Heteronymû #06 - désolé

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HETERONYMÛ désolé

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sept

François Belsoeur / TRAPU Jean Vance / Jean-René Clapard Gille Deleuze / Maxence Alcalde Frédéric Vaysse / Delphine Leblond Angèle Del Campo Edouard / Elise Parré / Odile Leguillon / Diane Kozniku / Lawrence Weiner



Je me souviens de ce papier passé inaperçu, rangé au fin fond des pages culture d’un grand quotidien. « Le plagiat du banquier » signé Jean-René Clapard, ce cesse de me revenir – il y a de ces formules dont on se méfie, qui reviennent sans arrêt (parler c’est sale, écrire c’est propre / effacer l’anecdote / le détail qui déchire une totalité close). Le plagiat du banquier. Ça raconte Trapu, street-artist banquier dans le civil (ou l’inverse ?), et un anonyme qui signait « pardon ». Avec pardon, c’est le tag rustique, une phrase à l’aérosol noir. Chez TRAPU, un seul mot à la craie blanche. Les interventions de TRAPU sont apparues sur les façades de Caen peu après ces phrases signées pardon : c’est ce qui motive l’accusation du journaliste. Les premiers inscrits par l’artiste, dans l’ordre : schéma, poutre, désolé. Il n’en faut pas davantage à Clapard pour hurler au plagiat – désolé pour pardon, ne garder de la phrase que le simple mot –l’œuvre même, donc – craie plutôt que bombe : tout ceci est camouflage, lit-on. TRAPU incarne les maux d’un art contemporain qui a perdu son imagination, réduit à voler et puis aseptiser les idées novatrices, à revendiquer chaque réorganisation du connu comme un trait de génie original. Pour ne rien arranger, TRAPU – dont on sait peu – exerce dans le civil le métier de banquier (ou est-ce l’inverse, est-il artiste dans le civil ?). Le journaliste profite de cette profession pour amorcer une charge connue – l’art contemporain, complot élitiste de mise à l’écart du prolétariat. Il voit dans le face à face TRAPU/pardon la dénonciation fougueuse et ironique contre la variation formellement creuse, idéologiquement satisfaite. TRAPU ne se pose pas les questions sous cette angle. Un mot dans la rue, c’est une intervention poétique simple mais essentielle à la reprise de contrôle collective de la langue que l’artiste préconise. Il conçoit chaque œuvre comme un morceau autonome de son dispositif de poésie permanente.


Vue ainsi, la démarche de TRAPU ne semble rien partager avec les revendications drolatiques de pardon. On ne sait pas bien, à la lecture de l’article, si l’auteur est davantage gêné par l’œuvre en tant que telle, par la présomption de plagiat ou bien par la profession de l’artiste. Certes, on l’a dit, son métier est une des rares informations personnelles livrées par l’artiste, qui doit estimer que ça apporte quelque chose ; doit-on pour autant modifier notre perception de l’œuvre – et quand bien même, où est le problème ? On devine le reproche sous-jacent : obscur agent du système, TRAPU n’a pas le droit, manque nécessairement de sincérité et de légitimité sur le terrain de la poésie sauvage, voire même : il n’a rien à faire dans l’espace collectif, ce vampire. Je dois dire que ça ne me fait rien, qu’il soit banquier, garagiste ou footballeur. Je saisis le romantisme – c’est sans doute l’objectif – de la figure du street-artist à l’attaché-case. Mais c’est de la craie (ça part à l’eau), ce n’est qu’un mot (et l’ensemble du poétique contenu), le danger est bien loin. J’aime ce doute, chaque fois que je vais déposer un chèque – est-ce TRAPU, ce type derrière le guichet ? Ou si ça se trouve, cette femme au bureau – après tout, je présume de l’absence de E que TRAPU est un homme, je n’en sais rien du tout. Ce serait un banquier avant tout, c’est sans doute cela qui est curieux. L’art des minorités – désormais, voici l’art banquier. En attendant, je fais la route du retour et je croise « stupide » au-dessus d’une poubelle, « cratère » à droite d’une sortie d’école. J’ai un petit éclat de rire intérieur, et ensuite ça fait penser. Stupide et poubelle, cratère avec école, quel est le rapport, y en a-t-il un seulement, comment choisit-il ses endroits, ses moments, ses mots ? Pas d’ordre alphabétique, ce n’est donc pas le dictionnaire qu’il écume – un roman ? Trouver la clé peu importe, on sent le code. Dispositif réduit au plus simple appareil : nettoyer l’artifice, rendre le mot à sa forme étrange : solitaire. On en remarque toutes les lettres, tout devient enfin suspect, ses sons sont exotiques, certains jambages ont l’air nouveau.













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