Mind Monkey

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LE CHEMIN Un jour, spontanément peut-être, assez rapidement du moins pour que la décision n’entraîne pas la réflexion qui aurait fait y renoncer, le départ s’est fait en sens inverse. Dans l’autre direction, aussi facilement que si, devant tourner à droite, on se disait, tiens, et si on tournait à gauche : pourquoi ? pour voir ? Il est vrai qu’on s’éloigne quand on prend, placé devant la bifurcation, du côté qu’on ne fréquente jamais, dont on ne sait pas, du reste, où il mène. Mais on se dit, de toute façon, de l’autre côté, n’est-ce pas qu’on s’éloigne aussi du point de départ ? On aurait pu tout aussi bien rester, et il n’est pas moins logique, à tout prendre, de prendre à gauche que de prendre à droite. Il y a aussi qu’on a remarqué quelque chose d’intéressant, là-bas, vers la gauche. C’est assez loin, probablement, mais qu’importe, on a tout le temps. Ce n’est pas exactement l’existence de cette chose dans cette direction (nous ne le croyons pas) qui détermine expressément le départ et le choix du chemin contraire : c’est surtout, parmi les raisons qu’on se cherche d’aller vers l’inconnu plutôt que vers le connu, la faiblesse de la seule curiosité. La curiosité, en effet, ne suffit pas à l’emporter, et il faut autre chose, comme de l’ordre du désir, pour seconder, justifier, autoriser même, aux yeux de celui qui l’exprime, la volonté de partir à contresens. Sur le chemin de gauche, dans les premiers temps, il semble que ce soit assez peu différent de ce qu’on trouve sur le chemin habituel. On a beau comparer, se dire que cela n’y ressemble pas puisque ce n’est pas le même, on est un peu déçu d’abord, et l’on hésite même à poursuivre. Mais maintenant la curiosité prend le dessus, car après un temps assez bref, quoique significatif, elle s’est mise à vouloir déguiser le vague désir. Et l’on


prend pour de l’intérêt, si l’on peut dire désintéressé, ce qui relève déjà d’une aspiration plus trouble. Et bien vite, et comme un fait exprès, le paysage en vient à conforter l’hypothèse initiale qu’il serait intéressant, un jour, d’emprunter le chemin de gauche plutôt que l’autre. Tout est beaucoup plus beau par où l’on passe, au point qu’on regrette, inévitablement, d’avoir jusque alors ajourné le voyage. Au loin, des presqu’îles espacées, entre des prés salés où des moutons, points précis, paissent. Le vent du soir est frais, puissant parfois. On franchit des précipices, peut-être. La roche est tantôt rose, tantôt de granite gris, mais on rencontre aussi, à l’occasion, des rocs d’ocre, dorés dorénavant. D’autres fois, c’est la taille des galets qui grandit, et passe du gravier granuleux aux globes, plus gros, calebasses galbées. Et dans les golfes, au fond de l’horizon, des îlots presque illisibles dessinent à l’écart des éclaboussures rousses, rendues écarlates par l’éclat de la lumière. C’est encore la variété multicolore des paysages, ou au contraire la coupure abrupte des ravins. Maintenant l’oubli a effacé les raisons du chemin, et ce qu’il y avait de pari à partir. Le problème même des causes premières est privé d’intérêt. Seule reste la chose, tout de même, qui attire encore, en avant, l’attention. Et la croyance s’instaure qu’on est venu exprès pour cela, que la beauté de ce paysage n’émane au fond que de la beauté de cette chose, là-bas, et voici que dans ce mouvement de fuite en avant, tout se referme néanmoins. Tout est beau parce que le point de fuite est beau, et l’on chemine désormais non pour voir, mais parce qu’on a vu, non parce qu’on ignore, mais parce qu’on croit savoir, non parce qu’on a voulu, un jour, prendre la direction inverse, mais parce qu’on est persuadé maintenant que c’est la bonne direction. Le chemin est devenu poursuite. Dans cet archipel d’erreurs et de fausses joies se tient l’archétype de la joie. C’est un plaisir spécial et composite, dans lequel entrent, indistincts cependant, l’espérance d’atteindre au but, l’exaltation de l’effort, l’ivresse de l’échappée interminable, l’accroissement du désir pour cette chose, là-bas, qui s’enfuit toujours plus vite, l’amusement qui s’obstine à vaincre un à un les obstacles, le sens intime que revêt cette poursuite, et simultanément l’ironie subtile de savoir que tout cela n’a pas de sens, au fond, que ce n’est la métaphore de rien. Que la joie de poursuivre le vent, dans l’ignorance du terme et de la durée, dans le rivage, l’écume, la roche et le relief. Que cette fausse joie, participation faussement divine, dans un monde faussé, où il reste la possibilité d’un itinéraire, itinérant en somme, où la fausseté resplendit, fidèle à elle-même, lumineuse. Est-ce le rêve ? ou la rêverie ? ou, plus étrangement, la bordure de la réalité où s’atténuent toutes contraintes, rivage, du moins, du seul lieu habitable. Littoral de la littérature, peut-être, s’il fallait un nom à l’itinéraire. On s’étonnerait prodiges petits peur est perdue (comment dit-on

aussi de ce que la poursuite indéfinie permet de faire de et de progressions. Cela est dû à la suspension de la peur. La parce que son contraire paraît, qui n’est pas le courage, ni ?) l’impavidité, mais exclusivement l’espérance.

Certes, l’espérance n’est presque rien : c’est seulement d’espérer que rien de mal ne sera, qu’on n’aura pas de raison d’avoir peur. La marche, ainsi définie, dure indéfiniment, sans lassitude, sans regret, mais avec le regard toujours tourné vers la chose qui recule, dirait-on, rieuse à mesure qu’on avance. Poursuite dans l’impassibilité, autant dire l’impossibilité.


Une falaise fend parfois l’horizon, balafre de pierre, infranchissable au premier abord. Mais toujours la passe paraît, un défilé, un col. Tantôt il faut contourner par la mer, tantôt par l’intérieur, et l’on voit les sommets parfois au-dessus de sa tête, parfois à ses pieds. La végétation varie également, la dominante verte qui évolue suivant les veines bleutées ou roses des vallées, la violence du vent, ou la couleur de l’air. Des dangers donnent envie d’imaginer. Mais jamais on ne se dégage : seule la danse devient, devient plus dense. Que ne ferait-on pas, d’ailleurs, pour la chose, là-bas ? Chose qui traverse les abîmes avec légèreté, infailliblement, survole les failles, les crevasses. Le chemin, prenant exemple, escalade et jamais ne fait escale. Voici qu’il s’agit d’être agile. Indifférent aux panoramas, et pourtant tout entier immergé dedans, le chemin ne connaît pas de fin ni d’interruption. Il cherche à s’aguerrir, en quelque sorte, à ne pas se fixer sur la beauté particulière d’un site, certain d’en rencontrer plus loin de plus beau, à l’infini. Il est vrai que l’éloignement est immense maintenant. Où est-on ? Chaque pas est la répétition de cette unique question, et la réponse. On est si loin qu’on ne peut plus rebrousser chemin. On se dit cela, un instant, considérant les blessures que la terre a faites au corps. De même que le sol connaît de profondes fissures, colorées d’ombres et de nouvelles nuances, de même la chair se charge d’entailles rouges. Mais la mer vient régulièrement laver le sang, et le sel cautérise les plaies qu’autorise le sol. Que ne ferait-on pas, d’ailleurs, pour seulement poursuivre ? Et l’on se dit qu’il y a peut-être un piège : voilà l’espérance. S’attendre à trouver, au détour d’un massif, la chose éloignée qui guette, prête à fondre sur son poursuivant. Cette idée de piège n’engendre pas exactement l’inquiétude, car le chemin n’attend que cela : il attend que la chose l’attende. la chose peut l’attendre pour diverses raisons, le meurtrir, ou lui. Ce doute intéressant justifie toute espérance, pense-t-on, bien savoir, de temps en temps, ce qu’est la chose.

il est clair que Il sait bien que alors s’offrir à car on aimerait

Que ferait-on si c’était le cas, si la chose surgissait tandis qu’on arrive à sa rencontre ? La regarderait-on ? Chercherait-on à lui parler : car qui sait si la chose ne parle pas ? Serait-elle hostile, docile ? L’approcherait-on ? L’apprivoiserait-on ? Peut-être la chose s’est-elle déjà arrêtée, peut-être est-on passé à côté d’elle, sans la remarquer, car on ne l’a jamais vue en détail, c’est vrai, la reconnaîtrait-on ? Sait-on seulement à quoi elle ressemble, vue de près ? Car on ne voit pas souvent la chose éloignée de près, il faut le reconnaître. D’autres fois, on se dit que la chose n’est pas si intéressante qu’on croit, et que cela était dû uniquement à l’éloignement. Qu’on l’aurait, pour ainsi dire, idéalisée depuis le début. Mais de toute façon, la chose ne s’arrête jamais. Elle ne vous attend pas. Elle ne vous a pas vu, et ne sait probablement même pas qu’on existe.


Alors, un jour, on renonce. Malgré tout ce qu’on a pensé jusque-là, l’espérance, l’intérêt, le désir, la joie, toutes choses, on rebrousse chemin. On se dit que si on ne renonce pas, on mourra. Ce n’est pas qu’on ne veuille pas mourir, se dit-on, mais on se trouve des explications : mourir, ce serait irrémédiablement perdre la chose, et l’espérance de l’atteindre ailleurs, peut-être, sur un autre chemin, ou sous la forme d’autre chose. Mourir, ce serait perdre le souvenir de la joie, et ce serait pire que de perdre la joie. On se remet très vite à raisonner. C’est bien la preuve qu’on n’était pas fou. Et puis il y a toujours le recours ultime, idéaliser l’abandon, l’idée de la renonciation. N’est-ce pas aussi beau que d’idéaliser la chose ? Et soulagé, heureux presque, on revoit en revenant un à un les endroits par où l’on était passé. On ne se rend même pas compte qu’on reprend la bonne direction, celle qu’on avait cru autrefois ne devoir jamais quitter. Le seul ennui, c’est que maintenant les blessures font mal, les falaises infranchissables opposent une résistance bien plus grande, et la lassitude qui croît à chaque passage difficile. Maintenant on aimerait s’arrêter, mais on sait qu’il ne le faut pas, que ce serait pire après. On réfléchit sur ce qu’on a fait, partir, renoncer, on ne se comprend pas soimême, alors on renonce invariablement à réfléchir. Le chemin, vu dans le sens du retour, apparaît véritablement dangereux, et ce serait dommage de mourir maintenant, à mi-chemin. Toulon, 1995 Frederic Werst --------------------------

Catulo Vivamus mea Lesbia, atque amemus, rumoresque senum severiorum


omnes unius aestimemus assis! Soles occidere et redire possunt: nobis cum semel occidit brevis lux, nox est perpetua una dormienda. Da mi basia mille, deinde centum, dein mille altera, dein secunda centum, deinde usque altera mille, deinde centum. Dein, cum milia multa fecerimus, conturbabimus illa, ne sciamus, aut ne quis malus inuidere possit, cum tantum sciat esse basiorum.

Martial Non est, crede mihi, sapientis dicere 'Vivam': Sera nimis vita est crastina: vive hodie. Believe me, wise men do not say 'I shall live on.' Tomorrow's life's too late; live today.

[De Tibulo...]: Ibitis Aegaeas sine me, Messalla, per undas, O utinam memores ipse cohorsque mei. Me tenet ignotis aegrum Phaeacia terris, Abstineas avidas, Mors, modo, nigra, manus. Abstineas, Mors atra, precor: non hic mihi mater Quae legat in maestos ossa perusta sinus, Non soror, Assyrios cineri quae dedat odores Et fleat effusis ante sepulcra comis, Delia non usquam; quae me cum mitteret urbe, Dicitur ante omnes consuluisse deos.

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(Trans): Without me you will sail, Messalla, the Grecian waves; may you and all our friends remember me! Phaeacia holds me here, sick in a foreign land, but hold far off, dark Death, your greedy hands! Hold off, black Death, I pray: I have no mother here to gather my burnt bones in grieving arms; no sister, to pour Syrian incense on my pyre and weep with streaming hair before my tomb; nor Delia either, who, when sending me from Rome, sought omens first (they say) from every god. Vous irez sans moi, Messalla, à travers les ondes Égéennes; mais puissiez-vous, toi et ta suite, garder mon souvenir, tandis que je suis retenu, malade, dans la Phéacie, cette contrée inconnue! Écarte tes mains avides, je t'en supplie, Mort sombre; écarte-les, je t'en supplie, Mort sombre: ici je n'ai point de mère qui recueille dans sa robe de deuil mes ossements brûlés; je n'ai point de soeur, qui répande sur ma cendre les parfums d'Assyrie et qui, les cheveux épars, pleure devant mon sépulcre. Délie n'est pas ici, elle qui avant de me laisser partir de la ville, consulta, dit-on, tous les dieux.


_____________________________________ MIND MONKEY Wild at heart? Never more. Not now. Mind monkey yes, but that is all. Heart is in peace. Eyes are closing. Silence is all around (maybe a church bell tolling in the distance, but already liquifying into nothin). No more words to say aloud. No more fleshy kisses. No more Me or I. And yet mind do not rests quiet... The monkey will jump in the air again and again. Mind goes wandering, undeterminate flux as light A poem (heart beats 66 bpm), and still there is pain, a clear shade all over... Κύριε Ἰησοῦ Χριστέ, Υἱέ τοῦ Θεοῦ, ἐλέησόν με τὸν ἁμαρτωλόν Κύριε Ἰησοῦ Χριστέ, Υἱέ τοῦ Θεοῦ, ἐλέησόν με τὸν ἁμαρτωλόν Domine Iesu Christe, Fili Dei, miserere mei, peccatoris.


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