Le nouveau Levant de Barcelona (2004)

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Yann Siegenthaler Rue de Savoie 9 1207 Genève yannsiegenthaler@bluewin.ch

Université de Genève Faculté des Lettres Département d’Histoire de l’Art Madame Leila el-Wakil

Le nouveau Levant de Barcelone

Etude du développement urbanistique de Barcelone dans la perspective du Forum Universel des Cultures Barcelona 2004

Genève, octobre 2004

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Index

- Note préalable

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-I

Introduction

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- II

Trois visions de l’héritage historique de Barcelone p.

12

II.2 ] Les plans d’aménagement et la gestion de l’espace urbain

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22

II.3 ] L’urbanisme événementiel, moteurs de planifications d’urgences

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28

p.

33

a) Les Cases Barates

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34

b) La crise d’après-guerre et les institutions dédiées au logement

p.

37

p.

39

d) Le Camp de la Bota

p.

42

e) La Mina Vella, La Mina Nova et La Mina Industrial

p.

46

f) Les réformes et les plan de réhabilitation

p.

49

g) La Mina et le Forum

p.

60

p.

63

b) Le plan de la Ribera et le contreprojet du Laboratorio de Urbanismo p.

66

c) Le village olympique, Nova Icaria

p.

71

a) La cité de la connaissance et le programme 22@

p.

81

b) Le PERI Perú-Pere IV

p.

88

II.1 ] Les grand hommes de l’Eixample : Ildefons Cerdà et Léon Jaussely

- III

La périphérie III.1 ] Des bidonvilles au Forum, histoire de la périphérie de Barcelone

c) Le Plan de Urgencia Social (1958) et les Unidades Vecinale de Absorción

III.2 ] Du noyau industriel d’Icaria au village olympique, la Nova Icaria a) Le noyau industriel d’Icaria

III.3 ] Le Poblenou

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- IV

Le Forum, urbanisme et architecture IV.1 ] L’urbanisme pré-Forum a) L’ouverture de la Diagonal jusqu’à la mer

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92

b) Le parc Diagonal-Mar de Enric Miralles et Benedetta Tagliabue

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95

p.

99

p.

104

p.

109

p.

112

p.

115

p.

120

V.1 ] Du Modelo Barcelona à Barcelona 2004

p.

123

V.2 ] Barcelone, épicentre du catalanisme

p.

134

Epilogue

p.

139

p.

142

IV.2 ] L’urbanisme du Forum a) Le plan b) Les infrastructures écologiques et leur intégration dans le nouveau paysage urbain IV.3 ] Les joyaux du Forum a) Le bâtiment Forum, Jacques Herzog et Pierre de Meuron b) Le Centre de Conventions Internationale de Barcelone, Josep Lluís Mateo c) L’hôtel Princess, Oscar Tusquets IV.4 ] De l’horizontale à la verticale, la nouvelle forma urbis -V

- VI

Conclusions

- VII Bibliographie - Annexe : CD-Dossier d’image

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Note préalable De 2000 à 2002, j’ai eu la chance d’étudier à l’Universitat Autònoma de Barcelona UAB1 grâce au programme d’échange Erasmus. Barcelone ne cesse de grimper dans le ranking des villes européennes à la mode. Elle attire, grâce à ses nombreux atouts, des foules de jeunes européens. J’ai été moi-même séduit par son image moderne et cosmopolite. Or, j’ai très vite cherché à transcender cette façade d’évidences pour me plonger dans la réalité de cette métropole hybride, insaisissable et complexe. Par conséquent, j’ai non seulement étudié son histoire, son art et son architecture, mais je me suis également immiscé et intégré dans un climat local afin d’apprécier, comme le font les barcelonais, une vie intimement liée à tout ce que la ville peut apporter à ses habitants, sans aucune comparaison possible avec les insignifiantes expériences vécues par le protagoniste de « L’auberge espagnole ». En revanche, je ressens beaucoup plus d’affinités avec le pseudo-documentaire de José Luis Guerín « En Construcción »2, magnifique témoignage des destructions et reconstructions sur l’actuelle Rambla del Raval, là où la parole – c’est-à-dire la mémoire – des affectés incarne l’ultime instrument de suture d’une fragmentation physique.

J’ai donc abordé, d’une part, l’aspect théorique par mes cours à l’UAB, puis par un travail de recherche en bibliothèque3, et d’autre part, j’ai connu la pratique du lieu par mes contacts professionnels et mes amis. Cette implication personnelle m’a permis d’acquérir des connaissances très variées, mais certainement pas exhaustives.

Un des objectifs du présent travail de recherche est de réunir ces informations dans une approche méthodologique visant une appréciation de l’ensemble du phénomène. Or, la tâche est ambitieuse. Même en réduisant l’analyse au site du Forum et à ses alentours, l’abondance d’éléments

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J’ai choisi de citer, dans la mesure du possible, les noms propres tels que lieux, institutions et citations en langue catalane, dans un souci d’authenticité des textes, et de les traduire en français en note de bas de page. 2 En Construcción, film de José Luis Guerín, Espagne, 2000 3 Bibliothèque de la section de Barcelone du COAC, Col⋅legi Oficial d’Arquitectes de Catalunya (Collège officiel d’Architectes de Catalogne) ainsi que la bibliothèque de l’ETSAB, Escola Tècnica Superior d’Artquitectura de Barcelona (Ecole Technique Supérieure d’Architecture de Barcelone)

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aux origines aussi diverses, et ayant tous marqué le paysage urbain à leur manière, m’a poussé à embrasser un domaine très étendu. Lors d’un entretien préparatoire, Pr. Josep Parcerisa, professeur à l’ETSAB, m’a vivement recommandé de focaliser mon travail sur les deux dernières décennies de l’urbanisme barcelonais, et de placer le Forum dans ce contexte-là. Cependant, il ne m’était pas possible d’analyser cette époque avec suffisamment d’aisance pour ne m’appuyer sur des périodes antérieures qu’à titre de référence. J’ai donc opté pour un développement plus ou moins détaillé des phases historiques et des processus de croissance. Toutefois, ce mémoire s’achève sur une conclusion qui rejoint les conseils du Pr. Parcerisa. Aujourd’hui, j’ai pris conscience de la pertinence de ses suggestions et tiens à lui transmettre mes remerciements. Ma gratitude s’adresse également au Pr. Francisco Ramos, enseignant à l’ETSAB, qui m’a guidé et m’a facilité l’accès aux bibliothèques, ainsi qu’à M. Joan Batlle i Bastardas, gérant du Consorci del Barri de La Mina4 pour toutes les informations et le temps qu’il m’a dédié. Bien évidemment, je remercie Mme el-Wakil, directrice de ce mémoire, pour m’avoir soutenu dans mon choix malgré l’audace qu’un tel sujet suppose. Fort de cette expérience, j’espère que ce travail saura transmettre aux lecteurs l’enthousiasme qui m’a motivé tout au long de son élaboration, et qu’il ne soit qu’un point de départ pour des recherches ou des projets plus approfondis.

Yann Siegenthaler, octobre 2004

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Consortium du quartier de La Mina.

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I – Introduction :

Bâtiment Forum, Herzog & De Meuron, en construction (photo Y.Siegenthaler, octobre 2003)

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Grâce à l’ingénieur Ildefons Cerdà (1816-1876), Barcelone fut l’une des premières villes européennes à bénéficier d’un véritable plan d’urbanisme. Quelques 150 ans plus tard, bien peu des principes de ce visionnaire se reflètent dans la planification et construction du site alloué au spectaculaire Forum Universel des Cultures de Barcelone 2004. Bien évidemment, le temps a changé les concepts, et les espaces ne correspondent plus qu’en une infime mesure au paysage de l’époque. Par le biais de l’analyse historique et critique, ce travail de recherche se cristallise autour des questionnements hautement polémiques sur la planification urbaine contemporaine.

A l’heure où les valeurs d’analyse traditionnelle de l’espace urbain – plus précisément les limites géographiques et socioculturelles de la ville – ne sont plus des bases d’observation permettant une approche exhaustive des problématiques urbaines contemporaines, il est devenu plus important que jamais de procéder à des choix, et d’en être à tout moment conscient. Cette étude met en évidence les multiples rapports entre l’espace physique et l’être humain qui s’y trouve. Ce fil conducteur permet d’aborder les diverses problématiques – urbanistique, architecturale, sociale, économique, juridique – relatives à la transformation d’un lieu, tout en restant en accord avec les intérêts des divers actants de la vie urbaine. Il s’agit donc d’une étude basée sur la pratique d’un lieu plutôt que sur sa théorie. Or, la tendance veut voir l’imminente fin de la ville en tant qu’espace connu et délimité5. La raison éclairée de l’analyste contemporain doit se focaliser sur une appréhension plutôt abstraite de réseaux impalpables et virtuels, et les mettre en rapport avec les notions traditionnelles de l’urbanisme pour les reformuler, les étayer. La ville disparaît devant des nuages de variabilités, des fluctuations dues aux perpétuels mouvements de personnes, de marchandises et de données. Aujourd’hui, tout est mobile, tout prend forme en terme de déplacement, de mutation ou de flexibilité. Le concept de vie urbaine n’aurait donc plus sa place dans un travail comme celui-ci, si ce n’est que pour mettre en valeur la pertinence d’un choix d’examen basé sur l’expérience vitale des individus qui composent la société urbaine, et qui, en fin de compte, sont les éléments les plus déterminants du destin d’une ville. Dans un premier temps, l’histoire permet – et tout particulièrement pour la zone géographique qui nous intéresse : le sud-ouest du fleuve Besós à Barcelone – de situer les fondements, ainsi que l’état actuel d’un lieu. Or, l’histoire n’est pas seulement une aide de 5

N. Tazi, , Fragments de Net-Theory, dans Mutations, Catalogue de l’exposition du Centre d’Architecture Arc en Rêve, Bordeaux, édité par ACTAR, Barcelone, 2001

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discernement, mais une base sur laquelle s’élabore une justification propre à la raison d’être des grands travaux d’aujourd’hui. Si Cerdà n’avait pas quadrillé la plaine qui s’offrait au barcelonais du milieu du XIXème siècle, si Jaussely n’avait pas insisté sur les liens et les relations entre quartiers et petits villages avoisinants au début du XXème siècle, et si l’évolution démographique de Barcelone n’avait pas connu de si importantes inflations, nous ne chercherions pas aujourd’hui à comprendre les tenants et les aboutissants d’une gigantesque opération urbaine telle que celle du Forum. Barcelone s’est empressée de grandir et de s’organiser à plusieurs reprises, grâce à des impulsions événementielles comme les expositions, les congrès et les rencontres internationales. Ces grandes manifestations ont joué indubitablement le rôle de moteur à turbo dans le développement expansif de la ville. Sont-ils des conditions sine qua non à l’assainissement de quartiers laissés pour compte, ou d’heureuses coïncidences favorisant ce développement ? Confiné en marge de la ville ou stratégiquement implanté dans un quartier qui a toujours été destiné aux déjections les plus inhibées de la métropole – l’un ou l’autre selon l’époque ou le concept d’analyse – le spectaculaire site du Forum travestit l’une des extensions les plus conflictuelles de la capitale catalane. Nous nous intéresserons donc à la spécificité de la périphérie et à sa singulière histoire, son caractère de satellite urbain, sa progressive souveraineté aléatoire, et ses fléaux. Le cas de La Mina, véritable banlieue marginale, nous servira d’exemple en matière de politique d’aménagement urbain, d’assainissement et de transformation de la capitale catalane. Ce quartier, stigmatisé dès sa naissance par des facteurs aussi multiples que trompeurs, permet d’apprécier sous divers angles –architectural, social, associatif, économique – l’importance d’une concertation globale dans l’organisation spatiale d’une métropole du XXIème siècle. Par un processus de désindustrialisation, le quartier du Poblenou6 subit, depuis quarante ans, les hésitations d’un urbanisme tiraillé entre expertises spéculatives, propositions, contreprojets et revendications des populations qui y vivent et y travaillent. Récemment, cette annexe fut désignée pour recevoir, en place des grandes industries qui ont fait la renommée de la Manchester catalane, des ministères et des constructions dignes du nouveau millénaire. L’organe municipal spécialisé dans la reconversion des usines et fabriques, « 22@ », destine cette portion du territoire urbain à la société de la connaissance et des nouvelles technologies. Elle est en voie de devenir un nouveau centre. Certes de nature plutôt virtuelle, cette centralité s’insère toutefois dans un contexte précis et adapte les nouvelles fonctions à des réalités sociales. Le centre-ville n’existe plus tel que nous le connaissions et le revendiquions il n’y a que quelques décennies. Que représentent donc ces 6

Terme catalan, signifiant village nouveau, donné au quartier en processus de désindustrialisation, situé en retrait du littoral nord barcelonais, entre le parc de la Ciutadella et le fleuve Besós ; et qui constitue aujourd’hui un véritable relais entre le centre historique et le Forum

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nouveaux noyaux ? Quelles en sont leurs natures et leurs valeurs dans le paysage urbain actuel ? Nous nous pencherons sur un exemple concret, l’un des six projets phare 22@, proche de DiagonalMar7 et du Forum : le PERI 8 du secteur « Perú-Pere IV »9. Nous méditerons sur l’impact de telles opérations sur l’espace urbain, sur leur place dans le contexte social – le Poblenou n’a jamais été un quartier bourgeois, contrairement à l’Eixample – et sur leur potentiel futur. Par la machination d’un event-marketing prestigieux, on s’accorde communément à nommer « Forum » non seulement le rassemblement mondial qui rappelle en quelque sorte les expositions universelles des siècles derniers, mais également le site géographique du sud-ouest du Besós. Ce secteur est en pleine métamorphose. Barcelone n’a pas hésité de faire appel aux meilleurs architectes du moment pour en faire un monument aussi exceptionnel que spectaculaire, un véritable joyau de l’architecture contemporaine. Les bâlois Jacques Herzog et Pierre de Meuron, prix Pritzker 2001, ont conçu le grand et déjà emblématique « bâtiment Forum » : vaste plate-forme triangulaire au revêtement sombre et velouteux, rythmé par des échancrures irrégulières en forme de cascades vitrées. C’est un gigantesque auvent surplombant une large place, sorte de grande gueule avide recevant tous les passants de la Diagonal10 finissante. Il sera immanquablement une des figures de marque - et quelle marque ! - de la nouvelle vocation de la ville. Et ce n’est pas tout : Oscar Tusquets et Josep Lluis Mateo, éminents architectes espagnols, contribuent à leur tour à concevoir la prodigieuse image de Barcelone, par la construction de l’hôtel Princess et respectivement le Centre de Conventions Internationale de Barcelone. L’analyse s’attardera sur ces pièces monumentales d’architecture et sur leur place dans le nouveau paysage urbain. A l’heure où les critères de développement durable prennent une place considérable dans la planification urbaine, il est certain que tous les moyens ont été mis en œuvre afin de s’aligner aux normes récemment établies. Les infrastructures écologiques du Forum sont aussi convaincantes qu’ostentatoires : elles prouvent largement la volonté de la ville de briller par sa capacité d’assimilation des nouvelles techniques écologiquement correctes – « EC », selon les termes de Tae-Wook Cha11 – .

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Diagonal-Mar: lieu où se rencontrent la grande Diagonale de Barcelone et la mer, où en 2002 la mairie inaugura un grand centre commercial du même nom ainsi qu’un parc urbain créé par Enric Miralles, et en aval duquel se situe la grande zone destinée au Forum. 8 Plan Estratégico de Reforma Interior : Plan Stratégique de Réforme Intérieure 9 Documents « 22@0005 », Modificació puntual del Pla Especial de Reforma Interior del sector Perú-Pere IV, de la MPGM (Modificació del Pla General Metropolita) per a la renovació de les àrees industrials del Poblenou, Mairie de Barcelone, bureau 22@, novembre 2002 resp. mars 2003 10 Grande avenue traversant toute la ville de Barcelone en biais, et qui, aujourd’hui, s’ouvre sur la Méditerranée. 11 C. Tae-Wook, “Ecologically Correctness”, article publié dans Koolhaas, Rem, “Project on a City, Guide to Shopping”, Harvard School of Design, Cambridge MA, 2001

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Cette étude s’élabore en parallèle à la construction du site. Dans une certaine mesure, elle se présente en une sorte de panorama en polaroïds d’une métamorphose urbaine, comme une prise sur le vif d’une succession d’enchaînements dont nous chercherons à comprendre les fonctionnements. Il s’agit d’une technique en parfait accord avec le concept de zapping urbain12. Ces captures d’images s’arrêteront sur des phénomènes aussi divers que la planification des constructions, le plan général d’urbanisme, les distributions d’espaces internes, les choix de la morphologie des divers espaces et bâtiments, les objectifs, etc. En quelques années, onze gratte-ciel de plus de cent mètres se sont dressés autour de la grande esplanade, en forme de « mini-Manhattan » ou de « miniSingapour ». Barcelone opte pour une verticalité sans précédent, et revendique l’utilité, l’esthétique et surtout la rentabilité d’une telle ordonnance. Appuyé par un recueil d’images, présenté à la fin de ce travail, l’analyse du Forum s’achève sur des réflexions mettant en rapport cette verticalité avec le caractère éminemment horizontal d’une métropole méditerranéenne, et de son architecture. Il faut absolument penser l’urbain, pour reprendre la terminologie de la Net-Theory de Nadia Tazi13. À Barcelone, on y a pensé de manière à fournir à la ville un nouveau noyau touristique d’une ampleur considérable : un centre de conférence digne des plus grands complexes d’affaire, une infrastructure hôtelière de luxe offrant des milliers de nouvelles chambres, une gigantesque place publique, un port de plaisance, un zoo maritime, des espaces verts bordant l’embouchure assainie du fleuve Besós. L’architecte, critique et penseur de l’urbain, Josep María Montaner nous donnera, grâce à son anthologie de ses meilleurs articles14, quelques clefs d’interprétation des mutations spatiales à Barcelone, de la spécificité du contexte et de la culture catalane, et également de la ville métropolitaine générique. Après avoir observé la métropole catalane sous deux de ses coutures, l’histoire et les travaux actuels, il convient de brosser, en guise de conclusion, le tableau de la situation urbaine à Barcelone grâce à deux axiomes barcelonais qui permettent de définir la nature de cette ville : les développements urbains qui lui ont valu une reconnaissance internationale – Modelo Barcelona – et la place qu’occupe la culture dans cette urbanité catalane et méditerranéenne. Le Modelo Barcelona s’analyse aujourd’hui comme une constante exemplaire qui se base sur quatre points principaux : la culture du design, l’intégration des nouvelles constructions dans le tissu urbain préexistant, l’excellente coordination technique, et l’alliance d’une vocation internationale et autochtone dans l’attribution des œuvres aux architectes. A partir de cet archétype, 12

M. Dachevsky, , Urban Zapping, Ciudades, productos y marcas, Ed. UPC, Barcelone, 2001 N. Tazi, op. cit. 14 Montaner, Josep Maria, et Muxi, Zaida, Repensar Barcelona, Editions UPC, mai 2003 13

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les critiques s’accordent à considérer le modèle sous deux angles de vue complémentaires : la fameuse « Reconstruction de la ville »15 (récupération d’espaces publics par de petites interventions locales et principalement centrales) qui correspond à la première phase du développement, et l’urbanisme stratégique qui fut à l’origine des grands travaux conçus pour les Jeux Olympiques de 1992. Culture et urbain sont définitivement liés, à tel point que parfois l’un se confond avec l’autre. Les années quatre-vingt ont vu naître non seulement une forte identification morphologique, grâce aux transformations physiques des espaces, mais également une renaissance d’une culture foncièrement autochtone. Dans le champ de l’architecture, élément constitutif primordial de l’identité culturelle de la ville, c’est le modernisme catalan qui peut être considéré comme un symbole représentatif. Dans cette conclusion, nous chercherons à comprendre comment le temps a permis de cristalliser une mémoire collective solide, et dans quelle mesure cette sédimentation est aujourd’hui raffermie ou, au contraire, érodée. Lorsque ministres et chefs d’entreprise parlent le même langage « mondial », la culture qui, selon le Petit Robert, signifie « l’ensemble des connaissances acquises qui permettent de développer le sens critique, le jugement et le goût », n’est-elle pas en voie de devenir un produit également négociable ? Le directeur du Forum des Cultures et maire de la ville de Barcelone, M. Joan Clos, a déclaré : « Convertir una depuradora en plaza pública es cultura16 ». Voici l’une des tournures très avant-gardistes que prend la culture lorsque l’urbain – et donc implicitement la planification urbaine – se convertit à la fois en un but et un moyen de promotion des valeurs humaines et culturelles. L’essence de cette culture est alors liée à l’espace et à l’architecture, et s’inscrit dans un contexte qui transcende les valeurs propres de Barcelone.

skyline vue depuis l'esplanade du Forum, photo-montage retravaillé, Y. Siegenthaer2004)

15

v. chapitre V, Modelo Barcelona Traduction informelle: « Convertir une station d’épuration des eaux en place publique est un acte culturel » interview de Joan Clos, maire de Barcelone, El Pais, 03.01.2004 16

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II – Trois visions de l’héritage historique de Barcelone

II.1 ] Les grands hommes de l’Eixample : Ildefons Cerdà et Léon Jaussely

Plan d’agrandissement de Barcelone de Ildefons Cerdà, 1859 (image tirée de l’édition de 1968-71 de sa théorie générale de l’urbanisation, F. Estapé)

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L’Eixample de Barcelone, c’est à dire l’expansion de la ville au-delà des remparts médiévaux, se reconnaît parfaitement par la rigueur de son plan en damier, dû à l’ingénieur des ponts et chaussées Ildefons Cerdà (Centelles-Barcelone 1815 – Bessaya-Santander 1876). Il offrait à Barcelone une planification urbaine aussi précoce que complète, à la même époque où Paris revêtait sa nouvelle robe de clarté grâce aux percées du baron Haussmann. Non seulement le plan en damier, mais aussi les ouvrages théoriques de Cerdà, que nous commenterons plus loin, ont permis à Barcelone de s’étendre sur la plaine appelée le Plà, durant plus de cent ans17, et ouvrirent les portes d’une nouvelle conception de la ville, ou urbe 18 pour reprendre la terminologie de l’ingénieur. Le plan permit une expansion libre et indéfinie, allant bien au-delà de l’espace nécessaire aux besoins de l’époque. Bien que la motivation première de Cerdà se concentrait sur la capacité de dégager une ville étreinte et surpeuplée, l’ingénieur a projeté l’Eixample dans une optique de développement à très long terme, ou durable selon la terminologie actuelle. Aujourd’hui, ce dogme est indispensable à toute planification urbaine et se rapporte à des questions écologiques en premier lieu. Or, d’une certaine manière, on peut reconnaître dans le projet de Cerdà des prémisses des valeurs actuelles de l’aménagement urbain. En effet, les déplorables conditions de vie des habitants de la vieille bourgade militaire ont influencé significativement ses choix. Il s’est évertué à pourvoir la ville d’un système complexe et exhaustif en matière de logement, d’hygiène, de mobilité, d’infrastructures collectives (écoles, hôpitaux, cimetières, parcs, places, gares…), en un mot, un parfait équilibre pour une ville riche en espaces publics et viable équitablement pour toutes les classes sociales. Son esprit et son caractère droits lui ont conféré une image de leader auprès des protecteurs du prolétariat : il écrivit une minutieuse analyse de la classe ouvrière qu’il inclut dans sa Théorie Générale de l’Urbanisation19. Ces travailleurs ont poussé l’ingénieur à se pencher sur la multitude de problèmes découlant directement des bouleversements démographiques. En effet, la production industrielle en Catalogne fut l’une des plus importante de la péninsule. A Barcelone, c’est le quartier de Poblenou qui se convertit en berceau de l’industrie catalane au XIXème siècle. Plus tard, les grandes industries se déplacèrent vers la périphérie, ou s’implantèrent dans des régions économiquement plus abordables. Les réseaux de connexion prirent une importance primordiale 17

J. Busquest I Grau, El Projecte d’Eixample vs. l’Eixample actual, dans Treballs sobre Cerdà I el seu Eixample a Barcelona, Laboratori d’urbanisme, UPC Universitat Politècnica de Catalunya, Barcelone, 1992 18 J. Busquets i Grau, Barcelona, evolución urbanística de una capital compacta, Ed. Mapfre, Madrid, 1994 19 I. Cerdà, Teoría General de la Urbanización, y aplicación de sus principios y doctrinas a la reforma y eixample de Barcelona, Barcelone, Fac-similé de l’édition de Madrid de 1867, Instituto de Estudios Fiscales, Antonio Barrera de Irimo, Madrid, 1968

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dans l’économie de la province. Cerdà les avaient projetés d’une façon ouverte et flexible, capable de s’adapter aux besoins variables et évolutifs de l’industrie florissante. Le projet de Cerdà et les diverses adaptations qu’il en formula purent paraître parfaitement utopistes, à l’heure où l’Espagne commençait à peine à intégrer les grandes nouveautés de l’industrie. Utopie, certes, si l’on considère qu’il eût voulu vivre personnellement l’achèvement de son projet. Or, il a participé activement à des fonctions concrètes, et depuis des perspectives aussi diverses que complémentaires : comme conseiller technique de l’Etat (1860-1865), comme conseiller de la Municipalité de Barcelone (1863-1866), et comme directeur technique de la société fondée pour la construction de l’Eixample (1863-1865)20. Cependant, l’argument le plus pertinent en sa faveur reste la pérennité de son œuvre. Son plan fut la base de travail des architectes barcelonais durant plus de cent ans, nous l’avons vu. Or, la patte de Cerdà, qui se laisse apprécier encore aisément de nos jours, nous montre, non pas la grandeur de son imagination, mais plutôt son sens aigu de la responsabilité professionnelle. Luimême refusait catégoriquement les notions utopistes et purement théoriques au profit de permanentes remises en questions, afin d’adapter les projets aux besoins concrets et tangibles de la vie urbaine. Une vue aérienne actuelle de Barcelone permet d’apprécier aisément une bonne partie des éléments qui ont constitué ses projets d’agrandissement. Au niveau social, Cerdà préconisait des principes innovateurs pour l’époque : la liberté individuelle, l’intimité familiale, l’égalité dans la qualité des services pour tous les habitants de tous les quartiers, l’aménagement des flux en tant que composants essentiels dans l’utilisation du territoire, etc. Selon lui, son plan devait atteindre «la armonía que reina en la urbanización rural, entre independencia de la familia y gozo de la sociabilidad. »21 La ville de Cerdà se formule à partir de trois éléments : la rue, élément délimiteur des espaces construits ; l’édification, peut-être le plus patent des dénominateurs ; et finalement le jardin. Le potentiel spéculatif du marché immobilier à poussé l’accroissement des constructions de sorte à ce que la densité se soit généralisée à tout ce que l’on appelle aujourd’hui l’Eixample central. La référence de Cerdà se situait au niveau d’îlots de 113 mètres de côté, devant accueillir des bâtiments sur deux voire trois côtés, un parc central et des petits jardins individuels accolés aux immeubles. Or, l’espace vert central perdit au fil des décennies leur importance dans la trame urbaine initiée par 20

F. Magrinyà, directeur de l’exposition de l’UNESCO « Cerdà, de l’origine au futur de l’urbanisme », Textes de l’exposition, 1-23.décembre 1999 21 I. Cerdà, op.cit., traduction informelle: « l’harmonie qui règne dans l’urbanisation rurale, entre l’indépendance de la famille et la jouissance de la sociabilité »

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Cerdà. Il est clair que les actions de restitution de la végétation des cours intérieures de certains îlots de l’Eixample – initiative lancée en 1985 par la mairie et suivie par l’entreprise mixte ProEixample22– prouvent davantage l’adéquation de son concept au mode de vie urbaine de la fin du XXème siècle, qu’une volonté nostalgique ou un simple hommage. Aujourd’hui encore, certains principes cerdiens perdurent. Les architectes Josep Parcerisa et Maria Rubert de Ventós, auteurs du projet de reconstruction du secteur Perù-Pere IV dans le cadre du plan 22@, (cf. chapitre III.2) s’interrogent23 : « Per què la mida Cerdà al Poblenou ? És la que ja hi ha. Perquè no respectar-la ? Les activitats extensives hi han cabut fins al punt de concentrar el centre de distribució de mercaderies més important de Catalunya. La transformació en activitats intensives d’alt valor afegit, admetent el desenvolupament vertical, no ha de representar cap problema per la pauta 113x113. Els equipaments que necessitessin més d’una hectàrea haurien de buscar una localització que efectés mínimament el programa d’obertures viàries. » Plus loin dans leur projet, les architectes Parcerisa et Rubert proposent l’actualisation d’un paramètre normatif de Cerdà, en voulant réduire l’imperméabilité d’une partie du sol privé afin de promouvoir l’utilisation des eaux de pluies24. Tel était le paysage urbain instauré par Cerdà pour la ville de Barcelone, et en premier lieu pour l’Eixample central. Quant au secteur nord-est de la ville, la patte et la mesure Cerdà y trouvent aujourd’hui encore leur place, à l’exception des grands polygones résidentiels construits dans les années de dictature (v. chapitre III.1) et le site du Forum. Le gigantisme de ce dernier s’est approprié les lieux pour se faire un lifting facial complet, effaçant toute trace du passé comme les rides d’une riche célébrité cachant son âge.

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informations sur la réhabilitation des patios intérieurs des îlots de l’Eixample, action comprise dans un plan d’action de revitalisation de l’Eixample de ProEixample, entreprise au capital public et privé, fondée en 1996: www.proEixample.es 23 J. Parcerisa, et M. Rubert de Ventos, De la memòria de l’estudi d’ordenació, Annex 1 del MPGM22@, Sector Perú-Pere IV, Barcelone, Février 2001 Traduction informelle : «– Pourquoi la mesure Cerdà au Poblenou ? – Parce qu’elle y est déjà. Pourquoi ne pas la respecter ? Les activités extensives y ont eut leur places jusqu’au point d’y concentrer le centre de distribution de marchandises le plus important de Catalogne. La transformation en activités intensives à forte valeur ajoutée, admettant un développement vertical, ne devrait pas être un problème pour la constante 113x113. Les équipements qui nécessitent plus d’un hectare devraient trouver une localisation qui affecte minimalement le programme d’ouverture viaire. » 24 J. Parcerisa, et M. Rubert de Ventos, op.cit., pp. 2-5

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Bien qu’à l’époque de Cerdà, les terrains en lisière du fleuve Besòs se trouvaient bien trop éloignés de la ville pour constituer un véritable enjeu urbanistique, ou une centralité, notre ingénieur ne les laissa pas pour autant pour compte. Bien au contraire, il appliqua sa rigoureuse trame sur la totalité de l’espace à disposition. La périphérie représentait alors pour lui l’opportunité d’y implanter les infrastructures que le centre habité et ordonné ne pouvait accueillir. Aussi, c’était un lieu privilégié, qui coiffait la ville d’un gigantesque parc urbain sur la rive Sud-ouest du Besòs. Aujourd’hui, l’aménagement du Parc del Nordest, dans l’enceinte du Forum (v. chapitre IV.2), rend un modique hommage au projet de Cerdà, car les trois hectares de ce parc concrétisent en miniature les aspirations de l’ingénieur.

Contraste entre le centre historique et le damier de Cerdà (photo aérienne tirée de Treballs sobre Cerdà i el seu Eixample, op.cit.)

Tout visiteur de Barcelone sera frappé par la grande différence morphologique entre les centres historiques (vieille ville et anciens villages rayonnants), extrêmement compacts rigoureux l’Eixample.

et

illisibles,

et

quadrillage La

le de

notion

d’ensoleillement, si importante aux yeux de Cerdà, est aujourd’hui encore maintenue jusqu’aux premiers étages, voire au rez-dechaussée dans certains cas. Les rues de vingt mètres de large au minimum contribuent non seulement à un apport en lumière, mais également à un gain en aération et en sécurité. De plus, la grande flexibilité dont a fait preuve son plan a permis d’adapter les voies de circulations aux nouveaux moyens de transport, notamment à l’automobile. Les croisements, grâce à leur conception octogonale et à leur ampleur, offrent une grande sécurité du transit : distance de visibilité augmentée, emplacements de charge et de décharge suffisamment grands pour être isolés des voies de circulation, facilité d’orientation permettant aux conducteurs une grande concentration à la conduite, etc. Cerdà prévoyait cette formidable capacité d’adaptation : plus de nonante activités pouvaient s’articuler autour des larges voies publiques (échange, vente ambulante, sécurité, entre autres). Une 16


observation très sommaire du plan de Cerdà permet de constater aisément l’intention de son auteur quant au réseau viaire. L’argument qu’il légua, sous forme de texte, montre une grande rigueur dans l’analyse des problèmes posés, en les élargissant à un niveau universel et primitif 25: « Un sistema viario viene a representar lo que en la cuenca de un río son, primero, los regalos primitivos de las vertientes ; segundo, los pequeños arroyos a que aquellos afluyen ; tercero, los torrentes colectores de los arroyos ; cuarto, los riachuelos que recogen las aguas de todos los riachuelos afluyentes para conducirlas al mar. Lo mismo sucede con la viabilidad : el hombre sale de su morada por medio de una vereda, primer regato de la vialidad y sigue por ella hasta encontrar una senda a que han afluido una porción de veredas individuales que reunidas en dicha senda van afluyendo juntas a un camino vecinal, colector de un número más o menos considerable de sendas que a él acuden en sucesivo desarrollo, a fin de conducirlas a una carretera […], y así sucesivamente, hasta que se encuentre una carretera de primer orden que, recibiendo todas las vialidades inferiores las llevará juntas hasta la orilla misma del mar donde se desparramarán por toda la superficie de este elemento que es vial en todos sentidos y direcciones, para distribuirse entre diversos puntos del globo, desde los cuales por un orden inverso al que dejamos descrito, irá la viabilidad descomponiéndose y repartiéndose hasta volver a su primera entidad individual »26. Le système de « voies-intervoies » illustre parfaitement cette théorie. Les logements sont pourvus de voies piétonnes donnant sur des chemins plus conséquents, menant, eux, aux voies destinées aux piétons sans charges, puis avec charge ou marchandises, jusqu’à l’avenue ou les Diagonales qui font office de fleuve à gros débit menant à la mer. Ce sont les voies. Les « intervoies », quant à elles, sont les espaces libres entre les constructions, qui constituent des plages de repos sans mouvement. La différentiation entre artères destinées au mouvement et espaces permettant l’arrêt, donnait lieu à un grand nombre d’espaces publics et à une excellente mobilité.

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M. Domingo i Clota, Consideracions sobre el pla Cerdà, dans Treballs sobre Cerdà i el seu Eixample a Barcelona, Laboratori d’Urbanisme UPC, Barcelone, 1992 26 Traduction informelle : « un système viaire vient à représenter ce que pour le lit d’un fleuve est, premièrement, les cadeaux primitifs des affluents ; deuxièmement, les rivières ; puis, troisièmement, les torrents collecteurs des rivières ; quatrièmement, les petits ruisseaux qui récoltent les eaux de tous les ruisseaux affluents, pour les conduire à la mer. Il en va de même pour la voie publique. L’homme sort de son habitat par un sentier, premier ruisselet du système viaire et le suit jusqu’à en trouver un auquel ont afflué plusieurs habitats individuels, qui, une fois réunis vont se diriger ensemble vers un chemin vicinal, collecteur d’un nombre plus ou moins considérable de sentiers, qui à son tour se dirige vers une route […] et ainsi successivement jusqu’à aboutir à la mer par une route de première catégorie et d’où elle sera distribuée dans tout le globe par d’innombrables voies en toutes directions, pour reprendre enfin une voie terrestre de l’autre côté et remonter en sens inverse jusqu’à l’unité d’habitation individuelle ».

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Perspective de la rue Cerdà avec propositions de kiosques, inclus dans le plan de Cerdà, 1859 (image tirée de l’édition de 1968-71 de F. Estapé)

La trame se compose donc d’un quadrillage en damier, nous l’avons vu, dont la régularité est rompue par quelques exceptions en forme de Diagonales et transversales, et dont le dessin montre deux aspects révélateurs : 1) Ces grandes artères – Diagonal, Gran Vía et Meridiana – se croisent en un point central, la Plaça de les Glòries Catalanes. Il n’est un centre que dans une moindre mesure, car il est passablement excentré du noyau historique depuis lequel la ville s’est développée. Cette première observation est intéressante dans le discours actuel relatif à cette place, depuis longtemps considérée comme faisant office de centralité de quartiers populaires. Elle prend aujourd’hui une toute autre signification grâce à la construction de site architecturaux d’envergure internationale : la tour AGBAR (Aiguas de Barcelona) projeté par Jean Nouvel, véritable monolithe de verre de 145 mètres de hauteur ; ou le futur bâtiment au profil ondulé de 130 mètres de haut, aux formes organiques et aux structures de surface légère et novatrice, projeté par l’architecte madrilène Frederico Soriano 27; ou encore la future Cripta de Glòries, musée dédié au design et projeté par le studio d’architecture MGM, Martorell, Bohigas et Mackey. L’autre grand projet est la Plaça de les Arts, de l’architecte iraquienne Zaha Hadid, prévoit grouper en un espace l’Auditori, le Théâtre National ainsi

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qu’un nouveau complexe culturel avec quatorze salles de cinéma28. Enfin, l’infrastructure souterraine accueillera un pôle d’échange des lignes du réseau Métropolitain et des trains régionaux, et sera une porte de distribution pour les lignes de train à haute vitesse de la nouvelle « multi-gare » de Sagrera. Le rond-point surélevé, surnommé el Tortell 29 (faisant référence à un petit gâteau traditionnel en forme d’anneau), devrait être démoli et les importantes voies de circulation intégrées à un parc urbain. Grâce à ces monumentales architectures, la Plaça Glòries devrait, selon le désir du mairie de Barcelone, rejoindre le destin que Cerdà lui prophétisait : une centralité comparable à celle de la Plaça Catalunya. 2) L’autre déduction logique se centre autour des fonctions des grandes diagonales : la Diagonal et la Meridiana. Elles sont toutes deux orientées de façon a desservir la plus grande partie de l’Eixample en des voies rapides. De plus, elles aboutissent stratégiquement : la Meridiana dans le creux du port, à la naissance de la Barceloneta, et la Diagonal à l’angle du gigantesque parc du Besòs et du littoral. Elles sont donc ouvertes sur la mer. Or, ce n’est qu’aujourd’hui, en conséquence directe de l’aménagement du Forum, que l’ouverture de la Diagonal a permis cette issue plus qu’espérée. Barcelone a tourné le dos à la mer depuis bien avant la construction de l’Eixample, comme si celle-ci n’apporterait rien à la métropole.

En résumé, la pertinence du projet et du plan Cerdà se reconnaît dans sa précision et l’entêtement de son auteur à satisfaire des critères libres de toute hypocrisie politique. En effet, la reconnaissance actuelle de la portée de son œuvre contraste avec le peu d’intérêt qu’on lui a porté à son époque. En 1860, la ville de Barcelone octroyait le premier prix du concours d’aménagement du Plà à l’architecte catalan Antoni Rovira i Trias. Or, le gouvernement central de Madrid approuva irrévocablement le plan que Cerdà leur avait soumis directement, négligeant les dispositions des autorités catalanes. Cette première polémique joua le rôle de catalyseur des oublis et des « récupérations »30 de Cerdà, jusqu’à sa récente reconnaissance.

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Barcelona Metròpolis Mediterrània, monogràfic n° 3, article de O. Bohigas, El musseo del disseny, peça d’una nova centralitat, Barcelone, 2003 29 Hormigón y Acero N° 194, Plaza de las Glorias Catalanas, Madrid, 1994 30 F. Roca, Cerdà después de Cerdà, dans Cerdà, un pasado como futuro, Cuadernos de Arquitectura y Urbanismo, N° 100, 1974, p. 51

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A l’époque de la réalisation du plan, on lui imputait principalement deux torts : la monotonie du tracé et les présages obscurs d’un futur chaos économique31. Rappelons ici que Cerdà projetait la construction de l’Eixample sur un système de « ville intégrale » où devait régner l’égalité des classes et des services, sans laisser de place à la spéculation foncière. Cependant, les adaptations successives de son projet ont détourné l’idée originale. L’image de l’ingénieur ne fut blanchie qu’à partir de la réédition en 1968 de sa Théorie Générale, complétée par Estapé d’une biographie détaillée. Dès lors, l’homme, tout comme la nature pluridisciplinaire de son projet, parurent bien moins énigmatiques : les écrits corrigeant l’ignorance volontaire de l’œuvre de Cerdà se sont succédés à grande vitesse et les expositions qui lui ont été consacrées sont les témoins d’une gratitude tardive. Bien d’autres épisodes illustrent l’actuelle reconnaissance du travail de Cerdà (v. chapitres III.2/3 IV.1 a). L’exposition qui lui a été dédiée en 1995 au CCCB a été suivie par la mise en concours de la construction de cinq blocs de style « Eixample » sur le front maritime du Poblenou, entre la Vila Oímpica et le secteur Forum. Or, comme le mentionne Manuel Solà-Morales32, il est passablement inutile et vain de vouloir recréer cinq îlots sans aucun critère général de forme urbaine où ils doivent s’insérer. De plus, il convient de relever que l’Eixample n’est pas composé d’îlots mais plutôt d’un système complexe de rues qui donne forme aux îlots. La relation des cinq unités avec le reste du quartier relève d’une importance primordiale. En 1903, un concours international fut lancé pour adapter le plan Cerdà aux réalités du nouveau siècle. L’urbaniste français Léon Jaussely fut désigné gagnant, non pas pour avoir brièvement énuméré les qualités de Cerdà (comme son esprit de grandeur ou la force d’expansion à laquelle le plan concentrique de Rovira i Trías n’aurait jamais aboutit), mais plutôt pour avoir remarqué ses « fautes ». Jaussely se situait idéologiquement dans la ligne de la Lliga Regionalista, parti politique de la bourgeoisie industrielle la plus dynamique de Catalogne, et présidé par l’éminent architecte Puig i Cadafalch33. On lui reprochait de ne pas avoir prévu suffisamment de places pouvant accueillir des monuments publics, le manque de différentiation des flux de mouvements des rues et avenues, le manque de diagonales. Cependant, l’élément le plus révélateur de la critique reposait sur le fait que le plan ne reflétait l’application d’aucune règle artistique34. Ceci illustre bien la dichotomie entre un pré-urbanisme progressiste35 face à une vision encore parfaitement « beaux-arts » de la ville.

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F. Roca, op.cit. Quaderns N° 173, Solà-Morales, M., Faules de la Mar Bella, COAC, Barcelone, 1995 33 ibid. 34 L. Permanyer, Historia de l’Eixample, Ed Plaza & Janés, Esplugues de Llobregat, 1990, p.51 35 F. Choay, L’urbanisme, utopies et réalités, une anthologie, Paris, 2001 32

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En définitive, le plan Jaussely traduisait parfaitement l’aspiration de la Lliga à élever Barcelone au rang de « capitale de la Méditerranée »36. Cette Barcelone se voulait ségrégative, avec des zones spécifiques à chaque utilisation. Un zoning non seulement pratique mais surtout profitable aux grands propriétaires de terrains. La réalisation du plan Jaussely ne s’est fait que très partiellement et échelonné pendant tout le XXe siècle : la définition de zone industrielle pour l’est de la ville et zone de loisir et repos au nord et au nord-est, l’urbanisation des collines situées aux pieds de Collserola ainsi que l’actuelle zone franche liée à l’activité portuaire, l’établissement d’un système viaire hiérarchisé avec des boulevards périphériques en ceinture de ville (avec le premier tracé de la Ronda del Mig inclus)37 sont des éléments que Jaussely avait prévu et qui se sont réalisé peu à peu. Un plan qui a contribué de manière significative à la réalisation du projet de Jaussely au niveau des liens entre l’Eixample avec les noyaux urbains voisins était celui de Romeu, Porcel i Flaqués de 191738. Toutefois, la proposition de zoning de Jaussely pour Barcelone a été très certainement l’impulsion nécessaire à une nouvelle conception de la ville. Jusqu’alors pensée par Cerdà en un tout « intégral » pouvant accueillir plusieurs fonctions en un même lieu, la ville s’offrait peu à peu la possibilité de s’accroître sur un territoire plus vaste. L’embryon d’une Barcelone métropolitaine est en gestation.

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G. Henry, , Barcelone, dix années d’urbanisme, la renaissance d’une ville, Ed. du Moniteur, Paris, 1992, p.21 A. Ferré, La ciudad que llega de fuera : la contribución externa a la construcción de Barcelona, dans Barcelona Metròpolis Mediterrània, Barcelone, automne 2003 38 J. Busquets, op. cit., p. 277 37

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II.2 ] Les plans d’aménagement et la gestion de l’espace urbain

Alors que Jaussely ouvrit les portes d’un nouveau territoire, le plan de Cerdà resta en vigueur jusqu’en 1953, année du Plan Comarcal, ou Plan Régional39. Cette vision est largement partagée par les critiques, mais elle réduit considérablement la réalité. En effet, nous avons vu qu’en 1917, un plan permit déjà la réalisation partielle des certains principes formulés par Jaussely. Or, ceci ne représentait qu’un apport parmi tant d’autres. Tous ont contribués à élargir l’horizon de l’urbanisme barcelonais par une multitude de données venant s’ajouter aux concepts du moment pour en faire une science aussi vaste que complexe. Il n’y avait donc pas de plan unique pouvant expliquer tous les développements d’un espace. L’évolution s’est produite de manière progressive et dépendait des relations entre les éléments constitutifs de la société. On reconnaît, toutefois, l’importance de certaines planifications comme ayant été à l’origine de remarquables transformations urbaines. Les trois plans généraux d’ordonnance urbaine40 de Barcelone furent : le Plan Cerdà de 1859, le Plan Régional de 1953 et le Plan Général Métropolitain (PGM) de 1974, approuvé définitivement en 1976. D’autres, bien plus nombreux, n’ont joué qu’un rôle secondaire. Dans certains cas, ils ont été subsidiaires aux grands plans généraux. Le PGM, par exemple, a été modifié plus de 1600 fois depuis 197641. Nul besoin de revenir sur le Plan Cerdà, largement commenté plus haut. Avant de poursuivre avec le Plan Comarcal, il est absolument indispensable à la logique de cette approche de mentionner le Plan Macià de 1932, qui fut ainsi nommé d’après Francesc Macià, Président de la Generalitat jusqu’en 1933. Issu directement du groupe G.A.T.C.P.A.C. (Groupe d’Architectes et Techniciens Catalans pour l’Architecture Contemporaine), – à ne pas confondre avec son pendant national, le G.A.T.E.P.A.C. – le Plan Macià se voyait protégé par le gouvernement autonome au cours d’une parenthèse trop vite refermée, juste le temps d’une république. Le climat des temps modernes favorisait la production artistique et attirait les étrangers tels que Chagal en 1932, Eluard ou Stravinsky. Néanmoins, la figure la plus significative dans le contexte de l’urbanisme fut incontestablement Le Corbusier. Aux côtés de Josep Lluis Sert (19021983) et Josep Torres Clavé (1906-1939), ils ont laissé un nombre important d’esquisses, de projets, 39

A. Serratosa, El Pla General Metropolità de Barcelona, dans le catalogue de l’exposition Contemporary Barcelona Contemporània, Barcelone, 1996 40 ibidem 41 Restitution synthétique du débat lors du séminaire préparatoire au colloque final sur l’étalement urbain : L’impact des politiques et des outils de l’aménagement sur l’étalement urbain, Perpignan, 4 juillet 2000

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de dessins, de plans et de réflexions autour du thème de la ville. Une réunion du CIRPAC – Comité International pour la Réalisation des Problèmes Architecturaux Contemporains – se comprend comme la préparation au fameux Congrès d’Athènes et à la consécutive Charte d’Athènes. La revue A.C. – Documentos de Actividad Contemporánea – riche de 25 numéros publiés entre 1929, année de la fondation du groupe, et 1936, constitue a elle seule une véritable charte d’urbanisme42. Quelques citations d’articles de cette revue illustrent bien la pertinence et l’essence même du Plan Macià et du G.A.T.C.P.A.C. 43: -

« Es urgente organizar las zonas de reposo de que carecen las ciudades y facilitar al ciudadano medios rápidos y económicos de transporte a estas zonas ». A.C. N° 7, 1932

-

« Hay que abandonar cuanto antes los viejos principios, aún en boga en nuestras escuelas, como elementos muertos e inútiles ». A.C. N° 13, 1934

-

se référant au système légal : « producto de normas estéticas muertas y de viejos procedimientos de construcción ». A.C. N° 13, 1934

Couverture de la revue A.C. N° 6 (image web)

Au-delà de ces considérations, la grande nouveauté du Plan Macià reposait sur la prise en compte d’une échelle nouvelle, celle de la comarque, ou d’une grande Barcelone, regroupant plusieurs communes sous la même autorité. En effet, le panorama qu’offrait la ville au lendemain de la grande Exposition Internationale de 1929 était plutôt déplorable : massification de la vieille ville par des constructions superposées aux anciennes et bouchant ainsi les canaux d’aération et de lumière, le développement incontrôlé de l’industrie est critiqué par le G.A.T.C.P.A.C. comme une 42 43

R. Ferras, Barcelone Croissance d’une Métropole, Thèse présentée devant l’Université de Montpellier, 1975 Ibidem, pp. 251-260, traduction informelle : - « Il est urgent d’organiser des zones de repos que les villes n’ont pas, et de faciliter au citadin des moyens rapides et économiques pour s’y rendre » - « Il faut abandonner au plus vite les vieux principes encore en vogue dans nos écoles, comme des éléments morts et inutiles » - « produit de normes esthétiques mortes et de vieux processus de construction »

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nueva muralla de la Barcelona maquinista44, de quartiers devenus de véritables exutoires populaires. La situation était donc devenue chaotique, mais les efforts des architectes avant-gardistes du G.A.T.C.P.A.C. n’ont pas vu leurs projets réalisés. La proposition du groupe s’intéressait donc à une « architecture urbaine », éloignée pour la première fois, hormis Cerdà, des principes élitistes du modernisme et du noucentisme, et dont les objectifs sociaux étaient clairement manifestés. Le premier pas concret vers une aire métropolitaine se manifeste par la mise sur pied d’une « commission d’aménagement », en 1945, qui aboutira en décembre 1953 à l’approbation du Plan Comarcal, (également nommé Plan General de Barcelona y de su zona de influencia). Ce fut le premier plan à englober Barcelone et 26 municipalités avoisinantes. Certaines de ces communes étaient déjà de véritables noyaux urbains dépassant parfois les 200.000 habitants comme à Sant Cugat ou à L’Hospitalet de Llobregat. D’autre, comme Badalona ou Cerdanyola n’en étaient pas très éloignées. Les principes formulés par le plan se voulaient très conceptualisés, en ce qui concerne la nouvelle image de la région45 : -

conception polynucléaire, grâce à un regroupement des divers centres autour d’un point central. Ceci implique une volonté de préservation de l’individualité de tous les nouveaux centres

-

le maintient de la trame Cerdà, là où le tissu s’y prête

-

un zoning ferme et strict, avec une nette disjonction entre industrie et résidence

-

un rééquilibrage entre le centre de Barcelone et son extension par rapport aux zones encore très peu denses des communes regroupées

Les intentions étaient bonnes, certes, mais la question de la gestion de ces propos demeurait dans le plus grand flou. Comment fallait-il procéder à ce regroupement sans risquer de froisser les agglomérations qui allait tomber sous le « joug » de la capitale, la deuxième après Madrid ? Bien sûr, grâce aux bonnes intentions, les polémiques n’étaient pas trop importantes, mais l’instrumentation normative n’en était pas pour autant renforcée. La loi du sol de 1956 ne résolvait pas tous les dilemmes. Les grands espaces qui s’offraient aux promoteurs barcelonais ne sont pas restés vierges. L’explosion démographique a affecté directement ces régions limitrophes. Le centre de Barcelone ne se prêtait plus aux grandes opérations immobilières, et le déficit en logement, aussi bien dans la vieille ville comme dans l’Eixample, a favorisé tous les débordements, géographiques et économiques.

44 45

R. Ferras, op.cit., p.254, traduction informelle: “nouvelle muraille de la Barcelone maquiniste”. Ibidem, p. 260

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Il faut toutefois reconnaître que pendant cette période d’atonie presque totale en matière d’ordonnance urbanistique, juste passé le temps de la reconstruction d’après-guerre, le Plan Comarcal, n’était de loin pas négligeable. Une figure importante de l’urbanisme des années cinquante fut l’architecte Manuel Baldrich. Il participa au plan de 1953 et s’occupa à l’élaboration des plans de petites villes de province comme Vic, Sabadell et Terrassa. On peut voir en lui l’instigateur de la première théorisation de l’urbanisme supra-municipal grâce à son opuscule « L’urbanisme comarcal »46. Alors que le prix du sol grimpait à des vitesses vertigineuses, et devant l’incapacité législative à pallier substantiellement aux engorgements, il devint primordial de réviser les données du plan de 1953. En 1964, une commission technique fut instaurée afin de gérer les grands flux migratoires que la capitale enregistrait. Ils avaient d’ores et déjà en point de mire la Barcelone de 2010. C’était donc une prévision sur quarante-cinq ans de développement urbain. Leurs efforts se concrétisèrent en 1966 par l’approbation d’un plan, puis en 1968 par le changement de dénomination du bureau en « étude de décongestion de la comarque de Barcelone ». Notons également que c’est à cette époque et dans ce groupe de travail que se sont entrepris les premiers véritables travaux d’assainissement du centre historique : éponger le tissu trop dense pour y ménager des places publiques et revaloriser le patrimoine historique. Cependant, le plan de 1953 a joué le rôle de garde-fou théorique plutôt que de véritable instrument de planification, et la tâche d’huile poursuivait son étalement désordonné. Les périphéries étaient sous-équipées, les habitats de qualité dérisoire et aux infrastructures internes déficientes voire inexistantes. Jusqu’à la fin des années soixante, les bonnes intentions de valorisation des nouvelles communes ne sont restées que dans l’utopie des planificateurs. La révision de 1966 – 1968 a tout de même imposé une prise de conscience socio-économique sur les conséquences des variations démographiques sur une échelle plus vaste, celle de l’aire métropolitaine. Le PGM de 1974, adopté en 1976, (dirigé par Albert Serratosa et rédigé par Joan Antoni Solans), a joué un rôle fondamental dans l’urbanisme catalan. Il devait souligner deux points essentiels : dans un premier temps, il démontrait qu’il était possible de procéder à une planification qui, même conflictuelle, puisse faire face à des pratiques urbanistiques qui ont jusque là engendré une grave dégradation de la ville et du territoire. Dans un second temps, la structure normative pouvait enfin, grâce au plan, soutenir des actions saines et charpentées à une échelle adéquate. La forte immigration des années soixante était à l’origine de grands problèmes sociaux (v. chapitre III). 46

J. Esteban i Noguera, La ordenación urbanística : conceptos, herramientas y prácticas, Barcelone, 2003

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La propagation du slogan « Barcelona, segunda cuidad mundial en densidad después de Calcuta » parle de lui-même47. De ce fait, le PGM affrontait à une région déjà totalement saturée et exploitée. Le plan directeur de 1965, bien que conçu principalement pour usage interne de l’administration, a servi de base pour la conception du PGM. Alors que le premier était destiné à organiser le territoire (plan indicatif général) et englobait une région de plus de 3000 km2, le PGM, s’articulait sur le territoire de l’aire métropolitaine : 27 communes dont Barcelone.

Le PGM (tiré de www.bcn.es/urbanisme)

Le PGM a donc joué un rôle chirurgical. L’opération consistait à mettre en œuvre les adaptations nécessaires à la nouvelle métropole, par une affectation des terrains de plus de cinq fois plus importants en ce qui concerne les équipements publics, et de plus de deux fois et demi pour ce qui est des espaces verts. De plus, il a signifié un pas essentiel vers la tranquillité des habitants de la première couronne de communes ceignant Barcelone, qui souffraient du trop important transit routier vers la capitale. Les rondas, ceintures périphériques, constituaient un des éléments les plus importants du PGM. L’implantation de l’usine SEAT en 1953 élargit le potentiel d’emplacement de zones résidentielles face au lieu de travail. C’était le début de l’individualisation du transport. Il reste à souligner une innovation du PGM qui pourrait paraître purement technique, mais qui a eu des conséquences juridiques et sociales : la nouvelle qualification du sol. Aux traditionnelles valeurs de sol urbain, sol urbanisable et sol non urbanisable, s’ajoute la classification en zones et systèmes. Cet apport a affecté de manière significative la conception et le développement de ce qu’on entend aujourd’hui comme ville : un lieu de vie collective.

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A. Serratosa, op. cit., traduction informelle : « Barcelone, deuxième ville mondiale sur le plan de la densité après Calcutta »

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Brièvement, voici comment s’articule l’appareil de gestion d’aménagement de l’espace urbain de Barcelone et de sa région métropolitaine : le statut d’autonomie de la Catalogne octroie un pouvoir exclusif au gouvernement autonome Catalan – que nous nommerons désormais Generalitat – en matière d’ordonnance du territoire et du littoral, de l’urbanisme et de l’habitat, compétence transférée par décret royal le 23 juin 1978. La norme législative principale en matière d’urbanisme en Espagne est la « loi du sol et de l’aménagement urbain ». Elle régit les territoires depuis 1956 ; elle a été modifiée en 1975-1976, complétée en 1998 et encore récemment en 2000. La loi appliquée en Catalogne suit les grands principes de la « loi du sol » espagnole, et a été développée par des normes en 1981, 1984, 1990, 1998 et 200048. Notons que la loi du sol espagnole reste, malgré l’autonomie de la Generalitat, une base sur laquelle se fondent les modifications légales et les normes appliquées en Catalogne. Peu avant que les Cortes Espagnoles n’approuvent la Réforme de la Loi du Sol en 1990, le parlement catalan avait promulgué une loi qui autorisait la Generalitat à dicter un Texte Amendé de législation urbanistique. En conséquence de ce texte, un décret fut approuvé le 12 juillet 1990 donnant constance à la vigueur de la loi établie par le Parlement de Catalogne, incluant en grande partie le texte de l’Amendement de 1976, ainsi que d’autres lois catalanes ayant attrait au domaine de l’urbanisme49. Entre 1990 et 2002, un chassé-croisé de lois, amendements et textes réglementaires ont créé un climat de tensions entre autorités autonomiques et gouvernement central. La grande question discordante repose principalement sur l’autorité octroyée aux particuliers dans la planification urbaine, face à la Generalitat et à l’Etat. Finalement, en 2002, fut approuvée une loi englobant le pouvoir catalan dans une optique de planification collective et durable.

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R. Verges i Fernandez, intervention lors du séminaire préparatoire au colloque final sur l’étalement urbain : L’impact des politiques et des outils de l’aménagement sur l’étalement urbain, Perpignan, 4 juillet 2000 49 J. Esteban i Noguera, op. cit.

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II.3 ] L’urbanisme événementiel : les moteurs de planifications d’urgences

Avant d’analyser la portée de l’acte qui se célèbre actuellement à Barcelone, le Forum Universel de Cultures 2004, voyons comment cette métropole s’est déjà approprié à plusieurs reprises l’attention du monde et en a profité pour remodeler des espaces urbains inadaptés ou obsolètes. Ce fut le cas en 1888, où un grand parc urbain, scène de l’Exposition Universelle, pris la place de la forteresse militaire de la Ciutadella, détruite quelques décennies auparavant. Cet évènement, d’initiative privée, préconisée par Eugenio Serrano y Casanova, permit un formidable essor de l’architecture catalane, et joua un rôle incontestable de promotion des futurs constructeurs de l’Eixample. Grâce au « coup de fouet » de l’Exposition, Barcelone se débarrassa de son caractère provincial et entra dans la cour des grandes villes européennes. On urbanisa les alentours de la Ciutadella et de la Rambla Catalunya en y concentrant les plus remarquables bâtiments modernistes. De nos jours, ces monuments, tels que l’Arc de Triomf de Josep Vilaseca i Casanovas ou le Castell dels tres Dragons de Lluís Domènech i Montaner, tout deux situés dans le parc de la Ciutadella, ainsi que les innombrables Cases Modernistes, sont autant de symboles constituant l’image de marque de la ville.

Salle de l’exposition de 1888 (tiré de BMM, Design monographic 3)

En 1929, l’Exposition Internationale servit à organiser un très grand territoire, non seulement à Montjuïc, mais dans presque toute la ville. L’initiative d’une exposition internationale tire son origine d’un projet d’exposition des industries électriques prévue pour 1917. Interrompu pas la guerre, il repris en 1920 puis fut favorisé par l’arrivée au pouvoir du général Primo de Rivera. Ce fut 28


un catalyseur d’une production importante en logement (v. chapitre III.1 a), ou du moins, de la prise de conscience d’une nécessité en habitat bon marché. Notons que le président de l’Exposition ne fut autre que le maire de Barcelone, Baron de Viver, qui fut également le nom qu’on donna a un des premiers polygones résidentiels de Barcelone. Les architectes en chefs n’étaient autres que deux grands maîtres du modernisme catalan, Josef Puig i Cadafalch et Lluís Domènech i Montaner. On hésita longtemps avant de choisir la colline de Montjuïc pour y construire le Palau Nacional, l’Avenue Maria Cristina et les nombreux monuments du Poble Espanyol, réplique miniature d’un village rural traditionnel espagnol. Alors qu’on avait commencé à urbaniser la colline en 1917, – avec le premier bâtiment du flanc de Montjuïc, la fabrique de textiles Casa Ramona (1908) de Puig i Cadafalch – ce n’est que grâce à l’évènement international que Barcelone ne put entreprendre les travaux à l’échelle adéquate : 118 hectares, et accueillir des pièces aussi relevantes que le pavillon allemand de Mies van der Rohe. Celui-ci constitue une image importante de la ville.

Pavillon allemand de Mies van der Rohe pour l’Exposition Internationale de Barcelone, 1929 (photo web)

Après un superbe quinquennat de collaboration internationale sur le plan de l’architecture suivant l’Exposition de 1929, tout le pays entra en léthargie jusqu’en 1978. Les frontières se sont refermées sous Franco pour ne permettre de développement que dans le sens du pouvoir central madrilène. Or, les architectes barcelonais prirent un sensible retard par rapport à ses homologues européens. La nomination de Barcelone pour les Jeux Olympiques de 1992 fut alors l’occasion rêvée de reprendre une vieille pratique d’urbanisme monumental patronné par la célébration d’un acte d’envergure mondiale. Il n’est pas question de remettre en cause la légitimité des pratiques du département d’urbanisme de Barcelone, culminant en 1992, car celles-ci doivent s’entendre dans une 29


continuité ayant comme origine incontestable la chute du régime franquiste. Elles ont marqué assurément une des périodes les plus remarquables de la métropole catalane (v. chapitre V). Quant à l’opération du Forum Universel des Cultures, Barcelona 2004, nous verrons grâce à l’analyse de son architecture, des relations qu’elle entretient avec son entourage ou encore de sa gestion dans quelle mesure elle peut être considérée comme une impulsion favorable à la ville. L’idée originelle du Forum est née en 1996 sous l’impulsion de l’actuel président de Catalogne, Pascual Maragall (alors maire de Barcelone), de commémorer les 75 ans de l’Exposition Internationale de 1929. De plus, fort de l’expérience des Jeux Olympiques de 1992, dont on célébrait en ce 17 octobre 1996 les dix ans de sa nomination, Maragall profita de l’occasion pour proposer un nouveau moteur de transformation urbaine. Le bureau des Expositions Universelles de Paris refusa catégoriquement la proposition. Barcelone eut alors la riche idée d’en faire une Exposition non pas Universelle mais basée sur des critères en parfaite adéquation avec le climat mondial de ce début de millénaire : la paix, de la diversité et de la durabilité. Or, ce prétexte aux appâts novateurs se basait en premier lieu sur la nécessité de régénération tant économique qu’urbaine, d’un des secteurs les plus contaminés de la métropole : le littoral nord de Barcelone. « Maragall explicó que, si hacía falta buscar algún « pretexto » para canalizar esas inversiones y seguir transformando la ciudad, el ayuntamiento estudiará la posibilidad de organizar una Exposición Universal que conmemorará el 75 aniversario de la celebrada en 1929, que permitió la urbanización de una parte de Montjuï »c.50 La Vanguardia, 8 mai 2004 A titre indicatif, le contexte subjectif dans lequel s’inscrit la nouvelle politique du pays peut s’entrevoir grâce à deux déclarations contemporaines et du moins antithétiques. Selon l’architecte urbaniste Josep Maria Montaner51, l’élément essentiel de confusion consiste à faire coïncider deux faits totalement distincts : la transformation de l’extrême oriental de la ville et l’invention d’un nouveau type de forum populaire et médiatique : […] Resultando ya bien claro lo insostenible de las prisas con las que se ha de hacer todo, terminar construcciones y pensar contenidos, no se entiende por qué el Fòrum no se 50

Traduction informelle : « Maragall expliqua que s’il est nécessaire de trouver quelconque « prétexte » afin de canaliser ces inversions et continuer à transformer la ville, la mairie étudiera la possibilité d’organiser une Exposition Universelle qui commémorera le 75ème anniversaire de l’Exposition de 1929. Celle-ci engendra l’urbanisation d’une partie de Montjuïc ». 51 J. M. Montaner, Repensar Barcelona, Ed. UPC, Barcelone, 2003, pp. 170-171

30


convierte en un 2004+2, con un primer ensayo en el 2004 de encuentro de movimientos alternativos, pacifistas, ecologistas y antiglobalización, y se da tiempo para pensarlo y construirlo mejor, de manera más razonable, participativa y sostenible para un Fòrum del 2006 o del 2008. De momento es un Fòrum sobre la cultura, la paz y la sostenibilidad totalmente deslegitimado, en una ciudad que ha asistido pasiva al inicio de una guerra, injusta y absurda como todas, llegando sólo a generar la protesta de unos centenares de ciudadanos conscientes en la Plaça de Sant Jaume. […] 52 D’un autre côté, la politique se glorifie d’avoir su réunir tant de cultures du monde. Lors de sa visite du Forum, le nouveau président du gouvernement, José Luis Rodríguez Zapatero, n’hésite pas à féliciter Barcelone pour ses politiques urbaines : Zapatero destaca que Barcelona abandera las nuevas políticas urbanas y de convivencia del mundo, y la define como « un mágico lugar » donde pueden tener acogida los principios multiculturales del Fòrum. La Vanguardia, 8 mai 2004 53 Or, la victoire de la gauche aux dernières élections n’avait rien de surprenant. Les sondages du lundi 8 mars 2004 laissaient entrevoir une possible augmentation des sièges occupés par des socialistes, mais pas une victoire, et encore moins une majorité absolue. Le drame qu’a vécu Madrid à seulement deux jours des scrutins a indubitablement influencé le choix des indécis : il s’agissait de crier sa colère en pleine figure de celui que l’on rendit responsable des attentats du 11-M, de se venger en rejoignant l’opinion de la masse contre ce parti qui osa s’allier aux Américains. L’Espagne trouvait alors une motivation inébranlable à se jeter sur les urnes, comme ils l’avaient fait en 1977 lors des premières élections démocratiques. Le leader du Parti Populaire Ouvrier Espagnol (PSOE) n’avait plus qu’à saisir aisément les rennes d’un peuple trop fragile pour être objectif. Sans mâcher ses mots, le jeune « élu du peuple » écrasa son adversaire et s’avança en libérateur des troupes bloquées en Irak.

52

Traduction informelle : « Etant donné l’irrationalité de l’empressement avec lequel tout doit se réaliser, terminer les constructions et penser les contenus, on ne comprend pas pourquoi le Forum ne s’est pas transformé en un 2004 + 2, avec un premier essai en 2004 de rencontres des mouvements alternatifs, pacifistes, écologiques et antiglobalisation, et on se donne le temps pour penser et construire mieux un Forum en 2006 ou 2008, plus participatif et soutenable. Pour l’instant, il s’agit d’un Forum sur la culture, la paix et le développement durable totalement délégitimé, dans une ville qui a vécu de manière impassible le début d’une guerre, injuste et absurde comme toutes, ne réussissant à réunir que quelques centaines de citoyens conscients sur la Place Sant Jaume ». 53 Traduction informelle : « Zapatero relève que Barcelone est le porte-drapeau des nouvelles politiques urbaines et de coexistence du monde, et la qualifie comme un « lieu magique » capable d’accueillir les principes multiculturels du Forum »

31


Quant à l’utilisation (entre guillemets pour des raisons évidentes) de l’expression un lieu magique, elle permettra aux naïfs de s’émerveiller bêtement devant un « Magic World » hollywoodien. Finalement, il conviendrait de s’interroger, et surtout dans le contexte espagnol actuel, sur les véritables gagnants de telles opérations.

Logo du Forum Universel des Cultures, Barcelona 2004 (image www.barcelona2004.com)

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III - Des bidonvilles au Forum Histoire de la périphérie de Barcelone

Façade de l’immeuble « Venus », Quartier de La Mina, Sant Adriá del Besós, Barcelone (photo Y. Siegenthaler, octobre 2003)

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a) Les Cases Barates54

Les premiers grands problèmes de logement à Barcelone datent du milieu du XIXème siècle : l’exode rural a saturé le centre fortifié et y a rendu les conditions de vie insalubres. Ce phénomène social a fait l’objet d’une minutieuse étude de Cerdà, sa monographie sur la classe ouvrière de 1867. Au début du XXème siècle, malgré la formidable plaine qui s’offrait au marché immobilier, les appartements abordables n’étaient pas nombreux. L’Eixample55 s’était développé dans une optique spéculative, destiné en premier lieu à la bourgeoisie. Entre 1914 et l’Exposition Internationale de 1929 se forgèrent les premiers instruments de gestion publique, encore maladroits et de moindre efficacité, destinés à offrir un logement bon marché, hygiénique et décent aux peones, ouvriers non qualifiés venus chercher du travail dans l’industrie catalane florissante. Bien que cet essor relatif fût essentiellement lié à l’événement promotionnel que nous venons de commenter dans le chapitre antérieur (l’Exposition Internationale de 1929), il a toutefois donné naissance à une préoccupation qui devra être celle des autorités catalanes et barcelonaises pendant presque tout le XXème siècle : le déficit en logement bon marché56. En 1912, une loi destinée à affronter ces problèmes marqua le début d’une longue période de batailles pas toujours très victorieuses. La colline de Montjuïc était peuplée sauvagement par des familles d’ouvriers n’ayant pas les moyens de s’offrir un appartement. Ces bidonvilles – barracas57 ou barraquisme, comme on a habitude de les nommer en Catalogne – étaient tous construits avec des matériaux de récupération, dépourvus d’installations sanitaires et d’accès parfois très difficiles. Quant à la situation géographique, elle s’est avérée plutôt discrète puisque la colline n’avait encore jamais attiré l’œil de promoteurs immobiliers, ni celui des autorités. En 1915, ce fut chose faite par la pose de la première pierre en vue de l’Exposition Internationale. Aussi, la mairie se devait de trouver au plus vite une solution. En 1916 se constitua l’Institut d’Habitació Popular58 chargé d’acheter, sur concours, des terrains afin d’y construire de grands ensembles bon marché. L’institut travaillait en étroite collaboration avec la Societat Cívica la Ciutat Jardí59, fondée quelques années auparavant par Cebrià de Montoliu, sur le modèle des cités54

Terme catalan, signifie « maisons bon marché » et désignant plus particulièrement les cités ouvrières de 1929. Voir chapitre II.1. Terme catalan désignant la grande expansion de Barcelone au XIXème siècle 56 M. Domingo i Clota, F. Sagarra i Trias, Garcia i Bosch, catalogue de l’exposition Barcelona, Les Cases Barates, Mairie de Barcelone, 1999 57 Terme catalan, signifiant « barraques, bidonville » 58 Institut Catalan pour le Logement Populaire 59 Société Civique la Cité-jardin 55

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jardins anglo-saxonnes de Geddes et Howard. Ces mouvements sociaux s’opposaient dans la théorie au courant dominant de la bourgeoisie : le Noucentisme. Cependant, ce n’est que vers la fin des années vingt, sous la dictature de Primo de Rivera (1921-1929), que les intentions prirent réellement forme devant l’urgence de l’Exposition Internationale. Cette période correspond également à la première vague de forte immigration en Catalogne 60: 1900-1910

133.559 immigrants

1910-1920

124.194 immigrants

1920-1930

321.980 immigrants

L’Institut, devenu entre-temps le Patronat Municipal de l’Habitatge, construisit quatre groupes d’immeubles bon marché – les Cases Barates – qui furent inaugurés la même année que l’Exposition. Au moment de l'ouverture du prestigieux événement, le problème des bidonvilles de Montjuïc n’était de loin pas résolu : un mur fut alors construit afin de cacher la vue sur les baraques depuis les zones d’exposition, mur détruit aussitôt cette dernière terminée. L’essor économique et l’expansion démographique de la ville firent monter les prix de la main-d’œuvre et des matériaux de construction, ce qui renchérit également les coûts d’achat des terrains. La mairie dut donc se contenter d’emplacements mal orientés, sujets aux inondations61 et surtout éloignés de la ville et isolés de tous réseaux de transport62. Ceux-ci, de même que les écoles et les centres sanitaires, ne vinrent compléter les ensembles que bien plus tard, alors que les premiers habitants

avaient

déjà

pris

possession des lieux. Nommées Cases Barates Eduard Aunós, 1929

selon le nom du propriétaire du

(photo Els polígons de Barcelona, Aixalà)

terrain (Eduard Aunós, Baró de Viver, Milans de Bosch et Ramón

60

A. Ferrer i Aixalà, Els polígons de Barcelona, Laboratori d’Urbanisme, Edicions UPC, Barcelone, 1996, p. 51, chiffres correspondants à l’immigration sur le territoire de la Principauté 61 A. Ferrer i Aixala, op.cit. p. 56 62 M. Domingo i Clota, F. Sagarra i Trias, Garcia i Bosch, op.cit. pp. 179-180

35


Albó), ces cités ont servit d’exemple en matière de politique de logement, malgré l’absence d’équipements. Au total se construisirent, dans le cadre de cette initiative, 222963 logements des 6000 initialement prévus. Ces maisons d’habitation, d’un seul étage, s’inscrivaient dans un grand rectangle et se distribuaient en rangées parallèles et perpendiculaires, groupées deux par deux avec une zone centrale faisant office de minuscules patios individuels, le tout centré autour d’une ou de quelques petites places dominées par le bâtiment principal et ensuite par l’école. Leur forme architecturale montrait une nette appartenance au style catalan par excellence : le Noucentisme. Ce style se voulait épuré, mais ponctué de discrets signes distinctifs trouvant leur origine dans l’idéal traditionaliste : murs stuqués en blanc avec tout au plus une petite corniche et un socle, toit en bâtière couvert de tuiles rouges, utilisation d’arc et de colonnes pour la façade des bâtiments principaux. A la même époque, les architectes allemands luttaient pour des solutions constructives novatrices, comme par exemple le Weissenhof à Stuttgart. Bien que les deux villes basaient toutes deux leurs efforts sur la grande nécessité en logement, due principalement à l’immigration en Espagne et à la guerre en Allemagne, leurs conceptions architecturales étaient très éloignées l’une de l’autre. Le Weissenhof était, dès sa genèse, une exposition pour la promotion et le développement du logement du futur : die Wohnung der Neuzeit64. Les publications, les recherches sur la forme (exposition du Werkbund « Die Form » en 1924), et finalement l’architecture fonctionnelle et dénudée, ouvrirent de nouvelles voies que Barcelone n’allait pas tarder à emprunter. L’année de l’Exposition Internationale fut décisive dans le panorama architectural barcelonais : elle vit coïncider la construction des premiers ensembles, l’installation du pavillon Mies Van der Rohe sur le flan de Montjuïc et la création du G.A.T.C.P.A.C.65. Ce groupe connut un grand succès en Catalogne et réalisa bon nombre de bâtiments qui s’inscrivaient parfaitement dans le courant avant-gardiste européen. Dans les années trente, avec la proclamation de la deuxième république, l’architecture de Barcelone se modernisait et s’alignait donc sur les principes internationaux. Au-delà des remarquables exemples d’architecture moderne, les projets du groupe catalan au niveau de

63

2229 logements selon Amador Ferrer, 2192 selon le catalogue de l’exposition Barcelona, las cases barates L. Benevolo, Histoire de l’architecture moderne, 2, Avant-garde et mouvement moderne : 1890-1930, Ed. Dunod, Paris, 1998 65 voir chapitre II.2. “Grupo de Arquitectos y Técnicos Catalanes para el Progreso de la Arquitectura Contemporánea” 64

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l’aménagement urbain – qui auraient pu avoir des répercutions largement bénéfiques pour les castes populaires en mal de logement – se reflétaient dans le Plan Macià66 (v. chapitre II.2). Durant cette décade, la construction de quartiers résidentiels ne dépassèrent guère le stade théorique, et furent trop vite oubliés. L’immigration ne cessait d’augmenter et les bidonvilles également. Ceux-ci s’étendaient non seulement sur la colline de Montjuïc, mais aussi sur des îlots encore vierges de l’Eixample, sur des terrains vagues du Poblenou et surtout sur des plages du nordest de Barcelone jusqu’au fleuve Besòs : notamment celles de Pekín, Parapeto ou Somorrostro. Ces dernières étaient la face la plus visible et la plus commentée des graves problèmes de logement. D’autres solutions les dénonçaient également, comme la pratique très répandue de la souslocation, et l’apparition de casas de dormir, sorte de dortoirs communautaires où l’on louait une couchette à bon frais et dont l’infrastructure était extrêmement sommaire.

b) La crise d’après-guerre et les institutions dédiées au logement La construction s’immobilisa pendant la guerre et mit du temps à se redresser. Toutefois, la dictature de Franco se voulait sociale, et le droit à un logement décent faisait partie des préoccupations gouvernement

du central.

Il

emprunta des chemins rapides et expéditifs afin de procurer un logement aux familles pauvres. En 1941 fut fondée la Obra Sindical del Hogar67, effective dans toute l’Espagne, de même que l’Institut Nacional de la Vivienda68.

Ces

organismes,

Torre Llobeta, 1947 (image PMH, De les cases barates als grans

tous deux nés grâce à la

polígons de Barcelona, Barcelona, 2003)

nouvelle loi de 1939 sur le logement

protégé,

étaient

66

Voir chapitre II.2 l’Oeuvre Syndicale du Logement 68 l’Institut National du Logement 67

37


chargés de combler le déficit par la construction massive de quartiers résidentiels. Mais, ce n’est qu’à partir de 1945 que le quota total annuel de 5000 logements fut atteint69, chiffre qui commençait à avoir un certain poids par rapport aux besoins. Entre 1945 et la fin des années cinquante, les divers organismes publics ont construit des ensembles considérables, comme ceux de « l’Urbanització Meridiana » (1945) de 406 appartements distribués dans des bâtiments de trois à sept étages, de style encore enraciné dans une tradition noucentista, et respectant le tracé de l’îlot Cerdà. Dans un style similaire fut construit « Torre Llobeta » (1947) de 769 appartements ; « La Verneda » (1951-1952) de 656 appartements, ou encore « El Polvorí » (1953) de 443 appartements. Ce dernier dénonce une nette inspiration du Mouvement moderne par la facture dénudée des façades. Tous se situent en marge de la ville, sur des terrains ruraux devenus urbanisables comme l’actuelle Zona Franca, le prolongement de la Meridiana ou le quartier de Horta.

El Polvorí, 1953

Urbanizació La Meridiana, 1945 (Photos, Els polígons de Barcelona, Aixalà)

La célébration du Congrès Eucharistique International en 1952 donna lieu à la création de l’entité « Viviendas del Congreso »70 qui construisit un total de 5189 logements entre 1952 et 1972. Encore une fois, c’est la pression d’un acte d’envergure internationale qui favorisa presque « miraculeusement » l’aménagement d’un espace, et offrit de réelles solutions : l’évêché de Barcelone ne se contenta pas d’une collecte privée, il engagea la responsabilité des banques et des caisses d’épargne dans l’apport des financements nécessaires. Cette action, tant du point de vue de sa 69 70

A. Ferrer i Aixala, op.cit. p. 60-64 Logements du Congrès

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conception que de sa promotion, marqua la fin d’une première période d’intervention publique sur le plan du logement ouvrier, allant de l’immédiate après-guerre jusqu’en 1952.

Une deuxième période, considérée comme intermédiaire, reconnut l’importance des apports des promoteurs privés aux côtés des institutions publiques. Dans ce cadre (1952-1960 environ) se sont construits des ensembles résidentiels dont la densité dépassait de loin celle de ses prédécesseurs. A titre d’exemple, le quartier de Horta au nord de la ville se vit doté de 2000 appartements entre 1954 et 1957 sur l’initiative d’une agence privée de promotion immobilière. Un autre cas significatif fut celui du quartier du Maresme, accolé à l’actuel centre commercial Diagonal-Mar et à la nouvelle zone Forum, où l’on construisit, également sur initiative privée, des doubles blocs de huit étages formant une cité de 960 appartements.

c) Plan de Urgencia Social de Barcelona (1958) Unidades Vecinales de Absorción71.

Polygones inclus dans le Plan d’Urgence Sociale, 1958 : (image Els polígons de Barcelona, Aixalà) Zona Forum / Maresme / Sud-Oest Besós / La Mina

En 1957, devant la prise de conscience de la relative inadéquation des mesures entreprises face à la graduelle et constante augmentation de l’immigration, le gouvernement franquiste introduisit une loi d’urgence sociale (1957, ratifiée en Catalogne en 1958). Cette loi fit naître le Plan 71

Le Plan d’Urgence Sociale de Barcelone et les Unités d’Absorption des bidonvilles.

39


de Urgencia Social de Barcelona, géré par une commission exécutive qui commença par un diagnostic : le déficit s’évalua à quelques 55000 logements, desquels 36000 étaient considérés comme urgents et devaient être construits sur une période de six ans. Les instruments de gestion et de financement étaient intégrés dans les démarches de planification, avec une priorité posée sur les investissements privés. Le plan inclut les premiers très grands complexes résidentiels tels que « Sant Martí » (10570 appartements), « Sud-Oest del Besós » (presque 5000 logements), une partie de « Bellvitge » (7000) et « Sant Ildefóns-Cornellà » (6480). Ces deux derniers sont situés sur la plaine du fleuve Llobregat, l’autre grande périphérie ouvrière du sud-ouest de Barcelone. Ces gigantesques polygones ont été construits dans le premier quinquennat des années soixante. On peut considérer leur importance comme primordiale dans la nouvelle perception de la région métropolitaine. En effet, si le plan comarcal72 de 1953 prévoyait une expansion sur les communes voisines, et, si les actuations d’après-guerre jusqu’en 1960 avaient déjà entamé la densification périurbaine, ce n’est qu’à partir du plan d’urgence sociale que Barcelone fit un grand pas vers l’aire métropolitaine. Ce plan fut appuyé en 1963 par l’élaboration et la mise en place d’une structure de réseaux de Bellvitge, L’Hospitalet de Llobregat, sud-est de Barcelone

communication devant relier les (photo

(ph. Y. Siegenthaler, février 2004)

polygones entre eux et au centre ville.

De plus, c’est à cette époque que commencèrent à se poser les questions sur le type d’édification de ces géants. Un prototype de bloc isolé devint le principal acteur : projeté à la verticale, il est capable de supporter à lui seul, et de manière autonome, jusqu’à huit appartements par étage (« Sant Ildefonso », 1963) sans pour autant augmenter la superficie d’édification. Parfois, une seule cage d’escalier avec ascenseur desservait deux blocs, comme à « Can Ensenya » (1967), ou pour la deuxième étape de « Ciutat Meridiana » (1970)73.

72 73

Voir chapitre II.2 A. Ferrer i Aixala, op. cit. pp. 209-212

40


C’était également le temps de gestation des inquiétudes pour une standardisation des équipements collectifs et des services. L’organisation interne trouva de nouvelles conceptions intéressées soudainement à l’orientation des immeubles, leurs interconnexions, le jeu des volumétries ou le rapport du cadre construit dans un contexte donné. Allant bien au-delà du simple intérêt esthétique, élément dérisoire à l’époque où la massification était d’ordre, ces nouveaux axiomes de la planification urbaine ouvrirent l’horizon trop étroit des urbanistes de cette ville devenue métropole. Bien que fragiles et théoriques, ces concepts avaient d’innovateur l’émergence d’une prise de conscience de leurs interactions. L’étape suivante de la constitution des quartiers périphériques est celle issue de l’administration publique pour l’absorption des bidonvilles qui, quelques cinquante ans après leur grande apparition, n’étaient toujours pas éradiqués. Au contraire, la courbe de l’immigration en région barcelonaise l’explique parfaitement : entre 1950 et 1960, elle s’élevait à quelques 300'000 ; entre 1960 et 1965, ce chiffre était déjà dépassé. Alors que l’on voulait des plans d’urgence sociale pour offrir de meilleures conditions de vie aux plus démunis, une grande majorité des appartements des cités satellites furent attribués à des fonctionnaires moyens ou des travailleurs qualifiés. Tous les efforts des premières années de la décennie furent anéantis par la constante immigration et par le manque de contrôle sur les occupations des nouveaux logements. Quant aux grands espaces occupés par les tôles ondulées des cabanes improvisées, ils ne cessaient de s’étendre sur une bonne partie des cinq kilomètres de plage séparant la Barceloneta du fleuve Besós. La production de logement de la période 1965-1972 correspond à un net consensus de la part des autorités visant le nettoyage des bidonvilles de Barcelone. Les organes chargés de cette tâche étaient l’Obra Sindical del Hogar, déjà mentionnée auparavant, mais cette fois-ci munie d’une politique d’Unidades Vecinales de Absorción74 (UVA), de l’Institut Nacional de la Vivienda75 ainsi que le Patronat Municipal de l’Habitatge76, seul organe actif au niveau municipal. De cette première phase sont issus trois UVA de relative importance. Parallèlement à cette action initiée sur un plan national, la municipalité de Barcelone dessina son propre Plan de Supresión del Barraquismo77 qui englobait une plus large vision du problème sur le plan territorial et social. Si les UVA avaient servi localement à reloger des établissements de fortune disséminés sur des terrains voisins des polygones résidentiels, le plan de suppression devait résorber définitivement le barraquisme. 74

Unités Voisines d’Absorption des bidonvilles voir note n° 15 76 Patronat Municipal du Logement 77 Plan de suppression des bidonvilles 75

41


Dans ce contexte, le cas de La Mina nous intéresse particulièrement par sa situation géographique et son caractère social : une large majorité des habitants de La Mina provenait du Camp de la Bota, un des plus anciens et important bidonville de Barcelone. De plus, La Mina n’était séparé du Camp de la Bota que de quelques centaines de mètres.

d) Le Camp de la Bota

Le Camp de la Bota, un des plus anciens et importants bidonvilles du littoral barcelonais, doit son nom à

l’époque

de

l’occupation

napoléonienne : l’armée française y avait aménagé une butte destinée à la pratique de l’artillerie. Le général Zapatero, quelques quarante ans plus tard, y fit construire un château à quatre tours où il installa son école militaire. Le Camp de la Bota, 1971 (photo PMH, De les cases barates

Vers 1870, des familles chinoises y

als grans polígons de Barcelona, Barcelona, 2003)

montèrent les premières

cabanes78,

d’où la dénomination de Pekín pour une partie de cette plage. Un article du quotidien Diari de Barcelona fit mention, en 1882, d’une multitude de personnes d’origines inconnues faisant de la plage leurs foyers. Puis, ce fut le tour des pêcheurs d’y établir leurs précaires demeures79. En 1925, une veuve reçut l’autorisation de s’installer, avec ses huit enfants, dans la maison du réflecteur et de se charger du maintien de l’unique source d’illumination de la plage. La position sociale des populations ayant trouvé refuge sur ces plages s’est dégradée au fur et à mesure de leur arrivée, ce qui a donné lieu à une massification chaotique des habitats de fortune,

78

J. Fabre et J. M. Huertas Clavería, Tots els barris de Barcelona VII, Els polígons i el Districte Cinquè, Ed. 62, Barcelone, 1977 79 Ibidem. p. 114

42


une ghettoïsation et une ségrégation ethnique. On peut concevoir le processus d’occupation en trois phases chronologiques 80: -

1940-1960 : arrivée massive d’Andalous de Nerja, Malaga et ensuite Jaén ; des ruraux d’origine devenus ouvriers non-qualifiés des grands chantiers de constructions.

-

1960-1970 : Andalous devenus soit qualifiés ou travaillant dans les usines voisines ; familles les moins défavorisées, qui commençaient à être relogées dans les nouveaux grands ensembles ; premiers groupes importants de gitans se mêlant aux noyaux déjà établis ; ne restaient pensionnaires des bidonvilles que les plus démunis.

-

Dès 1970 jusqu’à son terme : consolidation des groupes ethniques gitans devant une nette diminution des Andalous qui purent se procurer un logement.

Alors que les autorités s’efforçaient de nettoyer les bidonvilles de Montjuïc à l’heure de la grande manifestation internationale de 1929, les plages de la côte barcelonaise n’intéressaient que l’armée, la société espagnole de chemins de fer RENFE et les industries du Poblenou voisin qui y déversaient leurs déchets81. Le cadre était donc constitué d’un paysage encombré par des cabanes sommaires, surpeuplées et jonchées à même le sol sableux des plages polluées par les résidus des fabriques. Etreints entre les lignes de chemin de fer, les dépôts ferroviaires et la mer, ces terrains sauvages et hybrides furent partagés entre immigrants pauvres et troupes de l’armée d’artillerie. A la frontière entre les communes de Barcelone et de Sant Adrià del Besós, le Camp de la Bota se répartit en deux grandes parcelles de forme triangulaire, Pekín et le Parapeto, séparées un des bras asséchés de l’embouchure du Besós, la Riera Madriguera. Entre fumées d’usines, immondices industrielles et montagnes de débris divers, les plages n’inspiraient que désolation et leurs habitants s’en accommodaient tant bien que mal. Leur vie dépendait uniquement de leur propre capacité d’organisation. Ainsi, ils installèrent dans le château militaire une école dirigée par quelques frères dédiés à la cause des défavorisés.

80

R. Ferras, Barcelone, croissance d’une métropole, thèse de l’Université de Montpellier, octobre 1975 pour plus d’information sur le développement du littoral et une description du patrimoine industriel du Poblenou, se référer au chapitre dédié au Plan de la Ribera.

81

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Baraques du Camp de la Bota

(Photo Els polígons de Barcelona, Amador Ferrer i Aixalà)

Parapeto fait référence à un mur de trois mètres de hauteur et quarante de longueur dont l’utilité fut réinventée à plusieurs reprises. Ainsi, pour bien des habitants de Barcelone, le seul mot parapeto fait encore frémir d’angoisse82. Il désignait les palissades contre lesquelles étaient positionnés les réfractaires au régime franquiste pour y être fusillés. Entre 1936 et 1952 plus de 1600 personnes vécurent ce triste sort sous les yeux choqués des habitants des plages83. Bien des témoignages ont paru à ce propos dans les périodiques de ces dernières années, alors que ces mêmes terrains se voient aujourd’hui dotés des plus prestigieux bijoux de l’architecture en forme d’hôtels de luxe, centre de convention international et dispositifs avant-gardistes d’écologie durable. Ces survivants réclament le respect de la mémoire de ceux qui ont péris exactement là où d’autres bientôt se promèneront et prendront le soleil. Peu à peu les noms de Pekín et Parapeto furent substitués par le nom plus générique de Camp de la Bota, alors que les militaires abandonnèrent le château et que la tâche d’huile des bidonvilles s’étendit sur leurs terrains. Le Somorrostro, première plage de bidonville presque accolée à la Barceloneta, fut nettoyée pour y construire une promenade de bord de mer (v. chapitre III.2). Bien d’autres habitats de fortune furent également rasés au début des années soixante par les offensives des promoteurs immobiliers, et les nouvelles constructions n’accueillaient que rarement les délogés. Ils arrivèrent donc en grand nombre entre 1964 et 1970 sur les plages du Camp de la Bota, dernier survivant des bidonvilles barcelonais.

82

La Vanguardia, supplément « Vivir en Barcelona », 23 may 2002, article de Josep M. Huertas Clavería, El final de los días de la muerte 83 J. Fabre et J. M. Huertas Clavería, op. cit. pp. 119-121

44


Certaines familles y vécurent plus de dix ans, avec comme seul espoir les belles promesses de la section de Represión del Barraquismo84 de la mairie. Ce groupe, apparu en 1955, construisit en 1964 des baraquements en carton bitumé. Là étaient entassés les immigrants à forte dominante gitane qu’ils avaient délogés des plages de Can Tunis (action promue par l’entreprise CAMPSA), au sud de Barcelone. Sur la commune de Sant Adrià del Besós, partie orientale du littoral, c’était le chaos le plus total jusqu’au début des années soixante : véritable dépotoir d’un sous-prolétariat mal aimé, de plus en plus concentré et socialement uniforme. Ainsi, de 1970 jusqu’à sa fin, le Camp de la Bota était presque exclusivement gitan, avec une école pour quarante à cinquante enfants gitans et quelques payos (non gitans)85. Le désordre était total et les conditions d’hygiène intolérables. On a souvent parlé de la terrible image de voyous qu’avaient les habitants du Camp de la Bota vers la fin de son existence. Or, la délinquance y était relativement restreinte ; il s’agissait principalement de quelques individus imposant leur loi et achetant des droits divers aux fonctionnaires corrompus chargés de la sécurité du lieu. Cependant, le cliché était facile et le bouc émissaire tout désigné. Peu d’études s’intéressaient réellement à la situation des nombreux travailleurs qui s’efforçaient de cacher leur lieu de « résidence » à leurs employeurs par peur de perdre leur place.

84 85

section de Répression des Bidonvilles J. Fabre et J. M. Huertas Clavería, op. cit. pp. 124-128

45


e) La Mina Vella, La Mina Nova et La Mina Industrial

La Mina se situe juste au-delà de l’extrémité nord-est du territoire municipal

de

Barcelone,

sur

la

commune limitrophe de Sant Adriá del Besós. Du côté de Barcelone se trouve le quartier du Sud-Oest del Besós, séparé de La Mina par la rue San Ramón de Penyafort. De l’autre côté, le périphérique

du

littoral

cerne

véritablement le quartier et ne laisse d’issue que deux passages souterrains mal aménagés : l’un, la rue Cristobal de Moura mène au pont surplombant le Besós et aboutit, après près d’un kilomètre, au centre de Sant Adriá ; l’autre, l’Avenue Manuel Fernández Márquez, débouche sur La Catalana, un singulier quartier cerné par le fleuve Besós au nord-est et par le périphérique au sud/sud-ouest. Plan de situation de La Mina, état actuel : parcellaire, propriété et concessions. (plan de Barcelona Regional, 23 juin 2000)

La naissance de La Catalana dans les années vingt est liée à l’installation aux abords de l’embouchure du fleuve, soit directement sur la plage, de l’usine d’électricité « Catalana de gas i electricitat ». Ce micro-quartier à la typologie méditerranéenne était formé de petites maisons de un à trois étages, toit terrasse, parfois agrémentées de petits balcons en façade et distribués autour de patios intérieurs à la manière rurale très répandue dans le sud de la péninsule. Ce « village » a été presque totalement abandonné et présente aujourd’hui un état de dégradation avancé. Aujourd’hui, il est inclus dans le plan du Forum dans une perspective mixte, à la fois résidentielle et commerciale : on y prévoit un maximum de 300 nouveaux logements, un hôtel de 12'000 m2, ainsi que des bureaux.

46


Les terrains de La Mina disposaient depuis 1957 d’un plan partiel d’urbanisation. Or, la commission d’urbanisme dut constituer un groupe mixte composé par l’administration de Sant Adrià del Besós ainsi que celle de Barcelone, pour aboutir en 1966 à la modification du plan partiel, à l’expropriation des terrains restants et leur qualification dans le plan d’urgence sociale. L’équipe d’architectes, Giraldez, Subias, López Iñigo et Ferrater, chargée du plan de 1957 et de la modification de 1966, était à l’origine de la construction du premier groupe d’immeubles connu aujourd’hui comme La Mina Vella86. La structure du plan du secteur se calque sur celle de son quartier voisin du Sud-Oest del Besós, à savoir une trame de blocs allongés et d’une hauteur moyenne, placés en parallèle et en perpendiculaire, formant une sorte de jeu de grilles horizontales et verticales. Les travaux commencèrent en 1969. En 1972, les 463 logements de la première étape de La Mina étaient terminés. Photomontage La Mina (en haut à gauche ; on distingue nettement les grands blocs de La Mina Nova par rapport à ceux de La Mina Vella) Sud-Oest del Besós en premier plan (Archive Patronat Municipal de l’Habitatge, 1969)

En 1972, le groupe d’architectes « L35 »87 réalisa le nouveau plan partiel de La Mina avec des nouveaux bâtiments de dimension nettement supérieure. La Mina Nova, située à l’ouest de son aînée, est composée de six grands blocs parallèles. Le groupe « L35 » se lança dans une entreprise toute technique : il s’agissait de simplifier au maximum le plan pour permettre des constructions compactes, et surtout pour faire usage du nouveau système industrialisé du coffrage tunnel. Grâce à cette technique, les modules étaient fabriqués au pied du chantier, puis posés l’un sur l’autre à la

86

A. Ibarburen et C. Olmedo, LA MINA : un polígono del Patronato Municipal de la Vivienda de Barcelona, publié dans la revue JANO Arquitectura y Humanidades N°20, Barcelone, Octobre 1974 87 Catalogue de l’exposition, De les cases barates als grans polígons : el Patronat Municipal de l’Habitatge de Barcelona entre 1929 i 1979, Mairie de Barcelone et Patronat Municipal du Logement, 2003

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manière d’un jeu d’assemblage pour finalement être cimentés ensemble. Technique qui permit, entre autres, de doubler les dimensions des bâtiments. Ces blocs étaient doubles, avec une partie centrale destinée aux installations techniques ; à l’exception du premier des grands immeubles, appelé Mar, qui est un parallélépipède simple, mais d’une hauteur encore supérieure à celle des blocs doubles. Tous

les

appartements

donnent

sur

l’extérieur d’un seul côté et possèdent, pour la plupart, un minuscule balcon devenu très souvent débarras et séchoir à linge. Les La Mina Nova en construction, coffrage tunel, 1973

entrées se situent dans d’étroits et obscurs couloirs passant sous l’immeuble, si bien que les zones d’accès se convertirent en parfaits lieux de ralliement pour malfaiteurs. Au niveau des connexions entre immeubles, les voies destinées au trafic routier étaient très larges et empiétaient sur l’espace réservé aux piétons, ou tronquaient les places sensées unifier la vie sociale. Les nouveaux blocs apparurent comme de gigantesques

La Mina en construction (au centre le bloc Mar)

remparts

habités,

coupant

totalement les liaisons entre les éléments du quartier,

liaisons

qui existaient dans le

système de grilles du plan antérieur, et que l’on peut observer aujourd’hui à La Mina Vella et au quartier du Sud-Oest del Besós. Ces derniers, par contre, n’ayant pas eu la chance, toute relative soit-elle, d’avoir été construites grâce au coffrage tunnel, présentent aujourd’hui de graves problèmes de dégradation des structures porteuses, et quelques unes menacent même de s’écrouler. Parallèlement à la construction de La Mina, terminée en 1974, s’installèrent bon nombre d’industries au sud-est du secteur, nommée La Mina Industrial. Aujourd’hui, le Forum se l’est approprié pour y construire des immeubles résidentiels de toute dernière génération : 300 nouveaux 48


appartements adaptés aux critères de développement durable en ce qui concerne les matériaux de construction, ainsi que l’utilisation optimale des ressources naturelles (les formes de captation énergétique et les systèmes d’alimentation en chauffage et en air conditionné provenant, entre autres, de la nouvelle plateforme génératrice de froid et de chaleur du Forum). Reste à découvrir si ces logements profiteront effectivement aux populations locales dans la mesure établie – 70 % des appartements seront loués ou vendus en régime de protection officielle – ou si, au contraire, ils feront office de nouvelle barrière formelle et sociale.

f) Les réformes et les plans de réhabilitation Les habitants des bidonvilles ont été partagés par un sentiment contradictoire 88: d’une part le soulagement de pouvoir dormir enfin sous un toit convenable, et d’autre part l’appréhension d’une certaine forme de claustrophobie. Le premier s’entend parfaitement. Le second, par contre, doit se concevoir comme la réponse d’un peuple à une planification et une gestion parfaitement désintéressée des conditions de vie des habitants. L’histoire de cette banlieue n’a jamais cessé d’être en point mire des médias, avides en faits divers plus ou moins dramatiques, et les raisons ne manquent pas pour le justifier : l’absence d’équipements publics, de représentation des pouvoirs publics et des forces de l’ordre, la rapide monopolisation des lieux par des délinquants et la consécutive implantation de groupes spécialisés en trafics illicites en tout genre, pour ne citer que quelques exemples d’ordre plutôt social. Mais le problème dépasse la simple marginalisation d’un quartier : la forme urbaine a joué un rôle parallèle dans la stigmatisation spatiale et sociale. Avec le recul de trois décennies d’existence tourmentée, on peut dire que le contexte physique – les bâtiments remparts, les places fermées, les rues et les nombreuses impasses, les cours d’école mal orientées, les étroites et sombres entrées d’immeubles – n’a pas favorisé un développement social sain et équilibré. Le périphérique du littoral, large et jonché sur des talus a formé une véritable muraille renfermant le quartier sur luimême. Avec les bouchons créés par La Mina Vella et les équipements placés au centre du quartier, la fluidité se voit totalement bloquée de toutes parts.

88

Propos recueillis lors de l’exposition du plan de transformations La Mina que io Vull (La Mina que je Veux), La Mina, Sant Adrià de Besòs, Juillet 2001

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Toutefois, l’utilisation des lieux a contribué à sa propre ghettoïsation par une fracture sociale n’ayant qu’un moindre lien avec l’entourage physique. Le dénominateur commun à tout habitant de La Mina reste la dépendance vis-à-vis d’un groupuscule opprimant89. Tous les éléments – architecturaux, sociaux, économiques, politiques, associatifs – révèlent la même incapacité à faire face à un problème global et se heurtent aux trop faciles préjugés qui imputent à l’architecture toutes les conséquences néfastes sur l’humain. Or, c’est l’humain qui l’habite, qui l’occupe, et de ce fait, c’est lui qui transforme le lieu et l’adapte à chaque moment de son existence. Dans cette optique, il est possible de concevoir – malgré les doutes, les incertitudes, les appréhensions, les revendications des mouvements associatifs, somme toute, les liens et les barrières sociales avec un lieu – un quartier marqué au fer rouge comme celui de La Mina, comme un terrain favorable à un exercice délicat d’appréhension multidisciplinaire capable d’enrayer les processus de dégradation et d’entamer une véritable marche vers l’intégration. Dans un premier temps, voyons de plus près quelle a été l’évolution sociohistorique de La Mina90 : dès 1970, le quartier fut occupé très rapidement par une population à forte majorité andalouse (70%), parmi laquelle on comptait 30% de gitans. De plus, 47,3% des nouveaux occupants n’avait pas atteint 16 ans, ils étaient donc en plein âge de scolarité. Or, la première école publique, nommée Jacinto Benavente, vit le Activité sociale devant le bloc Venus

jour en 1974, plus de 3 ans après les

(Photo Quaderns N° 234, juillet 2002)

premières occupations. De plus, étant donné le grand nombre d’enfants qui sollicitait une

scolarisation, des cabanes en panneaux de bois furent construites à côté de l’école Benavente, « écoles-baraques» qui ont servi pendant plusieurs années. Chacune des salles de classe de la première école comptait bien plus de vingt-cinq élèves. A la fin de l’occupation de La Mina Nova en 1975, une deuxième école, le collège Tirso de Molina, fut construite sur le même modèle que la première. Quelques 1500 élèves étaient inscrits dans ces deux centres scolaires, chiffre qui monta jusqu’à 1800, sans compter le grand nombre d’élèves non scolarisés.

89

R. Parramon, Territoris occupats, exposition multimédia présentée au centre d’art Santa Monica en 2000, extrait publié par Francisco Marín dans Quaderns, N° 234, COAC, Barcelone, juillet 2002 90 J. M. Montferrer, Directeur d’une école publique de La Mina, Historia de La Mina, www.la-mina.net

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Très vite, ils se heurtèrent à d’autres problèmes, comme par exemple la violence juvénile, le manque total de discipline et l’inadaptabilité des professeurs. L’enseignement à des enfants catalans ou de deuxième génération catalane ne requerrait pas les mêmes capacités pédagogiques que pour des enfants à peine arrivés des bidonvilles, et habitués à une liberté sans contrôle. En 1978, une assistante sociale se chargea de recenser les problèmes du quartier et publia une liste particulièrement significative : plus de 77 cas de déséquilibre émotionnel grave ; quelques 69 jeunes ayant dû paraître devant le juge des mineurs pour cause de vol, de drogue ou de prostitution ; plus de 300 cas de malnutrition ou de pauvreté extrême ; plus de 90 cas d’enfants maltraités ; ainsi qu’un nombre incalculable de jeunes qui disparaissaient totalement du monde scolaire, etc. Dans une cité qui comptait vers le milieu des années septante plus de 15'000 habitants, l’école miroitait les sérieux disfonctionnements sociaux internes. On parlait de « bidonville à la verticale »91. Au début de La Mina, la gravité des difficultés du quartier ne se connaissait pas suffisamment à l’extérieur pour être considéré comme préoccupante. L’association des voisins de La Mina, fondée en 1973 par les membres de l’association du Camp de la Bota, commença, timidement dans un premier temps, puis dès 1976 avec l’appui des syndicats de gauche, à diffuser l’horreur vécue par les habitants. Leurs actions ont permis la création d’un centre médical sommaire. Cette période de la deuxième moitié des années septante est reflétée dans la presse comme la récupération d’un espace à la dérive. Pourtant, le pire restait à venir. La crise des années quatre-vingt, qui affecta tout le pays, fit monter le taux de chômage du quartier jusqu’à 55% de la population active. Pas étonnant de voir qu’à cette époque, particulièrement entre 1981 et 1985, le grand patron de La Mina était l’héroïne, avec toute l’insécurité et la délinquance que son trafic engendrait. Pendant la deuxième moitié des années quatre-vingt, l’héroïne trouva une concurrente non moins destructrice, la cocaïne. C’est aussi le début de l’organisation des mafias de la drogue et leur consécutive domination de la population par l’emprise de la peur et du sentiment d’insécurité. Les tentatives de la part des autorités d’assainir et de régulariser la vie publique dans le quartier n’ont pas manqué92 : depuis 1982, pas moins de sept plans de restructuration furent approuvés par les différents organismes publics, sans pour autant aboutir à une amélioration significative de la situation. En 1982, par exemple, le Plan de Atención Especial para el Barrio de La Mina93 fut conçu sans pour autant y allouer un budget financier. Il resta bien entendu dans les archives du Parlement de Catalogne. En 1983, c’est un plan d’urgence qui fut mis sur pied par les 91

M. Tatjer, « La Mina, paradigma del barraquisme vertical », dans La Veu del Carrer, septembre-octobre 2001 propos recueilli lors d’une entrevue avec M. Joan Batlle i Bastardas, Gérant du Consortium du quartier de La Mina, Février 2004 93 Plan d’Attention Spéciale pour le quartier de La Mina 92

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mairies de Sant Adrià del Besòs et de Barcelone, ainsi que par la Diputación. Ce plan destina un budget suffisant pour améliorer le système d’éclairage des rues, pour ouvrir la rue Cristobal de Moura jusqu’à la ligne de chemin de fer, et surtout pour la construction du Parc del Besòs au nord du quartier. Depuis ce plan d’urgence jusqu’à l’an 2000, plus de cinq autres plans de transformations ont été élaborés, dont un (1988), visant la destruction totale des édifices pour disperser la population dans différents quartiers de l’aire métropolitaine de Barcelone. Aucun n’eut de conséquence notable. La police municipale, avec leur base située dans la ville de Sant Adrià de Besòs de l’autre côté du fleuve, n’exerçait qu’une très relative autorité, étant donné l’ampleur des groupes criminels et le peu d’effectifs pour les affronter. En janvier 2003, la police catalane s’est installée au cœur même du quartier. Elle est nettement plus efficace et nombreuse, et sa présence est toujours plus sollicitée. Leurs interventions sont immédiates et mieux organisées ; faut-il encore gagner la confiance de la population. En trente ans, elle s’est forgée ses propres techniques défensives, dont la plus répandue étant la réclusion chez soi pour éviter tout contact indésirable. La sécurité est devenue un élément essentiel et la police veut être à l’écoute de la population afin d’adapter les mesures autoritaires aux nécessités spécifiques du quartier. Bien que cette nouvelle présence ne fasse pas directement partie du plan de transformation, elle a marqué indubitablement un nouveau départ dans l’esprit des habitants. De plus, elle favorisera une conservation des lieux communs, et donc contribuera à faire de La Mina un lieu de résidence à l’égal de tous

ses

confrères

de

l’aire

métropolitaine. Premier tronçon de la nouvelle Rambla de La Mina , vu depuis Cristobal de Moura. Tout à gauche le nouveau commissariat de police (Photo Y. Siegenthaler, février 2004)

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Plan général de la proposition pour la transformation du quartier de La Mina (PTBM) Document du Consorci del Barri de La Mina, présenté lors de l’exposition publique, La Mina, mai-juin 2001

1 nouvelle Rambla de La Mina 2 nouveaux logements 3 réhabilitation de La Mina Vella 4 coupures transversales 5 nouveaux services et équipements publics

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La gravité des problèmes sociaux amena, en 2000, la création du Consorci del Barri de La Mina94, un organisme central composé par le gouvernement de Catalogne (Generalitat), le réseau des communes de la province de Barcelone (Diputació Barcelona), ainsi que les mairies de Barcelone et de Sant Adrià de Besòs. Pour la première fois, une entreprise globale, prête à prendre en considération les revendications de multiples origines, était chargée d’étudier, d’analyser, de proposer, d’échanger des opinions, de consulter des spécialistes à tous niveaux, et ce dans une perspective d’un assainissement de longue durée. La planification s’est dirigée dans ce sens : en été 2000, la proposition de plan découlait de toutes les analyses préparatoires ; en été 2001, une exposition publique dévoilait les projets à la population du quartier. Une maquette permit à tout un chacun de se rendre compte, d’une manière concrète, des changements prévus. Puis, après l’approbation de la part de la mairie de Barcelone en décembre de la même année, c’est en novembre 2002 que toutes les entités concernées adhérèrent au projet. Le PTBM95, réalisé par le studio Jornet-Llop-Pastor Arquitectes, et dont la réalisation s’étend de 2000 à 2010, accorde une grande importance à l’espace construit, et base ses actions sur trois niveaux étroitement liés : interventions urbanistiques sur les bâtiments d’habitation et des équipements collectifs ; plan d’action sociale ; renforcement de la sécurité publique et lutte contre la délinquance. Le but visé est l’intégration globale du quartier dans le tissu urbain de la commune de Sant Adrià de Besòs. Bien que cet objectif ne se pose ni en terme d’esthétique ni en proportions artistiques, comme c’est en partie le cas pour la zone du Forum, ici prime l’assainissement d’ordre social et vital. Les comportements incivils doivent être réduits de manière à ce que toute personne vivant ou de passage dans le quartier puisse profiter pleinement et librement des espaces publics. Le sentiment d’insécurité et la réclusion d’une grande partie des habitants devraient peu à peu laisser place à une revalorisation de l’agglomération au niveau esthétique, social et économique. Des trois niveaux d'opération, nous nous attarderons sur la dimension urbanistique, sans perdre de vue les interactions entre les diverses approches.

94 95

Consortium du Quartier de La Mina Documents officiels d’élaboration du plan : - Consorci del Barri de La Mina, Pla de transformació 2000-2010, Barcelone, 2000-2002 - Consorci del Barri de La Mina, Sintesi del Pla de Reforma i Millora del barri de La Mina, synthèse du plan basé sur la documentation du mémoire d’ordonnancement du plan élaboré par l’équipe rédactrice et Barcelona Regional, Barcelone, mai 2003 - bulletin d’information étayant la maquette et le plan de transformations, présenté lors de l’exposition publique du projet en été 2001 - contrasté à la proposition de la « Plataforma d’Entitats i Veïns de La Mina », avec le support technique des urbanistes Francesc Magrinyà et Miguel Mayorga, Proposta al Pla Especial de La Mina, mars 2002

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La restructuration urbanistique du quartier de La Mina distingue trois grands critères pragmatiques : -

Centralité : les lieux centraux confèrent une identité aux villes, ils sont les lieux d’expression et la manifestation de la vie collective ; de la collectivité par excellence : espaces de relation, de loisir, de commerce, de culture.

-

Diversité : ce principe doit garantir une plus grande richesse dans les relations entre les composants du quartier à tous les niveaux : social, physique et économique.

-

Echange : s’entend comme principe relationnel de base afin d’éviter une atrophie sociale qui conduirait inévitablement à la ségrégation et la marginalisation.

Plan de recherche de nouvelle centralité, prenant en compte les coupures transversales des grands blocs et les nouveaux équipements collectifs (Consorci Barri de La Mina, 2001)

A titre de comparaison, le mémoire de projet du groupe « L35 », en 1972, se résume en quatre points concis et très clairs96 : -

« Compactar la edificación para dejar mayores espacios libres.

-

Organizar una estructura de muros portantes de hormigón perpendiculares a la fachada (la más económica).

-

Estudiar muy a fondo el problema de las instalaciones y mantenimiento de la vivienda.

-

Conservar la trama urbana principal ya construida, la situación del centro cívico y la zona escolar.97 »

96

97

A. Ibarburen et C. Olmedo, op.cit. traduction informelle : « -Compacter l’édification pour laisser un maximum d’espaces libres. - Organiser une structure de murs porteurs en béton perpendiculaire à la façade (le procédé le plus économique). - Etudier en détails le problème des installations et du maintient des logements. - Conserver la principale trame urbaine déjà construite, la situation du centre civique et la zone scolaire. »

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Aujourd’hui, on constate que les immeubles supportent très bien le temps qui passe, leur structure reste en bon état et ne nécessite aucune rénovation du point de vue technique. Par contre, l’espace libre que les concepteurs voulaient offrir aux résidents s’est avéré contre-productif. Toutefois, l’histoire de La Mina montre clairement qu’il n’existe pas d’origine unique à la dégradation physique et sociale du quartier, mais qu’il s’agit plutôt d’un cumul de circonstances interdépendantes qui ont contribué à la stigmatisation. C’est à cette globalité que s’attarde le PTBM. L’action principale repose sur l’ouverture d’une promenade centrale sur l’emplacement d’équipements collectifs désuets et d’espaces obsolètes, une rambla dans un style parfaitement en accord avec la tradition catalane et parallèle à ses voisines la Rambla de Prim et la Rambla du Poblenou. Cette nouvelle ouverture répond à de multiples fonctions : en premier lieu, elle sera la liaison latérale indispensable entre La Mina Nova et La Mina Vella. La connexion nord-ouest/sud-est permettra une rapide traversée de tout le quartier dans sa longueur sur une voie large, rapide et ouverte. La nouvelle artère sera composée d’une voie centrale piétonne de treize mètres de large flanquée d’arbres, avec deux routes latérales à trois voies chacune, deux pour les véhicules et une pour le tram. Ces routes seront séparées des trottoirs adjacents d’une largeur de quatre mètres par une rangée d’arbres. La nouvelle Rambla de La Mina aura une largeur totale de 40 mètres et une

La Rambla del Poblenou vu depuis la Diagonal

longueur de 120. Le premier tronçon, allant de

en travaux (Photo Y. Siegenthaler, octobre 2003)

Cristobal de Moura jusqu’à la première transversale, Ponent, est déjà construit. On y ressent très nettement la nature publique propre aux ramblas catalanes, lieu de rencontre où l’on aime flâner et se laisser vivre. La rambla doit se prolonger en traversant le secteur de l’actuel Mina Industrial, futur secteur « Llull-Taulat ». Le tram reliera Badalona, Sant Adrià del Besòs et Barcelone en empruntant la nouvelle rambla, permettant une meilleure accessibilité. Peu nombreux étaient ceux qui s’aventuraient au centre du quartier il n’y a pas si longtemps.

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Outre le commissariat de police qui a été stratégiquement et symboliquement implanté à l’entrée de la rambla, on y prévoit de nombreux commerces, des banques, des immeubles résidentiels et un nouveau centre scolaire. Cette école enfantine et primaire entrera en fonction en automne 2004. Elle est située au cœur du quartier précisément pour marquer la centralité, et jouera un rôle pilote dans le développement de la vie sociale. Quelques opinions critiques s’opposaient à cette localisation sous prétexte qu’une fois les classes terminées, l’école ne serait plus qu’un bâtiment vide et une opportunité pour les délinquants de s’approprier les lieux. La majorité, toutefois, était d’avis que le nouveau centre scolaire ne devait en aucun cas être excentré, et que les locaux pourraient parfaitement jouer un rôle social parallèlement à son but premier, l’enseignement. Il possèdera deux halls d’entrée, l’un du côté nord-est pour accueillir les élèves de La Mina Nova, et un autre au sud-ouest pour ceux de La Mina Vella. Un institut d’enseignement secondaire, baccalauréat et école professionnelle, est également en construction aux abords de La Mina Industrial. Celui-ci devrait entrer en fonction pour la rentrée 2005-2006. Il sera voisin du grand campus universitaire de l’Universitat Politècnica de Catalunya98 et entouré de nouveaux immeubles résidentiels. Le

deuxième

grand champ d’action est celui du logement. Les blocs de La Mina Vella se

verront

dotés

d’ascenseurs. Quant à La Mina Nova, les édifices ne demandent pas de grande rénovation car ils ne

souffrent

pathologie

d’aucune

grave.

La

réorganisation globale du quartier impose toutefois

Entrée du bloc Venus (photo Y. Siegenthaler, octobre 2003)

d’importants travaux :

98

Université Polytechnique de Catalogne, Ecole Technique Supérieure d’Ingénierie Industrielle

57


l’immeuble Venus, là où les problèmes de délinquances sont les plus importants, sera démoli. Un centre d’activités sociales et des espaces publics prendront sa place. Tous les autres blocs du même type que le Venus seront rénovés de la manière suivante : par une modification des accès aux édifices afin de réduire de moitié le nombre d’appartement desservis par entrée. Cette diminution du nombre d’habitants transitant par l’entrée devrait favoriser une meilleure entente entre voisins et donc une réduction du sentiment d’isolement. Les organismes associatifs de chaque entrée auront une responsabilité et un champ d’action également deux fois moins importants, et par conséquent plus contrôlable. Aussi, l’autorité des malfaiteurs sera réduite. Les blocs Mart, Llevant et Estrelles, seront coupés transversalement afin de faciliter la communication interne du quartier. Jusqu’alors, il était parfois nécessaire de contourner un grand bloc dans toute sa longueur pour accéder à la rue parallèle. Ceci impliquait de devoir passer obligatoirement par des rues ou des petites places dont les fréquentations n’inspiraient que méfiance et peur. La restructuration globale prévoit la construction de 1097 nouveaux appartements le long de la nouvelle rambla et dans le secteur Llull-Taulat. Ils serviront en premier lieu à reloger les habitants des 348 appartements affectés par les travaux, en prenant garde à disperser les groupes à risque. Cependant, leur fonction va bien au-delà de la simple substitution d’immeubles par d’autres. Ces nouveaux immeubles résidentiels, plutôt que de répondre à la volonté d’un urbanisme rationaliste d’éponger une densité trop forte et libérer un maximum de sol, comme c’était le cas jusqu’à présent, répondent à une volonté innovatrice tant du point de vue de la typologie architecturale que de leur distribution spatiale. De facture constructive moindre, organisé en petites unités de trois à cinq étages (sur des parcelles de 53x53 mètres), et véritablement articulés en étroite relation avec l’entourage dominant des grands bâtiments, ils servent de points de liaison dans une complexité tempérée. Le monopole spatial et visuel des grands ensembles sera brisé par une multitude de petites « maisons » implantées dans un paysage urbain flexible et ouvert, où les espaces libres ont une raison d’être et où la qualité prévaut sur la quantité.

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La nouvelle trame urbaine devra, grâce aux continuités et discontinuités formelles, favoriser les relations de complicité entre les différents groupes. De plus, grâce aux nouveaux types d’immeubles résidentiels, aux nouveaux services et à la proximité des centres éducatifs et du campus universitaire, le quartier devrait attirer de nouveaux habitants et favoriser la diversité sociale.

Axonométrie mettant en valeur la diversité architecturale des futurs bâtiments résidentiels (Consorci del Barri de La Mina)

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Maquette du PTBM, présentée lors de l’exposition publique, La Mina, juillet 2001. (Consorci del Barri de La Mina, 2001) 1 Rambla de La Mina 2 Bâtiment Mar 3 Coupures transversales 4 Centre scolaire primaire 5 Mina Industrial => Secteur Llull-Taulat 6 Périphérique du littoral – ronda litoral 7 Passerelle sur le périphérique 8 Campus universitaire 9 Port de plaisance du Forum

g) La Mina et le Forum On peut apprécier les rapports entre La Mina et le Forum sous une multitude d’angles, chacun ayant une valeur propre et non négligeable : le plus visible d’entre eux est, sans conteste, les transformations urbanistiques. Le PTBM a connu un essor directement conditionné et favorisé par l’approche imminente du Forum des Cultures 2004.

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Cependant, cet essor aura servi à élaborer une nouvelle conception viaire du quartier, indispensable également pour l’ensemble de la nouvelle zone. Nous avons vus le cas de la Rambla de La Mina. Les rues Taulat et Llull sont, quant à elles, prolongées jusqu’au périphérique qu’elle franchissent par un ample passage souterrain pour déboucher sur Sant Adrià en passant sur un nouveau pont surplombant le fleuve. Grâce à cet ouverture, La Mina échappera enfin à son étreinte infranchissable provoquée par la surélévation de la ronda et accèdera aisément et directement au corps principal de sa commune, Sant Adrià. Cette opération peut être considérée, aux côtés des transformations modérées en matière de logement et d’ouverture de la Rambla centrale comme des d’efficaces solutions et d’heureuses conséquences de l’essor du Forum99. La distance entre le Forum et La Mina n’est pas négligeable. La partie la plus proche de La Mina est la nouvelle marina de Sant Adrià. Ce port de plaisance, situé au cœur des nouvelles infrastructures du Forum, s’aligne sur des schémas conceptuels difficilement adaptables à la réalité sociale de La Mina : avec un millier de places d’amarrage au dock, disponibles pour quelques milles euros le m2, et le grand entrepôt à terre pour petits bateaux (400 places à 1440 euros par an)100, il est en voie de devenir à la fois une entreprise très lucrative et un haut lieu de l’offre nautique méditerranéenne. Les sports que l’on pratiquera à partir du port du Forum s’adressent à une clientèle plus qu’aisée : yachting, école de voile, école de plongée sous-marine, club nautique. Le front portuaire sera aménagé de locaux commerciaux, de galeries de services et de parkings. Alors que la marine sèche est sensée rendre le port accessible à un plus grand nombre de personnes, il va de soi que la majorité des usagers ne seront pas des individus de la caste populaire. Bien au contraire, il est plutôt vraisemblable que cette marina accueillera bon nombre de millionnaires, comme à Saint-Tropez ou à Palm Beach en Floride. Or, c’est exactement à ces galeries commerciales que pourront accéder les habitants de La Mina en empruntant une étroite passerelle piétonne surplombant le périphérique du littoral. La Rambla de La Mina s’évanouira ainsi dans le plus grand luxe, liant plus symboliquement que pratiquement un des quartiers les plus pauvres et désuets de la métropole à son antonyme le plus fastueux. Entre eux reste encore à construire le nouveau campus universitaire sur des terrains aujourd’hui en attente de décisions. Fautil également que ce complexe universitaire joue en faveur de l’intégration de La Mina par une architecture ouverte. Il devra être le lien – et ce n’est pas chose facile – entre la marina du Forum et les blocs de La Mina, sans créer de nouvelle barrière ségrégative. 99

article de J. Parcerisa, Abrir La Mina, Las barreras que emparedaron y aislaron el barrio empiezan a caer, dans le supplément « Cuadernos del Domingo » du quotidien el Periódico, 30 mai 2004 100 article de Carles Sabaté dans le quotidien AVUI, 28 mars 2003, El port de Sant Adrià disposarà de 400 amarratges fora de l’aigua.

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La gigantesque esplanade, quant à elle, aurait pu pallier cette aberration en s’intégrant à La Mina sur un plan horizontal. Or, les projets d’hôtels – l’hôtel Plaza Fórum d’Enric Massip (encore en projet), d’une hauteur de 107 mètres et 27 étages, et l’hôtel-bureau TMB de Lluís Clotet (également en projet) formant une véritable cloison visuelle qui protège la zone du Forum – ne laissent guère entrevoir une volonté d’intégration de La Mina dans son nouvel entourage.

Vue de La Mina encadrée par bâtiment Forum de Herzog et de Meuron (photo Y. Siegenthaler, juin 2004)

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III.2 ] Du noyau industriel d’Icaria au village olympique, la nova Icaria

La Vila Olímpica (ph. web)

a) Le noyau industriel d’Icaria En 2004, Barcelone se flatte d’être une ville de bord de mer. La marque prestigieuse du bâtiment Forum de Herzog et de Meuron couronne brillamment l’ultime ouverture sur la Méditerranée. La Diagonal trouve enfin son numéro un (v. chapitre IV.1-a), avant de se lancer sur une immense esplanade jusqu’au nouveau luxueux port de Sant Adrià (v. chapitre IV.2-a). Cette ouverture sur la mer par la Diagonal (v. chapitre IV.1-a), planifiée et attendue depuis l’avant-projet d’agrandissement (1856) de Cerdà, s’est accomplie dans un contexte de grandiloquence – Forum 2004 – qui pourrait s'expliquer par la valeur hautement symbolique : la revalorisation de l’ensemble de la grille Cerdà, le trait d’union Est - Ouest et surtout l’aboutissement de longues et tortueuses démarches urbanistiques visant l’accès public à tout le littoral barcelonais.

L’orientation de la ville par rapport à sa situation en bord de mer doit s’entendre comme un processus qui s’étale sur plusieurs siècles, s’amorçant déjà au XVIIIème siècle avec les difficultés d’intégration de la Barceloneta. Entre le fort militaire de la Ciutadella (1715-1869) – dont la construction engendra l’urbanisation de la presqu’île de la Barceloneta – et la mer, le quartier aujourd’hui occupé par le village olympique (Icaria=>Nova Icaria) a été un terrain de discordes représentatif des étapes conflictuelles du développement de Barcelone. 63


L’histoire du quartier d’Icaria a été conditionnée durant plus de 150 ans par l’emprise militaire. L’évêché avait été le seul (mis à part quelques masías d’exploitation agricole et le noyau ancien du Poblenou : Icaria) à pouvoir utiliser les terres pour y implanter le cimetière général de la ville (en 1775 puis reconstruit peu après les guerres napoléoniennes). L’axe formé par le Passeig del Cementiri (future Av. Icaria) a marqué la première orientation urbanistique du secteur. L’arrivée des chemins de fer, et presque simultanément des grandes

industries,

au

milieu

du XIXème

siècle, poussa le

Graphique montrant la position

développement vers le Nord-est de la ville. Ainsi, dès 1869

du fort sur l’actuel parc

(date officielle de la destruction de la Ciutadella101), les

de la Ciutadella

grands industriels se sont appropriés ce quartier proche du centre, de la gare et du port102.

Ce paysage s’est maintenu et consolidé durant toute l’époque industrielle, faisant de ce quartier non seulement un épicentre productif, mais également un vivier de logements pour ouvriers. Le tissu s’est densifié de sorte à créer une véritable barrière d’usines et de lignes ferroviaires coupant même l’accès à la plage. Les seules voies reliant le Poblenou avec son entourage suivaient soit le tracé de l’axe principal du Passeig del Cementiri, soit celui permettant l’accès à la Barceloneta, pour les nombreux ouvriers qui y vivaient. La première tentative importante d’union entre le Poblenou, la ville et la mer, fut celle liée à la célébration de l’Exposition Universelle de 1888. Un parc urbain (Parc de la Ciutadella, projeté et aménagé par J. Fonseré et A. Gaudí103) prit la place des remparts militaires et impulsa l’urbanisation de tout le quartier jusqu’à la Barceloneta au Sud, et s’étalant au Nord-est en direction du Besòs. Proximité du parc de la Ciutadella (vert) de la Barceloneta (gris) et du secteur d’Icaria (blanc) 101

La destruction des remparts de la forteresse avait commencé un an auparavant par les révolutionnaires catalans. 102 Auteurs divers, Nou Viatge a Icaria, Ed. l'Arxiucop, Arxiu Històric de Poblenou, Barcelone, 1990, pp. 14-17 103 M. Solà-Morales, , Barcelona, remodelación capitalista o desarrollo urbano en el sector de la Ribera oriental, Ed. Gustavo Gili, Barcelone, 1974

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Sur les terrains de l’ancien fort de Don Carles (plage sud du Poblenou - Icaria), fut monté la Secció Marítima de l’Exposition. Dirigé par Rius i Taulet et Elies Rogent (1821-1897), le projet, apparemment limité à quelques pavillons, était en réalité un projet de liens entre le parc et le secteur d’Icaria. Plus précisément, c’est un pont métallique qui franchit les lignes ferroviaires, en amont de la gare de France. A Fort de la Ciutadella et de Don Carles

l’instar des concepteurs (qui voulaient créer des installations en relation avec le monde maritime – zoo aquatique par exemple – susceptibles d’attirer la

population vers les plages), quelques grands équipements sanitaires furent localisés au Sud du parc de la Ciutadella, comme l’Hospital de Infecciosos, Hospital del Mar104. Celui-ci, au lieu de consolider l’intégration de la zone littorale au centre, la confina encore davantage dans son isolement. Seul le pont servait de connexion. Or, son utilisation était limitée à tel point qu’après sa destruction pendant la guerre civile, personne ne planifia sa reconstruction105. Aujourd’hui, dans l’optique du déplacement du parc zoologique vers la zone Forum, l’équipe Batlle i Roig Arquitectes étudie le projet de liaisons entre le parc et son entourage106. Une priorité de ce projet est placée sur la connexion avec le parc de la Barceloneta, reprenant le tracé de l’ancienne passerelle. L’Arenal Gas Lebon, 1866, complexe industriel situé entre les lignes ferroviaires et la plage de Bogatell (ph. Arxiu Historic del Poblenou)

Magazins de Créditos y Docks, 1875, disparut lors de la construction du village olympique (ph. Arxiu Historic del Poblenou) 104

L’Hospital del Mar (début de la construction en 1905 sur les terrains qu’occupait depuis le XVIème siècle le dispensaire pour les malades des « Indes ») accueillait spécifiquement des personnes affectées par des pathologies infectieuses, et servit d’hôpital d’Isolement ; ce titre évoque non seulement la fonction interne de l’établissement, mais inconsciemment la conséquence de sa construction. En 1992, après rénovation et amplification (1988-1992 , arch. Manel Brullet et Albert de Pineda) il servit comme hôpital olympique. Depuis, il constitue plutôt un lien qu’une barrière urbanistique. 105 Auteurs divers, Nou Viatge a Icaria, op.cit. p. 20 106 www.bcn.es/urbanisme: new projects

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Avant les transformations, l’architecture du quartier d’Icaria appartenait presque entièrement à la période du dernier tiers du XIXème siècle et des premières décennies du XXème. Les nombreux exemples de fabriques et de bâtiments résidentiels indiquent clairement la séquence éclectisme – modernisme – noucentisme. De même, ils montrent très bien l’évolution des techniques constructives, sans que celles-ci n’eussent avoir été pionnier dans le domaine. Les innombrables halles de dépôt, fabriques productives et ateliers offraient un formidable champs d’étude des problèmes de l’époque : grands espaces intérieurs diaphanes, illumination naturelle, toitures solides, utilisation optimale des sous-sols, approvisionnement en eaux potables in situ, distribution de la force motrice en un seul point, etc107.

Can Felipa, 1879-1894 Fabrique textile, en fonction jusqu’en 1981 En 1991, elle fut rénovée et accueille le centre civique du Poblenou ainsi que les archives du quartier. (ph. Arxiu Historic del Poblenou) Vue de l’actuel centre civique du Poblenou (ch. Arxiu Historic del Poblenou)

b) Le Plan de la Ribera et le contreprojet du Laboratorio de Urbanismo Durant la première moitié du XXème siècle le paysage industriel du Poblenou fut en grande partie maintenu et adapté aux nouvelles technologies. Les cheminées furent progressivement abandonnées au profit des moteurs électriques. L’Exposition de 1929 et la construction du Métropolitain furent décisifs quant à l’inflation démographique (v. chapitre III.1-a) et à la consécutive densification des quartier ouvriers. La création d’une promenade le long du littoral fut projetée pour la première fois par le Plan de enlaces de L. Jaussely en 1907. Depuis, plusieurs projets furent proposés, mais ce n’est qu’en 1957 que commencèrent les travaux du premier tronçon du Passeig Marítim108, partant de la Barceloneta en direction du Besòs109 (sur l’emplacement des bidonvilles du Somorrostro, v. chapitre III.1 a-d). 107 108

Auteurs divers, Nou Viatge a Icaria, op.cit., p. 25 Son état actuel date de 1993-1995 et est du aux arch. Olga Tarrasó, Jordi Enrich, Jaume Artigues entre autres.

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La désindustrialisation du quartier d’Icaria commença dans les premières années de la décade de 1960. La cause de cette mutation est lié à deux phénomènes distincts. Dans un premier temps, la liquidation des grandes industries, ou leur déplacement en périphérie (lorsque l’économie de marcher le leur permettait), était du à l’état précaire de leurs installations qui requerraient des trop grandes rénovations. En deuxième lieu, il convient de signaler l’incidence qu’ont eu les divers plans d’urbanisme visant l’aménagement de la frange côtière, depuis le Passeig Marítim jusqu’au Besòs. Tous ces projets menaçaient de changer l’affectation du sol qui, fatalement, se serait traduit en expropriation. Le plus alarmant de ces plans était le Pla de la Ribera110, approuvé par le gouvernement franquiste du maire Porcioles. Le démantèlement des industries et des lignes ferroviaires devait libérer cent hectares de terrains. Parallèlement, la mairie s’engageait à pourvoir la zone d’équipements (station d’épuration, et consécutives protection et assainissement de la plage). Le tout fut chapeauté par la création d’une société – Ribera S.A. – composée des plus grandes industries et institutions bancaires de la place. Leur projet consistait à débarrasser les espaces industriels de toute contrainte, physique et légale, afin d’y construire une maille résidentielle et commerciale, allant de la Barceloneta jusqu’au delta du Besòs.

Le Plan de la Ribera de Antoni Bonet Castellana (1964-1969)

109 110

M. Tatjer i Mir, LA BARCELONETA del siglo XVIII al Plan de la Ribera, Ed. Saturno, Barcelone, 1973 Auteurs divers, Nou Viatge a Icaria, op.cit., p. 27

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Le Plan de la Ribera, dont l’avant-projet avait été élaboré en 1964 par Antoni Bonet Castellana, s’étalait sur six kilomètres de long (Barceloneta-Besòs) pour 500 mètres de large (Rue Enna-plage). L’unité de composition se basait sur des macro-îlots de 500 m. de côté, répétés sur toute la longueur du littoral et formant une zone dense de bord de mer. Les étages inférieurs, soussols et rez-de-chaussée, étaient destinés aux parkings, les premiers aux commerces et les étages supérieurs aux logements de haut standing. La construction d’une autoroute côtière constituait un point essentiel du plan : elle devait relier la nouvelle zone au reste de la ville. Or, le projet fut élaboré en ignorant totalement les noyaux préexistants du Poblenou et de la Barceloneta111. Dans un premier temps, l’opinion publique se montra favorable au projet. La suppression de la barrière industrielle laissait espérer, pour les habitants de Barcelone, la découverte des agréments balnéaires. Or, la forte diffusion de pamphlets promotionnels affichant le slogan « Abrir Barcelona al mar »112 n’était, en réalité, qu’une connivence démagogique. Plutôt que de refléter les intérêts généraux de la ville, le projet de la société privée Ribera S.A., représentante des intérêts fonciers, rentabilisait toute la ligne côtière orientale de Barcelone par une privatisation exclusive. Pourtant, le PC (Plan Comarcal ou plan régional, v. chapitre II.2) de 1953 prévoyait pour cette zone un usage mixte résidentiel-industriel, d’une densité moyenne permettant des espaces d’utilité publique. A sa place, le plan de la Ribera octroyait à la société une totale liberté de spéculation sur la fabuleuse plus-value des terrains. Qui plus est, les opérations municipales (station d’épuration, autoroute, assainissement) auraient profité directement aux intérêts de la société. Bien que la mairie approuvât le plan en 1968, il fut gelé par une forte opposition populaire, patronale et académique. Dans un premier temps, même l’administration considéra la faible adéquation de l’avant-projet aux normes du PC de 1953. Cependant, cette réticence ne fut traduite qu’en un changement de nom du plan113 sans en améliorer la formule. Celle-ci servait de support aux intérêts privés des promoteurs et légalisait leurs décisions. Somme toute, ce soi-disant nouveau Plan Parcial114 attisa les mouvements réprobateurs bien plus importants. Les syndicats, les conseillers régionaux, puis, dès 1971, les associations de propriétaires de terrains et d’entreprises, et enfin les associations vicinales du Poblenou et de la Barceloneta, furent les véritables agents contestataires. 111

M. Tatjer i Mir, op.cit., pp. 81-91 Ibidem, p. 82, traduction informelle : « Ouvrir Barcelone à la mer » 113 « Proyecto de modificación del Plan Comarcal de Ordenación Urbana de Barcelona afectante al Sector Marítim Oriental » 114 selon M. Tatjer ces plans partiaux ne servaient qu’à détourner les dispositions légales en vigueur en changeant la qualification du sol à des fins de spéculation privée. M. Tatjer i Mir, op.cit., p. 85 112

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Ils constituèrent le premier exemple d’une longue série de revendications populaires influentes dans le secteur de l’urbanisme à Barcelone. Des collèges professionnels se sont joints rapidement à la protestation, dont le COAC. Suite à la déposition de 8000 signatures contre la Ribera, ils organisèrent un concours pour un contre-projet. Des dix plans présentés et exposés au public, le premier prix fut attribué au travail de l’équipe de professeurs de l’Escuela Superior de Arquitectura de Barcelona, composée des architectes Busquets, Domingo, Font, Gómez et Solá-Morales115, tous membres du Laboratorio de Urbanismo. La partie théorique de leur proposition s’articulait autour d’une analyse détaillée des processus de transformation. Elle dénonçait franchement les pratiques de type capitaliste qui ne visaient que des objectifs d’ordre économique aux dépends des intérêts plus généraux ayant attrait à l’histoire du quartier, à la conservation patrimoine industriel, au intérêt des habitants et des PME. Basé sur une étude approfondie de l’évolution du secteur et de ses relations extérieures, elle tentait de fixer des objectifs capables d’affronter les problèmes globalement. Ainsi, la logique générale du projet appréhendait le futur selon la séquence suivante : a) espace social

localisation

b) localisation

morphologie

c) morphologie

typologie116

La première phase était sociale et constituait la base sur laquelle s’est élaboré tout le projet. En tant que première priorité, elle attaquait directement la conception économique et donc ségrégative du Plan de la Ribera. Quant aux deux autres phases, elles se concrétisaient en une succession d’opérations singulières de moindre échelle, qui, grâce à leur caractère réfléchi et respectueux, devait satisfaire les besoins d’un plus grand nombre d’usagers. Concrètement, le plan pratique se déployait dans des domaines aussi divers que la mobilité, le logement, l’intégration et l’amélioration des noyaux préexistants. Au niveau de la circulation, la proposition gagnante revalorisait l’utilisation des grands axes existants, comme la Gran Vía et la Meridiana ; et les potentialisait par l’extension d’autres : la voie de contournement du parc de la Ciutadella qui débouchait directement sur la Meridiana en frôlant le 115 116

M. Tatjer, op.cit., p. 87 M. Solà-Morales, op.cit., p. 22

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côté oriental de la vieille ville. Les axes verticaux seraient maintenus et améliorés pour les communications entre la mer et la montagne, et le périphérique littoral passerait par le Passeig Calvell et celui de Cementiri. Quant au Passeig Marítim, il servirait à la circulation lente. Quand au logement, divers groupes résidentiels devaient être construit dans des positions stratégiques, tel celui de Bach de Roda, sur l’intersection de l’axe nord-sud et du Passeig Marítim, ou celui de Bogatell. Ce dernier, situé sur l’emplacement d’équipements industriels (Catalana de Gas y electricidad et Maquinista Terrestre y Marítima) et hospitaliers (Hospital de Infecciosos) offrait de part sa double fonction – résidentielle et hospitalière – et sa nature publique, une solution intelligente d’union entre la Barceloneta et le Poblenou. De plus, l’installation d’une annexe polyclinique aurait permis non seulement un renforcement des liens précités, mais également un accès direct au parc de la Ciutadella. Les noyaux préexistants étaient la Barceloneta, le Poblenou ancien et La Catalana. Dans un respect de la structure historique, le plan entendait revitaliser ces espaces dégradés par l’adjonction d’équipements et d’infrastructures. Quant à la zone de jonction de la Diagonal avec la mer, c'est-àdire l’actuel zone Diagonal-Mar/Forum, il prévoyait d’y construire un centre alliant à la fois bureaux, commerces et terminus de transports urbains, afin de contraster avec l’image négative des infrastructures telles que la station d’épuration, l’incinératrice et la station thermique. Cette dernière solution reste toutefois quelque peu discutable, étant donné la situation socio-urbanistique de ce secteur, rappelons l’histoire de La Mina et celle de La Catalana (v. chapitre III.1 d-e). Malgré la hardiesse des propositions issues du concours d’idées et la soumission du projet gagnant à la mairie, celle-ci approuva provisoirement sa propre modification (v. note 12 de ce chapitre) en décembre 1971. Après la période d’information publique, durant laquelle d’autres contestations signées parvinrent aux autorités, les plans reposèrent définitivement dans les archives de l’Etat. Aucune disposition, ni du Plan de la Ribera, ni du contreprojet ne vit le jour. Cependant, l’impact de cet épisode fut décisif sur les planifications des années 1980. Barcelone dut s’orienter vers une façon de concevoir le développement urbain, en particulier son ouverture sur la mer, non plus dans une optique de tabula rasa permettant toute sorte d’aberrations spéculatives, mais comme une somme d’actions ponctuelles et stratégiques, respectueuses des

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nombreuses nécessités et des structures existantes. La devise pour un développement futur commun serait : puissante unité idéologique mais grande diversité des dimensions, projets et devoirs117.

c) Le village olympique, Nova Icaria

Dessin du projet d’aménagement du village olympique et du port (image MBM, La Villa Olímpica Barcelona 92)

117

J. Parcerisa et M. Rubert, , Barcelona: Maritime Hafen- und Küstenstadt, dans Der Traum von der Stadt am Meer. Hafenstädte aus aller Welt im Museum für Hamburgische Geschichte, Catalogue de l’exposition, Hambourg, 2003, p. 221

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Dès 1980, la nouvelle politique de développement urbanistique de Barcelone, basée fièrement sur des principes démocratiques tout récemment acquis, initiait une transformation par des projets ponctuels et stratégiques qui seront développés dans le chapitre dédié au Modelo Barcelona.(v. chapitre V). Dans la même volonté de mener à bien une nette amélioration quantitative et qualitative de son tissu urbain, les critères prioritaires d’organisation se focalisèrent sur les espaces publics. D’autre part, ces interventions sur le système local formalisèrent la structure d’équilibre entre le centre et la périphérie, largement oublié dans les décennies précédentes (développement des stratégies urbanistiques des années quatre-vingt v. chapitre V) Outre les centaines d’interventions sur les systèmes locaux, entamés depuis 1980, Barcelone ouvrit des horizons d’envergure métropolitaine, pour héberger les XXVème Jeux Olympiques d’été de 1992. Les aires olympiques se situaient dans des zones dont l’aménagement servait à résoudre des problèmes à grande échelle. Leurs localisations ne se concevaient pas comme des opérations urbaines indépendantes, mais cherchaient clairement à favoriser la qualité des quartiers accolés et à s’intégrer dans une logique globale de métropole. On comptait quatre grandes aires : la colline de Montjuïc (arch. Federico Correa, Alfonso Milà, Carles Buxadé et Joan Margarit), la Vila Olímpica au Sud du Poblenou (arch. MBM), la Vall d’Hebron (arch. Eudard Bru) et l’extrême ouest de la Diagonal (arch. Oriol Clos et Maria Rubert). Ces positionnements forment une croix ou un carré sur le plan de Barcelone. Vers milieu des années quatre-vingt on a souvent mentionné la symbolique d’une telle configuration, l’orientation par rapport aux points cardinaux, l’encerclement de la grande Barcelone par les installations olympiques, à l’aube de la profonde rénovation et modernisation de la métropole118. L’euphorie de la nomination pour les Jeux semblait captiver tout le monde, effaçant les craintes, les marques du passé et même certaines réalités. Peut-être fût-ce cet enthousiasme débordant qui supplanta les véritables débats citoyens. Force est de constater que dans le cas de l’urbanisation du village olympique, la réflexion collective ainsi que l’information et la diffusion exhaustive des projets n’égalèrent en rien l’épisode précédent (v. sous-chapitre antérieur). Ce secteur a passé rapidement de la spéculation à l’oubli119. Bien que les deux plans – de la Ribera et de la Vila Olímpica – présentent des points communs, il est évident qu’ils ont été conçus dans des optiques diamétralement opposées.

118

J. Martorell, Bohigas, Mackay, Puigdomènech, MBM, La Vila Olímpica. Barcelona 92 : arquitectura, parques, puerto deportivo, Ed. Gustavo Gili, Barcelone, 1991 119 Nou Viatge a Icaria, op.cit., pp. 8 / 82

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En 1985, l’organe spécial de gestion du front maritime du Poblenou prit racines dans le contexte municipal démocratique, et fut connu sous le nom de Vila Olímpica S.A. (VOSA). Le Pla de la Nova Icària, en souvenir du nom à forte connotation socialiste déjà utilisé par Cerdà, fut approuvé définitivement en 1986. Le groupe responsable de la rédaction du plan était le studio MBM, composé de Josep Martorell, Oriol Bohigas, David Mackay et Albert Puigdomènech. Ce dernier avait fait partie de l’équipe rédactrice de l’allégation du COAC contre le Plan de la Ribera. La volonté première du groupe fut celle d’intégrer le nouveau quartier dans le tissu continu de la ville, en le rénovant, organisant la structure et lui donnant une force revitalisante. Les efforts afin d’éviter tout type de ghettoïsation se mêlaient aux craintes d’en faire une imitation théâtrale et pittoresque de la ville120. Décidés, donc, à ne pas postuler pour une conservation excessive du patrimoine industriel, ni pour une prolongation stricto sensu de la grille Cerdà, les architectes s’orientèrent vers une approche consensuelle et réfléchie de la situation. Les idées fondamentales du plan reflètent cette formule tempérée sans minimiser l’impact morphologique de l’opération : - avant tout, une recomposition totale et radicale de toutes les infrastructures devait rendre le quartier habitable. Ainsi, celui-ci passait d’une suite de terrains hybrides et abandonnés à un véritable quartier résidentiel avec plage, autoroute littorale, voies ferrées et réseaux des grands collecteurs. Les barrières devaient être effacées et les nouvelles infrastructures intégrées en douceur au nouveau contexte. - les principes morphologiques voulaient rendre lisible la continuité avec les îlots voisins, superposant les innovations héritées du mouvement moderne à une typologie traditionnelle. Concrètement, les rues, les îlots et les places devaient s’inspirer d’un modèle traditionnel (grille Cerdà et place publique), et l’architecture de solutions plus évoluées : emplacement, ensoleillement, vue, intimité, dimensions et structures des corps architecturaux, confort interne, connexion externes ou matériaux de construction. Ces deux critères s’affrontaient en un point : vouloir à la fois une intégration sociale et formelle, et une innovation qualitative. Or, cette approche quelque peu contradictoire leur imposa une grande flexibilité de planification. Dans un premier temps, la forme générale était établie, puis en réduisant l’échelle à chaque étape, les projets furent attribués à des spécialistes d’une manière plus indépendante, d’où découle toute l’importance accordée au plan d’étape (avant-projet et idées fondamentales dès 1984, plan-projet de 1986, plan-projet de 1987-1989). Pendant cette dernière 120

MBM, op.cit., pp.14-16

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période, le groupe planificateur MBM récolta les innombrables plans des trente-cinq groupes d’architectes à qui furent commandité les unités individuelles. Le tout devait toutefois s’intégrer dans la première composition générale, qui s’articulait à partir de 1986 en cinq bandes : 1) première bande : plages et docks. Le principal objectif de cette intervention consistait à protéger les plages. Le premier projet consistait en des constructions dures et imposantes, en forme de digues parallèles et perpendiculaires au littoral. Ces murs de bétons auraient été d’une protection maximale mais d’un impact visuel sur le paysage jugé trop dur. Les spécialistes en constructions portuaires ont donc suggéré une solution plus douce mais quelque peu moins sûre. Les plages étaient divisées en sections formant des criques individuelles, et protégées latéralement par des jetées avançant dans la mer. Ainsi, la ligne d’horizon de souffre pas de rupture brutale et les criques jouissent d’une relative sécurité. Les bassins ainsi formés par les jetées restent ouverts au courant marin, ce qui évite toute sorte de stagnation des fonds marins. Ce schéma a finalement été appliqué à tout le littoral nord de Barcelone. La plage centrale de la Vila Olímpica fut aménagée en port de plaisance à plan quarré et protégé par une digue curviligne. 2) deuxième bande : le Passeig Marítim. En bordure des plages, la promenade piétonne de trente mètre de large reprend les ondulations formées par les plages. Placée en position surélevée par rapport à la plage, elle joue un double rôle : promenade littorale et parc urbain. 3) troisième bande : activités côtières. L’intention était d’accumuler, dans les creux des ondulations du Passeig Marítim, une importante série d’éléments devant rehausser la valeur urbaine de la côte pour y développer des activités commerciales. L’idée de base proposait la construction d’une série de tours hautes et étroites (25x25 de plan / 100 ou plus de hauteur). Finalement, deux de ces tours forment aujourd’hui une sorte de portique de la Vila Olímpica : la Torre Mapfe et l’hôtel Arts. L’équipe rédactrice était consciente du danger de créer une nouvelle barrière physique et visuelle. Cette frange fut donc limitée aux deux tours et au grand complexe commercial, ainsi qu’à des installations ponctuelles liées directement à l’activité balnéaire. Cette bande comprend également un centre de météorologie conçu par Alvaro Siza. 4) quatrième bande : l’avenue du littoral. Etant donné sa menaçante présence sur le PGM de 1976, les responsables de la Vila Olímpica se focalisèrent sur une conception bipolaire : 74


utiliser l’autoroute pour y intégrer un parc. Cette autoroute périphérique devait être capable d’absorber efficacement un grand flux de véhicules, et le parc urbain placé entre les deux voies devait faciliter le passage des piétons. Une partie de l’autoroute fut également recouverte par un parc dans sa zone centrale (devant les deux tours). 5) cinquième bande : noyau urbain. Configuré en huit macro-îlots, dont la morphologie générale rappelle largement les projets de Cerdà (macro-manzana) et du Pla Macià (voies piétonnes séparé des voies de circulation et les pavillons individuels): construits sur deux côtés de l’îlot individuel, l’espace central, destiné à des espaces publics et verts, sert d’unité organisatrice du plan. Les rues sont définies par les constructions en périmètre. Quatre des huit groupes résidentiels devaient être de taille inférieure ou égale à celle des édifices standards de l’Eixample. Les quatre restantes, par leur dimension de trois à quatre fois supérieure, permettaient des solutions plus innovantes : les corps des bâtiments forment une ligne continue d’édification allant jusqu’à permettre des « bâtiment porte » qui laissent passer la rue à l’intérieur de l’enceinte construite. Ici, la typologie pouvait s’écarter de la tradition. Une unité était destinée à des constructions basses pour des maisons unifamiliales. Ainsi, grâce à ce système différencié, la zone résidentielle devait pouvoir accueillir une grande variété d’architectures. L’utilisation de la brique dans les immeubles de front de mer devait unifier l’image de l’ensemble et rappeler le passé industriel du lieu. 121 La distribution générale et l’organisation des espaces ont donc été définies par le groupe MBM. Quant aux attributions des projets individuels aux architectes, elle donna lieu à des constructions remarquables. Aujourd’hui, elles font encore la fierté de la capitale catalane et contribuent largement à promouvoir son image urbaine.

121

MBM, op.cit., pp. 16-21

75


Voici quelques exemples des résultats de l’opération Vila Olímpica :

Avinguda Icària : Pergola de Enric Miralles et Carme Pinós.

L’aménagement de l’Avinguda Icària (ex. Passeig del Cementiri, v. plus haut), a été calqué sur la Rambla Catalunya de l’Eixample. D’une largeur totale de quarante mètres, distribués en deux trottoirs de cinq mètres chacun, flanqués de places et de deux voies de circulation de même largeur. Au centre, une promenade de quinze mètres. Celle-ci couvre un important dispositif d’égouts, ce qui rend toute plantation d’arbre impossible. Son agencement fut confié à Enric Miralles et Carme Pinós. Il consiste en une couverture de 250 mètres de long, composée de mâts tubulaires tordus supportant des barres métalliques, des grilles et des planches de bois. Les motifs enchevêtrés forment des pergolas en crescendo, qui, grâce à leurs dispositions, offrent un paysage hachuré de lumières et d’ombres. Immeuble résidentiel de la Vila Olímpica : Jose Antonio Martínez Lapeña et Elías Torres. (ph. C. Guim, Barcelona 1992-2004)

A l’extrême oriental du village olympique confluent l’Avinguda Bogatell (diagonale dirigée vers l’Eixample), l’Avinguda Icaria et le littoral. La conception du plan en hémicycle renforce la notion de carrefour et facilite la lecture géométrique de la trame urbaine. Une tour de neuf étages caractérise l’ensemble. Le corps principal de six étages est de forme circulaire et ouvert sur la mer. La façade donnant sur la 76


mer est ondulée de sorte à individualiser chaque entrée de bâtiment. L’utilisation de la brique et surtout les pans anguleux font référence au vocabulaire de Jose Antonio Coderch (bâtiment résidentiel à la Barceloneta). Tous les appartements sont traversants, le salon donne sur la façade frontale et les chambres et services sont disposés à l’arrière. La place centrale est configurée comme un jardin de palmiers coupé par un chemin pour piétons qui passe sous le bâtiment principal (bâtiment porte, v. plus haut).

Les deux tours : Torre Mapfre (1992) et Hotel Arts (1994) De 44 étages et quelques 150 mètres de hauteur

chacune,

elles

ont

changé

définitivement la sky-line de la ville. La Torre Mapfre (arch. Iñigo Ortiz & Enrique León) est entièrement aménagé de bureaux de la compagnie d’assurance Mapfre. La base est adossée d’un édifice de quatre étages contenant un centre commercial, et les trois étages de sous-sols sont destinés à un parking de près de 500 places. Les façades sont caractérisées par les bandes de fenêtres continues de

couleur sombre,

Torre Mapfe et Hôtel Arts (ph. Y.Siegenthaler, juin 2004)

rythmant la structure métallique plus claire. L’hôtel Arts (arch. Bruce J. Graham pour le bureau d’architecture Chicago Skidmore, Owings & Merril), de même gabarit que son voisin, se différencie par sa structure tubulaire d’acier couvrant tout l’extérieur de l’édifice. De plus, il est intégré à un grand complexe, le Marina Village, composé d’un centre de santé, un centre de bureaux et une immense galerie de boutiques. Pour couronner se duo de choc, Frank O. Ghery créa une sculpture monumentale d’acier poli et bronzé en forme de poisson, à la queue relevée en direction des tours et la gueule pointant vers la mer. L’autoroute périphérique : Ronda Litoral et parcs urbains. Aménagés selon le plan d’ordonnance de MBM, les Parc de les Cascades et Parc de les Dunes s’insèrent dans l’interstice imposé par la Ronda Litoral, entre complexes résidentiels et frange maritime urbanisée. Le premier couvre la Ronda Litoral et permet un accès direct de la zone résidentielle au port et aux plages. Les parcelles rectangulaires sont délimitées de toutes part par une 77


grille d’avenues et par l’imposant rond-point des deux tours. Le Parc de les Dunes (arch. M. Riusánchez et X. Vendreil) situé à quelques centaines de mètres à l’Est, est adossé au Passeig Marítim. A cette hauteur, la Ronda n’est plus enterrée. Elle serpente dans une sorte de fossé ouvert qui augmente la distance entre le centre urbain et les plages, et coupe la continuité. Ces espaces verts sont insérés dans un contexte fortement urbain et apparaissent comme des tentatives de satisfaire des obligations écologiques sans grande unité formelle.

Parc de les Cascades vu depuis la Torre Mapfre (ph. web)

Dans une analyse du développement du littoral de Barcelone, Josep Parcerisa signale les contradictions du Parc de les Cascades en ces termes122 : « Inmitten dieser Anlage (marina, tours et centres commerciaux) wirken die Grünflächen auf der Ronda Litoral und die Unterführung der Hauptzufahrtsstrasse wie ein trauriger, klägicher Versuch, einen Bezug zu Natur und Umwelt herzustellen. […] Dahinter steckt die Absicht, die Dynamik eines Jahrhunderts für dieses vergessene Gebiet einzufangen. […]. »123 Toutefois, en ce qui concerne le Parc de les Dunes, il est d’avis que, paradoxalement, une mesure plus raisonnable de densité et de cloisonnement (en opposition très certainement au complexe intensif des deux tours et de la façade résidentielle) peut mener à un avantage.

122

J. Parcerisa et M. Rubert, Barcelona: Maritime Hafen-..., op.cit., pp. 221-222 Traduction informelle : « Au milieu de cet ensemble (marina, tours et centre commerciaux), les parcs sur l’autoroute périphérique et l’accès souterrain de la rue principale font office de triste et minable essai d’établir un lien avec la nature. […] Là derrière se cache l’intention de réparer une dynamique qui laissa pendant des siècles ce secteur à l’abandon. » 123

78


Le quartier de la Barceloneta a subit des réformes importantes à la même époque que la Vila Olímpica. Malgré le projet surdimensionné (lié à l’aménagement du Port Vell, 1989) de Olga Tarrasó et Jordi Enrich, l’esplanade Joan Borbó a pris la place de grands entrepôts de cargo. Basé sur une conception en paliers, la promenade dirigée vers la mer est dégagée et ponctuée par des arbres et des bancs publics. Le vaste espace ainsi gagné est pavé de granit, d’asphalte et de béton selon sa séquence en rampes, escaliers et surfaces planes. Une marina remplace les docks des grands cargos. Du côté de la Barceloneta donnant sur la mer ouverte, le projet de Jaume Artigues, Jordi Henrich et Miquel Roig consiste à éliminer les installations (anciens bains, cafés open air, clubs de sport) pour permettre une douce transition entre ville et plage de sable. Celle-ci s’articule en une esplanade d’un seul niveau recouverte de pierre verdâtre pour la partie la plus urbaine, et prolongée par des plateformes de planches en bois qui s’avancent sur le sable. Cette urbanisation, ainsi que d’autres interventions à l’intérieur du quartier telles que le centre civique de la Barceloneta de Josep Roselló, et les blocs d’appartement de Joan Pascual, a été complétée par des constructions qui ont renforcé l’identité à la fois marine et urbaine de la Barceloneta : la rénovation et ampliation de l’Hospital del Mar de Brullet et de Pineda, ou la piscine de Sant Sebastià de Martínez Lapeña et Torres124. A cette sélection très réduite d’exemples architecturaux de la Vila Olímpica s’ajoute une liste impressionnante d’édifices signés des plus grands noms : Alvaro Siza et Joan Falgueras, Ricardo Bofill, Albert Viaplana et Helio Piñón, Carles Ferrater, Jaume Bach et Gabriel Mora, entre autres. Une partie importante des grands travaux urbanistiques liés aux Jeux Olympiques consistaient à pourvoir les espaces publics d’un nombre incalculable d’œuvres d’art monumentales. Au village olympique, mis à part la contribution déjà mentionnée de Frank O. Ghery, notons le « David et Goliath » de Antoni Llena, et les fontaines de Oscar Tusquets et Juan Bordas, et de Josep M. Mercè. Dans ce contexte baigné d’une rhétorique fondée sur la forme et l’image, la marque de l’architecte sert à garantir la valeur d’un nouvel espace. C’est ce que nomme Pep Subirós « l’urbanisme artistique »125, qui a affecté dans une moindre mesure l’urbanisation de Montjuïc 92, et, selon lui, plus directement la Vila Olímpica. Ses considérations mettent en cause trois points essentiels : d’une part, la vision du site comme une vitrine du savoir faire architectural barcelonais et de son répertoire ; d’autre part, les deux gratte-ciel semblent combler une absence impardonnable, 124

G. Costa, Barcelona 1992-2004, Ed. Gustavo Gili, Barcelone, 2004 P. Subirós, El vol de la fletxa, Barcelona ’92 : Crònica de la reinvenció de la ciutat, Ed. Electa, Barcelone, 1994 125

79


aux yeux certains, dans une métropole moderne ; et enfin, que la planification générale aie été trop tributaire des critères formels de design, aux dépends de considérations plus globales visant une véritable symbiose entre le nouveau quartier, la mer et la ville.

Plage de la Vila Olímpica, Centre de météorologie de Siza, Torre Mapfre et hôtel Arts (ph. web)

80


III.3 ] Le Poblenou

a) La cité de la connaissance et le programme 22@

Vue aérienne de la partie orientale du Poblenou En premier plan la Tour Agbar, la Diagonal en fuite et le Forum en arrière plan (Photo Districte d’Activitat 22@, Juin 2004)

81


Le plan « 22@ », initié en 1998 par la mairie de Barcelone, sous la direction de l’architecte chef Josep Acebillo, transformera quelques deux cents hectares distribués en cent quinze îlots. Le district concentrera stratégiquement les activités baptisées « @ », issues des nouvelles technologies de l’information et de la communication (TIC). La question actuelle est de convertir l’usage industriel quasi exclusif et extensif du sol (affectation à l’industrie moyenne depuis le PC de 1953 et de « 22a » depuis le PGM de 1976) en un usage mixte et intensif (qualifié de « 22@ »), par la création d’une sub-zone 22@ capable de prendre des formes plus flexibles. Les déterminations fondamentales et générales du plan se centrent autour de la mise en place et de la promotion d’une puissante constellation de petites à moyennes transformations, visant une complexité et une densité urbaines propres au caractère méditerranéen de Barcelone. De plus, fort de son histoire, le Poblenou (v. chapitre II, « Manchester catalane »), recouvrira sa valeur de propulseur économique. La ville peut s’entendre comme un lieu de rencontre et d’échange, intimement lié à son histoire, dirigée vers une complexité génératrice de vie urbaine. Elle peut aussi être perçue comme un simple espace physique aménagé de résidences et muni de leurs services et infrastructures respectifs126. Or, dans l’une ou l’autre de ces perceptions s’insère harmonieusement le concept élaboré par le groupe 22@ pour la MPGM22@ (Modification du PGM pour les activités @, approuvée en juillet 2001). Les exemples mondiaux en matière d’implantation de TIC dans un milieu urbain ne manquent pas. Or, certains parcs technologiques excentrés et exclusifs – tels que Greenwich Peninsula à Londres (Plan directeur de Richard Rogers, 1996), les divers Science Parks à Cambridge (UK), ou les nombreux parcs israéliens (Atidim à Tel-Aviv, Matam à Haïfa) – ont concentré dans un quartier-ghetto, ou « parc », toutes les technologies du futur. Ces centres d’affaires revitalisent plus économiquement que globalement des zones périphériques. Barcelone a opté, quant à elle, pour une intégration du modèle digital dans le tissu existant127. De cette manière, le plan respecte les versants économiques, urbains, sociaux et écologiques de la ville à l’intérieur même de ses limites. De plus, le programme contribue activement à une conversion d’un secteur abandonné en un point de nouvelle centralité. Les modèles considérés par l’équipe en charge de l’étude préalable Ciutat Digital se situent plutôt dans des zones abandonnées des centres-villes. A Manhattan, Silicon Alley constitue un exemple d’intégration du nouveau modèle (touchant les quartiers de Soho, Flatiron District, Chelsea, 126

Oliva, J., 22@, una incoherència urbanística, dans AB n° 81, Barcelone, décembre 2001 Institut Català de Tecnologia, Estudi CIUTAT DIGITAL, El nou sector productiu, Espais i activitats, Barcelone, 2000

127

82


East et West Village, allant depuis Wall Street jusqu’à la 42nd Street). Los Angeles inspire Barcelone par son programme Digital Coast qui ne se concrétise qu’en terme de promotion et de partenariats, sans prendre en compte la localisation physique. Il englobe toute l’agglomération et considère également Silicon Valley et Hollywood. D’autres modèles ont été analysés en Europe (Hoxton à Londres, Baden-Wüerttemberg en Allemagne, Environment Park à Turin, etc.), et en Asie (Bangalore, Hyderabad et Chennai en Inde, Multimedia Corridor en Malaisie, Softopia à Gifu au Japon, etc.). Aucun ne constitue un modèle intégral, mais tous ont contribué à l’élaboration de la qualification 22@ appliquée au Poblenou. Concrètement, la MPGM22@ prévoit une trentaine d’opérations définies ou à définir, dans des « Pla Especial de Reforma Interior, PERI »

128

/

129

. Six d’entre eux sont promus par initiative

publique. Il s’agit des noyaux les plus représentatifs quant à leur rôle stratégique dans la création de nouvelles dynamiques de quartier. De plus, ces six plans doivent aider à consolider les objectifs généraux de la MPGM22@, en servant de points d’appuis pour les interventions voisines de moindre ampleur. Vladimir de Semir est le régisseur de la Cité de la Connaissance à Barcelone130. Il a été chargé de la diffusion publique des entreprises du groupe 22@bcn. La stratégie fondamentale du plan – le développement de la connaissance – est la base sur laquelle se fonde un rééquilibre des savoirs et des pouvoirs à l’intérieur de l’espace urbain.

Plan général 22@bcn -en bleu : les îlots destinés aux transformations -entouré de rouge : les PERI/PMU de promotion publique (Plan Districte d’Activitat 22@bcn) 128

Le secteur de transformation analysé plus bas a été élaboré en 2001 et a donc été qualifié de PERI, raison pour laquelle il est ici nommé comme tel. Or, en juin 2002, la commission d’urbanisme a approuvé la loi 2/2002, dans laquelle ces plans de quartiers passeront à la dénomination de Pla de Millora Urbana, PMU. 129 Districte d’activitats 22@bcn – Ajuntament de Barcelona, Pla de Millora Urbana per a la reforma interior del sector Perú-Pere IV de la MPGM per a la renovació de les àrees industrials del Poblenou, aprovació definitiva, Barcelone, janvier 2003 130 De Semir, V., Conocimiento y convivencia, Los nuevos límites de Barcelona, dans II Fòrum Barcelona Canvi de segle, COAC, Barcelone, mars 2001

83


Le Poblenou présente toutes les caractéristiques nécessaires à la nouvelle « cité de la connaissance ». Déjà lié à la mer grâce à l’aménagement du village olympique et du littoral (v. chapitre III.3), il recouvre une centralité jusqu’alors méprisée, par sa proximité directe au triangle des grandes opérations urbanistiques de ce début de siècle : la Place Glòries, la gare du train à haute vitesse de Sagrera et le Forum 2004. Les transformations actuelles et à moyen terme de la Place Glòries (v. chapitre II.1) en feront un noyau de connectivités et un lieu où vivre dignement, travailler et se divertir. La gare de Sagrera sera un lien incontestable de flux entre ville et région. Quant au Forum, il représente un point d’appui indéniable

pour des échanges internationaux. Ainsi, le

Poblenou héberge un immense laboratoire où il convient de passer des cheminées – paradigme de la révolution industrielle – aux entreprises de bits – symbole de la connaissance. Situation des interventions 22@bcn (en bleu ciel) et triangle GlòriesSagrera-Forum. (Photo-montage Districte d’Activitat 22@bcn)

Le développement de ces projets doit s’entendre comme la prochaine étape de la croissance de la ville. Pensée jusqu’à récemment e métropolitaine au tissu dense et consolidé, Barcelone prépare son entrée dans l’aire régionale plus diffuse. Il n’est pas question pour autant de recréer les modèles du Vallès, banlieue combinée de grands centres d’affaire, centres commerciaux, université, golf, parc technologique et logements. Largement critiqué par de Semir131, cette zone a été la victime de l’initiative privée exclusive. Elle serait devenue une périphérie de luxe où la politique erronée de dispersion n’a creusé que des fossés infranchissables entre les éléments. 131

De Semir, V., op.cit.

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Le plan 22@ considère le Vallès comme un exemple à éviter. Les trente projets entendent dépasser la faible densité des aires industrielles traditionnelles. Ils s’orientent vers un tissu urbain dense et complexe, permettant une utilisation efficace du sol, de manière à favoriser les échanges entre les divers agents urbains. Afin de créer des synergies entre compagnies locales et internationales, entre économie et université, entre mairie et institutions culturelles, le plan s’est développé de manière locale et globale à la fois, fruit de l’élaboration intellectuelle collective pour un futur imaginé et désirable de la ville. De Semir se garde toutefois d’entendre par là une volonté impérialiste. Il s’agit bien de donner à une communauté les moyens nécessaires pour développer sa principale valeur, la diversité. C’est un plan qui insiste en premier lieu sur la diversification des opérateurs, oeuvrant avec une relative indépendance et diachronie, mais également sur la variété des mesures et des échelles d’interventions, sur les programmes de besoins et les solutions architecturales, visant une restructuration riche en contrastes132. L’augmentation de l’indice de construction des îlots (passant de 2 à 3 m2 par m2 de surface de sol) donne lieu à une nouvelle ordonnance non seulement à l’intérieur des parcelles, mais également au niveau du réseau viaire, et génère ainsi de nouvelles zones vertes, des équipements et des logements. Contrairement à l’urbanisme traditionnel, le projet 22@ n’établit pas d’ordonnance détaillée et précise du territoire, mais prévoit un système de transformation d’une telle flexibilité, qu’il rend possible des adaptations intégrées à une réalité urbanistique, économique et sociale133 : -

« El Plan 22@ es flexible en el tiempo, ya que prevé un desarrollo progresivo y adaptado a las preexistencias para no producir incidencias traumáticas en los usos actuales del territorio ».

-

« El Proyecto 22@ es también flexible en cuanto a la forma de los edificios, ya que, para permitir un mejor ajuste de los diferentes programas funcionales, se limita a concretar

132

Parcerisa, J. et Rubert de Ventos, M., De la memòria de l’estudi d’ordenació, Annex 1 del MPGM, Sector Perú-Pere IV, Barcelone, Février 2001 133 Traduction informelle : « - Le Plan 22@ est flexible dans le temps, étant donné qu’il prévoit un développement progressif et adapté aux préexistences afin de ne produire aucune incidence traumatique dans les usages actuels du territoire. – Le Projet 22@ est également flexible dans la forme des bâtiments. Afin de permettre un meilleur ajustement aux programmes fonctionnels, il se limite à établir les devoirs et les droits des propriétaires de sol sans fixer a priori les conditions et les prescriptions morphologiques des transformations. – Le Plan 22@ promeut le développement d’interventions de grandeurs diverses et de bâtiments de typologies très variées afin de donner réponse au critères de qualité, de fonction et de représentativité des divers utilisateurs finaux. De même, il favorise l’intégration des tracés orographiques, des chemins et des passages, des façades et des établissements historiques afin que ceux-ci puissent contribuer à préserver la mémoire historique du quartier ».

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los derechos y deberes de los propietarios de suelo, sin establecer a priori condiciones ni prescripciones morfológicas de las transformaciones ». -

« El Plan 22@ incentiva el desarrollo de intervenciones de diversa magnitud y de edificios de tipologías muy variadas que permiten dar respuesta a los requerimientos de calidad, funcionalidad y representatividad de sus diversos usuarios finales, al mismo tiempo que favorece la integración de los trazados orográficos, caminos y pasajes, fachadas y asentamientos históricos en los nuevos proyectos, para que estos contribuyan a preservar la memoria histórica del barrio »134.

Montage photo promotionnel de 22@bcn mettant en valeur la diversité morphologique.

Les équipements, classés sous la dénomination de « 7@ », représentent un 10% du sol transformé par l’initiative 22@. Ils sont destinés à recevoir les activités de formation, de recherche et de diffusion des nouvelles technologies. Grâce à la mixité des affectations des espaces, les équipements ne seront plus liés exclusivement au logement, mais également aux noyaux de productions caractéristiques de l’économie de la connaissance. L’intérêt d’une telle approche, nous l’avons vu plus haut, consiste à vouloir combiner diverses natures d’utilisation du sol sur un même lieu. Le cas peut-être le plus significatif est celui du logement. Le Poblenou recense près de 23'000 logements traditionnels. Plus de 4'600 de ces appartements se trouvent sur un sol destiné, depuis le Plan Comarcal de 1953, presque exclusivement à l’industrie. Or, le projet 22@ reconnaît, pour la première fois en cinquante ans, l’existence de ces habitats et promeut leur réhabilitation. De plus, le plan prévoit la construction de quelques 4000 nouveaux appartements sous régime de protection et dont un quart sera destiné à la location. D’autre part, les projets incluent des formes résidentielles temporaires pour faciliter le logement aux travailleurs de passage à Barcelone. Certains, même, doivent s’insérer dans le programme de réhabilitation de bâtiments industriels, pour autant que leur rapport volumétrique reste inférieur à celui des centres productifs, et que leur conservation ait un intérêt architectural, 134

Districte d’Activitats 22@BCN, Memoria de la MPGM para la renovación de las zonas industriales del Poblenou, texto refundido, Texte informatif basé sur le texte normatif en catalan, Barcelone, Septembre 2000

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historique et artistique. Ainsi le Poblenou verra apparaître des lofts, ou d’autres types de logements non conventionnels, qui contribueront à enrichir la diversité du quartier. La mobilité prend une place importante dans le projet 22@. Les trente-cinq kilomètres de rues et avenues faisant partie du plan seront complètement restructurés. Ce seront les nouveaux espaces publics qui, grâce à la mixité du tissu construit, favoriseront le développement du commerce local (centres commerciaux exclus) et garantiront la vitalité urbaine tout au long de la journée. Un réseau extensif de pistes cyclables doit permettre, parallèlement aux améliorations des transports publics et des rues, à un 70% de la population du quartier de se mouvoir sans l’aide de véhicule privé d’ici à 2010. De plus, les infrastructures nécessaires à l’activité productive de type @ sont adaptées aux besoins actuels. Les nouveaux services urbains incorporent des réseaux modernes d’énergie, de télécommunication, de climatisation centralisée, de ramassage d’ordure par canalisation pneumatique. La priorité est posée sur l’efficacité énergétique dans un souci de gestion responsable des ressources naturelles. Les critères de confort individuel imposent également un contrôle et une réduction de la contamination acoustique. Grâce aux opérations ponctuelles et intelligentes du Projet 22@, Barcelone changera la géographie économique, sociale et culturelle de sa partie orientale, la plus délaissée depuis la fin de l’époque industrielle. 22@ est un plan d’urbanisme, certes, mais également une nouvelle forme de penser et de créer la ville, dans le but d’entreprendre l’adaptation respectueuse des zones devenues obsolètes pour une société moderne et énergique.

Montage photo promotionnel de 22@bcn, mettant en valeur la flexibilité

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Le PERI Perú-Pere IV Un de ces trente projets a été conçu par l’équipe de Josep Parcerisa et Maria Rubert135. Il s’agit de l’aménagement d’un groupe d’îlots situés en retrait du versant nord de la Diagonal, coupé par une autre diagonale : l’avenue Pere IV. Celle-ci part de la jonction entre la Rambla de Prim et la Granvía pour aboutir à quelques rues du parc de la Ciutadella, en coupant tout le Poblenou. A son croisement avec la Diagonal, s’élancera un gratteciel singulier et représentatif, conçu par Dominique Perrault (v. chapitre IV.1-a). La proposition se base sur le modèle d’îlot conventionnel compact, qu’il ne faut pas confondre avec l’îlot traditionnel de l’Eixample, de type Plan de localisation du PERI Perú-Pere IV

résidentiel, construit sur toute la longueur du

(J. Parcerias / M. Rubert)

périmètre. Or, le taux d’occupation du sol en 1860 était de 50%, alors qu’aujourd’hui il est de 100%

(sauf les récupérations de patios d’îlots, v. chapitre II.1). Dans l’Eixample, cette forte densité a permis le développement en plein pied de nombreuses activités liées à la vie urbaine. Au Poblenou, la liberté normative favorisa l’implantation de nombreuses halles industrielles occupant une grande surface de sol. Dans le contexte actuel, afin de permettre la majeure flexibilité possible quant à la disposition des volumes à l’intérieur du périmètre, l’îlot compact ne sera pas fragmenté mais les parcelles décomposées. Il n’est pas question, dans l’îlot compact, de recréer les passages des îlots résidentiels, formule qui ne fait que repousser l’édification principale sur le périmètre. En conséquence, la proposition centre les volumes les plus hauts à l’intérieur de l’îlot, afin de préserver un ordre général et de permettre l’essor d’activités diverses sur le périmètre. La défragmentation des parcelles joue un rôle prépondérant. Elle offre une incroyable liberté de projection volumétrique donnant lieu à des complexités propres à un ensemble mixte.

135

Parcerisa, J. et Rubert de Ventos, M., op.cit.

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En d’autres mots, l’édification principale en façade disparaît devant une multitude de jeux de volumes capables de prendre une morphologie adéquate à chaque besoin. Toutes les parcelles de même typologie sont soumises au même index de construction. Or, tout en respectant la norme (rezde-chaussée + trois étages sur rue (17 m.) et rez-de-chaussée + huit étages (37 m.) comme maximum absolu), la construction jouit d’une liberté totale en matière de volumétrie et de composition. Le tracé des rues sera net et invariable, rehaussant le potentiel d’activités qui peuvent s’y dérouler. Le réseau viaire constituera un espace public à part entière et un lien aux équipements des îlots de l’entourage de Pere IV. Le PERI élaboré par Parcerisa s’articule autour de six îlots aux caractéristiques cerdiennes : la mesure de 113 mètres de côté, la disposition de l’édification existante aux angles coupés et la maille des rues quadrillant l’espace. Le projet distingue trois types d’îlots dont la morphologie et la fonction entraînent une réhabilitation différenciée. Le premier groupe (en rouge sur le plan de localisation, v. page précédente), dont la réalisation reste la moins certaine, est qualifié d’îlots irréguliers. Coupés par l’avenue Pere IV et donc de forme triangulaire, ils sont proposés comme d’amples espaces publics. Leur configuration est basée sur la délimitation par les rues et l’avenue et est destiné à recevoir les équipements « 7@ » du quartier : bibliothèque ou centre de formation. Les constructions seront de conception basse (sous-sol + un à deux étages), et leur accès sera assuré par une large rampe reliant les corps de bâtiments (plus tard également au métro). Sur ces îlots seront concentré tous les espaces verts prescrits par la norme de la MPGM 22@. De plus, des « micro-îlots » couvriront une partie des besoins en logements. Ces tours indépendantes mais rapprochées prendront place sur le périmètre de l’angle formé par les rues Paraguay-Josep Plà. Le deuxième groupe (en bleu sur le plan de localisation, v. page précédente), composé de deux îlots, dispose de bâtiments de style typiquement industriel, de construction basse et de grande extension parcellaire.

Les îlots sont qualifiés de compacts et singuliers. La

valeur de ces

constructions est incontestable et doit être rehaussée par les transformations.

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Maquette de l’îlot « Ca’n Illa » (image J. Parcerisa/M. Rubert)

Le bâtiment le plus significatif est délimité par les rues Marroc, Puigcerdà, Maresme et Bolivia (Ca’n Illa). Il s’agit d’un complexe industriel conçu pour l’entreprise de teinturerie textile Vicente Illa SA. (resté en fonction jusqu’en 1993). Dans les années trente, son extension et sa capacité productive l’a placée parmi les grandes industries de Sant Martí. L’ensemble se compose de bâtiments allongés et distribués le long du périmètre de la parcelle octogonale, avec une nette hiérarchie entre les éléments du complexe136. La tour à l’horloge à plan carré, élément central et représentatif, domine les corps de bâtiment destinés à la production, plus allongés et d’élévation moindre. Les façades sont structurées par des éléments décoratifs tels que pilastres, corniches, et dans le registre supérieur, une alternance de fenêtres rectangulaires et en plein cintre. Les murs sont bruts et la structure des bâtiments est marquée par des pierres soulignant la charpente. Une cheminée est nichée dans un angle intérieur des unités de productions. Elle sera maintenue dans la restructuration. L’intervention sur cet îlot se base sur l’hypothèse d’une récupération de surface par de petites ablations et rénovations. Ceci permettra la formation de deux tours aux abords des ailes situées sur le périmètre, et complètera l’indice de construction jusqu’au quota établis par le plan général. Le troisième groupe (en jaune sur le plan de localisation, v. page 88), constitue le terrain le plus favorable aux dispositions 22@. Sur ces terrains se prévoit la construction « d’îlots compacts et génériques ». Il s’agit d’un modèle de composition libre, pouvant être adapté à d’autres localisations dans le cadre de la MPGM22@. Il peut disposer d’une parcelle dédiée aux services techniques. Cet élément de composition se matérialisera en un parallélépipède rectangle de 16 mètres de large et courant sur toute la longueur de l’îlot. Il aura la singularité de réunir en un seul volume les réseaux de communications, les équipements de production de chaleur et de froid, les dispositifs de capteurs solaires et un parking. Grâce aux accès prévus par les deux côtés donnant sur les rues adjacentes, cette solution architecturale servira de couloir de distribution aux espaces intérieurs de travail ou de 136

M. Tatjer i Mir, et A. Vilanova i Omedes, Itineraris del patrimoni industrial de Sant Martí, présenté lors du colloque La ciudad de las Fábricas au centre culturel La Farinera del Clot, Ed. par l’Ajuntament de Barcelona, Barcelone, 2002

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logement. Ces unités, comme décrit plus haut, se développeront en fonction de leur utilité, dans la plus grande liberté. L’ensemble apparaîtra comme un groupe compact et hétérogène.

Maquette de l’îlot générique compact (Photo et maquette : J. Parcerisa / M. Rubert) Les couloirs de distribution sont désignés par les flèches)

Dans un contexte d’urbanisme qui s’intéresse prioritairement à collectionner des objets autonomes et griffés des plus grands noms, sans grand rapport avec leur entourage137 (v. chapitre IV.1-a, IV.4 et V)), le projet 22@bcn prend la place d’un contrepoint modéré. Tout le contraire des pratiques exercées dans la zone du Forum, le Poblenou pourrait, si le temps joue en sa faveur, devenir un nouveau modèle pionnier en matière d’urbanisme (v. chapitre V).

Maquette 22@bcn (Photo tirée de Costa, G. barcelona 1992-2004, Ed. Gustavo Gili, Barcelone, 2004)

137

Article de Montaner, J.M., Arguments for a polyhedric Barcelona, dans Costa, G. Barcelona 1992-2004, Ed. Gustavo Gili, Barcelone, 2004

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IV – Le Forum, urbanisme et architecture IV.1 ] L’urbanisme pré-Forum

Vue de la Diagonal depuis la tour AGBAR en direction Est (ph, web)

a) L’ouverture de la Diagonal jusqu’à la mer L’ouverture du dernier tronçon de la Diagonal, allant de la place de Glòries jusqu’au littoral, constitue la première grande opération d’intégration du quartier de Poblenou dans l’Eixample. Cette ouverture ne contribuera que dans une moindre mesure à distribuer le grand trafic autoroutier ; celuici est articulé par la Meridiana (au Nord), la Ronda Litoral (à l’Est) et la Gran Vía (au Nord-est). En revanche, il était censé constituer un nouvel axe central capable de renforcer la cohésion du tissu urbain. L’idée du concours original138, en arrière plan de l’aménagement du village olympique, visait une continuité constructive semblable à celle de l’Eixample central. Elle ne fut jamais réalisée dans son ensemble. 138

L. Zali et F. Santos, travail de diplôme : Restructuration d’un tronçon de l’avenue Diagonal (Poblenou, Barcelone), EAUG, Genève, juillet 1989

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En 1999, le plan d’urbanisation de ce tronçon définissait l’organisation d’une avenue coupant en biais tout le district 22@ (v. chapitre III.3). Il traverse aujourd’hui encore une grande zone peu homogène : industries, terrains vagues, immeubles résidentiels isolés, constructions basses abandonnées et occupées par des groupes de gitans ou de squatters divers etc. Cette partie de la Diagonal est composée de deux voies latérales destinées au trafic routier, d’une autre pour le tram reliant Glòries au Forum et d’une promenade centrale bordée d’arbres.

Vue d’une fabrique abandonnée, Diagonal (ph. Y.Siegenthaler, janvier 2004)

La volonté de rythmer la Diagonal par une succession de gratte-ciel (v. chapitre IV.4) s’inscrit dans la même dialectique d’une production urbanistique autonome, ségrégative et fragmentaire (v. chapitre V). L’attribution des œuvres à des architectes du star system sert de seule garantie pour une qualité architecturale139 et une acceptation quelque peu démagogique. Entre le bâtiment Forum de Herzog et de Meuron et la tour AGBAR de Jean Nouvel, se place le complexe urbain de Dominique Perrault, au croisement de la Diagonal et de l’avenue Pere IV : l’hôtel Nova Diagonal et l’hôtel Hesperia Diagonal, ainsi que deux bâtiments de bureaux. Ces gratte-ciel sont composés d’assemblages volumétriques dont l’originalité est affirmée par une extrême simplicité (v. dossier d’imges).

Hôtel Nova Diagonal, D. Perrault, projet 1999-2000, (image AV n° 84) 139

Arquitectura Viva 84, article de J. M. Montaner, Los modelos Barcelona, de la acupuntura a la prótesis, Madrid, mai-juin 2002

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Intérieur et extérieur de l’hôtel Nova Diagonal, Dominique Perrault, projet 1999-2000 (image Barcelona 1992-2004, G. Costa)

L’hôtel Nova Diagonal, élément dominant de la composition, est une tour de 119 mètres dont une des façades – donnant sur la Diagonal – est comme décalée par rapport à la tour, laissant un espace libre au sol et une terrasse élevée de l’autre côté. La base est renforcée par un cube faisant office de contrepoids. Les façades sont revêtues de plaques d’aluminium percées de cercles, formant une sorte de jalousie qui n’est pas sans rappeler la tendance seventies’ revival. L’architecte, qui habille ses bâtiments de tissus métalliques (complexe sportif à Badalona, v. dossier d’images), transgresse la simple décoration extérieure grâce à une conception vivante : la maille métallique est devenue une haute couture de l’architecture140. Sur la Diagonal, cet habit de soie est devenu une carapace plus lisse et design. Les oculus réguliers se distinguent nettement de l’intérieur. Depuis la rue, le revêtement donne une allure plus douce : la brillance du métal se confond avec l’ombre projetée des percements contre les parois intérieures. Ces subtils jeux de structures, motifs et textures se retrouvent, à quelques centaines de mètres, dans la tour de Jean Nouvel, et peut-être dans le futur bâtiment de Federico Soriano. Le paysage de cette avenue sera truffé de monuments verticaux aussi beaux que surprenants. Si dès la démocratie, Barcelone s’est empressée de décorer ses rues et ses places d’innombrables sculptures monumentales, aujourd’hui elle paraît vouloir le faire par un cumul d’édifices singuliers en forme de tours aux rendus d’une insaisissable délicatesse (v. dossier d’images). Du point de vue urbanistique, la question de l’adéquation de ces projets dans un contexte post-industriel reste ouverte et discutée (v. chapitre III.3 et IV.4). 140

M. Vignal, Dominique Perrault Archi Couture, dans l’Express, 27 juillet 2004. Citation de D. Perrault: « Il faut considérer les bâtiments comme des corps à habiller, […], Ce tissu, c’est une petite laine, un pardessus, une écharpe, un pashmina. »

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Une autre grande opération des abords de la Diagonal vit le jour en 2002 : le parc Diagonal Mar du studio EMBT (Enric Miralles et Benedetta Tagliabue) et le centre commercial du même nom.

Le parc Diagonal Mar

Dessin d’élaboration du parc Diagonal-Mar du studio EMBT (image web)

Le parc Diagonal Mar constitue certainement l’élément le plus inventif de toute la nouvelle zone. Nul doute que son concepteur, Enric Miralles (1955-2000), a marqué le paysage d’une note créative, pleine de couleurs, de jeux, d’imprévus, d’éléments apparemment disparates, de brèches et de symboles. Avec la disparition de Miralles en juillet 2000, le monde de l’architecture catalane a perdu non seulement un de ses plus valeureux éléments, mais aussi créateur d’exception. En 1955, lorsqu’il gagna le concours pour l’aménagement du cimetière d’Igualada, la critique internationale s’accordait à lui attribuer un nouveau langage qui conjuguait l’œuvre de Gaudi, Aalto, Jujol, 95


Asplund ou encore Le Corbusier. Aujourd’hui, encore bien des éléments de ses dernières productions permettent de faire ces rapprochements. Il convient toutefois préciser qu’il ne s’agissait pas d’un constructeur de métaphores, faisant de l’architecture un exercice post-moderne, mais d’un penseur multidisciplinaire, dont le fruit de ses pensées se concrétisait en architecture. Sa force résidait dans l’extraordinaire imagination dont il usait dans ses projets, d’une manière qui pouvait paraître chaotique, mais qui, finalement, se matérialisait en une grande force expressive. Freddy Massad lui a consacré une monographie dont le titre, la inconclusa arquitectura del sentimiento141, révèle deux points de la personnalité de Miralles : une approche intimiste, car elle est liée au sentiment, et le processus de continuité dont il revendiquait l’utilité et le sens. Il pensait que l’œuvre architecturale s’entendait comme un élément qui évolue dans le temps : qu’un projet n’est jamais achevé, qu’il est aujourd’hui en construction et que demain il sera peut-être la base d’un autre projet. Pour apprécier la place du parc Diagonal Mar dans son entourage, il convient de mentionner deux œuvres contemporaines de Miralles : le marché de Santa Caterina à Barcelone et le parc de Santa Rosa à Mollet del Vallès, banlieue lointaine de la métropole. L’intervention de Miralles pour la réhabilitation du marché de Santa Caterina, dans le cœur étreint de la vieille ville, se centre autour de la grande toiture ondulée et multicolore. Elle s’intègre à son entourage très dense en une sorte de couverture en patchwork qui dépasse la structure originale, et avec laquelle elle se confond. Miralles laissa l’espace intérieur libre de toute structure afin d’y permettre la versatilité nécessaire à un marché de fruits et légumes. Dans le design du revêtement, malheureusement visible seulement du haut des bâtiments adjacents, il reprend la multiplicité

toiture du marché de Santa Caterina de Miralles (ph. web)

des coloris que l’on trouve parmi les stands du marché. Pour le parc de Santa Rosa, réalisé entre 1992 et 2001, Miralles composa, ex novo, un paysage laissant une grande place à l’interaction avec les usagers. Les diverses structures, les 141

Traduction informelle: « L’architecture inachevée du sentiment. »

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matériaux, les niveaux, les formes donnent vie à une nouvelle nature artificielle, où couleurs, reflets,

transparences

et

ombres

jouent

véritablement avec les sens du promeneur. Tous ces

fragments,

résultats

de

l’imagination

débordante de Miralles, se confondent en un paysage onirique que l’on ne cherche pas à comprendre mais à sentir. Parc de Santa Rosa, Miralles (ph. web)

La participation active de Miralles dans le cas du parc Diagonal Mar était plus restreinte qu’à Mollet del Vallès. Peut-être est-ce la raison pour laquelle la force expressive y est moins évidente. Ou peut-être est-ce dû à la contamination de l’entreprise Hines, géant de l’immobilier au niveau mondial, qui y fit ériger en plein parc quinze tours résidentielles de luxe. Il y a donc deux facettes distinctes, le parc de Miralles et Tagliabue et celui de Hines. Le premier se compose de tous les éléments dont Miralles avait habitude de se servir : pavement inventif et coloré, utilisation mixte des matériaux, formes curvilignes, niveaux différenciés, structures tubulaires etc. Le plan reprend la forme d’arbre enraciné dans la mer et se ramifiant en direction de la Diagonal. Les lignes sont sinueuses et imprécises, les objets se plient à leur design et non le contraire, les rythmes provoquent la curiosité et l’ensemble offre autant de variété que d’unité.

Parc de Diagonal-Mar (ph. Y.Siegenthaler, janvier 2004)

L’organisation se centre autour d’un large bassin agrémenté de plusieurs fontaines, des pistes de skate et de bicyclette, une place de jeux pour enfants jusqu’à six ans, et une autre pour ceux jusqu’à quinze, et des places où de grand vases de céramique se joignent au paysage. La végétation est omniprésente autour des bassins, et s’accroît vers les extrémités. Des petites places ornent les limites extérieures, et un chemin marque la direction vers la mer. Quant aux multiples chemins intérieurs, ils s’articulent anarchiquement à la manière des branches d’un arbre. Ce concept inspire la 97


rêverie des petits comme des grands. Il correspond et illustre parfaitement le monde intérieur enfantin et ludique de Miralles. Qu’est-il advenu de ce petit paradis urbain ? Le parc Diagonal Mar, ses tours résidentielles et son centre commercial représentent assurément une belle réussite économique. La multinationale nord-américaine Hines en a fait un parc destiné en premier lieu à une clientèle aisée, friande de commodités agencées et de vues imprenables. La nouvelle centralité – Forum, Diagonal Mar, Diagonal – visée par la mairie de Barcelone s’appuie largement sur ce haut lieu de la consommation, où des millionnaires jouiront de la proximité de tous les divertissements dont ils sont habitués tels que shopping, piscine, centre de beauté, etc. Seront-ils disposés à apprécier les finesses et les subtilités d’un espace regorgeant de magnifiques imperfections ?

Images de promotion immobilière www.diagonalmar.com

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IV.2 ] L’urbanisme du Forum

a) Le plan

Image digitale du secteur Forum, avec la Diagonal en fuite, ( Infrastructures del Llevant SA., 2003)

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L’opération d’urbanisation de la zone où confluent la Diagonal, le littoral et le Besòs, est menée à bien par l’entreprise municipale Infrastructures del Llevant SA. fondée en juillet 2000. Outre la lourde tâche de gestion économique des très nombreux projets urbanistiques du Forum, le défi auquel la société doit faire face se fonde sur un postulat méthodologique selon lequel toute intervention doit être en mesure d’attirer la vie urbaine, de revaloriser des lieux voués à l’oubli depuis plus d’un siècle, de récupérer un équilibre écologique, d’offrir de nouveaux espaces publics et de générer des activités économiques. Tous ces objectifs prennent une importance aussi différenciée que leur nature. Le bien-fondé des critères écologiques est corroboré par l’inévitable adéquation aux normes actuellement en vigueur. Quant à l’espace public, il répond à une demande qui suit la logique de l’urbanisme barcelonais des deux dernières décennies. Enfin, l’indispensable et urgente revalorisation du secteur entend soulager la lourde mémoire qui pèse sur lui. Cependant, l’objectif qui assurément prend une place de choix et qui constitue une nouveauté sans précédent pour la zone est la conception du nouvel espace en tant que centre de production économique. Or, dans un contexte aussi hybride et délicat, où l’on tente de faire face simultanément à toutes les contraintes – écologiques, sociales, historiques, architecturales, symboliques – par une grande action unificatrice, le défi est largement tributaire de la gestion économique du projet. Les fonds mixtes, c'est-à-dire à la fois publics et privés, sont placés à long terme par un programme de concessions pour les décennies à venir. Les nombreuses infrastructures hôtelières – onze hôtels de catégorie supérieure – ainsi que la création du plus grand et du plus moderne complexe de congrès de la péninsule, soutiennent la conception de la zone du Forum comme un haut lieu du tourisme d’affaire, un pôle productif susceptible d’attirer une nouvelle clientèle aisée dans la capitale catalane. Sur le plan technique, Infrastructures del Llevant s’est associé avec l’organe de planification urbaine Barcelona Regional142. Leur collaboration vise un contrôle accru de la qualité architecturale et un maintient des objectifs urbanistiques au niveau des projets de base. Dans le même souci qualitatif, la société a soumis tous ses plans à la Comisión de Calidad (Commission de Qualité) de la mairie de Barcelone. Par ailleurs, étant donné le chevauchement du territoire sur les deux communes que sont Barcelone et Sant Adrià del Besòs, le Consorci del Besòs (Consortium du Besòs) – organisme participatif des deux mairies – exerce une autorité de contrôle local.

142

Société anonyme fondée en 1993 par divers organismes publics, dans le but de fournir à ses membres un instrument technique stable en matière d’étude, de design et de développement urbain de la région métropolitaine de Barcelone.

100


101


Voici la liste des constructions du Forum sous la direction de l’entreprise Infrastructures del Llevant143 et leur localisation sur le plan de la page précédente : Espaces publics

- la grande esplanade du Forum 11 - le port de plaisance de Sant Adrià del Besòs 14,19,18 - 3 zones de baignade : la continuation de la Nova Mar Bella, la zone de baignade du Forum devant le parc des Auditoires ainsi que la plage du parc du Nordeste 6,13,31,17 - le parc des Auditoires 16 - le paseo García Faria 32,2 - le futur parc zoologique marin 12,30,31

Bâtiments publics

- le Centre de Convention International de Barcelone (CCIB) 7 - le bâtiment Forum 8 - le centre socio-sanitaire 21 - le futur campus universitaire 9

Bâtiments privés

- 11 hôtels de haute catégorie 10,25 - quelques 800 appartements 22,23 - plus de 100'000 m2 de bureaux 21

Infrastructures écologiques : - la récupération du fleuve Besòs 29 - la rénovation de la station d’épuration des eaux 1 - la récupération du biotope marin 30,31 - le réseau générateur d’énergie - les plaques photovoltaïques 15 - la centrale électrique de cycle combiné 27 - la station de valorisation énergétique 26 - la réseau de collecte d’ordures par pneumatique - dépôt d’eaux pluviales Accessibilité

- restructuration du périphérique du littoral 2,3 - ouvertures des rues Llull, Taulat et San Ramón de Penyafort 5 - quelques 7'400 places pour véhicules légers et 28 pour autobus - nouvelle station de métropolitain « Maresme-Forum » - le « TramBesòs » reliant la Place de Glòries à Sant Adrià del Besòs

143

Plan et légende : Infrastructures del Llevant SA., Frente Litoral Besós – Un nuevo impulso para Barcelona, Barcelone, novembre 2003

102


Le budget total de l’opération urbanistique est de 3’178 millions d’euros, dont 52,6 pour cent proviennent du secteur privé144. De cette moitié du budget – plus d’un milliard et demi d’euros – presque trente pour cent (489 millions) sont destinés à la construction du site Diagonal Mar décrit dans le sous-chapitre antérieur. Le reste des investissements provient de la mairie de Barcelone, de la Diputació, de l’université, de divers fonds européens et de la Generalitat. Cette part publique des investissements (1'188 millions) est destinée à la construction des espaces publics, des équipements collectifs, des nouveaux réseaux de transports et ainsi qu’à la reconversion des installations environnementales. Vingt-neuf pour cent du budget total – soit environ 635 millions d’euros – sont investit dans les zones publiques telles que places, rues, parcs, grands collecteurs et dépôts. Quant aux installations nécessaires à la célébration du Forum Universel des Cultures, elles ont été financées par la société du Forum avec un budget de 318 millions d’euros (inclus dans le budget total). Le Forum couvre une superficie de plus de 214 hectares, ce qui correspond à une étendue de cinq fois supérieure à celle du village olympique. L’histoire de ce carrefour métropolitain a longuement été décrite antérieurement (v. chapitre III), rappelons les bidonvilles du Camp de la Bota et le quartier de La Mina. La frange maritime a été aménagée pour et après 1992 jusqu’à la plage de la Mar Bella. Grâce aux travaux du Forum, la récupération du front maritime devrait permettre un accès public aux quatorze kilomètres de côte qui séparent le centre de Barcelone – Port Vell – à la localité côtière de Montgat. La moitié de ce tronçon se situe entre le Port Vell et le Besòs. La dernière zone littorale à urbaniser, celle du Forum, constitue un véritable défi, puisque sur son sol se trouvent trois importantes infrastructures métropolitaines : la station d’incinération, la station d’épuration des eaux et la centrale électrique. L’amélioration et la rénovation de ces équipements requièrent donc une intervention décisive des autorités politiques. Face à une telle situation, plutôt que d’opter pour un déplacement des installations à l’extérieur de la nouvelle zone de centralité, la mairie se décida pour une solution, non moins complexe, d’intégration des équipements dans le nouveau contexte civique et ludique du Forum. La direction du Forum se fait un point d’honneur à respecter dans les moindres détails les critères définis par la politique du développement durable, et de s’aligner scrupuleusement aux normes d’écologie aujourd’hui indispensables à toute métropole.

144

Tous les chiffres cités ici sont tirés du document officiel : Infrastructures del Llevant SA, Frente Litoral Besós – Un nuevo impulso para Barcelona, Barcelone, version de novembre 2003.

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b) Les infrastructures écologiques et leur intégration dans le nouveau paysage urbain

Vue aérienne de la station d’épuration, l’esplanade et le port en arrière plan (ph. bcn.urbanisme )

La station d’épuration des eaux, l’Esplanade et la plaque photovoltaïque : La plus grande et la plus centrale des infrastructures précitées est la station d’épuration des eaux. Située entre le bâtiment Forum et la mer, elle sera agrandie et dotée d’un nouveau cycle secondaire ainsi que d’un appareil de désodorisation. Grâce à l’efficacité accrue du système, le biotope marin du littoral devrait retrouver son état d’avant la construction de la station. De plus, elle alimentera quelques trois millions d’habitants des communes de Sant Adrià del Besòs, de Santa Coloma de Gramenet, de Badalona, de Montgat, de Tiana et bien sûr de Barcelone, dont 75 pour cent des besoins seront couverts. La grande innovation écologique de la nouvelle station consiste à réduire l’utilisation des réactifs nécessaires aux processus chimiques utilisés jusqu’alors.

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Sur le plan urbanistique, elle sera intégrée à son nouvel entourage grâce à son recouvrement partiel par une gigantesque esplanade de quinze hectares. Projetée par Elías Torres et J. A. Martínez Lapeña, elle servira de lien entre la fin de la Diagonal, le bâtiment Forum et la zone côtière. La transformation de la station jouera donc un double rôle : d’une part elle maintiendra et améliorera la capacité d’alimentation en eau de la région métropolitaine, et d’autre part elle fournira une grande place publique munie aussi bien d’installations de haute technologie (fibre optique) que d’arrivée d’eau et d’électricité. On y prévoit des foires et des expositions de tout types, sans la nécessité d’importants dispositifs de montage et de démontage. Le point culminant de l’esplanade touche la zone de parc des auditoires, qui lui retombe en divers plans sur la mer. Le centre de l’esplanade se situe autour du bâtiment Forum. De là partent dans tous les directions des surfaces aux formes irrégulières qui se plient à la fonction unificatrice des points d’intérêts, tel que la plaque photovoltaïque, le CCIB, le port, le parc des auditoire et la station d’épuration. Le bras remontant vers le quartier de La Mina ne figure que sur le plan-projet145.

Plan de l’esplanade du Forum. (Infrastructures del Llevant S.A.)

145

Infrastructures del Llevant S.A., op.cit.

105


Ancrée à la manière d’un immense voilier sur un bras des docks du nouveau port de plaisance – il se trouve juste à l’entrée de celui-ci –, la plaque photovoltaïque s’affiche comme un symbole ostentatoire de la nouvelle image écologique du site. D’une superficie de 10'500 mètres carrés, elle alimentera le réseau électrique de 1.3 MW, l’énergie nécessaire à quelques mille habitants. Le socle et l’armature de soutien en béton brut s’imposent dans le paysage plutôt que de s’y mêler. Visuellement, elle appartient donc plus aux infrastructures du port, elles aussi en béton brut, que de celles plus verdoyantes et « écologiques » du parc des Auditoires dont elle marque la séparation.

Plaque photovoltaïque de E. Torres et J.A. Martínez Lapeña (ph. Y. Siegenthaler, juin 2004)

L’Ecoparc : la centrale électrique, le réseau de distribution d’énergie, la station de valorisation énergétique et le parc del Nordeste

De l’autre côté du port de plaisance se trouve la centrale thermique. Aujourd’hui, on y construit des installations capables de produire l’énergie et le confort nécessaire aux nombreux espaces et bâtiments du Forum. Le réseau générateur de climatisation (District Heating and Cooling)146 distribuera aux grands bâtiments du Forum toute l’énergie climatique nécessaire en

146

Ainsi est nommé cette infrastructure par les constructeurs pour une meilleure compréhension de cette technique pionnière en Espagne.

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utilisant la petite part de chaleur (vapeur d’eau) produite par la station de valorisation énergétique. Dans le futur, elle se servira également des énergies libérées par la station d’épuration et par la centrale électrique. Grâce à ce système, la consommation d’énergie primaire devrait être réduite de 32 pour cent. Même les logements en construction dans le secteur combleront les besoins en eau chaude sanitaire et en eau froide pour la climatisation grâce au réseau DHC.

La station de valorisation énergétique (ph. Y. Siegenthaler, juin 2004)

La station de valorisation énergétique est connectée au réseau DHC. Cette usine d’incinération des ordures permettra un apport d’énergie considérable. Alors que des villes comme Paris, Milan, Lisbonne et d’autres villes en Suède, Malaisie ou au Canada possèdent déjà depuis plusieurs décennies ce système qui propulse les ordures ménagères au rang d’énergie renouvelable, il était grand temps que Barcelone l’intègre dans ses équipements métropolitains. Aux côtés de l’usine d’incinération se trouve la Centrale thermique qui, grâce à son cycle combiné, fournira l’électricité à la région métropolitaine d’une manière moins contaminante. Le Forum se prévaut d’avoir adapté la centrale aux normes écologiques grâce à la substitution du combustible fuel par le gaz naturel. Or, celui-ci est un combustible fossile qui émet des substances nocives à l’environnement et qui favorisent l’effet de serre. Certes, grâce au cycle combiné, on peut dire qu’à présent la centrale est moins contaminante.

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Grâce à des rafraîchissements esthétiques la centrale thermique s’intègre visuellement aux plages et espaces verts du Parc del Nordeste conçu par les architectes Iñaki Abalos et Juan Herreros. Les cheminées se confondraient presque avec les palmiers du parc. Celui-ci coiffe la station DHC et la centrale thermique en partant depuis le périphérique jusqu’à la rive du Besòs. Le bord de mer est aménagé par une plage de sable.

Le Parc del Nordeste (arch. Iñaki Abalos et Juan Herrera) avec la centrale thermique en arrière plan. (photo Y.Siegenthaler)

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IV.3 ] Les joyaux de la nouvelle Barcelone

Trois monuments méritent une place spéciale dans cette description de l’aménagement urbanistique du Forum : le bâtiment Forum de Herzog et de Meuron ; le Centre de Convention International de Barcelone – CCIB – de Josep Lluís Mateo ; et l’hôtel Princess de Oscar Tusquets. Ces trois valeurs sûres et reconnues de l’architecture contemporaine ont conçut en un temps record des bâtiments singuliers dont la forme, le concept et la situation en feront sans doute des emblèmes de Barcelone. a) Le bâtiment Forum, Jacques Herzog et Pierre de Meuron Pour compléter ce qui a déjà été dit auparavant, observons tout d’abord le plan : les angles du triangle équilatéral pointent, à quelques degrés près, vers le Sud, l’Est et l’Ouest, soulignant ainsi la structure du plan Cerdà dont les grandes diagonales sont orientées en direction des points cardinaux147. La façade orientée vers le nord prolonge l’alignement de la Diagonal. Le côté sud-est est parallèle au périphérique, et le dernier fait face au CCIB, en prolongement de la Rambla de Prim. La géométrie extrêmement simple du plan permet d’établir de nombreux liens entre le bâtiment et son entourage. Le triangle s’inscrit dans une continuité de toutes les rues et avenues et constitue un véritable centre organisateur de trois secteurs: - au sud-ouest (en rouge sur le plan cicontre) il encadre le CCIB, la zone Diagonal-Mar et le Poblenou. - au nord (en bleu sur le plan ci-contre) les quartiers du Sudoest del Besòs et de La Mina. Plan de situation du bâtiment Forum, centre de trois secteurs voisins (plan de Infrastructures del Llevant S.A.)

147

Arquitectura Viva N° 84, Barcelona 2004, de la trama al tótem, urbanidad y espectáculo, Madrid, mai-juin 2002

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- au sud-est (en vert sur le plan ci-dessus) la zone du Forum et plus particulièrement l’esplanade. Le triangle s’inscrit donc dans une conclusion et une ouverture géographique de trois secteurs. En marquant les prolongements, les parallèles, les droites et les courbes, les angles vifs et intelligemment localisés ne créent aucune césure avec les éléments préétablis. La plateforme triangulaire, d’une hauteur totale de vingt-cinq mètres, est posée comme une proue échouée sur la légère pente constituée par l’esplanade du Forum. L’image extérieure dénonce une grande appartenance au monde de la mer, par sa couleur « bleu-Klein », par les irrégularités des fenêtres en cascades et surtout par sa forme basse qui rappelle la ligne d’horizon de la Méditerranée. La proposition des célèbres architectes suisses Jacques Herzog et Pierre de Meuron suit une logique tripartite : un concept contextuel – en relation étroite avec l’entourage –, une stratégie sculpturale – par le choix des revêtements et des couleurs – et une forme minimaliste.

Coupe transversale du bâtiment Forum (image: www.bcn.es/urbanisme))

Le bâtiment abrite un immense auditorium d’une capacité de 3'200 personnes. Celui-ci peut se diviser en trois salles, l’une pour 2'550 personnes et les deux autres pour 200 chacune. Il constitue le pilier central et supporte la plateforme triangulaire. Le parterre de l’auditorium s’enfonce dans la terre depuis le niveau de l’esplanade, dans le sens contraire à l’inclinaison de la celle-ci. De ce fait, il est considéré comme une place publique où se confondent volontairement les espaces intérieurs et extérieurs. L’étage supérieur joue le rôle de toiture, donc de protection de cet espace public – l’auditorium –, ainsi que de prolongement fonctionnel de celui-ci. Les deux registres peuvent être cloisonnés au niveau des balcons de l’auditoire par des pans coulissants en verre qui, selon les besoins, peuvent être transparents, translucides ou opaques. De cette manière, les diverses salles de l’étage peuvent jouir d’une autonomie totale pour des actes ou des expositions qui le nécessitent, ou au contraire, être intégrées à l’auditorium pour lui donner plus d’ampleur148. 148

El Croquis, double numéro 109 & 110, Herzog et de Meuron, The nature of artifice, Madrid, 2002

110


La macrostructure du bâtiment – la plateforme –est formée par un enchevêtrement de poutres métalliques intimement liées à deux grandes dalles de béton armé. Mis en appuis sur la partie culminante de l’esplanade, elles sont maintenues par les structures métalliques dont les parois des façades en sont les suites logiques. L’espace central est donc libre de supports, ce qui laisse à l'auditorium toute la liberté d’un gigantesque espace diaphane et permet une grande flexibilité de fonctions. Les espaces de l’étage supérieur sont, quant à eux, ponctués par dix-sept piliers et par ce que les concepteurs ont nommé des « cours de cristal ». Ces patios de lumières aux formes torsadées et au revêtement métallisé transpercent les dalles de la toiture de manière à illuminer les salles des étages inférieurs et rehausser leur fonction d’espace public. Photo cour de cristal Outre cette grande flexibilité qu’offre la conception du bâtiment comme une place publique recouverte d’une toiture contenant plusieurs salles, la grande originalité de ce navire – à mi-chemin entre marin et martien –

relève de sa morphologie générale, et en particulier le choix des

revêtements.

« Proue » du bâtiment Forum, Herzog et de Meuron, 2004 (photo Y.Siegenthaler)

Vues de loin – à partir d’une dizaine de mètres environ – les parois paraissent comme habillées d’une douce structure matte de couleur bleu outremer, une sorte de robe de cocktail en soie. De plus près, le crépi très grossier s’apparente plutôt à un fond de mer corallien. Les fenêtres jouent le rôle d’échancrures satinées ou éblouissantes, selon la réverbération du soleil. Pour parfaire la silhouette majestueuse de sa dame, les socles porteurs, les portes latérales ainsi que les « cours de cristal » sont recouverts de plaques en aluminium poli, de forme triangulaire et percées de petits trous. Quelques portes sont revêtues des mêmes plaques étincelantes, mais de couleur dorée. Tous

111


ces éléments reflètent la lumière naturelle et l’amplifie considérablement par le miroitement de l’aluminium poli. Le contraste entre le bleu intense et matte des façades et la richesse des matériaux luisants des portes et du socle, confèrent au bâtiment une allure de paquebot du futur. Jonathan Glancey149 lui destine, dans son article peu élogieux sur l’architecture barcelonaise d’aujourd’hui, une glorieuse carrière dans les prochaines productions cinématographiques de science-fiction. Dans son analyse comparative, d’autres sites ont connu des avenirs bien plus tristes, notamment Séville et ses fantômes architecturaux de l’Exposition de 1992, ou le pavillon portugais de Alvaro Siza pour l’Exposition de Lisbonne en 1998, reposant tel un coquillage vide sur la plage. Le bâtiment Forum est donc le point central incontestable de ce nouveau secteur. Il s’inscrit intelligemment dans son entourage, sa forme s’élève modérément sur la pente douce de l’esplanade et ses finitions lui donne une allure rayonnante. Grâce à la conception extrêmement flexible et ouverte des espaces intérieurs, à cet entêtement à vouloir en faire une place publique couverte dont on passerait sans difficulté d’un extrême à l’autre, il est à supposer et à espérer, pour le bien des futurs utilisateurs des lieux, que Jonathan Glancey se soit quelque peu emporté dans son jugement.

Le Centre de Conventions International de Barcelone CCIB

Façade « organique » du CCIB, Josep Lluís Mateo MAP-Arquitectes, 2004 (photo Y.Siegenthaler)

149

Article de Jonathan Glancey, Welcome to our lair, publié dans The Guardian, 10 mai 2004

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Selon la conception de la ville de Josep Lluís Mateo (Barcelone, 1949), le lieu même où se construit le CCIB relève d’une importance primordiale. Rappelons les bidonvilles et la naissance des grands ensembles durant les années de dictature franquiste. Le CCIB est le plus grand centre de conventions d’Espagne, ajouté d’un hôtel et d’un bâtiment de bureaux. Aaron Betsky, dans son essai « Riding with the Dirty Realists »150, souligne la dichotomie sous-jacente à la construction d’un tel centre dans un contexte de périphérie. Ces lieux servent de points de rencontre à une multitude de femmes et d’hommes d’affaire, surgis de toutes parts dans une ville et n’ayant aucune connexion réelle avec elle. Une architecture appropriée à un tel lieu doit être ample et faire preuve d’une grande flexibilité, objectifs qui ont été parfaitement atteints dans l’œuvre de Mateo. Betsky ajoute que, par une conception issue directement de la technologie, le CCIB constituera un modèle de modernité sans aucun rapport avec le passé. Or, ceci doit s’entendre comme la réponse à une exigence fonctionnelle: le bâtiment doit avoir aussi peu de caractère pour ne pas entrer en conflit avec les installations temporaires, les réseaux de communications et les incessants flux de personnes. La structure est donc flexible, abstraite et perméable.

Maquette de la zone du Forum vue depuis la mer : au centre le CCIB, avec la partie nuancée de l’espace destiné au congrès et les cubes superposés accueillant l’hôtel et les bureaux du Consoci de la Zona Franca (J.L.Mateo, MAP Arquitects)

Dans son mémoire de projet, Mateo s’intéresse à l’histoire de la plage qui accueille aujourd’hui son œuvre. Il décrit les bidonvilles du Camp de la Bota comme une fine pellicule « organique » qui endurcit le sable de la plage151. Peu de temps après, les grands ensembles colonisèrent le territoire adjacent par des formes géométriques pures et cristallines qui constituèrent une couche « inorganique ». Voici l’opposition qui a motivé Mateo a marquer la dichotomie « organique-inorganique » dans son bâtiment, par une nette différentiation entre les éléments du groupe architectural : d’une part les espaces du centre de convention, flexibles, horizontaux, courbes, diffus et variables ; et d’autre part, l’architecture dure en forme de parallélépipèdes verticaux 150

Article de Aaron Betsky, Riding the Dirty Realists, annexé au mémoire du projet de J.L. Mateo – MAP Architects, Barcelone, 2000 151 J.L. Mateo – MAP Architects, Memoria del proyecto, Barcelone 2000

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superposés aux angles droits et aux lignes tranchantes. Cette partie accueille l’hôtel du CCIB et le centre de bureaux du « CZF- Consoci de la Zona Franca ». La confrontation dur-doux, rigideflexible, sable-béton prend un sens tout à fait symbolique. Elle est un clin d’œil à l’histoire de la plage, en l’adaptant à des concepts novateurs et en réinventant une manière de concevoir l’architecture problématique d’un centre de congrès. Le corps magmatique du centre de congrès s’inscrit dans un rectangle de 130 fois 150 mètres et se compose d’un sous-sol et de trois étages. La grande salle de conventions, au rez-dechaussée, s'étend sur une superficie de 11'000 m2 et est capable d’absorber des congrès

comptant

jusqu’à

15'000

participants. Son espace central est une sorte de grande place couverte et maquettes et représentations graphique des « peaux » du CCIB

diaphane, dépourvue de

colonnes

(images web)

ou de piliers et munie d’éclairage zénithal. Le premier étage abrite des salles

de

réunions

de

capacité

inférieure, et l’attique accueille un restaurant et une terrasse couverte avec vue sur la mer. La plupart des murs sont amovibles et permettent une adaptation des volumes internes aux nécessités variables des congrès. Le revêtement de toute la partie frontale s’agrippe littéralement (grâce à un réseau de barres métalliques) aux murs intérieurs. Rappelant des stores dont les lamelles en aluminium se tordent au gré des vagues ondulées de la mer ou du vent, Mateo insiste sur le caractère épidermique de ces structures. Le CCIB et le bâtiment Forum sont reliés par une promenade, une rambla souterraine. Les deux centres constituent donc un ensemble dont les éléments sont complémentaires et dépendants. Lorsque le CCIB organise un congrès de grande envergure, la cérémonie d’ouverture prendra place dans l’auditorium du Forum, et les actes se dérouleront dans les salles aménagées spécialement pour l’évènement, soit dans la partie supérieure du Forum, soit dans celles du CCIB, ou encore dans les deux à la fois. Leur conception flexible, le raffinement de leur revêtement, leur intégration dans le contexte délicat de jonction entre la ville et la mer, font de ces deux bâtiments des lieux capables

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de générer une nouvelle vie urbaine. Tout en visant un futur basé sur l’innovation et la technologie, ils semblent rester en parfait accord avec la tradition locale d’espace public.

L’hotel Princess, Oscar Tusquets

Hôtel Princess, Oscar Tusquets, 2004 (photo Y.Siegenthaler)

Laissons-nous séduire, en avant-goût de la description de sa tour-hôtel Princess, par les mots si percutants qui ouvrent le curriculum vitae de Oscar Tusquets sur son espace web personnel152 : « Arquitecto por formación, diseñador por adaptación, pintor por vocación y escritor por deseo de ganar amigos, Oscar Tusquets Blanca es el prototipo del artista integral que la especialización del mundo moderno ha llevado progresivamente a la extinción.... »153 Cliquez sur son monogramme de sa page d’accueil et vous verrez apparaître un close-up de son visage sur fond noir (photo de Leopoldo Pomés). La lumière latérale est suffisamment contrastée pour laisser jaillir, en tout premier lieu, son regard vif, perçant et un soupçon narquois. Puis, vous poserez vos yeux sur sa mèche folle de cheveux qui disparaît dans l’obscurité. C’est une vaguelette saugrenue qu’il ne faudrait pas trop voir, mais qui, sans doute, étourdit la rigueur d’une barbe grise, sérieuse et bien taillée. Dans ces traits se reconnaît la multiplicité des facettes de l’artiste : la droiture de l’architecte, l’esthétique du designer, la fantaisie du peintre. On pourrait même croire à une

152

http://www.tusquets.com/esp/prints/pcv.htm traduction informelle : « Architecte par formation, designer par adaptation, peintre par vocation et écrivain par envie de se faire des amis, Oscar Tusquets Blanca est le prototype de l’artiste intégral que la spécialisation du monde moderne a mené progressivement à l’extinction. » 153

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innocence un peu malicieuse rescapée de l’enfance. Ce qui ne s’opposerait guère à ses tâches de créateur adulte.

Portrait de Oscar Tusquets Blanca, de Leopoldo Pomés www.tusquets.com

Après cette appréciation subjective d’un créateur au travail maintes fois primé, voici quelques détails descriptifs de ses œuvres comprises dans le périmètre Diagonal Mar : trois tours de bureaux et surtout l’hôtel Princess, sis au tant attendu N° 1 de la Diagonal de Barcelone. Oscar Tusquets et son associé Carlos M. Díaz Gómez ont réalisé, en collaboration avec TVS International de Atlanta et GCA Arquitectos, les trois tours de bureaux aux dimensions quasi identiques, qui font face à la mer entre le parc Diagonal Mar et le centre de convention. Ces trois blocs, pourvus des technologies les plus avancées en matière de climatisation, d’adaptabilités des espaces, d’accès et de parkings forment une barrière dure et géométrique en front de mer. Dans un premier projet, la mairie allait construire un bâtiment d’habitation sur la parcelle où se trouve actuellement l’hôtel cinq étoiles Princess. Ricardo Bofill était chargé de ce projet. La forme triangulaire inspirait une création singulière semblable au Flatiron Building de New York. Or, lorsque Tusquets hérita du projet, et que celui-ci se convertit en un hôtel de luxe, toutes les contraintes de la typologie d’un immeuble de logement (étendoirs, cuisines, terrasses et escaliers en façade) disparurent. De même, la séparation de la tour sur deux parcelles de forme pointues, reliées par une passerelle de verre, permit une élévation bien plus considérable. 116


Tusquets adopte, dans son mémoire de projet, une position élitiste, justifiée par la fonction de l’édifice : un hôtel de luxe. Tout son discours se développe en des termes de résultats esthétiques et se base sur l’impact visuel du gratte-ciel154 : « Todos los arquitectos hemos soñado en encontrarnos con un emplazamiento tan característico. Si no lo hacemos muy mal, es seguro que este edificio aparecerá en las postales de la ciudad. »155 Les cartes postales de Barcelone auront très certainement bien des nouveaux objets à vendre, et il n’est pas exclu que l’hôtel Princess en fasse partie. Toutefois, il doit compter avec une concurrence non négligeable, telle que la Tour Agbar de Jean Nouvel, le bâtiment Forum de Herzog et de Meuron, sans oublier l’impressionnant patrimoine moderniste. La double tour de Tusquets, aux couleurs primaires qui ne marquent que la verticalité, devra lutter quelque peu pour faire sa place. « El encuentro, muy agudo, entre la trama del Eixample y la Diagonal ya se ha dado en otros lugares a lo largo de la misma – y a dado ejemplos de gran interés arquitectónico como la Casa de las Puntxes156 – pero nunca con esta radicalidad, sin redondear o biselar la afilada « proa ». »157 L’emplacement de l’hôtel est certes comparable à celui de la Casa de les Puntxes. En ce sens, un lien pourrait être établi. Ce n’est cependant pas le seul immeuble d’angle à Barcelone, étant donné que l’avenue Diagonal ne fait que de couper les îlots d’une extrémité à l’autre. Une comparaison aussi affichée dénonce un caractère plastronné, ou du moins, une nette volonté de faire valoir son projet comme un des plus grands de son temps. « …como siempre, debido a la poca altura, se veía mazacota, sobre todo observada desde la Diagonal. »158 En parlant des projets antérieurs de logements, leur basse élévation en faisait, selon Tusquets, une masse informe et plutôt laide (si « mazacota » se réfère au terme castellan de « mazacote » qui signifie une œuvre d’art grossière et peu élégante). Tusquets estime que le n° 1 de la fameuse avenue se doit d’être doté d’un monument remarquable, qui doit être bien visible de toute

154

TDA, Tusquets-Díaz&Assoc. Arquitectura, Hotel Diagonal 1, Proyecto básico de edificio hotelero en la avenida Diagonal 1 de Barcelona, Memoria Oscar Tusquets Blanca, Memoria conceptual, Memoria descriptiva, Características urbanísticas, Barcelone, janvier 2001 155 Traduction informelle : « Tous les architectes ont rêvé de disposer d’un emplacement aussi caractéristique. Si nous ne le faisons pas très mal, il est certain que cet édifice apparaîtra sur les cartes postales de la ville ». 156 Une des œuvre majeure de Josep Puig i Cadafalch construite entre 1903-1905 sur une parcelle triangulaire de la Diagonal. Il s’agit très certainement de l’un des bâtiments les plus spacieux de l’architecture moderniste catalane. 157 Traduction informelle : « La rencontre très aigue de la trame de l’Eixample avec la Diagonal a déjà en d’autres occasion, tout au long de cette avenue – et a donné lieu à des architectures de grand intérêt, comme la Casa de les Puntxes – mais, jamais avec ce caractère aussi radical, sans arrondit d’angle ou biseau de la « proue » affilée ». 158 Traduction informelle : « … comme toujours, la hauteur réduite donnait une allure mastoc, surtout observé depuis la Diagonal ».

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part, et surtout depuis la Diagonal. La hauteur, la conception en proue s’avançant vers la Place du Forum et, bien entendu, le grand standing de l’hôtel sont tout autant d’arguments triomphateurs. « Las fachadas de vidrio transparente están siempre dobladas por una piel exterior con franjas de vidrio tintado o serigrafiado que, sin interrumpir las vistas, protege de la radiación directa del sol. Por un mínimo de consciencia ecológica, de ahorro energético, y de simple confort, no podemos aceptar que fachadas vidriadas que miran a Sur o a Poniente no dispongan de ninguna protección, y por razones psicológicas, por no decir francamente estéticas, no podemos aceptar que sólo se pueda contemplar el exterior a través de vidrios ahumados, coloreados o espejados. »159 Ce concept de deuxième peau de vitre striée de bandes opaques peut être une solution à la fois discrète et distinguée. Quant à sa motivation, Tusquets ne semble se préoccuper que par pure obligation aux normes écologiques. Chez lui, l’esthétique qui prime avant tout. Cependant, Tusquets a légué au patrimoine architectural catalan des œuvres dans un tout autre registre, lié à la restauration et amplification d’édifices historiques. Un exemple remarquable en est la subtile restauration et agrandissement du Palau de la Musica. Ce chef-d’œuvre moderniste érigé, entre 1904 et 1908 par Lluís Domenech i Montaner (1850-1923), fut revu par Tusquets à deux reprises : entre 1983 et 1989, puis en 2000. Son travail permit l’ouverture d’une petite place sur le côté gauche de la façade principale, là où une église sans grande valeur (église Sant Francesc de Paula) cachait la partie latérale du Palau. Il ajouta une annexe destinée aux artistes et un autre bâtiment ouvert au public. Grâce à un style respectueux et novateur, le Palau a non seulement retrouvé une composition équilibrée, mais a été revalorisé par des miroitements subtils et discrets. Le couronnement d’une tour d’angle par des pans de verres gravés prend toute la valeur qu’il avait perdue depuis un siècle. Les fonctionnalités intérieures ont été améliorées et amplifiées. Un autre grand projet (gagnant du concours en 2001, est la rénovation et amplification du Gran Hotel Miramar, jouissant d’une situation privilégiée sur le flan est de la colline de Montjuïc. Cette bâtisse au caractère palatin fut construite à l’occasion de l’Exposition de 1929 pour y accueillir un restaurant de luxe. En 1959, la TVE (Televisión Española) y installa son siège jusqu’au début des années quatre-vingt. Alors, elle fut abandonnée et son état se dégrada considérablement. Tusquets réalise un travail de revalorisation des structures originales, comme l’imposant patio central, les 159

Traduction informelle : « Les façades de vitre transparente sont doublées d’une peau extérieure munie de franges de verre teinté ou agrémentées de sérigraphies. Sans interrompre la vue, celles-ci protègent des radiation directe du soleil. Dû à un minimum de conscience écologique, d’épargne énergétique et de simple confort, il est inacceptable de laisser les façades orientées vers le Sud ou l’Ouest sans aucune protection. Puis, pour des raisons psychologiques, ou franchement esthétiques, nous ne pouvons concevoir une vue extérieure obstruée par des vitres fumées, colorées ou miroitées ».

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vérandas et la façade centrale du restaurant. Les nouveaux éléments viennent s’intégrer au corps principal avec harmonie, en une superposition de terrasses où les chambres sont distribuées. L’esprit majestueux du palace retrouvera toute l’authenticité d’un mirador dominant le port et tout l’Est de la métropole. Tout le caractère de Tusquets, notamment son incontournable goût pour le rendu visuel, peut se traduire par une prétention excessive, comme pour l’hôtel Princess, mais peut également servir discrètement et élégamment à opérations de grande valeur esthétique et fonctionnelle, comme pour le Palau de la Musica et l’hôtel Miramar. L’ordre de citation de ces trois architectures soulève des questionnements relatifs à la nouvelle skyline de la métropole. Le bâtiment Forum, premier cité, s’étale à l’horizontale sur un terrain presque plat qui se prolonge jusqu’à la mer. La perspective en fuite est accentuée et l’horizon s’élargit. Le second, le CCIB, allie l’horizontale du centre de conventions à la verticalité de l’hôtel et tour de bureaux. La partie basse se situe en front de mer, accolé au bâtiment Forum. Quant aux tours, elles forment un mur en retrait (vu depuis la place Forum). A ses côtés, l’hôtel Princess s’élève vers le ciel, dans un élan vertical appuyé par les bandes colorées.

Le mouvement rotatif ascendant part de la plate-forme du Forum, centre incontestable du secteur, s’élève en tournant sur le CCIB pour s’envoler sur les hautes tours à l’arrière. D’autre part, cette progression ascendante peut-être perçue, quand on se trouve en amont de la Diagonal ou sur la rue Taulat, comme une barrière de tours cachant la vue sur la zone horizontale et sur la mer. L’accès visuel sur ces espaces n’est possible que du haut des gratte-ciel, et n’est donc réservé qu’à une minorité privilégiée.

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IV.4 ] de l’horizontale à la verticale, la nouvelle forma urbis

Skyline de la zone Forum et Diagonal-Mar vue depuis l’esplanade du Forum (ph. Y. Siegenthaler, juin 2004)

La nature méditerranéenne de Barcelone a toujours influencé un développement dense et horizontal : centre historique, Eixample, etc. Cependant, depuis 1992, la politique d’urbanisme municipale s’évertue à reconnaître la valeur parallèle d’un déploiement vertical. Les principaux éléments constitutifs de cette orientation sont tous liés à des grands noms de l’architecture : • • • • • • • • • • •

La tour des télécommunications de Norman Foster (1992, 288 m.) La tour Telefónica de Santiago Calatrava (1992, 136 m.) Les tours du village olympique de Ortiz et León et Bruce Graham (1992, 145 m.) La tour AGBAR de Jean Nouvel (2004, 145 m.) L’hôtel Princess de Oscar Tusquets (2004, 105 m.) Le bâtiment Vela de Ricard Bofill (projet, 90 m.) Le bâtiment de Gas Natural de Enric Miralles et Benedetta Tagliabue (projet, 80 m.) L’hôtel Plaza Forum de Enric Massip (projet, 104 m.) Le bâtiment de l’administration de la place Glòries de Federico Soriano (projet, 140 m.) L’hôtel Hesperia de Richard Rogers et Alonso i Balaguer (projet, 105 m.) L’hôtel Nova Diagonal de Dominique Perrault (en construction, 115 m.)

Dans les quatre premières années de ce siècle se sont planifiés, et en partie construits, sept bâtiments singuliers, dont six d’entre eux dépassent les cent mètres de hauteur. Un point remarquable d’accumulation de tours est la nouvelle Diagonal, de la place Glòries jusqu’au Forum (v. chapitre IV.1). La planification municipale y voit l’érection de gratte-ciel tout au long de ce tronçon afin de marquer un rythme monumental. Bien que ces opérations s’inscrivent dans un contexte de revalorisation d’espaces obsolètes et qu’elles soient composées d’éléments 120


architecturaux dont la valeur esthétique peut difficilement être mise en doute, elle suscitent de vives polémiques du point de vue urbanistique. En 2001, le monde professionnel de l’architecture et de l’urbanisme, ainsi que des journalistes spécialisés, se sont réuni afin de débattre sur des points qui dépassent la simple question : gratte-ciel oui, gratte-ciel non ? Les rencontres ont eu lieu à l’Escola Sert de Barcelone (qui fait partie du Collège des Architectes, COAC), et les participants étaient d’importance : Tagliabue, Tusquets, Massip, Solans, Esteban ; avec des modérateurs non moins initiés : Montaner et Navas. Les questions fondamentales se posèrent en ces termes160 : « 1) El gratacel, és una necessitat o una demanda ? 2) Evolució urbanística de la ciutat o exigència del operadors ? 3) Qui garanteix l’absoluta qualitat que se li ha d’exigir a un edifici alt ? 4) El procés urbanístic endegat és el que convé a la ciutadania i a la ciutat ? »161. Comparé à des époques antérieures (Plan Macià ; années soixante sous Porcioles ; les Jeux Olympiques), la crainte d’une néfaste répétition de schémas antérieurs se fit sentir dans le débat. Juli Esteban, directeur du cabinet d’études urbanistiques de la mairie, joua précisément sur le fait que ces exemples doivent fournir des pistes sur les erreurs à éviter162 : « L’edifici alt d’ara no és sinònim d’especulació en el sentit d’ús abusiu sobre sostre del solar on està edificat i tots els edificis alts són la conseqüencia d’una modalitat determinada d’ordenació »163. La spéculation était en effet une des principales causes de l’édification à la verticale d’il y a trente ans. Donc, Esteban justifie ces constructions dans le paysage actuel, non sans créer une polémique (v. chapitre V), comme étant les conséquences logiques d’une réglementation législative qui prend en compte les rapports de gabarit entre le bâtiment et son entourage. Joan Antoni Solans, ex-directeur général du département d’urbanisme de Catalogne, s’interroge plutôt sur les cas de bafouage des normes qui ont frisé l’illégalité (l’Atalaya, l’hôtel Presidente). De plus, il prétend que le problème de base ne se pose pas en matière de formes, mais de distinction entre ce qui est ou non un bien public. Pris sous cet angle, le cas des gratte-ciel de

160

INDE Informació i Debat, Barcelona : projectes, utopies i distòpies ; Gratacels al canvi de segle, COAC, Barcelone, avril 2001 161 Traduction informelle : « 1) Les gratte-ciel sont-ils une nécessité ou une demande ? 2) Evolution urbanistique de la ville ou exigences des opérateurs ? 3) Qui garanti l’absolue qualité qui est de rigueur pour un bâtiment en hauteur ? 4) Le processus urbanistique entamé convient-il aux citadins et à la ville ? » 162 INDE, op.cit., pp 11-13 163 Traduction informelle : « Le bâtiment en hauteur d’aujourd’hui n’est pas le synonyme de spéculation dans le sens d’un usage abusif du terrain où il est construit, et tous ces bâtiments sont la conséquence d’une modalité déterminée d’ordonnance ».

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Diagonal Mar constitue un sujet intéressant d’analyse : l’espace public qu’offre le parc n’est-il pas un terrain destiné à tous les citadins ? Le complexe de tours d’appartements et de bureaux ne vient-il pas empiéter sur cet espace mais aussi sur la forme ? Les subtilités (dénivellations, bassins et biotopes) du parc urbain sont englouties entre des géants. Bien sûr, selon Esteban, le coefficient de construction est équilibré par un choix en hauteur pour les bâtiments, permettant un espace central ouvert et public. En conclusion, la question qui pu paraître simpliste, mais qui, finalement, resta sans réponse dans ce débat, est : La ville et ses habitants désirent-ils des gratte-ciel, ou n’est-ce qu’une stratégie commerciale propre à ceux qui opèrent sur le territoire urbain ? Telle fut l’intervention du journaliste Eugenio Madueño qui fut huée par les architectes. En premier lieu, la critique vint de Tusquets qui prétend qu’il ne s’agit là que d’une récurrente remontrance adressée systématiquement aux architectes. Selon Tusquets, l’architecte doit se libérer de cette mauvaise conscience qui n’est présente dans aucune autre profession164.

Libre à lui de créer des formes dans une optique

imaginative purement personnelle. Par son orientation de la politique d’urbanisme, Barcelone recherche à démarquer son architecture par une importante production d’œuvres insolites (v. chapitre V). Le gratte-ciel rejoint donc cette optique individualiste d’un urbanisme qui, fort de l’expérience des années quatre-vingt – qui a permit de combler des nécessités indispensables, telles que les périphériques, les places publiques, etc. –, peut se permettre de collectionner des bâtiment singuliers sans trop se préoccuper de son contexte.

Hôtel Princess et bâtiments de bureaux du CCIB, en arrière plan une tour de Diagonal-Mar (ph. Y. Siegenthaler, janvier 2004)

164

INDE, op.cit., pp. 11-13

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V ] Conclusions :

« l’Eau » de Eduardo Chillida, parc de la Crueta, 1987

V.1) du Modelo Barcelona à Barcelona 2004 D’une manière générale, le Modelo Barcelona a été reconnu comme un développement exemplaire basé sur les transformations urbaines réalisées durant les deux dernières décennies du XXème siècle. Sa reconnaissance internationale, qui a contribué à l’adoption du titre révélateur de « modèle », fut attestée par l’octroi de prix internationaux tels que : •

Prix international de design urbain Prince de Galles/Veronica Rudge Green, Graduate School of Design, Université de Harvard, 1991

Médaille d’Or de la RIBA, Londres, 1999 (pour la première fois ce prix fut attribué à une ville et non pas à un architecte)

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L’extraordinaire dynamique publique, issue de la conversion du régime politique franquiste à la démocratie, puis directement favorisée par la nomination de Barcelone pour les Jeux Olympiques de 1992, a permis la revalorisation d’une ville et de sa périphérie qui avaient été abandonnées aux mains des spéculateurs. Or, ce phénomène s’est développé en plusieurs phases successives165. La première, entre 1979 et 1986, bien que sa gestation eut lieu au début des années septante à l’école d’architecture de Barcelone166, se caractérise par l’implantation et la consolidation de mécanismes de gestion municipale démocratique. Fort de l’héritage du gouvernement de transition, la mairie de Narcís Serra (1979-1981), puis surtout celle de Pasqual Maragall (1982-1997), initia un long processus de rénovation de la ville, que l’on a nommé la « reconstruction de Barcelone, restructuration, réinvention »167. Dans un premier temps, ce processus se centrait sur la création de nouvelles places et parcs, ainsi que le développement d’un important réseau de maisons de quartiers. Ces opérations, dirigées par Oriol Bohigas (1981-1984), étaient disséminées sur tout le territoire urbain. L’idée consistait à reconstruire la ville en reconstruisant les quartiers168. Cet urbanisme ponctuel dénonçait le mythe de l’unité de la ville qui la percevait comme un tout homogène et indissociable. Or, les travaux à toute petite échelle s’efforçaient de consolider les éléments individuellement afin de consolider l’ensemble, et non l’inverse. Le gouvernement socialiste de Maragall et la politique urbaine dite « métastasique », terme employé par Oriol Bohigas169, s’accordaient parfaitement aux revendications des mouvements populaires qui, dès les années 1970, commençaient à influer notablement sur les planifications qui les affectaient directement (v. chapitre III.1 et III.2). D’autre part, l’urbanisme du premier gouvernement démocratique catalan – dirigé de 1979 à 1981 par le rédacteur du PGM, Joan Antoni Solans, puis par Oriol Bohigas, alors directeur de l’école d’architecture de Barcelone – rejeta d’emblée l’idée de réviser globalement le PGM de 1976. Au contraire, la base sur laquelle allaient travailler les architectes et urbanistes dans la décade de 1980 partait justement de ce plan. Cependant, face à l’inadéquation et l’insuffisance qu’il accusait crûment (système viaire déficient, réhabilitations et constructions d’équipements, infrastructures, etc.),

165

J.M. Montaner, Los modelos Barcelona, dans Barcelona 1979-2004, del desarrollo a la ciudad de calidad, catalogue de l’exposition (Barcelone, 1999), commissaire Josep Maria Montaner, Barcelone, 1999 166 Voir chapitre III.2, le Laboratori d’Urbanisme 167 P. Subiros, El vol de la fletxa, op.cit., pp. 13-17 168 G. Henry, Barcelone, Dix années d’urbanisme, la renaissance d’une ville, Public du Moniteur, Paris, 1992 169 G. Henry, op.cit., p. 37

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l’équipe entreprit une nouvelle ligne de travail basée sur trois axes d’intervention qui remettait franchement en doute la pratique d’un urbanisme exclusivement lié à un plan directeur170 : •

une nouvelle conception des projets : l’inadéquation d’un plan général d’urbanisme, qui impose à tout le territoire une même constante en matière de construction et d’architecture et se développe sur des bases théoriques, s’opposait au projet qui s’intéressait, quant à lui, à la spécificité d’un problème local, à une réalité précise. Les contradictions qui découlaient de conflits spécifiques ne trouvaient dans le plan aucune solution viable. Or, l’apparente dichotomie plan-projet, allait contribuer au succès de l’urbanisme barcelonais dès 1984 (v. ci-après : « retour au plan »). Le plan devait alors servir à localiser les projets sur le territoire, et leur relation étroite favorisait une restructuration globale à partir d’opérations locales.

une sélection d’échelle : différentiation d’approche entre projets de grande envergure, principalement l’urbanisme des Jeux Olympiques, et projets de référence locale. Ce principe fut surtout valable pour la deuxième grande période du Modelo, à savoir à partir d’environ 1986.

une priorité aux espaces publics. Assurément, cette constante des deux premières périodes a marqué les esprits non seulement des responsables de l’urbanisme, mais aussi de toute la population barcelonaise et, de ce fait, a largement contribué à la renommée internationale de Barcelone. Barcelone fut alors transformée en un vaste chantier, où il n’était plus question de croissance

(le flux migratoire ayant stagné), comme dans les années soixante principalement, mais plutôt d’un processus de finition d’une ville asphyxiée et décousue. La ville de cette première étape se reconnaissait donc par son caractère public, obtenu grâce à de petites opérations ponctuelles. Cet enrichissement a été renforcé par la construction ou la rénovation d’édifices représentatifs et par une monumentalisation de la périphérie171. Une des caractéristiques de cette période fut donc la quantité d’actions menées à bien dans des délais très courts. L’autre particularité réside dans la place qu’occupe la sculpture monumentale autant dans ces espaces grignotés sur le tissu dense de la ville qu’en périphérie. Or, le cas barcelonais montre une grande intégration de ces œuvres dans un contexte urbain. Les habitants ont très rapidement apprivoisé ces lieux d’une manière humaine et naturelle, car la dimension artistique 170 171

J. Acebillo, El vol de la fletxa, op.cit., p.110 J.M. Montaner, op.cit., pp. 24-27

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n’a pas été élevée au rang intouchable de pièce précieuse, mais a contribué à renforcer l’identité de l’espace qu’elle complémente. Le parc de l’Escorxador (1981-1983) montre bien la compatibilité d’une sculpture (« La Femme et l’Oiseau » de Joan Miró) et d’un grand parc public. Ce monolithe aux couleurs vives, si caractéristiques de l’artiste, s’inscrit dans l’angle d’un bassin au bord duquel l’on peut s’asseoir. De là, la vue s’étend sur le parc en très léger contrebas, puis se perd au loin sur la colline de Montjuïc. Bien d’autres exemples corroborent cette vision de Barcelone comme musée de sculptures à l’air libre : « l’hommage à Picasso » de Tápies (1983) ou le Parc de la Crueta del Coll (arch. Martorell et Makay, 1987) qui réunit « l’Hommage à l’Eau » de l’artiste basque Eduardo Chillida et un « Totem » de Ellsworth Kelly. L’aménagement de ces espaces correspondait à une volonté d’affirmation d’une sorte d’hégémonie culturelle catalane. Les places devenaient alors, grâce à leur composition, des lieux vivants, des points de rencontre dans certains cas, et dans tous les cas des symboles riches en personnalité et en caractère. Toutefois, la sculpture monumentale ne fut pas une exclusivité de la première période de l’urbanisme démocratique de Barcelone. De très nombreuses œuvres furent commanditées jusqu’à nos jours, avec un record pour la seule année de 1992 (v. dossier d’images). Bien que Barcelone ne fût nommée qu’en 1986 pour les Jeux, elle aborda dès sa candidature en 1983 des préoccupations qui dépassaient le ponctualisme des premières années. En 1984, Joan Busquets succéda à Oriol Bohigas à la tête de l’urbanisme et élargit sans attendre la planification à une vision plus globale de la métropole. Il instaura deux nouvelles échelles qui rendaient alors possible, d’une part, une intégration des projets centrés sur les petits éléments de quartiers aux restructurations des quartiers entiers, et d’autre part, la prise en compte de la ville dans sa globalité. On peut donc considérer ces années précédant immédiatement l’officialisation de l’avènement des Jeux comme un « retour au plan »172. Toutefois, celui-ci ne devait en aucun cas devenir autonome mais se concevait comme une prolongation et un encadrement des opérations locales. La deuxième grande période allait de 1986 à 1992. A cette époque, la ville a ajouté à sa politique d’actions ponctuelles, deux autres grands types d’opérations : d’une part les quatre aires olympiques – la Vila Olímpica, l’anneau olympique de Montjuïc, le Vall d’Hebron, et l’adaptation 172

G. Henry, op.cit., p. 39

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des installations sportives de la Diagonal occidentale –, et d’autre part, la construction d’un important réseau infrastructurel de périphériques, tunnels, avenues, rues et places. Ces nouveaux défis, déjà esquissés depuis quelques années, prenaient alors une toute autre dimension. Ils devenaient les catalyseurs d’une dynamique globale de planification qui tenait compte de l’inévitable nécessité d’un plan d’urbanisme ainsi que de l’expérience critique de l’urbanisme de Oriol Bohigas. L’objectif des responsables visait donc une approche riche en points de vue, à la fois globaux et spécifiques. Cette démarche, capable d’aborder la métropole future dans son ensemble et sa complexité, s’est basée sur deux programmes de développements complémentaires, le Pla de Vies173, et les Areas de nueva centralidad (ANC)174.

En haut Ronda de Dalt (ceinturon supérieur), en bas tronçon de la Ronda Litoral du village olympique,1992, (photo E. Serrats, Barcelona 199220004)

Le plan viaire fut élaboré à partir de 1984 dans un but de réforme et amélioration complète du système de distribution du trafic de la région métropolitaine. Les ceinturons périphériques, Rondas175, ainsi que certaines avenues importantes176 occupaient une place prédominante dans la nouvelle conception du réseau. Ces axes fonctionnaient comme collecteurs et distributeurs de flux routier capables d’absorber de manière efficace le trafic toujours plus dense. Les tracés de ces rondas figuraient sur le PGM et leur conception satisfaisait exclusivement des critères fonctionnels. Leur construction fut brutalement interrompue par l’urbanisme « anti-plan » d’Oriol Bohigas. Face à ces politiques brutales d’ouvertures d’autoroutes urbaines, le nouveau plan intégrait des critères

173

Le plan viaire Les Aires de nouvelle centralité, concept élaboré par Joan Busquets en 1987 175 Ronda de Dalt, Ronda litoral, Ronda d’en Mig 176 Av. Gaudí (de la Sagrada Familia à l’hôpital Santa Creu), Av. Mistral (arrivant sur la Plaça Espanya), Rue Josep Tarradellas (de Plaça dels Països Catalans –Gare de Sants- à Plaça Francesc Macià) 174

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respectueux de la qualité de vie des habitants affectés par la percée des voies rapides177. Le plan fut encadré par un organe de contrôle178 constitué d’entités vicinales et professionnelles et habilitées à prendre une part active dans les planifications. La construction des infrastructures métropolitaines fut largement favorisée par l’avènement des Jeux, en particulier les axes importants tels que AragóGuipúscoa, la Plaça Glòries et bien entendu les Rondas179. L’autre grande innovation de cette deuxième phase du Modelo Barcelona se centre autour de nouvelles réflexions sur la signification de la périphérie face au traditionnel centre-ville. Dans le programme des Aires de nouvelle centralité, initié par Joan Busquets en 1987, sont inclus les quatre aires olympiques. Par ailleurs, de nombreux nœuds urbains furent localisés, notamment des terrains vagues ou des espaces gagnés sur le démantèlement d’infrastructures ferroviaires ou routiers obsolètes, ou encore des interstices oubliés entre deux quartiers pensés de manière autonome. Compte tenu de l’expansion territoriale de Barcelone, rendue possible par le plan Cerdà, et donc de la dispersion des multiples fonctions – dont la résidentielle reste la plus importante – tout au long de la construction progressive et hétérogène de l’Eixample, la morphologie de la ville, certes dense, a connu des grandes irrégularités d’occupation, surtout sur sa zone périphérique. Le programme ANC comptait donc équilibrer ces dispersions en les réorientant, les organisant et, finalement, en freinant d’importantes occupations spatiales par des activités tertiaires, et les réconcilier avec les contextes sociaux. L’Eixample commençait en effet à subir les effets des rénovations déjà bien entamées, à savoir l’afflux de capitaux étrangers qui entraînait une progressive domination du tertiaire sur la nature résidentielle180. Or, bien que ces nouveaux investissements représentaient un potentiel favorable au développement, aussi bien économique qu’urbanistique, une excessive tertiairisation menaçait l’équilibre résidentiel de certains quartiers (spéculation, gentrification, dénaturalisation, etc.). Le schéma des ANC se déployait donc sur trois niveaux : résorber des barrières formées par espaces obsolètes et ainsi favoriser stratégiquement des liens entres les quartiers, c’est-à-dire entre centre et périphérie ; organiser le périmètre de l’Eixample de sorte à le rendre attractif pour des nouveaux investisseurs, c’est-à-dire contrôler la dispersion du secteur tertiaire ; et enfin, protéger la vocation résidentielle du noyau de l’Eixample par une limitation de la tertiairisation de ce quartier, et ainsi améliorer les conditions d’habitabilité du patrimoine existant 181.

177

M. Villalante, Del crecimiento a la movilidad sostenibile, dans Barcelona 1979-2004, op.cit., pp.45-49 Consell Municipal de Circulació i Seguretat Viària 179 M. Villalante, op.cit., p. 47 180 J.M. Montaner, Arguments for a polyhedric Barcelona, dans G.Costa, Barcelona 1992-2004, op.cit, pp. 20-21 181 G. Henry, op.cit., p.41 178

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Les ANC représentent d’un point de vue méthodologique un moment fort de l’urbanisme du Modelo Barcelona. Cette idée d’analyse et d’interprétation d’une ville par ses coutures les plus effilochées, en se servant d’instruments de contrôle permettant l’inclusion de critères économiques aussi bien que sociaux, a permis de créer des zones d’équilibre entre nouvelles fonctions, définition de volumétries, formes architecturales, morphologie urbaine et valeurs sociales. Quelques-uns des résultats les plus remarquables de cette méthode sont la Calle Tarragona (reliant la gare de Sant et la place d’Espagne), la place Cerdà (en lisière de la ville en direction de la zone franche), la Illa Diagonal (lien entre la Diagonal et Sarrià) ou le Port Vell (actuellement pôle d’attraction ludique servant de lien entre les Ramblas et la Barceloneta). D’autres opérations se sont réalisées avec bien moins d’urgence et sont prises encore aujourd’hui en considération. Or, elles n’appartiennent plus, ni temporellement ni idéologiquement, à la première période des ANC. Entre les premières dispositions des ANC – établies par Joan Busquets – et les actuelles, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts de Barcelone. En premier lieu, la période post-olympique a été marquée par une relative dépression. L’effervescence induite par les Jeux avait concentré une telle puissance d’investissement et engagé de si importants capitaux publics que toute période suivante ne pouvait paraître que morose. Le rythme décroissant des projets s’était déjà fait sentir dès 1991. Alors que l’on misait sur la réussite sportive et organisatrice de l’année suivante, tous les efforts furent orientés vers la réalisation des indispensables aires olympiques, les infrastructures, les hôtels, etc. Après avoir été l’objet de convoitise de toutes les caméras du monde en 1992, Barcelone disposait d’un parc touristique extrêmement riche et de haute qualité, totalement intégré à la ville. Le tourisme devenait un moteur économique de premier ordre qui a permis à la ville de bien supporter la crise des années 93-94182. La dépression prévisible fut donc plus attendue que vécue. D’autre part, Barcelone devait encore s’efforcer à terminer bon nombre d’œuvres laissées en suspens au nom de l’urgence. La plupart de ces architectures étaient destinées au domaine culturel : le Centre de Cultura Contemporània de Barcleona (CCCB), son voisin le Museu d’Art Contemporani de Barcelona (MACBA) et le Teatre Nacional de Catalunya (TNC). Ce dernier est aujourd’hui lié au projet du Parc de les Arts (v. chapitre II.1). A cette époque, l’actuel maire Joan Clos introduisit un plan d’assainissement de la dette municipale qui visait la réduction de celle-ci et l’impulsion de nouveaux investissements. En conséquence de cette politique, la Barcelone de 1995 à 1999 a été organisée à partir de son 182

X. Casa, présentation du catalogue d’exposition, Barcelona 1979-2004, del desarrollo a la ciudad de calidad, op.cit.

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agglomération, en tentant d’élargir l’échelle de planification à des quartiers périphériques au lieu de refouler les conséquences néfastes de l’activité intensive de la ville vers les banlieues. Furent au centre des préoccupations des domaines comme les réserves naturelles, le trafic métropolitain, le réseau des transports publics, l’illumination et le pavement des rues, la qualité du logement, etc. Cette période fut qualifiée de « seconde rénovation »183. En conséquence, quelque peu lointaine de la politique des nouvelles centralités et, plus directement, des nouvelles dispositions économiques de la mairie, des aires telles que la SagreraMeridiana à la porte nord de la ville, le delta du Llobregat entre l’aéroport et la ville, la place Glòries et la zone Besòs prirent une importance de poids dans la planification urbanistique de la fin du XXème siècle. Entre 1995 et 1999, les zones de la Diagonale orientale, le parc Diagonal-Mar et le Forum 2004, bien qu’encore liés à l’idée originelle des ANC, à savoir s’approprier des no man’s land résiduels en vue d’une cohésion urbaine et sociale, montrent clairement le changement qu’a opéré le Modelo Barcelona. D’une alliance entre les divers organes – placée dans un contexte que Josep Maria Montaner qualifie de « bourgeoisie socialiste »184, capable de gérer les tensions entre les opérateurs privés, les investisseurs nationaux et internationaux, les intérêts sociaux – Barcelone et son modèle ont passé à privilégier une technocratie urbanistique soumise au pouvoir économique. Après avoir mené une première étape de manière militante et progressiste, basée sur l’espace public rendant manifeste une cohésion morphologique et sociale de la métropole, puis une autre plus globale et ambitieuse, qui aboutit par le plein succès de la Barcelone de 1992, et encore une troisième marquée par une récession modérée et débouchant sur des nouvelles stratégies clairement économiques, l’urbanisme barcelonais actuel se reconnaît par sa grande dispersion. Le Modelo Barcelona, si l’on peut encore l’appliquer à la Barcelone de 2004185, s’est éparpillé en fragments que l’on retrouve dans l’organisation administrative : la décentralisation municipale en districts, l’augmentation de la diversité des actions promues par l’administration et la fragmentation des organes de gestion, tels que Planejament Urbà, Barcelona Regional, Procivesa, ProEixample, ProNou Barris, Infrastructures del Llevant, Consorci del Besòs, Consorci de la Zona Franca, etc. Les mécanismes de gestion urbanistique de Barcelone, dès sa libération démocratique, se basaient donc sur une méthode de conciliation entre les agents publics et privés, trait caractéristique du Modelo Barcelona originel. Celui-ci recherchait un équilibre dynamique permettant aux 183

J.M. Montaner, op.cit., p.25 ibidem, p. 21 185 J.M. Montaner opte pour une périodisation du Modelo Barcelona allant jusqu’au Forum Barcelona 2004, en signalant la manifeste évolution décrite ici. 184

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interventions publiques de servir directement les intérêts de la communauté sociale et offrant aux investisseurs privés de puissantes opportunités de croissance. Jusqu’en 1992, ce délicat consensus avait donné lieu à des réalisations importantes et avait exploité un maximum de possibilités de développement urbain. Les pouvoirs publics disposaient d’une pleine autorité afin de canaliser les considérables flux de capitaux vers des objectifs collectifs. Ignasi de Solà-Morales fit le point en 1992 sur la situation de l’urbanisme de Barcelone186 . A la veille des grandes manifestations sportives, trois points restaient, selon lui, à combler ou du moins à observer de près : la restructuration du centre historique visant, par un contrôle des processus de gentrification, un maintien du caractère populaire de l’habitat des vieux quartiers ; en second lieu, il s’interroge sur la tendance à refouler les problèmes de la ville à l’extérieur de son périmètre administratif (qui a été désigné plus haut comme élément de la « seconde rénovation ») ; comme dernier point, Solà-Morales dénonce le manque de créativité architecturale de la Barcelone des années quatre-vingt. Il redoute, de surcroît, une certaine stagnation de la branche professionnelle, trop occupée à fournir les réponses efficaces en matière d’infrastructures telles qu’aéroport, port, tunnels, autoroutes, etc. Or, sa critique aborde durement le manque d’innovation de ces travaux et les qualifie de corrects. De plus, il estime que « Parmi les grands thèmes d’architecture urbaine, celui des grands ouvrages est resté en suspens »187. Le courant de l’architecture et de l’urbanisme de Barcelone des années ‘90 illustre bien le développement de ces trois points. Le centre ville fut protégé d’une excessive rénovation, le prix des logements reste parfaitement acceptable, à l’exception seulement de quelques places et rues (Sant Jaime, Rambla del Raval, alentours du CCCB et MACBA). La politique d’inclusion de la périphérie de Barcelone a laissé de nombreuses traces, l’une d’entre elle étant le Forum 2004 et ses satellites (intégration de Sant Adrià del Besòs à Barcelone, mise en œuvre effective d’instruments permettant de réelles améliorations de La Mina, développement des réseaux de transports publics, notamment le tram, programme d’ouverture viaire, etc.). Le dernier point énoncé par Solà-Morales, qui dénonce l’absence de grands projets, a lourdement pesé sur le panorama de l’urbanisme de Barcelone dès le début de la « seconde rénovation ». Pour les Jeux Olympiques, la production architecturale devait forcément s’encastrer dans des schémas imposés et en quelque sorte rigides, laissant à l’architecte peu de marge créative. Dès le milieu des années 1990, la planification urbanistique avança clairement vers une plus grande 186

I. Solà-Morales, Barcelone avant et après 1992, dans G. Henry, Dix années d’urbanisme, la renaissance d’une ville, op.cit., préface 187 ibidem

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autonomie de l’architecture. Les grands projets se sont imposés, dès lors, devant les objectifs de planification plus généraux. On pourrait donc rapprocher cette méthode au premier stade du Modelo Barcelona, lorsque des actions ponctuelles et locales favorisaient directement des zones plus étendues, et que le plan d’urbanisme avait perdu presque tout crédit. Or, il n’en est rien. Premièrement, l’autonomie de l’architecture barcelonaise à partir de 1995 ne s’inscrit plus dans le cadre de gestion publique qui, sous Oriol Bohigas, visait essentiellement une amélioration de la qualité de vie. Les projets architecturaux forment aujourd’hui la base sur laquelle repose la planification globale, ce qui est un bien remarquable pour les réfractaires aux plans directeurs, ordonnances et autres processus bureaucratiques de longue haleine188. Les démarches d’acceptation des projets sont donc sensiblement plus lestes qu’auparavant, ce qui dynamise la création d’architectures insolites et favorise un renouveau du potentiel créateur de l’architecture barcelonaise. Toutefois, cette apparente fluidité des mécanismes administratifs repose en grande partie sur deux des caractéristiques de la Barcelone de 2004, perçues comme de potentiels dangers même par les défenseurs de l’actuelle politique urbaine, comme par exemple Oriol Bohigas189. D’une part, une grande autonomie du projet architectural implique forcément une plus grande marge d’autorité des promoteurs immobiliers, et donc une soumission à des critères spéculatifs. Cette crainte est parfaitement justifiée par des réalisations comme celle de Diagonal-Mar, où la ville a cédé une partie de son territoire à un ultralibéralisme dirigé par les lois du marché. Par ailleurs, cet exemple de Diagonal-Mar illustre l’autre grande menace à laquelle Barcelone doit faire face, à savoir l’attribution systématique des projets architecturaux à des bureaux de grand prestige médiatique. Ce modus operandi sert en quelque sorte de garant d’une qualité architecturale. Lorsque l’impact provoqué par les médias exempte l’architecte de mener à bien un véritable travail de fond, visant une création architecturale qui répond à tous les critères qu’une métropole ose attendre de lui – techniques, esthétiques, sociaux, écologiques, etc. –, le résultat ne sera satisfaisant que pour ceux qui se laissent abuser par la manipulation de l’information. Dans ce contexte où le choix de l’attribution des œuvres peut avoir d’importantes conséquences, les responsables de l’urbanisme d’une ville doivent être plus que jamais vigilants et dépasser largement les arguments du marketing commercial des bureaux d’architecture. Or, Barcelone s’est durement 188

O. Bohigas, Ciudad y acontecimiento, Una nueva etapa del urbanismo barcelonés, dans Arquitectura Viva N° 84, op.cit., p. 25 189 ibidem, pp. 25-27

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trompée, selon Bohigas, en tout cas dans le cas du centre commercial Diagonal-Mar. La commande de ce complexe, que l’on peut nommer sans crainte « shopping mall » plutôt que centre commercial, fut passée à Robert Stern, un architecte que Bohigas dépeint de la sorte : « … un pésimo arquitecto al que los promotores, como él norteamericanos, presentaron como una gran potencia mediática, como si la publicidad fuese una garantía de la calidad arquitectónica. »190. Il convient toutefois de nuancer les propos de ce fondateur de la Barcelone actuelle. Face à l’échec évident de Diagonal-Mar, il soulève la justesse et l’adéquation d’autre œuvres de la zone du Forum, en premier lieu les bâtiments de congrès de Herzog et de Meuron et de Josep Lluís Mateo. Leurs concepts s’intègrent de manière subtile à un secteur à l’histoire chargée. Nous avons vu leurs liens étroits avec le contexte, leur intégration à des espaces clairement publics ainsi que leur appartenance à une architecture avant-gardiste, capable de s’adapter à des nécessités très variables. En résumé, ces objets-là poursuivent à la fois une méthodologie, recherchant une architecture innovante et de haute qualité, que Solà-Morales déplorait en 1992, ainsi qu’une démarche d’investigation architecturale respectueuse des principes moraux. Par contre, les hôtels de la zone, que Bohigas ne fait que mentionner brièvement sans nommer leurs auteurs ni déterminer clairement leur place, appartiendraient plutôt à cette mise en valeur de l’architecture indépendante, dont le seul nom de l’architecte servirait d’immunité. L’émergence presque fortuite de nombreux gratte-ciel sur la Diagonal orientale et la monumentalité recherchée ne sont pas sans lien avec l’autarcie de cet urbanisme fragmentaire que l’on observe dans bonne partie de la Barcelone de 2004191. Il y a donc, dans l’architecture et l’urbanisme de Barcelone de ce début de siècle, une dichotomie patente qui se situe entre un formidable élan novateur et une alarmante servilité à des desseins économiques et médiatiques. Les œuvres réunies dans l’enceinte du Forum servent d’indicateurs critiques du degré de vulnérabilité des pouvoirs publics – dans le cas des hôtels par exemple – ou au contraire de convenance, d’équilibre et de stabilité – dans le cas des espaces publics et de congrès. En élargissant l’objectif à une échelle plus vaste, le même constat peut être établi : la monumentalité des tours de la Diagonal et de Glòries, dont la qualité architecturale n’est jamais 190

O. Bohigas, op.cit., p. 26, traduction informelle : «… un architecte médiocre que les promoteurs, comme lui nord-américains, ont présenté comme une grande puissance médiatique, comme si la publicité était une garantie de la qualité architecturale ». O. Bohigas, op.cit., p. 26 191 J.M. Montaner, De la acupuntura a la prótesis, dans Arquitectura Viva N° 84, op.cit., pp.28-30

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remise en doute ici, mais dont « l’égoïsme » frappe, face à la flexibilité et la versatilité des projets 22@, non moins ancrés dans les courants novateurs de l’architecture contemporaine. Ce programme (22@) s’inscrit dans une démarche de planification respectueuse de l’environnement, de l’histoire et du contexte du lieu. En d’autres mots, Barcelone fait face à une situation délicate et devra, dans les années à venir, faire preuve d’une grande vigilance afin de canaliser les énergies dans des directions qui lui sont propres – méditerranéennes –, en évitant une excessive marchandisation de son patrimoine et en conservant son âme dynamique et progressiste.

V.II ] Barcelone, épicentre du catalanisme Entre tradition et modernité

Barcelona Auditorium, Plaça de les Arts, arch Rafael Moneo, 1999, photo E Serrats

La rénovation que Barcelone a expérimentée dans les années quatre-vingt, décrite plus haut comme élément constitutif du Modelo Barcelona, s’analyse habituellement à partir de sa dimension physique et spatiale. Or, il existe un autre aspect de cette transformation qui a attiré moins d’attention, mais qui a joué un rôle très important : la « réinvention culturelle »192 et la réorganisation temporelle de la ville. La base du programme stratégique culturel lancé en 1979 par la mairie reposait sur une conception de la ville non seulement en tant qu’espace matériel pourvu de structures fonctionnelles, économiques et commerciales, mais aussi comme dispositif de production de sens, de codes ou de mécanismes capables de créer des liens sociaux et de favoriser des formes de convivialité à l’intérieur du cadre physique. Ces codes représentent une valeur ajoutée à l’espace où se produit 192

P. Subirós, Estratègies culturals i renovació urbana, Aula Barcelona, Barcelone, 1999

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l’expérience humaine, et de ce fait, ils donnent un sens particulier à cette expérience. Ils favorisent l’échange, la tolérance, la responsabilité, la communauté, l’identité ou, en un mot, la mémoire collective. Or, cette mémoire implique nécessairement une notion de temps. Il est indispensable à la création d’un code identitaire que l’espace soit stable et durable, sans quoi la mémoire ne peut se consolider, et le lieu apparaît comme dépourvu d’âme et de sens. C’est ce qui s’est produit en grande partie dans les satellites périurbains construits en toute hâte dans la période antidémocratique de Barcelone (v. chapitre III.1). Dans bien d’autres cas, une pérennité et une longévité temporelle ont été maintenues à travers les siècles, de sorte à convertir les lieux en de puissants codes identitaires. Ceci concerne le centre médiéval, le Raval et l’Eixample, quartiers qui symbolisent aujourd’hui les valeurs autochtones de Barcelone. Avant d’observer comment Barcelona 2004 a conçu ces bases culturelles pour la création du Forum Universel des Cultures 2004, il convient de déterminer quelle est véritablement l’identité de cette ville, en partant de la situation d’origine. Barcelone est une ville bimillénaire qui a eu la chance de ne pas subir de trop profonde transformation qui aurait eu comme conséquence l’annulation d’un patrimoine, donc d’un passé. Revenons sur la notion de temps. Bonne partie du patrimoine architectural du centre historique nous est parvenu, et son tracé général a été intégré dans les rénovations des deux derniers siècles. Cette valorisation a permis la création d’un nombre incalculable de symboles auxquels les barcelonais s’identifient. D’autre part, et peut-être de manière plus significative, l’Eixample constitue l’identité primaire de Barcelone. La grande production d’architectures modernistes, facilitée par le plan Cerdà, a permis à la bourgeoisie de la fin du XIXème et début du XXème siècle de manifester leur nouvelle richesse. Par ailleurs, l’architecture moderniste tient lieu de figure d’une époque de cristallisation de l’identité catalane. La bourgeoisie catalane, issue au XIXème siècle de l’importante industrialisation de la province, allait devenir le foyer d’une forte identité. Forgée à partir d’éléments apparemment contradictoires – la bourgeoisie face au prolétariat au niveau interne, et la rivalité Barcelone-Madrid au niveau national – elle s’appuyait sur un renforcement de la culture catalane. Dès la proclamation de la Ière République espagnole en 1873, cette Renaixança catalana193 se présentait sous la forme de mouvements intellectuels et artistiques recherchant une hégémonie culturelle. Or, ce développement 193

Renaissance catalane

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culturel allait de pair avec une volonté d’affirmation politique, l’essor culturel servant à renforcer l’idéologie politique et réciproquement. De fait, le modernisme impliquait plusieurs idéologies distinctes. L’intellectuel fondateur du mouvement était farouchement opposé au matérialisme, au centralisme et au provincialisme qu’incarnait la bourgeoisie. Il se voulait plutôt progressiste et rêvait d’une catalanité moderne et universelle194. L’architecte se situait à cheval entre les deux. Il représentait la richesse de la classe dominante par un art d’apparat alliant une tradition néo-médiévale d’origine clairement catalane et les innovations européennes. Cette ambiguïté servait essentiellement à se détacher du reste de l’Espagne et à prouver une intégration aux courants majeurs de la culture européenne, tout en affirmant une authenticité régionaliste. Parallèlement à cet art au lyrisme audacieux et exubérant nommé parfois « le génie catalan »195, le modernisme fut également la période d’une démarche progressiste, sociale, hygiéniste. Ce groupe minoritaire, dont Cerdà faisait évidemment partie, instaura un équilibre régulateur qui, moins patent que les résultats architecturaux, marqua l’autre face de l’identité de la ville. Reconnue à l’époque du G.A.T.C.P.A.C., cette philosophie aux notes clairement sociales allait être une base de réflexion pour les urbanistes du Modelo Barcelona. Le problème qui se pose dans la ville contemporaine s’explique par la perte de durabilité des objets qui la compose. L’espace urbain d’aujourd’hui se vérifie par sa diversité, sa capacité d’évoluer, de changer, de s’adapter, et se détache de tous liens historiques. Il se compose d’éléments trop souvent isolés par leur manque de sédimentation. Cette fugacité rend les métropoles contemporaines insaisissables, efficaces mais déracinées. La ville doit être rapide, les délais et temps de déplacement s’effacent et les avantages se calculent en terme de fluidité. Or, dans ce contexte, il est difficile de fixer des bases de reconnaissance auxquelles tout citoyen tend à s’identifier. Cette dualité entre changement et pérennité, entre oubli et reconnaissance, entre fugacité et continuité, constituait la base d’élaboration des stratégies culturelles de la mairie dans les années quatre-vingt. Grâce à la sensibilité et l’attention portées à des critères dépassant la conception de l’espace en tant que simple matière physique, c’est-à-dire en étant conscient des conséquences morales d’une transformation urbaine, la Barcelone démocratique et sociale de cette époque a

194 195

G. Henry, op.cit., pp. 18-21 Ibidem, p. 19

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clairement mis en valeur son patrimoine culturel et a favorisé la mémoire tout en profitant d’une dynamique éminemment moderne et innovante. Le résultat de cette démarche a été rendu manifeste, hormis la rénovation, l’agrandissement ou la création de grands équipements culturels196, par ce qu’Oriol Bohigas a nommé la « monumentalisation de la périphérie », où le monument urbain octroie une identité à un lieu et lui permet de créer ces codes et ces sens qui servent de liens entre la ville et l’individu. Il est donc possible d’affirmer sans trop de crainte de tomber dans une vision réductrice du phénomène, que la culture proprement barcelonaise, qu’elle soit purement artistique et intellectuelle ou plus largement urbaine, prend racine dans deux courants apparemment opposés : la tradition et la modernité. Le Forum des Cultures peut être interprété comme une pérennisation de cette constante binaire. Il affiche des critères que tout bien pensant néolibéral se doit d’admirer : la diversité, la culture et la paix. Or la culture promue par le Forum se soumet clairement aux principes de l’économie et de la culture globales. Les équipements luxueux sont là pour le prouver. François Ascher197 inscrit ce genre d’évènements dans un contexte « glocal », c’est-à-dire une synthèse du global et du local, en ces termes : « C’est dans ce contexte de la nouvelle économie urbaine des pays riches que s’est développé un nouveau type de marketing urbain, qui exploite de façon stratégique la « culture des ville », c’est-à-dire leur offre culturelle marchande et publique, et tout ce qui peut donner à la ville une quasi-identité, une marque qu’elle peut décliner ensuite dans un registre varié. Le patrimoine historique, de haut lieux anciens et modernes (des land marks), des habitants célèbres, des événements culturels et sportifs, la présence d’une grande entreprise à forte image technologique, etc., sont ainsi mobilisés pour fabriquer une image et une réputation. Parfois, ce sont même des quartiers ou des communes qui, au sein d’une métropole, « se » fabriquent ainsi des images de marque »198. « Convertir una depuradora en plaza pública es cultura »199. Voici un exemple illustrant parfaitement les propos de Ascher. N’est-ce donc pas une bonne image que présente Barcelone au 196

Par exemple : le Museu d’Art de Catalunya, le musée Picasso, le Palau de la Música, le Museu d’Art Contemporani de Barcelona, le Centre de Cultura Contemporani de Barcelona, le Mercat de les Flors ou encore le Fòrum de les Tecnologies. 197 F. Ascher, Ces événements nous dépassents, feignons d’en être les organisateurs, essai sur la société contemporaine, Éditions de l’Aube, La Tour d’Aigues, 2000 198 F. Ascher, op.cit., p. 165 199 J. Clos, op.cit., traduction informelle : « Convertir une station d’épuration des eaux en place publique est un acte culturel » ,

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monde grâce à cette conversion ? Peut-on imaginer meilleur stratagème pour forger une image prête à être diffusée – donc consommée – que celui qui allie une écologie à une « quasi-identité » locale ? Et, cette image, n’est-elle pas profondément soumise aux règles de l’économie, en l’occurrence la conversion des infrastructures écologiques aveuglant celle de tout un quartier à nature sociale en pôle international de congrès ? Le temps – encore cette notion qui tient lieu de juge dans un procès où tout le monde est plaignant et accusé à la fois – nous dira si les principes apparemment adoptés par Barcelone seront concrètement mis en place et réellement profitables à tous, tel que la mairie le prétend. Nous ne verrons que vers 2010 si le PTBM aboutira à une réelle inclusion morphologique et sociale de La Mina et à une réduction autant de la pauvreté que de la criminalité. Nous ne serons les témoins et les actants de la nouvelle Barcelone que lorsque le temps aura essuyé les paillettes des fastes de 2004, comme nous avons été les observateurs des conséquences de la Barcelone de 1992. Le temps nous indiquera si les projets 22@ joueront le rôle qu’on peut, à la lumière de la présente approche analytique, espérer sur le Poblenou, ou si les enjeux pécuniaires des entreprises qui les meubleront rongeront ces désirables mixité et flexibilité ? Finalement nous saurons, bientôt, ce que nous réservent la fragmentation et la dispersion de l’urbanisme barcelonais de 2004 et son avidité à pourvoir la ville d’un mobilier de luxe.

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Epilogue : La Mercè 2004 Barcelone célèbre, chaque année au terme de l’été, la fête de la Mercè en l’honneur de la Vierge de la Mercè (Grâce), patronne de Barcelone depuis 1868. Réduite à sa nature solennelle durant la dictature, cette fête a retrouvé son caractère régional, populaire et surtout festif depuis la mort du général Franco en 1975. En 2004, elle jouera le double rôle de célébration traditionnelle et, par ses spectaculaires feux d’artifice sur la mer, de cérémonie de clôture du Forum Universel des Cultures, Barcelona 2004. L’affiche de la Mercè est devenue un instrument de propagande des valeurs de la ville de Barcelone. Presque toujours exécutée par un artiste catalan de renom, elle annonce chaque année le ou les thèmes de la fête. Cette année, l’artiste Perejaume (né à Sant Pol de Mar sur la côte nord de Barcelone en 1957) s’interroge sur le destin de la société catalane. Où va Barcelone? Perejaume explore les réponses dans une affiche pleine d’interrogations qu’il situe « entre l’humour et la métaphysique »200. « Le tourisme est devenu un phénomène central de notre ville et de notre pays »201, prétend-il. Il propose une réflexion assez ironique sur les racines rurales (« pagesos »202) de la société catalane, contrastant avec les formes de vie actuelle, toujours plus superficielles, empressées et médiatisées. Le texte, qu’il a l’habitude d’intégrer à ses compositions plastiques, prend ici la forme de questions qui ne laisseront personne indifférent. Du socle d’une statue hindouiste – symbole du multiculturalisme barcelonais – il laisse s’échapper cette prise de conscience sur la société vers laquelle nous nous dirigeons. Les trois questions, presque dérangeantes, visent directement la dichotomie entre paysan et touriste, donc implicitement entre identité et influence, entre racines et dénaturation, ou, peut-être même, entre local et global. « Est-ce une invitation à garder les pieds sur terre? »203 A mon sens, cette affiche ouvre un riche débat sur la position non seulement de la société catalane, mais également sur le thème central de ce mémoire, à savoir le développement urbanistique du nouveau levant de Barcelone.

200

Dossier de presse « Mercè 2004 », Ajuntament de Barcelona, Barcelone, 22 juillet 2004 ibidem 202 v. affiche La Mercè 2004 sur la page suivante. Le terme catalan « pagesos » transcende ici sa simple valeur étymologique de « paysan ». Tout Catalan, du plus nationaliste au plus internationaliste, saura y déceler une interprétation qui lui convienne. 203 Dossier de presse « Mercè 2004 », op.cit. 201

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Doit-on, nous les artistes, devenir des paysans ?

Un touriste planté là, est-il un paysan ?

Celui qui a été touriste, peut-il redevenir un paysan ?204

204

traduction informelle du texte de l’affiche

140


Yann Siegenthaler octobre 2004 _______________________________________________________________________________ 141


VII - Bibliographie

Auteurs divers, Atlanta, articles de Rem Koolhaas, Enric Miralles, Ramón Prat, Ed. Actar, Barcelone, 1995 Ascher, François, Ces événements nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs. Essai sur la société contemporaine, Ed. de l'Aube, La Tour d'Aigues, 2000 Benevolo, Leonardo, Histoire de l’architecture moderne, 2, Avant-garde et mouvement moderne : 1890-1930, Dunod, Paris, 1998 Bohigas, Oriol, Barcelona, Arquitectura y ciudad 1980-1992, introductions de P. Buchanan, V. Magnago Lampugnani, Ed. Gustavo Gili, Barcelone, 1990 Busquets i Grau, Joan, Barcelona, evolución urbanística de una capital compacta, Ed. Mapfre, Madrid, 1994 Cáceres, Rafael, Barcelona Espai Públic (homenatge a Josep Maria Serra Martí) Ed. Ajuntament de Barcelona, Barcelone, 1992 Català i Roca, Pere, Una Barcelona cara al mar, recueil d’image et de poèmes, Sant Vicens dels Horts, 1974 Cerdà, Ildefonso, Teoría general de la urbanización, y aplicación de sus principios y doctrinas a la reforma y ensanche de Barcelona, Fac-similé de l’édition de Madrid de 1867, prologue de Antonio Barrera de Irimo, Instituto de Estudios Fiscales, Madrid, 1971 Choay, Françoise, L’urbanisme, utopies et réalités, une anthologie, Paris, 2001 Dachevsky, Marcelo, Urban Zapping, Ciudades, productos y marcas, Ed. UPC, Barcelone, 2001 De Torres i Capell, Manuel, La formació de la urbanística metropolitana de Barcelona; L’urbanisme de la diversitat, Barcelone, 1999 Estapé, Fabián, Vida y obra de Ildefonso Cerdà : el Ensanche de Barcelona, Instituto de Estudios Fiscales, Madrid, 1971, annexe documentaire et bibliographique de Cerdà, Ildefonso, Teoría General de la Urbanizacion, Madrid, 1968 Esteban i Noguera, Juli, La ordenación urbanística : conceptos, herramientas y prácticas, Ed. Electa, Barcelone, 2003 Fabre, Jaume et Huertas Clavería, Josep M., Tots els barris de Barcelona VII, Els polígons i el Districte Cinquè, Ed. 62, Barcelone, 1977 Fabre, Jaume et Huertas Clavería, Josep M., Tots els barris de Barcelona, El Clot, Poblenou, La Sagrera, Sants, La Bordeta, Hostafrancs, 1ère édition 1976, édition révisée 1980, Barcelone, 1980 Ferras, Robert, Barcelone, croissance d’une métropole, thèse de l’Université de Montpellier, octobre 1975 Ferrer i Aixalà, Amador, Els Polígons de Barcelona, L’habitatge massiu i la formació de l’àrea metropolitana, Laboratori d’Urbanisme, Ed. UPC, Barcelone, 1996 Freixa, Mireia, El modernismo en España, Catedra, Madrid, 1986 Henry, Guy, Barcelone, dix années d’urbanisme, la renaissance d’une ville, Ed. du Moniteur, Paris, 1992 Koolhaas, Rem, Delirious New York: a retroactive manifesto for Manhattan, Monacelli Press, New York, 1994 Koolhaas, Rem, Project on a city, the Harvard Design School Guide to shopping, Ed. Taschen, Cambridge MA, 2001 Koolhaas, Rem, OMA-AMO, Content, Perverted architecture, Taschen, Cologne, 2004 142


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El vol de la fletxa, Barcelona ’92 :Crònica de la reinvenció de la ciutat, catalogue d’exposition au CCCB – Barcelone, Ed. Electra, Barcelone, 1994 Il Centro Altrove, periferie e nuove centralità nelle aree metropolitan, Catalogue de l’exposition, articles de Manuel de Solà-Morales, A. Armesto, C. Martí Aris, J. Parcerisa, M. Rubert de Ventós, Trienale di Milano, Edemond Editori Associati, Milan, 1995 Mutations, ouvrage publié à l’occasion de la manifestation « Mutations », événement culturel sur al ville contemporaine présenté à Bordeaux, Arc en rêve Centre d’architecture 11.2000-03.2001, réunissant les travaux de Rem Koolhaas et de son groupe de recherche « The Harvard project on the city », Ed. Actar, Barcelone, 2000 Nou Viatge a Icaria : de les Fàbriques a la Vila Olímpica, Cataglogue de l’exposition au centre d’Archives Historiques du Poblenou, Ed. l'Arxiucop, Barclone 1990 Traces of new cityscapes, Metropolis’ on the Verge of the 21st Century, Catalogue de l’exposition et du séminaire international dirigé par René Kural et célébré à Copenhagen 12-13 septembre 1997, Ed. The Royal Danish Academy of Fine Arts School of Architecture Publishers, Copenhagen, 1997 Treballs sobre Cerdà i el seu Eixample a Barcelona, Catalogne de l’exposition présentée au COAC 15.05-15.06.1992, dirigée par J. Busquets i Grau, M. Corominas i Ayala, X. Eizaguirre i Garaigoitia et J. Sabaté i Bel, Laboratori d’Urbanisme UPC, Ayuntament Barcelona, Barcelone, 1992

Presse : Ne sont cité ici que les articles référencés dans le texte, ainsi que ceux qui m’ont aidé à diriger mes recherches.

Convertir une station d’épuration des eaux en place publique est un acte culturel, article de B. Cia et A. Fancelli, interview de Joan Clos, maire de Barcelone, El Pais, 03.01.2004 El final de los días de la muerte, article de Josep M. Huertas Clavería, dans le supplément « Vivir en Barcelona » du quotidien La Vanguardia, 23 may 2002 El port de Sant Adrià disposarà de 400 amarratges fora de l’aigua, article de C. Sabaté, dans le quotidien AVUI, 28 mars 2003 La Mina, paradigma del barraquisme vertical, article de M. Tatjer, professeur à l’Universitat de Barcelona, dans La Veu del Carrer, septembre-octobre 2001 Abrir La Mina, Las barreras que emparedaron y aislaron el barrio empiezan a caer, article de J. Parcerisa, dans le supplément « Cuadernos del Domingo » du quotidien el Periódico, Barcelone, 30 mai 2004 Archi couture, L’architecte, connu pour habiller ses bâtiments de tissus métalliques, distille désormais son style dans le design, article de Marion Vignal, dans l’Express, 28.06.2004 Welcome to our lair, Herzog and de Meuron’s new Forum Building in Barcelona is worthy of the sleekest Bond villain, article de Jonathan Glancey, dans The Guardian, 10 mai 2004 Riding with the Dirty Realist, article de Aaron Betsky annexé au mémoire de projet de Josep Lluís Mateo pour le CCIB, 2001

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Documents et plans officiels :

El Nou Besòs, el Fòrum i la Sostenibilitat, document de referència sobre els continguts sostenibilistes del nou Besòs i del Fòrum Barcelona 2004, Barelone, février 2004 Per un pla alternatiu de la Ribera entre la Ciutadella i el Besòs, aprovat juny 2000, manifest de les entitats i dels ciutadans i ciutadanes que es reuneixen al fòrum de la Ribera del Besòs, Barcelone, 2000 Plan estratégico del sector cultural, matériel digital édité par www.bcn.es/urbanisme Pla de transformació 2000-2010, Consorci del Barri de la Mina, Barcelone, 20002002 Sintesi del Pla de Reforma i Millora del barri de La Mina, synthèse du plan basé sur la documentation du mémoire d’ordonnancement du plan élaboré par l’équipe rédactrice et Barcelona Regional, Consorci del Barri de la Mina, Barcelone, mai 2003 Bulletin d’information étayant la maquette et le plan de transformations, présenté lors de l’exposition publique du projet en été 2001, Consorci del Barri de la Mina Proposta al Pla Especial de La Mina, Plataforma d’Entitats i Veïns de La Mina, Magrinyà, F. et Mayorga, M., Barcelone, mars 2002 Frente Litoral Besós, Un nuevo impulso para Barcelona dossier d’information édité par la société municipale Infrastuctures del Llevant S.A., Barcelone, Novembre 2003 L’impact des politiques et des outils de l’aménagement sur l’étalement urbain, Restitution synthétique du débat lors du séminaire préparatoire au colloque final sur l’étalement urbain, Perpignan, 4 juillet 2000 II Fòrum Barcelona canvi de segle, Barcelona 2001 : projectes, utopies i distòpies, Acte du colloque, COAC, 12,19 et 26 mars 2001 , Documents « 22@0003A » et « 22@0005 », Modificació puntual del Pla Especial de Reforma Interior del sector Llull Pujades Llevant, (respectivement) Perú-Pere IV de la MPGM (Modificació del Pla General Metropolita) per a la renovació de les àrees industrials del Poblenou, Mairie de Barcelone, bureau 22@, novembre 2002 resp. mars 2003 Restructuration d’un tronçon de l’avenue Diagonal (Poblenou, Barcelone), travail de diplôme de Zali, L. et Santos, F., EAUG, Genève, juillet 1989 Estudi CIUTAT DIGITAL, El nou sector productiu, Espais i activitats, Institut Català de Tecnologia, Barcelone, 2000

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