Bretagne et Irlande dans l'histoire

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Irlande et Bretagne du V e au XXI e siècle

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Jean Guiffan

L’histoire récente, et en particulier le réveil politique et culturel des pays celtiques, fait souvent oublier qu’au fil des siècles, les relations entre l’Irlande et la Bretagne ont souvent été assez distendues et fondées sur de tout autres impératifs, comme le commerce maritime ou l’émigration politique et économique de milliers d’Irlandais vers la Bretagne.

Les vestiges de l’abbatiale de Landévennec, au début de la Presqu’île de Crozon, à deux pas d’un musée passionnant qui retrace l’histoire du site et du monachisme celtique, ainsi que l’histoire de la Bretagne.

Jean Guiffan est professeur d’Histoire à Nantes et l’auteur de plusieurs ouvrages sur l’Irlande.

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Voisinage et cousinage n’impliquent pas automatiquement des échanges intenses entre les sociétés comme entre les individus”, soulignait d’entrée André Lespagnol (1) lors d’un colloque sur l’Irlande et la Bretagne à Rennes, en mars 1993. Pourtant proches géographiquement et culturellement, ces deux pays celtiques n’ont eu longtemps que d’assez faibles relations. Si les premiers échanges des Bretons avec “l’île des saints et des savants” remontent au haut Moyen Âge, il faut attendre le xviie siècle pour qu’ils prennent une grande impor-

(1) Irlande et Bretagne - Vingt siècles d’Histoire, Terre de Brume, 1994.

tance, avant de connaître un rapide déclin, suivi d’une longue période de stagnation. C’est seulement depuis le début des années 1970 que les relations se sont intensifiées, tant au plan économique que culturel. Le temps des missionnaires Lorsqu’à partir du vie siècle, les moines irlandais commencent leur activité missionnaire sur le continent européen, la Bretagne est naturellement l’un de leurs principaux points d’accostage. Le biographe de saint Colomban, Jonas de Bobbio, rapporte ainsi que le grand mission-

naire irlandais a débarqué avec ses disciples “aux rivages de Bretagne”, avant d’aller fonder les monastères d’Annenay et de Luxeuil. Il a peut-être accosté vers 590 sur la plage Dugueslin, entre Saint-Malo et Cancale, comme l’indique une croix commémorative érigée à cet endroit, le toponyme de la localité voisine, Saint-Coulomb, gardant le souvenir de ce bref passage. Et c’est de Nantes qu’il s’embarque en 610 pour tenter de regagner sa terre natale : finalement l’échouage de son navire va le contraindre à rester sur le continent, où il ira fonder, en Italie, le monastère de Bobbio. Mais, comme saint Colomban, la plupart des missionnaires irlandais n’ont fait que transiter par la Bretagne, très peu y restant à demeure. Pourtant, selon l’hagiographie bretonne, de nombreux saints qui évangélisèrent la péninsule seraient d’origine irlandaise comme Briac, Efflam, Guigner, Maudez, Rion, Sané, Vouga ou, du moins, auraient séjourné plus ou moins longtemps dans l’île comme Budoc, Cadoc, Idunet, Gildas, Gwenaël, Samson… En réalité, la plupart des saints bretons soi-disant nés en “Hibernie” sont plutôt originaires du pays de Galles, et on ne peut guère considérer comme authentiquement irlandais que Ronan, un anachorète du xe siècle, qui a donné son nom à Locronan et à Saint-Renan. Mais il n’en demeure pas moins que le monachisme irlandais a joué un rôle important en Bretagne durant tout le haut Moyen Âge. Ainsi, jusqu’au


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début du ixe siècle, c’est la règle de saint Colomban que suivent les abbayes de Landévennec ou de Saint-Gildas-de-Rhuys, n’adoptant la règle de saint Benoit qu’en 818 sur ordre de Louis le Pieux. Puis, du ixe au xie siècle, c’est une compilation de droit canon faite en Irlande, la Collatio canonum hibernensis, qui est abondamment recopiée dans les monastères bretons. C’est notamment au plan artistique que l’influence irlandaise est caractéristique comme le montre l’évangéliaire de Saint-Gatien de Tours (lire ArMen n° 61), réalisé en Bretagne au viiie siècle, dont la graphie et la décoration (entrelacs, spirales, volutes, animaux stylisés…) rappellent les célèbres manuscrits de Durrow ou de Kells. Même après la réforme carolingienne, de nombreux évangéliaires bretons conservent longtemps des caractéristiques insulaires dans les motifs décoratifs et dans le système d’abréviations utilisé par les copistes. Plus discutable est l’apport irlandais dans l’architecture, même si certains pensent que quelques petites constructions bretonnes en pierre sèche (l’ermitage de saint Hervé à Lanrivoare, l’ermitage de saint Hermeland à

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Basse-Indre…) présentent des analogies avec les oratoires “en ruche d’abeilles” des îles Skellig ou du Dingle : “Quoiqu’il nous en coûte, reconnaît Philippe Guigon, nous devons conclure que les influences irlandaises sur l’architecture religieuse du haut Moyen Âge en Bretagne ressortent davantage du mythe que de la réalité”(2). Les premières relations commerciales Comme l’indiquent les Vitae de saint Colomban, de saint Guénolé et de saint Philibert, les navires allant et venant d’Irlande en Bretagne ne transportaient pas seulement des moines, mais aussi quelques produits marchands. Ces premiers échanges commerciaux sont cependant restés longtemps très faibles : l’Irlande est alors un pays pauvre, peu urbanisé et peu ouvert sur la mer avant l’arrivée des Vikings à l’extrême fin du viiie siècle ; quant à la Bretagne, guère plus riche à cette époque, elle n’a pas de vocation commerciale maritime avant le xiiie siècle. Les relations ne commencent vraiment à s’animer qu’à la fin du Moyen Âge, sous (2) Irlande et Bretagne, op. cit.

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l’impulsion des Bretons qui, de la fin du xive siècle au milieu du xvie, développent une puissante flotte de cabotage, devenant de véritables “rouliers des mers” de l’Andalousie aux Pays-Bas, en passant par les îles Britanniques. Dans ce fructueux commerce maritime, l’Irlande ne joue cependant qu’un rôle secondaire pour les Bretons. Les échanges avec cette île se limitent souvent à l’exportation de grandes quantités de sel venant principalement des salines de Guérande et, à un degré moindre, de la presqu’île de Rhuys ou de la baie de Bourgneuf. De Bretagne partent également quelques produits manufacturés, surtout des toiles ; l’Irlande, en revanche, ne fournit guère que des harengs et des poissons salés. Il arrive toutefois que des marchands irlandais affrètent un navire étranger pour transporter des chevaux de Drogheda en Bretagne (3). Mais si de nombreux navires bretons, notamment cornouaillais, fréquentent les ports irlandais, c’est surtout comme transporteurs de produits embarqués à La Rochelle ou Bordeaux.

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À GAUCHE, les moines de Landévennec ont été les derniers sur le continent à abandonner la règle du moine Irlandais saint Colomban, qui préconisait par exemple une tonsure particulière, l’avant et non le dessus du crâne étant rasé. À DROITE, l’évangéliaire de Saint-Gatien de Tours, réalisé en Bretagne au VIIIe siècle dont la graphie et l’ornementation sont directement inspirées de l’art irlandais.

(3) Henri Touchard, Le Commerce maritime breton à la fin du Moyen Âge, Paris, Les Belles Lettres, 1967.

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alors que le roulage maritime breton est en pleine expansion. Mais les importants bouleversements politiques et religieux qui secouent les îles britanniques à partir du xvie siècle vont pousser beaucoup d’Irlandais à venir s’établir à demeure en Bretagne au xviie et au début du xviiie siècle.

Le cimetière et la tour de Glendalough dans les monts Wicklow ont inspiré l’artiste breton Pierre Péron. Le monastère de Glendalough fondé par saint Kevin au VIe siècle a été l’un des principaux foyers de la chrétienté irlandaise.

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C’est ainsi qu’en 1468-1469, La Trinité du Croisic, la Sainte-Nona de Penmarc’h et la caravelle SaintJulien de Landerneau exportent de La Rochelle en Irlande d’importantes cargaisons de vin, une grande quantité de fer ainsi qu’un peu de sel, de résine, de liège, etc. Pour les navires bretons, l’Irlande ne constitue souvent qu’une simple étape dans leurs relations avec Bristol ou les ports du pays de Galles. Ils ne s’aventurent que très peu sur la côte ouest, très dangereuse, les ports les plus fréquentés allant de Baltimore à Drogheda. Cependant, comme le marché irlandais est pauvre, “la présence des Bretons reste ténue et souvent épisodique” remarque, Henri Touchard, soulignant par ailleurs que “les échanges avec l’Irlande, quelle que soit leur ampleur, ne sont que d’un piètre rapport et affaire de petites gens”. Ils déclinent d’ailleurs dès la fin du xve siècle,

Les “Hibernois” des xviie et xviiie siècles Si la conquête anglaise, l’expropriation de terres et la persécution religieuse sont les principaux facteurs de cette grande migration irlandaise, l’historien Éamon Ò Ciosáin relève également trois autres causes : des famines, la levée de régiments pour l’armée française et l’interdiction faite aux marchands catholiques de commercer dans les ports sous le régime cromwellien (4). La première vague d’émigration se fait sentir au tout début du xviie siècle : fuyant la dure répression de l’armée d’Élisabeth Ire, ce sont surtout des milliers de miséreux qui arrivent en Bretagne. Ils ne tardent pas à former des bandes faméliques qui inquiètent rapidement les autorités et de nombreux décrets sont pris entre 1603 et 1607 contre ces “Irois vaguants et mendiants”. Une seconde vague à partir des années 1620 entraîne une nouvelle série de décrets entre 1625 et 1640, Quimperlé et Saint-Pol-de-Léon allant jusqu’à interdire les Irlandais “au même titre que les chiens et les pourceaux”. Quelques-uns réussissent cependant à s’intégrer en Bretagne : des prêtres, mais aussi des artisans, des marchands, des brasseurs… Ainsi au Croisic, un ressortissant originaire de Cork, Corneille Adriscol (francisation de O’Driscol), fait-il office d’interprète sur le port pour les transactions commerciales. Une nouvelle vague de réfugiés, plus importante, arrive en Bretagne après la “pacification” de Cromwell (1649-1652). Ces nouveaux immi(4) Alain Le Noach & Éamon Ò Ciosáin, Immigrés irlandais au XVIIe siècle en Bretagne, Institut culturel de Bretagne, deux volumes (2006-2009).

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grants ont un profil social plus varié : à côté des pauvres, toujours nombreux, on trouve aussi des familles nobles, des bourgeois et des marchands qui, ayant pu transférer une partie de leurs avoirs, vont plus facilement s’intégrer, notamment dans les principales villes portuaires (Saint-Malo, Nantes, Morlaix, PortLouis). Les autres se dispersent dans les petites villes côtières et dans les villages de l’intérieur où ils s’assimilent peu à peu à la population locale comme le montre un recensement de 1666 intitulé Estat et Rolle des Irlandois catholicques habituez en Bretagne. Chassés de leurs diocèses, plusieurs évêques irlandais viennent mourir dans les grandes villes bretonnes (François Kirwan à Rennes en 1661, Patrice de Commesford et Robert Barry à Nantes, respectivement en 1652 et 1662), tandis que de nombreux prêtres exilés s’installent à demeure en Bretagne, souvent comme aumôniers, certains prenant même en charge des paroisses. La défaite du roi catholique Jacques ii devant Guillaume d’Orange à la bataille de la Boyne, en 1690, entraîne la dernière grande vague de migrations vers la Bretagne, composée principalement des troupes jacobites vaincues venant se mettre au service du roi de France. C’est ainsi que près de vingt mille soldats débarquent à Brest et à Morlaix en décembre 1691 et janvier 1692, mais la plupart de ces “oies sauvages” ne feront que passer en Bretagne avant d’aller constituer sur le front de l’Est ces fameuses “brigades irlandaises” dans les armées de Louis xiv, puis de Louis xv. D’autres exilés, en revanche, viennent rejoindre définitivement leurs compatriotes déjà installés en Bretagne et vont également s’assimiler peu à peu : encore nombreuses jusque dans les années 1730-1740, les demandes de naturalisation cessent presque complètement après 1760. Dès la seconde génération, la plupart des familles irlandaises s’intègrent sans trop de problèmes dans la société bretonne comme armateurs, gens de mer,


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brasseurs, petits commerçants ou ecclésiastiques. Un certain Arthur O’Leary devient ainsi curé de SaintMalo. Certains vont même rapidement jouer un rôle important dans plusieurs villes bretonnes, notamment à Nantes (lire en encadré) et à Saint-Malo. Issu d’une grande famille d’armateurs, un FitzGerald est ainsi devenu maire de la cité corsaire au xviiie siècle. Un siècle de fructueux échanges Encore bien faibles au xvie siècle, les relations commerciales entre la Bretagne et l’Irlande se développent ensuite sensiblement pour atteindre leur maximum dans les années 1660-1690. Elles s’expliquent, selon André Lespagnol, par la croissance simultanée de l’économie de ces deux régions, par de bonnes relations politiques entre leurs deux métropoles respectives (la France et l’Angleterre) et, dès la seconde moitié du xviie siècle, par l’importance des communautés irlandaises en Bretagne. Ce commerce direct de part et d’autre de la mer celtique est en effet facilité par l’exil de nombreux négociants et armateurs irlandais dans les principaux ports bretons : les Morrogh, Harrington, Porter, Lambert… à Saint-Malo, les White, Walsh, Brown à Saint-Malo puis à Nantes, les Lee, Mac Nemara, O’Riordan, O’Shiell, Lukker, Lay, Clarke… à Nantes, les Crew et Cranisbrough à Morlaix, les Butler dans la Compagnie des Indes… L’Irlande continue à exporter en Bretagne ses produits traditionnels : de la viande salée de bœuf et de porc, de la laine, du beurre, du saumon et du hareng. Mais, devenue plus riche, elle n’importe plus seulement du sel de Guérande, des toiles bretonnes et du vin comme au Moyen Âge, mais aussi de nombreux produits manufacturés (soieries, dentelle, papier…) ou coloniaux (poivre, gingembre, tabac…) redistribués par les grands ports bretons, notamment SaintMalo et Nantes. Dans les années 1680, ce sont chaque année une

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cinquantaine de navires de plus de mille cinq cents tonneaux qui vont et viennent de Saint-Malo vers les principaux ports irlandais : Cork, Limerick, Galway, Waterford et Dublin. Ces échanges atteignent leur apogée entre 1689 et 1691, avant la mainmise totale de Guillaume d’Orange sur l’Irlande, contraignant les derniers partisans de Jacques ii à quitter définitivement leur pays. Dès lors, les transactions commerciales directes entre la Bretagne et l’Irlande vont rapidement péricliter, jusqu’à disparaître presque complètement dans la seconde moitié du xviiie siècle, exception faite d’un

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trafic en contrebande de viande de bœuf salé irlandais, indispensable pour l’avitaillement des navires négriers nantais. La crise de l’industrie de la toile dans le Léon et, en revanche, le rapide développement de cette production en Irlande peuvent sans doute expliquer en partie ce déclin, mais la principale cause est à rechercher dans les mauvaises relations entre la France et l’Angleterre en guerre presque continuelle entre 1690 et 1815. La mer celtique cesse alors “d’être un trait d’union pour devenir un champ clos privilégié pour l’affrontement des escadres et les razzias des corsaires”, selon André Lespagnol. Réalisé en 1671, ce tableau représente Nicolas-Théobald Geraldin (version francisée du patronyme irlandais Fitzgerald), membre d’une famille d’armateurs irlandais dont l’un des descendants sera maire de Saint-Malo au XVIIIe siècle.

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À Plozévet, un menhir gravé commémore le naufrage du vaisseau les Droits de l’Homme, coulé en 1797 au large de ce village bigouden au retour de sa mission avortée, destinée à inciter les Irlandais au soulèvement contre l’occupant anglais. PAGE SUIVANTE, EN HAUT, gravure représentant la chapelle Saint-Gabriel, dite “des Irlandais”, construite au XVe siècle à l’emplacement de l’actuel Musée Dobrée. Détruite à la fin du XIXe siècle, elle était utilisée par les pensionnaires du collège irlandais. EN BAS, le musée Dobrée conserve cette chaise à porteur marquée aux armes des Clarke et O’Shiell, deux grandes familles irlandaises qui ont fait souche dans la cité des Ducs.

Lorsque le Directoire entreprend d’envoyer en Irlande une expédition pour soulever l’île contre les Anglais, c’est de Brest que partent, en décembre 1796, quarante-quatre bâtiments emportant près de quinze mille soldats sous la direction du général Hoche. Dispersée par la tempête, la flotte ne peut mener à bien l’entreprise et regagne tant bien que mal la Bretagne. Un menhir commémoratif érigé à Plozévet rappelle le souvenir du vaisseau Les Droits de l’Homme, coulé au retour de cette expédition en janvier 1797. Une révolution ayant éclaté en Irlande, le Directoire fait une autre tentative en 1798. Deux escadres partent de Brest, en août et en septembre, pour débarquer dans le Mayo et le Donegal de faibles troupes qui sont rapidement défaites par l’armée anglaise. L’échec de ces

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différentes expéditions françaises va être lourd de conséquences pour les relations entre la Bretagne et une Irlande plus que jamais intégrée à la Grande-Bretagne dans le cadre du Royaume-Uni, après la signature de l’Acte d’union, en 1800. Des relations longtemps restreintes Très faibles au plan économique pendant plus d’un siècle et demi, les échanges entre la Bretagne et l’Irlande ne commencent à se développer épisodiquement au plan culturel et politique que dans la seconde moitié du xixe siècle, avant de prendre un peu plus d’ampleur après la Première Guerre mondiale. Reprises en 1815, les relations commerciales directes restent très modérées, même si les navires bretons servent toujours un peu de “rou-

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liers des mers” pour les Irlandais, comme le prouve l’épisode du troismâts nantais Léon XIII en 1908 : transportant deux mille sept cents tonnes de blé chargé à Portland, sur la côte ouest des États-Unis, à destination de Limerick, en passant par le cap Horn, le navire est pris dans une tempête au large des côtes d’Irlande et vient s’échouer non loin des célèbres falaises de Moher. Dans un tout autre domaine, c’est une technique venue d’Irlande qui vient au secours de la Cornouaille victime de la grande crise sardinière de 1902-1903 : privées de travail, les ouvrières des conserveries se lancent alors dans la fabrication de la dentelle en s’initiant à la “guipure d’Irlande au crochet”, une activité appelée à connaître un certain succès (5). À la suite d’Hersart de la Villemarqué, auteur en 1859 de La Légende celtique en Irlande, en Cambrie et en Bretagne, puis d’Ernest Renan, passionné de mythologie et d’hagiographie irlandaises, de nombreux intellectuels bretons manifestent un intérêt grandissant pour ce pays voisin quelque peu oublié. Anatole le Braz y fait un rapide voyage en mai-juin 1905, au cours duquel il rencontre plusieurs grandes personnalités irlandaises : Michael Davitt, George Russel, John Millington Synge et Douglas Hyde. Titulaire de la première chaire de Celtique à l’Université de Rennes, le linguiste Georges Dottin publie en 1913 un Manuel d’irlandais moyen. Mais c’est surtout la lutte des nationalistes irlandais contre les Anglais qui intéresse non seulement la presse bretonne mais aussi le romancier rennais Paul Féval, qui publie une série intitulée Les Libérateurs de l’Irlande, et le Nantais Jules Verne qui, dès la première page de P’tit Bonhomme (1893), affirme que “les Irlandais, amis des Français, sont ennemis des Anglais, comme au premier jour”. Très en vogue dans les milieux intellectuels et artistiques dans la (5) De la crise de la sardine à l’âge d’or de la dentelle, Ouest-France, 2003.


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Les Irlandais à Nantes La communauté irlandaise à Nantes aux XVIIe et XVIIIe siècles a suscité de nombreuses études, comme le montre la place importante qui lui est réservée dans la monumentale Histoire des étrangers à Nantes (6). La ville a d’abord été confrontée dès 1603 à l’arrivée massive de pauvres immigrants irlandais débarqués sur les côtes bretonnes. À tel point que deux ans plus tard, un arrêté du bureau de la ville de Nantes envisage même d’affréter des navires pour les reconduire dans leur pays : des charters avant la lettre ! Si l’Histoire s’est surtout intéressée aux familles irlandaises qui ont particulièrement bien réussi dans le grand négoce nantais, il ne faudrait pas oublier les nombreux réfugiés arrivant dans la ville par vagues successives jusqu’au milieu du XVIIIe siècle. Ne parlant parfois que le gaélique, beaucoup de miséreux errent comme vagabonds dans les rues à la merci d’une “ramasse”, comme en 1645, pour les incorporer de force dans des régiments irlandais. Certains s’intègrent peu à peu avec difficulté dans le prolétariat nantais comme matelots, charpentiers, servantes… D’autres, plus fortunés, réussissent dans des métiers liés au commerce maritime comme tonneliers, capitaines ou officiers de navire. Nombreux sont les ecclésiastiques à tel point que se constitue, dès le XVIIe siècle, une “communauté des prêtres irlandais”, à l’origine d’un séminaire fondé en 1698 et localisé au manoir de la Touche, qui abrite aujourd’hui le musée Dobrée, l’un des premiers “collèges irlandais” du continent européen. Chassés par Cromwell ou exilés à la suite de la victoire définitive de Guillaume d’Orange, les négociants catholiques des principaux ports irlandais et les nobles jacobites vont rapidement se lancer à Nantes dans le grand commerce maritime et y connaître de brillants succès. Peu nombreux (neuf sur deux cent trente négociants en 1725) mais très entreprenants, les armateurs irlandais sont souvent parmi les plus riches : avec six cent mille livres, le clan Mac Nemara détient en 1725 la seconde fortune après les Montaudouin. Ce sont trois négociants irlandais, Antoine Walsh, Nicolas Luker et Luc O’Shiell qui fondent, en 1739, la plus ancienne société d’assurance maritime. Presque tous finissent par investir dans le commerce triangulaire à tel point que vers 1745, selon Jean Meyer, “les Irlandais ne sont pas loin de dominer le trafic négrier nantais” (7), Antoine Walsh achetant de surcroît plusieurs plantations à Saint-Domingue.

Fortune faite, la plupart abandonnent le commerce maritime, notamment négrier, après 1762, se repliant sur leurs acquisitions foncières. Ces grandes familles irlandaises forment tout d’abord une communauté relativement fermée dans le quartier de Saint-Nicolas mais vont peu à peu s’insérer dans la haute société nantaise, des alliances matrimoniales, des achats de terres ou de titres facilitant cette intégration. Installée à Nantes dès 1644, la famille Lee acquiert le domaine de la Garotterie à Saint-Herblain en 1692 et John Stapleton le château des Dervallières, obtenant dès 1698 ses lettres de naturalisation. Consul des marchands dès 1722, le riche armateur Luc O’ Shiell marie sa fille aînée au grand négociant nantais Guillaume Grou en 1740. Nantes est devenu le grand centre des notables jacobites, et c’est dans une propriété de Guillaume Grou, le domaine de La Placelière en Château-Thébaud, que le prétendant Charles-Édouard prépare depuis 1743 la restauration des Stuart sur le trône britannique. Deux ans plus tard, il gagne l’Écosse sur un navire armé par Antoine Walsh, grand financier de l’expédition. Mais son échec à Culloden en 1746 met définitivement fin aux espoirs d’un retour possible en Irlande des grandes familles jacobites exilées. Dès lors, elles vont encore davantage chercher à s’intégrer dans la noblesse française, à l’instar d’Antoine Walsh, anobli par Louis XV dès 1748 et obtenant par lettres-patentes du roi le titre de comte de Serrant en 1755. Bien assimilées à l’aristocratie française, ces familles s’opposeront dans l’ensemble à la Révolution (Anne O’ Shiell, veuve de Guillaume Grou, figure parmi les victimes des noyades de Nantes sous la Te Terreur), mais on trouve un Clarke comme général d’Empire. Dans la mémoire nantaise, la présence de cette ancienne communauté irlandaise va être revivifiée au XIXe siècle par le mariage en 1836 du grand négociant nantais Thomas Dobrée avec Jane Walsh, née en Irlande en 1813, et ce n’est sûrement pas un hasard si l’une de ses principales acquisitions sera en 1862 le manoir de la Touche, situé juste à l’emplacement de l’ancien collège des Irlandais. (6) (s.d.) Alain Croix, Nantais venus d’ailleurs - Histoire des étrangers à Nantes des origines à nos jours, Association Nantes-Histoire & Presses Universitaires de Rennes, 2007 (7) Jean Meyer, L’armement nantais dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, EHESS, 1999.

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EN HAUT, un tableau de Roderic O’Connor, un illustre peintre Irlandais qui a fait partie du cercle de Gauguin et a vécu de nombreuses années en Bretagne. EN BAS, une assiette décorée par le céramiste James Bouillé, un des membres des Seiz Breur, aux motifs inspirés par l’art celtique insulaire.

seconde moitié du xixe siècle, l’attrait de la Bretagne se fait également sentir en Irlande. Synge vient séjourner deux semaines à Quimper au printemps 1899 et écrit quelques articles sur la Bretagne dans des journaux irlandais. Entre 1860 et 1914, une vingtaine de peintres irlandais vont effectuer un séjour plus ou moins long en Bretagne, avec une certaine prédilection pour Dinan et la côte sud du Finistère. Dès 1876, Augustus Burke, Aloysius O’Kelly, Walter Osborne, Joseph Kavanagh, Nathaniel Hill exposent leurs Nathani œuvres en Irlande, faisant œuvr ainsi découvrir la Bretagne ain à un large public. Installé à Pont-Aven en 1892, Roderic O’Conor, qui fait partie du “cercle de Gauguin”, demeure en Bretagne jusqu’en 1904, peignant de nombreux tableaux postimpressionnistes. Après la Grande guerre, A Pont-Aven accueille encore Pon deux artistes irlandais : Charles

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Lamb (en 1926-27) et William Scott (en 1938-39). L’exemple politique En Bretagne, c’est dans l’entredeux-guerres que l’art médiéval irlandais, considéré comme le plus bel héritage de l’ancien art celtique, inspire de nombreux créateurs du mouvement Ar Seiz Breur : Jeanne Malivel, James Bouillé, Xavier de Langlais, René-Yves Creston, Joseph Savina… Cette influence irlandaise, qui se retrouve dans les thèmes décoratifs, va se manifester surtout dans le domaine des arts appliqués (céramique, ébénisterie, textile…) et des arts graphiques (gravure sur bois, illustration d’ouvrages ou de revues…). Dans un tout autre secteur, la création en 1928 par le docteur Cotonnec d’une “Fédération des Amis des Luttes et des Sports Athlétiques Bretons” (Falsab) n’est pas sans rappeler la fondation en 1884 de la Gaelic Athletic Association (gaa) par des nationalistes irlandais désireux de restaurer les jeux celtiques tra-

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ditionnels. La révolution de Pâques 1916 et la naissance de l’État libre d’Irlande en 1921 vont naturellement avoir un impact sur le mouvement nationaliste breton dans l’entre-deux-guerres. L’exemple irlandais exerce une “véritable fascination sur l’Emsav” (Michel Denis) à tel point qu’on traduit même en breton la célèbre proclamation d’indépendance de la République irlandaise lue par Patrick Pearse devant l’Hôtel des postes de Dublin le 24 avril 1916. Cofondateurs du premier “Parti nationaliste breton” (1911-1914), le poète Camille Le Mercier d’Erm publie dès 1919 un recueil intitulé Irlande à jamais, odes aux martyrs de 1916, et l’écrivain Louis-Napoléon Leroux, en 1932, L’Irlande militante : La vie de Patrick Pearse, qui exercera une grande influence sur le second emsav. “La semaine de Pâques est une grande leçon pour tous les peuples qui attendent d’eux-mêmes leur délivrance, lit-on encore dans Breiz Atao, le 16 février 1936. Elle montre ce que peut une poignée d’hommes décidés en face d’une masse veule et sans volonté”… L’exemple des nationalistes irlandais, n’hésitant pas à recourir à la violence, n’a peut-être pas été sans influence sur le groupe Gwen ha Du de Célestin Lainé faisant sauter dans la niche de l’hôtel de ville de Rennes, en août 1932, le monument symbolisant l’union de la Bretagne à la France. Et comment ne pas penser à Roger Casement, faisant débarquer des armes d’Allemagne dans la baie de Tralee en avril 1916, quand Célestin Lainé tente de faire la même chose en août 1939 sur la plage de Loquirec ? En 1942 encore, le Parti national breton, dans ses “cahiers du militant”, publie une brochure intitulée L’Exemple de l’Irlande… Au lendemain de la guerre, poursuivis pour leur rôle pendant l’Occupation, une quarantaine de nationalistes bretons trouvent refuge en Irlande. Parmi eux, des acteurs importants comme Célestin Lainé, Raymond Delaporte, Yann


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Fouéré, Roparz Hémon et Yann Goulet, ce dernier devenant même sculpteur officiel de la république d’Irlande. Cette attitude du gouvernement de Dublin envers des personnes accusées de collaboration ne va pas contribuer alors à donner une bonne image de l’Irlande, et ses relations avec la Bretagne vont être des plus restreintes jusque dans les années 1950. C’est dans le domaine musical que se renouent les contacts, sous l’impulsion de Polig Monjarret, invitant en 1949 des musiciens irlandais dans le cinquième camp-école de Bodadeg ar sonerion (assemblée des sonneurs), faisant participer des délégations irlandaises aux fêtes de Cornouaille à Quimper en juillet 1950, puis au festival international des cornemuses à Brest à partir de 1953. Mais il faut attendre les années 1960 et 1970 pour que les relations entre la Bretagne et l’Irlande commencent à prendre une plus grande extension. Retrouvailles celtiques Plusieurs facteurs expliquent ces tardives retrouvailles de part et d’autre de la mer celtique. La nouvelle politique économique du gouvernement de Dublin entreprise à la fin des années 1950 encourage notamment les échanges vers l’extérieur. En Bretagne, dès 1964, le Celib (Comité d’études et de liaison des intérêts bretons) fonde l’association “Bretagne-Irlande”, au titre prometteur. Mais, malgré la bonne volonté de ses créateurs, cette belle initiative ne sera qu’une coquille vide pendant une dizaine d’années. Seules se développent les relations musicales, marquées notamment par des rencontres entre Paddy Moloney, le fondateur des Chieftains, Polig Monjarret et Alan Stivell en 1962, puis par la participation des Dubliners au festival interceltique de Brest à la fin des années 1960. L’intense propagande de l’office du tourisme irlandais commence aussi à trouver un large écho en Bretagne, notam-

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EN HAUT, en mai 1935, la revue du Parti national breton commémore avec emphase le soulèvement irlandais de Pâques 1916. EN BAS, une sculpture réalisée par Yann Goulet, l’un des quarante nationalistes bretons poursuivis pour actes de collaboration qui ont trouvé refuge en Irlande après la Seconde Guerre mondiale. Enseignant l’art dans ce pays, il a été chargé de réaliser un grand nombre de monuments officiels de la jeune république.

ment auprès des pêcheurs en eau douce, mais l’absence de liaison maritime et aérienne directe avec l’Irlande gêne considérablement les échanges.

C’est pourquoi la création, en 1972 de la compagnie maritime appelée à l’origine “Bretagne–Angleterre– Irlande” (bai), avant de céder à la mode anglophone pour pren-

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Les Bretons et le conflit d’Irlande du nord Le grave conflit qui a agité l’Irlande du Nord pendant plus de trente ans à partir de l’automne 1968 n’a pas laissé les Bretons indifférents. Sensibilisés par le sort des enfants de Belfast et de Londonderry pendant les émeutes urbaines des étés 1969, 1970 et 1971, Polig Monjarret et d’autres militants bretons créent en octobre 1971 à Vannes le “Secours populaire interceltique”. Présidé par Jacques Praud, de la fédération Kendalc’h, le Spi, qui signifie “espoir” en breton, pendant plusieurs années, va permettre à des centaines d’enfants d’Irlande du nord de passer quelques semaines de vacances tranquilles en Bretagne dans des familles d’accueil, loin des attentats,

Le Secours populaire interceltique a été fondé, entre autres, par Polig Monjarret pour accueillir en Bretagne des enfants souffrants des conséquences du conflit en Ulster, dans les années 1970.

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des bombes et des “bavures” des forces de l’ordre en Irlande du Nord. Plus politiques, des “comités de soutien au peuple irlandais” se créent à Brest, Quimper, Morlaix, Lorient, Nantes, Rennes et Saint-Malo, organisant des conférences, des meetings ou

dre deux ans plus tard le nom de “Britanny ferries”, est favorablement accueillie par les Bretons désireux de se rendre en Irlande sans passer par l’Angleterre. En sommeil depuis sa création, l’association Bretagne-Irlande se restructure en 1974 avec le concours de la Chambre régionale du commerce et de l’industrie, du Comité régional du tourisme et de la Chambre des métiers et d’agriculture de Bretagne. Sous l’impulsion de Polig Monjarret est réalisé en septembre 1974 le premier jumelage irlando-breton entre Lorient et Galway (charte officiellement signée dans l’été 1975), suivi peu après par CloharsCarnoët et Dunmore East, Crozon et Sligo, Plougastel et Westport… Les échanges se développent mais il faut encore attendre quelque temps pour que s’ouvre enfin, en 1978, la première ligne directe, RoscoffCork, empruntée dès sa première année par 22 000 passagers. Grâce à d’autres liaisons maritimes ouvertes dans les années 1990, ce sont désormais plus de 125 000 passagers par an qui transitent directement entre

des manifestations. Ainsi, pour protester contre l’attitude des forces britanniques lors du “dimanche sanglant” (Bloody Sunday) de Londonderry, des militants bretons s’en prennent en février 1972 à la Westminster Bank de Nantes, brisant les grandes vitres de l’établissement. La mort de dix prisonniers grévistes de la faim, en 1981, est particulièrement ressentie en Bretagne, inspirant à Xavier Grall l’un de ses tout derniers poèmes: “Tombeau pour Bobby Sands”. C’est en Bretagne que le soutien à la cause républicaine irlandaise a été le plus important et le plus durable, une association brestoise publiant encore au début des années 2000 une revue trimestrielle intitulée Solidarité Irlande.

l’Irlande et la Bretagne. Quant aux liaisons aériennes, encore parcimonieuses jusqu’au début des années 2000, elles se sont ensuite bien développées grâce aux compagnies à bas prix qui relient plusieurs aéroports bretons à Shannon, Cork et Dublin. Grâce à l’extraordinaire boom économique du “Tigre celtique” des années 1990 et du début des années 2000, avant la crise actuelle, ce ne sont plus seulement les touristes bretons qui envahissent l’Irlande du printemps à l’automne, mais de plus en plus d’Irlandais qui débarquent à Roscoff pour découvrir la Bretagne, même si beaucoup, hélas, ne font qu’y transiter pour aller vers des régions plus chaudes. Les relations économiques progressent dans de nombreux domaines, même si les échanges commerciaux restent dominés par les produits de l’agriculture et de l’industrie agroalimentaire. Depuis les années 1970, un certain nombre de Bretons se sont lancés dans l’aquaculture et dans la conchyliculture en Irlande, notamment dans le Connemara

(lire ArMen n° 105). C’est à Brest, en novembre 1987, que s’ouvre le premier “comptoir irlandais”, et on en trouve aujourd’hui dans la plupart des grandes villes bretonnes. Plus encore que dans le reste de la France y prospèrent les fameux pubs irlandais où la Guinness fait une rude concurrence aux bières bretonnes, dont le Galway Inn, à Lorient, ouvert en 1982, a été l’un des tout premiers. Déjà bien amorcés auparavant, les échanges musicaux entre Bretons et Irlandais explosent dans les années 1970. Assistant, en août 1972, dans le Kerry à la finale du Fleadh Ceoil, le grand concours de musique traditionnelle irlandaise, Polig Monjarret crée l’année suivante sur ce modèle le Kan ar bobl, un concours annuel de chant et de musique qui est aujourd’hui encore une des plus importantes manifestations de la culture bretonne. Ayant pris le relais de Brest, le Festival interceltique de Lorient accueille régulièrement une forte délégation irlandaise, comme les Chieftains en 1973, tandis qu’Alan Stivell joue au National


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Stadium de Dublin en 1974, année où le groupe Gwendal sort son premier disque intitulé Irish jig. Les musiciens irlandais influencent beaucoup les Bretons qui, peu à peu, intègrent dans leurs formations des uileann pipes, des flûtes irlandaises, des bodhràns et des bouzoukis (instrument d’origine grecque mais introduit dans les années 1970 dans la musique traditionnelle irlandaise). De leur côté, les Chieftains enregistrent en 1986 un disque de musique bretonne, the Celtic wedding, le leader du groupe, Paddy Moloney, finissant même par acquérir une maison dans le Morbihan. Depuis le début des années 1990, avec l’Héritage des Celtes, les rencontres entre artistes bretons et irlandais, les invitations réciproques de musiciens ou de chanteurs à l’intérieur des groupes, se sont multipliés dans les festivals. Tandis que les musiciens bretons se produisent rarement en Irlande même si Dan Ar Braz et Gilles Servat fréquentent les studios d’enregistrement de Dublin, des groupes irlandais continuent de parcourir chaque été la Bretagne, où ils reçoivent toujours un accueil enthousiaste. La musique n’est pas le seul domaine d’intenses relations culturelles et artistiques entre l’Irlande et la Bretagne. Grâce au Centre de recherches bretonnes et celtiques (crbc) de Brest depuis 1969 – auquel sont désormais intégrés le Centre d’études irlandaises et la section de Celtique de Rennes II, fondés eux en 1977 –, de nombreux colloques ont réuni chercheurs bretons et irlandais sur des sujets les plus divers. Le cinéma et la littérature ne sont pas en reste. Jusqu’alors peu connus, de nombreux films irlandais sont projetés en Bretagne lors de diverses manifestations, comme le festival de cinéma des minorités à Douarnenez (1992), les semaines du cinéma irlandais à Plougastel-Daoulas en 1992 et 2003, ou Travelling Dublin à Rennes en 2001. Chaque année, à l’occasion de la saint Patrick, les animateurs du jumelage Quimper-

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EN HAUT, Le Pont-Aven, fleuron de la Brittany Ferries, quittant le port de Roscoff pour rallier Cork en Irlande. La création de lignes régulières entre la Bretagne et la verte Erinn a été l’un des principaux facteurs de rapprochement des deux pays au cours des trente dernières années. EN BAS, plus que dans toute autre région d’Europe, s’est développée en Bretagne une culture “interceltique” contemporaine, dans laquelle l’Irlande se taille la part du lion. Mi-breton, mi-irlandais, des pubs, comme ici le Ceili à Quimper ou encore le Galway à Lorient, sont devenus de véritables institutions et des ambassades festives qui révèlent une part de l’âme de ces deux pays.

Limerick organisent d’ailleurs une semaine de cinéma irlandais qui offre une programmation de très grande qualité. La nouvelle génération d’écrivains irlandais fréquente régulièrement le festival Étonnants voyageurs à Saint-Malo et d’autres salons du livre en Bretagne où certains restent parfois quelque temps en résidence comme Anne Enright à Douarnenez. L’Irlande est aussi souvent le sujet favori d’écrivains bretons comme Hervé Jaouen ou Bernard Berrou, et on ne compte plus les articles consacrés à ce pays dans les revues et magazines bretons (plusieurs dizaines dans ArMen depuis sa création en 1986). Comme la Bretagne avait inspiré jadis des peintres irlandais, plusieurs artistes bretons tombent sous le charme des paysages irlandais : des peintres comme Pierre Perron, Yvon Le Corre ou Patrice Cudennec, des photographes comme Claude Le Gall ou Jean Hervoche… À l’image de Spézet, bourg finistérien jumelé avec Roundwood, dans les monts du Wicklow, plusieurs villages bre-

tons commencent à prendre un petit air irlandais en peignant de couleurs vives les façades de leurs maisons. Le sport lui-même est touché : il existe depuis 2005 un petit championnat de Bretagne de football gaélique où s’affrontent aujourd’hui une demi-douzaine d’équipes issues de tous les départements : Brest, Liffré, Nantes, Rennes, Saint-Quay-Perros, et Vannes. Tous ces contacts ont été facilités par de nombreux jumelages entre la Bretagne et l’Irlande, plus d’une centaine au milieu des années 1990 (voir ArMen n° 134). Depuis 2005 existe aussi à Dublin BreizhEire, une association de Bretons vivant en Irlande. Après des siècles de relative indifférence, les liens se sont enfin renoués entre les deux rives de la mer celtique. ■ Pour en savoir plus : Irlande et Bretagne - Vingt siècles d’Histoire, Terre de Brume, 1994. Roger Faligot, La Harpe et l’Hermine, Terre de Brume, 1994. Les Relations entre la Bretagne et l’Irlande(1970-2000), Institut culturel de Bretagne, 1996. Bretagne et Irlande : régions celtiques, régions périphériques ?, Klask n° 9, Presses Universitaires de Rennes, 2004.

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