PRINTEMPS-ÉTÉ 2015 2,50€
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INDEX Huit Femmes48 Shooting en Ligne54 Dossier Game Of Thrones60 Shooting Glucose66 Inspiration74 monochrome Dossier Skinheads78 Lettre88 Ă Nina Hagen Rencontre92 Supertape Shooting RĂŞve100 Quel avenir112 pour le magazine MERCI114
4Edito 10Hommage Klaus Nomi 12Interview Myrha 14Shooting Seventies 24Expo Frida Kahlo 28Portrait Julien Dossena 32Ballet 33Film 34Rimbaud 35Spectacle 36Voyage 42La Coiffe Bretonne 44Shooting Armoricain
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EDITO Yaouank signifie « jeune » en breton. Mais il ne faut pas
Dans l’immense mer de magazines de mode qui se vident de leur sens et qui s’affadissent, mais aussi parmi ceux qui restent des références esthétiques, Yaouank ne prétend pas apporter un renouveau du marché ou une qualité éditoriale détrônant toutes les autres, mais seulement un peu d’inspiration, de culture, d’ouverture d’esprit et de gaieté à autant de personnes qui pensent en avoir besoin, ou pas. Yaouank souhaite donner la parole, deux fois par an, à des stylistes, photographes, maquilleurs, coiffeurs, modèles, musiciens, artistes en tout genre, indépendants. La volonté de ne pas brider la création est importante, c’est pourquoi les annonceurs figurant dans le magazine n’ont pas d’influence sur la ligne éditoriale.
s’y tromper : Yaouank n’est pas un magazine de jeunes, parlant de jeunesse et destiné uniquement aux jeunes.
« Il faut du temps pour être jeune »,
et c’est précisément cette phrase de Pablo Picasso qui cristallise l’esprit du magazine. On entend ici que la jeunesse ne s’oppose pas à la vieillesse dans son sens de temporalité. En effet, on parle de jeunesse d’esprit; l’enfant innocent est dénué de préjugés, plus une personne avance en âge et plus elle est susceptible d’oublier de faire l’effort de juger chaque chose comme si elle était nouvelle. C’est ce que fais la philosophie : regarder chaque chose qui paraît évidente et se questionner dessus. La vraie réflexion amène de nouvelles questions plus que de réponses concrètes. Être jeune d’esprit, c’est être curieux, tout remettre en question, se rebeller, aimer, détester… Certaines personnes naissent vieilles et d’autres finissent par mourir jeunes.
Yaouank est jeune, tourné vers l’avenir, mais rien ne permet mieux de comprendre l’avenir que d’étudier le passé. C’est en se nourrissant des créations du passé qu’on peut renouveler ses propres inspirations et créer de nouvelles choses, c’est pourquoi il est question, dans le magazine, de sujets actuels comme de sujets passés, ou inspirés du passé. Yaouank a donc un pied dans ce qui était et un pied dans ce qui sera.
Alors Yaouank s’adresse à toutes les personnes ayant soif d’inspiration et de culture, qui veulent apprendre et qui se tournent vers l’avenir de manière confiante. Parce que je suis humaniste, j’ai souhaité un magazine qui pouvait être à l’image d’un humain, et j’ai essayé de lui transmettre les qualités que j’aime chez quelqu’un : culture, sagesse, humour, esthétique et rébellion, mais aussi une origine : ici, la Bretagne. Le nom breton et les clins d’oeil à cette région au fil des pages montrent qu’on est toujours influencé par la culture de l’endroit d’où l’on vient, et c’est une richesse à conserver.
Toujours dans cette optique de penser à l’avenir, la question du support papier du magazine est importante : la presse est en pleine mutation, et les journaux papiers en tant que tels ne cessent de plonger. La presse mode quant à elle semble s’en sortir pour encore quelques temps. Yaouank est imprimé mais son support papier n’est pas une qualité immuable et pourrait être remplacée à tout moment par une publication numérique. Le numérique tient une place toute particulière car justement, en feuilletant Yaouank, on découvre des Flashcodes, des codes-barres à scanner avec un smartphone, pour approfondir la lecture du magazine. Le lecteur peut ainsi en apprendre plus sur la réalisation d’un shooting mode ou le sujet d’un article. C’est cette capacité à aller plus loin que la première lecture qui est mise en avant ici. Le lecteur n’est pas seulement spectateur mais peut aussi interagir avec son smartphone, partager en ligne ce qu’il a aimé découvrir, proposer du contenu pour un prochain numéro… Si les journalistes doivent disparaitre, alors il faut dès maintenant former les jeunes générations à avoir un esprit critique et curieux.
On peut donc voir dans Yaouank des shootings de mode, mais aussi des articles traitant de musique, de cinéma, de rencontres humaines et artistiques, de littérature… Les personnes que j’ai admirées au cours de ma courte vie étaient toutes très complètes, sachant trouver l’équilibre entre le savoir et la légèreté. Comme dit Sofia Coppola : « On est considéré comme superficiel et bête si on aime la mode, mais on peut être intelligent et aimer la frivolité ». C’est ce que je trouve le plus essentiel, l’infinie culture et l’infini humour. Ces deux qualités s’acquièrent à force de se nourrir l’esprit et de s’inspirer de tout. 4
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EDITO La notion de modernisme est donc l’essence de Yaouank, qui aime autant le passé que le futur, car les rebelles ont existé et existeront pour nous inspirer et nous faire rêver. Car si personne ne se rebelle, qu’advient-il du renouveau artistique ? Un mouvement, en physique, c’est le déplacement d’un corps par rapport à un point fixe de l’espace. Alors voilà, si aucun mouvement ne se crée, si aucun mouvement ne se perd, alors rien ne se déplace, tout est fixé. Sans toutes ces personnes qui font bouger les choses, les arts et la mode mais aussi les idées, la vie serait d’un ennui mortel. Alors certes, un mouvement de rébellion, on le sait tous, c’est utopique, c’est irréaliste, c’est voué à une fin certaine. Et alors ? Oui tout à une fin, oui Rabelais est mort, oui Voltaire est mort, oui Flaubert aussi, et Jim Morrisson, et Sid Vicious, et Kurt Cobain... Mais moi je suis vivante et grâce à eux je réfléchis, je rêve, je lis, je vibre, je m’instruis, j’écoute, j’aime et je déteste. Et parfois, merci à eux, je me rebelle. En s’inspirant de toutes ses forces créatrices passées qui se sont rebellées contre un ordre de pensée établi et uniforme, on peut à notre tour aller vers un monde meilleur, où chacun écoute et apprend de ce qui se passe autour de lui… Comme une abeille qui butine pour faire du miel, inspirons nous et apprenons du passé pour inspirer les générations futures…
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« On est considéré comme superficiel et bête si on aime la mode, mais on peut être intelligent et aimer la frivolité »
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NOMI C’est tellement dur d’écrire sur ce qu’on aime. Anéantir par les mots les choses que l’on déteste est un exercice d’une simplicité stupéfiante, mais quand il s’agit d’essayer de montrer la grâce qu’on a ressentie en écoutant, en lisant ou en voyant, c’est infiniment difficile. C’est difficile et douloureux. C’est comme un accouchement : le fruit de l’amour qui sera plus que tout adoré voit le jour dans une douleur atroce. Comment montrer l’amour qu’on a pour quelqu’un qu’on admire précisément pour sa faculté à nous faire vivre cet amour ? Comment célébrer l’art que quelqu’un à de nous faire ressentir l’art ? N’estce pas terriblement vulgaire de penser qu’on peut réussir à faire passer l’émotion qu’un génie nous a posée au creux du coeur alors que c’est justement parce que lui y arrive qu’on l’appelle génie ? Je peux écrire sur Klaus Nomi, mais je veux écrire pour Klaus Nomi. En voulant me plonger dans les détails de sa vie, j’ai pu voir à quel point les ressources étaient a priori maigres pour pouvoir connaître en détail son histoire. Fait stupide : une larme a coulé sur ma joue quand j’ai pu lire, comme dernière ligne de sa biographie sur Wikipédia : « He was reported being gay. » précédent une ligne expliquant les circonstances de son décès. Alors quoi ? C’est tout ? J’ai trouvé ça tellement injuste. Peut être suis-je la seule personne qui s’émeuve d’un détail pareil, mais pour moi il était symbolique. Klaus Nomi mérite mille hommages, et je souhaiterais tant pouvoir en faire au moins un tout petit. Fils spirituel d’Elvis Presley et Maria Callas, il est de ses personnes uniques qui bouleversent a jamais la musique. Son approche du rock’n’roll et de l’opéra étaient novatrices, on le sait. Mais moi ce qui me prend aux tripes, c’est cette contradiction si délicieuse et désespérante qui cristallise toute son oeuvre. Peu
d’artistes peuvent nous rendre à la fois exaltés de joie et de malheur. Beaucoup d’artistes, plus ou moins talentueux, peuvent nous rendre tour à tour tristes, contents, nous faire rire, et puis pleurer. Nomi, lui, il fait les deux, dès qu’il chante. C’est l’alchimie parfaite et tellement étrange entre l’apocalypse et le nirvana. Sa peau fardée de blanc, son maquillage noir, ses grands yeux effrayants, ses costumes de ténor baroque, tout cela fait peur aux enfants et gêne les autres, intimide. Mais ses cheveux dressés comme des antennes, ses lèvres dessinées en pointes, ses costumes de plastique et ses chorégraphies absurdes, c’est drôle et divertissant. Mais Klaus Nomi ce n’est pas le clown triste : il n’est ni joie ni peine, aucune expression sur son visage lorsque qu’il entonne de l’opéra ou quand il chante des refrains pop; juste de grands yeux ouverts et une posture figée. Klaus Nomi ne donne pas l’émotion en spectacle, il ne rie pas quand on doit rire, il ne pleure pas quand on doit pleurer, il nous laisse avec cette émotion qu’il nous donne, il nous laisse en faire ce que l’on veut, ce que l’ont peut. C’est un passeur. Comme un prophète de l’apocalypse : Klaus Nomi nous dit que nous allons tous mourir et qu’il faut être triste, mais que la vie est fabuleuse et drôle alors il faut vivre et sourire. Mais il ne le chante pas dans ses textes, il ne le montre pas sur son visage, il le transmet par un moyen que seuls les plus grands sont capables de faire : par une alchimie, une présence, une émotion telle qu’elle est presque magie. Je suis désolée de voir que Klaus Nomi figure rarement dans les listes convenues des grands noms du rock, de la pop ou de l’opéra car il ne mérite pas l’oubli, encore moins le bas de page. L’homme et le révolutionnaire de la musique et du spectacle qu’il était mérite mille hommages, j’aimerais au moins en rendre un tout petit :
Merci Nomi. 10
MYRHA
Myrha est un « boys band », comme ils se présentent sur leur page Facebook, de 5 garçons venus de l’ouest installés à Paris pour le bonheur de nos oreilles. Des riffs de guitares qui soulèvent les jupes des filles et des looks qui rendent jaloux les garçons… La jeunesse, la mer, la musique, le style… en somme : tout ce qu’on aime chez Yaouank.
Tout d’abord, MYRHA, c’est qui ? qui sont les boys de ce band ? Et d’où vient votre nom ?
quis Moon avec Oscar et peu à peu tout le monde s’est ramené à Paris donc on a fusionné les deux groupes.
Oscar : Effectivement on est un groupe de 5 mecs dans la plus pure tradition du boys band. Par ordre croissant de bogossitude il y a moi au chant, Nico à la guitare et au chant, Paul à la basse, Léo à la batterie et Nicolass à la guitare.
Paul : Dragon Ball style
Léo : Il faut aussi qu’on parle de Pierre qui fait notre son, c’est un peu l’homme de l’ombre.
Nico : On fait de la surf à tendance italo-kaïra pop. En fait personne sait faire de surf à part Oscar qui fait un peu de skate vite fait. Nan sérieusement on est influencés par la musique surf des années 60, genre les BO de Tarantino.
Comment définissez vous votre genre musical ? Quelles sont vos influences ?
Nico : Il tire les ficelles. Paul : Illuminati style.
Oscar : On écoute aussi beaucoup de psyché. C’est plutôt ce qu’on faisait avant mais on en avait marre de se prendre la tête à faire des chansons de 10 minutes pour que les gens s’endorment ou aillent fumer leur clope au milieu des concerts. Du coup on préfère avoir des chansons plus immédiates même si on vend un peu notre cul mais c’est pas grave.
Nicolass : Myrha c’est une rue dans le 18e à la Goutte d’Or y’a toute une histoire mythologique derrière, nous on trouve juste que ça sonne bien.
Comment le groupe a-t-il vu le jour ? Léo : A la base il y avait The Oddmen à Nantes c’était le même groupe mais sans Oscar et avec un clavier qui s’appelle Clément. Depuis il a fait médecine on a plus jamais entendu parler de lui.
Nicolass : On est aussi beaucoup influencés par tout ce qui se passe autour de nous, il y a énormément de groupes et de concerts à Paris ça nous touche forcément.
Nico : Quand je suis venu habiter à paris on a monté Mar-
Comment se déroule le processus créatif de vos morceaux ?
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Nicolass : Le kébab à Crimée c’est un peu notre QG, il nous file des crêpes coco et tout.
Paul : On s’engueule beaucoup et au bout du compte celui qui a crié le plus fort peut avoir la décision finale. Oscar : Sauf quand c’est Nicolass en général il a le dernier mot.
Vous avez des looks affirmés, c’est quoi pour vous la mode ? Est-elle importante pour vous ?
Nicolass : C’est pas vrai.
Nico : On a l’air assez classes comme ça mais en vrai on est assez dégueu. On a beaucoup de fringues parce qu’on a rien pour les laver.
Léo : C’est le bordel parce qu’on veut tous apporter notre grain de sel et qu’on a tous notre mot à dire.
Oscar : Le look dandy à la base c’est des pauvres qui veulent s’habiller comme des riches et au final c’est un peu ça. Beaucoup de mecs dans notre quartier pensent qu’on est des fils de bourge.
Vous écrivez en français ? Pourquoi ce choix ? Nico : On est très influencés par les textes de Gainsbourg, Boris Vian, voire même Brassens. C’était un peu un défi de réussir à écrire des textes qui marchent en français sans que ça ressemble à Fauve. Le français a un côté super classe je trouve.
Paul : Du coup ils nous rackettent. Nicolass : Faites un don.
Nicolass : De toutes façons ils ont un accent anglais de merde.
Quels sont vos projets à court terme, votre actualité ?
Votre meilleur souvenir de concert ?… le pire ?
Paul : Notre premier projet c’est de retrouver les clés de notre studio, on les a perdues depuis la dernière teuf chez nous avec The Memories (big up).
Paul : Une fois avec The Oddmen à Nantes il y avait tellement personne que le seul mec dans la salle c’était notre pote Simon (big up) sauf qu’après il est parti fumer sa clope du coup il restait plus que nous et l’ingé son.
Nico : Dès qu’on les aura retrouvées on pourra recommencer à répéter pour notre concert de demain à l’International. Ensuite on va jouer avec nos bestos Wall Eyed et Cannery Terror à l’OPA et en juin au Batofar et au Bus.
Oscar : Notre meilleur concert c’était à Rennes en avril parce que cette ville défonce. Nico : Par contre on se souvient de rien.
Léo : On a aussi 2 sons qui devraient sortir à moyen long court terme.
Léo : Ouais j’étais juste en béquilles quoi mais à part ça c’était bien
Quels sont vos rêves ?
Paul : Handicap style
Oscar : Aller au supermarché avec une cape comme Freddy Mercury mais sans la moustache.
Vous êtes copains comme cochons ou vous vous crêpez le chignon ?
Nicolass : Moi j’aimerais bien faire la BO d’un film un peu classe genre Top Gun.
Nicolass : On se déteste parce qu’on est tout le temps ensemble.
Léo : Pour moi la consécration c’est quand on aura un son dans une vidéo de skate.
Paul : En fait on déteste juste Nico, sinon les autres on s’entend assez bien.
Vous avez combien de mètres de cheveux à vous tous ? Tout le monde : C’est pas la taille qui compte.
Vous aimez trainer où à Paris ? Léo : On habite tous en colloc à Crimée donc on est super souvent là bas, vers le canal de l’Ourcq. En plus notre studio est à Pantin donc clairement on est tout le temps dans le 19e.
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Break On Through (To The Other Side)
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Dans le dressing de Frida. Lorsque l’on nous parle de Frida Kahlo, on la voit immédiatement : son image nous apparaît très clairement; ses traits, ses sourcils, sa coiffures tressée de roses, ses robes mexicaines et ses bijoux décalés. C’est une icône de style parmi les figures qui inspireront à travers le temps. Le génie artistique de Frida Kahlo ne cesse d’être célébré à travers le monde et son statut de peintre iconique est universellement admis, mais c’était aussi une femme au style inimitable et pourtant tellement imité. Ainsi, de nombreux créateurs s’en sont inspiré, parmi lesquels Marc Jacobs, Jean-Paul Gaultier, Rei Kawakubo ou encore Dolce & Gabbana. On admire son sens du style, on décortique ses looks et son allure grâce aux archives, aux photos, et aux nombreux autoportraits qu’elle nous a laissés.
Du 14 mai au 12 juillet 2015, on pourra désormais admirer ses propres vêtements, plus de 300 pièces enfermées pendant près de 50 ans dans la maison où Frida vivait avec son mari Diego Rivera, photographiées par Ishiuchi Miyako dont les photos sont exposées au Michael Hoppen Museum de Londres. Il sera donc possible de rentrer dans l’intimité de cette femme qui attachait tant d’importance à la façon dont elle s’habillait, mélangeant les influences de son pays et de son parcours au fil de ses tenues.
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Julien Dossena
Nouvel espoir chez Paco Rabanne
Pour Paco Rabanne, « la Bretagne, c’est vital »
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isiblement pour sa marque aussi, puisque ce n’est pas Manish Arora ou Lydia Maurer qui sont parvenus à la ressusciter mais bien le breton Julien Dossena. Qui est ce jeune finistérien, qui, a 31 ans à peine est l’un des créateurs français les plus prometteurs du moment ? Tout commence donc au Pouldu, petit village de bord de mer de 200 habitants, où Julien grandit bien loin de la mode, de Paris et de la couture. C’est son grandpère, sculpteur, amoureux d’art, qui va lui donner le goût de l’esthétique. À 18 ans, Julien quitte donc sa Bretagne natale pour passer un an à l’école Duperré à Paris, avant de rejoindre la Cambre de Bruxelles. Julien est un bosseur, son père confie d’ailleurs que c’est probablement parce qu’il n’a jamais refusé une seule opportunité qui se présentait à lui et qu’il a toujours su tirer avantage de n’importe quel petit boulot qu’il a pu se frayer un chemin pour avoir la chance de travailler auprès des meilleurs. Le succès dans les études ne se fait d’ailleurs pas attendre. L’élève modèle est d’abord lauréat du prix spécial du jury de la Cambre puis du prix 1.2.3 qu’il remporte au festival d’Hyères. À peine diplômé, le jeune créateur est engagé chez Balenciaga où il travaille aux côtés de Nicolas Ghesquière qu’il admire énormément. Pendant quatre ans et demi, le duo artistique s’épanouit, chacun apprenant l’un de l’autre, et une histoire d’amour voit d’ailleurs le jour… C’est donc assez naturellement que le départ de Ghesquière le décide à luimême quitter la maison Balenciaga pour se consacrer à d’autres projets. En 2012, il lance sa propre marque à laquelle il donne le nom de son père resté en Bretagne : Atto. Le style est inédit, moderne, original, mais inspiré directement de ses racines bretonnes. De la combinaison de surf au costume traditionnel, le paysage dans lequel Julien a grandit inonde ses créations. L’année suivante, Julien Dossena arrive chez Paco Rabanne en tant que nouveau directeur artistique. Dans sa ligne pour Atto, la silhouette est élancée, et les sous pulls tels des armures de sequins offrent un côté futuriste qui n’est pas sans rappeler les robes de métal iconiques de Paco Rabanne. Ce choix de collaboration semble donc riche de sens puisque la ligne de la propre marque de Dossena est cohérente avec l’ADN historique de Paco Rabanne. La mission du jeune prodige est délicate; comme n’importe quel nouveau directeur artistique au sein d’une maison historique aussi iconique, il faut trouver l’équilibre; faire du Paco Rabanne, oui, mais du nouveau Paco Rabanne. 28
Pari tenu, et réussi haut la main. Julien Dossena présente la collection Paco Rabanne Automne Hiver 2014-2015 et c’est un véritable succès. Le monde de la mode s’accorde à dire que nous avons là un renouveau complet de la marque, tout en gardant cet ADN, ce fil rouge qui se fait mince et caressant sur les dessins pointus du créateur. Physiquement d’abord, du point de vue de la matière même, on s’y attendait tout en étant surpris : oui, on retrouve la robe de métal que notre esprit associe à une Françoise Hardy des années 1960, mais de façon nouvelle, légère et sporty, sur un plastron ou façon résille. Plus impressionnant encore, Julien Dossena nous montre l’âme Paco Rabanne tout en innovant totalement : il invente le Space Age 2014. Futuriste sans être excentrique, modernité ultime des
coupes et matières, mais esprit de la femme chic, presque classique. Le savant mélange ne pouvait être que l’oeuvre d’un intellectuel qui voit avant son temps, et cette qualité à toujours été celle des meilleurs génies créateurs. Julien Dossena confie qu’il n’a pas voulu se plonger dans les archives de la maison avant de concevoir la collection, son instinct a suffi à nous faire nous sentir chez nous chez Paco Rabanne tout en voyageant vers d’autres horizons, un coup de maître. Alors quand monsieur Paco Rabanne dit qu’il « doit beaucoup à la Bretagne », on ne peut pas le contredire. Celui qui anticipait la fin de la création il y a 15 ans voit maintenant son nom redoré grâce à un homme venu de sa région tant aimée.
Julien Dossena, c’est la tempête bretonne dont Paco Rabanne avait besoin pour revivre, on lui souhaite de continuer de faire honneur à son talent et à celui de son prédécesseur en restant l’homme contemporain amoureux de son époque qu’il est et dont la mode a grand besoin.
LE PRESBYTÈRE Depuis sa création en 1997 au Théâtre National de Chaillot avec Elton John et les membres du groupe Queen sur scène, «Le Presbytère» a fait du chemin, il était en représentation dans toute la France ce printemps. Retour sur cette hymne à la joie et à l’amour qui a séduit et ému le public par sa puissance, plus de 350 fois à travers le monde. Il n’y a pas moins de 37 danseurs de 22 nationalités différentes dans cet incroyable corps de ballet, capables de danser sur du rock avec les musiques de Queen comme sur du classique avec celles de Mozart, une vraie performance. Créé par Maurice Béjart en hommage à Freddie Mercury et au danseur Jorge Donn, tous deux morts du sida, «Le Presbystère » est une réflexion sur la vie, la mort et l’amour. Jorge Donn était l’un des principaux solistes de Maurice Béjart (1927-2007). Il créa les rôles titres de la plupart des œuvres du chorégraphe. Nous nous prenons à rêver dans l’atelier des costumes : pour le « Presbytère », ils sont signés par Gianni Versace, fruit d’une collaboration mûrie avec Béjart. Costumes quatre pièces des garçons, robe évanescente en tulle blanc, tenues de bain chic et kitsch… Débauche de tissus pour épouser un ballet dont l’esprit réside dans l’ambiguïté entre solennité de l’hommage et humour optimiste qui dépasse le sérieux de la maladie du siècle. Tout commence dans l’immobilité. Les corps sont allongés, recouverts de draps blancs. On admire la technique fuselée des solistes sur pointes pour les filles, et des garçons à l’énergie vibrante. Théâtralité et présence charnelle et sens de l’espace vaste d’un grand plateau sont au rendez-vous. L’émotion, directement liée à la maîtrise, nous submerge.
« Mes ballets sont avant tout des rencontres : avec une musique, avec la vie, avec la mort, avec l’amour… avec des êtres dont le passé et l’œuvre se réincarnent en moi, de même que le danseur que je ne suis plus, se réincarne à chaque fois en des interprètes qui le dépassent. » Maurice Béjart
I’M STILL DANCING ON MY OWN I’m still dancing on my own est un film réalisé par la jeune Sharon Hakim, 21 ans, étudiante et comédienne. Son film, elle l’a porté et lui a donné naissance non sans peine, comme on peut imaginer les difficultés que peut rencontrer une jeune réalisatrice pour son premier film. L’histoire réuni huit protagonistes que le spectateur pourra suivre dans un rêve surréaliste, une nuit blanche où les failles de chacun se révèlent et se reflètent, s’emmêlent et se délaissent à l’aube. L’univers du film est très poétique et les références cinématographique sont nombreuses : entre autres Bonnie & Clyde, One From The Heart, Doomed Generation, La fureur de Vivre, ou encore KIds. Une richesse de clins d’oeil et d’inspirations qui soutiennent un premier film riche d’une âme poétique et envoûtante. On sait que Sharon nous réserve encore de belles histoires, et de charmantes surprises, nourrie d’une foule de rêves et d’idées, de très bonnes idées… 33
RIMBE Photographe : Fabio Piemonte Stylisme : Eugénie Devos et Capucine Bonsart Modèle : Joseph @Rockmen
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LUCHINI
On ne présente plus Fabrice Luchini, autodidacte littéraire et comédien, selon qui le théâtre est le « seul lieu où s’exprime la vie, la nourriture de la vie, ce qu’aucune école n’enseignera jamais ».
Le grand public connaît et aime Fabrice Luchini notamment pour ses apparitions télévisées remarquées et remarquables, où il manie le verbe avec un charisme incroyable et un humour ravageur. Ce passionné de Rimbaud, Baudelaire, Flaubert ou Céline a un goût du partage exacerbé, qui le pousse à vouloir faire découvrir au public l’art de la tournure, qu’il veut et sait accessible à tous. Dans cette démarche, il présente son spectacle « Poésie? » au Théâtre des Mathurins depuis le 16 mars 2015 et probablement encore quelques mois, vu l’engouement qu’il suscite. Sa démarche est de faire découvrir des textes en parallèle de sa propre histoire : il veut montrer que la poésie n’a pas vocation à être comprise mais ressentie, écoutée pour ce qu’elle a de beau, pas pour ce qu’elle dit ou ne dit pas.
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B R E T O N S D’AMÉRIQUE Calixte et Louthiern sont deux bretons (comme les trahit leurs prénoms) de 23 et 24 ans exilés en Amérique du Nord, l’un à San Francisco aux États-Unis, et l’autre à Montreal au Canada. Pour me faire une idée sur le changement de vie qu’implique de vivre sur un autre continent, je leur ai posé quelques questions. On peut observer dans cette interview un exemple qui montre qu’au plus longtemps on habite quelque part, au plus on s’habitue au mode de vie et au moins on remarque les différences face à son pays d’origine.
Depuis quand es-tu installé à San Francisco/Montréal ? Pourquoi avoir choisi cette ville ? Calixte : Je suis installé à San Francisco depuis un peu plus d’un an. J’ai choisi cette ville car c’est la capitale de la tech, mon corps de métier ; elle offre des opportunités d’emplois, de rencontres et d’innovations dans ce domaine inégalées ailleurs. Louthiern : Ça fait 4 ans que je suis installé à Montréal. J’ai choisi cette ville parce que j’étais pris ici pour étudier au HEC (écoles des Hautes Études Commerciales).
T’y plais-tu ? Comptes-tu y rester ? Calixte : Je m’y plais. Mon intérêt pour cette ville dépasse maintenant largement le cercle de la tech et s’étend à tout ce que cette ville a à offrir. Dynamisme, culture, histoire, sport et l’océan en bas de la rue. Louthiern : Je m’y plais beaucoup et je compte y rester encore, mais on verra ce que la vie réserve.
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Qu’est-ce qui change dans la vie d’un jeune qui part vivre à San Francisco/Montréal par rapport à la vie en France ? Calixte : San Francisco est une ville qui vit tôt. Il faut se lever tôt pour profiter des activités culturelles qui sont souvent la journée, parce qu’il y fait beau et chaud, avant que Karl The Fog, le fameux brouillard congèle la ville. Il n’est donc pas rare que des festivals commencent le matin (le plus extrême étant la fête-course Bay To Breakers où la «soirée» commence à 8h du matin, avec des jeunes alcoolisés dans toute la ville). C’est un changement radical par rapport à la vie d’un jeune français qui fait la grasse matinée et va en boîte jusqu’à l’aube. Le plus gros chamboulement se situe en cuisine. Tout est sandwich. Des ingrédients pourtant simples se vendent à prix d’or dans des boutiques pour riches hippies. Il est très difficile de cuisiner. Le rapport à l’alcool est très particulier. D’accès beaucoup plus restreint, à partir de 21 ans seulement, jamais dans la rue, jamais en terrasse, on le consomme comme une substance interdite, entourée de fantasmes. Le temps de la prohibition est encore très proche. Louthiern : Et bien la vie est probablement totalement différente. Ici on finit le travail relativement tôt le soir (17h) mais on a pas ou presque pas de pause à midi. On apprend aussi à être un membre d’une communauté minoritaire, un étranger et à s’adapter. Les oeufs sont blancs et il y a du jambon en conserve aussi.
Ressens-tu une différence importante dans la façon qu’ont les jeunes d’appréhender la mode là où tu vis, par rapport à la France ? Calixte : On trouve deux catégories de gens à San Francisco : ceux qui veulent être à la pointe de la mode, et ceux qui veulent montrer ostensiblement qu’ils s’en fichent. Au final, les deux passent beaucoup de temps à s’habiller ! Les premiers incluent les étudiants de la très grande Academy of Art University, les hipsters des quartiers branchés et les nouveaux riches qui y voit une manière de montrer leur argent. La deuxième catégorie inclue les hippies des temps modernes, en nombre sur les terres de Janis (Joplin), qui font très attention à souligner leur refus de la société à travers leurs vêtements, une belle part des ingénieurs de la ville qui affichent leur startup sur leurs T-Shirt et le «swag» (goodies, t-shirts, sweats, etc) distribué par les entreprises. Les plus grands investisseurs de la Silicon Valley font bien attention à quel t-shirt de quelle startup porter au dessus de leur chemise (oui!), pour ne pas froisser les esprits. Louthiern : Ce n’est pas trop une question que l’on se pose ici. Je ne pense pas que Montréal soit vraiment un gros centre mondial de la mode. Ici les gens s’habillent généralement moins qu’à Paris. La mode est vraiment un truc réservé aux français, aux bobos et aux hipsters. Sinon il y a beaucoup de magazinage pour les filles mais c’est pas souvent de très belles affaires, c’est un peu cliché de l’américaine quétaine («vulgaire» en québécois).
La Bretagne te manque-t-elle? Si oui, pour quelles raisons ? Calixte : Heureusement, la Bretagne est plus qu’un territoire. C’est un état d’esprit, une culture que bon nombre de bretons continuent d’aimer et de faire vivre partout dans le monde. La diaspora est large. Tous les jours, j’en parle, j’affiche mon drapeau, je fais écouter ma musique à mes collègues, je les emmène à la crêperie bretonne de SF tenue par des bretons, je partage cidre et Pâté Hénaff aux Happy Hours et je les habitue à crier yec’hed mat. L’océan n’est jamais loin, le granit n’y est pas rose, mais on s’y sent bien. Louthiern : Bien sûr que la Bretagne me manque, j’aimerai plus souvent manger un pâté Hénaff avec ma petite soeur !
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LA COIFFE BRETONNE Que ce soit un gracieux bonnet rond, un joli toit de dentelle, un menhir de broderies, ou encore qu’elle ait ses ailes retroussées, il existe une multitude de coiffes et de manières de les porter. De coiffure quotidienne et pratique, la coiffe est devenue, vers 1850, un véritable ornement et une source de fierté pour les femmes qui la portaient. De couvre-chef elle devenue parure. À l’origine, à la manière de la capeline médiévale portée partout en France, elle se compose généralement d’un bandeau qui enserre le front, d’un bonnet dans lesquelles les cheveux sont amassés et de rubans qui recouvrent parfois la poitrine, avec un bavolet sur la nuque et les épaules. Au XIXe, plus les femmes s’émancipent, plus la coiffe évolue : le bandeau couvre moins le front, laissant apparaître les cheveux, le bavolet n’existe plus et les rubans ne couvrent plus le décolleté. Chaque pays, chaque paroisse possède un type de coiffe, c’est pourquoi il en existe de toutes les formes et styles. La coiffe est donc un indicateur social, géographique, et une parure de beauté, entre fines broderies et belles dentelles.
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KILVERZ Révolté
Photographe : David Chicheportiche Stylisme : Capucine Bonsart et Fay Model : Hector CrĂŠation coiffes : Fernande ToxĂŠ et Catherine Bonsart
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femmes Sorti en 2002 sur grand écran, Huit Femmes est un film de François Ozon adapté d’une pièce de Robert Thomas. Le scénario est simple, c’est un basique cluedo qui se déroule en une journée, dans une seule maison, respectant les règles du théâtre. Les 8 personnages sont interprétés par 8 actrices exceptionnelles : Danielle Darrieux, Fanny Ardant, Catherine Deneuve, Firmine Richard, Isabelle Huppert, Emmanuelle Béart, Virginie Ledoyen et Ludivine Sagnier. En plus de ce casting impressionnant et du décor et costumes flirtant avec un kitch anglais savamment maitrisé, chaque protagoniste interprète une chanson au cours du film; le rendu est touchant et entêtant. Chaque rôle a un caractère très fort et très différent et on se retrouve un peu dans chacune de ces femmes : la grand-mère un peu folle et alcoolique, la mère vénale, la belle-fille soi-disant modèle, la fille insolente et rebelle, la soeur, véritable femme fatale, la nourrice, amoureuse au coeur brisé, la femme de chambre, à la fois fidèle et légère, et enfin la belle-soeur, jalouse et solitaire… Aucune actrice ne prend la pas sur une autre, ce qui donne une cohésion et une importance égale à tous les rôles. L’intrigue pour le moins basique permet de mettre en exergue ces femmes hautes en couleur et de miser une bonne partie du film sur l’esthétisme du rendu. Les costumes sont plus ou moins les mêmes du début à la fin, et le choix des couleurs et des coupes pour chaque femme par la costumière Pascaline Chavane n’est pas anodin.
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8 costumes «Mamy» porte du violet, couleur symbolisant le secret et l’apaisement de la grand-mère veillant sur son clan. Elle a aux pieds des chaussons en agneau confortables, signe qu’elle se sent chez elle chez sa fille et qu’elle compte y rester.
Pierrette porte le rouge optimiste de Dior, choisi pour sa force et sa puissance, porté par une femme indépendante. Ses escarpins noirs garnis de strass rappellent ceux des danseuses de cabaret. Lorsque Pierrette retire ses gants doigt par doigt, c’est comme si elle se dénudait doucement à la manière d’un effeuillage sensuel.
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Madame Chanel porte des chaussures à patins et talons épais inspirés des années 1940, pour le confort. Son tablier, ses manches et son col sont jaune soleil, couleur chaleureuse. Sa perruque rappelle la coiffure d’Aretha Franklin dans Blues Brothers lorsque celle-ci chante «Respect», hymne féministe.
La couleur de Catherine est le vert, la couleur de l’éveil printanier, symbollisant le renouveau, elle inicie un chamboulement... En se balandant en pyjama la journée, la jeune femme montre un esprit de rébellion. Elle porte des ballerines mises à la mode auprès des adolescentes par Audrey Hepburn ou Brigitte Bardot.
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Gaby représente l’oppulance et la beauté. Elle est impeccable et doit porter sur son allure la fortune de son mari. Son manteau de fourrure léopard lui donne un air royal.
Augustine porte aux pieds des trotteurs enfantin, symbolisant sa virginité. La coupe stricte de son tailleur souligne sa sécheresse de caractère et sa détermination. Les lunettes et la coiffure finissent de raidir la tenue. Lorsque qu’elle veut se métamorphoser en femme fatale, elle empreinte une robe à sa soeur qui est trop longue pour elle, signe que ce rôle ne lui convient pas...
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Suzon porte du rose comme celui des poupées barbie, transpirant de fausse candeur. Elle porte des chaussures à lacets réglables, pour le confort d’une femme enceinte... Étant censée rentrer d’un voyage en Angleterre, on remaruqe que sa coiffure et son mantau sont à l’anglaise.
La coupe de la robe de Louise est celle du New Look de Dior, symbolisant l’arrogance après-guerre. Ses bottines à talons ne sont pas sans rappeler celles de Romy Schneider dans Gilda, marque de sensualité. Lorsque Louise s’émancipe de sa maîtresse, ses cheveux sont détachés, son tablier disparait et son décolleté se dévoile.
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ENFANT DES
INTERNETS
Top, vintage Jogginq et baskets, Adidas
Photographie : Fay Styliste : Capucine Bonsart Modèle : Sharon Hakim
GAME OF THRONES ANALYSE DES COSTUMES
Les costumes de cinéma ont une part essentielle dans la réalisation d’un film ou d’une série. Pourtant, cet aspect du septième art est souvent mis de côté et peu abordé par les médias ou les critiques. Pour se pencher sur le rôle symbolique et sémantique du costume, j’ai décidé de me focaliser sur la série « Game of thrones » (Le trone de fer), de la chaîne HBO, au succès sans précédent dans le monde entier.
Diffusée depuis le 17 avril 2011, la série américaine Game of Thrones est réalisée par David Benioff et D. B. Weiss d’après les romans de Georges R.R. Martin. Il s’agit d’une série fantaisie médiévale entrelaçant plusieurs intrigues et incluant de nombreux personnages importants, dans différents espaces avec des identités bien distinctes. La série met en scène des jeux de pouvoir, mais aussi la hiérarchie sociale, la guerre civile, la sexualité, la religion dans un mode assez violent. Elle est plébiscitée par la critique et le public, chaque épisode étant très attendu partout dans le monde. La série a reçu de nombreuses récompenses, notamment dans le domaine du costume auquel travaille Michele Clapton pour la supervision générale, Michele Carragher pour la broderie, Simon Brindle pour les armures, Kevin Alexander pour les coiffures, Tommy Dunne pour les armes, et leurs équipes. Chaque épisode demandant presque autant de production qu’un véritable film, le travail abattu pour les costumes est titanesque. Dans les romans, il y a peu de descriptions concernant l’habillement, ce qui donne une réelle liberté aux costumiers. Game of thrones est un véritable univers, complexe et varié; les différentes familles et régions définissent des manières de s’habiller et il convient de les analyser pour savoir quel est leur rôle vis à vis de l’histoire. Au delà de l’identité propre à chaque région que permet de créer les costumes, ils ont également un rôle narratif, donnant des indices sur l’histoire, par exemple sur les allégeances politiques, mais également sur la richesse ou non d’une région, ses caractéristiques géographiques… Dans la série, comme dans toute société féodale, les familles nobles dirigeantes sont des instigatrices de tendances dans les régions sur lesquelles elles règnent. Ainsi, quand un personnage important, dirigeant, est respecté et populaire, les petits seigneurs, les courtisans et les servantes vont vouloir copier sa façon de s’habiller. À l’inverse, lorsque celui-ci perd de l’influence, moins de personnes voudront lui ressembler, c’est un indicateur important
concernant les jeux de pouvoirs politiques. L’univers Game of Thrones étant très large et contenant bien des personnages, il est impossible de tout traiter ici de manière exhaustive, mais il reste très intéressant d’étudier quelques exemples. Le royaume des sept couronnes s’étend des neiges du nord au désert de Dorne au sud. Il couvre donc une grande zone géographique composée de régions sur lesquelles règnent différentes familles. Au Nord, la famille Stark a régné pendant des centaines d’années avant d’être détrônée par la maison Bolton. Il y fait froid et la région n’est pas d’une grande richesse, les costumes se composent donc de fourrures et les seigneurs portent peu de bijoux. Les armures des soldats se composent de cottes de maille et de cuir bouilli, le métal étant trop couteux. Le manque de bijoux est compensé chez les dames nobles par le port de belles broderies, leur permettant tout de même d’arborer une tenue luxueuse et digne. La région du nord est la plus affectée par les longs hivers, aussi, elle est parfois victime d’attaques de sauvageons venant d’au delà du « mur », des contrées sauvages et rudes. C’est pourquoi les habitants du nord gardent une certaine sobriété dans la décoration de leurs habitat. Leurs vêtements présentent avant tout un aspect pratique plutôt qu’ostentatoire. Concernant la religion, on peut voir que les hommes du Nord ne portent pas l’étoile aux sept pointes qui symbolise la religion présente dans le reste du Royaume des Sept Couronnes, car, descendants des premiers hommes, ils vénèrent les Anciens Dieux de la Forêt. Quant aux femmes nobles, elles portent les cheveux longs lâchés, dans un souci de protéger leurs oreilles du froid. La maison Bolton qui a pris le pouvoir suite à une trahison, est représentée plus vicieuse que les Stark, qui eux symbolisent la loyauté. Ainsi, on les voit porter des vêtements noirs, austères et sévères. Quand les Stark portent des vêtements lainés sous leurs armures, 60
La famille Stark
les Bolton préfèrent du cuir, manière de montrer qu’ils sont puissants et virils, et aiment écorcher les animaux pour confectionner leurs vêtements. Leur mode de torture et d’exécution est l’écorchure, et ils le montrent sur leur habillement : ainsi, leur symbole représente un homme écorché, signe porté par le seigneur Roose, puis par son épouse, mais dans un métal moins précieux et moins travaillé. Quant à l’enfant bâtard, il ne porte le sigle que lorsque qu’il est reconnu comme héritier légitime par son père à la fin de la saison 4. Roose porte un manteau avec le col en fourrure retourné pas seulement pour avoir plus chaud, mais également pour souligner encore une fois cette pratique de l’écorchure. Cette façon de porter le manteau est imité par les chevaliers tels Ramsay, signe qu’ils respectent le seigneur.
La capitale, Port Réal, où vit le roi, est la région la plus riche. Comme les personnages les plus influents et fortunés habitent Port Réal, les costumes y sont fastes et les codes importants, ils sont les témoins des jeux politiques qui se jouent à la capitale. La région en elle-même n’a pas vraiment d’identité propre, ce sont vraiment les personnes haut placées qui définissent les codes esthétiques et lancent les modes. Quand la famille Lannister domine à la cour royale, les courtisans s’habillent à leur manière, et lorsque la maison Tyrell domine, alors le peuple suit la mode vestimentaire de cette dernière. Mais comme Port Réal est une grande cité d’échanges, elle permet l’import d’étoffes et d’accessoires exotiques, ce qui confère à la capitale différents styles vestimentaires. Même au sein de l’armée, les soldats s’habillent différemment selon la personne à qui ils obéissent. Bien plus que dans le reste du Royaume des Sept Couronnes, Port Réal est l’endroit où on montre son allégeance par sa façon de s’habiller, car les subordonnés sont plus riches et peuvent ainsi changer plus souvent de vêtements. La mode se propage des hautes sphères jusqu’aux marchands, assez riches pour pouvoir essayer d’imiter les seigneurs, en passant par les courtisans et les servantes. La couche la plus démunie de la ville étant trop pauvre, elle s’habille d’une manière assez simple.
Dans les Conflans, région au centre du Royaume des Sept Couronnes, les seigneurs riverains sont un hybride culturel entre les hommes du Nord et ceux du Sud. L’environnement est plutôt marécageux et humide, ne permettant pas de batailles rangées. En cas d’attaques, l’armé des Conflans a donc l’avantage car elle a l’habitude de cet environnement. De ce fait, les habitants s’habillent entièrement de vert, permettant un meilleur camouflage. 61
Pour mieux comprendre comment l’évolution d’un personnage au sein de l’histoire est indissociable de son habillement, on peut par exemple se focaliser sur la reine Cersei, qui vit à Port Réal parmi les puissants. Elle est veuve et mère du nouveau roi, c’est une femme méfiante et toute en apparences. C’est pourquoi elle porte des robes qui l’entourent largement, comme des sortes de kimonos japonais. Autre manière de mettre une barrière symbolique entre elle et les autres : de larges et longues manches qu’elle tient fermées devant son corps, comme pour se protéger. Signe qu’elle n’est qu’apparences : elle ne se coiffe que quand elle apparaît en public, alors que sa rivale Margeary est toujours plus ou moins apprêtée, ce qui souligne que la famille Tyrell est plus honnête, ne changeant pas vraiment son apparence pour apparaître en public. Cersei porte des bijoux coûteux pour afficher sa richesse et sa puissance. Au fil des saisons et de l’histoire, son habillement évolue. Ainsi, au début de la série, quand son mari le roi est encore vivant et que les jeux de
pouvoir ne l’ont pas encore mise en danger, elle apparaît dans des vêtements aux couleurs douces telles que le bleu ou l’or, et avec des motifs d’oiseaux ou de fleurs. Au fur et à mesure que la vie se complique pour elle et que la guerre politique s’installe, elle affiche progressivement les couleurs de sa famille : l’or et le vert, puis l’or et le rose, et enfin, au début de la saison 2, le rouge des Lannister paré de dorures. Pendant la saison 2, à mesure qu’elle se voit perdre le contrôle sur Port Réal, elle s’habille de grandes robes dans lesquelles elle se protège. Elle va même jusqu’a arborer des plaques de métal sur ses robes lors de la bataille de Blackwater, comme une armure symbolique. À la fin de la saison 3, quand Margeary commence à gagner en pouvoir et en influence, celle-ci devient l’instigatrice de la tendance auprès des femmes de la cour. Cersei se voit obliger de suivre cette tendance pour ne pas perdre en popularité et avoir l’air démodée, c’est pourquoi elle se met à porter des robes qui laissent voir ses épaules, comme celles qu’affectionne son ennemie.
En haut : Margeary Tyrell À droite : Cersei Lannister 62
Essos se trouve sur l’autre continent, par delà la mer, et se compose de neuf villes libres. Volantis contient une grande population d’esclaves que l’on reconnaît selon leurs tatouages : ceux qui conduisent les chars ont une roue sur la joue, les prostituées un tatouage de larme en dessous de l’oeil, ceux qui nettoient les rues ont une mouche tatouée sur le visage, etc… A Tyrosh, ville où l’on produit le plus de teintures, les habitants sont habillés de vêtements très colorés. Le personnage le plus important évoluant dans cette zone géographique tempérée est Daenerys dont les cheveux sont blond platine, signe qu’elle appartient à la lignée des Targaryen. Daenerys est le personne qui évolue et se déplace le plus, c’est pourquoi sa façon de s’habiller change énormément et demande une longue analyse descriptive. Lorsqu’on étudie les costumes de Game of Thrones, on se confronte à la richesse de l’univers de cette série. Tous les moindres détails sont pensés et imaginés. En étudier quelques exemples permet de se rendre compte à quel point le travail des costumiers est d’une importance capitale pour servir ce genre
de série. On se rend compte à quel point les costumes sont des signifiants ajoutés au récit, en plus du jeu des acteurs et des dialogues. L’équipe s’occupant des costumes souligne également le fait que les vêtements aident énormément les acteurs à jouer leur rôle, à incarner l’évolution de leur personnage car la façon dont on est apprêté à une incidence sur la manière dont on se sent : heureux, en danger, triste, en deuil, pauvre, prospère, séduisant, etc. L’analyse que j’ai présentée ne présente bien sûr pas la totalité des régions ni des personnages de la série, mais elle permet de comprendre que les costumes sont un passeur essentiel de messages et de symboles. Inconsciemment, on comprend et assimile certaines informations sur l’histoire sans qu’elles ne nous soient communiquées explicitement. Il convient de mettre en avant le travail énorme fourni par les costumiers, autant au niveau technique qu’au niveau analytique, car ils étudient et inventent pour servir le scénario. Se sont des éléments qui confèrent une richesse supplémentaire aux films et aux séries, ces personnes sont de vrais créateurs et ne font pas qu’ « habiller » au sens strict les acteurs.
Daenerys Targaryen 64
Gluc La femme enfant fascine toujours. Entre admiration et gêne, son image provoque toutes sortes de réactions mais ne laisse pas indifférent. Ici, elle vacillera entre l’enfant prude et la femme pervertie.
ose Photographe : David Godichaud Stylistes : Fay & Capucine Bonsart Mannequin : Ariel @RY Agency Maquillage/coiffure : Éléonore Mixay Robe, zara Lunettes, eBay.com
Serre-tête, eBay.com Harnais, Déandri Top, Zara
Top et collier, eBay.com Boucles d’oreilles, Forver21
Harnais, caches-tĂŠtons et sac, eBay.com Jupe, American Apparel Veste, Vintage
Collier, home made Veste, NastyGal Pull, Forever21 Harnais, eBay.com Jupe, DaisyStreet
INSPIRATION MONOCHROME
ROSE BÉBÉ
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De gauche à droite, haut en bas : Versace, Maria Ke Fisherman, Joseph, Acne Studios, Maria Ke Fisherman, Fleur du Mal, Mykita, Asos, Drome, Asos, Fujifilm
VIOLET, BÉBÉ
De gauche à droite, haut en bas : YSL, Marie Katrantzou, Haider Hackermann, Burberry Prorsum, T by Alexander Wang, M Missoni, Agent Provocateur, Maison Takuya, Happy Jackson, Tena, Asos, Linda Farrow
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SKINHEADS À l’origine, les skinheads sont issus du mouvement « mods » (modernistes) alors en vogue en Angleterre dans les années 1960. Ce sont de jeunes gens pour la plupart venant de la petite classe moyenne londonienne, souvent juifs ou d’origine grecque. Au départ petite élite cultivée fan de modern jazz, d’art et de cinéma français, le mouvement mods donne rapidement naissance, vers 1963, à un phénomène de masse dont les maisons de disques, surfant sur la vague du « Swinging London » profitent largement pour la promotion de leurs groupes. Ils sont raffinés et ont un goût pointu pour la musique, se tournant vers la soul et le rythm’n’blues noir américain. Les mods s’opposent donc aux « rockers » par leurs goûts musicaux et leurs accoutrements, ces derniers préférant les blousons en cuir et les motos aux costumes italiens et scooters. Quelques faits divers de bagarres entre des bandes de jeunes rockers et mods font les unes de tabloïds, ce qui popularise d’autant plus le mouvement mods à travers le pays. Vers 1967, après la coupe du monde de football ayant réunie les jeunes mods dans les stades, leur faisant découvrir le hooliganisme, la scène mods s’essouffle. Les nouveaux mods continuent de rouler en scooter mais changent de look. Ce ne sont plus des adolescents de classe moyenne mais bien des jeunes issus des familles ouvrières qui donnent un nouveau sens à ce mouvement. Finis les costumes classes; on porte alors des vêtements de travail, comme les bottes Doc Martens, ou de sport, tel le polo Fred Perry. En effet, à l’inverse d’autres mouvements de l’époque tels les hippies, ces jeunes veulent montrer qu’ils ne sont pas « branchés » mais fiers de leurs origines modestes. Ils portent les cheveux très courts ou rasés et se définissent comme des « hards mods ». Ils partagent leur goût pour la musique noire américaine avec les « rude boys » qui vivent dans les mêmes quartiers. Ces immigrés antillais leur font plus ou moins découvrir le ska, musique jamaïcaine, puis le rocksteady. C’est en 1969 que le terme « Skinhead » est utilisé pour la première fois dans les journaux pour qualifier ces jeunes « hardmods » et « rudies » au crâne
nu réunis en un seul mouvement. À ce moment, l’engouement skinhead a alors de courts jours devant lui. En effet, il ne dure qu’environ deux ans, autant que la mode du reggae en Angleterre… Les véritables skinheads des quartiers pauvres de l’Angleterre ne ressortent que plus unis, noirs et blancs confondus, par cette vague de popularisation éphémère de leur mouvement. Ils organisent de nombreuses soirées et concerts et se prennent de passion pour le hooliganisme, en faisant un problème majeur de société en Angleterre. Dès lors que les skinheads consomment des drogues lors de leurs fêtes et sont violents dans les stades, ils sont stigmatisés par la presse comme le nouveau mouvement de jeunesse dangereux. Les skinheads, qui sont de jeunes adolescents même pas en âge de voter, ne sont alors pas politisés, bien que sensibles aux idées des partis travaillistes pour lesquels votent leurs parents. Le succès médiatique des punks en 1977 fait renaître de leurs cendres certains mouvements tels les skinheads jusque là endormis. À partir de ce moment va commencer l’exportation de cette culture outre-manche et la politisation de certains de ses membres. Aujourd’hui, dans l’inconscient collectif, les skinheads sont presque uniquement ramenés à une image de militants d’extrême droite, racistes voir néo-nazis. Quand on connaît les origines du mouvement skinhead, cette association paraît totalement absurde. Plusieurs facteurs sont à l’origine du glissement de certains skinheads vers l’extrême droite, mais la plupart des racistes et autres extrémistes se revendiquant skinheads ne connaissent en réalité pas vraiment les racines de cette culture. Le fait d’utiliser, à l’instar des punks, le drapeau national (Union Jack) dans l’habillement a souvent valu aux skinheads d’être rattachés à des partis conservateurs et nationalistes alors que le but premier est plus d’afficher un patriotisme de stade et de porter un symbole important et unificateur pour les jeunes. Un phénomène apparaît cependant : le « paki-bashing » qui consiste à violenter des indiens et pakistanais, très nombreux 78
Interdiction de porter des Doc Martens à coques, considérées comme des armes. Photos : subbaculture
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Photographie : Dereck Ridgers
exactitudes
en Angleterre, et considérés comme des hippies par les skinheads, sur qui ils frappent aussi. Ce genre de faits permettent aux hommes politiques anti-immigrés de se tourner vers une jeunesse qu’ils pensent raciste. Après l’explosion du punk en 1979, le mouvement skinhead connait une nouvelle jeunesse et dépasse les frontière anglaises. La mouvance est la même qu’avant, à cela près que les goûts musicaux sont plus larges et que presque tous les skinheads sont alors blancs. Mais un évènement va marquer un tournant pour l’image de la culture skinhead : en mai 1981, une compilation très attendue par le public punk/skin fait scandale. En effet, le titre de la compilation est « Strenght thru joy », venant de l’allemand « Kraft durch Freude » (la force par la joie) ce qui renvoie à l’organisme de loisirs nazis du Troisième Reich, et le modèle posant sur la pochette n’est autre qu’un néo-nazi connu des services pénitenciers pour des faits de racisme… Tout cela suffit pour coller une réputation de nazis aux skinhead durablement malgré les efforts de beaucoup d’entre eux pour contester cette appartenance à l’extrême droite xénophobe. Cependant, certains skinheads sont effectivement séduits par certains partis tel le National Front. Ce boom médiatique va également amener des jeunes ultra nationalistes à s’identifier à ce qu’ils pensent être une nouvelle sous-culture ayant les mêmes idées qu’eux. Le contexte social de la Grande-Bretagne de Tchatcher agrave le phénomène et poussent des jeunes à se tourner vers des idéaux radicaux.
Aujourd’hui les skinhead orientés extrême droite sont surtout nombreux aux États-Unis. On pense qu’ils sont à peu près autant que les skinhead d’extrême gauche mais ils font plus parler d’eux car sont plus violents et radicaux : ils sont racistes, homophobes et souvent néo-nazis. Les skinheads se revendiquant de l’esprit original du mouvement et ceux anti-racistes refusent de les assimiler à leur mouvement et préfèrent les qualifier de « boneheads » (« crétin » en anglais). Les boneheads donc, s’habillent de jeans délavés et de treillis, ou bien carrément avec des vêtements paramilitaires. Ils ont le crâne rasé à blanc et portent souvent des emblèmes du IIIe Reich et autres symboles néo-nazis. Les lacets de leurs Doc Martens ou autres bottes paramilitaires sont blancs. Ils sont connus pour leurs faits d’une grande violence, commettant régulièrement des meurtres et des attentats. Dans chacun des pays où ils se trouvent, ce sont les partisans des partis les plus à droite de l’échiquier politique. Les skinheads anti-racistes sont quant à eux révoltés par l’image que donnent ces boneheads de leur culture. En réaction, ils se réunissent pour fonder des groupes basés sur l’anti-racisme tels que le SHARP ou SKAN (SkinHeads Against Racial Prejudice et SKins Against the Nazis). Le fait que beaucoup d’entre eux flirtent avec le communisme leur vaut le nom de « Redskins », originellement le nom d’un groupe affilié à l’extrême gauche. Actuellement, le RASH (Red and Anarchist Skinheads) est une véritable organisa-
tion politique. Les redskins sont antifas (anti-fascites activistes), mais les antifas ne sont pas systématiquement redskins. Ils sont moins violents mais tout aussi extrême dans leur vision de la politique que les boneheads, ceci dit, ils existent en grande partie dans une volonté de ne pas se laisser faire par les racistes et de ne pas se comporter en victime devant les nombreuses agressions par les boneheads. Du côté de l’habillement, les Redskins s’habillent sensiblement
«bonehead»
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de la même façon que les skinheads d’extrême droite à quelques différences près : les jeans levis restent brut, les lacets des bottes Doc Martens ou Ben Sherman sont rouges et l’ensemble de la tenue est moins militaire que celle de leurs ennemis. La culture skinhead outre-atlantique, principalement en Amérique du nord, a connu une évolution particulière : une branche de skinheads chrétiens existe aujourd’hui, principalement orientée vers la musique et la religion même si elle se déclare profondément antiraciste et contre le nazisme. Certains skinheads chrétiens sont des boneheads repentis, ayant trouvé le pardon dans la religion mais gardant leur culture skinhead.
pour le nazisme et des S.A qui eux même portaient un culte à la Grèce Antique, ce qui aide à mieux comprendre cette apparente contradiction que présente un skinhead nazi et ouvertement homosexuel. Il y a un autre phénomène, plus ou moins lié au gayskins dans la mesure où il ne concerne pas les questions culturelle ou politique du mouvement skinhead mais uniquement son aspect esthétique : il s’agit d’une sorte de fétichisme pour « l’uniforme » skinhead. La pornographie présente le jeune homme au crâne nu de la working class et reprend tous les éléments de son habillement sous un angle teinté de sadomasochisme étant donné la réputation violente et les vêtements paramilitaires des skinheads.
Comme dans toutes les mouvances, il y a des membres homosexuels qui se reconnaissent et s’identifient culturellement. Dans le cas des skinheads, cela à donné lieu à deux phénomènes distincts. Tout d’abord, les skinheads qui se reconnaissent skinhead comme leurs homologues hétérosexuels mais qui assument au grand jour leur orientation, sans se séparer du mouvement général comme le font les « gayskins ». En effet, certains boneheads homosexuels (tel que Nicky Crane fondateur du «GAS » Gay Aryan Skinheads) justifient leur sexualité dans la fascination
Les femmes quant à elles sont bien sûr présentes (en moindre nombre que les hommes) dans la culture skinhead. Dans la première vague skinhead qui a donné naissance aux branches actuelles, les filles s’habillaient de mini jupes, parfois écossaises, et du reste, comme les garçons. Leur coiffure est spécifique et se compose d’une frange et de cheveux longs devant et derrière et rasés sur le dessus et autour des oreilles. Leurs cheveux sont souvent décolorés ou à l’inverse teints en noir corbeau. Tout comme les hommes, elles arborent souvent tatouages et piercings. 83
La culture skinhead a connu bien des évolutions depuis sa naissance. Loin des branches politique ou religieuse, il existe encore de nombreuses personnes se reconnaissant dans l’esthétique et l’identité musicale skinhead. Elles se revendiquent comme « originaux », fidèles à l’esprit des années 1960. Hélas, ce sont de ces skinheads, les « vrais » autant que cela est possible de dire puisque par essence un mouvement est éphémère, qu’on entend le moins parler. Ils ne se font pas remarquer par des faits de violence ni de racisme ou d’anti-racisme puisqu’ils sont totalement apolitiques. Les boneheads et les redskins voient souvent ces « originaux » d’un mauvais oeil, dénonçant leur non engagement dans un camp ou un autre. Au niveau de l’habillement, le skinhead original a un côté plus « vintage » que paramilitaire. Il porte la veste Harrington et des chemises ou polos Fred Perry avec le classique jeans brut assorti de bottes doc Martens.
per popularisé au cours des années 1990 est parfois assimilé à la culture skin bien qu’il n’en partage que les codes vestimentaires et parfois la mauvaise réputation. Les gabbers s’habillent à peu près « comme » les skinheads, en plus sportif. La récupération par certains éléments d’extrême droite et les frasques de certains membres, une minorité, racistes et néo-nazies va donner une très mauvaise image du mouvement gabber jusqu’à l’essoufflement du phénomène de mode. Aujourd’hui, les gabbers sont un mouvement underground qui connaît un renouveau notamment en Allemagne. C’est un exemple qui montre que la culture skinhead a vécu assez longtemps et de manière assez forte pour marquer les esprits d’un imaginaire esthétique reconnaissable. La sous-culture skinhead est aujourd’hui suffisamment ancienne et ses codes sont assez généralement assimilés dans l’imaginaire collectif pour que la mode commence à s’en emparer, ainsi que les nouveaux mouvements de jeunes en quête d’inspiration. Car les jeunes ont bel et bien besoin des codes des aînés qu’ils rejettent pour créer à leur tour de nouveaux mouvements composés de nouveau codes… C’est le formidable cycle de la rébellion vers le phénomène de masse, sans quoi toute la création serait terriblement statique.
On peut dire aujourd’hui que la culture skinhead a fini de faire des petits malgré l’amalgame des médias concernant le rapprochement de certaines souscultures à cette mouvance. En effet, l’exemple des gabbers est intéressant : le mouvement naît à la fin des années 1980 aux Pays-Bas dans la scène techno hard core. Les gabbers, mouvement qui deviendra hy-
Photographie : Dereck Ridgers
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Lettre à Nina Mai 2015, Nina Hagen remonte sur scène, à Berlin, dans cette ville qui l’a vu grandir. C’est le début d’une tournée mondiale pour fêter ses 60 ans. Nina, c’est cette tornade de rébellion qui a marqué une génération, tant par sa musique, ses textes, sa personnalité, son style hors norme ou sa vie mouvementée. J’ai voulu écrire mon amour pour cette femme, cette artiste visionnaire et révolutionnaire.
Chère Nina, Nina, J’ai 20 ans, je suis née en France à la fin des années 1990. Le mur était déjà tombé, votre mur, ton mur. Celui qui t’as empêchée si cruellement de vivre tes rêves, celui qui t’as poussée à les réaliser, celui que tu as fini par franchir avant que ces derniers ne tombent avec lui. Non, tu n’as pas attendu qu’il s’effondre ce mur, pour aller voir ailleurs. Tu n’es pas qu’une Allemande de l’Est, même si tu l’es beaucoup, tu es bien d’autres choses Nina, seulement, cet esprit si singulier de rébellion poétique, il ne vient que de là bas. Je suis née en France et j’ai 20 ans en 2015, et toi, tu viens d’un endroit qui n’existe plus. Pourtant j’entends sans pouvoir la saisir la pensée de tes contemporains. Tu me fais sourire et m’émeus, comme si j’étais des vôtres, de cette jeunesse le cul entre une chaise rouge et un sofa bleu, pour laquelle l’avenir avait mille autres perspectives que celles que je donne au mien, en n’ayant pas ma liberté. La liberté, c’est ce qui te manquait le plus là-bas. Tu as bien cherché à la trouver ailleurs : tu chantais, vagabonde, pour un trip ou lit, en Pologne et ailleurs. Janis, Jim, Tina… dans l’illégalité tu leur rendais hommage; tes idoles : nos idoles. Tu vois, nous avons 40 ans d’écart chère Nina mais les mêmes âmes nous font vibrer. Tu es libre, tu es jeune, mais pas désespérément inconsciente, Nina. Alors avant qu’on ne t’arrête, tu t’arrêtes, et dans cette « foutue RDA » tu joues un temps les bonne filles pour le divertissement télévisuel. S’ils avaient su ce qui bouillonnait derrière cette mignonne frange brune… En fait, ils ont fini par le savoir ! Tant mieux. La liberté, tu l’aimes, la vie d’autant plus. À Londres tu croques les deux, plus que de raison. Là-bas Nina, tu vois les punks, tu les aimes, mais bon Dieu qu’ils sont cons avec leur « no future » ! Toi tu l’aimes la vie, tu sais qu’il y a un avenir pour les jeunes : « Future is Now ». Tu n’es pas nihiliste comme eux, mais tu les aimes, tu les inspires, tu les fascines et ils te respectent. Tu apprends d’eux et ils apprennent de toi, comme une mère et ses enfants. Tu étais une femme, tu es aussi maintenant et à jamais la mère des punks. « Mother of punk ». Quand je suis née, le punk était déjà mort, mais Nina, je sens ce que c’est d’être punk, parce que tu me le montres. C’est bien plus pour toi qu’une crise d’adolescence. Tu manies l’humour, l’esthétique, la provocation et l’auto-dérision pour emmerder les aînés. Mais tes textes et tes concerts sont bien plus qu’un manifeste révolutionnaire, ils sont la révolution Nina ! Ils sont le juste équilibre entre ce qu’il y a de plus laid et de plus beau. Peut-être faut-il être née dans cette bulle manichéenne qu’était Berlin en 1955 pour réussir un tel exploit. Car toi tu sais Nina, que le bien ce n’est pas l’Est ou l’Ouest. Pour toi c’est Dieu. Dieu, tu l’as vu, lors d’un voyage acide et tu ne le quitteras pas. Mon père athée est né en France, la même année que toi, le tien est juif et tu sera bouddhiste moins que protestante. Je n’ai pas de religion, mais tu vois, quand je t’écoute Nina, je sens le souffle sacré qui balaye ta musique. Je ne crois pas en Dieu, mais je crois en l’humain, en ce qu’il peut faire de meilleur, parce que des artistes tels que toi montrent à voir au commun des mortels qu’une sorte de magie existe bel et bien. Je crois qu’on appelle cela l’art. Nous avons tous en nous un peu de toi Nina, tu vénères un Dieu créateur mais les choses magnifiques que tu as créée tu les as puisées au fond de ton humanité. Je t’en remercie. Capucine
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RENCONTRE
SUPERTAPE
Depuis quelques années, l’engouement pour la musique techno est de plus en plus forte chez les jeunes. Les soirées techno et les clubs spécialisés fleurissent partout, et touchent un public sans cesse plus large. Nous nous sommes adressés à un jeune dj français installé à Berlin : Gabriel aka Supertape, pour nous en dire plus sur cet univers.
Yaouank : Quand Gabriel a-t-il donné naissance à Supertape ? Quelles ont d’abord été tes influences et vers quoi évolues-tu aujourd’hui ? Bonjour Yaouank ! Supertape existe depuis bientôt 6 ans, ce pseudonyme me vient d’une passion d’enfant pour les cassettes audio : je m’amusais à enregistrer tout et n’importe quoi à la radio, puis à couper et recoller les bandes pour créer des montages. Mes influences viennent principalement du hip-hop qui m’a ensuite amené à m’intéresser à la house. Aujourd’hui, avec la maturité et une certaine expérience des clubs à travers le monde, je puise mon inspiration dans la scène techno minimale allemande des années 2000 ou la très récente scène roumaine. J’aime aussi beaucoup le courant dub, qui a un son un peu plus profond et brut. Enfin, pour prendre position dans l’éternel débat Chicago ou Detroit, c’est ce dernier qui pour moi prend une place plus importante dans mes compositions. J’aime le côté froid des anciennes boites à rythme supportées par de grandes nappes de synthétiseurs, et la douce mélancolie qui s’en ressent.
Yaouank : Chez Yaouank, nous nous intéressons aux talents venus de l’Ouest… Que peuxtu nous dire de la scène de Nantes d’où tu viens ? La scène nantaise est très récente mais très active ! Avec l’apparition de nombreux collectifs, on a vu rapidement fleurir beaucoup d’évènements. Des passionnés travaillent dur pour offrir une programmation de qualité à la pointe de «l’underground». La ville de Nantes voit cela d’un bon oeil et a permit la mise en place des «Goûters Electroniques» en plein air, tous les dimanches de l’été, gratuits et accessibles à tous, qui permettent de faire découvrir à certains un monde jusque là inconnu et à d’autres de danser devant leurs artistes préférés.
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Yaouank : Quelle différence note-tu entre la scène techno française d’une ville comme Nantes par rapport à Paris ? La principale différence se situe dans le fait que Nantes propose un large panel de manifestation dans des lieux assez inadaptés, alors que Paris a déjà les infrastructures nécessaires. Avec l’arrivée de clubs comme Concrete ou Badaboum, la ville relève son niveau sur le plan international, il était temps ! Longtemps considérée comme une « ville morte » dans le milieu, il est bon de la voir changer, reste encore à trouver le mode de fonctionnement et le public adaptés…
Yaouank : Tu as beaucoup joué en Autriche à Vienne, qu’est-ce qui t’a amené là-bas ? Je suis arrivé en Autriche car j’ai une formation de danseur classique et j’ai travaillé quelques temps avec le ballet de l’opéra de Vienne. Le côté nuit s’est développé au fil des rencontres, et aussi car je suis arrivé l’année de l’ouverture du Pratersauna, un club avec lequel je travaillais et qui se classe maintenant dans le top 10 européen. Avec l’arrivée de salles comme le Grelle Forelle, Vienne s’est réellement dotée d’une influence sur la scène électronique.
Yaouank : Dans l’imaginaire commun, la danse symbolise un certain classicisme aux antipodes de la techno, cette particularité est-elle une force pour toi ? Penses-tu que ta sensibilité musicale s’est vu influencée par le monde de la danse ? La pratiques-tu encore aujourd’hui ? Je pense que c’est une force que je ressens principalement dans ma capacité à analyser les morceaux rapidement. Si la techno peut sonner comme un basique « boum tschak » pour certains, chaque morceau comprend différentes harmonies et un travail énorme sur le rythme. J’ai très vite été sensible à ça au contact de chorégraphes comme William Forsythe ou Jiri Kilian du Netherlands Dance Theater. Ce sont principalement des ballets néo-classique, d’avant garde, qui jouent sur le ressenti. Je pratique encore la danse aujourd’hui, mais plutôt en tant qu’enseignant.
Yaouank : Tu es maintenant installé à Berlin, depuis combien de temps ? Je suis installé à Berlin depuis 2 ans. La richesse de la scène mais aussi le rôle de la ville en tant que « capitale de la musique électronique » m’ont clairement poussé à m’y rendre. La plupart des Dj internationaux y ont élu domicile et il y est bien plus facile de travailler avec les producteurs en direct. Je travaille actuellement comme booker dans l’agence « Best Works ». Mon rôle est d’assurer la liaison entre les artistes et les clubs ou festivals. Des contrats jusqu’aux billets d’avion, hôtel, et management sur place, tout doit être prit en charge afin d’assurer au client une performance optimale et sans mauvaise surprise.
Yaouank : Quels clubs fréquente-tu à Berlin ? Dans la foule de clubs, mes préférences vont pour le légendaire Berghain et le Club der Visionäre. Au Berghain, tous les signes qui, à la fin des années 1990, ont fait rimer clubbing avec Ibiza sont bannis : pas de piscine, de brochette d’ananas, de canon a mousse, ni d’éclairage flash. Il est interdit de photographier et la foule qui s’y presse, souvent après 2 ou 3 heures de queue et un filtrage drastique à l’entrée, y est accueillie dans une grande salle sous 30 mètres de plafond. Le soundsystem se classe parmi les meilleurs au monde et le son est dur, froid et puissant. Les soirées s’étirent sur plusieurs jours et la programmation est extrêmement exigeante. Quant au Club der Visionäre, qui se trouve au bord d’un canal où il fait bon savourer l’été, on y croise souvent beaucoup de dj’s internationaux qui viennent se produire en total anonymat, pour le plaisir de retrouver un dancefloor à taille humaine, où la détente est de mise et où le temps semble s’arrêter.
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Chemise en jean noire et pantalon en cuir, COS
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Veste, All Saints T-shirt, perso Jeans, COS Baskets, Reebok
Yaouank : Crois-tu qu’il y ait actuellement de tous horizons à se tourner vers la
une mode poussant les jeunes techno ?
Il y a clairement un effet de mode, mais cela a du bon ! Si ce style de musique prend de l’ampleur, alors il sera plus facile de proposer des événements de qualité.. Plus de monde ne veut pas dire une meilleure ambiance, mais il faut savoir accueillir les plus jeunes désireux de découvrir ce style si particulier.
Yaouank : Quels sont tes rêves, tes projets ? Pour l’instant je travaille beaucoup sur mon propre label (Mile High Records), j’aime découvrir des talents et leur offrir une plus grande visibilité. Le projet fonctionne bien et j’espère que cela va continuer. Je milite activement pour la sauvegarde du support vinyle et j’aimerais que ce moyen d’écoute soit un jour apprécié à sa juste valeur...
Yaouank : Merci pour tes réponses, nous te souhaitons le meilleur pour le futur.
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Berghain map
Col roulé noir, Royal Cashmere Jeans, COS
Photographe : Nicolas Belom Modèle et danseur : Gabriel Styliste : Capucine Bonsart
RĂŞveurs
C’est communément depuis la Renaissance que l’on peut observer à quel point le renouveau - social ou artistique - commence par un retour à des sources d’inspiration anciennes. C’est en se nourrissant de ce que le passé nous apprend de meilleur et de pire que l’on peut dénoncer les maux du présent et construire l’avenir. On observe ce modèle auprès des mouvements de jeunes qui élèvent leurs voix contre la société de leurs ainés. Depuis que l’adolescent ne se définit plus seulement comme un adulte en devenir mais comme un acteur à part entière de son temps, il s’émancipe de ses parents afin de forger sa propre identité. Mais ceci passe par l’apprentissage du passé afin d’en garder le meilleur et de l’amener plus loin. Un mouvement contestataire n’est pas un effet de mode futile, c’est ce qui fait avancer la société. Par définition, si il n’y a pas de mouvement, on reste statique, immobile. Les seules personnes rêvant d’une société statique sont les dictateurs. À l’échelle de l’Humanité, un Hitler dont la défaite à imposer son idéologie constituerait la fin du monde, et le succès la fin de l’Histoire. À l’échelle de la mode, une dictatrice du style telle Gabrielle Chanel qui considère être l’apothéose de la mode, inatteignable, insurpassable. Est-ce aimer l’homme que lui ôter toute liberté, essence même de son existence ? Est-ce aimer la mode que de vouloir supprimer le cycle des tendances qui la fait changer, évoluer ? Le progrès a toujours son lot de conséquences néfastes, mais il est indispensable à l’Homme pour s’améliorer. La jeunesse tient en elle les clefs du progrès et doit continuer de se rebeller, de créer, de faire bouger les choses pour que l’humain continue d’avancer. Tant que l’Homme se remettra en cause il pourra progresser, tant que de nouveaux mouvements naîtront du rejet des précédents la culture progressera, et suivront les arts, la musique, le cinéma, la mode… De ces mouvements culturels naissent des sous cultures, dans lesquelles des groupes de personnes sensibles à l’art, la musique, la mode, s’identifient à un certain courant de pensée et à une certaine esthétique. Ils créent leur propre style vestimentaire, leur propre mode de vie, souvent autour d’un genre musical. Photographe : Fabio Piemonte Stylistes : Guillaume Barrau, Capucine Bonsart
Modèles : Laurène, Adrien, Jordan, Quentin Maquilleuse : Noemie He Zixuan
Depuis quelques années, on a pu observer l’émergence d’une multitude de sous cultures. Aujourd’hui, l’engouement pour la musique électronique n’en fini pas de réunir des armées de jeunes dans les clubs européens. Le style vestimentaire qui semble commun à cette sous culture tire ses racines d’une diversité d’autres sous cultures d’époques antérieures. L’uniforme des « techno kids » d’aujourd’hui est un mélange de celui des clubkids, new wavers, post punks, minimalistes, dark wavers, goth kids ou encore des new romantics d’hier, mais ce sont aussi les enfants qui ont grandi avec des références telles que La Famille Addams, les films de Tim Burton, Harry Potter, Darla, les Spice Girls, les séries américaines, le R’nB… Autant d’influences qui appartiennent a leur passé mais dont ils se réapproprient les codes à leur guise avec auto-dérision et humour. Si les puristes de la musique techno ont tendance à voir d’un mauvais oeil cet engouement nouveau pour leur passion de la part de jeunes qui commencent à tous se ressembler, bien loin de l’underground du début, il est important de prendre du recul et de se rappeler qu’à chaque époque, un style vestimentaire rattachée à un genre musical à toujours fini par devenir commercial. Bien vite cette sous culture sera bousculée par une autre qui se voudra et sera anticommerciale, tout comme les précédentes, et les amateurs de techno vivront de nouveau en relative paix… Mais en appartenant à un groupe, ces jeunes auront aiguisé leur sens de l’art, diversifié leurs goûts musicaux, rencontré de nouveaux amis, voyagé, célébré leur identité… aussi, grâce à ce mouvement, de nouveaux lieux de fête auront vu le jour, faisant face à la demande; l’industrie de la mode aura pu puiser de nouvelles idées venant de la rue, et les artistes auront gagné un nouveau public. Autant de choses essentielles à la richesse culturelle sans cesse renouvelée d’une jeunesse toujours insatisfaite.
Merveilleusement insatisfaite.
Robe, COS Pantalon, Lanvin
Manteau, Lanvin Haut en rĂŠsille, eBay
Collier, eBay Chemise et pantalon, &Other Stories
Lui : Robe, COS Pantalon, Lanvin Elle : Body, eBay Jupe, American Apparel
Col roulé blanc, Zara Col roulé noir, Dior Jeans, Levis
Bomber vintage Jupe culotte, COS Chaussette, Adidas Chaussures, Buffalo Droite : Body, eBay Jupe, American Apparel
Adrien : Robe en rĂŠsille, H&M
LA MORT DANS L’ÂME Douce utopie d’une nouvelle ère pour le magazine de mode
Yaouank est un tout nouveau magazine. Et comme tous les jeunes il se rebelle, veut savoir d’où il vient, remet tout en question, s’inquiète pour son avenir…
La question de la publicité Justement, ce sont les annonceurs qui font vivre les magazines, mais si ceux-ci se vendent moins et sont donc moins visibles, les marques se détournent et cherchent d’autres moyen de diffusion. On observe en effet que beaucoup de marques deviennent elles-mêmes des supports et s’offrent non plus des pages de publicité mais des journalistes, blogueurs, stylistes… Au-delà de la mode, on observe cette tendance chez beaucoup de firmes, notamment Red Bull qui finance des événements et en assure la couverture médiatique, se garantissant une publicité énorme. Chaque marque réfléchit plus que jamais à son identité, à l’imaginaire qu’elle veut véhiculer et aux services qu’elle veut rendre au delà de ses produits. En même temps, les responsables, au sein des marques, chargés de vendre les produits, recherchent l’efficacité maximale de leurs actions, et la mesurent : taux de clics, visites sur leur site commercial, prises de commandes,... La publicité papier générale dans des magazines a donc des inquiétudes à avoir.
Le XXIe siècle a connu l’essor de ce qui a été l’une des révolutions les plus importantes de l’Histoire de l’Homme : Internet. Apparaissant comme nouveau média donnant la capacité à chaque personne y ayant accès de s’exprimer sur tous les sujets, de créer, de partager, de communiquer, de s’informer, de travailler, de jouer, de se cultiver et bien d’autres choses, internet a accéléré considérablement la mondialisation et a ébranlé nombre de secteurs et notamment les médias de masse. La télévision, la radio, et surtout la presse se sont vu malmenées par le déferlement des ordinateurs dans les foyers. Ces médias doivent donc faire face à l’essor du numérique et de nouvelles problématiques doivent être envisagées. C’est sur le cas de la presse et plus précisément des magazines de mode que nous allons nous pencher. Si le magazine de mode est le secteur de la presse qui est le moins affecté par l’arrivée du numérique, son devenir doit quand même soulever des interrogations. Quel avenir pour Vogue, Elle, i-D et compagnie ? Trois points de vue sur la question sont à distinguer pour pouvoir apporter des éléments de réponse.
L’avenir : le numérique Si les annonceurs délaissent le papier, l’unique salut possible du magazine de mode réside-t-il dans des alternatives numériques ? En effet, la multitude de supports technologiques offre de nouvelles opportunités non négligeables par les magazines de mode. Priver une génération née avec internet, vivant au quotidien avec smartphones, tablettes et ordinateurs, des possibilités graphiques et interactives que ces objets numériques offrent serait nier que l’avenir réside dans la capacité de l’homme à utiliser la technologie.
Un point de vue optimiste Tout d’abord, pour certains, l’expérience d’une photo de mode en digital n’égalera jamais la qualité du papier. Or, pour beaucoup de lecteurs, les shootings sont plus importants que les éditoriaux dans les magazines de mode car c’est justement la spécificité de ce genre de magazine. De plus, les annonceurs qui permettent de financer les magazines observeraient que les publicités de luxe par exemple, ont plus d’effet sur les clients potentiels lorsque qu’elles apparaissent sur un papier glacé. Les annonces de luxe seraient donc inconsciemment associées au papier brillant du magazine de mode.
Il apparait alors clairement que les magazines de mode qui veulent durer ont intérêt à se tourner vers le numérique. Mais numérique ou papier, ce qui nous intéresse vraiment est de savoir si le magazine de mode, quel que soit le support sur lequel on le consulte, va continuer à exister. Les journalistes de mode tels que
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nous les connaissons aujourd’hui laisseront-ils un jour uniquement place au passionné lambda qui partage sa vision de la mode sur des supports comme Instagram, Tumblr ou Pinterest ? Tout comme le citoyen qui ferme son journal et allume son ordinateur pour lire les programmes des leaders politiques afin de se forger sa propre opinion, ou comme le téléspectateur qui va préférer pouvoir regarder n’importe quel film plutôt qu’une émission de télé réalité, le lecteur de magazine de mode va-t-il un jour prendre son ipad pour se renseigner lui-même sur les tendances, les styles, les défilés plutôt que d’acheter « le dernier haut à la mode » conseillé par une journaliste qui elle-même ne le porte plus depuis 6 mois ? Chez Yaouank nous aimons la mode, nous célébrons la mode, et c’est pourquoi nous invitons ceux qui la chérissent autant que nous d’enrichir cette communauté présente sur internet qui partage, créé, s’inspire en total liberté, loin des blogueurs corrompus, des pages modes sponsorisés et des dictateurs de la tendance.
Chers lecteurs, chères lectrices, la mode ne mérite-t-elle pas mieux ?
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MER À toutes les personnes qui ont collaboré à la création de ce numéro.
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RCI Photographie : Fabio Piemonte, David Godichaud, David Chicheportiche, Nicolas Belhomme Stylisme : Capucine Bonsart, Guillaume Barrau, Fay, Eugénie Devos Maquillage/coiffure : Noemie Zihuan, Éléonore Mixay, Modeles : Ariel, Gabriel, Adrien, Hector, Laurène, Sharon, Joseph, Jordan, Quentin, Lilla Rédaction et mise en page : Capucine Bonsart
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