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Zébra 6 automne 2013
Edito Zébra fête son deuxième anniversaire et publie à cette occasion chez Thebookedition* un sixième fanzine plein d’humour (en prévision de l’hiver). Notre équipe de jeunes talents internationale (américano-franco-allemande) s’est encore donnée à fond pour par un rond ! Ne vous privez pas de suivre nos aventures sur la Toile, puisque Zébra c’est aussi un blog, quotidiennement alimenté en gags, strips, critiques-BD, etc. (http://fanzine.hautetfort.com). Bonne lecture !
Z. *Les librairies spécialisées, ou ce qu’il en reste, sont bien trop préoccupées par leurs fins de mois, hélas, pour pouvoir distribuer avec zèle de tous petits fanzines comme le nôtre. 2/35 - Gags W.Schinski http://www.kritzelkomplex.de
3 – Nouvelle Zzzztar Naumasq - http://naumasq.canalblog.com
7 - Pêché sur le Net 9 - Les Strips de Lola A. Dekeyser - http;//striplola.tumblr.com
14 - Zinocircus www.zinocircus.com
18 - Rébus-BD 19 - Actus Zombi
24 - This Beautiful River Michel Tamer
26/30 - Dourga & Ganesh &... Louise Asherson
27 - Conte illustré Saki, A. Dekeyser Rédaction : Aurélie Dekeyser, François Le Roux - zebralefanzine@gmail.com ; Auteurs BD : Aurélie Dekeyser, Naumasq, Michel Tamer, W.Schinski, Zinocircus, Zombi ; Illustrateurs : Louise Asherson, A. Dekeyser, Zombi ; Couverture : Aurélie Dekeyser ; Maquette : asso. Zébra loi 1901 ; Blog Zébra : http://fanzine.hautetfort.com ; Twitter : http://twitter.com/zebralefanzine ; n° ISBN : demande en cours.
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34 - L’Oeil de Zombi leloublan@gmx.fr 36 - La Crème de la BD http://fanzine.hautetfort.com/kritik
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http://naumasq.canalblog.com
Pêché sur le Net
Depuis quelques
années déjà, on cause beaucoup des blogs-BD, de tous ces jeunes auteurs (ou moins jeunes) qui « postent » leurs croquis ou leurs strips sur internet, et trouvent là un moyen pratique de s’exprimer, voire de taper dans l’œil d’un éditeur et d’entamer ainsi une carrière sur les chapeaux de roue. Certains de ces blogs attirent plusieurs milliers de lecteurs par jour. Un festival se tient au début de l’année scolaire à Paris (Festiblog), qui draine une foule d’amateurs de dédicaces. Nous vous faisons découvrir ici un florilège de gags glanés sur les blogs de dessinateurs moins connus que les désormais célèbres Bastien Vivès ou Pénélope Bagieu dont les albums font un carton en librairie - artistes moins connus, mais néanmoins talentueux. N’hésitez pas à visiter leurs blogs, pour en savoir plus.
par Philippe Greffard,
sur http://philgref.illustrateur.org
par Stéphanie Mercier,
par Joan Cornella, blogger espagnol,
sur http://laroutedunonsens.canalblog.com
sur http://elblogdejoancornella.blogspot.fr 8
La machine à remuer ciel et terre
par Joao Montanaro, très jeune dessinateur de presse brésilien,
sur http://joaomontanaro.blogspot.fr par Antoine, spécialiste du gag animé,
du collectif www.mister-hyde.com
TOP BLOGS-BD Outre les dessinateurs et blogs cités dans ces pages, voici la top-liste des blogs qui font des étincelles en ce moment. A signaler aussi, l’excellent agrégateur de blogs-BD « petitformat.fr », répertoire de blog qui permet d’effectuer plus facilement des recherches et de découvrir des nouveautés : A quoi tu penses ? + www.aquoitupenses.fr Devinez à quoi pense Sophie Raynal ? Grands Moments + grandsmoments.blogspot.fr L’épatant zoo de Jérôme Anfré. Macadam Valley + www.macadamvalley.com Vainqueur du dernier Golden Blog Award. Zinocircus + www.zinocircus.com Humour sans nez rouge. Les Strips de Lola + striplola.tumblr.com La vie rêvée de Lola (et ses potes). Helkarava + helkarava.blogspot.fr Dandy dans le métro. Baby-Trout + baby-trout.blogspot.fr Le Grand Tout en vrac.
par Dran, street-artiste,
publié sur http://houhouhaha.fr/dran 9
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Le Premier
L’Artiste
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12 Réponse : pas/sages et du vent = Les Passagers du Vent (série F. Bourgeon) Réponse : Gaffes à gogo (Gaston Lagaffe)
Réponse : les toiles mystérieuses = L’Etoile mystérieuse
Réponse : la mare/queue jaune : La Marque jaune (Blake et Mortimer).
Rébus BD
Devinez 4 titres d’albums-BD (des classiques) à l’aide de ces illustrations-rébus :
Actu BD
FESTIBLOG 2013
Depuis que Pénélope Bagieu s’est fait épingler sur la poitrine la médaille de chevalier des arts et lettres par la ministre de la Culture Aurélie Filippetti, et que quelques jeunes auteurs issus de la « blogosphère » cartonnent en librairie, le phénomène des blogs-BD est devenu incontournable. Ce phénomène repose en partie sur un festival, le Festiblog, dont la 9e et dernière édition s’est tenue au mois de septembre dernier. « Zébra » n’ayant pas été invité, je m’y suis rendu pour la première fois, en curieux… ou plutôt, en reporter-BD. Ce festival se tient dans la cour de la mairie du IIIe arrondissement (dont le maire, Pierre Aidenbaum, s'est fait connaître par sa résistance à "l'envahisseur chinois", qui conquiert le quartier boutique après boutique, dit-on). L'ambiance du festival est bon enfant et « geek-friendly » ; comme je ne suis pas « geek » pour un sou (je n'ai encore jamais envoyé de SMS de ma vie et je préfère les crayons de couleur à Photoshop),
j'essaie de me fondre dans le paysage comme je peux. Les longues files pour obtenir des dédicaces font penser aux longues files devant la grotte de Lourdes pour obtenir un miracle. Quelques activités, telles que des conférences, des jeux, etc., ont heureusement été
organisées pour distraire les fans des sacro-saintes dédicaces ; cependant, il est vrai, le succès de ce petit festival repose indéniablement sur celles -ci. Je m'aperçois que des dessins de Boulet (parmi les plus fameux blogueurs -BD), ont été placardés un peu
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partout. Comme un con je pense d’abord qu’il s’agit d’un jeu de piste ou de petits cadeaux disséminés pour ses fans, mais il s’agit en fait de photocopies. Alors que je m'apprête à repartir, je distingue au loin la silhouette caractéristique de Bastien Vivès qui dédicace à tire-larigo (en plein milieu d'un dimanche ensoleillé !). Il doit probablement compenser de cette façon le déficit d'activité sexuelle caractéristique du jeune mâle occidental moderne (cf. M. Houellebecq) ; c’est à ça que servent aussi les jeux vidéo à base de M-16
Les Jouets pacifiques par Saki ill. A. Dekeyser (H.H. Munro (1870-1916), alias Saki, fait partie avec P.G. Wodehouse et E. Waugh des maîtres d’un genre où les Britanniques excellent : l’humour noir.)
- Harvey, dit Eleanor Bope, en tendant à son frère une coupure d’un journal londonien du matin daté du 19 mars ; - Lis-donc cet article sur les jouets d’enfants. Il promeut précisément certaines de nos idées sur la place des jouets dans l’éducation. « En vue du Comité national pour la Paix, disait l’extrait, il y a de graves inconvénients à offrir à nos fils des régiments de soldats, des batteries de canons et des escadrons de cuirassés. Les garçons, le Comité en convient, aiment naturellement la bataille et toute la panoplie de la guerre… mais ce n’est pas une raison pour encourager leurs instincts primitifs, d’une façon peut-être irrémédiable. Au salon de l’Enfance, qui s’ouvre à l’Olympia dans trois semaines, le Comité pour la Paix fera une proposition alternative aux parents sous la forme d’une exposition de « jouets pacifiques ». Devant une maquette spécialement exécutée du Palais de la Paix à La Haye seront groupés, non pas des soldats miniature, mais des civils miniature, non pas des canons mais des charrues et des machines… il faut espérer que les fabricants s’inspireront de cette exposition et qu’elle aura des effets bénéfiques sur les vitrines des magasins de jouets. » - C’est certainement une idée intéressante et pleine de bonnes intentions, dit Harvey. Reste à savoir si elle peut, en pratique, être couronnée de succès… - Il faut essayer, le coupa sa sœur. - Tu viens à la maison pour Pâques et tu apportes toujours des jouets aux garçons, alors ça sera une excellente occasion pour toi de commencer cette nouvelle expérience. Va dans les magasins acheter des jouets et des maquettes ayant trait aux aspects les plus pacifiques de la vie civile. Bien sûr, il faudra que tu expliques aux enfants ce que sont ces jouets et que tu les intéresses à cette nouvelle idée. Je regrette de dire que le « Siège d’Andrinople » que leur a envoyé leur tante Susan, n’exigeait aucune explication ; ils connaissaient tous les uniformes et tous les drapeaux, et même les noms des divers commandants d’unités, et quand je les ai entendus un jour utiliser ce qui m’a semblé être le langage le plus sujet à caution, ils m’ont expliqué que c’étaient des termes utilisés dans l’Armée bulgare ; bien sûr, c’est peut-être vrai, mais, quoi qu’il en soit, je leur ai confisqué ce jouet. Je compte donc que les cadeaux que tu leur feras pour Pâques ouvriront aux enfants de nouvelles perspectives : Eric n’a pas encore onze ans, Bertie n’a que neuf ans et demi, ils sont donc vraiment à un âge très influençable.
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à suivre...
L’Oeil de Zombi
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La Crème de la BD
LE BESTIAIRE DE SERRE
On peut dire de Serre (1938-1998) qu’il a un œil d’aigle pour débusquer les faiblesses humaines ; ou bien que c’est un anthropologue qui va à l’essentiel, à la manière des moralistes impitoyables du XVIIe siècle. Sous les multiples costumes qu’il endosse, la variété des illusions qu’il entretient, ses multiples religions et philosophies –bref de tout le tremblement-, l’homme est d’une simplicité schématique. Le dessin, lorsqu’il est pratiqué ainsi que Serre, c’est-à-dire en dessinateur, est un art qui dénude et met à vif. J’ai découvert Serre très tôt, vers dix ans, feuilleté ses albums en librairie tandis que mon paternel faisait son propre choix de journaux et bouquins, qui pouvait prendre un certain temps ; c’était une époque où les librairies ne payaient pas encore des employés pour empêcher les clients de feuilleter ou de lire les journaux et les bouquins comme ils font maintenant. Tout ça pour dire que ces dessins, sur le monde des sportifs ou des médecins, se sont gravés dans ma mémoire, alors que je ne les ai pas revus depuis, tant l’impact visuel de ce dessinateur est fort, comparable à celui de Daumier ou de Gustave Doré, quand celui-ci ne donne pas dans le kitsch. Il me semble que j’ai une dette vis-à-vis de Serre, probablement responsable de m’avoir dégoûté de la compétition sportive ou de la médecine, à un âge où j’aurais pu mal tourner. Cependant je ne connaissais pas le bestiaire de Serre, que je découvre dans cette réédition par Glénat, où Serre s’attaque à une autre forme d’imbécillité humaine, qui trouve naissance et s’enfle sur le terrain des loisirs : ici la chasse, la pêche, ou l’élevage d’animaux de compagnie. Ne croyons pas que le milieu professionnel soit le seul où l’homme se montre indécent. Bien sûr la chasse est au cœur des études anthropologiques, car quel homme n’a pas, dans le fond, une âme de chasseur ? Et quelle femme n’a pas une âme de biche ? par Claude Serre - Glénat-Les Intégrales, 2013 STEVENSON, LE PIRATE INTERIEUR
Le duo Follet et Rodolphe se sort avec habileté du piège de la biographie en BD d’un artiste illustre. Bien qu’il ait beaucoup voyagé, Robert-Louis Stevenson (1850 -1894) est en outre assez éloigné du type de l’aventurier menant une existence trépidante. Le romancier écossais depuis le plus jeune âge fut souvent cloué au lit en raison d’une affection pulmonaire grave. Cette maladie constituait un obstacle rédhibitoire à une vie menée tambour battant, sans port d’attache; Fanny Osbourne, américaine épousée en 1880 et de dix ans son aînée, joua ce rôle auprès de l’écrivain. Cette biographie en BD se devait donc de trouver le moyen de faire ressortir la matière impalpable du rêve, dont Stevenson s’est nourri et a alimenté ses lecteurs. En couverture, ce « pirate intérieur » bat pavillon d’un défi relevé avec succès. Follet et Rodolphe parviennent à souligner le besoin rempli par la fiction ou le fantasme, c’està-dire un type d’imagination très particulier, chez un homme opprimé, contraint à la passivité, en l’occurrence par la maladie. Ce phénomène psychologique est mis en exergue par le portrait brillamment esquissé de Stevenson comme un rêveur éveillé, servi par la mise en couleur impressionniste de R. Follet, qui souligne la dimension onirique. Bien que sa littérature exprime des goûts beaucoup moins casaniers que ceux de Proust, ce qui permit à Stevenson de connaître un large succès public avec «L’Ile aux Trésors», le romancier écossais n’est guère éloigné d’une forme de recherche du temps perdu, ou de recherche de l’espace perdu, plus exactement. Le succès rencontré par ses ouvrages permit à Stevenson de voyager, non seulement à travers les Cévennes avec un âne, mais jusque aux mers du Sud, jetant l’ancre définitivement dans les Samoa, épuisé comme après chacun de ses voyages. Cette fameuse randonnée à travers les Cévennes peut faire douter de la mauvaise santé de Stevenson, surtout ceux qui l’ont effectuée, avec ou sans âne. Le cas n’est pourtant pas si rare de personnes fragiles, qui connaissent néanmoins des périodes de rédemption leur permettant d’accomplir de rudes efforts physiques. F. Nietzsche est un autre cas célèbre de métabolisme en dents de scie, dont la quête de puissance et l’aspiration artistique prennent racine dans la maladie. Enfin, le scénario évite le côté trop didactique par où pèche généralement ce genre d’ouvrage, en distillant quelques citations de Stevenson bien choisies, au compte-goutte. « Oh ! Vous savez… l’aventure, il n’est pas besoin d’aller au bout du monde pour la vivre… Elle peut simplement être en nous !... On se bat souvent contre soi-même… A l’intérieur de soi… contre son éducation. Contre l’idée que les autres ont de nous ; contre un destin tout tracé, contre un corps qui obéit mal ou une santé défaillante. », réplique Stevenson à un journaliste qui l’interroge sur le but de son voyage au long cours. par R. Follet & Rodolphe - Dupuis-Aire Libre, 2013
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LA COLONNE
La colonne de six-cent tirailleurs africains commandée par les capitaines Voulet et Chanoine s’enfonce en territoire tchadien, massacrant, tuant et pillant afin d’étendre le terrain de chasse de la France en Afrique (1899). Dabitch et Dumontheuil (Futuropolis) ont choisi de relater cette expédition coloniale où le paroxysme de la bestialité fut atteint ; ce chapitre sanglant fut d’abord éclipsé par l’affaire Dreyfus, avant d’être couvert par l’omerta. La colonne infernale, non seulement rasa un village tchadien de 10.000 âmes, violant et décapitant sur son passage, mais sa folie l’a en outre entraînée à sa propre perte et destruction : le manque de témoignages directs a obligé les auteurs, dans un souci d’exactitude, à changer les noms des officiers supérieurs Voulet et Chanoine en Boulet et Lemoine, non sans humour. Le vide historique permet au scénariste l’invention, dans un cadre politique et militaire dont les tenants et aboutissants sont connus. L’Etat-major a été averti des exactions particulièrement violentes commises par la mission par un de ses officiers subalternes. Voulet et Chanoine avaient du crédit ; ils s’étaient illustrés auparavant dans la conquête du royaume Mossi (Ouagadougou) et du Niger ; et, quand l’ordre fut donné de mettre un terme à leur entreprise de conquistadors sanguinaires, combinant les méthodes de la guerre tribale et celles du combat occidental, pour engendrer le pire, il était trop tard. Coïncidence ou pas, cet album paraît au moment où la France redéploie ses troupes en Afrique et envisage de les « projeter » en Syrie. Il n’est certes pas interdit de faire des parallèles entre l’aube du XXe siècle où se situe l’expédition relatée dans cette BD, et l’aube du XXIe siècle où nous sommes. On peut penser que ce n’est pas un hasard si l’écrivain ivoirien Venance Konan, auteur de la préface de « La Colonne », cite Frantz Fanon : « L’Europe a fait ce qu’elle devait faire et somme toute elle l’a bien fait. Cessons de l’accuser mais disons-lui fermement qu’elle ne doit plus continuer à faire tant de bruit. Nous n’avons plus à la craindre, cessons de l’envier. Le tiers-monde est aujourd’hui en face de l’Europe comme une masse colossale dont le projet doit être d’essayer de résoudre les problèmes auxquels cette Europe n’a pas su apporter la solution. » Le sentiments anticolonialiste n’a en effet pas mis fin au droit d’ingérence occidental, qui fait flèche de tous bois, c’est-à-dire prend pour prétexte les diverses variations sur le thème de la civilisation (on trouve déjà chez saint Thomas d’Aquin au moyen âge une justification théologique de l’ingérence). Le parallélisme est frappant entre l’ignorance de la population française métropolitaine au sujet d’opérations militaires menées en son nom, hier comme aujourd’hui. Le citoyen lambda, à qui on reproche souvent son indifférence vis-à-vis de la politique étrangère, en réalité n’est informé des faits que longtemps après qu’ils se sont déroulés, ce qui donne de la part des gouvernements ou des chefs d’Etat plénipotentiaires le sentiment qu’ils se comportent en somnambules. Or le scénario de Dabitch ne tombe pas dans le prêche moralisateur, permettant de se donner bonne conscience à peu de frais ; le piège tendu par certains ouvrages, d’une relecture du passé à l’aune des nécessités éthiques du moment, est évité. Quelques mots sur le dessin ; le style de N. Dumontheuil, pas très éloigné de celui de Franquin ou Morris, est particulièrement expressif. Ajoutée à cette expressivité, la colorisation dans des tons soutenus rend très bien l’aspect de violence militaire sadique de l’expédition, à la limite de la jouissance sexuelle. Cela tend presque à confirmer l’hypothèse de la syphilis, par laquelle Chanoine et Voulet, grands consommateurs de femmes, auraient été infectés, et qui n’aurait fait qu’accroître leur férocité. par Dabitch et Dumontheuil - Futuropolis, 2013
HAUTES OEUVRES
Les BD de Simon Hureau («Le Massacre», «Crève Saucisse») se démarquent de la pléthore d’albums publiés grâce à leurs thèmes originaux et un style de dessin peu commun. La Boîte à Bulles vient de rééditer «Hautes Œuvres», dont le scénario se déploie de façon circulaire autour de l’exécution du célèbre François-Robert Damiens (1715-1757), auteur d’une tentative de régicide contre la personne de Louis XV. Le scénario souligne la dimension spectaculaire des exécutions en place publique, dont la violence érotique magnétisait le public autant que n’importe quel carnaval ou défilé militaire. «Hautes Œuvres» vaut pour ce rappel de la bestialité sociale, que les idéologies totalitaires du XIXe siècle se sont efforcé d’occulter derrière leurs utopies progressistes. Le scénario ironise sur le contraste entre cette exécution d’une cruauté extraordinaire et la réputation «d’âge d’or» du Siècle des Lumières, non seulement dans le domaine des arts et des lettres, mais aussi dans le domaine de la politique, puisque le règne de Louis XV fut précédé par le régime de fer de Louis XIV, et suivi par le régime sanglant de Napoléon et les temps modernes d’industrialisation barbare. Le sous-titre : «Petit traité d’humanisme à la Française», est sans doute pour indiquer qu’il est préférable, en matière d’humanisme, ne pas s’endormir sur des lauriers remportés par d’autres. L’autre suggestion de cette BD est celle d’une métamorphose de la violence sociale, comparable à celle que l’art a connue, passant de méthodes à la fois plus artisanales et plus brutales, mais aussi plus circonscrites, à des méthodes désormais quasiment industrielles mais non moins létales. par Simon Hureau - La Boîte à Bulles, rééd., 2013 17
MOX NOX
Entièrement muettes, les planches satiriques de Joan Cornellà, dessinateur ibère d’une trentaine d’années, sont donc accessibles en ligne au public français depuis plusieurs années. D’une grande efficacité à débusquer le malaise indicible du monde moderne, planqué derrière l’argument publicitaire massif, les gadgets hi-fi, la guimauve sentimentale ou le national-socialisme de sous-préfecture (OM/PSG), Cornellà fait partie des quelques auteurs talentueux surgis de la Toile et qui font naître l’espoir d’une rupture avec cinquante ans de BD mi-infantile, mi-régressive. Ici ou là, je lis que l’art de Cornellà est qualifié de «surréaliste ». Soit, mais à condition de ne pas le confondre avec l’art nécrophile et putassier de son compatriote Salvador Dali. Non, le mélange de formes cocasses et inquiétantes permet de situer Cornellà du côté de Jérôme Bosch et sa révélation du monde comme un gros animal monstrueux révélation plus sereine, et donc plus utile que celle de Kafka. Par Joan Cornellà, Bang éds., rééd., 2013.
MARCO POLO—TOME 1
Marco Polo est un peu le saint patron des commerçants & des aventuriers simultanément. C’est une figure sympathique du temps où le négoce et les voyages n’étaient pas encore associés à la conquête coloniale, bien que le célèbre voyageur et conteur vénitien soit un pionnier de la «mondialisation». La famille Polo était spécialisée dans le commerce lucratif des pierres précieuses. Ainsi que les scénaristes de « Marco Polo – Le Garçon qui vit de ses rêves », nouvellement paru aux éditions Glénat, nous le rappellent dans une documentation complémentaire aux aventures de Marco Polo, l’authenticité du récit du célèbre voyageur vénitien du XIIIe siècle fut contesté dès son vivant, et le reste encore par certains érudits aujourd’hui. Mais l’argument de Christian Clot pour dissiper les soupçons fondés sur les inexactitudes du récit m’a convaincu : « (…) le voyage de Marco Polo a duré près de vingt-quatre ans – dont trois de voyage aller, dix-sept en Chine et trois de voyages retours – sur plus de trente-cinq mille kilomètres (sans compter ceux réalisés durant ses années en Chine). Marco était un adolescent rêveur lorsqu’il est parti, un adulte accompli à son retour. Essayez de vous souvenir avec une exacte précision de tout ce que vous avez fait il y a vingt-cinq ans. Les lieux où vous avez été, les distances parcourues, l’ensemble des personnes rencontrées et des événements survenus sur les plans culturel, politique et autres… Faites-le, bien entendu, sans aucune aide, sans internet, amis ou archives pour vous rafraîchir la mémoire (…) » Au demeurant, que ces aventures aient été vécues ou seulement rapportées par Marco Polo, leur récit mentionne des paysages, des peuples, des coutumes et des rois, inconnus de quiconque n’aurait traversé le gigantesque empire mongol de Gengis-Kahn et ses héritiers, jusqu’à la capitale de l’empire, alors en Chine, avant d’en revenir. La BD est « librement adaptée » du «Devisement du Monde» et des «Merveilles du Monde» de Marco Polo, parti en 1271 faire du trafic en compagnie de son père et son oncle à l’âge de dix-sept ans. Elle ne s’en écarte que pour combler les lacunes sur la psychologie de Marco Polo (les rapports avec son père) et quelques détails de la sorte, qui mettent du liant dans le récit. Cette fidélité est heureuse et préférable aux scénarios hâtivement construits autour d’un événement historique, qui sert seulement de prétexte à des cavalcades ou des romances qui pourraient aussi bien se situer dans un temps fictif. Pour autant, le côté épique et le rythme n’ont pas été sacrifiés. Shakespeare est la preuve vivante, si je puis dire, qu’on peut faire ouvrage d’historien tout en méprisant les méthodes scolastiques méticuleuses. Le scénario souligne les lignes étroits qui unissent le commerce, l’aventure et la religion ; le caractère local de la religion, comme de la musique (les deux mots sont synonymes en grec), explique d’ailleurs que Marco, grand voyageur, se soit forgé sa propre religion, des bribes de cultures exotiques s’additionnant à la culture chrétienne de sa région d’origine. Le vif intérêt de Marco Polo pour les inventions techniques, et le rapport que celles-ci entretiennent avec la magie, en raison des pouvoirs extraordinaires que les inventions confèrent à leurs premiers inventeurs, est également illustré. Cela explique d’ailleurs que, en dépit de la logique rationaliste fréquemment mise en avant dans la technocratie moderne, le merveilleux ou la magie n’est jamais très loin. Le discours rationaliste lui-même est magique du point de vue de celui qui n’y a pas été initié. Le dessinateur, Fabio Bono, compatriote de Marco Polo, est influencé par le dessin de manga japonais, ce qui est en l’occurrence une coïncidence plutôt heureuse. NB : les scénaristes citent notamment en référence "Marco Polo, à la découverte de l’Asie", de Philippe Ménard (Glénat, 2009) et Marco Polo, d’Olivier Germain-Thomas (Folio, 2010), ainsi que les ouvrages de Marco Polo. par C. Clot, D. Convard, E. Adam, F. Bono - Glénat, 2013
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