acheteur. Le vendeur sent je ne sais quoi d’instable, de versatile, d’arbitraire dans cet acheteur incapable de se tenir à ses habitudes de consommation. Ce pacte entre le vendeur et l’acheteur est donc lié de manière intime à la façon dont chacune des deux parties considère l’autre, ce qui me renvoie à moi-même, car si le vendeur, et c’est là son intérêt, s’efforce de s’adapter à ce qu’il perçoit de mon être et de ses désirs, il faut alors, si je veux devenir un meilleur consommateur, que j’exprime de manière plus claire ce dont j’ai un besoin réel, c’est ainsi qu’il lui viendra à l’idée de me proposer tout ce qui sera en rapport direct avec ma nouvelle demande. Quand j’achète, c’est à la fois une compensation et un plaisir que je me donne, et un bénéfice que je fournis au vendeur. Mais cette compensation, ce plaisir et ce bénéfice pourroient aussi contribuer au bien-être général, par exemple en respectant la nature ou en payant de manière équitable le paysan qui a vendu son produit à celui qui me le vend. Le résultat que je puis tirer de toutes ces réflexions est que, par mes sautes d’humeur et mes vagues à l’âme immédiatement suivis d’achats compulsifs qui ne soulageoient qu’un instant ma douleur, je n’avois jamais été un bon consommateur ni un consommateur responsable et encore moins un consommateur solidaire, que mon naturel indépendant et ombrageux m’avoit fait négliger, à mon grand regret, cet aspect quotidien des choses, qui m’eût permis, depuis bien longtemps, de contribuer de manière individuelle au bien général et cela sans grand effort. La faute en est que, par principe, je n’écoute jamais les conseils des autres, que je déteste qu’on m’impose quoi que ce soit, et qu’il faut que je fasse tout de mon propre chef, librement et sans contrainte, sans quoi je me refuse à tout. Mais que de temps
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perdu, alors que j’eusse pu proposer les articles « Consommation responsable », « Commerce équitable », « Développement durable » et « Produits du pays » à L’Encyclopédie ; j’eusse pu fonder en parallèle ma propre association de protection des consommateurs pour défendre ces idées fondamentales ; j’eusse pu imposer, pour la Suisse, à cause de Guillaume Tell, un symbole, l’arbalète, qui, apposé sur un produit, auroit pu certifier qu’il étoit bien d’origine suisse ; j’eusse pu créer une notion commerciale protectionniste que j’aurois désignée, par opportunisme et par paresse d’un vocable anglais, « swissness », compréhensible par les différentes communautés linguistiques du pays et par les clients étrangers, et qui imposeroit un pourcentage minimum de suissitude pour chaque produit ; j’aurois même pu, pour le monde entier, lancer un autre label que j’eusse peut-être nommé Max Havelaar, ce nom me vient à l’esprit, je ne sais pas pourquoi au juste, n’ayant que très peu de connoissances hollandaises, à par quelques-uns de mes éditeurs qui se sont enrichis sur la vente de mes œuvres sans que j’en eusse touché rien, mais je m’égare à nouveau ; ce label Max Havelaar dont je parlois, c’eût été une sorte de sceau de qualité qui eût certifié que le produit présenté étoit entièrement naturel et avoit été produit dans le respect de la nature, c’est-à-dire sans insecticide et sans génie génétique, et que dans son prix entroit une part raisonnable pour le paysan et le producteur qui s’étoient donné la peine de me fournir leur marchandise dans les règles imposées. J’ai toujours pensé que la liberté de l’homme consistoit à ne jamais faire ce qu’il ne veut pas faire, mais je me rends bien compte aujourd’hui des limites de cette philosophie de la vie, car si ne jamais faire ce qu’on ne veut pas faire est bien une liberté imprescriptible, cette liberté n’est pas en contradiction avec celle de faire de son plein gré ce qu’on estime important pour soi-même et pour le bien général, et cela en toute indépendance, l’un n’empêchant pas l’autre. En somme, j’ai toujours trop été sur la défensive, alors que rien ne m’eût empêché d’être plus actif, pour mon bien propre comme pour celui des autres. Cela me coûte de le dire, mais aujourd’hui que j’arrive à la fin de ma vie, tout cela n’a plus grande importance : je n’ai jamais fait de mal, mais j’aurois pu faire beaucoup plus de bien, comme mon ennemi intime M. de Voltaire qui, inlassablement, a pourfendu l’intolérance et l’injustice, a réussi à sauver des innocents à coup de lettres et de relations et n’a jamais cessé, dans ses entreprises, en particulier dans sa propriété et ses terres de Ferney, d’être un producteur et un consommateur responsable, s’enrichissant tout en enrichissant les
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autres, donnant du travail aux plus pauvres, améliorant leurs conditions de vie, tout cela avec intelligence et humour. J’aurai passé ma vie à me plaindre de tout et à détester un homme à qui, d’une certaine manière, j’eusse voulu ressembler et qui, probablement, là où il se trouve, doit éclater de rire en lisant ces lignes. Mais je m’égare une fois de trop.
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