édito L e d r oi t à l a c r i t i q u e L e br a s de f e r q u i opp o se de p u i s q u e lq u e s m oi s l a m a jor i t é p ol i t iq u e de l’ H e xa g o n e à u n e pa rt i e d e s m é d i a s e s t - i l d ’ a u s s i m a u va i s a u g u r e q u e c e rta i n s s e m b l e n t l e p e n s e r ? L e s p r e s s i o n s s u r l e s e r v i c e p u b l i c d e l ’ a u d i o v i s u e l , les attaques virulentes contre certains médias, sur le fond comme sur la forme, aussi choquantes soient-elles, ne vont-elles pas au contraire avoir un effet salutaire pour la démocratie ? Les responsables politiques de la République française ont en effet de quoi redouter une évolution à l’anglo-saxonne. Ce qu’ils appellent actuellement de l’impertinence ou une transgression des limites y est souvent érigé en exemple. Pour bien des défenseurs d’émissions politiques de la bbc, comme le célèbre HardTalk ou les interviews de Jeremy Paxman pour Newsnight, au cours desquelles les invités sont soumis à une véritable épreuve de force psychologique, c’est le seul moyen de contraindre ceux que l’exercice du pouvoir, l’arbre généalogique ou la puissance financière ont rendu intouchables à redescendre sur terre et à rendre compte des pouvoirs que nous leur déléguons et des fonds que nous leur donnons à partager. En France, la focalisation sur Paris complique encore davantage la tâche de celles et ceux qui veulent exercer un droit de regard sur la vie politique, économique ou culturelle régionale et surtout en dénoncer les dérives. Ceux qui s’y essaient dans les grands quotidiens régionaux, dont ce n’est d’ailleurs pas la vocation première, se heurtent vite à des obstacles de poids. En ce qui concerne votre revue, la vocation encyclopédique d’ArMen, le recul par rapport à l’actualité, la volonté de mettre en avant ce qui est constructif, spécifique et exemplaire dans la civilisation bretonne, a d’emblée réduit la part laissée à la critique, à la révélation de vérités qui serviraient pourtant l’intérêt public. Nous n’avons donc pas de leçons à donner en la matière. La méthode corse ? Un exemple parmi cent puisé dans notre vie éditoriale peut cependant éclairer ce propos. Nous publions des chroniques culturelles indépendantes, en particulier sur la musique bretonne, qui n’engagent que leurs auteurs, libres et même encouragés à émettre des opinions critiques, plutôt que d’effectuer de simples recensions. Leur liberté vous plaît, semble-t-il, car, selon nos enquêtes, vous êtes très nombreux à entamer votre lecture par la rubrique musique. La critique est d’ailleurs souvent un facteur de progrès. Sait-on pourtant que, régulièrement, des artistes bretons, et non des moindres, contactent de manière plus ou moins directe la rédaction, afin de chercher à connaître la teneur présumée des chroniques futures et décider ou non d’envoyer leur œuvre ? Que d’autres, après de multiples appels de protestations à la rédaction, ont décidé – c’est leur droit – de ne plus adresser leurs nouveautés à la revue, car ils n’acceptent pas l’éventualité d’une chronique qu’ils jugent défavorable. Sait-on qu’un producteur de musique bretonne a adressé un courrier à la rédaction d’ArMen pour protester contre la teneur d’une chronique de disque signée Michel Toutous, accusant notre revue d’être une entreprise de destruction de l’économie culturelle bretonne, promettant de passer le mot à toute la profession et précisant que “si nous étions en Corse, les choses se passeraient autrement” ? Ou encore que la chronique d’un disque paru récemment qui exprimait une opinion que de nombreux spécialistes et journalistes partageaient en coulisse, a déclenché une avalanche d’emails furieux de la part des artistes en question, s’en prenant de nouveau à ArMen, invoquant même des liens personnels qui auraient dû nous pousser à refuser cette chronique ? La grande proximité géographique, le sentiment de partager une identité spécifique et le souci de faire rayonner la culture d’un petit pays qui a longtemps douté peut être le moteur de grandes réalisations. Faute de vigilance et de maturité politique, cela peut aussi déboucher sur les pires dérives et formes de clientélisme. Si la Bretagne et en particulier ses militants culturels et politiques comptent sur un renforcement de l’autonomie politique pour renouveler la démocratie et la pluralité de l’expression, il faut d’emblée qu’ils reconnaissent que le droit à la critique, à l’irrévérence ou à la caricature s’applique aussi à leur société passée, présente et future. Car si dans le cas présent d’ArMen, il ne s’agit que de quelques disques, qu’en serait-il demain, si des médias indépendants abordaient, avec la même liberté de ton que notre chroniqueur et surtout avec la même pugnacité que les journalistes de Mediapart, les dessous de l’immobilier, de la finance, de la médecine, des clubs d’affaires, de la justice, de la gestion de l’eau, au niveau régional ? Le pouvoir régional reprendrait-il les méthodes éprouvées à Paris ou assénerait-il en écho à notre producteur de disques qu’il s’agit d’une trahison au projet commun ? La question de l’existence de contre-pouvoirs médiatiques professionnels est l’une des grandes oubliées de la décentralisation. Internet rouvre pourtant le dossier et offre de nouveaux espoirs. Ils seront cependant déçus si l’on ne compte que sur les revenus publicitaires ou un lectorat par définition trop restreint. Si l’on défend comme les Américains de ProPublica l’existence d’un “journalisme d’intérêt public”, il est urgent de trouver le mix économique, juridique, politique et citoyen qui lui permettra d’exister au niveau régional. Au-delà des fonds publics, qui ne sont pas inépuisables, la mise en place d’une fondation bretonne pourrait y contribuer, ainsi qu’à d’autres projets culturels. C’est une piste à étudier. Yann Rivallain, rédacteur en chef
A r M e n , r u e M e n e z C a o n 2 9 5 6 0 Te l g r u c - s u r- M e r T é l . 0 2 9 8 2 7 3 7 6 6 - Fa x : 0 2 9 8 2 7 3 7 6 5 w w w. a r m e n . n e t Direction Gérant, directeur de la publication, principal associé : Jacques Fitamant Rédaction R é d a c t e u r e n c h e f : Ya n n R i va l l a i n ya n n . r i va l l a i n @ a r m e n . n e t Rédacteur / Secrétaire de rédaction : Erwan Chartier - redac.armen@fitamant.fr Photographe : X av i e r D u b o i s - i c o n o . a r m e n @ f i t a m a n t . f r Ont également participé à ce numéro Gérard Alle, Georges Cadiou, Marie-José Christien, G é r a r d C o r n i l l e t , Th i e r r y J i g o u r e l , M i c h e l L e G o f f i c , Pa s c a l - M a r i e L e s b a t s , A r m e l M o r g a n t , D a n i e l M o r va n , I f f i g Po h o , Fa ñ c h Po s t i c , J e a n - M a r t i e l Po u p e a u , M a r i o n R o c h a r d , S a r a h Th i e r r y, M i c h e l To u t o u s . C o l l a b o ra t e u r s D. D e l o u c h e , D. G i r a u d o n , D. L a u r e n t , M . L e C l e c h , M . - F. e t L . M o t r o t , F. Po s t i c , H . R o n n é Mise en page : Alain Louarn (Quimper) P h o t o g r av u r e : Q u a t ’ c o u l ( Q u i m p e r ) I m p r e s s i o n : C l o î t r e ( S a i n t - Th o n a n ) Maquette : Éditions Fitamant Publicité 2, rue Félix-Le-Dantec 29000 Quimper Tél. : 02 98 98 01 40 Chef de publicité : Isabelle Jaffré T é l . : 0 2 9 8 9 8 0 1 4 0 - e-mail : pub.armen@fitamant.fr Assistante commerciale : V é r o n i q u e Wa l l i s e r Tél. : 02 98 98 01 40 - e-mail : com@fitamant.fr Développement et diffusion E m m a n u e l l e L e M e u r. T é l : 0 2 9 8 9 8 0 1 4 7 d e v. c o m @ f i t a m a n t . f r Abonnements et vente au numéro : K a t e l l Fo u r o n - É l o d i e A r t e r o Tél. : 02 98 27 37 66 - e-mail : abo@fitamant.fr
Le cercle de pierres levées de Brodgar, à l’ouest de l’île de Mainland, au centre des Orcades. Avec le cercle de Stenness, le village de Skara Brae et le tumulus de Maes Howe, il constitue un ensemble de monuments du Néolithique classés au patrimoine mondial de l’Unesco (photo : Bertrand Rieger / Hemis).
6 numéros par an Dépôt légal : à parution Commission paritaire : n° 0206 K 79927. ISSN : 0297-8644 La direction d’ArMen laisse aux auteurs l’entière responsabilité de leurs opinions. La reproduction et la traduction partielles ou intégrales des textes ou illustrations sont soumises à un accord préalable. La rédaction prend en compte les propositions d ’ a r t i c l e s , m a i s d é c l i n e t o u t e r e s p o n s a b i l i t é c o n c e rnant les documents, textes et photos non commandés.
ArMen est imprimé sur du papier sans chlore, issu de forêts gérées durablement. Crédit photographique : Bertrand Rieger/hemis.fr : couverture ; Xavier Dubois : pp.6, 8-10, 12-13, 19h, 20, 49b, 61, 67 ; Sylvain Le Garrec : p.7h ; Clause/Mr Deshayes : p.7b ; Fanny Pacreau : p.11 ; Yvon Le Berre : pp.14, 18 ; coll. privée : pp.15, 42, 66b ; coll. privée Corentin Stéphan : pp.16-17 ; Thierry Jigourel : p.19b ; Stéphane Cornic : p.21 ; Charles Tait : pp.23b, 28h, 30b, 33 ; Michel Le Goffic : p.22h, 26, 31h ; Iffig Poho : p.23 ; Thierry Gauthé : p.24 ; Sandro Vannini/CORBIS : p.25h ; Fanch Postic : pp.25b, 32h ; Skarae-Brae visitor Center : p.30h ; Jim Richardson/CORBIS : p.27 ; David Gillander : p.28b ; Getty/National Geographic/Jim Richardson : p.29 ; Historic Scotland : pp.31b, 32 ; Collectif Camera Obscura : pp.34-41 ; CRBC : p.42 ; Divi Kervella : p.49h ; Michael Bodlore-Penlaez : pp.43, 49m ; RTÉ Stills Library : p.45h ; Musée de la faïence, Quimper : p.45b ; Eric Legret : p.46 ; DR : pp.47b, 51hd, 51b, 62, 63, 64b, 71h, 72, 73, 74h, 74b ; Festival de Cornouaille/Collection Gouiffes : p.47h ; GAMMA-RAPHO/Keystone : p.48h ; PHOTOPQR/Ouest France/Vincent Mouchel : p.48b ; Paul Bloas : pp.50-55 ; Océanopolis : p.56 ; Kristell : p.58h ; Marion Rochard : p.60 ; Mairie de Plomelin : p.63m ; Daniel Giraudon : p.65 ; Cartopole de Baud : p.66 ; Pierre-Denis Goux/Editions Soleil : p.68 ; Steven Mazé : p.69 ; Raymond Perès : pp.70, 71b ; Emmanuel Pain : p.74m ; Sylvain Rocaboy : p.75 ; Paul Sérusier « Portrait de Marie Lagadu »/Coll. Musée de Pont-Aven : p.76h ; Patrick Van Caeckenbergh photo Marc Domage - Courtesy in situ fabienne leclerc, Paris : p.76b ; Patrick Jean/Muséum d’histoire naturelle de Nantes : p.77 ; Bibliothèque Universitaire de Rennes 1 : p.78h ; Le regard oblique, 1948 Atelier Robert Doisneau : p.78m ; photo Adélaïde Beaudoin, Musée des beaux-arts de Rennes : p.78b.
Rubriques À suivre
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62.
70.
Océanopolis, la mer en profondeur
58.
Le couchsurfing en Bretagne
60.
Pierres et croyances
Gweltaz ar Fur, le retour d’un sage
Interview. Pierre Joubin de Bretagne-Galice
6 4 . Livres 7 1 . Musique 7 6 . Expositions
SOMMAIRE 6. La mâche nantaise Jean-Martial Poupeau
Le climat tempéré et des méthodes production innovantes ont fait de la mâche nantaise l’une des cultures emblématiques du sud de la Bretagne. Une indication géographique protégée lui permet désormais de faire valoir ses qualités, notamment face à la concurrence allemande et italienne.
1 4 . L a t r a d i t i o n d e s c o u r s e s d e c h e va u x Thierry Jigourel
Autrefois, les occasions étaient nombreuses de se mesurer lors de courses de chevaux spontanées pendant les noces, les pardons ou les fêtes traditionnelles. Aujourd’hui, malgré la raréfaction des chevaux de travail et la disparition du bidet breton, une multitude de compétitions fait vivre l’identité hippique de la Bretagne.
22. Les Orcades, une autre Écosse Fañch Postic, Michel Le Goffic, Iffig Poho
À l’image des Shetlands voisines, les îles Orcades sont à la fois écossaises et imprégnées de culture scandinave. Trois fins connaisseurs de ce pays sont partis à la découverte de cette autre Écosse qui ne manque pas de richesses, particulièrement archéologiques.
3 4 . Po r t f o l i o : l e c o l l e c t i f C a m e r a O b s c u r a Erwan Chartier-Le Floch
Installé dans le pays de Brest, le collectif Camera Obscura s’emploie à populariser la photo au travers d’expositions, de formations et d’initiations à des techniques anciennes qui s’apparentent à de l’archéologie photographique.
4 2 . L’ é p o p é e d e l ’ i n t e r c e l t i s m e Erwan Chartier-Le Floch
Né au X X e siècle, l’interceltisme a profondément marqué la vie intellectuelle et culturelle de la Bretagne. Il a suscité différentes initiatives qui lui donnent une réalité concrète. Loin d’être un retour nostalgique sur le passé, il constitue une formidable opportunité d’ouverture internationale.
5 0 . Pa u l B l o a s Gérard Alle
De Brest à Madagascar, de Berlin à Lisbonne, Paul Bloas peint et colle ses représentations de personnages tourmentés sur les murs de sites marqués par l’homme. Émouvants et éphémères, ces personnages sont à la fois miroirs et témoins de leurs temps.
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La mâche, une passion nantaise
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Salade hivernale par excellence, la mâche fait aujourd’hui l’unanimité tant du côté des consommateurs que des nutritionnistes. Grâce à un savoir-faire ancien et beaucoup de technique, la région nantaise continue d’assurer plus des quatre cinquièmes de la production nationale.
Louis Douineau, maraîcher à la Chapelle-Basse-Mer, une figure bien connue dans le milieu des maraîchers nantais.
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ppelée localement “boursette”, “doucette”, “rampon”, “galinette”, “oreilles de mouton” ou “oreilles de lièvre”, la mâche, cette salade verte au bouquet si particulier, s’est fait une place de choix dans les habitudes alimentaires des Français, aux côtés d’autres salades comme la laitue ou la chicorée. On trouve une première mention de cette salade dans les écrits du poète Ronsard au xvie siècle qui en vantait les mérites sous l’appellation de “boursette des prés”. Pendant des siècles, la mâche était cueillie par les paysans dans les prés et les champs où elle poussait
spontanément, à la façon du pourpier. “Par la suite, elle apparaît dans la région nantaise dans la liste des légumes cultivés à la fin du xixe siècle”, écrit l’association DoulonHistoire (1). Si sa production reste confidentielle par rapport à d’autres légumes comme les carottes, poireaux ou radis, elle va gagner ses lettres de noblesse sous le second Empire lorsqu’un restaurant parisien créa la salade Victor-Emmanuel – une salade de mâche, céleri-rave et betterave rouge – aux couleurs du drapeau italien. Aujourd’hui encore, (1) Doulon-Histoire a édité le livre les Maraîchers du pays Nantais. Contact : Noël Guillet 02 40 49 00 67.
même si son utilisation est largement démocratisée – la consommation moyenne des ménages atteint deux cent cinquante grammes par an selon Interfel (Interprofession des fruits et légumes) – la mâche conserve encore pour certains une image de produit délicat voire raffiné ; elle figure d’ailleurs sur les cartes de nombreux restaurateurs. À partir du milieu des années 1960, la production de mâche connaît une ascension fulgurante, essentiellement dans la région nantaise, berceau de son développement : les tonnages passent de trois mille tonnes en 1975 à douze mille en 1990, selon Doulon-Histoire. Région maraîchère par excellence, le bassin nantais présentait tous les atouts pour se consacrer à la culture de la mâche : un climat océanique, marqué par l’influence conjointe de la Loire et de l’océan Atlantique, présentant peu d’amplitude thermique entre l’hiver et l’été, mais aussi des sols sableux filtrants qui autorisent des récoltes en continu toute l’année. Une génération de maraîchers particulièrement entreprenants va insuffler un vent d’innovation sur une culture qui se faisait alors de manière traditionnelle. “Jusque dans les années 1950, la mâche était semée en association avec des carottes pour mieux rentabiliser le terrain et on la récoltait uniquement à la main. Elle était surtout vendue en région parisienne”, se rappelle Louis Douineau, président de l’association “Mâche Pays de Loire”, par ailleurs maraîcher à La Chapelle-Basse-Mer en Loire-
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Atlantique. L’enthousiasme et l’esprit d’émulation qui régnaient à l’époque ainsi que l’opiniâtreté des maraîchers ont conduit à de nombreuses nouveautés comme l’utilisation de tunnels en plastique, “les chenilles”, qui commencèrent à se substituer, à partir de 1963, aux traditionnels châssis de verre, moins maniables et sensibles aux aléas climatiques (tempêtes, grêle). Par la suite, d’autres innovations ont révolutionné la culture de la mâche : mécanisation de la pose du plastique, désinfection vapeur (procédé qui consiste à injecter dans le sol de la vapeur d’eau sous pression afin de détruire les graines de mauvaises herbes et les parasites), mise au point de récolteuses de mâche (machines munies de lames vibrantes et de palpeurs qui suivent le terrain et coupent les plantes juste en dessous du collet, évitant ainsi la présence de racines tout en minimisant celle de sable), remplacement des variétés traditionnelles à grosses graines par des variétés plus petites, de type “Verte du Nord” ou “Verte de Cambrai” certes moins productives, mais supportant beaucoup mieux une récolte mécanisée… “À une époque où la pénibilité du travail commençait à rebuter les actifs, il était indispensable de réduire les besoins en main-d’œuvre”, rappelle Olivier de Grandmaison, producteur de mâche à Machecoul en Loire-Atlantique. Aujourd’hui, nombre de ces progrès font encore autorité sur d’autres productions légumières comme la carotte. C’est le cas de la culture sur des planches
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“nantaises” surélevées qui permettent de mieux réchauffer les sols”. Révolution des modes de conditionnement D’importants changements eurent aussi lieu en matière de conditionnement à partir des années 1970. En pays nantais, la mâche était traditionnellement conditionnée en colis-bois (la mâche-plateau) de deux kilos et vendue sur les marchés en vrac. Suite au développement de la grande distribution – le premier hypermarché est créé en 1963 à Sainte-Geneviève-des-Bois près de Paris –, mais aussi à de profonds changements socioculturels (montée du travail féminin), ce mode de conditionnement qui nécessite un lavage énergique pour éliminer le sable ne correspond plus aux attentes de la ménagère pressée. À la suite
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d’essais réalisés par des producteurs eux-mêmes, dans le bassin nantais notamment – comme Bernard et Louis Vinet à Machecoul – et ailleurs en France, les maraîchers parviennent à mettre au point avec des industriels, à la fin des années 1980, des chaînes de lavage permettant de dessabler la mâche. Pour cela, immédiatement après avoir été cueillis, les bouquets de mâche sont lavés à plusieurs reprises dans de grands bains d’eau puis ils sont passés dans une sorte de Jacuzzi. De l’air est insufflé dans l’eau, à travers de larges tuyaux. La force du courant de bulles d’air qui s’en dégage écarte les feuilles des bouquets où se niche le sable. En quelques secondes, tous les grains de sable sont délogés. La mâche est ensuite déposée sur un tapis vibrant pour être égouttée. Seul un léger tri manuel reste nécessaire en bout de chaîne pour éliminer quelques mauvaises herbes résiduelles. Le produit, vendu en barquettes, peut désormais être garanti sans sable ou presque : un petit passage sous l’eau avant la consommation est néanmoins préconisé. Ainsi, la coopérative Val Nantais garantit seulement un grain de sable pour trois kilos de mâche. Très pratique, le conditionnement en barquette – 150 grammes est le format le plus répandu, car il correspond à une utilisation familiale – filmée, thermoformée ou en sachets flowpack a largement contribué à la démocratisation de la consommation de mâche. Ainsi, selon un sondage tns Sofrès réalisé en 2005,
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EN HAUT, À GAUCHE, anciennes variétés de mâches. Ces écotypes sont aujourd’hui remplacés par des variétés modernes plus adaptées aux exigences de la production. À DROITE, la tradition de la “mâche-plateau”, récoltée manuellement, ne concerne plus aujourd’hui qu’une poignée de producteurs. EN BAS, la plupart des exploitations maraîchères conditionnent elles-mêmes la mâche.
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quinze jours de plus et qu’elle est semée moins densément. Elle a donc davantage de temps pour développer son arôme. Je la vends chaque jour sur le marché d’intérêt national de Nantes à des revendeurs qui fournissent notamment de petites épiceries, des commerçants sur les marchés ainsi que des restaurateurs. Je cultive la mâche uniquement d’octobre à fin mars et en complément d’autres légumes ce qui permet de faire des rotations et d’être moins tributaire des évolutions du marché de la mâche qui peut être très capricieux.”
La mâche est cultivée sous de petits tunnels en plastique, les “chenilles”, mais aussi sous de grands abris plastiques, des structures métalliques recouvertes d’un film plastique qui permettent de mieux protéger les cultures des aléas climatiques et de prolonger la période de production.
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soixante-trois pour cent des personnes interrogées disent apprécier sa commodité d’emploi. Plus récemment est apparu le conditionnement en sachets prêts à l’emploi (la quatrième gamme), un emballage qui a la faveur du public, surtout en été. À la différence des barquettes, le conditionnement en sachets échappe largement aux maraîchers nantais puisque la mâche est conditionnée par des industriels comme Bonduelle ou Soleco (marque Florette) pour l’essentiel en dehors de la région (Manche, Picardie…). Or, les stratégies d’achat des industriels consistent de plus en plus à mettre en concurrence les producteurs nantais avec ceux d’autres régions voire d’autres pays comme l’Italie ou l’Allemagne. C’est justement pour s’affranchir de cette dépendance que l’organisation de producteurs Val Nantais a investi quinze millions d’euros, en 2008, dans la création d’un centre de conditionnement en sachets à Saint-Julien-de-Concelles près de Nantes. Les salades de quatrième gamme Val Nantais sont désormais vendues en marque propre, mais aussi sous marques de distributeur ainsi qu’en restauration hors foyer (cantines…). “Grâce à cet outil, nous nous réapproprions la valeur ajoutée et sécurisons ainsi les contrats de production passés
avec nos adhérents justifie Philippe Gouin, directeur. Cette usine, qui emploie actuellement quatre-vingts personnes et conditionne également d’autres salades, a vocation à se développer encore tant la vente en sachets continue de progresser.” Aujourd’hui, tant aux champs que dans les ateliers de conditionnement, la production de mâche fait largement appel à la technologie et à la mécanisation, on peut même parler de “culture industrielle” tellement les moyens mis en œuvre sont importants. “C’est bien grâce à la conjonction de ces moyens industriels, mécanisation de la récolte et de la pose de plastiques, amélioration de la qualité de nettoyage et conditionnement en barquettes que la mâche a pu autant se développer”, résume Olivier de Grandmaison. Actuellement, seule une poignée de maraîchers – très minoritaires, leur production ne dépasse pas deux pour cent du marché – perpétue la tradition de la “mâche-plateau”, récoltée à la main et vendue en colis-bois d’un kilo. C’est le cas de Christian Racapé, maraîcher à Thouaré-sur-Loire, aux portes de Nantes. “Même si elle est plus difficile à laver qu’en barquettes, la mâche-plateau conserve encore une clientèle fidèle, car son goût est beaucoup plus affirmé, puisqu’elle reste plus longtemps en terre,
De solides qualités nutritionnelles Depuis une dizaine d’années, des considérations d’ordre nutritionnel ont aussi beaucoup contribué à l’attrait des consommateurs pour la mâche. Outre sa faiblesse en calories (quatorze pour cent grammes), qui en fait un aliment diététique, la mâche est riche en oméga 3 ou acide alpha-linolénique qui participe au bon fonctionnement du système cardio-vasculaire. D’ailleurs, depuis novembre 2005, la mâche est le seul légume pouvant porter la marque “naturellement riche en oméga 3” sur les conditionnements. Enfin, la mâche est riche en antioxydants (vitamine c, e, bêtacarotène) qui limitent le vieillissement ainsi qu’en acide folique (vitamine b9) qui permet de lutter contre la fatigue et le manque de fer. Ces allégations sont confirmées par Brigitte Mercier-Fichaux, nutritionniste à Cesson-Sévigné et auteur de livres de cuisine (2) : “la consommation de mâche, comme d’ailleurs d’autres salades, est bénéfique à tous et particulièrement aux femmes enceintes et aux personnes fatiguées ou anémiées”. Grâce au savoir-faire et à l’expérience accumulée par les maraîchers, la production de mâche est aujourd’hui encore largement l’apanage de la région nantaise, celle-ci couvrant quatre-vingt-huit pour cent de la production nationale et (2) Contact : www.nouvellecuisinefamiliale.com
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Sans sable, pas de mâche La mâche nantaise n’aurait pas pu se développer sans la présence de sable fourni localement, celui du lit de la Loire. En effet, la production de mâche nécessite un sablage, une technique cent pour cent nantaise, qui consiste à apporter par des machines spéciales une couche de quelques millimètres de sable sur les planches de mâche sitôt le semis effectué. Cette couche, qui assure une meilleure levée ainsi qu’un meilleur drainage du sol, facilite aussi largement les opérations de récolte. “Aujourd’hui, on ne sait pas produire de la mâche sans sable”, explique Louis Douineau, tout en ajoutant que cette situation a aussi largement protégé la production nantaise de la concurrence. Interdite en 1992 par le ministre de l’Environnement Michel Barnier, malgré les protestations des maraîchers, qui allèrent jusqu’à bloquer le pont de Bellevue à Nantes, en 1993, l’extraction de sable de Loire est désormais remplacée par celle de sable de l’estuaire de la Loire, sur la dune du Pilier, au large de Noirmoutier. Même s’il subit plusieurs lavages et criblages, beaucoup de maraîchers, notamment les plus anciens, le jugent cependant de moindre qualité que le sable de Loire. Si les maraîchers ne sont pas les seuls utilisateurs de sable les centrales à béton en consomment beaucoup plus -, leurs pratiques de sablage ont néanmoins des incidences écologi-
la moitié de la production européenne ! Environ cent cinquante maraîchers en récoltent trente et une mille tonnes par an sur environ six mille cinq cents hectares. Son aire de production a cependant beaucoup évolué au cours du temps. Auparavant cultivée à Nantes et dans sa périphérie, sur d’anciennes “tenues maraîchères” (propriétés ceintes de murs) aujourd’hui urbanisées, la mâche s’est développée vers l’est de la Loire-Atlantique, autour de Saint-Julien-de-Concelles et de la Chapelle-Basse-Mer, mais aussi au sud, dans le pays de Retz, où l’on trouve de nombreux producteurs comme Benoît et Johan Renaudineau, deux jeunes maraîchers installés à Machecoul. Les deux frères croient beaucoup dans la production de mâche : ils en produisent sur cinquante hectares de plein champ et serres froides à
ques non négligeables : les trois cent mille tonnes nécessaires chaque année impliquent beaucoup d’allées et venues de camions entre le port de Cheviré à Nantes où le sable de l’estuaire est entreposé, les points de stockage intermédiaires et les exploitations. Par ailleurs, à raison de treize euros la tonne, l’achat de sable est l’un des premiers coûts de production pour les maraîchers. Consciente de cette dépendance, la filière réfléchit depuis quelques années au recyclage du sable utilisé sur les exploitations. Lavé sur place dans des sablières mobiles, le sable pourrait ensuite trouver une autre utilisation notamment dans les centrales à béton. Si plusieurs machines circulent déjà, aucune filière de revente de sable recyclé n’est aujourd’hui opérationnelle.
raison de trois récoltes par an en moyenne sur chaque parcelle. “La mâche est une culture que nous connaissons très bien sur l’exploitation, d’ailleurs nos parents ont commencé à la cultiver dans les années 1980. Nous avons fini par abandonner les autres productions légumières comme la carotte, la laitue ou le persil pour nous spécialiser dans la mâche. Cette production offre une rémunération satisfaisante même si on constate une tendance à la baisse des prix et un bras de fer permanent avec la grande distribution. Ils veulent de la mâche et nous voulons des prix ! Pourtant, la demande progresse, d’environ cinq pour cent par an. Nous avons aussi de plus en plus de mal à nous imposer auprès des industriels de la quatrième gamme comme Florette ou Bonduelle qui nous achètent la mâche pour la conditionner ailleurs
et nous mettent de plus en plus en concurrence avec d’autres bassins de production comme le Saumurois ou la Manche. Alors que nos coûts de revient ne diminuent pas”.
Depuis l’interdiction du sable de Loire, les producteurs de mâche utilisent du sable extrait au large de l’estuaire de la Loire, sur la dune du Pilier.
Une commercialisation rigoureuse Le succès de la mâche nantaise doit aussi beaucoup à une organisation économique et commerciale très rigoureuse que les caractéristiques de la mâche, un produit frais et périssable, ont imposée à l’ensemble des opérateurs de la filière. En effet, la culture de la mâche reste très fortement soumise aux saisons qui modifient beaucoup le calendrier de production. La mâche vient normalement à maturité en trente-cinq jours environ pour les semis de juin, juillet et août contre cent vingt à cent trente pour ceux de novembre. Par ailleurs, qu’un climat trop doux
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EN HAUT, préparation du sol et semis simultané de mâche. EN BAS, dès le semis effectué, les planches de mâche sont sablées, une technique “cent pour cent” nantaise.
se maintienne en hiver et ce sont des volumes importants qu’il faut récolter et vendre au plus vite, car la mâche ne se conserve guère plus d’une semaine en chambre froide. Si le marché n’est pas au rendez-vous, les prix s’effondrent et les producteurs peuvent aller jusqu’à détruire leur récolte. Inversement, lors d’une période de gel prononcée, la récolte, quand elle est possible, prend du retard et les livraisons sont alors compromises. Il arrive aussi régulièrement, notamment l’été, que la grande distribution “déréférence” la mâche au profit d’autres salades. Il faut donc une parfaite organisation pour parvenir à l’équilibre entre l’offre et la demande. Celui-ci reste cependant toujours précaire et les maraîchers sont habitués à voir se succéder périodes fastes et crises parfois graves. En matière de commercialisation, le rôle des huit organisations de producteurs (op) de mâche du bassin
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nantais (Divatte légumes primeurs, Loire Europe, Océane, Nantes Europe, Nantes Primeurs, Rives de Loire, Val Nantais, Vitaprim) est donc crucial. Regroupant environ quatre producteurs de mâche sur cinq – les autres commercialisent eux-mêmes leur production –, les op ont pour rôle premier la mise sur le marché de la mâche. Chargés des négociations avec la grande distribution, acheteur incontournable, les commerciaux des op doivent jongler en permanence avec les aléas du climat et de la demande pour vendre la mâche des adhérents. Pour faciliter cette tâche, les maraîchers sont contraints de leur déclarer chaque semaine les surfaces semées en mâche (nombre de mètres linéaires), ce qui donne une première indication du volume des récoltes à venir. Quelques jours avant la coupe, ont lieu un ou plusieurs pré-agréages au champ, réalisés par les producteurs eux-mêmes – ils
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bénéficient de formations pour cela par les op. L’agréage est un système d’évaluation de la qualité commun à toutes les op qui permet d’établir une note à chaque lot de mâche à partir d’une grille visuelle prédéterminée afin d’en faciliter l’écoulement. “Une note faible, moins de quinze points, correspond à une mâche de bonne, voire très bonne qualité où les principaux défauts tels que le jaunissement, les petites brûlures ou la présence de maladies sont peu importants, voire inexistants, explique Samuel Lesourd, responsable de la qualité plein-champ à la coopérative Océane. En revanche, si le nombre de points est trop élevé, nous prenons la décision avec le maraîcher de ne pas récolter la mâche, car les standards de qualité sont tels qu’il serait de toute façon impossible de la valoriser.” Enfin, à l’entrée en station de lavage, sitôt la récolte terminée, un dernier agréage est réalisé sur un échantillon représentatif de plantes prélevées au hasard dans les Palox. Il permet de déterminer la qualité finale du produit et donc son débouché. Ainsi, en été, une “belle mâche” est vendue préférentiellement pour la quatrième gamme, demandeuse de la meilleure qualité. Communication tous azimuts Très appréciée en France, la mâche l’est aussi à l’étranger et en particulier en Allemagne qui absorbe l’essentiel des exportations (entre quarante à cinquante pour cent de la production). Bien que produisant aussi de la mâche, dans la région de Ludwigshafen, en RhénaniePalatinat, ce pays est un gros importateur de mâche nantaise. “C’est un peu l’Allemagne qui fait la pluie et le beau temps sur le marché. Si l’hiver tarde à venir, la production allemande se poursuit et ils nous achètent moins de mâche. Par ailleurs, la grande distribution allemande où l’on compte beaucoup de maxi-discompteurs comme Aldi est très sensible aux prix pratiqués et n’hésite pas à déclasser nos pro-
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“L’ IGP mâche nantaise, un effet d’entraînement” Jean-François Pouvreau, producteur de mâche à la Planche, au sud de Nantes et président de l’association Qualifrais évoque la genèse de l’IGP “mâche nantaise”. Dans quelles circonstances a été mis en place l’IGP ? En 1992, la production phare de la région nantaise, la carotte, a subi une crise très grave. Rien ne se vendait. La filière s’est aperçue qu’une grande partie de la production avait déjà été délocalisée vers d’autres bassins de production, notamment les Landes où les conditions de production plus favorables avaient permis de diminuer les coûts de revient et de vendre moins cher à la grande distribution. La filière maraîchère a alors pris conscience que ce risque pouvait aussi se produire pour la mâche nantaise. Sous l’égide de Qualifrais, une association créée par les producteurs, les ateliers de conditionnement et les expéditeurs en 1995, elle a œuvré pendant plusieurs années pour la reconnaissance de la qualité supérieure de la mâche nantaise, seul moyen de la démarquer de la concurrence et de maintenir sa production dans la région. L’obtention du signe de qualité européen IGP “mâche nantaise”, obtenu en 1999, a été la récompense de ces efforts. L’IGP donne aux consommateurs l’assurance sur l’origine du produit et garantit une régularité dans sa qualité. Quelle est la situation de la “mâche nantaise” aujourd’hui ? Aujourd’hui, seuls quarante producteurs de mâche et trois organisations de producteurs sont engagés dans la démarche IGP. Certes, cela ne représente qu’un pour cent des volumes de mâche vendus annuellement, ce qui est peu, mais le potentiel certifiable est beaucoup plus élevé, environ cinquante pour cent de la production. Ce décalage s’explique essentiellement par les contraintes de l’IGP comme l’obligation d’utiliser un sable de qualité supérieure, plus cher, mais aussi le respect de délais très courts entre la production et l’expédition, ainsi que les choix commerciaux des différentes OP qui ne voient pas toujours l’intérêt de vendre sous ce signe de qualité. Il est vrai également qu’il n’y a pas de réelle plus-value sur les
duits si les prix ne lui conviennent pas”, explique Louis Douineau. Le son de cloche est identique chez Océane. “Les prix sont négociés chaque semaine et donnent lieu à un bras de fer permanent”, constate Antony Adelis, responsable com-
ventes en IGP pour le producteur. Enfin, une grande partie de la mâche vendue en quatrième gamme ne peut pas être certifiée “mâche nantaise”, car elle est conditionnée en dehors de la zone d’appellation. D’autre part, comme les industriels sont demandeurs d’une qualité de mâche impeccable, leurs achats viennent concurrencer la vente sous IGP. Au final, comme on peut manquer à certains moments de mâche IGP, les distributeurs ne veulent pas s’engager sur des volumes. Qu’a apporté l’IGP à la filière mâche ? L’IGP a incontestablement poussé la qualité de l’ensemble de la production nantaise vers le haut. Beaucoup d’exigences du cahier des charges sont aujourd’hui appliquées par tous les producteurs. Par exemple, la traçabilité, qui permet de suivre le devenir de la mâche de la parcelle à la barquette, est complètement généralisée de nos jours. À partir des informations figurant sur la barquette ou le sachet, on est en mesure de retrouver comment et par qui la mâche a été conditionnée et expédiée et sur quelle parcelle elle a été cultivée et récoltée. De même, alors que nous étions précurseurs du lavage de la mâche avec trois, voire quatre bacs, pour mieux garantir l’absence de sable dans le produit fini, à présent tout le monde fait de même. Avec le recul, vos craintes de départ étaient-elles fondées ? Non, le marché de la mâche se porte plutôt bien et la région nantaise conserve encore le quasi monopole de la production française. Il est vrai que cette production demande un savoir-faire élevé et fait appel à beaucoup de technique. Elle n’est pas facile à délocaliser.
mercial. En direction du grand public, la filière mâche nantaise multiplie les actions de communication sous l’égide notamment de la Fédération des maraîchers nantais et de l’association “Mâche Pays de Loire”.
En 2007, la mâche s’est ainsi fait connaître par de grosses campagnes publicitaires à la télévision avec des slogans comme “la mâche, ça change de la salade” insistant essentiellement sur ses vertus nutritionnelles. Les maraîchers nantais ont
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EN HAUT, selon la saison et le climat, la mâche est récoltée au bout de trente-cinq à cent vingt jours. EN BAS, Le perfectionnement des techniques de lavage permet de garantir l’absence de sable dans la mâche, pour le plus grand intérêt des consommateurs. PAGE SUIVANTE : Plat à base de mâche nantaise, réalisé selon une recette personnelle par Rudy Deniaud, maître cuisinier de France au restaurant l’Azimut, à la Trinité-sur-Mer.
Pour en savoir plus : Fanny Pacreau (coordinatrice), la Mâche dans tous ses états, collection Cueillettes, Éditions d’Ici-là, Retz. Tél. 02 40 02 38 43.
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participé aussi aux Floralies internationales de Nantes ainsi qu’au salon Serbotel (salon de l’hôtellerie et de la restauration). Le site internet de la mâche nantaise (3) met aussi en ligne des recettes élaborées par de grands chefs cuisiniers utilisant la mâche. D’ailleurs, de nombreux restaurateurs font figurer en bonne place la mâche dans leur carte. C’est le cas de Paul Olive, chef cuisinier au restaurant la Chaumière installé à Thouaré-sur-Loire en LoireAtlantique. “Je travaille régulièrement la mâche, mais uniquement de la “mâche-plateau” plus goûteuse et seulement d’octobre à avril. C’est une salade qui se prête à des utilisations nombreuses tant crues, avec de l’huile de noix ou du curry que cuite sous forme de flan, crème brûlée ou mousse en accompagnement par exemple de poisson de noix de Saint-Jacques.” Par ailleurs, en 2008, l’International mâche match, un concours réu-
nissant des jeunes chefs cuisiniers de trois pays, l’Angleterre, la France et l’Espagne, mettant en valeur la mâche en cuisine, a été organisé pour la première fois à Nantes. Enfin, tous les ans en novembre, le lancement de la campagne mâche est le prétexte à de nombreux événements visant à faire la promotion de la salade. Depuis 1999, une partie de la production de mâche nantaise bénéficie d’un signe de qualité européen, l’indication géographique protégée (igp, lire l’interview). Cette appellation atteste que la mâche est cultivée, lavée et conditionnée selon le savoir-faire du “bassin nantais”, une zone géographique composée de quarante-six cantons de Loire-Atlantique, ainsi que de huit cantons de Vendée et deux du Maine-et-Loire. Dans cette zone, la présence de sols sableux, la proximité de la vallée de la Loire ainsi que de la mer, mais aussi un climat océanique autorisent la
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culture de la mâche toute l’année, sans forte période de stress préjudiciable à sa qualité. Si la production de mâche reste essentiellement concentrée entre octobre et mai, la tendance est à la désaisonnalisation, contrainte commerciale oblige. Aussi, en complément de la main-d’œuvre saisonnière, quatre mille cent emplois estimés, les maraîchers ont-ils besoin de salariés à temps plein (trois mille cent emplois) qu’ils peuvent aussi occuper à d’autres productions comme le poireau, le fenouil, voire le muguet. En aval, pour beaucoup d’entreprises liées au transport, à la vente de sable, de plastiques, de semences, les producteurs de mâche constituent des clients de première importance. À la Chapelle-Basse-Mer, près de Nantes, au cœur du bassin de production de mâche, l’entreprise Simon-Briand (anciennement machines Simon) s’est taillé une réputation nationale et même mondiale dans la fabrication de matériel de maraîchage. “L’outil de référence en maraîchage, le cultirateau, a été inventé par monsieur Simon, le fondateur de l’entreprise en 1968, explique Maxime Lemaitre, responsable commercial. Mais nous fabriquons aussi des sableurs ainsi que des récolteuses de mâche, matériel que nous sommes pratiquement les seuls à faire au monde. Par ailleurs, depuis la fusion avec la société Briand, nous proposons également aux maraîchers du matériel pour laver et conditionner la mâche ainsi que d’autres légumes.” Un défi technique permanent Au niveau technique, si la production de mâche apparaît bien maîtrisée, de nouveaux défis apparaissent depuis que sa production se fait en continu toute l’année et non plus seulement en hiver : “Produire de la mâche en été est plus difficile qu’en hiver notamment en raison d’un risque accru de maladies du feuillage”, reconnaît Brigitte Pelletier, ingé(3) www.machenantaise.fr et www.machenantaise.fr
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Salade de mâche par Rudy Deniaud maître cuisinier de France au restaurant l’Azimut à La Trinité-sur-Mer.
nieur agronome au Comité départemental de développement maraîcher (cddm). Organisme de conseil technique auprès des producteurs, le cddm réalise de nombreux essais pour aider les maraîchers à parfaire leur maîtrise de la culture de la mâche. “Nous cherchons en permanence à acquérir de nouvelles références pour mieux répondre aux préoccupations des producteurs. Par exemple, nous testons actuellement différentes techniques pour mieux protéger la mâche d’été des risques de décoloration dus au soleil, particulièrement sous serre explique Brigitte Pelletier. Par ailleurs, avec les pressions environnementales croissantes et principalement le plan Ecophyto 2018, [l’une des mesures phare du Grenelle de l’Environnement ambitionne de réduire de moitié l’utilisation des produits phytosanitaires en agriculture d’ici à 2018], on risque de se retrouver avec des impasses techniques qu’il faut anticiper.” Ainsi, la disparition du Métam-sodium, un désherbant chimique jugé dangereux, annoncée pour 2014 préoccupe la filière d’autant plus qu’un autre moyen de désherbage efficace, le désherbage à la vapeur, trop gourmand en fuel (trois mille à trois mille cinq cents litres par hectare sont nécessaires) est sans doute condamné à terme. Si des solutions alternatives existent comme les faux semis (technique consistant à faire germer les mauvaises herbes par un travail du sol puis à les détruire mécaniquement) ou la solarisation (pose de bâches sur le sol pour en élever la température et détruire parasites et adventices), elles sont pour l’instant moins efficaces. À l’avenir, si la production de mâche en région nantaise est certainement appelée à se maintenir, ses marges de progression semblent en revanche peu importantes, d’abord en raison des contraintes environnementales qui vont compliquer la production et sans doute freiner la progression des volumes récoltés. Par ailleurs, la mâche entre aussi en concurrence avec celle d’autres salades comme la roquette, dont la
demande est aussi dynamique. Par ailleurs, son bassin de production reste soumis à une intense pression foncière de par sa proximité avec l’agglomération nantaise dont l’urbanisation croissante soustrait tous les ans des terres maraîchères à l’activité agricole. Ce phénomène a toutes les chances de se poursuivre étant donnée l’attractivité de Nantes et de sa banlieue. La concurrence d’autres pays producteurs de mâche comme l’Italie ou l’Allemagne est aussi réelle d’autant que les maraîchers nantais se plaignent régulièrement par la voix de leur fédération de distorsions de concurrence au niveau européen. Ainsi, grâce à des allégements importants de charges, les maraîchers allemands bénéficient depuis plusieurs années d’un coût du travail beaucoup plus faible que celui de leurs homologues, français notamment. D’autres menaces planent aussi sur la production nantaise. “Je m’interroge sur les conséquences que pourrait avoir le phénomène de relocalisation des activités économiques au plus près des lieux de consommation s’il venait à se développer, car il est dans l’air du temps. Dans ce cas, notre modèle économique serait menacé, comme d’ailleurs beaucoup d’autres productions agricoles en Bretagne, car cela signifierait produire et conditionner la mâche autour de Paris ou dans le Nord et non plus dans l’Ouest. On sent déjà que pour réduire leurs coûts de transport, les industriels de la quatrième gamme sont dans cette logique ainsi que la grande distribution qui veut pouvoir prolonger la période de vente de ses produits dans les linéaires, estime Louis Douineau. Nous avons aussi toute une réflexion à mener quant à l’utilisation de sable. Il faut bien se rendre compte que nous avons besoin de près de soixante tonnes de sable pour produire seulement cinq tonnes de mâche ! Cela ne pourra jamais tenir ainsi ! Il faudra sans doute apprendre à se passer de sable pour produire de la mâche, mais nous ne savons pas le faire pour l’instant.” ■
Ingrédients pour 4 personnes : 100 g de mâche • 50 g de homard ou d’un crustacé des côtes bretonnes • 4 fines tranches de truffe du Périgord (facultatif). La vinaigrette : 1 cuillère à soupe de vinaigre balsamique • 3 cuillères à soupe d’huile d’olive. L’émulsion : 20 g de mâche • 100 g de crème fraîche • Porter la crème à ébullition • Y jeter la mâche sans attendre • Mixer le tout • Rectifier au sel et au poivre. L’acidulé de mangue : 50 g de mangue • 60 g d’huile d’olive • Mixer • Rectifier au sel et au poivre. Dressage de l’assiette : Disposer la mâche et le crustacé. Préparer la verrine : 1 cuillère à café d’huile d’olive vierge dans le fond • Compléter par l ‘émulsion • Disposer la vérine sur l’assiette • Terminer par un trait d’acidulé de mangue sur l’assiette • Servir sans attendre.
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Les courses traditionnelles de chevaux
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Au temps où le cheval faisait partie intégrante de la vie quotidienne des Bretons, les occasions étaient nombreuses de se mesurer à la vitesse, lors de noces, de pardons ou de courses spontanées. Aujourd’hui, malgré la raréfaction des chevaux de travail et la disparition du bidet breton, des courses en milieu naturel et sur des chevaux de travail font revivre cette identité hippique de la Bretagne.
L’écomusée de la Bintinais, à Rennes, ne se contente pas de présenter la plupart des races animales bretonnes, menacées ou non. Il organise aussi, chaque année, des courses de chevaux bretons, comme ici, en 1992, où l’on peut voir les frères Maubec lancés au galop sur leurs traits bretons.
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epuis longtemps, les Bretons aiment leurs chevaux qui le leur rendent bien. Depuis des siècles, ils se mesurent dans des courses de chevaux – ar redadegoù kezeg. Gridel, dans le “reportage” qu’il effectue en Bretagne entre 1862 et 1878, ne manque pas de signaler le caractère spontané des courses pratiquées par les paysans bretons. “C’est de Roscoff à Kerlouan, écritil, que l’on trouve ces “pagans” (païens), descendants des Maures, qui autrefois firent des invasions sur les côtes. Ces hommes ont l’allure
plus fière que les autres Bretons. Ils sont tous d’excellents cavaliers et on aime à les voir, coiffés de leur bonnet phrygien, traverser au galop les villages dont ils narguent les habitants.” Le bidet breton Les montures sont alors invariablement ou presque des bidets bretons, sur l’origine et la généalogie desquels on se perd en conjectures. Pour savoir d’où viennent les bidets bretons, encore faut-il bien les connaître et détailler l’essentiel de
leurs particularités. Paul Féval exagère sans doute, lorsqu’il écrit, dans une formule littéraire et lapidaire, que : “nos bidets bretons étaient moins hauts que des chèvres.” Mais l’animal était effectivement petit et pourvu d’une encolure courte, d’un garrot un peu détaché, d’une poitrine plus ample en largeur qu’en profondeur, d’une croupe abattue, et de bonnes articulations. Sa silhouette était généralement assez trapue. “Ses moyens étaient surprenants, en dépit de sa petite taille, commente Hervé de Robien. Ce bidet, d’une rusticité à toute épreuve comme il convient à un cheval élevé en pays accidenté, avait une endurance exceptionnelle et une aptitude remarquable à porter le poids et à la traction.” Un cheval idéal pour le paysan, résistant et peu exigeant en fourrage ; il s’accommodait la plupart du temps de lande pilée. Il était en outre doté d’un caractère extraordinairement doux et docile. Il marchait naturellement à l’amble, c’est-à-dire en avançant simultanément les deux membres du même côté. Or, c’est précisément la caractéristique des chevaux des anciens Bretons, à en croire un extrait du cartulaire de Landévennec, qui fait allusion à une discussion ayant eu lieu, au ve siècle, entre Fracan, un tiern breton et Ryval, le duc de la Domnonée continentale. Vantant les capacités de leurs montures respectives, les deux chefs de guerre les lancent à bride abattue vers un
but fixé à l’avance. Gurlesquin, l’abbé de Landévennec, écrit alors que ces chevaux, “très habilement dressés dans l’art de la course, partent au signal, plus rapides que l’hirondelle dans les flexuosités, que l’épervier poursuivant la colombe, que tout faucon fendant les airs, au point que l’on ne pouvait distinguer les cavaliers des chevaux courant à la façon des dromadaires.” Ce qui conduit Arthur Le Moyne de La Borderie à conclure que le bidet breton serait bien antérieur aux croisades et réfute les théories “orientales”. “Indigène”, le bidet breton, sous ses différents types – bidet de Briec, poney d’Ouessant, cheval du Cap, cheval de la lande – est issu des petits chevaux européens apparentés plus ou moins aux races norvégiennes ou aux doubles poneys Haflinger. Hélas, les bidets bretons ne sont justement pas assez grands aux yeux d’une administration française qui finit par les faire disparaître. D’abord par les croisements successifs avec des juments Norfolk, ardennaises, boulonnaises ou percheronnes, qui donneront le postier breton, le trait breton, et le centre montagne, morphologiquement le plus proche de son rustique ancêtre. Cinquante mille bidets ont également péri durant la Première Guerre mondiale, où ils ont été utilisés dans les tranchées pour le ravitaillement des troupes. On court aux mariages… La tradition des courses de chevaux est certainement très ancienne. Un arrêt du parlement de Bretagne, motivé par un rapport du procureur du roi, en date de 1785, entend en finir avec une coutume qu’il juge barbare : “Il existe en certains cantons de basse Bretagne, et surtout dans le diocèse de Quimper, un usage funeste par lui-même et par ses conséquences. Aux jours fixés pour les noces de campagne, les convives montent à cheval et se rendent à un quart de lieue de l’église paroissiale où le mariage doit être célébré. De là, à un signal donné, tous ces gens partent ensemble et se rendent au grand galop jusqu’à l’église.” Jusque-là, rien de très répréhensible ni de particulièrement dangereux.
C’est le traitement “infligé” aux chevaux qui ne convient guère aux autorités. Pour les rendre plus nerveux, pour leur donner une énergie supplémentaire, leurs propriétaires nourrissent, une bonne huitaine avant l’exploit sportif, leur bidet de graine de chanvre ! Un aliment qui constitue un excellent doping pour le cheval. À en croire le discours courroucé du représentant de l’État français, le danger est alors au détour du chemin. Si le cavalier échappe à une chute mortelle, c’est le “public” qui peut se trouver piétiné par un “mogis” (1) littéralement déchaîné ! “Cette nourriture, continue le procureur, les rend si furieux qu’une fois lancés dans l’arène, aucun frein ne peut les retenir. Plusieurs qui les montent sont victimes de l’ardeur de ces animaux. Et le voyageur qui a le malheur d’être rencontré par cette cavalcade est à coup sûr terrassé et foulé aux pieds de ces chevaux. Les courses occasionnent presque toujours des accidents ou engendrent des querelles entre les concurrents, querelles qui finissent, le plus souvent, par des voies de faits.” (1) Nom courant des chevaux bretons à l’époque.
Mais l’arrêt du Parlement n’a au fond que peu d’effets sur les habitudes des Bretons qui continuent d’organiser ces courses évoquant bien davantage les fantasias d’Afrique du Nord que des compétitions organisées. Alexandre Bouët décrit ainsi au xixe siècle ces réjouissances populaires : “C’est une chose vraiment curieuse et parfois effrayante que ces courses rustiques dont les noces bretonnes offrent le spectacle. Enfourchés sur un simple bât et gouvernant leur cheval avec une bride grossière et la plupart du temps sans étriers, ces cavaliers de la nature n’en pourraient pas moins défier pour la vitesse comme pour l’intrépidité tous les jockeys clubs de France et d’Angleterre !” Les courses de mariage se font ordinairement en couple et les femmes concourent aussi. Dans cette société traditionnelle, on ne concourt pas pour de l’argent, mais pour la gloire. Elle se concrétise par des rubans que les vainqueurs s’attachent crânement à la boutonnière : un rouge pour le premier, un blanc pour le second. Les courses ponctuent encore le retour à la maison. Bouët précise ainsi que “quelques-
Gravure extraite de l’ouvrage de Bouët et Perrin, la Galerie armoricaine. Le retour de noce est l’occasion de courses effrénées sur les fameux bidets bretons, courant à l’époque. Ici, on en est aux préparatifs. Les femmes participent aux compétitions. “Fermes sur la croupe du cheval, écrit Bouët, elles y partagent, sans sourciller, les dangers que brave en riant, leur cavalier téméraire.”
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L’Arrivée des courses de Corlay : ce tableau du comte de Clermont-Gallerande, daté de 1889, confirme les propos d’un chroniqueur de l’époque. “Sur l’hippodrome de Kergolio, contrairement à ce qui se fait ailleurs, c’est sur la piste que se tiennent les spectateurs. Les chevaux traversent la foule à fond de train.”
uns se portant les défis dont ils viennent d’être témoins, s’élancent avec cette audace que le vin double encore chez les Bretons qui, dès les premiers verres, parieraient contre l’impossible leur part dans le paradis ! Une chose vraiment surprenante est que les accidents ne soient pas plus nombreux, et sans doute il a pris naissance chez nous, le vieux proverbe, complice de l’orgie, qui prétend qu’il y a un dieu pour les ivrognes.” Les courses de pardons L’abus de cidre ambré fut-il à l’origine du tragique incident qui endeuilla une noce, au lieu-dit Kerfaouen, sur la commune du Haut-Corlay, en 1887 ? L’histoire ne le dit pas. Mais à peine le signal du départ fut-il donné, la selle du cheval de l’infortuné Yves Milin se retourna. Le cavalier en perdit l’équilibre et se retrouva la tête en bas et un pied coincé dans l’étrier. Le cheval effrayé et emballé le traîna sur plus de quinze cents mètres au bout desquels on récupéra un corps horriblement mutilé. Les pardons constituent la deuxième
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occasion traditionnelle d’organiser des courses de chevaux. Rien de plus surprenant que ces cavaliers, montant à cru sur leurs bidets, traversant en hurlant, de grands espaces sablonneux mêlés de rochers épars pour se rendre sur les îles du littoral breton. L’abbé Guillotin de Courson, dans la seconde moitié du xixe siècle, évoque ces courses paysannes qui ont lieu chaque année à l’occasion du pardon de saint Maudez, sur l’île éponyme, à quelques encablures de la paroisse de Lanmodez, dans le Trégor. Le lundi de la Pentecôte, les paysans franchissent, bride abattue, la distance qui sépare l’estran des quelques hectares hauturiers battus par les flots. “Le culte rendu à saint Éloi, écrit le prêtre, détermine du reste beaucoup de terriens à faire leur pieux voyage montés sur leurs chevaux qu’ils lancent au milieu des flots […] dès que la mer commence à se retirer un peu. C’est à qui, de tous les cavaliers, arrivera le premier dans l’île. Jadis même, on permettait au vainqueur de prendre, en arrivant au sanctuaire, une poignée de sous dans le plateau aux
offrandes.” Anatole Le Braz, qui assiste à celui de l’île Saint-Gweltaz, à Penvenan, en donne un compterendu très lyrique. À le lire, on ne peut s’empêcher de songer à l’extrait de cet auteur antique décrivant les Celtes insultant la mer montante et se lançant au galop, l’épée à la main, pour la combattre. “Par tous les chemins raboteux qui dévalent vers la grève, se précipitaient, au galop, des hordes de juments et d’étalons montés par des paysans à demi-nus. Ni bride ni selle, un simple licol. L’homme en bras de chemise, le pantalon de berlinge (2) retroussé jusqu’aux cuisses, avait les bras noués autour du cou de la bête ou se cramponnait à sa crinière. Il en débouchait de toutes parts. Sur le bord de la plage, ils se rangèrent, l’eau n’étant pas encore assez basse pour passer. Les bêtes piaffaient, hennissaient. Les hommes chantaient ou s’interpellaient, avec de farouches éclats de voix, ou, dans leur impatience, insultaient la mer. Dès que l’eau leur parut guéable, ils s’élancèrent.” Rares sont à cette époque, les par(2) Mélange de laine et de chanvre.
dons qui n’ont pas leurs courses de chevaux. Courses intégrées dans le programme d’une fête populaire qui sait associer la plénitude de l’âme aux réjouissances du corps. En 1890, au pardon de sainte Barbe, à Callac, quatre courses sont annoncées, dont une de galop, réservée aux bidets bretons. Daniel Giraudon précise qu’à la fin du xixe siècle et au début du suivant, la plupart des pardons voient se disputer “une course locale, une cantonale et enfin une régionale.” Autant d’occasions pour les garçons, de parader devant les filles (lire ArMen n° 78). Les agapes sont également nombreuses après ces courses. Les premières compétitions organisées Le xixe siècle voit aussi les courses passer d’une phase locale et traditionnelle à une phase plus organisée, avec une certaine “sportivisation”. Ces courses d’un genre nouveau sont organisées par l’État et ses relais. “L’amélioration de l’espèce chevaline” est un des objectifs. Il faut en effet équiper l’armée en
chevaux aptes à porter des hommes et à tracter les canons sur le front. “Ce moyen d’encourager les propriétaires et cultivateurs à soigner l’éducation de ces précieux animaux sera sans doute apprécié par vous comme un nouveau bienfait du gouvernement”, écrit ainsi le ministre de l’Intérieur au préfet des Côtes-du-Nord, Boullé, dans une lettre datée du 18 octobre 1805. Les premières courses officielles en Bretagne ont lieu sur les grèves de Cesson, près de Saint-Brieuc les 14 et 15 juin 1807. Un cordon de soldats du 86e régiment d’infanterie et un peloton de la gendarmerie à cheval séparent le public des concurrents montés sur des chevaux. Si dès le début du xixe siècle, des pur-sang anglais et arabes commencent à faire une timide apparition en Bretagne, les montures indigènes demeurent largement dominantes. Lors de cette première course de 1807, c’est un agriculteur de Pleubian nommé Berthou qui arrache le premier prix toutes catégories et qui remporte la prime de deux mille francs, en parcourant en sept minutes et trente secondes
les quatre mille mètres de la piste tracée sur le sable de la grève. Il tient encore bien plus du paysan de Paule que du jockey britannique ! Un journal local dresse alors du héros du jour un portrait haut en couleur : “Le cheval est gouverné par une espèce de bridon sans mors, le propriétaire en culotte flottante sans bottes ni guêtres, en corps de chemise, un mouchoir en serre-tête, une petite cravache à la main, le montait à dos nu.” Surfant sur le succès de ces courses “modernes”, d’autres compétitions profanes se créent. Sur le sable, à Saint-Efflam, en 1828, à Plouescat, à Erquy, à Ploubalay, à Pléneuf, à Matignon. À travers bois, landes, halliers et chemins creux ailleurs. Parmi toutes ces manifestations hippiques, l’une des plus courues sinon la plus célèbre est sans doute celle de Corlay, la patrie du petit cheval breton. En dépit d’une certaine officialisation des courses, dès 1839, avec la création de la Société des courses de Corlay en 1842, de l’organisation de courses de galop, de steeple-chase militaire et civil, d’une course de haie et d’une course
Course de traits bretons, à Cléder, à la fin des années 1970. À l’époque, chaque paysan léonard ou presque, avait encore son cheval. Pour Corentin Stéphan et ses amis, les courses étaient aussi une occasion de nombreuses rencontres.
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hippique, créé en 1902, fait un large écho à cette véritable passion. Courses de Loudéac, courses de Lamballe, courses de Landivisiau, courses de Malestroit, courses de Vitré, courses de Lesneven, courses de Saint-Efflam : il suffit d’ouvrir cet hebdomadaire spécialisé pour se rendre compte qu’on court partout ou presque.
Course de traits bretons à Locmaria-Plouzané, à l’occasion de la Fête du cheval, le 13 août 1989. Le cavalier en tête est Eugène Lunven, de la pointe Saint-Mathieu. En cette fin de XXe siècle, on met un point d’honneur à monter “à poil” (d’aucuns diraient “à cru”).
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de trot, l’essentiel des aspects populaires se maintiennent autour de l’“hippodrome” de Kergolio. Selon un chroniqueur du Publicateur des Côtes-du-Nord, la dernière est visiblement la plus attendue et la plus prisée de la population venue de plusieurs lieues à la ronde pour soutenir ses champions, en août 1890. Il s’agit de celle qui voit s’affronter les fameux bidets bretons “menés à un train d’enfer”. L’ambiance est la
même sur l’hippodrome de Coatal-Lan, inauguré en 1843 sur les communes de Saint-Agathon et du Merzer, à proximité de Guingamp. Comme à Corlay, les bidets concourent désormais dans une catégorie à part. L’apparition et le développement de l’automobile et de ses chevauxvapeur porte un rude coup à cette frénésie hypomaniaque, mais ne l’éteint pas. Le journal la Bretagne
La persistance des courses Le xxe siècle est plus mitigé en termes de courses. Après les deux guerres mondiales, les pardons aux chevaux se font plus rares. Nombre de pardons disparaissent purement et simplement. Et les courses de chevaux avec. Certains, pourtant, font de la résistance. Comme à Gourin, en Cornouaille, où le pardon de saint Hervé donne lieu, le premier week-end de septembre, à une cavalcade qui voit les champions du jour rejoindre le centre-ville. Joseph Cospérec, ancien président du Comité du cheval breton de Gourin, né en 1928, se souvient que ses parents n’auraient pas manqué cette occasion dans l’entre-deux-guerres. “Mon père et Pierre Pochon, le mevel bras, partaient tous ensemble de la ferme, à six heures du matin pour arriver à saint Hervé à sept heures. Après la messe avait lieu la bénédiction des chevaux. Nous faisions trois fois le tour de la chapelle en tournant sur la droite. Ensuite se déroulaient les courses, entre le carrefour Toul-arC’hi et la grand-rue, aujourd’hui nommée rue Rodallec. Il y avait en amont des éliminatoires par quartiers. C’étaient les vainqueurs de ces éliminatoires qui participaient aux courses du dimanche. Certains paysans disputaient une seconde course, pour le plaisir, de Pont-Min jusqu’à Kerbos, sur environ huit à neuf cents mètres. C’était une course organisée par les bistrotiers du quartier. Notre cheval Bijou gagnait presque toutes les courses. Il était monté par Pierre Pochon, qui était un cavalier hors pair. Le vainqueur gagnait un mouchoir ou bien un paquet de tabac. Les montagnes Noires, en ce temps là, étaient encore un haut lieu du cheval en Bretagne. Il y avait de grandes familles d’éleveurs, comme
les Jaouen, de Spézet, les Rivoal, les Kemener, les Coadic, qui raflaient presque tous les prix, d’une année sur l’autre.” L’atmosphère n’est guère différente, à la même époque, du côté de Corlay. Chaque ferme continue à vivre au rythme de l’élevage équestre. Eugène Le Chaux, aujourd’hui âgé de soixante-dix-huit ans, est originaire de Kerbonelen, en Canihuel. Il se souvient avec émotion de l’époque à laquelle le cheval était encore la principale richesse de la ferme et l’objet d’une attention permanente. “Tout le monde par ici élevait des chevaux ! Chez mes parents, il y avait dix poulinières et des chevaux de course. On en a eu jusqu’à trente-cinq à l’entraînement. C’étaient des petits postiers bretons, qui mesuraient environ 1,50 mètres au garrot. Et on vivait à cheval. J’étais toujours juché sur un cheval.” Dans le Léon, les courses étaient également l’occasion de festivités. “Avec Corentin Stéphan, raconte François Le Verge, qui exerçait à Cléder la profession de goémonier, on allait chercher du goémon avec les chevaux. Et on participait aux courses qui se déroulaient le troisième mardi de juillet, de l’église jusqu’à la grève de TevenKerbrat, sur une distance d’environ quatre kilomètres. Il y avait aussi des courses à Kerfissien. Le bar Ti Fitamant, “sponsorisait” un peu l’opération qui était placée sous les auspices du comité des fêtes.” La course a ses champions qui raflent la plupart des prix, ici, non plus en rubans, mais en argent. “C’étaient des prix dégressifs. Mais il y avait peu de différences, précise Corentin Stéphan, ancien éleveur de chevaux de trait à Kerloudano. Les chevaux aimaient ça. Ils participaient de tout leur cœur. Les courses se sont arrêtées, dans les années 1980, lorsque le tracteur, arrivé dans les années 1960, a fini par supplanter le cheval.” L’ambiance n’est pas très différente, à quelques encablures, sur l’île de Batz. Jusque dans les années 1960, à une époque où il reste encore une bonne quarantaine d’exploitations agricoles sur l’île, le cheval est omniprésent. Un cheptel d’une quarantaine de petits traits bretons
œuvre à longueur d’années. Avec une telle densité de représentants de la gente chevaline, rien de surprenant que des courses égaient la saison chaude. Ici, ce n’est pas au pardon de saint Pol Aurélien, mais au 14 juillet, en période de moissons, que l’on dispute des compétitions aussi âpres qu’à Corlay au xixe siècle. “Le champ de course allait de la cale jusqu’au môle de Porz-Kernoc, se souvient Jean Prigent, un loueur de chevaux. Il fallait tourner autour de deux poteaux téléphoniques
plantés à chaque bout de la plage.” Les chevaux sont des traits bretons d’environ sept cents kilos, plus habitués au travail des champs qu’aux compétitions sportives. “Ils aimaient courir, se souvient Jean Prigent. Mais au bout de deux allers et retours, ils sautaient plus qu’ils ne couraient, tellement ils étaient épuisés. Ils n’avançaient plus bien vite ! Il y avait beaucoup de chutes. Quand tu montes un cheval de labour, tu danses dessus, surtout lorsqu’il n’est pas sellé… et puis
EN HAUT, les courses de Plouescat, qui se sont désormais professionnalisées, réservent toujours, le dimanche soir, une épreuve, bénévole, aux traits bretons. EN BAS, une épreuve de course de trot pour traits bretons, à Plouescat, en août 2009.
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depuis le début du xxe siècle, la part belle aux pur-sang et autres chevaux “de course”. Mais chaque année, la dernière compétition sur sable y est dédiée aux traits et postiers bretons. À Saint-Efflam, les courses fondées en 1828 par le marquis de Kergariou, se déroulent toujours sur la lieue de grève. “C’est l’une des quatre du genre en France avec Plouescat, Ploubalay-Lancieux et Julouville en Normandie, précise le docteur Eleouet. Lorsque j’étais enfant, il y avait en permanence de cinquante à cent chevaux dans les écuries de l’hôtel. Des postiers bretons, des traits bretons et même des bidets.” Le docteur Eleouet a pris, en 2006, les rênes de la Société hippique des courses de Saint Efflam à Plestin-les-grèves. Au début les courses étaient faites pour valoriser les chevaux de la région. Aujourd’hui, elles se sont professionnalisées. Il y a sept courses, sur deux jours. Quatre de trot et trois de galop sur une piste qui mesure mille trois cents mètres. Pas de date précise non plus, pour l’organisation de cette compétition spectaculaire qui attire un public nombreux – plus de deux mille tickets d’entrée vendus en 2009. L’événement est en effet déterminé par la marée. “Contrairement à Plouescat, explique le docteur Eleouet, nous fixons ces courses à marée basse, lors d’un fort coefficient, pour que la plage soit bien dégagée.”
EN HAUT, des chevaux et des jeunes cavaliers, à l’entraînement, dans le complexe de l’Équipole, à deux pas de l’hippodrome de Corlay, en juillet 2010. EN BAS, dociles et volontaires, le trait comme le postier breton se prêtent gentiment aussi bien à la promenade qu’à la course.
pendant une semaine, on avait terriblement mal aux c…es !” Mais à Batz comme à Cléder, la traction mécanique et motorisée finit par concurrencer sérieusement la traction animale. Les dernières courses traditionnelles sur la grève ont lieu à la fin des années 1980. Permanence des courses sur sable À Plouescat, commune limitrophe de Cléder, les courses, fondées officiellement en 1879 attirent encore
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un public nombreux aux environs du 15 août. Aux environs, car ici, ce n’est pas tant le calendrier des offices religieux que l’Almanach du marin breton qui commande. “Il faut un petit coefficient de marées pour que la mer, durant plusieurs jours, ne dépasse pas l’entrée du goulet et laisse la grève du Kernic à sec”, précise Alain Rouxel, le président de la Société des courses hippique en charge de l’organisation. Les courses, homologuées par le Pari mutuel urbain (pmu), font
Les concours d’attelage À Corlay, l’atmosphère a bien changé depuis le xixe siècle. Le terrain, spécialisé aujourd’hui dans le steeple-chase et le cross, passe d’ailleurs non seulement pour l’un des plus beaux, mais l’un des plus originaux de tout l’Hexagone. Avec ses reliefs vallonnés, il tient davantage, selon les spécialistes, de ses homologues britanniques que des hippodromes français. Ce qui lui vaut aujourd’hui le surnom affectueux de “petit Liverpool”. Aux sept courses de plat et d’obstacles disputées le 14 juillet, s’ajoute désormais un concours d’attelage qui se déroule fin septembre. Une démonstration très spectaculaire au cours de laquelle s’illustrent des éleveurs du secteur.
Aujourd’hui, comme hier, Corlay fait figure de “Mecque” du cheval en Bretagne, à défaut de Mecque du “cheval breton”, pour cause de disparition des fameux bidets bretons qui firent sa renommée. L’hippodrome du Petit-Paris, dédié au galop et au saut d’obstacle, a conservé le relief vallonné, parsemé de cultures qui lui donne son aspect british. L’organisation de steeple-chases et de crosses très spectaculaires en fait l’hippodrome le plus coté et le plus fréquenté de Bretagne. Mais Corlay ne se limite pas à ce champ de courses, aussi célèbre soit-il. La petite cité du centre Bretagne s’est aussi dotée récemment d’un “équipole” construit avec le soutien de la communauté de communes et constitué d’une piste d’entraînement pour galopeurs, plat et obstacles, d’une carrière de dressage sablée et drainée, de nombreux parcours extérieurs dans la campagne environnante pour l’attelage et l’endurance, de boxes et de salles de réunion. Depuis les années 1970 également, le conseil général des Côtes-d’Armor y a établi une station de monte pour huit étalons et une vingtaine de juments, mise à la disposition du Haras national de Lamballe. Enfin, les dépendances du château, après avoir hébergé la maréchaussée, sont occupées par une passionnante Maison du cheval, installée précisément dans les locaux de l’ancienne station des haras. À travers documents anciens, photos, affiches etc., elle raconte au visiteur l’histoire d’amour qui unit Corlay et le cheval, celle des courses et de l’hippodrome. Malgré la disparition de la Société rurale traditionnelle, la Bretagne, contre vents et marées, reste bien, à l’instar de l’Irlande, une terre de chevaux. Le fameux bidet breton, qui allait à l’amble, a disparu dans les couloirs du temps, victime de l’acharnement administratif. Mais ses descendants, postier et trait bretons, croisés avec des Norfolk ou des Ardennais n’ont plus vraiment de soucis à se faire. Passé le mauvais cap d’une période où les paysans troquèrent la traction animale contre la mécanique et les animaux de chair et de sang contre les chevaux-vapeur, ils ont su entamer une heureuse reconversion, forcément orientée en
partie vers le loisir. Certains producteurs légumiers de la ceinture dorée bretonne le préfèrent toujours au tracteur, mais le cheval breton est aussi utilisé comme gardien efficace des zones de déprise agricole et des zones naturelles sensibles. En raison de sa docilité, il peut aussi participer à l’entretien des parcs urbains. Il est bien sûr apprécié pour les randonnées à roulottes et les balades montées ou attelées et… pour la qualité de sa viande. Autant de qualités ayant permis d’en préserver la race, qui compte aujourd’hui quelque sept cent onze étalons en activité, près de sept mille poulinières et dix mille juments. Si nombre d’entre eux participent activement et avec entrain au pardon de saint Gweltaz à Penvenan ou à la baignade prophylactique à Goudelin, on peut tout de même regretter que les courses tradition-
nelles et quasi spontanées qui animaient la communauté paysanne, se soient aujourd’hui bien raréfiées. Ne pourrait-on pas imaginer que les organisateurs de pardons d’une part et les responsables des courses hippiques d’autre part leur ménagent à nouveau la place qui leur revient de droit ? Ce serait faire le plaisir des chevaux, des cavaliers et d’un public en recherche constante de racines et d’authenticité. ■ Remerciements à Brigitte Cariou, du Syndicat des éleveurs du cheval breton, à Yves-Marie Erard, archiviste de l’évêché de Saint-Brieuc, à Alain Rouxel, président du Comité hippique des courses de Plouescat, au docteur Eleouet, président du Comité hippique des courses de Saint-Efflam, à Daniel Le Boucher, vétérinaire, président de l’association des Amis du cheval du pays de Corlay, à Daniel Giraudon, ethnologue, à Hélène Gombert, responsable du CRBC (Centre de recherche bretonne et celtique) de Brest, à Yvon Le Berre, à Guy de Sallier Dupin, à Jean Pensivy de Gourin, à Madame Guézingar, responsable la bibliothèque de Batz, et à tous les éleveurs ou coureurs qui ont accepté de me recevoir.
Peu exigeant, rustique, le trait breton se satisfait de landes rases où il peut vivre en semi-liberté.
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Les Orcades C’est à la fin d’un séjour dans les Hébrides extérieures que trois Bretons amoureux de l’Écosse, l’archéologue Michel Le Goffic, l’architecte Ifig Poho et l’ethnologue Fañch Postic se sont promis d’aller un jour encore plus au nord, jusqu’aux Orcades. En août 2009, après un arrêt dans les Highlands, à Glen Orchy, ils ont donc gagné les îles du nord et nous en rapportent quelques impressions de voyage.
Vers 1876, cet os d’une baleine échouée a été planté à Skipi Geo, face la pointe de Birsay et à l’île du même nom où l’on n’accède qu’à marée basse : elle abrite les ruines d’un brough où Pictes et Vikings se succédèrent en laissant leurs empreintes.
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Les hommes du Nord Fa ñ c h Po s t i c Les Orcades promettent au connaisseur de l’Écosse un certain dépaysement. Fortement marquées par la culture scandinave, ces îles ont de tout temps cherché à préserver une certaine distance visà-vis du reste de l’Écosse. Essentiellement agricoles, ces îles, d’où provient aussi le whisky Scapa, ont connu un exode de population qui, bien que ralenti, a laissé des cicatrices dans le paysage.
À
moins de choisir l’avion qui vous amène à Kirkwall, la principale ville de l’archipel, comptant plus de sept mille habitants, un voyage aux Orcades (Orkney en anglais) relève encore quelque peu de l’expédition pour des Bretons. Mille deux cents kilomètres séparent en effet Plymouth de Scrabster… ou de Gill’s Bay, près de la pointe de Saint-John O’Groats, d’où vous pouvez embarquer votre voiture sur le ferry. La progression vers John O’Groats, en longeant la côte est de l’Écosse, est ralentie par une file de gros camping-cars italiens bien inattendus en pareil endroit. La suite du voyage nous en donnera l’explication : les Italiens se rendent en “pèlerinage” à une chapelle construite par leurs parents prisonniers de la Seconde Guerre mondiale ! Arrivés à Gill’s Bay, le semblant d’anarchie, la boue, la crasse et la concentration de rouille de la friche portuaire destinée à l’embarquement accentue encore le contraste avec les lignes racées du ferry-boat, the Big cat. Et Iffig, l’architecte, se prend à imaginer un “beau projet de gare maritime”, dont la salle d’attente permettrait d’observer à loisir les oiseaux de mer ou les phoques se languissant sur les rochers alentours… De Gill’s Bay, un port en travaux qui se résume à une simple baraque de chantier, vous traversez en une heure le Pentland Firth, ses courants et ses tourbillons, pour gagner la baie de SaintMargaret’s Hope. Pendant la belle saison, un bateau assure également des rotations, mais uniquement pour des piétons, entre Saint-John O’Groats et Burwick, un petit port à la pointe sud de South Ronaldsay. La traversée est un véritable ravissement. Contrairement aux Hébrides, les Orkney sont perceptibles de la côte écossaise et même ceux qui n’ont pas le pied marin se sentent en sécurité. Le ferry longe les côtes d’îles plates, baignées d’une splendide lumière froide et bleutée réfléchissant,
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en les confondant, les couleurs du ciel et de la mer. Parfois, le jeu des nuages illumine les falaises de roches verticales fragmentant de longs bancs de sable dorés. Ce qui frappe d’abord, c’est la nudité du paysage, soulignée par l’absence d’arbres – le vent y est sans doute pour quelque chose ! –, et le nombre de bâtiments en ruines qui parsèment le panorama. L’habitat traditionnel en pierre semble avoir été abandonné par une population quittant les points les plus excentrés ou les nombreuses petites îles (une quinzaine seulement est habitée sur environ soixante-dix) pour gagner Kirkwall ou le Continent. Mais si les Orcades, qui ont connu un pic démographique au milieu du xixe siècle avec plus de trentedeux mille habitants, semblaient promises à un déclin inéluctable… le mouvement s’est étonnamment inversé depuis le dernier recensement officiel de 2001 : de 19 245 âmes, la population est remontée aujourd’hui à près de 20 000. Le phénomène est lié, pour une part, à l’arrivée de Britanniques, Écossais et surtout Anglais. Même certaines petites îles, qu’on pensait destinées à être totalement abandonnées, voient leur population s’accroître. Il n’en reste pas moins que Kirkwall concentre plus du tiers de la population et que les maisons nouvellement bâties – il s’en construit une centaine par an – paraissent bien tristes sous le gris uniforme de leur béton lavé. Le tourisme qui se développe, profitant ici comme ailleurs de la mode des îles, contribuerat-il à la réhabilitation de l’habitat ancien ? L’absence d’arbres ne signifie pas pour autant un paysage aride de terres incultes : l’élevage ovin, mais aussi bovin est omniprésent dans des vastes parcelles parfois également mises en culture (céréales). Une tranche de fromage des Orcades, fumé ou non, sur des oatcakes, des biscuits d’avoine, se laisse agréablement déguster. L’agriculture, largement exportatrice, demeure donc l’un des points forts de l’économie, avec la pêche, même si l’on est loin de l’intense activité liée à la belle époque du hareng dont, jusqu’au début du xxe siècle, Whitehall, sur l’île de Stronsay, était l’un des hauts
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EN HAUT, contrairement à Kirkwall dont la zone portuaire a été largement réaménagée, Stromness a conservé pour une bonne part l’aspect architectural original de l’important havre qu’il fut tant pour le commerce de la fourrure, dès le XVIIe, que pour la pêche à la baleine, à partir du XVIIIe siècle. Nombre d’habitants ont travaillé pour la Hudson’s Bay Company. Quelques bateaux témoignent encore d’une activité de pêche, loin toutefois des quatre cents unités qui, à la toute fin du XIXe siècle, quittaient Stromness pour aller pêcher le hareng. EN BAS, durant la Seconde Guerre mondiale, les prisonniers italiens convertirent une baraque en chapelle en agrémentant la façade d’un petit clocher flanqué de rampants à crochets et d’un porche bordé de deux colonnes toscanes. L’édifice, devenu lieu de pèlerinage pour les Italiens, est surtout remarquable par les étonnantes peintures en trompe l’œil qu’il contient.
lieux. À la veille de la Première Guerre mondiale, on ne comptait pas moins de trois cents bateaux qui, directement ou indirectement, faisaient travailler quatre mille personnes ! L’artisanat d’art, également bien présent, repose parfois sur d’anciens savoir-faire tels le tressage de la paille qui, bénéficiant de la mode des chapeaux en paille, fut une activité lucrative avant de péricliter dans les années 1840, quand la reine Victoria déclara, à ce qu’on raconte, qu’un tel accoutrement conviendrait bien à son chien ! La paille d’avoine servait aussi à confectionner des paniers et à habiller les fauteuils. Ceux des artisans d’aujourd’hui sont plus décoratifs que fonctionnels… Aux habituels poteries, tapisseries ou tricots… s’ajoute depuis quelques
années un nouvel artisanat dont la réputation s’est affirmée : les bijoux des Orcades. Ils sont désormais connus dans une bonne partie de l’Écosse et au-delà. Dans ce rapide survol de l’économie, il convient, bien entendu, de ne pas oublier les bières des Orcades, et le whisky. Propriété d’un grand groupe français, la distillerie de Scapa, ne se visite pas, contrairement à celle de Highlands Park, la plus au nord de l’Écosse, créée en 1798 à l’une des entrées de Kirkwall. Citant un critique américain, ses propriétaires n’hésitent pas à afficher que leur whisky n’est rien moins que le meilleur alcool au monde, “The best spirit in the world” ! L’histoire des Orcades est aussi riche et complexe que sa géographie. L’un des épisodes les plus connus est
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sans aucun doute le sabordage de la flotte allemande en 1919 dans la baie de Scapa Flow : des mats et des coques rouillés sortent encore ici et là, devenus des lieux prisés par les plongeurs… et les crustacés. De la Seconde Guerre mondiale subsiste la “barrière de Churchill”, un ensemble de digues, construites notamment par des prisonniers italiens qui bâtirent près de là, dans leur camp, une chapelle aux étonnantes mosaïques en trompe l’œil, devenue un véritable lieu de pèlerinage pour leurs compatriotes. Après avoir servi à défendre l’accès aux baies des Orcades, les digues permettent aujourd’hui de passer d’île en île, de South Ronaldsay à Mainland, sauf quand la mer se montre trop mauvaise. South Ronaldsay, vue sur l’île d’Hoy, aquarelle de Michel Le Goffic.
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Un passé viking À moins de croiser le Kirkwall City Pipe Band qui, créé en 1919, n’est
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pas peu fier de sa distinction obtenue, en 2004, à Édimbourg lors du Scottish Traditional Music Awards, vous n’avez pas l’impression, à l’inverse des îles Hébrides, par exemple, d’être en “terre celtique”. Rattachées à l’Écosse en 1468, après le mariage de Margaret, la fille du roi du Danemark, avec James III, le roi d’Écosse, les Orcades n’affichent guère cette appartenance. Les noms de lieux révèlent un passé nordique, témoignant de la forte implantation des Vikings… Quantité de brough, ces habitations fortifiées largement répandues en Écosse, attestent pourtant de la présence de Celtes dès la Protohistoire. Ils ont été ensuite occupés par les Pictes, comme à Gurness, l’un des brough les mieux conservés, avant de voir arriver les Vikings, qui s’installent durablement aux Orcades à la fin du viiie siècle. Les mêmes sites ont d’ailleurs pu servir aux uns, puis
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aux autres, à l’image du surprenant brough de Birsay, au nord de Mainland, où l’on ne peut se rendre qu’à marée basse. Si du passage des Pictes ne subsistent plus guère qu’un puits et différents objets découverts dans son voisinage, ainsi qu’une belle pierre gravée, l’église et les habitations scandinaves – parfois avec sauna ! – sont encore bien visibles. Face à Birsay se dressent les ruines du château construit à la fin du xvie siècle par Robert Stewart, le demi-frère de Mary, reine d’Écosse. Earl of Orkney, il se distingua par son arrogance et sa volonté de mettre au pas une population qui avait jusqu’alors réussi à préserver une certaine autonomie, législative ou linguistique. Son fils Patrick reprit le flambeau et se fit bâtir une somptueuse demeure, aujourd’hui en ruines, au cœur de Kirkwall, à deux pas de la cathédrale Saint-Magnus.
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Le surnom de “Black Patie” dit bien le peu d’estime dont il jouissait localement ; il finit par tomber en disgrâce auprès du roi d’Écosse lui-même au point d’être pendu en 1615 pour “rébellion”. L’attitude des Stewart contribua sans doute à ce que les habitants des Orcades ressentent comme une oppression la présence d’Écossais cherchant à imposer leurs lois, leur Église… et à prendre possession des terres dont la transmission, relativement égalitaire, relevait d’un droit coutumier, l’Udal law. Aux Orcades, qui n’ont pas connu le système clanique en vigueur en Écosse, l’Udal law n’a toutefois pas totalement disparu et s’applique toujours, par exemple, à la propriété privée du littoral qui s’arrête, non pas, comme ailleurs en Grande-Bretagne, au niveau des plus hautes marées… mais à celui des plus basses eaux de printemps. Cela explique pour une part l’intérêt que trouvèrent les habitants des Orcades, comme les Bretons, à développer des activités goémonières, et cela dès le xviiie siècle. Ce n’est pas aujourd’hui sans poser de problèmes juridiques pour la construction d’aménagements littoraux, quais ou terminaux pétroliers, pour la pratique de la pêche sur le littoral ou même l’installation de fermes aquacoles. Les autorités doivent souvent transiger avec des propriétaires qui font toujours valoir l’Udal law. L’aménagement de ports au xixe siècle a permis de renforcer le développement économique d’un archipel qui, au-delà des liens avec l’Écosse, a toujours continué à maintenir des relations maritimes avec l’Europe du Nord. Aujourd’hui, la mer demeure un élément fort de l’économie. Dans les années 1970, des champs pétrolifères ont été découverts en mer du Nord et la baie de Scapa Flow abrite régulièrement des tankers qui viennent charger le pétrole brut au terminal construit à cet effet sur l’île de Flotta. L’avenir réside également peut-être dans l’exploitation de la force des courants et des vagues pour la transformer en énergie… “Les îles Orcades se préparent à devenir l’Eldorado européen de l’énergie marine”, titrait même le journal le Monde en décembre 2007 !
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Une nature intacte L’insularité précoce des Orcades à la fin de la dernière glaciation n’est pas un facteur favorable à la conquête des îles par la faune terrestre, cela va de soi. Par contre la faune aviaire a su très vite les coloniser et c’est un régal, avant même de débarquer à Saint-Margaret’s Hope, d’admirer les plongeons des fous de Bassan, le vol au ras des vagues des calculots, des guillemots et des petits pingouins, les ballets aériens des pétrels qui, depuis seulement un siècle, ont choisi de nicher sur les étroites corniches des hautes falaises. Parmi la gent ailée, il y a aussi des parasites comme les skuas qui n’hésitent pas à dérober des œufs ou à voler de la nourriture régurgitée après harcèlement ! Sur les étendues d’eau douce et leurs rives, il n’est pas rare de rencontrer des canards de diverses espèces, des cygnes et des échassiers tels les courlis, les chevaliers-gambette, les bécassines. Durant les périodes de migration, au printemps et en automne, les Orcades sont un lieu privilégié d’étude des oiseaux et plusieurs observatoires y sont implantés. Les dauphins et baleines fréquentent aussi ces côtes et c’est un émerveillement de voir les épau-
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lards chasser dans des bancs de poissons qui bondissent hors de flots. Quant aux phoques, ils sont une multitude, aussi curieux que les visiteurs qui veulent les approcher. Le paysage que l’on découvre en arrivant aux Orcades est celui d’îles vertes, mais sans arbres. Seule la baie de Waulkmill (ouest-sud-ouest de Kirkwall) peut être considérée comme un conservatoire forestier où l’on peut trouver deux espèces de saules, des peupliers et le cortège de plantes d’accompagnement forestier : digitales, chèvrefeuille, roses sauvages… Au printemps, dès que les jours commencent à allonger, en dehors des prairies et des champs d’orge, les fleurs sauvages éclosent par milliers sur les pelouses et dans les tourbières et l’on compte près de deux cents espèces parmi lesquelles l’orchidée des marais, mais d’autres sont beaucoup plus rares comme la primevère Primula scotica, une spécialité écossaise aux délicates teintes pourpres qui fleurit de mai à août. Une mention spéciale est à attribuer à une plante comestible aux feuilles charnues et aux fleurs violacées… au goût d’huître et que l’on peut aisément récolter sur les hauts de plages de galets. ■
Avec environ 2 200 habitants, Stromness, dont les maisons suivent une rue étroite le long du rivage, est la seconde ville des Orcades. À l’arrière-plan, l’île de Hoy, possède des falaises qui atteignent plus de 350 mètres, ce sont les plus hautes de Grande-Bretagne. L’île est aussi connue pour “le vieil homme de Hoy” (Old man of Hoy), un rocher de 200 mètres, planté dans la mer, qui constitue une attraction pour les passagers du ferry reliant Scrabster à Stromness. PAGES SUIVANTES, EN HAUT, le premier janvier 2009, la balle du Ba’ game, la soule des Orcades, vient d’être lancée par le doonie Fraser Byers au milieu de la foule rassemblée dans Albert Street, au centre de Kirkwall, entre la cathédrale et l’hôtel de ville. Une fois encore la victoire reviendra aux uppies. EN BAS, depuis le milieu du XIXe siècle, les jeunes garçons ont également leur Ba’ game, comme ici, au premier janvier 2008, où Calum Ross s’est emparé de la balle de cuir et s’en va toucher le mur, donnant ainsi la victoire au camp des uppies.
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Ba’ game, un jeu proche de la soule
En passant par the Orcadian Bookshop, dans Albert Street, la rue principale de Kirkwall, je feuillette un ouvrage consacré au Ba’ game, un jeu de balle dont une plaque devant la cathédrale Saint-Magnus m’a signalé l’existence. Quelle n’est pas ma surprise d’y retrouver, au détour d’une page, une gravure… d’Olivier Perrin ! Il ne fait en effet aucun doute que le Ba’ game (ball ?) appartient à toute une série de jeux dont, en Europe, on fait volontiers – comme de la soule bretonne dont il est effectivement très proche – les ancêtres du football ou du rugby. Au milieu du XVIIe siècle, le jeu se pratiquait seulement le premier janvier, sur un terrain qui lui était réservé, le “Ba’ Lea”, et l’on devait uniquement se servir des pieds. Peu à peu,
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tandis qu’on autorise l’usage des mains et qu’il se pratique également le jour de Noël, jour qui n’était pas chômé, il se déplace vers le centre de Kirkwall pour prendre, en 1850, la forme qu’on lui connaît encore aujourd’hui. Peut-être s’agit-il également de répondre au nombre croissant de participants. Ces modifications des règles du jeu ont également entraîné la transformation de la balle qui s’est alourdie et renforcée. Désormais en cuir, renouvelée chaque année, elle doit être capable d’endurer les mauvais traitements que les joueurs sont susceptibles de lui infliger… résister à l’eau de mer et même flotter si les Doonies prennent le dessus. Pour la circonstance, la ville est en effet divisée entre les “Uppies“ ou “Up-the-Gates” et les “Doonies” ou “Doonthe-Gates”. À l’origine, c’est une rue traversant la ville (gata en norrois) qui déterminait votre appartenance à l’une ou l’autre des équipes, selon que vous étiez né d’un côté ou de l’autre. De nos jours, les naissances se font surtout à l’hôpital et vous êtes Doonies ou Uppies selon vos attaches familiales et amicales… ou, selon la partie de la ville par laquelle vous êtes entré pour la première fois, lorsque vous êtes des ferry loupers, en provenance du “continent”. Lancée à 13 heures devant la cathédrale SaintMagnus par une personnalité locale, la balle disparaît aussitôt dans une indescriptible mêlée de deux cents joueurs où tous les coups ou presque sont permis pour emporter la balle jusqu’à son but, le bassin du port pour les Doonies et le mur, à l’intersection de Main road et de New Scapa road pour les Uppies. La victoire des Uppies est considérée un signe favorable pour les futures moissons, celle des Doonies annonce une bonne saison de pêche. C’est évidemment un grand honneur que d’être celui qui porte la balle à son propre but : tout le monde, Uppies et Doonies, se retrouve alors chez lui… Au premier janvier 2010, en plongeant avec la balle dans le bassin du port, Rodney Spence a mis fin à une impressionnante série de victoires des Uppies, invaincus depuis janvier 2006 ! Il faut noter que, depuis le milieu du XIXe siècle, les enfants de moins de seize ans ont leur propre Ba’ game, le matin, et si, à Noël 1945 et au premier janvier 1946, les femmes ont également eu le leur… ce fut sans lendemain. F.P.
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Orcades, paradis des archéologues
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Îles au bout d’un continent, les Orcades recèlent des vestiges de présence humaine depuis près de six mille ans. Bien plus, elles offrent une étonnante concentration de sites archéologiques majeurs qui ont valu au “cœur néolithique des Orcades” d’être inscrit, en 1999, au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco.
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a situation insulaire et nordique des Orcades est bien sûr la raison majeure du peuplement humain tardif de cet archipel. À la fin de la dernière glaciation, vers huit mille ans avant notre ère, la végétation de l’archipel était celle de plantes colonisatrices après la fonte des glaces ; elle était rabougrie, composée de graminées, roseaux, genévriers et saules nains, de camarine noire, rumex et saxifrages. Puis, avec le réchauffement climatique les bouleaux, les noisetiers et peut-être les pins se sont installés avant les chênes, les ormes et les aulnes. Les analyses palynologiques ont montré un net changement de végétation à partir de – 3 800. Le paysage devient plus ouvert. Cela correspond bien évidemment aux premiers défrichements des hommes du Néolithique qui pratiquèrent l’élevage et l’agriculture et, à partir de – 2 600, la végétation est pratiquement la même qu’aujourd’hui. Des graines de céréales comme l’orge se retrouvent en empreintes sur des poteries et les paléosols ont fourni des ossements d’animaux consommés qui nous renseignent sur l’alimentation carnée des premiers occupants. Ainsi, au menu néolithique figurait du bœuf, du mouton, du cerf, du porc, de la chèvre, mais aussi des oiseaux de mer et leurs œufs et, bien sûr, des poissons et coquillages. À part les oiseaux de mer, notre alimentation actuelle est sensiblement identique.
conservés, à l’inverse de ceux du continent européen, où ils étaient pratiquement tous réalisés en matériaux périssables : bois, torchis, chaume. Dans les îles, c’est peutêtre l’absence de grandes futaies qui est à l’origine de constructions en pierre plus pérennes. Le site incontournable pour le visiteur est bien évidemment le “village” de Skara Brae, situé au bord de la baie de Skaill, sur la cote ouest de Mainland. Il a été découvert en 1850, lorsqu’une tempête a soufflé le sable qui l’avait jadis enseveli. Les fouilles ont été cependant réalisées bien plus tardivement par Gordon Childe, entre 1927 et 1931, et complétées par celles de David
Clarke en 1972 et 1973. Cet habitat, construit en dalles et plaques de grès a été occupé au cours de deux phases entre - 2 400 et - 1 800, l’une se superposant à l’autre. Cette longue durée d’occupation suppose bien des aménagements, réparations et reconstructions Les huit bâtiments sont imbriqués dans un ensemble très bien circonscrit et l’on accède à chaque habitation ou atelier par un couloir étroit. Chaque maison possède un plan rectangulaire et le foyer se trouve au centre. Dans les murs, épais de deux mètres, sont aménagés des placards et logettes, et, par devant, se trouvent des alcôves pour les lits, des buffets ou armoires avec étagères et
L’une des maisons néolithiques en pierre sèche de Skara Brae dans un état de conservation étonnant, avec son aménagement bien perceptible : les lits à droite et à gauche, le buffet ou armoire avec étagères au fond et, au premier plan, le foyer central carré avec, par-derrière, une meule dormante et sa molette (voir aussi le croquis page suivante). PAGE SUIVANTE, avec ses 35 mètres de diamètre et ses 7 mètres de hauteur, la tombe de Maeshowe, chef-d’œuvre funéraire du Néolithique européen, marque le paysage.
Un village néolithique sous le sable ! Les habitats néolithiques des îliens sont tout à fait typiques et fort bien
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Une leçon d’architecture La visite du village de Skara Brae m’a laissé totalement admiratif de la remarquable maîtrise de l’espace dont ont fait preuve les constructeurs du Néolithique, au point que le concept qui a prévalu à l’époque pourrait être montré en exemple, actuellement, à ceux qui prônent une architecture durable au sein de nouveaux villages où, malheureusement, l’individualisme et le refus de l’esthétique le disputent à l’amateurisme et au bricolage. Observez plutôt : il y a 5 000 ans, donc avant les pyramides, sur un site très ouvert, où l’arbre pousse difficilement, ces hommes ont su à la fois se préserver des éléments naturels (vent, pluie etc.) et se protéger d’un environnement éventuellement hostile avec, comme seuls matériaux, la pierre, un peu de bois, la terre et une végétation rase. Cette économie de moyens ne les a pas empêchés, à la fois de respecter un mode de vie communautaire et de créer des espaces clos où les lieux de vie, voire de convivialité, s’organisaient autour d’un foyer central. Utilisant déjà une technique parfaitement adaptée de toiture bien isolée par la terre et l’herbe et reposant sur des murs épais, ils ont su différencier ces espaces. Sur un plan pratiquement carré, et tout au moins fortement marqué par une recherche de symétrie, ils ont ajouté “à la demande”, d’abord des alvéoles, que l’on retrouvera aussi dans les ateliers (sous forme de “loges”, puis un mobilier de pierre occultable préservant une certaine intimité pour le coucher, qui n’est pas sans rappeler nos lits-clos. Ils ont rangé leur vaisselle dans des “vaisseliers” de pierres afin de la protéger des chocs et ont aménagé en haut des murs des niches pour stocker leurs aliments et leurs réserves, hors de portée des “prédateurs” familiers : enfants et animaux. Ces principes simples d’élaboration de logements ont perduré jusqu’à nos jours, en particulier dans l’habitat vernaculaire, mais il est évident qu’ils pourraient trouver une filiation contemporaine dans des recherches pour une archi-
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tecture mieux adaptée à son environnement que ne l’est le lotissement pavillonnaire qui détruit actuellement l’harmonie de nos villages ou de nos paysages. Je pense en particulier aux réalisations dans les années 1970, des maisons “enterrées” de Claude Petton. De plus, concernant les circulations, les liaisons entre bâtiments se faisaient grâce à des passages étroits et couverts limitant les déplacements et les protégeant des intempéries ! On ne peut que rester humble et modeste devant ces trésors d’ingéniosité où une ébauche de recherche esthétique apparaît déjà, satisfaisant ainsi la définition que Vitruve donnait de l’architecture : “utilitas, firmitas, venusta”, utilité, solidité et beauté. La visite du tumulus de Maes Howe est aussi une découverte. Déjà, proche de Maes Howe, une mise en scène étonnante du paysage semble évidente dans le cadrage de l’île de Hoy par deux des menhirs de Stenness. Leur tête, coupée en diagonale, conforte l’impression de disposition symétrique volontaire de chaque côté de la silhouette lointaine de l’île. L’entrée du tumulus et le passage vers les chambres funéraires ne sont pas différents de ceux des autres tumulus, mais il n’en est pas de même de la salle principale : construite elle aussi sur un plan sensiblement carré, comme la plupart des maisons de Skara Brae, elle est une magnifique mise en œuvre combinant l’horizontalité de l’assise des pierres de parement intérieur et la verticalité des quatre piliers d’angles en contrefort, partiellement constitués de pierres levées ayant une forme similaire à celle des menhirs “de cadrage” de Maes Howe. La forme en voûte à encorbellement du plafond termine l’édifice avec élégance. Hasard ou volonté des constructeurs ? Le résultat souhaité est obtenu : la salle impressionne, inspire le respect, le recueillement et, de même que sous la coupole d’une basilique, l’élévation de la pensée. Devant l’intelligence créative du Néolithique, nous ne pouvons que ressentir admiration et humilité : rien n’est inventé. Ifig Poho
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sur le sol des meules, réserves d’eau tapissées d’argile, le tout en pierre ; la couverture était faite de branchages et de mottes de gazon. La décoration consistait en dalles gravées de motifs rehaussés de pigments rouges se trouvant aussi bien dans les habitations que dans les corridors. L’habitude des habitants était de jeter à l’extérieur et près des murs les détritus et reliefs de repas formant ainsi des tas de fumier parfois considérables, les fameux middens, délices des archéologues, qui, en les fouillant méticuleusement, peuvent reconstituer le régime alimentaire de ces populations et y trouver des outils d’os, de silex, abandonnés et des tessons de poterie caractéristiques de la grooved ware (poterie cannelée). Certains vases pouvaient dépasser cinquante centimètres de diamètre et servaient à entreposer des denrées. Qu’il s’agisse d’habitats, de cercles de menhirs ou de tombes mégalithiques, on a affaire à des constructions en Lego géants nécessitant néanmoins un travail considérable avec des techniques complexes et des connaissances architecturales poussées. Les dolmens de Maeshowe et de la “tombe des Aigles” Les dolmens sous cairn se répartissent essentiellement en deux grands groupes qui comprennent chacun de multiples variantes : le groupe Orkney-Cromarty, aux chambres allongées et cloisonnées, dont l’exemple le plus complet est celui de Midhowe, sur l’île de Ramsay et le groupe de Maeshowe, à cellules greffées sur les côtés. Le dolmen de Maeshowe est assurément un chef-d’œuvre de l’architecture mégalithique funéraire du Néolithique européen. Extérieurement, il se présente comme une grande butte engazonnée de 35 mètres de diamètre et 7 mètres de hauteur et est circonscrit par un talus et un fossé de 14 mètres de large et 2 mètres de profondeur. On accède à la chambre par un couloir, long de 7 mètres et haut de 1,40 mètres, constitué d’énormes dalles quadrangulaires parfaitement équarries supportant une couverture en encorbellement de même facture. Dans la chambre
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EN HAUT, moins important et plus ruiné que celui de Brodgar, le cercle de pierres de Stenness est aussi plus ancien (vers -3000). (Aquarelle de Michel Le Goffic). EN BAS, la chambre funéraire principale du dolmen de Maeshowe, un chef-d’œuvre architectural du néolithique.
carrée à contreforts angulaires flanqués d’orthostates verticaux, l’appareil des parois est fait de dalles posées à plat, en encorbellement et agencées avec un soin particulier,
jusqu’à plus de 4 mètres de hauteur. En face de l’entrée et sur les deux côtés se voient les ouvertures de petites cellules. Ce monument est connu depuis fort longtemps et les
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EN HAUT, le site de fouilles archéologiques entre Brodgar et Stenness, a permis de mettre au jour les plus grands bâtiments du Néolithique des îles Britanniques. EN BAS, une très grande découverte archéologique défraie, depuis 2009, les chroniques des journaux spécialisés et excite les archéologues écossais. Il s’agit d’une minuscule statuette de grès, haute de seulement 4,10 centimètres, sans jambes et aux bras seulement esquissés, trouvée lors de fouilles sur le site de Links of Noltland, sur l’île de Westray. Surnommée “la Vénus des Orcades”, cette femme-tronc a un corps trapézoïdal, où le dimorphisme sexuel est simplement représenté par des seins très haut placés, sous forme de deux cercles gravés.
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Vikings, qui occupèrent l’archipel un long temps, y gravèrent certaines dalles de runes et de représentations animales. Les fouilles récentes ont concerné le fossé périphérique et une datation a pu être réalisée qui a donné 2 700 ans avant notre ère, cependant le dolmen a dû être utilisé entre -3 000 et -2 500 environ. Un point particulier que l’on retrouve aussi bien en Irlande qu’en Bretagne est l’orientation du couloir par rapport aux levers et couchers solsticiaux. Ici, c’est au moment du solstice d’hiver que les rayons du soleil couchant viennent éclairer la chambre. Depuis 1997, une webcam a même été installée qui permet aux internautes de visualiser le phénomène ! Sur South Ronaldsay se trouve un cairn récemment fouillé à Isbister par J.W. Hedges. Ce dolmen H est une sorte de compromis s entre les dolmens du groupe Orkney-Cromarty et ceux du OrkneyMaeshowe en ce sens groupe M que lle couloir débouche milieu d’une longue au m chambre transversale ch cloisonnée en cinq cl segments, mais qui, s de plus, comprend trois cellules greffées sur les parois de la chambre dont l’accès se fait par d’étroits passages. La fouille a livré plus de seize mille os humains correspondant à trois cent quarante-
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deux individus, désarticulés et rangés selon leurs catégories, mais aussi des ossements et serres de Pygargue à queue blanche, le grand aigle de mer, notamment dans le dépôt de fondation en mélange avec des ossements humains, des ossements d’agneaux, des tessons de poterie, haches polies, couteaux et perles… Le fouilleur pense que les cadavres étaient exposés à l’extérieur et les squelettes étaient décharnés par les aigles. Ensuite, des manipulations multiples intervenaient lors de cérémonies pour ranger définitivement les ossements dans leurs logements respectifs. Sans que l’on puisse dire que le grand aigle de mer était le totem de la tribu, il a néanmoins donné son nom à cette sépulture : la tombe des Aigles. L’art gravé néolithique des Orcades se situe dans la continuité de celui de la Grande-Bretagne et de l’Irlande. Il est en particulier très proche de celui de la Boyne Valley et plus précisément des motifs de Knowth et de Newgrange surtout lorsque l’on admire les dalles gravées de spirales de Pierowall (Westray) et de celle d’Eday Manse. Les gravures de losanges de Maeshowe et de Skara Brae sont également tout à fait comparables. Stenness et Brodgar, d’impressionnants cercles de pierres À quelques centaines de mètres de la sépulture de Maeshowe se trouvent des lieux cultuels destinés à jouer un rôle social et cérémoniel. Entre le Loch of Harray et le Loch of Stenness se trouve une langue de terre où furent édifiés deux cercles de pierres. Le premier et sans doute le plus ancien est celui de Stenness daté de 3 000 ans avant notre ère. Il était entouré d’un talus et d’un fossé et comportait à l’origine douze pierres dressées. Il n’en reste plus que quatre, mais le site conserve sa majesté. Au-delà du pont qui sépare les deux lochs se voit le splendide cercle de pierres levées de Brodgar, de 104 mètres de diamètre, entouré d’un large et profond fossé de 130 mètres de diamètre interrompu au nord-ouest et au sud-est. Il reste encore trente-six des quelque soixante lames de grès qui furent érigées sur la plate-forme
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artificielle aujourd’hui recouverte de bruyère. Le panorama environnant est superbe, au-delà des eaux calmes des lochs, les collines s’élèvent peu à peu et se mirent dans les eaux. La cathédrale néolithique des Orkney Depuis les recherches géophysiques de 2003, la langue de terre qui s’avance au-delà de Brodgar vers Stenness est un lieu de fouilles archéologiques. Chaque année apporte son lot d’informations qui passionnent nombre d’archéologues. C’est le responsable du chantier de fouilles pour le compte de l’Orca (Orkney Research Center for Archaelogy), Nick Card, qui a bien voulu nous rappeler l’historique et nous commenter les dernières découvertes. Ce que l’on pensait être une simple sépulture s’est révélée être une succession complexe de gigantesques bâtiments, sans doute les plus grands connus au Néolithique dans les îles Britanniques, à telle enseigne que l’un d’eux, la structure 10, a été baptisée “la cathédrale néolithique des Orkney”. Il s’agit en réalité d’un énorme temple de 25 mètres de long pour 20 mètres de large avec des murs de 5 mètres d’épaisseur encore conservés sur plus d’un mètre de hauteur. Le plan interne est cruciforme et combine les plans des sépultures et ceux des habitats. Cette structure n’est pas sans rappeler le bâtiment n° 8 de Barnhouse, considéré aussi comme cultuel. C’était sans doute le point de convergence des habitants de Mainland et peut-être de bien au-delà. Cependant, la chambre centrale aux dimensions réduites (6 mètres de largeur) ne permettait pas une grande assistance mais était réservée à des privilégiés. Cette construction devait être vue de fort loin et marquait sans nul doute le paysage, peut-être plus encore que les cercles de Stenness et de Brodgar ! Les recherches ont aussi mis au jour un placître pavé limité par un mur et la fosse d’un menhir ainsi qu’une longue dalle qui a fait dire à Colin Richards qu’elle pourrait être une seconde pierre levée. Les ossements de bétail découverts lors de fouilles suggèrent que l’on
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Un étonnant patrimoine linguistique Le nom Orcades (Orkneyjar) est généralement interprété comme un vieux mot norrois pour “île des phoques”… et effectivement, ils sont bien présents ! Mais le nom, déjà attesté par différents auteurs latins comme Pline ou Pomponius Mela, est considéré par certains comme un ancien nom picte, reposant sur orc, signifiant “jeune porc”, dont témoignerait l’appellation Insi orc (“l’île des porcs”) qui désigne les Orcades en vieux gaélique d’Irlande. Avec les Vikings, les porcs seraient devenus “phoques” (orkn), suivi du suffixe eyjar (île)… Le nom aurait été ensuite raccourci en Orkney par des Écossais désireux de supprimer une finale trop norroise… Un débat agite les spécialistes à propos du parler des Orcades : les uns défendent l’idée d’un dialecte où le scots – la forme du vieil anglais parlé en Écosse dans les régions non-gaéliques –, et le norrois se seraient, jusqu’à aujourd’hui, mêlés dans un processus progressif de “créolisation” ; d’autres – et c’est l’hypothèse dominante, – que le vieux norrois, introduit aux VIIIe et IXe siècles par les Vikings, a donné naissance aux Orcades, comme aux Shetland, à une forme locale (le norn ou norrœna) qui s’est maintenue après le passage des îles sous domination écossaise. Si le scots s’est progressivement imposé comme la langue des élites, le norn serait resté la langue du peuple, ne cessant de décliner jusqu’au XVIIIe siècle pour s’éteindre totalement au cours du XIXe. La difficulté est que, largement oral, car même à l’époque Viking, l’écrit était le norvégien, le norn n’a laissé que de très rares traces à l’écrit. On en trouve toutefois encore le souvenir, sous forme de mots et de tournures de phrases, dans l’actuel dialecte orcadien – un scots insulaire mâtiné de norrois –, et dans des noms de lieux qui sont pour la plupart d’origine norroise. Tandis que le projet Nynorn, “nouveau norn” essaie de reconstituer et faire revivre le norn, à l’exemple du cornique, d’autres s’attachent
a pratiqué des festins autour de la structure 10 par des gens venant de toutes parts comme le laissent penser les nombreux tessons de poteries néolithiques aux décors incisés et d’origines diverses. Autre découverte : “the Great Wall”, le grand mur, épais de 4 mètres, séparant pour certains le monde des vivants de celui des morts et dont la fonction est considérée comme symbolique et non défensive. La fouille est loin d’être terminée et apportera, à n’en pas douter, d’in-
à sauvegarder l’actuel dialecte orcadien, dont le sort a été celui de bien des langues orales et minoritaires d’Europe : image négative, interdiction à l’école… Depuis quelques années, certains cherchent toutefois, non sans mal, à lui redonner place et vie, à la radio par exemple. Issues d’un vieux mot norrois signifiant “écriture secrète”, les “runes” désignent un alphabet utilisé par différents peuples de l’Europe du Nord (germaniques, anglo-saxons, scandinaves) que, d’une certaine manière, on peut rapprocher de l’alphabet ogamique en usage chez les peuples celtiques. Les deux écritures avaient d’ailleurs, semble-t-il, les mêmes implications magiques. On trouve des inscriptions runiques dans une vingtaine de lieux aux Orcades, sur l’une des pierres de cercle de Brodgar par exemple. Mais c’est d’évidence à Maeshowe que se concentre l’une des plus importantes collections d’Europe : pas moins d’une trentaine d’inscriptions qui, selon l’Orkneyinga saga (la saga des Orcadiens, XIIe XIIIe siècles), seraient l’œuvre de guerriers vikings qui, pour se mettre à l’abri d’un violent orage, violèrent la chambre funéraire et en couvrirent les murs de graffitis. F.P.
téressants enseignements sur ces structures hors du commun et si bien conservées. Les clés de la réussite de l’implantation néolithique sont multiples. Tout d’abord l’époque à laquelle elle s’est produite correspond à l’optimum climatique de la période postglaciaire dans laquelle nous vivons. Le climat était plus clément et offrait de meilleures possibilités de cultures. Ensuite, les sols se prêtaient assez bien à la culture et à l’élevage et de plus, pour l’alimentation, l’environne-
ment naturel pourvoyait en faune sauvage y compris les oiseaux et leurs œufs, en poissons, coquillages et crustacés. Enfin les roches locales, essentiellement des grès au débit naturel en grandes dalles, ont été mises à profit pour l’édification d’habitations, de temples, de sépultures. Le dernier point à signaler, c’est l’effort de présentation des différents sites et leur entretien et le respect de tout un chacun pour ce merveilleux patrimoine qui a si bien traversé les âges. ■
Peut-être gravées au XIIe siècle, au retour des Croisades, les curieuses inscriptions en runes de Maeshowe sont l’occasion pour les Vikings d’inscrire un nom, un surnom… voire un commentaire sur la gente féminine, comme celle-ci dont la traduction pourrait être : “Ingibjorg la belle veuve. Plus d’une femme est entrée ici en se courbant. Une personne prétentieuse. Erlingr”.
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Depuis bientôt quatre décennies, le collectif Camera Obscura travaille à populariser la photographie dans le pays de Brest. Outre des expositions, les membres de ce collectif proposent des formations et des initiations à certaines techniques anciennes qui s’apparentent à de l’archéologie photographique.
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a genèse de Camera Obscura remonte aux années 1970, lorsque cette structure était encore un “club de photo laïc” lié aux beauxarts de Brest. Il s’agissait alors d’initier des amateurs à un art, la photographie, qui tendait à se démocratiser. Dans les années 1990, l’association vivote et est reprise en main par des passionnés qui ambitionnent de développer la photo sur Brest à travers de prestigieuses expositions montées avec le musée des beaux-arts. En 1992, la première d’entre elles accueille ainsi le grand Willie Ronnis. Mais, en 1996, une baisse des subventions et le découragement de certains membres de l’équipe vont entraîner la dispersion du groupe. C’est en 2006 que des photographes brestois, dont Marc Letissier et François Rommens décident de réanimer l’association pour mener un nouveau projet. “Nous sommes partis sur des bases différentes, se souvient François Rommens. Il s’agissait cette fois de former un véritable collectif de photographes afin d’exposer nos membres.” “Nous avons aussi pour but, indique Marc Letissier, de faire de la formation, non pas des cours de photo classiques, mais un apprentissage par immersion.” Les membres de Camera Obscura expérimentent en effet différentes techniques. “Par exemple, explique Marc Letissier, nous avons réalisé plusieurs ateliers sur la façon de faire des tirages en noir et blanc à partir de photos numériques. Cela posait de nombreux problèmes, pour conserver l’équilibre des contrastes et pour obtenir un bon rendu des reliefs.” Un travail sur les paysages du pays Pagan leur a donné l’occasion de pousser leurs recherches. Le collectif Camera Obscura propose régulièrement à ses adhérents de travailler sur des thèmes communs. “Récemment, nous avons réalisé des “photographies de café”, commente François Rommens. Ce sont des lieux de vie où l’on peut rencontrer un public peu sensible à la photographie. Nous venions avec un matériel de portraitiste, un genre qui tombe en désuétude. Les gens ne vont plus beaucoup chez les photographes, alors nous nous sommes dit que c’était à nous d’aller vers eux. On tirait des portraits en
noir et blanc, ce qui ne se fait plus beaucoup. Cela a bien marché, il y a une réelle demande pour quelque chose d’original. Les clients ont apprécié ce support qu’ils ne trouvent plus ailleurs.” Depuis, les membres de Camera Obscura renouvellent régulièrement ce genre d’opération, à raison de deux ou trois cafés par an. Ils ont également réalisé des reportages thématiques sur les goémoniers du pays Pagan, les Johnnies de Roscoff ou les nouvelles tribus urbaines. Archéologie photographique Les membres du collectif se sont fait une spécialité de retrouver et d’utiliser de vieilles techniques, notamment celles des débuts de la photographie au xixe siècle. À la manière des archéologues, ils exhument de vieux procédés aujourd’hui disparus et tentent de retrouver les appareils et les produits utilisés à l’époque. “On a l’impression de revivre l’Histoire, commente François Rommens. Aujourd’hui, le numérique donne des résultats parfaits, mais trop lisses. Les anciennes techniques possèdent une intensité intéressante. Elles permettent des clichés plus originaux, avec plus de personnalité. Il y a plus d’émotion.” Ils ont ainsi expérimenté des procédés comme le sténopé (1), le calotype (2) ou le collodion humide. Cette dernière technique consiste à imprimer une image sur une plaque de verre avec du nitrate d’argent et de l’éther. Les temps d’exposition sont longs, d’une à dix secondes. “On ne peut faire que des paysages ou des portraits très posés. Mais le résultat est très intéressant.” Ils ont également réalisé une série de travaux avec des Holga, un appareil de fabrication chinoise très rudimentaire. Animés par un idéal de photographie populaire, les membres de Camera Obscura cultivent de nombreux projets. “Chaque année, nous nous sommes fixé comme objectif de monter une exposition, de publier un livre, voire les deux.” Le collectif accueille une vingtaine de photographes professionnels ou amateurs, essentiellement basés dans le pays de Brest et reste ouvert à toutes les adhésions. Outre les expositions, les rencontres et les formations, on peut se faire une idée de la diversité des travaux de Camera Obscura sur le très élégant site www.camera-obscura.fr.
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À GAUCHE , François Prigent, agriculteur. Photo de Ronan Yver.
P AGE PRÉCÉDENTE , “Si tu sais où c’est tu peux peut-être l’indiquer”, photo d’Olivier Leroy. Les membres de Camera Obscura lors d’un stage sur la technique du collodion humide. Photographie au sténopé d’une séance de prise de vue dans un café. P AGE 36, EN HAUT , photo de Marc Letissier. E N BAS , photo de Pascal Bodin. P AGE 37, “Goémoniers de Plouguerneau”, photo de François Rommens. P AGE 38, “Fiat 500”, photo de Pascal Bodin. P AGE 39, tiré du livre “Brest avec Holga”. Photo Jean-Louis Potier.
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(1) Il s’agit d’un trou minuscule, percé dans du métal mince et fixé à la place de l’objectif de l’appareil. Il procure des images un peu floues. (2) Image négative sur un papier préparé à la main, impressionné avec une chambre grand format.
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L’interceltisme contemporain E r wa n C h a r t i e r- L e F l o c h
À l’occasion des quarante ans du festival interceltique de Lorient, ArMen s’associe à un colloque international qui se tiendra les 11 et 12 octobre sur le thème de l’interceltisme. Né au xixe siècle, ce concept, parfois difficile à cerner, a revêtu différentes formes et a profondément marqué la vie intellectuelle et culturelle de la Bretagne.
d’une harmonie multiséculaire.
À l’Eisteddfod de Cardiff, en 1899, pour la première fois, des délégations des mouvements culturels et politiques des différents pays celtiques se rencontrent et décident de lancer une nouvelle organisation panceltique. À droite, de dos, on reconnaît Taldir Jaffrennou en costume breton.
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interceltisme donne son nom à l’une des plus importantes manifestations culturelles d’Europe, le festival de Lorient, mais aucun dictionnaire de langue française n’en donne de définition précise. Il est vrai que ce concept, vieux de près de deux siècles, a revêtu des aspects très divers et s’est incarné en de multiples formes dans les domaines intellectuel, artistique ou politique. L’interceltisme est une pièce qui s’est jouée en plusieurs actes avec pour trame le souvenir plus ou moins mythifié des civilisations celtiques de l’Antiquité et du haut
Moyen Âge. Avec une étonnante constance, les Celtes reviennent en effet régulièrement à la mode, de la littérature arthurienne médiévale aux succès contemporains de la musique celtique. Dès la fin du xviiie siècle, l’Écossais Macpherson rencontre ainsi un succès international avec les récits d’Ossian, dont Napoléon avait fait l’un de ses livres de chevet. Quelques décennies plus tard, le romantisme met à nouveau les Celtes en avant, parés de toute sorte de vertus primitives face à une société qui change rapidement et à un modernisme vécu comme la fin
Une Celtie enchantée La révolution industrielle, les idées des Lumières, la naissance des idéologies ébranlent les sociétés rurales traditionnelles qui dominaient jusqu’au début du xixe siècle. Ces phénomènes provoquent ce que le sociologue Max Weber a qualifié de “désenchantement du monde”. Ce phénomène se traduit par le recul des pratiques religieuses et particulièrement des rites populaires et “magiques”. Plusieurs auteurs bretons vont alors tenter de construire une “Celtie enchantée”, en exaltant une nostalgie pour le passé et les traditions celtiques de la péninsule. Ce mouvement tente pour cela de renouer les liens avec les “frères d’outre-Manche”. Le premier acte de l’interceltisme se tient donc durant l’été 1838, lorsqu’une délégation de Bretons traverse la Manche pour se rendre au grand festival culturel gallois, l’Eisteddfod (lire ArMen n° 125). Parmi eux, le jeune Théodore Hersart de La Villemarqué décrit “une fête de famille que donnaient aux Bretons d’Armorique leurs frères du pays de Galles”. De retour, il s’attelle à la fin de la rédaction du Barzaz Breiz, ouvrage promis à un immense succès éditorial. Plusieurs des chants de ce recueil ont d’ailleurs été “transformés” dans un sens interceltique, comme la chanson de la bataille de Saint-Cast, relatant un épisode historique de 1758. La Villemarqué
y a rajouté une fraternisation entre soldats gallois et bretons totalement imaginaire. Très influencé par ce qu’il a vu au pays de Galles en matière de défense de la langue et de promotion de la culture, La Villemarqué rêve d’être à la tête d’un mouvement similaire en Bretagne. Il lance une “confrérie bretonne”, la Breuriez Breiz qui ambitionne de devenir une académie intellectuelle égale au Gorsedd, l’assemblée des druides du pays de Galles. Elle peine cependant à recruter, même si l’on y trouve quelques personnages originaux, comme Charles de Gaulle, l’oncle du général. Dans les années 1860, ce dernier est à l’origine de plusieurs initiatives interceltiques, comme le projet d’une colonie britto-galloise en Patagonie (lire ArMen n° 137). En 1865, il publie aussi dans la Revue de Bretagne et de Vendée un Appel aux représentants actuels de la race celtique aux accents racistes, bien dans le ton d’une époque où les théories du Français Arthur de Gobineau font florès. En 1867, Saint-Brieuc accueille le premier congrès celtique international, dont les organisateurs affirment qu’il constitue le premier “Eisteddfod breton”. Une petite délégation galloise assiste et participe aux débats. Conçu pour réserver un triomphe aux idées bretonistes d’Arthur de La Borderie et panceltiques de la Breuriez Breiz, il se déroule dans la confusion, avec de violentes attaques contre La Villemarqué, accusé d’avoir inventé la majeure partie des chants et contes populaires qu’il a publiés. Ce congrès marque le début de la querelle du Barzaz Breiz appelée à durer quelques décennies encore. Avec lui se clôt le premier acte de l’interceltisme. Régionalisme et panceltisme Il faut en effet attendre une nouvelle génération d’intellectuels et de militants bretons pour que la flamme de l’interceltisme renaisse dans les dernières années du xixe siècle, parallèlement à la création des premières formations politiques régionalistes en Bretagne. En 1898 est en effet créée une Union régionaliste bretonne (URB), dont Anatole Le Braz prend la présidence pour quel-
ques mois. Au même moment, des Gallois entrent en contact avec les organisations culturelles irlandai-
ses et écossaises et, en 1899, des délégations des différents pays celtiques sont invitées à l’Eisteddfod de
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Le premier festival “interceltique” s’est tenu à Riec-sur-Belon, en 1927. EN HAUT, on aperçoit quelques-uns des menhirs de ciment et le dolmen en aggloméré. AU CENTRE, la délégation galloise. EN BAS, les sonneurs écossais.
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Cardiff. Cette réunion entérine la création d’un nouveau mouvement “panceltique”. L’époque est en effet aux “pan-nationalismes”. Reimer et Tannenberg théorisent le pangermanisme pour regrouper les différentes communautés allemandes en Europe, tandis qu’à la cour du Tzar, on encourage les différentes initiatives panslaves en Europe centrale et orientale. Le panceltisme se distingue cependant de ces “méganationalismes” qui ne cachent guère leurs objectifs impérialistes et belli-
queux. Le panceltisme ne s’appuie en effet pas sur un État (l’Irlande fait alors partie du Royaume-Uni) et aucun de ses promoteurs ne rêve d’une hypothétique fédération de pays celtiques indépendants. Le message n’est guère violent, mais bien plus culturel et historique. Il va s’incarner dans l’organisation de congrès panceltiques chapeautés par une Celtic Association dont le président est un landlord irlandais, lord Castletown et le secrétaire, un personnage original, Edmund Fournier d’Albe. Ce Britannique aux origines françaises et irlandaises est en effet un brillant scientifique, considéré entre autres comme l’un des inventeurs de la télévision. Les retrouvailles entre “frères celtes” ont lieu lors de l’Eisteddfod de 1899, à Cardiff. La délégation bretonne comprend plusieurs intellectuels et écrivains bretons. Certains sont assez circonspects sur la réalité des liens interceltiques. “Au fond, ces gens sont très anglais et ils ont raison, et ils ne sont nullement utopistes”, note Anatole Le Braz. Le chansonnier Durocher se moque ouvertement des cérémonies néodruidiques galloises au cours desquelles il est intronisé barde sous le pseudonyme de Kambronkaoc’h, contraction du nom du général d’Empire et de son célèbre mot, traduits en breton… D’autres Bretons sont réellement enthousiastes. L’écrivain François Vallée se persuade que puisque le français puise dans le latin et le grec pour forger des mots nouveaux, le breton moderne doit emprunter aux autres langues celtiques, particulièrement au gallois, pour créer des néologismes. Le plus impressionné est sans doute un jeune poète de langue bretonne, originaire de Carnoët : François Jaffrennou. Il suit avec une grande attention les cérémonies druidiques au cours desquelles il reçoit l’investiture bardique sous le nom de Taldir. De retour au pays, l’année suivante, il fait partie des fondateurs du Gorsed de Bretagne (lire ArMen n° 162), placé sous le patronage de l’archidruide du pays de Galles. Dans les années 1930, il prendra la tête de l’organisation néodruidique qui demeure aujourd’hui l’une des plus anciennes structures interceltiques.
Le Gorsed de Bretagne entretient toujours des relations suivies avec les mouvements druidiques corniques et gallois. Le panceltisme du début du xxe siècle est avant tout intellectuel. Les premiers congrès sont l’occasion de doctes débats sur l’histoire ou les traditions des pays celtiques, notamment la question du costume, récurrente en ce temps-là. On invente des cérémonies, dont celle de Lia Cineil, à Caernarvon en 1904 et Édimbourg en 1907. Un délégué de chaque pays celte dresse une pierre dans un monument circulaire. Pour autant, ce mouvement panceltique ne va pas résister aux réalités du moment, particulièrement la montée du nationalisme et de l’indépendantisme irlandais. Les dirigeants des principales organisations irlandaises, dont la puissante Gaelic League de Douglas Hyde, voient d’un mauvais œil cette Celtic Association dirigée par un landlord loyaliste et par de nombreux protestants. Le mouvement se délite dans les années 1909 et 1910, avant que la Première Guerre mondiale ne vienne mettre un terme au second acte de l’interceltisme. Parmi ses multiples concrétisations, il aura permis de créer un hymne breton. C’est en effet une traduction de l’hymne gallois par Taldir Jaffrennou, le “Bro gozh ma zadoù”, qui est adopté comme “chant national breton” par l’URB en 1903. Premières fêtes interceltiques L’interceltisme intellectuel renaît cependant après le conflit, en témoigne la reprise des sessions du congrès celtique dès le début des années 1920. Il est désormais annuel. Cornouaillais et Manxois y sont désormais pleinement admis. L’une des questions qui préoccupent les délégués est celle de la langue à employer, nombre d’Irlandais et de Gallois se refusant à employer l’anglais. Ce reproche est d’ailleurs fait aux Bretons présents à Dublin en 1925 qui s’expriment dans la langue de Shakespeare. L’écrivain Roparz Hemon propose alors d’utiliser l’espéranto, ce qui provoque une vive réaction de Louis-Napoléon Le Roux. Dans un ouvrage assez confus, la Langue des
relations interceltiques, il préconise de choisir l’une des langues celtiques existantes. C’est aussi à cette période que les premiers contacts sont pris entre Galiciens et Bretons. On ne parle plus depuis longtemps de langue celtique dans cette région ibérique, mais son identité moderne s’est construite sur une certaine mémoire celtique. On y joue également une forme de cornemuse, la gaïta. Déjà, sans réel fondement historique, la cornemuse va être associée à la celtitude moderne. Aspirant à créer eux aussi leur organisation néodruidique, des intellectuels galiciens correspondent avec des Bretons à la fin des années 1920. Durant le printemps et l’été 1929, le grand écrivain galicien Castelao se rend en Bretagne où il rencontre sans doute Taldir Jaffrennou. De ce voyage, il ramène un livre illustré et contribue à forger l’image d’une “Bretagne idéalisée” en Galice. Dans ces années-là, Taldir Jaffrennou se montre particulièrement actif en matière d’interceltisme. Il entretient une abondante correspondance outre-Manche. En 1927, il fait partie des créateurs du Consortium breton, une organisation visant à développer l’économie bretonne. C’est dans ce but qu’il met sur pied une délégation bretonne voyageant dans les îles Britanniques en juin 1927. L’un des objectifs est de “jeter les bases d’échanges commerciaux par mer, importations, exportations entre les producteurs et fabricants de la presqu’île armoricaine et leurs collègues de Galles, d’Irlande, d’Écosse ; travailler à abaisser les barrières douanières, à supprimer les passeports, à ramener le franc et le shilling à leur cours normal.” Le président du Consortium breton, le vicomte de Saisy de Kerampuil entend profiter de ce voyage pour visiter les usines électriques fonctionnant à base de tourbe en Irlande. Il envisage en effet d’importer cette technologie en Bretagne et de créer une centrale similaire dans les monts d’Arrée. En août 1927, le Consortium breton organise dans la foulée le premier “festival interceltique” en Bretagne. Il se tient à Riec-sur-Belon et connaît un grand succès populaire. Pas moins de cent cinquante délé-
gués des autres pays celtiques sont présents, dont des pipers écossais. Un étonnant monument interceltique est élevé à cette occasion. Il est constitué de cinq menhirs modernes : “ils ont la forme de troncs de cône et sont bâtis en moellons massifs, recouverts d’un crépi de ciment orné de cannelures longitudinales. Le sommet des colonnes a la forme d’une calotte ; et à l’entourage de la base sont moulées d’énormes hermines frangées du plus bel effet.” Au centre trône un dolmen “en béton et grès agglomérés”… Le festival est aussi l’occasion du premier tournoi interceltique sportif et voit s’opposer des lutteurs bretons et utte corniques. Des rencontres de lutte guentre ces deux pays seront régulièrement organisées jusqu’à nos jours. Depuis les années 1980,, un championnat d’Europe de lutte celtique se déroule d’ailleurs chaque été. Dans le domaine de l’interceltisme sportif, on peut d’ailleurs citer le tournoi interceltique de sports nautiques, créé dans les années 1990 ou l’introduction en Bretagne, depuis une dizaine d’années, d’un sport typiquement irlandais : le football gaélique. Devenu grand druide dee Bretagne dans les années 1930, 30, Taldir Jaffrennou et le Gorsed de Bretagne organisent régulièrement ent de grandes fêtes bardiques qui, tous ous
les étés, attirent un public nombreux. Ces événements ont une forte connotation interceltique, avec le défilé des délégations venues d’outre-Manche et des concerts de musiciens gallois, irlandais ou écossais. Elles préfigurent les grands rassemblements interceltiques de la période contemporaine. L’interceltisme, une idéologie Si le mouvement régionaliste de la Belle Époque, animé par des notables reprend ses activités après la Première Guerre
EN HAUT, L’héroïsme de la geste républicaine de 1916 (ici, le siège de la grande poste de Dublin) a eu des répercussions dans les autres pays celtes et particulièrement dans le mouvement breton des années 1920 et 1930. La fascination pour l’Irlande combattante a perduré jusqu’à nos jours, à travers notamment les manifestations de soutien en Bretagne lors de la guerre civile en Ulster, entre les années 1960 et 1990. EN BAS, l’interceltisme a eu des répercussions dans l’art, avec des emprunts de motifs à l’Irlande ou au pays de Galles comme ici pour ce Plat à la salamandre de James Bouillé (diamètre 32 cm, HB 1923-1925).
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mondiale, il est désormais fortement concurrencé par un nouveau mouvement breton plus radical. Celui-ci s’incarne dans la création d’un Parti autonomiste breton en 1927. Il éclate au début des années 1930 en deux grandes tendances. L’aile gauche fonde la Ligue fédéraliste de Bretagne, l’aile droite – dont certains membres sont de plus en plus séduits par l’extrême droite et le nazisme –, crée le Parti national breton (pnb). Dans une période aussi marquée que l’entre-deux-guerres, l’interceltisme devient un enjeu politique et son troisième acte sera idéologique. Un événement a en effet profondément marqué l’histoire des pays celtes : l’insurrection de Pâques 1916 en Irlande. En pleine guerre mondiale, une poignée de nationalistes irlandais s’empare de quelques bâtiments publics à Dublin. La répression britannique est féroce. La révolte est un échec militaire, Depuis les années 1920, grâce à l’action du docteur Charles Cotonnec et de la Falsab, des tournois de lutte interceltique sont régulièrement organisés.
mais un succès politique : dans les années qui suivent, les volontaires de l’ira mettent en échec la puissante armée britannique, dont les exactions font basculer l’opinion publique au Royaume-Uni. Un traité anglo-irlandais est signé en décembre 1921. Le sud de l’île est désormais un État libre, mais six comtés du nord demeurent dans le giron britannique. Cet accord provoque de graves tensions dans le camp nationaliste et une guerre civile éclate entre juin 1922 et mai 1923, gagnée par les partisans du traité qui conservent le pouvoir jusqu’en 1932. Cette année-là, Éamon de Valera gagne les élections et va peu à peu conduire le sud de l’île vers l’indépendance. La république ne sera cependant proclamée qu’en 1949. Les événements d’Irlande vont avoir une grande influence sur le mouvement breton et cet exemple celtique va servir de modèle aux plus exaltés
des militants. Ils mettent en avant la réussite de cette révolte, lancée par une poignée d’avant-gardistes dont le sacrifice a fait basculer l’opinion publique de leur pays. Une attitude qu’ils vont tenter de transposer en Bretagne, à travers notamment la création d’une organisation secrète, baptisée Gwenn-ha-Du, qui réalise quelques attentats, dont la médiatique destruction du monument d’union de la Bretagne à la France, en 1932, à Rennes. Cet engouement pour l’Irlande s’explique particulièrement par les écrits d’un Breton, Louis-Napoléon Le Roux. Créateur du premier Parti national breton, en 1911, il s’embarque en 1914 pour la Grande-Bretagne afin d’éviter la conscription. Il y rencontre une grande figure du travaillisme britannique et deux fois Premier Ministre, l’écossais Ramsay MacDonald, dont il sera l’un des traducteurs. Il se rend également fréquemment en Irlande où il développe ses contacts dans le mouvement républicain. Dans les années 1920, il commence la rédaction de la biographie des leaders de l’insurrection de 1916. En 1932, il fait paraître la Vie de Patrick Pearse en français, qui convainc une génération de militants bretons que la solution passe par la lutte armée. Après 1940, certains transposeront le slogan “English difficulties, Irish opportunities” (1) à la situation bretonne et feront le choix impardonnable de collaborer avec l’Allemagne nazie. Le rapprochement d’une partie des nationalistes bretons avec les nazis allemands avait également été préparé par de fumeuses théories sur les liens entre les races celtiques et nordiques. “Notre double devoir : cultiver en nous Bretons, l’esprit héroïque du celtisme : regardons le matin vers l’Irlande. Cultiver les vertus germaniques de continuité et de discipline : regardons le soir vers la Prusse”, peut-on lire dans la revue d’extrême-droite Stur, en avril 1937. Il faut cependant noter que l’aile gauche du mouvement breton s’est démarquée de ces théories racia(1) Durant la Première Guerre mondiale, l’Allemagne du Kaiser a livré des armes aux républicains irlandais dans l’espoir qu’une révolte affaiblisse la GrandeBretagne, ce que ces derniers ont traduit par “les difficultés de l’Angleterre sont des opportunités pour l’Irlande”.
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EN HAUT, défilé des sonneurs aux fêtes de Cornouaille, à Quimper, en 1966. Depuis un demi-siècle, la cornemuse écossaise s’est acclimatée en Bretagne, preuve de la réalité d’un certain interceltisme musical. EN BAS, la statue de Polig Monjarret, l’un des promoteurs de l’interceltisme en Bretagne après la Seconde Guerre mondiale.
les dès les années 1930. Le Parti national révolutionnaire breton, proche des communistes, montre en exemple les républicains irlandais de gauche. La Ligue fédéraliste de Bretagne n’évoque presque pas l’interceltisme, préférant promouvoir l’instauration d’un fédéralisme européen. Si un interceltisme politique s’est développé dans les années 1930, il s’agit d’une idéologie de la libération plus ou moins efficace. Les Irlandais ne fourniront aucune aide aux militants bretons. Envoyée par le pnb pour tisser des liens avec les républicains, la poétesse Meavenn,
découvre une Irlande complexe et déchirée, lors d’un séjour en 1931. Elle y nouera cependant quelques contacts, comme avec Frank Ryan, un ancien officier de l’ira qui combattra ensuite aux côtés des républicains espagnols pendants la guerre d’Espagne. Il est vrai que d’autres mouvements sont tout aussi circonspects sur la notion de solidarité interceltique. L’écrivain et fondateur du Plaid Cymru, le parti nationaliste gallois, Saunders Lewis, écrit au journal Breiz Atao, en septembre 1929 : “Nous nous lierons non comme Celtes – c’est un mot qui n’a pas pour moi beaucoup de sens – mais comme Européens. Nous tâcherons de construire une Europe qui ne sera plus un conglomérat d’États souverains, méfiants les uns des autres, mais sera encore une fois une unité spirituelle, riche de sa diversité même.” La Seconde Guerre mondiale interrompt les relations interceltiques. Même si les Bretons du mouvement Sao Breiz, engagés dans les Forces françaises libres en Grande-Bretagne, ont participé à quelques manifestations avec des
Cornouaillais, des Gallois et des Écossais. Après la Libération, certains nationalistes bretons trouveront refuge en Irlande où leur présence ne sera que tolérée par le gouvernement d’Éamon de Valera. D’autres profiteront de réseaux de soutien au pays de Galles. Une délégation de parlementaires et de personnalités galloises vient d’ailleurs enquêter sur l’épuration en Bretagne en 1947. L’interceltisme culturel Discréditée sur le plan politique par la collaboration des nationalistes bretons avec l’occupant allemand, l’idée bretonne va prendre une forme essentiellement culturelle dans l’après-guerre. L’interceltisme va jouer un rôle important dans ce revival culturel qui voit l’acclimatation réussie en Bretagne d’instruments venus d’autres pays celtiques. Créée en 1943, la Bodadeg ar sonerion (bas) va connaître un développement spectaculaire dans l’après-guerre avec la création des bagadoù, des ensembles musicaux qui sont inspirés des pipe-bands
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EN HAUT, Alan Stivell jouant de la harpe devant Marie Laforêt, le 16 novembre 1971. Alan Stivell a très largement contribué à l’émergence de la musique celtique contemporaine en Bretagne. EN BAS, autre grand succès de l’interceltisme culturel, le spectacle l’Héritage des Celtes, ici lors de la clôture du festival de Cornouaille, en 1993.
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écossais. On y joue notamment de la grande cornemuse des Highlands qui s’est aujourd’hui largement installée dans le paysage breton. Dans ces années-là, un autre instrument fait son apparition : la harpe celtique, popularisée dans les années 1970 par Alan Stivell qui invente la pop celtique (lire ArMen n° 177). À partir des années 1970, la musique dite celtique connaît un fort engouement en Bretagne comme
ailleurs. Il est alimenté par la création de grandes manifestations culturelles où se produisent des artistes venus de tous les pays celtes. Le festival de Lorient en est la meilleure illustration. En quarante ans, il aura contribué à faire connaître à un très large public les musiques des pays celtiques et à donner une réalité concrète à l’interceltisme. Le sommet de cet interceltisme musical a sans doute été atteint lors du phénoménal succès de l’Héritage des Celtes dans les années 1990. Créé en 1994 par Jakez Bernard et interprété par Dan ar Braz pour le festival de Cornouaille, ce spectacle a ensuite donné lieu à de nombreuses tournées et concerts, y compris à l’étranger. Les albums éponymes ont été vendus à des centaines de milliers d’exemplaires. Cet interceltisme culturel de la seconde moitié du xxe siècle a également été entretenu par des écrivains et des intellectuels. Morvan Lebesque ou Xavier Grall ont écrit sur ce sujet, tandis que Youenn Gwernig a livré le récit d’une homérique aventure interceltique dans son roman, la Grande tribu. L’interceltisme s’est aussi traduit dans le développement des études celtiques en Bretagne, tant à Rennes au département de breton et celtique ou au centre d’études irlandaises qu’à Brest avec la création d’un Centre de recherche bretonne et celtique. Dans la presse bretonne également, et particulièrement dans la revue ArMen, les articles se sont multipliés sur les “voisins celtes”, contribuant à l’émergence, certes timide, d’une conscience commune, du moins en Bretagne. Le développement d’un interceltisme culturel, déjà présent auparavant dans des courants artistiques comme les Seiz Breur ou plus récemment Spered Kelt, a permis une extraordinaire ouverture internationale pour la culture bretonne. Même si de nombreux artistes bretons se plaignent du manque de reconnaissance qu’ils rencontrent dans les autres pays celtes, l’interceltisme a permis l’émergence de nouvelles pratiques artistiques qui se sont peu à peu acclimatées dans la péninsule. Convivial, festif et populaire, ce mouvement culturel constitue le quatrième acte de l’interceltisme.
Le succès de l’interceltisme culturel n’a pas signifié la disparition des autres formes d’interceltisme. Ainsi, un congrès celtique international continue de se tenir chaque année, même s’il peine à rajeunir son auditoire. Dans le domaine politique, l’interceltisme a aussi continué à fonctionner comme un laboratoire d’idées. Pour certains militants radicaux, le mouvement républicain irlandais est demeuré un modèle, même si les liens entre formations bretonnes et irlandaises n’ont jamais eu de grande réalité. Depuis les années 1990, c’est plutôt l’exemple des dévolutions galloise et écossaise qui a d’ailleurs été mis en avant, tant par des mouvements politiques régionalistes ou indépendantistes que par des élus bretons issus de partis de formations classiques. La création d’assemblées et d’exécutifs dotés de pouvoirs étendus à Cardiff et Édimbourg est régulièrement citée en exemple. Dans les années 1960, des nationalistes bretons, gallois et irlandais ont par ailleurs lancé la Ligue celtique. Elle continue ses activités et elle a élargi son discours à différentes questions touchant les droits de l’homme. L’interceltisme institutionnel Les dernières décennies ont vu l’émergence d’une nouvelle forme d’interceltisme entre les institutions et les collectivités régionales. En effet, dans la seconde moitié du xxe siècle, les pays celtiques sont marqués par deux phénomènes : une décentralisation accrue des États et l’accélération de la construction européenne. À la fin des années 1970, avec la fin du franquisme, la Galice s’est vue octroyer une large autonomie, tandis qu’en 1982, les lois de décentralisation ont permis la création d’un conseil régional de Bretagne sur seulement quatre départements, élu pour la première fois en 1986. En 1999, Écossais et Gallois ont élu leurs premiers Parlement et Assemblée nationale. L’émergence de ces institutions permet désormais d’envisager de nouvelles relations. En 2004, un accord de coopération a ainsi été signé entre la Bretagne et le pays de Galles. Mais ces échanges demeurent hypo-
thétiques pour la Bretagne, dont le conseil régional ne dispose que de faibles moyens en comparaison des autres assemblées régionales en Grande-Bretagne et en Espagne. La disparité de moyens s’illustre par exemple dans la situation de l’audiovisuel dans chacun des pays celtiques. Régulièrement, lors du festival des télévisions de pays celtiques, les Bretons constatent la triste situation qui est la leur dans ce domaine (lire ArMen n° 170). Plus efficace, la coopération entre communes s’est également développée comme le démontre le succès des jumelages entre la Bretagne d’une part, la Cornouailles, l’Irlande, la Galice et le pays de Galles (lire ArMen n° 134 et 175). La construction européenne a également favorisé les relations interceltiques en encourageant les coopérations interrégionales. Avec la mise en place de structures comme la Conférence des régions périphériques maritimes d’Europe, la commission Arc atlantique, la Conférence des villes de l’Arc atlantique ou l’arc Manche, la Bretagne et ses collectivités ont retrouvé d’autres régions celtiques. Si le volet institutionnel constitue le cinquième acte de l’interceltisme contemporain, il est loin d’être clos et pourrait être amené à se développer. À condition néanmoins que la Bretagne ait réellement la capacité et la volonté de promouvoir une politique extérieure. Des institutions regroupant d’autres peuples pourraient servir d’exemple au développement d’une nouvelle organisation interceltique, comme le congrès mondial berbère ou le conseil des pays nordiques. Autre conséquence de la construction européenne, les pays celtiques sont beaucoup plus accessibles aux Bretons. Les délégués bretons des premiers échanges interceltiques au xixe et au xxe siècle seraient sans doute étonnés de la facilité de voyager dans l’archipel celtique aujourd’hui. Les formalités administratives sont désormais réduites et l’Irlande et la Bretagne partagent une monnaie commune, l’euro. La création de la Brittany Ferries permet de se rendre facilement avec un véhicule dans les îles Britanniques, tandis que le développement des compagnies aériennes low cost a
permis de multiplier les échanges. Paradoxalement, les pays celtiques n’ont-ils pas considérablement perdu en attrait et en exotisme ? La question mérite d’être posée dans un monde de plus en plus ouvert où des destinations lointaines et ensoleillées sont désormais bien moins chères qu’un séjour en Irlande ou en Écosse. L’homogénéisation des modes de vie et la mondialisation semblent ainsi menacer les identités régionales. Un certain nivellement rend sans doute moins attrayant le voyage dans des pays où la culture anglo-saxonne est prédominante. Même si les identités des différents pays celtiques ont évolué et se sont adaptées à des modes de vie urbains et planétaires, dans quelle mesure conserveront-elles leur originalité dans quelques décennies ? Le déclin de la pratique sociale des langues celtiques constitue en ce sens une évolution inquiétante. Néanmoins, la mondialisation peut aussi avoir un impact positif sur l’interceltisme. Elle a permis un développement sans précédent d’échanges de personnes et d’informations. Peutêtre verra-t-on se développer un “cyberinterceltisme” dans l’avenir ? Grâce à l’interceltisme, la Bretagne a conservé une visibilité internationale que ne possèdent pas la plupart des régions françaises. Une reconnaissance qui n’a cependant guère débouché sur une concrétisation économique. Sur ce point d’ailleurs, on ne peut que s’étonner du manque de réflexion ou de recherche prospective sur ce qu’un interceltisme économique pourrait apporter à la Bretagne. Riche de près d’un siècle et demi d’expériences diverses, l’interceltisme éclaire d’une manière singulière l’histoire récente de la Bretagne au niveau intellectuel, politique ou culturel. Il a été à l’origine de diverses initiatives et organisations dont certaines sont aujourd’hui centenaires. S’incarnant dans de grandes manifestations culturelles comme le festival de Lorient, l’interceltisme constitue désormais l’une des facettes reconnues de l’identité bretonne moderne. Loin d’être synonyme d’un retour nostalgique vers le passé, il apparaît à bien des égards comme une formidable opportunité d’ouverture à l’international à
condition de rester un laboratoire d’idées et de favoriser de nouveaux projets ambitieux qui ne deman■ dent qu’à germer.
EN HAUT ET AU MILIEU, deux drapeaux interceltiques. EN BAS, la bruyère a été choisie comme fleur de l’interceltisme, au congrès panceltique de 1904.
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Paul Bloas, la ville dans la peau
G é ra r d A l l e
Paul Bloas ne peint pas pour entrer au musée ou pour amuser la galerie. De Brest à Beyrouth, il peint sur la rue, sur la ville dont il recouvre les murs comme d’une seconde peau. Il peint des colosses opprimés aux visages énigmatiques, porté par une musique intérieure qui s’apparente à un riff de guitare électrique.
Brest, port de commerce, 1986 : Paul, Émile, Victor sont dans un bateau, en collaboration avec le dessinateur de BD, Hervé Baru.
P
aul Bloas est né à Brest en 1961, cadet d’une famille dont le père travaille à l’arsenal. Il n’a que deux ans lorsque sa famille débarque à Diego-Suarez, à la pointe nord de Madagascar, où l’arsenal de Brest dispose d’une filiale. Les Bloas reviendront sept ans plus tard, pour habiter la maison qu’ils ont fait construire dans le quartier de Lambézellec. Paul est scolarisé dans le privé, à la Croix Rouge, où il avoue ne pas faire d’étincelles. Il obtiendra pourtant un bep d’électromécanique, et ce sont sans doute ces études techniques
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qui produiront le premier déclic. “J’avais un bon prof de dessin, qui s’appelait Jean Quéméneur, comme dans la chanson. Il m’a intelligemment ouvert la voie vers les beauxarts. Ma mère, déjà, nous invitait sans cesse à exciter notre curiosité. Par la lecture, d’abord. Et puis, elle nous disait : “Ne restez pas à vous encroûter. Allez voir ailleurs !” Le fait d’avoir un père très bricoleur a dû jouer, aussi, même s’il a été très déçu de voir, comme il disait, “un fils de prolo faire les beaux-arts”. Il n’empêche que dans cette école, on apprenait à toucher à tout. Avant,
j’avais juste fait un peu de peinture et de photo, chez les curés. J’avais aussi peint des super-héros, pour décorer le fond de la classe.” Très vite, le jeune Paul est confronté à la question du sens. Une de ses enseignantes provoque volontiers ses élèves : “Si vous êtes là, c’est que vous avez quelque chose à dire, sinon, ce n’est pas la peine !” Une phrase qui laisse pantois les étudiants d’alors. Ses parents ne pouvant lui payer ses études artistiques, Paul doit travailler comme surveillant, à Châteauneuf-du-Faou, puis au lycée de Kerichen, et il en garde un
excellent souvenir. Cette activité lui laisse suffisamment de temps libre pour lui permettre, dans les années 1980, de faire apparaître ici et là, à Brest, ses premiers “bonshommes” qui, sitôt tombés, sont remplacés par d’énigmatiques silhouettes aux contours blancs. Un premier bonhomme Pendant les vacances d’été, Paul part pour de grandes virées en autostop ; l’occasion de nombreuses aventures et de rencontres qui forgent son caractère : teigneux au premier abord, mais aussi très attentif aux gens, aux lieux, aux paysages. “Et en rentrant, j’avais forcément beaucoup de choses à dire.” En quatrième année, les étudiants sont invités à se lancer dans des travaux d’extérieur. “Histoire de justifier les subventions allouées à l’école”, affirme le peintre. Paul Bloas crée une poupée géante affublée du prénom d’Albert. “Je l’ai trimballé partout ! Albert a fini sa vie dans les eaux du Moulin Blanc, une plage de Brest. Il disparaissait sous l’eau et apparaissait à un autre endroit, c’était étrange. Un gamin a cru voir un noyé ; les pompiers sont venus, et Albert est parti dans une benne.” Ce personnage fictif, mais presque réel, annonce l’œuvre future de Paul Bloas, marquée à la fois par la traque de l’âme humaine et un goût de la démesure. Le deuxième travail fondateur consistera, toujours à Brest, à relever le défi que constitue l’habillage de l’un des gigantesques piliers du pont de l’Harteloire. “Les voitures vont vite, il fallait être visible, et je voulais que cela ait du sens.” C’est ainsi que naît son premier grand bonhomme. Il mesure cinq mètres. Il est massif, peint en noir et blanc sur du papier journal. “Je passais tous les jours sous le pont. Mon idée était de montrer au grand jour un de ces clochards qui vivent en dessous. La ville était plutôt morose. C’était à l’époque de la municipalité Berthelot. Il ne se passait pas grand-chose, à Brest, où le pac (le palais des arts et de la culture qui a précédé le Quartz) venait de brûler. La présence de ce personnage a surpris les Brestois, les a secoués. Les institutionnels ont découvert qu’une intervention artistique affirmant l’identité de
leur ville ne coûtait pas forcément une fortune.” En tant qu’objecteur de conscience, Paul est permanent du Claj (Club loisir action jeunesse). Et c’est dans ce cadre qu’il se rend pour la pre-
mière fois à Berlin qui deviendra sa ville fétiche. En voyage, il rencontre deux étudiants des beaux-arts de Rennes qui lui donnent envie de se concentrer sur le dessin. “Ils dessinaient beaucoup mieux que
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À GAUCHE, Bilbao, 1992, les Nuques de plomb, œuvre collée à l’intérieur d’une usine sidérurgique encore en activité. À DROITE, Berlin, 1991, la Réussite de Boris, dans le cadre de l’exposition No man’s land. PAGE PRÉCÉDENTE, EN HAUT, À GAUCHE, Brest, pont de l’Harteloire, 1984 : le premier “bonhomme” géant peint par Paul Bloas. À DROITE, Brest, cale de radoub, 1988 : le Manteau de papier. EN BAS, Paul Bloas au travail dans son atelier brestois.
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nous, qui avions des profs plutôt axés sur l’art conceptuel. Lorsque nous montrions nos travaux de dessin à Nicolas Frédorenko, notre prof de peinture, il nous disait : “C’est de la merde !” Mais nous étions attirés par ce mouvement initié par la nouvelle figuration qui dépassait complètement nos professeurs.” Après avoir obtenu son diplôme, Paul réalise en 1986 une opération baptisée Bertheaume sweet home, sur le fort de Bertheaume, à Plougonvelin, en rade de Brest, puis il obtient une bourse pour se rendre à Berlin, en 1987, à l’occasion du sept cent cinquantième anniversaire de la ville, où il présente un travail intitulé Un pied dans le sable. Son talent y est vite repéré. Il y reste un an, le temps d’une première exposition, au Centre culturel français. “Après, j’ai essayé de revenir à Brest, mais en tant que plasticien, ce n’était pas possible d’y vivre de son boulot.” Alors, Paul repart à Paris. À la suite d’une exposition et grâce au soutien d’Ernest PignonErnest – autre spécialiste des grands formats –, il obtient un début de reconnaissance. On lui propose un atelier et un logement, gratuitement. “Mais c’était dans le seizième arrondissement et ça ne me tentait pas : il n’y avait pas d’épicerie arabe ouverte après vingt-deux heures.”
Nouveau départ, pour Nantes, cette fois, où Paul Bloas restera trois ans. Puis pour Tulle, où il crée Ainsi soit Tulle, une digression sur le dieu Pan et la Vierge Marie, où la solitude et la souffrance de l’individu sont cette fois moins prégnantes. Brest, Beyrouth, Barcelone… Paul Bloas ne quitte jamais tout à fait Brest, par la pensée, du moins. Le Quartz l’accueille pour une première exposition, puis il travaille sur l’ancienne prison de Pontaniou, en 1990-1991, dans une situation d’isolement volontaire. Ses personnages, collés sur les murs de l’établissement qui vient de fermer, font sensation. “J’ai un pote qui a fait quelques séjours là-dedans. J’ai beaucoup pensé à lui.” Les fresques de Bloas, désormais colorées, mais présentant des personnages souvent dépourvus de visage, jaillissent dans des lieux inattendus et délaissés du port de commerce, du quartier de Recouvrance ou sur la cale de radoub, où l’humidité les dégrade petit à petit, lente digestion opérée par les murs et la ville elle-même. Le Manteau de papier, un documentaire réalisé sur son travail par Olivier Bourbeillon, introduit dans son œuvre la notion de scénario, l’envie de raconter une histoire.
Il expose à la Foire internationale d’art contemporain de Paris (Fiac), et des galeries montrent ses travaux préparatoires. On l’invite à Belgrade, à Budapest pour habiller les bains turcs, et à Berlin, encore, ville bombardée et reconstruite, où l’on recherche en vain les traces du passé enfoui, où errent des fantômes, comme à Brest, comme à Beyrouth. La rencontre avec les Tziganes a fourni au peintre un fil conducteur pour ces trois opérations, caractérisées par un univers assez glauque. Ses lectures stimulent toujours son imaginaire, comme l’a inspiré le Journal du voleur, de Jean Genêt, lorsqu’il travaillait à la prison de Pontaniou. Ses interventions sont toujours précédées par des repérages. “Dans ces momentslà, explique-t-il, je me fais le plus transparent possible. Je n’existe pas vraiment ; j’absorbe ce qui se passe autour de moi, et je libère tout ça ensuite, dans ma peinture. Je ne pourrais pas travailler directement en atelier, en me nourrissant uniquement de mes lectures. J’ai besoin d’aller sur le terrain, de rencontrer les lieux et les gens. Sur place, je dessine, je prends des photos. Après je ramène ça en atelier et je vois les dominantes de couleurs. Une ambiance générale en ressort que je confronte avec les supports,
les murs préalablement sélectionnés pour recevoir les peintures.” Paul Bloas intervient dans des lieux qui ont un passé, souvent délabrés. Il se présente plus en tatoueur, tributaire d’une peau déjà existante – celle de la ville – que comme un artiste qui voudrait imposer sa vision des choses sur un support propre et net ou une architecture récente. En 1993, Paul Bloas revient définitivement à Brest. “Je vivais ma passion dans mon atelier. Je m’en foutais de manger des nouilles tous les jours.” Il commence à produire beaucoup et inscrit ses grands bonshommes dans les villes en B, comme un clin d’œil à Bloas et à Brest : Bilbao, au moment de la fermeture des usines sidérurgiques, Beyrouth, Buenos-Aires, Bordeaux, Barcelone… Ses personnages démesurés apparaissent d’autant plus fragilisés par la privation de liberté, de travail, ou d’amour. À Beyrouth, par exemple, en 1994, sa peinture géante marque les esprits, après des années de guerre civile. Il y rencontre les enfants de déplacés, cherche une lueur d’espoir. Fady Stephan, qui a remarqué la délicatesse de l’œuvre, devine la volonté du peintre : respirer l’âme de la ville. Il écrit dans le quotidien l’Orient-le Jour : “Cet attouchement non agressif libère en conséquence, c’est l’âme de
nos morts – qui doit exister quelque part – et émue, revient, descend, reprend le tramway. Non, rien n’a changé, tout est éternel face à ce seul éphémère que j’ai compris maintenant, maintenant seulement grâce à Bloas : la domination, l’arrogance. Main basse sur ma ville. Main basse sur quelques millions d’âmes !” Après Beyrouth, il y a un passage
par la Butte aux Cailles, à Paris, où Paul travaille pour le cinéma et fréquente ce quartier emblématique de la Commune de Paris. Retour à Madagascar Mais Paul Bloas ne saurait se satisfaire de ce début de reconnaissance. “J’enquillais les projets les uns après les autres, mais j’avais envie d’autre chose.” En 1998, il s’embarque vers Madagascar, la terre de son enfance, avec des idées de peinture, de cinéma et d’édition. De sa rencontre avec Bertrand Cantat, peu de temps auparavant, est née une solide amitié. Son groupe, Noir Désir, composera la musique du film Mada, debout de terre et d’eau. Déjà, les textes du chanteur étaient très présents lors d’un travail sur la Bastide, un quartier populaire délaissé de Bordeaux. Un livre au titre éponyme viendra conclure un travail envoûtant dans les ruines de l’ancien cantonnement de la Légion étrangère, près de DiegoSuarez. Une aventure marquée par la rencontre de quelques fantômes, le légionnaire en filigrane, sorte d’archétype de l’homme banni, le retour des émotions d’enfance, des odeurs, des couleurs, les voleurs de bétail qui rôdent, et la peur, parfois. Paul Bloas montre un intérêt cer-
À GAUCHE, collage à Beyrouth en 1994. EN BAS, Paris, 2009, étude préparatoire à un collage dans le cadre de la manifestation des Habits noirs, organisée par un collectif d’auteurs de polars. À DROITE, rade de Brest, phare du Minou, 2010.
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Toulouse, Théâtre national, saison 2001-2002.
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tain pour ceux qui vivent dans la rue et pour ceux qui travaillent la matière de la rue. Il participe en 2007 à une rencontre sur la précarité, à Valenciennes, dans le Nord, en compagnie de l’écrivain Jean-Bernard Pouy. Le peintre aime se coltiner la ville, la trouve inquiétante, s’interroge sur la façon de gérer l’espace urbain, lors de parcours en tramway, plastiquement, mais aussi socialement. “Je crois que dans toutes les villes, les gens, surtout les jeunes, ont besoin de trouver des poumons, des havres de liberté où la loi ne rentre pas. À Valenciennes, j’ai trouvé des repères. J’ai posé des ombres, pas des zombies.” Des personnages, en noir et blanc, tout en intériorité et en tension. Eux aussi, comme toutes ses œuvres collées dans les cités, vieilliront au gré des intempéries, ou s’effaceront, lacérées par les hommes. Mais dans tous les cas, elles épouseront le lieu sans jamais l’agresser, comme le professe le peintre : “Mon propos n’est pas de phagocyter le regard par une tache brutale qui se détache d’un ensemble, mais au contraire de l’amener à percevoir autrement un lieu.” Le collage est une opération assez “rock’n roll”, lorsqu’il s’agit d’imposer sa présence, donc de recouvrir d’autres affiches, tags ou travaux,
en attendant d’être recouvert à son tour. C’est la loi du genre pour les peintres de l’éphémère qui essaient d’exister, dans la jungle des villes. En juin 2010, Paul était à Lisbonne, pour un collage “sauvage” qui en dit assez sur le type d’intervention qu’il apprécie. Une amie lui avait dit : “À chaque fois que je passe de l’autre côté du Tage, je pense à tes personnages”. Et Paul n’a pas été déçu, avec en prime un très bel accueil de la population. Un art qui engage le corps En atelier, la technique de Paul Bloas évolue, s’affirme. “Plus que jamais, j’ai besoin de peindre très rapidement. En hiver, c’est plus difficile, le séchage est plus long. J’implique beaucoup la gestuelle. Cinq ans d’aïkido m’ont beaucoup apporté, dans le geste, la circulation de l’énergie. Quand on peint des petits formats, c’est le poignet qui travaille. Là, c’est tout le corps. J’ai besoin de bouger. Je ne supporte pas de rester planté. J’ai eu un accident, une rupture du tendon d’Achille et c’était terrible : je n’arrivais plus à peindre. Avant, je peignais au sol. Maintenant, j’ai besoin de la verticalité, tout de suite. Au départ, c’est une image, qui s’impose, à partir d’une tache ou d’un trait.
J’utilise un miroir, pour prendre de la distance, poser un autre regard.” Personnages blessés, brassés par la vie, et toujours atteints dans leur corps. “Le visage du personnage est un trompe-couillon. Il peut capter toute l’attention, et en même temps, le regard du personnage, c’est le regard du peintre. Moi, quand je peins un œil, je suis dans l’attitude générale du personnage, exactement comme dans l’exercice d’un art martial, quand on doit prendre en compte le corps du partenaire dans sa totalité.” Au mur de son grand atelier, Paul monte sur son escabeau et brosse la peinture noire avec des gestes amples. Sans ménagement. Sans hésitation. Avec force et vivacité. “C’est le dernier que je suis en train de peindre. J’ai encore un problème avec la position des mains.” Mais déjà, les accidents provoqués par la brosse semblent induire un mouvement. Le personnage change de nature, d’intention. “Il ne faut pas craindre le mauvais geste, mais se laisser aller. À un moment, tu te dis : “Ça y est, j’ai trouvé.” Je suis marqué par tout ce qui a pu sublimer l’expression du corps : l’expressionnisme allemand, ou la Renaissance italienne, par exemple. Mes personnages ne sont pas tout à fait réels. Leur tête est petite, leur corps démesuré, un peu comme s’ils étaient vus d’en bas, par un chien. Ils vivent. Ils sont comme nous : altérés par le temps, ils se lézardent, se déchirent, puis disparaissent. Je cherche à épurer la forme, à faire dialoguer les personnages. Quand je les colle quelque part, ils donnent de la signification au lieu. Maintenant, je pars dans quelque chose d’un peu différent : j’ai une thématique en tête, avec un scénario, comme une sorte de road movie, et je cherche des lieux qui correspondent à mes personnages, avec des répétitions de formes pour passer d’un lieu à l’autre, et l’utilisation de la photo et du cinéma. Je continue ce travail sur les grands personnages, parce que je ne suis jamais satisfait. Je ne suis pas encore allé au bout de ça. Je suis toujours à la recherche de la transcription de l’émotion première. Je pense aux Nymphéas de Monet. C’est comme une partition. Quand il peint ça, il n’est plus dans la réflexion.”
La musique est partie prenante de l’univers de Paul Bloas. Au travail, il écoute du classique, du jazz, ou Tom Waits. Pour terminer un boulot, ce sera plutôt Anthony et les Johnson ou Noir Désir. Ses influences ? Paul Bloas indique avoir été marqué par Otto Dix et Georges Grosz, leur critique de la république de Weimar, Kokoschka, Munch. Il apprécie Bosch, Baselitz, Buren, Barcèlo (tiens ! encore des noms en “B”), Cy Trombly, ou même Opalka, qui ne dessine que
des chiffres… Il regarde toujours le monde à partir de Brest, bien sûr. Même s’il aimerait bien partager son temps entre la cité du Ponant et Diego-Suarez, cet endroit où vibrent toujours l’air et les couleurs de l’enfance… En attendant, au festival d’Aurillac, au mois d’août, il peignait en direct, avec son complice Serge, de Noir Désir, à la guitare, opérant une boucle de plus, instaurant un dialogue entre ses personnages et la musique, leur ouvrant d’innombrables chemins
vers de nouveaux destins.
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Films et vidéos : 1986 Bertheaume sweet home Objectif Bertheaume, J.A. Kerdraon et P. Bloas ; Paul, Émile, Victor sont dans un bateau (7’), J.A. Kerdraon ; 1988 Le Manteau de papier (26’), O. Bourbeillon, Lazennec production/FR3 ; 2001 In situ (26’), J.A. Kerdraon, Alligal Production ; 2003 Mada ; debout, de terre et d’eau (52’), P. Bloas, Lamoot, Morgane Production ; Prix de la création au Festival international du film d’art de Montréal 2005 ; 2008 Zones d’ombres, de Sylvain Bouttet (26’). Publications et catalogues : 1988 Berlin ; 1989 Brest ; 1990 Tulle ; 1992 Bilbao ; 1993 La Réussite de Boris, éditions Dialogues ; 1997/2000 Visuels pour Noir Désir et Serge Teyssot-Gay d’après G. Hyvernaud ; 2002 Brest de Mac Orlan, éditions Dialogues ; 2003 Mada, éditions Alternatives ; 2008 Ma vie s’appelle peut-être, Bloas Pouy, Valenciennes 2007 ; 2008 Penmarc’h ; 2010 Guidel.
EN HAUT, le Prédicateur, plage de Ramena, sur l’île de Madagascar, ancien camp de la Légion étrangère et ancien crématoire, 2001. AU MILIEU ET EN BAS, les Yeux de l’enfer, et le Salaire de la peur, Diego Suarez, Madagascar, 2001.
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A suivre Océanopolis, la mer en profondeur Erwan Chartier-Le Floch Premier équipement touristique breton et formidable centre d’éducation scientifique, Océanopolis entame avec sérénité sa troisième décennie de fonctionnement et ne manque pas de projets pour pimenter l’avenir. Depuis vingt ans, Océanopolis est l’équipement touristique le plus visité de Bretagne. Plus qu’un simple aquarium ou musée, Océanopolis est un formidable outil de vulgarisation scientifique.
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e concept d’un centre de culture scientifique dédié à l’océanologie à la pointe Bretagne est né au début des années 1980, dans le milieu des scientifiques et des défenseurs de l’environnement (lire ArMen n° 71). Plusieurs des créateurs d’Océanopolis sont ainsi issus de la Société pour l’étude et la protection de la nature en Bretagne (sepnb). La région vient alors d’être touchée par une série de marées noires, en premier lieu desquelles celle de l’Amoco Cadiz, qui a précipité l’émergence d’une conscience écologique bretonne et favorisé la prise en compte de la richesse des écosystèmes marins. “La phase d’élaboration qui a pris une dizaine d’années a été la plus excitante, se souvient Éric Hussenot, le directeur d’Océanopolis. Nous avions envie de raconter quelque chose, de montrer le travail des scientifiques pour former les gens aux enjeux environnementaux.” Avec Jean-Paul Alayse, concepteur des aquariums, ce scientifique, chercheur au cnrs, spécialiste des mammifères marins, se retrouve alors à la tête d’un projet qui prend de plus en plus d’ampleur. “Il a fallu échanger entre personnes venant de milieux très divers : associatif, politique, universitaire et aussi économique. L’objectif était en effet de faire de la vulgarisation scientifique tout en ayant une gestion bien comprise.” De maison de la mer, le projet s’oriente rapidement vers un concept beaucoup plus ambitieux de “musée-aquarium”. Dans une ville détruite pendant la Seconde Guerre mondiale et peu touristique, l’architecte Jacques Rougerie imagine alors un vaste bâtiment pyramidal en forme de crabe. La gestion est confiée à une société d’économie mixte, dirigée par Jacques Sevellec, qui s’occupe d’autres équipements de l’agglomération brestoise. Le pari est risqué mais réussi. Dès l’ouverture en 1990, Océanopolis
accueille cinq cent mille visiteurs, ce qui en fait le premier équipement touristique breton, en termes de fréquentation. Une place qu’il n’a jamais cédée en vingt ans, accueillant huit millions de visiteurs entre 1990 et 2010. En 2000, Océanopolis a inauguré deux nouveaux pavillons consacrés respectivement au monde polaire et aux mers tropicales. Le succès est encore au rendez-vous, parfois trop. “Il manque des équipements équivalents en Bretagne, indique Éric Hussenot. Lorsque l’été est pluvieux, nous avons des pics de fréquentation et nous sommes à la limite de nos capacités d’accueil. Pour franchir un palier et passer dans la catégorie des grands équipements d’un million de visiteurs, il faudrait toute une logistique extérieure (hôtellerie, accès routiers, restauration…) qui n’existe pas à Brest.” De nouveaux projets Océanopolis propose aussi des expositions prestigieuses chaque année. Celle de cet été est consacrée à la biodiversité. Les projets ne manquent pas. Un bâtiment pérenne est à l’étude pour les expositions, ainsi que pour les activités de congrès et de séminaires. En 20122013, des bassins seront aménagés pour accueillir des loutres d’Europe et du Pacifique. À plus long terme, les dirigeants d’Océanopolis imaginent également un nouvel équipement majeur, peut-être un espace consacré aux grands fonds ou une immense colonne océane. Rien n’a encore été décidé, mais Océanopolis est obligé d’innover pour convaincre le public de continuer à fréquenter les rives du Ponant et poursuivre cette belle aventure culturelle et scientifique qui montre que les utopies les plus folles peuvent se concrétiser en projets durables et structurants pour le territoire. ■
Au début des années 2000, le couchsurfing a fait son apparition sur Internet. Être hébergé gracieusement ou prêter son canapé à un voyageur est un concept adopté par deux millions d’internautes à travers le monde. Les Bretons ne sont pas en reste, avec des communautés de “couchsurfeurs” de plus en plus actives.
EN HAUT, soirée autour de la crêpe chez une couchsurfeuse d’Auray qui recevait début août un couple de couchsurfeurs espagnols. À GAUCHE, le logo de couchsurfing de Bretagne.
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Couchsurfing : je dors en Bretagne ce soir Sarah Thierry
“J’
arrive du Brésil et je cherche un canapé pour cette nuit. Y a-t-il un hôte disponible sur Rennes ? Eduardo”. C’est le type de message que l’on peut trouver sur un forum du site www.couchsurfing. org. L’idée a germé, en 1999, dans la tête d’un jeune informaticien américain en voyage en Islande qui s’est fait héberger chez des autochtones, plutôt que d’aller à l’hôtel. Suite à cela, il a lancé, en 2004, un site pour permettre aux voyageurs et aux hôtes disponibles d’entrer en contact, par le biais de mails, de forums et de fiches “profils”. Aujourd’hui, son site rassemble plus de cent soixante mille personnes en France, ce qui place le pays au troisième rang mondial, juste derrière l’Allemagne et les États-Unis.
ments de musique d’ici, je ne savais pas que la danse et la musique bretonne avaient autant d’importance chez les jeunes. Beaucoup de choses m’ont permis de saisir le fort sentiment d’appartenance des gens d’ici”. Il arrive aussi que certains couchsurfeurs étrangers viennent avec une idée précise : “L’Italien que j’ai accueilli en savait plus que moi sur la musique bretonne ! Il était venu spécialement pour le festival de Cornouaille !”, s’étonne Alice, une couchsurfeuse quimpéroise. Les hôtes sont généralement désireux de faire découvrir les lieux qui leur sont chers et la culture locale. Comme Gwenaëlle, une couchsurfeuse lannionnaise, qui a initié son hôte, Jason, au bilig. Ce cycliste australien était venu avec une seule idée en tête… découvrir Trébeurden !
Une Bretagne qui surprend Les couchsurfeurs qui font escale en Bretagne font généralement route vers d’autres horizons. Ils optent pour une ville bretonne stratégiquement située sur leur parcours. Bien souvent il s’agit de Rennes, qui compte près de deux mille couchsurfeurs inscrits. Certains voyageurs connaissent peu la région et adaptent leur séjour au gré des rencontres. Par exemple, Filip, un Suédois, a suivi les instructions de son guide de voyage qui lui indiquait de passer par Brest, afin de visiter Ouessant et Molène. Un voyageur allemand lui a ensuite conseillé de visiter “la jolie ville de Quimper”. D’autres ont entendu parler de la Bretagne dans leur pays. “Au Québec, la Bretagne figure parmi les régions de France les plus connues”, estime Julie, une étudiante québécoise. Pour Julia, une voyageuse russe, ce sont ses cours de breton dans une association à Moscou, qui l’ont poussée à venir découvrir la Bretagne. Bien que la langue officielle du couchsurfing soit l’anglais, le concept favorise la communication dans diverses langues. Chacun peut mentionner sa langue maternelle et celles qu’il apprend, ainsi que son niveau, dans la partie “langues parlées” sur sa fiche profile. En France, cent quatre-vingt-deux personnes ont mentionné le breton. “J’ai été étonnée par l’existence de plusieurs radios en langues bretonnes, se souvient la jeune québécoise. Si je connaissais vaguement les instru-
Les réseaux bretons du couchsurfing Afin de lier les membres d’une même région, des communautés de couchsurfeurs ont fait leur apparition. Des groupes locaux, comme “cs Bretagne”, “cs Vannes” ou “cs Saint-Malo” organisent régulièrement des “meetings” et des week-ends. Il existe aussi des groupes d’idées, comme le groupe “cs Vivre et consommer autrement” ou encore “cs Komzomp brezhoneg”, et des groupes d’activités, comme “cs Échanges de cartes postales”, ou “cs Rennes Jeux” qui prépare des soirées à thème. Ces activités font évoluer ce réseau de voyageurs vers un réseau social plus large, sans pour autant perdre de vue l’objectif initial. “L’un des buts de nos soirées est aussi de connaître les autres couchsurfeurs de la région : si on ne peut accueillir un étranger, on peut ainsi le réorienter vers quelqu’un d’autre”, argumente Madalen, membre d’un groupe breton. Chacun est libre de pratiquer le couchsurfing et d’accueillir ou non une personne, comme bon lui semble. “On peut simplement prêter son canapé, mais moi, j’aime me rendre disponible, pour faire visiter ma ville, explique une Finistérienne, qui se fait appeler Bigorno29. Il n’est pas nécessaire, pour accueillir quelqu’un, d’être soi-même un grand voyageur. C’est une bonne façon de rencontrer différentes cultures à domicile !” ■
es 21 x 29.7 cm - 30 pag
L A B R E TAG N E , U N M O N D E A D É C O U V R I R
Depuis plus de 20 ans, la revue ArMen traite d’histoire et d’archéologie et a ouvert ses colonnes à de nombreux spécialistes, universitaires comme archéologues professionnels.
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’est dans ce cadre que Jean-Paul Le Bihan a écrit plusieurs articles qui ont préparé la publication de cet ouvrage
consacré aux fouilles d’Ouessant qu’il dirige depuis deux décennies. Il y fait une synthèse des découvertes étonnantes effectuées sur le site exceptionnel de Mez Notariou : agglomération de l’âge de Bronze puis du Fer, objets antiques en provenance de Méditerranée, voire romaine et surtout un sanctuaire qui a fonctionné pendant plus de 2 000 ans jusqu’à la fin de l’antiquité où il aurait été détruit par Saint Paul Aurélien.
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A suivre Pierre et croyances Marion Rochard La pierre occupe une place si importante dans la tradition orale bretonne qu’une équipe d’étudiants et de chercheurs du CRBC se penche actuellement sur une possible inscription des représentations liées au minéral en Bretagne à la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. La stèle gauloise de Saint-Vio, à Tréguennec, est l’objet de nombreuses légendes.
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a convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, adoptée en 2003 par l’Unesco et ratifiée, en 2006, par la France, permet enfin de reconnaître au rang de patrimoine des aspects de la culture auxquels on s’intéresse depuis longtemps en Bretagne. Les savoir-faire, mais aussi la musique, le chant, la danse et bien sûr la langue, font partie de ce patrimoine dit vivant, en évolution et en création permanente (1). L’inventaire du patrimoine culturel immatériel n’en est qu’à ses débuts, il promet d’être un outil efficace de documentation, de sensibilisation et de sauvegarde (2). C’est dans le cadre de cet inventaire que le Centre de recherche bretonne et celtique de Brest a proposé une recherche originale autour des usages et représentations du minéral en Bretagne. La pierre, comme matière première ou à l’état brut, évoque spontanément un patrimoine d’ordre matériel. En Bretagne, la pierre est en effet un élément visible, constitutif du territoire. Mais elle est aussi associée à de multiples images : chaos granitiques, mégalithes, architectures sacrées ou non, et tient une place essentielle dans la composition et la perception du paysage. Il ne s’agit pas d’énumérer les richesses patrimoniales du territoire,
mais plutôt de se pencher sur un imaginaire collectif qui fait de la pierre un élément si incontournable du paysage breton. Une identité minérale La tradition populaire a largement intégré la pierre : on la retrouve au cœur des légendes, des contes ou comme objet de dévotion. Dans un récit de la Légende de la mort d’Anatole Le Braz (3), gare à celui qui déplacera une pierre de bornage pour agrandir sa parcelle, il sera condamné à errer éternellement avec sa pierre. D’autres récits parlent des créatures fantastiques vivant sous les dolmens et les roches qui affleurent. Certains évoquent des auges de pierre sur lesquelles les saints bretons seraient venus d’Irlande et du pays de Galles. De même aujourd’hui, les pierres ne “poussent-elles” pas dans les champs cultivés ? Certaines pierres, baptisées Men Marz, Men Dogan, Gazeg Ven peuvent faire l’objet de cultes du quotidien. Sur combien de pierres bretonnes les jeunes mariées sont-elles venues se frotter le ventre pour enfanter rapidement ? Le courant romantique du xixe siècle et les élucubrations des celtomanes qui font des mégalithes des objets rituels druidiques jouent aussi
un rôle essentiel dans la construction de cet imaginaire qui fait de la pierre un symbole fort en Bretagne (lire ArMen n° 88). Aujourd’hui, les illustrations du goût particulier des Bretons pour la pierre sont nombreuses : les auges de pierres sont réutilisées dans les jardins, les faux menhirs fleurissent sur les ronds-points, la sculpture est pratiquée en amateur avec les outils d’anciens carriers et des circuits touristiques sont créés autour des mégalithes ou des pierres à légendes. La valorisation touristique et patrimoniale est d’ailleurs une expression éminemment contemporaine qui permet d’observer ce qu’un territoire décide de valoriser aux yeux de l’Autre, du visiteur. C’est une manière d’exprimer son identité, de se définir comme Breton.
leur restitue un caractère sacré ; elles sont l’objet de toutes les attentions, toilettées avant la saison touristique, prises en photo pour illustrer les guides ou cartes postales et intégrées dans les visites guidées. Ces pierres sont érigées au rang d’objets culturels, voire cultuels et valorisées comme tels moins pour leur valeur matérielle que pour leur rôle de symbole : elles sont emblématiques du territoire. ■ (1) L’association Dastum coordonne actuellement une demande d’inscription du fest-noz et des chants à écouter (gwerzioù et complaintes) sur la liste des éléments représentatifs du patrimoine mondial immatériel (www.dastum.net). (2) L’inventaire sera consultable en ligne sur Internet via le site du ministère de la Culture et de la Communication.
EN HAUT, la pierre tremblante du Huelgoat. EN BAS, les pierres sonnantes de Saint-Cast-le-Guildo, en baie de l’Arguenon.
Merveilleuses, tremblantes ou sonnantes… À la limite des communes de Plovan et de Pouldreuzic en pays Bigouden, un circuit de randonnée a été baptisé “sentier de saint Kodelig”, nom donné à la colline du fait de la présence d’un ensemble de pierres merveilleuses : le ménage de saint Kodelig. Une stèle gauloise à facettes porte le nom de “motte de beurre”, un menhir celui “d’armoire” et une roche creusée par l’érosion est appelée le “lit” de saint Kodelig. Dans les alentours, tout le monde connaît la légende du saint homme qui vivait dans la forêt et dormait sur une pierre qui en a gardé le stigmate. Le site est un lieu de promenade où l’on transmet la légende en faisant grimper les enfants sur l’armoire. Pierre-Jakez Hélias dans le Cheval d’orgueil se souvient avoir escaladé ces pierres et un extrait de son texte figure d’ailleurs sur une borne le long du chemin. Ces pierres merveilleuses sont parfois des artefacts, intéressants d’un point de vue archéologique et souvent des pierres brutes aux formes intrigantes. Il arrive qu’elles soient oubliées pendant quelque temps puis redécouvertes. C’est le cas de la pierre de saint Vio en Tréguennec, recouverte par la végétation pendant des années. Cette stèle de l’âge du Fer, brisée en deux, est connue pour avoir servi d’embarcation à un évêque irlandais, saint Vio. Elle est aussi appelée “pierre à virer le temps” ou “pierre phallique”. Elle a été reconstituée par l’association qui a entrepris de rénover la chapelle et trône maintenant devant cette dernière. Des jeunes mariés viennent prendre la pose à ses côtés le jour de leurs noces, certainement plus pour reproduire des gestes qu’ils attribuent à leurs ancêtres que pour les supposées vertus fécondantes de la pierre. D’autres types de pierres sont au centre de rites ludiques : les pierres tremblantes comme à Trégunc (29) et à Huelgoat (29) ou encore les pierres sonnantes à Saint-Cast-le-Guildo (22). Elles sont l’objet de légendes avec lesquelles les promeneurs peuvent interagir en faisant trembler ou sonner ces pierres. À Trégunc, la Men Dogan, pierre des époux trompés, est un imposant bloc granitique que les maris doivent faire osciller pour s’assurer de la fidélité de leurs épouses. S’il n’y a plus, ou peu, de dévotion pour les saints et pas de vénération directe envers les pierres, il y a en revanche une réelle ferveur pour leur histoire, ce qui
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L’interview
Pierre Joubin ; “En découvrant la culture des autres, on se redécouvre soi-même” Yann Rivallain Une série d’articles parus dans ArMen a montré que les jumelages, particulièrement avec l’Irlande et le pays de Galles, ont été l’un des piliers de l’émergence d’un interceltisme contemporain. Plus récents, car ils n’ont démarré qu’après la chute du franquisme, les jumelages avec la Galice, évoqués ici par Pierre Joubin, révèlent eux aussi des liens particuliers entre ces deux pays.
EN HAUT, délégation bretonne composée de membres du comité Bretagne-Galice et de l’Institut culturel de Bretagne, devant la statue d’Alfonso Castelao à Pontevedra, au printemps dernier.
Quelle est la mission du comité Bretagne-Galice ? Le comité Bretagne-Galice a été fondé par Robert Omnès, docteur en linguistique et professeur d’espagnol à l’université de Bretagne Ouest et au crbc, dans les années 1980. Il a été créé pour favoriser et soutenir les jumelages de communes bretonnes avec leurs homologues galiciennes. Ces jumelages ont démarré beaucoup plus tard que ceux avec l’Irlande, car il a fallu attendre la fin du franquisme. Ils se sont cependant développés rapidement, en bonne partie grâce à Robert Omnès qui a initié un grand nombre de jumelages. Il n’hésitait jamais à se rendre sur place pour accélérer les choses, comme Polig Monjarret l’avait fait pour l’Irlande. Son action a marqué de nombreux Galiciens. On note par ailleurs que, comme pour l’Irlande, l’initiative des jumelages revient le plus souvent aux Bretons. Notre rôle est de fédérer les communes jumelées pour les encourager à échanger des informations, partager leur expérience, proposer des communes homologues, fournir des informations sur le pays, faciliter les recherches de stage, etc. Nous publions aussi un bulletin d’informations à l’adresse suivante : http:// bretagnegalice.blogspot.com
Comment se portent les jumelages avec la Galice ? Il y a aujourd’hui dix-huit communes bretonnes des cinq départements jumelées avec la Galice, sur quarante-sept jumelages avec l’Espagne (1). Deux autres jumelages sont actuellement en gestation. Les jumelages aavec la Galice sont pour la plupart assez jeunes, mais ils font face aux mêmes problématiques que les autres, comme l’a révélé le congrès des jumelaau gges de l’Ouest, organisé en novembre dernier à Pontivy. On sait qu’aujourd’hui, les Européens ont moins besoin des jumelages pour voyager, s’ouvrir à l’autre, ils sont devenus beaucoup plus mobiles. Dans le cas de la Galice, la sévère crise (1) 7 75 % des jumelages entre la Bretagne et l’Espagne concernent les communautés autonomes historiques à statut spécial (Galice, Catalogne, Pays basque) et les Asturies, cette dernière se trouvant juste derrière la Galice. Astu
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économique qui frappe l’Espagne fragilise aussi certains échanges. De manière générale, l’alternance de périodes de dynamisme et d’essoufflement fait partie de la vie des jumelages. Mais on observe aussi que, lorsqu’il y a des bénévoles engagés et un vrai soutien de la mairie, comme à Lesneven, Mur-de-Bretagne, Tréguier ou Lannion, cela fonctionne très bien. Il n’y a jamais de fatalité. Cela dit on ne peut pas multiplier les jumelages à l’infini : certaines communes comptent déjà plusieurs jumelages ou sont liées à d’autres collectivités espagnoles, comme Brest avec Cadiz. Dans ces cas, on peut en revanche envisager de mettre en place des associations d’amis de la Galice. La différence d’organisation territoriale nous pose aussi problème, car nous avons affaire à des sortes de communautés de communes, ce qui n’est pas facile pour une petite commune bretonne. Il faudrait peut-être envisager, à l’avenir, de se jumeler à ce niveau, comme l’a fait le comité de jumelage européen de la baie du Mont-Saint-Michel (Cherrueix, Mont-Dol, Le Vivier) avec Cambados, par exemple.
Quelles sont les particularités des jumelages entre ces deux pays ? On peut dire que la question de l’identité, des racines et des similitudes entre les deux pays est très présente dans ces jumelages. Les débats sur la celtitude de la Galice sont systématiques entre les participants aux jumelages. À la différence d’autres jumelages, les Galiciens qui viennent en Bretagne sont très conscients de la dimension “interceltique” de ces échanges. Les festivals de Lorient, de Quimper, mais aussi de nombreux rendez-vous comme la Saint-Loup ou les fêtes maritimes sont très importants à leurs yeux, car ils y participent en tant que “cousins”. Avec les échanges scolaires, la musique est d’ailleurs un élément très fédérateur pour ces jumelages. Au-delà de la question celtique, il y a entre la Bretagne et la Galice une forte identité atlantique et maritime qui invite à l’échange sur les points communs et les différences. Enfin, le troisième élément
qui cimente ces relations est bien sûr le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle qui créé beaucoup de liens avec la Galice. L’association bretonne des chemins de Saint-Jacques est d’ailleurs très dynamique.
Les jumelages peuvent-ils souffrir des évolutions politiques de part et d’autre ? Côté breton, pour l’instant, les choses sont assez stables et l’alternance au niveau communal ne change pas réellement la donne. En revanche, côté galicien, les changements de majorité au niveau de la communauté peuvent influencer les politiques culturelles et linguistiques. Certaines évolutions, comme le projet d’augmenter fortement la place de l’anglais dans l’enseignement primaire et secondaire, à côté du castillan et du galicien (un tiers pour chaque langue), risquent d’affaiblir les jumelages qui reposent sur d’autres langues. Si le français recule fortement en Galice, les échanges linguistiques avec la Bretagne seront forcément affectés.
Affiche de campagne pour les élections législatives de 1967, de Robert Omnès, le fondateur de BretagneGalice, qui fut aussi maire de Plomelin pendant trente ans. Passionné par la civilisation hispanique et la Galice, il était aussi spécialiste du breton qu’il a étudié à l’université de Rennes. En tant que maire, il a accueilli l’école Diwan de Quimper à ses débuts, en 1978, dans sa commune. Il a mis en place une signalisation bilingue dès les années 1970. Il a aussi reçu le collier de l’Hermine en 1982. EN BAS, accueil d’un groupe de lycéennes de Pontevedra à Vannes.
Quelles sont les réponses possibles face à ces évolutions, pour certaines inéluctables ? Il faut très certainement dépasser le cadre du simple mariage de communes et monter des échanges ponctuels et faire intervenir d’autres partenaires, comme les universités et l’Institut culturel de Bretagne (icb) par exemple. Nous avons d’ailleurs organisé un voyage en Galice, à destination des comités de jumelages et de l’icb, en mai dernier, pour renforcer les liens entre les deux pays. Des rencontres ont eu lieu avec de nombreuses organisations culturelles (musées, éditeurs, conseil culturel, responsables politiques ou sportifs). Un des chantiers importants est de donner un nouvel élan à l’Irmanda Galiza-Bretaña, une association comparable à la nôtre, aujourd’hui en sommeil. Parmi les projets en cours, il y a aussi les commémorations autour du centenaire de la naissance d’Alvaro Cunqueiro et de la disparition d’Alfonso Castelao. Sur le plan musical, nous ambitionnons d’associer un bagad breton important, si possible issu d’une ville jumelée, à chacune des quatre provinces galiciennes afin qu’ils y donnent des concerts à l’occasion de la Saint-Yves. Il manque aussi un événement marquant pour fêter la Galice en Bretagne, à l’image des soirées de la Saint-Patrick, du festival du film irlandais ou des semaines galloises.
Au-delà de la connaissance de l’autre, que peuton espérer de tels liens entre la Bretagne et la Galice ? Je suis convaincu qu’en découvrant la langue et la culture des autres, on se redécouvre soi-même. Lorsqu’on est uniquement baigné dans sa propre culture, son propre contexte, on s’isole un peu, on oublie la valeur de certaines choses. En tissant des liens avec nos voisins de l’Arc atlantique, on se trouve des points communs, des différences, on questionne nos sociétés, notre culture, notre rapport aux langues, à la mémoire, autant de choses qui permettent d’une certaine manière de nous ressourcer. ■ Renseignements : Comité Bretagne-Galice, 3, rue Yves de Kerguélén, 56000 Vannes. Téléphone : 02 97 40 72 40. Site web : www.bretagne-galice.com Email : bretagne.galice@gmail.com
Pierre Joubin est président du comité Bretagne-Galice. Sensibilisé à l’espagnol au lycée, il renoue avec cette langue beaucoup plus tard en obtenant une licence à Rennes 2. Né à Paris, d’une famille de la région de Ploërmel, il est aujourd’hui installé à Vannes. Bien qu’il ait voyagé et séjourné un peu partout en Espagne, il reconnaît avoir eu un coup de cœur pour la Galice et les Asturies. Il est aussi président de la très dynamique association vannetaise Amigos de España qui donne de nombreux cours de langues, de danse flamenca ou encore de cuisine espagnole. Il donne régulièrement des conférences sur les liens entre la Bretagne et la Galice et notamment sur l’écrivain galicien Alvaro Cunqueiro, qui a visité et écrit sur la Bretagne dans les années 1960, ou encore Alfonso Castelao, homme politique, écrivain et peintre fasciné par le patrimoine religieux breton.
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Livres
Traîtres nous-mêmes À la demande des éditions brestoises Dialogues, Hervé Hamon a écrit douze nouvelles très différentes les unes des autres sur le thème des petites trahisons. Celles qui font tellement partie de nos vies, de nos mondes, qu’elles sont inévitables, nous concernent tous et nous rendent au final si terriblement humains. L’écrivain s’efface de manière remarquable derrière des personnages que les contraintes liées à ce genre littéraire ne rendent pas moins épais, écorchés ou déterminés. L’écriture elle-même se renouvelle brillamment selon les situa-
tions et force même l’admiration lorsqu’elle emprunte avec justesse le langage des banlieues pour camper deux adolescentes déterminées à participer à l’émission Nouvelle star. Sous la plume d’Hervé Hamon, les agents doubles se doublent à l’infini, l’illustre professeur de médecine perd ses repères et une part d’humanité quand le cours d’une maladie s’inverse et ébranle une vie de certitudes accumulées. Le cérémonial des prix littéraires prend un tour tellement pathétique qu’il n’y a au final plus de “bons” ou de “mauvais”, seulement des êtres
humains pétris de contradictions et prisonniers de leurs desseins. Il y aussi ce guide touristique indien qui ne peut s’empêcher de décrire son monde avec vérité, trahissant sa mission de vendeur de rêves. Au détour de certaines phrases, l’attention se fige, les mots claquent et la douce ironie qui traverse ces pages laisse transparaître un certain désenchantement, mais aussi une réelle tendresse pour l’homme et sa fragilité. On attend la suite avec impatience. Yann Rivallain La Diagonale du traître, Hervé Hamon, Éditions Dialogues, 172 pages, 17,50 €.
P oè t e s br e ton s e n A l l e m a g n e
En bref Hervé Jaouen toujours vert Bleunwenn décide de quitter Paris pour s’inscrire au lycée des monts d’Arrée et apprendre le breton. Devant la disparition du saumon dans l’Aulne, son grand-père menace de se pendre. Bleunwenn décide d’agir. Une charmante récréation littéraire menée avec verve, à déguster sourire aux lèvres. D.M. Aux armes zécolos, Hervé Jaouen, Diabase, 160 pages, 16 €.
Le Pourquoi-Pas ? Dans son voyage de retour vers Saint-Malo, le navire mythique du commandant Charcot sombre au large des côtes islandaises en septembre 1936. Curiosité : ce livre soigné (et illustré) est publié sous la forme d’un passeport. D.M. Passeport pour le Pourquoi-Pas ?, Thierry Jigourel, Elytis (diffusion Harmonia Mundi), 7,90 €.
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Rüdiger Fischer, éditeur et grand connaisseur de la poésie de langue française, a traduit vingt et un poètes bretons d’aujourd’hui, choisis par Herri-Gwilherm Kerouredan, et les a regroupés dans une belle anthologie sous le titre, le Temps de vivre, repris
d’un poème d’Hélène Cadou. La parution de cet ouvrage, retardé par le décès en 2008 de l’auteur de cette sélection, doit beaucoup à la ténacité de l’éditeur et de Nicole Laurent-Catrice qui signe la postface. C’est un ouvrage précieux sur la poésie de Bretagne
de ce début de xxie siècle, le premier de cette décennie qui manque d’ouvrages de référence en la matière. Marie-Josée Christien Zeit zum Leben / Le Temps de vivre : 21 poètes de Bretagne, Éditions En Forêt, Verlag Im Wald, Doenning 6, D 93485 Rimbach, 225 pages, 15 €.
L’ E q u i p e à l’ h e u r e br e ton n e ! On se souvient que le journal l’Équipe (ar Skipailh e brezhoneg !) avait agréablement surpris le samedi 9 mai 2009 en faisant sa une tout en breton pour présenter la finale 100 % bretonne de la Coupe de France de football entre Guingamp et Rennes ! Il faut croire que nos amis du quotidien sportif prennent goût à notre langue puisqu’ils viennent de sortir un magnifique coffret avec plusieurs “unes” concernant les grands événements sportifs bretons depuis 1947. Le titre de ce coffret
est en breton : Breizh er penn a-raok, la Bretagne à la une. Ces unes sont en revanche bien évidemment en français (sauf celle du 9 mai 2009, en breton, également reproduite), mais elles sont explicitées dans un petit livre dans les deux langues ! Nous avons là un aperçu de la force historique du sport breton avec des premières pages consacrées aux cyclistes, bien sûr, comme Jean Robic, Louison Bobet, Bernard Hinault, aux marins comme Éric Tabarly et Michel Desjoyeaux ainsi
que Faustine Merret, championne olympique de planche à voile à Athènes en 2004. Le football n’est bien entendu pas oublié avec le rappel des exploits de Guingamp, de Rennes, de Brest, de Carquefou et de Nantes ! Car, et c’est une autre bonne nouvelle dans ce petit bijou de coffret, nos amis de l’Équipe embrassent la Bretagne toute entière ! Georges Cadiou Ar Skipailh : Breizh er penn a-raok, la Bretagne à la une, coffret de l’Équipe avec des traductions en breton de l’Office de la langue bretonne, 25 €.
L a b ata i l l e d e S a i n t- C a s t Le 11 septembre 1758, un corps expéditionnaire britannique est défait sur la plage de Saint-Cast par les troupes du duc d’Aiguillon. Ce dernier raid lancé par les Anglais visait Saint-Malo. L’étude publiée aux Presses universitaires de Rennes vise à situer cette bataille atypique, “entre terre et mer”, dans le contexte de la guerre de Sept Ans et celui de la “seconde guerre de Cent Ans”. Célébrée par Voltaire, la bataille de Saint-Cast a été érigée au xixe siècle en lieu de mémoire par les érudits
régionalistes. L’histoire des “descentes britanniques” de 1758 sur la Bretagne est peu travaillée. De rares études sont d’ailleurs consacrées à la guerre de Sept Ans et l’histoire militaire ne passionne guère en France. Les auteurs n’éludent donc pas le récit de la bataille et en soulignent la particulière sauvagerie. À partir de nombreuses sources des deux camps, ils rapportent les divers témoignages d’une “boucherie” dans le tonnerre continuel des canons de marine de la Navy dont
la poudre recouvre les soldats, des bombes et obus biscaïens. SaintCast est l’une des dernières batailles menées sur le sol français à la fin de l’Ancien Régime, bataille modeste, engageant peu de soldats. Elle s’est ensuite diluée dans les mémoires, et reste un événement local. Cet ouvrage lui rend sa juste place dans l’Histoire. D.M. La Bataille de Saint-Cast, entre histoire et mémoire, Yann Lagadec et Stéphane Perréon, PUR, Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne. 452 pages, 22 €.
Livres
D u c h ê n e a u r o s e a u , b o u q u e t d e c u lt u r e p op u l a i r e
Troisième traité folklorique contemporain de Daniel Giraudon, Du chêne au roseau fait suite aux deux précédents ouvrages, consacrés aux animaux et au ciel. L’ouvrage joint deux méthodes, celle du collectage (née au XIXe siècle) et celle du reportage (notamment photographique, avec une riche et attrayante iconographie). Ainsi, loin de toute compilation, après avoir sillonné la Bretagne, Daniel Giraudon restitue la tradition vivante, telle qu’elle vit encore au travers des langues bretonne et gallèse. C’est l’autre qualité de ce livre que d’offrir une perspective plurielle, embrassant les langues bretonne et gallèse, sans s’interdire des parallèles avec les proverbes et expressions populaires anglais et gallois. On y ajoutera une troisième qualité, son style plaisant (il ne recule pas devant le calembour) qui vient ornementer un monument d’érudition. L’auteur de ce bouquet de culture populaire aborde en premier lieu les herbes magiques et les plantes, par chapitres de longueur variable, avant d’en venir aux arbres. Arbre sacré des Celtes, le chêne a droit aux plus grands égards. La Bretagne possède des chênes plus que millénaires (chêne de Tronjoly à Bulat-Pestivien, chêne à Guillotin en forêt de Paimpont et chêne au Duc dans la forêt du Gâvre). Ils sont objets de culte depuis l’Antiquité et
associés à des pratiques de divination et de prophétie. Comme Saint Louis rendait la justice sous un chêne du bois de Vincennes, saint Yves avait pour prétoire le chêne du Pont-Blanc, à Plouaret. Selon Anatole Le Braz, le chêne protégeait du hurleur de nuit, Yanig an Aod, à qui il ne fallait pas répondre sous peine d’être étranglé. La sève (dour derv) exsudée par une branche verte placée dans un feu soigne les verrues et les applications de “poumon de chêne” (le lichen qui pousse sur le côté nord du tronc) calme les meurtrissures. Multiples sont les pratiques associées aux prières héritées de cultes préchrétiens. Les fidèles de la troménie de Landeleau prélèvent ainsi des fragments d’écorce pour emporter la force du chêne. Il existe aussi de nombreux rituels amoureux, comme à Saint-Aaron, où les jeunes filles en quête de mari plantent des épingles dans un tronc, ou à Langourla, où elles se frottaient aux excroissances d’un arbre. Comme les mégalithes, les chênes ont été christianisés par ajout d’une statuette ou d’une niche au creux des vieux arbres. Le chêne est associé aux fées qui parlent le langage des arbres, il devient aussi symbole républicain que l’on plante en souvenir de la Révolution (Camoël, Saint-Armel), mais également refuge des chouans qui s’abritaient dans les arbres creux, et lieu de célébration de la messe par les réfractaires. Le vocabulaire ne manque pas d’évocations du chêne : le hanneton se dit en gallo “la vache de chêne”, en raison de son goût pour les feuilles de cet arbre. En Côtes-d’Armor, jusque dans les années 1930, le hêtre et le bouleau sont associés à la charmante tradition du “mai d’amour” : le dépôt d’une branche ou d’un bouquet à la porte d’une jeune fille était une manière de réclamer son cœur.
Conjuguant humour et poésie, Daniel Giraudon a réuni une somme de récits, croyances, proverbes, dictons, chansons, et expression des plantes et arbres les plus symboliques de l’univers celtique. Sans oublier de souligner leur rôle économique, comme l’ajonc, dont chaque ferme consommait un millier de fagots par an, comme combustible. Il était également cultivé dans les landes, sur les talus, comme fourrage destiné aux chevaux. Il était au préalable pilé à la masse dans une auge, ou broyé par le drailherez lann. Selon une tradition européenne, l’homme chargé d’un fardeau qui se découpe dans le paysage lunaire, est un voleur d’ajonc (al laer lann) que la lune aurait avalé en punition d’avoir menti, et qui est condamné à porter éternellement son fagot. Les massifs d’ajoncs sont aussi des lieux de pénitence, des purgatoires terrestres. À Saint-Michel-en-Grève, le recteur interdit pour cette raison qu’on s’amuse avec les ajoncs du chemin qui abritent des âmes en peine. Croyance à rapprocher de l’aubépine solitaire, appelée en Irlande the fairy bush, et de la fée emprisonnée dans un buisson. L’ajonc est présent dans nombre d’expressions : en gallo, quelqu’un de méchant est “mauvais comme la jannâ”. Mont deus ar prad d’al lanneg (passer de la prairie à la lande) signifie quitter une bonne situation pour une mauvaise, et être en mauvaise posture se dit “être comme un poisson dans un buisson d’ajoncs”. Le lecteur trouvera, pour chacune des plantes et des arbres les plus emblématiques, les plus populaires (le foin et la ronce, le chanvre et le jonc, le pommier et l’if) de semblables trésors de langage et de légendes qui font de ce recueil une vraie bible pour l’amateur de folklore vivant. Daniel Morvan Du chêne au roseau, traditions populaires de Bretagne, Daniel Giraudon, Éditions Yoran Embanner, 358 pages, 33 €.
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A u x s o u r c e s d e l a m at i è r e d e B r e ta g n e En bref Côte d’émeraude en famille Une nuit en roulotte, des cours de voile pour les petits, une journée au Moyen Âge. Ce guide propose cent pages d’idées pour faire du tourisme en famille, entre Fréhel et le Mont-Saint-Michel. D.M. La Côte d’Émeraude en famille, Odile Lozachmeur, Éditions Ouest-France, 9,90 €.
Papy Beat Trois poètes de la Beat Generation, Jean Azarel, Alain Jégou et Lucien Suel, entremêlent leurs voix. D.M. Papy Beat Generation. Éditions Hors Sujet, 154 pages, 12 €.
Thierry Guidet “La Loire est une reine et les rois l’ont aimée”, écrivait Jules Lemaître. Lorsque le marcheur et l’écrivain la courtisent, cela donne un best-seller, qui vient d’être réédité. D.M. La Compagnie du fleuve, Thierry Guidet, Éditions Joca Seria, 180 pages, 17 €.
Constitué de chercheurs rattachés au Centre de recherche bretonne et celtique de Brest, le groupe “Histoires des Bretagnes” a étudié la formation et la réception de la “matière de Bretagne”. Un premier tome rassemble les mythes fondateurs, sous l’angle littéraire, celtisant, historique. On notera aussi la parution, en Folioplus,
du Roman de Tristan et Iseut par Joseph Bédier et du Perceval de Chrétien de Troyes. Les deux ouvrages offrent le texte intégral et un dossier qui fait le point sur les principales notions : matière de Bretagne et idéal de société incarné par les chevaliers de la Table ronde ; Chrétien de Troyes, premier romancier de l’histoire,
croisant tradition française et bretonne autour du roi Arthur et d’un héros à la découverte de soimême, de l’amour et de l’autre. Les bases de la création romanesque sont là. D.M. Histoire des Bretagnes, tome 1. CRBC, 268 pages, 14 €. Le Roman de Tristan et Iseut Joseph Bédier ; Perceval ou le conte du Graal, Chrétien de Troyes, Folioplus classiques, 224 pages et 290 pages.
C on t e s br e ton s le premier folkloriste breton : la légende chrétienne, avec l’Homme juste recueilli à Plourinles-Morlaix et présent dans toute l’Europe et en Palestine. la Princesse enchantée et le Géant Calabardin ressortent du genre merveilleux. Le Roi des menteurs, recueilli à Plouaret en 1872, est un petit conte facétieux. D.M.
“Croyez si vous voulez le croire, ou sinon allez-y voir” : ainsi commencent souvent les contes, avant même le “il était une fois” de la convention. Faits pour être dits, ils le sont ici fort bien, par la voix de Françoise Morvan. La conteuse puise dans la collecte de FrançoisMarie Luzel, dont elle a édité les œuvres en dixhuit volumes. Les quatre contes sélectionnés par elle illustrent chacun des genres pratiqués par
Contes de Bretagne, dits par Françoise Morvan, Éditions Ouest-France, 1 CD, 9,90 €.
B r e ta g n e l i t t é r a i r e “Le Petit Mercure” est une collection d’anthologies à emporter sur une île déserte ou à la plage. En toute subjectivité, Thierry Clermont a sélectionné quelques échantillons qui composent comme un puzzle littéraire breton. Le guide littéraire proposé par Jean-Yves Paumier propose quant à lui une approche géographique de la Loire-
Atlantique, en évitant la surreprésentation de Nantes. Il équilibre les auteurs incontournables (Balzac à Guérande, Cadou à Louisfert), mais aussi les inattendus (Olivier Guichard, poète), les aperçus microcosmiques (vie littéraire à Ancenis) et les paysages chimériques qui semblent issus de la littérature (Les Folies Siffait, au Cellier). L’ouvrage
P i e r r e Lot i d é c o u v r e l a B r e ta g n e Aspirant à Brest en 1867, Pierre Loti se lie d’amitié avec un autre marin, Pierre Le Cor, dont il fera le héros de son roman Mon frère Yves, sous le nom d’Yves Kermadec. Après le mariage de son ami installé à Rosporden, Loti lui rend de fréquentes visites et se fera même confectionner un costume breton pour assister aux pardons des environs. Loti consacre de très belles
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pages à sa ville d’adoption, occasion pour le lecteur d’une découverte littéraire de Rosporden où l’on rencontre un sonneur aveugle et la conteuse et sage-femme Katell. L’ouvrage présente enfin les souvenirs sur Loti de son filleul Julien Le Cor, fils du “frère Yves”. Un précieux document. D.M. Loti en Bretagne, Fañch Postic, Skol Vreizh n° 63, 84 pages, 12 €.
constitue un véritable modèle du genre, réunissant des anecdotes et établissant avec précision les listes des écrivains passés par telle ville, ses érudits locaux, ses auteurs résidents ou en villégiature. D.M. Le Goût de la Bretagne, Thierry Clermont, Mercure de France, 130 pages, 6,50 €. Guide littéraire de Loire-Atlantique, Jean-Yves Paumier, Éditions Siloé et conseil général de Loire-Atlantique, 184 pages, 20 €.
À l a d é c o u v e rt e d u L é on D’aber à zone légumière, en passant par kig a fars, dunes, enclos, quilles, huîtres et goémon, un petit dictionnaire permet de prolonger la visite du musée du Léon, installé au couvent des Ursulines de Lesneven. Malgré l’absence de sommaire, on y trouve tout ce qu’il faut savoir sur le nord-ouest breton, entre Brest et Morlaix. En complément de ce petit dictionnaire, une monographie de
Portsall offre, elle, un double sommaire, par thèmes et noms de lieux, avec analyse microtoponymique (dont l’auteur était spécialiste) et coins de pêche. Ce livre est aussi un émouvant document de la grande passion bretonne de Per Pondaven, son auteur. D.M. Le Léon de A à Z (sous la direction de Jean-Yves Le Goff), Éditions Alan Sutton, 144 pages, 23 €. Portsall, toute une histoire, Per Pondaven, Emgleo Breiz, 138 pages, 13,90 €. Commande en ligne : www.emgleobreizh.com
M ot s d e l a m e r
Revues
Mettre les voiles, partir en vadrouille ou se faire larguer, autant d’expressions qui affichent leur origine maritime. D’autres vocables moins repérables sont
aussi nés de la mer, comme cybernétique (du grec kybernan : piloter) ou batifoler (ferler une voile). Pol Corvez nous en propose une nouvelle édition augmentée, illus-
trant avec brio l’apport des cultures maritimes dans le français d’aujourd’hui. D.M. Le Nouveau dictionnaire des mots nés de la mer, Pol Corvez, Chasse-Marée/Glénat, 22 €.
C on t r e l e s m u r s , l a p oé s i e Le thème de ce numéro 29 des Voleurs de Feu, consacré aux murs et aux emmurés, fait prendre conscience que construire des murailles est hélas une activité spécifiquement humaine. Yann Orveillon rappelle fort à propos que notre histoire, aujourd’hui comme hier, n’a jamais été avare de murs et de divisions. Pour Alain Freixe, “les livres de poésie sont brèches et meurtrières”. Les textes de Tristan Cabral, Tahar Bekri et Mahmoud Darwich convergent pour affirmer que le poète
est celui qui maintient l’espace ouvert. Dans ces pages, la poésie sape les murs et autorise le passage. Marie-Lise Martins-Le Corre présente le parcours de la photographe Lizzie Sadin qui a posé son regard sur les mineurs emprisonnés dans soixante prisons de onze pays. Sous le titre “Pontaniou entre les murs”, la revue publie également des photographies, poignantes et remplies d’humanité, de la prison brestoise désaffectée pour vétusté en 1990, de Ronan Yver et François Rommens de
l’association Camera Obscura (voir le portfolio page 32). Commandées par la mairie de Brest en 1993 pour un projet artistique regroupant plusieurs photographes brestois, certaines n’ont jamais été exposées. La revue qui a étoffé son équipe et sa pagination a désormais retrouvé sa parution régulière et dispose d’un site d’informations sur internet : http://lesvoleursdefeu.free.fr M-J.C. Les Voleurs de Feu, 13, rue Louis Pasteur, 29630 Plougasnou ; abonnement : 20 €.
Léo Ferré au présent Le poète, critique et éditeur nantais Luc Vidal est passionné par l’œuvre de Léo Ferré et lui consacre depuis 1998 une revue qui a pour ambition de faire connaître son rayonnement, d’explorer son héritage et son influence aujourd’hui. Dix cahiers sont parus à ce jour, qui forment une belle collection, riche en iconographie. Chaque numéro, articulé autour d’un thème central et de différentes chroniques et rubriques, aborde les multiples chemins de la pensée de Ferré : la marge,
la mélancolie, l’amour, l’anarchie, la Seine, Marseille par exemple. La parution est irrégulière, soumise aux aléas de la matière et des contraintes matérielles. Sans autre aide que sa bouillonnante passion et le soutien d’un cercle de lecteurs fidèles à l’œuvre de Ferré, Luc Vidal s’entoure d’écrivains, d’essayistes, de penseurs, de poètes, de musicologues, croise les témoignages et les points de vue, les études et les éléments biographiques pour rendre un vivant hommage à cet “immense
artiste qui n’est pas un requin ni un faux révolté”. Le n° 10 donne la parole à Jean-Roger Caussimon, “artisan de la chanson” comme il aimait à se définir, qui fut un de ses “frères du hasard”, à partir de témoignages collectés, d’entretiens et de documents inédits. Le n° 11 est en cours d’élaboration depuis plusieurs années. Une revue indispensable à ceux qui restent fidèles à l’univers de Ferré. M-J.C. Cahiers d’études Léo Ferré, 20, rue du Coudray, 44000 Nantes ; n° 10 : 214 pages, 22 €.
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BD et DVD
Durandal Personnage de la littérature médiévale, Roland reste connu par la célèbre chanson de geste qui raconte sa dernière lutte contre les Sarrasins à la bataille de Roncevaux. Mais qui se souvient que Roland était auparavant le préfet carolingien des Marches de Bretagne ? La bande dessinée Durandal, teintée de fantastique, imagine la jeunesse de Roland en Bretagne. En 772, Charlemagne écrase les Saxons
à Eresburg et abat Irminsul, l’immense arbre sacré leur servant d’idole païenne. Mais au cours de la bataille meurt son fidèle lieutenant, Ambroise, comte des Marches de Bretagne. Son épée, Durandal, est alors convoitée par Roland, son petit-fils, ainsi que par une mystérieuse guerrière islandaise. Auteur d’une série sur la mythologie scandinave (le Crépuscule des dieux), Nicolas Jarry imagine une origine
nordique à l’épée Durandal. Il expose dans le premier tome la lutte entre les Bretons et les Francs. Ganelon, seigneur de Quimper, espère fédérer autour de lui les différentes familles de Bretagne. Le dessin classique et soigné de Gwendal Lemercier, déjà auteur des Contes de l’Ankou, est mis en valeur par une magnifique colorisation. Pascal-Marie Lesbats Durandal, tome 1, Jarry et Lemercier, Éditions Soleil, 13,50 €.
L a v é r i t é s u r l e s B r e ton s Composée d’une quarantaine d’histoires courtes, la bande dessinée la Vérité sur les Bretons tente d’expliquer, avec humour, la culture bretonne. Si le des-
sin simpliste est approprié au genre humoristique, on peine à esquisser un sourire à la lecture des scénarios… Malgré tout, mine de rien, l’auteur
parvient effectivement, en quelques bulles, à évoquer les multiples facettes de la culture bretonne. P-M.L. La Vérité sur les Bretons, Monsieur B., Éditions Drugstore, 10 €.
M e r l i n , l e p r op h è t e tente de devenir roi de Bretagne. Parallèlement, à Avallon, la grande prêtresse nomme Viviane comme régente en attendant que la jeune Morgane grandisse. Une fois de plus, Istin utilise un savant dosage d’imaginaire arthurien, de mythologie celtique et de légendes bretonnes. Mais les multiples intrigues rendent le tome 1 confus. Le dessinateur Pierre-Denis Goux nous offre quelques superbes planches, notamment celles se déroulant à Avallon. P-M.L.
Dans Merlin, sa précédente série de bandes dessinées, le prolifique scénariste Jean-Luc Istin imaginait la guerre d’Avalon opposant la religion ancienne au nouveau culte chrétien. Meurtri par ce conflit, Merlin trouvait refuge dans la forêt de Brocéliande. Sa nouvelle série, Merlin le prophète, commence quelques années plus tard. Fuyant le massacre de son village perpétré par les Saxons de Henguist, le jeune Bedwyr est recueilli par Merlin. Pendant ce temps, profitant du désordre qui suit la mort de l’empereur Constantin, Vortigern
Merlin, le prophète, tome 1, Istin et Goux, Éditions Soleil, 12,90 €.
P r i n c e Va i l l a n t Fils d’un roi viking chrétien chassé de son trône, prince Vaillant (Robert Wagner) se rend à la cour du roi Arthur pour devenir chevalier. Il surprend un conciliabule entre des guerriers vikings païens et un mystérieux chevalier en armure noire (James Mason). Il devient
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l’écuyer de sire Gauvain. Il apprend ainsi le maniement des armes. Au bout de multiples péripéties, prince Vaillant délivrera sa famille, démasquera le chevalier noir, épousera la belle princesse Aleta et se fera adouber chevalier par le roi Arthur. En réali-
sant Prince Vaillant en 1954, Henry Hathaway adapte fidèlement la célèbre bande dessinée de Harold Foster. Ce film contient de spectaculaires scènes d’action (tournoi, attaque de château, duel final…). P-M.L. Prince Vaillant, Wilde side video, 14,99 €.
Un an après le départ de Gwennolé Le Menn pour la terre de l’éternelle jeunesse, la revue linguistique Hor Yezh consacre à ce grand chercheur sur la matière bretonne et celtique un numéro hommage rassemblant sept contributions d’amis ainsi que la liste des études et ouvrages de l’érudit disparu. Bloaz ‘zo ez eo aet da Anaon Gwennole ar Menn en doa graet
kement war dachenn ar Studioù keltiek hag en deus lezet war e lerc’h ur bern studiennoù ha skridoù da gas da benn pe da voulañ : d’e vignoned neuze da gavout an tu da beurober an enklaskoù-se ha da embann anezho. Poent e oa neuze sevel ul levrig da enoriñ an enklasker, un doare da lavarout dezhañ ur bennozh-Doue diwezhañ evit e strivoù hag ar broud en deus roet
deomp da vont atav larkoc’h war hent un anaoudegezh dereat eus ar brezhoneg hag eus e lennegezh. Sed ar pezh a ra kelaouenn Herve ar Bihan en ur ginnig deomp, e koun Gwennole, seizh studiadenn war dachennoù bet pleustret warno gant an enklasker. Gérard Cornillet Hor Yezh, niverenn 261, 8 €.
Al levrioù brezhoneg
K e n av o , G w e n n ol é !
Ur s a p r e b a n v e z d e i z - a r - bl o a z Avec son talent habituel, Yann Gerven invente un roman autour d’une réunion de famille, censée être organisée pour les quatre-vingt ans du grandpère… Papy a lid e bevar-ugent vloaz - an holl familh a zo bet pedet d’ar restaorant - “darev e oa an devezh-se da vezañ unan eus ar re a vez gwelloc’h
ankouaat ar buanañ ar gwellañ”, setu soñjoù kentañ Thomas Broustal, ur paotr a bevarzek bloaz, e deroù an danevell-mañ, pe gwelloc’h e vefe lavarout : “an div zanevell-mañ” ; rak petra ober e-pad seurt banvezlid eget livañ poltredoù ar gouvidi ha lezel e soñjoù da nijal hervez lusk ar fistilherezh ha steuiñ gant
ar c’homzoù distaget ouzh taol un istor iskis ha souezhus ma c’hoari spierien skrijus ur roll dic’hortoz. Un istor dibunet mat-kenañ leun a vousfent hag a deodatoù c’hoarzhidik… G.C. Tonkad kriz Tom Bruise, Yann Gerven Al Liamm, 88 pajenn, 10 €.
Un t e s k a d d a n e v e l l o ù s a o u r u s On retrouvera avec plaisir nombre des nouvelles de Yann Gerven publiées dans les pages d’Al Liamm durant ces dix dernières années. Piv n’anavez ket Yann Gerven, paotr Plougastell, hag en deus koveliet abaoe bloavezhioù’zo bremañ un doare-skrivañ dezhañ e-unan, leun
a fent, a lusk en ur veskañ gerioù ar yezh “klasel” gant re an “tunodo”, ar yezh a veze komzet gwechall gant tud ar Roc’h-Derrien ? El levr-mañ e kavor gant kalz a blijadur peder danevell warn-ugent, bet embannet – evit an darn vuiañ anezho – er gelaouenn Al Liamm etre 1998 ha
2007. Liesseurt eo o ijin hag o danvez, evel-just - neuze dudi a vo evit pep hini. G.C. Cheeseburger ha yod silet, Yann Gerven Al Liamm, 368 pajenn, 15 €.
B a r z h on e g o ù R opa r z H e m on – u n d i zol o a d e n n Dans ce nouvel ouvrage, Pierrette Kermoal offre une nouvelle clef de lecture de l’œuvre poétique du célèbre linguiste qui fut aussi un savant jongleur de mots et de musicalités. La langue n’était pas pour lui qu’un objet d’étude, mais également un magnifique instrument d’expression de soi et de plaisir. N’eo ket ar studiadenn gentañ a ginnig deomp Pierrette Kermoal, renerez ar gelaouenn Aber, war dachenn an oberennoù bet graet gant Roparz Hemon. Mes ur bed a chom eviti - hag evit pep lenner ivez - oberenn ar barzh-yezhoniour. Gant al levr-mañ e fell dezhi lakaat he lenner da vont donoc’h e-barzh bed liesstumm hag heson barzho-
negoù Roparz Hemon. Ur goulenn a sav Pierrette Kermoal kerkent ha deroù he levr : Daoust ha barzhonegoù Roparz Hemon a zo da serriñ en un oberenn hepken ? – ha ma rankfed sellout outo evel lodennoù eus meur a oberenn, ul liv disheñvel ganto hervez mareoù o c’hanedigezh ? Un ergerzhadenn dudius eo an oberenn-mañ e bed kevrinus ur barzh hag a zo bet ur prederour ivez. Ha gouzout a oar mat-tre an oberourez penaos lakaat war wel dodennoù pennañ ar barzh a-drugarez da arroudennoù niverus tennet eus barzhonegoù ar skrivagner. G.C. A-youl ar gwent, Pierrette Kermoal, Aber (Landeda), 260 pajenn, 15 €.
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Musique Gweltaz ar Fur, le retour d’un sage Yann Rivallain Beaucoup de passionnés de culture bretonne le connaissent surtout comme libraire. Gweltaz ar Fur, fondateur des enseignes Ar Bed Keltiek, à Quimper, Brest et Lorient, renoue pourtant avec la chanson folk en breton, dont il fut l’une des grandes figures durant les années 1970. Gweltaz ar Fur présente son nouvel album sur la scène de l’Évêché, au festival de Cornouaille 2010.
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n bon libraire, Gweltaz ar Fur divise sa vie en chapitres. Celui qu’il s’apprête à rédiger, après vingt ans de musique et vingt ans de librairie, s’apparente plutôt à un retour aux sources. La rumeur avait beau courir depuis plusieurs années, on avait du mal à croire qu’un jour prochain, on ne pourrait plus pousser la porte de la boutique quimpéroise et entendre la voix aimable de Gweltaz ar Fur, s’exprimant souvent en breton, toujours prêt à recommander un livre, un disque, expliquant avec patience la culture bretonne aux nombreux visiteurs intrigués par l’une des toutes premières librairies spécialisées sur la Bretagne et les pays celtiques. Sa voix, des centaines de milliers de personnes l’ont pourtant découverte, sur deux quarante-cinq tours qui marquent le début de sa carrière de chanteur, en 1970 et 1972. “Je me suis mis à jouer en public à l’époque où j’étais étudiant en droit à Nantes, explique Gweltaz ar Fur. J’avais déjà écrit des chansons en breton et j’ai été encouragé par des chanteurs comme Stivell, Servat et Glenmor qui m’ont entendu tester la sono lors d’un cabaret à la fac.” Comme eux, Gweltaz ar Fur va trouver dans la chanson un moyen d’exprimer son identité
et participer aux luttes sociales de l’époque. Mais c’est moins le feu des projecteurs que l’envie de faire vivre la langue bretonne qui le pousse à devenir chanteur, et aussi, plus tard, à œuvrer en faveur de la création des toutes premières écoles Diwan. Gweltaz sera d’ailleurs le premier président de l’association. “J’ai toujours entendu du breton autour de moi, se souvient le chanteur originaire d’Hennebont. Mes grands-parents ont été à l’origine du cercle celtique d’Hennebont et mon père, avocat au barreau de Lorient, a arpenté la campagne du Bro-Erec et du pays Pourlet en compagnie de Polig Monjarret, effectuant les transcriptions en breton pendant que le sonneur s’occupait de noter la musique. Mais c’est en passant une année et demie à Metz que ma conscience bretonne s’est véritablement révélée. À mon retour, j’ai étudié la langue de manière intensive.” En 1973, Gweltaz ar Fur signe un contrat important chez wea et sort un premier album au son résolument folk-rock, Chants celtiques, sur lequel on trouve déjà Patrick Molard à la cornemuse. Ce premier trente-trois tours profite largement de la vague folk qui touche aussi l’Hexagone. Les producteurs parisiens qui ont engrangé des
bénéfices inespérés avec des artistes comme Alan Stivell ou Tri Yann ne lésinent pas sur la promotion. Des artistes comme Gweltaz sont alors programmés sur France Inter ou Europe 1 où son premier album est fortement mis en avant et connaît un réel succès commercial. L’artiste lorientais, qui est aussi un des artisans des premières nuits du port de pêche au festival interceltique de Lorient, enchaîne les tournées et les émissions de télévision en Irlande, aux Pays-Bas, en Espagne, au Québec et bien sûr à Paris. Sur son deuxième album, Bonedoù Ruz, qui paraît en 1975, on retrouve Mick Hanly, chanteur du célèbre groupe irlandais Moving Hearts. Un chanteur engagé Fidèle à son début de carrière, Gweltaz chantera souvent pour soutenir les écoles Diwan et les combats écologiques. En 1976, il écrit aussi la chanson “Frankiz ar Vretoned” pour un disque de soutien aux prisonniers politiques bretons. On lui doit encore le texte “Diwanit Bugale”, que Dan ar Braz interprétera dans les années 1990 au concours de l’Eurovision. “Je me suis installé à la Forêt-Fouesnant en 1976, et, à partir de 1980, après des années passées à mener
Katé-Mé : retour sur expérience une vie de patachon, j’ai eu envie de me poser, explique le chanteur. J’ai repris le magasin de broderie de Madame Quéméré-Jaouen, qui vendait déjà quelques livres en breton, pour fonder Ar Bed Keltiek, d’abord à Quimper puis à Brest et Lorient.” Si l’on considère les participations à des albums commémoratifs, des compilations, la coproduction de l’album l’Albatros fou de Gilles Servat (1991), un passage à Glastonbury avec Alan Stivell (1994), au Vauban en 1999, des tournées en Martinique et en Guadeloupe en 2003 et 2007 ou encore la participation en 2009 à l’opéra-rock Anne de Bretagne, d’Alan Simon, on s’aperçoit que le métier de libraire n’a jamais réellement détourné Gweltaz ar Fur de la musique. Ni de ses engagements associatifs, comme dans le bureau du Théâtre de Cornouaille, au sein du Gorsed de Bretagne ou encore politiques – il est conseiller municipal à Quimper, élu sur la liste d’union Socialistes-Verts. En fermant boutique l’an dernier, il a eu tout le loisir de préparer son retour et peaufiner son dernier disque, Mebay ‘vo glaw, qui reste dans la veine folk-rock, avec un côté plus intimiste et davantage de guitares que d’instruments traditionnels bretons. “Je voulais quelque chose de plus épuré, même si on entend par exemple de l’accordéon chromatique, du e-bow ou encore de la mandoline.” Ceux qui regrettent la disparition d’Ar Bed Keltiek, un des rares commerces de Quimper où on l’entendait quotidiennement parler breton, se réjouiront en revanche de voir la langue bretonne s’enrichir de nouveaux textes et d’assister au retour sur scène d’un sage du mouvement breton, déterminé à convaincre la jeunesse de ne plus jamais se laisser faire, “Arabat ken’n em lezel ober”. ■
En trois cd, un enregistrement public et quelques dizaines de concerts, Katé-Mé avait élaboré une alternative funky à la musique de haute Bretagne. Cette carrière à laquelle un terme a été mis en 2009 est retracée dans ce Meilleur de, édition collector, accompagnée d’un dvd. Cette ultime production permet de mettre en relief l’évolution du groupe au fil des années avec le passage de témoin entre Mathieu Hamon et Sylvain Girault, deux des plus grands interprètes de chanson gallèse, le premier à l’ampleur de timbre impressionnante, le second au phrasé d’une virtuosité inégalée. On retrouve donc avec plaisir les “tubes” qui ont jalonné l’existence de Katé-Mé, de ceux qui ont enflammé le public, comme le “Sans souci” et la fameuse “Ridée de la police” – ou comment chanson nouvelle et chanson populaire s’entremêlent joyeusement pour manifester une préoccupation d’ordre politique – ici livrée dans une grosse version live avec chorus de
bombardes signés Erwan Hamon et Philippe Janvier, époustouflants et inspirés ! On tire aussi vers le blues dans les “Tours de Babylone”, sur un arrangement de Patrice Paichereau, guitariste qui sait faire tourner une grille de douze mesures. Mais une des constantes dans les choix de Katé-Mé restera l’humour que distillait Sylvain Girault dans les textes avec sa faconde toute personnelle, “Buvons tous le muscadet à pleins verres mes compagnons, l’eau c’est bon pour les poissons !”, on ne saurait mieux résumer la philosophie de ces joyeux compères ! Un dvd restitue l’ambiance de leurs derniers concerts. Le rideau est tombé, les Katé-Mé sont partis vers d’autres horizons professionnels, il nous reste le souvenir d’un groupe particulièrement attachant et original à tous points de vue et dont le dynamisme va manquer à la scène haute bretonne. Salut les artistes ! Michel Toutous Katé-Mé, le Meilleur de, CD+ DVD Solidor Productions, diffusion Harmonia Mundi SOL201001.
Le beau chant Quand une valeur sûre de la musique bretonne collabore avec une valeur montante. Anne Auffret, chanteuse et harpiste trégorroise, s’illustre depuis toujours dans la reprise et l’interprétation de ce que la tradition offre de meilleur, le tout avec une certaine discrétion. Au fil des ans, devenue l’une des meilleures voix de Bretagne, on l’a entendue chanter en duo avec Yann-Fañch Kemener, ou entonner des cantiques en compagnie de Daniel Le Féon et Michel Boédec. Ce nouvel opus ne déroge pas à la règle. Anne Auffret tient fermement à ces principes, faits d’un savant mélange de chants repris de grands recueils, de collectages
récents, voire de quelques compositions du genre classique. À ses côtés cette fois, un jeune musicien breton, Florian Baron, guitariste et ici joueur d’oud. La véritable surprise de ce cd est donc l’emploi de cet instrument dans l’instrumentarium, déjà bien fourni, de la Bretagne, dont le répertoire s’accommode au demeurant fort bien. Il faut assurément un certain courage pour assumer aujourd’hui ce type de production basée sur le principe de restitution des mélodies dans la forme la plus originelle qui soit, afin de faire entendre de beaux textes. Armel Morgant Anne Auffret et Florian Baron, Setu ! - Gwerziou ha soniou Breizh, Keltia Musique KMCD 518.
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R ocking bagad !
Le bagad Karreg an Tan, filiale du bagad Brieg, est allé à la rencontre du groupe nantais Alea Jacta Est, pour une création commune. Kataje est le compte-rendu de ce spectacle,
enregistré en public pour mieux faire ressortir l’énergie déployée par cet alliage. Ce genre d’expérience commence à faire florès dans le milieu, et les Briécois, s’ils ne sont pas complètement rompus à l’exercice, du moins ils en possèdent les codes eu égard à la personnalité du “bagad-mère”. Le ton est donné dès l’intro, on frappe sur des bidons à la manière des Tambours du Bronx, les bombardes et cornemuses enchaînent par des thèmes de gavotte qui portent la signature de Mich’ Droual, leader de Karreg an Tan, avec quelques secondes voix qui rappellent les pratiques des pipe-bands. Puis les rockeurs entrent en scène sur une rythmique colorée tendance reggae, grosse voix, textes rageurs, et tout ce monde se retrouve dans des crescendos volumineux qui réjouissent le public. Le mélange fonctionne très
bien, les deux formations alternant les propositions, tantôt rock, tantôt bagad. Quelques passages comme “Elliot” ou “Esteban” font penser à du Dan ar Braz, même style de mélodie, même style de guitare et sonorité d’ensemble similaire. Mais l’inspiration des chansons d’Alea Jacta Est s’abreuve à des sources diverses, des Caraïbes au Sahel. Le bagad n’oublie pas au passage sa suite écossaise, ce qui est une autre des spécialités de nos amis briécois, avec un niveau technique respectable, l’originalité résidant dans l’accompagnement rythmique chaloupé des rockeurs. Certes, Kataje ne révolutionne pas le genre “bagad avec groupe de rock”, mais cet enregistrement y apporte sa contribution, en toute modestie. M.T. Kataje/Live, CD Production Kataje Asso, kataje2010.
Tc h a tc h a D o u a r n e n e z Il serait sans doute exagéré de parler de “musique bretonne”, au sens où on l’entend habituellement tout au moins, à propos de cet enregistrement. Pas davantage, d’ailleurs que de “variété bretonne”. Disons que les artistes ont plutôt fait dans l’atypique. L’opus est signé d’un duo formé par Louis-Jacques Suignard, chanteur, et de YannGuirec Le Bars, guitariste. Si l’on ne se fiait qu’au titre, on pourrait croire que Tcha tcha Douarnenez est un enregistrement fait de chansons composées sur des musiques
issues directement des années soixante, et plus précisément du début de celles-ci, lorsque les rythmes latino-américains faisaient la loi dans la musique de variété française. Bref, à l’époque où le cha cha cha était la danse à la mode. Il n’en est rien. L’ambition des artistes est bien de faire coller des paroles bretonnes signées pour la plupart Suignard, mais aussi Anjela Duval, à des mélodies et à des rythmes contemporains. Avec originalité et humour, les deux compères oscillent constamment entre
rock, ballades d’inspiration folk, et bien entendu titres tendance latino-américaine, sans toutefois se priver d’un clin d’œil à la tradition hébridéenne. C’est Pascal Lamour qui avec son label bnc a produit ce Tcha tcha Douarnenez, dont il convient de souligner, une nouvelle fois, la très grande qualité de prise de son. bnc s’affirme de cd en cd comme un label éclectique capable de toutes les audaces. A.M. Louis-Jacques Suignard et Yann-Guirec Le Bars, Tcha tcha Douarnenez, BNC Productions BNC LJS 02, Distribution Coop Breizh.
L a p op b a r o q u e d e C on t r é o Après Olli & the Bollywood Orchestra, le chanteur rennais Olliver Leroy revient à une musique plus proche de nos critères esthétiques occidentaux. Contréo, récemment remarqué aux Tombées de la Nuit et aux Vieilles Charrues en compagnie de l’Orchestre de Bretagne, nous plonge dans un univers inédit où se télescoperaient Henry Purcell et Philip Glass. La voix surprenante d’Ollivier Leroy donne la couleur du projet, une voix de tête à la manière des contre-ténors de la musique baroque. Ce registre pour le moins périlleux, magnifiquement maîtrisé, est enveloppé par un orchestre de chambre où les
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cordes occupent une bonne part de l’espace sonore enrichi par des vents charnus. Cet ensemble est dirigé par Jean-Philippe Goude, compositeur et pianiste qui fut de la mythique nébuleuse Magma, et qui en signe tous les arrangements. C’est une
musique précieuse et une écriture d’une grande richesse qui entoure cette voix surprenante, interprétée par des instrumentistes de haut vol, d’une précision absolument remarquable. Loin des synthétiseurs de supermarché et des programmations à deux sous, chaque note, chaque attaque, chaque groupe d’instruments intervient avec un à-propos confondant comme si jaillissaient d’une fontaine merveilleuse des myriades de gouttes toutes différentes et pourtant toutes nécessaires à l’ensemble. Un disque hors norme, extrêmement plaisant et pour tout dire, une découverte ! M.T. Contréo, Contréo, CD Label Caravan, LC 004.
A lta n a u p h i l h a r m on i q u e À l’occasion de son vingt-cinquième anniversaire, Altan, figure majeure de la scène irlandaise, s’est adjoint les services de l’orchestre symphonique de la radio télévision irlandaise, rte : rien que ça ! La recette du groupe emmené par la toujours classieuse Mairéad Ni Mhaonaigh n’a guère changé : phrasé fluide, voix souple, thèmes originaux et instrumentation acoustique. Les arrangements orchestraux sont signés Fiachra Trench, compositeur de nombreuses musiques de films, qui a déjà collaboré avec les Chieftains et les Corrs. L’expérience n’est pas sans risques, car la musique d’inspiration traditionnelle, qu’elle soit irlandaise ou d’ailleurs, répond à des exigences qui dépassent largement le strict cadre d’une partition. Cela est
d’autant plus sensible ici que la voix de Mairéad Ni Mhaonaigh joue sur du velours dans les chansons gaéliques. L’orchestration accompagne toutefois fort bien la chanteuse en posant de petites touches de cordes qui enrobent le timbre de cette grande voix. Le tempo d’une jig lente convient également fort bien à l’exercice, les traits d’orchestre rehaussent les couleurs d’origine de tonalités brillantes. En revanche, lorsque le tempo s’accélère, plus particulièrement dans les reels, l’orchestre se manifeste à grands coups de brosse qui ont tendance à écraser la dentelle tissée par les fidles et l’accordéon. Les attaques sont trop lourdes pour la légèreté du propos. Le gâteau d’anniversaire d’Altan se révèle copieux, mais un peu trop riche pour des palais délicats. M.T.
Altan, With the R.T.E. Concert Orchestra, ductions Altan/Fiachra Trench, ALT0001.
CD
Pro-
K e m e n e r e t l e s O c c i ta n s Nous n’avons en aucun cas affaire à un disque de “collage” immortalisant la rencontre éphémère de deux musiciens issus de deux traditions antipodiques. Il s’agit bien au contraire du résultat d’un travail de longue maturation. Ce cd est né de la rencontre de Yann-Fañch Kemener avec un chanteur occitan, Renat Sette, qui est un peu l’équivalent provençal de Yann-Fañch, tout à la fois chanteur et collecteur. Ils ont été rejoints par deux musiciens languedociens, François Feva, saxo-
phoniste et Laurent Audemard, clarinettiste et hautboïste, mais surtout compositeur, arrangeur et véritable maître d’œuvre du spectacle. Membre du groupe Une anche passe, ce sont surtout les musiques méditerranéennes qui avaient jusqu’alors retenu son attention. La collaboration avec le monde breton est une nouveauté pour lui. La rencontre des quatre compères s’est faite à l’occasion d’une “résidence” organisée sous l’égide du Chantier de Correns. C’est donc comme le
fruit d’une longue et savante gestation. Bretagne et Occitanie se répondent à travers des chants qui se complètent, font parfois écho l’un à l’autre, s’interpénètrent à l’occasion. Le moins étonnant, en la matière, n’étant sans doute pas la version bilingue, occitan et breton, des fameux Tri martolod, ou encore les Séries provençales équivalent de nos Gousperoù ar raned. A.M. Yann-Fañch Kemener, Laurent Audemard, François Fava, Renat Sette, Si je savais voler, chants de Bretagne et d’Occitanie, Buda Musique 3018165, Distribution Universal.
C e s d i a bl e s d ’ A rv e s t Deux chanteurs, une guitare et un clavier, c’est la formule qu’ont choisie les vannetais d’Arvest pour se produire sur les scènes de festoùnoz et qui signent ici leur troisième album. Yann Bertrand et Yves Jego mènent le groupe de leurs voix nettement différenciées, voix très peu vibrée pour le premier, beaucoup plus typée traditionnelle pour le second. De fait, on assiste à une alternance de scansion quasiment neutre et d’attaques plus marquées, ce qui procure une forme de contraste vocal étrange, mais pas désagréable. Pour les danseurs, pas de problèmes, les tempi sont respec-
tés. L’accompagnement de David Er Porh et Aymeric Le Martelot prend un parti pris ternaire, quel que soit le répertoire abordé, ce qui s’avère parfois lassant à force d’être quasi systématique. Dans ce grand mélange de danses de basse et haute Bretagne, le piano sait se ménager de jolis moments, éloignés des mélodies d’origine, mais qui ne donnent nullement l’impression de bavardage obligé. La technique s’efface devant l’inspiration du musicien. On peut regretter toutefois que des modulations maladroites viennent de temps à autre gâcher une proposition originale en
matière de chant à danser.
M.T.
Arvest, Tri Diaoul, CD L’Oz Productions, l’oz 63, Diffusion Coop Breizh DB 10.
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P l a n t e c : to u j o u r s p l u s l oi n ! Au fil des albums, on a senti que Plantec souhaitait se démarquer progressivement d’une étiquette de groupe de fest-noz qui, à vrai dire, leur convient de moins en moins. On s’installe d’autorité dans une démarche totalement différente par ses objectifs. Le gros son prime sur le reste, la rythmique prend le pas sur la mélodie et la voix ne cherche plus à s’approcher des critères en usage dans la musique traditionnelle. Une fois ces postulats établis et reconnus, la musique se juge à l’aune d’une autre esthétique. La
collaboration de plus en plus prégnante de M-Kanik aux machines en est un des éléments importants, le gros son en étant un autre, et non des moindres. La guitare va à l’essentiel, des riffs appuyés qui renforcent une rythmique lourde servie par la basse et les percussions. La voix de Maël Lhopiteau prend de l’assurance et s’affranchit de ce qui restait de proximité avec le kan ha diskan. La bombarde, le biniou et la flûte jouent dans un registre inhabituel, des bribes de thèmes éloignés de ceux qu’on peut entendre d’or-
dinaire dans les festoù-noz, avec par moments des essais de chorus. C’est sans doute dans ce dernier domaine que les choses peuvent s’améliorer : l’intérêt retombe un peu trop vite, car on ne va jusqu’au bout de la démarche en se contentant de rester dans une harmonie plutôt sage. Un signe ne trompe pas, Plantec est de plus en plus souvent invité dans des festivals rock. Ce n’est pas ce dernier opus qui viendra contrecarrer la tendance ! M.T. Plantec, Mekanik, fusion Coop Breizh.
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Aztec Musique
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2279, Dif-
R o c ’ h a n d f ol k Dom Duff n’a pas choisi le terrain le plus facile pour s’exprimer. Folk-song breton, c’est ainsi qu’on pourrait qualifier ce genre bien à part dans la production actuelle. Le choix est courageux, car d’emblée il implique l’écriture en langue bretonne, comme une revendication affirmée dans un environnement oral qui l’emploie de moins en moins. Il tient à conserver son accent de terroir, pur goémon, avec une langue éloignée d’un breton “hors-sol” trop souvent normatif. C’est cela qui fait aussi le charme bien particulier de cet album, car ce choix procure une musicalité supplémentaire aux chansons de Dom Duff, la musicalité d’une langue riche de sonorités rocailleuses. La voix est fortement timbrée, avec ce soupçon de limaille de fer qui apporte le
grain du vécu. Les textes vont de chroniques intimes jusqu’aux pensées d’ordre universel. Le chanteur est ouvert sur le monde, des tavernes de Rennes aux rues de Varsovie, et on retrouve là une certaine parenté d’inspiration avec un autre Pagan qui a beaucoup bourlingué, Denez Abernot. Dom Duff n’oublie pas le salut aux “anciens” dans une version toute personnelle, avec une subtile variation textuelle, de “Brezhoneg ‘Raok” qui marque son respect pour
ceux qui l’ont précédé sur les scènes et dans l’écriture. Si la version de Stivell était largement connotée rock, cette nouvelle adaptation se teinte de folk énergique. Celui-ci porte également les autres mélodies du disque, avec de temps à autre un soupçon bienvenu d’électricité. Le chanteur s’accompagne lui-même, fort bien, aux guitares et s’est adjoint un groupe expérimenté où on distingue entre autres le violon de Nicola Hayes qui développe d’élégantes fantaisies autour des thèmes. Les Francofolies de La Rochelle et d’autres scènes ont consacré Dom Duff et c’est largement mérité. Ce nouvel album est nettement plus abouti que les précédents, c’est celui de la maturité d’un artiste. M.T. Dom Duff, Roc’ h, CD Boutoù Production, distribution Coop Breizh, CD DDF004 – DB10.
C h a n s on s at l a n t i q u e s Karan Casey et John Doyle se sont rencontrés au sein du groupe américano-irlandais Solas. Exiles Return célèbre donc, en quelque sorte, les retrouvailles de la chanteuse et du guitariste qui mènent, depuis quel-
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ques années, chacun de son côté, leur carrière de solistes. Le titre de l’album est on ne peut plus explicite, qui se compose de chants traditionnels traitant tous de la problématique de l’exil, les drames de diverses natures qu’il engendre, de la séparation amoureuse au naufrage du vaisseau. À ce sujet, John Doyle éprouve le besoin de préciser qu’après avoir vécu plus de dix-huit ans hors d’Irlande, il ne se sent plus vraiment irlandais ni américain, se définissant par le néologisme, difficilement traduisible, de “Mid-Atlantean”. Toujours est-il qu’en compagnie de Karan Casey, il nous livre ici un
superbe disque. Un album entièrement acoustique, fait de ballades irlandaises, écossaises, anglaises. Michael MacGoldrick, grand flûtiste originaire de Manchester, vient enrichir l’enregistrement, et le banjo de Dirk Powell y apporte une touche américaine. On recommandera tout particulièrement ce cd à ceux qui apprécient l’ambiance intime, voire feutrée, des petites salles, et qui goûteront la belle voix de Karan Casey dans des ballades évoquant le destin d’un peuple partagé entre deux continents. A.M. Karan Casey & John Doyle, Exiles Return, Compass Records 7 4529 2, Distribution Keltia Musique.
Un c o c k ta i l bi e n s e rv i Au seuil des années 1990, Cocktail Diatonique avait tenté d’inventer un langage de groupe sui generis pour quatuor d’accordéons. Ce cocktail renaît vingt ans plus tard sous forme d’un trio avec YannFañch Perroches et Ronan Robert, les représentants du canal historique, en compagnie d’un petit nouveau, Fañch Loric. Ces trois virtuoses de la boîte du diable mettent au pot commun leur répertoire et leurs sensibilités propres pour ce tout frais Boulkaoutchokénouga. Il y est bien sûr question de danses bretonnes – les itinéraires respectifs de ces musiciens affichent de brillants états de service dans le domaine –, mais également de compositions qui n’ont plus qu’un lointain rapport avec l’imagerie accordéonistique habituellement véhiculée. Qu’importe, car de tels interprètes se complètent parfaitement et se mettent au service de leur instrument avec une hauteur d’inspiration qui se moque bien
d’une dichotomie qui opposerait le traditionnel et le contemporain. Les danses sont dansantes et toniques à souhait comme l’illustre la suite de ronds de Saint-Vincent : tempo idéal, phrasé nerveux qui donne envie d’entrer dans la ronde, bref un modèle du genre. Pour la basse Bretagne, c’est Yann-Fañch Perroches qui fait parler le métier en habillant “ar Plac’h manket” de belles variations mélodiques et rythmiques auxquelles fait suite une magnifique gavotte inspirée du légendaire Yves Ménez qui n’en finit pas d’inspirer les adeptes de la boîte à frissons. Les compositions quant à elles n’hésitent pas à se lancer dans des mélanges audacieux. Ainsi, la “bourrée bretonne à la mode galicienne” voit se succéder un ostinato chromatique et un thème de danse sur fond de bourdon. Les trois compères se renvoient la balle dans un jeu tout en finesses où les intervalles sont utilisés de manière fort habile. La première formation du
Cocktail Diatonique avait suscité des vocations, il y a beaucoup à parier que cette nouvelle mouture aura les mêmes effets. Du beau travail ! M.T. Cocktail Diatonique, Boulkaoutchokénouga, Coop Breizh CD 1030 DB 10.
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Un e be l l e r é c olt e Allah’s Kanañ (où l’on peut également entendre le breton Al lazkanañ) est un chœur mixte créé en 2004 par une compagnie de jeunes bretonnants, pour une bonne part issus des écoles Diwan. Le fait que cela se soit produit à l’occasion d’un pèlerinage en Terre sainte explique sans nul doute qu’ils se soient spécialisés dans le chant religieux, repris de la tradition bretonne ou de diverses traditions de la planète. S’il n’a pas dix ans d’existence, le groupe ne s’en est déjà pas moins distingué en se classant par deux fois deuxième au championnat de
Bretagne de chant choral organisé par Kanomp Breizh et le festival Kann al Loar de Landerneau. Frouez nevez, leur deuxième album, confirme les promesses du premier, paru en 2008. On y retrouve des cantiques parmi les plus populaires qui soient (Patronez dous ar Folgoad, Gwenole tad benniget), à côté de chants haïtiens, malgaches ou béninois. Ceux qui ont pu les entendre en concert n’ont pu que constater à quel point les choristes d’Allah’s Kanañ se sont attaqués et participant à leur façon, au dépoussiérage, voire au renouvellement
du chant choral breton. Il faut dire que la fraîcheur des voix y est pour beaucoup. Leur jeunesse, leur cosmopolitisme, leur éclectisme, leur permettent manifestement de présenter un programme décomplexé, vivant, ce qui leur fait tenir une place bien à part, dans le petit monde du chant choral breton, en y apportant un souffle nouveau. On appréciera notamment le travail sur les voix, qui forment un ensemble homogène. Belle récolte que cette nouvelle publication. A.M. Allah’s Kanañ, Frouez nevez, Vocation Records VOC 1814, Distribution Coop Breizh.
J a k e z P i n c e t, c or n e m u s e s ol o Suivant l’exemple de ses maîtres écossais, Jakez Pincet poursuit avec ce deuxième volume de l’Art du solo de cornemuse la publication de ses enregistrements de pibroch. Un genre dont il fut l’un des grands pionniers en Bretagne. Jakez Pincet avait rencontré le pibroch en Écosse et fréquenté le Scolaich Beg an Trech fondé par Herri Léon, Donatien Laurent et Alain Le Hégarat avant de créer le premier pipe band breton,
An Ere. Si son nom n’est vraiment connu que du cercle des connaisseurs, Jakez Pincet n’en est pas moins considéré par nombre de grands sonneurs d’aujourd’hui comme un professeur de qualité. Les enregistrements réunis ici ont tous été faits de 1979 à 1981. Il s’agit presque exclusivement de pibroch, complétés par une suite de marches et de strathspeys ainsi que quelques reels et une mélodie bretonne. Tous ont été
réalisés par l’interprète lui-même, à domicile. Il s’agit donc de prises de travail. Que ceux qui avaient été quelque peu étonnés et rebutés par le côté un tantinet brut du premier volume se rassurent : les pièces ici présentées ont été retravaillées, et présentent donc une qualité technique qui n’était pas au rendez-vous du premier volume. A.M. Jakez Pincet, Art du solo de cornemuse, Volume II (1979-1981), Paker Prod 003, Distribution Coop Breizh.
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Expos
L e s v i n g t- c i n q a n s d u m u s é e d e P on t- Av e n Inauguré en 1985, dans une cité fortement marquée par la peinture, le musée des beaux-arts de PontAven fête cette année ses vingt-cinq ans. Une période qui a été mise à profit par ses conservateurs pour acquérir de nombreuses pièces, qui en font aujourd’hui l’un des lieux incontournables de découverte de l’art en Bretagne. À cette occasion, les œuvres les plus remarquables seront présentées dans un parcours chronologique étendu. Il débute par les créations des premiers artis-
tes venus à Pont-Aven dans les années 1850, puis se poursuit avec des œuvres de Gauguin, Bernard ou Sérusier qui ont assuré la notoriété de la petite ville cornouaillaise. Des artistes plus contemporains seront également présentés. Cette exposition qui se poursuivra jusqu’à la fin de l’année est une belle invitation à redécouvrir cet établissement et ses collections. Les 25 ans du musée : un quart de siècle d’acquisitions, du 9 octobre au 2 janvier 2011, musée des beaux-arts, Pont-Aven. Tél. 02 98 06 14 43.
M a u r i c e L e S c o u ë z e c , a rt i s t e v o ya g e u r Initiée par le musée des beaux-arts de Vannes et codirigée par Denise Delouche, l’exposition “Maurice Le Scouëzec, peintre voyageur” est d’abord le récit de la vie tumultueuse de cet artiste atypique, père du défunt grand druide de Bretagne, Gwenc’hlan Le Scouëzec. Embarqué très jeune dans la Marine, Maurice Le
Scouëzec commence en effet à peindre à bord des navires et au gré des escales, sur toutes les mers du monde. De 1917, où il est réformé à 1925, il vit à Montparnasse et fréquente assidûment le monde de la nuit, qu’il va peindre. Plus tard, il parcourt à nouveau le monde, l’Égypte, l’Afrique noire, le Mexique, en rapportant des
images éblouissantes. Paysages et sensations s’accumulent dans ses carnets, avant d’être restitués plus tard sur de grandes toiles. Puissante et colorée, l’œuvre de Maurice Le Scouëzec reste encore trop méconnue. Maurice Le Scouëzec, peintre voyageur, du 23 octobre à fin janvier 2011, musée des beaux-arts, Vannes. Tél. 02 97 01 63 00.
L’ av e n t u r e d e l a J e a n n e C’est tout naturellement que le musée de la Marine, situé dans le château dominant la cité du Ponant, accueille une exposition sur la Jeanne, Brest ayant été le port d’attache de ce navire école. En 2010, après quarante-cinq campagnes, le porte-hélicoptères a en effet été désarmé après un périple
d’un témoignage étonnant sur la vie à bord, des entrailles du bateau jusqu’au pont d’envol. L’exposition relate également les grands événements au cours desquels la Jeanne a été présente, aux quatre coins du globe. La Jeanne d’Arc, dernière mission, jusqu’au 31 décembre, musée de la Marine, Brest. Tél. 02 98 22 12 39.
C o q u i l l a g e s e t c r u s ta c é s
En bref Carnet de voyage Passionné de voyages, s, Olivier de Cayron proposee une série d’œuvres autour de ses périples aux quatre coins du globe. À partir de photographies et réalisation numériques, il mêle divers matériaux (plexis, microperforé) à des supports originaux. Carnet de voyage, Olivier de Cayron, du 11 septembre au 7 novembre, galerie du Présidial, Quimperlé. Tél. 02 98 39 14 60.
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de six mois. En près d’un demi-siècle d’activité, plus de quinze mille marins y ont été embarqués et plus de six mille élèves officiers y ont été formés. Nombre d’entre eux en gardent naturellement une certaine nostalgie. Ils retrouveront leurs souvenirs à travers soixante-dix photos et deux films documentaires. Il s’agit
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Depuis toujours, les coquillages sont des objets que l’homme ramasse pour son alimentation ou la beauté et l’étrangeté de leurs formes, leurs limites incertaines entre le règne minéral, végétal et animal. Les coquillages ont également inspiré les artistes, principalement au xxe siècle, du surréalisme à l’art brut. Certains se les approprient plus ou moins directement, d’autres les prennent en prétexte pour la rêve-
rie, quelques-uns les imaginent en habitats. La culture populaire s’est également emparée des coquillages et des crustacés, comme le rappelle ce titre en référence à la chanson de Brigitte Bardot. Le musée des beaux-arts de Brest propose une exposition fort originale, mêlant les œuvres d’une trentaine d’artistes contemporains, pour la plupart reconnus, avec des objets provenant des réserves d’Océanopolis ou de collections ethnographiques. Coquillages et crustacés, jusqu’au 24 octobre, musée des beaux-arts, Brest. Tél. 02 98 00 87 96.
Les mouches s’e xposent Elle fait partie de notre quotidien, mais demeure un objet de répulsion pour les hommes. La mouche joue pourtant un rôle très important dans nos écosystèmes. Elle est partout : l’ordre des diptères (insectes possédant une seule paire d’ailes) comprend des centaines d’espèces et représente entre 15 et 20 % des espèces animales sur la planète. Le Muséum d’histoire naturelle de Nantes se propose de faire découvrir cet étonnant animal. L’exposition aborde plusieurs questions fréquentes, comme la façon dont les mouches arrivent à tenir au plafond ou comment reconnaître les espèces inoffensives de celles porteuses de maladie comme la tsé-tsé. Douze tentes sont dédiées à l’observation des insectes. Les planches de l’entomologiste Eugène Séguy illustrent la beauté des diptères. Un surprenant “mouchomaton” rend compte de nos comportements face aux mouches. Le visiteur termine son parcours en devenant membre d’un jury. Il doit se prononcer sur le sort de la mouche : doit-on la tuer ou la gracier ? Une belle réflexion sur le rôle des espèces dans la nature, dont celui de l’homme. Mouches, jusqu’au 27 mars 2011, Muséum d’histoire naturelle, Nantes. Tél. 02 40 41 55 00.
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En cours
Lumières à la R oche-Jagu
(lire ArMen n° 176 et 177) La Bretagne fait son cinéma, jusqu’au 7 novembre, Saint-Vougay. Tél. 02 98 69 93 69.
Mali au féminin, jusqu’au 3 octobre, Rennes. Tél. 02 23 40 66 70.
Elles courent, elles courent nos histoires… de Bretagne et d’ailleurs, jusqu’au 7 novembre, Mellac. Tél. 02 98 71 90 60.
Guillaume Guintrand,
Le château de la Roche-Jagu consacre son exposition annuelle à la lumière et à la couleur. La couleur et la lumière font en effet partie de notre quotidien, parfois inconsciemment, et nous fascinent. La couleur est aussi affaire de subjectivité. Ainsi, celle du peintre n’est pas celle du physicien ou du linguiste. Sa perception varie selon les cultures et les époques. Le thème est ici décliné en plusieurs
aspects : lumière et couleur, voir la couleur, le rôle des couleurs dans la nature, les matériaux de la couleur, couleur et art, le langage des couleurs. L’approche se veut interdisciplinaire, au carrefour de la chimie, de la physique, des sciences naturelles, de l’histoire, de l’art ou de l’ethnologie. Lumière sur la couleur, jusqu’au 5 octobre, domaine départemental de la Roche-Jagu, Ploëzal. Tél. 02 96 95 62 35.
jusqu’au 20 septembre, Plélo. Tél. 02 96 74 21 77.
Rétrospective Coliou, jusqu’au 19 septembre, Quimperlé. Tél. 02 98 39 06 63. Dessins de presse à la Une, jusqu’au 9 janvier, Rennes. Tél. 02 23 40 66 00.
Meijer de Haan, le maître caché, jusqu’au 11 octobre, Quimper. Tél. 02 98 95 45 20.
France-Chine (1700-1860), la soie et le canon, jusqu’au 7 novembre, Nantes. Tél. 08 11 46 46 44.
Grand Nord, grand Sud, artistes inuits, artistes aborigènes, jusqu’au
R obe rt D oi s n e a u à D i n a n populaire et sa banlieue. Cent vingt clichés sont présentés sous forme de très grands formats, mettant ainsi en valeur son talent de mise en scène. Point d’orgue de la visite, pour la première fois l’une de ses photographies a été traitée en trois dimensions, grâce à un hologramme.
Chaque année, le Centre des rencontres économiques et culturelles de Dinan propose une exposition prestigieuse, celle de 2010 ne faisant pas exception à la règle puisque cet établissement propose de découvrir l’un des plus grands photographes du xxe siècle, Robert Doisneau (1912-1994). Du fameux Baiser de l’Hôtel de ville à la Libération de Paris, il nous plonge dans le Paris
Robert Doisneau, le temps retrouvé, jusqu’au 30 septembre, Centre des rencontres économiques et culturelles, Dinan. Tél. 02 96 87 58 72.
28 novembre. Tél. 02 98 25 84 39.
Rétrospective Edgar M axence
Val Piriou, bigoude de la
Le musée des beaux-arts de Nantes propose la première rétrospective consacrée au peintre symboliste Edgar Maxence (1871-1954). Très jeune, ce Nantais formé aux BeauxArts de Paris, se distingue de ses contemporains par son goût des portraits. Il est déjà influencé par le symbolisme, un courant auquel il restera fidèle jusqu’à la fin de sa vie. Très influencé par son pays,
haute couture, jusqu’au 28 novembre, Rennes. Tél. 02 23 40 66 00.
100 ans de couleurs, jusqu’au 26 septembre, Huelgoat. Tél. 02 98 99 75 41. Le beau langage de la nature, le paysage au temps de Mazarin, jusqu’au 17 octobre, Rennes. Tél. 02 23 67 45.
Arts déco en pays bigouden, jusqu’au 26 septembre, Quimper. Tél. 02 98 95 21 60.
il puise son inspiration dans les légendes ou la spiritualité bretonne. Edgar Maxence se distingue également par la variété de sa palette. Il utilise des rouges grenat, des verts émeraude, des jaunes sourds. Il peint avec de l’huile, de la cire ou les deux mêlées. La tempera, la feuille d’or, le fusain et la gouache donnent aussi un aspect particulier à ses créations. Son intérêt pour les mythologies celtiques et l’ésotérisme le rapproche des préra-
phaélites britanniques. La critique française le présentait quant à elle comme un “archaïque moderne”. Toute sa vie, il est resté fidèle à son inspiration bretonne sans jamais la renier. Il était donc normal que sa ville d’origine lui rende ce bel hommage, visible à la chapelle de l’oratoire. Les Dernières fleurs du symbolisme d’Edgar Maxence, jusqu’au 19 septembre, chapelle de l’oratoire, musée des beaux-arts, Nantes. Tél. 02 51 17 45 00.
Festival photo, jusqu’au 30 septembre, Tél. 02 99 08 68 00. Paul Ranson, artiste nabi : fantasmes et sortilèges, jusqu’au 3 octobre. Tél. 02 98 06 14 43.
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H e e m s k e r c k e t l’ h u m a n i s m e Le musée des beaux-arts de Rennes avait déjà organisé une exposition, en 1974, consacré à Maarten van Heemskerck (1498-1574). Peintre prolifique, il est notamment célèbre pour sa série sur les Sept Merveilles du monde. Le musée donne un éclairage particulier sur les convictions humanistes de cet artiste néerlandais catholique, formé dans son
pays et en Italie. Cet humanisme se traduit essentiellement dans le retable Saint-Luc peignant la Vierge, présenté à Rennes et dont l’étude et la présentation nous entraînent à la redécouverte de la Renaissance européenne. Autour de Saint-Luc peignant la Vierge, jusqu’au 4 janvier 2011, musée des beaux-arts, Rennes. Tél. 02 23 62 17 45.
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