Zebra #9 (extraits)

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S T I A EXTR


NOUVEAU : Parfum mammaire

LE RIRE OU LA VIE !

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Zébra 9 automne 2015

Edito Nous n’avons pas pour habitude de publier des numéros « thématiques ». Cependant l’année 2015 restera marquée par l’assassinat de Cabu et de ses confrères de « Charlie-Hebdo » au mois de janvier, et cet événement dramatique apparaît bien sûr en filigrane de ce numéro. Nous publions ainsi une anthologie des dessins de presse (20142015) signés par l’Enigmatique LB, Zombi, et aussi Franck K. May. L’humour reste la ligne de « Zébra », à l’instar des précédents numéros. L’humour « tous azimuts », car de Naumasq à Michel Soucy, en passant par Philgreff, Aurélie Dekeyser, Burlingue, W.Schinski, la palette est large. Remercions pour finir les quelques souscripteurs (patients) qui ont contribué par leurs chèques à financer ce numéro annuel. Nous vous souhaitons bonne lecture de ce numéro tout neuf ! Z.

Rédaction : Aurélie Dekeyser, Zombi, L’Enigmatique LB, Naumasq (zebralefanzine@gmail.com) Ont contribué à ce n°9—dessins : Antistyle, Burlingue, A. Dekeyser, Franck K. May, Naumasq, Philgreff, Marc Schmitt, Soap, Michel Soucy Jr, W.Schinski, Zombi—poèmes, chroniques, etc. : Francis Bacon, A. Dekeyser, Hector Munro, Jacques Prévert, Monsieur Pyl, Zombi ; Couverture : Naumasq ; Maquette, secrétariat : François Le Roux, Aurélie Dekeyser. Blog Zébra : http://fanzine.hautetfort.com ; Twitter : http://twitter.com/zebralefanzine ; n° ISBN : 978-2-9547556-3-2

SOMMAIRE

35 - Les Strips de Lola A. Dekeyser - http;//striplola.tumblr.com

2/4 - Gags de Naumasq http://naumasq.canalblog.com

38 - Gabrielle d’Estrée revisitée par Philgreff

5 - L’Amour est-il vraiment dans le Pré ?

39 - La Fenêtre ouverte

par Philgreff

par Saki/ill. Burlingue

9 - Ghostbuster

41 - Dessins de Michel Soucy Jr

par Naumasq

43 - Apophtegmes illustrés

15 - Actus BD

par F. Bacon/ill. Antistyle

par Zombi

46 - Kritik BD

2O - Vive Alain Le Saux !

http://fanzine.hautetfort.com/kritik

par LB

49 - Le Bouquet

21 - L’Oeil de Zombi

par J. Prévert, ill. Marc Schmitt

http://autrou.20minutes-blogs.com

50 - Quiz « Les Pionniers de la BD »

25 - Franck K. May www.contactbd.fr

52/60 - Gags de W.Schinski http://www.kritzelkomplex.de

26 - Portraits de Jean http://philgreff.illustrateur.org http://monsieurpyl.overblog.fr

52 - Dessins de presse 2014-2015 par l’Enigmatique LB

29 - Connaissez-vous Burlingue ? http://burlingue.heyoka.fr

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L’AMOUR EST-IL VRAIMENT DANS LE PRé ? par Philgreff

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Actus BD

ce personnage alcoolique. Bécassine n’est pas un personnage populaire positif au même titre que le Guignol des Lyonnais. De même on ne peut prêter à la série de Pinchon le caractère d’étude de mœurs réaliste. Bien plus satiriques sont les bandes de Christophe, « Le Sapeur Camembert », « La Famille Fenouillard », dont l’ironie n’épargne aucun milieu, pas même les professeurs (cf. « Le Savant Cosinus »).

ont ainsi mélangé leurs traits de crayon dans cet album, s’abstenant de signer leurs planches respectives en hommage aux artistes anonymes qui, pour des raisons encore assez mystérieuses, décorèrent il y a plus de 20.000 ans –estime-t-on- des grottes presque inaccessibles de dessins d’animaux variés. Rien de plus émouvant sans doute pour un artiste que les traces laissées par leurs confrères, comme un défi au temps. « Chaque bison, chaque mammouth a sa personnalité. On devine derrière ces dessinateurs des chasseurs qui ont passé des heures à observer les animaux. » On remarque le basculement d’un extrême à un autre ; du mépris, naguère, pour ces peintures rupestres, leur valeur artistique, on passe à la comparaison de certains dessins de chevaux avec ceux de Géricault (selon E. Guibert), comparaison sans doute exagérée.

LA BD S’INVITE AU PALAIS

- Fous le camp, vieille putain ! Dessin paru dans une feuille bretonne indépendantiste.

BéCASSINE REVISITéE

Proche de Tintin par la physionomie (même face lunaire), Bécassine n’exerce pas, comme son cousin belge, le prestigieux métier de reporter, mais celui de domestique au service de la famille parisienne de Grand-Air. A l’occasion de la réédition par les éditions Gautier-Languereau sous forme d’album des premières planches parues dans « La Semaine de Suzette », certains journalistes tentent, ici où là (Y. Frémion), de réhabiliter cette héroïne honnie des Bretons. Mais il est anachronique de faire de Bécassine un personnage plein de bon sens populaire et astucieux. Si les inventeurs de Bécassine l’ont baptisée Labornez, c’est bien parce qu’il s’agit au départ de faire rire aux dépens de la brave Bretonne ; les lois du genre font que Pinchon a dû rendre son personnage plus attachant à mesure que la série se poursuivait, tout comme Hergé fit avec le capitaine Haddock, qu’il conserva pour plaire au public tout en gommant un peu la brutalité de

La franche hostilité des Bretons à l’égard de Bécassine s’explique par le fait que l’exode rural vers la capitale ne se fit pas sans douleur ni humiliation. Si « Bécassine » n’est pas une bande-dessinée xénophobe à proprement parler, elle est exemplaire du regard condescendant porté par la bourgeoisie parisienne sur la province rurale bretonne.

Par le « palais » ou le « château », comprenez : l’Elysée. Après avoir suivi la campagne du candidat Hollande, le dessinateur Mathieu Sapin a été autorisé par les services de communication de l’Elysée à pénétrer dans les coulisses du « Château » (BD éditée par Dargaud). Les communicants ont vu là un nouveau moyen d’intéresser le jeune public à la geste présidentielle. L’auteur a traversé des sas, arpenté des corridors, conversé avec le président, et même frôlé l’ex-

PRéHISTOIRE & BD

Une équipe de six dessinateurs de BD s’est penchée sur les peintures rupestres des grottes ornées de Dordogne et du Lot, vestiges émouvants de l’ère paléolithique. F. Potet, dans un numéro spécial du « Monde » (6 avril), décrit en détail leur méthode pour tirer de ce matériau primitif un album collectif, « Rupestres ! » (Futuropolis). E. Davodeau, E. Gui- E. Davodeau s’est représenté en homme préhistorique ornant une grotte de dessins dans bert, M.-A. Matthieu, D. Prud« Rupestres !». homme, P. Rabaté et Troubs 5


compagne du Président au tempérament passionné… bref, on est plus près de l’esprit d’« Okapi » que de l’esprit de « Charlie-Hebdo » ; précédemment un ancien secrétaire de Dominique de Villepin, de façon similaire, avait fait découvrir les coulisses de la diplomatie française dans « Quai d’Orsay ». Le président Hollande a également fait l’objet d’une biographie en BD moins complaisante, voire parfois ironique, sans pour autant être un virulent pamphlet comme ceux dont son adversaire N. Sarkozy fut la cible (« Moi, Président », par Marie-Eve Malouines).

Les auteurs de bandedessinée, sollicités par l'administration pénitentiaire, franchissent parfois la porte des prisons pour y donner des cours de BD. Le dessinateur Bast avait tiré de cette expérience une BD il y a deux ans, « En Chienneté » (La Boîte à Bulles), illustrant les affres de la détention pour de jeunes gens plein de vitalité. A quelques détenus des pénitenciers de SaintBrieuc, Rennes et Brest, les dessinateurs Joub, Laurent Lefeuvre, Lionel Chouin et Nicoby, ont enseigné les rudiments de la bande-dessinée, so u s la h o u l et t e d e « coordinateurs culturels ». La prison moderne n'est pas censée seulement punir et mettre hors d'état de

SCOTT MCCLOUD DéBARQUE L'Américain Scott McCloud vient récemment de publier une BD en français chez « Rue de Sèvres », « Le Sculpteur ». Plus connu pour être le Albert Einstein de la bandedessinée que pour avoir produit des bandes-dessinées mémorables, lorsque Scott McCloud sort un album. on s'attend à ce que ce soit une bombe atomique. Ce n’est pas le cas, bien sûr ; d'abord parce que si SMC est un as de la composition, des travellings, des zooms et des changements de rythme, le dessin de SMC est d’une grande froideur technique, à l'image d’une grande partie de la production américaine ou nippone. Dans « Le Sculpteur », Scott McCloud a repris le thème du « Faust » de Goethe, un peu usé (le pacte de l'artiste avec le diable). Le critique de « Libération », Quentin Girard, a eu du mal à cacher sa déception (24 mars) : « (...) le Sculpteur est brillant,

J. Van Melkebeke, discret scénariste pour le compte du « Journal de Tintin », par

mais peut-être pas là où on le croit. On s'est même demandé à un moment s'il n'y avait pas une forme

d'arnaque littéraire derrière tout cela ? » P l u s l o i n : « Fondamentalement, le dessinateur est dans un rapport américain à l'art. » C'est sans doute la remarque la plus juste du papier, même si elle reste à préciser. L’aspect technique prime dans le discours de SMC, tandis qu’on admire plus en France la capacité d’un auteur à insuffler la vie dans ses productions.

AUTEUR, A QUEL PRIX ? Le métier d'écrivain ne paie pas, voire n'existe pas. En effet, un auteur sur dix gagne en Angleterre modestement sa vie (autour de 15.000 euros/an) ; en France où la situation serait comparable, seule une quarantaine d'écrivains vit de la vente de ses ouvrages. La plupart des romanciers et essayistes exercent un autre métier. En bandedessinée, on recense environ un millier d'auteurs en France et en Belgique, dans une situation précaire si l’on considère que la BD pourrait être remplacée par des divertissements plus modernes. Sur son blog dédié au dessin de presse, François Forcadell relève que 107 dessinateurs étaient titulaires de la carte de presse en 2000, contre 77 en 2013. De là à déduire qu'il faut être un peu fou pour faire un métier intéressant, il n'y a qu'un pas.

BULLES DE TAULARDS

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TOP BLOGS-BD La « blogroll » de Zébra spécial « humour ».

PHILGREFF http://philgreff.blogspot.fr Blog généreux : plein de rubriques variées, et même des illustrations mises en paroles et musique par Monsieur Pyl.

ZINOCIRCUS www.zinocircus.com Brèves de comptoir-BD, la gueule de bois en moins.

MISTER HYDE www.mister-hyde.com Blog collectif. Pastiches et dérision.

ROUTE DU NON-SENS http:// laroutedunonsens.canalblog.com Prenez le sens giratoire, puis toujours à droite - ou à gauche.

MACADAM VALLEY www.macadamvalley.com L’envers du décors belge dans des strips super-efficaces.

EL BLOG DE JOAN CORNELLA http:// elblogdejoancornella.blogspot.fr Les contes de la folie ordinaire en BD.

MIX & REMIX http://www.1erdegre.ch/blog L’humoriste suisse publie de temps en temps un petit dessin.

MAADIAR http://maadiar.blogspot.fr L’auteur de « Mathurin-soldat » montre des extraits de ses divers travaux en cours.

HELKARAVA http://helkarava.blogspot.fr Illustrations et BD dans un style personnel.

CHARLIE POPPIN www.charliepoppins.com Humour américain hyper-suggestif.


CHARLIE HEBDO SANG-FROID

Stupéfaits comme tout le monde par le massacre des dessinateurs de « Charlie-Hebdo » au mois de janvier dernier, nous avions fait le choix de demeurer dans le registre de la satire et de publier dans notre petit hebdo en ligne des dessins satiriques et non vengeurs, comme on a pu en voir ici ou là. Le populisme prospère sur l’émotion plus ou moins sincère des masses ; l’humour ou la satire permet de recouvrer son sang-froid, aussi touché puisse-t-on se sentir par la disparition d’artistes talentueux comme Cabu. En plus des caricatures « maison », nous avions reproduit quelques dessins parus dans la presse « déviant » du consensus de rigueur—ou encore des dessins faisant, par l’absurde, la démonstration de l’ineptie de ce consensus quasiplanétaire.

Une de Zébra #14 (par Zombi).

Dessin inepte de Chaunu paru dans « OuestFrance » (ou bien à prendre au 3e degré ?), puisque l’antimilitarisme de « CharlieHebdo », son antigaullisme, étaient bien connu, en particulier celui de Cabu.

Dessin de Chappatte, dessinateur suisse employé par des titres américain (« International New York Times »), suisse (« Le Temps ») et allemand, qui renvoie la République française à la violence de ses origines.

Ce slogan humoristique a le mérite d’être franc et de rendre hommage à Wolinski du même coup.

Une de Zébra #15 (par LB), à la suite de l’attentat contre « Charlie-Hebdo ».

Dessin de Yves Montagne.

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L’Oeil de Zombi Zébra. : - Depuis quand faites-vous du dessin de presse ? Zombi : - Depuis qu’un type, une sorte d’anar rigolo, m’a demandé de faire des caricatures dans son fanzine. J’étais alors étudiant (à Rennes). Z. : - D’où vient cette envie ? Zombi : - Si le peuple est souverain, alors il faut des bouffons un peu partout, disséminés dans la population ; sans quoi on n’aura plus qu’une presse dédiée au culte de la personnalité, comme « Paris-Match », « France-Football » ou « Psychologie magazine ». Z. : - L’assassinat des caricaturistes de « Charlie-Hebdo » au mois de janvier vous a-t-il particulièrement touché ? Z. : - Comme tout le monde, j’ai d’abord été surpris. Ce qui est frappant, c’est que Cabu n’avait pas digéré la guerre d’Algérie, à ses dires, pour laquelle il avait été mobilisé. Malgré ça il meurt en héros, canonisé par la République, qui n’est pas bégueule sur l’origine de la chair à canon. Le destin se moque ! Cela dit je crois Riss, le nouveau patron de « Charlie », quand il explique que Charb était le premier visé par les frères Kouachi. Charb était d’abord un polémiste ; il incarnait ce que les frères Kouachi détestaient ou ce qu’on leur avait appris à détester le plus. S’il avait survécu, je me demande si Cabu aurait pardonné à ses agresseurs, comme le pape Jean-Paul II ? Peut-être… Il y a des Français qui emploient les mêmes mots, qui ont les mêmes trémolos dans la voix quand ils parlent de la République, que d’autres quand ils parlent de la Vierge Marie. Z. : - Être caricaturiste exige-t-il de suivre l’actualité de très près ? Z. : - L’actualité est la chose la moins essentielle ; même Proust, pourtant si attentif aux détails, le dit. L’actualité est conçue pour faire écran à l’Histoire. On se noie tou-

jours dans les détails, cherchant le salut là où il n’est pas — dans les journaux, la politique, par exemple. La satire penche plus du côté de l’Histoire que de l’actualité, du côté de Molière que de Louis XIV. Z. : - Y a-t-il des personnages publics que vous aimez particulièrement caricaturer, ou au contraire que vous détestez faire ? Z. : - J’aime bien dessiner DSK, qui me fait penser un peu au personnage de Don Juan, brutal mais séduisant, et n’ayant d’autre religion que l’économie (2 et 2 font 4). J’étais stupéfait de voir les militants socialistes, en principe féministes, défendre DSK au-delà du raisonnable, crier au complot sarkozyste. Je n’aime pas dessiner Alain Juppé, en revanche, qui est triste comme un rapport de la Cour des Comptes. Z. - Il semble que le pouvoir n’est plus tant entre les mains d’un clique de politiciens que d’énormes groupes industriels ou bancaires, voire dépendant de lois économiques abstraites, échappant au contrôle. Cela a-t-il des conséquences sur la satire ? Z. : - Oui ; on peut même se demander si une partie des humoristes, je pense aux « Guignols de l’Info », ne sert pas surtout à détourner l’attention des abus de pouvoir les plus fréquents - mettons la publicité, par exemple, qui s’impose partout sans aucune autre légitimité que celle de l’argent. Les hommes politiques sont devenus complètement fusibles. Z. : - Avez-vous l’intention de publier prochainement un recueil de vos dessins ? Z. : - Oui. (août 2015)

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L’Oeil de Zombi (2014-2015)

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par Philgreff & Monsieur Pyl

PORTRAITS DE JEAN : Jean-Jo J-E-A-N-J-O, qu'est-ce que ça signifie ? J-E-A-N-J-O, sur une feuille, c'est écrit ? Et F-R-I-G-O sur cette porte blanche... Dehors siffle un oiseau posé sur une branche ... C-H-A-I-S-E, je connais ce mot là... et T-A-B-L-E, j'avance à petits pas... J-E-A-N-J-O, il y a cette photo, un garçon sur la plage mais je tourne la page ... J-E-A-N-J-O, cette dame est très gentille, elle s'occupe bien de moi, quelque chose ne va pas, J-E-A-N-J-O, je ne saurais dire quoi, ça doit venir de moi, je ne me rappelle pas ... J-E-A-N-J-O, je regarde le ciel, tiens... de ma fille Mireille, je n'ai plus de nouvelles… Retrouvez tous les « Portraits de Jean » sur les blogs de Philgreff (dessin) : http://philgreff.blogspot.fr & Monsieur Pyl (paroles et musique) http://monsieurpyl.over-blog.fr

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CONNAISSEZ-VOUS BURLINGUE ? décider de passer de l’autre côté de la barrière et devenir Burlingue. Cela explique sa familiarité avec de nombreux artistes en tous genres : illustrateurs, caricaturistes ou peintres, anciens ou modernes, fameux ou moins fameux. Il cite volontiers dans la conversation Topor, Picasso, Saul Steinberg. Internet lui permet en outre, sans quitter son petit atelier du XIIIe arr., de partir à la découverte de jeunes talents inconnus de lui, s’affichant sur la Toile. C’est certain, Burlingue en est la preuve vivante, le dessin ne rend pas « blasé ». Les amateurs de journaux bien illustrés peuvent lui reprocher de n’avoir mis son talent au service de la presse qu’en de rares occasions (« L’Arche », « L’Express ») ; mais le plaisir de dessiner ne s’émousse-t-il pas moins ainsi ?Z

J’ai fait la

connaissance de Burlingue un peu par hasard il y a trois ans. Ou plutôt ce sont d’abord ses gouaches qui m’ont interpellé, du fond de la boutique d’un encadreur de la rue de Clichy, aujourd’hui retiré des affaires mais qui organisait une fois l’an une exposition de ses peintures les plus récentes. Ce sont sans doute les couleurs vives et contrastées de ces gouaches qui m’ont frappé ; je les ai supposées fabriquées avec des pigments haut de gamme importés d’Italie ; leur auteur m’a appris plus tard qu’il se servait de godets bon marché avec lesquels les enfants apprennent le coloriage. Idem pour les pinceaux. Il faut ajouter que les couleurs séduisantes de Burlingue sont soutenues par un dessin net et tendu, ni trop spontané ni trop méticuleux. Burlingue hésite, reprend parfois ses dessins (il a quelques thèmes de prédilection qu’il aime fouiller), mais l’hésitation ne se voit pas sur le papier—le trait est sûr et les formes sont le plus souvent simplifiées. Les dessins de Burlingue ne pâtissent donc pas du noir & blanc plus austère, comme on pourra le constater dans les pages qui suivent. Pour la biographie, qu’a-t-on besoin de savoir de cet artiste plutôt discret et affable (là-encore je m’étais trompé, déduisant de ses dessins une personnalité plus tonitruante et excentrique, à l’instar d’un Tomi Ungerer, avec qui il a tout de même en commun l’ingéniosité du dessin) ? Il n’est sans doute pas anodin que Xavier Bureau ait exercé le métier de galeriste à Paris, avant de

Site Burlingue : http://burlingue.heyoka.fr Autoportrait de l’artiste en fumeur.

Parmi les thèmes de prédilection de Burlingue, le portrait d’artiste : peintres, musiciens, dramaturges, romanciers, comédiens, poètes (V. Hugo est son préféré). L'art du portrait s'est quelque peu étiolé au fil du temps ; on a négligé les ressources de la caricature afin de mettre à nu la psychologie du modèle. On peut observer que les meilleurs portraitistes (Ingres, par ex.) sont souvent à la limite de caricaturer. Burlingue se dit plus captivé par la tête d'oiseau de proie de Samuel Beckett (1906-1989) que par sa prose, et ses carnets inédits renferment plusieurs bons portraits du dramaturge irlandais. Burlingue croisa un jour Ionesco sur un boulevard parisien, et tenta d'attirer l'écrivain - en vain dans le caféthéâtre où il se produisait. Si Burlingue trouve parfois plus à lire dans la physionomie d'un écrivain que dans son œuvre, la raison en est peut-être que tout l’œuvre de certains poètes se concentre dans leur physionomie.

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Têtes de Poètes,

par Burlingue

Quelques bobines de poètes en vrac, sans tenir compte de l’ordonnancement des siècles....

(Calder)

...Burlingue croque aussi ses confrères....

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CONNAISSEZ-VOUS BURLINGUE ?

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DESSINS DE MICHEL SOUCY JR (www.soucymichel.com) GRAND-PERE

I AM MICKEY MOUSE FATHER

HERE I COME

DEMENAGEMENT

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APOPHTEGMES DE FRANCIS BACON (1590-1650) Traduits par Jean Baudoin et illustrés par Antistyle

I Apres que Diogene eut pris garde que le Royaume de Macedoine ayant esté bien prés de sa cheute, commençoit à se relever ; sur la demande qu’on luy fit devant que mourir, comme quoy il desiroit estre ensevely ? - Mon visage contre terre, respondit-il ; car je prevoy que dans peu de temps le monde tournera tout au rebours, & qu’ainsi je seray en mon seant.

II Après la bataille de Graniq, Darius fit plusieurs belles offres à Alexandre ; qui devant que passer outre en voulut avoir l’advis de ses Capitaines. Et ce fut alors que Parmenion le voyant comme irrésolu : - Asseurément, luy dit-il, si j’estois Alexandre je serois bien content d’accepter ces offres ; - Et moy, respondit Alexandre, si j’estois Parmenion, je les accepterois aussi.

III Livia se pourmenoit un jour par la ville, quand elle eut à rencontre des jeunes hommes qui faisoient les insolens, & s’en allaient dansans tous nuds par les ruës. Là-dessus il prit envie à Auguste de les faire chastier rigoureusement : mais Livia pour l’en détourner, luy dit, « Que ces hommes brutaux n’estoient non plus capables que des statues d’esmouvoir les honnestes femmes. » *Livia, seconde femme de l'empereur Auguste.

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Kritik BD

mystique, en s’affirmant comme le produit de la lutte révolutionnaire. On reconnaît le caractère mystique dans le fait que. Princip se sent en effet prédestiné à commettre un tel acte, sentiment de prédestination qui est caractéristique d’une conscience religieuse. Autrement dit, la foi dans le progrès politique et la révolution est un substitut à une autre forme de foi religieuse, plus traditionnelle. Princip et les quelques jeunes Serbes de Bosnie athées qui furent poussés par des comploteurs, intrigant à un niveau supérieur, croient à la fois dans la notion de patrie ou de terre sacrée serbe, et dans l’émancipation future du peuple et des classes populaires dont ils sont issus. Comme dirait Baudelaire, lui-même ancien révolutionnaire déçu par la révolution : « La Révolution, par le sacrifice, confirme la Superstition. » Lors de son procès, Princip énonce : « Je suis un nationaliste yougoslave et je crois à l’unification de tous les Slaves du Sud, libérés du règne autrichien. J’ai tenté d’atteindre ce but par le biais du terrorisme. Je ne suis pas un criminel, car j’ai détruit le mal. Je pense que je suis bon. Cette idée est née en nous, et nous avons commis cet assassinat. Nous aimions notre pays. Nous aimions notre peuple ! Je n’ai rien d’autre à dire pour ma défense. » Un telle défense n’est pas celle d’un déséquilibré, et pourrait être reprise par un djihadiste, persuadé de participer à un mouvement de libération. Comme certaines des valeurs mystiques athées de Princip ont encore cours en Occident aujourd’hui, on pourrait taxer cet BD d’apologie du terrorisme, si le but de cet ouvrage n’était pas de comprendre et décrire, sans porter de jugement de valeur sur le geste ou la tyrannie autrichienne. Comme on peut penser qu’il y a un type du soldat, commun à toutes les armées du monde, cette bande -dessinée dessine un portrait-type du terroriste, quelles que soient les raisons mises en avant, résolu au suicide pour un plus grand bien commun. Et, comme les gangsters fascinent plus que les policiers, les terroristes fascinent plus que les soldats enrôlés dans des armées régulières. Emprisonné tout au long de la guerre, Princip finira par mourir en 1918, décharné et affaibli. La tuberculose le rongeait déjà depuis longtemps. La défaite de l’empire austro-hongrois vaudra à Princip d’être réhabilité à Sarajevo. « Nos fantômes traverseront Vienne à pied et saccageront le palais : ils terrifieront les seigneurs. », aurait griffonné Princip sur le mur de sa cellule. De tels fantômes ne meurent pas tant que dure le terrorisme.

GAVRILO PRINCIP  ou « l'homme qui changea le siècle »

Le récit d’Henrik Rehr est d’une profonde noirceur, à l’image du complot de Gabriel/Gavrilo Princip et quelques complices visant à assassiner l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche. L’auteur, scénariste et dessinateur, nous fait entrer dans le plan de Princip, sa maturation au fil des années. Comment et pourquoi Princip s’est forgé une conscience politique révolutionnaire ; comment et pourquoi il a pu décider de passer à l’acte : ces étapes sont retracées à l’aide d’un dessin un peu terne. Mais le scénario nous fait comprendre l’essentiel. Princip et ses complices terroristes, jeunes marginaux armés par la « Main noire », une organisation nationaliste secrète qui compte dans ses rangs quelques fonctionnaires bien placés, ont conçu leur action comme une véritable œuvre d’art engagé, l’accomplissement d’un sacrifice pour les générations futures. L’assassinat de l’héritier du trône d’Autriche n’est pas le fait d’un déséquilibré. Cet album, traduit de l’anglais et publié par Futuropolis en 2014, se veut un focus sur l’étincelle qui mit au feu à la poudrière des Balkans et entraîna cette Grande guerre centenaire, largement commémorée l’année dernière. Mais l’on est bien sûr tenté de faire le rapprochement avec des actes terroristes récents. L’étude psychologique de l’assassin Princip, assez fouillée, nous y incite. La suggestion de la couverture, sous forme de slogan tapageur : « Gavrilo Princip, l’homme qui changea le siècle », est démentie à l’intérieur même de l’ouvrage. H. Rehr, dessinateur et scénariste, fait en effet dire à Princip : « Une seule personne ne peut pas faire tourner la roue de l’histoire. La guerre aurait eu lieu de toute manière. Moi… je n’ai fait qu’appuyer sur la détente. » On retrouve ici la justification politique moderne de l’assassinat comme un progrès de l’histoire. Princip est animé par une telle mystique, à l’instar de tous les mouvements de résistance moderne. Paradoxalement, c’est la bourgeoisie qui a recueilli les fruits d’une telle

Gavrilo Princip, l'homme qui changea le siècle, Henrik Rehr, Futuropolis, 2014.

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Quiz BD

« Les Pionniers de la BD » (Quel amateur de BD êtes-vous ? Répondez aux 10 questions sans l’aide de Google et Wikipédia)

1. Quel est le nom de famille de Bécassine, personnage de bonne bretonne dessiné par J. Pinchon dans « La Semaine de Suzette » ? (1905) A. Lepen B. Labornez C. Labonic’h 2. Laquelle de ces bandes-dessinées n’est pas de Christophe ? A. « Le Savant Cosinus » B. « Plick et Plock » C. « Zig et Puce » 3. « La seule chose que je regrette dans ma vie, c’est de ne pas avoir fait de la bande-dessinée. » Cette déclaration est attribuée à… A. Picasso B. Charlie Chaplin C. Salvador Dali 4. La célèbre bande-dessinée « Max & Moritz » de l’Allemand Wilhelm Busch (1832-1908) a été plagiée aux EtatsUnis par Rudolph Dirks(1897) sous le titre : A. « Blondin & Cirage » B. « Pim, Pam, Poum » C. « Jo, Zette et Jocko » 5. Parmi ces écrivains, lequel n’a pas aussi fait de la bande-dessinée ? A. Alfred Jarry B. Alfred de Musset C. Alfred de Vigny 6. Le fameux trio de sauvageons les « Pieds Nickelés », inventé par Louis Forton en 1908 dans « L’Epatant », est composé de Ribouldingue, Filochard et… A. Croquignol B. Carambole C. Guignolo 7. « Les Habits neufs du Maestro » est une bande-dessinée muette inachevée (100 pages) signée… A. Gustave Doré

B. Caran d’Ache C. Benjamin Rabier 8. Lequel de ces célèbres héros américains a d’abord vu le jour en bandedessinée, AVANT de devenir un dessin-animé ? A. Félix le Chat B. Popeye C. Mickey 9. Dans la série « Bibi Fricotin », lancée par Louis Forton en 1924, le jeune compagnon noir de Bibi Fricotin se nomme… A. Razibus Zouzou B. Dieudonné C. Cirage 10. Louis-Ferdinand Céline disait avoir apprécié dans son enfance la lecture des bandes-dessinées de Pierre Mac-Orlan, narrant les aventures de deux jeunes garçons nommés : A. Bob & Bobette B. Bob & Fish C. Frip & Bob REPONSES : 1 = B/2 = C/3 = A/4 = B/5 = C/6 = A/7 = B/8 = B/9 = A/10 = C - De 8 à 10 points : Vous êtes qualifié(e) pour occuper la prochaine chaire d’« Histoire de l’Art séquentiel » à la Sorbonne ; c’est votre paternel qui serait bien surpris, lui qui vous disait toujours : - Tu perds ton temps à lire ces insanités !, quand il vous surprenait à lire des BD. - De 1 à 7 points : Vos connaissances en histoire de la bande-dessinée sont médiocres ; pourvu que vos connaissances en histoire tout court soient meilleures ! - 0 point : Votre ignorance crasse en matière de bande-dessinée ne peut que vouloir dire deux choses : ou bien vous êtes snob jusqu’au bout des ongles, ou bien au contraire vous ne l’êtes pas du tout.

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Zébra. : - Depuis quand faites-vous du dessin de presse ? LB. : - J’ai toujours dessiné sur divers sujets, mais le « dessin de presse » était pour moi une pratique plutôt occasionnelle, liée notamment à des événements particuliers (présidentielle 2007, par ex.). C’est devenu plus régulier depuis un ou deux ans. Z. : - D’où vient cette envie ? LB. : - Gamin, je parcourais avec avidité les pages du « Canard enchaîné » que mon père achetait tous les mercredis. Je ne lisais pas les articles, mais je dévorais les dessins : Moisan, Cabu, Kerleroux, Cardon… Le dessin qui me fascinait le plus était celui de Cabu. Z. : - L’assassinat des caricaturistes de « Charlie-Hebdo » au mois de janvier vous a-t-il particulièrement touché ? LB. : - Oui, je me suis senti touché intimement, comme rarement un événement ne m’avait touché. Je n’ai jamais été un lecteur assidu de « Charlie-Hebdo » et je ne le suis pas devenu, je n’étais pas un inconditionnel de Charb ou Wolinski mais leur assassinat m’a fortement choqué. Z. : - Être caricaturiste exige-t-il de suivre l’actualité de très près ? LB. : - Il me semble qu’un caricaturiste doit suivre l’actualité de près pour s’en imprégner et pour aller au-delà des évidences et des propos de café du commerce. Mais ça demande beaucoup de temps et un énorme travail, d’autant plus qu’on est littéralement abreuvé d’actualité. Je suis admiratif des caricaturistes comme Willem qui savent produire quotidiennement des dessins en phase avec l’actualité récente. D’un autre côté c’est bien aussi de ne pas toujours réagir à chaud, pour essayer de se démarquer des autres dessinateurs (les mêmes sujets donnent plus ou moins lieu aux mêmes dessins) et pour

faire le tri entre l’anecdotique et l’essentiel, prendre un peu de recul, trouver d’autres angles. Sans doute l’œil s’aiguise-t-il avec l’âge. Z. : - Y a-t-il des personnages publics que vous aimez particulièrement caricaturer, ou au contraire que vous détestez faire ? LB. : - Il y a des personnages publics qui ne m’inspirent rien parce qu’ils sont très secondaires et que l’Histoire les oubliera ; je n’ai pas envie de perdre mon temps à les dessiner. Certains m’inspirent parce qu’ils sont représentatifs, ils sont évocateurs de ce qu’est notre société actuelle, au-delà de leur propre personne. E. Macron, par exemple, m’évoque le représentant d’une caste, à la fois contemporaine et d’un autre âge. Z. - Il semble que le pouvoir n’est plus tant entre les mains d’un clique de politiciens que d’énormes groupes industriels ou bancaires, voire dépendant de lois économiques abstraites, échappant au contrôle. Cela a-t-il des conséquences sur la satire ? LB. : - C’est assez déroutant car le pouvoir financier et industriel, un peu désincarné, remet en question la pratique de la caricature. C’est facile de dessiner des petits Sarkozy excités (moi-même je cède volontiers à ce plaisir) mais est-ce vraiment la bonne cible ? J’essaie de trouver des personnages emblématiques de ce pouvoirlà et de ses collusions avec le monde politique. Mais ce n’est pas facile, j’aimerais être plus cinglant et sortir un peu plus du carcan franco-français. Z. : - Avez-vous l’intention de publier prochainement un recueil de vos dessins ? LB. : - Ce n’est pas d’actualité mais si l’opportunité se présente je n’hésiterai pas. (juin 2015)

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