Salaun, le voyage au bout du monde

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Salaün Voyagiste au bout du monde

Ya n n R i v a l l a i n

Qui n’a pas un jour croisé sur les routes bretonnes un autocar peint aux couleurs de la société Salaün Holidays ? Sans se douter peut-être que le dynamique “autocariste” de Pont-de-Buis, près de Châteaulin s’est hissé, en quelques années, dans le peloton de tête des tours opérateurs de l’Hexagone, sans abandonner ses racines et les valeurs qui ont fait sa réputation.

À gauche, Michel Salaün, fondateur de l’entreprise, devant l’un de ses premiers autocars, en 1933. À droite, Yves Salaün, son fils, devant un autocar Chausson, en 1958, à Pont-de Buis.

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orsqu’on traverse le bourg de Pont-de-Buis, il est impossible de ne pas remarquer un bâtiment moderne, aux vitres miroirs, qui porte l’enseigne Salaün Holidays. Difficile aujourd’hui de deviner que cette petite tour de verre n’est en réalité qu’une extension de la maison qui abritait le café-graineterie-épicerie, tenu par la grand-mère de l’actuel dirigeant, Michel Salaün, jusqu’en 1980. Et que c’est ici même que l’entreprise a débuté son épopée, en 1934. Dans un rayon de quelques dizaines de mètres, d’autres anciennes maisons d’habitation abritent différents services

de l’entreprise. Pour aller du callcentre à la comptabilité, on chemine comme on le ferait pour aller rendre visite à ses voisins. Si l’on fait abstraction de la nouvelle façade, plus ou moins réussie, de l’aveu même du dirigeant, sur ses terres, “l’empire du voyage” que décrit parfois la presse spécialisée semble presque faire profil bas. On peut y voir la marque de modestie d’une entreprise fortement ancrée dans le pays où son grand-père, Michel Salaün, fonda sa petite affaire de transports, il y a soixante-seize ans. “Il était originaire de Collorec, en pays Dardoup et appartenait à une

famille modeste d’ouvriers agricoles, explique Michel Salaün. En 1927, pour améliorer sa condition et dans l’espoir d’acheter une ferme à son retour, il est parti travailler dans une briqueterie de la région de New York, aux États-Unis. Pendant quatre ans, jusqu’en 1931, il n’a pas vu sa femme et son tout jeune fils… Il fallait un sacré courage pour faire ça ! À son retour, plutôt qu’une exploitation agricole, il a décidé d’acheter un car pour amener les gens au marché, de SaintSegal à Châteaulin.” En 1934, il installe définitivement son affaire à Pont-de-Buis, à l’endroit même où se trouve donc le siège actuel de l’entreprise. Après une parenthèse pendant la guerre, le fondateur poursuit son activité avec l’aide de son fils, Yves, qui le seconde avant de lui succéder, en 1964. “Mon père m’a raconté qu’ils passaient leur temps à rouler, dimanches et jours fériés, témoigne Michel. Ils étaient fiers d’avoir leur car et étaient très attachés à leur travail. Ils avaient la volonté de le faire bien, avant toute autre chose.” Dans les années 1950, le développement du ramassage scolaire ainsi que le tourisme religieux vers Lourdes, Lisieux, Rome ou Saint-Jacquesde-Compostelle favorise le foisonnement de petites entreprises de transports dans chaque commune. Salaün en est une parmi des dizaines d’autres. En 1964, l’entreprise possède cinq autocars et fait vivre trois personnes. “Certains clients, comme le lycée agricole du Nivot


Salaün Voyagiste au bout du monde

Ya n n R i v a l l a i n

Qui n’a pas un jour croisé sur les routes bretonnes un autocar peint aux couleurs de la société Salaün Holidays ? Sans se douter peut-être que le dynamique “autocariste” de Pont-de-Buis, près de Châteaulin s’est hissé, en quelques années, dans le peloton de tête des tours opérateurs de l’Hexagone, sans abandonner ses racines et les valeurs qui ont fait sa réputation.

À gauche, Michel Salaün, fondateur de l’entreprise, devant l’un de ses premiers autocars, en 1933. À droite, Yves Salaün, son fils, devant un autocar Chausson, en 1958, à Pont-de Buis.

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orsqu’on traverse le bourg de Pont-de-Buis, il est impossible de ne pas remarquer un bâtiment moderne, aux vitres miroirs, qui porte l’enseigne Salaün Holidays. Difficile aujourd’hui de deviner que cette petite tour de verre n’est en réalité qu’une extension de la maison qui abritait le café-graineterie-épicerie, tenu par la grand-mère de l’actuel dirigeant, Michel Salaün, jusqu’en 1980. Et que c’est ici même que l’entreprise a débuté son épopée, en 1934. Dans un rayon de quelques dizaines de mètres, d’autres anciennes maisons d’habitation abritent différents services

de l’entreprise. Pour aller du callcentre à la comptabilité, on chemine comme on le ferait pour aller rendre visite à ses voisins. Si l’on fait abstraction de la nouvelle façade, plus ou moins réussie, de l’aveu même du dirigeant, sur ses terres, “l’empire du voyage” que décrit parfois la presse spécialisée semble presque faire profil bas. On peut y voir la marque de modestie d’une entreprise fortement ancrée dans le pays où son grand-père, Michel Salaün, fonda sa petite affaire de transports, il y a soixante-seize ans. “Il était originaire de Collorec, en pays Dardoup et appartenait à une

famille modeste d’ouvriers agricoles, explique Michel Salaün. En 1927, pour améliorer sa condition et dans l’espoir d’acheter une ferme à son retour, il est parti travailler dans une briqueterie de la région de New York, aux États-Unis. Pendant quatre ans, jusqu’en 1931, il n’a pas vu sa femme et son tout jeune fils… Il fallait un sacré courage pour faire ça ! À son retour, plutôt qu’une exploitation agricole, il a décidé d’acheter un car pour amener les gens au marché, de SaintSegal à Châteaulin.” En 1934, il installe définitivement son affaire à Pont-de-Buis, à l’endroit même où se trouve donc le siège actuel de l’entreprise. Après une parenthèse pendant la guerre, le fondateur poursuit son activité avec l’aide de son fils, Yves, qui le seconde avant de lui succéder, en 1964. “Mon père m’a raconté qu’ils passaient leur temps à rouler, dimanches et jours fériés, témoigne Michel. Ils étaient fiers d’avoir leur car et étaient très attachés à leur travail. Ils avaient la volonté de le faire bien, avant toute autre chose.” Dans les années 1950, le développement du ramassage scolaire ainsi que le tourisme religieux vers Lourdes, Lisieux, Rome ou Saint-Jacquesde-Compostelle favorise le foisonnement de petites entreprises de transports dans chaque commune. Salaün en est une parmi des dizaines d’autres. En 1964, l’entreprise possède cinq autocars et fait vivre trois personnes. “Certains clients, comme le lycée agricole du Nivot


nous ont suivis dès le début, se souvient Michel qui, enfant, n’aimait rien de plus qu’accompagner son père et les autres chauffeurs dans leurs tournées. Mon père avait la particularité d’acheter des véhicules neufs et d’être un des caristes les mieux équipés du Finistère. À partir de 1968, il a acheté des cars allemands de grand tourisme. Cette volonté d’offrir de la qualité et de la sécurité est d’ailleurs une des raisons historiques du succès de l’entreprise.” C’est en 1975, alors qu’Yves a 50 ans, que l’entreprise passe la vitesse supérieure en rachetant les cars Hascoët de Châteaulin. Six cars supplémentaires s’ajoutent à la flotte, ce qui constitue un pari audacieux pour le fils du fondateur. Avec quatorze cars et une vingtaine de salariés, l’entreprise Salaün est déjà “une belle affaire” et jette les bases d’une possible croissance. La passion du voyage Il faudra cependant attendre l’arrivée de Michel Salaün, l’actuel pdg, pour que l’entreprise entame l’impressionnante phase d’expansion qui force aujourd’hui le respect de bien des concurrents et des observateurs. Pourtant, le jeune homme qui entre dans l’entreprise familiale à l’âge de 21 ans n’a pas encore le profil du chef d’entreprise auquel peu de choses résistent, qu’on lui connaît aujourd’hui. La réussite familiale, qui lui donne une certaine assurance, explique peut-être aussi son relatif désintérêt pour les résultats scolaires. Lycéen à Châteaulin, il est très sportif, plutôt forte tête et jouit déjà d’une certaine aura auprès de ses camarades. Mais ce n’est pas sur les bancs de l’école qu’il apprendra l’usage du monde et s’ouvrira aux autres langues et cultures, mais bien en s’installant au volant d’un autocar. Le bac D en poche, il passe l’été suivant sur la chaîne de l’usine de montage des autocars Setra, à Ulm, dans le sud de l’Allemagne et en profite pour perfectionner son allemand, une langue qu’il maîtrise bien aujourd’hui, tout comme l’anglais. Après un dut de transports et logistiques, il obtient le diplôme de l’École de direction des transports routiers. “Depuis l’âge de 17 ans, une seule chose m’intéressait, c’était de rouler, sillonner

l’Europe en car, explique-t-il. Je suis entré dans l’entreprise en mai 1982, j’ai passé mon permis en juin, et, dès juillet, j’effectuai mon premier voyage en autocar dans les Alpes !” Aujourd’hui encore, témoigne Didier Labouche, conférencier et guide de voyage, le pdg breton n’hésite pas à prendre le relais d’un chauffeur Ouzbek pour faire une centaine de kilomètres sur une route défoncée, par pure passion pour le car. “On sent d’ailleurs chez lui, une vraie compassion pour les chauffeurs”, ajoute le conférencier. Parmi les atouts dont dispose Michel Salaün, appelé à succéder à son père, il y a bien sûr une réelle connaissance du milieu, mais aussi et surtout une véritable passion pour le voyage. La “boulimie d’ailleurs” qui l’anime, attestée par ses innombrables périples, est sans aucun doute l’élément clé de sa réussite. C’est elle qui va largement déterminer les orientations futures de l’entreprise. Pendant quatre ans, son terrain d’apprentissage sera l’asphalte. Il sillonne l’Europe en car, observe les pratiques des entreprises concurrentes, échange avec les autres chauffeurs et imagine des manières nouvelles de voyager en car. Dans les années 1980, lorsqu’il n’est pas au volant d’un car, Michel Salaün sillonne l’Europe de l’Est en voiture, au moins une fois par an. Rapidement, de la Pologne à la Roumanie, ce qui est encore le bloc de l’Est n’a plus de secrets pour lui. La chute du Mur lui permettra de pousser plus loin vers l’Orient et d’être parmi les premiers professionnels français à défricher des destinations touristiques jusqu’ici réservées aux routards. Si sa tête le porte constamment vers “l’ailleurs”, Michel Salaün l’a aussi fermement ancrée sur les épaules. “J’ai vite compris que, si on voulait se développer, il ne fallait pas se contenter de louer des cars avec chauffeur pour des déplacements précis, c’està-dire des “cars secs”, mais vendre des séjours organisés.” Il parvient à convaincre son père et, en bon germanophile, élabore une brochure sur l’Autriche à destination des groupes. “Je me souviens de mon premier voyage dans le Tyrol, à l’âge de 22 ans : j’avais emmené le club du troisième âge de Plomodiern. La

même année, j’ai fait huit fois cette destination”, témoigne-t-il. L’été, il roule ; l’hiver, il invente des voyages et les propose aux clubs et aux comités d’entreprise alentours. “Ça me faisait saliver d’imaginer un voyage, de le proposer et de le réaliser. J’étais assez agressif commercialement et je croyais à ce que je faisais.” Lorsqu’en 1985, Michel Salaün fonde Salaün Évasion, une agence de voyage en car, spécialisée dans les groupes constitués, elle fait, en France, figure de pionnier. Le succès est tel que l’entreprise se tourne vers les sociétés concurren-

Le siège de l’entreprise, à Pont-de-Buis, en 1957 (en haut) qui est aujourd’hui encore le siège de Salaün Holidays (en bas).

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tes pour augmenter ses capacités. En 1984, près de dix ans après la première opération de croissance externe menée par son père, Salaün rachète les autocars Savina de Brest. Cinq ans plus tard, le pari est réussi et l’entreprise rachète, à un an d’intervalle, la branche voyage de Savina, ainsi que la société Douguet à Crozon (cars et voyages, vingtcinq autocars, trente-cinq salariés). Au terme d’une opération délicate qui révèle la capacité de Michel Salaün à prendre des risques, l’entreprise double en taille et dispose désormais de deux points de vente, l’un à Brest, l’autre à Quimper, pour compléter ses ventes sur catalogue. De Plabennec à Tirana Après avoir conçu des voyages en car pour les groupes constitués, Michel Salaün, qui succède à son père en 1990, décide de remplir EN HAUT, un car Salaün dépose des voyageurs de retour des Pyrénées, à Quimper. EN bas, un car Salaün, devant le Palais d’Hiver, sur la place de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, en 1998. L’entreprise a été l’un des précurseurs du voyage en Russie. Page suivante, eN HAUT, l’agence Salaün de BrestSaint-Martin. EN bas, la centrale de réservation, installée elle aussi à Pontde-Buis, qui prend les réservations des voyageurs individuels.

les cars en vendant des circuits aux voyageurs individuels (familles, couples, personnes seules). Ici encore, le succès est au rendez-vous et l’offre se diversifie vers l’Espagne, le Portugal, l’Italie, les Flandres, la Grèce et, au fil des ans, les pays d’Europe centrale. Les destinations touristiques classiques, comme la Forêt Noire, la Costa Brava ou l’Algarve côtoient bientôt des propositions de voyages en autocar très élaborées, comme les Chemins de Saint Jacques, ou l’Empire austrohongrois, voire mêmes audacieuses, comme le voyage appelé “Trésors oubliés des Balkans”, qui permet de traverser l’Europe centrale et les Balkans jusqu’en Macédoine et en Albanie avec un retour par l’Italie, via une traversée de l’Adriatique en ferry. Lorsqu’on se penche sur la presse spécialisée, on relève qu’en misant sur le car, Salaün a surpris bien des observateurs qui avaient

un peu vite condamné ce moyen de transport. Le coup de génie du Finistérien a sans doute été d’organiser le ramassage de ses clients au plus près de leur domicile, leur évitant les désagréments des transferts avec leur propre voiture. La liste des points de collecte, à la fin du catalogue est à cet égard impressionnante : les cars Salaün viennent chercher et déposer les voyageurs dans des centaines de bourgs de Bretagne, de la gendarmerie de Vallet à la mairie de Louvigné-duDésert en passant par le monument aux morts de Châteauneuf-duFaou. Le principe est le même dans les régions où l’entreprise est très présente, comme la Normandie. Et encore, souvent, les passagers sont déposés ou ramassés encore plus près de leur domicile, si celui-ci se trouve sur le parcours. Comme la presse quotidienne régionale bretonne avec le portage à domicile, Salaün a su faire de la proximité un facteur majeur de réussite. Au fil des ans, le principe a même été affiné en faisant appel à une trentaine de minicars qui vont chercher les voyageurs au plus près de chez eux et les acheminent vers un “hub”, avant de partir pour des destinations lointaines. Aucun souci de bagages à transbahuter ou de voiture à garer dans un parking payant, ce qui est appréciable pour une clientèle plutôt familiale ou composée de seniors. Plus récemment, en cherchant à transposer au car ce que la business class est à l’avion, à travers le concept de “Royal class”, Salaün a pu progresser dans un secteur où d’autres rencontraient des difficultés. Les voyages estampillés Royal class font intervenir des cars spéciaux comportant un moins grand nombre de sièges, ce qui permet d’avoir près d’un mètre d’espacement entre eux et de pouvoir les incliner jusqu’à 65 °, sans gêner les autres passagers. Des repose-pieds et repose-jambes réglables, un plaid, un coussin repose-nuque offert, permettent de passer une nuit en car dans des conditions plus confortables qu’à l’accoutumée. L’envol de Salaün Un nouveau tournant est pris au début des années 1990, à l’occasion d’une opération de solidarité en

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Roumanie. Salaün affrète à cette occasion ses tout premiers charters, pour y acheminer des Français, développer le tourisme local et permettre à des Roumains de venir en France, notamment pour y parfaire leur français et y tisser des liens. L’opération est concluante et annonce un bouleversement pour l’entreprise. D’autocariste-voyagiste, elle devient bientôt un véritable touropérateur qui fabrique ses propres circuits aériens, moyens courriers d’abord, puis progressivement longcourriers. Au fil des ans, l’activité aérienne va dépasser l’autocar en parts de clients (70 % pour l’avion) et en chiffre d’affaires (80 %). En quelques années, le premier tour opérateur breton devient aussi le plus gros client d’Air France dans le Grand ouest. En 2007, il a ainsi affrété près de trente mille places d’avion, au départ de la Bretagne pour la majorité. 60 % de la clientèle de Salaün est bretonne, même si elle est présente dans toute la partie nord de la France, d’ouest en est. Pour réussir dans l’aérien, Michel Salaün a une fois encore fait appel aux recettes maison, à commencer par une grande proximité et un souci du contact avec le client. À l’heure où d’autres parient entièrement sur Internet, l’entreprise a notamment misé sur le développement d’un réseau d’agences locales en nom propre qui, de deux en 1990, sont passées à trentesix aujourd’hui, dont la dernière a récemment ouvert ses portes dans la nouvelle aérogare de l’aéroport de Brest. Près de deux cents agences extérieures font en outre partie du réseau de distribution Partenaires, créé il y a une dizaine d’années. Comme pour les cars, la proximité passe par la mise en place d’un important service de transferts. Des départs pour les antipodes sont ainsi proposés à partir de plus de trois cent cinquante communes. En voiture, en minibus ou en car, tous les clients sont acheminés de chez eux vers l’aéroport régional le plus proche, d’où se fait la liaison vers Paris, via Air France. Au retour, l’entreprise ramène aussi les clients dans leur commune de départ. Cette particularité nécessite une logistique redoutable qui fait la force de Salaün. Selon son pdg, outre la

proximité, le succès de l’entreprise tient aussi à la volonté “de réduire le nombre d’intermédiaires et surtout d’aller sur place nous-mêmes pour rencontrer le partenaire avec qui nous montons les destinations”. En une quinzaine d’années, par passion, mais aussi pour être certain “d’offrir la meilleure qualité possible, à un prix juste”, seul ou avec son directeur général, Stéphane Le Pennec, Michel Salaün estime avoir visité 80 % des hôtels proposés aux voyageurs et s’être rendu dans toutes les destinations pour effectuer des repérages. Alors que pour l’affrètement des avions comme pour l’organisation des circuits, bien des tours opérateurs font appel à des intermédiaires, chez Salaün, on justifie le choix inverse en revendiquant le statut “d’artisan du voyage”. Le seul moyen, d’après Michel Salaün, pour tisser des liens plus étroits avec les partenaires locaux et garantir une meilleure maîtrise du résultat. Ce qui n’est pas un détail lorsqu’on observe le taux d’insatisfaction élevé que révèlent bien des enquêtes menées auprès des clients de tours opérateurs. L’aventure, en toute sérénité “Contrairement à d’autres grands tours opérateurs, nous n’avons ni avions, ni hôtels à remplir, explique Michel Salaün. Nous, on va où on veut et où nos clients veulent aller. D’une année sur l’autre, nous faisons évoluer nos propositions selon les retours des clients. Nous ne sommes pas dans une logique de tourisme de masse avec des investissements lourds. Plutôt que sur le balnéaire, nous misons sur les circuits de découverte.” (1) Salaün propose aujourd’hui près de quatrevingts destinations en avion, sur tous les continents, exception faite de l’Australie, avec une présence moindre en Afrique et un accent plus fort mis sur l’Europe, en particulier la Scandinavie et surtout une zone qui va des pays d’Europe de l’Est à l’Asie. Ici encore, on sent que l’implication personnelle et la passion de Michel Salaün pour des

Envie d’ailleurs Animé par une envie de tirer le voyage par le haut, de lui donner du sens, au-delà de la carte postale, Salaün holidays va plus loin que d’autres concurrents, en organisant par exemple des conférences données par des spécialistes sur les destinations proposées. Une vingtaine de sessions se tiennent ainsi chaque hiver dans les villes de l’Ouest. Autre initiative, la publication d’un magazine maison, baptisé Envie d’ailleurs, soigneusement maquetté et illustré. Les articles, signés d’auteurs qui partagent sa passion du voyage, ont manifestement l’objectif de faire rêver le lecteur aux destinations proposées par la maison. Sa formule un peu atypique, entre revue de voyage à caractère culturel et magazine destiné à promouvoir les voyages maison, répond en tout cas à une vraie volonté de donner du sens et du fond aux voyages proposés. Pour ce travail, Michel Salaün s’appuie sur la maison d’édition Géorama, à Brest, qui édite de nombreux ouvrages sur le voyage, dont plusieurs dans la collection Un regard sur notre monde, dirigée par un certain… Michel Salaün. Pas étonnant, dès lors, qu’on y retrouve des ouvrages sur l’Ouzbékistan, la Russie, le Transsibérien ou la Mongolie…

(1) Salaün propose toutefois un séjour balnéaire sur la Costa Brava, baptisé “Viva la Costa” en autocars Royal Class fonctionnant comme des charters partant chaque vendredi soir.

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Michel Salaün dans le parc de Dugana, en Mongolie, en août 2005.

pays comme la Russie, la Mongolie, le Caucase ou l’Ouzbékistan ont dicté le développement de ces destinations. “Après les pays de l’Est dans les années 1980, j’ai fait mon premier voyage en Russie en 1993, et j’y suis allé cinquante-deux fois depuis”, explique tranquillement le chef d’entreprise en désignant la foule d’objets parfois cocasses qui trône sur son bureau, comme son propre portrait, pris aux côtés du sosie de Lénine. Déterminé à offrir l’aventure dans les meilleures conditions de confort et de tran-

quillité possible, Michel Salaün a commencé par proposer des séjours en car en Russie, dès la fin des années 1990. Il a ensuite mis en place des circuits avec départ en avion, notamment des croisières fluviales sur la Volga, en affrétant spécialement des bateaux. En 1999, après sa rencontre avec Didier Labouche, spécialiste de la Russie, Salaün est aussi le premier tour opérateur français à proposer le célèbre Transsibérien en voyage organisé, au départ des aéroports régionaux, permettant cette année-là à deux

cents voyageurs de faire le mythique voyage en train de huit mille kilomètres de Moscou à Pékin, jusqu’ici réservé aux routards, en l’agrémentant de nombreuses visites organisées. “Michel Salaün a toujours cherché à proposer de la nouveauté, à se rendre sur place pour construire des circuits sur des destinations difficiles, même s’il sait que le succès est très incertain”, témoigne Didier Labouche. Pour poursuivre ce développement et offrir de nouvelles destinations, comme l’Ouzbékistan, à ses clients, Michel Salaün a

Michel Salaün, une âme de pilote Appuyer sur l’accélérateur, rien de tel pour faire pétiller le regard de Michel Salaün. Que ce soit au volant d’un de ses bolides – son autre passion, avec le voyage – ou de la PME familiale, qu’il s’agisse de racheter un concurrent ou de s’engager sur une bretelle d’autoroute, Michel Salaün possède avant tout une âme de pilote. “Il nous a appris à voire une quantité de chose, à saisir l’essentiel en un temps record, explique Didier Labouche, qui est pour sa part un voyageur expérimenté. Avec lui, le voyage, c’est vingt heures sur vingt-quatre, il faut le suivre ! C’est aussi un des rares patrons de tourisme à être aussi à l’aise à la table d’un boui-boui sur un marché mongol que dans un grand restaurant moscovite. Il possède une excellente capacité de jugement des situations et de ses interlocuteurs, ce qui lui permet de bien comprendre les pays visités et les éventuels problèmes rencontrés pas ses clients.” À son bureau, lorsqu’il n’est pas aux antipodes, Michel Salaün a l’œil rivé sur le tableau de bord, multiplie les appels à son secréta-

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riat et fait défiler ses collaborateurs à un rythme soutenu. Dans les échanges, on sent à la fois une volonté de faire confiance, de reconnaître les initiatives, mais aussi de bien contrôler la marche des choses, d’être parfaitement informé à tous les niveaux. Une boutade adressée à un chauffeur, quelques mots de breton avec un autre, entrecoupés de plaisanteries à l’adresse de ses collaboratrices : Michel Salaün est loin d’être un dirigeant distant. Ses collègues passés et présents reconnaissent sa force de travail et soulignent qu’il demande une implication totale à ses salariés. Si dans les différents services, l’ambiance paraît très studieuse, on reconnaît que le jeune président fait preuve d’équité et sait renvoyer l’ascenseur à ses collaborateurs. “Je me dois de rendre l’entreprise florissante pour les sept cent trente personnes à qui je demande beaucoup d’engagement, en garantissant sa stabilité financière. Mais je ne suis pas un capitaliste, je ne marche que par passion. Si ce métier n’était pas une affaire de passion, je ferais autre chose. D’ailleurs, la plupart de mes collaborateurs m’ont rejoint pour une question de passion et de feeling, ils ont été cooptés et très rarement recrutés par annonce ou cabinet.” Selon lui, cette même passion de la route est partagée par les chauffeurs, qui sept jours sur sept, jour et nuit, font circuler les cars de l’entreprise. Malgré le succès rencontré, Michel Salaün tient à rappeler qu’il “n’a fait que développer une entreprise familiale en se basant sur les valeurs présentes dès l’origine. J’ai l’avantage de regarder devant moi et de ne jamais rien lâcher. Quand j’ai une idée, je vais jusqu’au bout, quels que soient les moyens nécessaires pour y parvenir. C’est en ça que je suis très finistérien car j’observe, lorsque je me retrouve avec d’autres Finistériens, parfois à l’autre bout du monde, qu’ils sont souvent tenaces et ambitieux”.


créé une sous-marque, Pouchkine Tours, recrutant comme toujours ses collaborateurs au feeling, lors de rencontres quasi fortuites au cours de ses voyages. La prochaine étape sera peut-être l’acquisition d’un hôtel en Ouzbékistan, une destination dont Salaün est littéralement passionné et où il soutient un projet humanitaire en reversant vingt euros par voyageur aux habitants d’un village qui apprennent le français. “À chaque fois qu’il va en Ouzbékistan, il prend le temps de faire trois heures de route dans des conditions difficiles pour aller saluer les gens du village, témoigne Didier Labouche. Il est très à l’aise dans ces pays, au milieu des marchés, avec des gens ordinaires, avec qui il a un toujours un excellent contact.” Une croissance externe fulgurante Pour assurer un tel développement, aussi bien sur les autocars que sur les vols – une vingtaine de circuits et séjours moyens courriers vers l’Europe sont aussi présents au catalogue –, au fil des ans, Salaün a racheté une petite quinzaine de sociétés autocaristes ou voyagistes en Bretagne, dans l’Ouest, mais aussi à Paris ou encore en Belgique. Le rythme de croissance est tellement soutenu qu’entre 1990 et 2008, l’offre et les effectifs de l’entreprise vont littéralement s’envoler : de cinquante employés en 1990, l’entreprise est passée à sept cent cinquante aujourd’hui, dont environ quatre cents chauffeurs ! Salaün Évasion fait désormais voyager près de cent cinquante mille personnes chaque année, dont environ un tiers en autocar. Le plus gros “coup” réalisé est le rachat en 2007 du groupe National tours (Voyages Terrien, Jouanno, Touricéan, Frémont, etc.), son principal concurrent breton basé à Rennes, et qui a lui aussi fondé sa réussite sur son ancrage à l’ouest et une grande proximité avec ses clients. Dans le journal d’information du groupe, en mai 2007, Michel Salaün expliquait “qu’à l’échelle du marché français, un géant régional venait de voir le jour”, tout en admettant que “face aux puissants groupes financiers anglosaxons, côtés en bourse”, celui-ci

faisait “tout de même figure de Petit Poucet”. L’arrivée de National tours dans le giron du groupe a permis à Salaün Holidays de se hisser dans les dix premiers tours opérateurs français, où ne figurent que très peu d’indépendants, aux côtés de géants comme TUI, Thomas Cook, Kuoni, Fram Jet Tours, Marmara, Look, etc. Au cours des dernières années, le succès du concept d’autocar Royal class et la progression rapide de l’aérien ont conforté Michel Salaün dans sa volonté de se concentrer sur son métier de tour opérateur. Il a donc commencé à céder les activités conventionnées en autocar, c’est-à-dire les transports scolaires et les lignes régulières exploitées pour le compte de collectivités. Tout récemment, il s’est séparé de Douguet autocars, au profit de Veolia, qui reprend des lignes scolaires un peu partout. À terme, l’entreprise devrait délaisser entièrement le conventionné qui ne représentait “que” cinq millions de son chiffre d’affaires sur cent soixante-trois au total. Parmi les projets d’avenir auquels devraient contribuer les rentrées permises par la cession du conventionné, la création d’un réseau de centre de transferts dans les villes, équipés de locaux confortables, avec parking, hôtesses, cafés,

journaux afin d’attendre que tous les passagers soient réunis avant le départ des cars de grand tourisme. Au-delà des chiffres, le succès des voyages Salaün est aussi celui d’un état d’esprit. Attaché à donner du sens au voyage tout en le mettant à la portée de tous, Michel Salaün a aussi su conserver certaines valeurs artisanales et la proximité qui ont fait la réputation de l’entreprise. “Notre enracinement et le fait qu’on s’appelle Salaün expliquent aussi notre réussite, estime le président du groupe. Montrer qu’on peutêtre basé à Pont-de-Buis, porter ce nom, et faire aussi bien que Thomas Cook n’est pas anodin pour tout le monde.” n

À Châteaulin, le centre logistique de l’entreprise (EN bas) comprend un accueil pour les chauffeurs, un centre d’accastillage où les cars sont aménagés selon le type de déplacements prévus (EN haut ), ainsi qu’un important garage où est assuré l’entretien des trois cent vingt cinq cars de l’entreprise.

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