Au-delà des mots / Beyond Words ( Édition française / French edition) par Swami Satchidananda

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Au-delĂ des mots

Sri Swami Satchidananda Couverture et illustrations de Peter Max



Au-delĂ des mots


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Au-delà des mots

par

Sri Swami Satchidananda Traduction de Lester (Sukarta) Alexander Couverture et illustrations de Peter Max

Integral Yoga® Publications, Yogaville®, Buckingham, Virginia


Satchidananda, Swami Au-delà des mots (Traduction de Beyong Words) ISBN 978-0-932040-37-4 ®

Integral Yoga Publications edition: 2012 Copyright © 2012 by Satchidananda Ashram–Yogaville® Inc. Dessins ©1977 by Peter Max Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. Toute reproduction ou représentation intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce soit, des pages publiées dans Ie present ouvrage, faite sans I’autorisation de I’éditeur, est illicite et constitue une contrefaçon. Seules sont autorisées, d’une part, les reproductions strictement réservées à I’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, les courtes citations justifiées par Ie caractère spirituel ou d’information de I’œuvre dans laquelle elles sont incorporées

La couverture est tirée d’une sérigraphie de Peter Max intitulée “Swamiji” (1971). Les dessins qui illustrent ce livre, inspirés par Swami Satchidananda et ses enseignements, sont une gracieuseté de Peter Max. Certains sont reproduits grandeur nature, d’autres ont dû être réduits, en entier ou en partie, à partir de dessins plus grands ou de sérigraphies tirées en édition limitée. Ces dessins furent créés entre 1966 et 1977.

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Integral Yoga Publications Satchidananda Ashram–Yogaville Buckingham, Virginia, 23921, USA www.integralyoga.org


Préface

Ce livre est un assemblage qui réunit les transcriptions des nombreuses conférences données par Swami Satchidananda pendant la décennie 1966-1976. Mon intention a été de présenter l’essence des enseignements de Swamiji dans le style le plus clair possible, sans nuire au sens de ce qu’il a voulu dire, ni gommer sa personnalité. Lorsque c’était nécessaire, j’ai reconstitué et parfois reformulé certaines de ses paroles. Swamiji donnait si souvent des conférences, à des audiences sans cesse renouvelées, qu’il répétait volontiers des anecdotes ou pensées qu’il affectionnait. S’il leur conservait généralement la même idée de base, il lui arrivait de leur donner une saveur différente selon l’occasion. J’ai choisi de présenter un bon nombre de ces “classiques”, en associant parfois plusieurs de leurs variantes pour aboutir à la version que j’en propose ici. Ce livre ne représente en aucune façon l’ensemble de l’enseignement de Swamiji. Les personnes qui désirent approcher son œuvre plus en profondeur peuvent s’adresser à tous les Integral Yoga Institutes, ou bien à Satchidananda Ashram–Yogaville. Je voudrais remercier : Jennifer Josephy, qui s’est occupée de l’édition de mon livre chez Holt, Rinehart et Winston, pour l’intense soutien et la dense attention qu’elle m’a apportés pendant des semaines; Swami Hamsananda, pour avoir dactylographié un grand nombre des transcriptions originales à partir desquelles j’ai travaillé; Swami Vidyananda, pour avoir révisé avec amour notre première ébauche; Peter (Atman) Max, pour les dessins qui accompagnent si parfaitement les mots; Victor (Arjuna) Zurbel, pour la maquette qui en fait un si bel ensemble, et pour son dévouement, qui m’a inspiré; et Patricia (Meera) Kerr, ainsi que ma famille et mes amis, pour leur amour et leur soutien. J’ai reçu de Swamiji le nom de Sukarta, qui veut dire “celui qui entreprend de nobles tâches et de bonnes actions”, et en lui offrant ce livre je veux


le remercier d’avoir apporté tant de paix, d’amour, de bonheur, et de satisfactions dans la vie de tant de gens.

Lester (Sukarta) Alexander New York City


Avant-propos La vérité absolue est au-delà de ce que nous pouvons dire ou écrire avec des mots, et dépasse aussi ce que notre esprit, confiné dans ses limites, peut nous permettre de simplement appréhender. Cependant, même pour dire que la Vérité est au-delà des mots, nous devons avoir recours à ceux-ci! J’espère donc sincèrement que mes humbles propos encourageront le lecteur à aller au-delà des mots, pour saisir en l’esprit. je voudrais sincèrement remercier Lester (Sukarta) Alexander, pour l’effort dévoué et inspiré qu’il a engagé pour la conception, l’édition et la réalisation de ce livre, ainsi que Victor (Arjuna) Zurbel et Peter (Atman) Max pour la beauté de la mise en page et des dessins. J’espère que de nombreux lecteurs bénéficieront des enseignements sur le Yoga contenus dans ce livre, qui sont à la fois simples et essentiels. Swami Satchidananda Pomfret Center, Connecticut August 1976



La paix et la joie sont notre but


La paix et la joie sont notre but. Nous ne faisons rien qui ne tende vers elles. Tout le monde n’a pas la foi en un Dieu. Mais le Dieu véritable, le Dieu absolu, le Dieu cosmique que chacun recherche n’est autre que cette paix et cette joie. C’est ce que tout le monde souhaite atteindre. Même le soi-disant incroyant ou athée, qui se borne à faire comme si l’Église n’existait pas, et peut même aller jusqu’à brûler un temple, recherche lui aussi une certaine paix et une certaine joie. Seulement il pense, lui, que c’est par de tels actes qu’il va les obtenir. Si on me demande « quelle est votre philosophie, ou votre Dieu? », je réponds : « La Paix est mon Dieu. » Si on me demande « où estIl? », je réponds : « Il est en moi et Il est partout. Tout en Lui n’est que paix et sérénité. C’est en chacun de nous qu’il nous faut ressentir et expérimenter Sa présence. » Perturber votre propre paix, c’est nier ce Dieu qui est en vous. L’argent, la drogue, les honneurs, ou tout ce qui peut vous promettre une paix venant de l’extérieur, tout cela s’évanouira un jour. Rien d’extérieur à vous ne peut vous donner la paix, car la paix est là, en vous, en permanence. 2


Il existe une variété particulière de cerf sur lequel on prélève le musc utilisé en parfumerie. Or cet animal passe sa vie à rechercher la source de cette odeur. Il ne se rend pas compte qu’elle vient de lui, qu’elle est en lui. Nous agissons comme ce cerf quand nous allons et venons en quête d’une paix qui est déjà présente en nous. Nous sommes la personnification même de la paix et du bonheur, et nous partons à leur recherche dès que nous en ressentons le manque. Dans tout ce que nous entreprenons, nous sommes à la recherche de ce bonheur. Quelqu’un peut-il jamais dire : « J’agis comme je le fais parce que je souhaite être malheureux. »? Non. Même un homme qui songe au suicide recherche le bonheur, pensant l’atteindre après avoir mis ainsi un terme à son malheur. Ce bonheur, il est prêt à le payer de sa vie. Dieu Lui-même se présenterait-il à moi d’une manière qui m’ôte ma paix, je Lui dirais : « Éloigne-Toi, je ne veux pas de Toi. Ma paix m’importe davantage que Toi. » C’est ainsi que vous devez privilégier votre but. Vous ne devez laisser aucun obstacle vous en détourner. Quand vous aurez atteint ce but, tout le reste viendra de lui-même et vous le recevrez, que vous le vouliez ou non. Jamais je n’ai souhaité, pour ma part, avoir des ashrams et des disciples; jamais je n’ai cherché à devenir quelqu’un de connu. J’ai même tenté d’échapper à toutes ces choses, qui se sont alors lancées à ma poursuite. La célébrité, les honneurs, les louanges, et les blâmes aussi d’ailleurs, peuvent passer comme les nuages dans le ciel. Mais souvenez-vous que le soleil brille à jamais derrière tout cela.

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Ne vous laissez pas affecter par les circonstances. Restez simple et humble. Examinez bien ce qui peut se présenter à vous; voyez si c’est quelque chose qui vous permet d’avancer plus rapidement vers votre but. Si oui, acceptez cette aide. Sinon, répondez : « Non, pour l’instant ça ne m’intéresse pas. »

Un roi décida un jour de mettre ses ministres à l’épreuve. Il leur demanda de rassembler dans ses jardins, en une vaste exposition, un grand choix des objets les plus extraordinairement beaux et précieux parmi ses possessions. Au milieu, ils placèrent un trône, d’où le Roi annonça : « À partir de maintenant et jusqu’au coucher du soleil, chacun peut venir dans ce parc et y prendre ce qu’il veut. » Tout le monde accourut, et chacun s’empara de quelque chose. Il était cependant entendu qu’on ne devait pas quitter le parc tant que le Roi n’en avait pas donné l’autorisation. Il fallait rester sur place en attendant. Pendant que tous ces gens étaient en train de faire leur choix, arriva une paysanne. Chacun s’intéressa à voir ce qu’elle allait choisir. Elle se dirigea vers le roi et lui dit : « Sire, j’ai entendu votre offre. Êtes-vous vraiment prêt à faire don de tout ce qui se trouve à l’intérieur de ce parc? —Oui, pourquoi me poses-tu cette question? —Je voulais en être bien sûre. —Fais donc ton choix. —Eh bien, Sire, c’est vous que je veux. » Ces paroles choquèrent tout le monde. « Comment ose-t-elle? » Mais le roi dit : « je suis moi aussi dans l’enceinte de ce jardin. Tous, vous avez cherché à me prendre mes biens, mais elle, c’est moi qu’elle a choisi. Soit! je t’appartiens donc désormais, ainsi que toutes mes possessions. » 4


Telle devrait être notre conduite vis-à-vis de notre paix intérieure : aller droit vers elle, en renonçant à nous satisfaire des miettes dérisoires que nous pourrions grignoter çà et là. Faites en sorte de vouloir la pleine mesure de ce que vous désirez, et pas moins. Alors vous obtiendrez tout. En vous-même il existe des parcs magnifiques, des palais, de la musique. Tout cela vous attend, alors pourquoi aller les chercher à l’extérieur? Le Cosmos tout entier est au-dedans de nous-mêmes.

Si vous n’avez pas la paix en vous, vous ne la trouverez pas au-dehors. Un homme d’affaires était un jour en conversation très sérieuse avec un ami, quand son jeune fils vint déranger leur entretien. Apercevant une carte du monde le père eut l’idée, pour occuper l’enfant, de découper celle-ci en fragments qu’il lui tendit en disant : « Mon fils, peux-tu s’il te plaît réassembler tout ceci pour former à nouveau le monde? » C’était un enfant très doué. Il dit : « D’accord, je vais essayer. » 5


Il était en fait bien jeune pour avoir suffisamment la notion de la géographie mondiale, mais il retourna par accident l’un des morceaux de carton, et aperçut sur l’envers un nez. Retournant d’autres pièces du puzzle, il trouva ici une main, là une jambe, puis un pied. Très vite il eut retourné toutes les pièces, et elles représentaient toutes différentes parties du corps humain. Il n’eut aucune difficulté à réassembler l’image de ce corps, après quoi il fixa tous les fragments ensemble pour pouvoir retourner le tout d’un seul tenant. Tout excité, il revint en courant montrer cela à son père. Celui-ci, étonné, lui demanda comment il s’y était pris. « Oh, mais ça été très facile, Papa. – Comment cela, le monde était en petits morceaux, et tu dis qu’il a été très facile de le remettre en ordre? Comment as-tu fait? —Eh bien, Papa, j’ai mis chaque pièce à l’envers et j’y ai vu différentes parties du corps humain, alors je les ai toutes remises à leur place, et le monde s’est retrouvé en ordre. »

Il en va de même dans la vie réelle. Si l’on veut que le monde tienne ensemble, il faut commencer par rassembler l’homme. Si l’on veut voir la paix se manifester dans le monde extérieur, il faut d’abord veiller à l’instaurer dans son propre esprit. Si l’on veut voir le monde se libérer de la convoitise, de la haine, de la jalousie, il faut commencer par chasser ces sentiments de son esprit. Tant que votre esprit sera troublé, vous percevrez ce qui est troublé dans le monde environnant. Rassemblez 6


donc l’homme d’abord, et du même coup vous aiderez le monde à retrouver sa cohésion. Trouvez la paix en vous-même, pour pouvoir ensuite en aider d’autres à réaliser la leur. Il n’y a rien d’égoïste à cela, car vous vous préparez ainsi à servir. Un rasoir doit être aiguisé avant de pouvoir être utile à quelque chose. Cet affûtage, pour quelqu’un de pressé, peut sembler être une perte de temps, mais essayez donc de vous raser avec une lame émoussée, et vous vous ôterez plus de peau que de barbe. La préparation est nécessaire pour servir. Supposez par exemple qu’une maison ait pris feu, et que justement quelqu’un passe sur la route avec un bidon plein... d’essence. Il voit le feu, se dit : « La maison va brûler! Je n’ai pas le temps d’aller chercher un seau d’eau, alors je verse ce que j’ai sur les flammes! » Je dis qu’en pareil cas, mieux vaut ne pas vous approcher du feu. Vous n’êtes pas prêt. Si vous n’avez pas le temps d’aller chercher un seau d’eau, restez à distance. Si vous voulez servir les autres, rendez-vous d’abord apte à fournir un tel service, en trouvant votre propre paix.

Si vous avez laissé une perturbation extérieure vous atteindre, ditesvous bien que c’est vous qui êtes la cause de votre trouble. En présence de dix personnes bouleversées, si vous l’êtes à votre tour, c’est que vous n’aurez pas été d’un grand secours pour tout ce monde, et vous aurez seulement augmenté d’une unité le nombre des personnes affectées. Mais si vous avez conservé votre paix intérieure, vous allez pouvoir essayer de faire retrouver la paix à quelqu’un d’autre, et ainsi les dix 7


ne seront plus que neuf. A vous deux, vous pourrez alors en aider deux autres : le total ne sera plus que de sept. Ne croyez pas que je vous conseille de rester assis, bien tranquille, à ne rien faire. Dans ce cas j’aurais tout aussi bien pu, quant à moi, rester pour toujours dans quelque caverne du fin fond des Himalayas. Agissez, mais sans que votre paix vous déserte. La Bhagavad Gîta, un vieux livre saint yogique, nous dit de « voir l’inaction dans l’action, et l’action dans l’inaction ». Si une part de vous-même est fermement enracinée dans votre paix, alors vous pouvez engager le reste dans une action qui contribue au bien de l’humanité.

Votre premier devoir est de trouver votre propre paix intérieure. Si vous vous enracinez bien dans celle-ci et qu’ensuite vous proposez votre aide, soyez sûr que vous ferez progresser la paix. Mais sans cela vous ne ferez que placer des obstacles supplémentaires sur son chemin. La violence ne peut mettre un terme à la violence. La violence à elle seule ne peut jamais faire vraiment gagner une guerre. Il faut qu’un changement s’opère dans les esprits. Une victoire par la violence signifie simplement que vous avez neutralisé votre ennemi. Mais il demeure votre ennemi et la paix n’est que temporaire. Vous avez recouvert le feu et pour le moment on ne le voit plus, mais en dessous il couve encore et les flammes reprendront un jour. Lorsque vous gagnez une guerre par votre puissance, votre ennemi adopte simplement une position de repli et attend une occasion de 8


prendre sa revanche. Vous avez remporté la victoire sur l’ennemi sans avoir gagné son cœur. Or la vraie victoire est celle qui vous gagne les cœurs, et pas simplement des territoires, ou le pouvoir politique. Ce que vous dit le Yoga, c’est que vos pensées, quand elles sont emplies de paix, ne restent pas sans conséquences. Ce que nous essayons de faire au nom du Yoga, c’est de concentrer l’esprit, et d’émettre des vibrations pacifiques. Une pensée sincère est capable de parcourir le monde entier. Elle surpasse les bombes atomiques et autres missiles.

Même si vous ne croyez ni à Dieu ni à la prière, vous pouvez vous asseoir et dire ces paroles : « Que vienne la paix. Qu’un changement survienne dans l’esprit de ceux qui veulent la guerre. » Nous croyons à la force de la pensée. C’est d’ailleurs cette même force de la pensée qui crée la guerre. Rappelez-vous bien cela. C’est l’esprit humain qui crée toutes ces bombes et toutes ces guerres. S’il vous faut une guerre malgré tout, attaquez-vous aux pensées indésirables plutôt qu’à une nation ou à un peuple. Et la stratégie, dans une telle guerre, consiste à émettre des pensées qui soient belles. Transformez chacune de vos pensées en un puissant missile anti-missiles. Tranquillement assis, vous pouvez envoyer des pensées puissantes et emplies de paix. Je ne plaisante pas – c’est parfaitement possible. Même une minute a sa valeur si elle se passe en paix. Ne vous dites pas : « Comment pouvons-nous être tranquillement assis et penser à la paix, alors que nos frères meurent? » Ce monde délirant est malgré tout quelque peu stabilisé par le fait qu’il y a tous les jours des gens qui passent quelques minutes en méditation. Sachez-le. 9


Ne croyez surtout pas pouvoir améliorer la situation en menaçant du poing, en lançant des bombes ou en criant des slogans. Agissez de façon non-violente. Ne blessez personne, ne haïssez personne. Tant qu’il y a de la haine dans votre esprit, vous n’êtes pas qualifié pour parler de paix Combien y a-t-il eu de grands Empereurs? Qu’en est-il resté? Certains ont leurs noms dans les livres d’histoire. D’autres n’y figurent même pas! Mais le monde oubliera-t-il jamais ces grands Empereurs spirituels que furent Jésus et Bouddha? Ceux-là ont remporté des victoires sur les coeurs, sans autre arme que le pouvoir des pensées pacifiques. Si nous sentons que le monde entier nous appartient, comment une guerre pourrait-elle se produire? Nous sommes contre le mal, pas contre ceux qui font le mal. Émettons donc des vibrations dont la beauté fasse fuir toutes les pensées méprisables. Tel est le but du Yoga.

Nous nous acharnons tellement à travailler pour des plaisirs éphémères. Imaginez que vous faites l’ascension du Mont Everest. Représentezvous la quantité d’argent et d’énergie que cela va vous demander! Vous montez, vous montez, afin de pouvoir dire, une fois arrivé au sommet : « J’ai conquis cela. » Il n’y a pas même là un témoin qui puisse vous entendre prononcer ces paroles. Vous ne pouvez que vous les dire à vous-même. Alors pourquoi n’iriez-vous pas aussi bien vous asseoir sur le canapé de votre salon pour vous dire : « J’ai tout conquis »? Personne ne mettra cela en doute. 10


Admettons tout de même que vous ayez conquis le Mont Everest. Pouvezvous vous construire une maison à cet endroit? Ou même simplement vous y faire une tasse de café? Non. Vous avez juste le temps de jeter un regard circulaire, et il faut repartir aussitôt. Voilà ce que j’appelle une joie momentanée. Je ne cherche pas à critiquer ou à condamner cette joie, mais j’essaie seulement de montrer ce qu’elle nous coûte, combien d’efforts nous avons à fournir, combien de préparatifs il nous faut mettre en oeuvre, combien d’années de travail tout cela nous demande. C’est bien pour conquérir un sommet que nous sommes ici, mais quel est son nom? « Ever-rest! »* Voilà un sommet dont il n’est pas nécessaire de redescendre après en avoir fait l’ascension. C’est toute la différence entre cet « Ever-rest »-Ià et le Mont Everest. Quand on a atteint l’endroit où réside Dieu, autrement dit le lieu où règne la paix, on ne le quitte plus jamais.

* »Ever-rest » signifie en anglais : « Paix Éternelle ». (N. d. T.)

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Nous cherchons tous à nous distraire, pensant y trouver un « plus ». Mais qu’est-ce qu’un « plus », sinon un « moins » barré d’un trait? Un pendule qui oscille dans un sens « plus », puis dans un sens , « moins » ne s’immobilisera jamais du côté « plus ». Il ne peut aller dans un sens sans aller dans l’autre. Quand vous allez dans le sens de la distraction, vous ne pouvez éviter d’aller aussi vers son opposé, en étant ainsi pris dans un mouvement incessant de balançoire. Mais ce n’est pas pour vous déplaire, vous vous dites que « ça swingue » pour vous. La loi de la nature dit qu’une oscillation amplifiée dans un sens doit s’amplifier dans l’autre aussi. Le monde est lassé de cette sorte d’amusement. Non pas que je cherche à vous interdire de « swinguer ». Allez-y, mais regardez au moins ce qui se passe à l’autre bout du fil du pendule. Là, ça ne bouge pas. Le sommet du pendule est attaché à un point central et y demeure immobile, en étant bien articulé dessus; c’est cela qui vous permet de vous balancer. Bien sûr vous pouvez prendre plaisir au mouvement. Notre propos n’est pas de vous dire : « Fuyez toute distraction. N’allez jamais à Miami ou Las Vegas ». Allez-y. Prenez du bon temps. Mais pouvez-vous le faire sans porter atteinte à votre paix? Si oui, tout est bien. C’est une action yogique parce qu’elle est accomplie sans qu’on perde de vue le centre. Si vous restez centré, vous pouvez vous divertir et y prendre vraiment plaisir. Beaucoup d’entre nous mènent une vie qui est dispersée au lieu d’être centrée. Représentons-nous debout sur une immense plaque tournante, en rotation rapide. Plus nous sommes éloignés de son centre et plus il nous est difficile de nous maintenir en équilibre. Mais où devons-nous donc aller si nous voulons rester sur cette roue et être en paix? En son centre même. La vraie félicité suppose qu’on parvienne à conserver l’égalité d’humeur partout, à tout moment et en toutes circonstances, pas seulement donc dans une église ou une synagogue, mais même sur Time Square à New York, ou au milieu d’un champ de bataille. A quoi cela vous sert-il de 12


fermer les yeux et de vous asseoir en posture de méditation, si vous devenez inutile dès l’instant où vous rouvrez les yeux? Le véritable Yoga est l’équanimité, la psychologie et la spiritualité appliquées. Ne laissez pas une perte vous déprimer, pas plus que vous ne laisserez le profit vous monter à la tête. Dans cette vie nous avons constamment à faire face à des hauts et des bas, à des plaisirs et à des douleurs, à l’amitié et à l’hostilité. Certains chantent vos louanges, d’autres vous maudissent. Nous sommes constamment ballottés entre les opposés.

Si vous voyez Dieu sur le visage d’un bébé, c’est parce que celui-ci a l’esprit calme, pur et tranquille. Un bébé fera des sourires aussi bien à l’ennemi mortel qu’au proche parent. Il s’amusera aussi bien d’un morceau de journal que d’un billet de banque, et aussi bien avec de l’argile qu’avec de l’or. Pour lui, il n’y a pas de différence entre l’argile et l’or, entre l’ami et l’ennemi, entre le pauvre et le riche, ou entre un profit et une perte. Le monde est un grand mélange. Tout ce qui a un côté droit a aussi un côté gauche. Là où vous voyez du positif, le négatif est aussi présent. Nulle part vous ne pouvez tracer une ligne et dire : « De ce côté-ci tout est bon, et de ce côté-là tout est mauvais. » Si vous ne souhaitez pas avoir d’aile gauche, il n’y a pas de raison pour que vous ayez une aile droite non plus. Mais du moment que vous avez l’aile droite, vous pouvez être sûr d’avoir la gauche aussi. Voilà pourquoi nous vous disons de ne privilégier ni la droite ni la gauche, mais de vous situer au centre. C’est en suivant la voie du milieu que l’on trouve la paix. 13


La gauche comme la droite ne présentent cependant aucun inconvénient, pourvu qu’on se situe au milieu, et qu’on en fasse l’usage qui convient. C’est à peu près comme les rames d’un bateau : les deux sont indispensables. Si vous ne ramez que d’un côté, vous tournerez en rond. Tous les individus ont leurs bons et leurs mauvais côtés. Même l’homme soi-disant absolument parfait a quelque part une petite faiblesse, sans quoi il ne serait pas présent ici dans ce monde. Ce minuscule pourcentage d’imperfection est l’ancre qui le retient ici. Il s’est trouvé en quelque sorte accroché. S’il avait été bon à cent pour cent, il n’y aurait plus aucun lien et il s’envolerait.

Ne vous souciez plus d’aller à tel endroit, puis tel autre, pour faire telle expérience, et puis encore telle autre. Soyez simplement où vous êtes. Profitez des trésors que recèle l’instant présent. Faites ce que vous êtes à même de faire. Vous n’êtes pas en route vers « quelque part »; vous ne revenez pas non plus d’un « ailleurs ». Nous sommes là où nous sommes déjà, et pas en train de partir ni d’arriver. Chaque chose représente une expérience, alors expérimentez-la comme telle. Quand vous mangez, faites l’expérience de ce que vous mangez; quand vous travaillez, de que vous faites. Et en définitive, faites l’expérience de l’expérience elle-même. Regardez celui qui regarde, écoutez celui qui écoute, connaissez celui qui connaît. Il y a des gens dont l’esprit est peuplé de millions de pensées parfois, et qui ne peuvent vivre heureux une minute sur cette terre. Ils veulent aller à tel endroit, faire ceci, faire cela, comme s’ils avaient déjà accompli tout ce qui devait être fait là où ils se trouvent. Vous vous trouvez ici 14


en ce moment. Eh bien, faites de cet endroit un paradis. Vous êtes dans cette ville; faites-en une cité céleste. Commencez par le lieu où vous vous trouvez. Pas de visées lointaines pour l’instant. Vous pourrez en avoir par la suite, une fois que vous aurez amélioré le lieu où vous êtes et votre environnement. Vous êtes tous des étincelles de divinité, des images de Dieu. Vous n’êtes rien moins que Dieu Lui-même. Vous détenez cette qualité divine, cette excellence, cette paix, et cette santé parfaite. Telle est votre nature réelle; pourquoi auriez-vous donc à courir après quoi que ce soit? Prenez conscience de la présence de Dieu en vous et prenez garde à ne pas la troubler par des pensées ou des actions erronées. Avec ce type de conscience, vous répandrez la paix et la joie partout où vous irez.

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Dieu


En définitive, nous sommes tous en quête de Dieu; nous aurions donc tout intérêt à savoir ce qu’est Dieu. Supposons qu’il y ait une pomme, là, bien en évidence devant vous, mais que vous ignoriez ce qu’est une pomme. Et vous vous dites : « je n’ai jamais vu ni goûté une pomme. Peutêtre que ça n’existe pas! » Si vous ne savez pas identifier une pomme, comment saurez-vous qu’il y en a une devant vous, et comment vous régalerez-vous de sa saveur? Imaginez que je vous fasse une conférence de trois heures dont le sujet soit « la tarte aux myrtilles ». Pouvez-vous en goûter ainsi? Non. J’aurai donc perdu mon temps. Je serais plus avisé de vous donner la recette : il faut une tasse de ceci, une cuillerée à soupe de cela; mélangez le tout, puis mettez au four. Mais avoir la recette n’est pas tout. A quoi bon s’emparer d’un livre de recettes pour le dorer sur tranche, le placer sur un autel, et l’encenser en répétant : « Tarte aux myrtilles! Tarte aux myrtilles! » Ce qu’il faut c’est trouver les ingrédients, les mettre à cuire, et manger la tarte que vous aurez faite. La recette, vous pouvez l’avoir en main en cinq minutes. Dieu vous en a indiqué une très bonne, sous la forme des Dix Commandements. Mais il y en a tant parmi nous qui se contentent de placer le Livre sur un 18


autel, ou de passer des heures à débattre de sa signification. Combien vont vraiment jusqu’à l’étape de la cuisson et de la dégustation? Dieu n’est pas une chose dont on puisse parler. Il faut en faire l’expérience. Dès que l’homme s’est mis à parler de Dieu, toutes sortes de querelles et de guerres religieuses ont pris naissance. Il est impossible à notre esprit, par nature limité, d’appréhender Celui qui est infini, sans limites. Il se contente donc de saisir la petite part d’infini qu’il parvient à comprendre et il dit : « Pour moi, Dieu, c’est cela. » C’est un peu comme si dix personnes allaient à la mer pour y prendre de l’eau avec dix récipients différents. Celui qui a choisi un seau aura un seau d’eau de mer. Un autre, qui a apporté une tasse, n’en emportera qu’une tasse. Élargissez votre esprit à la taille du seau, et vous aurez un Dieu plus grand. Nous réduisons à nos propres limitations Celui qui n’a pas de limites. Un esprit qui a des limites, qui est quelque chose de fini, ne peut comprendre quels sont les objectifs d’un Esprit infini. Un petit instrument de mesure ne peut mesurer ce qui est incommensurable. Notre compréhension, nos sens, notre esprit sont limités. Plus vous grandissez, et plus vous comprenez. Toutefois, pour comprendre tout à fait quel est le dessein cosmique, il faut que vous deveniez vous-même une partie de la Conscience Cosmique. Alors vous comprenez, mais il ne vous est plus possible de revenir en parler. C’est un peu comme une goutte d’eau qui a envie de savoir si la mer est profonde. Elle saute à l’eau, mais jamais elle n’en ressort pour nous renseigner, puisqu’elle est devenue la mer.

Tant que la pluie n’est pas tombée sur le sol elle est sans goût, couleur ou odeur, mais dès qu’elle a touché la terre elle prend sa couleur, son 19


odeur et son goût. Pour notre esprit, c’est pareil. Dieu, étant perçu à travers un esprit, adopte la forme de cet esprit. Chaque esprit a donc sa propre conception de Dieu. Chacun conçoit Dieu selon ses capacités, son goût et son tempérament. Tout ce que nous souhaitons, c’est que les gens n’en viennent pas pour autant à se combattre. Il peut y avoir une unité dans la façon de comprendre les choses, sans qu’il s’ensuive une uniformité. Il y a autant de religions que d’esprits. Pour comprendre comment agit Dieu, il nous faut devenir Dieu. La véritable compréhension n’est possible que lorsque la personne qui parle et celle qui l’écoute font en sorte d’être au même niveau. Dieu est pureté et paix. Plus vous devenez pur et paisible et plus vous comprenez Dieu, en vous identifiant à Lui. Si vous voulez que votre radio capte une certaine station, vous devez la régler sur la même longueur d’onde que l’émetteur. Alors le contact s’établit, la réception est parfaite, et vous entendez la musique sans distorsion. Si vous voulez comprendre Dieu, mettez-vous sur sa longueur d’onde. Sans cela, il ne vous est pas possible de le comprendre. Si une petite fille de trois ou quatre ans demande à sa mère « comment m’as-tu fait naître, Maman? », sa mère peut trouver des mots pour lui répondre, mais certainement pas lui faire comprendre comment on donne naissance à un enfant. Pour l’instant elle lui dit : « Tu es simplement sortie de mon ventre. » Lorsque la petite fille deviendra mère à son tour, elle saura alors réellement comment sa mère l’avait mise au monde. L’expérience est ce qui compte. En attendant, sachez bien qu’une connaissance théorique n’apporte qu’une compréhension limitée.

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Il y a fort longtemps vivait un homme dont la prière quotidienne était : « Seigneur Dieu, je désire vraiment que Tu viennes, en personne, pour déjeuner somptueusement avec moi. » Cédant à son insistance obstinée, Dieu lui apparut un jour et dit « c’est d’accord, je viendrai chez toi. —Seigneur Dieu, j’en suis si heureux. Quand peux-Tu venir? Il me faut un certain temps pour tout préparer. —Bon, eh bien je viendrai vendredi. » Avant qu’il ne reparte, l’homme Lui demanda : « Est-ce que je peux inviter aussi mes amis? —Bien sûr », dit Dieu. Puis Il disparut. L’homme envoie donc des invitations à tout le monde, et se met à préparer toutes sortes de plats délicieux. Le vendredi à midi, une immense table est dressée. Tous sont présents, on a préparé un grand collier de fleurs, et un bassin d’eau pour laver les pieds de Dieu. L’homme sait bien que Dieu est très ponctuel. Lorsque le carillon de l’horloge sonne midi,, il se dit : « Mais que se passe-t-il? Dieu ne voudrait pas me décevoir. Il ne peut pas être en retard. Cela peut arriver à des humains, mais pas à Dieu. » Il est assez perplexe, mais décide d’attendre encore une demi-heure, par politesse. Dieu n’arrive toujours pas. Alors les invités commencent à se plaindre : « Dis donc, tu n’étais pas un peu dérangé quand tu nous a dit que Dieu allait venir? Nous avions des doutes, d’ailleurs. Pourquoi donc Dieu voudrait-Il déjeuner avec toi? Allez, on s’en va. » L’homme leur répond « Non! attendez! », puis va jeter un coup d’œil dans la salle à manger, à tout hasard. Et à son grand désarroi, il aperçoit un énorme chien noir qui est monté sur la table et qui est en train de tout dévorer. « Oh non! Dieu a su que ce chien avait déjà entamé le repas. Voilà pourquoi Il n’a pas voulu venir. » Il prend un gourdin et se met à frapper le chien, qui s’enfuit en gémissant. L’homme s’en va ensuite retrouver ses invités à l’extérieur et leur dit : « Que puis-je faire à présent? Plus question ni pour Dieu ni pour vous 21


de goûter ce repas, car la nourriture a été souillée par un chien. C’est la raison pour laquelle Dieu n’est pas venu, je le sais. » Et l’homme en était tout attristé, au point de rentrer chez lui et de se mettre en prière. Et finalement Dieu lui apparaît à nouveau, mais Son corps est couvert d’ecchymoses et de pansements. – « Que s’est-il passé? » demande l’homme. « Il a dû t’arriver un terrible accident. —Ce n’était pas un accident, » dit Dieu, « et c’est toi qui en as été la cause! » —Mais pourquoi m’en rendre responsable? —Parce que je suis bien venu exactement à midi, et me suis mis à manger. C’est alors que tu es venu pour me battre. Tu m’as frappé à coups de gourdin et tu m’as brisé les os. —Mais Tu n’es jamais venu à ce repas! —Tu es sûr que personne n’a mangé de tes plats? —C’est-à-dire qu’il s’est bien trouvé un chien noir, qui en a mangé, oui. —Et qui cela pouvait-il être, sinon moi? Je voulais vraiment me régaler de ce que tu avais préparé, alors je suis venu sous la forme d’un chien. » Vous voyez? Chaque chose est Dieu. Ne cherchez pas seulement Dieu dans les cieux ou sur les autels. Soyez au service de votre chien, de vos cochons. Servez ceux qui sont malades, ceux qui sont pauvres, ceux qui sont dans la gêne.

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Dieu a fait toutes choses à Son image. Dieu a fait le ciel, la terre, les eaux, et tout ce qui existe. A partir de quoi? S’il a créé tout cela au moyen d’une substance, de quelque chose, j’ai envie de poser la question : « Mais qui a créé cette substance? » Il n’y a qu’une réponse, c’est que Dieu a tout créé à partir de Lui-même. Ou, en d’autres termes, qu’il est Lui-même devenu le monde. En connaissant mieux le monde, vous approfondissez donc votre connaissance de Dieu. Si chaque chose est Dieu, alors il n’est rien qui soit bon, rien qui soit mauvais. Tout cela est Dieu. Au centre du mot « God », qui signifie Dieu en anglais, se trouve la lettre O, qui peut être le symbole du vide aussi bien que de la totalité. Mais à quoi servirait donc un Dieu qui ne se manifesterait pas? Il faut qu’il se manifeste à travers l’action. De la même façon, toute matière contient de l’électricité, mais à quoi cela nous avance-t-il? Il est exact qu’il y a de l’électricité partout où il y a des atomes, alors pourquoi ne nous suffit-il pas de tenir en main une ampoule électrique pour qu’elle s’allume? Ramakrishna dit ceci : « Le lait provient du corps entier de la vache, cependant ce n’est pas en tirant son oreille qu’on l’obtient, il faut le traire à son pis. » Pour l’électricité, c’est pareil; il y en a partout, mais on ne peut l’obtenir partout. Il est nécessaire de faire appel à une centrale électrique. Le mouvement de la génératrice va rassembler et concentrer l’électricité, et vous l’envoyer par des câbles. Tant que l’électricité ne s’exprime pas à travers une génératrice, elle reste sans utilité pour nous. Exister ne doit donc pas vous suffire. Il faut que vous vous exprimiez. L’usage de l’électricité demande des accessoires appropriés. Si vous voulez de la musique, branchez une radio. Une lampe, si vous voulez de la lumière. Un four, si vous voulez faire cuire un plat. Un moteur, si vous voulez du mouvement.

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Quel est donc le rôle de l’électricité dans tout cela? Possède-t-elle une vertu réchauffante, mouvante, vibratoire ou musicale? Non, elle semble être en elle-même dépourvue de toute qualité propre. Mais elle exprime différentes qualités selon les appareils que vous connectez. Une personne dira : « Chez moi, l’électricité chante », mais une autre pourra répondre : « Ah non, chez moi l’électricité fait la cuisine. » L’électricité ne peut rien faire sans les accessoires. Ce sont les accessoires qui sont différents, l’esprit ou la force qui les anime demeure toujours identique. Il existe un courant qui est le même partout. Et ce courant, c’est le courant cosmique, qui provient d’une centrale unique. Elle nous envoie une énergie qui ne passe pas par des câbles. Et nous, nous sommes tous autant d’appareils différents. L’un chante, l’autre danse; l’un joue au voleur, l’autre au gendarme. C’est la même force qui anime le policier et le malfaiteur. Mais chacun est un appareil différent, branché sur cette force. N’allez pas croire que nous devons tous devenir chanteurs, que nous avons tous une seule et même vocation. La variété nous est indispensable, elle assure que chacun apporte à l’autre sa contribution.

Il y a des appareils qui tirent un meilleur parti que d’autres de la puissance qui les traverse. Certaines ampoules, au même voltage, donnent peu de lumière. En quoi sont-elles différentes? Dans une ampoule de cent watts, il y a un filament plus long que dans une ampoule de soixante watts. Plus vous allongez le filament, et plus forte est la lumière. 24


Notre filament à nous, c’est le cœur, et l’esprit est capable de l’allonger. Si vous êtes une personne à l’esprit étroit, vous ne recevrez que peu de courant. Mais plus vous ouvrez votre esprit, plus vous recevez de courant, et plus vous diffusez de lumière. C’est pourquoi il vous faut ouvrir votre cœur. Renoncez à toute étroitesse. Alors le courant passera en vous. Un jour, un homme qui ne voulait plus voir le soleil lui dit : « Va-t’en, Soleil, je ne veux pas de toi ici. » Il ferme portes et fenêtres de sa maison, et va s’asseoir dans une chambre sombre, en maudissant le soleil : « Je ne veux plus jamais te voir. Ne t’avise pas d’entrer dans ma maison. » Mais voilà qu’il entrebâille tout doucement sa porte, et le soleil se précipite à l’intérieur. « Non, non, va-t’en », lui dit l’homme, en lui claquant la porte au nez. Un peu plus tard, il entrouvre encore légèrement la porte, et le soleil entre à nouveau. L’homme lui dit : « Qu’est ceci? N’astu pas honte? N’as-tu pas d’amour-propre? Je te réprimande. N’en es-tu pas offensé? Pourquoi ne te tiens-tu pas à distance? Pourquoi veux-tu entrer dans ma maison? » Le soleil sourit et dit : « C’est ma nature. Si on ouvre une porte, j’entre. Pas besoin de m’y inviter. On ne peut pas me repousser au-dehors. Il n’est d’ailleurs pas possible de m’inviter à entrer non plus. On ouvre, et c’est tout. Je n’attends pas d’invitation, et je ne suis pas offensé par les reproches. Tout ce qu’il me faut, c’est une porte ouverte. Et là, on ne m’arrête pas. »

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Qu’il éclaire un temple ou des latrines, le soleil brille du même éclat. Il fait miroiter l’eau des caniveaux aussi bien que l’eau pure des lacs, il touche toutes choses. Il ignore l’ombre. Il n’y a que nous qui connaissons l’ombre et la lumière. Elles ne se connaissent pas entre elles. De la même façon, Dieu ne répand pas Sa bénédiction sur qui que ce soit en particulier. Sa nature est de bénir tout le monde. Il suffit de s’ouvrir à Lui pour Le voir, et c’est tout. Tout ce dont nous avons besoin est l’ouverture du cœur.

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Nous sommes un


Nous mangeons des nourritures différentes. Nous nous habillons de façons différentes, et nos maisons ne sont pas toutes construites sur le même type. Cependant nous mangeons tous, nous nous habillons tous, et nous avons tous un toit. Si je vous demande pourquoi vous mangez, vous répondrez tous la même chose : pour apaiser votre faim. Mais si je vous demande ce que vous mangez, il y aura probablement autant de réponses que d’individus. L’un dira : « J’aime la cuisine italienne. » Un autre dira : « Moi, je mange macrobiotique. » Le troisième dira : « Moi, j’adore le pain beurré. » Mangez la nourriture de votre choix, et donnez-lui le nom que vous voulez; choisissez l’abri que vous préférez, que ce soit le toit d’une église, d’une synagogue, ou la voûte du ciel. Cela n’a pas d’importance. Agissez à votre manière, celle qui correspond à votre goût personnel, à votre tempérament, et à vos capacités. Il n’y a pas lieu de condamner ou de critiquer ceux qui suivent un autre chemin. La faim spirituelle est la même chez tous – mais la « nourriture » qui rassasie cette faim peut varier. 30


Si la faim vous tenaille vraiment, est-ce que vous allez vous soucier de trouver un endroit où la nourriture vous sera servie dans de beaux plats, sur une belle table? Non. Dès que vous allez voir une banane, vous allez la peler et la manger même en marchant. Peut-être même ne prendrezvous pas le temps de la peler! Mais si vous vous mettez à examiner cette banane, à demander d’où elle vient, qui l’a plantée, qui l’a transportée, et si elle présente toutes les garanties de qualité, alors c’est que vous n’avez pas réellement faim. Sans divisions, sans différences, sans variété, il n’y a pas de plaisir. Si la vie est semblable partout, elle devient monotone. Cela devient lassant, à la longue, de manger toujours les mêmes choses, de voir les mêmes gens, d’habiter le même endroit. Pour échapper à cet ennui, nous essayons de rendre les choses plus intéressantes. Alors le dimanche nous mangeons chinois, le lundi des spaghettis à l’italienne, et le mardi un menu macrobiotique. La variété est ce qui donne du piment à la vie. Mais l’union réelle ne peut se produire que lorsque nous nous élevons au-dessus des divisions et des différences, et quand nous arrivons à capter la diversité sans perdre notre vision unificatrice. Négliger cette vision et ne voir que la diversité entraîne toutes sortes de problèmes.

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Imaginez qu’à l’intérieur d’une montre la plus grande des roues dentées se mette à critiquer la plus petite en disant : « Tu vas bien trop vite, idiote. Regarde plutôt avec quelle majesté je tourne, moi. » Et la petite roue de désigner alors le balancier en disant : « Peut-être, mais as-tu vu cet autre, là-bas? Je suis quand même moins bête que lui. Il passe son temps à tourner dans un sens, puis à changer d’avis pour repartir dans l’autre sens, puis il se ravise encore et se remet à tourner comme avant. —Oui, je trouve aussi que tu te débrouilles quand même mieux que lui! » Et voilà qu’elles se mettent toutes les deux à se moquer du balancier. Le petit balancier, qui avait bien écouté tout cela, leur dit alors : « Eh bien puisque vous trouvez toutes les deux mon travail si futile, si absurde, pourquoi continuerais-je? Je me mets en grève. » Il s’arrête, et voilà que les deux roues dentées s’immobilisent en même temps que lui. La petite roue dentée demande à la grande : « Est-ce que tu tournes, toi? —Non, et toi? » —Non plus. Et vous, les autres roues dentées? » —On ne bouge plus. » —Mes amies, l’heure est grave. »

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Alors le petit personnage qui avait coutume d’aller dans un sens, puis dans l’autre se met à rire et dit : « A présent vous savez qu’ici nous sommes tous reliés. A chacun sa fonction. Personne ici n’a de but individuel. Il y a un but unique pour tout le monde ici, et c’est de donner l’heure. Chacun est d’importance égale, à la place qui est la sienne. Alors qui est petit et qui est grand, je vous le demande? » Personne n’est inférieur, ni supérieur. Nous avons simplement notre rôle à jouer, dans le plan commun. Nous sommes comme les pièces d’un jeu d’échecs. Du pion à la reine, ils proviennent tous du même bloc de bois. Chacun d’eux reçoit un nom différent. Dès qu’ils sont sur l’échiquier, ils se différencient par leurs mouvements. Et la reine de dire : « Moi, je vais où je veux! » Quelle liberté elle semble avoir! Cependant toutes ces pièces sont déplacées par la même main. Et elles ne peuvent se mouvoir que pendant la durée du jeu. Celui-ci terminé, elles se retrouvent toutes dans la même boîte. Et dans la boîte il n’y a plus ni roi, ni pion, ni fou. Plus aucune différence—rien que des morceaux de bois. Alors gardons à l’esprit cette vérité, et jouons notre rôle – le jeu demeurera plaisant et nous serons dans le Yoga. Et nous jouerons dans le respect de toutes les règles du jeu, car il n’y a pas de jeu sans règlement. Vous ne pouvez pas dire : « J’ai envie d’aller partout où je veux. La reine se déplace bien de cette façon, alors pourquoi pas moi? » Si le fou et le pion se mettent à bouger comme la reine, on quitte alors les échecs pour aller droit à l’échec, n’est-ce pas? Ceci ne veut pas dire que nous devons pour autant abandonner toute individualité. Nous continuons à vivre en tant qu’individus, mais avec la connaissance de notre Unicité. Grâce à cette connaissance nous réalisons notre Unité avec le Cosmos, la Conscience Cosmique, ou toute autre appellation que vous souhaiterez lui donner, et c’est aussi ce que nous signifions par DIEU. Souvent, dans les écoles, les élèves d’une même classe préparent une pièce de théâtre qu’ils jouent à la fin de l’année. Chacun a son costume, différent des autres. Mais tous savent que sous la diversité 33


des apparences, ils sont toujours les mêmes camarades de classe. Celui-ci deviendra le roi, celui-là sera un esclave. Mais une fois le rideau retombé, gare au « roi » qui oublierait cette vérité, qu’il est l’égal de l’« esclave »; qu’il continue seulement à le traiter comme tel, et ils ne vont pas tarder à en venir aux mains. Au football, vingt-deux personnes se réunissent, forment deux équipes distinctes, et dans celles-ci chaque joueur a une place bien précise à occuper. Tous doivent respecter les règles du jeu, et celui qui les enfreint a une pénalité. Peut-être sera-t-il tenté de dire : « Après tout, on s’amuse, on peut bien tricher, non? » D’accord, c’est amusant, mais cela perturbe le jeu. Celui-ci cesse alors d’être amusant pour les autres joueurs. Pour que « ce soit du jeu », il faut jouer selon les règles, et c’est ce que nous faisons dans cette vie. Tous, nous jouons le jeu. Chacun est censé bien jouer son rôle. Nous nous sommes tous réunis ici et répartis en fonction de notre rôle dans le jeu : avants, arrières, gardiens de but. Notre terrain de jeu, c’est l’ensemble du globe terrestre. Notre jeu a un ensemble de règles – les règles morales – et nous avons chacun un rôle à jouer. Quelqu’un qui a ceci bien présent à l’esprit jouera magnifiquement son rôle, et ne gênera pas les autres. Mais des tricheries constantes de la part d’un seul joueur obligeront à interrompre le jeu. Chacun est porteur d’une responsabilité. Personne ne doit s’imaginer qu’il est insignifiant et que le monde pourrait tout aussi bien continuer sans lui. Personne ici n’est de trop, ou indésirable. Soyez-en bien assurés. C’est comme dans une machine, chaque vis, chaque boulon, chaque écrou est indispensable. Avec ne serait-ce qu’une seule vis desserrée, comment la machine pourrait-elle fonctionner correctement? Ne vous dites pas : « Mais que puis-je donc faire? Je ne suis pas un prophète. Je suis bien peu de chose. » Si vous étiez si peu de chose, si vous étiez si indésirable, Dieu ne vous aurait pas créé, et ne vous aurait pas donné la nourriture, la terre, et l’air. Vous êtes l’égal de tout un chacun en ce monde. 34


Le fait même que vous soyez toujours en vie actuellement est la preuve que Dieu a du travail pour vous. Vous avez une mission à remplir et, consciemment ou non, c’est ce que vous êtes en train de faire. Vous n’êtes pas qu’un simple individu, vous faites partie d’un tout. Il existe un plan cosmique; laissez-le se réaliser à travers vous. Il y a un metteur en scène, et vous tous, vous êtes les acteurs. On vous a donné un costume, et vous jouez votre rôle. Jusqu’à ce que le rideau soit tombé, vous n’avez plus le choix. Vous ne pouvez pas changer le scénario de la pièce pendant que vous êtes sur la scène. Voilà ce qu’il y a en définitive à comprendre.

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Toute maison comprend un certain nombre d’éléments essentiels, comme les fondations, le plancher, les murs, le toit. Sans cela il n’y a pas de maison. Qu’est-ce qui est accessoire? La décoration, le jardin, les plantes, les rideaux, l’éclairage. Tout cela peut varier, parce que la décoration dépend de vos goûts. Si les maisons étaient toutes pareilles, ce serait très monotone. Mais vous n’êtes pas lassé de voir que chaque maison a des fondations, des murs et un toit, car vous savez qu’ils sont indispensables.

Pour la religion, c’est pareil. C’est ce qu’il y a d’essentiel en elle que nous appelons Yoga. Nous ne nous occupons pas des aspects superficiels. Cela, c’est votre affaire. Nous ne faisons que vous proposer différents exemples, avec différents décors. A vous de choisir le décor que vous voulez, ou bien de créer le vôtre. « Hindouisme », « catholicisme », « judaïsme », tous les « -ismes » sont autant d’ornements différents. Mais tous ont le même principe essentiel, qui dit que l’individu doit devenir apte à réaliser ici Celui qui est Un sur le plan cosmique, et à prendre conscience que lui-même n’est pas différent de cet Un. Acceptons tous ces chemins différents en les considérant comme autant de rivières qui vont vers le même océan. Bien que nous parlions de nous-mêmes et du Cosmos comme d’entités séparées, en fait nous lui appartenons. Nous en sommes partie intégrante. Sans gouttes d’eau il n’y a pas d’océan. Un océan est une accumulation de gouttes d’eau. Bien que nous soyons tout à fait comme ces gouttes d’eau, nous nous considérons comme des individus, nous pensons être distincts des autres personnes, et c’est ainsi que nous perdons de vue la Vérité Cosmique, et l’unité fondamentale. 36


Le but de la religion, comme du Yoga, est de réaliser cette unité. Et comment y parvenir? En affinant chaque individu. Il nous faut dissoudre l’ignorance qui est à l’origine de notre sentiment d’être séparés les uns des autres. Gonflez un ballon d’air jusqu’à ce qu’il éclate. Le ballon n’était qu’une séparation temporaire entre l’air du dedans et celui du dehors. Faites éclater votre sentiment d’être une individualité ou un ego, et vous vous redécouvrez en tant qu’être total et universel.

Un jour, en travaillant dans les champs, je me suis blessé à un doigt. J’aurais pu ne pas en tenir compte, mais j’ai nettoyé ce doigt et je l’ai entouré d’un pansement. Si j’avais négligé de le faire, et que mon doigt se soit infecté, mon corps dans son entier aurait souffert. De la même façon, si nous sentons que nous faisons partie du corps cosmique l’univers dans son entier – comment pourrions-nous ne pas en aimer les autres parties? Nous ne sommes séparés de rien. Il est de notre devoir d’aimer notre monde et d’en prendre soin. Quand la tête estime qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter d’une infection qui s’attaque au pouce, étant donné que le pouce est bien différent d’elle, on peut être sûr qu’elle ne tardera pas à se trouver elle-même menacée. Mais une fois que vous sentez que vous faites partie du tout, que vous lui appartenez et qu’il vous appartient, vous vous mettez à aimer, et cet amour fait émaner de vous des vibrations bénéfiques. Vous n’avez même pas besoin de toucher les gens ou de les voir, il vous suffit de penser à eux. Votre simple pensée diffuse ces ondes de guérison. Aucun guérisseur ne peut soigner qui que ce soit s’il n’a pas en lui cet amour universel. 37


Si vous vous rendez compte que vous n’êtes pas simplement un individu, mais que vous faites partie de l’ensemble de l’univers, vous n’aurez peur de personne. Un homme qui ne connaît pas la peur vit chaque instant, alors que l’homme qui est dans la crainte meurt chaque jour et chaque minute. Et vous ne ressentirez jamais la solitude. Car en fait vous êtes toujours au contact des gens, de votre travail, de vos activités. Et votre propre conscience, qui est une parcelle de Dieu, ne cesse jamais d’être avec vous. Les gens se sentent souvent seuls lorsqu’une personne particulière leur manque, dont ils aimeraient la compagnie. Ils sont attachés à telle chose, ou à telle personne. Parfois ils se sentent seuls même au milieu d’un grand rassemblement. Il n’est pas nécessaire de dépendre ainsi d’une personne particulière. Apprenez à apprécier la bonne compagnie de vos propres sentiments, de Dieu qui est en vous, et à goûter la joie d’accomplir le service que vous rendez. Il faudrait comprendre ce qu’est vraiment la solitude. C’est une chose qui n’existe que dans l’esprit. C’est le sentiment d’un manque qui s’installe en vous. Pensez plutôt à tout ce que vous avez. A ce momentlà vous vous direz : « Je suis entouré de tant de gens, de tant de choses, de fleurs magnifiques, de paysages, de plantes, tant et plus. » Entrez en communication avec une fleur. Elle vous sourit déjà. La vraie communion avec Dieu, c’est la communion de votre être avec les autres êtres. Ressentons que nous sommes les enfants de ce Père Unique ou de ce Créateur Unique. Nous sommes tous interdépendants, comme les maillons d’une même chaîne qui n’a ni commencement ni fin, comme les cellules d’un corps immense et universel. A nous tous, nous ne formons qu’Un.

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He +

his

art = Heart


Le Créateur a mis tout Son coeur dans Son art* quand Il nous a dotés d’un coeur. Notre tête, en revanche, n’est là qu’à titre publicitaire. Ce n’est que l’ego qui se fait de la réclame. Ce n’est pas au niveau de notre tête que nous pouvons vraiment nous rapprocher les uns des autres, cela ne peut se faire que par le coeur. Le cœur est doux, tendre, et compréhensif. Deux amoureux ensemble s’appellent volontiers « mon cœur ». Ils se disent « mon doux cœur », mais les entend-on jamais se dire « ma douce tête »? Non. La tête ne peut jamais être douce. Celle-ci ne mérite pas pour autant d’être coupée. Qu’elle reste où elle est, mais laissezvous plutôt guider par ce que vous ressentez, et la tête suivra. Le Yoga va droit au coeur, afin que tout devienne objet d’un art yogique. Il nous dit d’entrer un tant soit peu en nous-mêmes, pour y voir notre cœur. Et c’est à partir de ce niveau que nous pouvons ensuite fonctionner en utilisant notre tête. Regardez vers l’intérieur. Le royaume de Dieu est en vous. En tamil, qui est une langue de l’Inde du Sud, le mot par lequel on désigne Dieu veut dire « aller vers l’intérieur ». Il n’y a de véritable mariage que si deux personnes se mettent d’accord sur un but, sur un projet dans la vie. Dieu nous a donné deux yeux, * Dans le texte anglais, le titre de ce chapitre est un jeu de mots qui recompose « Heart » (le coeur) à partir de « He » (Lui, Le Créateur) et « Art » (Son art). Dans le même paragraphe, « Head » (la tête) se lit « He » (Lui) et « Ad » (publicité) (N. d. T.)

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avec lesquels nous n’avons qu’une seule vision. De la même façon, en tant que mari et femme vous êtes deux, mais vous devriez avoir une seule vision, l’esprit de l’un et de l’autre représentant chacun des deux yeux. Vous devriez avoir un seul but, et avancer ensemble vers ce but à la manière des deux ailes d’un même oiseau, ou des deux rames d’un même bateau.

Si vos esprits ne sont pas accordés sur un but, alors il n’y a pas de mariage du tout. Vous vivez simplement ensemble par convenance personnelle. Et s’il y a bien un but commun, mais qu’il disparaît en route, le mariage n’existe plus non plus. Alors plutôt que de vivre ensemble pour s’affronter constamment et s’engager sans cesse dans des directions opposées, mieux vaut dire : « Mène ta vie à toi en suivant ta route, et moi je suivrai la mienne. » Il n’y a rien de mauvais dans une telle décision. Cela vaut beaucoup mieux que de rester sous le même toit en étant une gêne constante l’un pour l’autre. Si vos buts dans la vie diffèrent, chacun doit avoir la liberté de choisir. Mais cela dit, si vous avez des enfants, je suggère que dans leur intérêt vous attendiez, et cherchiez autant qu’il est possible des accommodements. Même si vous différez sur vos buts, certaines obligations vous incombent à tous les deux vis-à-vis de vos enfants. Il peut arriver qu’il y ait de temps en temps entre vous une certaine friction, même si vous avez en vivant ensemble une communauté de buts et d’intérêts. Mais ce genre de friction est une bonne chose, car une vie qui se déroule sans aucun heurt tourne vite à l’ennui. Un petit accroc par-ci par-là ne gâte rien. Je suis loin de prétendre qu’être mariés doive signifier qu’on habite un pays où coulent le lait et le miel. S’il se passe une semaine entière sans aucun heurt, faites un peu de provocation! Mais que cela reste passager. 43


Qu’une dispute entamée un matin ne se prolonge pas au-delà de midi. Si elle a commencé à midi, qu’elle soit close le soir. Un peu de sel donne du goût à une nourriture qui pourrait être fade; mais trop de sel ne la rend pas meilleure. Un peu de friction dans votre relation peut l’enrichir, comme le sel souligne le goût. Mais n’oubliez pas que vous avez un seul et unique but, celui de progresser, d’évoluer sans cesse davantage, et d’exprimer votre identité divine. Ressentez qu’intérieurement vous êtes des êtres divins. Aidez-vous l’un l’autre dans votre travail d’affinement personnel. Vivez en tant que dieu et déesse. C’est pour cela que vous avez formulé en présence de Dieu le vœu de vivre ensemble.

Il ne faut pas vous contraindre au célibat si vous ne le souhaitez pas. Mais vous devez vous définir des limites. L’énergie sexuelle mise en réserve renforce le cerveau et les nerfs. Le souci de préserver cette vitalité devrait vous inciter à limiter votre activité sexuelle. Le Yoga ne s’oppose qu’aux excès. Et s’il n’est sûrement pas ce qui convient à l’amateur de trop bonne chère, il n’est pas davantage pour qui se complaît dans les jeûnes extrêmes; il n’est pas pour l’homme qui passe son temps à dormir, ni pour celui qui se prive de tout sommeil. Cela signifie qu’il faut trouver une voie intermédiaire. Il s’agit de ne rien réprimer, sans pour autant se laisser aller à l’excès. Vivez avec votre partenaire, profitez de la vie, et ayez quelques enfants, si tel est votre souhait et si vous avez les moyens de subvenir à leurs besoins. 44


La mère commence à modeler son enfant dès le moment de sa conception. N’allez pas croire que l’éducation d’un enfant débute seulement après la naissance. Même ce qu’il y a dans la pensée de la mère est absorbé par l’enfant qui est en son sein. Voilà pourquoi une femme enceinte devrait se garder de lire des romans scandaleux ou des récits de crimes, et préférer des livres édifiants, qui aient une valeur spirituelle. Si elle souhaite que le bébé à naître devienne un jour un héros, qu’elle lise des biographies de personnages célèbres. Si son voeu est qu’il devienne un saint, qu’elle lise des vies de saints.

Parmi les jeunes filles que je rencontre aujourd’hui, nombreuses sont celles qui souhaitent avoir un jour des enfants. C’est très bien, mais celle qui veut vraiment devenir une mère doit s’y préparer. C’est une grande responsabilité que de mettre au monde une nouvelle vie. Si vous ne vous sentez pas à la hauteur, mieux vaut ne pas avoir d’enfant. Un enfant n’est pas un jouet. Si vous voulez un jouet, contentez-vous des superbes jouets en plastique qu’on peut trouver partout. Mettre au monde des enfants et les éduquer, voilà une tâche immense. Ne croyez pas que ce soit facile. Si vous manquez de patience ou de temps, si vos distractions et sorties sont ce qui compte pour vous pardessus tout, alors ne donnez pas naissance à des enfants. Ils ne sont pas des machines. On ne peut pas les faire venir au monde et puis les ranger dans un coin, ou se décharger de leur souci sur quelqu’un d’autre pendant qu’on va faire sa partie de tennis. 45


Non. Il vous faut sacrifier de votre temps et de votre énergie pour cette âme. Au nom de la civilisation occidentale, vous êtes amenées à faire des choses qui sont totalement contre nature. Vous ne donnez même pas à vos bébés votre lait, qui est la nourriture que Dieu leur destine. Vous préférez aller au cinéma et payer une baby-sitter. Si le cinéma vous intéresse à ce point, il ne fallait pas mettre au monde un bébé Je souffre rien que d’y penser. Beaucoup d’enfants ont aujourd’hui des névroses qui proviennent du comportement de leurs parents. Ne croyez pas que l’argent à lui seul puisse garantir la paix et la joie. L’enfant n’a que faire de vos largesses matérielles. Ce dont il a besoin, c’est de votre amour, et d’une discipline adéquate. Combien d’entre vous n’ont-ils pas ressenti un manque d’amour de la part de leurs parents? Voilà la cause des problèmes mentaux et sociaux si répandus dans ce pays – le manque d’amour à la maison, le manque d’amour dans les églises, le manque d’amour dans les écoles.

Ne craignez pas d’exprimer à vos parents l’amour que vous avez pour eux, et écoutez-les. Acceptez, dans ce qu’ils disent, ce qui peut vous éclairer ou vous guider, car c’est dans votre intérêt qu’ils le disent. Il y a bien sûr des circonstances où les parents refusent de comprendre ce que vous faites. Supposons par exemple que vous décidiez de passer vos vacances dans un ashram. Vos parents diront peut-être : « Un ashram de Yoga? C’est quoi ce Yoga? Oh, et puis je ne souhaite même pas le savoir. Viens donc plutôt à Miami. Tu bronzeras, et il y a là-bas une foule de gens avec qui tu pourras t’amuser. » 46


Dans le cas où vous sentez que c’est par attachement pour vous qu’ils vous parlent ainsi, et où vous savez par ailleurs que ce séjour en ashram promet d’être réellement bénéfique pour vous, ou qu’en tout cas il l’a déjà été pour un grand nombre d’autres personnes, dites simplement à vos parents : « J’y vais tout de même. Attendez de voir, laissez-moi du temps. On verra bien si je me suis trompé, ou si ça se passe très mal. A ce moment-là, je reviendrai. » Mais s’ils se fâchent après vous et vous insultent au-delà de ce que vous pouvez supporter, sachez que le monde entier est votre père et votre mère. Vous n’avez pas besoin de haïr vos parents, vous pouvez simplement partir, pour aller là où vous pourrez trouver la paix. Je serais le dernier à conseiller à un enfant de quitter ses parents. Mais des parents qui ne comprennent pas leur enfant ne sont plus des parents. Ils cessent d’avoir pour but le bien-être de leur enfant. En vivant ainsi auprès d’eux, votre développement est contrarié, et vous n’êtes pas non plus une aide pour eux. Il vaut donc mieux prendre de la distance, et un jour peut-être, quand ils verront que vous grandissez harmonieusement et que vous êtes heureux, ils reviendront vers vous. Combien de parents m’ont dit : « je désapprouvais totalement mon enfant, mais je vois maintenant que ce qu’il fait est bien. Je m’étais trompé. »

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Si vous vous intéressez au Yoga, vous devez de toute façon chasser toute haine de votre cœur. Il ne vous est pas possible de grandir intérieurement avec un tel poison dans l’esprit, même si vous pensez qu’il se trouve là à cause de vos parents. Vous aussi, vous êtes en un sens responsable de la présence de ce poison, puisque vous n’avez pas compris vos parents comme il aurait fallu. Il se peut qu’ils soient dans l’erreur, mais s’ils le savaient, ils agiraient autrement. Manifestez-leur votre sympathie. Priez sincèrement pour que la compréhension s’installe entre vous. Aimez-les davantage, ne les haïssez jamais. C’est cela le Yoga. Le Yoga n’incite jamais à la séparation entre qui que ce soit. Son but est de rassembler le monde entier. Et quelquefois des parents deviennent meilleurs Yogis que leurs enfants! Un père devrait toujours pardonner à son fils. Entre amis, entre amoureux, on se doit le pardon. C’est dans le pardon que l’on montre sa véritable affection. Vouloir se venger est à la portée de tout le monde, mais accorder le pardon, voilà qui est l’apanage d’un roi ou d’un prince.

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Le corps et la respiration


Pendant le temps où nous habitons ces corps, nous devons savoir qu’ils sont des véhicules de l’expression divine, au même titre que toutes les formes qui peuplent la Création. Nous devons prendre soin de notre corps parce que sans un corps en bonne santé rien n’est possible en ce monde, sur le plan spirituel comme sur le plan matériel. Pour devenir un bon instrument du Divin, gardez-vous en bonne santé, ayez le corps à l’aise et l’esprit en paix, et menez une vie qui soit utile. Nous pouvons vivre un certain temps sans nourriture. Nous pouvons vivre un certain temps sans eau. L’air, lui, nous est indispensable à chaque instant. Nous respirons à peu près quinze fois par minute. Si cet air nous quitte pour ne plus revenir, nous sommes morts. Chaque fois que nous « expirons », nous sommes aux portes de la mort. Et cependant est-ce par une décision consciente que nous attirons à nouveau l’air en nous après expiration? Non. Nous n’avons même pas conscience que nous sommes en train de respirer. Il y a une force invisible qui prend soin de nous et assure le renouvellement de l’air. Vous vous dites peut-être : « Le swami ne semble pas être très au fait de l’anatomie. Nous avons des faisceaux de muscles, certains volontaires, certains involontaires, qui agissent de façon à dilater la cage thoracique, et à y créer un vide. C’est ce vide que vient combler l’air qui est inspiré. » 52


Aux auteurs de telles réflexions je demande : « Qui est à l’origine de ce mouvement d’expansion de la cage thoracique? Est-ce vous? Pouvez-vous empêcher cette expansion, ou retenir la contraction qui lui succède? » Non. Vous avez votre mot à dire jusqu’à un délai maximum de quelques minutes, et ensuite les muscles involontaires prennent le relais. C’est précisément pour cela que vous les appelez « involontaires ». Or le fait même de les appeler involontaires, c’est bien reconnaître que leur contrôle vous échappe. Quelque chose ou quelqu’un d’autre prend ce contrôle. Ce « quelqu’un », qui est-ce? Je dis que c’est Celui qui vous a envoyé ici, Celui qui vous fait remplir une tâche, Celui qui réalise Ses plans à travers nous tous.

Le bébé qui naît sait en fait très bien qu’il arrive dans un monde de déraison et c’est pourquoi il y aborde en pleurant : « Mon Dieu, pourquoi m’envoies-Tu dans cet asile de fous? Qu’est-ce que je T’ai fait? » Et nous, nous l’accueillons dans les rires et la fête, alors qu’il pleure. Et à l’autre bout de sa vie, ce sera l’inverse. Lorsqu’un être est enfin libre et quitte allègrement la vie, l’entourage se met à pleurer. Qu’est-ce qui est jeune, ou vieux? C’est le corps. Vous, vous n’êtes jamais né, et vous ne mourrez jamais. Vous-même, vous n’avez pas d’âge; votre corps seul passe par des âges différents. L’âme sait qu’elle est illimitée et immortelle. A nous de prendre conscience de cette immortalité. 53


Ce qui nous fait le plus peur, c’est l’idée que notre corps va mourir. Mais quand nos vieux habits sont usés, nous les jetons pour en revêtir des neufs. Nous avons tous des corps qui datent, voyez-vous. Nous en aurons de neufs, soyez sans crainte. Et puis après tout, combien de temps allez-vous vivre encore dans ce corps? Encore cinquante ou soixante ans, peut-être. Ce qui reste dans nos cimetières, c’est simplement le rebut. La mort ne doit pas inspirer la peur. Moquez-vous d’elle. L’homme qui craint la mort meurt tous les jours, alors que le héros ne meurt qu’une fois. Laissons la mort venir à nous cette seule et unique fois. Soyons fiers et audacieux. La mort signifie un changement de forme, voilà tout. Ce genre de chose est inévitable, et intervient à chaque instant. Vous n’êtes déjà plus la même personne qu’il y a une minute. Une partie de vous-même vient de mourir, et une autre est déjà née. Pour l’âme, il s’agit d’un simple changement de véhicule. La mort d’un arbre nous fournit des planches. La mort des planches, une chaise. La chaise vient à mourir, voici du bois à brûler. Le bois meurt, et voici de la cendre. Rien ne peut être vraiment détruit; nous changeons simplement de nom et de forme. Il n’y a pas de mort, jamais. Ce qui est, est pour toujours. Ce qui n’est pas, n’est pas et ne sera jamais. Ce que vous appelez le monde n’est fait que de noms et de formes en perpétuelle transformation. Ce que je tiens entre mes doigts, nous appelons cela du tissu, mais est-ce vraiment du tissu? Ce que vous voyez là n’est que du coton tordu en fils, puis tissé et agencé de la façon précise qui lui vaut le nom de tissu. Mais si maintenant je disperse cet arrangement et en fais un entassement de fils, le tissu disparaît.

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Or je n’ai rien détruit. J’ai simplement dérangé l’agencement des fils. Donc quand vous aviez identifié cela comme du tissu, votre constatation était fausse. Ceci pour montrer à quel point notre vie dans ce monde est basée sur des faussetés. Jamais nous ne disons la vérité selon la pleine acception de ce mot. Il n’y a ici que des menteurs, y compris moi-même. Et même quand je dis que tout le monde ment, c’est encore un mensonge!

Rien n’est laid à l’état naturel. Une rose est belle, un chien, un cochon sont beaux, chaque chose est belle à sa façon. Ce n’est que quand nous essayons d’embellir les choses que nous faisons écran à la beauté naturelle qui leur est propre. Le visage des bébés est porteur d’une beauté cosmique qui est progressivement éclipsée par la laideur des pensées et des habitudes. Plus tard nous essayons de rendre sa beauté au visage par des moyens artificiels; c’est passer du cosmique au cosmétique, sans résultat convaincant. Le recours à l’artifice de certaines femmes en quête de beauté peut contrarier la nature au point qu’elles se rendent malades. Leur souci de beauté fait qu’elles s’appliquent toutes sortes de poudres et de crèmes. Ceci obstrue complètement les pores de la peau. La transpiration est arrêtée, et les sécrétions qui devraient se faire à l’extérieur retournent à la circulation sanguine. Autre exemple, alors qu’un vêtement de coton absorbe la transpiration, ce n’est pas le cas du nylon et des autres fibres synthétiques. L’absence de ventilation fait que votre transpiration ne s’évapore plus dans l’air extérieur, et elle est réabsorbée par l’organisme. Beaucoup de gens pensent qu’éternuer ou tousser, cela ne se fait pas. Mais prenez bien garde que ces habitudes dites « civilisées » ne viennent contrecarrer les éliminations naturelles du corps. C’est endommager gravement le corps, et affecter des centaines de nerfs, que de chercher à contrôler toux et éternuements. Au contraire, lorsque vous éternuez, Dieu vous bénit.* NdT: God bless you (« Dieu vous bénit ») est l’équivalent du « À vos souhait » que l’on dit lorsque quelqu’un éternue

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Soyez attentif à ce que vous absorbez, physiquement aussi bien que mentalement. Surveillez les entrées. Quel pays n’a pas ses Bureaux d’Immigration? Avant d’admettre les personnes qui s’y présentent, on leur demande : « Qui êtes-vous? Ami ou ennemi? Quelles garanties présentez-vous? Montrez-nous votre passeport. Si vous êtes quelqu’un d’honorable, soyez le bienvenu. Sinon, passez votre chemin. » Votre corps est votre pays, et il a de nombreux postes-frontière. Placez donc partout des Bureaux d’Immigration. Pour une bonne part, ce que nous appelons civilisation est artificiel et malsain. Il nous faut revenir à un mode de vie naturel. C’est cela le Yoga.

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Allez voir les animaux au zoo. Les carnivores semblent sans cesse en mouvement; même dans leurs cages, ils rôdent en quête d’une proie. Observez ensuite les animaux qui ne mangent que des végétaux. Ils sont tellement doux et gentils. Ils ont un sourire en vous regardant.

Les graisses animales chargent davantage l’organisme en toxines qu’une alimentation végétarienne, et ne favorisent pas la paix de l’esprit. Une nourriture d’origine animale n’est qu’une substance morte. Tout ce qui meurt commence immédiatement à se décomposer et à devenir impropre à la consommation. Lorsque vous arrachez à un corps un morceau de sa chair, celui-ci se dégrade, alors qu’un légume conserve sa qualité d’organisme vivant. Prenez une pomme de terre, mangez-en une moitié, et coupez l’autre en dix morceaux que vous planterez en terre : vous obtiendrez dix plants de pomme de terre. Prenez maintenant une chèvre, mangez-en la moitié, découpez dix morceaux dans l’autre, mettez ceux-ci en terre, et vous me raconterez le résultat. Un haricot a encore de la vie en lui après plusieurs mois. Certaines graines contiennent encore de la vie après des centaines et des milliers d’années. Vous obtenez suffisamment de protéines, sous une forme facilement assimilable, à partir de graines, de haricots, de pois, de produits laitiers, et de légumes. La digestion de la viande vous fait gaspiller davantage d’énergie qu’elle ne vous en apporte, et demande beaucoup de temps. C’est d’ailleurs pourquoi la viande demande une cuisson si prolongée. Quand elle n’est pas bien digérée, elle commence en effet à se décomposer et à fermenter dans votre organisme.

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Mangez des produits frais, vivants, et préférez des cuissons brèves. Évitez si possible de finir des restes qui ne seraient plus tout à fait frais. Préparez juste ce qu’il vous faut pour un repas, de manière à ne pas en laisser. Si nous associons au Yoga un régime végétarien, c’est aussi parce que nous voulons éviter d’être la raison pour laquelle il est mis fin à une vie consciente parvenue à maturité. Il est bien certain que lorsque nous mangeons, cela représente une sorte de mort pour notre aliment, quel qu’il soit. Mais ce que nous voulons éviter, c’est la violence et la souffrance que nous infligeons ainsi aux animaux. Si vous êtes une personne qui ne mange jamais de viande et ne tue jamais d’animaux, le règne animal dans son entier, sur toute la surface du globe, vous en sera reconnaissant. Où que vous soyez, les animaux sentiront que vous êtes non-violent et amical. La nourriture provient de la Nature, l’air provient de la Nature, et l’eau provient de la Nature. Nous prenons des choses à la Nature, et nous devons donc lui en rendre. Nous ne pouvons pas lui rendre absolument tout ce que nous lui prenons, mais nous pouvons convertir la nourriture, l’air et l’eau en énergie, puis faire de cette énergie un usage dont le monde puisse tirer bénéfice. Ainsi nous ne sommes pas en dette. Tout ce que vous mangez est votre Mère, la Nature, sous forme de nourriture. Les fruits sont votre mère, les graines sont votre mère, la Terre toute entière est votre mère. Et donc nous disons : « O Mère Nature, permets-moi de Te recevoir sous la forme de la nourriture. Fais que grâce à cela me soient dispensées la sagesse, le détachement des passions, et la santé. Et fais que cette force, cette santé, ce détachement fassent de moi quelqu’un de meilleur, quelqu’un d’utile. » Voilà à quelle fin nous devrions nous alimenter.

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Il y a tant de gens dont le réflexe, lorsqu’ils ressentent de l’inquiétude, est de se servir à boire, de se droguer, ou de piller leur réfrigérateur. Que font-ils en réalité? Loin d’avoir éliminé la cause de leur inquiétude ou de leur problème, ils n’ont fait que la déplacer, comme on cache la poussière sous le tapis. Avez-vous déjà vu un animal se mettre à fumer, ou à boire de l’alcool? Non. En agissant ainsi, nous nous rabaissons plus bas que les animaux. Ce n’est pas en prenant un whisky ou un « joint » que vous allez identifier et éliminer ce qui vous perturbe. D’ailleurs ce problème ne pèse pas sur vous depuis votre naissance. En naissant vous déteniez la paix, et c’est en agissant à tort et à travers que vous l’avez vous-même compromise. Quand on dit qu’il y a un « malaise », ne suggère-t-on pas qu’un état initial d’« aise » s’est perdu? La personne possédait cet « aise », elle l’a mis à « mal », et maintenant elle est dans le « mal-aise ». Lorsque quelque chose d’effrayant s’approche de vous et que vous ne savez comment l’éviter, vous pouvez fermer simplement les yeux. Le danger peut ainsi sembler s’être éloigné, mais vous ne l’avez pas écarté d’un pouce, en réalité. C’est bien l’attitude que nous avons en de nombreuses occasions. Quand nous avons mal à la tête ou au ventre, nous ne cherchons même pas la cause de ce mal. Or pourquoi ce mal de tête subit? Qu’est-ce qui ne va pas? Jamais nous ne pensons à cela, nous préférons prendre immédiatement un cachet d’aspirine. Ceci ne se répète que trop souvent dans la vie courante; nous avalons quelque chose qui fera passer le problème, pour un temps. Mais dès que l’effet s’estompe, nous nous réveillons avec le même problème qui nous affecte encore davantage, parce que la force que nous avons employée pour lui faire écran fait maintenant défaut à notre organisme. Comment une drogue pourrait-elle calmer et purifier l’esprit, alors qu’elle ne représente qu’un apport supplémentaire d’impuretés? Elle vous fait temporairement oublier ce qui ne va pas. C’est comme quand vous prenez quelque chose pour dormir. Le somnifère vous donnera le sentiment d’avoir dormi, mais il ne vous apporte pas le vrai sommeil. Et la tranquillité qu’apportent les tranquillisants peut être ressentie 59


comme telle, mais elle n’est certainement pas authentique. Il ne s’agit que d’une impression passagère. La douleur est causée par un problème quelconque. Un analgésique, une piqûre, des comprimés peuvent faire que vous cessiez de ressentir ce problème. Est-ce que ça signifie que vous l’avez résolu? Absolument pas. C’est comme si on coupait les fils d’une sirène d’incendie. Bien sûr la sirène se tait immédiatement, mais l’incendie continue. Votre système d’alarme à vous, c’est la douleur. Si le feu se déclare quelque part dans le corps, la douleur signale : « Quelque chose ne va pas. » Mieux vaut trouver l’origine du problème qu’essayer de le camoufler.

Le corps et l’esprit sont interconnectés et interdépendants. Le corps exprime les pensées que forme l’esprit. Si les pensées sont continuellement tortueuses, cela va créer une distorsion dans le corps aussi. Mais un esprit heureux se reflète sur le visage et sur le corps. La beauté de ce qui se passe à l’intérieur apparaît aux yeux de tout le monde. Imaginons que je vous montre un petit paquet et que je le défasse en disant : « Voici d’excellentes sucreries. » Il est possible que vous vous mettiez à saliver sans même avoir vu le contenu du paquet. L’esprit a capté le mot « sucrerie », et le corps réagit. Imaginons que quelqu’un vous crie : « Eh! espèce d’imbécile! » Vous allez vous mettre en colère. La colère fait bouillir votre sang et vous met le rouge au visage. Vous avez seulement entendu un son, mais votre esprit s’est mis en colère, et a fait réagir votre corps. Voici un autre exemple. Vous êtes chanteur, vous vous préparez pour votre tour de chant, et voilà que soudain vous ressentez un terrible mal de ventre. Est-ce que vous arriverez à chanter avec joie? Non. Car de même qu’une souffrance psychique affecte le corps, une souffrance corporelle affecte le psychisme. 60


Supposez qu’un homme habituellement heureux et joyeux tombe malade. Le voilà pris d’une forte fièvre, et cloué au lit. Un jour au cours de cette maladie il ressent vivement la soif, et demande à son fils d’aller lui chercher à boire. Mais celui-ci, pour une raison quelconque, met plus de temps que prévu et n’apporte le verre d’eau qu’au bout d’une demi-heure. En temps normal, le père prendrait cela avec le sourire et pardonnerait à l’enfant. Mais à cause de sa faiblesse et de sa maladie, il est irrité et se met à le gronder. C’est la faiblesse du corps qui rend irascibles les personnes malades. Quand l’esprit et le corps sont affaiblis, cela vous enlève la possibilité d’éviter les mauvaises habitudes. Vous allez être tourmenté par des impulsions et des désirs. N’essayez jamais de supprimer un désir. Au contraire, manifestez-en un autre qui soit de nature plus élevée. Cela ne vous laissera pas le temps de chercher à satisfaire le premier. N’essayez pas de vous contraindre à abandonner une habitude néfaste. Autant vouloir chasser l’ombre à coups de bâton. Vous pouvez bien entrer à plusieurs dans une pièce obscure et frapper énergiquement les ténèbres à coups de canne, en leur criant de quitter les lieux. Même si vous étiez des centaines à fustiger ainsi l’obscurité, elle n’en demeurerait pas moins. L’homme sensé allumera tout simplement une bougie, pour l’apporter dans cette pièce. Le Yoga est cette bougie. Faites-le entrer dans votre vie, et toutes ces habitudes dont vous ne voulez plus vous quitteront. Vous n’aurez plus à vous soucier d’elles. Une fois que vous aurez renforcé votre esprit et votre corps, elles vont spontanément se détacher de vous.

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C’est cela qui justifie la pratique des postures qu’on appelle en Yoga les asanas. Adopter ces différentes positions emmagasine de la force à l’intérieur de votre système. Ce sont des postures qui tonifient les muscles, les organes, les glandes endocrines, et tous les centres nerveux. Et contrairement à bien d’autres types d’exercices, les asanas n’ont rien de pénible. Ils se font avec douceur, grâce et aisance.

Il est également important de pratiquer la respiration contrôlée ou pranayama. En respirant de façon appropriée, vous apprendrez à utiliser toute la capacité de vos poumons, et à fournir à votre organisme davantage d’oxygène et de vitalité. Car à mesure que vous pratiquerez ces exercices, vous allez graduellement renforcer votre organisme au plan physique. Et comme vous allez les faire très en douceur, vous calmerez ainsi l’agitation de votre esprit. Chaque fois que vous vous sentirez tendu, inquiet, contrarié, quelques respirations lentes et profondes par le nez vous suffiront pour apaiser facilement votre esprit si vous leur consacrez votre pleine attention. Une respiration harmonieuse est le signe que l’harmonie règne dans votre esprit. Et inversement, si vous savez retrouver l’harmonie sur le plan mental, votre respiration se régularisera. Par la pratique du Yoga, nous essayons de contrôler notre nature intérieure, qui est gouvernée par notre énergie vitale ou prana. Le Prana, c’est notre vie même, la force absolue qui est présente et qui agit partout. Il nous est possible de vivre plusieurs semaines sans manger, plusieurs jours sans boire, plusieurs minutes sans respirer, mais sans prana nous ne survivrions pas même une fraction de seconde. 62


C’est en contrôlant la respiration qu’on arrive le mieux à contrôler le prana, et maîtriser celui-ci c’est maîtriser notre nature intérieure. Chacune de nos actions ou pensées est l’expression d’un mouvement subtil du prana dans notre système. En maîtrisant le prana on maîtrise la pensée, et inversement. Vous connaissez ce genre de lampe qui contient une ampoule électrique claire, entourée d’un cylindre de plastique multicolore. L’extérieur de la lampe est une sphère à facettes en plastique transparent. La chaleur de l’ampoule met le cylindre en rotation, ce qui éclaire la sphère de couleurs changeantes, qu’elle projette sous la forme d’un motif lumineux et coloré tout autour de la pièce. L’ampoule électrique, immobile, est comparable au Soi Véritable. Elle émet une lumière constante et stationnaire. Elle brille et rayonne de la chaleur, semblable en cela à votre énergie dynamique ou prana. Le cylindre coloré, fait de plastique, présente des ondulations. Et ce sont ces irrégularités qui, donnant prise au courant d’air chauffé par l’ampoule, provoquent la rotation du cylindre. Le mental et l’ego ont eux aussi beaucoup d’aspérités et de distorsions. La chaleur issue du Soi Véritable les fait virevolter et ils colorent à leur façon la réalité environnante. Les couleurs que la lampe projette dans la pièce n’appartiennent pas à l’ampoule, mais au cylindre. Supposons que vous aplanissiez les facettes de la sphère, et que vous rendiez lisse et clair le cylindre tournant. A présent, la chaleur que l’ampoule diffuse toujours n’entraîne plus la rotation du cylindre, et la lampe ne projette plus que la lumière pure. Comme le cylindre en plastique ne peut plus tourner, il s’échauffe et prend feu. Pareillement, si vous débarrassez votre ego de toutes ses colorations et distorsions pour le rendre clair et pur, vous le verrez se consumer lui aussi petit à petit. Donc, pour permettre à votre Soi Véritable de répandre sa lumière au-dehors, vous devez parvenir à calmer et à purifier votre nature individuelle, que symbolise ce cylindre coloré en mouvement. Un homme qui a acquis le contrôle de sa nature intérieure peut laisser briller sa véritable lumière à l’extérieur. C’est ce 63


qui fait que vous voyez en lui quelque chose de spécial, et que vous le considérez comme un saint. Non pas qu’il soit le seul à posséder cette qualité – elle est présente chez tout le monde – mais tant que nous ne savons pas exercer sur nous-mêmes un contrôle comparable, notre lumière brille de façons différentes, avec des distorsions.

Il y a plusieurs façons de parvenir à la purification, et au contrôle du prana. Mais quelle que soit la méthode choisie, notre but est en définitive de contrôler notre nature intérieure, de la rendre propre et calme, pour que la lumière divine qu’elle contient soit rendue visible à tous. C’est pourquoi une discipline est nécessaire. Sans discipline, vous ne pouvez pas arriver à calmer quoi que ce soit. Une discipline vous permet de réguler les choses, de les faire évoluer de façon harmonieuse et rythmée. Imaginez que vous êtes attaché à la selle d’un cheval lancé au galop et que vous vous cramponnez pour sauver votre vie, en espérant que le cheval va malgré tout s’arrêter par sympathie pour vous. Où est le plaisir ici? L’homme qui prend vraiment plaisir à monter à cheval est quelqu’un qui contrôle parfaitement sa monture, et peut s’arrêter quand il le désire. Si vous savez agir ainsi, vous pouvez prendre plaisir à tout ce que vous voudrez. Plus rien alors n’est dangereux. Buvez donc de l’alcool, si vous désirez en boire. Mais pouvez-vous vous arrêter dès l’instant où vous le souhaitez, et ne plus prendre une goutte d’alcool pendant des mois 64


et des mois, où la pensée même ne vous en effleurera pas? Si vous le pouvez, alors peu importe. Vous prendrez plaisir au monde quand vous saurez bien l’utiliser, quand vous saurez en être maître. Quel est l’homme qui prend vraiment plaisir à la nourriture? C’est celui qui mange bien, mastique bien, digère et assimile bien, et non pas celui qui ne mange que par gloutonnerie, surcharge son estomac, et est forcé ensuite d’avoir recours à des purges. Le yogi est comparable à un surfeur qui sait rester en équilibre sur sa planche. Il est ravi de voir arriver une vague, et même d’énormes rouleaux, car il sait comment y prendre plaisir sans se laisser prendre. Mais celui qui ne sait pas surfer sera renversé par ces mêmes vagues.

Si vos amis se moquent de vous et vous disent « mais tu as une attitude de fuite vis-à-vis du monde et tu te prives de toutes sortes de plaisirs », répondez-leur : « Je fais partie des gens qui au contraire se promettent de tirer le plus grand plaisir de chaque chose, en s’efforçant d’en être maîtres. Nous ne voulons pas être sous le contrôle de quoi que ce soit. Nous voulons être maîtres de notre appétit et de nos yeux. Si nous voulons manger, nous mangeons. Sinon, nous ne mangeons pas. Nous ne voulons pas être esclaves de nos désirs. » Demandez-leur s’ils sont capables de mettre ainsi en pratique leur maîtrise d’eux-mêmes, qui est le but du Yoga. 65


Si vous croyez à quelque chose, mettez-le en pratique dans votre vie. Nous n’avons que faire des discours, nous voulons des gens qui posent des actes. Donnez-vous cependant du temps. Rien ne se réalise du jour au lendemain. Tant de gens aujourd’hui veulent avoir tout, tout de suite. Il y a un climat de hâte, d’urgence. Nous vivons au siècle de la vitesse. Mais ce que l’on gagne en vitesse, on le perd en puissance. Vous allez plus vite en passant la vitesse supérieure, mais celle-ci ne vous permet pas de franchir une côte abrupte. Si vous voulez porter des charges et gravir des côtes, passez la vitesse inférieure. Les gens veulent l’extase instantanée, alors ils prennent des drogues. Celles-ci les font planer, mais leur enlèvent toute leur puissance. Il n’ont même plus le pouvoir de revenir simplement au point où ils étaient. Bien des gens qui dans une fuite rapide en avant ont effectué des centaines de « trips » ont maintenant complètement perdu pied. Ils ne planent plus, ils sont en chute libre. Si vous êtes vraiment à la recherche de quelque chose d’authentique et de pur, vous n’avez pas besoin d’aller chercher cela à l’extérieur. Vous l’avez déjà reçu. La paix, le bonheur, la santé, la spiritualité – tout ce que vous recherchez se trouve déjà en vous. L’épanouissement de votre conscience et l’expansion de votre esprit doivent se faire selon une progression naturelle. Imaginez qu’une personne souhaite aller du rez-de-chaussée au dernier étage. On peut bien sûr lui faire faire ce trajet en fusée, mais elle ne se sentira probablement pas très bien à l’arrivée, simplement parce qu’elle se sera déplacée à un rythme qui n’est pas le sien. Il se passe le même genre de chose pour les personnes qui essaient de provoquer l’expansion de leur conscience à coups de drogues et de produits chimiques. Le conscient est soudainement anesthésié, alors même qu’on abaisse les barrières de l’inconscient. Le choc qui en résulte affecte les nerfs, les glandes, et tout l’organisme. C’est consciemment que l’on doit travailler à l’expansion de l’esprit, par la concentration, la méditation, le contrôle des sens, et le travail sur le corps 66


physique au moyen du Hatha-Yoga et des exercices respiratoires. Vous verrez que vous ferez alors continuellement des progrès, en toute sécurité. Nombreux sont ceux qui souhaitent développer leurs facultés extra– sensorielles. A ceux-là je fais remarquer que leur perception sensorielle et limitée leur occasionne déjà bien des ennuis. Ce n’est pas sans raison que bien des choses demeurent cachées. Quand vous êtes un jeune enfant, on ne vous donne que très peu d’argent de poche. On vous en donne davantage à mesure que vous grandissez. De la même façon, la divine Mère Nature qui est en vous attend votre maturité. Elle est prête à tout remettre entre vos mains. Mais c’est aller au-devant de bien des ennuis que de tout exiger avant l’heure. Donc, au lieu d’essayer de prendre en main la puissance même de Dieu, laissez plutôt Dieu vous prendre en main, quand vous serez prêt. C’est de cette façon que vous devriez approcher le Yoga. Appliquez-vous à vous affiner toujours davantage et, quand vous serez prêt, la force de la Kundalini se révélera à vous et vous conférera tous les pouvoirs.

Je recommande à ceux qui pratiquent le Yoga de ne jamais chercher à éveiller prématurément la Kundalini par des exercices intensifs. Elle vous sera toujours accessible en temps utile. Vous n’avez que faire de ces fruits et légumes dont la maturité est accélérée à coups de produits chimiques. Vous préférez que leur croissance soit naturelle. Laissez votre système aussi se développer et s’affiner de manière naturelle. Et un jour, vous vous révélerez être un instrument parfait. 67


Comment la Kundalini fonctionne-t-elle? Au plan physique, la majeure partie de la Conscience Cosmique qui se trouve en vous est emmagasinée à la base de votre colonne vertébrale. Quand vous êtes prêt, elle s’éveille. Elle se déplace lentement en remontant la colonne vertébrale, jusqu’au cerveau, en éveillant toutes les potentialités psychiques situées dans des lieux étagés le long de la colonne, que l’on nomme chakras. Tous les chakras situés au-dessous du niveau du coeur contiennent des potentialités animales qui tendent à nous attirer vers le bas. Si la Kundalini s’élève de son propre mouvement, elle franchira tous ces chakras. Elle atteindra d’emblée le cœur, pour monter ensuite plus haut encore. Mais si vous vous montrez vorace et décidez de pratiquer des exercices violents pour éveiller votre Kundalini, tout en étant concentré sur les chakras inférieurs, vous allez devenir plus insatiable encore. A supposer que vous soyez porté sur le sexe, si vous ouvrez le chakra correspondant, vous ne serez plus capable de contrôler votre appétit sexuel. Il est donc déconseillé d’éveiller trop rapidement la Kundalini. Qu’elle fasse son ascension, paisiblement, quand vous serez purifié.

L’électricité qui sort de la centrale a une tension de plusieurs milliers de volts. Nous ne pouvons l’utiliser telle quelle, et elle doit donc passer par des transformateurs qui abaissent sa tension. Elle arrive chez vous en 220 volts, pour que vous ne risquiez pas d’être électrocuté s’il vous arrive de prendre une décharge électrique. Mais imaginons que vous disiez : « je veux le voltage maximum. Je suis un homme riche, et ma maison doit recevoir davantage de courant. » Les décharges que vous recevrez seront plus fortes aussi. La puissance de Dieu fonctionne comme cela. Vous devez apprendre à la manier, à vous en protéger. 68


Il y a eu au siècle dernier un grand saint qui s’appelait Saint Ramalingam Swamigal et qui vivait dans le sud de l’Inde. Personne n’est parvenu à prendre une photo de lui, bien que beaucoup aient essayé. Cet homme était un grand siddha, ce qui veut dire qu’il avait des pouvoirs qui lui permettaient d’accomplir toutes sortes de prodiges. Sri Ramalingam avait coutume d’être présent simultanément dans plusieurs lieux. Un jour, il était en train de faire une conférence dans son ashram. Soudain, au milieu de son discours, il arracha son turban et le couvrit de ses mains en s’exclamant : « Quel imprudent, ce prêtre! » Ses disciples demandèrent une explication. Il dit : « C’est un prêtre qui n’a pas fait attention. Il a mis le feu au rideau qui était tendu devant l’autel. » A cent kilomètres de là, en un lieu sacré que Sri Ramalingam visitait fréquemment, un prêtre avait élevé un brûle-camphre face au sanctuaire. Le rideau avait pris feu et Sri Ramalingam, en saisissant son turban, avait éteint le début d’incendie. De telles choses sont encore réalisables, même de nos jours. Mais ces pouvoirs ne sont pas le but. Il s’agit simplement d’effets annexes de la concentration et de la purification, qui ne doivent servir qu’en cas de nécessité, et non pas pour faire impression. St. Ramalingam en était arrivé à contrôler les éléments. Mais il eut tort de révéler ainsi ses capacités, car il eut beau ensuite prêcher la bonté aux gens durant des années, leur dire de pratiquer la méditation, de prier et d’avoir foi en Dieu, ceux-ci n’attendaient de lui qu’une chose : qu’il fasse des miracles. Ils venaient à lui en espérant qu’il allait faire quelque chose pour eux sans qu’ils aient à faire d’effort eux-mêmes, et ne permettaient donc pas à ses conseils d’influencer leur vie. Il en fut déçu, et tout à la fin de sa vie il dit : « J’ai tenu ici-bas mon échoppe, mais les gens ne s’intéressaient qu’au superflu. Trop rares ont été ceux qui ont recherché ce qui comptait vraiment, et voilà pourquoi le temps est venu pour moi de fermer ma boutique et de m’en aller. » Il avait parlé pour la dernière fois. Il se retira dans une pièce, demandant à ses disciples qu’on en ferme la porte à clef une fois pour toutes. La pièce n’avait pas d’autre issue. Lorsque les autorités eurent vent de ce 69


qui s’était passé, elles réagirent en disant : « On ne peut pas faire cela! La loi interdit de séquestrer quelqu’un ainsi. » Des officiels se présentèrent donc pour faire ouvrir la porte. Les disciples refusèrent de désobéir à l’ordre de leur maître. « Puisque vous ne voulez pas ouvrir, nous allons le faire », dirent les représentants de l’autorité. Mais l’ouverture de la porte ne révéla qu’une pièce vide. Saint Ramalingam avait purement et simplement disparu. Le contrôle du prana, autrement dit de l’énergie vitale contenue dans le microcosme, assure à celui qui le possède maîtrise et victoire sur tout le macrocosme. Et si vous savez contrôler le prana en vous-même, vous savez le contrôler à l’extérieur. Il s’agit d’une seule et même force, sur des plans différents. Les scientifiques concentrent tous leurs efforts sur la matière extérieure, et pour la maîtriser technologiquement il leur faut toutes sortes d’instruments. Or, si vous possédez le contrôle intérieur, il vous est possible de maîtriser la matière extérieure sans l’aide d’aucun instrument, par votre seule volonté. Mais ceci ne devrait pas être notre but. Nous devrions avoir pour but de conserver purs notre esprit et nos sens, et de les utiliser pour le bien de l’humanité. Une pratique sincère du Yoga peut vous mener à cela. Et quand je dis Yoga, je ne parle pas seulement du Hatha-Yoga. Le Yoga englobe tout : les asanas, le pranayama, le contrôle des sens, la concentration, la méditation, la pureté d’esprit, une vie de dévouement, un coeur capable de compassion, une volonté ferme, et l’abandon de notre égoïsme. Toutes ces choses devraient trouver leur expression dans notre vie. Alors nous devenons forts, paisibles, joyeux et utiles.

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Vous êtes cause de tout


Visitez, à Détroit, une usine de voitures. Sur les chaînes de montage, on ne voit pas que des voitures terminées. Celles qui sont complètes sont dans une certaine zone, mais d’autres, ailleurs, ne sont assemblées qu’à 80%; ailleurs encore, elles ne le sont qu’à moitié; puis, à d’autres endroits, on ne voit que des pièces détachées, et des matériaux bruts. Le monde est une vaste usine, une grande chaîne de montage qui produit constamment des êtres humains en les perfectionnant sans cesse. Les exemplaires les plus achevés ne participent plus au circuit de production. Ils sont installés à part, dans un hall d’exposition, pour être vus de tous. Un jour, un homme qui visitait un temple hindou se plaça face à une statue. Et voilà qu’il entendit soudain une conversation chuchotée. C’était une pierre du dallage, juste devant la statue, qui interrogeait celle-ci : « Comment se fait-il que tous ces gens te couvrent d’ornements magnifiques et soient en adoration devant toi, alors qu’ils me foulent aux pieds et ne prêtent aucune attention à moi? » « Tu pourrais être traitée comme je le suis, » répondit la statue, « mais tu as laissé passer ta chance. Le sculpteur qui m’a faite avait amené à son atelier un bloc énorme. Puis, le trouvant trop important, il l’a cassé en deux. Moi, j’étais l’une des moitiés, et toi l’autre. C’est sur toi qu’il a commencé à travailler en premier. Il t’a donné un très léger coup de burin. Aussitôt tu as crié : « Aïe! ne me touche pas! Comment oses-tu me frapper? » Il t’a crue possédée par quelque démon et il t’a donc mise à l’écart, pour commencer à travailler sur moi. J’ai pensé que tout le martelage qu’il me faisait subir avait sûrement une raison d’être, et j’ai décidé 74


d’attendre et de voir. J’ai attendu patiemment, et de son ciseau il a peu à peu fait sauter tout ce qui n’était pas nécessaire. Il ne m’a pas créée. La statue que je suis avait toujours été présente, cachée au-dedans de la pierre. Il a simplement ôté ce qui était superflu, et ainsi ma forme a émergé. Voilà comment tu t’es retrouvée où tu es, et moi où je suis. »

Comme cette statue, nous devrions comprendre quelle est la raison d’être des difficultés et de la souffrance que nous rencontrons dans notre vie. Il faut les voir comme des opérations chirurgicales, pénibles mais salutaires. Une mère qui va donner naissance à un enfant doit envisager de souffrir. Mais au-delà de ce fait il y a la certitude d’accueillir un adorable bébé, et donc elle fait face à la souffrance, et l’accepte. Si nous comprenons comme il convient la souffrance qui est dans nos vies, la peur que nous pouvons en avoir disparaîtra. Peut-être même trouverons-nous qu’elle est la bienvenue, et nous lui dirons : « Vas-y, toi la souffrance, débarrasse-moi de toutes mes scories. Raffine-moi. » Par fusions et coulées successives de l’or, on accroît sa qualité. Si on veut transformer de l’or à 14 carats en or à 22 carats, on le chauffe jusqu’au point de fusion, puis on répète ce processus. A chaque fois, l’or y perd certaines de ses impuretés et se trouve donc raffiné. Quand votre « affinement » est perdu, vous cherchez à vous réaffiner. Quiconque suit ce procédé devient une personne raffinée. Le « raffinement » implique que vous ayez fait quelque chose pour retrouver votre « affinement ». Originellement vous étiez « fini », mais vous avez dégradé cette finition en vous « dé-finissant » : « je suis américain, il est australien. Je suis jeune, il est vieux. Je suis noir, il est blanc. » Voilà bien vos façons de vous « dé-finir ». 75


Ce sont ces définitions qui nous limitent. Pour « ré-affiner », il faut cesser de « dé-finir ». Quand on y arrive, on retrouve l’unité avec les autres, et son état originel. Le chemin apparaît souvent difficile et ingrat. Lorsque vous apprenez le piano, vous faites bon nombre de fausses notes. Vos voisins n’arrêtent pas de se plaindre. Ils n’attendent qu’une chose, que vous refermiez ce piano et alliez vous promener. Il vous faudra beaucoup de temps pour parfaire votre jeu. S’il vous faut une récompense immédiate, choisissez un objectif modeste. En plantant une graine d’épinard, vous aurez assez vite des épinards. Mais si vous désirez un grand arbre qui donnera des fruits pendant des années et des années, vous n’allez pas obtenir tout cela en un jour. Le cobaye peut avoir une portée de douze petits en deux mois seulement, mais un seul éléphanteau requiert une période de gestation qui peut atteindre dix-huit mois. Tout ce qui vaut la peine d’être réalisé demande un certain temps. Si vous essayez d’atteindre la perfection en un jour, autant dire que vous n’arriverez à rien. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne l’accroissement de la force spirituelle, de la force de volonté. Commencez par de petites choses, quotidiennement, et un jour vous vous surprendrez à faire ce qui vous aurait paru impossible quelques mois auparavant. C’est ainsi que l’on développe sa volonté. Appliquez votre volonté à quelque chose qui soit pour vous de l’ordre du possible. Ne vous essayez pas à une chose qui soit très difficile ou qui dépasse vos capacités. Par exemple, si vous êtes quelqu’un à qui il faut toujours trois morceaux de sucre dans sa tasse de thé, dites-vous : « Bon! aujourd’hui je n’en mettrai que deux dans chaque tasse que je vais prendre. » Le jour suivant vous vous direz : « Aujourd’hui, je vais essayer de ne prendre que cinq tasses de thé au lieu de dix. » Ou bien, autre exemple : « je ne fumerai que sept cigarettes au lieu de dix. » Petit à petit vous allez développer votre volonté. C’est un peu comme pour le bébé qui apprend à marcher, il progresse par petites étapes. 76


Il essaye une fois, tombe, se relève, vous l’encouragez : « C’était très bien! Tu vas faire un pas encore plus grand maintenant; vas-y! » Voilà la manière d’enseigner. L’esprit est si faible et enfantin qu’il lui faut un entraînement très progressif. Si vous pouvez faire ce que vous avez décidé de faire, sans chercher d’excuse pour vous en dispenser ou le remettre à plus tard, et sans lenteur ni paresse, alors vous avez exercé votre volonté. Vous voulez faire quelque chose et vous le faites. Et le fait même de vouloir ne devrait pas être pris à la légère. Il y a des gens qui disent : « Bon! Eh bien! je verrai, j’essaierai... » A leur ton, quand ils disent « j’essaierai », on sent qu’ils n’ont guère foi dans leurs tentatives. Ceux-là ne peuvent exercer leur volonté. Mais si on dit au contraire « je vais essayer de faire ceci, et d’une manière ou d’une autre, j’y arriverai », il y a de la force dans le fait même d’affirmer cela, dans l’ébauche même du commencement. Si vous pensez « il me semble que je suis capable de faire tout ce que je désire faire », vous êtes vraiment capable de faire tout ce que vous pourrez vouloir. Vous croyez en votre Soi et en votre confiance en vous-même. Gardez toujours votre but présent à l’esprit. Si vous comprenez quel est le but et que vous vous consacrez à l’atteindre, les échecs ne vous démoraliseront pas. C’est l’intérêt même que vous prenez à l’accomplissement du but qui va vous le faire atteindre.

Il est naturel d’avoir des échecs. Ne les laissons pas nous abattre. Personne n’a jamais accompli quelque chose de grand sans connaître l’échec à certains moments. Demandez-vous pourquoi vous avez échoué, et vous en tirerez des enseignements. Utilisez tout échec comme un marchepied qui vous aide à atteindre le succès qui va suivre. 77


Progressez de l’un à l’autre de ces échecs comme on franchit un gué, de pierre en pierre; de cette façon, chacun d’eux se révélera être une expérience utile.

Vous n’avez pas le loisir de fuir loin de vos problèmes. Vous les retrouveriez, identiques, partout où vous pourriez aller. Chacun de vos problèmes est là, comme un professeur, pour vous enseigner quelque chose. Le professeur de mathématiques ne vous donne-t-il pas des problèmes à résoudre? Quand vous trouvez les solutions, il vous permet d’accéder au niveau supérieur. La nature procède de la même façon. Si vous prenez la fuite devant les problèmes, et changez d’école, il y aura là un autre professeur, qui vous remettra devant les mêmes problèmes, jusqu’à ce que vous les résolviez. Ainsi va la vie. Nous n’apprenons qu’à force d’erreurs. Nous ne savons marcher qu’après être tombés bien des fois. Il est difficile de s’imaginer un monde exempt de problèmes. Imagine-t-on une salle d’examens où on ne distribuerait pas de sujets? Chaque question du sujet vous pose un problème. Et vous pouvez bien vous gratter la tête, il vous faut quand même trouver une solution. Si vous la trouvez, vous êtes reçu. Les problèmes nous aident à développer nos ressources intérieures. Ils sont pour nous autant de leçons. N’attendons jamais du monde qu’il s’aplanisse, qu’il s’affranchisse de tout problème. Un tel monde exclurait toute occasion d’apprendre ou de se développer. Prenez l’exemple d’une graine. Si vous la laissez sur une assiette, il ne se passera rien. Elle ne germera pas. Si vous creusez un trou en terre et y mettez la graine, un problème se pose à elle : « Et la lumière? Je suis enterrée, et je ne peux pas dormir là. Il faut que j’en sorte. » Et c’est dans cet effort pour s’en sortir que la graine révèle le bel arbre qu’elle contenait. Si vous dites « je ne veux pas que cette graine ait le moindre problème; je vais la laisser sur l’assiette », la graine restera graine. Elle 78


n’aura pas l’occasion de s’exprimer et de grandir. C’est sous cet angle que nous devons considérer nos problèmes. Tout problème qui se pose à vous est là pour vous aider à manifester vos capacités. D’autres personnes, qui ont une aptitude à résoudre les problèmes, peuvent vous guider en vous disant : « Voici comment nous avons résolu nos problèmes. Essaye de régler les tiens de la même façon. » Les autres ne peuvent résoudre vos problèmes, mais ils peuvent cependant vous dire comment ils ont fait face aux leurs. On comprend ainsi pourquoi vous n’irez sans doute pas chercher de l’aide auprès de quelqu’un qui semble accablé de problèmes encore à résoudre. Nous nous comportons comme si l’origine de nos problèmes nous était extérieure. Nous essayons d’en rendre quelqu’un d’autre responsable et nous disons : « C’est lui, c’est elle qui fait problème. » Ou bien : « C’est telle ou telle chose qui est la cause de tout. » Il est dans la nature de l’esprit humain de trouver quelque chose ou quelqu’un qui soit responsable. Imaginez quelqu’un qui marche le long d’une route. Voilà qu’il tombe par terre tout à coup et se blesse. Si vous lui demandez alors ce qui s’est passé, il répond « une pierre m’a fait tomber ». Jamais nous ne considérons ce que nous avons pu faire pour occasionner le problème. Il nous faut apprendre à aller chercher en nous-mêmes ce qui en est la cause. Vous êtes votre seul problème, votre ami, votre ennemi. Autrement dit, si vous êtes en bons termes avec votre esprit, vous ne verrez que des amis partout. Mais si votre esprit se comporte en traître à votre égard, vous aurez peu d’amis. Établissez donc avec votre esprit une relation d’amitié. Ne le laissez pas influer sur votre manière de voir les choses. Ne le laissez pas charger votre pensée de préjugés. Il peut se révéler être un merveilleux outil qui vous amène à une bonne compréhension des choses.

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A dire vrai, il n’existe rien qui soit bon ni mauvais dans le monde extérieur. Tout est neutre. Une prise de courant, par exemple. Est-ce quelque chose de bon ou de mauvais? Vous direz : « Mais c’est une très bonne chose. Je branche une lampe et j’ai de la lumière. Je branche une radio et j’ai de la musique. » Mais quelqu’un d’autre va sursauter et dire : « Mais non, l’électricité est extrêmement dangereuse! L’autre jour, j’ai mis mon doigt dans une prise et j’ai reçu une décharge terrible! » L’électricité est, pour lui, quelque chose d’effrayant. La simple audition du mot poison a le pouvoir de nous effrayer. C’est pourtant à partir de poisons que sont élaborés certains médicaments. Un poison peut être un plaisant élixir si vous savez vous en servir.

Si vous vous adossez à un mur, il vous aide. Précipitez-vous contre lui la tête la première, il vous blesse. Or le mur n’a pas plus le désir de vous faire une bosse sur la tête que celui d’être pour vous un soutien. C’est vous qui allez vers lui et en tirez une récompense ou une punition, selon votre type d’approche. Le Seigneur n’a pas plus d’intérêt à vous récompenser qu’à vous punir. C’est vous qui êtes maître de votre punition ou de votre récompense. Le Seigneur veille seulement à ce que votre action soit suivie d’une réaction appropriée. Si vous mettez votre doigt dans le feu, il sera brûlé. Dieu ne vous forcera pas à y mettre le doigt. C’est à vous d’en décider. Dieu veille seulement à ce qu’il ne pousse pas un rosier là où vous avez planté un pommier. Vous récoltez ce que vous avez semé. Il en est ainsi avec le Seigneur. Voilà pourquoi vous n’avez pas à Le louer quand le bonheur vous favorise, ni à Le maudire quand le malheur vous frappe. C’est vous qui êtes la cause de l’un comme de l’autre. 80




L’esprit


Avez-vous déjà vu votre propre visage? Non. Ce que vous voyez dans le miroir n’est pas votre visage. C’est un reflet. Si, à votre grand étonnement, votre visage vous apparaît horriblement déformé dans un miroir, est-ce que vous vous précipitez à l’hôpital? Non, vous essayez plutôt un autre miroir. Vous savez que le problème vient du miroir et non de votre visage. Un miroir qui n’a pas une surface parfaitement plane vous renverra une image déformée de votre visage. Pour le voir tel qu’il est, il vous faut un miroir bien propre, à la surface bien égale. Le miroir fait de verre reflète votre visage. Mais quel est le miroir qui vous permettra de contempler votre Soi Véritable? C’est votre esprit. Votre esprit est le miroir du Soi. Votre Soi Véritable n’est jamais laid, agité ou impur. Il est à l’image de Dieu, et Dieu n’est jamais malheureux. Un esprit maintenu bien propre et bien lisse vous permet de voir une image authentique de vous-même; et vous pouvez alors vous voir paisible et heureux. Mais quand l’esprit est agité ou troublé, vous captez un reflet horrible de votre Soi et vous en concluez que vous êtes vous-même horrible. 84


Quand les gens croient à tort être ce qui n’est en réalité que leur esprit perturbé, ils souhaitent immédiatement échapper à un reflet aussi détestable. Certains achètent des tranquillisants, d’autres se mettent à boire, et d’autres fument de l’herbe. Il y a bien le café et le thé instantanés, alors pourquoi pas la paix et l’extase instantanées? Nous aimons l’idée que nos corps ne doivent rien à la chimie, et à cette fin nous essayons de ne manger que des aliments biologiques. Pourquoi ne pas faire de même pour l’esprit? Pourquoi le livrer à la chimie? Médicaments, herbe, drogues ou toute autre chose n’apportent qu’un apaisement d’origine chimique. Or la félicité est quelque chose de naturel, que vous n’avez besoin ni d’obtenir ni de créer, puisqu’elle est en vous, puisqu’elle est vous-même. Vous n’avez rien de particulier à faire pour que le calme s’installe dans votre esprit. Comparez-le à un bol d’eau. Qu’avez-vous à faire pour garder l’eau tranquille? Rien, sinon la laisser à elle-même. Qu’elle soit, et c’est tout. N’est-ce pas une chanson que vous chantez : « Let it be »? Que cela soit. On retrouve cette même formule dans toutes les religions. Que cela soit. Qu’il en soit ainsi. Amen. Vous n’avez pas à devenir ceci ou cela. Vous avez à être, et c’est tout. On me demande souvent : « Quelle est votre religion? Vous parlez de la Bible, du Coran, de la Torah. N’êtes-vous pas hindouiste? » Je réponds : « Je ne suis ni catholique, ni bouddhiste, ni hindouiste, mais plutôt UnTout-iste. Ma religion est celle du Tout. Nous avons causé suffisamment de dégâts. Alors cessons et réparons les erreurs que nous avons déjà commises. »

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Si je pose à chacun de vous la question « qui êtes-vous? » et que je note l’ensemble des réponses qui y sont faites, j’obtiendrai une liste du genre de celle-ci : « Je suis un homme; je suis une femme; je suis noir; je suis blanc; je suis mince; je suis gros; je suis médecin; je suis philosophe. » Si vous avez écrit toutes ces réponses l’une au-dessus de l’autre, et qu’avec un cache vous masquez du haut en bas de la liste les deux premiers mots je suis de chaque phrase, vous ne voyez plus que les mots homme, femme, noir, blanc, mince, gros, médecin, philosophe. Déplacez maintenant le carton pour couvrir ce côté de la liste, et seuls apparaissent les mots je suis, je suis, je suis, je suis. Sur ce côté-ci nous sommes tous d’accord, mais ce n’est pas le cas de l’autre côté. Je suis veut bien dire je suis. Pas j’ai été, ou je serai. Je suis, à cet instant, et dans le présent. Rien de ce que je désigne comme « mien » n’est moi-même. « Ma maison », ce n’est pas moi; « ma main », ce n’est pas moi. « Mon corps », ce n’est pas moi non plus, d’ailleurs. S’il était moi, comment pourraisje en parler en disant : « mon corps »? Tant que nous nous identifions comme étant notre esprit, ou notre corps, nous disons des choses comme « j’étais heureux. Maintenant, je suis déprimé. » Quand vous êtes dans un état d’agitation ou de dépression, prenez du recul et demandez-vous : « Qui est déprimé? Qui est agité? Moi? Certainement pas, ce ne peut être que mon esprit ». Dès l’instant où vous vous séparez de votre esprit, c’est comme si un disjoncteur avait été manœuvré, et vous cessez de souffrir. Vous devenez simple témoin de ce qui se passe. Vous n’êtes plus égaré entre des « hauts » et des « bas ».

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Qu’est-ce qu’une dépression? C’est une partie d’une vague. Une vague est pour moitié une crête et pour moitié une dépression. Si vous voulez créer une vague à la surface d’un plan d’eau tranquille, vous y jetez quelque chose. En tombant, cet objet y forme d’abord un creux. Cette dépression s’entoure ensuite d’une crête en relief. Cette crête est à l’image de l’effort que vous faites pour résoudre en vous-même une dépression. Dépression qui a été engendrée par la chute, au beau milieu de votre esprit, d’un désir, ou d’un sentiment de manque. Il n’y a rien de mauvais à ce que vous vous trouviez exposé aux choses. Il suffit simplement de ne pas les vouloir pour vous-même. Évitez de leur donner trop d’importance ou de trop les ressasser. C’est un peu comme lorsque vous venez d’exposer un rouleau de photos. Si vous le sortez de l’appareil et lui faites prendre le jour avant qu’il n’ait été développé, toutes les images seront effacées. Exposez votre pellicule mentale à la Lumière de Dieu. Ouvrez votre cœur, ne l’enfermez pas dans une chambre noire. Des images, vous en prenez constamment. Vous êtes bardé d’objectifs et de microphones, ce qui fait que vous filmez en stéréo, en relief, avec en plus l’odorat et le toucher. Ouvrez donc votre caméra à la fin de la journée et dites : « Voilà toute la pellicule que j’ai exposée aujourd’hui. Tout cela, c’est pour Toi, pas pour moi. » Vous exposez le film, Il en dispose, et ainsi vous conservez toujours une pellicule toute neuve. Et qu’est-ce que la pellicule? C’est un support neutre qui été recouvert d’un produit chimique sensible à la lumière, comme le nitrate d’argent, par exemple. Dès l’application de ce produit, il ne faut plus exposer le film à la lumière. On le dispose dans une boîte obscure qu’on appelle l’appareil photo. Chaque fois qu’on manœuvre l’obturateur, la lumière entre, et l’appareil prend une photo. La durée de l’exposition dépend de la sensibilité de l’émulsion chimique qui a été appliquée au film. Cette sensibilité est exprimée en nombre d’ASA. Asa, en sanscrit, signifie désir. Le film exposé passe au développement, puis dans un bain fixateur. Une fois fixé, il est difficile de l’effacer. On l’installe ensuite dans le projecteur. On voit alors sur l’écran tout ce qui a pu se trouver exposé, 87


développé et fixé. L’image apparaît sur l’écran sans affecter celui-ci en aucune façon. La lampe du projecteur n’est pas non plus affectée par l’image, mais envoie seulement l’ombre de celle-cî sur l’écran. Et où se passent toutes ces choses? Dans une salle obscure. Le spectateur qui pour mieux voir un détail du film braquerait sur l’écran une torche électrique ne verrait plus rien à cet endroit. Dès le départ tout se passe dans l’obscurité, depuis la fabrication du film sensible jusqu’à sa projection. L’obscurité est synonyme d’ignorance. C’est pourquoi nous disons : « Seigneur, je t’en prie, conduis-moi des ténèbres à la Lumière. J’en ai assez de tous ces processus d’exposition – développement – fixation projection. » C’est vous qui êtes le projecteur, et votre âme est la lumière. L’écran n’est pleinement lumineux que si la pellicule qui passe devant la lumière est tout à fait transparente. Et cette pellicule c’est quoi? Votre esprit. A l’origine votre esprit est aussi limpide que cette pellicule claire, que ne recouvre aucune couche sensible. Mais voilà que par une fantaisie de la Nature ou de Dieu il finit par être sensibilisé. Et la première couche d’émulsion sensible, c’est le « Moi ». Plus il y a de ce « Moi », plus il y a de sensibilité. C’est pourquoi les personnes égoïstes sont particulièrement sensibles. Une personne à l’esprit ouvert laisse en permanence le jour entrer dans la caméra. Les choses vont donc à l’intérieur, mais ne sont pas fixées. Elles passent sans laisser de trace, et la personne ne s’en trouve donc jamais affectée. Mais si vous ne laissez pas entrer le jour, et que vous vous dites « oh! Cette belle chose que j’ai vue aujourd’hui. Il me la faut absolument », c’est que vous avez développé et fixé dans votre esprit l’empreinte du désir qui est tombé dans celui-ci. Cette frustration est devenue une fixation, et vous n’avez de cesse que ce désir soit satisfait. Vous faites donc cet effort pour satisfaire ce désir. Mais une fois ceci réalisé, qu’obtenez-vous? Un retour à votre tranquillité habituelle, sans qu’il y ait eu d’acquisition nouvelle. Car avant d’avoir ressenti ce désir, vous possédiez la paix. L’arrivée du désir en vous a entraîné 88


une dépression. Pour combler celle-ci, vous avez employé une certaine quantité d’énergie, pour retrouver ensuite votre état de paix originel. Mais malheureusement vous vous dites « j’ai obtenu la paix et le bonheur » et vous oubliez ce qui a été la cause de votre dépression. Tout ce qui vous reste en tête, c’est « je l’ai eu, je suis heureux. Et pour pouvoir rester heureux, il m’en faut encore plus ». Dès que vous dites « il m’en faut encore plus », c’est qu’un autre désir est encore apparu, qui va engendrer une autre dépression, et ainsi de suite, à l’infini.

La meilleure approche consiste donc à rechercher quelle peut être la cause de cette dépression, pour savoir quel genre de désir peut la faire apparaître. Il y a des désirs qui n’entraîneront jamais de manque, parce qu’ils ne visent aucun but égoïste, aucun bénéfice personnel. Ce que vous entreprenez en-dehors de toute ambition personnelle ou égoïste ne peut entraîner de dépression dans votre esprit, puisque c’est l’intérêt d’autrui qui vous motive alors. Vous vous y consacrez selon vos capacités, et vous n’êtes pas déprimé si vous échouez. Imaginez que vous vous promenez au bord de l’océan. Soudain, vous voyez quelqu’un qui tombe à l’eau. Malheureusement vous ne savez pas nager. Allez-vous vous précipiter à l’eau? Non. Vous appellerez à l’aide, mais s’il ne vient pas de secours, ce fait ne vous jettera pas pour autant dans la dépression. Vous aurez fait tout ce qu’il vous était possible de faire. Mais si cette personne est votre frère ou votre ami, vous êtes affolé de voir qu’il va se noyer. Vous êtes à ce point attaché à cette personne 89


que vous pouvez donc éprouver de la compassion, mais en observant bien la limite qui la sépare de la dépression. Que la sympathie que vous ressentez ne vous fasse pas perdre votre paix. Plus vous réalisez votre Soi, et plus vous comprenez que ce n’est jamais vous qui agissez, ou qui prenez plaisir à ce qui se passe. C’est l’esprit qui fait tout, et ressent le plaisir. Dès que la réalisation se produit, l’esprit devient un instrument merveilleux, un instrument qui ne sert plus des fins égoïstes. A l’instant où cette réalisation du Soi est effective, vous cessez d’être inquiet, car « vous » savez que vous n’avez jamais été acteur. Et si l’esprit souffre quand même parfois, vous pouvez prendre du recul par rapport à lui et lui dire : « N’est-ce pas toi qui as mal agi? A toi d’expier maintenant. » On peut comparer cela à une mère qui donne un purgatif énergique à son enfant parce qu’il s’est gavé en cachette de sucreries. La purge est douloureuse, mais la mère dit à l’enfant : « Que veux-tu, je ne fais que te débarrasser du poison. C’est toi qui as mangé tout cela. Je t’avais dit de ne pas le faire. Si tu avais obéi, tu n’aurais pas à subir ceci. » Vous pouvez admonester votre esprit sur ce même ton. « Tu es tellement égoïste, tu as tout mangé. Tu n’as même pas voulu partager avec tes frères et sœurs. Ne t’avise plus, à partir de maintenant, de t’approcher du réfrigérateur. » Le plaisir et la douleur sont l’affaire de votre esprit, pas la vôtre. Pensez que vous êtes malheureux, et vous êtes malheureux. Pensez que vous êtes heureux, et vous êtes heureux. Plusieurs personnes suivent une route, tôt le matin, et remarquent, chacune à leur tour, un homme allongé sur le bord. Le premier passant dit : « En voilà un qui a dû passer sa nuit dans les tripots, il n’a pas retrouvé le chemin de sa maison, et il s’est endormi sur place. Rien d’étonnant à cela, quand on est possédé par le démon du jeu. On est bien incapable de rentrer tranquillement chez soi. » Le second passant dit « le pauvre homme! il doit être bien malade », et continue sa route. 90


Le troisième dit : « Pouah! répugnant, ce clochard! Tu ne tiens donc pas l’alcool? Quelqu’un a dû te soûler. » Le quatrième dit : « Voici un saint, et comme tel il n’est pas affecté par ce qui lui arrive. En ce moment il doit transcender les états de conscience ordinaires. Il ne faut surtout pas le déranger. » Et il s’incline, avant de s’éloigner. Nous ne savons pas lequel d’entre eux était dans le vrai. Ils ont tous vu la même personne. Mais si chacun l’a vue différemment, c’est qu’il a projeté quelque chose de lui-même sur le personnage qu’il voyait. Le monde n’est rien d’autre que votre propre projection. Si dans votre esprit c’est l’enfer qui règne, vous verrez cet enfer partout. Si votre esprit est l’image du Paradis, votre environnement vous semblera paradisiaque. Corrigez votre manière de voir et la Vérité vous deviendra visible. Le commencement de toute chose est dans l’esprit. Celui qui souhaite voir clairement, qu’il clarifie sa vision. La pollution commence dans l’esprit, et c’est ensuite qu’elle s’étend à l’air et à la terre. Nous projetons nos esprits sur le monde.

L’esprit est constamment sollicité en tous sens par les trois qualités, qui s’appellent en sanscrit les trois gunas : sattva, rajas, et tamas. Sattva, c’est la tranquillité, rajas, l’activité dynamique, et tamas l’inertie. Dans les moments où vous vous sentez triste, enclin à la paresse ou au 91


sommeil, c’est la qualité tamasique qui prédomine dans votre esprit. Et puis à d’autres moments, vous ne tenez pas en place. Vous vous agitez sans cesse. C’est qu’à cet instant votre esprit est rajasique, profitez-en pour mener à bien vos tâches. Et puis il y a encore ces périodes où vous connaissez un état intermédiaire, parfaitement équilibré. Vous avez envie d’agir, mais sans en faire trop. Vous ne vous sentez ni déprimé ni excité. C’est l’état sattvique. Ces variations se produisent sans qu’intervienne votre volonté. Cela démontre de quelle façon l’esprit est toujours agité par les trois gunas. Ainsi une flamme vacille-t-elle parfois lorsqu’il y a du vent. Mais s’il n’y en a pas, la flamme est stable. Quand se lèvent les vents du sattva, du rajas ou du tamas, l’esprit devient leur jouet. Vous pouvez cependant renforcer l’esprit. De la petite lampe vacillante vous pouvez faire une lampe-tempête. Une flamme qui n’est pas bien protégée ni abritée doit être conservée dans la maison; pas question même d’ouvrir une fenêtre. Un simple courant d’air, et la flamme s’éteindrait. Mais cette flamme, si vous l’abritez, ne craindra pas même l’ouragan. Ce sera pourtant la même flamme, mais vous aurez su la protéger. Il en va de même pour votre esprit. Vous pouvez lui conférer une force qui lui permettra de faire face à n’importe quelle situation. Quand votre esprit est clarifié vous savez qui vous êtes réellement. Vous réalisez votre Soi. Votre vision devient spirituelle. Car jusque-là vous n’aviez vu qu’à travers votre œil physique, ou à travers celui de votre esprit. Avec l’œil physique, vous voyez fort peu de chose. Avec I’œil de l’esprit, vous voyez déjà beaucoup plus. Mais I’œil spirituel vous fait voir la Vérité. Aucune pensée n’est nouvelle. Elles existent déjà toutes. Il n’y a pas de passé, de présent ou de futur. Tout est situé dans le présent, exactement ici et maintenant, mais vous n’en voyez qu’une partie, et c’est cela qui devient votre présent. Élargir l’angle de votre vision vous permettra d’en voir davantage. 92


L’homme est créé par sa pensée. Ce qu’un homme pense, il le devient. Pour l’homme, semer une pensée c’est récolter une action, semer une action c’est récolter une habitude, semer une habitude c’est récolter une destinée. L’homme fabrique sa destinée à partir de ses pensées. Qu’il corrige le cours de ses pensées, et il devient le maître de sa destinée au lieu d’en être l’esclave. Il n’est pas de plus grande victoire que celle que vous pouvez remporter sur votre propre esprit. Dieu plus un esprit, cela donne l’homme. L’homme, moins son esprit, est Dieu.

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La mĂŠditation


Le Yoga vous demande d’être concentré, d’habituer votre esprit à faire une seule chose à la fois. Quand vous travaillez, travaillez, quand vous vous amusez, amusez-vous. Quand vous mangez, mangez; quand vous dormez, dormez. C’est une capacité que nous possédons tous. Mais faute de mobiliser la totalité de notre esprit, de concentrer 100% de nos énergies sur la tâche à accomplir, nous ne la pénétrons pas en profondeur, et nous n’atteignons pas le but souhaité. Le secret du succès est de rassembler notre esprit. Si nous le concentrons entièrement sur un seul point, il devient la plus grande puissance qui soit sur la Terre. Il est impossible d’enfiler une aiguille si le bout du fil n’est pas suffisamment pointu. C’est la même chose pour l’esprit. Toutes les idées et toutes les formes-pensées doivent être concentrées sur une seule chose; ainsi gagnent-elles de la force. Si vous percutez une cartouche hors d’un fusil, elle explose. Mais si elle est mise à feu à l’intérieur du fusil, sa détonation est obligatoirement canalisée le long du canon. C’est ce parcours qui imprime à la balle l’élan et l’accélération qui la porteront jusqu’à son impact dans la cible. 96


Se concentrer signifie focaliser toutes ses pensées vers un centre. Si on ne concentre pas le rayonnement du soleil, il ne chauffe pas. Si on ne barre pas la rivière et si on ne concentre pas le passage de ses eaux dans une conduite, elle ne produit pas d’hydroélectricité. Si l’essence n’est pas acheminée du réservoir au carburateur, et si elle n’est pas concentrée en un point précis de la chambre de compression, le moteur ne donne pas sa puissance. Tel le foret d’une perceuse, notre esprit est capable de pénétrer toute chose dont il veut connaître le secret. Si vous rassemblez toutes vos formes-pensées pour les regrouper et les concentrer ensuite sur une idée ou un objet, elles pénètrent, révèlent et atteignent le secret caché derrière cette idée. C’est ce que font les inventeurs. Leur esprit est focalisé. Ils sont concentrés à un tel point que la nature leur révèle ses secrets. A ce degré de contrôle et de concentration, il n’y a rien dans ce monde qui soit hors de votre portée. Rien n’est impossible à un esprit concentré en un seul point. Vous ne connaîtrez que des succès et n’aurez jamais à déplorer un échec, car vos actions seront parfaites et votre esprit en paix. C’est cela le but du Yoga – et non pas seulement d’arriver à se tenir sur la tête pendant dix minutes, ou à retenir sa respiration pendant une ou deux minutes. Cela, tout le monde peut le faire. Cependant le contrôle mental lui-même peut s’avérer insuffisant. Il se peut que vous arriviez à contrôler l’esprit, à le concentrer, et à découvrir tous les secrets de la nature. Mais il vous faut ensuite en connaître le maniement, et en faire bon usage. Ceci suppose d’en avoir une compréhension adaptée, et que l’esprit soit pur et affranchi de toute étroitesse, comme de tout désir. Autrement dit, que l’esprit soit désintéressé. S’il n’en est pas ainsi, vous aurez tendance à garder pour vous-même tous les secrets que vous découvrirez. C’est pour cela que même avec toutes les inventions de la science, nous ne sommes ni heureux ni en paix aujourd’hui. Nous connaissons l’anxiété, la peur, à cause de l’état d’esprit des gens qui contrôlent les secrets de la nature. Ceux-ci se trouvent en de mauvaises mains, et ainsi troublent et effrayent le monde. 97


Chaque jour nous essayons d’en apprendre toujours davantage pour découvrir encore plus de choses. Le monde est dans un état de chaos parce que beaucoup de secrets et de puissantes énergies ont été mis au jour. Ils se sont répandus sans contrôle et l’homme a du mal à les maîtriser.

Un homme eut un jour le désir de faire des prodiges; il alla donc dans la forêt pour consulter un sorcier. Le sorcier lui dit : « je peux mettre à ton service un démon qui est très fort et qui fera tout ce que tu désires. Mais fais bien attention. Tu ne dois jamais le laisser sans travail. Sinon, il te dévorera. » L’homme répondit : « Il ne manque pas de tâches à accomplir dans ce monde. Sois sans crainte, je peux facilement trouver de l’ouvrage pour dix démons. » 98


Le sorcier lui donna donc la formule par laquelle on faisait appel au démon. En temps voulu, celui-ci apparut et demanda : « Mon Maître, pourquoi m’as-tu appelé? Me voici, donne-moi du travail. » L’homme lui dit aussitôt : « je désire un immense palais avec d’innombrables pièces. Construis-m’en un et emplis-le de meubles magnifiques venus des quatre coins du monde. » Il pensait qu’il faudrait un certain temps pour construire un tel palais et pour réunir ces meubles, et il décida donc de faire un petit somme en attendant que le démon ait terminé. Au moment où il allait s’étendre, le démon apparut et lui dit : « Maître, ton palais est prêt. » Et le palais était bien là, immense, entièrement meublé. L’homme réfléchit une seconde et dit : « Il me faudra une centaine de serviteurs pour tout maintenir en ordre. —Oui, Maître, dit le démon qui fit claquer ses doigts. Les serviteurs sont déjà là, et ils s’occupent de tout. —J’ai besoin de voitures, dit l’homme. —Oui, Maître, voici de belles voitures, des Rolls-Royces et des Cadillacs avec leurs chauffeurs, et une station-service privée. Tout est prêt. —J’ai faim, dit l’homme. —Les servantes s’apprêtent à te faire déguster un repas de gourmet dans la salle à manger, répondit le démon. » L’homme était quelque peu perplexe. « Mais que se passe-t-il au juste, demanda-t-il. A peine t’ai-je demandé une chose, tu la fais apparaître. Ça ne prend même pas une seconde. —Décide-toi, dit le démon, donne-moi du travail. Je ne peux pas rester sans travailler. Donne-moi quelque chose à faire! » L’homme était plutôt à court d’idées, parce que le démon ne lui laissait jamais le temps de penser à ce qu’il pourrait bien lui commander de faire ensuite. Il faisait de son mieux pour lui donner sans cesse de l’ouvrage, mais à chaque fois tout se réalisait instantanément. Le démon finit par lui dire : « Donne-moi du travail ou je vais te dévorer. » L’homme courut revoir le sorcier, mais celui-ci n’était plus là. Toutefois il y avait là un saint homme, assis à l’écart. Il se jeta à genoux devant 99


lui en disant : « Un démon me poursuit. Si je ne lui donne pas quelque chose à faire, il va me dévorer, et je ne sais plus quoi lui faire faire! Je t’en prie, peux-tu m’aider? —Oui, mon fils, répondit le saint. Il arracha un de ses cheveux, qu’il avait très bouclés, et le donna à l’homme en disant “Apporte ceci à ce démon et demande-lui de le faire tenir droit”. »De retour chez lui, l’homme demanda au démon d’accomplir ce nouveau travail. Le démon prit entre deux doigts une extrémité du cheveu, le lissa sur toute sa longueur avec deux doigts de l’autre main, puis le lâcha. Aussitôt le cheveu fit ressort et retrouva sa forme. Le démon essaya une nouvelle fois, le cheveu se remit encore en boucle. —« Alors, as-tu fini de redresser ce cheveu? demanda l’homme. —Non, je suis encore en train d’essayer, répondit le démon. —Eh bien, dépêche-toi donc de finir, dit l’homme, car j’ai d’autres choses à te donner à faire! » Tout le travail du démon fut désormais de redresser le cheveu. Quand son maître avait besoin d’autre chose, il appelait le démon, qui abandonnait provisoirement le cheveu, effectuait en une seconde le travail demandé, et retournait ensuite à sa tâche première. Dès lors le démon eut toujours quelque chose à faire, et fut toujours facile à contrôler.

Chacun d’entre nous s’est vu attribuer un démon. C’est en nous-mêmes qu’il habite, car ce démon est notre esprit. Il n’est jamais en repos. Il veut toujours faire quelque chose. Il nous pousse à entreprendre ceci et cela. Jour et nuit l’esprit se crée des tâches, faute de se trouver autre chose à faire. Comme un bateau sans ancre ni gouvernail qu’un vent de tempête pousserait de-ci, de-là sur l’océan, l’esprit impatient vagabonde sans trêve ni repos, et refuse de se calmer. Si vous voulez l’entraîner là où il ne vous dérangera plus, confiez-lui donc un cheveu bouclé. 100


Ce cheveu bouclé, c’est votre mantra. Confiez-le à votre esprit en lui disant : « Répète ceci et ne me dérange plus. Cesse de me pousser sans arrêt en tous sens. Mets-toi à ce travail, et quand j’aurai besoin de ton entière attention pour autre chose, tu le laisseras de côté pour revenir me trouver. » Dès lors l’esprit se calme, et vous le contrôlez. La répétition d’un mantra est la plus simple et la meilleure des pratiques pour la concentration. C’est un exercice accessible à tout le monde, sans aucune restriction. Il peut se pratiquer n’importe quand, ne nécessite aucun accessoire, puisque ce mantra est avec vous en permanence. Vous pouvez vous le répéter quand vous êtes en plein travail, quand vous faites la cuisine, quand vous mangez. Quand on concentre son esprit sur un seul point, et qu’on parvient à entretenir cet état de façon permanente, cela s’appelle la méditation. Et quand vous serez bien entraîné à cette méditation sur un mantra, vous verrez s’affaiblir les pensées indésirables, et elles cesseront de vous perturber. C’est comme si vous alliez planter la graine d’un arbre vigoureux au beau milieu d’un champ d’herbes folles. En grandissant il absorbera tout ce qui peut le nourrir dans le sol, et cela fera automatiquement disparaître les mauvaises herbes. Faites croître une pensée puissante qui ne vous asservit pas, qui fait de vous un être plus universel et plus désintéressé, et toutes les pensées liées au monde s’affaibliront progressivement en vous. Bien sûr votre but ultime doit être de libérer complètement votre esprit, par rapport à quoi que ce soit. Mais le mantra qui vous est donné ne peut en aucun cas devenir une gêne par la suite à cet égard. Lorsque vous graissez une poulie dans votre moteur, la graisse ancienne est automatiquement chassée à l’extérieur par la graisse neuve. La répétition du mantra fait pénétrer de la graisse neuve dans votre esprit et oblige l’ancienne à sortir. Alors tout tourne correctement.

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Il est bon de se préparer à une méditation. Ne se prépare-t-on pas avant d’aller dormir, par exemple? On ne s’affale pas simplement sur un lit. On se change, on se baigne peut-être, et si le besoin s’en fait sentir, on prend une boisson chaude et apaisante. Pour la méditation, il faut être assis dans une position confortable, soit au sol, les jambes croisées, soit dans un fauteuil au dossier droit. Un fauteuil trop incliné pourrait vous inciter à la paresse. Choisissez-le donc assez confortable, sans qu’il vous soit possible de vous y caler trop profondément. Pour rester en éveil, vous devez toujours garder la colonne vertébrale verticale, car c’est à travers elle que s’élève votre force spirituelle, et il lui faut une échelle bien droite. Ne vous souciez pas de vos jambes. Vous pouvez même les étendre, pour changer, si c’est nécessaire. Ça n’a pas d’importance. Mais ne changez pas sans cesse de position. Peut-être allez-vous vous dire : « Je ne suis qu’un débutant; comment vais-je arriver à tenir une posture? » Une telle pensée, à elle seule, rendra la posture plus pénible. Regardez vos jambes et dites-leur : « Pendant bien des années je vous ai écoutées, je vous ai obéi. Maintenant c’est à vous de m’obéir. Je vais vous mettre dans cette position-ci. Vous n’allez pas vous plaindre. 102


D’ailleurs je refuse de vous entendre si vous vous plaignez. De toute façon je sais bien que vous n’allez pas casser. » Soyez très strict et ferme là-dessus. Cette fermeté sera comprise et acceptée par vos jambes. Ne vous figurez pas qu’elles sont passives et ignorantes, car chacune de vos cellules sait ce que vous pensez et ce que vous vous apprêtez à faire. Cela dit, si vraiment vous n’en pouvez plus, le but n’étant pas de méditer sur la douleur, vous pouvez remuer un peu. Ce sera une satisfaction pour votre corps, il s’imaginera qu’il a gagné. Toutefois votre méditation sera meilleure si vous restez assis sans bouger et en maintenant votre colonne vertébrale bien droite. Il faut ensuite régulariser la respiration, car l’esprit et la respiration vont toujours de pair. Quand l’esprit est agité, vous percevez cette même agitation dans la respiration. Quand l’esprit est calme et paisible, la respiration va et vient de manière calme et rythmée. Détendez-vous et faites quelques respirations lentes et profondes, en concentrant tout votre esprit sur l’observation de votre respiration. Suivez bien celle-ci, et assurez-vous de sa longueur. Puis laissez-la suivre son cours, tout en continuant à l’observer. Après avoir observé votre respiration, observez vos pensées. Faites en sorte que vous et votre esprit soyez des entités séparées. Considérez tout ce qui se passe à l’intérieur de votre esprit. Suivez-en le cours naturel, sans oublier qu’observer et analyser les pensées sont deux choses différentes. Si vous jugez vos pensées, vous n’êtes plus en train de les observer, mais de les analyser. Dans un tribunal, le juge n’est pas un témoin. Il analyse pour déterminer qui a tort et qui a raison. Alors qu’un témoin dit simplement ce qu’il a vu. Si l’on va au cinéma, c’est pour voir le film et se distraire, pour être des témoins. Mais parfois on oublie cela et on se met à juger : « Tu as vu! Le cameraman a fait une erreur, là! » C’est se poser en critique, et quand on regarde un film d’un œil critique on n’y prend pas plaisir. Dès que vous repérez quelque chose de critiquable, votre esprit se polarise làdessus et vous fait passer à côté de points forts qu’une autre attitude vous aurait permis d’apprécier. 103


Être vraiment un témoin, cela suppose de tout observer sans en être affecté. La scène d’amour entre le héros et l’héroïne est une très belle scène. Mais la séquence où le traître vient enlever l’héroïne est très réussie aussi. L’esprit est une salle de cinéma. En méditation des choses divines vous apparaîtront, et l’instant d’après des images effrayantes. Elles ne devraient vous inspirer ni attraction ni répulsion. Il s’agit simplement d’impressions précédemment enregistrées par votre esprit. Apprenez à être l’observateur de tout cela. Laissez le film se dérouler. Vous constaterez assez vite que l’esprit se lasse et se rassemble progressivement en un lieu où il trouve le repos. C’est une bonne occasion pour vous d’essayer de le concentrer sur un seul point. Commencez à répéter lentement un mantra ou une prière quelconque de votre choix. Selon votre foi, cela pourra être « Hari Om, Hari Om, Hari Hari Hari Om, » « Om Shanti, Om Shanti », « Amen Jesus, Amen Jesus », « Adonai Adonai », ou « Shalom ». Concentrez toute votre attention sur la répétition de votre mantra puis, après un certain temps, confiez à votre respiration le soin de le répéter, tandis que vous devenez simple observateur. Vous pouvez choisir le thème que vous voulez, mais rappelez-vous qu’en méditant sur les idées les plus élevées et sur les qualités spirituelles divines, vous recevrez celles-ci. Et aussi, tenez-vous en à votre choix; n’en changez pas constamment. Un grand nombre de ponts et de tunnels mènent à Manhattan. Voyez lequel est le plus commode pour vous, et utilisez-le pour vous rendre à Manhattan, où vous ferez ce que vous avez décidé d’y faire. Par la suite, si vous avez du temps et l’envie de vous distraire, vous pourrez essayer quelques-unes des autres voies d’accès. Si vous avez déjà reçu un mantra d’un maître ou d’un groupe, vous pouvez continuer à l’employer. Les mantras sont tous à peu près équivalents. C’est la foi que vous y mettez qui est importante. Il faut répéter le mantra avec une foi entière. Si vous le faites sans conviction, vous ne pouvez pas en espérer de bons résultats. Mais si vous voyez qu’il y a de bons résultats, que cela vous aide à progresser, alors il faut continuer cette pratique. 104


Durant la méditation, il est naturel que l’esprit vagabonde ici ou là, mais vous devez l’inciter, avec douceur, à revenir encore et toujours à votre mantra. Il peut s’évader vers un supermarché ou un cinéma, mais il sait que vous l’observez et il reviendra. Imaginez que vous avez chez vous un petit chien, que vous n’avez jamais maintenu attaché. Il court partout sans cesse. Un jour vient chez vous un visiteur âgé pour qui vous avez un grand respect. Vous ne voulez pas qu’il soit importuné par le chien et donc vous attachez celui-ci dans une autre pièce. Et c’est le début des ennuis! Jusque-là le chien allait et venait, et vous ne remarquiez peut-être même pas sa présence. Mais dès l’instant où vous l’avez attaché, il s’est mis à aboyer, à bondir, à griffer tout ce qui se trouvait à sa portée. Il en est de même pour l’esprit. Quand vous tentez d’exercer un contrôle sur lui, tout naturellement il se rebelle. Ne renoncez pas. Sachez bien que vous êtes dans la situation d’un dompteur au milieu de la piste d’un cirque. Toutes sortes d’animaux sauvages peuplent votre esprit, des renards rusés, des tigres, des cobras. Tenez bon le fouet et faites-le claquer bien fort. Ne négligez aucune tactique, car l’esprit ne se laisse pas aisément dompter. Si vous parvenez à le contrôler, vous êtes le maître. Tant que vous ne serez pas maître de votre corps et de votre esprit, vous ne pourrez être maître de rien d’autre.

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Chaque fois que votre esprit vous échappe pour courir çà et là, et que vous le rattrapez, cela s’appelle de la concentration. La concentration est l’effort que vous faites pour fixer votre esprit sur une seule chose. Le succès dans cet effort s’appelle la méditation. Beaucoup de gens pensent que méditer, c’est chercher à obtenir la vacuité de l’esprit. Or ce n’est pas un état que l’on puisse atteindre. L’esprit, lui, peut y atteindre, mais pas par votre effort. Au moment précis où s’efface en vous la pensée que vous essayez de vous endormir, vous dormez. Pareillement, une fois que votre esprit est totalement absorbé par l’objet de votre concentration, cette pensée unique ellemême sort du champ de la conscience, et l’esprit atteint naturellement un état de vacuité. Beaucoup de gens se découragent au cours de leurs tentatives de méditation parce qu’ils pensent que quelque chose doit se produire immédiatement. Ils s’attendent à des visions ou à des choses dont parlent les livres. Dès l’instant où ils ont les yeux fermés ils se disent : « Il faut, il faut absolument que ces choses se passent pour moi, puisque cela arrive aux autres. » Ainsi ils font barrage, suscitent en eux une tension, et celle-ci suffit à troubler leur méditation. Imaginez que vous plantez une graine, que vous versez un peu d’eau dessus, et que vous la déterrez aussitôt. Constatant l’absence de racines, vous la remettez en terre, l’arrosez encore, et la laissez. Le lendemain, vous la sortez à nouveau de terre pour voir si les racines ont poussé. Or jamais elle ne poussera si vous vous y prenez ainsi. Il faut l’arroser et la laisser en paix, voilà tout. Les racines sortiront en leur temps. C’est justement notre hâte à voir pousser les racines et les fruits qui perturbe la graine. En méditation, les pensées inconscientes remontent à la surface. Elles courent çà et là, tentent de s’échapper, et peuvent se manifester à vous sous forme de lumières ou de sons. Vous commencez ainsi à reconnaître des impressions intérieures. En effet, par la concentration, vous calmez l’aspect conscient de l’esprit. Une fois l’esprit conscient apaisé, vous accédez à l’inconscient qui est empli de millions et de millions de formes-pensées. 106


Soyez patient et continuez à répéter votre mantra. C’est comme lorsqu’on nettoie un tapis. Il s’élève beaucoup de poussière, c’est pourquoi il faut un aspirateur qui fasse puissamment le vide. La véritable illumination consiste à apaiser, puis à transcender tant l’esprit conscient que l’inconscient, et à reconnaître ou réaliser notre propre paix, notre propre joie et le bonheur éternel. Et cela, c’est le Yoga. C’est l’état Christique, ou Bouddhique. Vous êtes libéré de toute agitation. Vous êtes nu, et purifié. Nirvana signifie « nudité ». Votre âme a ses vraies couleurs, et n’est plus masquée par quoi que ce soit.

Avec le temps, la méditation devrait finir par être continuelle, et non pas se limiter à un jour par semaine, ou à quinze minutes matin et soir. Le processus de méditation peut se poursuivre même quand vous mangez, quand vous respirez, quand vous travaillez, et dans tout ce que vous faites. Si vous ne prenez le gouvernail que dix minutes de temps en temps, et laissez le bateau être le jouet des vents le reste du temps, jamais vous n’atteindrez le rivage. 107


Supposons qu’à bord de ce bateau vous mettiez le cap à 180 degrés, par exemple. Et puis qu’ensuite vous vous disiez : « je vois que je suis en train de dévier, mais de quelques degrés seulement, c’est sans importance. » Où cela va-t-il bien pouvoir vous mener? Certainement pas à votre destination première. C’est pour cela que votre vigilance et votre attention doivent être constantes. Quelqu’un doit tenir la barre et garder I’œil sur le compas. S’il vous arrive de faire une erreur de trajectoire et de vous laisser déporter par le vent, il vous faut ensuite apporter une correction à votre route. Sans cela, que vous soyez aux commandes d’un bateau ou d’un avion, vous n’atteindrez jamais votre destination. Avec l’avion que vous pensiez piloter de New York à Los Angeles, vous vous retrouverez probablement à Miami. Là où il y a mouvement, il doit y avoir une direction. Sans une direction, le mouvement s’effectue en pure perte. Cette direction, nous l’appelons discipline. Imaginez une autoroute où les voitures n’observeraient aucune discipline! Une voiture répond à son volant pour sa direction, et la personne qui tient le volant répond à un but qui est pour elle de se rendre à une certaine destination. Le mouvement est assujetti à une fonction qui est de vous mener où vous voulez. Il en va de même pour l’esprit. L’homme dont l’esprit erre sans suivre de direction, nous l’appelons vagabond, sans but. Il mène une vie vague, d’où cette appellation de « vague-abond ». Nous devons avoir des buts, une direction. Il y a des gens qui m’appellent pour avoir un entretien avec moi, viennent au rendez-vous, et ne savent quoi me dire. Avant de faire quelque chose, avant d’agir, ayez un but. Ayez d’abord la connaissance, passez ensuite à l’action. Nous devons être conscients de chacune de nos pensées et de nos actions. Rien ne devrait se produire à notre insu. Ne pas savoir n’est pas une excuse pour faire des erreurs. Si vous roulez à contre-sens dans une voie à sens unique et que vous avez une contravention ou un accident, il ne servira à rien de présenter comme excuse votre ignorance. Vous aurez quand même la contravention ou l’accident. 108


Tout ce qui est entrepris au petit bonheur n’est pas yogique. L’ordre et la beauté dans votre travail, voilà ce qui est yogique. Quand vous écrivez quelque chose, soignez votre écriture. Quand vous repassez quelque chose, repassez-le bien comme il faut. Aussitôt levé vous devriez déjà avoir entrepris de faire votre lit. Si vous changez de vêtements, la première chose que vous faites ensuite est de ranger votre tenue précédente. Ne laissez pas les choses éparses. Mettez chaque chose à sa place. Il faut parfois des heures à certaines personnes pour retrouver une vieille lettre dans un tiroir. Ils sont obligés d’en ressortir toutes les autres lettres, non sans tout mélanger. Mais si vous conservez vos affaires en ordre, il vous suffit d’ouvrir le tiroir, et vous avez aussitôt sous la main la lettre recherchée, sans même avoir à la regarder. Dans la nature, il y a partout de l’ordre, et la beauté y est visible en toute chose. Rien n’est jeté au hasard dans ce monde. Ordre et beauté y sont naturels. Nous devrions essayer de vivre avec la nature sans perturber l’ordre qui y règne. Créons donc un nouvel état d’esprit, au nom du Yoga. Que chaque chose soit propre et sans défaut. Il nous faut pour cela apprendre la discipline. Cueillez une fleur dans le jardin et, même si elle est petite, vous pouvez observer avec quelle perfection sont arrangés les pétales, et à quel point cette fleur est organisée, symétrique et belle. Vous pouvez voir aussi de quel ordre et de quelle structure est constitué un cristal. La discipline, c’est ce qui vous est donné à voir dans la nature. Chaque chose a sa place.

Nous pouvons exercer notre esprit à fonctionner de cette façon. Le Hatha-Yoga lui-même exprime cet ordre et cette grâce. Le fait de mouvoir le corps de façon gracieuse et paisible incite l’esprit à suivre son exemple et à retrouver le calme. 109


Ne croyez pas que la méditation suffise, à elle seule, à contrôler l’esprit. Vous avez à le remettre constamment sur la voie de la régularité et de la discipline. La discipline sert à renforcer l’esprit, à mieux le concentrer, mais vous n’avez pas à en devenir l’esclave. Elle doit au contraire vous permettre d’asservir toujours davantage votre esprit. C’est vous le maître, et votre esprit doit vous obéir.

Lorsque des vibrations spirituelles vous sont transmises à l’aide de cette formule sonore qu’est le mantra, cela s’appelle une initiation. Bien sûr il vous est possible aussi de prendre un mantra au hasard dans un livre et de le répéter. Mais l’initiation transmise par une personne qualifiée a une vertu comparable à celle du ferment lactique déposé dans du lait préparé avec soin. Vous le savez, pour faire du yaourt on ne peut pas utiliser du lait froid. Il faut d’abord le faire bien bouillir, puis le ramener à la température adaptée. Alors vous ajoutez, comme ferment, une goutte de yaourt de la précédente fabrication. Vous laissez agir le ferment. Vous mettez le récipient de côté pendant une nuit. Le matin, vous constatez que le lait a « pris », qu’il n’est plus liquide. Si vous voulez du beurre, étape supplémentaire vers l’état solide, il vous faut maintenant baratter ce lait. La chaleur produite va séparer la matière grasse, autrement dit le beurre, qui alors monte et flotte. 110


Quand on verse du lait dans de l’eau, les deux liquides se mélangent immédiatement. Mais un morceau de beurre placé dans cette même eau surnage. De la même manière, notre esprit est au départ comparable à un liquide. Très souvent même, il est froid. Si bien que pour atteindre à l’expérience spirituelle, pour trouver l’essence de l’esprit, il faut le faire bouillir. Avec un esprit en ébullition, vous devenez quelqu’un qui est en recherche et qui demande : « Où puis-je aller? Quelqu’un peut-il verser en moi un peu de ferment? » Quand la personne qui vous donne son enseignement estime que vous avez suffisamment bouilli, elle vous rafraîchit un peu. Elle ne vous dira pas : « Venez ici, je vais vous donner un peu de ferment. » Elle vous aide d’abord à stabiliser votre esprit en vous donnant un aperçu du genre de vie qu’il serait souhaitable pour vous de mener. Ensuite elle vous transmet un peu de ce « ferment », c’est-à-dire qu’elle fait passer en vous un peu de sa vibration par le don d’un mantra et par le contact de sa main. Le « ferment » utilisé aujourd’hui provient de celui d’hier et celui d’hier provient de celui d’avant-hier, etc... Il y a donc une tradition établie. Par la répétition du mantra qui vous a été donné, le ferment se met à agir en vous et l’ensemble de votre esprit prend de la consistance. Une fois cet esprit stabilisé, à la manière du yaourt, il vous est possible de rechercher au plus profond quelle est votre essence et d’extraire celleci par barattage. Quand ceci est mené à bien, comme pour le beurre, apparaît alors votre véritable nature, l’Atman. A partir de cet instant, même si vous vous jetez dans l’océan d’illusion où nous sommes, vous ne pourrez jamais vous noyer. Vous serez dans ce monde, mais vous ne serez pas de ce monde. Vous serez comme un bateau. Un bateau peut porter les gens d’un rivage à l’autre. Vous pourrez être dans le monde sans être affecté par celui-ci.

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Recevoir une initiation par un mantra, c’est devenir le réceptacle où l’on plante une magnifique graine. La personne qui l’a plantée ne peut courir après vous pour s’occuper de l’arrosage, de l’engrais et de l’enlèvement des mauvaises herbes. Cela, c’est à vous de le faire. Veillez donc à apporter eau et nourriture à la graine, et à bien désherber autour d’elle. Tout ce qui porte atteinte à la pureté de votre vie ressemble à cette mauvaise herbe qui peut progressivement contrecarrer le développement de cette graine, et voler la nourriture que vous lui destinez. Mais la graine est robuste : même si vous ne lui donnez ni eau ni engrais, elle sera toujours là. Elle ne mourra pas, mais ne poussera pas non plus. Prenez à nouveau bien soin d’elle, elle croîtra et donnera de beaux fruits. L’arrosage symbolise le fait de garder présent à l’esprit le mantra, et de le répéter. L’engrais représente votre souci de vous associer de préférence avec des personnes qui ont dans la vie des intérêts similaires aux vôtres. Faites attention à vos fréquentations, à ce que vous étudiez, lisez, voyez et mangez. Si vous êtes à la recherche d’une pratique très simple, la méditation sur un mantra est ce qui vous convient. Toutes les autres représentent une exigence d’horaire, de lieu, ou d’équipement. Vous ne pouvez pas pratiquer le Hatha-Yoga ni en avion, ni en faisant la cuisine, ni aux toilettes, ni au bureau. Et au bureau, si vous vous mettez à faire ne serait-ce que des exercices de respiration, vous allez peut-être effrayer les gens. Mais si vous méditez sur votre mantra, personne n’a à savoir ce que vous faites. Vous pouvez le faire aussi bien dans le métro que dans votre bain; rien ne peut vous empêcher d’avoir votre mantra constamment présent à l’esprit. Beaucoup de gens disent que nous allons vers l’ère du Verseau, un age qui verrait l’expansion de la conscience, mais l’ère où nous semblons plutôt nous trouver pour l’instant est appelée Kali Yuga, l’âge de fer. C’est une époque très grossière, très rude, un âge sombre et sinistre. L’ère de Kali Yuga rend très difficile la pratique d’exercices exigeants et 112


pénibles, mais c’est par ailleurs une époque où la pratique d’un mantra est tout particulièrement facile et puissante. Donc, gardez toujours le vôtre présent à votre esprit. Ne laissez pas votre mantra de côté, en ne l’utilisant jamais. Il représente quelque chose de très précieux. C’est pour cette raison qu’il est rare que je fasse allusion à l’initiation aux mantras, ou que j’y invite. J’attends que les gens en fassent la découverte par eux-mêmes et qu’ils désirent vraiment la recevoir. Ce que je donne est quelque chose de très précieux, une chose qu’il faudrait mériter et apprécier à sa juste valeur. Si elle n’éveille pas d’intérêt en vous, pourquoi vous la donnerais-je? Je ne cherche pas à avoir davantage de disciples. Je tiens à ce que mes disciples soient des pierres précieuses véritables, même si je ne dois pas en trouver plus de dix. Du granit, des galets, il m’est facile d’en trouver à pleins tombereaux, mais à quoi bon? Laissez donc monter dans votre cœur, dans votre âme, dans votre corps la vibration sacrée de votre mantra, et qu’elle crée autour de vous une vibration et une atmosphère merveilleuses. Vous découvrirez alors cette paix et cette joie intérieures, et vous ferez ressentir aux autres la même paix quand ils seront en votre présence. Vous serez des machines mobiles et vivantes à distribuer la paix. Vous et moi, nous deviendrons des collaborateurs à vie. Allons, marchons et prions ensemble.

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La prière


J’ai un jour rendu visite à des gens qui avaient un petit bébé. Je parlais à la famille, la maman était occupée à la cuisine. Le bébé s’amusait avec ses jouets. Au bout d’un moment, il pleura un petit peu, et commença à porter des objets à sa bouche, dans l’espoir qu’en les suçant, il en tirerait du lait pour apaiser sa faim. Quelques pleurs, une autre tentative, à nouveau des pleurs; un certain temps se passa ainsi. Et quand il eut « goûté » à tout sans trouver de lait nulle part, il se remit à pleurer. La mère lui apporta sa tétine et il s’arrêta de pleurer en la suçant. Mais il s’aperçut très vite qu’il n’obtenait pas de lait de cette façon non plus. Il se mit alors à donner des coups de pied en tous sens et à pleurer pour de bon. Il avait maintenant une façon toute différente de pleurer. Et la mère, qui savait que cette fois les pleurs étaient réels, accourut aussitôt pour nourrir le bébé. J’ai tiré de cela une très bonne leçon. J’avais autrefois médité et prié quelque peu, mais en pensée je n’avais jamais cessé d’être soit au cinéma, soit sur la place du marché. Je pouvais aller m’asseoir quelque part dans l’Himalaya, ou bien face au Gange, et me mettre en méditation 116


les yeux fermés, mais je me retrouvais en train de méditer sur quelque film vu à New Delhi. Je pouvais bien être au fond d’une caverne, mon esprit, lui, était en ville. Je récitais toutes les prières comme il le fallait, et mon auditoire les trouvait merveilleuses à entendre. On s’extasiait sur ma capacité à rester calmement en méditation pendant de longues heures. Mais il ne se passait rien dans mon cœur. Je ne ressentais rien, je ne percevais rien. C’est ce bébé dont j’ai parlé qui m’a fait voir mon erreur, en ce sens que je n’avais jamais mis dans mes prières la sincérité qu’il avait fini par mettre dans ses pleurs. J’étais assis en prière, mais il suffisait que me parvienne une bonne odeur de nourriture pour que je me dépêche d’en finir, et que je me dirige vers la cuisine. Et au moment où je me mettais en prière, je vérifiais l’heure pour ne pas rater ensuite la première séance de cinéma. Mes prières ne recevaient pas de réponse appropriée parce qu’elles n’étaient ni réelles ni sincères. J’appris alors à pratiquer la prière pour elle-même et non pas pour quoi que ce soit d’autre. Rien si ce n’est Dieu ne me satisferait. Quand nos prières ont ce degré de sincérité, quand nous ne nous intéressons à rien d’autre qu’à Dieu, alors il ne Lui est pas possible de rester ailleurs, dans l’indifférence. Il ne peut que venir très vite à nous. L’aide dont nous pouvons avoir besoin est toujours prête à se manifester. Le tout est de la demander avec sincérité.

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Cette aide ne viendra pas à l’homme qui reste campé sur sa fierté. Il faut plutôt ressembler à un bébé : pleurez sincèrement pour l’obtenir. La Nature dans son entier est prête à vous combler. Vous n’avez pas à adorer le soleil pour recevoir sa lumière; il vous suffit d’ouvrir vos volets, et elle entre. Si vous cessez de lui opposer une barrière, la lumière vient à vous. Ne laissez donc pas votre orgueil faire barrage entre vous et l’aide divine. Pleurez de tout votre cœur. « O Seigneur, aide-moi. Seul, je n’y arrive pas. Je suis tellement petit, tellement limité. » Que ce soit sincère. Ayez des larmes. Apprenez à bien pleurer, à connaître le goût de vos larmes. En pleurant (ou en riant) de tout son coeur, on abaisse considérablement ses tensions. Les gens qui pleurent rarement deviennent des clients habituels du médecin. Quand on ne laisse rien sortir, tout s’accumule et fermente.

Lorsqu’un enfant veut montrer à sa mère son affection, a-t-il à mesurer la durée de ses câlins, le nombre de ses baisers? Non, cela vient tout naturellement. Il devrait en être de même pour la prière. Bien sûr il y a des gens qui axent des prières tout à fait sincères sur des objectifs matériels, comme d’obtenir de l’argent, ou le succès à un examen. Mais c’est tout de même une bonne chose, car au fil de leurs prières ils se mettront à penser : « Pourquoi donc est-ce que je Lui demande toutes ces choses? Ne sait-Il pas ce qui est bon pour moi? Il me donnera tout le nécessaire, Lui qui sait tout. » Il y aura alors une évolution dans leurs prières. Ils diront : « Mon Dieu, ai-je seulement besoin de Te demander quelque chose? Je risque même de demander une chose qui n’est pas souhaitable pour moi. Toi, Tu sais ce qui est bon. Fais donc ce qui convient. Moi je ne sais rien. Il me suffit d’avoir foi et dévotion envers Toi. » Voilà qui élève de beaucoup le niveau de leur prière. 118


C’est par degrés que la dévotion s’approche des niveaux les plus élevés. La Bhagavad Gita fait la distinction entre quatre types de dévots. Il y a celui qui va vers Dieu et Lui demande de ne plus souffrir. Un autre Lui demande de l’argent, ou des biens matériels. Un troisième demandera la libération de tout ce qui le lie. Mais le quatrième, lui, ne demande rien. Il a simplement du plaisir à prier et à louer le Seigneur. C’est cela la forme la plus élevée de la prière. Les gens qui ne croient pas en un Dieu me demandent : « Qui est-il, votre Dieu? Où est-il? Est-ce qu’il tire les ficelles, caché dans un coin? Quel sens cela a-t-il de prier? Dieu va-t-il m’entendre et courir vers moi? » A ceux-là je réponds que Dieu est en réalité partout, non pas sous une forme particulière, mais comme une conscience ou une puissance omniprésente. Dieu est la conscience elle-même. Le fait de prier avec sincérité revient à ajuster votre esprit à la manière d’un récepteur radio pour le rendre capable de capter cette énergie. Si je dis par exemple qu’il y a de la belle musique dans cette pièce, certains d’entre vous vont réagir et dire : « Mais nous n’entendons rien. Comment pouvez-vous dire qu’il y a de la musique ici? » Eh bien je vous dirai d’apporter une radio, et si vous la réglez bien vous entendrez effectivement de la musique.

Vous ne créez pas la musique en réglant le récepteur. Elle était déjà présente; le réglage n’a fait qu’attirer les ondes radiophoniques. Si vous tournez le bouton et changez un tant soit peu de fréquence, vous cessez de capter la musique. Mais elle revient avec la plus grande facilité dès l’instant où vous retrouvez la bonne longueur d’onde. 119


De la même façon, seul un accord fin de votre esprit sur la bonne longueur d’onde peut vous permettre de recevoir la Conscience et la Grâce divines, ou la Conscience Cosmique. C’est cet état de mise en résonance que certains nomment « méditation », d’autres « prière », d’autres encore « communion ». On dit même que pour atteindre cet état élevé, il suffit de s’asseoir tranquillement, qu’il n’y a rien d’autre à faire. Mais c’est déjà agir que de s’installer dans cette attitude. Ce Dieu, ce Soi, ou cette conscience pure et emplie de béatitude est toujours présent. Vous ne le créez pas par votre méditation. Vous n’avez rien de particulier à faire pour le recevoir, mais il vous faut tout de même intervenir pour que rien ne vienne perturber son passage. Nous ne créons pas la grâce de Dieu, mais nous écartons tout ce qui pourrait l’empêcher de parvenir jusqu’à nous.

Saint Jean commence son Évangile sur ces paroles : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu. » On peut comprendre qu’en parlant du « Verbe », Saint Jean fait allusion à un son. Au commencement il y eut un son, et ce son fondamental peut être appelé Dieu. A partir de lui fut créé l’univers dans son entier. Les scientifiques nous disent que l’univers entier, celui que nous voyons comme celui que nous ne voyons pas, n’est constitué que de vibrations au niveau atomique. Lorsqu’une dynamo se met à tourner, la première chose qui se manifeste est le son de sa vibration. Il en est de même pour tout ce qui se met en mouvement. Lorsque Dieu, jusque-là statique et non-manifesté, a voulu Se mettre en mouvement, Il a émis un son, 120


qu’évoque bien la consonance du mot sanscrit « hum ». Or ce mot signifie le « soi individuel ». Autrement dit, nous formons tous ensemble un chœur qui psalmodie ce « hum » cosmique. Le son Om, ou hum, est la base de tous les sons. Même quand vous klaxonnez, ce n’est rien d’autre qu’une expression du Om. Sur la plage, fermez les yeux et écoutez la musique de la mer – c’est le Om. Le souffle du vent – c’est le Om. L’ardeur d’un bon feu produit ce même son. Les éléments eux-mêmes émettent donc le Om. Et c’est le Om qui fait qu’ils se meuvent. En d’autres termes, le Om, en se mettant en mouvement, donne naissance aux éléments. Ceux-ci ne sont pas distincts du Om. Toute chose est en définitive une expression du Om. Il est le son originel. N’êtes-vous pas « chez vous » une fois que vous avez réalisé la Vérité? Chez soi, c’est le lieu où on se sent bien. Pourquoi l’appelle-t-on « home » en anglais? Parce qu’on y retrouve le son om, au milieu. De part et d’autre, les lettres « h » et « e », « He » (« Lui »), ne désignent-elles pas la présence divine? En présence de Dieu et de son chant cosmique, ne se sent-on pas chez soi?

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Le guru et le disciple


Le mot « guru » est maintenant très employé en Amérique, mais avec parfois une nuance ironique. Guru signifie enseignant ou maître spirituel. Il est celui qui fait disparaître ou éloigne tout ce qui peut obscurcir votre compréhension. La première syllabe, gu, signifie obscurité ou ignorance, ru veut dire celui qui enlève. Celui qui chasse l’obscurité est donc un guru. Son rôle n’est pas de se borner à vous répéter « tu es merveilleux ». Il se peut bien que vous le soyez, mais le guru dira quand même : « Il y a encore une tache noire ici. Arrange-moi ça. » Un guru n’est rien d’autre qu’un blanchisseur. Il s’efforce de laver le linge sale. Imaginez que vous avez une belle chemise blanche qui est devenue toute grise à cause de la saleté et de la poussière qui se sont accumulées sur elle. Vous la confiez donc au blanchisseur pour qu’il la rende à nouveau blanche. Mais est-ce vraiment ce qui se passe? Car cette chemise n’a jamais cessé d’être blanche, en réalité. Le blanchisseur ne fait rien d’autre qu’enlever la poussière, pour que la blancheur nous redevienne visible. Il frotte bien la chemise, la laisse tremper, puis la rince, la tord, la met à sécher, et la repasse au fer chaud. Lorsqu’il vous la redonne, elle est 124


à nouveau propre et belle. C’est ce que fait le guru avec l’esprit de son élève ou disciple. Il participe à son nettoyage, pour que sa pureté originelle redevienne visible. Comme le tissu, l’esprit souffre beaucoup de ce qui est venu l’entacher. Plus sombre est la tache, plus grande est la douleur. Si l’esprit était resté sans tache, il ne connaîtrait pas la douleur. Lorsque votre esprit vous a été donné il était pur et neuf, merveilleusement adapté à votre usage, mais il se trouve que vous n’avez pas su prendre soin de lui. Vous lui avez laissé la bride sur le cou et, à cause de ce qu’il pouvait y avoir de mauvais dans vos pensées et vos actions, il s’est trouvé encombré de toutes sortes d’impuretés. Or ce n’est que quand l’esprit sera clarifié, lavé de cette accumulation de déchets, que pourra apparaître le Soi Véritable. Vous atteindrez à la libération lorsque vous aurez fait tomber les liens où vous maintient votre propre esprit, ou votre ego. Car votre ego n’est pas disposé à accepter quoi que ce soit. Il va à coup sûr faire barrage entre vous et le maître, et celui-ci doit donc avant tout s’assurer que l’ego est purifié. Il ne s’agit pas de détruire l’ego, mais simplement de l’assainir. Car si votre ego était détruit vous perdriez votre individualité, et toute motivation pour apprendre. Pour nettoyer votre esprit, le maître peut vous demander d’effectuer des tâches humbles. En fait il n’existe pas de tâche qui soit réellement humble ou servile, mais si le maître pense que cela peut désenfler votre ego, il vous demandera de l’accomplir. Son souci est de s’occuper de votre ego. Lorsqu’il voit que vous êtes prêt à tout faire, alors vous vous mettez à recevoir, sans même le remarquer.

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Nous sommes truffés de « résistances ». Il nous faut démonter toutes ces résistances, les remplacer par des condensateurs adaptés, vérifier tous les branchements, et notre récepteur se met alors à marcher comme il faut. Si vous connaissez un peu l’électronique, vous savez que les résistances ne sont rien d’autre que des barres de carbone. Le carbone est une substance calcinée, noire. Si la barre est un peu trop longue, le courant ne passe plus du tout. De la même façon, bien des résistances sont présentes dans notre système. Nous devons nous en débarrasser pour que le courant passe. Et c’est l’ego qui crée principalement ces résistances en vous. Il est très difficile de renoncer à l’ego. Je vais vous y aider en vous initiant au « mantra de l’ego ». Il est très simple. Chaque fois que vous sentez en vous une tendance égoïste, dites « E - go, E - go! » Voilà le mantra de l’ego. Il est plaisant, parce que l’ego aime bien qu’on répète son nom. Bon! Eh bien! vous lui dites : « E - go », « Eh! Go! » (Va-t’en!)

Si vous en êtes capable, usez de votre intelligence pour évaluer les qualifications que possède telle ou telle personne réalisée, tel ou tel sage ou homme éclairé, avant de l’accepter comme guru. La caractéristique du sage est d’avoir l’esprit calme, ferme et clair. Il ne court pas après quoi que ce soit. Il n’a peur de rien. Il n’a ni ami ni ennemi. Ni le plaisir, ni la douleur, ni le profit, ni la perte, ni les louanges, ni les critiques ne l’affectent. Il est satisfait, il est totalement dépourvu d’égoïsme ou d’orgueil. 126


Si vous percevez ces qualités chez une personne, vous pouvez être sûr que c’est un sage. Il est apte à devenir votre guru. Il n’y a en lui aucun égoïsme, et il est prêt à vous servir à tout moment. Cependant il saura ne jamais s’imposer à vous. Étant un homme de sagesse, il ne prétend pas être un homme réalisé, ou le seul homme réalisé. C’est quelqu’un de très humble au contraire. Il attendra d’être reconnu de vous. Si l’occasion de servir se présente, il intervient. Sinon, il reste en attente. Un véritable maître n’a pas besoin de publicité. A-t-on jamais vu qu’une fleur fasse parvenir une circulaire à toutes les abeilles en leur disant : « J’ai du nectar. Venez me trouver »? Non. Quand la fleur est éclose, il lui suffit d’être, et les abeilles viendront. Quand l’arbre est chargé de fruits, il n’a pas besoin d’adresser aux oiseaux une invitation.

Un guru ne se désignera jamais comme tel. Ce sont les autres qui l’appellent guru. Demandez donc au Christ s’il a fondé le christianisme et il répondra : « Non. J’ignore absolument ce qu’est le christianisme. » Demandez au Bouddha s’il a fondé le bouddhisme et il répondra : « je ne connais pas le bouddhisme. Je ne connais que la Vérité. » Ce sont les disciples qui créent un culte. Les grands maîtres ne se soucient pas d’emplir de leur vérité des bouteilles marquées à leur nom, ou d’en faire en aucune façon le commerce. 127


Si vous vous sentez attiré vers un maître spirituel, allez-y, faites sa connaissance, mêlez-vous à ses disciples, et voyez si vous êtes satisfait. Si vous sentez que cela vous apporte une aide, suivez ce maître. Si cela n’est pas à votre goût, restez à distance. En un sens, tous les maîtres et toutes les institutions sont nécessaires. Tous accomplissent un certain service qui correspond à la volonté de Dieu. Toute la gamme des restaurants nous est nécessaire. Si vous aimez ce qui est servi dans un certain restaurant, choisissez celui-là pour y prendre vos repas. Si vous n’aimez pas ce qu’on y sert, n’y allez pas, mais ne le critiquez pas. Peut-être que d’autres personnes l’apprécient. Vous n’allez pas condamner la cuisine italienne simplement parce que vous êtes allergique à la sauce tomate. Il faut avoir une approche œcuménique. Le but est au fond unique dans la vie – que ce soit la réalisation du Soi, de la paix, du bonheur, ou de Dieu en soi-même. Choisissez ce que vous voulez, ce qui compte, c’est de l’atteindre. Il existe une seule faim spirituelle, et tous les différents maîtres et institutions sont autant de restaurants spirituels. Si vous suivez l’enseignement d’une personne, cela ne veut pas dire que tous devraient en faire autant. Il y a un seul et même Esprit qui s’exprime sous différentes formes et appellations selon les époques, les moments et les endroits. Ici cet Esprit sera appelé Jésus, ailleurs Bouddha. Nul besoin de proclamer que celui-ci ou celui-là seul doit être adoré. Ils sont tous les deux ce même Esprit, sous l’apparence d’hommes différents. Les petites vagues, les grandes vagues, l’écume, les bulles, les embruns, les icebergs sont tous la même matière, sous des formes différentes. Le jeune enfant aime bien les vaguelettes. Le gaillard plus hardi, qui veut faire du surf, ne tient pas compte de celle-ci et attend les puissants rouleaux. Quel que soit votre choix, conservez la vision de la mer qui est derrière toutes ces vagues et devenez un voyant. Si nous reconnaissons que Jésus, en tant que personnage historique, a pu incarner l’essence infinie, nous voyons que cette même essence pouvait tout aussi bien apparaître sous un autre nom, avec un corps différent, 128


identifiés comme Bouddha. Mais derrière l’un et l’autre, il y a le même Esprit. A l’endroit où la mer touche un de ses rivages, on l’appelle « Océan Pacifique ». Sur d’autres rivages on l’appelle « Atlantique », ou « Océan Indien ». Allons-nous nous disputer et soutenir que les eaux du Pacifique, de l’Atlantique et celles de l’Océan Indien sont différentes? Non. Toutes ces eaux sont une eau unique, comme est unique la Vérité, qui peut apparaître sous n’importe quelle forme, n’importe quel nom, n’importe quand et aux yeux de n’importe qui. Celui qui a des yeux la verra, celui qui a des oreilles l’entendra. L’Ultime Vérité ne peut être révélée que par quelqu’un qui en a fait l’expérience, et la doit à une révélation faite par une autre personne ayant connu cette même expérience. Une bougie ne peut s’allumer d’elle-même. Il faut qu’une autre bougie, allumée, vienne à son contact. C’est ainsi que la Vérité passe d’une personne à l’autre.

On comprend souvent mal quel est le rôle du guru, et les disciples s’imaginent que le maître va les acheminer lui-même jusqu’au but. Si vous apercevez une pancarte qui indique : BOSTON – 300 Km., est129


ce que vous vous prosternez devant elle et la couvrez de guirlandes en disant « s’il te plaît, emmène-moi à Boston »? Non. La pancarte se contente d’indiquer la direction et la distance. A vous de cheminer. Il en est de même du guru. Il a accompli le parcours. Il connaît le chemin, et il peut guider les autres. Mais vous devez suivre son enseignement. Dieu Lui-même ne peut vous aider si vous ne vous aidez pas. L’esprit, qui cherche à s’en sortir par la voie la plus commode, demande : « Mais si Dieu est cet être plein de compassion qui répand tant de grâces, pourquoi ne vient-Il pas me combler de ses grâces et de ses bienfaits? » La réponse est que si vous ne cherchez pas, vous ne trouverez pas.

Il arrive souvent que des disciples décernent à leur maître ou à leur guru le titre de prophète, ou d’Avatar. Si vous reconnaissez à un guru cette qualité d’Avatar, il s’agit de quelqu’un qui vous sera certainement bénéfique. Mais il n’y a pas de raison pour que l’Avatar soit un cas unique. En réalité, vous êtes tous des Avatars, le terme Avatar signifie incarnation Divine, vous êtes tous des incarnations de Dieu. Il n’y a rien, nulle part, qui ne soit Dieu. Tout est Dieu. Il n’a pas créé le monde à partir de quoi que ce soit d’autre que Lui-même. Voilà pourquoi nous disons de Lui qu’il est omniprésent. Tout objet parfaitement poli, propre, pur présente des reflets. Nous sommes tous d’essence divine, mais pour une raison quelconque il se trouve que bien peu parmi nous apparaissent comme le reflet de cette présence, ou aident à la rendre visible et sensible. On nomme 130


Avatars ceux qui ont le sentiment d’être des incarnations de Dieu, et sont capables d’éveiller chez d’autres le même sentiment. Cependant ils n’arrivent pas toujours à communiquer cela, car ceux qui n’ont pas une certaine clarté de vision ne peuvent pas même percevoir qu’ils se trouvent en présence d’un Avatar. Qui est capable de certifier qu’un diamant est authentique? Celui qui s’y connaît en diamants.

Aucun guru ne vous demandera d’être constamment auprès de lui. Cela créerait une dépendance. Or la croissance spirituelle suppose une libération de tout attachement. Votre maître se doit de vous libérer. Mais il est possible qu’au début il vous dise : « Attache-toi à moi, pour arriver à te détacher d’autres choses. Ensuite je t’aiderai à te détacher aussi de moi-même. » Si vous voulez aller apprendre autre chose ailleurs, il doit dire : « Très bien! Vas-y. » Il n’aura pas le sentiment d’être en train de perdre un disciple. Son intérêt prédominant est de vous voir grandir. Si vous sentez que vous pouvez apprendre davantage en un autre lieu, il vous y conduira lui-même. Un guru ne fait pas de distinction entre les gens. Il se contente de donner. Il sème le grain à tout vent. Ce grain tombera parfois sur le rocher, parfois dans la boue. Ou peut-être un autre jour, le vent soufflera et fera tomber le grain du rocher jusqu’à terre. Le guru ne s’inquiète pas de cela. Son devoir est de semer.

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Un saint homme, ou un guru, ne garde jamais quoi que ce soit pour luimême, à travers lui tout ne fait que passer. La flûte est percée de trous et ne renferme que du vide. A travers elle, le musicien peut jouer tout ce qu’il veut. C’est la raison d’être de ce vide et de ces trous.

Un guru ne réclame jamais rien de vous en contrepartie de son enseignement. Car tout en enseignant, il apprend. C’est cela la leçon que le maître est destiné à recevoir. Quand il prêchait, le Christ n’a jamais fait payer personne. Ses disciples lui apportaient de quoi manger, et il distribuait cela aux personnes présentes. Les véritables enseignements spirituels sont toujours dispensés gratuitement. Mais s’il y a quelque chose que vous pouvez donner en retour, donnezle. Aucun tarif n’est fixé. Si vous avez un fruit, coupez-le en morceaux et offrez-en au maître. Il convient au disciples d’apporter des offrandes, mais le maître ne devrait pas s’attendre a en recevoir. Un guru ne cherchera jamais à vous imposer un enseignement de force. Il attendra votre demande, le moment où vous êtes prêt. C’est au moment où vous avez une foi entière en lui que s’établit le lien, la connexion. Cette confiance une fois établie vous apprenez quelque chose du guru, même s’il vous refuse son enseignement, car la véritable connaissance ne se transmet pas en paroles. Un guru peut bien faire des heures et des heures de conférence, mais cela n’est rien, comparé à ce qui peut se transmettre silencieusement en une seule minute. En parlant le langage des sentiments, dans le silence, vous pouvez recevoir bien davantage qu’à travers les mots. La vérité des sentiments 132


ne peut qu’être limitée par les mots. Si quelqu’un vous répète : « Je t’aime, je t’aime » cent fois par jour, ce n’est pas de l’amour. C’est qu’il doute lui-même de son amour; voilà pourquoi il vous le redit sans cesse. Car si l’amour était présent, pourquoi vous en parlerait-il? Cela n’est pas nécessaire; c’est quelque chose que l’on ressent, qui est au-delà des mots. Chacun de ses regards, chacune de ses actions en serait empli. C’est une chose à ressentir, non à entendre. Si le cœur a son content, la bouche se ferme d’elle-même. Le Guru est éternel. Le Guru ne meurt jamais. C’est seulement son corps physique qui meurt. Qu’est-ce qu’un guru alors? Ce sont ses paroles et ses enseignements. Ces choses-là ne meurent pas. Ce sont des vérités éternelles. Elles vous sont simplement transmises à travers un corps physique. L’aboutissement du travail du guru est de vous rendre visible le Soi Véritable, ou le Guru Véritable, qui est en vous. Beaucoup de disciples passent de longues périodes de temps sans même seulement apercevoir le Guru en tant que personne physique, mais néanmoins ils comprennent ses leçons et suivent ses enseignements. Cela est possible quand on regarde vraiment à l’intérieur de soi, que l’on médite, et que l’on y voit le Guru. On peut alors recevoir, de l’intérieur de soi-même, toutes les réponses.

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La véritable éducation


Chacun possède des qualités innées, et un enseignant a le devoir de faire en sorte qu’elles se révèlent. Là où on a semé un pépin de pomme, Mère Nature fait croître un pommier, pas un oranger. Or dans nos écoles modernes, on voudrait faire pousser un type d’arbre unique à partir de graines qui sont toutes différentes. L’école devrait être un lieu où les enfants développent leur identité propre et leurs qualités. L’enseignant devrait être prêt à répondre à toutes les questions. L’enseignant a davantage le devoir de répondre à des questions que d’enseigner. Quand un enfant demande « c’est quoi, ça? », alors peut-il commencer la leçon. Dans sa réponse il peut inclure de l’histoire, de la géographie, de la chimie, de la physique, de la philosophie, de tout. Si l’enfant prend par exemple une banane et demande « d’où ça vient? », le maître d’école peut parler du bananier, de la façon dont il pousse, et dans quel type de sol. Que les enfants choisissent ce qui les attire. S’ils sont fatigués et disent « j’ai faim », cela peut donner lieu à une leçon sur la nutrition. Même pendant le repas, les enfants peuvent apprendre comment manger, à utiliser toutes leurs dents et à bien mastiquer. Le maître peut aussi dire : « Avant de commencer à manger, pensez à tous ceux qui sont loin d’en avoir autant dans leur assiette aujourd’hui. Remerciez Dieu de vous donner ceci. Songez à partager ce que vous avez, ne serait-ce qu’une seule banane, avec celui qui n’a rien. » Bien 136


des choses peuvent être enseignées, même autour de la nourriture. L’ensemble de la nature devrait être comme un grand livre à étudier. Malheureusement, cela ne se passe pas souvent ainsi dans l’éducation moderne. Le professeur arrive en classe avec ses notes préparées à l’avance, s’installe devant les élèves, et fait son cours. Peu importe si les élèves écoutent ou non. Le professeur termine son heure et s’en va. C’est la raison pour laquelle l’éducation est en train de devenir un commerce. Ce n’est plus la joie d’enseigner qui motive les professeurs. Ils ne cherchent plus à partager leurs connaissances, mais à les vendre. La plupart des médecins de village indiens sentent bien, eux, que leurs remèdes cesseraient d’avoir une efficacité s’ils avaient un prix. Ce type de médecine y perdrait sa qualité spirituelle pour devenir une transaction. Le médecin de village ne demande donc jamais d’argent. C’est à vous de trouver une façon de le dédommager, ce qui n’est pas toujours facile. S’il vous sauve la vie par exemple, c’est un don magnifique et vous chercherez la première opportunité pour le lui rendre. Il ne manquera certes pas d’aide quand il devra repeindre sa maison. Il existe un lien d’amour entre les gens que nous appelons spiritualité. Comme le médecin de village, celui qui enseigne ne devrait jamais s’attendre à recevoir quoi que ce soit en échange des connaissances transmises. La connaissance a ceci de comparable à un puits, que plus on lui prend de son contenu et plus elle en donne. Si vous êtes médecin et que vous cessez toute pratique pendant dix ans, vous aurez oublié tout ce que vous saviez. Le fait d’avoir des élèves vous aide à entretenir les connaissances que vous avez acquises, et vous devez donc leur en être reconnaissant.

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Il y a partout des gurus. On n’en manque pas. Chaque chose et toute chose, chaque personne et toute personne peuvent devenir votre guru. L’ingrédient qui manque le plus, c’est le disciple. Les Écritures disent que quand le disciple est prêt, le guru apparaît. Une fois que vous avez choisi quelqu’un pour être votre guru, n’essayez pas de le tester, ou de vérifier s’il dit ce que vous pensez qu’il devrait dire. Pour être un bon disciple, vous devriez commencer en lui disant : « Je ne sais rien. Je vous fais entièrement confiance. Dites-moi seulement ce que je dois faire. » Alors seulement s’installe la véritable relation de guru à disciple. Jusque-là ce n’était qu’un échange amical. Un homme alla un jour voir un maître et lui demanda de lui transmettre la sagesse. Mais auparavant il tenta d’impressionner le maître en faisant étalage de toute la sagesse qu’il possédait déjà. Le maître dit : « Très bien, je vais te transmettre de la sagesse, mais avant cela tu prendras bien du thé. » Il se met à verser du thé dans la tasse du disciple. Il verse encore et encore, et voilà que la tasse déborde, mais le maître continue à verser. Le disciple finit par dire : « Maître, ma tasse est pleine et vous versez toujours. Le thé se répand par terre. —Je sais, dit le maître, mais toi aussi tu débordes déjà, empli que tu es de tes idées et de ton égoisme. Je peux bien déverser davantage – y compris la vérité – mais il n’y a pas de place pour elle dans ta tasse. Tu reviendras une autre fois, quand tu l’auras vidée. »

Si vous portez sur la tête, en marchant, une jarre à demi remplie d’eau, vous entendrez un clapotis assez cacophonique se produire à l’intérieur. La jarre pleine, elle, ne fait aucun bruit. Rappelez-vous bien que tout ce qui fait trop de bruit est à moitié vide. Une personne qui est un vrai puits de science dira toujours : « Je n’en sais pas tant que cela. Je suis prêt à apprendre un peu plus. » 138


Tout le monde a quelque chose à nous donner. Nous ne perdons rien à respecter les autres et à être humbles. Nous gagnons toujours à nous pencher sur ce que nous cherchons à comprendre. L’humilité, le fait de s’incliner, est toujours une bonne chose. Tout ce qui a quelque poids, d’ailleurs, s’incline et se penche volontiers. Observez un champ de blé. C’est quand l’épi est mûr et lourd que sa tige s’incline. On ne perd rien à être humble et à témoigner du respect aux autres. Montrez du respect et vous serez respecté. Le respect est comme un écho. Si vous lui criez « salut à toi, mon frère! », il vous répondra « salut à toi, mon frère! » Si vous lui dites « imbécile! », c’est la réponse que vous en recevrez. Vous recevez ce que vous donnez. Si vous voulez être respecté, soyez respectueux. Si vous avez envie d’être maître un jour, devenez d’abord un bon serviteur. Seul le bon serviteur fera un bon maître. Vous ne pourrez devenir ce maître qu’en ayant d’abord été le serviteur. C’est une philosophie vivante, c’est le Yoga.

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Bien des gens refusent les conseils. Si vous leur dites « en mettant le doigt dans cette flamme, vous allez vous brûler », ils répondent : « Pourquoi devrais-je t’écouter? Tu te mêles de ce qui ne te regarde pas. » Ils veulent faire par eux-mêmes l’expérience des choses, alors laissez-les faire. Le monde leur donnera les leçons dont ils ont besoin. Contentez-vous d’être simplement présent et, à ceux qui viennent vous demander conseil, dites ce que vous savez. Mais s’ils ne viennent pas à vous et ne vous demandent rien, n’allez pas à leur rencontre pour leur parler. Parfois, par sympathie, vous aurez très envie de leur dire quelque chose. Mais attendez plutôt. Veillez à être bien certain qu’ils sont prêts à vous entendre, à vous écouter. Et même alors, n’exigez pas d’eux qu’ils se rangent à votre avis. Faitesleur simplement part de votre conseil : « Voilà comment je sens les choses. Voilà mon opinion là-dessus. J’ai telle et telle raison de m’être fait cette opinion. Adopte-la si elle te convient. Sinon, laisse-la de côté. »

Avez-vous déjà observé des nids de moineaux? En Inde, ce sont d’énormes structures suspendues, en forme de bulbe, qui contiennent deux ou trois compartiments superposés. Il y a en haut la salle de séjour, et en bas la chambre à coucher. Tout cela, les moineaux le tissent de leur bec, en utilisant des fibres qu’ils arrachent aux feuilles de palmier. Toutes les ouvertures sont orientées vers le bas, ce qui fait que quand il pleut, il n’y pénètre pas une goutte d’eau. 140


Un jour qu’il pleuvait, justement, un moineau était confortablement installé dans son nid. La pluie cessa, et le moineau sortit pour se percher sur son toit. Il aperçut un singe assis sur une branche, à proximité. Lorsqu’il pleut, le singe n’a pas de nid où s’abriter et il reste donc sur sa branche, trempé jusqu’aux os. Il faut voir alors la triste grimace qu’il fait! Le moineau regarda le pauvre singe et lui dit : « Frère, je suis sincèrement désolé pour toi. Moi qui n’ai que mon bec, j’ai fabriqué le beau nid que tu vois là. Toi qui peux saisir avec tes mains, tes pieds, et aussi avec ta queue, supérieur en cela à l’homme lui-même, tu aurais pu passer un peu de temps à te construire une maison. Tu ne serais pas trempé comme tu l’es à présent. » Le singe prit cela pour de la moquerie. « Tu sors de ta belle maison qui t’a permis de rester au sec, et tu as l’audace de venir me narguer! Eh bien! tiens! Regarde ce que j’en fais, de ta maison! » Aussitôt il s’élance et met le nid en pièces. « La prochaine fois qu’il pleuvra, nous serons aussi mouillés l’un que l’autre! » Des gens sont ainsi. Si vous leur dites : « Eh! pourquoi ne ferais-tu pas ceci ou cela? Ils en prennent ombrage. Alors le mieux est de ne pas faire attention à eux. Ils ne sont pas prêts. Attendez qu’ils viennent à vous et vous questionnent. Adoptez simplement une attitude souriante envers eux pour le moment. Même s’ils se montrent railleurs et vous disent « vous êtes des gens bien bizarres, vous les Yogis! », répondez seulement « oui, nous sommes probablement un petit peu dérangés, mais qu’y pouvons-nous? Vous êtes intelligent et vous ne vous laissez pas entraîner dans tout cela. Vous faites bien. » Accordez du crédit à ces gens. L’homme vraiment intelligent n’hésite pas à se tourner lui-même en dérision si c’est nécessaire. Vous n’avez nul besoin de prouver que ce que vous faites est juste. C’est au contraire en tentant de démontrer, à qui n’est pas prêt à entendre, la grandeur de ce que vous faites que vous vous ridiculisez vraiment. Admettez simplement avec un sourire : « Eh bien! oui, nous sommes sûrement un peu déphasés, nous autres. » 141


Ne vous mettez pas en devoir de corriger tout le monde. Vous n’avez pas de mission de ce genre. Maintenez-vous seulement en paix. Nous ne sommes pas ici pour réformer le monde. Quand vous êtes en présence de gens heureux, conduisez-vous en ami avec eux. Quand vous voyez des gens malheureux, témoignez-leur de la compassion. Quand vous voyez des gens vertueux, montrez votre joie. Et quand vous voyez des gens méchants, ne faites pas attention à eux. N’essayez pas de leur donner des leçons. Ils ne sont pas prêts à écouter vos conseils. Si vous avez envie de leur dire quelque chose, faites-le avec douceur et observez du coin de I’œil comment ils reçoivent ce que vous dites. S’ils le prennent mal, n’hésitez pas, allez-vous en. Le silence vous évite les querelles. Que de fois, simplement en parlant, ne nous sommes-nous pas créé des problèmes et des ennemis? Pensez à toutes les fois où vous étiez hors de vous, où vous avez haussé le ton avec quelqu’un, ce qui vous a ensuite fâché pour de bon avec cette personne. Il est bien temps ensuite de vous dire : « J’en ai trop dit. Si seulement j’avais appris à me taire, j’aurais pu éviter cela. » Nous gâchons d’ailleurs bien moins d’énergie en ne parlant pas. Et les gens qui parlent beaucoup ne savent plus écouter. La nature nous a donné une seule bouche, mais deux oreilles. Pourtant nous restons plutôt indifférents à nos oreilles. Bien sûr nous souhaitons que celles des autres soient attentives à nos propos. Les oreilles sont toujours ouvertes. L’oreille n’a pas de porte, alors que la bouche possède des murs très bien construits. Avant de sortir, le son doit passer entre les deux rangées des dents, puis franchir les lèvres. Cela évoque presque une forteresse. La nature elle-même a disposé les choses ainsi. Montrez-vous donc prudents. Soyez économe de paroles, mais toujours disposé à écouter.

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Avant que vous puissiez apporter votre aide à une personne, encore faut-il qu’elle ait le sentiment d’être en difficulté. Je reçois parfois des appels désespérés de gens qui me disent : « Aidez-moi! Je suis perdu! Je ne sais pas comment m’en tirer! » Cela montre qu’ils ont pris conscience du danger où ils se trouvaient et qu’ils veulent changer. Il est alors facile de les aider. Il existe une formule qui dit : « Aidez celui qui sait qu’il ne sait pas. Il se montrera bon disciple, car il est prêt à apprendre. Rejetez celui qui ne sait pas qu’il ne sait pas, car il est stupide. Il n’est pas encore prêt. Mais celui qui sait qu’il sait, c’est à vous d’étudier auprès de lui. C’est un sage. » Si vous donnez à boire à un cygne un mélange d’eau et de lait, il ne boira que le lait. Les cygnes ont cette capacité de séparer le lait de l’eau. Leur bec secrète un liquide qui fait cailler le lait. Il leur est alors facile de n’absorber que le lait ainsi coagulé. Un bon disciple agit tout à fait comme les cygnes. Il assimile ce qui est utile et laisse de côté ce qui n’est pas nécessaire. Mais il existe un autre genre de disciple, qui évoque plutôt le perroquet. Vous lui dites quelque chose et il le répète, sans l’avoir nullement assimilé. D’autres étudiants font penser à un récipient percé de trous. Vous versez et versez mais rien ne reste à l’intérieur. Vous leur parlez pendant deux heures et ils vous regardent, dévorant chacune de vos paroles. Mais à la sortie, si on leur demande « qu’est-ce que le Swami a dit? », ils n’en ont rien retenu. D’autres encore font penser à une passoire pour le thé. Vous versez, mais le précieux thé filtre au travers de la passoire, qui ne retient que les déchets.

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La Bhagavad Gîta définit le bon disciple en ces termes : « Celui qui ne hait nul être, qui offre à chacun amitié et compassion, qui ne pense pas en termes de “ je “ et de “ mien “, qui conserve l’égalité d’esprit dans la souffrance comme dans le plaisir, et qui est patient; celui qui est toujours satisfait, fermement établi dans la méditation, qui a un bon contrôle sur lui-même, qui est pénétré d’une conviction solide, et dont l’esprit et l’intellect sont centrés sur Moi, celui-là, qui est Mon disciple, M’est cher. « Celui qui n’affecte pas le monde et ne peut être affligé par le monde; celui qui n’est sous l’emprise ni de la joie, ni de la colère, ni de la peur ou de l’anxiété, celui-là M’est cher. « Celui qui ne se réjouit point, ne hait point, n’a ni chagrins ni désirs, qui renonce au bon comme au mauvais et est empli de dévotion, celui-là M’est cher. « Celui qui a la même attitude envers l’ami et l’ennemi, la même attitude dans l’honneur et le déshonneur, dans le froid et dans la chaleur, dans le plaisir et dans la douleur; celui qui est libre de tout attachement, que n’atteint ni le blâme ni la louange; celui qui est silencieux, sait se contenter de toute chose; celui qui n’a pas de maison, qui a l’esprit résolu et est empli de dévotion, celui-là M’est cher. » Il n’est pas du tout aisé d’être disciple, car cela suppose une foi absolue et de la dévotion, en même temps qu’une discrimination intelligente. Soyons tous de bons disciples. Que personne n’estime avoir tout appris, car apprendre est un processus sans fin. Tant que nous apprenons, nous sommes des disciples. Alors ne cessons jamais d’apprendre et de grandir.

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Quels sont ceux qui atteindront à la paix suprême? Ceux dont la pratique s’accompagnera d’une foi totale et qui y consacreront un intérêt et un zèle absolus. S’il s’insinue en vous ne serait-ce qu’un atome de doute, il faut avant toute chose vous en débarrasser. Le doute est comme la goutte de poison qui tombe dans la fiole de nectar et en gâche le contenu entier. Le doute empoisonne tout ce qu’il touche, qu’il s’agisse d’une amitié, d’une famille, d’une entreprise, ou de la relation que vous avez avec votre guru. Si vous savez pour quelle raison le doute s’est installé en vous, allez trouver la personne qui en est cause. Parlez-en avec elle. Ne laissez pas cela peser sur votre esprit. Il est toujours préférable de poser la question et de la résoudre. Si vous avez commencé à douter de quelqu’un, toute action ne peut qu’éveiller encore davantage votre suspicion. C’est pourquoi il vaut mieux lever tout doute sans attendre. Quelqu’un m’a dit récemment : « je vous aime beaucoup, je désire vous suivre et adhérer à votre enseignement, mais j’ai encore quelques doutes. » Voilà qui est contradictoire. Vous ne pouvez douter de ce que vous aimez. Si vous avez des doutes à propos de ce que vous êtes précisément en train d’accomplir, comment pouvez-vous aimer ce que vous faites? Peut-on dire : « je t’aime mais j’ai encore quelques doutes à ton sujet »? Ce n’est pas de l’amour dans ce cas. Si vous n’arrivez pas à dissiper ce doute, mettez-vous à la recherche de quelqu’un d’autre. Sinon, vous perdez votre temps. Le doute à propos de vos propres actions mine votre confiance en ce que vous faites. Lorsque vous ne savez plus si vous avez raison ou tort de faire ce que vous faites, il faudrait sans doute que vous consultiez quelqu’un qui est à même de le savoir. Le doute doit être levé à tout prix. Ce n’est pas qu’on doive se reprocher d’avoir des doutes, mais il n’est pas souhaitable de les laisser s’installer. Imaginez-vous marchant le long d’une route et arrivant à un carrefour où vous avez à choisir entre deux directions. Vous ne savez laquelle prendre et vous vous asseyez au bord de la route, perplexe. Mais ainsi vous n’allez plus nulle part. Il faudrait que vous ayez le courage de vous 145


renseigner auprès de quelqu’un et d’essayer ensuite une des directions. Vous pouvez avoir des doutes, mais cela vaut tout de même la peine d’être tenté. Si cette direction menait à une impasse, vous pouvez revenir sur vos pas et essayer l’autre. Ou bien vous avez foi dans votre propre jugement et agissez en conséquence, ou bien vous avez foi dans l’opinion des autres. Si vous n’avez ni l’une ni l’autre de ces convictions, vous stagnez. Vous ne pouvez aller nulle part. Ne faites rien qui ne soit basé sur une conviction. Il n’y a pas d’action, si belle soit-elle, qui vaille la peine d’être entreprise à seule fin de faire plaisir au guru. Qu’on me persuade seulement que la marijuana est la clef du Paradis et je me mets à en fumer dès aujourd’hui. Le tout est d’arriver à me convaincre. Mais je ne repousse pas d’emblée et aveuglément une telle éventualité. Si vous parvenez à me faire croire qu’en mangeant de la viande je jouirai d’une santé parfaite, j’en mangerai. Bouddha a dit clairement ceci : « Ne croyez pas à une chose simplement parce que je l’ai dite, ou parce qu’elle est dans les livres. » Mais si vous en êtes convaincu? Alors oui, ce que vous croyez devient vôtre, et il vous est plus facile d’y être fidèle. C’est de sa propre expérience que chacun tire les meilleurs enseignements. Sachez toujours attendre et être à l’écoute. Fondez-vous sur votre expérience. Ce que vous avez appris à l’école ne peut vous fournir l’ensemble de vos connaissances. Apprenez à l’université universelle. Apprenez ce que vous enseigne votre vie quotidienne.

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Quand vous vous situez bien vous-même, il vous est plus facile de mettre tout le reste en place. Si vous savez que vous êtes à New York, la Californie, pour vous, sera « l’ouest ». Si vous êtes au Japon, elle devient « l’est ». C’est cela la connaissance subjective, ou relative. Savoir où vous êtes vous permet de définir votre relation à autre chose. Mais il y a aussi la connaissance absolue, qui ignore toute relativité car elle concerne ce qui est Un, et Unique. Si vous connaissez cet Un, vous connaissez l’essence de toute chose, la Vérité Fondamentale. Je n’ai pas dit que si vous connaissez cet Un, vous allez savoir conduire une voiture. Cela, c’est quelque chose de relatif, que vous devrez apprendre séparément. Mais du moins saurez-vous de quelle essence est fait cet objet qu’est une voiture. La Vérité Fondamentale n’est pas une chose que vous pouvez recevoir de quelqu’un. Car ce qu’on vous donne un jour, ne peut-on pas vous le reprendre le lendemain? Même pour ce qui est de Dieu, la question n’est pas de L’atteindre ou de L’obtenir, mais d’en devenir conscient. Vous réalisez, vous reconnaissez alors que vous étiez déjà en Sa présence.

Lorsque j’étais jeune étudiant, je reçus un jour le prix d’éloquence – cela représentait une pile de gros et pesants livres. Je les ouvris l’un après l’autre, c’étaient tous des livres de philosophie en latin, en grec, qui ne contenaient pas une illustration, pas une histoire distrayante. Ils me tombèrent des mains, et j’étais bien déçu, mais je les gardai tout de même comme symboles de mon succès. 147


Sept ans plus tard, j’eus une fièvre qui m’obligea à rester couché. Le médecin me défendait de sortir, je n’avais aucun travail à faire. J’en vins par hasard à m’intéresser à mes livres de prix. Je les ouvris, et cette fois, ils furent pour moi d’une grande richesse. J’en comprenais chaque ligne, et je ne tarissais pas d’éloges envers les personnes qui avaient choisi ces livres à mon intention. Ce qui vous laisse indifférent aujourd’hui peut s’avérer extrêmement utile demain. Aux enfants, je redisais toujours : « Si vous gardez dix ans quelque chose, vous lui trouvez toujours un usage. » Les stylos, les trombones que je garde finissent toujours par me servir après quelques mois. S’il en est ainsi pour de si petites choses, comment osons-nous négliger et rejeter des traditions et des pratiques millénaires? Il est parfois nécessaire d’adapter certaines pratiques à l’exigence de l’époque, mais sans pour autant abandonner la Vérité. Car si leur principe tombe dans l’oubli, rites et pratiques perdent toute espèce de signification. Les rituels sont l’expression de principes fondamentaux. Ne les mettez pas au rebut parce que vous ne les comprenez pas, ou parce qu’ils ne sont connus que des vieilles gens. Mettez-les de côté et ils vous serviront peut-être un jour.

Une jeune plante nécessite la protection d’une clôture. Elle ne doit pas s’en plaindre en disant : « Pourquoi m’a-t-on emprisonnée? Je ne veux pas être enfermée. » Supposons en effet que le fermier se laisse fléchir : « Puisque tu le veux, j’ôte donc ce grillage. » Dans la minute qui suivra, une vache ou une chèvre se sera régalée de la jeune plante. Acceptez les disciplines tant que vous n’êtes pas devenu un arbre. Non seulement l’arbre qui est devenu grand n’a plus besoin de protection, mais il fournit même ombre et abri aux bêtes qui n’auraient fait qu’une bouchée de lui autrefois. Lorsque vous êtes jeune plant, vous avez 148


besoin des disciplines pour vous protéger; lorsque vous êtes arbre, vous êtes libre et pouvez protéger les autres. Un fruit encore vert se tient fermement à la branche de l’arbre. Si vous cherchez à le cueillir, il résiste. Cela veut dire qu’il n’est pas encore mûr. Il souhaite rester plus longtemps sur l’arbre. Imaginez-vous pareil à un de ces fruits. Tant que vous êtes vert, vous ne voulez pas vous détacher de l’arbre de la vie. Vous ne pouvez le quitter de vous-même, et vous ne voulez même pas laisser quelqu’un vous en détacher. Et si cela venait tout de même à se produire, cela vous serait dommageable. Si on vous cueille ainsi trop tôt, même si c’est vous qui l’avez demandé, vous ne serez pas un fruit bon à manger. Restez donc bien sur l’arbre. Absorbez tout ce qu’il peut vous donner comme nourriture, car l’arbre de la vie est là pour vous gaver d’expérience. Une fois que vous en aurez retiré tout ce que vous pouviez, et que vous serez donc à pleine maturité, sans même y penser vous vous détacherez de l’arbre. Ce sera l’arbre qui se détachera de vous, vous ne l’aurez pas repoussé. C’est-à-dire que vous serez quelqu’un qui s’est spontanément détaché de l’arbre de la vie et qui ne connaîtra donc jamais la peur face aux expériences de la vie.

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Le dĂŠsintĂŠressement


Une rivière que l’on barre n’est plus que de l’eau stagnante. Seule l’eau libre est belle. Soyez donc passage, si quelque chose se présente laissezle passer, ne vous y attachez pas! Si vous n’êtes pas égoïste, vous ne serez jamais agité. Personne ne pourra vous déranger ou vous bouleverser, je vous le garantis. Autant il est impossible à celui qui est égoïste de trouver la paix, autant il est impossible à celui qui est altruiste de connaître l’irritation, le chagrin ou le trouble. Chaque fois que vous sentez en vous un trouble quelconque, installezvous au calme et demandez-vous : « Pourquoi ce trouble en moi? Quelle en est la raison? » N’essayez pas d’en rendre quelqu’un d’autre responsable. Demandez-vous si vous n’espériez pas que quelque chose se produise. Lorsque vous attendez quelque chose, et que cela n’arrive pas, vous êtes déçu. « Je l’aimais tant, mais il n’a pas répondu à mon amour, je suis bouleversée. » Vous perdez dans ce cas deux choses : l’amour de cette personne et la paix de l’esprit. Ainsi l’égoïste est-il toujours doublement perdant. Mais si vous pensez au contraire « j’aime, mais c’est au nom de l’amour et parce qu’aimer me rend heureux », voilà un bonheur que nul ne peut vous enlever. Il n’est pas fondé sur l’attitude de quelqu’un d’autre, ni sur l’attente de quelque chose qui doit se produire plus tard. Il répond à la définition du contentement. 152


Savourez le bonheur de donner. Ne le gâchez pas par l’attente de quoi que ce soit en retour, même de remerciements. Car si vous ne recevez pas ces remerciements, vous vous trouverez privé de la joie d’avoir donné. Et qui aura été cause de cette déception, sinon vous-même? Quelle est la raison du désespoir? Tout simplement vos propres espoirs. Quand un espoir est déçu il devient un « dés-espoir ». Lorsque vous vous apprêtez à agir, si votre intention repose sur une motivation égoïste, ou sur l’espoir d’une récompense, cela revient à installer en vous une tension avant même de passer à l’action. Il y a en vous une attente et une anxiété. Vous craignez de perdre quelque chose. Quand l’esprit est au contraire maintenu libre de toute espèce d’attente, quand vous entreprenez l’action pour elle-même et pour le bénéfice des autres, alors cette action est parfaite. Si le résultat d’une action est un bienfait intéressant toutes les personnes concernées, sans causer de mal à quiconque, c’est que cette action est parfaite. Mais si quelqu’un, et ne serait-ce qu’une seule personne, s’en trouve lésé, ou qu’une tension en résulte dans votre esprit, alors cette action n’est pas parfaite. Si vous donnez dix dollars à quelqu’un qui mendie auprès d’un bar, vous ne pouvez pas appeler cela une aide. Si une mère donne à son enfant toutes les sucreries qu’il réclame, elle ne l’aide certainement pas non plus. Ce sont deux cas où le fait de donner est une cause de mal envers quelqu’un. Quand vous n’êtes pas sûr d’avoir raison d’entreprendre quelque chose, demandez-vous si vous poursuivez un but égoïste, ou si les résultats de votre action vont bénéficier à d’autres. Bien souvent vous commettrez des erreurs si vos visées sont égoïstes, mais vous ne vous tromperez jamais si votre souci est le bénéfice des autres.

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Même un mensonge peut parfois être un acte parfait et désintéressé. L’important, c’est le résultat. Il était une fois un sadhu, ou ermite, qui vivait à la campagne dans un lieu retiré. Il menait une vie très tranquille entre prière et méditation. Il était assis un soir au seuil de sa hutte lorsqu’il vit soudain arriver une belle jeune fille, parée de somptueux bijoux, qui courait vers lui en suppliant : « De grâce sauvez-moi! On me poursuit pour me tuer et me voler mes bijoux! » Aussitôt, sans même attendre d’y être autorisée, elle se cacha à l’intérieur de la hutte. A peine quelques minutes passèrent, et un homme à l’air sauvage apparut soudain, un poignard à la main, et demanda à l’ermite : « N’as-tu pas vu une jeune fille venir par ici? » Que devait faire l’ermite? Fallait-il qu’il soit honnête et dise « je ne mens jamais. Cette jeune fille s’est cachée dans la hutte »? Non. Au lieu de cela, il répondit : « Quelle jeune fille? Crois-tu qu’une belle jeune fille viendrait jusqu’à cet ermitage? Ce n’est pas le genre de personne qui a coutume de venir ici. » « Bon! dit l’homme au poignard, je vais plutôt la chercher dans cette autre direction. » Et il reprit sa course. Un mensonge avait sauvé trois vies. L’homme aurait tué la jeune fille et, ne voulant pas laisser de témoin en la personne de l’ermite, aurait également tué celui-ci. Lorsqu’il aurait tenté de négocier les bijoux, la police l’aurait repéré, et il aurait sans doute fini au bout d’une corde. Trois vies auraient été perdues à cause de l’honnêteté de l’ermite, ce qui montre qu’il ne faut pas évaluer seulement l’action qu’on va entreprendre, mais aussi la motivation sur laquelle elle repose et le résultat qu’elle peut avoir.

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Un père portait sur un bras son fils et sur l’autre un paquet. L’enfant lui dit : « Papa, donne-moi donc le paquet, comme ça tu auras moins à porter. » Le père se mit à rire, et lui donna le paquet. En définitive c’est Dieu qui porte toutes choses, mais il y a des gens dont le caractère enfantin ou égoïste fait qu’ils préfèrent malgré cela porter les choses eux-mêmes. L’ego se dit : « Il faut que j’y arrive par moi-même. » Bon! Eh bien! faites-le, mais sachez qu’en le faisant vous devenez aussi responsable.

Voilà ce que nous appelons le karma. Vous entreprenez quelque chose par vous-même et pour vous-même, et c’est aussi à vous de faire face au résultat. Ce que vous entreprenez au contraire au service de Dieu ou en Son nom, pour l’humanité, sans espérer si peu que ce soit pour vous-même, cela porte le nom de Karma-Yoga. Nous pouvons retirer un bénéfice de telles actions, mais cela n’entre en rien dans nos motivations, car celles-ci ne sont nullement personnelles. Dans le Karma-Yoga, vous êtes affranchi des résultats, que ceux-ci s’apparentent au plaisir où à la douleur, à la vertu ou au démérite. Dès l’instant où vous voulez une chose pour vous-même, vous êtes inquiet tant que vous ne l’avez pas obtenue. Une fois que vous l’avez obtenue, vous n’êtes pas encore pleinement heureux, car vous craignez de la perdre. Et si vous ne l’obtenez pas, cela suscite en vous colère, haine et inimitié. Vous pensez qu’une personne a causé votre insuccès; vous l’en rendez responsable. Vous dites : « S’il ne s’était pas mis en travers de mon chemin, c’était gagné. » Vous vous mettez à voir des ennemis tout autour de vous. 155


Mais si vous ne désirez pas pour vous-même ce que vous cherchez à atteindre, vous n’avez plus l’inquiétude du résultat. Il ne s’agit plus d’un profit ou d’une perte vous concernant. Éliminez donc de votre vie tout souci égoïste. Dès que vous décidez de vivre une vie désintéressée, le bonheur éternel s’ouvre à vous. Si vous accomplissez quelque chose avec la pensée « je veux cette distinction. C’est moi qui ai réussi. C’est moi qui dois être honoré. Je ferai ceci. J’aurai cela », toutes vos actions, comme les réactions qu’elles suscitent, prennent la couleur de vos pensées et de vos désirs. Plus vos désirs sont nombreux, plus ils vous encombrent de la saleté de leurs dépôts. Dieu résidant en vous est comparable à une flamme capable de tout consumer et qui brûle éternellement. Si vous mettiez tous ces dépôts dans cette flamme, ils seraient brûlés. Mais malheureusement vous ne les laissez pas retomber sur Dieu, vous les gardez pour vous. Car votre esprit peut se comparer à une sorte de cheminée qui emprisonne la flamme et où s’entasse la suie des dépôts. Si au contraire, lorsque cette saleté est produite, vous disiez « je ne veux pas de ceci. Je l’offre à Dieu », que se passerait-il? En tombant droit sur votre flamme intérieure, tous ces dépôts seraient consumés. Ne les gardez donc pas pour vous car vous ne savez ni les brûler ni les digérer, et ils finissent par vous ensevelir. Faites tout au nom de Dieu et rien ne vous affectera. Dites-vous : « Que je ne gaspille pas la volonté qui m’a été donnée en portant des fardeaux inutiles, mais que je l’utilise plutôt pour réaliser Ta volonté. » Vous devenez alors un merveilleux instrument dans les mains du Seigneur. Sa lumière, Sa flamme transparaissent à travers les parois de votre cheminée. Si celle-ci est irrégulière et tachée, la lumière est diffuse et inégale. Débarrassez donc cette cheminée de ce qui la rend sale et opaque. Lorsqu’elle sera claire comme le cristal, elle révélera toute la brillance de la lumière intérieure.

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Quelqu’un m’a un jour posé cette question : « Quand j’agis pour les autres, c’est du Karma-Yoga, mais quand je travaille et reçois un salaire, puis-je appeler cela aussi du Karma-Yoga? » La réponse est oui. Car quel usage faites-vous de votre salaire? Pourquoi habitez-vous dans une maison? Pourquoi mangez-vous? A quelle fin exprimez-vous de l’amour? Vous vouez tout cela au service des autres, n’est-ce pas? Et comment pourriez-vous servir les autres en quoi que ce soit si vous ne mangiez pas? Il vous faut bien remplir le réservoir pour que la voiture puisse se déplacer. Elle demande aussi des réglages, des nettoyages. Et vous avez besoin d’un garage pour l’abriter. De la même façon, il faut à votre corps un garage et du carburant, et cela ne s’obtient pas sans argent, n’est-ce pas? L’argent vous permet de stocker suffisamment d’énergie pour pouvoir ensuite en donner. Même des actions comme manger, dormir, boire deviennent du KarmaYoga si vous faites toutes ces choses sans vous soucier de vous-même et en pensant : « je ne me conserve en bonne santé que pour servir les autres. Si je ne rends service à personne, qu’ai-je besoin de manger, de dormir, d’avoir une maison, de vivre même? » Si vous êtes effectivement au service des autres et que votre salaire ne suffit pas à couvrir vos dépenses courantes, il ne faut pas hésiter à réclamer une augmentation. Ce n’est pas comme si vous ne pensiez qu’à prendre du bon temps avec cet argent. Il ne sert pas à la simple satisfaction de vos sens. Vous ne faites pas d’excès d’aucune sorte. Vous prenez simplement soin de vous-même et de ceux dont vous avez la charge. Cela aussi fait partie de vos devoirs. Si votre vie est consacrée aux autres, et si vous mettez chaque minute, chaque respiration de celle-ci au service de Dieu et de Sa création, vous adorez Dieu en permanence. Votre travail, comme tout ce que vous faites, devient un acte d’adoration.

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Si vous demandez à une fleur « quelle est ta raison d’être? Pourquoi as-tu éclos? Que fais-tu ici? », elle vous répondra « je l’ignore. J’ai fleuri, voilà tout. Et maintenant je suis utile à quelque chose. Je décore la table. » Telle est la raison d’être de cette fleur. Elle croît, elle répand un doux parfum, elle est belle, et elle meurt quand elle a fait son temps. De la même façon, toute chose sur cette terre a une raison d’être, qui est de servir, d’être utile, et d’agir au bénéfice de quelqu’un. Partout vous voyez des choses qui donnent. Elles ne demandent pas. Un pommier, par exemple. Est-ce qu’il vous réclame de l’eau? Est-ce qu’il exige de l’engrais? Non. Il ne demande rien. Il finit tout de même par porter des fruits, après bien des difficultés. Il ne serait pas déraisonnable de sa part de revendiquer la propriété de tous ces fruits, mais a-t-on jamais vu qu’un pommier goûte à ses propres fruits? Au contraire, il donne, et aussi bien à ceux qui l’admirent qu’à ceux qui lui jettent des pierres. Si quelqu’un vous lançait une pierre, est-ce que vous lui donneriez dix dollars? Non. Vous lui feriez plutôt un procès pour lui réclamer cent dollars, en réparation! Le sacrifice est la loi de la vie. Une chandelle brûle, et nous bénéficions de sa lumière, qui est aussi sa mort lente. Un bâtonnet d’encens nous livre son parfum tout en se transformant en cendres. Les humains se prétendent au sommet de l’échelle des espèces, mais ils ont des leçons à apprendre de l’arbre, de la chandelle, et du bâtonnet d’encens.

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Il n’est pas de chagrin que vous n’ayez invité. Si nous souffrons c’est parce que nous n’avons pas l’attitude juste, c’est à cause de notre avidité, de notre attachement obstiné aux choses. Plus nous nous attachons aux choses, et plus nous souffrons. Avez-vous déjà observé un ver à soie? Le ver à soie se nourrit de feuilles de mûrier. La minuscule larve du début devient grosse comme le pouce au bout des trente ou quarante jours qu’elle passe à se gaver continuellement. Elle mange et mange, nuit et jour, sans trêve ni repos. Et comme chacun sait, on est fatigué quand on a beaucoup mangé. On se sent somnolent et on fait une sieste. Bien souvent, quand on s’endort ainsi l’estomac plein, on rêve. Et donc le ver à soie, qui a tant mangé, s’endort et se met à rêver. Pendant qu’il rêve et se retourne dans son sommeil, l’excès de ce qu’il a mangé lui ressort de la bouche sous la forme d’un filet de bave collante et solide. Le ver rêve continuellement, se retourne sans cesse, et la bave forme un cocon autour de lui. Puis il entre dans un sommeil plus profond et la bave se solidifie, devient forteresse. Lorsque le ver se réveille et rouvre les yeux, il se retrouve emprisonné dans une cage. Il se demande « que m’est-il arrivé? Pourquoi suis-je ainsi? », puis se souvient « ah oui, je me suis mis à manger, manger...Je n’ai rien laissé à personne. Tout ce que j’ai pu atteindre, je l’ai mangé moi-même. Ceci m’a fait tomber dans un rêve d’ignorance où je suis maintenant pris. Je comprends à présent. C’est mon avidité, mon envie de ne rien laisser qui m’a amené dans cette cage. Mes liens, ma prison, je me les suis créés moi-même. » Ainsi se fait jour dans sa vie le détachement envers la passion et, avec lui, la sagesse. Porté par les ailes que lui auront donné cette sagesse et ce détachement, usant du bec ténu mais tranchant de l’intelligence, l’insecte parfait parviendra à s’échapper de la cage, pour jeter ensuite sur elle un regard amusé et prendre son envol pour ne jamais revenir.

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Ainsi en est-il des humains. Ils ne savent dire non à rien. Ils amassent toujours davantage. Ils se retrouvent en définitive possédés par leurs possessions. Avec de la chance, une sagesse nouvelle les éclaire alors et, détachés des passions, ils voient qu’ils sont les artisans de leurs propres souffrances. Personne au monde ne peut nous infliger de souffrance. C’est nous qui en sommes cause, par notre attitude et par notre ignorance. Nous pensons tirer du bonheur de l’acquisition d’objets, et finalement ce sont ces mêmes objets qui sont cause de notre malheur. Il n’y a rien de mal en soi à posséder des objets. Ayez-en, mais pas avec l’idée d’échafauder sur eux votre bonheur. Ayez-en pour en faire usage au bénéfice de l’humanité. Dans un bureau, il y a plusieurs objets : une chaise, une table, une machine à écrire et un téléphone. Ils sont là pour vous servir tant que vous travaillez dans ce bureau. Quand vous le quittez, vous ne les emportez pas avec vous. Le monde entier et tout ce qu’il contient sont là pour que nous en usions, pas pour que nous les possédions. Nous avons oublié le bon usage du monde et nous attendons au contraire que notre bonheur nous vienne de lui. La pauvreté, ce n’est pas renoncer à ses possessions pour s’intituler pauvre, se mettre à porter des guenilles, abandonner son château pour 160


aller s’installer sous un tipi en répétant « je m’élève spirituellement. » J’en ai visité, des tipis de ce genre. Quand j’y entrais, leurs habitants me disaient : « N’est-ce pas qu’il est magnifique, notre tipi? Vous voulez bien ne pas y toucher, s’il vous plaît? » Ils n’avaient renoncé à leur palais que pour s’attacher à leur tipi. C’est comme si on dédaignait les costumes ultra-chics pour s’attacher aux vieux jeans tout rapiécés. Le renoncement est une question d’attitude. C’est-à-dire que si vous vous en détachez mentalement, vous pouvez tout conserver autour de vous. Vous n’en serez jamais affecté.

Un caissier de banque manipule des millions de dollars. Il pourrait se considérer millionnaire s’il s’identifiait à l’argent. Mais il ne s’identifie jamais à l’argent, tout en ayant un devoir envers lui. Acquittez-vous du devoir, sans vous attacher. Si vous vous laissez prendre par vos attachements, ils vous affectent et vous n’avez plus le contrôle sur eux. Un électricien met des gants isolants avant de toucher un fil sous tension et peut ainsi le manipuler sans risque. Le détachement mental a cette fonction d’isolation. Vous êtes à l’abri des tensions en adoptant l’attitude qui dit « rien ne m’appartient mais j’ai un devoir envers toute chose – ma famille, mon pays, mon voisin, et l’ensemble du monde. » Chaque chose, même votre corps, vous est donnée afin que vous en fassiez usage, et non pas pour que vous la considériez comme une de vos possessions. Si on vous donne une voiture, prenez-en bien soin. Utilisez le carburant adapté. S’il lui faut du supercarburant, n’y mettez pas de l’ordinaire. Vous avez la responsabilité de laisser propres et en bon état les choses que vous utilisez. Ne pensez pas pouvoir les traiter n’importe comment du moment qu’elles ne vous appartiennent pas. 161


Le détachement dans l’action n’implique pas l’irresponsabilité. Quoi que vous fassiez, vous en êtes totalement responsable. Vous avez même une responsabilité encore plus grande pour une action entreprise sans visée personnelle que pour une action dirigée vers un but égoïste. Car si vous agissez de manière irresponsable alors que vous poursuivez un but égoïste, vous seul serez affecté par l’échec final. Mais dans une action au service des autres, votre irresponsabilité va léser de nombreuses personnes.

Le détachement entretient calme et sérénité dans votre esprit. Dès que vous montrez un tant soit peu d’attachement, vous induisez une tension dans votre esprit. Un chirurgien de haut niveau effectue avec aisance toutes les opérations possibles, mais qu’il vienne à pratiquer une intervention même mineure sur sa femme, il sent qu’il devient nerveux, et doit faire appel à un confrère. La main qui tremble ne peut opérer. Une action est comparable à une opération, et vous ne pouvez l’envisager s’il règne en vous une agitation mentale ou physique. C’est leur égoïsme qui rend les gens nerveux. Quelqu’un de désintéressé n’a jamais besoin d’être nerveux. Bien des gens vérifient leur poids chaque matin sur la bascule. Mais avant d’y monter, ils s’assurent que l’aiguille est bien sur le zéro. Si elle n’y était pas, le poids indiqué ne serait pas exact. Pareillement, avant de peser les choses et de porter un jugement, assurons-nous que nous le faisons à partir d’un point neutre. 162


Prenons le cas d’un juge, par exemple. S’il se trouve parmi les personnes à juger quelqu’un de sa famille, l’affaire sera transférée devant une autre cour, parce que ce juge aurait inconsciemment un « pré-jugé » qui pourrait affecter l’impartialité de son verdict. Le point de vue parfaitement neutre ne peut être atteint que par un esprit complètement détaché. Le Yoga c’est la neutralité, la tranquillité, et l’égalité d’esprit.

Un roi se rendit un jour dans une forêt et y vit un swami. Le roi dit : « je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi joyeux. Tu es un grand saint. » Il tomba aux pieds du swami et lui demanda: « Viens auprès de moi dans mon palais pour quelque temps. » Le swami dit : « Que ferais-je dans un palais? Le monde entier est mon palais. —Viens, s’il te plaît, dit le roi. J’en serais heureux. —Bon! dit le swami. Si tu es heureux que je vienne, je viens. » Ils arrivèrent au palais et s’installèrent dans une superbe salle de méditation. Le roi souhaitait apparaître au swami comme un modèle de dévotion. Pour en faire la démonstration il se plaça près de son autel et annonça fièrement : « J’ai l’habitude de faire une méditation d’au moins une heure. Tu veux bien m’excuser? » Il fit donc sa méditation, suivie de toutes sortes d’exercices de pranayama, de prières et d’incantations. Vous savez à quel point on est meilleur devant un public. On est dans la « démon-stration ». On démontre parce que le démon de l’orgueil est présent. Mais vers la fin de ses prières le roi trahit ses réelles motivations. Il dit en priant : « O Dieu, je ne veux qu’une seule chose, c’est ce petit pays voisin du mien. Je m’apprête à lui faire la guerre, alors s’il te plaît accorde-moi la victoire. » 163


Achevant sa méditation, il aperçoit le swami qui se dirige vers la porte. Il l’appelle : « Swami, Swami, où vas-tu? —Je retourne dans la forêt, dit le swami. Je n’ai pas coutume de résider chez un mendiant. —Un mendiant? s’exclame le roi, offensé. Mais je suis le roi, et je possède tout. —Certes non, dit le swami, puisque tu en désires encore un peu plus. Tant que tu en veux davantage et que tu le demandes à Dieu, tu es un mendiant. »

Il y avait autrefois trois voleurs qui vivaient dans un village, non loin d’une rivière. Pendant un temps le vol leur avait bien réussi, mais à la longue tout le monde dans le village finit par s’en prendre à eux. Quand quelque chose était volé, les gens savaient où il fallait chercher. Les voleurs commencèrent à se rendre compte que le crime ne payait pas. Ils se repentirent de tout ce qu’ils avaient fait jusque-là dans leur vie et décidèrent de prendre un nouveau départ, en tant qu’hommes honnêtes. Cependant, malgré leur souhait de laisser leur passé derrière eux, leur réputation les poursuivait. La seule chose à faire, décidèrent-ils, était d’aller dans un autre village où personne ne les connaîtrait. Là il leur serait possible de tout reprendre à zéro. Ils firent leurs bagages et se dirigèrent vers la rivière, car dans ce pays on se déplaçait surtout en bateau à cette époque. Une fois rendus à la rivière, ils se rendirent compte qu’ils n’avaient pas l’argent suffisant pour pouvoir louer un bateau. Ils s’asseyèrent pour réfléchir. « Ça y est! dit l’un d’eux au bout d’un moment. Nous allons attendre l’obscurité et alors nous volerons un de ces bateaux. Après tout, qu’est-ce qu’un vol de plus, nous en avons tant commis! Nous allons simplement retarder d’un jour notre décision de devenir 164


honnêtes. » Ils trouvèrent tous le plan excellent et attendirent la nuit. Quand celle-ci fut tombée ils s’installèrent sans bruit dans un bateau et se mirent aux avirons. Ils ramèrent toute la nuit en prenant bien soin d’être aussi silencieux que possible. Au lever du soleil, ils se trouvèrent devant un village très semblable à celui qu’ils avaient quitté. Un homme descendait en courant vers le fleuve en leur tendant le poing. « Eh! brigands, criait-il. Où croyez-vous donc partir ainsi? » Les rameurs en furent médusés. Comment l’homme avait-il pu deviner qu’ils étaient des voleurs? Se pouvait-il que leur réputation les précède ainsi? « Mais nous sommes des gens honnêtes, répondirent-ils. Nous arrivons à l’instant d’un autre village. —Voleurs! cria l’homme de nouveau. Vous m’avez pris mon bateau. —Mais comment ce bateau pourrait-il être le tien? interrogèrent-ils. Nous avons ramé toute la nuit depuis l’autre village. » L’homme riait maintenant. « Non seulement vous êtes des voleurs, mais vous êtes aussi des imbéciles. Comment avez-vous pu croire partir quelque part? Regardez! Aucun de vous n’a pensé à détacher le bateau du ponton! » Si vous voulez vraiment avancer sur la rivière de la vie, il vous faut trancher les liens qui vous retiennent. Sans ôter ces liens il vous est impossible d’atteindre votre but. Malheureusement, ce sont des milliers d’amarres qui retiennent nos bateaux.

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Toute chose que vous désignez comme « mienne » représente un de ces liens. Si vous voulez évaluer la distance qui vous sépare encore de votre but – que vous appeliez celui-ci Dieu, ou la paix – dressez la liste de toutes ces choses que vous appelez « miennes » : ma maison, mon corps, mon intelligence, mon enfant, ma femme, mon argent, mon pays, mon ceci, mon cela... Quand il n’y a plus rien dont vous puissiez dire « ceci est à moi », le but est atteint. Voilà tout. C’est très simple. Cela ne demande pas d’entraînement particulier. Si vous recherchez vraiment la paix, le plus simple est de faire un inventaire de combien de ces choses « à moi » me suis-je entouré? Plus il y en a autour de vous, et plus vous êtes en danger. Car il faut vous les représenter comme autant de mines prêtes à exploser*. Et c’est vousmême qui transformez votre vie en champ de bataille, en dissimulant des mines partout. Si vous les avez déjà mises en place, il vous faut faire appel à un bon démineur, capable de détecter et de désamorcer ces mines semées dans votre esprit. Si elles n’ont plus d’amorce, vous ne vous y prendrez plus. Et comment les désamorce-t-on? Par un simple changement d’étiquette : tout ce que vous appeliez « mien », désignez-le comme « Tien », comme appartenant à Dieu.

* Jeu de mots sur « mine », qui en anglais signifie « mine », mais aussi « mien ». (N. d. T.)

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Si vous courez après les choses, elles vont devenir pour vous autant de causes d’anxiété, d’inquiétude et de peur. Plus vous occuperez une situation élevée, plus épaisses devront être les vitres pare-balles de votre voiture. Vous vous créez votre propre prison. Plus vous avez acquis de choses, plus vous avez travaillé dur pour elles, et plus vous craignez de les perdre. Essayez donc de courir après votre ombre. Plus vous allez vite, et plus votre ombre va vite – toujours devant vous. Et c’est ce qui se passe pour les gens qui recherchent un bonheur situé en-dehors d’euxmêmes. Lorsqu’ils sont fatigués de courir, ils se disent : « Bon! je vois que je ne rejoindrai jamais mon ombre. Je n’essaie même plus. » Un certain détachement se fait jour en eux. Ils font demi-tour, reviennent sur leurs pas, et aussitôt cette même ombre qu’ils poursuivaient se met à marcher sur leurs traces. C’est cela le secret, dans la vie. Si vous courez après les choses, rien ne viendra à vous. Mais si vous êtes content et ne souhaitez rien, les choses vont se dire : « Voici un homme qui ne nous tourmente jamais, ne nous poursuit jamais, allons donc lui tenir compagnie. » Elles savent que vous n’allez pas vous emparer d’elles pour les mettre sous clef. Elles resteront avec vous autant qu’elles le souhaiteront. Lorsqu’elles auront envie de partir, elles vous quitteront et vous n’en serez pas attristé. Si vous courez après le pouvoir, le prestige, la gloire ou l’argent, vous ne les atteindrez pas. Et même si par hasard vous les obteniez, vous n’en seriez pas plus heureux. Arrangez-vous pour que ce soient les choses qui vous courent après. La mer n’envoie jamais d’invitation aux fleuves. C’est pour cela qu’ils se précipitent vers elle. La mer est contente telle qu’elle est. Elle ne souhaite rien.

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S’il vous arrive quelque chose de bon, sachez que cela vous vient de Dieu. Soyez reconnaissant envers Lui, Elle, ou toute autre appellation qu’il vous plaira de Lui donner. Devenez un bon instrument entre les mains de Dieu et laissez-Le se charger de tout. Il sera là pour vous souffler quoi faire, et quand. Ne vous souciez pas constamment du lendemain. Vivez bien le jour présent, tout à votre aise. Il faut certes prévoir pour le jour suivant, alors prévoyez. Mais sachez que cette prévision n’est que la vôtre et qu’elle ne se réalisera qu’avec l’aval de Dieu. Faites des prévisions sujettes à approbation. Si Dieu approuve, allez-y. Sinon, c’est bien aussi, mais vous savez qu’il n’a pas donné Son approbation. Quand vous vous couchez le soir, c’est pour dormir et pas pour élaborer des plans pour le lendemain. Oubliez le monde, soyez comme un bébé. Pensez : « Maman, je mets ma tête sur tes genoux. Prends soin de moi. Si tu veux que je me lève demain et que je fasse quelque chose, tu n’auras qu’à me réveiller. » Nous mourons chaque jour, et le lendemain matin est chaque fois une nouvelle naissance. Si vous voyez les choses ainsi, vous dormirez merveilleusement.

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Votre journée de travail accomplie, dites-vous : « J’ai travaillé de mon mieux. Si mon travail a des aspects imparfaits, c’est dû à ma faiblesse. S’il a des qualités, c’est grâce à ce que j’ai pu recevoir d’intelligence. Voilà, mes comptes sont faits pour aujourd’hui. Je ferme mon magasin. » Comme un caissier de banque, mettez tout au coffre, et emportez la clef. Pensez : « je rentre à la maison. Si je suis encore en vie demain, je reviendrai travailler. »

Si vous donnez en permanence, le monde prendra soin de vous. Si une vache donne du lait, le fermier s’occupe d’elle. Si elle ne donne pas de lait, il s’en débarrasse. Si un arbre donne beaucoup de fruits, nous l’arrosons, nous lui donnons de l’engrais, nous le protégeons par une clôture. S’il ne porte aucun fruit, il sera abattu. Donc, le fait d’avoir à prendre soin de vous-même ne doit pas vous inquiéter. Faites seulement en sorte de donner constamment, et le monde manifestera son désir de recevoir davantage. Il prendra bien soin de vous. Mais si des gens ne veulent pas prendre soin de vous, si vous êtes un fardeau pour eux et ne pouvez leur être utile, dites-leur au revoir et partez. Laissez votre place à quelqu’un d’autre. Un homme qui a chassé de lui toute demande sera demandé par la Volonté Supérieure. A travers ses amis, à travers les autres, cette Volonté Supérieure le mobilisera pour ses fins à elle. Votre voiture n’a jamais à s’inquiéter de pourvoir à ses besoins en essence ou en huile. Ce soin vous incombe, à vous qui souhaitez utiliser cette voiture. Jamais elle ne vous demandera de lui faire le plein. 169


Chassez l’idée qu’en vous donnant tout entier vous vous perdez. Quand une goutte d’eau se donne toute entière à l’océan, peut-on dire qu’elle se perd? Tout au plus y perd-elle son nom en tant que goutte. Elle est une goutte encore, à l’amorce de sa chute. Mais par cette chute elle devient l’océan. Lâchez prise, plongez dans cet océan d’universalité. Ne vous identifiez pas à une goutte d’eau séparée, ou à une pièce étrangère au puzzle. Plus vous imaginez n’être qu’une goutte d’eau dans la mer, plus vous êtes amer. Plus vous pensez être une pièce isolée, plus vous perdez votre calme intérieur.

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Un homme se rendit un jour dans un ashram; il cherchait à être éclairé. Il s’inclina devant le swami et lui dit : « Je m’intéresse à la connaissance du Soi. Je souhaite trouver la paix. Faites-moi accéder à cette sagesse, je vous en prie. » Le swami sourit et dit : « Pauvre homme, tu n’as plus que dix jours à vivre. Il est trop tard. » L’homme était sous le choc. « Voulez-vous dire que je vais réellement mourir dans dix jours? —Oui. Je vois la Mort sur toi. Et elle est bien près. —Mais que faut-il que je fasse, Swami? Ne pourriez-vous pas m’enseigner quelque chose? —Ce n’est pas si facile. Il y a des gens à qui des années de pratique n’ont pas apporté la sagesse. » L’homme insista, si bien que le swami finit par lui dire : « C’est bon! rentre chez toi, et s’il se trouve que tu survis au-delà des dix prochains jours, reviens me voir. Alors tu suivras mon enseignement. Je me trompe peut-être. Au cas où tu ne mourrais pas, reviens me voir. » L’homme était d’humeur bien sombre à son retour chez lui. Des amis vinrent le voir et l’interrogèrent : « Pourquoi as-tu l’air aussi triste? —Eh bien! le swami, à l’ashram, m’a dit que j’allais mourir dans dix jours. Je ne sais vraiment que faire, car j’ai commis beaucoup de péchés, et je ne vois pas comment me racheter. » A ce moment survint son comptable qui lui dit : « Monsieur, il y a un homme qui vous doit de l’argent et il faut à présent le poursuivre en justice. » Mais l’homme répondit : « Oublie cela. Si je lui ai prêté de l’argent, c’est que moi-même j’en possède suffisamment. Si je n’en avais pas eu assez pour faire face à mes dépenses, je ne lui aurais pas fait ce prêt. S’il ne peut me rembourser maintenant, à quoi bon le faire mettre en prison? S’il paie, c’est bien. Sinon, dis-lui que j’annule sa dette. Qu’il fasse de cet argent ce que bon lui semble. » Le comptable fut très surpris car son patron lui avait enjoint, la veille, d’entamer des poursuites pour être remboursé de l’intégralité de la somme, et toucher l’intérêt correspondant au retard de paiement. 171


L’homme fit ensuite appeler auprès de lui un de ses frères, à qui il ne parlait plus depuis dix ans. Celui-ci fut surpris de cet appel de la part d’un homme dont les dernières paroles à son adresse avaient clairement signifié qu’il le considérait désormais comme un ennemi mortel. Autant dire qu’il ne vint pas sans hésitation. Mais l’homme qui allait mourir embrassa son frère et lui dit : « Pardonne-moi, mon frère. Je t’ai mal compris pendant toutes ces années. Oublions notre brouille et redevenons frères, et amis. » Après quoi il fit appeler l’un après l’autre tous ses ennemis afin de se réconcilier avec eux. Le lendemain, il convoqua son comptable, découvrit qu’il avait beaucoup d’argent à la banque, et se mit à faire des chèques. Il savait qu’à sa mort ses enfants allaient gaspiller son argent pour des folies, et donc il n’en laissa que le strict nécessaire pour pourvoir à leur éducation. Le reste, il l’adressa sous forme de chèques à différentes institutions et groupes méritants, qui consacreraient cet argent à aider les malades et à nourrir les pauvres.

Chacun s’étonna de cette nouvelle attitude. « Qu’est-ce qui lui prend? Voilà que tout à coup il devient un grand homme, à l’esprit large. Il se fait partout des amis, et il donne tout ce qu’il a à des organisations charitables. » Mais personne ne se doutait qu’il allait mourir dans quelques jours. Il ne restait plus que deux jours maintenant. La peur lui avait ôté toute envie de manger, et il était très affaibli. Malade, il dut rester au lit. Il avait pratiqué un peu de Yoga et ne faisait pas de distinction entre les différentes religions, il invita donc à son chevet un moine catholique pour qu’il lui lise la Bible, un moine hindou pour qu’il lui lise la Gîta, et des yogis pour qu’ils lui fassent entendre leurs chants. Son idée était d’entendre le plus possible de belles prières avant de mourir. 172


Maintenant la ville entière avait entendu parler de lui et tout le monde chantait ses louanges. Son nom faisait les gros titres des journaux. Arrivé au dixième jour, il dit à tous : « Mon travail est terminé. Qu’on ne m’importune plus. Je vais me mettre en méditation. » Il se mit à psalmodier un mantra et attendit la mort. Un coup d’oeil à sa montre lui fit constater qu’il était minuit, que le dixième jour était donc passé. Il pensa qu’il y avait une anomalie quelque part. Le swami avait bien dit dix jours. Il demanda à ses serviteurs de vérifier les portes : elles étaient pourtant bien ouvertes, ce qui aurait dû faciliter la venue de la Mort. Bien que se sentant faible, il fit venir quelques-uns de ses amis et leur demanda : « S’il vous plait, emmenez-moi auprès du swami. » Les choses en étaient au point où des centaines d’admirateurs étaient disposés à exaucer ses moindres désirs. Lorsqu’il eut été conduit jusqu’à l’ashram, il alla vers le swami, se prosterna à ses pieds, et dit : « Swami, que se passe-t-il? Votre prédiction ne s’est pas réalisée. Je ne suis pas mort. —Oui, je le vois bien, que tu n’es pas mort. Quelque chose a dû aller de travers. Il ne s’agit sans doute que d’un simple retard de la part du Seigneur de la Mort. Attends ici encore un autre jour, au cas où il viendrait te chercher. S’il ne vient pas, tu suivras mon enseignement. » Il alla donc s’asseoir dans une pièce pour méditer. Le onzième jour s’acheva aussi. L’homme se leva et dit : « Swami, je suis toujours vivant. La mort n’est pas venue. Je vous en prie, maintenant enseignez-moi la sagesse. » Le swami lui dit en souriant : « je te l’ai déjà enseignée. —Comment cela? dit l’homme. Vous ne m’avez rien enseigné. Je ne comprends pas. —Bien! dit le swami. Qu’as-tu fait pendant ces dix derniers jours? Combien de fois as-tu menti? Tu as tué combien de personnes? Tu t’es fait combien d’ennemis? Combien d’affaires as-tu conclu au marché noir? —Je n’ai rien fait de toutes ces choses, Swami. Comment l’aurais-je pu? Je me suis réconcilié avec tous mes ennemis et j’ai fait don de tous mes biens. Je suis devenu un homme très bon parce que je n’avais pas de temps à perdre. Je savais que j’allais mourir, je ne voulais pas laisser 173


d’opprobre sur mon nom après ma mort, et j’ai donc tout réparé. —Quelle était l’opinion des autres sur toi auparavant? —Personne ne m’aimait. Ils disaient que j’étais un bon à rien, un mauvais homme. —Et que disent-ils à présent? —Dès que je sors de chez moi, tout le monde me félicite; beaucoup de journaux parlent de moi. Il semble que tout le monde m’aime. Je suis considéré comme un grand et saint homme. —Es-tu heureux de cela? —Oui, Swami, tout à fait. Je suis content que tout le monde m’aime et j’aime tout le monde. —Parfait! Eh bien! retourne chez toi. Dis-toi que tu peux mourir à tout instant et ne te crée donc pas d’ennemis. Vis comme tu l’as fait ces dix derniers jours. C’est cela l’essence du Yoga. Ainsi seras-tu toujours en paix. C’est cela la sagesse. »

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Pouvons-nous savoir quand nous allons mourir? Non, cela peut arriver à n’importe quel moment. Alors pourquoi nous faire des ennemis? Pourquoi dire des mensonges? Suivez du mieux que vous pouvez la Règle d’Or. Soyez aimable avec tout le monde. Soyez au service de tous sans aucune discrimination. « Que je soie utile à tous! Que ma vie toute entière soit consacrée au service de l’humanité! », tel est le secret du Yoga. Si vous menez ainsi votre vie, la joie et la paix viendront à vous tout naturellement. Si votre vie ne suit pas ces principes, toutes vos postures de Yoga, vos exercices de respiration, vos chants, vos méditations resteront sans effet. Ce ne seront que des rituels dépourvus de sens, des ornements sur un corps sans vie. A quoi bon parer un cadavre? Rien ne sert d’avoir un corps et un esprit sains si la juste compréhension fait défaut.

Hommes d’affaires, soyez loyaux en affaires. Employés des différentes industries ou usines, travaillez dans l’intérêt de tous. Membres des professions libérales, ne vous contentez pas de vendre votre savoir; accomplissez bien vos services. Au lieu de parler de paix et de joie, de Dieu, de Sa majesté, du lieu où Il réside, agissez, faites quelque chose pour Le réaliser. Gardez l’esprit pur. La clarté et la paix de l’esprit sont tout ce qui vous est nécessaire pour accéder à la paix, à la joie, ou à Dieu – vous nommerez ce but selon votre convenance. Tenez-vous à distance de tout ce qui perturbe la paix de votre esprit, de tout ce qui est source de déception, d’anxiété, et de soucis. 175


Ceci veut dire qu’il faudra que vous vous interrogiez : « je m’apprête à commettre un vol. Aurai-je encore l’esprit pur après cela? Est-ce une conduite égoïste de ma part? » Si à la première question vous pouvez répondre oui, et non à la deuxième, vous garderez l’esprit pur. Vous ne vous montrerez pas égoïste. Je suis sérieux quand je dis cela. Oui, il est même possible de commettre un vol sans que le motif soit égoïste. Si quelqu’un songe à se tuer, et cache sous son oreiller une capsule de cyanure, est-ce qu’en la lui dérobant vous agissez de façon égoïste? Je l’ai fait, je suis donc un voleur, mais je suis content de mon action. L’important n’est pas l’acte en lui-même, mais vos raisons d’agir et le résultat final. Pensez avant tout aux autres. C’est seulement ainsi que vous trouverez la paix et la joie. Les gens que nous reconnaissons comme de grands saints et des prophètes sont des gens qui avaient fait le don absolu d’euxmêmes. On ne voue pas de culte à un millionnaire cousu d’or qui meurt sans avoir jamais été utile à qui que ce soit. Si vous voulez vivre à jamais, être immortel, faites en sorte que chaque minute de votre vie soit utile au monde. Soyez celui qui apporte à tous paix et joie, et ne nuit jamais à personne. C’est la seule voie à suivre; il n’existe pas de raccourci.

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Lorsqu’on a cette façon de voir la vie, le monde entier devient un lieu idéal pour y vivre le Yoga. Nous n’avons alors nul besoin de nous réfugier dans quelque lieu de retraite, ou qu’on nous traite selon une quelconque thérapeutique, puisque c’est le monde lui-même qui se met à nous traiter merveilleusement. Ayez tout cela bien présent à l’esprit, et abandonnez toute inquiétude théologique. « Existe-t-il un Dieu? Où est-Il? Ai-je vécu des vies antérieures? Vais-je me réincarner? » Pensez à la richesse du présent. La personne qui ne pense qu’à sa vie future est en train de gâcher cette vie-ci.

Faites savoir à l’ensemble du monde, par votre exemple, que vous êtes quelque chose de beau et de divin. Que s’exprime à travers vos actions cette beauté cosmique qui vient de l’intérieur. Ne vous souciez pas de la beauté cosmétique. Vivez simplement, en étant aussi naturel que possible dans votre façon de vous vêtir, de manger, de vous comporter. Soyez semblable à un enfant. Ce choix assurera non seulement votre bien-être, mais aussi le bien-être de tout ce qui vous entoure, de votre pays et, en définitive, du monde entier. Confiez au Yoga le soin de révéler tout votre potentiel. Allez, dans le bonheur, la joie, la paix, et communiquez au monde entier ce savoir, cet esprit, ce sentiment. Partagez-le aussi avec tous ceux que vous côtoyez – votre famille, vos amis, vos voisins, et tout un chacun. 177


Sachons tous qu’il existe un vaste océan de conscience que nous nommons Dieu. N’élevons pas de barrière entre nous et Lui, ne laissons pas non plus notre ego nous en séparer. Ouvrons notre cœur et disons : « Seigneur, je suis petit. Ce que je connais est insignifiant. Alors serstoi de moi, je T’en prie. Fais de moi Ton instrument, pour ce que Tu voudras. Sers-toi de moi pour Ton travail. C’est Ton affaire. C’est Toi qui m’as créé, qui as créé le monde. Moi j’ignore pourquoi je suis ici. Je n’ai même pas à Te le demander. Fais ce que Tu veux. » Abandonnez-vous à Lui. Devenez humble, sans ego, et vous aurez pour un instant la vision de Sa joie. Si le goût de cette joie vous est donné ne serait-ce qu’une fois dans votre existence, vous saurez que c’est pour cette joie que nous sommes ici.

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« Intégral Yoga » veut dire : tous les Yogas. Nous approuvons toutes les approches qui sont positives. L’Institut Integral Yoga ne vous indique pas une technique particulière en vous disant : « Voilà notre technique. » Toute technique positive est nôtre. C’est une attitude de vie. Ma religion, si vous voulez la désigner ainsi, est toute chose qui est source de santé et de bonheur pour vous.

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Sri Swami Satchidananda Sri Swami Satchidananda was born into a highly spiritual family in South India in 1914. In his youth, he worked in the fields of agriculture, mechanics, electronics and cinematography. At the same time, the richly devotional family atmosphere nurtured his spiritual aspiration. In 1949, Sri Swamiji was initiated into the Holy Order of Sannyas (monkhood). In the following years, he taught Hatha and Raja Yoga at the Yoga Vedanta Forest University in Rishikesh and made extensive lecture tours throughout India. In 1953, he was invited to Ceylon (now Sri Lanka) and spent thirteen years serving at the ashram he established there. During that period, he also organized and served at other Yoga centers in Sri Lanka, India, Malaysia, Singapore, Hong Kong, Japan, and the Philippines. In 1966, Sri Swamiji made his first global tour. The intended two-day visit to New York was extended to five months as he was surrounded by hundreds of students eager for his teachings and guidance. The Integral YogaÂŽ Institutes were founded under his direction. Today, there are many branches throughout the world. Sri Swamiji was named as patron and advisor to various Yoga, peace and interfaith organizations around the world. He received many honors for his service, including the Martin Buber Award for Outstanding Service to Humanity, the Albert Schweitzer Humanitarian Award, the Juliet Hollister Interfaith Award, and the U Thant Peace Award. 181


Sri Swamiji advocated the principle that “Truth is One, Paths are Many.” He sponsored innumerable interfaith activities around the world. In 1986, he established the Light Of Truth Universal Shrine (LOTUS), dedicated to the Light of all faiths and to world peace, at Satchidananda Ashram-Yogaville® in Virginia, USA. Inspired by Sri Swamiji’s vision of a model spiritual center, Yogaville is a place where people of all faiths and backgrounds can come to study and practice the principles of Integral Yoga. For more information please visit: www.swamisatchidananda.org www.integralyoga.org

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Table des matières Preface Avant-propos La paix et la joie sont notre but...............................................................1 Dieu........................................................................................................ 17 Nous sommes un................................................................................... 29 He and His Art Make the Heart............................................................ 41 Le corps et la respiration....................................................................... 51 Vous êtes cause de tout........................................................................ 73 L’esprit.................................................................................................... 83 La méditation......................................................................................... 95 La prière................................................................................................ 115 Le guru et le disciple............................................................................ 123 La véritable éducation......................................................................... 135 Le désintéressement............................................................................ 151 183


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Philosophie/Religion « Swami Satchidananda a été l’ami spirituel d’une multitude innombrable, le catalyseur de leur transformation, la voix paisible qui a toujours honoré les nombreux chemins vers le Un. »

—Ram Dass

PHOTO BY ROBERT ALTMAN

« J’ai toujours été impressionné par le talent créatif de Swami Satchidananda à exprimer les vérités antiques en termes contemporains, sans jamais s’éloigner de la tradition. »

—Swami Kriyananda (J. Donald Walters)

« Swami Satchidananda a contribué plus que quiconque à rendre les richesses de la tradition yoguique accessibles aux occidentaux de toutes confessions, leur permettant d’intégrer fructueusement à leurs pratiques des techniques du Yoga. »

—Père M. Basil Pennington

Au-delà des mots présente l’essence des enseignements de Swami Satchidananda, avec son humour bénin, sa sagesse pratique, sa grande sagacité, et sa vision pénétrante. Contes, calembours, paraboles et exemples permettent aux lecteurs de découvrir la paix et la joie qui résident en chacun de nous. $16.95

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