La Marocanité en architecture À partir du règne de Hassan II jusqu'a nos jours. Youssef Tibourki ENSA Paris Malaquais-Juin 2020 Sous l'encadrement de Monsieur Aurélien Davrius
fig.2 : Carte tirÊe du livre , Parlons l’arabe dialectal marocain, par Michel Quitout
"Au Maroc, la seule véritable tradition est la modernité."1 Tarik Oualalou
L’identité marocaine est un concept hybride et hétérogène, qui rend difficile la définition de ce que peut être la marocanité2. Pays situé en Afrique du Nord, dont l’héritage hétéroclite résulte d’une exposition à différentes cultures3. L’intégration du royaume dans des communautés ou alliances plus larges est compliquée par cette diversité. Le Maroc se définit aujourd’hui comme un pays profondément africain, un membre de la ligue arabe, en aillant déjà formulé en 1984 une demande afin de rejoindre l’Union européenne.4 Cette confusion identitaire s’exprime par une recherche propre au Maroc où l’architecture est utilisée comme témoignage culturel et artistique au quotidien. Suivant la récupération de la majorité des territoires colonisés à la fin des années 705, le débat est ouvert par Hassan II. C’est dans ce contexte qu'un discours adressé aux architectes du royaume a lieu le 14 janvier 1986 à Marrakech. Le monarque dicte les règles de ce 1-Tarik OUALALOU, Hakim BENCHEKROUN, Resistances et Resignationsarchitectures au maroc | 2004-2014, AAM EDITIONS, 2014, p.6 2-Terme employé majoritairement par Hassan II, qui ouvre le débat sur la question aprés l'indépendance du Maroc, afin d'essayer de recréer une identité commune forte. 3-Plusieurs éthnies sont présentes au Maroc au fil des années, la culture amazigh étant autochtone. Les différentes civilisations qui colonisent où échangent avec les peuples marocains laissent évidemment leur trace sur le territoire; romains, caliphate arabo-musulman, civilisations ibériques... 4-Maurice Flory, Note sur la demande d’adhésion du Maroc à la Communauté économique européenne, Université d’Aix-Marseille, 5 p consultable sur http://aan. mmsh.univ-aix.fr/Pdf/AAN-1984-23_55.pdf, consultée le 05/06/2020 5-Cf : Territoire du Maroc et dates de sa réunifaction sur la page précédente 1
que "devrait" être l’architecture dans le royaume, afin d'affirmer la souveraineté et la puissance culturelle du Maroc indépendant. La réflexion sur la marocanité en architecture a commencé par une volonté politique de montrer le riche héritage du pays. Les Marocains, plus spécifiquement les architectes, historiens de l’art et étudiants qui essayent aujourd’hui de définir l’architecture et l’art marocains se sont petit à petit réapproprié cette volonté royale. Cet essai propose l'étude de la marocanité en architecture sous plusieurs règnes, et explore cette notion sous différents prismes. L'auteur essaye également de comprendre comment une architecture peut être à la fois traditionnelle, moderne et nationale. Le but de cet article n’est pas de définir une ou plusieurs architectures qui peuvent être considérées nationales au Maroc, mais plutôt de comprendre ce qui fait la marocanité et comment cette dernière s’est exprimée au fil des années.
La Marocanité On peut affirmer l’existence d’une architecture marocaine voire de plusieurs architectures marocaines régionales au même titre qu’une architecture italienne ou chinoise, car chaque architecture issue d’un pays et qui en tire une partie ou la totalité de ses attributs peut être rattachée à ce territoire. Cette architecture 2
marocaine ne doit cependant pas être qu’identitaire et stylistique, de manière à éviter de brider la liberté de conception dont jouissent les architectes. Elle devrait au contraire servir de point d’appui et de stimulus pour une architecture qui répond le mieux aux besoins et attentes de son contexte, qu'il soit social ou géographique. Dans un pays hétérogène, la marocanité pourrait être définie de deux manières; la première serait de considérer toutes constructions situées géographiquement au Maroc, qualitatives ou non, comme marocaines. La seconde consisterait à déterminer des spécificités régionales unies par des similarités nationales. Ces différences régionales seraient liées à l’emploi de techniques de constructions multiples qui répondent à des contraintes changeantes de météo, de disponibilité des matériaux, de milieux urbains ou ruraux, mais qui restent encadrées au sein d’un même canon architectural qui lui est lié à un mode de vie propre à l’Afrique du Nord, dicté par la religion, ainsi que la composition familiale et sociale de chaque époque. Ainsi la marocanité en architecture devrait permettre l'adaptation du bâti et de l'urbain aux usagers d’aujourd’hui en étudiant l’héritage culturel passé et essayer d’anticiper l'évolution de cet héritage6. Le but de définir la marocanité se limite à une introduction du sujet, car proposer une définition rigide reviendrait à figer le débat que cet article essaye de 6-Définitions et pensées principalement formulées lors d'un entretien entre l'auteur et Driss Kettani architecte D.E.N.A exerçant au Maroc depuis 2005 3
soulever. Ces définitions restent donc hypothétiques et sont issues des analyses de l'auteur. Sans oublier que limiter l'architecture marocaine à ces définitions viendrait imposer aux architectes un style et une approche précise et contredirait une longue histoire d'expérimentations architecturales et artistiques au Maroc.
La Marocanité rêvée de Hassan II C'est à la réunification du territoire, pendant les années 60 à 70 que l'envie de (re)construire une identité nationale commune se fait ressentir. C'est dans ce contexte que le débat sur la question de la marocanité nait. En architecture le retour des premières promotions7 8 d'étudiants marocains de l'étranger conduit à une recherche d'esthétique propre, loin des références folklorisantes de l'architecture néomauresque et de l'architecture colonialiste. Ce style se développe grâce à l'émancipation de l'architecture marocaine inspirée des courants de l'époque à savoir le modernisme de Niemeyer et Gropius tout en revenant aux bases de l'architecture corbuséene. En rompant avec les architectures dites traditionnelles ce groupe d'architectes s'inscrit en opposition aux styles de l'entre 7-Bien qu'il y ai auparavent des étudiants marocains à l'étranger notamment à l'école des beaux-arts les années 60 à 70 virent des promotions d'étudiants plus nombreuses.
8-Tarik OUALALOU, Hakim BENCHEKROUN, Op. cit.p.8. 4
deux guerres marocains9. La scène architecturale marocaine voit donc apparaître plusieurs architectes aux inspirations et aux approches différentes, qui ont néanmoins su créer une base d'idées communes en essayant d'inscrire le Maroc dans son temps. Ces architectes instaurent un langage national uni, grâce notamment à l'usage extensif du béton de décoffrage et les différentes techniques qu'offre ce matériau, inédit à l'époque. (fig 3 à 6) Le séisme d'Agadir en 1960 et la nécessité urgente de reconstruire la ville entièrement était une opportunité idéale pour ces architectes. Véritable tabula rasa, la ville devenait un champ d'expression complétement nu offrant la possibilité d'appliquer tous les préceptes de l'urbanisme corbuséen (fig 7 et 8). Ce modernisme marocain a trouvé là une occasion parfaite pour s'exprimer librement avec plusieurs quartiers et institutions à concevoir. Ce qui est un tragique épisode d'histoire donne alors une ville témoin d'une sémantique architecturale originale. Cette architecture sculpturale en béton brut, qui garde quand même de fortes influences et principes européens, est trés vite questionnée lorsqu'au début des années 80 est fondée la première école d'architecture marocaine, l'ENA10. 9-MAMMA Group, Modern Casablanca Map,Impression directe, 2019.p.21 10-ENA : Ecole nationale d'architecture de Rabat fondée en 1981 la 1ère école spécialisée en architecture au Maroc avec comme mission de répondre aux besoins du marché marocain en terme d’architectes destinés aux secteurs publics et privés. Sa création fût confiée au Ministère de l’Habitat et de l’Aménagement du Territoire à Rabat, division de l’architecture. 5
fig.3 et 4: Immeuble A Agadir | Louis Riou 1961-63 fig.3
fig.5 et 6 : Tribunal administratif d'Agadir | Elie Azagury | 1961-63
fig.7 et 8 : Nouvel Agadir (Haut commissariat au plan) | Mourad Ben Embarek | 1960 Illustrations tirées du site officiel du MAMMA (Mémoire des architectes modernes marocains) group. mammagroup.org consulté le 28/05/2020 6
fig.5
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Une première école d'architecture signifiait de nouvelles promotions d'architectes marocains formés au Maroc, ce qui devait être mis en valeur. Sachant que l'école obtient son indépendance financière et morale en tant qu'établissement public en 2004, l'implication de l'État en tant qu'acteur direct dans la pensée architecturale de l'époque parait évidente. Le fait également que l'école soit placée sous la tutelle du Ministère de l'Habitat et de l'Aménagement montre la direction choisie par le gouvernement pour l'architecture, une architecture de l'urgence et du besoin face à une urbanisation rampante et un exode rural colossal11 12. Les principes de ce que devrait être l'architecture marocaine sont formulés durant le discours de Hassan II qui a lieu le 14 janvier 1986 à Marrakech13, dans lequel il invite les architectes à perfectionner leurs conceptions. En critiquant les architectures que produit le pays à l'époque, il invite à un retour vers les "traditions". Cette redécouverte des techniques du passé pousse la scène architecturale vers un post modernisme autocratique forcé. "Notre pays est beau, ses monuments sont beaux, mais ses édifices ne le sont pas, je ne parle pas des bidonvilles, je parle de ses rues, je parle de ce que voient les étrangers et ce que 11-Site officiel de l'ENA : http://archi.ac.ma/index.php/notre-histoire consulté le 05/06/2020 12-Pinson Daniel, L'universalisme de la charte d'athenes et les particularismes de l'habitat marocain, HAL, 2019, consultable : https://halshs.archives-ouvertes.fr/ 13-Discours de Sa Majesté Hassan II devant les représentants des architectes le 14 janvier 1986, Création de l’Ordre des Architectes, Instauration de la Journée Nationale de l’Architecte. 8
nous voyons nous"14 Hassan II
Parmi ses critiques de l'architecture et de l'urbanisme marocain, Hassan II donne plusieurs exemples en insistant sur l'apparence des édifices et en précisant qu'il incombe aux architectes de faire de belles villes que les étrangers et les marocains apprécieraient et reconnaîtraient comme faisant partie du Maroc. L'echec des architectes face à cette demande prouverait au souverain leur faible amour pour la nation. En déclarant cela auprès d'une nouvelle génération d'architectes, le roi entraîne les édifices de la période vers un style post-moderne mêlant à la fois références classiques et ornements "traditionnels" du pays. Cette envie de se faire reconnaître conduit l'architecture vers un style alimenté principalement par le décor, l'ornementation, et incite les architectes à montrer le Maroc comme le monde veut le voir. Les éléments utilisés dans cette architecture sont pour la majorité tirés d'une supposée tradition; zellige15, calligraphie en stuc, menuiserie à motifs floraux ou géométraux. Ce qui résulte en une hybridation totalement à l'opposé de l'authenticité que le souverain prônait si fortement. Cet acharnement à exposer les 14-Traduction de l'auteur 15-Le zellige est une mosaïque dont les éléments, appelés tesselles, sont des morceaux de carreaux de faïence colorés. Ces morceaux de terre cuite émaillée sont découpés un à un et assemblés sur un lit de mortier pour former un assemblage géométrique. Le zellige, utilisé principalement pour orner des murs ou des fontaines, est un composant caractéristique de l'architecture mauresque, originaire du Maroc (définition tirée de wikipédia) 9
stéréotypes associés au Maroc est utilisée comme pour rappeller où se trouve l'observateur ainsi que pour ancrer les édifices dans le territoire, en les liant à l'histoire du pays. Cette vision très "orientaliste"16 de l'architecture est également très réductrice, car l'abus de ce type d'iconographie restreint l'image du Maroc et de son héritage architectural à ses motifs et décors, négligeant ainsi tout le travail colossal lié aux matérialités, aux typologies de plan et aux compositions de façades. Le béton qui autrefois était utilisé de façon brute et sculpturale se réduit à cette période à un simple matériau structurel caché grâce à l'usage de motifs et autres éléments arabisants afin d'affirmer que l'architecture est bien "authentique". Les bâtiments officiels ainsi que les pavillons du Maroc de l'époque incarnent parfaitement cette esthétique (fig 9 et 10). La construction de la mosquée Hassan II à Casablanca témoigne de l'apogée de ce mouvement, commandée par le souverain et conçue par un architecte français17. Cette prouesse architecturale se limite à la taille du bâtiment, qui n'est qu'une homothétie d'un 16-L'orientalisme est un mouvement littéraire et artistique né en Europe occidentale au XVIIIe siècle, Elle est présente en architecture, en musique, en peinture, en littérature, en poésie… Esthétique pittoresque, confondant les styles, les civilisations et les époques, l'orientalisme a créé de nombreux clichés et poncifs que l'on retrouve aujourd'hui encore en littérature ou au cinéma. (définition tirée de wikipédia), à noter que le nom arabe du Maroc est Maghreb signifiant littérallement occident ou ouest, donc l'association du Maroc à une culture orientale parait absurde. 17-Michel Pinseau pendant plus de vingt ans, il sera l’architecte du roi, construisant résidences royales (palais d’Agadir), universités (Ifrane), bâtiments administratifs (nombreux à Casablanca), logements sociaux (à Rabat), et le pavillon du Maroc pour l’exposition de Séville, en 1992 Source : Site officiel de la cité de l'architecture et du patrimoine de Paris. https://archiwebture. citedelarchitecture.fr/fonds/FRAPN02_PINSE consulté le 05/06/2020 10
fig.9
fig.9 et 10 : Pavillon du Maroc | expo universelle de 1992 Michel Pinseau consultable au|https:// www.leconomiste. com/flash-infos/expouniverselle-1992-lemaroc-va-rehabiliterson-pavillon http://tresculturas.org/fr/ consulté le 05/06/2020
fig.11 et 12 : Grande Mosquée Hassan II, Casablanca : plan de la galerie des femmes (Doc. AR-29-06-0511). Fonds Pinceau, Cité de l'architecture et du patrimoine de Paris. https://archiwebture. citedelarchitecture.fr/ fonds/FRAPN02_PINSE/ inventaire/vignette/ document-11309 consulté le 05/06/2020 Photo d'intérieur : https:// www.voyage-maroc.com/ visite-mosquee-hassan-2 consulté le 05/06/2020
fig.10
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style préexistant, la mosquée est ici utilisée comme un catalogue des artisanats marocains. Sa taille crée un effet monumental qui vise à marquer la ville de Casablanca, qui a sûrement été jugée trop européenne. Néanmoins il y a contradiction ; Hassan II qui cherche à marocaniser Casablanca la rattache encore plus à une présence coloniale, plus invisible certes mais toujours présente, car il fait appel à des maîtres d'œuvre et entreprises de construction françaises. Cette action politique sous entend l'incompétence des architectes marocains, et leur manque d'expertise face à un projet de cette ampleur. Il s'ajoute à cela la ressemblance frappante de la mosquée à une cathédrale : plan à forme écclésial, présence d'espaces qui peuvent s'apparenter à des bas côtés, nef et déambulatoire (fig 11 et 12 à la page précédente.)
La beauté urbaine et architecturale que cite Hassan II est souvent liée à l'histoire politique de la ville marocaine. Il fait mention par exemple, d'Azemmour18 qui a connu plusieurs épisodes de résistance au colonialisme portugais, et qui se faisant a hérité d'un patrimoine architectural conséquant sur lequel les dynasties monarchiques de l'époque ont construit par addition. Cet héritage donne son nom à la ville actuelle, El Jadida signifiant la nouvelle. Il semble que Hassan II réinvoque plusieurs fois des édifices, souvent politiques, très marquants dans les paysages urbains, à savoir des 18-Azemmour : Ville non loin de l'actuelle ville cotière d'El jadida située à unecentaine de km au sud de Casablanca 12
palais, des kasbahs19 ou autres fortifications militaires. Il n'est par contre jamais question d'universités ou de bâtiments culturels. Il est possible d'en retenir que plus une ville dispose d'un patrimoine politico-religieux plus elle est considérée marocaine, cela expliquerait pourquoi les villes impériales sont généralement considérées plus authentiques que leurs contreparties plus récentes telles que Casablanca. Marquer cette dernière par un programme religieux commandé par le chef d'État semblait donc nécessaire. Les problèmes soulevés par le souverain concernant l'architecture et l'urbanisme du Maroc, à savoir le manque d'espaces verts, l'absence de biodiversité en ville, et la bétonisation grimpante des métropoles20 21, ne sont pas traités dans le cadre du projet de la grande mosquée, qui est une plateforme géante en béton construite partiellement au dessus de la mer. Sans oublier que le projet titanesque remplace l'une des plus grandes piscines municipales du Maroc voire d'afrique22.
19-Kasbah : Chateau fortifié ou non qui définit également le centre d'une ville 20-Problèmes qui ont selon lui pour conséquence de compliquer la transmition de valeurs esthétiques aux générations futures. 21-Informations tirées du discours de Hassan II prononcé le 14 janvier 1986 à Marrakech, traduction de l'auteur. 22-La piscine municipale de Casablanca est une piscine d'eau de mer construite dans les rochers le long de la route d'Ain Diab à Casablanca. Elle a été conçue par l'architecte Maurice L'Herbier et inaugurée le 14 juillet 1934.Considérée comme la piscine la plus longue du monde à son époque (480 mètres de longueur pour 75 mètres de large), l'eau de mer y était renouvelée chaque jour par le jeu des marées et l'aide d'une station de pompage. Aujourd'hui, cette piscine a laissé place à la mosquée Hassan II, (2ème par la hauteur de son minaret : 200 mètres de hauteur). 13
VI
La Marocanité sous le règne de Mohammed
L'accession au trône de Mohammed VI en 1999 aprés la mort de son prédécésseur ouvre une ère nouvelle pour le Maroc. Le changement de stratégie sociale se manifeste par des gestes politiques clairs23 qui annoncent une envie de réformer le pays. Ces changements politiques et sociaux catalysent la transformation de la société marocaine et par conséquent de la scène architecturale. En plus de cela l'ouverture du pays vers de nouveaux marchés et cultures étrangères à travers la mondialisation de l'époque, favorise une hybridation. Les approches anciennes et nouvelles se voient métissées et si il n'y pas création d'un nouveau style marocain il y a au moins un brassage des influences. Sous le nouveau souverain, l'architecture marocaine n'est plus guidée par une volonté politique. L'ouverture croissante du pays à l'international provoque cependant une résistance, souvent exprimée par un refus des nouveautés et un retour vers les "traditions". Cette habitude du retour systémique vers les procédés passés est cependant largement remise en cause avec 23-Premières réformes de Mohammed VI : Changement de ministre de l'intérieur anciennement Driss Basri véritable figure politique du Maroc sous Hassan II. Ainsi que plusieurs amendements de lois visant par exemple les femmes changeant profondément la structure sociale on peut citer : la possibilité pour la femme de demander un divorce ou la formulation de règles plus strictes concernant la polygamie. 14
la construction d'un débat fondé sur ce que devrait être l'architecture au Maroc qui transcende la simple exploration identitaire. "L'architecte n'entend plus rien prouver par son travail. L'enjeu est ailleurs. Il n'est plus essentiellement identitaire, même si personne ne peut renier ses racines, il est esthétique et politique, au sens premier du terme. Si la quête demeure, elle a changé de nature. La quête, aujourd'hui, est une quête existentielle. Une quête dans laquelle le temps, l'espace, et le territoire, en tant que formateur d'individualités, interviennent naturellement."24 Siham Sara Chraïbi
Une scène architecturale disparate nait alors au Maroc du XXIème siècle, faite d'opinions variées, qui s'entremêlent et souvent s'entrechoquent, car si l'on construit énormément au Maroc, on n'y écrit et théorise que très peu. Cela affaiblit les dimensions conceptuelles et intellectuelles de la pratique architecturale, et interrompt une longue coutume de renouvellements et d'expérimentations25. Sans oublier que les échos du style hassanien se ressentent et se voient toujours sur les édifices construits de nos jours à travers un usage répété de motifs géométriques et floraux. (fig 13 à 16.) Cet appétit pour l'ornementation, et les bâtiments qui en resultent poussent à questionner sa légitimité. La volonté de se libérer de ces représentations caricaturales se traduit par l'attention portée aux préoccupations 24-Tarik OUALALOU, Hakim BENCHEKROUN Op. cit., p.9. 25-Ibid., p.7. 15
fig.13 et 14 : Gare de Marrakech, Youssef Melehi, 2008. Illustrations consultables au https://www. routard.com/photos/ marrakech/1498021la_gare_de_marrakech. htm et https://visitermarrakech.com/guide/ gare-marrakech. php consultées le 06/06/2020
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fig.15 et 16 : Extention de l'aéroport de Fes, Abdou Lahlou, 2001. Illustrations consultables au https:// aujourdhui.ma/ economie/aeroportfes-saiss-symbioseentre-authenticite-etmodernite et https:// www.facebook.com/ DiscoveryMorocco/ photos/p.24248102676 22407/242481026762 2407/?type=3&theater consulté le 06/06/2020
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fig.17 et 18 : Musée de Dakhla, Omar kobbite architecture, 2014-2020 Illustrations consultable au https://erikgiudice. com/work/la-grandeescale-dakhla/ consultée le 06/06/2020 fig.18
fig.19
fig 19 et 20 : Musée de volubilis, Kilo Architectures, 2011 Illustrations consultables au https:// www.archdaily. com/171917/volubilisvisitor-center-kiloarchitectures consultée le 06/06/2020
fig.20
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originels de l'architecture. Des questionnements plus contemporains refont surface tel que le rapport de l'édifice au site, les façons de s'implanter, l'expression tectonique de la structure ainsi que les façons de réinterpréter ou de se réapproprier le programme. (fig 17 à 20 à la page précédente.)
Il se produit également une réappropriation du patrimoine colonial au Maroc, qui se manifeste par la création d'associations telle que Casamémoire26 ou MAMMA27. La demande d'inscription au patrimoine de l'UNESCO des centres villes de Rabat28 et Casablanca29 permet un rétablissement de la liaison avec la scène architecturale internationale. Cette réappropriation change également la façon de penser les villes et le bâti, et crée une envie de construire la ville sur la ville, et de réhabiliter l'existant, ce qui pousse à la mise en valeur de Fès par exemple, à travers la restauration de son université Al Qaraouiyine30 achevée en 2007 ainsi que l'assainissement de la rivière31 qui la traverse. 26-Créée en 1995, Casamémoire est une association marocaine à but non lucratif de sauvegarde du patrimoine architectural du XXe siècle au Maroc. Elle a vu le jour suite à la démolition de la villa Mokri de l’architecte Marius Boyer. Elle regroupe des membres réunis autour de valeurs communes : préservation de la spécificité de Casablanca, valorisation du patrimoine architectural, du tourisme culturel et de la mémoire collective. source : http://www.casamemoire.org/index.php?id=4 consulté le 07/06/2020 27-(Mémoire des architectes modernes marocains) : Organisation patrimoniale dont l’objectif principal est de mettre en valeur l’architecture et l’urbanisme marocain post indépendance (40-90) à travers une génération pionnière d’architectes modernes. source : https://mammagroup.org/about consulté le 07/06/2020 28-https://whc.unesco.org/fr/list/1401/ consultée le 07/06/2020 29-https://www.minculture.gov.ma/fr/?p=2816 consultée le 07/06/2020 30-https://www.akdn.org/fr/architecture/project/r%C3%A9habilitation-de-la-mosqu%C3%A9e-al-quaraouiyine consultée le 07/06/2020 31-http://www.azizachaouniprojects.com/fez-river-project/ consultée le 07/06/2020 18
L'assimilation du patrimoine colonial pousse également a une redécouverte du patrimoine marocain, qui ne se limite plus à un style arabo-andalou mais qui explore d'autres formes de marocanités plus anciennes liées à des cultures amazighs rurales, voire nomades. Il se produit également un changement de rapport à la matérialité. Le béton lié auparavent à la modernité, est aujourd'hui remis en cause, d'abord pour des questions écologiques mais également grâce au nouvel intérêt porté aux techniques de constructions vernaculaires bioclimatiques. Ces nouvelles attentions portées vers le passé font également émerger des réapprentissages de techniques anciennes et des mises à jours de ces répertoires. On voit apparaitre des architectures qui solutionnent des problématiques contemporaines avec des réponses millénaires.32 Le développement des villes lié à des projets d'aménagement de plusieurs quartiers soulèvent des problèmes territoriaux. On peut citer l'intervention sur la vallée du Bouregrag33 à Rabat ou encore la zone de CasaAnfa34. Ces fragments du territoire n'obéissent pas au même règles urbaines que les villes dont ils font partie, se faisant ils se présentent comme des objets parachutés dans l'espace public et urbain. Ces quartiers paraissent 32-On peut citer par exemple les projets de Salima Naji, architecte marocaine portant un intéret particulier à l'architecture bioclimatique rurale au Maroc, qu'elle met en oeuvre avec des techniques traditionnelles : construction en terre crue, pisée, pierre sèche... consultable sur https://www.salimanaji.org/salima_ naji/ consultée le 07/06/2020 33-http://www.bouregreg.com/ consultée le 07/06/2020
34-https://casaanfa.com/fr/index.html consultée le 07/06/2020 19
étrangers non pas parceque leurs architectures ne sont pas qualitatives mais parcequ'elles obtiennent des libertés de conception que le reste de la ville peine à acquérir. On peut citer le respect de limites de hauteur imposées aux bâtiments casablancais dont ils sont dispensés par exemple, à CasaAnfa. Il se crée ainsi des zones quasi idylliques et complétement déconnectées des réalités urbaines des métropoles marocaines. Il s'ajoute à cela une idée héritée de l'époque coloniale et Hassanienne de la supériorité des compétences étrangères. Si Hassan II essayait de liberer l'imaginaire collectif d'une supériorité coloniale, on observe une cristallisation de ces pensées dans la société marocaine d'aujourd'hui. Le constat se fait à travers la multiplicité des partenariats entre maîtres d'oeuvres étrangers et locaux qui obtiennent d'énormes part de marché et qui se voient confier les projets les plus importants du pays. "L’architecture a aussi besoin de projets “événements” qui constituent des jalons et proposent un challenge aux métiers de l’architecture en mobilisant tout un ensemble de filières [...] Il s’agit néanmoins de tacher de garder une certaine mesure de telle sorte que la disproportion des projets ramenée aux moyens réels du pays ne soit pas trop marquée au risque de susciter un sentiment de rejet."35 Driss Kettani
Si cette politique prouve l'ouverture marocaine au monde, cela soulève la question de la compétence locale, qui devient un partenaire presque exclusivement 35-Extrait de l'entretien par courrier éléctronique effectué avec Driss Kettani 20
administratif.36 L'idée n'est pas de dire que les architectes étrangers devraient recevoir moins de commandes marocaines, mais il faudrait cependant questionner l'impact de ces grands ouvrages sur le territoire et prôner une plus grande transparence et équité pour ces partenariats. On pourrait prendre l'exemple de CasArts37, conçu par Christian de Portzamparc en association avec Rachid Andaloussi. Le projet est trés imposant et réaménage la place Mohammed V38, le problème est tel que les projets de cet ampleur n'apprennent pas des erreurs passées. Si la grande mosquée marque Casablanca en bétonisant une partie énorme de son littoral. CasArts effectue la même chose au coeur même de la métropole. Les polémiques autour de sa construction sont donc peut être justifiée au delà du coût de l'édifice ou du retard que prend son chantier commencé en 200839. Mis à part les questions financières, certaines contestations sont liées au programme du bâtiment. Casablanca en tant que plus grande ville du Maroc manque certainement d'édifices ou de centres culturels mais certains voient le théâtre comme un art "bourgeois" qui ne cherche pas à démocratiser la culture au sein de la société. 36-L'aide du partenaire marocain se limite souvent à des dépots d'autorisations et de permis de construire, ainsi qu'à des suivis de chantier pour des raisons de facilités linguistiques entre autres. 37-Plus grand théâtre d'Afrique, construit sur une partie de la place Mohammed V à Casablanca. 38-Place administrative particulièrement importante car elle marque le point de départ du développement du l'urbanisme à Casablanca, dessinée par Henri Prost sous le résident général Hubert Lyautey. 39-Kaouthar Oudrhiri, Le grand théâtre de Casablanca : un acte manqué ?, Telquel, le 01/04/2018 consultable au https://telquel.ma/2018/04/01/le-grand-theatre-decasablanca-un-acte-manque_1586806 consulté le 07/06/2020 21
Cet article ne represente que l'introduction d'un sujet très complexe. Plusieurs autres questions se posent et méritent une analyse plus profonde. Il reste à espérer que le Maroc saura surmonter ces débats identitaires qui ne se posent plus dans les autres pays, ou du moins pas de la même manière, en architecture ou dans les autres domaines. L'architecture au Maroc est en changement constant, on ne peut qu'observer son évolution et souhaiter un progrès. Il serait peut être temps également d'en finir avec les débats binaires que présentent la tradition opposée à la modernité. "[...], je voudrais faire une proposition : cesser de parler de tradition et de modernité. Ces deux mots, mal pensés et mal digérés sont les seuls alibis sur lesquels les maitres d'oeuvres s'appuient pour décrire tout et n'importe quoi n'arrivant à rien formuler qui ne soit dans cette relation entre le traditionnel et le moderne. Je n'ai pas besoin de montrer ma marocanité de manière tautologique et la porter comme un drapeau. Je la porte en moi, dans ma culture, mon vécu, mes sensations, mes expériences. Elle percole dans mon travail. Je n'ai aucune nécessité à projeter la modernité car je suis un homme de mon temps et je dialogue avec les cultures du monde. La tradition doit devenir patrimoine, et la modernité contemporaine."40 Tarik Oualalou
Il faudrait donc cesser les nostalgies infondées, apprendre de nos erreurs, et réflechir à une architecture qui répond mieux aux besoins de la société. La tradition et la modernité sont des mots qu'il faudrait libérer de ce rapport d'opposition, et dont il faut se détacher 40-Tarik OUALALOU, Hakim BENCHEKROUN, Op. cit., p.7. 22
car le débat ne peut être simplifier de cette manière. Il faudrait aspirer à une architecture plus qualitative, profondément ancrée dans son temps qui fasse sens et se projete vers l'avenir. "Il me semble qu'aujourd'hui ce qui manque le plus à l'architecture et au monde, ce n'est pas de l'identité mais du coeur et du sens. Dans mon travail il y a des voyages, des lectures, des rencontres, des questionnements, des obsessions. Mais à aucun moment je ne me demande à quel point mon architecture est marocaine. Elle l'est probablement, mais je ne saurais dire si elle l'est dans un patio planté, dans le parfum du bois ou ailleurs."41 Mehdi Berrada
41-Extrait d'un entretien par courier éléctronique avec Mehdi Berrada, architecte exerçant à Casablanca. 23
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Images Image de couverture : FARAOUI Abdeslem - DEMAZIERES Patrice | Dades Hotel | Boumalen Dades, Maroc | 1974-76, page facebook MAMMA. (mémoire des architectes modernistes marocains.) Images d'architecture brutaliste des années 60 et 70 et plan du nouvel Agadir : site officiel du groupe MAMMA, https://mammagroup.org/ Image du pavillon du Maroc de 1992 à Séville : https://www.leconomiste. com/flash-infos/expo-universelle-1992-le-maroc-va-rehabiliter-sonpavillon Plan de la grande mosquée Hassan 2 tiré des fonds d'archives de la Cité de l'architecture et du Patrimoine à Paris : https://archiwebture. citedelarchitecture.fr/fonds/FRAPN02_PINSE/inventaire/vignette/ document-11309 Photo d'intérieur de la grande mosquée de Hassan 2 : https://www. voyage-maroc.com/visite-mosquee-hassan-2 Images de la gare de marrakech : Illustrations consultables au https:// www.routard.com/photos/marrakech/1498021-la_gare_de_marrakech. htm et https://visiter-marrakech.com/guide/gare-marrakech.php consultées le 06/06/2020 Images du nouveau terminal de l'aéroport de Fes : Illustrations consultables au https://aujourdhui.ma/economie/aeroport-fes-saisssymbiose-entre-authenticite-et-modernite et https://www.facebook. com/DiscoveryMorocco/photos/p.2424810267622407/242481026762240 7/?type=3&theater consulté le 06/06/2020 Images du Musée de Dakhla : consultables au https://erikgiudice.com/ work/la-grande-escale-dakhla/ consultée le 06/06/2020 Images du musée de Volubilis : consultables au au https://www.archdaily. com/171917/volubilis-visitor-center-kilo-architectures consultée le 06/06/2020
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Entretiens Série de questions posés par l'auteur à Driss Kettani, architecte D.E.N.A exerçant depuis 2005 à son compte à Casablanca, Ainsi que Mehdi Berrada, architecte D.E.S.A exerçant à Casablanca également. Mourad Ben Embarek - L'architecte du nouvel Agadir - aMush #05 consultable au https://www.youtube.com/watch?v=1GVbcbz93Ns et consulté le 05/06/2020 Youssef Melehi - Portraits Architectes - aMush - # 03 consultable au https://www.youtube.com/watch?v=jEnF-os9OJs consulté le 05/06/2020