À TOUTE ÈRE SON PATRIMOINE À TOUT ÊTRE SON IDENTITÉ

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À TOUTE TOUT ÈRE SON PATRIMOINE À TOUT ÊTRE Ê RE SON IDENTITÉ

ZINEB ZAIR. DIRECTEUR LAURENT DUPORT THÈSE PROFESSIONNELLE.MASTÈRE SPÉCIALISÉ® ARCHITECTURE ET PATRIMOINE CONTEMPORAIN 11.12.2019


REMERCIEMENTS À mes parents À ma famille À mon compagnon de route À mes enseignants Aux membres de mon collectif À Olivier MAUBERT À toutes les personnes qui m’ont soutenu dans mon parcours MERCI


PRÉAMBULE Le patrimoine architectural ancien est une thématique qui me passionne, m’attire et me provoque à la fois, et ceci depuis quelques années. Dans la volonté farouche d’assouvir ma soif de connaissances, j’ai choisi d’emprunter des chemins qui se croisent, de temps à autre, mais qui se complètent assurément.

Devant la complexité des concepts que dégage cette matière, il n’est pas concevable de l’aborder ni la cerner sous un seul angle de vue. Ma passion me rattrape encore une fois, c’est pourquoi je me lance dans l’exploration de pistes transversales, où se croisent des acquis académiques avec des réalités professionnelles et associatives.

C’est alors le fruit de cet humble parcours, me permettant au fur et à mesure de concevoir un regard croisé sur la protection du patrimoine algérien et français, qui se matérialise dans ce travail de fin de mastère.

Je vous le présente ainsi...


LE FIL ROUGE............................................................................................................................1

#1 LA PRATIQUE ACADÉMIQUE LA VERRERIE D’ARLES : UN PATRIMOINE MATÉRIEL & IMMATÉRIEL FRANÇAIS.............................. 4 QUEL HÉRITAGE POUR QUELLE ÈRE ?......................................................................................... 6 ENTRE L’OUBLI ET LA MÉMORISATION ........................................................................................ 9 UN DEUXIEME SOUFFLE ........................................................................................................... 12

#2

LA PRATIQUE PROFESIONNELLE

ATELIER SAINT BLAISE & SAINT THOMAS ................................................................................... 16 L’HOMME, L’OUTIL, ET LE MATÉRIAU ......................................................................................... 16 ENTRETIEN AVEC OLIVIER MAUBERT .........................................................................................22 RÉTROSPECTIVE D’UNE EXPÉRIENCE D’INSERTION PROFESSIONNELLE ......................................26

#3 LA PRATIQUE ASSOCIATIVE UN PATRIMOINE MATÉRIEL & IMMATÉRIEL ALGERIEN.................................................................28 UN PATRIMOINE ARCHITECTURALE EN DANGER, REBATIR OU SE SOUVENIR ? ............................ 30 UN QUESTIONNAIRE AVEC CHERGUI SAMIA.........................................................................32 RÉAGIR ? OUI, MAIS COMMENT ? ...............................................................................................37 ESPRIT COLLABORATIF, VERS UN LANGAGE COMMUN ................................................................45 INVENTAIRE ......................................................................................................................45 ENTRETIENS...................................................................................................................... 50

CONCLUSION GÉNÉRALE : ICI, LÀ-BAS, AUJOURD’HUI ET DEMAIN...................................................57 BIBLIOGRAPHIE...........................................................................................................................59 ANNEXES


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LE FIL ROUGE L’idée directrice de ma thèse professionnelle est le rapport étroit entre le patrimoine architectural bâti et l’héritage immatériel consistant en un ensemble de savoirs faire techniques et de construction. Le mémoire se présente selon trois parties issues de la pratique académique, professionnelle et associative.

Leurs assemblages révèlent un processus de

développement de mise en pratique des savoirs faire analysés dans des contextes temporaires et géographiques précis. La pratique académique est le point de départ à travers l’ancienne verrerie de Trinquetaille, un sujet traité dans le cadre du Mastère spécialisé Architecture et Patrimoine Contemporain. La particularité réside dans sa forte valeur patrimoniale, architecturale, et représentative de l’ère industrielle traversant la ville sud-française d’Arles. Il s’agit donc d’un héritage artisanal préindustriel français qui se trouve aujourd’hui en état d’abandon. Une intervention visant à redonner de la vigueur au site semble nécessaire. De ce constat, une série de questionnements surgissent : Quel type d’intervention ? Quelle échelle d’intervention ? Qui sont les acteurs ? Quelles contraintes ? Quelle technique constructive et avec quels matériaux de construction ? Le passage à la pratique professionnelle, incarné par un stage d’insertion professionnelle effectué dans un atelier spécialisé en restauration et rénovation de patrimoine bâti ancien à Montpellier, semble être une réponse aux réflexions évoquées précédemment. L’expérience acquise au cours du stage m’a permis de cerner une des multiples attitudes professionnelles à adopter vis-à-vis du patrimoine architectural du sud de la France. A l’heure actuelle, la stratégie d’intervention au profit du patrimoine évolue parallèlement avec les usages de la vie moderne. Les modes d’emploi traditionnels changent, le recours aux matériaux de construction industriels ainsi que des moyens techniques modernes font surface. Ce choix est justifié par l’obligation de respecter des budgets et des délais d’exécution.


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La pratique professionnelle affecte à son tour, et de façon directe, le devenir du patrimoine architectural bâti et les savoirs faire qui lui sont liés. Alors comment faire revivre, survivre, respecter, et transmettre l’héritage construit ? Quels sont les outils et les modalités de mise en valeur et de transmission du patrimoine immatériel constructif de nos aïeux ? La pratique associative dans mon pays est à mon sens la réponse la mieux adaptée à ce questionnement. L’état de dégradation que connaît le patrimoine architectural vernaculaire en Algérie, mais avant tout la perte des savoirs faire ancestraux qui lui sont liés font partie des raisons qui ont initié la création de Tamazgha Builders. Il s’agit d’un collectif qui s’active en organisant de manière annuelle des chantiers participatifs d’architecture vernaculaire.


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LA PRATIQUE ACADÉMIQUE #1


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LA VERRERIE D’ARLES : UN PATRIMOINE MATÉRIEL & IMMATÉRIEL FRANÇAIS Entre Barcelone et Gênes, la ville d’Arles se situe proche de la côte méditerranéenne, la présence du fleuve du Rhône, qui s’étire tant au sud qu’au nord de la France, traverse cette ville de Camargue. Avec la construction de la ligne de train à grande vitesse Paris Lyon Marseille et la route nationale 113 les connexions routières se renforcent. Dans le quartier Trinquetaille de la ville d’Arles, seul à se trouver du côté ouest du Rhône, se localise le site de l’ancienne verrerie. La fonction de production du verre noir lui est confiée depuis sa création en 1781, tout en se servant des ressources naturelles de proximité. La silice, la base alcaline, le verre brisé et les cendres réemployées sont recueillis dans la rive du Rhône et dans le parc de la Camargue, alors que le charbon nécessaire pour la production est importé de la rive du Gier, partie de la région lyonnaise dotée d’un nombre important de verreries. L’enclos de la verrerie est soumis à une hiérarchisation spatiale jumelée à une mixité fonctionnelle nette. La halle centrale dédiée à la fabrication du verre partage la parcelle avec d’autres bâtiments à caractère administratif et résidentiel. Il s’agit d’une complémentarité fonctionnelle assurant l’autosuffisance de ce complexe industriel. La Grande Halle fut le seul bâtiment classé au titre des Monuments Historiques depuis le onze décembre 1987, tandis que les quatre bâtiments annexes sont inscrits. « Ayant un plan carré, la halle comporte deux niveaux, le rez-de-chaussée est divisé en trois nefs par des arcs en plein cintre. Le demi-sous-sol de son côté est réservé au four de fusion, composé de deux couloirs voûtés en berceau, se coupant en croix au milieu de l’édifice, deux piliers semi-cylindriques reliés par une barre de fer sont construits à l’intersection. Les piliers permettent de soutenir les sièges du four sur lesquels sont posés les creusets: une grille entre les piliers forme toutefois le fond du foyer» (1). Et pourtant, malgré son classement a titre de aux Monuments Historiques, la halle centrale se trouve aujourd’hui dans un état de dégradation remarquable. Autour de la halle, un bâtiment en forme de L constitue le logement des ouvriers, d’un langage soigneusement codifié, allant des modes d’implantation à l’aménagement et décoration intérieurs. En fait, il est question d’une typologie ouvrière représentative d’un

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- Henri Amouric et Danièle Foy, La Révolution arlésienne, Laboratoire d'Archéologie Médiévale Méditerranéenne, Ville d'Arles, 1989.


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patrimoine architectural datant de la période industrielle, témoin des stratégies de répartition de population qui prend appui sur le statut socioprofessionnel des individus. À Arles comme ailleurs en France, la finalisation de cette stratégie participe progressivement à la naissance de deux entités plus ou moins contradictoires, empruntant les allures d’un cadre de vie accordé à la classe ouvrière et un autre à la classe patronale, accentuant ainsi les différences. Entre autres, elle donne à voir des « tranches » de maisons mitoyennes accolées dos à dos dont l’apparence est uniforme, dépouillées d’esthétique avec des surfaces habitables particulièrement réduites et exiguës. Sur la rive opposée, la demeure patronale occupe une parcelle d’une superficie considérable, accompagnée d’un jardin privatif. L’ensemble est d’une apparence riche en détails architectoniques marquant l’apparition de la courbe en élévation, l’arc au niveau de la partie supérieure du porche d’entrée, des fenêtres de grandes dimensions ou encore des toits à rupture de pente concave permettant d’intégrer des petites fenêtres au niveau des combles. Quant aux surfaces habitables, elles sont multipliées par trois par rapport à celles du logement ouvrier. Il faut aussi noter que le site de la verrerie comprend un patrimoine archéologique invisible qui s’étend sur la partie ouest du terrain, aussi fragile que nécessaire pour mettre en évidence le potentiel sous terrain disponible in situ. L’enclos est l’objet de découvertes archéologiques témoins d’une vie antérieure que de multiples fouilles nous dévoilent. La ville d’Arles acquiert ce site en 1982. Depuis, les services administratifs concernés procèdent à l’organisation de fouilles accompagnées de prescriptions de déroulement à respecter. Dans ce cas de figure, elles étaient entreprises par tranches de sondages depuis 1983 jusqu’à 2017. À défaut, suivant les campagnes de dépose de mosaïques effectuées entre 1988 et 1992, les mosaïques romaines servant comme pavement sont transportées et mises en vitrine dans les salles d’expositions permanentes du Musée Départemental d’Arles Antique. Cette véritable explosion de valeurs confère au site sa dimension patrimoniale, conséquence directe des phases historiques successives du site de la verrerie depuis sa création. Les traces matérielles du passé, se trouvant en dessous et au-dessus de la surface du sol, apportent un récit exceptionnel sur une civilisation qui, malgré son ancienneté voire sa disparition, perdure dans le temps. Sa survie est assurée grâce à son héritage architectural et archéologique encore visible sur le site. Néanmoins, la


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typologie architecturale ainsi que les modalités d’implantation dans le cadre d’un complexe industriel mixte et indépendant sont des exemples éminents d’une tradition constructive complexe issue des pratiques culturelles et socioprofessionnelles propres à l’ère industrielle en France. Au-delà de sa dimension matérielle, la verrerie en noir de Trinquetaille est un patrimoine bâti préindustriel décrivant la nature de la relation établie entre l’humain et son environnement à une époque précise où l’exploitation des ressources naturelles issues du territoire avoisinant et du fleuve du Rhône s’avère particulièrement raisonnable et rationnelle. Il est donc question d’un prototype représentatif d’un mode de fabrication industriel dépendant entièrement des ressources naturelles, d’énergie et de voies de distribution nécessaires pour produire, mais aussi pour distribuer la marchandise. En outre, il s’agit d’un témoin de la transformation des processus de production artisanaux qui, à leur tour, s’adaptent aux apports de la révolution industrielle en changeant de matrice énergétique évoquée par l’abandon progressif du bois de chauffage en tant que combustible, pour passer au charbon. Cet événement engendre un tournant irréversible dans l’histoire de la production du verre en France. En tenant compte de l’interaction de cet amalgame de valeur du patrimoine, et en sachant qu’il n’y a pas de distinction ni de séparation entre l’Histoire locale arlésienne et l’Histoire globale française, le site de l’ancienne verrerie de Trinquetaille est donc désormais un patrimoine matériel et immatériel de la France.

QUEL HÉRITAGE POUR QUELLE ÈRE ?

« L’ARCHITECTURE D’AUJOURD’HUI, SI ELLE SAIT VIEILLIR, SERA LE PATRIMOINE DE DEMAIN » (2) L’Histoire,

cette

discipline

gracieusement

documentée,

est

une

source

de

connaissances fiable qui, en l’étudiant, met à notre disposition les clés nécessaires pour comprendre tant le cycle de vie que les formes d’évolution d’un territoire, d’une ville, d’une parcelle, ou encore d’un bâtiment. L’analyse historique jumelée à l’étude de documentation et d’archive appliquée sur le site de la verrerie dans le cadre de l’atelier transversal Arles (3), sujet traité durant le mastère spécialisé Architecture et Patrimoine 2 3

- DUMAS Isabelle, «Héritage », Qui ne dit mot consent, n°1, 2013, pp. 26. - Emmanuel GARCIA, Atelier transversal Arles. MS Architecture et Patrimoine Contemporain, ENSAM, 2019.


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Contemporain, a permis d’extraire une période clé dans la frise historique de la ville en question. Arles a connu, comme beaucoup d’autres villes françaises, une révolution industrielle qui a profondément marqué le paysage urbain et architectural en léguant un riche patrimoine bâti industriel du XIXe siècle. Des balades improvisées dans les rues d’Arles suffisent pour comprendre que cette ville dispose d’un nombre important de permanences architecturales à l’image de l’ère industrielle, ces dernières formant la structure urbaine de la ville d’aujourd’hui. Citons à titre d’exemple l‘infrastructure ferroviaire dotée de la gare SNCF mise en place en 1848, les ateliers SNCF construits entre 1845 et 1856, puis délaissée en 1985 après tant d’années d’épanouissement socio-économique en faveur de la ville et de ses habitants, laissant derrière elle une vaste friche industrielle occupant onze hectares à proximité de l’ancien centre. Le site devient plus tard le théâtre d’un important projet d’intérêt régional mené par la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur en étroite collaboration avec la population arlésienne. Le but est de modeler les ruines de ce site en une nouvelle interface urbaine, culturelle et économique. De manière complémentaire, la papeterie Étienne, spécialiste de la fabrication de papier journal, voit le jour à l’initiative des frères Étienne en 1911. La production fut définitivement arrêtée en 2009 à cause de la forte concurrence du marché européen. Aujourd’hui le site reprend vie en accueillant un programme d’animation culturelle destinée au grand public. Cet événement permet aux citoyens de s’approprier cette friche longuement fermée, pareillement pour les professionnels du secteur du patrimoine qui à l’occasion peuvent apprécier la juste valeur patrimoniale du site et le potentiel de réintégration urbaine qu’il présente, cause pour laquelle l’usine fera office du pôle culture et patrimoine Archéomed vers la fin de l’année 2022. Par ailleurs, l’ancien poste sud électrique de Trinquetaille datant de 1929, l’usine de Construction Métallique de Provence CMP crée et dirigée par Pierre Émile Laval depuis 1933, les onze maisons mitoyennes de la cité ouvrière Charboulet construit bien avant 1936, ainsi que beaucoup d’autres habitations ouvrières composent l’image du paysage industriel arlesien. La révolution industrielle apporte de nouveaux modes d’occupation des territoires de même qu’une nouvelle expression architecturale qui rejette les traditions constructives locales antérieures.


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Il est important de souligner que parmi ces bâtiments industriels, il y’en a ceux qui sont pris en charge par des outils réglementaires tels que le Plan Local d’Urbanisme (PLU), en outre le Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur (PSMV) de la ville d’Arles. Tandis que d’autres bâtiments se dégradent à cause des facteurs climatiques ou suite à des comportements humains malveillants vis-à-vis du patrimoine architectural. Cependant, le statut actuel de ces biens patrimoniaux industriels suscite nombre de réflexions. De son côté, l’État apporte un fort intérêt à son héritage, il joue alors un rôle prépondérant dans la protection, l’inscription, ou le classement d’un bien patrimonial pouvant être signalé par des associations ou des individus. Cette procédure est notamment liée à l’intensité des valeurs patrimoniales au regard de l’intérêt public, mais aussi à l’urgence d’intervention au vu de son état de dégradation. C’est ainsi que l’État réagit dans l’objectif d’assurer la pérennité d’un héritage accumulé depuis plusieurs époques. Néanmoins, il est à savoir que bénéficier d’une protection quelconque n’engage pas forcément l’urgence des travaux de restauration ou de mise en valeur pour que le bâtiment patrimonial soit réellement sauvé. C’est le cas du site de l’ancienne verrerie d’Arles qui rassemble à lui seul un bâtiment classé au titre de Monument Historique depuis 1987, un terrain de fouilles archéologiques classées au titre des Monuments Historiques en 1987, en plus d’autres bâtiments inscrits. Toutefois, à l'heure actuelle, l’ensemble est partiellement ruiné, et il ne représente pas encore un sujet de réinvestissement urbain concret. « Pourtant on sait bien qu’à toute époque le patrimoine a évolué, que les monuments ont été modifiés, que les paysages ont changé. Il semble que notre époque ait d’une façon peur de ses Kuvres, l’approche liée à la protection l’emportant sur celle de création. L’extension de la notion du patrimoine rend cet aspect plus sensible encore » (4). À mon sens, les changements que subit le patrimoine sont indispensables afin d’acquérir les paramètres nécessaires lui permettant de renforcer le lien entre le passé et le présent, en d’autres termes, c’est ainsi que le patrimoine peut faire part de toute ère, autant que s’adapter aux besoins des êtres et des communautés qui en aucun cas ne restent figés au fil des siècles. Par ailleurs, les pratiques actuelles liées à la sauvegarde du patrimoine architectural tendent à se questionner sérieusement à 4

- DOMINIQUE Audrerie, La notion et la protection du patrimoine, Paris, Presses universitaires de France, 1997, p 127.


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présent sur l’avenir de l’héritage de cette ère, que nous sommes responsables de maintenir.

ENTRE L’OUBLI ET LA MÉMORISATION La verrerie d’Arles, sous l’égide de Jaques-François GRIGNARD, un verrier normand, François BRUN, avocat à la cour d’Arles, et Pierre BOULOUVARD, un commerçant arlésien, produit environ 400 000 bouteilles dans la période entre 1792 et 1793, un chiffre considérable pour l’époque. Après tant d’années de grand essor, de réussite, et d’émergence de fabrication de bouteilles en verre noir à Trinquetaille, accordant ainsi à la ville d’Arles et à ses environs une croissance économique considérable, le site de la verrerie qui faisait autrefois partie du quotidien de la ville tombe peu à peu dans l’oubli jusqu’en 1834, une date marquant l’arrêt définitif de l’activité industrielle dans le site. L’enclos de la verrerie à travers son histoire a connu deux traumatismes forts, avec des conséquences directes sur le bon fonctionnement et sur la pérennisation du site. D’une part, l’augmentation des coûts d’importation du charbon venant de la région lyonnaise où la concurrence pour l’obtention de cette matière nécessaire à la production est particulièrement accrue. Ajoutons à cela, l’installation du chemin de fer qui provoque le déclin du mode de transport fluvial. À ceci s’additionnent des coûts supplémentaires pour assurer le transport du combustible, affaiblissant davantage la production du verre. D’autre part, les taxes sur la vente de la marchandise fabriquée s’élèvent, ces dernières empêchent la verrerie de Trinquetaille de s’insérer dans une stratégie économique régionale, voire nationale, plus compétitive. Toutefois, le site de la verrerie, peu à peu envahi par la végétation, se voit aujourd’hui déserté, son potentiel amplement ignoré. Aux yeux de certains, ce n’est qu’un amas de vieilles pierres méritant d’être rasées. Pour d’autres, amoureux de l’Histoire et des vieilles pierres, le sort est favorable. Il n’est donc pas rare de croiser des yeux qui apprécient la maîtrise technique que ces anciennes pierres renvoient, et des mains savantes qui sentent la charge de l’histoire incarnée dans ce corps bâti, ni encore des doigts tremblants par peur de perdre une partie de leur histoire, leur héritage, et leur identité.


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Il s’agit donc d’un monument qui a bien résisté aux épreuves du temps, à l’oubli, et l’ignorance des êtres humains. C’est aussi un musée à ciel ouvert additionant un ensemble de récits historiques. Ne serait-il alors pas plus judicieux de se réconcilier avec cet héritage matériel et immatériel qui, dans l’ensemble, en raison de sa nature architecturale, technique, et patrimoniale, consiste donc bel et bien en un fragment historique que la France doit protéger non seulement en empruntant la voie de la législation qui consiste à classer les bâtiments au titre de Monument Historique? À mon sens, trop de protection tue la protection. Pourtant, cette action, non moins importante, devrait impérativement être complétée par un mouvement de restauration et de réintégration urbaine passant par une reconversion nécessaire si nous souhaitons que le projet soit en symbiose avec les commodités de la vie contemporaine du citoyen arlésien. Toutefois, malgré la bonne volonté pour sauver le patrimoine et le faire revivre, il arrive parfois que ce type d’intervention soit entouré par un nombre de contraintes pouvant engendrer des dommages au moment des réparations, affectant négativement le bâtiment à valeur patrimoniale. À ce titre, un constat évident surgit. Les bâtiments à valeur patrimoniale ont deux destins potentiels, séparés par une mince frontière : tomber dans l’oubli ou persister dans le temps et l’espace. De ce fait, deux hypothèses sont possibles, ils peuvent survivre immatériellement dans la mémoire collective des populations ou bien continuer à vivre matériellement leur quotidien. Ce sort est conditionné par une maitrise des savoirs constructifs en lien avec le patrimoine industriel en question.


Fig. 02 La halle centrale d’aujourd’hui : Musée à ciel ouvert © BASSIL Maria

Fig. 01 La halle centrale d’autrefois © Bulletin des amis du vieil Arles

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UN DEUXIÈME SOUFFLE Malgré sa fragilité, l’enclos de l’ancienne verrerie d’Arles possède des atouts qui jouent en faveur de sa récupération. Par son histoire, sa capacité perdurer dans le temps ainsi que son potentiel foncier, il présente aujourd’hui une poche urbaine favorisant de nombreuses opportunités d’investissement à saisir par les institutions locales. L’ensemble des valeurs patrimoniales qu’il a su traverser fait que c’est un site classé au titre de Monuments Historiques depuis 1978, cette démarche encourageante et réconfortante est une mise en lumière méritée après tant d’années d’abandon. D’ailleurs, c’est finalement un droit de la ville et du quartier de Trinquetaille d’avoir la possibilité d’articuler cette friche vieillissante à son contexte. Cependant, certains questionnements jalonnent le site de l’ancienne verrerie considéré comme une permanence industrielle générant une discontinuité de la trame urbaine du quartier à cause de son occupation de sol considérable qui, malgré le potentiel d’intégration présent, reste délaissé. En effet, une intervention en symbiose avec les besoins et les valeurs patrimoniales du site apparait indispensable pour le reconfigurer selon les exigences de la ville d’aujourd’hui. Dans le cadre de l’atelier transversal Arles, portant sur un diagnostic urbain et architectural du site de la verrerie, un travail a été conjointement mené avec un binôme de la formation Master Professionnel Métiers du Patrimoine de l’Université d’Aix-Marseille. L’aboutissement de cette démarche de prospective sur l’avenir de la verrerie d’Arles consiste à proposer un projet, où l’intérêt porte bien entendu sur la valorisation et récupération de la friche industrielle de la verrerie. Il s’agit d’un projet prenant appui sur les valeurs extraites d’une étude pluridisciplinaire traitant différentes échelles territoriale, urbaine, paysagère, historique, réglementaire, typologique et archéologique. Le site est une assiette urbaine qui a longuement servi et qui peut encore servir un quartier souffrant d’un maanque d’équipements culturels. Il contient un cadre bâti particulièrement propice à l’accueil de nouvelles pratiques urbaines et usages culturels. La stratégie d’intervention consiste à insérer une greffe quasi invisible sous forme d’une activité permanente drainée par des programmes temporaires comme des expositions.


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La programmation dite « légère et ponctuelle » d’une résidence d’artistes permet au site de garder sa vocation originelle composée d’une partie résidentielle accompagnant le bâtiment de production. Cette nouvelle configuration du lieu ferait passer le logement ouvrier à des logements d’artistes et la production préindustrielle de verre noir à une production culturelle. Le bâtiment de la halle centrale est donc entièrement dédié à une galerie d’exposition temporaire. Tandis que le site archéologique prend la forme d’un musée à ciel ouvert, une médiathèque, des ateliers artistiques et des salles polyvalentes en plus d’un magasin réservé à la vente des Kuvres d’art sont à mettre en place. De ce fait il est bien possible de maintenir la mixité d’usage et l’autosuffisance caractérisant l’enclos de la verrerie d’autrefois. Dans le but de répondre à la préoccupation du manque d’espaces verts aménagés dans le quartier de Trinquetaille, un parc linéaire le long du chemin de fer non exploité limitant l’aire d’étude du côté nord-ouest est à exploiter. Celui-ci, par sa morphologie naturelle, engendre une discontinuité du tissu urbain et une rupture nette avec le quartier avoisinant. Il s’agit d’un élément fort offrant la possibilité d’aménagement de point d’imperméabilité et de vue sur les deux quartiers. Le projet s’intitule VIVARIUM. La nouveauté urbaine apportée réinvente un cycle de vie dynamique et équilibré entre le quartier, la ville et le réseau périphérique de proximité. C’est un projet cohérent considérant l’aire d’études comme un tout incitant les usagers à prêter attention au fond et à la forme du patrimoine industriel à travers le loisir social qu’il offre. De même, le programme suscite l’attention et l’intérêt des artistes et des artisans de tous horizons, ces derniers viennent s’imprégner du récit que dégage ce site riche en histoire d’architecture, d’archéologie et d’industrie, et de production du verre dans la région du sud de la France. Il s’agit de thématiques à mettre en lumière dans les productions culturelles de la verrerie vivarium. Cette stratégie vise à attirer le regard d’un large public, ce qui ne peut pas être le fruit du hasard. De ce circuit découle l’accès à un espace économique principalement culturel et touristique.


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Rue de la Lone

A.B.C. Bureaux et logements ouvriers

E. Halle centrale

F. Bâtiment industriel

Fig. 04 Réinventer un cycle de vie © ZAIR Zineb

Chemin de la verrerie

Fig.03 Verrerie d’Arles © Atelier transversal Arles

Chemin de fer


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LA PRATIQUE PROFESSIONNELLE #2


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ATELIER SAINT BLAISE & SAINT THOMAS C’est à l’initiative de Francis MEZZONE, maître artisan maçon, titulaire d’un Diplôme Universitaire et d’une licence professionnelle en architecture ancienne et techniques de rénovation, porteur d’une idéologie de construction basée sur l’expertise technicoconstructive récoltée graduellement par l’Homme depuis le temps, que l’atelier Saint Blaise Saint Thomas voit le jour il y a déjà trente-huit ans. Dès ses débuts, l’activité artisanale de l’entreprise se focalise particulièrement sur la rénovation et la restauration de bâtiments anciens protégés ou non, toujours en respectant l’esprit de la tradition. L’appellation de l’atelier renvoie à un mélange de passions pour les métiers de la pierre et les orientations religieuses portées par le fondateur, qui choisit le personnage de Saint Blaise, patron des tailleurs de pierres et des graveurs, alors que Saint Thomas est le patron des architectes et des maçons. Depuis 2015 et jusqu’à présent, l’atelier est dirigé par Olivier MAUBERT, ingénieur des arts et des Métiers, diplômé d’un exécutive MBA management, il complète sa formation à l’École de réhabilitation du bâti ancien d’Avignon avant de prendre en main l’entreprise qui passe depuis, d’une culture d’entreprise de l’artisanat à une petite et moyenne entreprise. À son tour, le nouveau directeur met à jour la stratégie d’intervention de l’entreprise en restructurant l’effectif qui se voit passer de treize a dix-neuf salariés, dont le but est de répondre à la demande de services croissante lancée de la part de simples particuliers et des syndics de copropriété. Selon Agnès MAZAR, apprentie conductrice de travaux à l’atelier Saint Blaise Saint Thomas de 2017 à 2019, la restructuration de l’entreprise se ressent par le style de management, la taille et le type de chantiers, et par la catégorie de clientèle faisant appel aux services de l’entreprise. (5) L’Atelier s’active sur un rayon de 50 km de son siège localisé à 281 rue des Creisses, ZAE des 3 ponts, Fabrègues, dans la ville de Montpellier, département de l’Hérault, région Occitanie. Elle procède principalement à des travaux de maçonnerie traditionnelle, étant le cKur de métier de l’atelier, l’équipe de maçons se divise en deux groupes de cinq

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-MAZARS Agnès, « La restauration de bâtiments classés aux Monuments Historiques », École Nationale d’Ingénieurs de Saint-Etienne, 2018.


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personnes, permettant d’assurer des interventions dans plusieurs chantiers en même temps. Cette rubrique inclût différents types de maçonnerie. Citons à titre d’exemples moellons, la pierre sèche, la pierre de taille, et la brique. Les travaux concernent différents éléments architectoniques tels que les ouvertures en sous-Kuvre, voûtes et arcs, réparation de corniche, réparation de balcons, réparation d’encadrements, plafond plâtre, escaliers, et cheminées. « Les champs d’intervention de l’atelier St Blaise St Thomas sont multiples. Pour chacun d’entre eux, la technicité est poussée à son plus haut niveau afin d’obtenir un résultat exceptionnel qui sublime l’architecture du bâtiment et le révèle dans ses moindres détails ». (6) Au fur et à mesure que les champs d’intervention et les savoirs faire autour de la restauration et l’entretien du patrimoine se multiplient, l’atelier adopte une nouvelle politique de formation au profit de l’ensemble des équipes assurant les interventions sur les chantiers. Ces derniers deviennent finalement polyvalents, ce qui permet à l’entreprise de se pencher sur d’autres types de travaux dans différentes parties de la bâtisse, telle que la couverture, la charpente, la zinguerie, la consolidation et la réparation des structures, l’enduit et le badigeon, le sol ainsi que l’amélioration énergétique du patrimoine bâti ancien. En guise de reconnaissance pour la qualité des travaux remarquables reflétant l’excellence des savoirs faire, jumelés aux compétences humaines, techniques, et financières dont l’atelier fait preuve, il reçoit une première labellisation de la part de Montpellier Grand CKur pour la restauration des façades du centre historique de Montpellier. De plus, la qualification restauration et maçonnerie des monuments historiques fut décernée par Qualibat, un organisme de qualification et certification Bâtiment et Travaux Publics en France. Cette qualification vient couronner des années d’effort et d’investissement en temps et en formation.

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-Dépliant une histoire d’hommes de pierre et de savoir-faire, atelier Saint Blaise Saint Thomas.


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Autrement, d’autres certifications viennent ponctuer le parcours que l’atelier Saint Blaise et Saint Thomas achemine dont : 2111 : Maçonnerie (technicité courante) et béton armé courant 2181 : Restauration maçonnerie du patrimoine ancien 2192 : Restauration maçonnerie des monuments historiques 3111 : Tuiles canal (technicité courante) 8611 : Efficacité énergétique label ÉCO Artisan - RGE (établissement Reconnu Garant de l’Environnement). (7) Dans le but d’attirer un public plus large et diffuser au mieux les offres de service de l’atelier, un site internet est mis en ligne en 2015. En 2016, l’entreprise propose une nouvelle offre de services couvrant les chantiers tous corps d’état.

L’HOMME, L’OUTIL, ET LE MATÉRIAU

« LE PATRIMOINE EST L’②UVRE DE L’ACTIVITÉ DE L’HOMME, IL EST LE RÉSULTAT TANGIBLE DE SON SAVOIR-FAIRE....SAVOIR ET FAIRE, LA RÉUNION DE CES DEUX MOTS ENGAGE TOUT L’HOMME. LE SAVOIR, EN EFFET, SE RAPPORTE À SON INTELLIGENCE, A SON ESPRIT, LE FAIRE A SA MAIN, À SON CORPS. » (8) Le développement des communautés est basé sur l’expérience humaine, l’Homme est une créature émotionnelle qui se distingue par une capacité instinctive à apprendre, à mémoriser et à transmettre des connaissances, autrement dit, des savoirs. Ce pouvoir humain permet à une information quelconque de devenir intergénérationnelle, et de transpercer inconsciemment les temps. Ce processus paraissant pourtant spontané est le secret de naissance d’un homme possédant une dimension patrimoniale une fois que celui-ci incruste l’accumulation de milliers d’années de savoir-être et de savoir-faire. Parfois, on peut se demander si cet instinct de recevoir et de transmettre consiste en un mouvement tout à fait ordinaire et durable. Toutefois, ceci repose entièrement sur la capacité intellectuelle, morale et physique de l’Homme, permettant systématiquement de savoir bien sauvegarder ce que l’on reçoit pour bien le transmettre. De ce point de vue naît une réflexion évidente autour du rôle de l’Homme de ce temps vis-à-vis de la 7

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- Texte reformulé, information extraite du site internet de l’entreprise : http://www.ateliersbst.com/ - DOMINIQUE Audrerie, Questions sur le patrimoine, Bordeaux, confluences, 2003, p 87.


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notion de l’héritage bâti. S’agit-il seulement de recevoir du passé pour transmettre au futur ? Et si on parlait du présent ? Quel sera donc notre devoir envers nous-mêmes ? De même, tout comme les Hommes d’hier, nous sommes autant censés créer en nous servant des ressources d’aujourd’hui pour être en capacité de transmettre des architectures identitaires, fruit de notre création. C’est ainsi que nous contribuons à marquer l’Histoire de la chaîne intergénérationnelle. De manière plus précise, pour pouvoir créer une architecture d’aujourd’hui, patrimoine de demain, il est indispensable pour l’Homme de savoir utiliser les outils fournis par l’époque dans laquelle il vit afin de pouvoir façonner le matériau brut que l’environnement met à sa disposition. Après tout, un regard porté sur l’alchimie liant l’Homme, l’outil et le matériau dans un contexte spatio-temporel précis, en vue de comprendre la nature des rapports établis entre ces trois piliers, aide à extraire les facteurs conditionnant le développement de l’art de bâtir local, ainsi que les enjeux actuels entourant la création architecturale et la pratique d’intervention sur le patrimoine architectural bâti. Pour cela, il convient tout d’abord de distinguer les éléments permanents des éléments qui changent dans l’équation Homme, outil et matériau. Vu sa conception, l’humain est en perpétuelle capacité de travailler le matériau à travers l’outil. Il s’agit d’une compétence constructive existante depuis les temps les plus reculés, et qui est censée durer dans le temps. Tandis que les outils utilisés dans le domaine de la construction font preuve d’un grand tournant, ce moment eurêka se déclenche parallèlement avec la révolution industrielle qui, dès son arrivée, apporte de nouveaux moyens performants, rapides, et précis, mettant ainsi fin aux outils manuels rudimentaires échangés contre des outils alternatifs industriels et machinaux. Ce changement se consolide ultérieurement grâce au développement des compétences numériques qui, à première vue semblent être un réel atout économisant à la fois le temps et l’effort. Par ailleurs, le développement des outils donne libre cours à l’Homme d’imaginer des formes architecturales nouvelles, ces dernières sont loin de se réaliser suivant les savoirs faire constructifs ancestraux, ni de s’adapter aux matériaux de construction naturels utilisés auparavant. À ce stade, la pierre, le bois et la terre, matériaux abondants sur la planète, ne sont guère au goût du jour.


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Il est donc grand temps pour l’Homme de s’impliquer dans l’invention de nouveaux matériaux de construction. Ceci impose de nouveaux rapports Homme-matériau, une mutation s’opère alors dans les traditions constructives inventées par les mains des Hommes et présentes sur les territoires depuis des millénaires. Parallèlement, l’héritage bâti et les bâtiments patrimoniaux construits à base de matériaux non industrialisés ne sont plus synonymes de modernité. L’avènement du béton-ciment dans l’histoire de la construction dévalorise progressivement l’image des matériaux naturels capables autrefois de refléter le cachet architectural de chaque site. D’autre part, l’industrialisation des matériaux et la standardisation des prototypes engendrent une rupture entre l’Homme, le matériau, l’environnement naturel et l’Histoire des villes. À l’heure actuelle, il est important de signaler que le changement spectaculaire du rapport établi entre l’Homme, l’outil et le matériau mène à ce qu’aujourd’hui nous produisions un fond architectural à part entière, intégralement différent du savoir-faire constructif d’antan. La question de l’aptitude a traversé sainement les temps tout en prenant en compte la durabilité et l'impact environnemental. Ces facteurs changent systématiquement la forme du patrimoine de demain. Enfin, la notion du patrimoine architectural ancien se mêle visiblement à la «Contemporanéité » issue des progrès des outils et des matériaux, l’enjeu est de bien définir les limites de ce va-et-vient, entre tradition et modernité. Il s’agit de repenser profondément la relation de l’Homme avec son matériau, ce rapport conditionne la production architecturale aujourd’hui qui, si capables de durer dans le temps, deviennent le patrimoine de demain.


illustration du Livre II du De Architectura de Vitruve, par Walther Hermann Ryff, 1547

Š Petrejus, Johann

Fig. 05

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ENTRETIEN AVEC OLIVIER MAUBERT

LE PATRIMOINE ANCIEN FRANÇAIS AU YEUX D’OLIVIER MAUBERT

Ingénieur ENSAM, Exécutive MBA, EMLyon École de réhabilitation du bâti ancien d’Avignon o.maubert@ateliersbst.com Pour mieux parler du rapport homme, outil et matériau, trois piliers du patrimoine architectural ancien, je suis allé à la rencontre de monsieur Olivier MAUBERT, un homme au service du patrimoine bâti français, directeur de l’atelier SAINT BLAISE et SAINT THOMAS. Restaurer du patrimoine n’est pas toujours une tache simple, c’est ce qu’il nous explique à travers cet entretien réalisé le quatre octobre de cette année. Dans quel état se trouve le patrimoine architectural ancien et historique en France ? Olivier MAUBERT : Quel que soit leur niveau social, je dirais que les particuliers sont en règle générale conscients de la valeur architecturale et identitaire que représentent leurs héritages bâtis, contrairement à la valeur culturelle qui n’est malheureusement pas perçue avec la même intensité. Cela dépend du niveau d’éducation reçue, qui suit le niveau social de chacun. Quant aux architectures anciennes, elles sont à présent valorisées par les collectivités dès lors que les moyens financiers sont présents. Toutefois, lorsque la collectivité n’est pas en mesure de posséder les moyens nécessaires pour les valoriser, elle met en place les dispositifs nécessaires afin de stabiliser ou de conforter les édifices dans l’intention de stopper leur dégradation. Il s’agit de ce que l’on appelle la conservation. En ce qui concerne les particuliers, j’ai le sentiment que c’est un peu différent, certains sont dans l’optique de valoriser et de reconstruire, mais rarement à l’identique, cela reste dépendant de l’argent disponible. D’autres préfèrent abandonner, dans ce cas ils détruisent pour bâtir neuf sous prétexte d’assouvir leurs envies de s’imprégner à la modernité. À l’atelier c’est ce que nous évitons de faire, notre mission consiste également à sensibiliser nos clients de l’importance historique, architecturale et culturelle du


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patrimoine qu’ils possèdent. Le but du jeu est d’éviter la perte des savoir-faire ancestraux. À ce sujet, il faut bien éduquer les particuliers, former les professionnels de l’immobilier de l’aspect technique et esthétique des Kuvres réalisées, de même pour les jeunes que nous intégrons dans l’entreprise en tant que stagiaires ou apprentis. Quels sont les défis dans la restauration du patrimoine ? O.M : Bien évidemment, comme tout secteur, certains défis d’ordre juridique s’avèrent compliqués. La complexification des normes et la rigidité des demandes de l’administration peuvent parfois être un frein pour la restauration, l’ensemble de contraintes nous fait perdre beaucoup de temps et un surcoût. Outre cela, une des difficultés que nous rencontrons quotidiennement concerne le manque de main d’ouvre qualifié, ce fut un réel problème en France. Depuis quarante ans, l’État dénigre l’apprentissage et les métiers manuels, il est donc grand temps de redonner des lettres de noblesse aux métiers manuels. Ceux-ci sont des emplois que l’on peut délocaliser, voire même relocaliser en créant de grands programmes de rénovation du patrimoine. La rénovation énergétique à titre d’exemple représente un vaste chantier à exploiter en France. Le deuxième enjeu est le coût, ce n’est pas la main-d’Kuvre qualifiée qui coûte cher, mais la concurrence déloyale (auto-entrepreneur, travailleur détaché, non-respect des règles de sécurité, travail au noir) qui fait baisser le prix des travaux injustement et fausse le prix du marché. De ce fait, les prix de la main-d’Kuvre qualifiée, légale deviennent trop élevés par rapport à son marché. D’autre part, en France plusieurs dispositifs de financement sont possibles, tels que la subvention de la collectivité, les mécénats et les crédits d’impôt, mais ça reste difficile à décrocher, en plus des crédits de l’État qui fondent en période de crise. Et enfin, les budgets fréquemment en dessous du prix du marché et du coût de revient pose problème. Un marché vendu à son juste prix ne souffre pas de problème du délai d’exécution.


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Quelles modalités d’intervention adopte l’entreprise ? « Depuis sa création, l’atelier Saint-Blaise et Saint Thomas bâtit, rénove et restaure dans l’esprit de la tradition » (9). Ceci amène à s’interroger sur quelle tradition pour quelle époque ? O.M : Le monde de « l’immédiateté » dans lequel la révolution numérique nous plonge n’est pas compatible avec « bien faire dans le sens de la tradition », il faut donc un temps incompréhensible pour faire les choses. Par contre, les moyens d’études modernes permettent de gagner beaucoup de temps en exécution. Le recours aux matériaux de construction industriels tels que le béton prêt à l’emploi, les poutrelles hourdis, et l’acier assurent le confortèrent et la stabilisation du patrimoine ancien. Cette démarche permet de baisser les coûts des chantiers de restauration, c’est un facteur perpétuellement recherché. En revanche, certaines matières ne doivent pas être appliquées en enduit sur la pierre, car celle-ci ne peut alors plus respirer. D’autres comme les placo et mousses de polystyrène en particulier doivent être utilisés en toute connaissance de cause étant donné qu’elles demandent de penser la ventilation et la gestion de l’humidité ambiante. L’utilisation d’outils modernes performants tels que la grue, le manuscopique, le montecharge, et l’électroportatif est un réel bénéfice pour les métiers de l’artisanat. Elles permettent d’aller plus vite, plus haut, de forcer moins, et de préserver les hommes. Les moyens de mesure et de contrôle comme le laser notamment sont un vrai plus. Quel devenir pour le patrimoine bâti ancien en France ? O.M : Le patrimoine aura d’autant plus d’avenir quand les contraintes réglementaires seront allégées, notamment pour les particuliers. Lorsque des incitations fiscales et des subventions efficaces de la part des collectivités seront mises en place pour faire réduire la facture des chantiers. Sans cela, l’appauvrissement général de la population ne permettra pas de restaurer son patrimoine correctement. Il en est de même pour les règles de la concurrence qui doivent être rétablies sur de bonnes bases.

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- Extrait du site internet de l’entreprise : http://www.ateliersbst.com/


Fig. 07 L’homme, l’outil, et le matériau © ZAIR Zineb

Fig. 06 MAUBERT Olivier © ATELIER SBST

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RÉTROSPECTIVE D’UNE EXPÉRIENCE D’INSERTION PROFESSIONNELLE Cela fait bientôt six mois que je me suis engagée en tant qu’architecte stagiaire dans l’atelier Saint Blaise Saint Thomas. Un atelier où la réalisation prend le dessus sur la conception, de façon à ce que la démarche d’intervention prenne appui sur des réunions avec les clients, des relevés de mesures, et des diagnostics visuels sur chantiers. L’objectif étant de projeter l’ensemble des acquis académiques autour du patrimoine bâti, récolté précieusement le long des années d’études, sur une pratique professionnelle en France. Après plusieurs exercices intellectuel et manuel, axés sur la thématique de restauration et l’entretien de bâtiments anciens, d’aménagement de maisons individuelles dans une grange abandonnée, jusqu’au l’application d’enduits et de badigeons sur la façade d’une maison patronale datant de 1795, arrivant a la restauration d’ancienne menuiserie en bois suivant la méthode artisanale. Cette démarche ambitieuse me permet de dresser un bilan détaillé sur les stratégies d’intervention ainsi que l’organisation des équipes, des taches et des outils. Cette analyse mène à nourrir une réflexion sur la dimension importante consacrée tant aux matériaux de construction industriels qu’aux techniques modernes dans les interventions menées par l’entreprise. D’après cette constatation, il est important d’indiquer que ce processus d’intervention dénigre les savoirs faire ancestraux. Ces derniers se contredisent avec les délais d’exécution courts que l’entreprise doit gérer. Toutefois c’est le patrimoine immatériel les cultures constructives des sociétés que l’on met en péril. En revanche, un des questionnements surgit de cette pratique professionnelle qui n’est qu’un échantillon représentatif de la manière de travailler l’héritage bâti en France et ailleurs, cette approche en soi peut accentuer le degré de perte des savoirs faire technico-constructif ancestraux en les remplaçant par ceux que le monde moderne impose. De nos jours, si le temps c’est de l’argent , rénover un monument à valeur patrimoniale dans les règles de l’art - sachant que ce facteur reste vague et subjectif - nécessite un savoir-faire et du temps, ce qui fait que cela revient particulièrement cher. Dans tous les cas, en ce qui concerne le maintien des savoirs-faire ancestraux, le chemin est beaucoup plus pertinent quand il ne s’agit pas d’une question d’argent. Un choix pour lequel j’ai opté il y’a trois ans, chez moi, en Algérie, bien avant de venir en France. C’est cela que j’aborde dans le chapitre suivant.


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LA PRATIQUE ASSOCIATIVE #3


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UN PATRIMOINE MATÉRIEL & IMMATÉRIEL ALGÉRIEN La terre et l’espace, deux éléments qui, depuis la nuit des temps, jouent un rôle irréprochable dans la vie de l’être humain. La terre, ce bien collectif permettant à l’homme d’autrefois, rien qu’en occupant un site quelconque, de nouer des relations avec son espace naturel dans le but de se nourrir et de construire son abri. Ce rapport puissant est l’essence même du patrimoine architectural vernaculaire en Algérie et ailleurs. Les architectures traditionnelles héritées de nos aïeux, ceux de la casbah de Constantine, de Dellys, d’Alger ou d’Oran, les ksours à Ghardaïa comme a Timimoun, la médina de Oued Souf, les villages de Ghoufi ou de la Kabylie, sont un héritage matériel composant l’un des plus vastes musées à ciel ouvert, élaboré soigneusement par des mains algériennes savantes d’hier. Par l’intérêt, enfin, porté à ces témoins de l’histoire architecturale qui animent tant de régions algériennes, ces derniers prouvent que nos ancêtres ont continuellement vécu en parfaite symbiose avec les milieux naturel et culturel dans lesquels ils implantent leurs lieux de vie privée ou collective. L’exploitation sage des ressources naturelles disponibles in situ permet d’extraire des matériaux de construction naturels donnant naissance à des constructions entièrement intégrées dans leurs contextes. L’Algérie est un territoire particulièrement vaste, avec des matériaux de construction élémentaires variables d’un site à un autre, qui renvoient à une mise en Kuvre simplifiée et à des techniques constructives selon la nature même de chaque matériau. Ces derniers sont donc intimement liés l’un à l’autre de façon à former l’héritage immatériel constructif algérien qui s’inscrit dans une perspective durable, à moindre impact environnemental. Pour composer un ensemble stable structurellement, les pierres choisies pour la mise en Kuvre sont souvent non travaillées, parfois légèrement taillées afin de faciliter l’appareillage des murs en maçonnerie. Suivant la nature de la pierre il en découle une multitude technique d’appareillages possibles. En règle générale ce matériau est plus au moins utilisé dans la région nord-algérienne jusqu’aux portes du désert. La terre, le matériau le plus abondant sur la planète est un composant essentiel dans la construction

et

l’évolution

des

modèles

architecturaux

anciens

présente

particulièrement dans le sud de l’Algérie. Ce dernier est utilisé dans la construction des


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parois, le mortier de liaison, ainsi que les enduits de façades. Il offre un large éventail de techniques constructives telles que l’adobe, la bauge, le pisé, et le torchis. Tandis que les rondins en bois issu de palmier, d’olivier, de cèdre, ou d’autres types d’arbre, ont des usages multiples dans l’architecture vernaculaire. Parfois il s’agit d’un élément structurant les planchers, d’autres fois il est nécessaire pour la mise en Kuvre de l’ossature de la couverture. Dans les plus anciens cas, le bois est utilisé dans son état brut, c’est durant l’époque coloniale qu’il fait objet d’un façonnage de section rectangulaire. L’adaptation de cette architecture au paysage géographique, climatique et culturel assure une production spatiale en symbiose avec son contexte. Cette démarche adoptée par nos prédécesseurs offre à l’architecture une image reflétant l’identité des peuples qui les ont produites, qui sont eux-mêmes la population qu’il héberge. Selon Paul OLIVER, le bâti ancien est un complexe vivant qui reflète les besoins pour lesquels il a été construit (10), ce propos reflète le rapport intime liant l’espace matériel construit a son usager, de façon à ce que la hiérarchisation spatiale, l’implantation de la maison par rapport à la rue, la typologie architecturale domestique, les portes et fenêtres donnant sur l’extérieur, la sqifa, le patio, le degré de décors et d’ornementation, le revêtement de sol, les arcades, les niches et resserre à provisions, sont un langage architectural qui dévoile clairement les besoins de ses usagers. Une telle pensée fait que l’homme d’hier, par instinct, a eu le réflexe naturel d’adapter son abri aux conditions climatiques caractérisant son site, cause pour laquelle les architectures traditionnelles deviennent de nos jours des prototypes irréprochables en matière d’isolation thermique en hiver comme en été. En effet, la question qui se pose est la suivante : qu’est-ce qui fait patrimoine algérien dans cet héritage matériel et immatériel ? Dans ce cas la réponse est affirmative, cette architecture dégage un mélange de valeurs historique, culturelle, architecturale, sociale, identitaire, technique, en plus d’une valeur d’usage, qui sont l’essence d’un cachet architectural nourri par le site et développé dans l’esprit des populations locales.

10

- Paul OLIVER, Rehabiliter l’architecture traditionnelle Méditerranéenne: Issues of the core and periphery: A case study of lefkara, Cyprus, Rehabimed, 2015, p 15.


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Enfin, sous un ciel éclatant méditerranéen, ces architectures resteront – si bien sauvegardées- le témoin vivant d’une civilisation algérienne époustouflante.

UN PATRIMOINE ARCHITECTURAL EN DANGER, REBÂTIR OU SE SOUVENIR ? Depuis le début de l’existence humaine, l’Homme vit en parfaite symbiose avec son milieu. Néanmoins, à présent ce rapport relationnel est plutôt ambigu. Le changement de matériaux et l’évolution des cultures constructives, propres à l’époque dans laquelle nous vivons, se positionnent en rupture conséquente visible avec la tradition constructive ancienne qui, elle, était fondée sur l’intégration culturelle et environnementale. Il est important de noter que cette pratique met en péril le patrimoine bâti ancien et le dévalorise continuellement aux yeux du citoyen algérien. Ce dernier est plutôt dans l’optique d’assouvir son besoin cruel de contemporanéité vis-à-vis des avancées techniques. Le mode de vie moderne imposant un certain degré de confort, les architectures anciennes réalisées à base de matériaux de construction locaux se voient qualifiées d’architecture des pauvres. En réalité, l’ignorance dont font preuve ces usagers devant les avantages bioclimatiques de leur patrimoine, qui assurent un confort maximal à moindre coût, les pousse à abandonner leurs demeures, qui, sans entretien deviennent des ruines. Cet état de méconnaissance s’accompagne d’une perte des savoirs faire, conséquence d’un manque d’encadrement et de formation professionnelle sur les métiers de construction artisanale. Cette formation apparaît comme essentielle pour comprendre un langage technique et constructif codifiant les comportements des corps des bâtiments hérités. Sans elle, les interventions peuvent s’avérer dangereuses et engendrer la démolition. La politique du logement adoptée par le gouvernement algérien depuis l’ère post coloniale, appliqué par les acteurs du domaine du bâtiment et travaux publics, est un des facteurs qui empire la situation du patrimoine architectural algérien. Cette politique se base sur une stratégie de production architecturale en masse, standardisée, avec l’utilisation de matériaux industriels similaires, bon marché et rapides en exécution, ou bien des formes architecturales communes, voire répétitives. Ceci est loin d’être


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contrôlé par une norme qualitative puisque l’objectif est de donner suite aux besoins accentués de logements et ceci dans les délais les plus courts. Aujourd’hui encore, nous continuons à emprunter le parcours tracé par les gouverneurs et ce, depuis 1962. Cette politique de construction en masse est un facteur majeur de la perte de l’empreinte architecturale algérienne, des architectures traditionnelles, et des savoirs faire constructifs qui lui sont liés. Selon madame Yesmine TERKI, Directrice du centre algérien du patrimoine culturel bâti en terre CAPTerre, « Avant de réhabiliter le patrimoine, il est nécessaire de réhabiliter l’image des matériaux locaux dans l’esprit des habitants et des acteurs du domaine de la construction. » (11). Ce propos prouve que pour rebâtir le patrimoine, voire son image stéréotypée, plusieurs défis sont à relever, principalement celui du regard que porte l’être humain sur ses architectures. De ce fait, il est tout d’abord recommandé d’initier les communautés sur le caractère exceptionnel du patrimoine qu’ils possèdent, pareillement pour le potentiel d’adaptation et les possibilités de réemploi des matériaux de construction locaux dans les constructions contemporaines. Et si un matin, nous décidons subitement d’oublier notre héritage matériel et immatériel, de ruiner les traces des architectures anciennes, et de tourner le dos à ce patrimoine emblématique. Que restera-t-il alors en Algérie de plus algérien que ses casbahs, ses villages, et ses ksours ? Pour mieux cerner la situation actuelle entourant le patrimoine architectural algérien, je me suis dirigé vers madame Samia CHERGUI qui, grâce à son expérience, saura apporter un avis.

11

- TERKI Yasmine, « La réhabilitation de l’image : stratégie algérienne pour la préservation du patrimoine bâti en terre, Algérie », World Héritage Papers : L’architecture de terre dans le monde d’aujourd’hui, n° 36, 2013, pp. 238-239


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QUESTIONNAIRE LE PATRIMOINE ARCHITECTURAL ALGÉRIEN

CHERGUI Samia, Architecte des Monuments Historique Maître de Conférences, patrimoine et histoire de l’architecture, université de Blida 1, Algérie. Docteure en histoire de l’art de Paris IV-Sorbonne Ex directrice de l’École nationale de conservation et de restauration des biens culturels, Alger samia.chergui@gmail.com

Durant ma licence, madame Samia CHERGUI était mon professeur d’Histoire de l’architecture à l’Université de blida 01, en Algérie. Le questionnaire suivant est réalisé suite à son intervention portant sur les Fournisseurs et bâtisseurs en terre dans la Régence d’Alger entre les xviie et xixe siècles lors des 5èmes échanges transdisciplinaires sur les constructions en terre crue « architecture et construction en terre crue. Approches historiques, sociologiques, économiques » à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier. Samia CHERGUI est architecte, docteure en histoire de l’art de Paris IV-Sorbonne. Professeure en patrimoine et histoire de l’architecture à l’IAU/Univ. Blida 1 et chercheure dans le domaine patrimonial au sein du laboratoire Environnement et technologie pour l’architecture et le patrimoine et de différents projets euroméditerranéens et européens (CORPUS, PERPETUATE…). Elle est l’auteure de plusieurs articles et ouvrages sur le patrimoine architectural, la culture constructive et l’archéologie du bâti : Les Mosquées d’Alger. Construire, gérer et conserver (XVème–XIXème siècles), Paris, PUPS, 2011 ; « La arquitectura morisca en la Regencia de Argel : entre mito y realidad », Argelia España : puentes en la historia, Jerónimo Páez (dir.), Madrid, 2016, p. 139-149 ;« Masonry Ceilings at the Dey Palace in the Citadel of Algiers », Defensive architecture of the Mediterranean : XV to XVIII centuries, A. G. González Avilés (dir.), Vol. 6, Editorial Publicacions, Alicante, 2017, p. 29-37. (12) Elle est également la première directrice de l’école de conservation et de restauration des biens culturels d’Alger établie à la casbah d’Alger en 2012.

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- Biographie, 5èmes échanges transdisciplinaires sur les constructions en terre crue , « Architecture et construction en terre crue. Approches historiques, sociologiques, économiques », ENSAM, 23-24 oct 2019.


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Quelle image reflète le patrimoine bâti algérien ? CHERGUI Samia : Le patrimoine bâti Algérien est à l’image des politiques patrimoniales qui se succèdent depuis l’ère coloniale jusqu’à nos jours. Il avait fait l’objet de pratiques à géométrie variable au lendemain de la colonisation. Celles-ci se manifestaient soit par de grandes vagues de destructions de monuments d’époque médiévale et moderne musulmanes, soit par la promotion des découvertes archéologiques de vestiges antiques et leur restauration. Si, après l’indépendance, un effort a été concédé par les différentes institutions et réglementations algériennes à la protection des patrimoines mobilier et immobilier par leur classement, leur préservation et leur restauration, les discours et stratégies semblent quelques peu nuancés. En effet, ces différentes opérations qui nécessitent des moyens financiers d’une part et des compétences techniques d’autre part n’ont pu s’inscrire dans les visées et priorités politiques nationales que tardivement. L’intérêt que porte l’administration publique algérienne au patrimoine s’avère donc assez récent comparativement aux autres secteurs étatiques. Redécouvert pour ses valeurs identitaire, historique et économique, le patrimoine, qu’il soit mobilier ou immobilier, voire immatériel, prend place dans la politique nationale, qui lui consacre non seulement une réglementation appropriée (loi 98/04), mais également un budget. La promulgation de la loi relative à la protection du patrimoine culturel a ouvert donc la voie à la mise en place d’un arsenal juridique conséquent. Or, seule, quelques opérations de mise en valeur du patrimoine sont en cours aujourd’hui. Au vu de leur nombre et de leur cadence, elles ne semblent pas parvenir à éradiquer le risque de perte de ce patrimoine. La conscience des risques entourant le patrimoine est-elle partagée ? S.C : La conscience de risque entourant le patrimoine ne semble pas vraiment partagée. Ni les populations, ni les autorités compétentes ne mesurent la gravité de l’état de conservation du patrimoine. D’ailleurs, rares sont les concertations engagées pour alerter du danger de disparition qu’encourent les sites et monuments historiques en Algérie.


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Ce patrimoine nous manquera-t-il- si nous décidons de le détruire ? S.C : Si ce patrimoine venait à disparaitre, c’est au détriment de l’histoire du pays et de l’identité culturelle de son peuple. En Algérie, quelle place accorder au patrimoine dans l’enseignement ? S.C : La place accordée au patrimoine dans l’enseignement en Algérie, gagne à occuper les premiers rangs. Les ressources humaines dans le domaine patrimonial demeurent peu étoffées en dépit du fait que l’université algérienne a tenté de mener une politique de formation adaptée à cette réalité depuis le début des années 90. La portée réelle de la formation au patrimoine est loin de dépasser le stade embryonnaire et ne se trouve, aujourd’hui,

qu’amplement

disséminée

entre

les

différents

établissements

d’enseignement supérieur. La formation au patrimoine a été entamée au sein de l’École Polytechnique d’Architecture et d’Urbanisme d’Alger dès l’année universitaire 1990/1991, avec le lancement d’un magistère en préservation des sites et monuments historiques. Le bilan de cette première expérience qui a permis de former 65 architectes des monuments et sites protégés sur un total de 80 inscrits, couvre huit années de formation de formateurs. Après une interruption de quelques années, un nouveau magistère en patrimoines urbain et architectural a été lancé à partir de l’année universitaire 2008/2009. Il a pris en charge jusqu’à ce jour la formation théorique d’une trentaine d’étudiants, dont au moins une dizaine qui a pu finalement presenté leurs travaux de fin d’études. Il convient de noter que la grande majorité de ces diplômés ont embrassé une carrière d’enseignement en intégrant l’EPAU, mais également les 14 départements d’architecture répartis sur le territoire national. Avec la promulgation de la loi 98/04 relative à la protection du patrimoine culturel, mais encore la publication des différents décrets exécutifs et arrêtés qui l’accompagnent, ces mêmes architectes diplômés en préservation des sites et monuments historiques ont été, par ailleurs, qualifiés par le Ministère de la Culture afin d’encadrer les projets de restauration en tant que chefs de projet. De son côté, l’Institut d’Archéologie de l’Université d’Alger a investit le domaine de la conservation et de la restauration du patrimoine mobilier, en instaurant, dès l’année universitaire 2005/2006, une formation de post graduation qui ouvre droit à l’obtention d’un magistère intitulé « Archéologie, restauration et conservation ». Une trentaine


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d’étudiants ont pu jusqu’ici soutenir ce diplôme de magistère sur une totalité de 60 inscrits. Quant à la formation qui relève à la fois des sciences de la matière et du champ patrimonial, elle a été investie par le Département du Géni des Matériaux –Université de Boumerdès – durant l’année universitaire 2005/2006. Malgré l’intérêt que pouvait revêtir une telle expérience, elle n’avait pas été reconduite l’année suivante. Une seule promotion de huit étudiants a été formée permettant à quatre d’entre eux d’obtenir un magistère en matériaux archéologique et d’investir le domaine de l’enseignement et de la recherche. L’École nationale de l’École nationale de conservation et de restauration des biens culturels mise en place en l’année 2011 constitue une perspective réelle pour la formation aux patrimoines en fédérant tous les efforts consentis jusqu’ici. Vendredi 22.11.2019

Cependant, si le patrimoine architectural bâti en Algérie se retrouve aujourd’hui dans une situation de reniement, il est donc impérativement nécessaire de réagir afin de le sauver, mais comment ?


Fig. 08 Algérie, musé à ciel ouvert © Younes FODIL

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RÉAGIR ? OUI, MAIS COMMENT ?

« IL VIENT UNE HEURE OU PROTESTER NE SUFFIT PLUS : APRÈS LA PHILOSOPHIE, IL FAUT L’ACTION, LA VIVE FORCE ACHÈVE CE QUE L’IDÉE A ÉBAUCHÉ » (13) Le patrimoine est l’affaire de tous, sans dérogation, mais il semble certainement illusoire de pouvoir sensibiliser ce « tous » de l’importance de cette cause commune rien qu’en diffusant des dépliants ou des affiches, et en organisant des conférences-débats dans des salles fermées, ou encore en lançant des SOS dans les haut-parleurs dans l’espace public. Quoique cela paraisse efficace, ceci reste, théorique face à un citoyen qui tient actuellement à des revendications autres que la sauvegarde du patrimoine architectural bâti. De plus, la résistance que nos casbahs, médinas, ksour et villages éprouvent contre le vide et le temps n’est en aucun cas éternelle. Passé un certain délai, ces bijoux architecturaux risquent de perdre tout pouvoir. Arrivé à ce jour, nous serons alors confrontés à un interrogatoire sur l’identité architecturale algérienne plus complexe qu’il n’y paraît. Toutefois, une chose au moins est certaine. Étant jeune architecte algérienne, je me sens particulièrement concernée par la situation ambigüe dans laquelle se trouve le patrimoine bâti de mon pays. Une balade improvisée dans les ruelles d’un village au fin fond de la Kabylie, soit dans les venelles de la Casbah de Cherchell, ou encore entre les parois d’un Ksar à Timimoun mène à une simple constatation : c’est la particularité d’un territoire géographique doté d’une richesse architecturale, d’une pluralité et d’une beauté inestimables qui risque de disparaitre. Un bel exemple à suivre est celui de mener des actions citoyennes au profit du patrimoine matériel et immatériel algérien , la capacité d’insérer ces initiatives dans une perspective peut faire comprendre, graduellement, à toutes les parties qu’il est important que chacun soit conscient de l’articulation imposante entre passé, présent et futur si nous souhaitons transmettre aux générations futures les architectures, les savoir-faire et savoir-vivre durables de nos ascendants. De la sorte, il est grand temps

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- Victor Hugo, Les Misérables, Albert Lacroix et Cie, 1862, Tome IV, p527.


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de réagir intelligemment à l’égard du patrimoine, cette cause aussi collective qu’individuelle qui nous appartient, et à qui nous appartenons. Avec de multiples prises de conscience nourries par le voyage et l’expérience sur le terrain, avec une volonté forte et affirmée de sauvegarder l’amalgame urbain, architectural, culturel et civilisationnel Algérien que ZAIDI Daoui (14) et SAOUDI Anis (15) décident de mettre en place une organisation. C’est ainsi que TAMAZGHA BUILDERS, un collectif à caractère non lucratif voit le jour, en mois de juillet 2016. Depuis, l’équipe s’est agrandie pour accueillir sept nouveaux membres passionnés du patrimoine, issus de diverses disciplines comme l’architecture, le tourisme, l’art, la musique, la photographie et l’informatique. Cette pluridisciplinarité est un atout indéniable pour le collectif, elle permet d’intégrer très en amont, plusieurs préoccupations entourant la principale mission de Tamazgha Builders qui consiste à valoriser le patrimoine vernaculaire et les cultures de construction traditionnelles présentes sur le territoire algérien. TAMAZGHA « Tamazɣa », prononcée en français « Tamazra », désigne un espace géographique qui architecturalement parlant à plusieurs points en commun notamment les matériaux de construction et les logiques spatiales et décoratives. Cette région comprend l’ensemble de cinq pays d’Afrique du Nord : Algérie, Maroc, Tunisie, Libye et Mauritanie, le territoire du Sahara occidental ainsi que, partiellement cinq autres pays : nord du Mali, nord du Niger, une partie de l’ouest de l’Égypte comprenant la région berbérophone de Siwa, une partie du nord du Burkina Faso, de même que les enclaves espagnoles de Melilla, Ceuta et des Îles Canaries. BUILDERS signifie constructeurs en anglais, comme référence à la construction ou la reconstruction d’un héritage architectural oublié et laissé à l’abondant. Le logo du collectif est fait à base d’un des symboles les plus répandus dans la tapisserie et dans la poterie amazighe nord-africaine et méditerranéenne.

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- ZAIDI DAOUI (1993), architecte diplômée de l’université d’Abderrahmane Mira, Bejaïa, Algérie, 2016. Architecte d’état, ENSA de Marseille, France, 2018. 15 -SAOUDI Anis (1991), architecte diplômé de l’université d’Abderrahmane Mira, Bejaïa, Algérie, 2016, étudiant DSA Architecture de terre, ENSA de Grenoble 2018.


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Tamazgha Builders interroge les pratiques et productions constructives actuelles ainsi que la gestion des ressources naturelles liées au secteur du bâtiment. Face au constat d’une rupture visible entre architecture d’aujourd’hui et architecture d’antan et leurs rapports à l’environnement culturel et naturel dans lequel elles s’insèrent, le collectif s’engage pour la construction en matériaux locaux, naturels, et durables. Ces derniers permettent à l’architecture de mettre en valeur tout le génie du site qui l’accueille. Or, l’appartenance à ce collectif est une preuve d’existence vis-à-vis de l’état actuel du patrimoine architectural algérien, il s’agit d’un défi à relever afin de sensibiliser les corps de métier du bâtiment et du tourisme des potentialités et de la valeur de l’héritage vernaculaire en Algérie, voire dans tout le pays du Nord-Africain. Renouer des liens naturels entre le patrimoine architectural bâti et ses usagers en passant par les savoirs faire constructifs fait également part des objectifs du collectif. Autrement, assurer une longévité au patrimoine matériel de nos aïeux, ce dernier est de plus en plus oublié, constat fait suite à l’abondant des constructions traditionnelles dans les villages et anciennes médinas algériens. Afin que la restauration du patrimoine architectural matériel et immatériel Algérien ne soit pas une réflexion naïve, le collectif s’active depuis sa création en organisant annuellement des chantiers participatifs d’architecture vernaculaire réunissant bon nombre d’architectes, jeunes designers et urbanistes, maçons et artisans d’Algérie et d’ailleurs. Cette action est en soi un engagement citoyen qui ambitionne d’une part la création d’une plateforme de formation pratique, d’apprentissage et d’expérimentation d’architecture vernaculaire afin de lever le poing sur la nécessité de reconnecter l’architecture à son contexte environnemental, naturel et culturel. D’autre part, il vise à redynamiser les systèmes ancestraux de transmission des savoirs-faire constructifs et artisanaux qui impactent de manière significative l’émergence d’une économie locale valorisant le travail de la communauté, l’art et le respect de l’environnement. Les chantiers varient selon la nature du bâti à restaurer, son état de dégradation, et son contexte spatial. Ils visent à répondre aux objectifs de l’organisme et cela par la restitution d’un patrimoine en ruine ainsi qu’à sa mise en valeur. Des ateliers techniques


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sont prévus à ces mêmes fins et ont pour but de restaurer le bâti. Ils sont encadrés par des formateurs spécialisés tels que des maçons, des artisans, et des architectes ou ingénieurs afin d’acquérir les techniques et savoirs-faire ancestraux dans une atmosphère participative et d’échange. (16) Il est important de noter que l’action s’ancre dans une perspective de dialogue avec les acteurs locaux, propriétaires, villageois, et associations locales. En mois d’aout 2016, le collectif organise la première édition du chantier participatif d’architecture vernaculaire dans le village d’Ibakouren en collaboration avec l’association locale du même nom sur la commune d’Amizour à Bejaia en Algérie. « axxam », une typologie bâtie et constructive de l’architecturale traditionnelle domestique en Kabylie est le prototype de base composant l’agglomération rurale du village d’Ibakouren. L’ « axxam » en question est la propriété privée d’un villageois résident aujourd’hui en ville qui souhaite restaurer et reconvertir sa propriété en un lieu d’exposition rassemblant des pièces culturelles et artisanales de la région longuement récoltées et précieusement conservées. Les techniques constructives mises en Kuvre renvoient à un savoir-faire constructif local qui suit les ressources naturelles disponibles sur les lieux. La pierre, la terre et le bois sont les matériaux élémentaires, exploités durablement par l’homme villageois afin de construire sa maison. Les murs porteurs de la maison sont entièrement réalisés en moellons de pierre grossièrement dégrossis, d’un appareillage imparfait à double parement, calé avec des pierres de petite dimension, hourdée avec un mortier de terre, et ne recevant aucun revêtement extérieur, l’épaisseur de l’ensemble varie entre soixante et soixante-dix centimètres. À l’exception de la porte d’entrée et d’une ouverture de dimension réduite, prolongée en hauteur, les percements donnant sur l’extérieur sont particulièrement limités, ceci est dû à différents facteurs d’ordre structurel, climatique, et social. De manière générale, il s’agit d’une caractéristique commune régulièrement adoptée dans l’architecture traditionnelle méditerranéenne plutôt introvertie, afin de ne pas affaiblir la masse bâtie 16

- Texte reformulé, présentation du collectif Tamazgha Builders, Alger, Algérie, 2017.


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en perçant de grandes ouvertures, de limiter les déperditions et d’assurer une meilleure isolation thermique à l’intérieur de la maison tant en été qu’en hiver. Cependant, il faut savoir que c’est la solution la mieux adaptée au besoin de la population locale d’assurer un certain degré d’intimité par rapport aux espaces de vie collectifs. Sur les murs en maçonnerie reposant la partie structurelle de la toiture, cette dernière se compose d’une simple ossature en bois élémentaire à double pente, articulée sur une poutre faitière dite « el quentas », sur laquelle des chevrons sont disposés parallèlement à la pente. L’ensemble est couvert d’un réseau de roseaux et d’une couche de mortier de terre compactée sur laquelle sont fixées les tuiles canal en terre cuite fabriquées à l’ancienne sur les cuisses des femmes du village. Par ailleurs, le diagnostic établi sur la bâtisse révèle plusieurs anomalies qui s’illustrent dans différentes parties porteuses menaçant la maison de ruine. De par l’aspect d’unité technico-structurel caractérisant le système constructif, la dégradation d’un seul élément s’avère largement suffisant pour affecter la stabilité de la construction entière. La période prolongée d’abandon de ce bien patrimonial le fait basculer dans un état critique, avec des murs fragilisés par des fissurations profondes alarmantes, des infiltrations d’eau considérables qui aggravent continuellement l’instabilité de l’unité bâtie. Quant à la toiture, elle n’est guère exclue du désordre structurel provoqué par les intempéries caractérisant la région de la Kabylie. La restauration de cette maison traditionnelle est donc une expérience pratique qui s’inscrit dans une logique de redécouverte des savoirs-faire constructifs populaire accumulés au cours des siècles. En fonction du degré des défaillances remarquées, et avec l’aide d’un effectif de trente-cinq bénévoles venus des quatre coins du pays et d’ailleurs, il s’avère judicieux que l’intervention se concentre en premier lieu sur la dépose entière des éléments composant la toiture (panne faitière et chevrons fragiles remplacés). Les tuiles canal en terre crue furent l’objet d’un traitement spécifique, car récupérées, brossées, lavées, et ensuite remises en place. Les deux murs en maçonnerie les plus dégradés furent complètement démontés pierre aprés pierre puis reconstruite tout en gardant le mortier fait d’argile blanche et de bouse de vache appelé localement « tarfa ». Les deux autres parements bénéficient d’un débroussaillage et


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l’application des enduits de terre mélangée a de la chaux sur la face extérieure et intérieure du mur. (17) Au vu de l’état détérioré de la construction et du délai rapide du chantier fixé a dix jours, l’organisation d’une deuxième édition de chantier participatif dans le même site s’impose au mois de juillet 2017 de façon que l’intervention soit aboutie. Aujourd’hui, les travaux de restauration abordés sont finalement terminés, ainsi la maison contribue à maintenir le cachet architectural local de la région. Entre-temps, la Twiza Workcamp, fruit d’une première collaboration avec le collectif toubab voit le jour en mois de mars 2017 à Tolga, un village sud algérien. Le chantier une maison datant de l’époque coloniale, construite dans une palmeraie durant les années quarante. Selon le propriétaire, son grand-père rachète la maison et sa famille y habite des années. Aujourd’hui la famille a déménagé en centre-ville et leur demeure est abandonnée. La maison est de taille moyenne, composée d’une cour comme un noyau autour duquel s’articulent les huit autres pièces. Elle est intégralement construite en pierre avec une partie renforcée par une structure en béton armé. La toiture plate est composée de madriers soutenant un réseau de roseaux, ces derniers sont couverts d’une couche de terre compacte. En règle générale, la maison se trouve en bon état, l’intervention prévoit dans ce sens des travaux de reconstruction, de revêtement de façades et de couverture. De ce fait, un groupe de trente-cinq bénévoles est réparti sur les ateliers mis en place de manière à reconstruire une rangée d’un mur en pierre dans une pièce a couvrir suivant les techniques traditionnelles locales, et percer une ouverture dans le mur d’une deuxième pièce, appliquer des enduits à base de sable et chaux dans deux pièces en plus de la cour et la façade. (18) Le savoir-faire constructif lié à chaque localité est une richesse architecturale, identitaire et culturelle que les chantiers participatifs permettent de découvrir. Le but est de perpétuer ces connaissances à travers la pratique et l’échange, il s’agit aussi 17 18

- Texte reformulé, présentation du collectif Tamazgha Builders, Alger, Algérie, 2017. - Texte reformulé, collectif Tourab, Tamazgha Builders, Présentation Twiza Workcamp,Biskra,2017.


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d’amener le questionnement nécessaire à toute démarche de développement de nouveaux procédés de construction en matériaux locaux. La dernière activité du collectif remonte au mois d’aout 2018, et concerne la restauration d’une maison traditionnelle au village d’ait Ouerzeddine, située en Kabylie. La restauration s’est effectuée avec une l’association locale nommée NADA. Pour l’heure, les membres organisateurs se sont dispersés dans la volonté de suivre chacun un parcours académique spécialisé en patrimoine et en architecture de terre. Sauf que l’idée de faire du collectif Tamazgha Builders un atelier spécialisé en restauration du patrimoine architectural algérien est persistante face à la distance, que la passion nous réunira dans les plus courts délais. ESPRIT COLLABORATIF, VERS UN LANGAGE COMMUN

« SEUL, ON VA PLUS VITE, ENSEMBLE, ON VA PLUS LOIN ». ( 19) Étant donné que la sauvegarde du patrimoine n’est pas une affaire exclusivement réservée à l’état ni aux corps de métiers spécialisés, le citoyen à son tour est concerné. Il est donc en capacité de porter des initiatives locales aussi diversifiées que la culture et les milieux dans lesquels elles s’inscrivent. À son humble échelle, l’individu peut aider à mieux connaître et mieux préserver le patrimoine architectural de son pays. Par ailleurs, sauver le patrimoine est un enjeu urgent. L’intérêt est bien de consolider ce dernier, se trouvant désormais désarmé dans un combat face au temps. Toutefois, l’important d’en faire une cause communautaire pour laquelle les individus se rassemblent pour mieux agir. Qu’il s’agisse d’associations, de collectifs, de clubs universitaires, ou d’autres organismes, chacun à son tour contribue à forger une culture citoyenne participative permettant de placer le citoyen au cKur des initiatives de restauration et de sauvegarde du patrimoine bâti et des savoirs faire constructifs en Algérie.

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-Proverbe africain


Fig. 10 Chantier Participatif d’Architecture Vernaculaire. Bejaia. 2017. © TAMAZGHA BUILDERS

Fig. 09 relevée d’état. CPAV 2017 © TAMAZGHA BUULDERS

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INVENTAIRE

Une première investigation sous forme de recensement des acteurs associatifs en Algérie dans l’objectif de prouver l’existence d’organismes à but non lucratif s’intéressant à cette thématique, mesurer leur intensité, définir leur nature, ainsi que les modalités d’intervention possibles dans un cadre non institutionnel. Le but est de récolter des informations à base de recherches personnelles, afin d’établir un premier inventaire qui répertorie les organismes leurs caractéristiques et les informations les concernant. Le fruit de cette démarche est présenté sous forme d’un annuaire faisant l’objet d’une adaptation numérique future, en vue de diffuser l’information au grand public. D’ailleurs, cet annuaire porte un intérêt particulier dans un contexte géographique où, par manque de restitution des informations, il est particulièrement difficile d’avoir accès à l’information. Ceci est dû à l’inexistence d’une institution spécialisée dans la récolte et la diffusion d’un annuaire sur l’ensemble des acteurs travaillant sur le patrimoine, précisément dans le domaine associatif. D’où l’intérêt que représente cette démarche qui n’est qu’une base de données à enrichir. Enfin, cette démarche s’inscrit dans une approche veillant à porter un regard particulier sur la nature des relations que ces organismes partagent. Un classement chronologique de leurs dates de création est utile, recenser le rayon dans lequel ces organisations collectives agissent ainsi que les dates et lieux des événements traitant la thématique du patrimoine architectural enrichiraient l’annuaire. Cela laisse supposer que c’est dans un esprit d’échange de connaissances et de moyens techniques que ce réseau d’acteurs s’établit progressivement. Afin de confirmer cette hypothèse, des entretiens s’enchainent en vue de mettre en lumière l’avis de deux acteurs du domaine associatif concernant la sauvegarder du patrimoine matériel et immatériel algérien : agir seul ou en groupe ?


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Fig.11 Frise murale chronologique © ZAIR Zineb


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SDH

CAPTERRE

NOMAD

TOURAB

TAMAZGHA BUILDERS

KHALAF

TERRA CULTURE

Association

Établissement public à caractère administratif

Club universitaire

Collectif

Collectif

Collectif

Association

Rayonnement national

Rayonnement international

Rayonnement national

Rayonnement national

Rayonnement national

Rayonnement national

Rayonnement national

Formation professionnelle sur les métiers anciens du Bâti

Recherche et documentation

Compétition architecture et patrimoine

Ecoles chantiers bénévoles

chantiers participatif d’architecture vernaculaire

chantiers bénévoles

chantiers bénévoles

Chantiers participatifs

Festival Archi’TerreExposition

Chantier participatif

Foire aux métiers traditionnels du bâti

Formation et chantiers bénévoles

Association

Établissement public à caractère administratif

Formation professionnelle sur les métiers anciens du Bâti.

Recherche et documentation


Fig 13. AFFICHE CHANTIER BENEVOLES , BISKRA , 2018 ©TOURAB

Fig. 12 MAPALGERIE. ENSEMBLE C’EST MIEUX © ZAIR Zineb

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ENTRETIENS POINT DE VUE ISSU DE LA PRATIQUE ASSOCIATIVE LE PATRIMOINE ARCHITECTURAL ALGÉRIEN VU PAR ZAIDI DAOUIA

Co fondateur du collectif TAMAZGHA BUILDERS zaidi-daouia@outlook.com Zaidi Daouia, 26 ans, diplômée de l’université de Bejaia en Architecture et urbanisme en 2017, nouvellement diplômée de l’école nationale supérieure d’architecture de Marseille (architecte DE) en 2019 et ancien membre fondateur de Tamazgha Builders. Daoui, parlez-nous de votre parcours associatif DAOUIA ZAIDI : J’ai commencé mon parcours associatif dès mon entrée en faculté d’architecture avec AIESEC Alegria et l’organisation du TEDx Bgayet. Durant ma Licence, la passion de l’architecture grandissante j’ai suivi un chantier de restauration d’une école coranique du 19e siècle à Oran avec l’association Santé Sidi El Houari, puis celui du Ksar de Lichana à Biskra avec le club universitaire New perception. Ceci m’a ouvert un champ d’expérimentation, d’exploration et d’entrepreneuriats participatifs et solidaires dans la promotion des cultures constructives locales et des matériaux qui lui sont liés à travers la création du collectif Tamazgha Builders. Dans la volonté de joindre l’expérimentation pratique sur les chantiers d’architectures vernaculaires participatifs et la recherche académique, j’ai travaillé durant mon master en Algérie sur les méthodes d’enseignements qui permettent d’aborder la notion de soutenabilité par le prisme des cultures constructives locales. Ainsi pour faire valoir le génie constructeur qu’elles portent et la conception d’architecture résiliente et soutenable en école qui peuvent s’en inspirer, la volonté de travailler en réseau avec le collectif Tourab et l’association de protection de l’environnement ARDH basé respectivement à Biskra et Bejaia a permis l’entreprise de la promotion d’une culture architecturale soutenable, les chantiers étant ouverts aux artisans, urbanistes, architectes, et à la société civile.


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Qu’est-ce qui fait patrimoine dans cette architecture ? D.Z : Ce qui fait à mon sens, de cette architecture à la fois un patrimoine et un matrimoine est bien entendu le dialogue qui la fait naitre entre cultures agraires, conditions environnementales, échanges commerciaux et culturels faisant de la notion de culture même, une définition en perpétuelle évolution, plutôt dynamique. Elle représente en ce sens la formalisation de l’effort intellectuel des communautés qui y contribuent et le savoir empirique qu’elles accumulent et qui leur permet d’accéder aux besoins d’une société en terme de logement, de bâtiments agraires, commerciaux et culturels en utilisant une technologie peu couteuse en énergie non renouvelable. Mais c’est aussi sa capacité à créer des environnements hospitaliers et conviviaux. Ces espaces favorisent l’exercice démocratique, car ils permettent de se réunir, créent l’agora sous différentes formes tout en donnant une dimension importante à la notion de seuils et d’espaces communs. Sa valeur en tant qu’héritage culturel pourrait en ce sens mieux être comprise quand on lui oppose la manière dont s’urbanise les villes, se capitalise l’espace public et commun aujourd’hui pour ne relayer que la valeur marchande des espaces urbains. Un patrimoine en danger, pourquoi ? D.Z : Bien entendu, la valorisation de la technologie en architecture, la montée grandissante du système économique capitaliste en Algérie n’a pas failli pour faire disparaitre les anciennes méthodes constructives. La nécessité de faire travailler les industries comme les cimenteries et la métallurgie sous les différents mandats de l’exprésident Bouteflika par la subvention de toute construction en milieu rural en béton de ciment et brique cuite a mis en péril le patrimoine architectural vernaculaire. Le manque d’initiative étatique concernant la conservation et l’enseignement des architectures locales anciennes porta un dernier coup de grâce aux Ksar, casbah et aux villages. Mais aussi aux villes par le mitage urbain qu’elles connaissent aujourd’hui. La qualité de l’espace urbain étant fortement dégradée en concordance avec la qualité architecturale et hospitalière des architectures produites après la colonisation. Cela affecte donc naturellement la qualité des échanges humains. Cette politique a bien sûr eu un impact négatif quant à la manière dont on considère aujourd’hui ce patrimoine. Elles sont sujettes à différents stéréotypes de défaillance, pauvreté de la condition économique et sont associés à des modes de vie plus précaires. On pourrait même remonter un peu


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dans le temps pour retrouver les racines de ces préjugées au temps de la colonisation française avec l’instauration du code de l’indigénat. Ce qui a eu des répercussions dans le développement d’une forme de hiérarchisation de la société pour des architectures produites par les différentes communautés autochtones. Agir ? Oui, mais comment ? D.Z : Tout d’abord le collectif fut créé afin de valoriser les cultures architecturales locales vernaculaires en développant une conscience patrimoniale autour du sujet chez les acteurs et futurs acteurs dans le secteur du bâtiment et de l’urbanisme, mais aussi d’initier un mouvement incitant à la pratique et l’expérimentation dans le champ des techniques constructives vernaculaires. Aussi, notre action fut animée d’une envie de développer ces techniques, de s’en inspirer pour pouvoir les réinventer et non pas les imiter. Elle fut donc une action de réflexion -par la redécouverte de ce patrimoine et matrimoine locale- autour de la contextualisation des futurs produits architecturaux et urbains dans leurs environnements. La mémoire des créatrices du passé et de la transmission des Kuvres irritées des aïeux joue le rôle de moyen, celle d’une matière à penser la ville d’aujourd’hui, l’habitat humain, afin de non seulement recouvrir la place de témoin architectural d’un savoirfaire multidisciplinaire et de le faire perdurer, de le développer pour en faire une expérimentation du passé qui pourrait induire une réflexion soutenable et résiliente du développement humain dans son territoire. Pour finir, une chose est à retenir: la pratique sur terrain comme moyen de réflexion et de sauvegarde du patrimoine jumelé a l’expérimentation comme moyen de développement des techniques architecturales et urbanistiques, ouvrant toutes deux à la création d’une culture architecturale résiliente, soutenable hospitalière et conviviale. Mardi 15.10.2019


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L’ALGERIANITÉ D’UN HÉRITAGE SELON DALI AMDJED

Co fondateur du collectif TOURAB (20) emdjed@gmail.com Une présentation, ça vous dit ? Oui! répond-il d’un ton affirmatif. DALI Amdjed : je suis jeune architecte algérien de l’université de Biskra qui s’intéresse dés ses études au patrimoine architectural et urbain dans le Sahara. Ce fut une raison pour poursuivre des études doctorales en architecture, Environnement et Patrimoine. mon parcours académique est particulièrement ponctué de stages de mobilité et de recherche portant sur les thermes romains et grecs ainsi que sur le patrimoine architectural et urbain colonial. Ces stages sont réalisés respectivement à l’université de Padova en Italie et à l'université d'architecture et d'urbanisme Ion Mincu a Bucarest en Roumanie.

Aujourd’huin je suis inscrit en master conjoint TEMA, traitant la thématique

des territoires et patrimoine européens dans trois universités placées en Europe, l'université ELTE en Roumanie, l’université degli Studi di Catania en Italie, de même que l’EHESS en France. Voici quelque extrait de l’entretien téléphonique réalisé avec monsieur DALI Amdjad le dimanche 20 octobre 2019. En tant que citoyen algérien, j’ai des droits et des devoirs, un de mes devoirs consiste à veiller à mon droit, ainsi que celui de mes enfants. Dans mon cas, ma vocation d’architecte, passionné de patrimoine dirige mon devoir. Mes premiers pas dans le domaine du patrimoine architectural en Algérie me font assimiler la marginalité de ce sujet d’étude dont le traitement se relève délicat. «À mon humble échelle, comment je peux servir le patrimoine architectural algérien ? » La volonté de répondre à cette question fondamentale que je me pose continuellement me conduit vers la voie de l’expérimentation associative, avec pour objectif de maitriser au mieux la matière comme les matériaux avant d’agir. En 2015, l’association santé sidi El Houari, première association en Algérie Kuvrant pour la restauration du patrimoine, organise un chantier participatif de restauration d’un hôpital militaire à Oran, une ville située dans l’Ouest algérien. Ce fut ma première participation comme bénévole, néanmoins jamais la dernière. Les premiers chantiers 20

- Mot en arabe signifiant terre.


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m’ont beaucoup apporté d’un point de vue technique, j’ai appris à travailler avec le matériau terre, construire avec de la pierre, préparer les enduits à base de chaux, faire de la menuiserie ...etc., mais j’ai aussi beaucoup appris sur le volet humain en vivant en collectivité avec des gens que je ne connaissais pas et en découvrant les diversités culturelles de chacun. Ultérieurement, étant membre du club universitaire New Perception fondé au département d’architecture de Biskra, et comme aboutissement à de nombreuses participations aux écoles chantiers de l’association SDH, nous décidons d’axer les activités du club sur la thématique du patrimoine architectural en organisant des journées d’études, des compétitions d’architecture, en plus d’un premier chantier participatif a ksar de Lichana, dans le sud du pays. Dans la perspective de mener des actions civiques hors cadre universitaire, le collectif Tourab, issu principalement du club universitaire New Perception est mis en place en 2017, dont le but est de faire revivre le patrimoine bâti en exploitant de façon intelligente l’implication et le potentiel caché des jeunes Algériens. Le collectif s’active en organisant des chantiers-écoles dans différentes régions du pays. Présentement, six éditions sont mises en place, ceci est dans une étroite collaboration avec le collectif Tamazgha Builders afin d’assurer un meilleur encadrement des chantiers. Enfin, pour revenir au point de départ de notre discussion portant sur les droits et devoirs d’un citoyen, finalement c’est à travers cet engagement non institutionnel en tant que cofondateur du collectif Tourab que ma citoyenneté prend forme. C’est également grâce à l’engagement civique sous ses diverses formes directes ou indirectes que nous pourrons projeter le patrimoine algérien dans un avenir meilleur. Quelle est l’importance du patrimoine architectural ? D.A : Comme a dit Victor HUGO : « l’architecture est le grand livre de l’humanité, l’expression principale de l’homme à ses divers états de développement, soit comme force, soit comme intelligence » (21). À mon sens, le patrimoine architectural s’inscrit dans une logique de développement similaire.

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- Notre-Dame de Paris vue par Victor Hugo, [Paris] : Nouvelles éditions Scala , 2016. P191.


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Le lég architectural décrit le rapport intelligent que mène l’homme d’hier avec son environnement naturel, c’est en étant en symbiose totale avec cette source principale de survie que nos aïeux réussissent à exploiter durablement les richesses naturelles de leurs territoires. Ce fut la force que l’homme d’aujourd’hui ne maitrise plus, il s’agit donc d’une forme de faiblesse à bannir si nous souhaitons maintenir un processus de développement et de transmission sains a l’égard des descendances futur. La perte du savoir-être et du savoir-faire fait que le fossé se creuse incessamment entre l’homme, son environnement naturel, et l’architecture locale. Quels que soient les outils mis en place, pour interpréter les anomalies d’une ancienne bâtisse, il est impérativement essentiel de maitriser son langage corporel. Pour une meilleure maitrise, il est nécessaire de passer par la phase d’expérimentation. Assurément, c’est un effet rétroactif, l’un alimente l’autre et vis-versa. Outre cela, la notion du patrimoine est étroitement liée au terme « menace », cependant c’est un bien collectif culturel, menacé du fait d’être perdu ou de disparaitre de son contexte, tandis que c’est le reflet d’un héritage matériel et immatériel précieux alloué par nos grands-parents il faudrait absolument savoir le préserver, car ça n’appartient en aucun cas à une génération précise, le perdre serait une atteinte aux droits culturel et architectural des générations futures. Quelle stratégie adopte le collectif pour sauver le patrimoine matériel et immatériel algérien ? D.A : Avant toute intervention, accompagnés d’experts et d’artisans, nous procédons au diagnostic de l’Kuvre architecturale à restaurer, cette phase principale est couronnée par la production écrite, graphique et photographique sur l’état bâti, il s’agit d’un excellent outil de mémorisation et de transmission de la connaissance autour d’un patrimoine architectural. Le chantier participatif est une manière de pratiquer la connaissance, à l’aide de professionnels dans le domaine du patrimoine nous incitons à agir les acteurs du secteur de l’architecture et de la construction, mais aussi former les jeunes sur les métiers et savoirs faire traditionnels.


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Cependant, la médiatisation des activités du collectif en participant a des colloques et des journées d’étude à l’échelle nationale et internationale en plus de la diffusion de nos actions sur les réseaux sociaux aident a rallier les gens à la cause patrimoniale. Il est également question de collaborer avec d’autres organismes défendant la même cause, citons à titre d’exemple le Centre Algérien du Patrimoine Culturel Bâti en Terre a Timimoun et le collectif khalaf (22) a Biskra. Dimanche 20.10.2019

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- Mot arabe signifiant « la relève »


Fig 15. DALI Amdjed © SAOUDI Anis

Fig. 14 ZAIDI Daouia © SAOUDI Anis

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CONCLUSION GÉNÉRALE : ICI, LÀ-BAS, AUJOURD’HUI ET DEMAIN

En Algérie comme en France, il est à noter que l’histoire du patrimoine bâti ancien diffère d’une localité à une autre, de même pour les savoirs faire techniques et constructifs, les usages et les usagers. Toutefois, la volonté de sauver ce patrimoine, synonyme d’identité architecturale et culturelle est commune. Par ailleurs, le faible état de conscience du danger qui menace le patrimoine dépasse de loin l’intensité des actions menées pour sa sauvegarde. Aujourd’hui, en France, le patrimoine est un thème correspondant aux goûts du moment, tant pour les acteurs de la formation académique que pour les professionnels du domaine de l’architecture et de la construction. De même que pour les activistes associatifs, ce fut là une des productions scientifiques, des émissions télévisées, des journaux, et des magazines. En Algérie, les initiatives entreprises par l’État sont timides face à l’ampleur du patrimoine riche et diversifié que le pays possède. Les dégradations s’accélèrent alors que les interventions s’avèrent superficielles, parfois ne concernent que l’enveloppe extérieure du bâtiment à valeur patrimoniale. Ceci n’est guère dû au manque de moyens financiers et humains, le principal motif est d’ordre politique. Ainsi nous perdons graduellement un socle identitaire architectural typiquement algérien. Si désireux, l’individu a le pouvoir de perpétuer son patrimoine matériel et immatériel en le pratiquant correctement, avec une connaissance approfondie du langage technique avec lequel il a été construit. En tant qu’individu, c’est en choisissant de travailler sur le patrimoine architectural, un thème que je qualifie de « complexe » par sa définition évolutive dans le temps et dans l’espace, que mon intérêt s’approfondit, ma sensibilité se développe, ma vision change, et ma passion grandit. En traversant le temps, nourrie par l’expérimentation académique, associative et professionnelle, ma vision de la question du patrimoine architectural change. À présent, l’apprentissage du langage technico-constructif, nécessaire pour une restauration patrimoniale de qualité, revêt un intérêt particulier pour moi. Convaincue que l’être humain est le meilleur outil de mémorisation et de transmission de la connaissance et


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que sa formation assure la longévité du savoir-faire, j’ai alors intégré l’association ouvrière des compagnons du devoir et du Tour de France dans le cadre d’un titre professionnel bâti ancien, une formation pratique assurant la maîtrise de moult techniques constructives.


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BIBLIOGRAPHIE OUVRAGES DUROUSSEAU Thierry, une cité industrielle en Camargue : Salin-de-Giraud, Marseille, Parenthèses, 2011, p139. AUDRERIE Dominique, La notion et la protection du patrimoine, Paris, Presses universitaires de France, 1997, p 127. AUDRERIE Dominique, Questions sur le patrimoine, Bordeaux, confluences, 2003, p 199. LIMOUZIN Jacques (dir), Regards croisées sur le patrimoine, Montpellier, Edition CRDP, 2008, p 212. CASANOVAS Xavier (dir.), Manuel pour la réhabilitation de la ville de Dellys, Barcelone, Montada , 2012, p165. CASANOVAS Xavier (dir.), Méthode RehabiMed, architecture traditionnelle Méditerranéenne : réhabilitation ville et territoire, réhabilitation bâtiments, Barcelona, 2008, p 78.

ARTICLE DE REVUE FOY Danièle, AMOURIC Henri, « La verrerie en noir de Trinquetaille à la fin du XVIIIe siècle (Arles) », archéologie du Midi Médiéval, Centre d’archéologie médiévale du Languedoc, tome 02,1984, pp151-161. En ligne < https://www.persee.fr/doc/amime_07587708_1984_num_2_1_1018>, consulté le 08.06.2019. ARMANIER-MOUTOUS Martine, « La verrerie en noir : Trinquetaille Faubourg de notre rive droite », Bulletin des amis du vieil Arles, n° 68, 1989, pp 30-37. En ligne : <http://www.amisduvieilarles.com/assets/files/bulletins/pdf/68p.pdf>, consulté le 08.06.2019. COLCOMBET Jacques, « historique des papeteries Etienne », Bulletin des amis du vieil Arles, n° 68, 1989, pp 40-41. En ligne : <http://www.amisduvieilarles.com/assets/files/bulletins/pdf/68p.pdf>, consulté le 08.06.2019. DUMAS Isabelle, « Héritage », Qui ne dit mot consent, n° 1, 2013, pp. 26-29. TERKI Yasmine, « La réhabilitation de l’image : stratégie algérienne pour la préservation du patrimoine bâti en terre, Algérie », World Héritage Papers : L’architecture de terre dans le monde d’aujourd’hui, n° 36, 2013, pp. 238-239. En ligne : <http://whc.unesco.org/documents/publi_paper_series_36_fr.pdf>, consulté le 29.09.2019.


60

BENYAHYA Celya, SAIDI Meriem, « Des richesses bâties : C’est a l’école que tout commence », Ineffable Magazine, n° 2, 2017, p 47. En ligne : < https://ineffabledz.art/ineffable-magazine-n2/>, consulté le 06.10.2019. ABADA Fatima, « Le patrimoine un discours intergénérationnel », ineffable magazine, n° 6, 2018, p1. En ligne : < https://ineffable-dz.art/ineffable-magazine-n06/>, consulté le 06.10.2019. LAIHEM Aimen, « Alger : l’habit ne fait pas patrimoine », ineffable magazine, n° 6, 2018, p16. En ligne : < https://ineffable-dz.art/ineffable-magazine-n06/>, consulté le 06.10.2019. SALHI Sarah, « Citoyenneté et préservation du patrimoine » ineffable magazine, n° 10, 2019, pp 20-22. En ligne : < https://ineffable-dz.art/ineffable-magazine10/>, consulté le 05.11.2019. LENOIR Olivier, « Restauration du patrimoine, développement durable et chantiers de bénévoles », Atrium construction : la revue technique des professionnels des bâtiments, n° 82, 2019, pp 68-69. MÉMOIRE TISSOT Nina, RAYMOND, Marie, Restauration, reconversion et mise en valeur. L’ancienne verrerie d’Arles et ses abords », université Aix Marseille, 2019. ANAÏS COLLIN, reconversion de l’ancienne verrerie d’Arles, partage des générations, ENSA Montpellier, 2014. SAOUDI ANIS, ZAIDI Daouia, KACI Amer, évaluation du contenu pédagogique de l’enseignement de l’architecture au prisme de la question du socle identitaire local, université de Bejaia, 2017. SITE INTERNET https://www.ville-arles.fr/ http://www.patrimoine.ville-arles.fr/ http://www.amisduvieilarles.com/bibliotheque-deshttp://www.ateliersbst.com/ www.montada-forum.net http://sdhoran.asso.dz/


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SOURCE AUDIO Musée départemental Arles antique, Campagne de fouille 2014 : Verrerie à Arles et ses remarquables enduits peints du Ier s. av. J.-C, en ligne : « https://www.youtube.com/watch?v=xhobmsqiLkM » Musée départemental Arles antique, Campagne 2015 Arles, découvertes archéologiques de fresques romaines, en ligne ; « https://www.youtube.com/watch?v=y7zGIdNtjxo » Musée départemental Arles antique Campagne 2016 : FOUILLES DE LA VERRERIE en ligne : « https://www.youtube.com/watch?v=wPDdy2N80Wg » Chantier culturel de printemps à Timimoun. Association Santé Sidi El Houari "SDH" ‫ﺟﻣﻌﯾﺔ‬ ‫ﺻﺣﺔ ﺳﯾدي اﻟﮭواري‬2015. En ligne : « https://www.youtube.com/watch?v=D07hgKDxXEI »


Annexe01-01. Relevé de la halle centrale, ancienne verrerie de Trinquetaille, février 2019. Échelle inconnue © BASSILil Maria, TOCARRUNCHO Nicolas , URES Mariana, ZAIR Zineb.

ANNEXES


Annexe01-02. Programmation. Atelier transversal Arles, l’ancienne verrerie de Trinquetaille, septembre 2019. © BASSILil Maria, TOCARRUNCHO Nicolas , URES Mariana, ZAIR Zineb.


ANNEXE 02-01. Aménagement de deux maisons individuelles, Teyran, Feace, avril 2019. Échelle inconnue © ZAIR Zineb. ATELIER SBST


ANNEXE 02-02. Demande de permis de construire, Teyran, France, mai 2019 © ZAIR Zineb. ATELIER SBST


ANNEXE 02-03. Demande de permis de construire,Teyran, France, octobre 2019 © ZAIR Zineb. ATELIER SBST


ANNEXE 03-01. Aménagement d’une residence seniors. et etudiante, l'Hers-Vif, France, aout 2019 © ZAIR Zineb. BATI PROJET


ANNEXE 03-02. Aménagement d’une residence seniors. et etudiante, l'Hers-Vif, France, aout 2019 ANNEXE 05. Aménagement d’une résidence senior. Étudiante, aout 2019 © ZAIR Zineb. BATI PROJET © ZAIR Zineb. ATELIER SBST


ANNEXE 04-01. 1er Chantier Participatif d’Architecture Vernaculaire,Bejaia, Algérie, aout 2016 © TAMAZGHA BUILDERS


ANNEXE 04-02. 1er Twiza Workcamp, Biskra, Algérie, mars 2017 © TAMAZGHA BUILDERS . TOURAB


ANNEXE 04-03. 2e Chantier Participatif d’Architecture Vernaculaire, Bejaia, Algérie, juillet 2017 © TAMAZGHA BUILDERS


Annexe05. inventaire ORGANISME

ASSOCIATION SANTÉ SIDI EL HOUARI

DATE

1992

TYPE

Association

THÉMATIQUE

Sauvegarde du patrimoine matériel et immatériel

ACTION

Formation professionnelle sur les métiers anciens du Bâti Chantiers participatifs

ASSOCIATION MÈRE

COORDONNEES

Chantier-Ecole du Patrimoine Association Club Marpen- Tusson. France

01, Rue Benamara Ménouer, Sidi El Houari, Oran. 31000, Algérie ecolesdh@gmail.com/sdhoran@hotmail. com http://sdhoran.asso.dz/contact/ Tel/Fax : +213 41 15 32 21/+213 41 15 32 22 Fecebook : Ecole Chantier Santé Sidi El Houari

Foire aux métiers traditionnels du bâti

CENTRE ALGÉRIEN DU PATRIMOINE CULTUREL BÂTI EN TERRECAPTERRE

2012

Établissemen t public à caractère administratif

Promotion et valorisation du patrimoine culturel bâti en terre

Recherche et documentation Festival Archi’Terre Exposition Formation et chantiers bénévoles

NOMAD Club

2014

Club universitaire

Architecture et patrimoine

Chantier participatif compétition architecture et patrimoine

Oasis rouge, rue 1er novembre, Timimoun, 01001, Algérie. Capterre.timimoun@gmail.com +213 49 30 02 82 Facebook : Centre Algérien du Patrimoine Culturel Bâti en Terre

Association SDH Association sable d’or

École polytechnique d’architecture et d’urbanisme, El-Harrach,Alger, (16 200), Algérie. nomad.epau@gmail.com + 213 669 41 56 08 Facebook : NOMAD CLUB - EPAU


2015

Collectif ex club universitaire

Restauration du patrimoine bâti

Ecoles chantiers bénévoles

Association SDH Association sable d’or

Biskra, 07000, Algérie tourab.dz@gmail.com + 213 771 163 421 /+ 393 515 130 023 Facebook : Tourab

TAMAZGHA BUILDERS

2016

Collectif

Valorisation du patrimoine vernaculaire et des cultures de construction traditionnelles

Chantiers participatifs d’architecture vernaculaire

Association SDH

Bejaia (06000), Algeria. tamazgha.builders@gmail.com +33 605 59 49 12/+33 634 89 61 887 Facebook : TAMAZGHA BUILDERS

KHALAF

2017

Club universitaire

Restauration du patrimoine architectural

Chantier bénévole

Chantier participatif NEW PERCEPTION

Département d’architecture. Université de Biskra, (07000), Algérie. chawmas7@gmail.com + 213 669 41 56 08 ْ َ‫ﺧﻠ‬ Facebook : Khalaf ‫ﻒ‬

TERRA CULTURE

2019

Association

Patrimoine matériel et immatériel

Journées d’étude Chronique Atelier de construction en matériaux locaux Chantier bénévole

Chantier bénévole CAPTERRE. Association SIDI AMOR, Tunisie

Ancienne église, musée communal de Laghouat, 03000, Algérie. Terra.culture03@gmail.com + 213 553 44 45 45 Facebook : Terra Culture

Association de l’Environnement et du Développement Durable-AEDD

2019

Association

Architecture de terre

Chantier bénévole

BP 39c Illizi, (33 000), Algérie E-mail : aeddi2013@gmail.com Facebook : AEDD Tél./Fax : +213 29 40 42 27/+ 213 551

PATRIMAURES

2019

Construction en terre

Atelier d’initiation à la construction en terre

Batna (5000), Algérie Patrim_aures@yahoo.com Facebook : Patrim Aurès

TOURAB. Ex NEW PERCEPTION


ANNEXE 06. Acte de cession de droits de l’étudiante ©ENSAM


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