Musique
A u t e m p s d e s j o u r n a u x pa r l é s
C’était en 1978, avant l’explosion de la bande fm et celle d’Internet, au temps de la charte culturelle de Giscard d’Estaing. Quelques illuminés entreprennent d’éditer un journal en breton parlé sur cassettes autour de Lanrivain, petite commune de ce que l’on appelait encore les Côtes-du-Nord. Ce projet mené par René Richard dans le pays Plinn durera trois ans, le temps de créer du “lien social”, comme on dit maintenant, en allant à la ren-
contre des “vrais gens”. Radio Kreiz Breizh, radio indépendante de pays qui vient de fêter ses vingt-cinq ans, prendra la succession de ce journal, avec des objectifs similaires. C’est cette aventure qui est relatée dans ce double cd Kazetenn ar Vro-Plin. Les reportages mensuels sur la vie locale, du club de football aux problèmes agricoles, ont été délaissés au profit d’un matériau plus culturel, comme les contes et les chansons, abondants dans ce terroir, avec des interprètes remarquables. D’ailleurs, le premier disque s’ouvre par un “Ton Fañch” lancé à la treujenn gaol par l’emblématique Iwan Tomas, qui délivre là une leçon de tonicité sur un tempo endiablé. Le mérite essentiel de cette réalisation sera finalement de mettre en lumière ces chanteurs quasi inconnus, qui ne se produisaient même pas sur les scènes des festoù-noz du canton. Au hasard des plages, on relève un magnifique “Son ar mili-
D i è s e 3 , u n n o u v e a u s on v e n u d ’ i c i ner” chanté par un certain Jañ Gov de Saint-Conan, au phrasé étrange qui n’est pas sans rappeler le lilting irlandais. On assiste également à un dialogue impromptu entre Marcel Guilloux et Anjela Duval, du petitlait pour les bretonnants et pour les apprentis bretonnants. Les enfants figurent également dans ce résumé, avec quelques chansons de leur cru. Et mine de rien, c’était une forme d’encyclopédie locale qui s’élaborait dans ce journal sonore, en mettant dans le jeu bon nombre d’acteurs locaux. Bref, Kazetenn ar Vro-Plin reflète l’air d’un temps qui aura été finalement d’une importance vitale pour la survie d’une culture rurale, et pour le combat en faveur d’une langue bretonne qui n’avait pas encore accès au Capes. Michel Toutous Kazetenn ar Vro-Plin, journal parlé du pays Plin de 1978 à 1981. Double cd rkb0801 diffusion rkb. Tél. 02 96 45 75 75 ou www.radio-kreiz-breizh.org rkb-infos@orange.fr
A f r o - be at r e n n a i s Terre Sacrée est le deuxième album de Fredka, multi-instrumentiste rennais qui plonge ses racines au Burundi. De la rencontre avec les rockers de Mass Prod est né un collectif reggae/punk en vue d’un projet interculturel. Ce reggae à la mode de Bretagne se situe clairement dans la mouvance revendicative née en Grande-Bretagne à la fin des années 1970. À l’instar des positions radicales des Clash,
Fredka dénonce entre autres calamités les boursicoteurs et la Banque mondiale qui sont à l’origine des problèmes de l’Afrique. Dans une très belle chanson, il évoque le sort des enfants-soldats qui partent au combat comme on va à la fête et à qui la guerre vole leur jeunesse. Si les messages passent dans tous les morceaux, Fredka n’oublie pas pour autant d’être musicien. Le groove s’installe d’entrée et on se
surprend à battre tranquillement la mesure. D’instruments d’origine africaine en rythmique funky, entre Touré Kunda et Bob Marley, Fredka séduit avec sa voix de velours et sa musique chaloupée. Avec Fredka, l’afro-beat se fait une jolie place dans le paysage musical breton, toutes tendances confondues. M.T. Fredka et le cœur d’Agakonie, Terres Sacrée, Mass Prod. Diffusion Coop Breizh.
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L a h a r p e d e T r i s ta n L e G o v i c Originaire de Lorient, Tristan Le Govic a suivi un parcours plutôt singulier dans le petit monde de la harpe celtique. Il doit en effet bien être le seul, à ce jour, à avoir exercé ses talents successivement en Bretagne, en Irlande et en Écosse. C’est dans ce dernier pays qu’il s’est installé depuis quelques années, et qu’il fait donc désormais carrière, en tant qu’interprète et professeur. Certaines écoles de Glasgow et de sa proche banlieue lui permettent d’initier les apprentis harpistes à l’art de la gavotte et du laridé. Il y a donc concocté Awen, cd d’inspiration tout à la fois bretonne et gaélique,
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celle-ci étant très richement nourrie de ses échanges avec les musiciens locaux. Pour ce nouvel opus, Tristan a opté une nouvelle fois pour un programme solo. Option risquée, mais une nouvelle fois concluante, car on sait combien peu de musiciens sont à même de captiver un auditoire de la première à la dernière note d’un récital. Ce à quoi Tristan Le Govic parvient, jouant sur la variété stylistique qui le caractérise. Awen, souligne-t-il, vient clore un cycle, celui du soliste, car il a commencé à s’orienter vers de petites formations, en s’alliant notamment à des musiciens venus du jazz. À ceux qui ne connaîtraient pas
Sous l’étrange appellation Dièse 3, pour laquelle ils seraient bien en peine de fournir la moindre explication, se cachent trois musiciens du centre Bretagne. Ils commencent à se faire un nom dans le monde des festoù-noz et ce premier disque vient ponctuer une jeune carrière débutée en 2008. Ce qui frappe dès la première écoute, c’est ce son particulier, loin des conventions du milieu. Ni bombarde, ni accordéon, une gageure ! Pour autant, on ne verse pas dans le simple exercice de style. Non, c’est tout simplement séduisant, car cette identité sonore qui met aux prises une clarinette basse, une guitare électrique et un violon ne ressemble à rien d’autre de connu jusqu’ici. Et ce jeune trio a eu la bonne idée de faire appel à un Yann-Fañch Kemener en grande forme, à un Aldo Ripoche au violoncelle inspiré, pour une suite fisel
du meilleur jus, qui constitue l’apogée de l’album. La voix se laisse porter par un tapis de sons et de rythmes qui la magnifient sans la dénaturer. Les arrangements jouent beaucoup sur la sonorité et sur des variations de timbres, avec un métier étonnant pour de jeunes instrumentistes. Ils savent aussi faire appel à l’harmonie pour tisser un accompagnement qui laisse le soliste tirer le meilleur de son instrument. Remarquable également, cette habileté étonnante pour de jeunes musiciens à faire alterner les timbres et à jouer sur des ostinato (1) qui laissent l’auditeur en attente jusqu’à l’arrivée d’un nouveau thème ou d’une nouvelle variation, pratique qui témoigne déjà d’un (1) Motif mélodique et rythmique répété obstinément.
certain savoir-faire. Ces ostinato déterminent en grande partie l’assise rythmique et mélodique d’un langage extrêmement riche, appuyé par une technique instrumentale d’une grande assurance. S’ils continuent à creuser leur sillon dans cette même veine, nul doute que les Dièse 3 sont à l’aube d’une belle trajectoire. Roulez jeunesse ! M.T. Dièse 3, Dièse 3, Autoproduction Distribution Coop Breizh db 12.
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Jakez Pincet Sonneur de bagad et de pipe band, Jakez Pincet fait partie des musiciens qui ont joué un rôle de premier plan dans l’introduction en Bretagne de la cornemuse écossaise. Élève de Herri Léon et d’Alain Le Hégarat, il a pris part aux stages du Scolaich Beg an Trech, avant de se perfectionner en Écosse auprès de pipers comme Bob Nicol et Bob Brown. Il est également l’un des premiers Bretons à s’être intéressé de près à l’art du pibroch, qu’il a également contribué à populariser en Bretagne à travers son enseignement. Malgré son riche parcours, Jakez Pincet n’est que sporadique-
ment apparu au disque. Cette double publication vient donc combler un manque, d’autant plus que les enregistrements de solistes bretons au Highland bagpipe sont encore assez rares. On y trouvera principalement des pibroch, dont l’interprétation a pu valoir un prix à Jakez à tel ou tel concours écossais, ainsi que quelques morceaux bretons. Enregistrements amateurs, à l’exception de celui d’une émission de la bbc, et malheureusement de qualité inégale qu’il faut donc avant tout considérer comme des documents, à travers lesquels peut se lire le parcours d’un piper breton :
son apprentissage, ses rencontres et sa participation à divers concours. On y trouvera de surcroît deux pièces interprétées par Bob Brown, enregistrées lors de cours donnés par celui-ci. Il s’agit ici du premier volume d’une série, couvrant les années 1976-1979. À l’attention des spécialistes : cet album se double de la publication d’un recueil intitulé Musique de cornemuse écossaise. A.M. Jakez Pincet, Solo Piping Art/Art du solo de cornemuse, Paker Prod 002, distribution Ti ar Sonerien. Musique de cornemuse écossaise (marches, strathspeys & reels de compétition, jigs & slow airs), versions anciennes de Bob Brown et Bob Nicol collectées et transcrites par Jakez Pincet, Éditions Ti ar Sonerien, Concarneau.
encore Tristan Le Govic, on ne peut que recommander Awen, d’autant plus qu’il a bénéficié d’une excellente prise de son signée de Pascal Lamour. Rarement la harpe celtique aura été si bien servie. Armel Morgant Tristan Le Govic, Awen, Breizh.
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ment dévoyé par d’autres, met en évidence. Entre autres qualités, on note également des tempi fermement soutenus par les percussions, des interventions judicieuses de duos mélodiques et une mise en place très propre, c’est dire si nos jeunes chenapans font déjà preuve d’un métier consommé pour faire danser, surtout qu’ils bénéficient pour l’occasion du renfort de la Kerlenn Pondi, bagad dont le talent n’est plus à prouver. Toutefois, quelques “péchés” de jeunesse viennent tempérer un jugement largement
favorable. Si les références traditionnelles sont présentes, elles sont parfois entachées d’une tendance des musiciens à surjouer, comme par exemple dans le kost ar c’hoat, où les traits sont un peu trop appuyés. On peut également regretter l’emploi de certains effets électroniques qui vient parasiter le son des instruments mélodiques. Lorsque ces petits détails seront réglés, nul doute que les chenapans auront le droit de jouer dans la cour des grands. M.T. Ampouailh, Fest-noz ar Gêr Wenn. zh, cd 1020 – DB 12.
Fêtes bretonnes de l’automne proposées par Gouelioù Breizh Festival Yaouank, à Rennes, du 2 au 22 novembre. Renseignements : www.myspace.com/yaouankgouel. Tél. 02 99 30 06 87
L e s c h e n a pa n s d u c e n t r e B r e ta g n e Qu’on ne se méprenne pas, ce n’est pas un jugement de valeur que de parler de chenapans, il s’agit tout simplement de la traduction d’ampouailh, nom de scène de ce quintet de fest-noz qui s’est fait connaître en centre Bretagne. Leur formule se révèle plutôt classique avec bombarde, accordéon, saxophone, guitare et percussions. Leur jeune âge ne les empêche pas d’afficher une certaine maîtrise du jeu de groupe. Cette aisance leur assure un caractère dansant que des exercices comme le bal plinn, facile-
Agenda
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Coop Brei-
Bombardes en fête, à Ergué-Gabéric, les 21 et 22 novembre. Renseignements : www.bas29.com. Tél. 02 98 90 41 53.
Breizh a Gan, festival de chant choral en breton, à Tréguier, le 6 décembre. Renseignements : www.kendalch.com. Tél. 02 97 53 31 35.
Cornemuses, journée de la Cornemuse avec plus de 80 solistes, à Quimper le 19 décembre. Renseignements : www.bas29.com. Tél. 02 98 90 41 53.
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