Été / Summer 2015
Lili Reynaud Dewar Pamela Rosenkranz
Guillaume Désanges Jérémie Gindre
Laëtitia Badaut Haussmann Mariana Castillo Deball
02 Revue d’art contemporain gratuite / 02 Free Contemporary Art Review
Arnaud Cohen Rémission RetRospection
14 juin - 20 septembre 2015 S E N S Palais synodal - Musées de Sens Parvis de la Cathédrale - 89100 Sens www.ville-sens.fr
Martin Honert, Foto (Klein-Martin am Tisch), détail, 1993. Coll. Landesbank Baden-Wurttemberg, Stuttgart. Courtesy Hayward Gallery, Londres. Photo Linda Nylind. © ADAGP, Paris, 2015
CARRÉ D’ART - NÎMES FORMES BIOGRAPHIQUES 29 MAI - 20 SEPT. 2015
WWW.CARREARTMUSEE.COM
FRAC A Q U I TA I N E & CENTRE D’ART I M A G E / I M AT G E
EXPOSITIONS
dans le cadre du Centenaire de la naissance de Roland Barthes – en Aquitaine
Lumières de Ro l a n d Barthes
11 avril — 31 octobre 2015
Philippe Lepeut
21 MAI
FRAC AQUITAINE – BORDEAUX 22 MAI – 29 AOÛT 2015
12 SEPTEMBRE 2015
L’écrivain en vacances : sur la plage
Une invitation à découvrir, à travers l’art contemporain et la collection du Frac Aquitaine, la postérité théorique et esthétique d’un des penseurs les plus importants du XXe siècle.
My Last Life VINCENT MEESSEN IMAGE/IMATGE – ORTHEZ 23 MAI – 12 SEPTEMBRE 2015
Lunettes noires & chambre claire
WWW.FRAC-AQUITAINE.NET
Roland Barthes (Juan Les Pins, chez Daniel Cordier), 1972. Photo Youssef Baccouche. BnF — design la/projects
Commissaire Magali Nachtergael
MUSÉE D’ART MODERNE ET CONTEMPORAIN 1, PLACE HANS-JEAN-ARP WWW.MUSEES.STRASBOURG.EU
Listen to the Quiet Voice est issue du jeu Oblique Strategies conçu par Brian Eno et Peter Schmidt Philippe Lepeut, Les Images saisissantes, L’aigue-marine, 2015 © Philippe Lepeut. Graphisme : Rebeka Aginako
Listen to the Quiet Voice
GAL ER I E BU GAD A & C A R G N E L 7-9 RUE DE L’ÉQUERRE F- 75019 PARIS CONTACT@BUGADACARGNEL.COM T 33 1 42 71 72 73
BLAKE RAYNE / PEACEFUL PHOTOGRAPHERS 5 JUNE - 5 JULY / LONDON 9 JUNE - 18 JULY / PARIS
JOHN MILLER / COUNTERPUBLICS 5 SEPTEMBER - 3 OCTOBER / LONDON
GRAHAM COLLINS THE VILLAGE
LISTE
1 /6 /1 STAND 2015 16-21JUIN
LIZ DESCHENES / ROE ETHRIDGE / JUTTA KOETHER / DANIEL LEFCOURT VALENTINA LIERNUR / JASON LOEBS / SCOTT LYALL / NICK MAUSS CHARLES MAYTON / JOHN MILLER / OLIVIER MOSSET / SEAN PAUL PAVEL PEPPERSTEIN / EILEEN QUINLAN / BLAKE RAYNE CLÉMENT RODZIELSKI / CHRISTOPH RUCKHÄBERLE / NORA SCHULTZ AMY SILLMAN / REENA SPAULINGS /JOANNE TATHAM & TOM O’SULLIVAN CHEYNEY THOMPSON CAMPOLI PRESTI LONDON / PARIS
VERNISSAGE VENDREDI 5 JUIN 2015 DE 19 À 21H EXPOSITION DU 5 JUIN AU 25 JUILLET 2015 DU MARDI AU SAMEDI, DE 11H À 12H30 ET DE 14H À 19H
EXPOSITION
atopolis
13 juin > 18 oct.
manège de sury
Saâdane Afif, Nevin Aladağ, Francis Alÿs, Danai Anesiadou, El Anatsui, Yto Barrada, Walead Beshty, Huma Bhabha, Vincen Beeckman, Vlassis Caniaris, Abraham Cruzvillegas, Meschac Gaba, Jef Geys, Thomas Hirschhorn, Kapwani Kiwanga, David Medalla, Vincent Meessen, Adrian Melis, Benoit Platéus, Walter Swennen, Diego Tonus, Lawrence Weiner, Jack Whitten.
#escale
CINÉTISATION D’APRÈS POL BURY © BENOIT PLATÉUS 2014 – ÉDITEUR RESPONSABLE : YVES VASSEUR
mons
CAPC
musée d'art contemporain de Bordeaux
Expositions 6 juin — 29 août 2015
ONE TO ANOTHER ONE-TO-ONE
CONDUIRE, DANSER ET FILMER
Différentes propositions théoriques et performatives seront proposées pendant la durée de l’exposition dans la Nef Centrale du musée. Visitez notre site internet pour plus de détails / Various theoretical and performative proposals will be presented in the Central Nave of the museum throughout the duration of the exhibition. Please visit our website for details. ABRAZO VALE MIL
L’exposition Alejandro Jodorwsky est reconnue d’intérêt national par le ministère de la Culture et de la Communication/ Direction générale des patrimoines/Service des musées de France. Elle bénéficie à ce titre d’un soutien financier exceptionnel de l’État / This exhibition Alejandro Jodorowsky is recognized as being of «Intérêt national» by the «Ministère de la Culture et de la Communication/Direction générale des patrimoines/Service des musées de France». As such it benefits exceptionally from financial support from the French State.
PARTENAIRES DU MUSÉE / MUSEUM PATRONS Mécène d’honneur / Honorary patron Château Haut-Bailly Partenaire fondateur / Founding patron Amis du CAPC Partenaires bienfaiteurs / Leading patrons Fondation Daniel & Nina Carasso, Air France Partenaires donateurs / Patrons SUEZ environnement, Château Chasse-Spleen, SLTE, Fondation d’entreprise Hermès, Lacoste Traiteur, Château Haut Selve, Lafarge Granulats, Le Petit Commerce, Hôtel La Cour Carrée Partenaires de l’exposition Alejandro Jodorowsky Amis du CAPC, ABKCO Films
HORAIRES / OPENING HOURS 11h – 18h / 11h – 20h les mercredis Fermé les lundis et les jours fériés, sauf les 14 juillet et 15 août. 11 am - 6 pm / 11 am - 8 pm, Wednesdays Closed on Mondays and public Holidays, except July 14th and August 15th. STATIONS TRAM / TRAM STATIONS CAPC ; Jardin public SUIVEZ-NOUS / FOLLOW US http://twitter.com/capcmusee http://www.facebook.com/capc.musee
This exhibition is supported by The Friends of the CAPC and ABKCO Films
capc-bordeaux.fr
Alejandro Jodorowsky. Photo © Daniel Bergeron / Corbis Outline
ALEJANDRO JODOROWSKY 28.05 – 31.10.2015
LA ÓPERA DEL MONDONGO
Francisco Tropa TSAE (Trésors Submergés de l’Ancienne Égypte) Hicham Berrada Mariana Castillo Deball Cronotopo cur. Sandra Patron
c e n t r e r é gio n a l d’a r t c o n t e mp or a in l a ngue doc-r ou s s il l o n s è t e 26.0 6. 2 015 > 2 0.0 9. 2 015
Reto Pulfer Les chambres des états
cur. Plateforme Roven
cur. Dorothée Dupuis et Oliver Martínez-Kandt
FA BRICE H Y BER
cr ac.l anguedocroussillon.fr 26 quai aspirant Herber f-34200 sète - france Téléphone +33 (0)4 67 74 94 37 ouvert tous les jours 12h30-19h — Week-end 15h-20h entrée libre et gratuite — fermé le mardi
Musée régional d’art contemporain Languedoc-Roussillon 146 avenue de la plage, Sérignan mrac.languedocroussillon.fr
Huz & Bosshard
Y R R A J ALFRED AGO : L E P I H C ARALSE DES PANTINS - ACTE I
Zone Bethan Huws
LA V DU 5 JUIN T 2015 AU 30 AOÛ
TTERRAND
E FRANÇOIS MI 10, ESPLANAD R 29000 QUIMPE 55 55 77 T : +33 (0)2 98 RTIER.NET UA -Q .LE W W W
LA VALSE DES PANTINS -
A
CTE I EXPOSITION AVEC JULIE N BISMUTH, PAULINE BOUDRY & RENATE LO PAULINE CURNIER JARDIN RENZ , JOS DE GRUYTER & HARA LD THYS, GOLDIN + SENN , WILLIAM KENTRIDGE, SHELLY NADASHI, DAN EBY, PERJOVSCHI, ROEE RO BENJAMIN SEROR, YOAN SORIN, ANTE TIMMERMAN SE S, EMMANUEL VAN DER ME N, KARA WALKER ULEN, ALFRED JARRY ARCHIPEL
A
GO Un projet initié par Le Quar tier - centre d’art contem porain de Quimper, le cent contemporain de la Ferme re d’art du Buisson à Noisiel et le Mu dans le cadre de Piano – Plateforme franco-italienn seo Marino Marini à Florence e d’échanges artistiques collaboration avec le Muse – et en um M et Playground à Louv ain (Belgique). Revisitant la puissance de transgression de l’art et de la performance contempo le projet convoque Alfred rains, Jarry (1873-1907) comm e commissaire posthume série d’expositions, d’évé d’une nements et de publications , qui se déploiera en diver entre 2015 et 2017. s lieux
Du 4 juin au 19 juillet 2015 16, rue Charles VII 94130 Nogent-sur-Marne 01 48 71 90 07 maba.fnagp.fr Exposition présentée les jours de semaine, de 13h à 18h Les samedis et dimanches, de 12h à 18h. Fermée le mardi et les jours fériés. Entrée libre.
Valérie Jouve
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Corps en résistance 02/06 – 27/09/15
Sommaire
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Interview
Lili Reynaud Dewar
Guillaume Désanges
par/by Patrice Joly par/by Patrice Joly
16-25
58-64
Laëtitia Badaut Haussmann Valérie Jouve, Sans titre (Les Personnages avec Josette), 1991-1995. Courtesy de la galerie Xippas, Paris © Valérie Jouve / ADAGP, Paris 2015
par/by Antoine Marchand
46-50 Pamela Rosenkranz
Reviews Surround Audience
New Museum, New York
par/by Aude Launay
66-67 Mariana Castillo Deball
28-34
Hamburger Bahnhof, Berlin
Fiction
68–71 Artist Novels
Vision de mon cousin Donald / My Cousin Donald’s Vision
The Book Lovers Publication 72-73 Michael Krebber, R. H. Quaytman
Ludwig Museum, Cologne 74-75 Peter Buggenhout
M-Museum, Louvain 76-77 Circonférences
par/by Jérémie Gindre
Le Carré, Château-Gontier
40-43
Triennale de Vendôme
78 Saâdane Afif 79 Guillaume Constantin
Eternal Gallery, Tours 80
02#74 Été / Summer 2015
1, PLACE DE LA CONCORDE · PARIS 8 E · M° CONCORDE WWW.JEUDEPAUME.ORG
Le Jeu de Paume est subventionné par le ministre de la Culture et de la Communication. Il bénéficie du soutien de Neuflize Vie et de la Manufacture Jaeger-LeCoultre, mécènes privilégiés.
En partenariat avec
Remerciements à
En couverture / Cover R. H. Quaytman, Preis, Chapter 28, 2015. Encre sérigraphique, gesso sur bois, 62,87 × 101,6 × 1,91 cm. Photo : Lothar Schnepf. © R. H. Quaytman Courtesy Galerie Buchholz, Berlin / Cologne.
Directeur de la publication / Publishing Director Rédacteur-en-chef / Editor-in-Chief Patrice Joly Rédactrice-en-chef adjointe / Associate Editor-in-Chief Aude Launay
Rédacteurs / Contributors Raphaël Brunel, Alexandra Fau, Jérémie Gindre, Patrice Joly, Aude Launay, Gauthier Lesturgie, Antoine Marchand, Maria Nicolacopoulou, Eva Prouteau
Publicité / Advertising Patrice Joly patricejoly@orange.fr
Traduction / Translation Simon Pleasance, Fronza Woods
Impression / Printing Imprimerie de Champagne, Langres
Relecture / Proofreading Aude Launay
Graphisme / Graphic Design Aurore Chassé
Éditeur / Publisher Association Zoo galerie 4 rue de la Distillerie 44 000 Nantes patricejoly@orange.fr
Avec le soutien de la Ville de Nantes Textes inédits et archives sur / Unpublished texts and archives www.zerodeux.fr
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Lili Reynaud Dewar
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Lili Reynaud Dewar
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Lili Reynaud Dewar — par Patrice Joly
L’« opéra » que vient de monter Lili Reynaud Dewar à la biennale de Venise reprend nombre de préoccupations qu’elle a abordées au cours de sa courte mais déjà très dense carrière. Bien que l’opéra semble une figure un peu anachronique dans une époque qui privilégie le fast checking des œuvres sur Instagram, cette forme constitue cependant un prolongement naturel pour une artiste qui s’est toujours intéressée aux dispositifs « enveloppants », matriciels, à l’instar de la Black Maria qui fut en son temps un véritable creuset dans lequel furent certainement enregistrées les premières performances de tous les temps et dont elle emprunta le nom pour une de ses expositions. L’opéra représente une forme optimale en ce sens qu’il associe la quasi totalité des pratiques artistiques — chant, musique, danse, écriture (livret), sculpture (décor, scénographie) — à laquelle l’artiste a rajouté un art « de notre époque » : la vidéo. Les « machines » de Reynaud Dewar ne représentent pas seulement une réflexion sur l’évolution des formats de l’art contemporain, elles sont au service d’un regard approfondi sur la société dans laquelle nous vivons : en remettant en lumière les très virulentes discussions sur le sida des années quatre-vingt-dix, Lili Reynaud Dewar revitalise le débat de société en reposant la question de la responsabilité artistique. La forme de ses installations, depuis ses toutes premières expositions, offre un regard renouvelé sur les phénomènes d’exclusion des cultures minoritaires et des personnalités déviantes : son appréhension de l’objet scénique la situe dans la droite ligne de prédécesseurs illustres qui, comme Mike Kelley, ont su reposer la question de l’incarnation de l’objet d’art et mettre en lumière les discours dissimulés derrière les apparences de la neutralité ; sa « visitation » en ange noir sautillant des lieux (de) culte(s) de l’art contemporain dans ses dernières performances filmées, est un pur pied de nez à l’establishment artistique. 1 « The Center and the Eyes », Zoo galerie, Nantes, du 19 octobre au 19 novembre 2006. 2 Philippe Alain-Michaud, Aby Warbug et l’image en mouvement, Macula, 1998. 3 Guillaume Dustan, Œuvres I, préface de Thomas Clerc, Paris, P.O.L., 2013. 4 « Black Mariah », Parc Saint Léger, Pougues-les-Eaux, du 29 mars au 24 juin 2009.
La performance est la matrice
Dans « The Center and the Eyes1 » en 2006, une des premières expositions d’envergure de Lili Reynaud Dewar, étaient en germe la plupart des éléments significatifs du travail de l’artiste, dont l’installation d’un dispositif scénique pensé dans le but d’accueillir des performeurs. La performance était en effet l’élément central
de ce dispositif matriciel qui permettait de faire interagir les multiples problématiques traversant le travail de l’artiste de part en part : le genre, les minorités, l’origine, la high et la low culture, le statut des objets ; elle est le chaudron conceptuel qui permet de faire fusionner toutes ces références et de réactiver la synesthésie chère au modernisme. Difficile donc de parler d’un travail qui emprunte à toutes les dimensions de l’art, de la poésie à la musique, en passant par le design, la vidéo et la littérature. La seule grande absente est peut-être la peinture, sauf si l’on considère la pratique de Lili Reynaud Dewar comme la production d’une singularité constituée d’une multiplicité d’apports artistiques éloignés certes, mais possédant au final une réelle unité plastique, un « tableau vivant » d’une certaine manière… Sa vraie référence est peut-être celle de la fête florentine de la Renaissance qui, sous le prétexte de rendre hommage à la figure du prince, consistait à associer le plus grand nombre de « métiers » dans la réalisation d’une forme totale, feu d’artifice concentré dans l’éphémère d’une production paroxystique, « fête italienne qui, selon Jacob Burckhardt cité par Aby Warburg, à son degré supérieur de civilisation, fait véritablement passer de la vie à l’art2 », fête théâtrale qui constitue une apogée dans la collusion des pratiques et qui anticipe d’une certaine manière le postmodernisme lorsque le modernisme a toujours tenté d’épurer les formes dans une impossible convergence. La différence majeure d’avec ces grandes machines scéniques du xvie siècle qui révolutionnent la pratique du spectacle, c’est que les performances de Reynaud Dewar sont peuplées de demi-dieux et de créatures excentriques, de rebelles échappant à une pleine reconnaissance car réfutant les codes de la notoriété en troublant l’ordre établi et la bien-pensance, lorsque les fêtes de la Renaissance étaient destinées à magnifier la figure du commanditaire. Les personnages que met en scène Lili Reynaud Dewar dans ses expositions forment un panthéon d’antihéros dont les plus emblématiques sont Guillaume Dustan et Sun Ra, personnages pour le moins controversés, restés à la marge des grands circuits de distribution pour un Sun Ra quand un Dustan devint carrément le paria de la littérature française avant une reconnaissance tardive à la faveur d’une réédition récente de ses écrits3. L’exposition qui eut lieu au Parc Saint Léger en 20094 et qui était intitulée tout simplement
Lili Reynaud Dewar My Epidemic (Small Modest Bad Blood Opera), 2015. Installation. Tissu, encre, peinture, métal, enceintes, amplificateurs, vidéos, écrans LED, bande son / Fabric, ink, paint, metal, speakers, amplifiers, videos, LED screens, audio track, 29 min 58 s. Musique composée par Nicolas Murer alias MACON et chantée par Diego de Atucha, Naim Bityqui, Maud Constantin, Étienne Chosson, Romain Juan, Sarah Margnetti, Lea Meier, Coline Mir, Nicolas Murer, Lili Reynaud Dewar, Sara Sandler Vue de l’exposition / Exhibition view « All the World’s Futures », Arsenale, 56e Exposition Internationale d’Art, Biennale de Venise, 2015. © Lili Reynaud Dewar © Photo : Fabrice Seixas Courtesy C.L.EA.R.I.N.G., New York & Bruxelles ; Emmanuel Layr, Vienne ; kamel mennour, Paris. Avec le soutien de / With the support of Institut français ; Fondazione Querini Stampalia.
Lili Reynaud Dewar, Black Mariah, 2009. Vue de l’exposition / Exhibition view Centre d’art du parc Saint Léger, Pougues les Eaux, 2009. Photo : Aurélien Mole © Lili Reynaud-Dewar Courtesy Lili Reynaud Dewar
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5 « Dans l’espace de la Zoo galerie, divisé en son centre par une série de colonnes, Lili Reynaud Dewar a disposé deux séries de trois éléments sculpturaux placés successivement dans l’espace. Une bouche, un nez, puis deux des yeux composent ainsi, dans une symétrie parfaite, un griot noir et un griot blanc, figures tribales de la culture rastafari considérées comme dépositaires de la tradition orale. […] L’exposition se découvre frontalement ou spatialement, sachant qu’elle suppose alors de « traverser » le plan et de faire l’expérience de la coupure (on dissocie alors la bouche, le nez et les yeux pour ne les considérer qu’individuellement) ce qui confronte le spectateur à l’expérience de la quatrième dimension, celle du temps. Claire Jacquet, « Si A = B en art comme en science alors vers quel monde allons nous ? » 02 n°40, hiver 2006-07, p. 30. 6 Cf. Marie de Brugerolle « From book to stage prop : theater, actresses, doctors, camp. », in Guy de Cointet, JRP Ringier, 2011, p.76 et sq.
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« Black Mariah » ne laisse pas de doute quant à la valeur d’hommage à l’endroit de cette toute première boîte noire de l’histoire. Construite à la fin du xixe siècle dans le but d’optimiser le potentiel des dernières inventions de Thomas Edison, celle-ci devint de fait le tout premier studio de production d’images en mouvement. Au-delà de l’anecdote historique et du caractère quasiment surnaturel qu’on attribua aux réalisations de la Black Maria, c’est le défilé hallucinant de personnages de tout acabit — jusqu’à ce groupe d’Indiens faisant partie de la tournée du Buffalo Bill Show et perpétrant pour la circonstance ce que l’on peut qualifier de l’une des premières performances filmées de l’histoire — qui contribua à créer la légende de cette incroyable machine. Dans le dispositif qu’elle mit en place à Pougues-les-Eaux, l’artiste tenta de restituer, de manière fragmentaire certes, cette double fonction de mise en scène et d’enregistrement, en réalisant dans l’espace même du centre d’art une production continue de vidéo. Lili Reynaud Dewar y retrouvait les problématiques spatiales de l’exposition de 2006 où les objets de scène occupaient un rôle primordial. À la fois sculptures, éléments de décor, accessoires, fétiches, ses objets de scène procèdent de multiples strates intentionnelles qui ne manquent pas de bousculer les réflexes habituels d’appréhension des œuvres : dans « The Center and the Eyes », le spectateur était confronté à la possibilité d’une découverte frontale et spatiale des sculptures qui lui donnait l’impression de se retrouver dans la quatrième dimension5 ; à Pougues, répondant à la sophistication de la Black Maria capable de suivre la courbe du soleil dans le ciel, Reynaud Dewar créait un espace susceptible de remplir de multiples missions successives et simultanées : lieu de tournage cohabitant avec des espaces annexes de stockage en amont, mezzanine où seraient projetés les films réalisés in situ et, enfin, espace de circulation pour les visiteurs de l’exposition, le tout en conservant les même objets scéniques pendant toute la durée du processus. L’accessoire prime
Le public des expositions de Lili Reynaud Dewar se retrouve alors dans une position paradoxale : contrairement à la performance « classique » qui nécessite de tout démonter à la fin de la représentation, panneaux, accessoires, paravents écriteaux, etc., ici les objets restent en place et retournent ensuite à leur statut plus classique de sculptures. La position de l’artiste quant aux objets liés à la performance croise, en leur réinsufflant une indéniable vitalité, les réflexions de ses prédécesseurs. Une des solutions apportées à la question du statut de l’objet scénique par Guy de Cointet est de conserver le plus possible à ce dernier une dimension utilitaire en le rapatriant chez lui une fois son utilisation sur scène terminée. Cependant, la complexité des liens qu’entretient de Cointet avec les objets ne se résume pas en leur retour, un moment donné, à leur statut d’objets fonctionnels, et l’artiste leur fera jouer tout au long de sa carrière
Lili Reynaud Dewar
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les rôles les plus divers, les faisant passer du statut d’accessoires à la condition de phonèmes, participant d’un ensemble structuré qui renvoie au fonctionnement du langage. Le rapport qu’entretient Lili Reynaud Dewar aux objets semble plus proche de celui que Mike Kelley met en avant dans son texte « Playing with Dead Things6 » : l’artiste américain renvoie aux objets placés dans la tombe des dignitaires de l’ancienne Égypte afin de les accompagner dans leur périple vers l’au-delà. La référence aux objets rituels du vaudou qu’amène Reynaud Dewar peut se lire aussi comme une critique des objets d’art occidentaux, objets dont l’activation atteint son maximum lorsqu’ils sont intégrés au scénario de la performance mais qui, une fois passée l’excitation du spectacle, retombent dans leur désolante léthargie. Opposer les objets rituels aux sculptures de l’art moderne et contemporain comme le fait allusivement Reynaud Dewar, c’est aborder la question postcoloniale à travers le système des beaux-arts qui représente la quintessence de la supériorité culturelle de l’Occident : c’est en effet introduire des représentations minoritaires à même le système conventionnel de l’exposition qui impose un ordonnancement extrêmement balisé du regard et, partant, venir troubler cet ordonnancement. L’artiste suivra par ailleurs un itinéraire en zigzag sur le sujet jusqu’à cette toute dernière phase des performances dansées. Entre-temps, elle sera revenue à une production d’objets aux contours plus pop. La référence à des designers italiens comme Ettore Sottsass marquera cependant son hésitation quant à un retour à une version plus habituelle de la sculpture et sa réticence à quitter la dimension fonctionnelle de l’objet. L’exposition au Parc Saint Léger présentait plusieurs volumes en forme de chiffres ou de lettres comme si la conversion à la sculpture pop ne pouvait se faire qu’au prix d’une concession à une dimension utilitaire de cette dernière, tout au moins à sa « lecture ». Un nouveau revirement a lieu avec les performances de danse que l’artiste réalise à partir de 2011 au milieu de ses œuvres, abandonnant quasiment ce fini soigné pour revenir temporairement à une série d’objets beaucoup plus modestes dans leur facture — dans la continuité desquels Untitled (2013) voit disposé sur un socle tendu de tissu aux motifs africains le fameux ouvrage de Brian 0’Doherty, White Cube, à la couverture et aux pages intérieures souillées d’empreintes noires se détachant nettement sur le blanc du papier : il n’est guère de doute quant à la signification de son message, la symbolique de la dénonciation du règne de l’occidentalocentrisme est directe et immédiatement lisible. What a Pity You Are an Architect, monsieur! You’d Make a Sensational Partner (2011) marque une rupture brutale avec les épisodes précédents : l’artiste s’y retrouve nue, entièrement enduite d’une couche de pigment noir, dansant au milieu de ces mêmes pièces. Les comédiens qui composaient la petite troupe d’acteurs ont disparu : l’artiste, dorénavant, performe seule. La distanciation propre à la vidéo accentue la réification, les œuvres ont
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Lili Reynaud Dewar, Untitled, 2013. Livre, socle, tissu / Book, wood, fabric. Courtesy Lili Reynaud Dewar
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Lili Reynaud Dewar, Black Mariah (The Woman’s Performance Objects and films), 2009. Bois, miroirs, cuir, peinture, costume (veste et pantalon), affiches sérigraphiées, vidéo / Wood, mirrors, leather, paint, costume, posters and video Vue de l’installation / View of the installation, Centre d’art du parc Saint Léger, Pougues-les-Eaux, 2009. Photo : Aurélien Mole © Lili Reynaud Dewar. Courtesy Lili Reynaud Dewar ; kamel mennour, Paris
tendance à participer d’un décor dévitalisé. La coloration qu’elle donne aux lieux emblématiques qui accueillent le tournage de ces performances qu’elle va multiplier à partir de 2011 — centres d’art, grands musées mais aussi artist run spaces — reste problématique puisque, sciemment choisis par l’artiste pour leur programmation reconnue, ils sont « revisités » par l’esprit moqueur et sautillant d’une mini Joséphine Baker, manière de dire encore une fois que les gens de couleur n’accèdent (n’ont jamais accédé) aux temples de la culture occidentale que via le versant autorisé de la danse ou du burlesque. Mettre en scène la littérature / à la poursuite d’une identité diffractée 7 I am intact and I don’t care, présentée notamment au 21er Raum-Belvédère, Vienne, du 20 mars au 14 avril 2013 ; dans l’exposition « Enseigner comme des adolescents », Le Consortium, Dijon, du 3 mai au 16 juin 2013 ; dans l’exposition pour le 15e Prix Fondation d’entreprise Ricard, « La vie matérielle », Fondation d’entreprise Ricard, Paris, du 6 septembre au 2 novembre 2013 et qui lui valut de recevoir le prix; et à la biennale de Lyon, du 12 septembre 2013 au 5 janvier 2014. 8 « Live through that ?! », New Museum, New York, du 15 octobre 2014 au 25 janvier 2015.
Lili Reynaud Dewar
Lili Reynaud Dewar est plutôt passionnée par la littérature : certains auteurs trônent en bonne place dans son panthéon personnel, Marguerite Duras et Guillaume Dustan s’y détachant nettement. L’intégration de la littérature à son œuvre est un véritable casse-tête pour un artiste qui cherche à implanter une œuvre littéraire au plus profond d’une intention plastique sans se contenter de s’inspirer des thèmes développés par l’auteur. Une chose est de s’inspirer d’une ambiance littéraire et de la traduire dans le monde des arts plastiques, une autre est de véritablement faire fusionner des formes a priori irréconciliables, et c’est d’ailleurs cet a priori d’irréconciliabilité qui semble un des terrains les plus fertiles de la création
contemporaine. Reynaud Dewar oscille entre ces deux tendances, entre une volonté de fusionner formellement les champs et, celle, plus commune d’être en empathie très forte avec une pensée, un rapport à l’existence dont la traduction passe par une utilisation plus « classique » du texte. Mais, comme pour l’ensemble de sa pratique, l’artiste expérimente des positions différentes et exécute des va-et-vient permanents, passant d’une approche métaphorique de la littérature, et donc d’une transcription plutôt imagée de ce qu’a pu lui procurer la lecture d’un de ses auteurs favoris, à un tout autre registre. I am intact and I don’t care (2013)7 peut par exemple s’entendre comme une allégorie assez poussée de l’écriture : un lit percé d’un trou en son milieu d’où s’échappe un petit geyser d’encre. Il est aisé de reconstituer soi-même le puzzle signifiant et d’y voir une interprétation psychanalytique, plus ou moins traumatique, si l’on veut se satisfaire d’une lecture psychologisante de l’œuvre (est-ce la lecture de Duras qui l’a conduite à créer cette œuvre au souffle délétère ou bien celle de Dustan pour qui l’existence est chargée de semblables puits de noirceur créatrice ?). En ce qui concerne la seconde tendance, il arrive que Reynaud Dewar utilise de manière très littérale des textes pour les brandir comme autant de bannières aux slogans plus ou moins provocateurs. Ainsi, lorsque présentée au New Museum, Live through that ?! 8 déployait au rez-de-chaussée du musée de grandes
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Lili Reynaud Dewar
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Lili Reynaud Dewar Live Through That?!, 2014. Vue de l’installation / Installation view New Museum, New York. © Lili Reynaud Dewar Photo : Benoit Pailley Courtesy Lili Reynaud Dewar ; kamel mennour, Paris ; C.L.E.A.R.I.N.G, New York & Brussels ; New Museum, New York. Avec le soutien / With the support of Fondation d’entreprise Ricard.
9 56e biennale de Venise, « All the World’s Futures », Arsenal, du 6 mai au 22 novembre 2015. 10 La référence à Douglas Crimp est primordiale parce qu’elle place la discussion sur le plan de l’hypermoralisation des années quatre-vingt-dix suite aux prises de position des associations de lutte contre le sida notamment. La culpabilisation et la stigmatisation des positions de « laisser aller » est également visée : elle débouche par ailleurs sur la question de l’intime et des limites de l’espace privé. (Cf. Entretien avec Lili Reynaud Dewar publié sur le blog de Francis Dommergue hébergé par Médiapart : http://blogs.mediapart.fr/ blog/bertrand-dommergue/ 060515/lili-renaud-dewarcontamine-la-biennale-devenise-en-chantant
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Lili Reynaud Dewar
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Lili Reynaud Dewar — by Patrice Joly
tentures où apparaissaient assez nettement les textes de Guillaume Dustan, instaurant une étroite collaboration entre le texte et la scénographie. À la biennale de Venise9, on retrouve sensiblement le même procédé à la différence fondamentale près que les textes présentés sur les rideaux sont de l’artiste elle-même : ils font partie d’un dispositif plus complexe où l’on retrouve des vidéos des performances tournées à Venise ainsi que de nombreux autres éléments scénographiques. D’autres aspects de l’installation évoquent les effets de l’écriture, ainsi de cette capillarité faisant remonter l’encre le long des objets scéniques et des panneaux qui barrent la vision des moniteurs : c’est l’aspect métaphorique qui prédomine ici, celui de la contamination de toute chose par l’écriture. Nous retrouvons là un des procédés favoris de l’artiste : la mise en place de dispositifs matriciels qui, à l’instar de la Black Maria, permettent de combiner les pratiques, de les faire participer d’un mouvement général. My Epidemic (small modest bad blood opera) est un opéra — et l’opéra est, pour les Italiens, la forme ultime de l’art, alliant le chant, la musique, le décor et le théâtre à l’écriture —, un opéra pour le moins tragique qui met en scène le personnage de Guillaume Dustan, plonge dans les arcanes d’une œuvre dérangeante ayant subi les foudres d’associations comme Act Up qui a accusé l’auteur de faire la propagande d’une attitude irresponsable car mettant en danger la vie de ses
partenaires au cours de rapports non protégés. Ce dernier, mort du sida, a en effet toujours prôné une sexualité libérée de toutes entraves : sa littérature lui ressemble, une littérature radicale, sans détours, répétitive et antiromanesque au possible, une littérature qui explore son propre désir et revendique la proximité avec le danger, une littérature d’introspection, combattante, qui le rapproche par ailleurs de celle de Marguerite Duras dont il admire la capacité à se mettre à nu. En parallèle de l’œuvre qu’elle a développée pour l’Arsenal, Reynaud Dewar a embarqué à Venise ses étudiants de la HEAD de Genève pour poursuivre ce séminaire nomade qu’elle développe depuis plusieurs années et qui consiste à discuter / débattre en petit comité dans sa chambre d’hôtel de ses sujets de prédilection qui tournent souvent autour des questions de genre mais aussi de toutes sortes de littératures et de poésie. À Venise, bien évidemment, elle a lu avec ses étudiants des textes de Dustan mais aussi de Douglas Crimp10, d’Eileen Myles ou de Samuel Delany, tentant de revisiter le contexte de l’anathème qu’a subi Dustan à la lueur de nouvelles approches, remettant la question de l’engagement personnel et de la responsabilité artistique au sein d’un vaste questionnement au centre duquel affleure la question du sujet, de sa fragmentation et des stratégies de reconstruction de ce dernier par l’art contemporain, par la littérature…
The “opera” that Lili Reynaud Dewar has just put on at the Venice Biennale takes up many of the concerns she already broached during her thus far short but very busy career. Although opera seems to be slightly anachronistic in an age that prefers fast checking works on Instagram, this art form nevertheless represents a natural extension for an artist who has always been interested in “all-encompassing” matricial arrangements, like the Black Maria which, in its day, was a veritable crucible in which the first performances of all time were undoubtedly recorded, and whose name she borrowed for one of her shows. Opera is an optimal form insomuch as it associates almost all the artistic praxes—song, music, dance, writing (libretto), and sculpture (décor, set design)—to which the artist has added an art “of our day and age”: video. Reynaud Dewar’s “machines” do not just represent a way of thinking about the evolution of contemporary art formats; they are also used to take an in-depth look at the society we are living in: by once again highlighting the extremely virulent discussions about Aids in the 1990s, Lili Reynaud Dewar is re-invigorating the social debate by re-posing the question of artistic responsibility. The form of her installations, from her very earliest exhibitions on, offers a renewed look at the exclusionary phenomena of minority cultures and deviant figures: her grasp of the stage object situates her in the direct line of illustrious predecessors who, like Mike Kelley, managed to raise anew the issue of the incarnation of the art object, and shed light on the various kinds of discourse hidden behind the appearance of neutrality; her “visitation” as a skipping black angel to the cult sites—and/or places of worship—of contemporary art in her latest filmed performances is nothing less than a way of cocking a snook at the art establishment. Performance is the Matrix 1 “The Center and the Eyes”, Zoo galerie, Nantes, from 19 October to 19 November 2006. 2 Philippe Alain-Michaud, Aby Warburg et l’image en mouvement, Macula, 1998. 3 Guillaume Dustan, Œuvres I, preface by Thomas Clerc, Paris, P.O.L., 2013. 4 “Black Mariah”, Parc Saint Léger, Pougues-les-Eaux, from 29 March to 24 June 2009.
In 2006, in “The Center and the Eyes1”, one of the first major exhibitions of Lili Reynaud Dewar’s œuvre, most of the significant elements of the artist’s work were there in embryonic form, including the installation of a stage-like arrangement devised with the purpose of accommodating performers. Performance was in fact the central factor of this matricial system which made it possible to introduce interaction
among the many different issues running right through the artist’s work: gender, minorities, origins, high and low culture, the status of objects; performance is the conceptual cauldron which helps to merge all these references, and rekindle the synaesthesia dear to modernism. So it is hard to talk about a body of work which borrows from all the dimensions of art, from poetry to music, by way of design, video and literature. The one big thing missing is perhaps painting, unless we regard Lili Reynaud Dewar’s praxis as the production of something unique formed by a whole host of artistic contributions which are undoubtedly aloof from one another, but, in the end of the day, do have a real plastic unity, like a tableau vivant or living picture, in a way… The true major reference is perhaps that of the Florentine festival of the Renaissance which, on the pretext of paying tribute to the figure of the prince, consisted in associating the greatest number of “trades” in the production of a total form, a concentrated firework in a short-lived paroxysmal production, “an Italian festival which, according to Jacob Burckhardt as quoted by Aby Warburg, at its higher degree of civilization, really does create a shift from life to art”,2 a theatrical festival which represented a climax in the collusion of praxes, and in a way anticipated postmodernism when modernism invariably tried to refine forms in an impossible convergence. The major difference with those large stage machines of the 16th century, which revolutionized the way spectacles were presented, is that Reynaud Dewar’s performances are filled with demi-gods and eccentric creatures, rebels avoiding any full recognition because they refuse the codes of celebrity by upsetting the established order and conservatism, while Renaissance festivals were intended to magnify the figure of the patron. The characters presented by Lili Reynaud Dewar in her shows form a pantheon of anti-heroes, the most emblematic among them being Guillaume Dustan and Sun Ra, both figures who are, to say the least, controversial, and who have remained on the sidelines of the main distribution circuits, in Sun Ra’s case, while a character such as Dustan fairly and squarely became the pariah of French literature, prior to a late-in-the-day recognition that has given rise to a recent re-publication of his writings.3 The exhibition, simply titled “Black Mariah”, which was held in 20094 at the Parc Saint Léger leaves no doubt as to the
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homage being paid to that very first “black box” in history. Built at the end of the 19th century with the goal of optimizing the potential of Thomas Edison’s latest inventions, that box became, de facto, the very first studio producing moving images. Over and above historical anecdote and the almost supernatural character attributed to the Black Maria productions, it was the incredible procession of characters of every shape and form—including that group of Indians who were part of the Buffalo Bill Show tour and, for the occasion, executing what might be described as one of the first filmed performances in history—which helped to create the legend of that unbelievable machine. In the arrangement which the artist set up at Pougues-les-Eaux, she tried, in a fragmentary way to be sure, to reinstate that twofold function of stage direction and recording, by making a continuous video production in the exhibition spaces of the art centre. In that show, Lili Reynaud Dewar went back to the spatial issues of her 2006 exhibition, in which the stage objects played a quintessential part. At once sculptures, parts of a set, props, and fetishes, her stage objects issue from many different layers of intent, which certainly jostle the usual reflexes to do with understanding artworks: in “The Center and the Eyes”, the spectator was faced with the possibility of a frontal and spatial discovery of the sculptures, which gave him/her the impression of being in a fourth dimension;5 at Pougues, in responding to the sophistication of the Black Maria capable of following the sun’s curve in the sky, Reynaud Dewar created a space capable of carrying out many different successive and simultaneous missions: filming location co-existing with upstream storage areas, a mezzanine where films made in situ would be screened and, lastly, an area where exhibition visitors could move about, with the whole thing keeping the same stage objects throughout the whole process. The Prime Prop 5 “In the Zoo galerie space, divided at its centre by a series of columns, Lili Reynaud Dewar has arranged two series of three sculptural elements placed successively in the space. A mouth, a nose, then two eyes thus form, in a perfect symmetry, a black griot and a white griot, tribal figures of the rastafari culture, regarded as trustees of the oral tradition. […] We discover the exhibition both frontally and spatially, aware that it thus presupposes “crossing” the plane and undergoing the experience of the cut (the mouth, nose and eyes are thus dissociated so as to be considered on just an individual basis), which confronts the viewer with the experience of the fourth dimension, that of time”. Claire Jacquet, “Si A = B en art comme en science alors vers quel monde allons nous ?” 02 n°40, winter 2006-07, p. 30. 6 Cf. Marie de Brugerolle “From book to stage prop: theater, actresses, doctors, camp”, in Guy de Cointet, JRP Ringier, 2011, p.76 ff.
The public at Lili Reynaud Dewar’s exhibitions thus finds itself in a paradoxical position: unlike the “classical” performance, which calls for dismantling everything at the end of the show—panels, props, screens, notices etc.—, here the objects stay where they are, and then revert to their more classical status of sculpture. The artist’s position, as far as the objects connected with the performance are concerned, overlaps with the reflections of her predecessors, by re-charging them with an undeniable vitality. One of the solutions offered by Guy de Cointet for the question of the status of the stage object was that this object should, as far as is possible, conserve a utilitarian dimension, by returning it to where it belongs once its use on stage is over. The complexity of the links that de Cointet had with objects cannot, however, be summed up in their reversion, at a given moment, to their status of functional object, and, throughout his career, the artist has got them to play the most diverse of roles, proceeding as they do from prop status to the condition of the phoneme,
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taking part in a structured whole that refers to the way language functions. Lili Reynaud Dewar’s relationship to objects seems closer to the connection that Mike Kelley highlights in his text Playing with Dead Things:6 the American artist refers to the items placed in the tombs of ancient Egyptian dignitaries to accompany them on their journey to the hereafter. The reference to ritual voodoo objects made by Reynaud Dewar can also be read as a criticism of western art objects, objects whose activation reaches its height when they are included in the performance scenario, but which, once the excitement of the spectacle is over, fall back into their awful lethargy. Contrasting ritual objects with modern and contemporary sculptures, as Reynaud Dewar allusively does, is to broach the postcolonial issue by way of the fine arts system which represents the quintessence of the West’s cultural superiority: it actually involves introducing minority representations straight into the conventional exhibition system, which imposes an extremely well signposted organization of the gaze, and consequently disturbing this organization. The artist would incidentally take a zigzagging itinerary where this subject is concerned, right to this very latest phase of the danced performances. In the meantime, she returned to a production of objects with more pop outlines. The reference to Italian designers like Ettore Sottsass nevertheless marked both her hesitation about going back to a more usual version of sculpture and her reluctance to abandon the object’s functional dimension. The show at the Parc Saint Léger presented several volumes in the form of numbers and letters, as if the conversion to pop sculpture could only be made at the price of a concession made to this latter’s utilitarian dimension, or at the very least to any “reading” of it. A new turnaround took place with the dance performances which the artist put on in 2011 in the middle of her works, almost abandoning that careful finish, and temporarily returning to a more modest series of objects in the way they are made—in whose continuity Untitled (2013) see arranged on a stand covered in fabric with African motifs Brian O’Doherty’s famous book White Cube, whose cover and inside pages are soiled by black imprints which stand out clearly from the whiteness of the paper: there is scarcely any doubt about the meaning of its message, the symbolism of the denunciation of the reign of Western-centrism is direct and immediately readable. What a Pity You Are an Architect, monsieur! You’d Make a Sensational Partner (2011) marks an abrupt break with the previous episodes: in it, the artist is naked, completely coated with a layer of black pigment, dancing in the middle of those same pieces. The actors making up the small troupe have disappeared: from now on the artist performs on her own. The distancing peculiar to video accentuates reification; the works tend to be part of a devitalized décor. The tone she gives to the emblematic places which play host to the filming of these performances, which she would increase in number from 2011 on—art centres, large
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Lili Reynaud Dewar, Live Through That?! (New Museum, New York), 2014. Vidéo (sans son) / Video (mute) Vidéo stills, New Museum, New York. © Lili Reynaud-Dewar Courtesy Lili Reynaud Dewar ; kamel mennour, Paris
A&B Lili Reynaud Dewar I Am Intact and I Don’t Care, 2013. Vues de l’exposition / Exhibition views, 12e biennale de Lyon & video stills © Lili Reynaud Dewar Courtesy Lili Reynaud Dewar ; Clearing
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Lili Reynaud Dewar My Epidemic (Small Modest Bad Blood Opera), 2015. Installation. Tissu, encre, peinture, métal, enceintes, amplificateurs, vidéos, écrans LED, bande son / Fabric, ink, paint, metal, speakers, amplifiers, videos, LED screens, audio track, 29 min 58 s. Musique composée par Nicolas Murer alias MACON et chantée par Diego de Atucha, Naim Bityqui, Maud Constantin, Étienne Chosson, Romain Juan, Sarah Margnetti, Lea Meier, Coline Mir, Nicolas Murer, Lili Reynaud Dewar, Sara Sandler Vue de l’exposition / Exhibition view « All the World’s Futures », Arsenale, 56e Exposition Internationale d’Art, Biennale de Venise, 2015. © Lili Reynaud Dewar © Photo : Fabrice Seixas Courtesy C.L.EA.R.I.N.G., New York & Bruxelles ; Emmanuel Layr, Vienne ; kamel mennour, Paris. Avec le soutien de / With the support of Institut français ; Fondazione Querini Stampalia.
Vue de l’exposition / View of the exhibition « The Center and the Eyes », Zoo galerie, 2006. Courtesy Lili Reynaud Dewar
museums, as well as artist-run spaces—, remains problematic because, having been wittingly chosen by the artist for their recognized programming, they are “re-visited” by the mocking and merry spirit of a mini-Josephine Baker, which is tantamount to saying, once again, that people of colour only gain access (have never gained access) to the temples of western culture by way of the authorized route of dance and the burlesque. Staging literature/in pursuit of a diffracted identity 7 I am intact and I don’t care, shown in particular at the 21er Raum-Belvédère, Vienna, from 20 March to 14 April 2013; in the exhibition, “Enseigner comme des adolescents”, Le Consortium, Dijon, from 3 May to 16 June 2013; in the exhibition for the 15th Prix Fondation d’entreprise Ricard, “La vie matérielle”, Fondation d’entreprise Ricard, Paris, from 6 September to 2 November 2013, where the artist was awarded the prize; and at the Lyon Biennale, from 12 September 2013 to 5 January 2014. 8 “Live through that?!”, New Museum, New York, from 15 October 2014 to 25 January 2015. 9 56th Venice Biennale, “All the World’s Futures”, Arsenal, from 6 May to 22 November 2015.
Lili Reynaud Dewar has quite a passionate interest in literature: certain authors have pride of place in her personal pantheon, with Marguerite Duras and Guillaume Dustan clearly standing apart from the rest. The inclusion of literature in his/her œuvre is nothing less than a puzzle for an artist trying to implant a literary opus in the depths of a plastic intent, but not content to draw inspiration from the themes developed by the author. It is one thing to be inspired by a literary atmosphere and translate it into the world of visual arts, and it is quite another to really get seemingly irreconcilable forms to merge, and it is, incidentally, this seeming irreconcilability which seems to be one of the most fertile areas of contemporary art. In so doing, Reynaud Dewar wavers between these two tendencies, between a desire to formally merge
the fields and the more ordinary desire to be in a state of very marked empathy with a line of thinking, a relation to existence whose translation proceeds via an “classical” utilization of the text. But as with her praxis as a whole, the artist tries out different positions and effects permanent back-and-forths, shifting from a metaphorical approach to literature, and thus from a somewhat imagery-rich transcription of what the reading of one her favourite authors managed to give her, to a quite different style. I am intact and I don’t care (2013)7 can, for example, be understood as a fairly probing allegory of writing: a bed with a hole in the middle of it, from which a small spout of ink escapes. It is easy to re-make the meaningful puzzle ourselves, and see therein a psychoanalytical and more or less traumatic interpretation, if we want to be satisfied with a psychologically-oriented reading of the work (is it her reading of Duras that led her to create this work with its deleterious spirit, or rather her reading of Dustan, for whom existence is filled with similar wells of creative darkness?). As far as the second tendency is concerned, it so happens that Reynaud Dewar uses texts in a very literal way, brandishing them like so many banners bearing more or less provocative slogans. So when Live Through That?! 8 was shown at the New Museum, it filled the museum’s ground floor with large hangings on which Guillaume Dustan’s writings
10 The reference to Douglas Crimp is quintessential, because is puts the discussion on the level of the extreme moralization of the 1990s in the wake of the positions taken up by associations fighting against Aids in particular. The guiltiness and stigmatization of “careless” positions were also in the line of fire: this also led to the issue of privacy and the boundaries of the private space. (Cf. Interview with Lili Reynaud Dewar published in Francis Dommergue’s blog hosted by Médiapart: http://blogs.mediapart.fr/ blog/bertrand-dommergue/ 060515/lili-renaud-dewarcontamine-la-biennale-devenise-en-chantant
Lili Reynaud Dewar, I Am Intact and I Don’t Care, 2013. Tissu et bois / Fabric and wood, 200 × 50cm. Frieze Projects, London, 2013. © Lili Reynaud Dewar. Courtesy Lili Reynaud Dewar
appeared very distinctly, introducing a close collaboration between text and set. At the Venice Biennale,9 we find very much the same procedure, but with just the basic difference that the texts presented on the curtains are by the artist herself: they are part of a more complex arrangement in which we find videos of performances filmed in Venice, as well as numerous other scenographic elements. Other aspects of the installation evoke the effects of writing, one such being this capillarity which makes the ink move upwards over the stage objects and panels which stop us seeing the monitors: it is the metaphorical aspect which predominates here, the aspect involving the contamination of everything by writing. Here we rediscover one of the artist’s favourite procedures: the introduction of matricial arrangements which, like the Black Maria, make it possible to combine praxes, and get them to be part and parcel of a general movement. My Epidemic (small modest bad blood opera) is an opera—and, for Italians, opera is the ultimate art form, combining song, music, décor and theatre with writing—, an opera that is nothing if not tragic, presenting the character of Guillaume Dustan, and delving deeply into the arcana of a disquieting work that has suffered the wrath of associations like Act Up, which accused him of spreading propaganda in favour of an attitude that was irresponsible because it endangered
the lives of his partners during unprotected sexual relations. Dustan himself, who died of Aids, had always advocated a totally unfettered sexuality: his literature resembles him, a radical, straightforward literature, repetitive and as anti-novelistic as you can get, a literature which explores his own desire and challenges proximity with danger, a combative literature of introspection, which incidentally drew him close to the one of Marguerite Duras, whose ability to lay herself bare he admired. In tandem with the work that she developed for the Arsenal, Reynaud Dewar took her HEAD students from Geneva to Venice to follow that nomadic seminar that she has been working on for several years, and which consists in discussing/ debating her favourite subjects as a small group in her hotel room—subjects which often revolve around gender issues but also around all kinds of literature and poetry. With her students in Venice, it goes without saying, she read texts by Dustan, but also writings of Douglas Crimp10, Eileen Myles and Samuel Delany, trying to re-visit the context of the anathema that Dustan underwent in the light of new approaches, re-questioning personal commitment and artistic responsibility within a far larger questioning, at the hub of which the issue of the subject rises to the surface, along with its fragmentation and the reconstruction strategies of this latter by contemporary art, and by literature…
Prepared Platform for Contemporary Art France–Italy 2014–2016
initiated by d.c.a / French association for the development of centres d’art
DOUBLE CROSS, FROM BOTH SIDES OF A MOUNTAIN Centre d’art bastille (Grenoble) Viafarini (Milan)
RED SWAN HOTEL Cneai = (Chatou) MACRO (Rome)
GUillaUMe cOnstantin arrOnDir les anGles 17 Mai 2015 05 JUil 2015 en partenariat avec l’esba talM
EXERCIZING DOUBT: EXHIBITION AS RESEARCH Bétonsalon (Paris) Ar/Ge Kunst (Bolzano)
THE BOOK SOCIETY #02 La synagogue de Delme (Delme) Peep-Hole (Milan)
les OctrOis, place cHOiseUl, tOUrs saM - DiM 16H > 19H et en seMaine sUr rDv eternalnetWOrK.Fr Commissaire de l’exposition sandra delaCoUrt. Cette maniFestation reÇoit le soUtien de la Ville de toUrs, de la draC Centre, de la rÉGion Centre, dU dÉpartement d’indre-et-loire et de l’esBa talm VisUel © martin arGyroGlo 2014 CoUrtesy G.Constantin - Galerie Bertrand Grimont GrapHisme HUGo BoUQUard
ALFRED JARRY ARCHIPELAGO Le Quartier (Quimper) La Ferme du Buisson (Noisiel) Museo Marino Marini (Florence)
pianoproject.org
PIANO – ALTO ! Careof DOCVA (Milan) Dolomiti Contemporanee (Casso) Maison des Arts Georges Pompidou (Cajarc) Chapelle Saint-Jacques (Saint-Gaudens) BBB centre d’art (Toulouse)
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Pamela Rosenkranz
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Pamela Rosenkranz — par Aude Launay
1 Du 30 oct 2009 au 6 mars 2010, Istituto Svizzero di Roma, Campo S. Agnese, Venise. 2 Salvatore Lacagnina, « The Courage of the Surface », in Our Sun, catalogue de l’exposition homonyme, Mousse Publishing, p.83-85 : « The thick weft of meanings, the tangle, it was said, of reverberations that links one work to the other, would require thorough descriptions, that involve politics it was said, philosophy, but also the history of the image (each work seems to consciously reactivate artistic languages from the recent past). But it is precisely in the freedom and ambiguity of the surface, if it is true that the content is provisional by definition, that the system activated by Pamela Rosenkranz finds its visual and cognitive completion. » 3 Pavillon suisse, 56e biennale de Venise, du 6 mai au 22 novembre 2015. 4 Cf. Aude Launay, « Des peintures et des hommes : Jason Loebs, Pamela Rosenkranz, Cheyney Thompson » in 02 n°71, automne 2014, p. 26 et, pour une approche plus approfondie, Robin Mackay, « No Core Dump », in Pamela Rosenkranz, No Core, JRP Ringier, 2012, p. 45-53. 5 John Dewey, L’art comme expérience (1931), Farrago, 2005 (traduction française), p.32. 6 Rirkrit Tiravanija, « Une rétrospective, (Tomorrow is another fine day) », musée d’Art Moderne de la Ville de Paris / ARC, du 10 février au 20 mars 2005. 7 Extrait d’un publi-communiqué paru dans ELLE, édition française, 27 mars 2015, p. 167. 8 Description du Samsung Galaxy S4 disponible sur le site web de la marque.
Après « Our Sun1 » il y a déjà cinq ans, qui avait pu être interprétée2 comme un éloge de la surface, Pamela Rosenkranz revient à Venise avec « Our Product3 », une exposition pour le moins atmosphérique qui est pourtant aussi une image forte. Bien que cette installation soit principalement composée de lumière, de couleurs, de sons et d’odeurs, il ne s’agit absolument pas d’une œuvre dématérialisée. Les quelque deux cent quarante mille litres de « produit » contenus dans le grand bassin en lequel a été changée la salle principale du pavillon suisse impressionnent. Ce monochrome « vivant », vaste étendue d’un liquide à la couleur moyenne de la peau des personnes originaires d’Europe centrale, est artificiellement agité de vaguelettes et agrémenté d’un bruit d’eau factice numériquement généré en temps réel. Il atteste la poursuite par la Suissesse de son exploration de l’identité 4 en une dialectique réaffirmée entre surface et profondeur, naturel et synthétique, figurée ici par des oppositions simples — lumière du jour et électrique, rose et vert — mais dont les éléments coexistent et s’interpénètrent par endroits comme pour signaler la possible caducité d’une telle binarité. Manière aussi peut-être d’aborder les questions classiques de caractérisation des monochromes en peinture et de leur classification sous les deux grandes bannières a priori irréconciliables du matérialisme autotélique et du spiritualisme mystique. L’expérience en est ici physique tout autant qu’intellectuelle, renvoyant dos à dos ces considérations pour le moins archaïques afin de mieux évoquer le double mouvement de dissolution et de résistance du moi dans et face à l’œuvre. « Aucune créature ne peut vivre à l’intérieur des limites de son enveloppe cutanée : ses organes sous-cutanés sont des liens avec l’environnement au-delà de son enveloppe corporelle […] La vie et le destin d’un être vivant sont liés à ses échanges avec son environnement, des échanges qui ne sont pas externes mais très intimes.5 » Our Product étend le multi-média par-delà les limites dans lesquelles nous l’entendons habituellement, à savoir que l’installation ne ressortit pas simplement aux catégories auxquelles nous sommes accoutumés, aussi ouvertes soient-elles — et l’on pense alors évidemment en premier lieu à des œuvres de James Turrel (oscillant entre le Veil via le mélange de lumière naturelle et artificielle, le Ganzfeld pour l’immersion dans la couleur, la figure du tunnel semblant confirmer la citation) mais aussi, par exemple, à la rétrospective parisienne de Rirkrit Tiravanija6 dont les scripts récités par des conférenciers et des comédiens, ou encore diffusés dans l’espace, « incarnaient » les œuvres qui n’étaient pas physiquement présentes dans l’exposition, sans oublier Yves Klein, référence récurrente dans le travail de Rosenkranz. Ajoutant en effet à l’expérience physique sollicitant déjà la vue, l’odorat, l’ouïe, et presque le toucher par la sensation immersive qu’elle suscite, Our Product, par son titre même, inclut celui qui y pénètre au cœur d’un concept totalisant. Jouant de l’ambiguïté que recèle parfois la littéralité, Our Product, c’est à la fois « notre produit », du point de vue de tout un chacun, pour autant qu’il soit humain, mais aussi, du point de vue de ses producteurs, celui qui est présenté lors de ce lancement événementiel dont la biennale fait office. L’on peut effectivement parler ici de producteurs car Pamela Rosenkranz, pour sa conception, s’est entourée de spécialistes dans divers domaines dont les parfumeurs Dominique Ropion et Frédéric Malle, le philosophe Robin Mackay… La « stratégie produit » est aussi très poussée, allant même jusqu’à la diffusion d’hormones et de bactéries dans le système d’aération du pavillon pour en optimiser la réception. L’on aura tendance à penser de prime abord que les mots ont pour utilité de rendre le réel plus intelligible. Cependant, et plus particulièrement depuis la fin des années cinquante et les premières incursions du marketing dans la vie quotidienne de ceux que l’on dénomme désormais les « cibles », les mots peuvent aussi, au contraire, être utilisés à des fins d’obscurcissement de ce même réel, notamment dans les domaines technologique et cosmétique (nous nous garderons d’aborder ici le domaine politique qui nous éloigne un tant soit peu de notre sujet, bien qu’il soit plus que riche en exemples adéquats). L’abondance d’appellations techniques et scientifiques dans le discours publicitaire — les AHA, la coenzyme Q10, les micelles, la molécule MG6P « source de bioénergie pré-activée qui booste la synthèse naturelle de collagène et d’élastine7 », mais aussi les smartphones « CPU Quad-Core, 1.9 GHz à écran Super AMOLED, 1920 x 1080 (FHD) avec une résolution de 13 MP8 » — procure au consommateur une sensation de sécurité :
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Pamela Rosenkranz
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moins il comprend les termes utilisés pour le décrire et plus le produit lui semble fiable car à la pointe de la technologie. Tout en permettant à l’entreprise de se prévaloir d’une communication « transparente » quant à la composition de ses produits, cette mise en avant de termes qui ne ressortissent pas au langage commun est aussi une manière de noyer le quidam sous l’information, une information dont il n’a, en fin de compte, pas besoin. Et, bien que les gens aiment à s’approprier les mots savants et que, ainsi qu’aime à le décrire l’anthropologue Éric Chauvier, nous soyons « entrés dans l’ère du langage qualifié pour tous9 », le sens en reste bien souvent obscur. Le nomothète grec s’est reconverti dans le « naming » : désormais, lancer un produit c’est, avant toute chose, lancer son nom. Le tendance d’une adéquation la plus grande possible du nom à la chose en utilisant les caractéristiques techniques d’un produit pour le qualifier — un écran « plasma », une eau démaquillante « micellaire » — dépose sur l’objet un vernis de « vérité ». Un livret10 accompagne Our Product. Ses dix-huit pages offrent une description détaillée des composants supposés former Our Product. D’une très longue liste de termes aux consonances scientifiques et pharmaceutiques qui ouvre et ferme le document en sont donc extraits dix-huit : Neotene, Evoin, Bionin, Umbrotene, Albulis, Solood, Bactis, Refleine, Isolon, Necrion, Elemone, Imersa, Selentis, Vertinel, Holeana, Rilin, Carnaem et Melisone. Les descriptifs des plus plausibles — « Brûlez le surplus. Rilin est un agent qui défie toute description. Il se bat pour nous sans relâche, chasse les agresseurs, élimine les composés organiques volatils qui ralentissent la circulation et restaure notre biome. C’est une sentinelle vigilante dont les agents actifs isolants repoussent sans cesse une large gamme de toxines bioaccumulatives. Une protection maximale pour un progrès optimal. » — aux plus nébuleux (rappelant néanmoins des publicités pour parfums) — « Melisone vous est aussi intime que votre propre nom ou que le nom secret de quelque chose d’encore plus proche de vous, un nom rayonnant qui ne peut qu’être murmuré. Il est en chacun de nous, nous en avons l’absolue certitude, mais nous avons parfois simplement besoin d’en entendre le son. L’on pourrait appeler cela un miracle. » — en passant par les plus troublants — « Carnaem est une bénédiction distillée du plus profond rhizome de la vie humaine. Isotonique au riche sérum ancestral d’hémoglobine qui répare et restructure, c’est l’unique choix pour cultiver la vitalité. C’est comme boire notre propre sang d’un autre temps, resté pur jusqu’au vingt-et-unième siècle, l’absorber c’est le devenir. Une augmentation de la puissance d’oxygénation qui jaillit au cœur. » — se succèdent, élaborant une définition relativement indistincte du produit. Ils semblent s’attacher à circonscrire une idée plus qu’un objet, une sorte de fonction vitale désincarnée, quoique pourvue d’une couleur à la fois transparente et rayonnante.
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Pamela Rosenkranz Our Product, 2015. Vues de l’installation au pavillon suisse de la biennale de Venise, commissariat : Susanne Pfeffer / Installation Views Pavilion of Switzerland at the 56th International Art Exhibition – la Biennale di Venezia 2015, curated by Susanne Pfeffer. Photo : Marc Asekhame.
« surface goes deeper than we think » « relieving us of the chemical burden of our existence » « delivering boundless possibilities » « to bring us back to a world before us »
9 Éric Chauvier, Les mots sans les choses, Allia, 2014, p. 9. Cet essai ne porte pas sur l’appropriation par la population d’un vocabulaire issu du monde publicitaire mais plutôt issu des sciences humaines, c’est-à-dire sur une utilisation dans la conversation courante de termes supposés recouvrir des concepts que les locuteurs ne maîtrisent pas réellement, par exemple ceux de la psychanalyse comme « hystérique » ou « paranoïaque » ou de la sociologie comme « le fait religieux ». 10 Disponible sur www.ourproduct.net 11 Platon, Cratyle, in Œuvres complètes de Platon, Rey et Gravier, 1837, traduction française Victor Cousin, p.8.
Ce texte poétique d’anticipation biologique extrêmement attirant et effrayant à la fois, écrit par l’artiste en collaboration avec Robin Mackay, évoque tout simplement le vivant mais en mieux. Ses promesses d’un idéal de pureté et de progrès sont issues des discours qui nous environnent au quotidien, qu’ils soient publicitaires, médicaux, politiques ou religieux… L’on y retrouve des bribes de slogans qui ont infiltré notre mémoire — notamment celui de l’eau minérale Fiji qui remémorera à ceux qui avaient pu voir « Our Sun » la petite bouteille de cette même marque remplie de silicone teinté chair (Firm Being, 2009) qui ponctuait avec nombre d’autres l’espace de cette exposition —, quelques lapalissades comme « parce que nous sommes la somme des substances qui nous font — et un peu plus », un écologisme parfois primaire, une religiosité non déguisée — « nous nous élevons tous dans la même direction », « l’absorber c’est le devenir » « L’on pourrait appeler cela un miracle ». C’est possiblement aussi ce qui nous reste en tête à la fin d’une journée, exposé que l’on est au tout langagier qui est dorénavant notre lot commun. Qu’est-ce finalement que le produit ? Une sorte d’essence humaine matérialisée, un être liquide qui en appelle tant à la Panthalassa de l’Ère Primaire qu’aux manipulations génétiques à venir. Et toujours cette même question qui subsiste, par-delà l’épaisseur du temps : y-a-t-il une réalité translinguistique ou, autrement formulé, ce que nous entendons par « le monde » existe-t-il sans un sujet pour le nommer ? SOCRATE Voyons, Hermogène, penses-tu aussi que les êtres n’aient qu’une existence relative à l’individu qui les considère, suivant la proposition de Protagoras, que l’homme est la mesure de toutes choses ; de sorte que les objets ne soient pour toi et pour moi que ce qu’ils nous paraissent à chacun de nous individuellement ; ou bien te semble-t-il qu’ils aient en eux-mêmes une certaine réalité fixe et permanente? 11
p.28 & p. 34 Pamela Rosenkranz Our Product, 2015. Pages extraites du livret publié à l’occasion de l’exposition au pavillon suisse de la biennale de Venise 2015 / Pages from the booklet published on the occasion of « Our Product » at the Pavilion of Switzerland at the 56th International Art Exhibition – la Biennale di Venezia 2015. Design : NORM, Zurich.
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Pamela Rosenkranz
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Pamela Rosenkranz
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by Aude Launay
After “Our Sun”1, produced five years ago now, which was described by some2 as a piece in praise of surfaces, Pamela Rosenkranz is back in Venice with “Our Product”3, an exhibition that is nothing if not atmospheric, and yet offering a powerful image, too. Although this installation consists mainly of light, colours, sounds and smells, it is in no way a de-materialized work. The 240,000-odd litres of “product” contained in the large pool, which the Swiss pavilion’s principal room has been turned into, are impressive. This “living” monochrome, a vast expanse of a liquid with the average colour of the skin of people hailing from central Europe, is artificially rippled by small waves and complemented by an artificial noise of water digitally created in real time. It attests to the Swiss artist’s continued exploration of identity4 in a re-asserted dialectic between surface and depth, and the natural and the synthetic, here featured by simple contrasts—daylight and electric light, pink and green—but whose elements co-exist and interpenetrate in places, as if to point to the possible obsolescence of such a binary phenomenon. This is also perhaps a way of addressing the classic issues of characterizing monochromes in painting and their classification under the two great and on the face of it irreconcilable banners of autotelic materialism, that is, with an end purpose per se, and mystical spiritualism. The experience of this, here, is as physical as it is intellectual, dismissing both of these at the very least archaic considerations, the better to conjure up the twofold movement of self-dissolution and self-resistance, within and opposite the work.
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“surface goes deeper than we think” “relieving us of the chemical burden of our existence” “delivering boundless possibilities” “to bring us back to a world before us”
“No creature lives merely under its skin; its subcutaneous organs are means of connection with what lies beyond its bodily frame[…] The career and destiny of a living being are bound up with its interchanges with its environment, not externally but in the most intimate way.” 5 Our Product extends multi-media beyond the boundaries within which we usually understand it, meaning that the installation does not simply pertain to the categories we are accustomed to, no matter how open they may be—and one thus obviously thinks first and foremost of works by James Turrell (wavering between the Veil by way of the mixture of natural and artificial light, and the Ganzfeld for its immersion in colour, with the figure of the tunnel seeming to confirm the quotation), but also, for example, of Rirkrit Tiravanija’s6 Paris retrospective, where the scripts recited by lecturers and actors, or otherwise diffused in space, “incarnated” the works which were not physically on view in the show, and not forgetting Yves Klein, a recurrent reference in Rosenkranz’s work. Actually adding to the physical experience already soliciting the senses of sight, smell and hearing, and almost of touch through the immersive sensation it arouses, Our Product, by its very title, includes anyone who ventures to the heart of an all-encompassing concept. Playing with the ambiguity sometimes contained in literalness, Our Product is at once what it says from everyone’s viewpoint, as long as they are human, but also, from the viewpoint of its producers, the one which is presented on the occasion of the launch event that the biennial is. It is in fact possible to talk here about producers, because, for the occasion, Pamela Rosenkranz has surrounded herself with specialists in various domains for its design, including the perfumers Dominique Ropion and Frédéric Malle, and the philosopher Robin Mackay… The “product strategy” is extremely thorough, even extending to the diffusion of hormones and bacteria in the pavilion’s ventilation system, in order to optimize its reception. There is a tendency to think, at first glance, that the usefulness of words is to make reality more intelligible. However, and in particular since the end of the 1950s and the first forays of marketing in the day-to-day life of those henceforth known as “targets”, words can also, on the contrary, be used for the purpose of obscuring that same reality, especially in the sectors of technology and cosmetics (we shall refrain, here, from broaching the political arena, which would remove us just a tad from our subject, even though it offers plenty of adequate examples). The abundance of technical and scientific terms in the advertising discourse—the AHAs, the coenzyme Q10, micelles, the molecule MG6P “source of pre-activate bio-energy which boosts the natural synthesis of collagen and elastine”,7 but also the Smartphones “CPU Quad-Core, 1.9 GHz with its Super AMOLED screen, 1920 x 1080 (FHD), with a resolution of 13 MP8”— gives consumers a sensation of security: the less they understand the terms used to describe the product, the more reliable it seems, because at the cutting edge of technology. While at the same time permitting
Pamela Rosenkranz
the company to take advantage of a “transparent” communication as far as the composition of its products is concerned, this emphasis on terms which do not pertain to ordinary language is also a way of drowning the individual in information—information which, in the end of the day, he does not need. And even though people enjoy appropriating learned words and, as the anthropologist Eric Chauvier describes it, “we have entered the age of specialist language for one and all”,9 the meaning very often remains obscure. The Greek nomothete retrained into “naming”, and henceforth launching a product is, above all else, launching its name. The tendency towards the greatest possible compatibility between name and thing, by using the technical features of a product to describe it—a “plasma” screen, a “micellar” make-up removing water—, lays a varnish of “truth” over the object. A booklet10 accompanies Our Product. Its eighteen pages offer a detailed description of the components supposed to form Our Product. From a very lengthy list of terms sounding scientific and pharmaceutical, which opens and ends the document, eighteen are thus excerpted: Neotene, Evoin, Bionin, Umbrotene, Albulis, Solood, Bactis, Refleine, Isolon, Necrion, Elemone, Imersa, Selentis, Vertinel, Holeana, Rilin, Carnaem and Melisone. Descriptions ranging from the extremely plausible—“Burn off the surplus. Rilin is an agent that defies description. It fights for us relentlessly, banishing aggressors, purging the volatile organic compounds that impede natural flow, and restoring our biome. A watchful sentinel, its active sequestering agents constantly fend off a broad range of bioaccumulative toxins. Maximum protection for optimal progress” — to the extremely nebulous (nevertheless calling to mind perfume advertisements)— “Melisone feels as intimate as your own name; or another, secret name for something even closer to you, a radiant name that can only be whispered. It’s in all of us, this is our firm belief, but sometimes we just need to hear that sound. You might call it a miracle”—by way of the extremely disturbing—“Carnaem is a benediction distilled from the deepest rootstock of human life. Isotonic to the rich serum of progenitor hemoglobin that repairs and restructures, it is the only choice for the cultivation of vitality. Like drinking our own blood from another time, uncompromised by the twenty-first century, to absorb it is to become it. A surge of aerating potency welling up in the core”— follow one another, developing a relatively vague definition of the product. They seem to be striving to contain an idea rather than an object, a sort of disembodied vital function, though endowed with a colour that is at once transparent and radiant.
Pamela Rosenkranz —
1 From 30 Oct. 2009 to 6 March 2010, Istituto Svizzero di Roma, Campo S. Agnese, Venice. 2 Salvatore Lacagnina, “The Courage of the Surface”, in Our Sun, catalogue for the exhibition of the same name, Mousse Publishing, p.83-85 : “The thick weft of meanings, the tangle, it was said, of reverberations that links one work to the other, would require thorough descriptions, that involve politics it was said, philosophy, but also the history of the image (each work seems to consciously reactivate artistic languages from the recent past). But it is precisely in the freedom and ambiguity of the surface, if it is true that the content is provisional by definition, that the system activated by Pamela Rosenkranz finds its visual and cognitive completion.” 3 Swiss pavilion, 56th Venice Biennale, from 6 May to 22 November 2015. 4 Cf. Aude Launay, “Of Paint and Men: Jason Loebs, Pamela Rosenkranz, Cheyney Thompson” in 02 n°71, autumn 2014, p. 30 and, for a more in-depth approach, Robin Mackay, “No Core Dump”, in Pamela Rosenkranz, No Core, JRP Ringier, 2012, p. 45-53. 5 John Dewey, Art as Experience “The Live Creature” (1934) in The Later Works of John Dewey, 1925-1953, Volume 10:1934, Art as Experience, Southern Illinois University, 1987-2008, p.19. 6 Rirkrit Tiravanija, “Une rétrospective, (Tomorrow is another fine day)”, Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris / ARC, from 10 February to 20 March 2005. 7 Excerpt from a publicity announcement which appeared in ELLE, French edition, 27 March 2015, p. 167. 8 Description of the Samsung Galaxy S4 available on the brand’s website.
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9 Éric Chauvier, Les mots sans les choses, Allia, 2014, p. 9. This essay does not deal with the appropriation by the people of a vocabulary coming from the world of advertising, but one hailing rather from the human sciences, i.e. focusing on a usage in current conversation of terms meant to cover concepts which those speaking do not really master, for example those used in psychoanalysis, such as “hysterical” or “ paranoid”, or in sociology, such as “the religious fact”. 10 Available at www.ourproduct.net 11 Plato, Cratylus, in The collected Dialogues, Princeton University Press, 1961, translated by Benjamin Jowett, p.424.
This biologically anticipatory poetic text, which is both extremely attractive and frightening, written by the artist in collaboration with Robin Mackay, quite simply evokes life, but at its best. Its promises of an ideal of purity and progress result from arguments which surround our everyday lives, be they to do with publicity, medicine and health, politics or religion... In them we find snippets of slogans which have worked their way into our memory—in particular the one about Fiji mineral water which will remind those who managed to see “Our Sun” of the small bottle of that same brand filled with flesh-coloured silicon (Firm Being, 2009), which, together with several others, staked out the space of that exhibition—, a few truisms like “ because we are the sum of the materials that make us – and more”, an at times simplistic ecological sentiment, an undisguised religiosity—“we all rise in the same direction”, “to absorb it is to become”, “you might call it a miracle”. It is possibly also what sticks in our mind at the end of a day, exposed as we are to the linguistic whole which is henceforth our shared lot. What, when all is said and done, is the product? A kind of materialized human essence, a liquid being which summons both the Panthalassa of the Palaeozoic and genetic manipulations to come. And invariably this same question which remains, beyond the depth of time: is there a trans-linguistic reality or, otherwise put, does what we understand by “the world” exist without a subject to name it? SOCRATES But would you say, Hermogenes, that the things differ as the names differ? And are they relative to individuals, as Protagoras tells us? For he says that man is the measure of all things, and that things are to me as they appear to me, and that they are to you as they appear to you. Do you agree with him, or would you say that things have a permanent essence of their own? 11
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28 juin › 1er nov. 2015
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Fiction
Jérémie Gindre
Jérémie
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Gindre Vision de mon cousin Donald —
Quand mon cousin a quitté la maison à dix-sept ans, il n’a pas disparu très loin. On peut même penser que ça ne valait pas la peine de disparaître, si c’était pour aller à Lethbridge. Je m’y suis rendu plusieurs fois au cours de mes années d’université à Medicine Hat, parce qu’il fallait bien aller voir ailleurs de temps en temps. Heureusement Donald avait déjà quitté la ville, ce qui m’a évité de le croiser par hasard et d’être terriblement déçu par la destination de sa fuite. Les deux villes sont sensiblement pareilles : des agglomérations sans caractère posées le long d’une rivière dans la Prairie, qui ne doivent leur existence qu’à un sous-sol généreux et à la résignation des Canadiens. La seule vraie différence, c’est qu’à Lethbridge on aperçoit les premiers contreforts des Montagnes Rocheuses. Après des milliers de kilomètres de plat, à peine rythmés de tremblements, l’horizon se relève brusquement au sud de la frontière du Montana, comme un hoquet géologique. C’est le réveil de la croûte terrestre endormie. Et la première forme que dessine ce soulèvement, c’est Chief Mountain. Tout le temps que mon cousin a passé à Lethbridge, même s’il ne s’agit que d’un an et demi, deux ans grand maximum, il a eu cette proéminence sous les yeux. Et pour quelqu’un qui n’a connu jusque là que les subtiles variations de la plaine, ce pic dressé comme un château a dû rapidement tourner à l’obsession. L’omniprésence de ce volume hirsute représentait une sorte de provocation. L’envie de monter dessus était en tout cas justifiée. La première fois qu’il a essayé d’y aller, il a sûrement été fasciné par la façon qu’a cette montagne de changer de forme, à mesure qu’on s’en approche et qu’on tourne autour. C’est à cause de son relief faussement monolithique, des anomalies de sa structure et des différentes façons dont le soleil éclaire ses flancs.
À plusieurs reprises, il a dû vérifier sur la carte que c’était bien la même. Il n’avait jamais vu de vraie montagne, et les collines sont beaucoup plus accommodantes sur leur image. Pour accéder au versant praticable de Chief Mountain depuis le Canada, il faut passer la frontière et traverser une réserve indienne. Un permis d’accès doit être obtenu, contre dix dollars. Trop de promeneurs laissent traîner leurs déchets, profanent le site avec des beuveries, volent les offrandes qui parsèment le pied de la montagne. On doit aussi donner la raison de sa visite. Donald connaissait bien le caractère sacré de Chief Mountain. Il savait que, jusqu’à un passé récent, son sommet était voué au rite de passage à l’âge adulte des jeunes Blackfoot. Après la diète et la cérémonie dans la hutte de sudation, la tradition voulait que l’adolescent se rende seul en haut de la montagne, nu et porteur d’un crâne de bison. Cette relique devait être déposée face au soleil levant, pour servir d’oreiller et guider la quête de la vision qui aiderait le jeune à orienter sa vie d’adulte. Et Donald s’était dit intéressé par ces crânes de bisons. On lui avait donc refusé l’accès. Il y avait de bonnes raisons de rire au nez d’un Canadien de dix-neuf ans, étudiant en archéologie, qui convoitait des objets rituels. Dans sa grande naïveté, Donald avait insisté sur l’importance qu’il y avait à recenser et dater ces objets, pour valider leur caractère traditionnel et surtout définir l’origine de cette pratique. La deuxième fois il était donc revenu avec une lettre d’un de ses professeurs, attestant que les étudiants de premier cycle étaient astreints à un travail de recherche. Il s’était aussi muni d’un appareil photo sensé prouver qu’il s’était résigné à ne rien prélever sur le site. À nouveau, on lui fit savoir qu’il n’était
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Fiction
pas le bienvenu. Pour plaisanter on lui dit qu’il ferait bien de se soumettre lui-même au rite de passage : c’était de son âge, et ça lui permettrait peut-être de définir un peu mieux les buts de sa vie. Il n’était pas attendu que Donald soit absolument partant. On lui fit savoir que les dernières générations de Blackfoot ne se livraient plus vraiment à ces pratiques et que, pour une personne extérieure, le prix d’une telle cérémonie s’élèverait à mille dollars. Donald négocia jusqu’à six cent, somme que représentait l’appareil photo de l’université. Il lui suffirait ensuite de le déclarer volé. C’était un des premiers modèles numériques du marché, une nouveauté qui permettait d’enregistrer les fichiers-images directement sur disquette. C’est cet avantage qui fit pencher la balance. Donald commença immédiatement le jeûne de purification et campa sur place, au pied de Chief Mountain. Les Blackfoot lui avaient proposé un canapé dans un de leurs mobil-homes, mais il préférait se mettre en condition tout seul. En attendant la cérémonie il faisait des promenades dans la réserve, pour observer les offrandes déposées sur des amoncellements de pierres, au pied des arbres ou dans leurs branches. Il s’agissait de morceaux de tissus colorés, de paquets de cigarettes, de clochettes, de coquillages. Aidé par deux hommes, il coupa et élagua les troncs de douze jeunes saules, qu’il avait d’abord fallut remercier et auxquels on avait expliqué à quoi ils allaient servir, et que d’autres pousseraient bientôt à leur place. Ces troncs furent disposés de façon à supporter un toit fait de bâches et de couvertures, et former ainsi une hutte, dont l’entrée était à l’est. Le lendemain on alluma tôt le matin un grand feu, qui servit à chauffer une quantité de gros galets. On porta ces pierres à l’intérieur de la hutte. De l’eau fut versée dessus. Dehors, Donald tout nu avait été frotté avec des feuilles de sauge et aspergé de terre. Il avait ensuite tourné trois fois autour et pris place dans la hutte, d’un côté du foyer de galets, en face d’un chaman. L’homme agita un bouquet de sauge au-dessus de la vapeur. L’odeur était puissante et il faisait sombre. La peau de Donald ruissela vite de sueur. Le chaman entonna un chant, en frappant sur un tambour les yeux fermés. À intervalles irréguliers il s’arrêtait pour psalmodier, recommençait. Plusieurs fois, d’autres galets brûlants furent ajoutés au foyer. L’éclair du jour par la tente ouverte faisait l’effet d’un lent stroboscope. Le tambour battait aux tympans. À un moment le bouquet de sauge posé sur une pierre commença à se consumer, et l’air devint irrespirable. Personne ne lui avait dit quand il fallait sortir, et mon cousin ne se souvenait ni quand ni comment il avait quitté la hutte. Le soir tombait, il marchait dans une pinède clairsemée, sans chemin. Il était toujours nu, enroulé dans un couverture. Quelqu’un lui avait enfilé ses baskets mais ses lacets étaient défaits. Entre les troncs Donald visait le grand chapeau de Chief Mountain, sans avoir aucune idée de la voie qui le mènerait au sommet. Un instant ça avait l’air facile, l’autre il s’était perdu. Il suffisait de marcher tout droit, par là. Non, demi-tour. Les choses changeaient de place comme si elles s’amusaient. Autour de lui les offrandes suspendues aux branches s’agitaient dans le vent. La montagne se volatilisait et réapparaissait tout près. Ses pas étaient décidés mais son corps hésitant. Il devait aussi s’arrêter souvent pour vomir. Après avoir dormi, il s’était senti mieux. Le jour se levait et les falaises de Chief Mountain rougeoyaient déjà. Il trouva un passage qui paraissait le mener par la main vers le sommet. Porté par les séquelles de son état second, Donald progressa rapidement. Il voyait des visages dans les formes et les ombres des rochers, des figures graves ou bienveillantes. Il voyait
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le paysage se rallonger. Il voyait le dos et le dessus des ailes des oiseaux, qui planaient en contrebas et projetaient leur ombre sur les pentes d’éboulis. Le soleil était très haut quand Donald arriva sur la crête. Elle s’étendait en terre-plein accidenté, aride et lunaire. Un peu partout et à différents stades de décomposition, Donald trouva une grande quantité de crânes de bisons. Il passa un moment à errer sur le plateau, zigzaguant de crâne en crâne, fasciné par cette foule d’orbites creuses et de cornes cassées. Il en avait finalement choisi un au hasard et s’était couché, terrassé par la faim et la fatigue. La tête posée sur cet oreiller rituel, il s’était endormi en plein soleil et réveillé sous la lune. Sa bouche était horriblement sèche et ses lèvres gercées. Étendu sur sa couverture, son corps était découvert. Le vent soufflait, Donald avait froid. En remuant pour se couvrir il avait senti une horrible friction irradier sa peau. Son visage, sa poitrine, son sexe et ses cuisses brûlaient d’un immense coup de soleil. Parcouru des premiers frissons de fièvre il s’était calmé en fixant les étoiles le plus longtemps possible. Son corps s’enfonçait dans le sol, pressé par le flux de leurs rayons. Certaines s’étaient mises à vibrer excessivement, mais c’était normal : des piliers devaient être définis. Ils plongeaient doucement du cosmos, comme d’immenses stalagtites lumineuses. Ce qui était plus inquiétant c’était que les étoiles-commandantes discutent comme ça entre elles, des chuchotis incompréhensibles, des secrets qui concernaient forcément Donald. Petit à petit, il devenait clair qu’elles avaient à son égard de grandes exigences. Ça ne servait à rien d’essayer de leur parler, elles ne se laisseraient jamais convaincre. Le lendemain mon cousin se réveilla à l’aube, ce qui lui permit de soulager son insolation avec des pierres froides. Il lécha aussi toute la rosée qu’il put. Pendant le reste de la matinée il resta assis à l’ombre d’une tourelle rocheuse, mâchonnant des herbes pour distraire sa faim. Il dormit une bonne partie de l’après-midi, d’un sommeil malade. En fin de journée il fit le tour du plateau. Les crânes de bisons s’avérèrent décevants : à part leur disposition régulière face à l’est, leur piteux état de conservation ne permettait de tirer aucune conclusion. En revanche, Donald était ébahi par l’ampleur des points de vue. Le spectacle étranger des Rocheuses, la totalité de la chaîne Lewis, Duck Lake et Goose Lake, le tracé des rivières et des routes. La Prairie était évidemment là, mais à cette hauteur il ne la reconnaissait pas aussi bien qu’il aurait dû. Vue d’ici, son étendue avait quelque chose de catastrophique. Très loin vers l’est, au-dessus d’un cours d’eau qu’il identifia comme la Milk, des éclairs intranuageux clignotaient en silence. La menace d’un orage sur une crête si exposée le rendit impatient de partir. Convaincu par son état de faiblesse plus que par la quête des visions, il passa quand même encore une nuit au sommet. Mais cette fois, plutôt que d’insister avec les crânes de bisons, il s’arrangea un oreiller avec ses baskets. Le troisième jour, comme personne n’était encore venu le chercher, mon cousin redescendit tout seul de la montagne. Arrivé au parc des mobil-homes il demanda à voir le chaman pour obtenir une interprétation de son expérience, mais on lui dit qu’il était en séance au bureau des affaires indiennes et serait absent pour la journée. Donald récupéra ses habits chez l’un des hommes qui l’avaient aidé à construire la hutte. L’homme lui proposa de prendre une douche et de le rejoindre dans la cuisine, où il lui prépara des œufs. En mangeant un paquet entier de pain de mie, Donald discuta avec lui de sa vision, des piliers célestes et des étoiles qui complotaient. L’homme estima que les signes n’étaient pas très clairs, et lui conseilla sobrement de poursuivre sa quête.
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Gindre My Cousin Donald’s Vision —
When my cousin left home at the age of 17, he did not go very far. One might even be forgiven for thinking that it was not really worth the trouble of disappearing, if it was just to go to Lethbridge. I went there several times during my university years at Medicine Hat College, because it was important to see somewhere else from time to time. Luckily Donald had already left the city, which meant I would not bump into him by chance, and be terribly disappointed to discover his destination. The two cities are quite alike: characterless built-up areas lying along a river in the Prairie, which owe their existence to nothing more than a generous subsoil and the resignation of Canadians. The only real difference is that, in Lethbridge, you can glimpse the first spurs of the Rockies. After thousands of flat miles, barely punctuated by tremors, the horizon rises up abruptly south of the Montana border, like a geological hiccup. This is the awakening of the slumbering earth’s crust. And the first shape that this upheaval forms is Chief Mountain. Throughout the time my cousin spent in Lethbridge, even if it was only a year and a half, two at the most, he had this protuberance before his eyes. And for someone who, up until then, had only known the subtle variations of the plains, that peak soaring skywards like a castle must quickly have become an obsession. That hirsute omnipresent volume represented a kind of provocation. The desire to climb up it was in any case justified. The first time he tried to go there, he was certainly fascinated by the way that mountain can change shape, as you approach it and go round it. This is due to its falsely monolithic relief, anomalies in its structure, and the different ways the sun lights up its slopes. On several occasions he had to check on the map that it was indeed the same mountain. He had never seen a real mountain, and hills are much more obliging with their image. To reach Chief Mountain’s accessible side from Canada you have to cross the border and go through an Indian reservation. You have to get a permit, which costs $10. Too many hikers leave their rubbish behind, desecrate the site with drinking binges, and steal the offerings scattered at the foot of the mountain. We should also explain the reason for his visit. Donald was well aware of the sacred character of Chief Mountain. He knew that, until quite recently, its summit was sacred in the coming-of-age rite of passage of young Blackfoot men. After the fasting and the ceremony in the sweat lodge,
tradition dictated that the adolescent should climb alone to the top of the mountain, naked and carrying a bison’s skull. This relic had to be placed facing the rising sun, acting as a pillow and guiding the quest for vision which would help the young man to give direction to his adult life. And Donald had expressed an interest in those bison skulls. As a result, he had been refused access. There were good reasons for laughing in the face of a 19-year-old Canadian, studying archaeology, who coveted ritual objects. In his great naivety, Donald had gone on about the importance of listing and dating those objects, to confirm their traditional character and, above all, define the origin of that practice. So the second time he returned bearing a letter from one of his professors, certifying that first year students had to have a field research. He also had a camera with him, which was meant to prove that he agreed not to remove anything from the site. Once again, they let him know that he was not welcome. As a joke, they told him it would be a good idea if he underwent the rite of passage himself: he was the right age, and that would perhaps help him define the goals of his life a bit better. They did not expect Donald to be so completely game. They told him that the last few generations of Blackfoot no longer really got involved in those practices, and that, for someone from outside, the price for such a ceremony was $1000. Donald got them down to $600, the price of the university’s camera. All he would have to do was say it had been stolen. It was one of the first digital models on the market, a novelty that made it possible to record image-files straight on a floppy disk. It was that advantage which tipped the scales. Right away, Donald started the purifying fast and camped on the spot, at the foot of Chief Mountain. The Blackfoot offered him a sofa in one of their mobile homes, but he preferred to prepare himself on his own. While he waited for the ceremony, he took walks in the reservation, noting the offerings placed on small piles of stones, at the foot of trees, or in their branches. The offerings were bits of coloured fabric, packets of cigarettes, small bells, and shells. Helped by two men, he felled and pruned twelve young willows, which he had first had to thank, explaining what they were going to be used for, and that others would soon grow where they had stood. Those trunks were arranged in such a way as to support a roof made of tarpaulins and blankets, thus creating a hut, with its entrance to the east. Early next day, a large fire was lit, and used for heating many large stones. Those stones were carried inside
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the hut. Water was poured over them. Outside, stark naked, Donald had been rubbed with sage leaves and sprinkled with earth. He had then spun round three times, and taken his place inside the hut, beside the hearth of stones, facing a shaman. The man waved a bunch of sage above the steam. The smell was strong and it was dark. Donald’s skin was soon dripping with sweat. The shaman started chanting, beating on a drum, eyes closed. At irregular intervals he stopped to drone, and then started chanting again. Several times, more burning stones were added to the hearth. The daylight coming through the door had the effect of a slow stroboscope. The drum hurt his eardrums. At one moment, the bunch of sage placed on a stone started to burn, and the air became stifling. No one had told him when to go outside, and my cousin could not remember when or how he had left the sweatlodge. Night was falling as he walked through a sparse pine wood, where there were no paths. He was still naked, wrapped in a blanket. Someone had put his sneakers on for him, but the laces were undone. Between the tree trunks Donald could see the great hat of Chief Mountain but he had no idea what trail would take him to the top. One moment it looked easy, the next he felt lost. All he had to do was walk straight ahead, that way. No, he retraced his steps. Things changed places as if they were having fun. Around him offerings hanging from branches swung in the wind. The mountain vanished and then re-appeared, very close. His steps were resolute, but his body was hesitant. He also often had to stop to vomit. After sleeping, he felt better. The day was dawning and the crags of Chief Mountain were already turning red. He found a path which seemed to pull him by the hand towards the summit. Borne along by the after-effects of his daze-like state, Donald advanced fast. He saw faces in the shapes and shadows of rocks, figures which were solemn, or kindly. He saw the landscape lengthen. He saw the backs and the tops of the wings of birds gliding below him, casting their shadows on the scree-filled slopes. The sun was very high when Donald reached the ridge. It stretched away through a hilly expanse, arid and lunar. Here, there and everywhere, and in differing stages of decomposition, Donald found a large number of bison skulls. For a moment he wandered over the plateau, zigzagging from skull to skull, fascinated by that throng of hollow eye sockets and broken horns. He finally chose one at random and lay down, overcome by hunger and tiredness. With his head on that ritual pillar, he fell asleep in the sun, and woke up beneath the moon. His mouth was horribly dry and his lips chapped. Lying on his blanket, his body was uncovered. The wind blew, Donald was cold.
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As he moved about to cover himself, he felt a nasty rubbing sensation spread across his skin. His face, chest, genitals and thighs were all scorched by sunburn. After the first feverish shivers, he calmed down by staring at the stars for as long as possible. His body sunk into the ground, squeezed by the flow of their rays. Some of them had started fiercely vibrating, but that was normal: pillars had to be defined. They dived slowly from the cosmos, like huge glowing stalagtites. What was more disconcerting was that the stars in command should talk like that among themselves, incomprehensible whisperings, secrets which had to do with Donald. Little by little it became obvious that they had great demands in his regard. It served no purpose to try and talk to them, they would never let themselves be persuaded. Next day my cousin awoke at dawn, which meant that he could relieve his sunstroke with cold stones. He also licked up all the dew he could. For the remainder of the morning he stayed sitting in the shade of a turret of rock, chewing grass to relieve his hunger. He slept for much of the afternoon, a sick sleep. At the end of the day he walked round the plateau. The bison skulls turned out to be disappointing: apart from their regular arrangement facing east, their pitiful state of conservation meant that no conclusions could be made. On the other hand, Donald was astounded by the range of viewpoints. The strange spectacle of the Rockies, the entire Lewis Range, Duck Lake and Goose Lake, the courses of rivers and roads. The Prairie was obviously there, but at that height he did not recognize it as well as he should have. Seen from here, the expanse of it could make one think of a disaster. Far off to the east, above a river that he identified as the Milk, there were silent flashes of lightning between the clouds. The threat of a storm on such an exposed ridge made him impatient to leave. But all the same he spent another night at the summit, persuaded to do so by his weak state more than the quest for visions. But this time, rather than insisting on bison skulls, he made a pillow for himself with his sneakers. On the third day, since nobody had as yet come looking for him, my cousin climbed back down the mountain on his own. When he reached the mobile home park, he asked to see the shaman for an interpretation of his experience, but he was told the shaman was at a meeting at the Bureau of Indian Affairs, and would be away the whole day. Donald retrieved the clothes he had left with one of the men who had helped him make the lodge. The man invited him to have a shower and join him in the kitchen, where he cooked eggs. While he scoffed a whole pack of white bread, Donald told him about his vision, the celestial pillars and the stars plotting. The man thought that the signs were not very clear, and soberly advised him to continue his quest.
Salvatore Arancio « Une taxonomie des sens et des formes » Exposition du 29 mai au 9 août 2015
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Laëtitia Badaut Haussmann My Dreams Dictate My Reality — par Antoine Marchand Laëtitia Badaut Haussmann A Program II, 2014. Photographie de la performance / Picture from the performance Prod. biennale de Belleville 3 Courtesy Laëtitia Badaut Haussmann ; Galerie Allen, Paris.
1 « L’homme qui en savait trop », entretien de Jean-Luc Godard avec Samuel Blumenfeld, Christian Fevret et Serge Kaganski, in Les Inrockuptibles n°49, septembre 1993, pp. 75-82. 2 A Program (2013), biennale Hospitalités, Val-de-Marne, 22 juin 2013, commissariat : MAC/VAL. 3 A Program #2 (2014), biennale de Belleville 3, Paris, 12 octobre 2014, commissariat : Patrice Joly. 4 « Mélodies en sous-sol », La Maison Populaire, Montreuil, du 15 janvier au 30 mars 2013, commissariat : Raphaël Brunel, Antoine Marchand, Anne-Lou Vicente.
Ce qui interpelle d’emblée lorsque l’on découvre le travail de Laëtitia Badaut Haussmann, c’est à quel point cette dernière maîtrise l’histoire et les vocabulaires cinématographique, littéraire, architectural ou du design, qu’elle entremêle régulièrement dans sa pratique. Ainsi du jeune garçon qui frappe une balle indéfiniment contre un mur dans Tiebreaker (2010), où transparaît une réflexion sur l’épuisement des images, tout en illustrant une phrase prononcée par Godard lors d’une interview — « J’adore le tennis, je peux regarder un gamin de douze ans taper pendant deux heures la balle contre un mur 1 ». Ainsi également de cette parabole sur l’apprentissage qu’est And again and again and again (2012), vidéo dans laquelle un danseur répète perpétuellement le même mouvement jusqu’à l’étourdissement, sensation renforcée par le travelling circulaire incessant. En s’emparant de la sorte de ces formes et théories pour les mettre au service de son propre travail, Laëtitia Badaut Haussmann tend à déconstruire les codes narratifs « classiques ». Toutefois, loin d’une démonstration spectaculaire ou grandiloquente, elle cherche plutôt à instaurer une ambiance, une atmosphère singulière, propice à l’abandon et à la rêverie. Les termes de réminiscence, d’influence, d’apparition ou de dérive sont régulièrement employés pour qualifier son travail, et témoignent de cette volonté d’emmener le spectateur vers un ailleurs où la fiction prendrait insidieusement le pas sur la réalité. L’artiste travaille sur les formes du récit, ce que l’on donne à voir et à entendre, dans une tentative de révélation d’un potentiel narratif insoupçonné, l’espace d’exposition devenant un lieu d’affranchissement et de sublimation du réel. De dérive, il est d’ailleurs question dans A Program (2013)2 et A Program #2 (2014)3, autres exemples
significatifs des croisements et hybridations opérés par l’artiste. Laëtitia Badaut Haussmann a en effet entrepris ces dernières années un travail qui relève de la performance, qu’elle qualifie de « déambulation cinématographique ». Ces pérégrinations dans des zones périurbaines, périphériques — du pavillon Carré de Baudouin au quartier Croix de Chavaux ou dans divers quartiers de Vitry-sur-Seine —, sont ponctuées d’interventions de personnages anonymes rappelant des figures de la Nouvelle Vague, de furtives séquences fictionnelles qui viennent s’insérer dans le quotidien pour mieux le perturber, l’« augmenter », d’une certaine manière, tout en révélant ces quartiers habituellement délaissés, proches de l’univers de J.G. Ballard ou de David Cronenberg. Cette imbrication de plusieurs schémas narratifs se retrouve dans sa volonté quasi systématique de répondre à un contexte et à une situation spécifiques, qu’ils soient étroitement liés au lieu de présentation des œuvres, à une rencontre ou à un endroit découvert lors de recherches préliminaires. Travaillant à la manière d’une archéologue ou d’une anthropologue, Laëtitia Badaut Haussmann exhume des moments d’histoire, comme dans l’installation We wish we could have gone on that journey (2013), présentée dans « Mélodies en sous-sol », premier volet du cycle « Le tamis et le sable » à la Maison Populaire de Montreuil4. Cette accumulation d’assises rudimentaires — réalisées d’après l’autoprogettazione, système de construction de meubles pensé par Enzo Mari en 1974 — fait écho à l’histoire d’Émile Méreaux, fondateur, à la fin du xixe siècle à Montreuil, d’une communauté anarchiste cherchant à développer des logiques alternatives d’échanges économiques sur la base d’une coopérative de production de meubles, et instigateur, quelques
5 « … C’est ainsi que finit le monde. Pas sur un Bang, sur un murmure », Transpalette, Bourges, du 1er juillet au 20 août 2011, avec Julie Béna et Claire Trotignon, commissariat : Jérôme Cotinet-Alphaize et Damien Sausset. 6 « L’influence de Neptune », centre d’art contemporain Passerelle à Brest, du 7 février au 2 mai 2015, commissariat : Étienne Bernard. 7 « When the Sun and Neptune, » Zoo galerie, Nantes, du 16 mai au 4 juillet 2015, commissariat : Patrice Joly.
années plus tard, des Soirées ouvrières de la première Université populaire de la ville. De la même manière, lors de l’exposition « … C’est ainsi que finit le monde. Pas sur un Bang, sur un murmure5 », l’artiste est allée fouiller dans les archives de l’association Emmetrop, à Bourges, pour en exhumer des affiches de concert qu’elle a ensuite recadrées et agrandies au format poster, proposant d’ériger les figures du rock alternatif aux rangs d’icônes (These are the days that matter [2011]). Enfin, dans ce qui reste l’un de ses projets emblématiques, lors de l’exposition « Dynasty » en 2011 au Palais de Tokyo et au musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, elle s’est intéressée à l’histoire pour le moins atypique de ces deux bâtiments et à certaines de leurs attributions précédentes : lieu de stockage de pianos confisqués par les nazis aux familles juives déportées pour le premier, et ambassade de Pologne pour le second (No one returns et No one returns II [2010]). Sa récente exposition au centre d’art contemporain Passerelle, à Brest, intitulée « L’influence de Neptune6 », était construite selon le même principe. À l’origine du projet, un lieu brestois mythique, Le Vauban, hôtel et salle de concert ouvert dans les années 1950, au potentiel de projection certain. Suite à la découverte de cet établissement lors d’un séjour dans la ville du Ponant, Laëtitia Badaut Haussmann a conçu un projet qui convoque donc ce haut lieu de la vie nocturne bretonne mais également les deux figures iconiques que sont Jean Genet et Rainer Werner Fassbinder — auteurs respectivement de Querelle de Brest et Querelle, son adaptation cinématographique —, ainsi que des figures du modernisme et du fonctionnalisme, d’Eileen Grey à Joe Colombo. Toutefois, loin d’un « simple » hommage ou d’une pratique relevant de l’appropriation ou de la citation, l’artiste s’est emparée de ces différents éléments pour mieux les transcender, écrire une partition, un cheminement, qui fait exposition et instaure une ambiance tout à fait singulière, l’espace
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industriel de Passerelle se transformant pour quelques mois en un intérieur moderniste, plongé dans une semi-obscurité. Avec « L’influence de Neptune », Laëtitia Badaut Haussmann est parvenue à un équilibre rare, une alchimie entre les éléments réunis qui a quelque chose de l’ordre de l’irrationnel — sentiment renforcé par la connotation mystique du titre —, donnant l’impression d’arpenter une seule et même installation, contenant à la fois l’amorce, l’exploration et la poursuite du récit. Les différentes œuvres se répondent — les paravents de verre (Lee filters almost [2015]) semblent apparaître dans les variations lumineuses du film qui donne son titre à l’exposition, les assises et luminaires disposés ça et là paraissent tout droit sortis des images encadrées aux murs (Maison française, une collection [2012-2014]) — sans qu’aucune d’elles ne prenne le pas sur les autres. Elles ne sont pas la simple illustration d’une idée mais bien son incarnation, une mise en forme parfois lacunaire mais fidèle aux désirs de l’artiste. La sculpture qui ouvre l’exposition (Sans titre (l’amour est plus froid que la mort) [2015]) est d’ailleurs emblématique de ces croisements et autres frictions : il s’agit d’une pièce de tissu torsadée en une forme à la fois extrêmement sobre et organique représentant un nœud, tel un objet charnière, un nœud de sens qui parviendrait à lier l’ensemble des œuvres réunies tout en faisant écho à Genet, le noir et le velours rappelant à la fois le deuil et le désir, deux états omniprésents dans son texte. Extrêmement protéiforme, la pratique de Laëtitia Badaut Haussmann ne s’appréhende pourtant réellement que dans son ensemble. Elle est à envisager comme un seul et même corpus qui se développe au fil des années et des projets réalisés, chacun d’eux venant répondre au précédent et l’enrichir, en permettre une nouvelle lecture. Son dernier projet en date, « When the Sun and Neptune 7 », présenté à Zoo galerie à Nantes, en est une illustration fidèle. L’artiste convoque ici une autre figure littéraire majeure en la personne de Robert Louis Stevenson, au travers de cette citation : « dans la pièce où l’écrivain travaille, il devrait toujours y avoir une table recouverte de cartes, de plans d’architectes et de livres de voyages, une seconde table où il écrit et une troisième qui devrait toujours rester vide ». Cette sentence, riche de promesses, se veut le point de départ de l’exposition, à la fois l’énoncé de sa résolution formelle, le prétexte à une proposition sur les liens entre littérature et architecture — la page blanche, le white cube — et une réflexion sur l’espace à dimensions multiples qu’est un texte. Ce faisant, Laëtitia Badaut Haussmann prolonge ce jeu de rappels et de croisements, l’exposition nantaise étant pensée comme une postface à son pendant brestois. Outre le clin d’œil du titre, on y retrouve en effet cette volonté de répondre à la singularité d’un lieu donné par un aménagement spécifique, son intérêt pour le passage du temps, l’accumulation de différentes strates narratives et la mise en place d’un contexte, d’un dispositif, plutôt que la résolution claire d’une problématique.
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A Laëtitia Badaut Haussmann A Program, 2013. Photographie de la performance / Picture from the performance Avec / with Lola Peploe et Clément Allanic. Prod. Le Crédac, Ivry-sur-Seine, MAC/VAL, Vitry-sur-Seine, Galerie Jean-Collet, Vitry-sur-Seine Courtesy Laëtitia Badaut Haussmann ; Galerie Allen, Paris
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B Laëtitia Badaut Haussmann « When the Sun and Neptune », 2015. Vue de l’exposition à / View of the exhibition at Zoo galerie, Nantes. Photo : William Simon. C&D Laëtitia Badaut Haussmann « L’influence de Neptune », 2015. Vue de l’exposition à / View of the exhibition at Passerelle, centre d’art contemporain, Brest. Photo : Aurélien Mole.
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1 « L’homme qui en savait trop », interview with Jean-Luc Godard by Samuel Blumenfeld, Christian Fevret and Serge Kaganski, in Les Inrockuptibles n°49, September 1993, pp. 75-82. 2 A Program (2013), biennale Hospitalités, Val-de-Marne, 22 June 2013, curated by: MAC/VAL. 3 A Program #2 (2014), biennale de Belleville 3, Paris, 12 October 2014, curated by: Patrice Joly. 4 « Mélodies en sous-sol », La Maison Populaire, Montreuil, from 15 January to 30 March 2013, curated by: Raphaël Brunel, Antoine Marchand, Anne-Lou Vicente. 5 « … C’est ainsi que finit le monde. Pas sur un Bang, sur un murmure », Transpalette, Bourges, from 1 July to 20 August 2011, with Julie Béna and Claire Trotignon, curated by: Jérôme Cotinet-Alphaize et Damien Sausset.
What instantly calls out to you when you discover Laëtitia Badaut Haussmann’s work is the degree to which she masters the history and vocabularies of film, literature, architecture and design, all of which she regularly intermingles in her praxis. A good example of this is the small boy endlessly throwing a ball against a wall in Tiebreaker (2010), where a line of thinking shows through which has to do with the exhaustion of images, while at the same time illustrating words uttered by Godard during an interview—“I love tennis, I can watch a 12-year-old kid hitting the ball against a wall for two hours”.1 Another similar example is the parable about apprenticeship and learning of And again and again and again (2012), a video in which a dancer repeats the same movement over and over again until he is giddy, a sensation heightened by the ceaseless circular tracking shot. By thus appropriating these forms and theories for use in her own work, Laëtitia Badaut Haussmann tends to deconstruct “classical” narrative codes. But well removed from any spectacular and grandiloquent, she tries rather to introduce an ambience, an unusual atmosphere, favourable to abandonment and daydreaming. The terms reminiscence, influence, appearance and drift are regularly used to describe her work, and attest to that desire to take the spectator towards somewhere else where fiction insidiously takes precedence over reality. The artist works on narrative forms, things that are offered to the eye and the ear, in an attempt to reveal an unsuspected narrative potential, with the exhibition venue becoming a place which emancipates and sublimates reality. Drift is what is involved in A Program (2013)2 and A Program #2 (2014)3, other significant examples of the overlaps and hybridizations executed by the artist. In the past few years, Laëtitia Badaut Haussmann has in fact undertaken
projects which stem from performance, and which she describes as “cinematographic strolls”. These wanderings in peri-urban and peripheral zones—from the Pavillon Carré de Baudouin to the Croix de Chavaux neighbourhood and various parts of Vitry-sur-Seine—are punctuated by interventions by anonymous characters calling New Wave figures to mind, furtive fictional sequences which work their way into the daily round, the better to disturb it and, in a way, “augment” it, while revealing these usually neglected districts which are close to J.G.Ballard’s world, or David Cronenberg’s. This dovetailing of several narrative plans is also to be found in her almost systematic desire to respond to a specific context and situation, to an encounter or a place discovered during preliminary research. Working like an archaeologist or an anthropologist, Laëtitia Badaut Haussmann exhumes moments of history, as in the installation We wish we could have gone on that journey (2013), shown in “Mélodies en sous-sol”, the first part of the cycle Le tamis et le sable at the Maison Populaire in Montreuil.4 This accumulation of rudimentary seats—produced on the basis of autoprogettazione, a system for making furniture devised by Enzo Mari in 1974—echoes the story of Emile Méreaux, founder, at the end of the 19th century of an anarchist community in Montreuil seeking to develop alternative systems of logic governing economic exchanges based on a furniture-manufacturing cooperative, and instigator, a few years later, of the “Soirées ouvrières” [literally: Working-class Evenings] at the city’s Université Populaire. Similarly, for the exhibition titled “…C’est ainsi que finit le monde. Pas sur un bang, sur un murmure” (2013),5 the artist went rummaging around in the archives of the Emmetrop Association in Bourges, exhuming concert advertisements
6 « L’influence de Neptune », centre d’art contemporain Passerelle in Brest, from 7 February to 2 May 2015, curated by: Étienne Bernard. 7 « When the Sun and Neptune, » Zoo galerie, Nantes, from 16 May to 4 July 2015, curated by: Patrice Joly.
Laëtitia Badaut Haussmann A Program, 2013. Photographie de la performance / Picture from the performance Avec Lola Peploe et Clément Allanic. Prod. Le Crédac, Ivry-sur-Seine, MAC/VAL, Vitry-sur-Seine, Galerie Jean-Collet, Vitry-sur-Seine Courtesy Laëtitia Badaut Haussmann ; Galerie Allen, Paris
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which she then re-framed and blew up to poster size, proposing to promote alternative rock figures to the rank of icons (These are the days that matter (2011)). Lastly, in what is still one of her emblematic projects, at the exhibition “Dynasty” held in 2011 at the Palais de Tokyo and at the City of Paris Museum of Modern Art, her interest lay in the nothing if not atypical history of those two buildings and some of their earlier functions: respectively, a storage place for pianos confiscated by the Nazis from deported Jewish families, and the Polish embassy (No one returns and No one returns II (2010)). Her recent show at the Passerelle Contemporary Art Centre in Brest, titled “L’Influence de Neptune”6, was constructed on the same principle. At the root of the project lay a mythical Brest landmark, “Le Vauban”, a hotel and concert hall opened in the 1950s, with a certain projection potential. Following the discovery of this establishment during a stay in the western city, Laëtitia Badaut Haussmann came up with a project that thus involves not only this hub of Breton night life, but also those two iconic figures, Jean Genet and Rainer Werner Fassbinder—authors, respectively, of Querelle de Brest and Querelle, its film adaptation—, as well as figures of modernism and functionalism, ranging from Eileen Grey to Joe Colombo. However, far from being a “simple” homage or a praxis resulting from appropriation and quotation, the artist has taken over these different elements the better to transcend them, and write a score and a movement, acting as an exhibition and introducing an altogether unusual ambience, with the Passerelle industrial area being turned for a few months into a modernist interior, plunged in semi-darkness. With “L’Influence de Neptune”, Laëtitia Badaut Haussmann has attained a rare equilibrium, an alchemy between the elements brought together with something irrational about it—a feeling bolstered by the title’s mystical connotation—, giving the impression of crossing one and the same installation, containing at once the start, the exploration and the pursuit of the narrative. The different works talk to each
Laëtitia Badaut Haussmann
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other—the glass screens (Lee filters almost (2015)) seem to appear in the luminous variations of the film after which the exhibition is named, and the seats and lights arranged here and there seem to be straight out of the framed images on the walls (Maison française, une collection (2012-2014))—but none of them holds sway over the others. They are not the mere illustration of an idea, but rather its incarnation, an at times incomplete formation but one that is faithful to the artist’s desires. The sculpture which opens the show (Sans titre (l’amour est plus froid que la mort) (2015)) is furthermore emblematic of these overlaps and other frictions: what is involved is a piece of fabric twisted into a form that is both extremely sober and organic, representing a knot, like a pivotal object, a knot of meaning which might manage to connect all the works brought together while at the same time echoing Genet, with the black and the velvet calling to mind both mourning and desire, two states that are ubiquitous in his text. But Laëtitia Badaut Haussmann’s extremely multi-facetted praxis can only really be grasped in its entirety. It has to be seen as one and the same corpus which has been developed over the years, from one project to the next, with each one of them responding to the previous one and enriching it, and permitting a new reading. Her last project to date, “When the Sun and Neptune,”7 presented at Zoo Galerie in Nantes, is a faithful illustration of this. Here the artist summons up another major literary figure in the person of Robert Louis Stevenson, by way of this quotation: “…in the room where the writer works, there should always be a table covered with maps, architect’s plans and travel books, a second table where he writes, and a third which must always stay empty”. This sentence, rich in promise, is intended to be the exhibition’s starting point, at once the statement of its formal resolution, the pretext for a proposition about the links between literature and architecture—the blank page, the white cube—and a way of thinking about that space with many different dimensions, otherwise known as a text. In so doing, Laëtitia Badaut Haussmann prolongs this game of reminders and overlaps, the exhibition in Nantes being conceived as a postface to its counterpart in Brest. Beyond the title’s allusion, we actually find in it that desire to respond to the unusualness of a given place through a specific arrangement, an interest in the passage of time, the accumulation of different narrative layers, and the introduction of a context and a system, rather than the clear resolution of a set of issues.
18th July – 1st November 2015
Camille Blatrix No School
#noschool
In collaboration with:
Camille Blatrix is the winner of the Ricard Foundation Prize 2014. With thanks to Balice Hertling, Paris
18th July – 1st November 2015
Women’s Art Society II Participating artists: Cornelia Baltes, Sol Calero, Ditte Gantriis, Lydia Gifford, May Hands, Jamian Juliano-Villani, Ella Kruglyanskaya, Shani Rhys James, Caragh Thuring #womensartsociety2
MOSTYN 12 Vaughan Street Llandudno LL30 1AB Wales UK +44 (0)1492 879 201 mostyn.org C
Camille Blatrix, NiNa, 2014
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@mostyn_wales_ mostyn mostyngallery
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TRIENNALE-VENDOME.FR Rémi Boinot
Saâdane Afif Quentin Aurat & Émilie Pouzet
Karine Bonneval Thierry-Loïc Boussard Baptiste Brévart & Guillaume Ettlinger
Bernard Calet Combey Pion Sanjin Cosabic Mathieu Dufois Galerie du Cartable Geoffroy Gross Hayoun Kwon
EXPOSITIONS Jeffrey Poirier / Galerie RDV du 7 au 30/05 Frédérique Laliberté et Philippe Lauzier / APO-33 du 22 au 31/05 Richard Martel / Paradise workshop les 16, 17 et 18/06 et performance le 19/06 Frédérique Hamelin / Paradise performance le 19/06 Charles-Étienne Brochu et Josiane Roberge / Dulcie Galerie du 1er au 12/07 Diane Landry / Le lieu unique du 3/07 au 30/08 Jocelyn Robert / Musée des Beaux-Arts de Nantes du 3/07 au 30/08 Aux mois d’octobre et de novembre, des artistes français seront reçus à Québec par Avatar, l’Œil de Poisson, Le Lieu, la Galerie des arts visuels de l’Université Laval et Manif d’art.
Une initiative de
MELLE 2015
VII Biennale Internationale d’art contemporain e
Julien Blaine • Karine Bonneval • Patricia Cartereau • Gilles Clément • Pascal Colrat & Alain Cugno • Olivier Darné & le Parti Poétique • Ramesh Hengadi • Kôichi Kurita • Nicolas Kozakis & Raoul Vaneigem • Manuela Marques •
Jardiniers terrestres Jardiniers célestes Jivya Soma Mashe • Balou Jivya Mashe • Laurent Millet • Oscar Muñoz • Dominique Robin • Marie-Monique Robin • Florian de la Salle • Sylvain Soussan • Yuriko Takagi • Reena Umbersada Valvi • ANIL VANGAD • Bill Viola •
Du 4 juillet au 27 septembre tous les jours de 13h15 à 19h sauf le lundi • Entrée libre • Extension de la Biennale à niort, Saint-Martin-lès-Melle, La Mothe-Saint-Héray et au Zoodyssée de Chizé
biennale-melle.fr
Direction artistique : Dominique Truco Design graphique : Mahaut Clément et Clarisse Lochmann
Nils Guadagnin
Seba Lallemand
Olivier Leroi
UNE PRODUCTION TRANSPALETTE-CENTRE D'ART/ EMMETROP
Monsieur Plume & IncoNito
Cécile Le Talec Marie Losier
LA TRIENNALE DE VENDÔME 25 ARTISTES CONTEMPORAINS DE LA RÉGION CENTRE-VAL DE LOIRE DU 23/05-2015 AU 31/ 10-2015 MANÈGE ROCHAMBEAU – MUSÉE DE VENDÔME Malik Nejmi
Jérôme Poret Catherine Radosa Massinissa Selmani
Dorothy-Shoes
Mario D’Souza
Fabian Marti J’ai dit : tais-toi accélérationniste ! 27 juin–30 août 2015 Exposition ouverte du mardi au dimanche, de 14h à 19h et sur rendez-vous. Fermeture le 14 juillet 2015. Parc Saint Léger, Centre d’art contemporain Avenue Conti 58 320 Pougues-les-Eaux (F( +33 (0(3 86 90 96 60 www.parcsaintleger.fr Le Parc Saint Léger, Centre d’art contemporain est soutenu par le Ministère de la Culture et de la CommunicationDRAC Bourgogne, la Région Bourgogne, le Conseil Départemental de la Nièvre et la Ville de Pougues-les-Eaux. L’exposition bénéficie du soutien de Pro Helvetia, Fondation suisse pour la culture.
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L’abstraction géométrique belge
28.06 / 29.11. 2015 VERNISSAGE SAMEDI 27 JUIN 18h Partie historique / Marcel-Louis Baugniet, Gaston Bertrand, Pol Bury, Jo Delahaut, Marthe Donas, Francis Dusépulchre, PierreLouis Flouquet, Henri Gabriel, Paul Joostens, Walter Leblanc, Karel Maes, Jean-Pierre Maury, Jozef Peeters, Victor Servranckx, Michel Seuphor, Guy Vanderbranden, Georges Vantongerloo, Léon Wuidar. Partie contemporaine / Ann Veronica Janssens, Bas Ketelaars, Pieter Vermeersch.
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Espace de l’Art Concret - centre d’art contemporain
Château de Mouans 06370 Mouans-Sartoux I T. 04 93 75 71 50 I S. www.espacedelartconcret.fr
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L’Espace de l’Art Concret bénéficie du soutien du ministère de la Culture et de la Communication, DRAC PACA, de la Ville de Mouans-Sartoux, du conseil régional Provence-Alpes-Côte d’Azur et du Département des Alpes Maritimes.
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saison iconographe 2014/15
du 25 juin au 20 septembre 2015 vernissage le 25 juin à 18h Haris Epaminonda & Daniel Gustav Cramer, The Infinite Library
Les images constellantes, Aurélien Froment, Ryan Gander, Luis Jacob, Alexandra Leykauf, Benoît Maire, Jonathan Monk, Sara VanDerBeek Pierre Leguillon, La Promesse de l’écran, franchise à la carte
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JÉRÉMIE GINDRE 12 JUIN > 16 AOÛT 2015
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Christophe Daviet-Théry, Je déballe ma bibliothèque - re(composition)
centre d’art contemporain parc montessuit, 12 rue de genève, 74100 annemasse www.villaduparc.org
La Criée Centre d’art Contemporain Place Honoré Commeurec - halles centrales - 35000 Rennes - 02 23 62 25 10 - www.criee.org Entrée libre et gratuite - Mardi au vendredi 12h-19h - Samedi et dimanche 14h-19h Ouvert le 14 juillet et le 15 août 2015 - Fermé le lundi. Identité visuelle © Lieux Communs
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Interview
Guillaume Désanges
Guillaume
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Désanges
Interview
Pouvez-nous nous dire comment est né ce projet autour de l’histoire des luttes politiques et de leur archivage filmique, amateur et / ou autre ? Le contexte pour le moins marqué socialement de la Seine Saint-Denis en est-il à l’origine ?
—
Ce projet est né d’une commande de la Seine-Saint-Denis de réaliser une exposition avec leur collection d’art vidéo. En réponse, je leur ai fait une contre-proposition plus intuitive, qui était de travailler des formes militantes, liées aux luttes politiques et sociales du vingtième siècle, en cherchant, localement et ailleurs, pas seulement des films, mais aussi des œuvres et des documents. Bien entendu le contexte spécifique du 93 était inspirant : je connaissais déjà la Seine-Saint-Denis pour y avoir travaillé plusieurs années et l’existence d’œuvres du réalisme socialiste français, plutôt rares, qui m’avaient intéressé. À partir de là, j’ai démarré « à l’aveugle », sans idées précises de ce que j’allais trouver, ni même chercher, à partir de fonds institutionnels (Parti Communiste Français, CGT, Musée d’Art et d’Histoire, musée de l’Histoire vivante, Archives départementales du 93, Institut CGT d’Histoire Sociale) mais aussi privés (le fonds SLON/ISKRA créé par Chris Marker et Inger Servolin) et beaucoup d’autres sources qui m’ont permis de composer librement ces deux expositions. Le propos était de figurer des interactions multiples entre industrie, immigration, luttes sociales, urbanisme et situation postcoloniale dans une sorte de rythme cyclique passant d’élans idéalistes à des humeurs crépusculaires.
entretien avec Patrice Joly
Vue de l’exposition / View of the exhibition : « Or il fut un temps où le passé était présent », Chapelle Vidéo 2015, Saint-Denis, musée d’art et d’histoire. Photo : Christophe Delory. © Christophe Delory ; Département de Seine-Saint-Denis.
Le caractère cyclique des luttes auquel vous faites référence dans le texte de présentation fait état d’une récurrence des mouvements sociaux. Cette temporalité n’est-elle pas en train de disparaître suite à l’essor récent du néolibéralisme, à la perte d’influence des syndicats, au déclin de la culture ouvrière et au désintéressement de la population pour les conflits sociaux, voire à leur rejet intégral ?
Invité par le musée d’Art et d’Histoire de Saint-Denis au sein du programme Chapelle Vidéo, Guillaume Désanges a produit une exposition en deux volets intitulée « Ma’aminim » dont le second, « Or il fut un temps passé où le futur était présent », vient de s’achever. Plutôt que de s’en tenir à une mise en valeur des riches collections du fonds départemental, le commissaire a préféré piocher dans le vaste réservoir de productions en tous genres que recèle le territoire ô combien « rouge » de la petite couronne, fortement marqué par les mouvements sociaux qui ont rythmé son histoire. Il en résulte une proposition qui fait la part belle aux documents et aux œuvres filmiques tout en ménageant une large place aux nouvelles formes d’engagement et à leurs pendants artistiques. Le parti pris déambulatoire de l’exposition qui offre aux visiteurs le loisir de se promener à l’intérieur d’une diversité de formes et de formats ne laisse pas d’interroger la persistance et l’évolution des esthétiques de la lutte, leur relatif déclin ou leur capacité à se réinventer. Entretien avec un curateur qui se garde de toute propension à la nostalgie et qui, au contraire, préfère appréhender le devenir de ces formes sous un angle résolument critique et prospectif.
1 « Formes de lutte et lutte de formes – Pièges du formatage ou promesses de la forme ? » / Coordinateurs : Jean-Louis Comolli, Patrick Leboutte, Marie-José Mondzain. http://www.vacarme.org/IMG/ doc/Formes_de_lutte_et_lutte_ de_formes.doc
Je pense que les énergies de la lutte sociale, peut-être parfois un peu assoupies, restent prêtes à se réactiver et à se réincarner dans des formes nouvelles à chaque génération. Je ne crois pas que ces forces-là s’arrêtent, même s’il y a eu dans l’histoire des moments d’action collective particulièrement actifs et visibles. Il ne faut pas être nostalgique mais plutôt les observer pour en désigner les possibilités de renaissance. Par ailleurs, les syndicats et les forces politiques n’ont pas l’apanage de la lutte. C’est pourquoi, dans l’exposition, il y a beaucoup d’objets issus de mouvements autonomes, et même parfois non directement politiques, de Kiki Picasso aux altermondialistes en passant par les Bérurier Noir. Ce faisant, c’est une résistance avec un grand R, pas une « résistance à » mais une résistance tout court, intransitive, globale, qui domine ces expositions. Une élection prioritaire de la lutte plus qu’une sélection de luttes prioritaires.
Guillaume Désanges
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Il y a cependant un fort sentiment de nostalgie qui se dégage de l’exposition « Or il fut un temps passé où le futur était présent », comme si la grande époque de la lutte (ou de la Résistance) — avec tout le lyrisme et l’expressionnisme qui l’accompagnent — était un peu derrière nous, mais peut-être que la présence de nombreuses archives filmiques (noir et blanc oblige) accentue cette impression. Quelle place avez-vous donnée aux mouvements plus proches et aux médiums qui leur correspondent (les films réalisés avec des smartphones, la présence des réseaux sociaux, etc.) ?
Il y a une période, relativement limitée entre la fin des années 1960 et le début des années 1980, où le cinéma militant a traversé une phase collective qui a donné des formes particulièrement fortes, à la fois poétiques et politiques, et où, comme l’a dit si justement Patrick Leboutte, « les formes de luttes » sont inséparables de « luttes de formes »1. Il est vrai que cette période fascinante constitue le cœur des deux expositions, dû au contenu des archives que j’avais à disposition et à la difficulté de trouver aujourd’hui un tel souffle brûlant à la croisée des terrains politiques et esthétiques. Maintenant, j’espère que l’on peut regarder ces formes sans nostalgie (c’est précisément ce que j’ai voulu éviter), mais plutôt de manière critique et spéculative. À savoir, tenter de voir ce que sont devenus ces questionnements et s’il y a un moyen de les réactiver pour les sens et l’intelligence d’aujourd’hui. La présence de Jean-Gabriel Périot, un cinéaste contemporain qui invoque la forme des « cinétracts » en les actualisant, un peu à la manière dont le penseur libanais Jalal Toufic dit qu’il faut ressusciter le document même s’il est encore présent, ou du collectif Getaway qui va explorer certains angles morts de l’histoire en statuant que « d’autres passés sont possibles », vont, il me semble dans ce sens. Plutôt que la nostalgie, je ne cacherai pas que c’est un certain sentiment d’amertume, de fièvre « noire » et de mauvais présage que j’ai tenté de figurer dans la seconde exposition de manière métaphorique, avec la présence de Soleil Noir de Jean-Luc Moulène, les nuées formidables d’oiseau migrateurs extraites du Bruit du canon de Marie Voignier ou les peintures inquiétantes de Toyen et Jean Amblard. Dans le texte de présentation de « Ma’aminim », vous dites que les mouvements sociaux doivent s’incarner dans une esthétique, faute de quoi ils se retrouvent orphelins et risquent de manquer leur objectif, de se déliter. Dans « Or il fut un temps où le futur était présent », l’exposition se pratique plus comme une déambulation libre à travers un choix de documents à activer soi-même que comme une exposition classique avec un itinéraire balisé. Cet aspect « à la carte » renvoie à l’atomisation des mouvements de « résistance », à leur extrême diversité. Cela dit, cette approche pointe également le problème d’une unité esthétique : il est difficile de percevoir dans le présent de la lutte cette unité que vous estimez nécessaire à son identification et, par-delà,
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Interview
à sa reconnaissance. La comparaison avec les archives cinématographiques qui abondent dans l’exposition met en lumière cet état de fait. Peut-on parler de crise de la représentation ?
Les mouvements politiques s’incarnent dans des esthétiques qui sont diverses, même s’il y a eu en effet des moments de grâce où l’action et la réflexion, parce qu’elles étaient collectives, ont produit des formes reconnaissables. C’est par exemple le cas des films distribués par SLON/ISKRA, dont certains, bien que réalisés par des auteurs différents, usent d’une grammaire filmique commune, dans une esthétique de l’urgence et de l’efficacité proche des magnifiques « cinétracts ». C’est aussi le cas d’un certain type de montages à la fois pop et violents qu’on trouve en Amérique latine, chez Fernando Solanas, mais aussi dans ce film rare de João Trevisan montré dans l’exposition, et retrouvé grâce à Catherine Roudé. Alors oui, il semble que ces principes collectifs qui envisageaient une remise en cause à la fois des esthétiques, des moyens de production et des modes de distribution du cinéma ont disparu à cette échelle. Crise de la représentation je ne sais pas, mais atomisation certainement. J’aime penser l’histoire de la représentation des luttes politiques après les années 1960 sous la forme de l’« anabase », une sorte de retour parfois erratique d’un front de guerre perdu où différents groupes prennent des chemins divergents après le grand rassemblement. C’est d’ailleurs un peu la thèse du livre de Razmig Keucheyan, Hémisphère gauche2, qui m’a beaucoup intéressé. Curatorialement, j’ai parié sur une continuité organique de ces manifestations hétérogènes sous le règne de la croyance. Ce qui est montré est une famille « recomposée » qui expose des tensions et dessine une nébuleuse cognitive et affective plus qu’une grille analytique ou esthétique. Comme dans toute exposition collective, il y a pour moi un ordre poétique et narratif plus que discursif à l’œuvre, d’où cette idée de déambulation libre, de liens invisibles et de ruptures formelles. N’avez vous pas tenté avec ces deux expositions de réactiver la dimension politique au sein de l’art (contemporain) ? Se réclamer de ce passé n’est-il pas la meilleure manière de tenter de réinjecter de la politique sur une scène d’où elle s’est largement absentée, du moins dans ses formes les plus frontales ?
2 Hémisphère gauche. Une cartographie des nouvelles pensées critiques, Paris, La Découverte, coll. Zones, 2010.
Oui, c’est une motivation subliminale de ce programme : tenter, en convoquant ces formes militantes, de réactiver des désirs et des passions pour ces questions au sein de l’art. Car si la plupart des films et objets montrés dans l’exposition ne sont pas redevables de l’art contemporain, c’est dans un régime de l’art que je les ai replacés, et c’est de cet endroit que je les observe et les remontre. Ceci afin de toucher tous les publics, y compris celui de l’art. Je pense que c’est mon objectif en tant que commissaire de faire remonter à la surface ces formes du passé, non pas dans une logique archéologique morbide mais pour voir comment elles peuvent de nouveau agir et créer
Guillaume Désanges
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des relations, éveiller des consciences et des désirs. C’est en tout cas ainsi qu’elles agissent sur moi. On se méfie beaucoup aujourd’hui de l’art « militant », car on sait les contradictions, les impasses et les insuffisances qu’il a suscité au sein des générations passées. Entre esthétique et politique, il y a une longue histoire d’espoirs déçus et de trahisons réciproques, qui a laissé parfois un goût amer. Pourtant, il y a eu des moments où la radicalité politique était associée à une radicalité formelle, dans une intensité commune qui renforçait l’une et l’autre. Par ailleurs, il faut admettre que certaines contradictions sont belles, dignes et fécondes, que ce soient celles des artistes ou celles des militants. Jean-Luc Godard exprime très frontalement ces impasses et ces apories, entre sublime et ridicule, dès la fin des années 1960, avant même la création du groupe Dziga Vertov. Est-ce le même type de contradictions qui anime la carrière d’un curateur quand il passe de la défense d’une scène militante, underground, populaire, à la programmation d’un espace très représentatif de l’emprise actuelle des grandes marques sur la scène de l’art contemporain, en l’occurrence celui de la Verrière Hermès à Bruxelles dont vous assurez le commissariat ?
C’est différent, d’abord, car je ne considère pas ces expositions comme relevant d’un acte militant, mais d’un horizon curatorial. Par ailleurs, je vois mes différentes activités comme des compléments d’engagement au sein de l’art contemporain qui, s’ils sont bien négociés, peuvent se nourrir l’un l’autre. Des contextes de monstration certes éloignés ne sont pas étanches. Par exemple, Nil Yalter, artiste féministe engagée dans des questions politiques et sociales aussi bien que formelles et qui était présente dans les expositions de Seine-Saint-Denis est invitée pour un solo à la Verrière à la rentrée 2015. Ce lieu me permet d’offrir aux artistes des moyens de production et des temporalités de travail plus longues pour des expériences, parfois risquées, qui pourront par la suite exister dans d’autres contextes. Pouvoir s’engager à différentes échelles, différentes temporalités, différents formats, dans divers contextes économiques tout en tâchant de garder une intensité critique, une exigence et une liberté curatoriale, est une chance que l’on m’a donnée. Je crois même que ces enjeux ont intéressé la Fondation Hermès lorsqu’elle m’a contacté. Elle implique une certaine responsabilité et une vigilance pour assurer l’intégrité de son projet curatorial, mais cette exigence existe toujours, pour chaque projet, aussi bien dans l’institution publique que privée.
Guillaume Désanges
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A&C Vues de l’exposition / Views of the exhibition : « Or il fut un temps où le passé était présent », Chapelle Vidéo 2015, Saint-Denis, musée d’art et d’histoire. Photo : Christophe Delory. © Christophe Delory ; Département de Seine-Saint-Denis. B Jean-Luc Moulène Au premier plan / Front : Cigarettes Courtesy Jean-Luc Moulène. Au mur / On the wall : La Cartouche de Pantinoises Usine des Tabacs de Pantin, SEITA, 1982-1983, de la série / from the série : 39 objets de grève, 1999. Collection départementale d’art contemporain de la Seine-Saint-Denis © ADAGP
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Interview
Could you tell us how this project about the history of political struggles and their recording on film, amateur and/or other, came into being? Does the context of Seine-Saint-Denis, which, to say the least, has a distinct social element, lie at the root of it?
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This project is the result of a commission from Seine-Saint-Denis to put on an exhibition using their video art collection. In response to it, I made them a more intuitive counter-proposal working with militant forms, associated with the political and social struggles of the 20th century, and seeking out, both locally and elsewhere, not only films, but other works and documents, too. Needless to say, the specific “93” context [93 being the number of the Seine-Saint-Denis département] was inspiring. I was already acquainted with Seine-Saint-Denis by having worked there for several years, and I knew about the existence, for example, of somewhat rare works of French social realism, which I’d found interesting. Based on that, I started out “blindfold”, without any precise ideas about what I might find, or even look for, using institutional collections (the French Communist Party, the CGT trade union, the Museum of Art and History, the Museum of Living History, the “93” Departmental Archives, the CGT Institute of Social History) but also private collections (the SLON/ISKRA fund created by Chris Marker and Inger Servolin) and lots of other sources which enabled me to put together these two shows the way I wanted to. The idea was to feature the many different interactions between industry, immigration, social struggles, urban development, and the post-colonial situation, in a kind of cyclical rhythm, shifting from idealistic outbursts to twilight moods.
in conversation with Patrice Joly
At the invitation of the Museum of Art and History in Saint-Denis, as part of the Chapelle Vidéo programme, Guillaume Désanges has come up with a two-part exhibition titled “Ma’aminim”, whose second part, “Or il fut un temps passé où le futur était present” [There was a past time where the future was present], has just been completed. Rather than confine himself to highlighting the rich collections of the departmental art fund, the curator has preferred to delve into the vast trove of works of all sorts contained in the oh-so-“red” territory of the suburbs adjacent to and ringing Paris, greatly marked by the social movements which have marked their history. The result is a proposal which gives pride of place to documents and films, while at the same time making plenty of room for new forms of commitment and their artistic counterparts. The exhibition, offering visitors a chance to walk at their leisure inside a diverse range of forms and formats, questions the persistence and development of the aesthetics of the struggle, together with their relative decline and their capacity for re-invention. There follows an interview with a curator who is wary of any inclination to nostalgia, and who, on the contrary, prefers to grasp the future making of these forms from a decidedly critical and forward-looking angle.
The cyclical character of the struggles you refer to in the introductory essay describes a recurrence of social movements. Isn’t this time-frame in the process of disappearing following the recent upsurge of neo-liberalism, the trade unions’ loss of influence, the decline of working-class culture, and people’s lack of interest in social conflicts, not to say their complete rejection of them?
Vue de l’exposition / View of the exhibition : « Or il fut un temps où le passé était présent », Chapelle Vidéo 2015, Saint-Denis, musée d’art et d’histoire. Photo : Christophe Delory. © Christophe Delory ; Département de Seine-Saint-Denis.
1 “Formes de lutte et lutte de formes – Pièges du formatage ou promesses de la forme?” / Coordinators: Jean-Louis Comolli, Patrick Leboutte, Marie-José Mondzain. http://www.vacarme.org/IMG/ doc/Formes_de_lutte_et_lutte_ de_formes.doc
I think that the energies of the social struggle, which may perhaps have become a little dulled at times, are still ready to be rekindled and reincarnated in new forms with every generation. I don’t think that these particular forces just come to a standstill, even if history has seen certain especially active and visible moments of collective action. We mustn’t be nostalgic; rather, we must take a look at those moments to detect further possibilities of revival. What’s more, trade unions and political forces don’t have a monopoly on the struggle. This is why, in the exhibition, there are lots of objects hailing from autonomous movements, which, at times, are not even directly political, from Kiki Picasso to the anti-globalists, by way of the Bérurier Noir punk band. As such, there’s a resistance with a capital R, not “resistance to”, but just resistance, period, intransitive and global, which dominates these exhibitions. A priority election of struggle rather than a selection of priority struggles.
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There is, nevertheless, a powerful sense of nostalgia released by the exhibition “Or il fut un temps passé où le futur était present”, as if the great age of struggle (or Resistance)—with all the lyricism and expressionism going hand-in-hand with it—was a bit behind us, but perhaps the presence of many film archives (black-and-white oblige) heightens this impression. What place have you given to movements closer to us, and to the media which correspond to them (films made with smartphones, the presence of social networks, and so on)? There was a relatively limited period between the end of the 1960s and the early 1980s when militant cinema went through a collective phase which produced particularly powerful forms, both poetic and political, and during which, as Patrick Leboutte has so rightly put it, “forms of struggles” are inseparable from “struggles of forms”.1 It’s true that that fascinating period forms the core of the two shows, because of the content of the archives I had at my disposal, and the difficulty, nowadays, of finding such an impassioned spirit at the crossroads of the political and aesthetic arenas. Now I hope that it’s possible to look at those forms without any nostalgia (that’s precisely what I was keen to avoid), but rather in a critical and speculative way. Meaning, trying to see what has become of those questions, and whether there’s a way of rekindling them for today’s senses and intelligence. The presence of Jean-Gabriel Périot, a contemporary film-maker who refers to the form of “cinetracts” by updating them, a bit like the Lebanese thinker Jafal Toufic saying that it’s important to revive the document itself, if it’s still present, and the Getaway collective exploring certain blind spots of history and pronouncing that “other pasts are possible”, are all heading in this direction, it seems to me. Rather than nostalgia, I won’t hide the fact that there’s a certain feeling of bitterness, “dark” fever and ill omen that I’ve tried to portray in the second show in a metaphorical way, with the presence of Jean-Luc Moulène’s Soleil Noir, Marie Voignier’s tremendous swarms of migrating birds in Le bruit du canon, and the disquieting paintings of Toyen and Jean Amblard. In the introductory essay for “Ma’aminin”, you say that social movements should be incarnated in an aesthetic, without which they end up orphaned and risk missing their target, and crumbling. In “Or il fut un temps passé où le futur était present”, the exhibition comes across more like an unrestricted stroll through a selection of documents to be activated by yourself, rather than like a classic show with a well marked out itinerary. This flexible “à la carte”-like aspect refers to the smithereening of “resistance” movements, and their extreme diversity. This said, this approach also pinpoints the problem of an aesthetic unity: in the present state of the struggle it’s hard to see that unity which you reckon to be necessary for its identification and, beyond that, its recognition. The comparison with the film archives which are plentiful in the exhibition sheds light on this state
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of things. Can we talk in terms of a crisis of representation?
Political movements are incarnated in aesthetics which are different, even if there have in fact been moments of grace where, by being collective, action and reflection have produced recognizable forms. This is so, for example, with the films distributed by SLON/ISKRA, some of which, though made by different auteurs, make use of a common film grammar, in an aesthetics of urgency and efficiency akin to the magnificent “cinetracts”. This is also the case with a certain type of montage, at once pop and violent, to be found in South America, with Fernando Solanas, but also in that rare film by João Trevisan, on view in the exhibition, and rediscovered by Catherine Roudé. So yes, it would seem that those collective principles which saw a challenge both to aesthetics, means of production and methods of film distribution have all disappeared on that scale. Crisis of representation… I’m not sure, but a smithereening, definitely. I like thinking about the history of representing political struggles after the 1960s in the form of “anabasis”, a kind of at times erratic comeback of a lost war front where different groups take diverging paths after the great coming-together. This, incidentally, is a bit the thesis of Razmig Keucheyan’s book Hémisphère gauche,2 which I found very interesting. In a curatorial sense, I’ve betted on an organic continuity of those heterogeneous events in the reign of belief. What is shown is a family “put back together again”, which displays tensions and traces a cognitive and affective nebula rather than an analytical and aesthetic grid. As in any group show, for me there’s a poetic and narrative order at work more than a discursive one, whence this idea of unrestricted strolling, invisible links, and formal breaks. In these two shows, haven’t you tried to rekindle the political dimension within (contemporary) art? Isn’t invoking that past the best way of trying to re-inject politics into a scene which has been considerably abandoned by politics, at least in its most head-on forms?
2 Hémisphère gauche. Une cartographie des nouvelles pensées critiques, Paris, La Découverte, coll. Zones, 2010.
Yes, there’s a subliminal motivation behind this programme: by summoning these militant forms, trying to rekindle desires and passions for these issues within art. Because if most of the films and objects on view in the exhibition are not indebted to contemporary art, I’ve re-placed them within an art system, and it’s from that place that I observe them and re-show them. This is in order to touch all kinds of public, including the art public. I think that it’s my goal, as curator, to bring these forms of the past back to the surface, not in a morbid archaeological logic, but to see how they can once again act and create relations, and awaken consciousness and desire. This, in any event, is how they act on me. These days, people are very suspicious of “militant” art, because we’re acquainted with the contradictions, dead ends and shortcomings it’s given rise to in past generations. Somewhere between aesthetics and politics, there’s a lengthy history of dashed hopes and mutual
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betrayals, which has sometimes left a bitter taste. But there have been moments when political radicalness is associated with a formal radicalness, in a shared intensity that’s bolstered both. It has to be admitted, furthermore, that some contradictions are beautiful, dignified and fruitful, whether they involve artists or activists. In the late 1960s, in a very direct way, Jean-Luc Godard expressed these dead ends and these contradictions, somewhere between the sublime and the ridiculous, even before the Dziga Vertov group was created. Is it the same type of contradictions that inform the career of a curator when he moves from defending a militant, underground, popular scene to the programming of a space that’s very representative of the present-day ascendancy of major brands in the contemporary art scene, in this instance the Verrière Hermès in Brussels, where you’re the curator?
First of all, it’s different, because I don’t regard these exhibitions as resulting from a militant act, but from a curatorial horizon. What’s more, I see my different activities as complementary involvements within contemporary art, which, if well negotiated, can nurture each other. Contexts of display which are albeit distant are not watertight. For example, Nil Yalter, a feminist artist involved with political and social as well as formal issues, who was there in the Seine-Saint-Denis shows, is being invited for a solo show at La Verrière in autumn 2015. That venue enables me to offer artists means of production and longer working time-frames for at times risky experiments which will subsequently be able to exist in other contexts. Being in a position to be involved on different scales, in different time-frames and different formats, and in different economic contexts, while at the same time trying to remain critically intense, demanding, and curatorially free, is a chance I’ve been offered. I even think that these challenges interested the Fondation Hermès when they contacted me. A certain responsibility is implicit, and making sure of the integrity of one’s curatorial project, but such demands always exist, for every project, be it in public institutions, or private ones.
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La troisième édition de la triennale du New Museum, « Surround Audience », invite cinquante-et-un artistes originaires du monde entier à traiter de leur position dans la société et dans le monde, dans ce qui est décrit comme un besoin urgent de ré-identification au cœur d’un environnement socioéconomique et politique en perpétuelle mutation. De la poésie à la réalité virtuelle interactive en passant par des performances à Central Park et ailleurs, la curatrice Lauren Cornell et l’artiste Ryan Trecartin ont tenté de réunir toutes les disciplines, tous les médiums et tous les types d’expérience visuelle et interactive dans l’enceinte du musée et au-delà. Dans une tentative de dépeindre des cadres sociopolitiques spécifiques via une grande diversité de pratiques, le cinquième étage du musée regroupe des témoignages en provenance d’Angola, du Caire et d’Israël qui apportent un commentaire sur leurs conditions culturelles actuelles respectives. Rusty Mirage (The City Skyline) de Kiluanji Kia Henda fait en cela forte impression : ses photographies en noir et blanc figurent des installations géométriques vides qui dessinent les contours de gratte-ciel dans les déserts de Jordanie et des Émirats arabes unis. Ces formes modernistes creuses témoignent d’une désillusion face à la croissance économique rapide entraînée par les investisseurs étrangers à Luanda et dans d’autres villes au développement similaire, tout en créant des parallèles avec la tradition locale des « sona », ces dessins tracés à même le sable, conférant à l’œuvre une allure plutôt poétique. Le quatrième étage, qui est une réussite curatoriale, développe un peu plus ce même thème en présentant des œuvres qui semblent dialoguer les unes avec les autres autour de la question de la recherche de l’identité personnelle dans la structure mondialisée du développement technologique et socio-économique. Les meilleurs exemples en sont peut-être les broderies de Verena Dengler (Sponsors, Untitled et Performance Proletarians) dans lesquelles l’artisanat traditionnel rencontre la culture contemporaine en un commentaire de l’impact du progrès technologique sur la civilisation. La vidéo d’Oliver Laric suit sensiblement la même ligne, son usage de séquences animées soulignant cet effet via les mutations infligées à ses personnages. Quant aux subtiles structures géométriques de José León Cerrillo qui parsèment l’espace, elles créent l’impression d’une immersion et d’une exploration réellement incarnée, changeant la dimension conceptuelle en une expérience intime. À la différence de l’étage précédent, le troisième propose une concentration d’installations d’envergure qui résulte, pour le visiteur, en l’expérience d’un espace bruyant mais à la tonalité plus simpliste. Ressemblant plus à une galerie marchande qu’à une galerie d’exposition du fait de l’absence de thème fédérateur et d’un manque cruel de dialogue entre les œuvres, il entraîne ces dernières dans une lutte pour être correctement perçues au milieu de la cacophonie visuelle et sonore. Untitled, la vidéo de Shadi Habib Allah — absolument sans rapport avec les œuvres avoisinantes — se présente comme l’étude d’une culture marginalisée et le témoignage des forces de la globalisation à l’œuvre dans une réalité toute autre que celle que nous avons tendance à fantasmer au sujet de la vie des Bédouins d’Égypte. L’artiste s’est infiltré clandestinement dans leur communauté pendant de longs mois au risque de sa vie, et en a retiré un récit poignant de la terrible situation d’un symbole culturel, sans en tirer aucune déduction anthropologique, comme seul un artiste pouvait le faire. S’attachant au thème du progrès dans notre civilisation en relation à la nature et à l’environnement, le deuxième étage explore l’impact de ce développement sur l’espace social et public. Les œuvres les plus remarquables sont alors celles de Frank Benson
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Surround Audience
Surround Audience
par Maria Nicolacopoulou
by Maria Nicolacopoulou
Triennale du New Museum, New York, du 25 février au 24 mai 2015*
New Museum Triennial, New York, from 25 February to 24 May 2015*
Frank Benson, Juliana, 2015. Painted Accura® Xtreme Plastic rapid prototype, 137,2 × 122 × 61 cm. Courtesy Frank Benson ; Sadie Coles, London; Andrew Kreps Gallery, New York. 2015 TRIENNIAL : “Surround Audience”. Courtesy New Museum, New York. Photo: Benoit Pailley.
(Juliana), reconfiguration d’une forme humaine en un être de métal virtuel hyperréaliste ; d’Eduardo Navarro (Timeless Alex), dont la performance à Central Park et le costume de tortue demandent avec humour la reconsidération de la vitesse dans notre monde numérique contemporain ; et de Daniel Steegmann Mangrane, dont le Phantom en réalité virtuelle offre une expérience immersive dans la forêt tropicale brésilienne et rehausse l’approche de la question de la subjectivité mise en œuvre à cet étage. Puis l’exposition aboutit, au premier étage, à un commentaire de notre relation à la culture matérielle avec l’Island de DIS et les pièces de Lisa Holzer (But yes, but yes! et Garage Picture) dans lesquelles la matérialité se mue en forme vivante dont l’imposante présence fait allusion aux luttes de pouvoir sous-jacentes dans la culture consumériste. Malgré une sélection d’artistes de tous horizons géographiques et générationnels et une analyse relativement complète de ses questionnementsclés, « Surround Audience » est victime de la tendance contagieuse de l’Occident à exposer les autres cultures de manière unidimensionnelle. Dans le débat actuel sur les conditions de monstration des cultures étrangères, il est essentiel de justifier de critères de diversité non-occidentale dans l’approche curatoriale qui définissent les identités culturelles et l’historicité des lieux par-delà l’apparente continuité, pour introduire et représenter des sujets sensibles à l’extérieur. Il ne nous reste plus qu’à déterminer dans quelle perspective se place cette exposition… * Partiellement visible jusqu’au 6 juillet.
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The New Museum’s third iteration of its Triennial, “Surround Audience,” invites fifty-one artists from around the world to discuss their position in society and the world, as that is interpreted and represented via an urgent need to re-identify oneself within a constantly changing socioeconomic and political backdrop. From poetry and interactive virtual reality to performances at Central Park and off-site travel, curator Lauren Cornell and artist Ryan Trecartin have attempted to incorporate all disciplines, mediums and genres of visual and interactive experience within the boundaries of the museum and beyond. With an attempt to portray local sociopolitical settings, through the use and manipulation of diverse mediums and materials, the fifth floor of the museum encompasses testimonies from Angola, Cairo and Israel, as commentaries on the specificity of their ongoing cultural conditions. Special impact is made by Kiluanji Kia Henda’s Rusty Mirage (The City Skyline) where in black and white photographs, empty geometrical installations are installed in the desert of Jordan and the UAE, as outlines of skyscrapers. These hollow modernist shapes testify to the disillusionment of neoliberalism’s rapid economic growth by foreign investors, in Luanda and other similar developing cities, while creating parallels with the local tradition of sand designs, known as “sona,” bestowing on the work a poetic allure. The fourth floor, which also serves as a curatorial success, further elaborates on that theme by presenting works in a conversation surrounding the search of one’s identity within the global structure of technological and socioeconomic development. Notable examples are Verena Dengler’s embroidered Sponsors, Untitled and Performance Proletarians where traditional craft meets contemporary culture to comment on the degree of impact that technological progress has on civilization. The same line is followed by Oliver Laric’s Untitled video, where animated clips are used to underline that effect, via the mutation of its characters. Also characteristic are Jose Leon Cerrillo’s seamlessly subtle geometric structures, found throughout the space, which create a sense of immersion and embodied personal exploration of the prevailing theme, tieing the conceptual to an intimate experience. Unlike the fourth floor, the third floor’s busy concentration of large-scale installations leads to a disambiguous result and a noisy experience. Alluding more to an arcade than a gallery, in combination with the absence of a prevailing theme, the lack of dialogue here forces the works to struggle for an orderly arrangement amongst things that are disconnected. Shadi Habib Allah’s Untitled video, disconnected from the surrounding works, stands out as a study of a marginalized culture and a testimony to the forces of globalization. The 18min video portrays the raw reality behind the otherwise romanticized lives of the Bedouins in Egypt, as documented under unorthodox circumstances. With the artist having been smuggled into their community for prolonged periods of time and putting his life at risk, we stand witness to a visceral account of the dire sociopolitical circumstances of a culture-symbol, as that could only be achieved via an artistic viewpoint, free from anthropological inferences.
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With a theme alluding to the progress of our civilization in relation to our natural environment, the second floor explores the impact of that development on social and public space. Notable works here range from Frank Benson’s Juliana, as the reconfiguration of a human form as a virtual metallic hyperreal being, to Eduardo Navarro’s Timeless Alex tortoise costume and Central Park’s performance, dealing with the reconsideration of our contemporary digital pace. Daniel Steegmann Mangrane’s virtual reality Phantom further enhances the theme by offering an immersive experience in a Brazilian rainforest and completing the floor’s approach to the subjectivity of our existence. By commenting on our relationship to material culture, the exhibition concludes on the first floor with DIS’s Island installation and Lisa Holzer’s But yes, but yes! and Garage Picture where we find materiality transgressing into live form, with a dominating presence, alluding to the underlying power struggle of consumerist culture. Despite the all-encompassing generational and geographical spread of the selected artists, and the comprehensive analysis of its target issues, “Surround Audience” falls victim to the contagious one-dimensional condition of the western perspective’s tendency to exhibit other cultures. With the ongoing debate on the fundamentals concerning the display of foreign cultures, justifying criteria and non-western diversity in curatorial approaches, on the specific elements that define the cultural identities and historicity of each location beyond the apparent ongoing condition, are essential in the introduction and representation of sensitive subject-matter elsewhere. We are therefore left to ponder on whose perspective “Surround Audience” is based anyway… * Partially on view through 06/07/15.
Shadi Habib Allah, Untitled, 2015. Vidéo, 18’42. Courtesy Shadi Habib Allah. Réalisée avec le soutien de / Co-commissioned with support from the A.M. Qattan Foundation, Ramallah, Palestine ; Barjeel Art Foundation, Sharjah, UAE ; Green Art Gallery, Dubai ; New Museum, New York.
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« Certaines personnes déclarent qu’un(e) artiste devrait être capable d’exprimer son moi intérieur, mais je crois plutôt que le véritable talent c’est d’être capable de prendre une position de retrait et laisser la main, la pierre, le glacier ou le crayon raconter leurs propres histoires1. »
Mariana Castillo Deball Parergon
Nous sommes dans un premier temps confus lorsque nous déambulons dans le large hall de la Hamburger Bahnhof où se présente « Parergon », exposition de Mariana Castillo Deball. Face à nous, une collection d’objets bien trop hétéroclite pour nous permettre d’identifier le pourquoi de cette réunion. Ainsi, une peinture ottomane du XIXe siècle fait face à un masque mortuaire tandis qu’un fauteuil roulant dialogue avec une sculpture moderniste en bronze. Un expert peut néanmoins reconnaître certaines pièces fameuses des collections berlinoises, notamment la Stehendes Mädchen [fille debout] d’Otto Baum ou une reproduction fantomatique de la façade du palais de Mshatta conservée au Pergamonmuseum. Finalement, tous les objets réunis ou produits par Mariana Castillo Deball proviennent ou font référence à des institutions de la capitale allemande ; le contexte de l’exposition ellemême nous permet de comprendre ce choix : en 2013, l’artiste mexicaine aujourd’hui basée à Berlin remportait l’important « Preis der Nationalgalerie » qui lui permettait la création d’une exposition dans l’un des musées nationaux de la ville ainsi qu’une publication monographique2. L’artiste, qui déclare préférer les réserves des musées aux musées eux-mêmes, refuse alors de se concentrer sur une institution et d’utiliser le budget qui lui est alloué pour produire de nouvelles œuvres qui seront ensuite injectées dans les circuits du marché. En un geste radical, elle adopte une position plus effacée, se plaçant comme co-auteure des objets qu’elle va sélectionner dans les différentes collections, construisant ainsi un reflet fragmenté de ces institutions. Sa présence est d’abord difficile à identifier dans l’espace, entre les emprunts d’œuvres, les copies qu’elle en a produites ou les créations plus « fantaisistes », mais surgit finalement dans ce qui constitue habituellement les « à-côtés » d’une exposition (si bien que l’on peut absolument passer à côté) c’està-dire l’appareil de médiation que forment le journal de l’exposition et l’audioguide. Mariana Castillo Deball met en scène l’exposition dans sa totalité : les objets présentés mais aussi le paratexte par le déplacement de ces derniers. C’est précisément ici le lieu du parergon, terme grec ancien qui peut désigner un « supplément », quelque chose de secondaire à un objet3. Habituellement un « à-côté », ce complément est ici le geste même de l’artiste qui prend le discours comme unique stratégie. Le texte écrit4 ou lu (l’audioguide) (dé-)place les différents objets comme supports tangibles, voire protagonistes, de nombreuses histoires qui nous mènent des « captures » de vestiges archéologiques à la fin du XIXe siècle à la redécouverte de la sculpture d’Otto Baum en 2010. Tous ces éléments, à commencer par la Hamburger Bahnhof elle-même, représentent ce que l’artiste nomme des « objets inconfortables » qui n’ont pas accompli leur « destinée » : déplacés, détruits, effacés, volés ou redécouverts, subissant des changements de statut en fonction des personnes qui les manipulent. Immobiles par leur condition formelle et pourtant paradoxalement instables. Face à la profusion des histoires révélées dans « Parergon », la Hamburger Bahnhof, simultanément personnage, lieu et décor de ces narrations, incarne un exemple hautement symbolique pour comprendre les opérations de l’artiste. Construite en 1847, elle fut
Hamburger Bahnhof, Berlin, du 20 septembre 2014 au 1er mars 2015
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par Gauthier Lesturgie
Ethos und Pathos, Die Berliner Bildhauerschule 1786 – 1914, exhibition opening at Hamburger Bahnhof, 1990. Photo : Ingeborg Lommatzsch © Landesarchiv Berlin, F Rep. 290, 316540
d’abord une gare mais se trouva rapidement limitée tout en ne pouvant supporter l’agrandissement des voies de chemin de fer, elle devint alors, en 1906, le musée royal du transport et de la construction. Fortement endommagé en 1944, le musée restera clos pendant près de quarante ans. Il fallut attendre 1996 pour que la Hamburger Bahnhof soit réhabilitée en musée d’art contemporain, caractérisant ainsi par sa biographie la « ruine moderne » par excellence. Ces métamorphoses sont particulièrement révélatrices des différents statuts qu’ont pris les objets accueillis par le bâtiment. Des panneaux en bois indiquant les horaires des trains présents dans l’exposition nous ramènent à sa fonction première tandis que des roues de locomotives, d’anciens mobiliers d’exposition et autres vestiges des technologies industrielles devenus objets de collection par leur obsolescence évoquent le musée des transports. Ces vies inconstantes des objets sont révélatrices de nos propres comportements, de ce que l’on désire, produit, conserve et détruit. L’histoire de la Hamburger Bahnhof ainsi racontée produit des résonances avec les autres pièces présentes dans « Parergon », les gares ayant en effet joué un rôle fondamental dans la découverte, la prise et le rapatriement de vestiges archéologiques.
1 « Artist’s Favourites by Mariana Castillo Deball », Spike, Octobre 2014. 2 Mariana Castillo Deball, Parergon, Cologne, Walther König, 2015, textes de Kirsty Bell, Mariana Castillo Deball, Dario Gamboni et Mélanie Roumiguière. 3 Voir Jacques Derrida, « Parergon », in La vérité en peinture, Paris, Flammarion, 1978. 4 Le journal de l’exposition est le second numéro de la revue fondée par l’artiste, Ixiptla : Journal of Art and Anthropology.
Mariana Castillo Deball, Parergon. Vue de l’exposition / Installation view Hamburger Bahnhof – Museum für Gegenwart – Berlin. Photo : Thomas Bruns
En 1904, l’Empire allemand débuta la construction de la ligne de chemin de fer de Bagdad dans le but de connecter directement Berlin à l’Empire ottoman, des relations qu’incarne le rideau flottant en travers de l’exposition qui reproduit les motifs de la façade sud du palais de Mshatta. Décomposée en quatre cent cinquante-neuf morceaux, la muraille fut un « cadeau » d’Abdul Hamid II, sultan de l’Empire ottoman, au Kaiser Wilhelm II pour la construction de la ligne de chemin de fer du Hedjaz, détournant ainsi le décret de 1884 qui assurait le droit à la propriété pour l’Empire ottoman de toutes les antiquités découvertes sur son territoire. Cet accord fut notamment défendu par le peintre et administrateur Osmân Hamdi Bey dont l’un des tableaux — Marchand de tapis persan dans la rue (1888) — acquis par l’Empire allemand sans doute pour le flatter et obtenir quelques dérogations au décret, se trouve également au début de l’exposition. C’est ici en partie l’une des histoires que raconte Mariana Castillo Deball via ses objets-personnages. Usant du storytelling, elle produit une version augmentée et manipulée de ce que Jean-Marc Poinsot nomme les « récits autorisés5 », désignant par-là des constructions discursives attachées aux œuvres mais qui n’en font toutefois pas intrinsèquement partie, à l’image des titres, signatures, dates, certificats, attestations, descriptifs, notices, légendes, déclarations, descriptions, commentaires oraux, etc.6 Ces derniers constituent ici les parergon et le lieu de l’expression de l’artiste par un retournement de paradigme vis-à-vis de l’œuvre analogue à celui préconisé par Sergei Tret’iakov dans son essai de 1929 intitulé « la biographie de l’objet » : « Ainsi, ce n’est pas l’individu qui se déplace à travers un système constitué d’objets mais plutôt l’objet qui évolue à travers un système constitué d’individus7 ».
Les interventions discursives de l’artiste ne sont rendues possibles que par le déplacement des objets hors de leur contexte, à savoir leur localisation dans les collections : rassemblés dans le quasi-white cube de la Hamburger Bahnhof, ils deviennent des « coquilles » à investir. Ces récits attachés aux objets participent à la mémoire que l’on en a, ils en sont à la fois des traces instables et tenaces. Mariana Castillo Deball a continuellement porté son intérêt sur la mémoire des objets ce qui l’a menée, dans une démarche inévitablement matérialiste, vers l’archéologie. Elle en emprunte les méthodes et une approche objectale du monde et donc de la construction historique, tout en se libérant de l’objectivité que requiert la pratique. Ainsi, la présence dans « Parergon » de la sculpture d’Otto Baum, Stehendes Mädchen (1930), disparue à la suite de sa présentation dans des expositions « d’art dégénéré » sous le régime nazi, puis retrouvée au hasard d’un chantier de fouilles archéologiques en 2010, et du masque mortuaire controversé du peintre juif allemand Max Liebermann conçu par Arno Breker, sculpteur favori du iiie Reich, révèle les stigmates d’une histoire récente particulièrement complexe dont certains artefacts ont été omis ou, au contraire, dans laquelle ils ont été mis au service des idéologies au pouvoir. En faisant parler les objets, Marianna Castillo Deball échafaude un subtil métalangage par lequel les récits attachés à cette collection révèlent une nouvelle fois le pouvoir discursif du contexte de conservation et donc des institutions muséales. L’artiste, à la manière des objets-personnages mis en scène dans sa « pièce », disparaît à son tour pour choisir le rôle d’artiste-mythologue. « Le mécano, l’ingénieur, l’usager même parlent l’objet ; le mythologue, lui, est condamné au métalangage8. »
5 Jean-Marc Poinsot, Quand l’œuvre a lieu : L’art exposé et ses récits autorisés (1999), Dijon, Les presses du réel, coll. « Genève : Musée d’art moderne et contemporain », 2008. 6 « Les récits autorisés sont seconds en ce sens qu’ils apparaissent après l’œuvre ou dans sa dépendance lors de sa présentation ou de sa représentation […]. Ils ne sont ni œuvres ni discours indépendants mais récits institutionnels systématiquement associés à la production des évènements et prestations artistiques au rang desquels les expositions jouent le plus grand rôle ». Jean-Marc Poinsot, op.cit., p. 144. 7 Sergei Tret’iakov, « The Biography of the Object » (1929), October n°118, automne 2006, p. 57-62. 8 Roland Barthes, Mythologies, Paris, Le Seuil, coll. « Points-Essais », 1957, p. 271.
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Mariana Castillo Deball, Parergon. Vue de l’exposition / Installation view Hamburger Bahnhof – Museum für Gegenwart – Berlin. Photo : Thomas Bruns
Mariana Castillo Deball Parergon by Gauthier Lesturgie Hamburger Bahnhof, Berlin, from 20 September 2014 to 1st March 2015
“Some people say that an artist should be capable of expressing his or her inner self, but I tend to think that real talent involves being capable of taking a back seat and letting the hand, stone, glacier and pencil tell their own stories.” 1 Initially, we are confused when we stroll around in the large hall of the Hamburger Bahnhof where Mariana Castillo Deball’s exhibition “Parergon” is on view. Facing us is a collection of objects that is far too eclectic to enable us to identify the whys and wherefores of this assemblage. So a 19th century Ottoman painting faces a death mask, while a wheelchair chats with a modernist bronze sculpture. An expert may nevertheless recognize certain famous pieces from Berlin collections. In particular Otto Baum’s Stehendes Mädchen [Standing Girl], and a ghostlike reproduction of the façade of the Mshatta Palace held in the city’s Pergamon Museum. In the end, all the objects brought together or
produced by Mariana Castillo Deball come from or make reference to institutions in the German capital; the context of the exhibition itself helps us to understand this choice: in 2013, the Mexican artist, currently based in Berlin, won the important ‘Preis der Nationalgalerie’, which enabled her to create an exhibition in one of the city’s national museums, as well as produce a monographic publication.2 The artist, who declares a preference for museum reserves rather than museums themselves, thus refuses to concentrate on any one institution, or use the budget earmarked for her to produce new works which will then be introduced into market circuits. In a radical gesture, she adopts a more self-effacing stance, setting herself up as the coauthor of objects that she will select in the various collections, thus constructing a fragmented reflection of these institutions. At first, her presence is hard to identify in the venue, between the borrowed works, the copies she has made of them, and the more “fanciful” works, but in the end it emerges in what usually represents the “asides” of an exhibition (so much so that we can walk right past it), which is to say the mediation apparatus formed by the exhibition journal and the audioguide. Mariana Castillo Deball stages the exhibition in its entirety: the objects on view, as well as the paratext, through the displacement of these latter. It is precisely right here, the place of the parergon, an ancient Greek term meaning a “supplement”, or something secondary to an object.3
1 “Artist’s Favourites by Mariana Castillo Deball”, Spike, October 2014. 2 Mariana Castillo Deball, Parergon, Cologne, Walther König, 2015, essays by Kirsty Bell, Mariana Castillo Deball, Dario Gamboni and Mélanie Roumiguière. 3 See Jacques Derrida, “Parergon”, in La vérité en peinture, Paris, Flammarion, 1978.
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This complement, which is usually an “aside” or “secondary feature”, is here the very gesture of the artist, who takes discourse as the sole strategy. The text, be it written4 or read (the audioguide) (dis-)places the different objects like tangible media, not to say protagonists, of numerous stories which take us from the “captures” of archaeological vestiges at the end of the 19th century to the rediscovery of Otto Baum’s sculpture in 2010. All these elements, starting with the Hamburger Bahnhof itself, represent what the artist calls “uncomfortable objects”, which have not accomplished their “destiny”: displaced, destroyed, erased, stolen or rediscovered, undergoing switches in status in relation to the people handling them. Immobile because of their formal condition, and yet paradoxically unstable. In the face of the profusion of stories revealed in “Parergon”, the Hamburger Bahnhof, which is simultaneously the character, place and set of these narratives, incarnates a highly symbolic example for understanding the artist’s operations. Built in 1847, it was at first a railway station, but was in no time limited, while at the same time unable to deal with the enlargement of railway tracks. In 1906, it then became the royal museum of transport and construction. Severely damaged in 1944, the museum would remain closed for almost 40 years. It was not until 1996 that the Hamburger Bahnhof was rehabilitated as a museum of contemporary art, thus hallmarking, through its very biography, the archetypal “modern ruin”. In particular, these metamorphoses reveal the different statuses assumed by the objects housed by the building. Wooden panels showing train timetables, which are part of the show, take us to its primary function, while locomotive wheels, old exhibition furniture and other vestiges of industrial technologies, which have now become collectors’ items because of their obsolescence, evoke the museum of transport. These unsettled lives of objects reveal our own patterns of behaviour, what we desire, produce, conserve and destroy. The history of the Hamburger Bahnhof, thus told, produces reverberations with the other pieces present in “Parergon”, railway stations having in fact played a basic part in the discovery, possession and repatriation of archaeological vestiges. In 1904, the German Empire embarked on the construction of the Baghdad railway line, with the aim of directly connecting Berlin to the Ottoman Empire, relations incarnated by the curtain floating across the exhibition, which reproduces the motifs of the south façade of Mshatta Palace. Broken down into 459 pieces, the wall was a “gift” from Abdul Hamid II, sultan of the Ottoman Empire, to Kaiser Wilhelm II, for the construction of the Hedjaz railway line, thus misappropriating the decree of 1884 which guaranteed the title of ownership for the Ottoman Empire of all the antiquities discovered in its territory. That agreement was defended, in particular, by the painter and administrator Osman Hamdi Bey, one of whose pictures—Persian Rug Merchant in the Street (1888)—acquired by the German Empire probably to flatter him and obtain certain dispensations from the decree, is also to be found at the beginning of the exhibition.
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This is, in part, one of the stories told by Mariana Castillo Deball by way of her character-objects. Using storytelling, she produces an augmented and manipulated version of what Jean-Marc Poinsot calls the “authorized narratives”,5 thereby describing discursive constructions attached to the works but which, for all that, are not an intrinsic part of them, like titles, signatures, dates, certificates, attestations, notices, captions, declarations, descriptions, oral comments, etc.6 Here, these latter are the parergon and the artist’s place of expression through a paradigm reversal in relation to the work similar to that advocated by Sergei Tret’iakov in his 1929 essay titled The Biography of the Object: “So it is not the individual who moves through a system formed by objects but rather the object which evolves through a system formed by individuals.”7 The artist’s discursive interventions are only made possible by the shift of objects beyond their context, namely their location in collections: brought together in the quasi-white cube of the Hamburger Bahnhof, they become “shells” to occupy. These narratives attached to objects are part of the memory we have of them, they are at once unstable and stubborn traces of them. Mariana Castillo Deball has continually shown an interest in the memory of objects, which has led her, in an inevitably materialist approach, towards archaeology. From it she borrows its methods and an object approach to the world, and thus to historical construction, while freeing herself from the objectivity called for by this practice. So the presence in “Parergon” of Otto Baum’s sculpture Stehendes Mädchen (1930), which vanished after its presentation in exhibitions of “degenerate art” during the Nazi regime, and was then rediscovered quite by chance during archaeological excavations in 2010, and of the disputed death mask of the German Jewish painter Max Liebermann, made by Arno Breker, a favourite sculptor of the Third Reich, reveals the stigmata of a particularly complex recent history from which certain artefacts have been omitted or, conversely, in which they have been put to use by the ideologies in power. By getting objects to talk, Mariana Castillo Deball devises a subtle metalanguage through which the narratives attached to this collection reveal once again the discursive power of the context of conservation and thus of museums. Like the character-objects displayed in her “piece”, the artist in her turn disappears and chooses the role of artistcum-mythologist. “The mechanic, the engineer, even the user “speak the object”; but the mythologist is condemned to metalanguage.”8 The mecha nic, the engineer, even the user, ‘speak the object’; but the mythologist is condemned to metalanguage.
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4 The exhibition journal is the second issue of the review founded by the artist, Ixiptla: Journal of Art and Anthropology. 5 Jean-Marc Poinsot, Quand l’œuvre a lieu : L’art exposé et ses récits autorisés (1999), Dijon, Les presses du réel, coll. “Genève: Musée d’art moderne et contemporain”, 2008. 6 “The authorized narratives are second insomuch as they appear after the work, or are dependent upon it during its presentation or representation […]. They are neither independent works nor discourses, but institutional narratives systematically associated with the production of artistic events and services, among which exhibitions play the leading role”. Jean-Marc Poinsot, op.cit., p. 144. 7 Sergei Tret’iakov, “The Biography of the Object” (1929), October n°118, autumn 2006, p. 57-62. 8 Roland Barthes, “Necessity and limits of mythology”, in Mythologies (1957), translated by Annette Lavers, 1972, New York, Hill and Wang, p. 158.
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Le 10 avril dernier avait lieu à la librairie Pro qm à Berlin la présentation d’Artist Novels, ouvrage réalisé par le duo The Book Lovers formé par l’artiste David Maroto et la curatrice Joanna Zielińska, s’intéressant, comme son titre l’indique, aux « romans » écrits par des artistes. La discussion s’est rapidement engagée sur les problèmes de définition (d’un roman, d’une nouvelle, d’un artiste) et de délimitation de territoires afin de circonscrire plus précisément l’objet de l’investigation, entre art et littérature, avant d’aborder l’essence de leur démarche. Il était avant tout primordial pour le duo de marquer l’éloignement de l’artist novel d’avec la pratique de la poésie, cette dernière ne les « intéressant » pas, sa « rencontre avec le champ de l’art » ayant déjà fait l’objet d’innombrables commentaires et de développements en tous genres relevant d’une histoire, très fournie, qui part de Dada et des Surréalistes pour aboutir à la poésie sonore. Comme le rappellent les deux auteurs, la poésie est traditionnellement perçue comme un art compatible avec les arts plastiques, en particulier la peinture — qui, pour certains, représente son équivalent plastique — tandis que la littérature est généralement considérée comme étant insoluble dans l’art : le duo se propose donc d’analyser mais aussi d’accompagner l’émergence d’une nouvelle pratique, d’en relever l’importance tant pour le renouvellement de l’écriture romanesque que pour l’enrichissement de l’art contemporain et n’hésite pas à parler de nouveau médium. Artist Novels est un ouvrage pour le moins baroque qui réunit des extraits de romans d’artistes mais aussi des entretiens avec des romanciers — comme Tom McCarthy —, des essayistes, ainsi qu’une bibliographie qui tente de recenser la masse des écrits littéraires produits par les artistes. Si les préambules sont nombreux, c’est en partie parce que la position des auteurs ne va pas de soi : à bien des égards, cette dernière pose des problèmes de fond comme, par exemple, l’idée d’assister à la naissance d’un nouveau médium. N’est-ce pas aller un peu vite en besogne ? Car, en l’état, le nouveau médium n’a de réalité qu’à travers l’identification d’une nouvelle « classe » de référence, celle des artistes… La réponse des Book Lovers est de dire que le renouveau apporté par les artistes justifie une pareille attribution, leur rapport à la littérature n’étant pas le produit d’une tradition qui les empêche d’en renouveler les codes mais dérivant de leur expérience à l’intérieur du champ de l’art, ce qui leur permet de revivifier la littérature. Il est commun de dire que c’est ainsi que les pratiques artistiques « progressent » en s’enrichissant mutuellement de nouveaux apports : le meilleur exemple n’est-il pas celui du cinéma qui a toujours su intégrer les ruptures en provenance de ces arts dits plastiques et inversement ? L’idée d’un nouveau médium — équivalent pour le cinéma et l’art à celui que cherchent à promouvoir Maroto et Zielińska pour l’art et la littérature — ne s’est pourtant pas imposée : le cinéma indépendant et / ou d’auteur est le produit d’une mutation qui s’est opérée à l’intérieur du médium cinéma, grâce aux apports extérieurs qui ont été intégrés. Le seul vrai nouveau médium qui bouscule totalement les codes et les conventions du cinéma est… la vidéo. Mais la vidéo correspond à l’émergence d’une nouvelle technologie qui a développé sa propre autonomie à l’intérieur du champ de l’art avant d’être elle-même phagocytée par l’art contemporain. Ici, il n’est pas question d’apparition d’une nouvelle technologie, nous sommes toujours dans le livre, le texte, le codex. L’intérêt patent que portent les artistes à la littérature depuis, disons deux décennies, fait un peu penser à la porosité entre la littérature et l’art moderne au temps de Dada et des avant-gardes, toutes proportions gardées, parce qu’aujourd’hui les
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The Book Lovers Artist Novels
The Book Lovers Artist Novels
par Patrice Joly
by Patrice Joly
porosités ont été intégrées et que les « médiums », ou plutôt les pratiques, ont été élargi(e)s. L’art moderne postulait une convergence de la forme, la postmodernité une cohabitation des formes. Aujourd’hui, le livre, le texte lui-même, mais aussi le paratexte, sont sources d’inspiration pour les plasticiens qui s’en emparent de manière totalement débridée dans une espèce d’irrespect génial. L’on pense à la réécriture de Moby Dick par Daniel Gustav Cramer en un bloc continu ou encore à la nouvelle traduction d’Au cœur des ténèbres par Thu van Tran réalisée avec ses seules capacités de traductrice spontanée. Ce rapport décomplexé à la littérature en fait un facteur décisif d’évolution ; par ailleurs la considérable croissance de la production éditoriale ces dernières années au sein du champ de l’art contemporain (due au refus post-conceptuel d’un excès de visibilité et à l’accélération inouïe de la circulation des documents1) a créé une extraordinaire variété de supports allant du communiqué de presse à la légende des œuvres, en passant par les catalogues, les tracts et les affiches : un brassage de formes et de formats qui n’est pas sans effet sur l’écriture. Mais cela ne suffit pas à créer un nouveau médium : nous restons dans des problématiques formelles, « de surface ». Quand bien même l’art contemporain excellerait à bousculer les conventions et à déconstruire en permanence les articulations établies2, l’établissement d’un nouveau médium consisterait peut-être à dépasser le constat de l’annexion de la littérature par l’art contemporain ou celui de l’invasion de motifs exogènes à l’intérieur des processus de narration et nécessiterait certainement de remanier en profondeur le langage lui-même, les enjeux narratifs, les stratégies fictionnelles ou participatives de l’écriture et sa « plasticité », ce qui entraînerait un basculement indiscutable vers un nouveau paradigme : une littérature d’artiste, dont nous ne sommes qu’aux prémices. Artist Novels, The Book Lovers Publication, ed. David Marotto et Joanna Zielińska, Sternberg Press, 2015, coédité avec Cricoteka à l’occasion de l’exposition « Reads Like A Book: The Book Lovers Project », du 23 janvier au 15 mars 2015.
1 Brian Dillon, « The exhaustion of Literature », Mousse n°47, p. 38 et sq. 2 Idem.
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On the 10th of April last, the Pro qm bookshop in Berlin presented Artist Novels, a book concerned with “novels” written by artists, as its title suggests, produced by the twosome known as The Book Lovers, made up of the artist David Maroto and the curator Joanna Zielińska. It immediately gave rise to discussion about definition issues (how to define a novel, a novella, an artist) and the demarcation of territories aimed at more precisely defining the object of investigation, somewhere between art and literature, before broaching the quintessence of their approach. Above all else, it was crucial for the twosome to mark the artist novel’s distance from the praxis of poetry: they have no “interest” in this latter, because its “encounter with the field of art” has already been dealt with by countless commentaries and all manner of development stemming from a very well-stocked history that begins with Dada and the Surrealists, and culminates with sound poetry. As we are reminded by the two authors, poetry is traditionally perceived as an art that is compatible with the visual arts, and with painting in particular—which, for some, represents its plastic equivalent—, whereas literature is generally regarded as being insoluble in art: so they propose to both analyze and also work hand-in-hand with the emergence of a new praxis, and record its significance both for the renewal of novelistic/fictional writing and for the enrichment of contemporary art—and to this end they unhesitatingly talk in terms of a new medium. Artist Novels is a book which is, to say the least, baroque, bringing together excerpts from novels by artists as well as interviews with novelists—like Tom McCarthy—and essayists, plus a bibliography which attempts to list the raft of literary writings produced by artists. There are numerous preambles, in part because the authors’ position is not altogether self-explanatory: in many respects, their stance raises basic problems such as, for example, the idea of witnessing the birth of a new medium. Isn’t this jumping the gun a bit? Because, where things stand, the new medium only has any reality through the identification of a new “class” of reference, the class of artists… The answer provided by The Book Lovers is to say that the renewal brought about by artists justifies this kind of attribution, because their relation to literature is not the product of a tradition preventing them from renewing its codes, but deriving from their own experience within the art arena, which enables them to revitalize literature. It is often said that this is how art praxes “progress”, by mutually enriching each other with new input: isn’t the best example of this the cinema, which has always managed to incorporate breaks resulting from these so-called plastic arts, and vice versa? However, the idea of a such a new medium never really emerged: independent and/or auteur films are the product of a change which has taken place within the film medium, due to input from outside that has been incorporated. The only real new medium which totally upsets cinema’s codes and conventions is… video. But video tallies with the emergence of a new technology which has developed its own autonomy within the field of art, before being engulfed by contemporary art. What is involved here is not the appearance of a new technology: we are still in the realm of books, texts and codices.
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Artists’ obvious interest in literature, over, let’s say, the past two decades, somewhat calls to mind the porousness between literature and modern art in the time of Dada and the avant-gardes, making all due allowances, because, nowadays, forms of porousness have been integrated, and “media”, or rather praxes, have been expanded. Modern art postulated a convergence of form, postmodernity a co-existence of forms. These days, the book, the text itself, but the paratext, too, are all sources of inspiration for plastic and visual artists who appropriate them in a thoroughly unfettered way, with a kind of brilliant disrespect. Thoughts stray to Daniel Gustav Cramer’s re-writing of Moby Dick in one continuous block, and Thu van Tran’s new translation of The Heart of Darkness, produced with just her spontaneous skills together with the help of a simple dictionnary. This straightforward relation to literature makes it a decisive evolutionary factor: what is more, the considerable growth of publishing activity in recent years within the contemporary art arena (due to the post-conceptual refusal of an excess of visibility, and the incredible acceleration of the circulation of documents1) has created an extraordinary variety of media ranging from the press release to artwork captions, by way of catalogues, tracts and posters: a mix of forms and formats which has a certain effect on writing. But this is not enough to create a new medium: we’re still talking here of formal “surface” issues. Even though contemporary art excels in jostling conventions and permanently de-constructing established forms of articulation,2 the establishment of a new medium would possibly consist in going beyond the fact of literature’s annexation by contemporary art, and the fact of the invasion of exogenous motifs within narrative processes, and would definitely call for an in-depth revision of the language of writing itself, together with its narrative challenges, and its fictional and participatory strategies, along with its “plasticity”, which would involve an indisputable swing towards a new paradigm: an artist’s literature, which we are only looking at the beginnings of. Artist Novels, The Book Lovers Publication, ed. David Marotto and Joanna Zielińska, texts by Roland Barthes, Liam Gillick, Kenneth Goldsmith, Tom McCarthy, Ingo Niermann, Seth Price, Seth Siegelaub, et al.; excerpts from artist novels by Guy de Cointet, Henry Joseph Darger, Yayoi Kusama, Jill Magid, et al., Sternberg Press, 2015, copublished with Cricoteka on the occasion of the exhibition “Reads Like A Book: The Book Lovers Project,” January 23–March 15, 2015.
You Never Read Alone, London Art Book Fair, Whitechapel Gallery, 2014. Installation participative / participatory installation by The Book Lovers and Gareth Long.
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1 Brian Dillon, “The exhaustion of Literature”, Mousse n°47, p. 38 ff. 2 Idem.
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C’est sous l’alléchante appellation « The Impossibility of Painting » que s’est déroulée la discussion qui réunissait Michael Krebber et R. H. Quaytman1 — tous deux lauréats du Wolfgang Hahn Prize2 cette année — mais aussi Daniel Birnbaum, Yilmaz Dziewior, nouveau directeur du Museum Ludwig, et la critique Kerstin Stakemeier, le 14 avril dernier à l’occasion de la remise du prix. Au vu de la productivité des deux artistes, le premier réflexe sera de s’interroger sur le bien-fondé d’un tel énoncé. Cependant, il y a ici deux termes à prendre en compte — l’impossibilité et la peinture, donc —qui, rien que considérés séparément, pourraient donner lieu sans mal à de longues analyses digressives, alors associés par une petite conjonction… Il est amusant de noter qu’au commencement de leurs carrières respectives, chacun avait tendance à lorgner sur le « milieu » artistique de l’autre : au début des années quatre-vingt, New York était, pour Krebber, le point de mire, tandis que, quelques années plus tard, c’est à Cologne, semblait-il à Quaytman, qu’avait lieu le véritable débat sur la peinture. Il faut dire que se revendiquer peintre abstraite intéressée par les questions de perspective au début des années quatre-vingt-dix à New York n’était peut-être pas la position la plus évidente à tenir. Cela avait même, selon l’expression de l’artiste, « quelque chose d’un I’d prefer not to 3 ». Peut-être alors cette impossibilité évoquée plus haut renvoie-t-elle, envisagée dans ce contexte historique des débuts de chacun, à l’impossibilité d’une peinture « pure », d’une peinture strictement autocentrée, d’une peinture qui n’aurait parlé que de peinture ? Car s’il est bien un point commun que l’on peut aisément établir dans le travail des deux artistes, c’est celui d’une hyper-contextualisation de leur peinture. Bien sûr, dans un sens différent pour chacun. En ce qui concerne Krebber, cette contextualisation est peut-être plus à entendre comme une porosité, tant il a pu maintes fois démontrer son intérêt à présenter l’art et le non-art simultanément, mais aussi, via cette présentation régulière de non-art, les entours de l’art. Et si, pour lui, « un châssis fait que la peinture est peinture plus que le fait d’appliquer de la peinture sur des surfaces lisses ou rugueuses4 » (a stretcher frame makes painting painting, more than the application of paint to rough or smooth surfaces), R. H. Quaytman, quant à elle, trouva « dans la peinture un lieu où appliquer des idées provenant d’autres milieux » car, pour elle, la peinture (en tant que médium, donc, et non en tant que matière colorante) est le véritable médium5. En un mouvement inverse de l’inconstance volontaire de Krebber qui réinvente sans cesse son travail pour éluder toute catégorisation stylistique et tenter, par là, d’affirmer le moins de choses possible, Quaytman produit une pensée englobante de son œuvre, une manière de résistance à la dispersion physique de cet œuvre — au travers des expositions, des acquisitions — qui peut aussi être interprétée comme une résistance, plus politique peut-être, à la transsubstantiation d’une œuvre (individuelle, cette fois) en objet d’art. C’est sous la forme de ce qu’elle nomme un « livre » qu’elle a choisi d’unifier sa production depuis 2001, déclinant en autant de « chapitres » ses expositions personnelles. Elle se défend pourtant de tout systématisme, préférant à ce terme celui de « méthode », induisant ainsi plus facilement l’idée d’une lecture ouverte de l’œuvre, alors qu’un système tendrait à la verrouiller. Le fait de lier chaque nouveau chapitre à l’exposition pour laquelle ses éléments ont été produits permet de pointer la question du contexte de la peinture sans pour autant que cette dernière devienne immuable — chaque tableau peut être présenté ultérieurement hors du chapitre dont il est issu — : il s’agit de « reconnaître qu’ils sont des objets que leur emplacement et ce qui est à leur
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Michael Krebber, R. H. Quaytman 2015 Wolfgang Hahn Prize
Michael Krebber, R. H. Quaytman 2015 Wolfgang Hahn Prize
par Aude Launay
by Aude Launay
Museum Ludwig, Cologne, Allemagne, du 15 avril au 30 août 2015
Ludwig Museum, Cologne, Germany, from 15 April to 30 August 2015
Vue de l’exposition / Exhibition view : Michael Krebber, R. H. Quaytman, Wolfgang Hahn Prize 2015, Museum Ludwig, Cologne. Photo : Rheinisches Bildarchiv / Britta Schlier.
proximité, modifie6 ». (to acknowledge that they are objects that are changed by their location, and by adjacencies). L’accrochage au Museum Ludwig a été réalisé par les deux artistes — il serait plus juste de dire par Krebber puis modifié par Quaytman, pour des raisons purement pratiques — et offre une parfaite illustration de ce propos ci-avant : Krebber avait réalisé un accrochage que Quaytman a interprété comme contrôlant parfaitement la lecture de l’exposition, qui était en effet une véritable ponctuation régulière des murs de cette salle dont le quatrième est une immense baie vitrée donnant sur la ville. Elle a alors simplement placé à l’horizontale le tableau central7 que Krebber avait accroché à la verticale, l’ouvrant ainsi à l’ensemble des peintures qui l’environnaient et permettant, de son point de vue, une vision périphérique de l’exposition. Une vision périphérique que l’on peut bien entendu étendre à la ville de Cologne qui fait donc face au mur principal, des rémanences de Gerhard Richter et Sigmar Polke apparaissant d’évidence dans les œuvres Krebber et Quaytman ici présentées. Si les premiers ont en effet déconstruit les techniques d’impression dans leur peinture, Krebber en reprend le motif (de trame) dans cette nouvelle série de toiles, tandis que Quaytman persiste à utiliser la sérigraphie au cœur de sa peinture, comme un liant entre le gesso et les pigments.
1 Ce n’est pas la première fois qu’un rapprochement est établi entre les deux artistes, on a déjà vu leurs œuvres se côtoyer dans l’exposition « Gambaroff, Krebber, Quaytman, Rayne », à la Bergen Kunsthall, du 5 novembre au 22 décembre 2010. Krebber a aussi participé à la pièce « To the German Language – Dia » de Quaytman, présentée à Dia Art Foundation le 20 décembre 2011 et à la galerie Buchholz du 7 juillet au 25 août 2012. 2 Depuis 1994, le Wolfgang Hahn Prize est doté d’un budget de 100 000€ et remis chaque année à un artiste — le prix 2015 fait donc, avec sa double attribution, figure d’exception — qui jouit d’une reconnaissance internationale mais dont l’œuvre n’est pas encore représentée de manière adéquate dans les collections du musée. 3 Citation extraite de la discussion sus-mentionnée. Toutes les citations ultérieures entre guillemets qui ne renvoient pas à des notes sont extraites de cette même discussion. 4 Michael Krebber, entretien avec Isabelle Graw, in Kaleidoscope n°17, hiver 2012-13. 5 « The medium is painting, not what the painting is made with. It used to be thought that the blank canvas was already a monochrome—now it is the choice itself, whether painting or not, that functions like the medium. » R. H. Quaytman, Spine, Sternberg Press, 2011. 6 R. H. Quaytman « On painting, architecture, and working in chapters », by Antonio Sergio Bessa, BOMB Magazine, 10 décembre 2014. http://bombmagazine.org/ article/2000069/r-h-quaytman 7 Voir en couverture de la revue.
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It was under the mouth-watering title of “The Impossibility of Painting” that the discussion which brought Michael Krebber and R. H. Quaytman together1—both winners of the Wolfgang Hahn Prize2 this year—along with Daniel Birnbaum, Yilmaz Dziewior, new director of the Museum Ludwig, and the critic Kerstin Stakemeier, was held on 14 April last. Given the productivity of the two artists, one’s initial reflex would be to question the validity of such a declaration. But there are two terms to be taken into account here—“impossibility” and “painting”, ergo—which, merely by being considered separately, might easily give rise to lengthy and digressive analyses, and then be linked together by a little conjunction... It is amusing to note that at the beginning of their respective careers, each artist had a tendency to eye the other’s artistic “circles”: in the early 1980s, New York, for Krebber, was the aim, while, a few years later, it was in Cologne, or so it seemed to Quaytman, that the real debate about painting was happening. It has to be said that claiming to be an abstract painter interested in matters of perspective in the early 1990s in New York was perhaps not the most obvious stance to adopt. This, to borrow the artist’s own words, even had “something of an I’d prefer not to 3” about it. So perhaps the impossibility above-mentioned, seen in this context of each artist’s beginnings, refers to the impossibility of a “pure” painting, a strictly self-centered painting, a painting which would have only talked about painting? For if there is indeed a shared point that can easily be established in the work of these two artists, it is that of an extreme contextualization of their painting. In a different sense for each one of them needless to add. As far as Krebber is concerned, this contextualization should possibly be understood more as a porousness, so many times has he managed to demonstrate not only his interest in presenting art and non-art simultaneously, but also the environs of art, by way of this regular presentation of non-art. And if, for him, “a stretcher frame makes painting painting, more than the application of paint to rough or smooth surfaces”4, R. H. Quaytman, for her part, found “in painting a place in which to apply ideas coming from other milieus”, because, for her, paint (as a medium, therefore, and not “what the paiting is made with”) is the real medium.5 In a reverse movement involving Krebber’s deliberate fickleness, as he endlessly re-invents his work in order to sidestep any kind of stylistic pigeonholing, and thereby tries to assert as few things as possible, Quaytman produces an all-encompassing line of thinking about her work, a way of resisting the physical dispersal of this body of work—through exhibitions and acquisitions—which may also be interpreted as a possibly more political resistance to the trans-substantiation of a work (individual, this time) as an art object. It is in the form of what she calls a “book” that she has elected to unify her output since 2001, organizing her solo shows as so many “chapters”. Yet she refrains from all manner of systematism, preferring the word “method” to that term, and thus
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more readily introducing the idea of an open reading of the œuvre, whereas a system would tend to lock it in. The fact of linking each new chapter to the exhibition for which its elements have been produced makes it possible to pinpoint the issue of the context of painting, but without this latter becoming immutable—each picture can be shown at a later stage outside the chapter it has come from—: it is a matter of “acknowledging that they are objects that are changed by their location, and by adjacencies”.6 The hanging at the Museum Ludwig is the work of both artists—it would be fairer to say that it was Krebber’s doing, which was then altered by Quaytman, for purely practical reasons—and offers a perfect illustration of this afore-mentioned idea: Krebber produced a hanging which Quaytman interpreted as thoroughly controlling the reading of the show, which was in fact nothing less than a regular punctuation of the walls of that room, whose fourth wall is a huge bay window giving onto the city. So she simply placed horizontally the central picture7 which Krebber had hung vertically, thus opening it to all the paintings around it and, from her point of view, making it possible to have a peripheral vision of the exhibition. A peripheral vision that can, of course, be extended to the city of Cologne, which therefore faces the main wall, with ghosts of Gerhard Richter and Sigmar Polke obviously appearing in the works of Krebber and Quatman on view here. If the former have actually deconstructed printing techniques in their painting, Krebber takes up the (printing dots) motif in this new series of canvases, while Quaytman makes emphatic use of silkscreening at the heart of her painting, like a bonding agent between gesso and pigments.
Michael Krebber, MK/M 2015/05, 2015. Acrylique sur toile / Acrylic on canvas, 160 × 120 cm. Courtesy Michael Krebber, acquisition du / of the Gesellschaft für Moderne Kunst am Museum Ludwig e.V à l’occasion du / on the occasion of Wolfgang Hahn Prize 2015.
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1 This is not the first time that a connection is being made between the two artists. We have already seen their works rubbing shoulders in the exhibition “Gambaroff, Krebber, Quaytman, Rayne” at the Bergen Kunsthall, from 5 November to 22 December 2010. Krebber also took part in Quaytman’s piece To the German Language – Dia, shown at the Dia Art Foundation on 20 December 2011 and at the Buchholz gallery from 7 July to 25 August 2012. 2 Initiated in 1994, the Wolfgang Hahn Prize, named after the late Cologne collector, is budgeted with up to 100,000 € and annually awarded to artists who have proven “consistent development of artistic creation over a period spanning decades” and enjoy international recognition among experts, but whose work is not yet adequately represented in the museum. Previous laureates include Kerry James Marshall (2014), Andrea Fraser (2013), Peter Fischli and David Weiss (2010), Christopher Wool (2009), and Peter Doig (2008). 3 Quotation taken from the above-mentioned discussion. All the subsequent quotations in inverted commas which are not referred to in notes are taken from this same discussion. 5 “The medium is painting, not what the painting is made with. It used to be thought that the blank canvas was already a monochrome—now it is the choice itself, whether painting or not, that functions like the medium”. R. H. Quaytman, Spine, Sternberg Press, 2011. 6 R. H. Quaytman “On painting, architecture, and working in chapters”, by Antonio Sergio Bessa, BOMB Magazine, 10 December 2014. http://bombmagazine.org/ article/2000069/r-h-quaytman 7 On the cover of this issue.
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L’artiste belge Peter Buggenhout a laissé loin derrière lui la peinture, trop symbolique à son goût. Sa première rétrospective au musée de Louvain n’en comporte aucune, elle fait la part belle à ses sculptures dantesques, en proie au désarroi d’une refonte permanente. Sanglée, ligotée, soclée ou solidement arrimée, son œuvre vorace faite de chair, de sang et de poussière avance dans un mouvement lent et irrépressible que l’apparente pesanteur ne parvient pas à contrer. Elle s’épaissit, se déforme au fil du temps. « Ce qu’on voit n’est qu’un instantané en perpétuelle mutation ». La sculpture est traversée par le flux et le reflux d’une réalité qui ne cesse de se reformuler. Dans son travail, Peter Buggenhout oppose à l’univers autoritaire, durable, monolithique, une vision gouvernée par le transitoire, l’autogestion, le flottement. Le parcours d’exposition au M va crescendo, de la troublante série des Mont Ventoux — des panses d’animaux juchées sur ce qui semble être des balises maritimes — aux dernières pièces de la série The Blind Leading the Blind — en référence à ce groupe d’aveugles au bord du précipice dans le tableau de Pieter Bruegel l’Ancien, La Parabole des aveugles (1568). L’œuvre d’art est-elle encore opérante face à ce monde désorienté ? Peut-elle défier les apparences pour offrir une vision complète et continue de l’univers ? De l’aveu de Pétrarque dans L’ascension du mont Ventoux, il est impossible de tout embrasser, même depuis un si noble point de vue. Faut-il dès lors s’en tenir à la cécité ? « Procédons par étapes » semble dire Buggenhout. D’abord, se familiariser avec l’obscurité de son univers, puis avancer à tâtons à travers les décombres. S’efforcer de regarder et, si le choc est trop fort, trouver refuge au creux de nos orbites vides. Pour la série des Gorgo (2015), Peter Buggenhout fait se rencontrer du sang de porc séché, du crin de cheval et divers matériaux délaissés. Sa sculpture informelle renvoie au désir de déclassement (vis-à-vis de toute taxinomie existante) formulé par Georges Bataille dans « L’abjection et les formes misérables1 ». Pourtant, les analogies ne manquent pas. Le catalogue de l’exposition2, recensant des images de référence pour Buggenhout, en appelle aux œuvres cathartiques d’Otto Muehl (Kaiser Obersdorf, 1971), aux vidéos burlesques de Paul McCarthy (Painter, 1995), ou encore aux objets rituels porteurs de traces d’offrandes et de libations (sculptures votives boli des Bamabara d’Afrique de l’Ouest). Pareille à ces fétiches africains, la série The Blind Leading the Blind se trouve entièrement recouverte de poussière. Cette couche constitue le « ciment » de la pièce et, par endroits, dévoile la couleur du dessous : celle des mousses découpées, des tissus aux reflets métallisés, des débris de caravanes ou des jeux d’enfants. Les objets ne sont pas repris pour eux-mêmes mais emmenés dans une sorte de vacance poétique. Dans la série des Mont Ventoux, la peau des intestins et des estomacs de vaches recèle dans les aspérités des viscères un raffinement absolu. Tenu à distance, le visiteur voyage au cœur des œuvres par la pensée. À l’exception de la pièce réalisée pour l’exposition « Inside » au Palais de Tokyo (conçue initialement pour être appréhendée de l’extérieur), les installations marquent un seuil à la fois psychologique — ne pas approcher des œuvres souillées par les matériaux qui les composent — et physique, matérialisé par ces sculptures hérissées peu avenantes (The Blind Leading the Blind #67, 2014) ou ces murs infranchissables (The Blind Leading the Blind #65, 2014). Dès lors qu’elles sont placées sous vitrine et rendues inoffensives, le visiteur se prend à les autopsier et à les analyser attentivement comme autant de spécimens sur une table
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Peter Buggenhout
Peter Buggenhout
par Alexandra Fau
by Alexandra Fau
M-Museum, Louvain, Belgique, du 12 mars au 31 mai 2015
M-Museum, Leuven, Belgium, from 12 March to 31 May 2015
Peter Buggenhout, Mont Ventoux #4, 2009 / Mont Ventoux #3, 2009 / Mont Ventoux #8, 2013. M – Museum Leuven, 2015. Photo : Dirk Pauwels
de laboratoire. Le jeu de reflets dans les grandes vitrines juxtaposées les unes aux autres multiplie les lectures possibles. Grottes, rochers, fonds marins, épaves… L’imagination fonctionne à plein. Ces structures composites faites d’agrégats multiples, soumises à un chaos inextricable, ne nous disent rien de leur état de début et de fin. Elles sont parfaitement autonomes, sans sens de lecture préétabli, sans point de vue privilégié, échappant à tout système logique. Ces formes semblent se manifester d’elles-mêmes sans intervention humaine. L’apparent laisser-faire rappelle la désinvolture d’un certain Marcel Duchamp assisté de Man Ray, tous deux partis déjeuner en laissant l’obturateur ouvert sur Le Grand Verre qui végète depuis plusieurs mois dans l’atelier de l’artiste (L’élevage de poussière, 1920). Cette poussière-là, tout comme les déchets collectés dans les rues de Berlin ou d’Hanovre par Kurt Schwitters pour son Merzbau, les objets trouvés par Edward Kienholz ou Robert Rauschenberg et, plus récemment, par David Hammons (Central Park West, 1990), est fétichisée. Ce qui importe c’est ce que tous disent de notre société naguère triomphante, aujourd’hui à terre, mais toujours bien vivante.
1 G. Bataille, Œuvres complètes, II, Écrits posthumes 1922-1940, Paris, Gallimard, 1972. 2 We did it before, we will do it again, textes de Selen Ansen et William L. Rathje, entretien avec Eva Wittocx, commissaire de l’exposition au M, et fragments de textes de Peter Buggenhout, Jnf Éditions / Les Éditions de l’Amateur, 2015.
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The Belgian artist Peter Buggenhout has left painting far behind him, deeming it too symbolic for his liking. His first retrospective show at the Louvain museum does not include any at all, giving pride of place, as it does, to his Dantean sculptures, prey to the disarray of ongoing recasting. His œuvre, which is strapped, bound, set on stands and stoutly secured, voracious, and made of flesh, blood and dust, advances in a slow and irrepressible movement which its apparent weight does not manage to counter. It grows thicker, and becomes deformed with time. “What you see is just a perpetually changing snapshot”. The sculpture is traversed by the ebb and flow of a reality that is forever being reformulated. In his work, Peter Buggenhout contrasts the authoritarian, durable and monolithic world with a vision governed by transitoriness, self-management, and indecision. The exhibition circuit at the M crescendoes, from the disturbing Mont Ventoux series—animal bellies perched on what seem to be navigational buoys—to the latest pieces in the series The Blind Leading the Blind—referring to that group of blind people on the edge of the precipice in Pieter Bruegel the Elder’s picture, The Parable of the Blind (1568). Is the work of art still operative in the face of this disoriented world? Can it defy appearances and offer a complete and continuous vision of the world? According to Petrarch in The Ascent of Mount Ventoux, it is impossible to embrace everything, even from a lofty viewpoint. So should we confine ourselves henceforth to blindness? “Let us proceed in stages”, Buggenhout seems to be saying. First of all, familiarize yourself with the darkness of his world, then grope your way forward through the rubble. Endeavour to have a look and, if the shock is too great, find refuge in the hollows of our empty eye sockets. For the Gorgo series (2015), Peter Buggenhout arranges an encounter between dried pig’s blood, horsehair, and various abandoned materials. His informal sculpture refers to the desire for declassification (in relation to all existing taxonomy) formulated by Georges Bataille in his short essay Abjection and Miserable Forms.1 There is no dearth of analogies, however. The exhibition catalogue2 makes an inventory of reference images for Buggenhout, and summons the cathartic works of Otto Muehl (Kaiser Obersdorf, 1971), Paul McCarthy’s burlesque videos (Painter, 1995), and ritual objects bearing traces of offerings and libations (boli votive sculptures of the Bamabara of West Africa). Like these African fetishes, the series The Blind Leading the Blind is completely covered with dust. This layer forms the “cement” of the piece and, here and there, reveals the colour underneath: that of cut-up foam, fabrics with metallic highlights, the debris of caravans, and children’s toys. The objects are not used for their own sake, but taken into a kind of poetic emptiness. In the Mont Ventoux series, the skin of the cows’ intestines and stomachs holds an absolute refinement in the roughness of the viscera. Kept at a distance, the visitor travels to the core of the works by way of thought. With the exception of the piece made for the exhibition “Inside” held at the Palais de Tokyo (initially devised to be comprehended from outside, the installations mark a threshold that is at once psychological—don’t get
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near the works sullied by the materials composing them—and physical, rendered material by these not very pleasant bristling sculptures (The Blind Leading the Blind #67, 2014) and these insurmountable walls (The Blind Leading the Blind #65, 2014). Once they are placed under glass and made inoffensive, the visitor starts carrying out an autopsy, keenly analyzing them like specimens on a laboratory table. The interplay of reflections in the large juxtaposed showcases multiplies the possible readings. Grottoes, rocks, sea beds, wrecks… The imagination works flat out. These composite structures made of many different aggregates, subjected to an inextricable chaos, tell us nothing about their beginning or their end. They are thoroughly autonomous, without any sense of pre-established reading, or any specific viewpoint, and avoiding any logical system. These forms seem to display themselves on their own, with no human intervention. The seeming laisser-faire calls to mind the nonchalance of a certain Marcel Duchamp, assisted by Man Ray, the two of them having gone off for lunch leaving the shutter open on The Large Glass, which had been vegetating for several months in the artist’s studio (Dust Breeding, 1920). That particular dust, just like the rubbish collected in the streets of Berlin and Hanover by Kurt Schwitters for his Merzbau, and the objects found by Edward Kienholz and Robert Rauschenberg and, more recently, by David Hammons (Central Park West, 1990), are fetishized. What matters is what they say about our formerly triumphant society, today down for the count, but still very much alive and kicking.
1 G. Bataille, Œuvres complètes, II, Écrits posthumes 1922-1940, Paris, Gallimard, 1972. 2 We did it before, we will do it again, essays by Selen Ansen and William L. Rathje, interview with Eva Wittocx, curator of the exhibition at the M, and fragments of writings by Peter Buggenhout, Jnf Editions / Les Editions de l’Amateur, 2015.
Peter Buggenhout, Eskimo Blues II, 1999 / Opeten, 2000. M – Museum Leuven, 2015. Photo : Dirk Pauwels
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Passionnante première biennale Circonférences, qui a rassemblé le temps d’un week-end à ChâteauGontier des explorateurs de ce format très particulier qu’est la conférence conçue comme médium artistique, où l’on put notamment découvrir les étranges Jean Boucault et Johnny Rasse, chanteurs d’oiseaux depuis leur enfance, qui ont déplacé leur talent mimétique dans le champ de l’art. Outre le caractère extraordinaire de ce savoir donné en partage (savoir parler « oiseaux » en inventant des techniques d’imitation basées sur des pratiques primitives de chant), il faut s’arrêter sur l’étonnante intensité de présence de ces deux hommes, qui ont incorporé les espèces qu’ils interprètent par le chant mais aussi par la danse, et incarnent avec une dextérité insolite un répertoire de sonorités d’oiseaux des cinq continents, entre conférence et joutes sifflées, discussion improvisée avec le public et traduction musicale. Le même soir, Loïc Touzé a performé une version inédite de sa conférence intitulée Je suis lent, retravaillée en collaboration avec le dramaturge Éric Didry : soit le récit captivant d’une vie de danseur qui prend sa source dans l’académisme pour s’épanouir dans la nouvelle danse et partir à la conquête de la « danse à venir », conceptuelle et débarrassée de toute norme — désapprendre pour comprendre, et réinventer. Moins généreuse mais tout aussi aventureuse, la conférence de Nathalie Quintane reprit la fonctionnement de sa littérature écrite : une poésie du quotidien qui se structure par dérives constellaires et linéarité cassée, entrecroisée, empêchée, reprise. Des goitres aux hamadryades (les nymphes des arbres), des réflexions philosophiques de son cordonnier au goût invétéré des puissants pour l’amusement, Nathalie Quintane fait la maline en permanence, va trop vite pour sciemment semer derrière elle son audience, puis la récupère in extremis avec une blague piquante. Le but du jeu : explorer avec virtuosité l’« ensemble de toutes les conférences » et définir, par là même, en tout arbitraire goguenard, ce que pourrait être cet objet, la conférence d’artiste. En écho, ces mêmes ingrédients resurgirent dans la performance d’Antoine Poncet qui poursuit ses recherches érudites et divagantes sur le charabia. Un nouveau chapitre de son anthologie qui recense toutes sortes de textes hors des normes de l’entendement, écrits en alphabet latin et intraduisibles, s’est écrit, comme l’indiquait son soustitre, « au gré des crises » : celles de la société et, en miroir, celles du langage. Des textes en martien transcrits par la médium Hélène Smith au poème éclaté de Camille Bryen, en passant par les incantations féroces de Laurent Quintreau, Antoine Poncet sut tracer des lignes incertaines pour révéler ces expressions libres, souvent méprisées ou cantonnées aux marges. Ce faisant, il délivra au public une conférence ovni, elle-même défiant parfois toute certitude d’élucidation, tour à tour balbutiée et déclamée par un corps étonnant, croisement fertile entre Ferdinand de Saussure, Samuel Beckett et Christophe Salengro. Ainsi, il fut question d’anthologie mais aussi d’inventaire (Alexandre Périgot et son histoire de l’art traversée par le motif du rideau), d’abécédaire (Arnaud Labelle-Rojoux et son classement fourmillant de corps saisis en pleine chute) et d’encyclopédie. Autant d’appellations raisonnées qui tentent de structurer des obsessions très personnelles, pour mieux les partager sans doute : problématique très bien cernée au cours de la dernière conférence du week-end par Jean-Yves Jouannais, qui façonne depuis 2008 une improbable encyclopédie des guerres, de l’Illiade à la Seconde Guerre mondiale, en public, sur scène. Ce projet colossal est devenu le projet d’une vie : ou comment, par l’analyse de plus
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Circonférences par Eva Prouteau Le Carré, scène nationale et centre d’art, Château-Gontier (F), du 5 au 7 mars 2015
Chanteurs d’oiseaux, Jean Boucault et Johnny Rasse accompagnés de Philippe Braquart, Circonférences, Le Carré, scène nationale-centre d’art contemporain, 6 mars 2015. Photo : Christine Lhote.
en plus précise de sa fascination pour ce motif (la guerre), Jean-Yves Jouannais parvient à se réfléchir, sur un mode à la fois grave et léger. Ce qu’il décrit comme une « machine orale, un atelier épique » soumis « aux phénomènes d’oubli, d’interpolation, de réécriture », une somme d’« ersatz mnésiques dispersés », lui permet donc de se rassembler intimement autant que de se diffracter en permanence, tel un personnage de roman à dimensions variables. En conclusion, une fois formulé le constat d’un éclectisme réjouissant, comment relier ces différentes conférences-performances ? Peut-être par ce qu’elles induisent : une émancipation de l’imaginaire mais aussi une mise à nu, un manifeste des fragilités, si éloignées se tiennent-elles de la spécialisation docte comme de la représentation figée, libérées du carcan de la grosse production expositionnaire comme de la machine huilée du spectacle. En plein dans l’expérimentation, la prise de risque et la dé-maîtrise. Commissariat : Bertrand Godot
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En cette année de grands raouts de l’art contemporain (Sharjah, Venise, Lyon, Istanbul, etc.), la Triennale de Vendôme se positionne pour sa première édition sur un terrain résolument local, préférant au prestige des curateurs stars et des artistes à biennales la mise en lumière des acteurs originaires de la région Centre ou y travaillant. Confiée à l’équipe d’Emmetrop (Érik Noulette, Nadège Piton et Damien Sausset), lieu emblématique pour la musique et les arts installé depuis le milieu des années 1980 à Bourges, la sélection regroupe vingtcinq artistes investissant le manège Rochambeau fraîchement réhabilité, le musée de Vendôme et l’espace public. On y découvre notamment le plateau de tournage installé par la réalisatrice Marie Losier et la galerie du Cartable pour filmer en direct toute une galerie de personnages décalés, la fausse maison témoin de Bernard Calet (Situation, Aller dans le décor, 2015), la beauté troublante des orages captée par Nils Guadagnin dans l’Ouest américain (Cyclic Matter, 2015) ou encore une installation de Jérôme Poret télescopant art gothique et univers rock (Le Teinturier de la Lune, 2011)1. Mais nous souhaiterions nous attarder plus avant ici, pour l’ampleur de la tâche et des enjeux qu’elle implique, sur la proposition de Saâdane Afif présentée au musée de Vendôme. En 2008, à la veille d’obtenir le fameux Prix Marcel Duchamp et comme un signe avant-coureur, l’artiste installé à Berlin entame la recherche et la collecte des différentes publications, tous champs, langues et formats confondus, reproduisant le célèbre urinoir que Duchamp transforme en readymade en 1917 sous le titre Fountain, œuvre iconique s’il en est de l’art du XXe siècle qui n’aura été diffusée jusque dans les années 1950 que par le biais d’une photographie d’Alfred Stieglitz2. Tel un hobby dévorant, la constitution de The Fountain Archives procède d’un protocole rigoureux : chaque nouveau livre récupéré donne lieu à un numéro d’inventaire et à une fiche descriptive avant que l’artiste n’arrache, dans un geste vandale et compulsif évoquant un vol à la sauvette dans une bibliothèque, la ou les pages du document comportant l’image tant convoitée. Celles-ci sont ensuite méticuleusement encadrées et les livres ainsi amputés classés dans une bibliothèque dédiée. Le projet existe dès lors sous une forme active et une forme passive. La première, constituée des pages encadrées circule au gré des expositions ou par l’entremise des galeries, collectionneurs et institutions artistiques, tandis qu’à l’atelier se sédimente l’archive que compose l’ensemble des publications et que l’artiste envisage comme les moules ou les matrices des éléments en cours de présentation. Ce projet d’envergure trouve son origine dans une réflexion sur la possibilité de produire dans une logique économique qui est celle du multiple une série d’œuvres chaque fois uniques en s’appuyant pour cela sur l’industrie de l’édition. Mais au-delà des questions liées à la répétition et à la reproduction de l’œuvre d’art, ce qui semble fasciner et motiver Saâdane Afif dans son entreprise, c’est la matière surabondante que cette archive symbolise s’agissant de regards, lectures et appropriations. Elle témoigne des multiples commentaires qui permettent en quelque sorte de redéfinir sans cesse le portrait de ce readymade, de tourner autour sans qu’il soit physiquement présent sous nos yeux. On retrouve ici tous les enjeux du travail d’Afif, son intérêt pour l’interprétation comme expression sublimée de l’œuvre3, comme moyen de la remettre en jeu et en circulation par l’intermédiaire de nouvelles voix. À ce jour, plus de six-cents ouvrages ont été réunis. Le processus s’achèvera à la 1001e acquisition, comme un clin d’œil au célèbre conte oriental et à son réservoir de récits. L’histoire pourrait s’arrêter là si Saâdane Afif ne poussait la perversion jusqu’à augmenter et enrichir
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Saâdane Afif The Fountain Archives par Raphaël Brunel Triennale de Vendôme (F), du 23 mai au 31 octobre
FA 0426, page arrachée / torn out page ; 24 × 28 cm in. Arturo Schwarz, Dada e Surrealismo riscoperti, Skira editore, Milano, 2009 ; page 178. Courtesy Saâdane Afif, 2015
ce corpus de représentations déjà dense en y incorporant les revues d’art qui illustrent les articles sur son projet à l’aide d’une image de la Fontaine de Duchamp. À travers cette intégration du discours sur son propre travail se constitue progressivement une collection dans la collection, une mise en abîme que l’artiste signale en archivant ces documents en double. La page sur laquelle est imprimé ce texte est ainsi amenée à être à son tour arrachée et encadrée par deux fois et une paire d’exemplaires de ce numéro de 02 à regagner les étagères de cette archive en cours d’édification.
1 Nous aurons l’occasion d’y revenir plus en détail ultérieurement. 2 Cette photographie paraît pour la première fois en 1917 dans la revue satirique The Blind Mind. L’œuvre originale ayant disparu, plusieurs répliques sont réalisées par la suite du vivant de Duchamp avec son accord et d’après le cliché de Stieglitz. 3 Depuis 2004, Saâdane Afif demande à des artistes, musiciens, écrivains ou poètes d’écrire les paroles de chansons inspirées de ses pièces, les exposant et les activant dans le cadre de performances ou de concerts.
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Tout un pan du travail de Guillaume Constantin semble viser à fondre dans un même mouvement l’objet et la sculpture, à activer l’un(e) par l’autre dans un rapport d’égale dépendance. Cette approche se cristallise particulièrement dans la série d’installations Fantômes du Quartz dont le titre aussi programmatique qu’évocateur1 suggère une stratification de matières et de temporalités, un réservoir à histoires et à mémoires ne s’inscrivant plus tant dans une généalogie des pratiques héritées du readymade que dans l’exploration formelle et culturelle d’un territoire du sensible. Comme un certain nombre d’artistes de sa génération, Guillaume Constantin s’intéresse à la collection, aux cadres et conditions de sa constitution comme à son potentiel discursif et narratif. Cependant, son travail consiste moins à présenter les évolutions d’un ensemble cohérent rigoureusement amassé au fil des années, qu’à favoriser, dans un espace-temps donné, la convergence et la rencontre d’objets de nature et de provenance diverses. De cette réunion impromptue et des agencements qu’elle induit se dégagent les enjeux d’une mise en circulation et en lumière des formes autant que les paramètres d’une instabilité venant renégocier l’échelle des valeurs habituellement en cours dans les systèmes de classification. Aussi cette logique trouve-t-elle toute sa place à l’Eternal Gallery logée dans les anciens octrois de Tours par où transitaient, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, les marchandises soumises au prélèvement fiscal. Guillaume Constantin reprend à sa manière cette inscription économique en y faisant cohabiter sans hiérarchie des éléments extirpés de la gypsothèque de l’école des Beaux-Arts de Tours, des Archives municipales ou de son fonds personnel, mais aussi, histoire de brouiller davantage les questions de l’origine et de la qualité tout en jouant à plein celles de la transmission et l’accessibilité, des objets restaurés ou réalisés par une imprimante 3D à partir de fichiers open source ou de pièces ne pouvant être empruntées. Ce cabinet de curiosités se révèle remarquable par « la pauvreté » et l’étrangeté de ces formes décontextualisées, sans espoir d’être un jour exposées dans un musée, mais dont l’aspect décalé et difficilement identifiable leur confère un inattendu pouvoir d’évocation, une attirance engageant autant le regard que le toucher. Pour accueillir cet ensemble hétérogène, Guillaume Constantin conçoit, comme à son habitude, une structure, sorte de squelette, à partir de différents matériaux semi-industriels (médium teinté, contreplaqué, éléments décoratifs façon Louis XVI). Avec ce « meuble » aux airs de machine mnémonique, il fait glisser les enjeux de la sculpture vers ceux de la muséographie et de la scénographie, produisant un « hypersocle » qui fait œuvre en soi tout en remplissant une fonction de monstration, selon une certaine conception de l’autonomie. Quelque part entre Haim Steinbach et Robert Morris, mais aussi dans un va-et-vient permanent entre rapport affectif aux objets et mise à distance par la sculpture, Guillaume Constantin propose des dispositifs propres à la spéculation et au jeu de piste, dans les plis et replis desquels se tapissent une multitude d’histoires potentielles. L’artiste file d’ailleurs la métaphore deleuzienne à travers le titre de l’exposition et par le recours au vocabulaire baroque de la courbe et du plissé. Ainsi, à l’étage supérieur de la galerie qui abritait le logement du gardien de l’octroi, recouvre-t-il les murs de lés de liège isophonique pendant en drapé jusqu’au sol. Les caractéristiques et l’odeur de ce matériau singulier reconfigurent l’espace en cellule monacale propice à explorer les « plis dans l’âme ». Quant aux fantômes, ils sont évidemment partout, dans les pièces qui se dissimulent ici et là dans l’exposition, dans ces objets si particuliers qui attirent
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Guillaume Constantin Arrondir les angles par Raphaël Brunel Eternal Gallery, Tours (F), du 17 mai au 5 juillet
Guillaume Constantin, Fantômes du Quartz xxiii (Head to Wall), 2015. Moulage en plâtre d’un rhyton issu de la gypsothèque de l’école des Beaux-Arts de Tours (Esba TALM), liège isophonique. Courtesy galerie Bertrand Grimont, Paris. Photo : Aurélien Mole.
l’attention sur un détail ou une texture, dans les Everyday Ghosts, série de photos présentée ici sous forme de journal, dans lesquelles du quotidien surgit soudain le fantastique. C’est cette latence, cette manière d’appréhender les choses par la marge ou par les bords, dans un double mouvement d’extrême subjectivité et de neutralité, qui semble motiver la pratique artistique de Guillaume Constantin. Il faudrait par ailleurs passer en revue les titres de ses expositions personnelles2, on y découvrirait sûrement, se constituant peu à peu en index, les clés de lecture d’une œuvre où cohabitent fugacité, mise en mouvement, réemploi et persistance de l’objet et de l’image.
1 Cette série tire son nom du quartz fantôme, un cristal dont la transparence laisse apparaître très nettement les différents stades de sa croissance, mettant ainsi en lumière une accumulation d’époques et de spectres figés dans la matière. 2 « La Constante des variables », Crac Languedoc-Roussillon, Sète ; « Penser les objets par les bords », MAC/VAL, Vitry-sur-Seine ; « Si personne ne me voit je ne suis pas là du tout », Cryptoportique, Reims.
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lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo l l l l l l lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo l l l l l l lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo o l o l o l o l o l o l o l o l o o o o o o o o o o o o o l lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo l l l l l l lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo l l l l l l lo lo o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o l lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo l l l l l l l l l l l l l l lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo o l o l o l o l o l o l o l l l l l l l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l ol ol o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o l lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo l l l l l l l l l l l l l l lo lo lo lo lo o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l l l l l l l o l o l o l o l o l o l o l o l o l ol ol ol ol ol ol ol ol ol o o o o o o o o o o o o o l lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo l l l l l l lo lo lo lo lo lo o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l l l l l l l o l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o l lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo o l o l o l o l l l l l l l l l l l l l l l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l ol ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol o o o o o o o o o o o o o l lo lo lo lo lo lo lo o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l l l l l l l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l l l l l l l l l l l l l l l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol o o o o o o o o o o o o o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l ol ol ol ol ol l l l l l l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o l o l o l o l o l o l o l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l l l l l l l l l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol o o o o o o o o o o o o o l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l l l l l l l l l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol o o o o o o o o o o o o o o l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l l l l l l l l l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol o o o o o o o o o o o o o o l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l l l l l l l l l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol o l o l o o o o o o o o o o o o o o l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l ol ol ol ol ol ol ol ol ol o l o l o l o l o l o l o l o l o l o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l l l l l l l l l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol o l l l l l l l ol o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o o o o o o o o o o o o o o l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol o l o l o l o l o l o l o l o l l l l l l l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l l l l l l l l l ol ol ol ol o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l l l l l l l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o o o o o o o o o o o o o o l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l l ol ol ol o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l l l l l l l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o lo lo lo lo lo lo lo lo o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol o l o l o l o l o l l l l l l l l l l l l l l l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l l l l l l l o l o l o l o lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo o o o o o o o o o o o o o l ol ol ol ol ol ol o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l l l l l l l l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o lo lo lo lo lo lo l l l l l l lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l l l l l l l l l l l l l l l o l o l o l o l o l o l o lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo l l l l l l lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo o o o o o o o o o o o o o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l l l l l l l l o l o l o l o l o l o lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo l l l l l l lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o lo lo l l l l l l l l l l l l l l lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo l l l l l l lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo o o o o o o o o o o o o o l o l o l o l o l o l o l o l o lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo l l l l l l l lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo l l l l l l lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o l o lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo l l l l l l l l l l l l l lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo l l l l l l lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo o l o l o l o l o l o l o l o l o o o o o o o o o o o o lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo l l l l l l lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo l l l l l l lo lo lo lo o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo l l l l l l l l l l l l l l lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo o l o l o l o l o l o l l l l l l l l l l l l l l l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l ol o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo l l l l l l l l l l l l l l lo lo lo lo lo lo o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l l l l l l l l l l l l l l l o l o l ol ol ol ol ol ol ol ol ol o o o o o o o o o o o o lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo l l l l l l lo lo lo lo lo lo o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l l l l l l l o l o l o l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo o l o l o l l l l l l l l l l l l l l l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l l l l l l l l l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol o o o o o o o o o o o o lo lo lo lo lo lo lo lo o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l l l l l l l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o o lo o 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ol ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol o o o o o o o o o o o o ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol o o o o o o o o o o o o ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol o o o o o o o o o o o o ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol o o o o o o o o o o o o ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol o l o o o o o o o o o o o o ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol o l o l o l o l o l o l o l o l o l o o o o o o o o o o o o ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l ol ol ol ol ol ol ol o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o o o o o o o o o o o o ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol o l o l o l l l l l l l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o o o o o o o o o o o o ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l l l l l l l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o o o o o o o o o o o o ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l l l l l l l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o lo lo lo lo lo lo l o o o o o o o o o o o o ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol ol l l l l l l ol ol o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l l l l l l l o l o l o l o l o l o l o l o l o lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo l o o o o o o o o o o o o ol ol ol ol ol ol ol o l o l o l o l o l o l o l l l l l l l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l l l l l l l o l o lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo l o o o o o o o o o o o o o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l l l l l l l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o lo lo lo lo lo lo lo lo l l l l l l lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo l o o o o o o o o o o o o o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l l l l l l l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo l l l l l l lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo l o o o o o o o o o o o o o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l o l l l l l l l o l o l o l o l o lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo l l l l l l lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo l o o o o o o o o o o o o o l o l o l o l o l o l o l o l o l o lo lo lo lo l l l l l l lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo lo 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lisa oppenheim langue héréditaire 26.06.15-30.08.15 vernissage le 25.06.15 du mercredi au dimanche, de 14h00 à 18h00 entrée libre, accessible à tous
frac champagne-ardenne fonds régional d’art contemporain 1, place museux f–51100 reims t +33 (0)3 26 05 78 32 f +33 (0)3 26 05 13 80 contact@frac-champagneardenne.org www.frac-champagneardenne.org
le frac champagne-ardenne bénéficie du soutien du conseil régional de champagne-ardenne, du ministère de la culture et de la communication et de la ville de reims. il est membre du réseau platform. avec le soutien de champagne pommery
RANDOM
ABDELKADER BENCHAMMA FRAC Auvergne - 6 juin / 20 septembre 2015 Du mardi au samedi : 14 h - 18 h. Dimanche : 15 h - 18 h. Sauf jours fériés et dimanches d’août. FRAC Auvergne - 6 rue du Terrail - Clermont-Ferrand - 04 73 90 50 00 - Entrée gratuite.