ARC II : Ascension Chapitre 51 : Nouvelle vie Ça faisait six mois. Six mois que je vivais dans cette ville en attendant qu'il s'y passe quelque chose. Six mois que je me laissais ronger par les remords, ne supportant plus ma condition. J'ai d'abord essayé d'être heureux, j'ai passé le premier mois à visiter Londres, à manger dans des grands restaurants, à essayer toutes sortes d'activités, mais non. Rien ne pouvait supprimer ces images qui venaient se coller sous mes paupières, rien ne pouvait faire disparaître ces ombres qui m'observaient et me suivaient partout. Même si plus de huit-mille kilomètres me séparaient de Los Angeles, les habitants de cette vile continuaient de me hanter. Où que j'aille, je voyais leurs visage, parfois Nick, parfois Lucy, tous me regardaient et me jugeaient. Je ne me sentais libre nul part. Dans la rue, le regard des gens m'effrayait, je ressentais toujours comme une sorte de malaise à l'idée de croiser le regard d'un passant. J'avais l'impression qu'ils me connaissaient, que tous savaient ce que j'avais fait. Une oppressante paranoïa qui, jour après jour, limita mes sorties pour qu'elles ne se résument au final qu'au strict minimum. Le simple fait de regarder par la fenêtre de mon appartement me donnait le vertige, comme si la ville m'attirait vers elle. Comme un prédateur usant d'un stratagème pour attirer sa proie. Mais en ne sortant plus, ma vie devint alors encore plus misérable. Dans les murs étriqués de mon appartement, ce furent les meublent eux-mêmes qui commencèrent à m'agresser. Leurs craquement étaient comme des cris de dégoût à mon adresse, un moyen de manifester leur haine envers moi. Ainsi passais-je mes journée en compagnie d'objets qui me détestaient et qui, immobiles, me surveillaient attentivement. Leur compagnie m'horrifiait tellement que je finis par m'aménager une pièce entièrement vide où je pourrais passer mes journées, loin de toute compagnie. Il n'y avait ni fenêtre si décorum dans ce bureau, simplement y avais-je posé mon ordinateur sur le sol.
Sur cet ordinateur, j'écrivais mon histoire. J'avais gardé mon carnet et, jour après jour, je recopiais ce qui y était inscrit. Dès que j'avais fini, je me relisais pour me rendre compte de chaque défaut qui figurait dans le texte, et j'effaçais tout. Je passais ensuite la journée suivante à observer mon document textuel vide, me demandant dans quel but je faisait ça, cherchant ce qui m'y poussait. Aucune raison ne vint jamais, et à chaque fois, je me contentais de recommencer mon ouvrage avec encore plus de désespoir que la fois précédente. Hormis Leslie, je ne parlais désormais plus qu'à Josh Salesman. Depuis notre départ, il s'était chargé de tellement de choses pour nous que je me sentais forcé de le consulter pour la moindre de mes réélections, aussi peu nombreuses soient-elles. En effet, l'avocat nous avait offert cette vie : à notre arrivée ici, c'était lui qui avait vendu mon appartement et qui m'avait donné les bénéfices. Il s'était aussi occupé de ma mort officielle ainsi que de mon changement d'identité. Ce dernier point est une chose à laquelle je préfère ne pas penser mais il m'est nécessaire d'en parler étant donné l'importance qu'il a. En réalité, moi et Leslie avons simplement changé de nom à Londres, une manière comme une autre de disparaître. La vraie complication n'est pas là, elle se situe de l'autre côté de l'Atlantique. Le vrai problème est en fait un dégât collatéral que constituent ma femme et ma fille. Par précaution, elles ont toutes les deux changé de ville et de nom, comme nous en fait, mais sans raison valable. Rien ne leur a été expliqué, mais Sarah a compris et même si je découvre avec le temps qu'elle avait bien des défauts, son envie de protéger sa fille dépassait largement le reste. C'est pourquoi elles se trouvent actuellement dans une ville qui m'est inconnue en portant un nom qui m'est inconnu. Seul Josh connaît les détails, et c'est sans doute mieux ainsi. J'en avais marre de gérer ma vie et le fait qu'un autre le fasse pour moi était un grand soulagement, un bon moyen de souffler, même si je le payais relativement bien. Lorsqu'un jour j'avais eu l'idée folle de publier mon texte, il me l'avait formellement interdit à moins d'y changer les noms et les événements publiques. Il m'avait expliqué que si je le publiais dans son état actuel, il serait considéré comme des aveux et nous nous retrouverions tous en prison dans les plus brefs délais. N'ayant ni envie d'envoyer en prison tous ceux que j'appréciais, ni de publier un texte mensonger, j'abandonnais purement et simplement cette idée de publication. Et c'est depuis ce jour que j'écrivais en boucle une histoire qui ne cessait de disparaître pour laisser place à une nouvelle version. J'ai en parallèle tenté en vain de me libérer de mon passé en le racontant aux multiples psychologues que j'ai rencontré durant les deux premiers mois. À chaque fois, je ne recevais que de nouvelle question face à mes révélations,
aussi finis-je par abandonner l'espoir de trouver une solution dans les consultations. Désireux d'oublier la solitude et l'inutilité de ma personne, j'avais décidé de commencer à boire. C'était, avec Leslie, le seul contact chaleureux que le monde daignait m'offrir et j'étais prêt à y mettre le prix. Chaque jour, mon chagrin augmentait proportionnellement au nombre de bouteilles que j'avais bu la veille, m'obligeant à augmenter la dose pour espérer tenir jusqu'au soir. Je noyais ma tristesse et mes regrets sous les différents alcools que j'ingérais à longueur de journée, jusqu'à parfois oublier mon prénom. Un jour, j'ai remarqué des marques sur le corps de Leslie, je me suis demandé si c'était moi qui les avait laissé là durant une de mes nombreuses crises éthyliques. Jamais je ne lui ai demandé, ayant trop peur d'entendre une réponse positive. La plupart du temps, nous nous rencontrions pour la première fois en pleine soirée, quand elle me servait le repas. Nous mangions ensemble, en silence le plus souvent, puis elle retournait faire ses devoirs sous mon regard attentif. Les rares soirées où elle n'avait pas à travailler, on pouvait entendre les gémissements feints d'un plaisir éteint depuis longtemps dans tout l'étage de l'immeuble. Je voyais bien qu'elle ne m'aimait plus, et je ne me sentais plus digne de l'aimer. Durant l'acte, ses yeux se détournaient des miens, jamais elle n'osait me regarder en face lorsque nous faisions l'amour. Sûrement faisait-elle comme moi, elle s'imaginait un autre à ma place, peut être s'agissait-il de son amant. Car elle avait un amant, c'était un fait avéré. Même s'il m'est difficile de savoir si le terme amant convient puisque nous n'étions pas mariés. Je l'avais vue durant une de mes sorties en quête d'eau-de-vie. Elle embrassait un autre homme devant le palier de l'immeuble avant de rentrer dans le hall, et qu'ai-je fait ? Absolument rien. Je n'avais pas la mauvaise foi suffisante pour lui en vouloir, je n'étais plus qu'une immense épave avec qui elle se sentait obligée de vivre. Elle faisait semblant de m'aimer et je faisais semblant que ce sentiment était réciproque pour qu'elle continue à le simuler. Sans elle j'étais foutu, elle était la dernière personne à m'offrir quelque chose, elle était la dernière personne que je fréquentais. Si elle partais, plus rien ne m'aurait donné envie de rester, plus rien. Ma disparition officielle avait coupé mes liens avec mon passé, elle était devenue la seule avec qui je pouvais échanger de façon amicale, mais même ça, c'était en train de disparaître peu à peu. Si les malédictions planant sur les lieux habitables existaient réellement, alors je ne doutais pas que cet appartement était hanté par notre faute. Nous avions laissé tellement de gêne, de haine, de remords et de violence que l'envie de vomir me prenait dès que j'y pénétrais.
Une idée qui me revenait souvent était celle du suicide, mais je continuais de ma rattacher à la vie. Non pas qu'elle me plaise, simplement refusais-je de mourrir en laissant de moi l'image d'un ivrogne. Aussi chaque jour qui passait, alors que mon état se détériorait, je me disais que si je n'avais pas mis fin à ma vie le jour précédant en raison du dégoût que je m'inspirais, il serait complètement idiot de me tuer alors que j'étais devenu encore pire. La pluie au dehors qui s'abattait régulièrement sur le toit résonnait dans toutes les pièces, même mon bureau, et elle me donnait l'impression que les massacres que j'avais commis se répétaient. Le sang de tous ces morts que j'avais éparpillé, c'était lui qui se déversait sur mon toit avec violence pour me rappeler quel genre de monstre j'étais. Alors j'ouvrais une bouteille, puis deux, puis trois, mais jamais le bruit ne s'arrêtait. Je pouvais plaquer mes mains contre mes oreilles, ça n'y changeait rien. J'étais obligé de crier, hurler le plus fort possible pour dépasser le vacarme causé par ces flots de sang. Quand Leslie rentrait les jours des pluies, quand elle me trouvait ivre mort, roulé en boule et criant à la mort, c'était dans ces moments là qu'elle se faisait la plus agréable. Elle venait se coller à moi, elle passait sa main autour de mes épaules et attendait. Elle ne disait rien, mais sa présence me réconfortait, très vite j'oubliais le bruit du sang. Cette fille était mon bien le plus précieux, et la garder auprès de moi était mon principal objectif. Mais j'avais l'impression que quoi que je fasse, elle restait avec moi. Jamais je ne m'étais autant détesté, et pourtant elle continuais à s'occuper de moi. Peut être pour mon argent, mais tant qu'elle restait, je me moquais bien de la raison. J'avais juste peur de son départ, car c'était le seul événement qui risquait de se produire dans ma triste existence. Ne faisant rien d'autre que boire et écrire, jamais je n'aurais pensé voir mon train de vie se modifier, alors que Leslie, il était sûr qu'un jour elle partirait, et ce jour là était ma pire crainte. Cependant, cet événement qui devait nous séparer, il se produisit bien avant qu'elle ne me quitte. Il eu lieu alors que j'allais acheter de l'alcool, mais dans mon état, il m'est impossible d'expliquer quoi que ce soit si ce n'est que j'y ai perdu connaissance...
Chapitre 52 : Sensationnel Si il y avait bien une chose à laquelle jamais je ne m'habituerais, c'était le goût du sang. Jamais je n'avais connu de sensation plus étrange que celle de sentir son propre sang se mélanger dans sa salive. Ce liquide, à la fois symbole de la vie et de la souffrance, semblait s'approprier mon palais. Petit à petit, on ne sentait plus que lui, tout autre goût disparaissait pour laisser place à une impression de profond mal aise. On disait son goût métallique, mais n'ayant jamais goûté le moindre métal, je ne me considérais pas comme le plus qualifié pour confirmer ce fait. Pour moi, ce goût était simplement agressif, il agressait mes papilles, m'empêchant de penser à quoi que ce soit d'autre. De plus, sa consistance presque pâteuse avait la mauvaise manie de se répandre partout, enrayant les mouvements de ma langue et m'obligeant à parler comme un dégénéré mental. Mais le pire dans tout ça, c'était sans aucun doute les souvenirs qu'il faisait ressurgir. Pour moi, avoir la bouche pleine de sang, c'était être en train de souffrir. Rien ne pouvait plus me rappeler la torture que le goût du sang, cette impression que la mort refuse de nous prendre sous son aile alors que c'est tout ce que l'on demande. C'est pour ces multiples raisons qu'à mon réveil, mon premier réflexe ne fut pas d'appeler de l'aide ou d'analyser ma situation, mais bien de cracher la quantité astronomique de ce liquide rouge qui avait élu domicile dans ma bouche. Alors qu'un long filet de salive sanglante pendait à ma lèvre inférieures, j'essayais désespérément de reprendre le contrôle de mes sens. Tout mon corps me paraissait flou, j'étais comme séparé de lui par un filtre, quelque chose qui brouillerait ma proprioception. J'étais prisonnier dans ma bouche, c'est un fait relativement insolite mais ma conscience était noyée sous le sang. Seul son goût et les vagues qu'ils provoquaient dans mon palais arrivaient à atteindre mon système nerveux. J'essayais en vain de briser ces barrières psychiques mais rien n'y fit, j'étais tout bonnement incapable de ressentir autre chose que la muqueuse sous mes joues et tout ce qui entrait en contact avec cette dernière. Le temps passait, seconde après seconde, minute après minute, heure après heure, année après année. Ma bouche n'ayant pas la capacité de se repérer dans le temps, je devais alors attendre, ayant pour seule occupation de cracher régulièrement des gerbes de sang dans cet immense néant qui semblait m'entourer. Et puis soudain, comme par miracle, j'entendis un son. Un son ridiculement court mais qui me fit l'effet d'une bombe. J'avais l'impression de redécouvrir mon ouïe, même si ce n'était que pour une demi-seconde, j'avais entendu
quelque chose. De par sa durée, il m'aurait été impossible de caractériser précisément l'origine de ce son, mais au moins l'avais-je entendu. Ce que je pouvais en dire ? Bien peu de chose, si ce n'est qu'il fut grave, uniquement cela. Bientôt, ce son fut suivi par beaucoup d'autres, de plus en plus longs, pour que finalement il ne se passe plus une seule seconde sans que je n'entende de bruit. Là encore, tout était très flou, si il s'agissait de voix, alors je n'arrivais pas à comprendre leur langue, si il s'agissait de simples bruits, alors j'étais incapable d'en deviner la source. Mais ces détails ne m'importaient pas, ce qui comptait, c'était que je pouvais entendre à nouveau. Ce néant dans lequel je crachais mon sang produisait du son, et c'était étrangement agréable de le savoir. Tel un enfant, je m'amusais à essayer de déchiffrer en vain les différents bruits qui parvenaient jusqu'à mes oreilles. Cette récente absence de silence me mettait aux anges, et chaque onde sonore qui atteignait mes tympans était un nouveau défis, une nouvelle énigme à résoudre. Alors que j'étais en pleine gamineries, je me rendis compte que je percevais désormais des odeurs. C'était très faible, mais en me concentrant, j'arrivais à sentir quelque chose bien que, comme pour l'ouïe, je n'étais pas en mesure d'en étudier la source. Le goût du sang qui se mélangeait dans ma bouche. Les bruits indescriptibles qui se propageaient jusqu'à mes oreilles. Les odeurs étranges et insolites qui atteignaient péniblement mes narines. Je redécouvrais mes sens, et à chaque fois qu'un nouveau arrivait, je devais me concentrer pour ne pas perdre la conscience des anciens. Mon cerveau encore brumeux ne pouvant pas tous les gérer en même temps, je me devais de choisir de quel sens je préférais disposer, m'obligeant à oublier les autres. Dès lors, je ressentais une profonde angoisse à chaque fois que je vérifiais si je n'avais pas perdu le contrôle nouvellement acquis des parties de mon corps, et surtout des perceptions qu'elles m'offraient. Ainsi, je crachais et reniflais à intervalles réguliers, dans l'unique but de tester mes capacités sensitives. Si je focalisais mon attention sur mon odorat, rien d'autre qu'un arôme agressif ne m'atteignait, au début j'aimais le sentir mais l'odeur finit par être trop forte pour que je puisse la supporter. Je décidais donc d'oublier mon odorat pour me centrer à nouveau sur l'ouïe, là où le son était agréable et intriguant, là où je pouvais trouver de l'amusement. Aussi tentais-je à nouveau de reconnaître les bruits, mais en m'ajoutant une nouvelle difficulté : chercher l'emplacement de ces bruits. Même si j'avais l'impression de me trouver dans un immense vide bruyant et puant, je réussissais tout de même à comprendre que les sons provenaient d'endroits différents tout autour de moi. Je n'aurais su dire lequel était à droite et lequel était à gauche, mais j'étais sûr
qu'ils ne se trouvaient pas tous au même endroit. Comble de la joie, j'entendais parfois des bruits dont la source se déplaçait tout en les provoquant. Mais mon insouciance devait s'arrêter, et étonnamment, ce fut l'arrivée d'une nouvelle sensation qui vint tout stopper : la douleur. De nouveau j'avais un corps, mais il ne se constituait que de souffrances. Impossible de dire où était mon bras, mes jambes, mon pieds, je ne pouvais que différencier l'endroit qui me faisait atrocement mal de celui qui me provoquait une douleur supportable. Là, j'oubliais tout les autres sens, la souffrance était désormais la seule chose dont j'avais conscience, je n'étais plus qu'une masse brûlante et hurlante, une tempête violente, un déluge ravageur, mais tout était à l'intérieur. Je n'existais plus que pour ressentir l'immense guerre qui semblait se dérouler en moi, détruisant une à une des parties de mon corps dont j'ignorais l'existence jusqu'à ce moment. C'était comme si mon corps, si tant est que j'ai un corps, se renouvelait au fur et à mesure que la douleur l'annihilait, m'obligeant à souffrir indéfiniment. J'étais déchiré, arraché, brûlé, glacé, violé, mais rien ne sortait. Je ne pouvais pas hurler, je ne pouvais pas bouger, je n'étais qu'un pantin, une poupée vaudou. Cette douleur ne pouvait pas être la mienne, car je n'étais rien, ou plutôt aurais-je préféré n'être rien pour ne pas avoir à la supporter. Et alors que le concept de mort venait de m'apparaître comme une éventuelle libération, tous mes autres sens se réveillèrent d'un coup. Me submergeant comme un raz-de-marée. Les odeurs nauséabonde de la pièce, cette impression de renfermé, le sang séché qui devait traîner sur le sol depuis plusieurs heures, le tout se mélangeait et me provoqua une soudaine envie de vomir. Mais je ne pouvais pas vomir, ma bouche était remplie de sang, le mien, et il se répandait , collait, bloquait, puait. Je me sentais mal, emprisonné par ce liquide répugnant qui se déversait dans ma propre bouche. J'aurais voulu utiliser cette bouche pour hurler ma douleur, mais je n'arrivais jamais à émettre le moindre son. J'étais donc forcé d'écouter celui des autres, d'entendre ces insultes, ces voix qui se mêlaient, ce ton menaçant que tous utilisaient contre moi. J'étais haï par ces personnes, je n'avais pas besoin de comprendre ce qu'ils disaient, je l'entendais. Dans un ultime effort, je réussis à lever une paupière, mais la grande salle grise et sale dans laquelle je me trouvais se mit rapidement à tourbillonner autour de moi. Je finit alors emporté dans cette spirale, perdu dans ce monde instable. Enfin j'oubliais mon être pour retourner là d'où je venais : le néant.
Chapitre 53 : Encore et encore... À mon second réveil, si tant est qu'il ne s'agisse que du second, il ne me fallu pas plus de quelques secondes pour prendre pleinement conscience de mon corps et de la grande salle qui l'entourait. Malgré l'intense douleur qui se répandait dans mes muscles, j'observais avec attention les murs gris et sales de l'endroit, recouverts de tags et de tâches. Un regard vers le bas et j'aperçois l'immense flaque de sang sur laquelle ma chaise était posée. Une unique lampe mourante tentait de garder la pièce éclairée en utilisant ses dernière forces pour nous permettre de ne pas tomber dans la pénombre. Ainsi, à intervalles réguliers, les ténèbres s'emparaient de l'endroit pendant une seconde, parfois plus. Le sang dans mon nez m'empêchait de sentir normalement, mais j'arrivais tout de même à percevoir les odeurs nauséabondes qui se dégageaient de l'endroit, au point de me donner envie de vomir. -Bon retour parmi nous, monsieur Da Silva. Je relevais les yeux vers la source de cette voix pour apercevoir, avec une surprise indéfinissable, l'avocat de Saliego. Toujours dans son magnifique costume noir et rouge, Ellijah me toisait du regard, une haine profonde dans les yeux. -Qu'est-ce que vous foutez ici ? Lui demandais avec une articulation des plus discutables. -La vraie question serait plutôt "qu'est-ce je fous ici". L'esprit endormi par la douleur et le manque d'alcool, je n'arrivais pas à comprendre ce qu'il venait de me dire. En réalité, j'étais incapable de me concentrer sur les mots qui sortaient de sa bouche : j'avais besoin de boire. -Un verre... -Comment ça, un verre ? -Me faut quelque chose, n'importe quoi... -Vous n'êtes pas là pour être chouchouter monsieur Da Silva. Vous savez pourquoi vous êtes ici ? Peu m'importait la raison de ma présence ici, je sentais mes membres trembler et mon esprit semblait décidé à me quitter. Tout était flou autour de moi et ce n'était pas la douleur qui faisait ça, j'en étais sûr. -Je m'en fou, j'ai besoin de boire ! Hurlais-je devant l'expression étonnée de mon tortionnaire.
-Mais bien sur monsieur, ce sera tout ? Pour qui vous vous prenez ? Vous n'êtes pas en position de force, et il est fort probable qu'aujourd'hui soit votre dernier jour. -À quoi bon ? -Comment ça, "à quoi bon" ? -Pourquoi je lutterais ? Qu'est-ce qu'il y a dans ma vie qui me pousserait à continuer ? Un sourire traversa le visage mesquin d'Ellijah, suivit de près par un air faussement penseur. Je tremblais trop, beaucoup trop, ma chaise se balançait violemment, résonnant à chaque fois qu'elle touchait le sol. -Vous ne seriez donc pas dérangé si je vous assassinais ? -Non. -Pas même vis à vis de Leslie ou encore de Lily ? -Et ? Ça fait presque un an que je ne l'ai plus vu.... Je pense qu'elle peut se débrouiller sans moi. Je n'étais pas sûr de croire ce que je disais, mais l'important était de pousser Ellijah à me tuer. Ce manque d'alcool mêlé à la souffrance physique devenait bien trop insupportable, et à moins que leurs intentions ne deviennent d'un coup pacifique, il n'y avait que la mort qui pouvait me libérer. -Peut être que Lily peut se débrouiller, mais nous pourrions la tuer. -Non, elle a disparu avec sa mère. -Tout comme vous... Et pourtant vous êtes là, sur cette chaise à vous vider de votre sang. Il marquait un point, mais étais-je réellement prêt à endurer une telle douleur, simplement pour sauvegarder ma fille ? Je n'en avais aucune idée, ma tête était incapable de penser, je ne pouvais pas faire de choix. -Qu'est-ce que vous voulez de m... Le manque était trop grand, je n'en pouvais plus. Je m'écroulais sur le sol, entraînant la chaise dans ma chute. Mon corps baignait désormais dans le sang mais c'était le cadet de mes soucis. Mon cœur était sur le point d'exploser, tout comme la salle qui tourbillonnait autour de moi. Je n'étais plus moi même, juste une masse informe qui hurlais jusqu'à s'en détruire les cordes vocales. J'attendis alors dans cette position, me tordant de douleur, jusqu'à ce que je sente une sorte de goulot se déposer sur mes lèvres. Alors, le breuvage sacré se déversa dans ma bouche et je l'avalais, gorgée par gorgée, jusqu'à ce que je me sente légèrement mieux.
-C'est tout ? Me demanda l'homme qui venait de me servir. -Oui. Lorsque que l'on remit ma chaise sur ses pieds, je me rendit compte que nous n'étions pas deux dans la salle, mais presque une dizaine. C'était une petite armée qui s'était mobilisée pour me surveiller et me torturer. -Alors, reprit Ellijah, prêt à parler ? -Est-ce que j'ai le choix ? -Peu importe, ma question n'avait de toutes façons aucun sens. -Ah ? -En effet, il n'est pas question pour vous de parler, mais de hurler. Ce qui me ramène à ma question originelle : savez-vous pourquoi vous êtes ici ? -Évidement. Même si c'est une raison des plus stupides. Si vous ne vouliez pas que j'entrave vos affaire, le meilleur moyen était encore de me laisser à l'écart. -Nous ne sommes pas ici pour vous empêcher de nous nuire à nouveau, nous sommes ici pour vous faire payer vos affronts passés. -Vous savez où vous pouvez vous les fourrer, mes affronts passés ? -Je suppose que nous le savons tous. Mais là n'est pas la question. Vous vous rendez compte que vous avez détruit à vous seul le plus grand empire criminel de Los Angeles ? -Je mérite donc une médaille. -Vous avez tué Faustin, alors Migaud a fuit, donc Saliego l'a assassiné. Ensuite, ces récentes morts ont causé de l'agitation au sein des hommes de l'organisation, ce qui a débouché sur diverses tentatives d'assassinat, de suppression de pouvoir ou encore sur la création de nouvelles entreprises concurrentes. Mais le pire de tous les actes reste le votre : non content d'avoir mis fin à la vie d'un homme qui aurait pu nous rapporter des millions si il avait survécu encore quelques jours, vous avez aussi tué notre meilleur homme, et ce sans le moindre scrupule alors que vous aviez travaillé de concert à peine une semaine auparavant. -Je connais les faits... À quoi croyez vous que serve l'alcool ? -Je ne crois pas qu'il serve à grand chose. À part vous attirer encore plus de mépris, je ne lui trouve aucune utilité. Malgré la douleur dans mon cou à chaque fois que je bougeais la tête, je réussis à orienter ma bouche vers Ellijah et à lui cracher une gerbe de sang sur son magnifique costume. Le geste m'arracha un hurlement mais le jeu en valait la chandelle. -Amusant, répondit-il avec un air profondément dégoûté. Je vois que personne ne vous a appris les bonnes manières. Tant pis, je vais rattraper le temps perdu.
Il fit un signe avec ses hommes, alors deux de ses subordonnés vinrent se placer devant moi, une batte de baseball dans les mains. Je voyais dans leurs yeux que pour eux, tout ça n'était qu'amusement, une flamme sadique brillait dans leurs pupilles. Ils me fixèrent pendant quelques secondes avant d'entamer les coups, tous les deux même temps. Mes os se brisaient, le sang jaillissaient autant par mes blessures que par ma bouche lorsque je hurlais. Chaque coup était plus douloureux que le précédant, j'avais continuellement l'impression que la prochaine frappe allait me mettre K.O. Et pourtant, cette délivrance semblait ne jamais devoir venir. J'étais condamné à souffrir sans jamais pouvoir m'évanouir, j'allais ressentir chacune de ces frappes jusqu'à la dernière, si tant est qu'il y puisse y avoir une dernière. -Alors ? Qu'est-ce que ça fait d'être la victime ? Me demanda Ellijah. Vous comprenez désormais ce que Marco et moi avons ressenti lors de votre massacre ? -Marco m'a fait connaître bien pire lorsqu'il a tué trois de mes proches. -Bien pire ? La destruction d'un empire qu'on a passé des dizaines d'années à monter est incomparable avec la mort de trois pitoyables personnes. Vous ne savez pas ce que ça fait de tout perdre, parce que vous n'avez jamais rien eu. -Ce que je vois, c'est que votre organisation tremble et qu'au lieu de la stabiliser, vous torturez celui qui a détaché un boulon. J'étais assez fier de la tournure de ma phrase, mais un nouveau coup dans ma mâchoire me rappela que je n'étais pas là pour débattre, mon juge était tout sauf impartiale et je n'avais le droit que de crier. Ce que je fis quand je me rendis compte que quelques dents avaient quitté leur racine suite à la violence de ce coup. -Il n'y a plus rien à faire, m'annonça Ellijah. Marco est devenu complètement fou. Le monde entier est devenu fou. Si vous êtes là, c'est uniquement de mon fait. Je veux, quand je mourrais, pouvoir me dire que j'ai fais souffrir celui qui a détruit ma vie. -Eh bien f'est fose faite, laiffez moi mourrir maintenant ! -Oh non, tant que je ne serais pas mort, vous ne mourrez pas non plus. -F'est une infitation au meurtre ? -C'est une simple information. Vous n'êtes pas en mesure de tuer qui que ce soit, de toute façon. -Croyez fa. Les deux hommes avaient arrêté de frapper. Je pris donc une profonde inspiration avant de cracher deux de mes dents dans l'immense flaque de sang qui se dessinais à mes pieds.
Plus le temps passait et plus cet endroit me semblait lugubre. La lumière faiblissait à vue d'œil, les murs avaient l'air de plus en plus impropres et Ellijah devenait plus monstrueux à chaque mot qui sortait de sa bouche. -Je vous hais, me dit-il. Pour la première fois, je comprends le sens de ce mot. Nous ne nous sommes vu que quelques heures, mais vous avez réussi à détruire ma vie. Pourtant vous n'êtes rien, une petite bête, simple créature qui se laisse emporter par des instincts stupides pour détruire des choses bien plus grande qu'elle. Vous ne comprenez pas ce que vous faites, mais vous le faites, et une fois que c'est fini, vous vous mettez à pleurer comme une gamine. Vous fuyez la responsabilité de vos actes en vous réfugiant dans l'alcool. Si il y a un monstre dans cette ville, c'est vous. Et pourtant, vous êtes sans doute l'homme qui souhaite le plus y être quelqu'un de bien. Simplement, vous êtes incapable de choisir ce que vous êtes, parce que vous êtes faible. Vous entendez monsieur Da Silva ? Vous êtes faible ! Ses hurlements devinrent presque plus assourdissants que les miens, et je commençais alors à éclater de rire, ce qui excita se curiosité. -Je ne vois pas ce qu'il y a de si drôle. -F'est stupide mais... J'ai pafé plusieurs mois à la rechercher d'un pfy, or vous êtes felui qui a le mieux réufi à me ferner. Ironique n'est-fe pas ? Quand on fait que vous voulez me tuer. -Stupide en effet. Mais ce qui est vraiment stupide, c'est d'avoir osé rire en face de moi. Je pense que votre mâchoire n'est pas encore suffisamment entamée. De nouveau il y eut un signe, et de nouveau la salle fut envahie par des hurlements de douleurs qui me faisaient froid dans le dos, même si c'était moi qui les poussait. Je me demandais, si je survivais à tout ça, quelle partie de mon corps serait encore en état de fonctionner normalement. -Vous avez perdu monsieur Da Silva, vous avez tout perdu. -Ou omme ous, bégayais-je. -Excusez moi, ça devient impossible de comprendre ce que vous dites. -A aue à i ? -Je renonce à vous parler... Discuter avec vous aura été... Comment dire ? Instructif. -E est as eioe. -Bien-sûr, je vous crois sur parole. Il allait pour quitter la pièce mais au dernier moment, il se retourna vers moi et fixa mon corps endolorie, un rictus méprisant sur le visage. Cet air là me rappelait presque celui qu'affichait Saliego quand je torturais pour lui, mais
c'était une époque bien lointaine. -Voyez vous, j'hésite à vous tuer... La douleur est un beau châtiment, mais vous laisser en vie serait bien trop beau pour que vous le méritiez. À moins que... Je le vis hésiter quelques instants. Il se passa la main sur le menton à la manière des scientifiques, m'observant comme une bête de foire, cherchant quelque chose en moi, mais je n'arrivais pas à savoir quoi. -Les bras, ça me semble bien les bras, finit-il par dire. Sans bras, plus de fusillades, et donc plus de morts regrettables. Oui, les bras, bonne idée. Ôtez lui ses bras ! Les deux tortionnaires aux regards sadiques s'approchent de moi lorsqu'un coup de feu retentit entre les murs crasseux de cette pièce. Il fut suivi de trois autres coups, puis le silence complet s'installa comme une sorte de libération. Je me retins même de lâcher des gémissement pour honorer ce tout nouveau silence. Je regardais ces corps étendus sur le sol, certains nageant dans mon propre sang, et je me demandais quel sentiment je devais éprouver. J'étais heureux de voir ces hommes morts, mais ça ne me rappelait que trop bien les différents meurtres que j'avais exécuté avant mon départ. Alors que j'étais mêlé entre joie et horreur, j'eu à peine le temps d'apercevoir le visage de mon sauveur que déjà je me sentais partir. Évidement, il fallait que ça arrive quand la torture était finie, mais j'acceptais tout de même de quitter ce monde : la douleur était toujours là.
Chapitre 54 : Collé Réveil douloureux, plusieurs côtes cassées, quelques dents en moins, impression de vertige alors que j'étais couché, ne sent plus mes jambes, légère douleur, comme en arrière plan. -Bonjour ! Enfin de retour parmi nous ! S'écria une voix qui semblait sortie de nulle part. J'ouvris péniblement un œil pour me rendre compte que je me trouvais dans une sorte de salle d'opération. Un immense faisceau lumineux était braqué sur moi, m'éblouissant presque totalement. Malgré ça, je pouvais observer les murs blancs et propres autour de moi ainsi que les différents médicaments et outils qui avaient été répartis sur les innombrables étagère de la pièce. Le propriétaire de la voix était un homme que j'avais déjà vu deux fois en tout et pour tout : le docteur Phil Stevenson. Dans sa blouse blanche, il affichait un sourire des plus réconfortants. -Ça s'est joué de justesse, votre ami aurait attendu quelques minutes de plus et vous étiez perdu. Je regardais dans sa direction sans dire le moindre mot. Derrière mon médecin, sur une petite table métallique, une bouteille de Whisky trônait fièrement, me rappelant que je n'avais pas bu depuis ma torture. -E eu a oueie. Les mots n'arrivaient pas à sortir de ma bouche, j'étais comme un enfant. C'était horrible de réussir à penser normalement mais de ne pas pouvoir formuler ses idée à haute voix. -Ne vous fatiguez pas, votre bouche est encore en piteux état. Rien ne sert d'essayer de parler pour le moment, ni même de bouger d'ailleurs. Vous allez rester là plusieurs jours encore, voir même un mois entier. Refusant tout de suite cette éventualité, je tentais de me lever mais tout le long de mon corps, j'eu l'impression que mes muscles étaient sur le point de se déchirer et je restais donc immobile. -Tout va bien, vous survivrez, peut être même que vous ne garderez pas de séquelles trop importantes. L'objectif maintenant, c'est de vous reposer. J'avais tellement de choses à exprimer, tellement de question à poser, mais aucune ne passa mes lèvres. Je ne pouvais rien dire, j'étais prisonnier à
l'intérieur. Toutes mes idées ne s'exprimaient qu'en gargouillis incompréhensibles, même pour moi. J'ai donc dû attendre sur ce matelas, incapable de discuter, incapable de bouger, incapable d'exister. C'était comme si mon esprit avait été bloqué dans une statue, attendant qu'on le libère. Les jours qui suivirent, j'ai passé le plus claire de mon temps à dormir. À la fois parce que je n'avais pas le choix et parce que c'était ce que le docteur n'arrêtait pas de me conseiller de faire. Quelques fois, il lui arrivait d'entrer dans la pièce avec un air grave. Là, il disposait un masque sur mes yeux avant d'entamer ses soins. Parfois j'étais anesthésie, parfois pas. Parfois j'avais l'impression qu'il jouait avec mon corps, parfois j'avais l'impression que lui aussi me torturait. Au début j'avais essayé de m'habituer à la douleur, mais après chaque opération, il y en avait un nouveau type de souffrance qui se réveillait, et alors tous mes efforts partaient en fumée. Je finis donc par accepter de souffrir, et quand je ne dormais pas, je me contentais de penser. Souvent je réfléchissais à des détails futiles, comme le temps qu'il faisait dehors ou ce qui pouvait bien se passer aux infos. Mais parfois aussi, il m'arrivait de réfléchir à mon passé, à Leslie ou encore à Lily. En revanche, au bout de quelques heures, c'était l'alcool qui prenait le pas sur tout. Je me mettais à trembler peu à peu, je commençais à crier, et directement Stevenson arrivait pour me donner ma dose. Il avait rapidement compris mon problème et, ne considérant pas son cabinet comme une cure de désintoxication, il décida simplement de me laisser boire à intervalles réguliers. Ainsi passaient mes jours, dans le sommeil et la douleur, dans les rêveries et l'ivresse. Aucun moyen d'exister autre que de se faire servir. Je me sentais comme une sorte de boulet qu'on essayait de maintenir en vie à contrecœur. Chaque jour, lorsque Stevenson passait dans ma chambre, il me disait des phrases telles que "vous allez voir, bientôt ça ira mieux" ou encore "ça va faire un peu mal, mais rien de bien exceptionnel". Quand j'eu entendu une dizaine de fois la même phrase, je me rendis compte que ça faisait vraiment longtemps que j'attendais sur ce lit, et pourtant, rien ne semblait avoir changé, et rien ne me permettait de savoir depuis combien de temps j'étais arrivé. La pièce ne comptait ni fenêtre, ni calendrier, ni horloge, ni télévision. Je devais donc faire preuve d'imagination pour continuer à me persuader qu'au dehors, le monde continuais d'exister. En réalité, j'étais ici pire qu'à Londres. Car si à Londres j'étais une épave, ici je n'étais plus qu'une statue. Si à Londres j'avais une amie aimante, ici je ne disposais que d'un médecin me sortant des phrases toutes faites. Si à Londres je me cachais les yeux derrière des vagues d'alcool, ici les doses données me laissaient une lucidité totale, ainsi comprenais-je la tristesse de ma situation et
tout ce qu'elle avait de désespérant. Pourtant, un jour, sans raison aucune, je reçus une visite. Pas n'importe quelle visite, mais celle de Viktor. J'aurais voulu lui crier ma joie de le voir, le prendre dans mes bras, mais je me contentais d'un léger gémissement ainsi que d'un mouvement maladroit et douloureux. Mon ami pris place sur le lit en prenant soin de ne pas m'écraser, puis il me regarda pendant de longues minutes, observant mon état paralytique. Quand son analyse fut terminée, il se décida à prendre la parole. -J'arrive pas à croire que tu sois là, même si c'est pas ta faute, après tout ce qu'il s'est passé, je n'imaginais pas te revoir ici. Bon après, c'est pas plus mal, je crois que j'ai vraiment besoin de compagnie ici, après la mort de Nick et avec Lucy qui... Enfin tu comprends quoi. Remarque si tu restes dans cet état, je ne suis pas sûr que tu sois la meilleure compagnie possible, m'enfin, je peux me satisfaire du minimum en ce moment. C'est au moins autant le bordel dans ma vie que dans cette foutue ville. Parce que si personne ne te l'a dit, faut que tu sache que depuis que t'es parti, c'est vraiment la merde à Los Angeles. Saliego est l'ennemi publique numéro un des autres mafias, qui soit-dit-en-passant, viennent juste de se créer grâce à tes coups d'éclat. T'as foutu en l'air le monopole de Marco, et il est définitivement incapable de se le réaproprier. D'autant que maintenant qu'Ellijah n'est plus là, on est en face d'une suite d'erreurs monumentales qui vont sans doute le mener à sa perte. La ville est à feu et à sang, grâce ou à cause de toi, je sais pas vraiment c'est quoi le bon terme. Pour moi c'est plutôt une bonne chose, parce que bon... Si Marco n'avait pas été aussi occupé, je suis sûr qu'il m'aurait déjà buté une bonne dizaine de fois à cause de ma participation à la destruction de la ville. Au final, le contrôle de la ville se dispute à quatre : Il y a le 18st, qui cherche à se venger de la mort d'Andréa. Après t'a Los Zetas, un gang rival, ils ont le monopole du trafic d'arme, c'est des bons, moi je te le dis. Après il y a l'organisation de Marco qui va bientôt se casser la gueule à mon avis, face à celle d'un gars, un petit nouveau qui vient de Chicago, enfin quand je dis petit nouveau... Il s'y connais quoi. Juste qu'il vient d'arriver. Toi qui voulais ton business de magasins d'armes, j'ai l'impression que c'est le bon moment, c'est tellement la merde que personne ne nous remarquerait. Sauf que comme Nick est plus là, je ne suis pas sûr de pouvoir me débrouiller seul à gérer une affaire comme ça. Évidement c'est des rêves de gosse, je sais qu'on y arrivera jamais... Simplement le fait que tu sois de retour, je sais pas, j'aimerais bien y croire. Parce que là, c'est un peu la dech chez moi, j'ai presque dépensé toute la thune du braquage, du coup je suis vraiment dans la merde. Putain ça devient impossible de vivre dans ce milieu, c'est vraiment le bordel.
J'ai l'impression que la vie me déteste au moins autant que je la déteste. J'en ai marre de pas pouvoir rêver grand, de devoir rester dans l'ombre c'est pour ça que... Tu vois, les armureries, c'est un moyen d'accomplir quelque chose. Je crois qu'on en a tous envie, parce qu'on a vue de quoi étaient capable les dirigeants. On a vu qu'il fallait les remplacer, que ce n'était plus possible et... J'aime à penser qu'on en est capable tu vois ? Putain je te parle depuis plusieurs minutes, je ne sais même pas si tu m'entends, ça se trouve t'aimerais bien que je ferme ma gueule. Je crois que tu m'as contaminé fils de pute, maintenant moi aussi je me lamente sur mon sort, t'y crois toi ? Dix mois plus tôt, on m'aurait dit ça, j'aurais foutu une balle dans la tête de ce menteur, mais maintenant... J'sais pas. J'arrive pas à savoir si je deviens plus intelligent ou juste plus mature... Putain c'est trop compliqué tout ça. La vie était tellement plus simple avant que t'arrive, t'aime bien foutre la merde faut croire, mais bon, c'est pour ça qu'on te kiff. Voilà voilà, je vais arrêter de faire sentimental parce que sinon tu vas croire que je suis gay putain ! Du coup, si un jour tu peux reparler, tu me préviens, tu me dirais ce que t'en penses de tout ça, ce que tu veux en faire. Il quitta la pièce comme il était arrivé, avec une certaine lenteur solennelle. Ça m'avait fait étrange de l'avoir entendu se confesser comme ça, sans difficultés, naturellement. J'étais encore secoué par ses déclarations, mais elles allaient occuper mon esprit pendant plusieurs jours. Dès que j'étais éveillé, je pensais aux magasins d'arme. Il me suffisait d'en acheter un, j'avais largement les moyens. On récupérait la marchandises chez Los Zetas à un prix défiant toute concurrence, puis on les vendrait en magasin au meilleur prix du marché. Comme l'avait dit Viktor, Nick aurait probablement le meilleur choix pour être le vendeur, mais suite à son décès, il allait falloir trouver quelqu'un d'autre. Ça n'avait pas d'importance, je pouvais y penser plus tard. Si on voulait s'agrandir, il fallait trouver quelqu'un qui s'y connaissait, un homme qui avait déjà trempé dans les hautes sphères, pas un simple homme de main comme je l'avais été. J'aurais été à la gestion, j'aurais eu un conseiller, Viktor s'occuperait des actions de terrain avec Lucy. Non, pas Lucy, je refusais de la revoir, je refusais de prendre un tel risque. Il nous fallait un homme de terrain, aussi bon qu'elle, mais dont la femme n'était pas morte par ma faute. Et puis, ultime affront à l'adresse de Saliego, nous aurions pu ouvrir un casino. Illégal, bien évidement, c'est là qu'on fait les meilleurs bénéfices. L'argent des cartes permettrait d'acheter des armes, qui nous permettraient d'agrandir le casino, donc d'avoir plus d'argent, donc plus d'armes, donc plus de bénéfices, donc plus de...
Mon cœur commençait à s'emballer, je ressentais de légère brûlure dans ma gorge, rien de bien extraordinaire, mais je devais boire avant que mon état n'empire. Je lâchais donc mon hurlement le plus puissant, et Stevenson accouru. -Alcool ? Demandât-il. J'acquiesçais du mieux que je pu, c'est à dire de quelques millimètres. Alors que la douleur se réveillait dans mon cou, il prit une des bouteilles qu'il avait entreposé près du lit exprès pour moi et me versa quelques gorgées. Je détestais ces moments, c'était là que j'avais le plus l'impression d'être un fardeaux. Comme les octogénaires dans les maisons de retraites, couchés dans un lit toute la journée à recevoir des soins sans bouger le petit doigt. C'était ça, ma vie. De nouveaux, les jours passèrent et se ressemblèrent. Les opérations étaient de moins en moins régulière et je ne souffrais presque plus, il m'arrivait même parfois de réussir à bouger mes membres. Ma bouche, quant à elle, produisait désormais des sons plus propres, mais encore difficiles à analyser. Je devais réapprendre à déplacer ma langue correctement dans mon palais, et m'habituer à la présence de vide là où auparavant, il y avait de magnifiques dents. C'était un exercice compliqué mais j'étais bien déterminé à retrouver la parole. Cependant, un jour, je reçut la visite d'une autre personne. Cette fois-ci, il ne s'agissait pas d'une ancienne connaissance : c'était l'homme qui était venu me sauver. Il était jeune, sans doute pas encore majeur, ses traits étaient ceux d'un adolescent. Il était d'origine ibérique, espagnole ou portugaise, je n'aurais pas su le dire. Ses cheveux noirs étaient tirés en arrière, me laissant apercevoir une peau des plus bronzées. Il resta dans l'entrée, ne pénétrant pas dans la pièce. Ses yeux noirs me regardaient fixement, et j'arrivais facilement à comprendre ce qu'il était venu faire ici, ce pourquoi il se trouvait ici. C'était lui qui m'avait sauvé, il venait simplement voir si ça avait été utile, si je n'avais pas succombé à mes blessures. C'était probablement son travail, ces meurtres qu'il avait avait fait sous mes yeux, il devait en commettre plein à longueur d'années. Si il était ici, c'était un moyen de montrer qu'il était toujours fiable. Un mort, ce n'est pas bon pour les affaires, il ne faut jamais faire d'erreur. Ça, je le savais mieux que personne et pourtant j'étais l'homme qui ne faisait presque que des erreurs. En gage de ma gratitude pour son sauvetage, aussi intéressé soit-il, je lui souris légèrement. Il me fixa alors longuement, comme attendant quelque chose de ma part, sauf que je ne pouvais rien lui donner. C'était étrange, on aurait vraiment
dit qu'il n'avait pas fini, que quelque chose restait à faire, pourtant il ne fit rien et se contenta de partir. Je le regardais quitter la pièce, et, au dernier moment, j'essayais quelque chose de fou : je tentais de lui parler. -Merci.
Chapitre 55 : Travail à domicile Lorsque je lui annonçais que j'étais de nouveau en mesure de communiquer, le docteur Stevenson exécuta une série de test sur mes capacités avant de conclure qu'effectivement, tout était revenu à la normale. Quand ce fut fait, il me laissa un téléphone et l'opportunité de passer mes journées à faire autre chose que d'attendre une visite. Dorénavant, c'était moi qui choisissais à qui je voulais parler. Rien d'étonnant à ça, la première personne que je décidais d'appeler fut Leslie. Je devais lui expliquer mon départ et surtout m'excuser pour le comportement que j'avais adopté ces derniers mois. L'envie de lui reprocher son amant me vint à l'esprit mais je décidais de reporter ça à plus tard : je n'aimais pas me disputer au téléphone. -Allô ? C'est qui ? Demandât-elle. -Leslie, c'est Mike. -Oh putain ! Merde c'est pas vrai ! Putain ! Putain ! Putain ! Mike ! -En chair et en os, désolé de... -T'étais où ? M'interrompit-elle, passant de l'euphorie à l'agacement en un clin d'œil. -Kidnapé par Saliego, rien de dramatique. Mais c'est bon, je m'en suis sorti. -T'es pas sérieux ? Oh merde, je suis vraiment désolée, si j'avais su... -Désolée de quoi ? Qu'est-ce que tu voulais faire ? -Je ne sais pas j'aurais peut être... Je sais pas. Mais putain, c'est pas reposant de vivre avec toi. -Ouaip. D'ailleurs à ce propos, je suis pas sûr de rentrer. -Pourquoi ? T'es toujours prisonnier ? -Non, simplement que j'ai conscience d'avoir été un poids pour toi et j'ai pas envie de te faire chier plus longtemps. -C'est pas moi qui vais te contredire mais t'as l'air d'aller mieux du coup... -J'ai peur de recommencer, donc je vais rester. J'ai des.... Comment dire ? Des ambitions. -Bon, bah fait comme tu le sens. -Je te laisse l'appartement et de quoi vivre pour encore quelques années, par contre je récupère le reste. -Ça va faire bizarre de plus te voir.... Après tout ce que t'as fait... -Au moins comme ça, t'auras plus à cacher tes aventures auxiliaires. C'était sorti tout seul, une sorte de pique masculine, une façon de montrer la colère qui bouillonnait en moi. Car si j'avais admis son adultère durant ma dépression éthylique, il était désormais relativement impensable que j'oublie ce qu'elle avait fait.
-Euh.... Quoi ? Hésitât-elle. De un, pourquoi "cacher" ? -Fait pas semblant de ne pas comprendre. Je veux bien qu'on me prenne pour un con, parce que j'en suis un, mais pas à ce point là. -Mais j'ai rien caché du tout moi ! Je t'ai prévenu moi ! -Ah ? Et quand ça je te prie ? -Une bonne dizaine de fois, et à chaque fois t'avais l'air d'avoir oublié dès le lendemain. -Pourquoi je te croirais ? -Parce qu'à le huitième fois, j'ai pris en vidéo ta réaction, histoire d'être prête si une situation comme celle d'aujourd'hui arrivait. -T'es pas sérieuse ? -Tout le temps. Je sentais une légère tension dans sa voix, mais en même temps, elle était fière d'avoir pensé à cette éventualité à c'était facilement remarquable. -Mais pourquoi tu continuais à vivre avec moi alors ? -Parce que sinon, tu serais mort étouffé dans ton vomi. Ça aurait été drôle sur le coup, mais après... Bon... -T'aurais pu me mettre quelque part, en cure par exemple. -J'y connais rien en nouvelle identité moi ! Je savais pas si en te mettant en cure, je ne risquais pas de briser notre couverture, du coup j'ai rien fait. -Admettons. Il reste quand même un dernier problème à ton raisonnement. -Je t'écoute. -Pourquoi tu continuais de coucher avec moi ? -M'oblige pas à répondre Mike. -Pourquoi ? -Je ne suis pas sûre que tu veuille sav... -Pourquoi ? Fais pas chier ! -On a arrêté de baiser au bout de deux mois. Précisément quand tu t'es mis à la forte consommation d'alcool. -Conneries, je m'en rappel encore. -Tu liras des textes sur les effets de l'alcool à forte dose et tu verra que c'est pas génial sur le cerveau. C'est dans ta tête qu'on baisait Mike, je suis désolée mais... -NON ! Je refusais de l'admettre, elle mentait, c'était certain. Ça se voyait à trois kilomètre qu'il s'agissait d'un baratin. Elle croyait pouvoir me duper, mais je n'étais pas aussi crédule qu'elle le croyait. -Dis pas n'importe quoi. Assume au moins ! -Mais je... Je t'ai dis que t'allais pas aimer.
-Arrête de me mentir et explique moi ! -Je t'ai expliqué. Tu crois vraiment que j'étais prête à coucher avec un ivrogne ? -J'en sais rien, en tant qu'ancienne prostituée, j'ai supposé que tu n'étais pas très regardante. Coup bas, je l'admet. Mais étais-ce pire que ce qu'elle venait de me faire ? J'annonçais simplement des faits alors que Leslie venait de me mentir, elle essayait de me manipuler pour que je me crois fou, elle voulait se protéger en me faisant passer pour un malade mental. Qui était le plus monstrueux des deux ? -Tu n'as pas dit ça... Tu n'as pas dit ça... -Ce n'est pas la vérité ? -T'es qu'un putain de sale connard, bordel pourquoi vous êtes tous des sales connards ? -Le connard il te paye ta maison et tes études ! -Nan, le connard il m'insulte. C'est pas toi qui a payé tout ce que j'ai. Toi t'es née il y a à peine quelques mois. Tu fais que récupérer le magot d'un autre. -Parce que toi, qu'est-ce que tu crois que t'as fait ? Tu pensais que me sauter une fois par jour, c'était suffisant pour être nourrie et logée ? Tu n'as pas récupéré le magot d'un autre peut être ? -Bon, t'es en colère. Je te comprends, mais sérieusement, tais toi. -Évidement je suis en colère ! Une fille a qui j'ai tout donné me trompe, et elle essaie de se justifier en me faisant croire que je suis un putain de dégénéré mental ! Tu voudrais que je sois aux anges ? -Mais merde Michael c'est la vérité. Pourquoi je te mentirais ? Pourquoi ? Elle pleurait. Elle pleurait vraiment. C'était un fait assez étrange que de l'entendre verser des larmes pour la première fois. Moi qui l'avait toujours vu heureuse et souriante, je ne m'imaginais pas qu'elle puisse pleurer, et pourtant... Mais ce n'était pas une raison pour lui pardonner. Enfin elle se trouvait en face de ses responsabilités, et sa culpabilité la submergeait, c'était ça qui causait ses pleurs. -Tu veux que je te dise pourquoi tu me mentirais ? Parce que t'as toujours eu tout ce que tu voulais, et maintenant, t'es pas capable d'en assumer les conséquences. -Toujours eu ce que je voulais ? T'es vraiment un enculé. Qui est-ce qui a grandi dans la rue, qui a dû mendier pour avoir accès à une éducation que TU as fui de ton plein gré ? J'ai tout fait pour acquérir des privilèges une tu avais dès la naissances, simplement que t'as craché dessus. Et je peux te comprendre, simplement ne m'insulte pas. -Tu ne sais pas ce que j'ai vécu. Ne dis pas que j'ai quitté l'école par plaisir ! Tu
n'as aucune putain d'idée de ce qui s'est passé avant qu'on se rencontre. -J'en sais suffisamment pour comprendre que tu es un mec bien qui a fait de mauvaises choses. Le truc, c'est que moi, je n'oublie pas la première partie de la phrase. -Qu'est-ce qui fais de toi une fille bien ? Dis le moi, qu'on se marre. T'es jolie ? Wouah, bel effort ! T'es drôle ? Je vais t'apprendre un truc, ça ne suffit pas ! T'es intelligente ? Pas suffisamment pour me faire avaler tes conneries en tout cas ! J'avais dis que je n'aimais pas me disputer au téléphone, et c'était précisément pour cette raison. Étant incapable de voir la personne, je ne pouvais pas me projeter en elle. Il n'y avait plus de barrière, je laissais ma colère déferler sur elle, sans jamais essayer de la comprendre, parce qu'au bout de la ligne, mon interlocuteur était déshumanisé. -Tu sais pourquoi tu t'énerve Michael ? -Parce qu'une salope m'a pris tout mon argent pour ensuite me mentir et me tromper ? -Parce que tu sais que j'ai raison et que tu n'assume pas. Sur ce, au revoir. Ce ne fut que lorsqu'elle eut raccroché que je me rendis compte d'à quel point j'avais merdé sur toute la ligne. Elle me mentait, c'était un fait admis, mais j'avais été trop loin, elle ne méritait pas un châtiment si lourd. Les insultes sur son passé de prostituée, lui crier dessus alors qu'elle était déjà en larmes... Mais en même temps, je ne voyais pas d'autres manières de réagir. Elle me trompait, elle ne me respectais pas après tout ce que je lui avais offert, mais quand je la prenais en flagrant délit, elle préférait me remettre en question plutôt qu'assumer ses propres actes. J'avais longtemps idolâtré cette fille, mais aujourd'hui, je découvrais sa vraie nature : perfide et manipulatrice. Jamais je n'aurais cru ça d'elle, pourtant les faits étaient là, juste devant moi. Je regardais fixement le téléphone de Stevenson avec l'envie de le jeter contre le mur. À peine quelques minutes auparavant, je rêvais de grandeur, d'empire sous mon contrôle, de magasins d'armes m'apportant d'immenses revenus. Et là, je venais d'être confronté à la dure réalité. J'étais incapable de contrôler mes sentiments, incapable de gérer une relation de couple, incapable de faire confiance aux bonnes personnes. J'étais un enfant qui voulait diriger le monde alors qu'il n'était même pas capable de ranger sa chambre tout seul. Dans le but de me prouver le contraire ( ou de m'enfoncer encore plus ), l'idée me vint d'appeler Lucy. De dépasser mes peurs, de lui offrir mes excuses, de tout lui expliquer, mais là aussi, j'en étais incapable. Au lieu de ça, mon dévolu se jeta sur Josh Salesman. -Josh ? C'est Michael.
-Michael ? Ça fait un moment dis donc ! -Je sais... J'ai eu des haut et des bas. -Oui, j'ai cru comprendre que tu dépensais plus en alcool que dans mes honoraires. -Effectivement. -Bon.... Je doute que tu ne m'appel pas pour passer le temps, vu le prix que ça va te coûter. Donc ? -Tu te rappel la première fois que je suis venu ? Avec Lucy. Je voulais monter un business. -Ouaip, je vois. -Eh bien, je crois que j'ai envie de concrétiser le projet. -Sérieusement ? -T'en pense quoi ? Il y eut quelques secondes de silence, sans doute la conséquence d'une intense réflection, puis Josh dit à quelqu'un de quitter la pièce, probablement un client avec qui il était quand je l'ai appelé. Ensuite, il reprit la parole à mon intention. -Ça me semble possible. D'autant que si tu rate, je ne perds rien, alors que si tu gagne, je me fais des couilles en or. Qu'est-ce qu'il te faut ? -En fait je voudrais plutôt savoir si tu m'en crois capable et si tu as des conseils à me donner... Et puis t'as déjà des putain de couilles en or. -Ok, mais je pourrais m'en acheter une deuxième paire comme ça. Pour les conseils, je ne suis pas sûr d'être le mieux qualifié, et puis je n'ai pas le temps. Par contre il y a bien un mec. -Qui ? -Un gars qui trempe dans le milieu depuis un certain temps. Il a secondé Ellijah et a un peu bossé pour Faustin. C'est un conseiller. Il s'y connaît bien, Los Angeles n'est pas sa ville de prédilection mais il y est depuis un certain temps. Actuellement il se détends un peu. Vu que c'est la guerre, il préfère attendre que les choses se tassent avant de reprendre du boulot... Histoire de pas se trouver dans le mauvais camps à la fin des batailles, si tu vois ce que je veux dire. -Ouaip, je vois très bien. -Du coup, actuellement, il vit en enchaînant les jobs à court terme, il fait aussi un peu de courses de rue la nuit. Si t'as besoin d'un associé, je te le conseille. -Il est fiable ? Il prends combien ? -Fiable... À toi de voir. Je peux vous faire vous rencontrer dans les jours qui viennent. Pour le salaire, il va vouloir un pourcentage plutôt qu'un truc fixe. N'oublie jamais qu'il connaît son métier, si il fait un choix, il y a toujours une raison derrière. À la fin du rendez-vous, appel moi pour qu'on décrypte ce qui s'est passé. -Tu veux dire que j'aurais besoin de toi pour décrypter mon conseiller ? T'es pas
sérieux Josh ? -Non, juste qu'il est... Il est spécial. Il a des capacités, il est très bon dans ce qu'il fait, ce genre de chose. C'est un gars assez galère à cerner pour les inconnus. -Bon, tu me prends rendez-vous et on verra bien. -Comme tu veux. Vous faites ça où ? -Chez Stevenson. Quand tu veux. Je ne suis même pas sûr qu'il continue de faire jour et nuit dehors alors les horaires... -Parfait. J'ai noté. Mais appelles moi après, s'il te plaît. -Comme tu voudras. J'allais pour raccrocher mais au dernier moment, je repensais à une nouvelle chose et non des moindres. -Oh et Josh ? -Tu vas payer chère cette discussion. -Rien à battre. Je voudrais savoir si tu pouvais nous faire réapparaître. -Hein ? -Tu sais, j'ai officiellement disparu. Est-ce que tu pourris genre... Inverser ? -Euh eh bien... Normalement on ne fait pas ça tu sais ? -Rien à foutre. Tu peux le faire ? -C'est assez compliqué. Le fait est que tu vas devoir expliquer ta disparition aux autorités. -Rhoo allez ! C'est comme me faire changer d'identité, simplement que c'est la même qu'avant. Pourquoi ce serait plus compliqué ? -Parce qu'on invente des identités ! Le fait de faire réapparaître un mec disparu depuis six mois... C'est plus compliqué. -Tu peux le faire ? Si j'avais appris une chose sur Josh, c'était qu'il aimait sa tranquillité. Il appréciait travailler dans son bureau, avoir son café sur son bureau quand il arrivait et gérer un à un la totalité de ses clients. Devant ce genre de personnalité, on pourrait se dire qu'un défi n'est pas le bienvenu, une pratique qui sort de l'ordinaire et tout de suite, tout s'arrête. Sauf que non, parce que si trop d'imprévus l'insupportent, les nouveautés sont une sorte de piment qu'il aimait ajouter dans sa vie de façon exceptionnelle. C'était pour ça que j'étais presque sûr de la prise en charge de ma demande, et il ne me déçut pas. -Bon... Je vais essayer. Finit-il par dire alors qu'un grand sourire s'affichait sur mon visage. -Merci beaucoup. Je sais que tu peux le faire Josh. Par contre ce ne sera pas juste pour moi.
-Oui, toi, Leslie et ta famille. J'avais compris. -Non, pas Leslie. Je crois qu'elle se satisfais de sa nouvelle vie. Juste moi et ma famille. -Elle est au courant ? -Non, mais je vais leur dire. -Tu veux leur numéro ? -Pourquoi pas ? Je ne saurais dire ce qui me faisait le plus peur entre appeler Sarah et appeler Lucy, mais dans le premier cas, au moins étais-je sûr de ne pas mourrir tué par mon interlocutrice. Josh me donna donc le numéro de la nouvelle identité de ma femme, puis il mît à fin à notre conversation, me souhaitant bonne chance pour mes projets futurs. De nouveau je regardais ce téléphone, me demandant si j'aurais le courage de parler à une femme qui avait quitté toute sa vie à cause de ma simple personne. Par ma faute, elle avait perdu son travail, sa maison, sa famille, sa ville, et j'allais arriver comme une fleur pour lui annoncer qu'elle allait pouvoir revenir chez elle comme si de rien n'était. J'avais très peur de sa réaction et pourtant... -Allô ? Je reconnus immédiatement sa voix et je crus pendant un instant que j'allais raccrocher mais je n'en fis rien : je devais lui dire, je devais assumer contrairement à Leslie. -Euh.... Sarah ? -Attends, ne me dis pas que... ? -Je n'avais pas l'intention de te le dire. -Tu sais qu'il n'y a pas de mot pour dire la colère que je ressens contre toi ? Tu te rends compte que tu m'as fait quitté ma ville, ma famille, mon trav... -Je sais, je sais et j'en suis désolé. -Tu peux être désolé. Tu as une idée de ce qu'on a vécu ? Tu sais que Lily refusait d'aller à l'école ? Non, évidement. Tu étais trop occupé à nous attirer des menaces de mort. -Je suis vraiment désolé. Je ne peux rien te dire de plus. J'ai honte de ce que j'ai fais. Mais aujourd'hui j'ai résolu le problème. Vous allez pouvoir rentrer. -Non. -Quoi "non" ? -Qu'est-ce qui me prouve que dès que je serais de retour, tu ne vas pas me renvoyer dans un autre coin paumé ? On a passé six mois à essayer de s'intégrer ici, on y reste. Je ne veux pas courir le risque de devoir tout recommencer, uniquement pour profiter de New York pendant quelques mois. -Mais... Et tes parents ?
-Ils n'ont pas voulu me croire quand je leur ai expliqué quel genre d'homme tu étais, désormais ils comprennent. Évidement, le raisonnement de Sarah tenait la route, il était même très bien rodé et j'étais parfaitement capable de le comprendre. Le problème, c'était qu'il signifiait que la coupure des ponts entre ma famille et moi serait définitive. Or, il était inconcevable pour moi de ne plus jamais voir ma fille. -Je te jure qu'il n'y aura plus de problème. New York est de nouveau sûre. -Comment je pourrais te croire ? -Crois-moi, c'est tout. Sarah, je ne peux pas supporter l'idée que vous vivez loin de vos vraies vies à cause de moi. -Ah ? Pourtant on a passé six mois sans la moindre nouvelle ni la moindre explication. -On ne pouvait pas communiquer, sinon il y aurait eu des risques. C'est pour ça que je t'appelle maintenant, parce que la sécurité est rétablie. -Je ne peux pas... Je ne peux pas à nouveau tout quitter juste parce que tu me promet que ce sera la dernière fois. La dernière promesse que tu m'as faite n'as pas vraiment été tenue Michael... Et puis comment veux-tu que je justifie mon retour "Bonjour, je suis rentrée ! Comment ça j'ai disparu six mois ? Pas du tout ! Il ne s'est rien passé les amis." Ça ne passera jamais. -Tu trouveras bien, tu trouves toujours. Et pense à Lily. Tu ne veux pas qu'elle connaisse ses grands-parents ? Qu'elle puisse connaître son vrai nom ? Ça ne te gêne pas qu'elle vive cachée le restant de ses jours ? -C'est TOI qui nous oblige à nous cacher Michael. N'inverse pas les rôles. Si Lily se cache, c'est par ta faute et c'est tout. Je n'ai rien à voir là dedans. -Mais maintenant, tout va mieux, vous pouvez sortir, pourtant tu t'obstine à rester cachée. Je ne croyais pas un mot de ce que je disais mais j'avais besoin de revoir ma fille. Depuis presque un an, nous n'avions plus été dans la même pièce, que disje, la même ville. Cette séparation avait duré trop longtemps, et ce n'était pas Sarah qui allait m'empêcher d'y mettre un terme. -Je ne veux plus prendre de risque. M'annonçât-elle d'une façon qui laissait entendre qu'elle ne souhaitait pas argumenter plus avant. -Et moi je te dis qu'il n'y a plus de risque. Mais il faut que tu sache quelque chose. -Quoi ? -C'est que cette pseudo-couverture dans laquelle tu te cache, elle ne marche pas. Tout comme toi, j'ai essayé de disparaître mais ils m'ont retrouvé. Où que tu sois, ils te trouveront. N'est-ce pas mieux d'être à New York dans ce cas ? -Comment je sais que tu ne me mens pas ?
-Parce que je te le jure sur la vie de notre fille : ils m'ont retrouvé alors que nous avions la même couverture. -Bon, admettons. Et ? Ça veut dire que tu m'as envoyé dans un lieu reculé pour rien ? -Je ne savais pas que c'était inutile... Mais maintenant je le sais. Alors je t'en conjure, reviens en ville. -Pourquoi ça te tient tant à coeur ? -J'en ai marre d'être éloigné de vous. Tu vois quand tu me disais que bientôt je pourrais venir vous voir à New York ? Eh bah c'est pour ça. J'ai envie que ça se concrétise. Devant ce genre d'aveux, Sarah avait le choix entre deux réponses. Soit elle finissait par céder, soit elle me disait que tout ça était de ma faute et qu'il était normal que je doive supporter la distance après ce que j'avais fait. -Je ne sais pas Michael... Mon côté insouciant me dit de t'écouter. Après tout, rien ne me ferait plus plaisir que de retourner à New York et en même temps... -Je te l'ai dit : tu n'es pas plus en sécurité ici qu'à Manhattan. Ça te fait peut être un effet placebo mais c'est uniquement dans ta tête. -C'est une lourde décision. Si jamais Lily se faisait attaquer en ville, jamais je ne me le pardonnerais. -Il n'y aura plus d'attaque, plus jamais. Mais si Lily venait à se faire attaquer, dit toi que ça aurait été pareil là où tu te trouve actuellement. -Je ne peux pas faire ce choix tout de suite. Je vais y penser. Je t'enverrais un message quand j'aurais fait mon choix. -Comme tu veux. Je n'avais aucun moyen de savoir quelle décision elle allait prendre, aussi une boule se serra dans mon ventre alors que je réalisais que ma seule chance de revoir un jour ma fille se trouvait dans les mains de Sarah. Elle méritait cette responsabilité, personne d'autre qu'elle n'avait le droit de faire un tel choix mais j'avais détruit sa vie, il m'était donc presque impossible d'espérer que sa décision soit en ma faveur. Pour la troisième fois consécutive, je regardais fixement mon téléphone en réfléchissant à la prochaine personne que j'allais appeler. Sauf que cette fois-ci, ce fut moi qui reçut un appel, et pas de n'importe qui. -Hey Mike ! Me salua Adrien. -Ade ? -Yep ! Alors comme ça on reviens en ville ? -Tu vas balancer ma position à Marco, c'est ça ? -Quoi ? Mais non ! Je bosse plus pour lui, ce mec est un taré. Nan justement, j'écoutais tes petites discussion et... Bon... Si tu monte une affaire...
-Tu m'écoutais ? -T'as pas idée d'à quel point ma vie est chiante. -Et tu voudrais bosser pour moi ? -Bah ouais parce que bon... Après le braquage, tout ça... Je me suis dis qu'éventuellement... -Ça me dit carrément, par contre je ne promet rien au niveau du salaire. -T'inquiète, j'ai même pas été foutu de dépenser la thune du bracos. Nan le truc c'est que je me fais chier et retrouver une organisation digne de ce nom, ça me tente. -Mais t'as quel âge putain ? -Dix-sept, pourquoi ? -Et à dix-sept ans tu cherche à bosser dans des organisations illégales parce que tu t'ennuie ? -Je suis très en avance sur mon âge. Je réprimais un sourire suite à sa remarque tout en sentant mon coeur se réchauffer : avant même que ma décision soit prise, il y avait des gens qui étaient prêt à me suivre dans cette folle aventure. C'était risqué, dangereux, et pourtant Adrien ne semblait pas s'en soucier, il voulait participer sans poser de questions et ça, c'était la plus belle preuve de confiance qu'on ne m'ai jamais faite. -Tu sais qu'il est très probable que le projet ne se concrétise pas ? Lui demandais-je. -Ouaip je sais, et alors ? Si ça se lance pas, tant pis. Sinon, je sens qu'on va faire de grandes choses. -Merci Ade. Je te tiens au courant. -Nan, JE me tiens au courant. Il lâcha un rire qu'on aurait pu qualifier de moqueur avant de raccrocher. Je remarquais alors que j'avais reçu un message : Inconnu : Je vais le regretter mais j'accepte : je reviens. Je laissais exploser ma joie dans un éclat de rire qui réveilla une douleur dans mon cou. La vie me souriait à nouveau, j'avais des projets, des amis, j'allais bientôt voir ma fille... Que pouvais-je rêver de mieux ? J'étais en face du nouveau départ que j'avais cherché depuis tant d'années.
Chapitre 56 : Rééducation Depuis que j'avais retrouvé la parole, mes journées étaient devenues insupportables. Stevenson avait choisi d'arrêter de me soigner pour commencer à entraîner mes muscles. Ainsi, je passais mes journées à lâcher des cris pour chaque mouvement que mon médecin m'imposait. Je restais couché dans mon lit et pourtant, à la fin de chaque journée, j'avais l'impression d'avoir parcouru plusieurs dizaines de kilomètres en courant sans jamais m'arrêter. Alors que je préférais fermer les yeux pour oublier cette chambre et les souffrances qu'on m'y infligeait, Stevenson passait chaque jour deux heures à balancer mes jambes, à faire jouer les articulations, à réaliser des angles droits autour de ma rotule. Tous ces exercices avaient, selon lui, pour but de me préparer au moment où la douleur serait suffisamment diminuée pour que je puisse marcher à nouveau. "Grâce" à lui, je serais directement en mesure de me déplacer normalement sans avoir à passer par une case de réaprentissage quasi-total. Je me sentais comme condamné, je passais mes journées dans la crainte de voir mon soignant entrer dans la pièce ou pire encore : de me faire réveiller par ce dernier. Car si j'avais le temps de me préparer psychologiquement dans la première option, la seconde m'assurait de souffrir dès le réveil sans y être aucunement préparé. Au final, mes seules heures de paix étaient celles qui suivaient les séances de rééducations. Dans ces moments là, soit je savourait le fait d'être libre pour les prochaines heures, soit j'essayais d'oublier la douleur encore persistante, soit je regardais mon téléphone avec envie, me demandant qui je pourrais appeler. Nick, Taka, Andréa et plusieurs autres étaient morts. Lucy et Leslie m'en voulaient certainement énormément, bien trop pour que je prenne le risque de discuter avec elle. Surtout que je n'avais pas la moindre envie de parler à Leslie. Luìs et Nikolaï n'étaient pas le genre de personne à qui on aimait faire la conversation, d'autant que je ne disposait même pas de leurs numéros personnels. En réalité, je n'étais même pas sûr que Nikolaï ait un téléphone. Devant ce nombre astronomique de personnes éliminées, il ne me restait plus que Sarah, Viktor et Adrien. Le fait est que je n'avais pas le numéro du hackeur, il était même probable que personne ne puisse l'appeler sans son autorisation. Sarah n'était pour moi qu'un intermédiaire pour parler à Lily, or je savais pertinemment qu'elle éprouvait une trop grosse rancœur à mon sujet pour me laisser parler à ma fille. D'autant que ne connaissant pas l'heure, il était fort possible que Lily soit en cours au moment où je téléphone. Je me retrouvais donc finalement seul sur mon lit à regarder un téléphone sur lequel le numéro de Viktor était écrit. La plupart du temps, j'abandonnais. Je me
disais qu'il était méprisant d'appeler une personne simplement pour passer le temps, pour tromper l'ennui. Mais il m'arrivait aussi d'avoir le courage pour téléphoner. Dans ce genre de situation, nous parlions de la ville, de son état catastrophique, puis on divaguait vers nos grands projets. La folie des grandeurs nous prenait rapidement et lorsque l'on raccrochait, rien ne semblait plus pouvoir se mettre en travers de notre chemin pour prendre le contrôle de Los Angeles. Puis les heures passant, la réalité revenait à la charge. Le grand chef mafieux devenait un paralytique souffrant, passant ses journées dans un lit à se faire manipuler par un médecin clandestin. Les chaînes de magasins d'armes, le respect dans toute la ville, tous ces rêves s'effondraient peu à peu jusqu'à la prochaine conversation. Je n'étais pas fait pour ça, je n'y croyais pas, jamais je n'y arriverais. Et pourtant... -Monsieur Da Silva, c'est un plaisir de vous rencontrer ! Il était là, dans un costume des plus classiques, la main tendue dans ma direction. Une fois les salutations terminée, je pu observer celui qui allait probablement devenir mon conseiller dans cette hypothétique quête de gloire. Un air à la fois bienveillant et concentré, des gestes réfléchis, un sens de l'observation visible, tout chez lui annonçait un professionnalisme à tout épreuve. Son regard se porta sur mon visage puis couru le long de mon corps alors qu'il prenait place sur une chaise, juste à côté de mon lit. -Vous ne souffrez pas trop ? Me demandât-il. -Je tiens le coup, monsieur... ? -Wyte, appelez moi Wyte. -Comme vous voudrez. Il me sourit avant de décaler légèrement sa chaise en direction de mon lit. Dans son attitude, on pouvait comprendre que ce geste n'avait rien d'anodin mais je fut incapable de comprendre une autre utilité qu'un simple rajout d'intimité. -J'ai cru comprendre que vous disposiez de tout un projet, voyons voir ça. -D'abord il y a question que je me pose. -Je suis tout ouïe. -Pourquoi travailler avec moi plutôt qu'avec Saliego ou l'autre de Chicago ? -Tout d'abord à cause des risques que j'encourrais après un mauvais choix, ensuite parce que Saliego se meurt et que Tiger est bien trop instable à mon goût. -Mais pourquoi moi ? Je suis pas vraiment le plus qualifié dans ce domaine. -Peu importe, ce qu’il faut retenir, c'est que je suis là.
Il balaya le reste de mes questions d'un geste du bras. Manifestement, il n'appréciait pas spécialement être questionné sur ses motivations. Il s'agissait probablement du genre d'homme qui aimait mener toutes les discussions. -Comme vous voulez. Bon, par quoi je commence ? -Il y a deux choses à savoir si vous voulez vous lancer : avec qui et comment ? -J'ai déjà quelques relations, tous des hommes de confiances. Pour le... -Des hommes de confiance ? M'interrompit-il. Qu'est-ce qui vous permet de l'affirmer ? Vous savez qu'une simple erreur peut vous coûter très cher ? Dans la plupart des autres bouches, j'aurais vu cette question comme un affront à mon jugement personnel et contre mes amis. Sauf que dans le cas présent, elle était simplement la preuve d'un perfectionnisme des plus appréciables. -Oui je le sais. Mais je n'ai aucune raison de douter d'eux. -Vous travaillez avec eux depuis combien de temps ? -Je le ai côtoyé pendant un mois, il y a une demi-année. -Court... Très court. Ils ne vous ont jamais trahi durant cette période ? -Eh bien... Les circonstances étaient différentes. -Je prends ça pour un "oui". Nous devrions donc travailler avec des hommes que vous connaissez à peine et qui, dans le court lap de temps où vous les avez fréquenté, ont trahi votre confiance ? -En effet, et c'est non-négociable. Parce que j'ai besoin de gens que je connais, sachez que pour l'instant, rien ne vous place au dessus d'eux. -Et je compte bien changer ça. On aurait dit qu'il se présentait à un entretien d'embauche, ce qui était probablement le cas. Il faisait tout pour se plier à mes désirs, tout en essayant de surpasser les autres et de me montrer sa valeur. -Bon, continuât-il, l'équipe est constituée de qui au final ? -J'ai un homme de terrain, un hackeur de talent ainsi qu'un avocat. Qu'est-ce que vous voulez de plus ? -Tout dépends du business dans lequel vous vous lancez. -Les armes, la vente d'arme. Magasin légaux, vente illégale. -Dans ce cas il vous faut deux vendeurs et un fournisseur. -Pourquoi deux vendeurs ? -Un qui s'occupe de la vente légale, de façon à tromper la police. L'autre serait moins visible, il s'occuperait de la partie criminelle. Je vais vous trouver ces deux gars ainsi qu'un bon lieu de vente. -Pour le fournisseur ? -Los Zetas, ce sont eux qui fournissent toute ville. On établit un partenariat exclusif et on devient les seuls fournisseurs. Il va juste falloir être persuasif,
heureusement que c'est ma spécialité. Donc nous avons la vente, maintenant il nous faut des acheteurs. Il est pratiquement sûr que l'on devra se séparer le business avec Los Zetas, notre job va donc consister à trouver des nécessiteux. -Les autres gangs. -Jamais Thunder ne nous vendra des armes qu'on veut donner à des gangs rivaux, or je suis sûr qu'elle fournit déjà tous ses alliés. Non... Il nous faut autre chose. Des particuliers, ce serait le mieux. Le principal problème étant la rentabilité. On peut essayer d'en vendre à Tiger mais il se peut qu'il devienne rapidement notre ennemi, le fournir en arme ne devrait donc pas être une bonne idée. -Pourquoi deviendrait-il notre ennemi si on se contente de l'approvisionner en arme ? -Donc selon vous, on devrait se limiter à la vente d'arme ? Le fait est qui si on tente de s'agrandir ne serait-ce qu'un tout petit peu, toute la concurrence va nous tomber de dessus. C'était presque étrange de parler avec Wyte. En effet, chaque mot qu'il prononçait semblait avoir été minutieusement préparé à l'avance, comme si il jouait une pièce de théâtre. Mais malgré ça, il réussissait à ne pas rendre l'ambiance oppressante pour autant. -Il nous est donc impossible de choisir les gangs, la mafia de Tiger et les particuliers. Chacun d'entre eux pour une raison différente, tout cela est ennuyeux. -Donc vous n'avez pas d'idée ? L'interrogeais-je. -Si, évidement : nous avons deux choix. Soit on essaie de convaincre Thunder pour vendre à ses alliés et à ses ennemis, soit on vends en dehors de la ville. -On convainc Thunder dans ce cas. Et si ça ne marche pas, on se repli vers la deuxième solution. -Comme vous voulez. Si vous le souhaitez, je peux lui rendre visite dès maintenant, on serait fixés dans la soirée. -Non... Merci. Je préfère être là lors de la négociation. -Très bien. À la fois entreprenant et compréhensif, à la fois ambitieux et obéissant, j'avais devant moi l'homme le plus qualifié pour m'aider dans ma démarche. Avec lui, j'étais presque sûr d'atteindre les sommets de cette ville. -Tout ça me semble très bien. Je vous propose de trouver nos vendeurs et notre magasin avant ma sortie. Dès que je serais remis sur patte, on ira voir ce Thunder. -Cette Thunder, c'est une femme.
-À la tête des Zetas ? -Longue histoire. Mais donc, puis-je conclure par vos ordres de préparations que je suis pris ? -Oui, mais une simple question me trotte dans la tête. -Allez-y. -Pourquoi ne pas diriger ? Pourquoi simplement conseiller ? -Parce que c'est la meilleure place. Le pouvoir sans les projecteurs. Je laisse la direction aux stars, moi je préfère travailler en paix. Si quelqu'un se fait agresser, ce que j'essaierais d'éviter à tout prix, eh bien ce sera vous et pas moi. -Au moins vous êtes franc. -Oui, c'est la moindre des choses étant donné que je suis sensé vous conseiller. D'ailleurs à ce propos, vu que nous allons travailler ensemble, je propose que l'on se tutoie. -Bien sûr. Je n'avais jamais eu une discussion si solennelle. J'avais l'impression d'être un roi ou un pape et c'était extrêmement gratifiant. Il n'y avait pas le moindre malaise, je ne faisais que profiter de cette position de force. -Oh et Wyte, on m'a dit que tu avais bossé pour Faustin. Tu en pensais quoi ? -De lui ? J'avoue que puisque sa mort est de ta main, je doute que te ne l'apprécies pas. -L'homme n'avait rien de dégoûtant, c'étaient surtout ses pratiques. -Il n'avait pas de limites. C'est ce qui lui a permis de réussir, mais c'est aussi ce qui a causé sa perte. -Sauf que tu n'as toujours pas répondu à ma question. "Tu en pensais quoi ?" -Je pense qu'il n'était foncièrement plus mauvais qu'un autre. Ce monde suit la loi de la jungle Michael, si tu ne t'y plie pas, alors tu te feras manger. -Tu sais, moi et la loi... Un sourire fugace courut sur son visage puis il jeta un coup d'œil à sa montre avant de se lever rapidement. Après m'avoir regardé avec des excuses plein les yeux, il me serra la main et me quitta en vantant le succès futur de notre organisation. Dès qu'il eut quitté la pièce, je m'empressais d'appeler Josh pour le remercier de m'avoir envoyé un homme de cette trempe. Avec ce Wyte, je ne voyais plus les murailles qui me barraient la route du succès, parce que lui était capable de les faire s'effondrer. -Michael ! Alors, ce rendez-vous ? -Parfait, je l'ai pris. -Ah ? Et qu'est-ce qu'il t'a dit ? -Qu'il avait déjà tout un plan, que l'organisation allait marcher parfaitement bien
et maintenant, il est parti en quête de deux vendeurs et d'un magasin. -Donc tu lui fais confiance ? -Complètement. Il sait ce qu'il fait et il n'a pas l'air prêt à faire une mutinerie. Chaque fois que je le contredisais, il acceptait mes idées avec une facilité déconcertante. Nan, j'ai vraiment besoin d'un gars comme ça. -Bon eh bien dans ce cas là... Tant mieux. Bonne chance pour la suite, tu m'appelles quand tu veux. -Ok. Et pour la réapparition, comment ça se passe ? -Hein ? Oh oui je vois... Eh bien ça avance. Je n'avais jamais fait ça auparavant donc je tâtonne mais ça ne me semble pas impossible. -Merci Josh. -Tu me remercieras quand tu auras payé la note. Bon, sur ce, à une prochaine fois. Ce fut le dernier coup de téléphone que je passais avant mon départ de cette chambre. Pendant tout le temps qui restait, je réfléchissais à ce choix que je venais de faire. Je me demandais si je voulais vraiment rejoindre le camp de ceux qui avaient détruit ma vie. Je me sentais mal, j'étais corrompu par une soif de pouvoir, une jalousie profonde de ceux qui avaient réussi. Je voulais avoir mon nom sur le panthéon, je voulais devenir quelqu'un et pourtant, je n'avais pas l'étoffe d'un gagnant. Je n'étais pas fait pour cette victoire. Je passais mes nuits à rêver d'échec cuisants, de guerres de gangs dans lesquels je mourrait, de ma famille pendue au bout d'une corde parce que je n'avais pas su les protéger. À chaque fois, je me réveillais en hurlant, le cœur empli de culpabilité et le corps ruisselant de sueur. Mes journées se passaient dans la douleur, je marchais désormais sur quelques mètres, chaque pas m'arrachant un cri. Je me sentais minable, guidé par une ambition feinte de réussir. Pourtant je n'avais pas le courage d'annuler, je continuais d'alimenter l'espoir, je continuais à essayer de me persuader qu'un jour j'allais y arriver. Je voulais me convaincre que les échecs qui m'avaient poursuivi tout le long de mon existence n'étaient pas une fatalité, simplement un manque de motivation. Avec Wyte à mes côtés, j'espérais que tout ça allait changer. C'est dans cet état d'esprit défaitiste et ambitieux que je sortis de chez Stevenson. Mon corps reposant sur une canne en bois, je regardais Viktor et Wyte qui m'attendaient devant la porte, tout deux vêtu d'un grand manteau qui les protégeait de la neige d'hiver.
Chapitre 57 : Fondation Un pas après l'autre, je m'arrachais aux griffes du passé dans la douleur et dans le bruit. Cette maison où j'avais passé plusieurs semaines était derrière moi, ces hommes qui allaient être les pièces maîtresses d'un grand empire étaient devant moi. Le vent me sifflait dans les oreilles alors que j'avançais péniblement dans ce grand manteau blanc qui recouvrait la ville. Je baissais la tête, les yeux rivés sur mes chaussures, j'évitais les flocons qui me tombaient dans les yeux. -Putain Michael, tu fais peur à voir. M'avoua Viktor. Les bras croisés, mes deux alliés me regardaient alors que je passais ma main sur mon visage. Je sentais la forme de mes os se dessiner sous ma peau, mes cheveux longs et humides tombaient le long de ma nuque. Je saluait solennellement les deux hommes d'un geste fatigué avant de les suivre vers la voiture de Wyte. Bien en évidence dans l'allée de Stevenson, une magnifique Shelby GT 500 de 2013 nous attendait, sa carrosserie rouge sang presque recouverte par la neige hivernale. Elle me rappelait mon ancienne Mustang, tous ce que j'avais vécu à son volant en à peine quelques semaines. Ces événements me paraissaient si lointain alors qu'ils n'avaient eu lieu qu'au début de l'année. Alors que je m'asseyais à l'intérieur du véhicule, je me rendis compte de la violence de la neige au dehors. Les flocons virevoltaient dans une sorte de guerre contre le calme, essayant d'imposer leur vision chaotique du monde. La voiture démarrait et je me sentais comme une ombre, un fantôme venu de l'haut-delà pour hanter le présent. Dans le ciel, un soleil d'une pâleur lunaire lunaire était caché par de multiples nuages gris, le tout donnant l'impression que nous étions en pleine nuit. -Le rendez-vous avec Thunder a lieu à vingt-et-une heure, m'expliqua Wyte. On a donc trois heures pour te rendre présentable. Mon nouveau conseiller me donna une tape sur l'épaule, qui se voulait sans doute réconfortante, puis il commença à aligner les faits que je devais connaître. -D'abord, tu dois savoir qu'il ne te reste plus qu'un demi-million sur ton compte. Oui, Josh m'a donné l'autorisation de suivre ton compte, j'espère que ça ne te dérange pas. -Non... C'est bon. J'étais de toute manière bien trop fatigué pour protester. Les quelques pas que je venais de faire m'avaient épuisé pour les prochaines heures.
-Tant mieux. Sinon, j'ai trouvé tes vendeurs et j'ai acheté notre magasin. Je l'ai préparé pendant le reste de ta léthargie, si je puis dire, donc il ne nous reste plus que la négociation avec Thunder. Mais avant : Costume, coiffure et maquillage. -Tout ça ? -Oui, c'est ta première présentation officielle et je veux que tu fasse bonne figure. Après tout c'est toi qui représente notre organisation à partir de maintenant. À ce propos, la canne est-elle indispensable ? -J'ai bien peur que oui. -Dans ce cas, on va t'en trouver une qui en jette. Le fait est que ça pourrait devenir un signe distinctif. Il y a un animal qui te plait particulièrement ? serpent, aigle, corbeau, lion ? Mon esprit encore embrumé par la douleur, la fatigue et le froid se mît à tourner dans le vide pour chercher une réponse à cette question. Wyte dut voir mon air désemparé puisqu'il s'empressa de rajouter : -Ça peut attendre, évidement. C'est simplement que je m'occupe aussi du marketing. -Non mais c'est bon. Pourquoi l'animal au juste ? -Ce serait le pommeau, tu vois le genre canne noir pure, avec une tête d'animal brillante et des yeux en pierres précieuses. Dans un mois, la silhouette d'un homme avec une canne dans la rue suffira pour que les mafieux rebroussent chemin. -Dans ce cas il nous faut un animal qui inspire la malchance, le corbeau me semble bien. -Corbeau ? Parfait. La voiture filai dans les rues enneigées de la ville. Je me sentais plus vieux que jamais, toute force semblait m'avoir quitté, surtout en comparaison de Wyte qui, malgré sa profonde maîtrise de soi, montrait une grande intelligence et de bonnes aptitudes physiques et énergétiques. -J'ai une idée. Je suppose qu'il y a des gens que tu voudrais protéger...il y en a toujours. Eh bien nous n'allons pas te faire connaître sous le nom de Michael Da Silva mais sous celui du Corbeau. Ainsi, personne ne pourra faire le lien entre toi et tes relations. -Les gens connaissent mon visage dans cette ville, ça ne marchera pas. Pourtant ça me plait beaucoup. -Quelque soit l'homme qui t'ai connu auparavant, vu l'apparence que tu as aujourd'hui, personne ne sera en mesure de te reconnaître. M'enfin, nous allons te rendre présentable, personne ne veut que le Corbeau n'ai l'air d'un vieil homme de cro-magnon. Il serait donc bien que tu me parle de ceux qui te connaissent sous ton vrai nom, pour que jamais tu ne les rencontre.
-Le 18st gang, Marco Saliego, Lucy Sharp, nos associés Viktor, Josh et Adrien. Il doit y en avoir d'autre mais leur nom ne me reviens pas. -Parfait, pour Marco ce ne sera bientôt plus un problème et rien ne vous oblige à fréquenter Luìs. Maintenant que tout ça est bon, il est tant de créer le Corbeau. En disant ça, Wyte avait arrêté la voiture devant un immense bâtiment de luxe, des guirlandes lumineuses clignotaient derrières les vitrines tandis que les poster vantaient les soldes de Noël. Toutes aussi lumineuses que les guirlandes festives, des lettres immenses affichaient TAILLEUR-COIFFEUR-BEAUTÉ-ACCESSOIRES. Derrière les vitres, de riches personnes se faisaient dorlotées par un tas d'employés en costume. À mon entrée dans la boutique, tous les regards se tournèrent vers moi. Un corps blanchâtre, rachitique, une gestuelle lente, des cheveux et une barbe noirs et humides, tombant en cascade sur un corps principalement porté par une simple canne en bois. Personne ne pouvait m'ignorer, j'étais au centre de toutes les attentions. En à peine quelques secondes, Wyte m'avait fait prendre en charge et deux personnes prenaient mes mesures tandis qu'une troisième me demandaient quelle coupe de cheveux était ma favorite. On m'installa sur une chaise et une paire de ciseaux commença à tenter de me redonner une tête humaine. Mes cheveux sombres et gras tombaient sur le sol pendant que, dans le miroir, cet homme au visage de mort retrouvait un air civilisé. Dans le même temps, on coupait mes ongles de mains et de pieds, le tout sous le regard paternel de mon conseiller. Ce dernier, accoudé contre un mur, les bras croisés, discutait passivement avec un vendeur du magasin tout en donnant des conseils à mon coiffeur de temps à autre. Au final, quand je quittais mon fauteuil, malgré mon teint cadavérique, ma coupe volumineuse et ma barbe de trois jours me donnaient fière allure. Je me sentais déjà puissant alors que ce n'était que le commencement. À peine eu-je parcouru deux mètres qu'un nouveau groupe de gens me mena dans une arrière salle où ils me firent essayer un magnifique costume noir qui semblait réalisé sur-mesures. On me laissa ensuite choisir parmi trois paires de chaussures différentes, du cuir noir brillant au marron mat. J'étais désormais habillé et coiffé mais ça n'était pas suffisant pour Wyte, il en fallait plus. Il décida ensuite de me parer de quelques bagues aux couleurs multiples, dont une en forme de corbeau qui, si elle ne manquait pas de beauté, me faisait me questionner sur le budget que mon conseiller allouait aux apparences. Mais le clou du spectacle, le bijoux suprême, c'était sans doute ma canne. Brillante, une tête de corbeau grise aux yeux en saphirs surmontait un long
manche noir parsemé de cercles métalliques. Malgré son aspect relativement effrayant et ses formes minutieusement sculptées, la prise en main était particulièrement agréable et je me surpris vite à faire les cent pas dans l'arrière salle du magasin, regardant de quelle manière je devais tenir cette canne pour détenir la démarche la plus impressionnante. Mais malgré tout le plaisir que me procurait le port de cette attirail, je me questionnais tout de même sur un point. -Je devrais pas attendre d'être un chef puissant pour m'habiller comme ça ? Demandais-je. -Tu pourrais, me répondit Wyte. Mais sache qu'en donnant l'illusion de la réussite, alors la réussite viendra à toi. Dans ce milieu, tout se base sur l'image que l'on donne, le respect qu'on inspire. Un homme richement vêtu aura plus de facilité à persuader ses adversaires de son importance, tout simplement parce qu'il n'aura même pas à les persuader : la richesse est synonyme d'importance. Tu dépensera peut être tout ton argent dans ces vêtements, mais sache qu'il n'y a pas de meilleur investissement que celui de l'apparence. Quand Thunder va te voir, elle comprendra immédiatement que tu n'es pas n'importe qui, ce qui va évidement influencer son jugement durant nos négociations. J'acquiesçai lentement, pas totalement convaincu par les arguments de Wyte mais satisfait de la nouvelle apparence que j'arborais. Lorsque nous sortions du magasin, je me sentais comme un roi : les chaussures de luxes brillantes, le magnifique costume noir, les bijoux qui s'alignaient sur mes doigts, ma canne d'une beauté inqualifiable, ma chevelure parfaitement taillée, tout ça me donnait l'impression d'être capable de tout. On remonta dans la Shelby de mon conseiller et je m'aperçu alors que Viktor ne nous avait pas accompagné dans le magasin. Sans doute avait-il eu mieux à faire. La voiture commençais à démarrer lorsque l'envie d'appeler ma famille avant les négociations me prit. Ce fut à ce moment que je me rendis compte que je ne disposais pas de téléphone, celui de Stevenson ayant été rendu une fois l'hospitalisation terminée. -Il me faut un téléphone, je peux t'emprunter le tien ? -Pourquoi faire ? -Je dois appeler ma famille. -Eh bien... Ça ne peux pas attendre la fin des négociations ? -Non. -Bon, très bien. Il est dans la poche droite de ma veste. Malgré son air plutôt insatisfait, je passais la main dans la poche de mon
chauffeur pour récupérer son portable et y taper le numéro de ma femme. -Allo qui que c'est ? Demanda la voix de ma fille à l'autre bout du téléphone. -Lily ? C'est papa ! -C'est vrai ? -Pourquoi ça ne le serais pas ? -Je sais pas. Mais depuis que maman ment, moi je fais plus confiance. -Maman ment ? Oh et d'ailleurs, pourquoi c'est toi qui décroche ? -Parce que maman elle conduit. -Elle conduit ? -Oui, la voiture avance et maman à les mains sur le volant. -Tu me prends pour un idiot c'est ça ? -Non, mais après six mois, c'est énervant. -Qu'est-ce qui est énervant ? -Tu vas faire comme maman et faire semblant de pas comprendre ? Tu vas faire comme si tu étais pas au courant ? -Au courant de quoi ? Bien sur, je sais qu'on s'est pas vu depuis six mois, mais là ça va aller mieux. -Pourquoi t'es pas venu ? -Je pouvais pas. -Pourquoi ? -C'était ris... J'avais du travail. -Le travail est plus important que moi ? Devant ces jugements qu'elle me lançait sournoisement, je me rendais compte que jamais auparavant je ne l'avais entendu me parler comme ça. Sauf que ce n'était pas parce que je l'avais contrarié, c'était parce qu'elle avait grandi : j'avais même manqué son septième anniversaire. -Je suis désolé ma chérie, mais bientôt je rentre à la maison, c'est promis. -Comment je sais que tu ment pas ? -Parce que je te le promet. -Maman elle dit que "les promesses de papa ne valent rien". -Tu la crois ? -Je sais pas. À cause d'elle on est plus à New York, mais au moins elle est pas partie toute seule. Est-ce que je méritais ça ? Elle énonçais un défaut vers sa mère et un autre vers son père, sauf que celui qu'elle croyait tourné vers sa mère s'orientait en réalité vers moi. Je me sentais mal, coupable au plus profond de mon être. Même ma fille éprouvait de la rancœur à mon égard. -Je suis vraiment désolé Lily, tu ne peux pas savoir à quel point. J'ai eu plein de
problèmes, rien ne m'aurait fait plus plaisir que de revenir te voir, mais jusqu'à maintenant, aucune occasion ne s'est présenté. -Et tu viens quand ? -Dans quelques jours à peine. Là, vous êtes rentrées à New York ? -Non, en fait maman elle dit on rentre mais je cherche une piste pour voir si elle ment. -"Une piste" ? -Oui, comme dans Sherlock. -Tu lis Sherlock Holmes toi ? -Bah non, t'es bête ! On peut pas lire une série papa ! -Ah, d'accord. Vous regardez la série, mais tu savais que c'était un livre au début ? -Non. Même que dans la série, ils ont un accent bizarre. -Anglais. Mais t'en fait pas, au bout de quelques semaines, on s'y fait. -Pas moi, des fois je comprends pas bien. Mais c'est pas grave parce que c'est drôle. -Tant mieux. À travers les vitres de la voiture, mon regard fut soudain attiré par la présence d'un magasin d'alcool aux murs rouge flamboyant. Tout en continuant ma discussion avec ma fille, je fis signe à Wyte de s'arrêter et lui demandais d'aller me chercher quelques chose de fort. J'y serais bien allé moi même, mais gérer la conversation téléphonique tout achetant de la boisson me semblait un peu trop compliqué, surtout quand on savait qu'une de mes deux mains était occupée par ma canne. -Dis papa ? -Oui mon trésor ? -Tu seras là pour Noël ? -Eh bien... Je ne pense pas que.... -Dis oui ! Dis oui ! Dis oui ! T'as pas le droit de pas venir. Y'aura papi, mamie, tata, tonton, maman, et même les cousins. Si tu viens pas, tu seras le seul de la famille à pas venir. -Oui mais je... -Maman elle dit que "je dois pas te forcer, que si tu veux pas venir c'est pas grave". Elle voulait la jouer comme ça hein ? -Non mais je viendrais, évidement ! Je ne manquerais ça pour rien au monde. -OUAIP !!!! Et tu vas rester après ? -Non, tu sais, j'ai du travail ici. -Pourquoi tu reviens pas avec maman ? Elle m'a dit tu as fait une bêtise mais
moi quand je fais une bêtise, personne m'oblige à partir la maison. -Moi c'était une très très grosse bêtise. -Quel genre ? -Genre très très grosse. Je n'ai pas vraiment envie d'en parler Lily. -Pourquoi vous me dites jamais rien ? J'en ai marre d'être ignorée. -Mais tu n'es pas ignorée ! -Oui bah mise à l'écart, c'est pareil de toute façon. -Mais non, on ne te met pas l'écart. C'est juste que ça reste entre papa et maman. Peut être qu'un jour, on te le dira, mais pour l'instant, je préfère que tu garde le peu de respect qu'il te reste pour ton père. Wyte choisi ce moment là pour revenir, il me tendit ma bouteille de whisky et le ticket de caisse avant de se remettre aux commandes de son bolide. -Papa ? -Oui ? -Est-ce que quand tu vas venir, après tu vas plus venir ? -Comment ça ? -Là, tu viens. -Jusque là je suis d'accord. -Mais après, tu vas pas rester. -Oui. -Mais tu vas revenir ? -J'espère. -Ça veut dire non... -Mais pas du tout ! Ça veut dire que je ferais tout mon possible pour revenir. -Promis ? -Juré ! -Est-ce que je pourrais venir chez toi un jour ? -Je ne sais pas... Mais j'aimerais vraiment. -Pas maman. -Pourquoi ? -Elle fait non de la tête. Je crois elle t'aime pas beaucoup. Tu pourras m'expliquer ta bêtise bientôt pour que je sais comment la mettre en colère ? -Si tu veux énerver ta mère, je peux t'apprendre deux ou trois trucs sympa. J'allais démarrer la liste lorsque notre voiture s'arrêta devant ce qui était probablement le QG de Los Zetas. Tout comme celui de Luìs, il s'agissait d'une grande maison, mais celle là était bien moins délabrée que celle du 18st. Je mis rapidement fin à la discussion avec ma fille pour sortir de la Shelby de Wyte, non sans difficulté. Alors que nous avancions en direction de cette villa qui réduisait au rang de décharge toutes les maisons environnantes, mon conseiller vint se ranger à ma hauteur.
-C'est la première fois que les gens vont découvrir le Corbeau, me dit-il. Il faut que tu montre que t'en as sous le capot. -T'inquiète, je gère. Je pris une gorgée de ma nouvelle bouteille de whisky avant de la ranger sous ma veste, puis je continuais ma lente avancée en direction de ma cible. Mon cœur battait de plus de plus fort, c'était ici que tout allait se jouer, ici que j'allais devenir ou non une légende. À l'entrée, deux hispaniques nous laissèrent entrer sans même nous fouiller, l'un d'entre eux salua même Wyte de la tête. Un jeune homme en survêtements de marque nous montra une porte du doigts avant de tirer sur un joint déjà entamé aux trois quarts. Si de l'extérieur l'endroit semblait appréciable, l'intérieur quant à lui ressemblait à une immense porcherie. Drogues et armes se côtoyaient sous le regard des tags qui parsemaient chacun des murs de cette maison. Des hommes dormaient à même le sol tandis que d'autres jouaient aux cartes, le tout dans un brouhaha incessant. L'odeur de la pièce était indéfinissable, et je suis sûr que si j'y étais resté quelques secondes de plus, rien ne m'aurait empêche d'y vomir. Ce fut donc avec soulagement que j'atteignis la pièce adjacente où, assise au milieu de ses gangsters, Mary Thunder jouait à une sorte de variante de la roulette russe. Une dizaine d'hommes et de femmes étaient assis en cercle et, au milieu de ce dernier, une arme était posée. On faisait tourner l'arme et, quand elle s'arrêtait, celui sur qui elle était pointée devait se tirer une balle dans la tête. Si une balle sortait, il avait perdu, sinon, il reposait l'arme et la faisait tourner à son tour. J'avais déjà eu l'occasion de voir de tels jeux, c'était une manière de prouver qu'on ne craignait pas la mort. En revanche, jamais durant mon existence il ne m'avait été permis de voir le dirigeant d'un groupe y jouer. Car même si je ne l'avais jamais vu auparavant, j'étais sûr et certain que la fille qui me regardait au centre de cercle était cette Thunder. Blonde, bronzée, légèrement musclée, elle contrastait parfaitement avec tous les hispaniques de la pièce. Mais ses origines n'étaient pas la seule différence qu'elle avait avec le reste de son gang. Là où tous arboraient des tatouages, sa peau était restée pure. Là où chaque fille s'habillait comme un homme, elle portait un jean slim bleu ainsi qu'une veste rouge qui aurait été plus appropriée à une fashion victim qu'à une chef de gang. De plus, c'était la seule du groupe qui semblait ne pas craindre l'arme qui tournait au centre du cercle. Elle la regardait, le sourire aux lèvres, sans jamais se crisper durant les quelques secondes qui précédaient son immobilisation. Quand finalement, au bout de trois lancés, elle remarqua ouvertement notre
présence, la chef de Los Zetas donna une tape dans le dos de son partenaire de droite avant de se lever en ordonnant : -On remballe ! Vous mourrez une autre jour -puis elle se tourna vers nousWyte, putain de fils de pute ! Qu'est-ce que tu viens foutre ici ? -Je viens négocier, dis-je avant même que mon conseiller n'ait pu prendre la parole. -Négocier hein ? Très bien, suit moi. Quand à toi, Geoffrey, reste la. Je ne suis pas suffisamment stupide pour tenter de négocier en ta présence. Avec une politesse insoupçonnée, elle m'ouvrit une seconde porte et l'on quitta la salle de jeu pour rentrer dans un petit bureau qui faisait probablement aussi office de chambre, comme le laissait entendre le petit lit qui s'y trouvait. C'était jusqu'à maintenant la pièce la plus propre de cette maison. Pas de tag, des murs en parfait état, une table avec trois chaises, un lit, une armoire et une télévision allumée sur une série espagnole. Thunder pris place sur une chaise et me montra l'autre, nous passâmes ensuite quelques secondes à nous observer l'un l'autre, ce qui me permit de me rendre compte qu'elle avait un certain charme. -Ton nom ? -Mi... Le Corbeau. -Le Corbeau ? Elle pouffa légèrement puis reprit la parole. Une idée de Wyte, c'est ça ? -Si on veut. -Ton vrai nom maintenant ? -Je n'ai aucune raison de te le donner. -Je peux t'en donner une. -J'en doute fort. -Je peux être très persuasive quand je veux. À chaque phrase qu'elle avait prononcé, sa tête s'était légèrement rapprochée de la mienne et, sans que je m'en rende compte, j'avais fait exactement pareil. Si bien que nos deux visages n'étaient désormais plus qu'à quelques centimètres l'un de l'autre. -Bon, fait pas chier, donne moi ton nom, qu'on passe aux choses sérieuses. -Le Corbeau, tu n'aura que ça. -Très bien, va te faire foutre. Elle allait pour se lever mais j'attrapais son bras au dernier moment pour l'immobiliser et lui dire : -Raven, Frank Raven.
-Eh bah voilà putain, c'était pas si dur. Mary Thunder, enchantée. Elle me tendit sa main et je fut surpris d'y sentir plus de poigne que dans la plupart de celles des hommes. -Bon alors, tu veux négocier à quel propos ? -Tes armes. -Oui, vous voulez en acheter ? Je ne négocie pas, je vends. -Je veux tout acheter, absolument tout. -T'es pas sérieux ? Pourquoi j'accepterais ? -On achèterais les armes à la lisière de la ville, comme ça tu n'as pas à payer le prix des transports urbain, mais on y mettrais le même prix que si tu nous les avais livré à domicile. -Vous y gagnez quoi ? -L'exclusivité. -Les gens ne vont pas accepter le changement de vendeur, ni celui du prix. -Qu'est-ce que ça peux te faire à toi ? T'auras déjà tout vendu. -Si les gens doivent se plaindre à quelqu'un, ils iront se plaindre à celui qui à permis un tel acte, c'est à dire moi. Non, je ne peux pas vous vendre mes armes. -Et si nous gardions notre accord secret ? Les gens croiraient que tu as perdu le monopole. -Ça détruirait ma réputation, et puis on ne peux pas garder de secret dans cette ville. Tout en parlant, je m'étais rendu compte que Thunder me regardait avec des yeux que j'avais déjà vu auparavant, il y a de cela très longtemps. Elle avait ce même regard que celui des filles qui, la nuit en boîte, finissaient le lendemain matin par se réveiller dans mon lit. Ou peut être étais-ce une assurance dû aux effets du Whisky. En réalité, je me demandais si il ne m'arrivait pas la même chose qu'elle. Cette fille n'était pas magnifique mais elle avait une assurance qui lui octroyait un charme fou. -Ce qui te fais peur, c'est de ne pas satisfaire tes clients, c'est ça ? -Ça ne me fait pas peur, ce serait juste... Déplaisant. -Commençons par une partie de la cargaison, puis on augmentera le pourcentage peu à peu. -Tu veux y aller pas à pas ? Pourquoi pas ? À nouveau son visage se rapprochait à chacun de ses mots, tout comme le miens. Je ne savait pas ce qu'elle essayait de faire mais je la suivait docilement sur cette voie. -Tu sais que je vais être amené à fournir tes ennemis ?
-Je n'ai pas d'ennemis, simplement des parasites que je n'ai pas encore écrasé. -Présomptueuse ? Léger mouvement en avant. -Réaliste. Ses lèvres n'étaient qu'à quelques centimètres des miennes. -Hautaine ? Millimètres. -Parfaite. Ce qui devais arriver arriva. Sa langue vint s'approprier mon palais alors que ses mains descendaient le long de mon dos. Lorsqu'elle sentit ma maigreur et mes vertèbres se dessiner sous ma peau, elle arrêta tout de suite le baiser. -Un peu maigre. -Ce n'est pas moi qui ai commencé à t'embrasser. -Oh mais je ne le regrette pas. Simplement derrière ce visage, je m'attendais à trouver une carrure d'athlète. On dirait que tu n'as pas bouffé depuis un mois. -C'est un peu ça. -Tu ne risques pas de te décomposer ? -Ça devrait aller. -Je vais te ménager. Elle se leva ensuite de sa chaise et m'aida à quitter la mienne pour m'accompagner sur le lit. J'eu pendant un instant l'impression de me trouver face à une fille facile, idée assez étrange quant à l'image qu'elle laissait apparaître jusqu'à maintenant. Sauf qu'au moment où le dernier bouton de ma chemise sauta, je me rendit compte que moi aussi, j'étais en train de coucher avec elle. Si elle méritait le nom de fille facile, alors moi aussi j'en étais un, de mec facile. Pourtant nous étions tous deux chefs de grandes organisations. Peut être cela faisait-il parti de nos privilèges, laisser libre court à nos désirs, sans réflexions ni regrets, juste dans l'instant présent en ne nous souciant d'aucun jugement. Fini les questions, il ne s'agissait désormais plus que de profiter. -Tu sais, baiser avec moi ne va pas me faire augmenter les prix d'achat, lui expliquais-je. -On verra bien, mais j'ai entendu dire que les relations sexuelles dans les affaires apportaient quelques avantages.
-On va voir vers qui se tourneront les avantages. -Ça dépendra de tes aptitudes, qui vu ton état, ne sont sans doute pas suffisamment impressionnante pour que je t'offre un lot d'armes gratuites. Je lui fis un sourire provocateur alors que je dégrafais son soutien-gorge, ce dernier s'écrasa au sol, laissant apparaître une poitrine quasiment inexistante. Connaissant les femmes et leur facilité à se vexer lorsque l'on abordait ces sujets là, je décidais d'oublier ce détail pour me pencher sur le pantalon. -Tu couche avec tous tes compagnons de business ? -Seulement mes gros acheteurs. -Seulement tes beaux acheteurs. -Je ne vais pas répondre à cette pique, au risque de te voir prendre la grosse tête. -Vas-y, ça sera la première fois depuis plusieurs années. -Et c'est normal, je te connais pas, mais t'es probablement le genre de mec qu'a aucune raison d'être fier de lui. Je poussais sur mes muscles encore endoloris pour positionner ma tête entre les jambes de ma partenaire. Son regard baissé vers moi, elle attendait patiemment que je l'emmène au loin. Avant de réellement commencer l'attaque de ma cible et surtout pour entraîner une langue qui s'était laissée endormir par l'alcool, je déposais un baiser à quelques millimètres du sanctuaire de Thunder. Comme escompté, je la vis frémir. C'était le moment que je préférais durant l'acte, ces légers frissons qui symbolisaient la redécouverte d'un plaisir pourtant encore bien faible comparé à ce qu'il allait devenir dans les prochaines minutes. Nouveau baiser, plus près encore, et nouveau frisson. Cette fois-ci, je ne décollais pas ma bouche, la laissant glisser autour de l'endroit convoité pour finalement, lorsque je jugeais la respiration de Thunder suffisamment forte, en déposer un nouveau sur son clitoris. Tout son être se raidit d'un coup et elle laissa s'échapper un court soupir de sa bouche. Je souriait tout en faisant glisser ma langue, tantôt de haut en bas, tantôt de gauche à droite. Pourtant, il y avait un détail qui m'inquiétait. Malgré l'excitation bien réelle, il y avait une partie de mon corps qui refusait de se réveiller. Il me restait du temps mais je ressentais tout de même la crainte de l'humiliation. Peut être étais-je trop fatigué, peut être étais-ce l'alcool, je n'en savais rien, toujours est-il que pour le moment, mon corps refusait de libérer ma passion. Jamais ce genre de chose ne m'était arrivé auparavant, jamais je ne m'étais laissé vaincre par la nature, et pourtant, c'était en train d'arriver -Ça fait combien de temps que tu connais Geoffrey ? Me demanda Thunder. -Euh... Wyte c'est ça ? À peine quelques jours.
-Méfie toi de ce gars. C'est impossible de savoir ce qu'il a derrière la tête, à ta place je le lâcherais dès que possible. Parfois, entre deux mots, elle reprenait son souffle, je remarquais ce détail et accélérais le rythme de la danse de ma langue. Je fermais les yeux et me réfugiais dans cet endroit chaud, humide et réconfortant pour oublier que pour l'instant, je ne disposais pas des attribut qui faisaient de moi un homme. -Je ne peux pas le lâcher, il en sait bien plus que moi sur ce milieu. -C'est vrai, il en sait plus que n'importe qui. Le problème, c'est qu'il s'agit de quelqu'un de faux. Dès qu'il t'aura mené au sommet, évince le avant qu'il ne prenne le pouvoir. -Il ne veut pas du pouvoir officiel, il dit vouloir travailler dans l'ombre. -Il travaille dans l'ombre pour asseoir son pouvoir, mais dès que ton organisation obtient le monopole, il n'y a plus de risque, c'est là qu'il se montre. À ce moment là, tue le avant qu'il ne te tue. Mes mains caressaient les jambes de Thunder tandis que les siennes courraient sur son propre corps, comme pour m'aider à stimuler son plaisir. Sa respiration, si elle ne devenait pas plus bruyante, gagnaient tout de même légèrement en vitesse. -Je me vois mal tuer un homme qui m'aurait aidé à réussir juste parce qu'une inconnue me l'aurait conseillé. -Parce que tu couche avec les inconnues ? -La preuve que oui... -J'ose espérer que quand tu aura atteint des sommets, je serais devenue plus qu'une inconnue. -Je ne suis pas sûr de la façon dont je dois prendre cette remarque. -Pour l'instant tu la prends très bien. Sa respiration devenait vraiment intense sans qu'aucun cri ne sorte jamais de sa bouche. Son ventre se soulevait et tombait au rythme des mouvements de ma langue, ses mains avaient cessé de caresser son propre corps pour venir s'agripper à la couette fripée. Depuis ma position, il m'était impossible de voir son visage mais je sentais son corps se raidir et ses jambes s'étaient soulevés, la mettant dans une position qui ne semblait pas des plus pratiques. Je continuais à accélérer la vitesse des déplacements de ma langue, ma main droite vint en renfort sur la zone ciblée tandis que la gauche caressait le corps chaud de ma partenaire. La respiration monta, le ventre se rétractait et se grandissait à une vitesse phénoménale jusqu'au moment où son dos quitta la contact du lit. Comme
possédée pendant un court instant, elle souleva sa cage thoracique en lâchant un gémissement à la fois court et puissant. L'absence de cri pendant la durée de l'acte me rappelait Sarah et cette noblesse qu'elle gardait jusqu'au lit. Tout comme Mary, jamais elle n'en rajoutait, tout n'était que vérité, des soupirs de plus en plus intenses qui explosaient dans un ultime gémissement. Au départ, cette façon de faire me semblait presque vexante, j'avais l'impression d'être incapable de la contenter, et au fur et à mesure des années, j'ai fini par m'y habituer, préférant presque cette honnêteté aux simulacres habituels et bruyants. Le corps de Mary se laissa tomber sur le lit et elle tenta de reprendre sa respiration, son ventre continuant d'agir à un rythme effréné. J'aurais apprécié finir le travail d'une façon plus virile mais la nature en avait décidé autrement. Je fut donc contraint de mentir. -Bon, on va s'arrêter là pour aujourd'hui, je suis pressé par le temps. Comment ça marche pour les armes ? -Monsieur refuse de se laisser aller.... Tant pis. Pour les armes, je t'en livrerais un quart, celles qui vont aux Bloods, tu réussi à les vendre et je te passerais le reste. Sans prendre la peine de se rhabiller, elle quitta le lit et sortit de quoi écrire d'un tiroir. Elle gribouilla alors une adresse sur un morceau de papier qu'elle me tendit. Je le récupérais en la remerciant avant de renfiler mes vêtements. Quand on fut enfin tout les deux prêt, Mary tacha de calmer sa respiration et l'on quitta le bureau pour retourner dans la salle où Wyte nous attendait en jouant sur son smartphone. -Enfin ! Alors, qu'est-ce qui s'est passé ? -C'est pas tes affaires, lui répondit Thunder. L'affaire est dans le sac. Le.... Corbeau t'expliquera tout. En prononçant mon surnom, elle lança un sourire sournois dans ma direction : je sentais que j'allais aimer cette femme. Pour l'instant, tout se passait encore mieux que prévu.
Chapitre 58 : La communauté du corbeau Dans le bureau de Josh, les festivités allaient bon train. Depuis mon fauteuil où je faisais sauter ma canne d'une main à l'autre, j'observais le reste de mes associés qui fêtaient les événement de ce matin. En effet, à une heure des plus matinale, Wyte et moi avions vendu sans grande difficulté les armes de Thunder aux Bloods. J'avais été présent pour la forme, mais au final, je n'ai fais qu'admirer les capacités de mon associés en négoce. Étant donné le petit nombre d'armes vendues, nous restions relativement pauvre dans nos caisses, mais symboliquement, cette vente signifiait que nous avions le feu vert de Los Zetas pour vendre et acheter encore plus. Je profitais donc de la fête à ma façon, absorbant peu à peu le contenu de ma bouteille de Whisky, seul dans un coin. Le bonheur que me procurait la boisson était bien trop grand pour que je me risque à rejoindre les autres : il était possible qu'ils me demandent d'arrêter de boire autant. Le regard perdu dans l'alcool ambré, je me demandais ce que j'étais en train d'accomplir. Je me voyais mal diriger ce genre d'organisation, être à la tête de tous ces gens comme ça, d'un seul coup, sans aucune raison. Je ne me sentais pas prêt à agir en méprisant totalement chaque individu qui pourrait être mon ennemi, tout ça pour le bien de mes affaires. Je n'étais pas le genre d'homme qui avait à ses ordres tout un business illégal, ce n'était pas moi. -Ça va Mike ? Me demanda Viktor. -Mouaip... Ça peu aller. -Tu sais, pour l'instant, tout réussi, t'as pas de raison de boire. Me dit-il lorsqu'il aperçu la bouteille vide qui reposait à côté de mon fauteuil. -C'est pas pour ça que je bois. -Pourquoi alors ? -Tu nous vois devenir les nouveau Saliego ? Je ne sens pas ce plan. On va y laisser notre peau, ou tout du moins notre âme. -T'es vraiment un mec chiant Mike. "Bouhou, je vais devenir riche, ma vie est affreuse !". -Sois pas con Vik. Me dit pas que ça ne te gêne pas de penser qu'on puisse devenir comme ceux qui nous ont torturé. J'ai pas vraiment envie d'être un monstre. -Mais on est déjà des monstres putain ! Tu crois les gens normaux ils butent des gens au boulot ? Nan, là on va juste gagner les points positifs de la monstruosité. -Au risque de devenir encore pire... -Tu veux choisir la vertu ? Va bosser au Burger King, en bas de la rue. Tu verra, c'est mille fois plus amusant que ce qu'on fait là et ça paye beaucoup mieux.
-Mais bordel c'est ça le problème ! Tout ça c'est trop facile ! On brise le système juste pour nous, on est des égoïste à mille pour-cent. J'en ai marre d'agir continuellement en fils de pute. -Tu me fais peur Michael, tu me fais peur parce que tu vas diriger tous les gens qui sont là aujourd'hui. T'imagines si un jour il se passe ça : "Oh, un gang nous a volé notre cargaison... Laissons leur. Après tout, qu'est-ce qui nous rends plus légitime qu'eux pour les prendre ? On les a payé ? Oui, on les a payé... C'est vrai... Mais et alors ? Ce sont des outils de mort, moi je préfère la paix et les bisounours." -Ferme ta gueule Viktor. Dans un geste relativement violent, je lui indiquais de rejoindre les autres. Moi, je voulais rester seul. La décision de rester ou non, elle avait déjà été prise. Là, je regrettais simplement d'avoir fait le mauvais choix. Au bout de quelques minutes et d'une demi-bouteille, Wyte vint à son tour pour me parler. Lui je ne comptais pas le repousser. Si il venait me voir, c'était pour parler de choses importantes. -Tu vas bien ? -Ouaip putain je vais bien ! Mais lâchez moi ! -Ok, ok... Y'a un truc que tu dois savoir. -Quoi ? -On a moins de dix mille dollars sur ton compte. Va falloir renflouer les caisses. -Fais chier ! Et la vente d'arme, elle a rapporté combien ? -Quasiment rien, les Bloods ne sont qu'une infime partie des clients de Thunder. Nan, il nous faut une mise de départ. -Adrien. -Quoi Adrien ? -Tu peux me mettre en communication avec lui ? -Eh bien je... Je savais pertinemment qu'il en était incapable, non, la seule personne qui pouvait contacter ce hackeur, c'était lui même. Et évidement, il répondit à mon appel par la prise de contrôle de la totalité des enceintes de la pièce. -Besoin de moi, Corbeau ? -Ouaip, il te reste combien de ta part du braquage ? -Sept millions, mais je les garde. -Fais pas chier mec. On en a vraiment besoin, et si tu veux te rendre utile... -Je vous ai trouvé une liste d'acheteur potentiels pour vos armes, le court du marché pour chaque type de flingue, les locaux à vendre les moins chers pour agrandir notre entreprise ainsi que les gars de confiance qu'on pourrait embaucher.
J'aimais ce gamin. -Il nous faut un coup, pas un truc énorme. Deux millions devrait suffire. Je pars demain matin pour New York et je rentre d'ici cinq jours. À mon retour, tu me trouve un coup rentable. À ta place je chercherais du côté des transports de fond. -Oui chef. T'as un crew ? -Viktor, toi, moi et puis le mec qui m'a sauvé la vie, histoire de le remercier. -Muy bien. Donc à dans cinq jours. Les enceintes s'arrêtèrent d'un coup et, pendant quelques secondes, le silence pris le contrôle de la pièce. Les discussion reprirent ensuite comme si rien n'avais jamais eu lieu. -Bon, le problème de l'argent est réglé, me dit Wyte. Mais t'es sûr de vouloir partir tout de suite ? On n'est qu'à la fondation. -Je sais, mais si j'attends trop, j'ai peur de laisser sauter l'occasion. Ça fait une putain d'année que je n'ai pas vu ma fille, ça ne peut plus durer. -Bon, je comprends. On va essayer de se débrouiller de notre côté. Oh et quand tu te sentiras prêt, va voir Josh, il y a toute une partie administrative que tu dois gérer. -Ok... Rien que d'y penser, j'étais déjà épuisé. Une nouvelle gorgée de Whisky et immédiatement, le calme revenait légèrement. La salle tournait autour de moi mais ce n'était pas problématique, le soulagement en valait la peine. Je me demandais vraiment ce que je foutais ici, entouré de gens qui croyaient en moi alors que je n'avais rien à leur offrir d'autre que ma faiblesse. Je leur mentait, je me faisait passer pour leur dirigeant alors que je n'avais rien. Le temps passait, l'alcool coulait, les bouteilles s'empilaient, les rires grandissaient, le buffet réduisait, Josh vint. -Michael, tu te sens bien ? -Fais pas chier, je me sens putain de bien. -Bon, avant que tu parte, faut qu'on gère quelques trucs. -Vas-y, vide ton sac. -Il va te falloir deux identité, le Corbeau ne suffit pas. J'ai besoin d'un nom pour le propriétaire des magasins d'arme et autre. -Frank Raven, déjà utilisé. Marche très bien. -Ok... Frank Raven... Le tout sera reversé sur ton compte de façon intraçable, mais il me faut une société écran. -Samsung... -Non mais je veux dire un truc qui te permet de camoufler tes revenus. Pour
l'instant ça va mais quand ça se comptera en millions de dollars.... -Le Faucon Maltais ! -Ok, un café. Si tu veux. On l'achètera avec l'argent de la première vente. Mais t'es sûr que ça va Mike ? -Mais ferme ta gueule ! Je vais très bien. Qu'est-ce qu'ils avaient tous à s'inquiéter pour moi ? La fête battait son plein, ils n'avaient qu'à aller là bas. Ici c'était ma zone, et personne n'avait le droit de me déranger. Je tentais de regarder la ville à travers les vitres du bureau sombre de l'avocat. Le panneau HOLLYWOOD brillait au loin sur la colline, surplombant une nuée de maisons plus belles les uns que les autres. Pendant que tout le monde discutait, trinquait le champagne, moi je restais seul. Je me sentais torturé, c'était insupportable, rien n'aurait pu rendre cette soirée pire que ce qu'elle était déjà. Rien sauf elle. -Michael Da Silva ! Une paire d'immense bottes noires cloutées, des collantes déchirés qui se finissaient sur un short qu'on aurait pu qualifier de "culotte en jean". Un débardeur noir sur lequel brillait une tête de mort, le tout recouvert par un gilet en cuir aux manches arrachés qui nous laissaient voir des bras tatoués sur toute la longueur. Deux mains camouflés sous des mitaines parsemées de piques. Inutile de voir le visage de cette femme pour savoir qu'il s'agissait d'elle et c'était tant mieux car je n'avais pas le courage de la regarder en face. -Tu me dis si je dois t'enfoncer ce flingue dans ta gueule de connard ou si je dois te torturer jusqu'à ce la mort t'apparaisse comme un soulagement. -Fais comme tu le sens. Tous les bruits s'étaient tus, il n'y avait plus rien d'autre que la respiration des membres de cette pièce et le bruit des chaussures de Lucy qui se rapprochait de moi à grandes enjambées. Le tout sans que je sois capable de lever les yeux vers son visage. -Tu vas crever Michael, putain je vais te buter ! -J'aimerais bien... Mais tu ne vas pas le faire. -Ah ouais, et pourquoi ? -Tu l'as perdu elle, tu ne veux pas me perdre moi. -Parce que tu crois que je tiens à toi, après ce que tu viens de faire ? -Ce que je viens de faire ? Je l'ai fais il y a six mois, et je n'ai rien fait du tout. Saliego l'a buté, et à ma place tu l'aurais laissé faire. Nan, ce qui te gêne, c'est que je sois parti sans te prévenir.
Elle s'était arrêtée et plus rien ne bougeait. La salle était pétrifiée, toute l'attention était tournée vers nous. J'eu une pensée comique à cette instant : je me demandais si il ne valait pas mieux renvoyer toute mon équipe, puisqu'ils se trouvaient incapable de me défendre face à de potentielles menaces. J'étais sous le joue d'une arme et personne n'osait intervenir. -Putain Michael... Elle est morte. L'arme tomba au sol et Lucy dans mes bras. Seules ses sanglots brisaient le silence. Moi j'avais l'impression d'assister à une démystification : Lucy pleurait. Elle qui apparaissait tout le temps comme maîtresse d'elle même, sarcastique, là elle libérait sa tristesse sous mes yeux et je ne savais pas quoi faire d'autre que de passer mes mains autour d'elle. -Je suis désolé. -Je sais. -On va tuer ce fils de pute. -Comment ça ? -On va buter Saliego, une bonne fois pour toute. -Là ? Je ne saurais dire si c'était de l'enthousiasme ou de l'incompréhension que j'entendais dans sa voix sanglotante. Une seule chose était sûre, voir Lucy dans cet état m'avait donné la motivation nécessaire pour mettre fin à la vie de cet homme. -Wyte, tu sais où est Marco ? -On dit qu'il se ca.... Mais nan Mike, tu ne vas pas... -OÙ EST-IL ? -Fais gaffe, me coupa Viktor. La dernière fois que tu as laissé parler ta vengeance, t'as comme qui dirait... -Ta gueule Viktor. Wyte, où est cet enculé ? -Désolé boss, je ne peux pas... L'arme de Lucy était sur le sol, il me suffisait de la prendre. Un geste en avant et toute la salle était sous mon emprise. Personne ne m'empêcherait de tuer cet homme qui avait tout détruit dans mon existence. -Michael, supplia Josh, fais pas le con et pose cette arme. -Wyte, tu me dis où est Marco et je me casse d'ici. -Je ne peux pas. C'est trop risqué. -Rien à battre. Si Saliego n'est pas mort ce soir, vous pouvez m'oublier, je quitte cette organisation. C'EST MOI QUI COMMANDE, OUI OU MERDE ? -Tout seul tu ne vas jamais y arriver...
-Je ne suis pas seul. Ceux qui veulent me suivre me suivront. -C'est le meilleur moyen de sa faire repérer par Tiger. Si il voit qu'on est assez fort pour buter Marco, il va nous attaquer, or on n'est pas prêt. -Alors prépare nous. Maintenant dis moi où est ce merdeux ! Malgré mon champ de vision relativement flouté, j'arrivais à voir la peur dans tous les regards. C'était ça diriger, ce n'était pas se faire habiller par des tailleurs, c'était maîtriser ses adversaires du regard, les obliger à agir selon ses désirs, même si ils refusaient. -Bon... Il est dans son premier bar, au Saliego's. Mais ne... -Merci. Lucy, tu viens ? Elle sécha rapidement ses larmes et j'observais son visage. Sa peau était toujours aussi blanche, elle aurait presque eu l'air pure sans tout le reste de son accoutrement. Son rouge à lèvre noir lui donnait un aspect presque cadavérique, ce qui contrastait parfaitement avec sa chevelure rouge pétante, légèrement plus longue que la dernière fois mais toujours aussi anarchique. Durant tout le trajet du bureau de Josh au parking, il n'y eut pas le moindre mot, que des échanges de regards qui en disaient bien plus que n'importe quelle discussion. Cet ascenseur dans lequel nous descendions me rappelait celui du Commerce Casino : cette nuit, j'allais faire une connerie. Dans le parking sombre et humide de l'immeuble, la Jaguar de Lucy ne fut pas difficile à trouver. Je pris quelques gorgée au goulot de ma bouteille avant de monter dans le véhicule puis ma coéquipière démarra en direction du Saliego's. En chemin, elle appela du renfort, l'équipe de Nikolaï. À travers les vitres du véhicule, la ville semblait noire, triste, morte. Quelques lampadaires éclairaient faiblement les flocons qui s'abattaient un à un sur les trottoirs. Me rappelant que nous étions en hiver alors que la tenue de Lucy m'aurait paru froide même en été. Chaque passant que nous croisions tournait le regard dans notre direction, la ville était tellement calme que le moindre mouvement captivait, ne serait-ce que l'espace d'un instant. -Qu'est-ce que ça va changer, si on le tue ? Me demanda Lucy. -Rien, le monde aura perdu un meurtrier et on sera plus heureux. -Tu pense qu'on agi bien ? -Ça ne m'est jamais arrivé de penser une telle chose. -C'est parce que tu n'as jamais bien agi. -Dans ce cas là, rajoutons ce soir à ma liste de mauvaises actions. Le voyage fut relativement cours et on arriva rapidement en vue de bar de Saliego. Une épave du passé, fermé deux ans avant mon premier départ, soit un
an après que j'ai commencé à travailler pour cet homme. Ce n'était plus désormais qu'un vulgaire tas de briques et de poussières, un repaire de camés et de rats. Pourtant, c'était ici que j'allais achever la vie d'un homme d'une importance capitale dans toute mon existence. Je sortais de la voiture, ma canne dans une main, mon pistolet dans l'autre. D'une démarche lente et chancelante, je m'approchais des restes de la porte du bâtiment en ruine. Derrière moi, Nikolaï et ses hommes venaient d'arriver. Nous avancions ensemble dans le froid et l'obscurité, face à un fantôme, vestige d'un passé dont Lucy, Marco et moi étions les seuls survivants. Ce fut Nikolaï qui poussa la porte en premier, c'est donc tout naturellement que les premiers coups de feu se portèrent sur lui. Tout le monde couru vers une couverture alors que les balles fusèrent en tous sens. Alors que mes alliés se battaient, la douleur dans ma jambe, celle dans mon bras droit ainsi que la brume grandissante dans mon esprit m'empêchèrent de participer à l'action. J'entendais tout, mais je ne voyais rien. Je me sentais mal, pris de vertige, le monde tournait puis reprenait sa place d'origine qui, furtivement, s'inverser pour ne plus rien devenir. J'étais incapable de me repérer, perdu, désorienté, rien n'avait de sens. Je sentais la neige qui se déposait sur mon visage, je sentais le vent qui me giflait les joues, je sentais le froid qui m'agressait, je sentais l'alcool qui m'attachait, je sentais la douleur qui se réveillait. Et puis d'un coup, tout revint à la normal. Je me relevais d'un bond et, sans un regard pour les corps sanglants au sol, le rouge se mélangeant dans le blanc, je rentrais dans le bâtiment, prenant appui sur ma canne à chacun de mes pas douloureux. À côté de moi, Lucy avait vu ma crise et m'avait fait prendre appui sur elle. Nous avancions en silence dans ce vieux bar craquelé. Le comptoir était resté presque intact, légèrement éclairé par les trous dans la toitures. Des tabourets en miettes étaient répandus un peu partout dans la salle. Là, dans un coin, pitoyable créature, mon ancien menteur se collait au mur. Victime du temps, sa peau de vieillard était parsemée de petites taches. Ses immenses lunettes de soleil orange tentaient de cacher un visage d'une grande laideur, sans succès. -Dis bonjour au Corbeau. Il n'y avait pas de victoire à savourer, pas de torture à accomplir, juste un meurtrier que la justice devait punir. Une balle, un trou, le sang, rien de plus. Son corps glissait le long du mur lorsque, sans un regard pour cet homme, Lucy demanda à Nikolaï de mettre le feu à l'endroit. Marco Saliego n'existait plus et sa mort avait été anodine. Rien n'était plus
affligeant pour un homme de sa trempe que d'avoir une mort lambda. Sans grandes pompes, une balle, un trou, du sang, rien de plus. Car il n'en méritait pas plus. Il n'était qu'un homme, quelques soient les mauvais actes qu'il ait pu commettre, il restait un homme. Or les hommes mourrait ainsi, une balle, un trou, du sang, rien de plus. Il n'était plus rien. Alors que la voiture quittait le quartier, la fumée commençait à s'élever du bar, l'explosion avait retentit, bientôt les forces de l'ordres seraient là. Personne ne reconnaîtrait Saliego. Il serait porté disparu, mais jamais reconnu comme mort. Il n'existait plus. Lucy m'avait amené chez elle. Nous étions tout deux dans sa salle un manger, personne n'osant parler après les récents événements. Une ambiance oppressante s'était installé dans un appartement pourtant très accueillant. -Il est mort, dit-elle. -Il est mort. -C'est étrange, ça ne me fait rien. En fait, je sais que tu es la cause de tout ça, la cause de sa mort, et pourtant je sais que ce n'est pas ta faute. -Qu'est-ce que tu vas faire ? -J'en sais rien. Je vais peut être me bourrer la gueule demain soir, t'es libre ? -Je pars voir ma petite. -Ah... Profites-en, à cet âge là elles sont encore appréciables. -Oh mais elle va le rester. -N'y compte pas. D'ici cinq ans, tu ne lui serviras plus que de carte de crédit pour acheter des sacs à main moches, mais de marque. Tu ne la verras plus le soir, tu... -Tu me rappelles depuis quand tu as des enfants ? -J'en ai pas, mais son frère en avait. -Le frère de... ? Ah oui ! Un air de profonde mélancolie passa sur son visage lorsqu'elle avait évoqué Jenna, mais rapidement elle reprit un visage plus stoïque. Les reflets de la lumière urbaine sur son visage lui donnaient un air presque fantomatique dans l'éclairage tamisé de son salon. -Elle préférera danser et boire pour attirer Brandon plutôt que de manger avec toi. -Mais là tu me parle des putes superficielles que je fréquentais dans mon quartier. Lily est élevé dans un tout autre milieu. -Parce que tu pense que les riches n'élèvent pas des putes superficielles ? Ta fille sera comme tout le monde Mike. Après peut être que ce ne sera pas une salope, c'est même probable, mais ça ne l'empêchera pas de mouiller devant le
beau gosse du lycée et de se foutre du parfum français sur la gueule. C'est la société qui veut ça. -Toi et ta haine de la société... -Haine complètement justifiée. Tu verras quand elle aura 15 ans. Le jour où elle sortira en mini jupe sans t'avoir prévenu pour rentrer complètement bourrée, tu m'appellera. Là, je pourrais te dire que t'as raté son éducation et que je t'avais prévenu. -Ça n'arrivera pas. -C'est marrant comme t'es optimiste avec ta famille alors que tu pleure sur tout le reste de ta vie. -Marrant n'est pas le terme. -Ouaip... Putain j'arrive toujours pas à croire qu'elle soit partie. J'ai pas vu une meuf depuis son départ, elle était trop.... Putain elle était parfaite. -Tellement parfaite que tu la trompais ? -Comment ça ? Son regard sembla se perdre dans le vide quelques secondes, comme si elle cherchais à se remémorer quelque chose, puis il revint vers moi. -Ah non ! T'as vraiment cru que je pouvais tromper une meuf comme ça ? T'es un putain de mec naïf Mike, c'est pour ça qu'on te kiff. Nan putain, elle était trop bien pour que j'ai envie d'aller voir ailleurs. Putain même maintenant j'arrive même pas à être attirée par d'autres filles. -Pourquoi tu m'as sortie tes conneries alors ? -J'en sais rien... T'étais libre, je me suis dis que si je lui disais que j'étais la meuf fidèle, aimante et tout, t'allait me faire chier là dessus. Je devais te vendre du rêve. -Putain t'as pas changé, toujours à vouloir faire mieux que les autres... -Je fais mieux que les autres, juste que des fois ils ne le savent pas, alors j'en rajoute. -On a traversé tellement de trucs, ça fait bizarre de se revoir quand même. -Ouaip... C'est dommage, si t'étais une meuf, j'crois que j'aurais bien aimé te baiser. -Pareil. -Mais nique ta mère !
Chapitre 59 : Famille Pour la troisième fois je quittais cette ville, mais cette fois-ci il n'y avait ni précipitation, ni regret. Cette fois-ci je ne fuyais plus, je voyageais. Dans quelques heures à peine, j'allais retrouver ma fille et cette simple pensée faisait se dessiner un sourire sur mon visage. Je me laissais m'enfoncer dans mon fauteuil en fermant les yeux. Le bruit l'appareil qui s'envolait était comme une berceuse. Dans mon état de santé précaire, le sommeil me tiraillait continuellement et j'allais pouvoir satisfaire mes besoins pendant les prochaines heures de trajet. J'écoutais les conversation autour de moi tout en me laissant porter par la fatigue. Un couple discutait des vacances qu'ils venaient de passer ici tandis qu'un autre comparait ses photos de voyage. C'était la première fois que je me sentais normal en prenant l'avion dans cette ville. Évidement j'avais voyagé en compagnie de Sarah mais jamais depuis Los Angeles je n'étais monté dans un de ces engins sans un besoin de fuir. Au bout de l'allée, un femme narrait les consignes de sécurité tandis que je m'endormais paisiblement. ———————————————— Je retrouvais mes esprit lors de l'atterrissage, mon estomac gargouillait et mes yeux faiblard tentaient de se réveiller. Tout en prenant appui sur ma canne, je quittais mon fauteuil pour rejoindre les hordes de voyageurs qui quittaient l'avion. Avec une lenteur désespérante, je sortais de cet immense engin pour rejoindre les couloirs blancs de l'aéroport New Yorkais. Des publicités nous observaient de tous les côtés, je profitais de ma faible vélocité pour les regarder tout en avançant. Je sentais des frissons me parcourir alors que je retrouvais cette ville que j'avais quitté depuis presque un an, cette ville où quasiment chaque souvenir était un beau souvenir. Mon excitation était palpable, j'avais un immense sourire et une démarche guillerette. Sûrement avais-je l'air d'un simple d'esprit pour les regards extérieurs mais peu m'importait, car j'étais ce qui se rapprochait le plus d'un simple d'esprit : un homme heureux. Je me rangeais dans les immenses groupes de gens qui attendaient leurs valises, le regard concentré sur ce petit tapis roulant qui allait bientôt entrer en action. Tout le monde semblait captivé par cet objet qui déciderais de qui sortirais en premier et qui allait passer les prochaines heures à demander de l'aide dans tous les guichets pour retrouver ses bagages. J'eu la chance de voir ma valise arriver parmi les premières et je pus donc quitter avec un certain soulagement le reste des passagers de mon avion.
J'entamais mon avancée vers la sortie de l'aéroport lorsqu'une boutique attira mon attention. J'arrêtais aussitôt d'avancer et je me mis à peser le pour et le contre. Je savais que si je rentrais dans ce magasin, je ferais preuve de faiblesse, mais je savais aussi que si je ne le faisais pas, je risquais d'exploser en présence de ma fille. La décision fut prise et quelques minutes plus tard, je quittais la caisse, une bouteille de cognac à la main. Je n'avais pas besoin de grand chose, une simple gorgée puis je rangeais le liquide dans ma valise, entre mes vêtements et mes accessoires de toilettes. Enfin, j'étais dans la dernière ligne droite, les portes étaient devant moi. Je voyais New York de l'autre côté, encore éclairée par un pâle soleil d'hiver. Les gens se retrouvaient et s'embrassaient autour de moi, je croyais que ce genre d'effusion allaient attendre mon arrivé chez Sarah mais il n'en fut rien : sous mes yeux, à quelques mètres de moi, je voyais ma fille et ma femme. Je restais pétrifié, immobile, stupéfait, un sourire nerveux sur mon visage et des larmes sur mes joues. Lily, habillée en tenue de saison, eu la réaction contraire. Dès qu'elle eut reconnu mon visage, elle fonça dans ma direction sans prendre gare aux autres personnes dans l'aéroport. Elle courrait comme si sa vie en dépendait, évitant tous les obstacles puis, lorsqu'elle ne fut plus qu'à quelques centimètres de moi, me sauta dans les bras. Tout en la rattrapant, je ne pu m'empêcher de lâcher un sanglot. -Papa ! Le son de sa voix ! Mon Dieux le son de sa voix ! Indescriptible, rien d'autre à ajouter. Plus agréable que le bonheur à l'état pure. Plus envoûtant que la plus puissante des drogues. Plus mélodieux que la plus belle symphonie. Indescriptible. -Lily, tu m'as manqué ! -Toi aussi. Je ne savais pas quoi dire d'autres, peut être n'avais-je rien à dire, peut être avais-je trop de choses à dire. Je restais sans voix, je ne voulais pas brider mon bonheur par les questions habituelles, non. Pour l'instant, la joie se trouvait dans le silence, le silence et l'écoute. -Je croyais que tu reviendrais jamais. -Mais je suis là maintenant. C'est fini, jamais je ne partirais aussi longtemps, plus jamais. Je passais mes mains dans le dos de ma fille, je la serrait contre moi. Je voulais
être collé à elle et que plus jamais on ne nous sépare. Je voulais rester comme ça pour l'éternité. On parle souvent de l'amour pour sa moitié comme le sentiment le plus puissant du monde, mais il n'était rien en comparaison de ce qu'on pouvait éprouver pour ses enfants. -T'es tout maigre. -Je sais... Je sais. Je voyais bien le regard de Sarah qui nous observait, attendant que je relâche mon étreinte pour la saluer. Je n'en éprouvais aucune envie, rien n'était plus douloureux pour moi que de desserrer mes bras autour de ma fille, mais je m'exécutais parce que jusqu'à nouvel ordre, c'était mon ex-femme qui avait le pouvoir sur la garde de ma fille. Je me levais donc lentement et déposais un baiser sur chacune de joues de cette femme qui détenait le pouvoir sur l'être le plus cher à mon coeur. -C'est bien que tu revienne, me dit-elle. -Ce n'est pas moi qui ai choisi de partir. -Je t'ai fait quitté la maison, tu as quitté l'Etat. -J'avais besoin d'un nouveau départ. -On voit tous où ça nous a menés. -Je sais, j'en suis désolé. Tout va bien maintenant. -Tout va bien... J'étais heureux, juste heureux. J'aurais bien pris Lily dans mes bras, comme au bon vieux temps, mais mon corps endolori cumulé au poids qu'elle avait dû prendre en un an me dissuadèrent rapidement d'essayer. Je me contentais donc de marcher à côté de cette toute petite créature qui était ma fille. Pour une fois, c'était à l'enfant de s'aligner sur la démarche de son père : ma lenteur m'affligeait autant qu'elle étonnait Lily. -Pourquoi tu porte une canne ? -C'est pour me défendre des ennemis, il y a une épée à l'intérieur. -Nan mais en vrai ! -En vrai c'est parce que je me fais vieux. -J'te crois pas. T'as juste deux ans de plus que maman et même papy il porte pas de canne. -Oh mais papy c'est un athlète. -Nan mais arrête ! Dis moi ! -Bon, je me suis blessé et maintenant j'ai des difficultés à marcher. -C'est pour ça que t'es tout maigre ? -Oui, c'est la faute de l'hôpital. Ils me donnaient rien à manger. -Comment tu t'es blessé ?
-J'ai glissé en courant. -Sur quoi ? -Bah le sol. -Mais on glisse pas sur le sol sans raison. -Il était glissant, tout ça c'est la faute de l'hiver. Elle ne semblait pas convaincu mais laissa la conversation en suspens. Elle avait perdu sa naïveté d'enfant. Ma petite fille n'était plus si petite que ça et j'avais tout raté. Je reprenais le train en marche, en espérant qu'il ne soit pas trop tard. -Maman m'a dit que tu avais refusé d'aller à l'école, l'informais-je. Pourquoi ? -Je connaissais personne et puis c'était la fin d'année du coup j'étais un peu exclue. En plus je voulais pas changer d'école d'abord. -Dans la vie on ne fait pas toujours ce qu'on veux. -Oui mais là je voulais vraiment pas. En plus l'école elle était nulle de chez nulle. -Pourquoi ? -Elle était toute sale, la cantine elle était même pas bonne et les profs ils étaient pas intéressants. Je vis Sarah lever les yeux au ciel devant moi, ce à quoi je ne put m'empêcher de rétorquer : -Aussi si tu l'emmène à l'école privée d'Upper, t'étonne pas qu'elle ait des goûts de luxe. -Parce que tu voudrais qu'on l'emmène dans un vieux boui-boui du Bronx ? Non mais je rêve... -J'ai pas dis ça. Juste, je t'ai vu lever les yeux, t'as pas de raison de te plaindre. Elle est habituée à la qualité, tu la met dans une école normale, elle ne va pas être ravie. -Oh mais le cavalier blanc est de retour ! Ça fait un an que t'es parti alors je ne te permet pas de me donner des conseils sur l'éducation de ma fille. -Ta fille ? Parce que les six ans qui ont précédé mon départ n'existent plus ? -Non, tu lui a appris à jouer, lire et écrire. Moi je lui ai donné une vraie éducation. -Ah ouaip ? Laquelle ? Refuser à ses parents de donner de l'argent à son ex alors qu'il est dans le besoin ? -Comment tu ... -ARRÊTEZ ! Le cri de Lily était à la fois mignon et effrayant. La voix d'une fille de sept ans mêlée à la colère d'une enfant torturée entre ses deux parents, c'était une chose
très étrange à entendre, surtout dans la bouche de sa propre fille. Elle avait réussi à imposer le silence, Sarah et moi la regardions, incrédule. Pour l'avocate aussi il devait s'agir d'une première. Jamais je n'aurais pensé que Lily puisse exprimer toute cette colère d'une façon aussi contrastante avec son apparence juvénile. -Merci ! J'aime pas quand vous vous disputez parce qu'après papa il part pendant longtemps. Si c'est trop dur pour vous, on peut faire que papa parle plus à maman et inversement, d'accord ? -Ne t'en fais pas Lily, je ne partirais plus, peu importe à quel point maman sera méchante avec moi. -Ça sert à rien de te poser en victime papa. Maman elle m'a dit que toi aussi tu étais méchant et elle m'a expliqué donc pouète pouète camembert. Ce fut à mon tour de lever les yeux aux ciel, puis toute la famille monta dans la Porsche Cayenne noire de Sarah. Cette dernière pris place derrière le volant et j'allais pour me mettre sur le siège passager lorsque Lily m'interrompit. -Non ! Si vous êtes côte à côte vous allez parler. Papa tu viens à l'arrière ! -Oui madame. J'obéis docilement tout en admirant la voiture. Un magnifique intérieur cuir, une interface de toute beauté, Sarah était un peu mon antithèse, la réussite du bon côté de la loi. À peine sortie de ses études, elle s'était trouvé un poste dans un grand cabinet. L'année d'après elle obtenait un promotion et à 27 ans, elle gagnait des sommes astronomiques chaque mois. Son plus grand échec étant probablement son mariage avec moi. Encore une fois, antithèse : notre mariage était ma plus grande réussite. -Bon, Lily. Qu'est-ce qui s'est passé depuis que je suis parti ? -On a déménagé puis on est revenues. -Oui, j'avais cru comprendre ça... Autre chose ? Ça va les cours ? -Bah j'ai raté un peu les cours de fin d'année dernière mais Lundi qui vient je reviens dans la vraie école donc c'est bien. -Tu prends des cours de piano aussi maintenant ? -Ah oui, c'est vrai. Même que je pourrais te montrer si tu veux. -J'en meurs d'envie. Il y eut ensuite quelques instants pendant lesquelles seul le bruit du moteur de la Porsche était audible. Un silence qui n'avait rien de gêné, je l'aurais plutôt qualifié de solennel. -Papa ?
-Oui ? -T'es vraiment obligé de partir ? -Oui, j'aimerais bien rester mais tu sais... Le travail c'est le travail. Je viendrais plus souvent, ne t'en fais pas. -Je peux pas faire quelque chose pour que tu reste ? -Fais en sorte que tout le monde oublie mon passé et trouve moi beaucoup d'argent. -Maman elle a plein d'argent. Pour l'oublie je sais pas. Pourquoi les gens ils devraient oublier ? -Parce que je connais des gens qui refuseraient que je parte... -Mais c'est pas eux qui décident ! -Si... Si... J'ai pris des engagements auprès d'eux et maintenant, je n'ai plus le droit de les laisser tomber. -Tu savais que tu pourrais plus partir en t'engagementant ? -Oui... Oui. -Alors tu veux vraiment pas revenir ? -Si, mais tu verras quand tu seras une adulte, il y aura des événements qui passeront sans que tu puisse y influer. Le monde courre souvent plus vite que nous, et dans les rares occasion où on arrive à le rattraper, on fait les mauvais choix. -C'est pas très joyeux tout ça... -C'est la vie. À quelques kilomètres, New York commençait à se profiler à l'horizon. Ses buildings côtoyaient le ciel avec majesté, un ciel neigeux et froid qui, éclairé par le soleil couchant, gardait une couleur accueillante. -Papa ? -Oui ? -Est-ce que tu trompe maman ? -Hein ? Mais comment tu veux que je la trompe si je ne suis plus ave... Et puis c'est quoi cette expression ? -Tromper c'est quand un homme voit une autre femme non ? -Donc pour toi, un homme en couple ne peux plus voir d'autres femmes ? -Bah euh... Il peut pas .... Je sais pas, mais est-ce que tu l'as trompé ? -Pourquoi cette question ? -Parce que il paraît que c'est une très grosse bêtise. Des fois même que la femme elle vire le mari donc je me demandais. -Non, si tu veux tout savoir, je n'ai pas trompé ta mère. Et à ta place je n'utiliserais pas des mots que je ne comprends pas. -Oui papa. Lily s'enfonça dans son fauteuil alors que la voiture s'arrêtait devant le portail
de ce qui devait être la maison de Sarah. Je regardais avec admiration cette immense bâtisse qui se fondait miraculeusement parmi les immeubles de la Grande Pomme. Un sourire sur le visage, je pensais aux jours heureux que j'allais passer ici, loin de l'agitation de Los Angeles.
Chapitre 60 : Mémoires d'ivrogne 16 Mars 2003 - 23h14 - Saliego's J'avais le regard perdu dans le vague, l'alcool commençait à faire effet sur mon cerveau. La salle bruyante du bar tournait légèrement tandis que les cris des clients devenaient de plus en plus flou. Dans la pénombre quasi-totale, mes yeux étaient attirés par les quelques néons qui parsemaient le plafond ainsi que par le verre sur ma table, encore à moitié plein. La main posée sur le récipient, j'attendais de retrouver une certaine stabilité dans mes mouvements avant d'en avaler le contenu. À quelques tables de là, Nick se faisait recaler par un groupe de fille, ce qui ne manquait pas de faire sourire Lucy, du moins aux rares moments où elle n'était pas en train d'embrasser Mindy. Je m'étais toujours demandé ce qui liaient ces deux filles et surtout par quelle magie elles avaient réussi à rester ensemble pendant plus d'un mois. Car là où Lucy, avec sa crête verte, ses vêtements déchirés et son corps parsemé de tatouage affichait sa marginalité, Mindy était l'archétype classique de la fille qui venait de finir son adolescence. Je ne prendrais même pas la peine de décrire autre chose que sa peau légèrement bronzée et sa longue chevelure brune puisque tout le monde connaît au moins une fille comme elle. C'est un genre qui fait légion mais qui n'en est pas moins attirant. -Faudra que t'apprenne à Nick à avoir des couilles, Mike. Souligna Lucy. -Je sais... Faudrait peut être qu'il se replie sur les mecs... -Quel gâchis, quand je pense qu'il y a des gens qu'on la chance d'avoir une bite et qui vont la fourrer dans le cul d'autres mecs. Bordel y'a vraiment des cons partout. -Euh, je peux te rappeler que toi aussi t'es homo ? -Ouaip, et fière de l'être ! Parce que moi j'ai choisi le bon côté. Putain t'imagine coucher avec un mec ? Ça doit être dégueux ! -T'as jamais essayé ? -Pourquoi je l'aurais fait ? -J'en sais rien. Il doit y avoir une raison si 90% des meufs sont attirées par nous. -Elles sont connes, j'y peux rien. Enfin bon, faut bien qu'il y en ai sinon l'espèce crèverait. Moi je profite pendant qu'elles bossent. -Putain tu fais pitié meuf. -Pas autant que toi. J'absorbais le contenu de mon verre en une gorgée tandis que la punk embrassait sa partenaire. Avec une certaine honte, je dois avouer avoir toujours
été profondément excité par ce genre d'effusion. Enfin être excité par deux femmes qui s'embrassent n'avait rien de honteux, c'était surtout le fait d'être excité par Lucy qui me posait problème. -Ah ! Remarqua cette dernière. Je crois qu'il a réussi ! -Tu pense ? Je regardais dans la direction de Nick pour voir qu'il venait de prendre place à la table des filles. De loin on aurait pu croire qu'il avait effectivement réussi mais je connaissais certaine de ces filles et leur attitude ne mentait pas : elles se servaient de lui pour passer le temps. Pauvre Nick... -Réussi est pas vraiment le mots j'crois. -Moi non plus après réflection. -Bon, sinon, parlons taff, puisqu'il faut bien le faire un jour. T'es prête pour demain ? -Le H ? C'est un bar de merde, en trente seconde on aura tout fait sauter. Putain mais quel genre de fils de pute donne comme nom à son établissement "H" ? C'est juste une lettre ! -Balek de son nom, nan ce qu'il faut préparer c'est le braquage. On est sensés récupérer la thune. -T'en parleras avec Joaquin, moi j'ai mieux à faire que d'arranger vos plans foireux. Je la vis montrer Mindy avec ses yeux tout en faisant glisser sa main le long de la jambe de sa petite amie jusqu'au moment où cette dernière eut un léger sursaut. Je crus qu'elle allait protester mais elle se laissa faire. Ce qui n'était, en y réfléchissant, pas très étonnant puisqu'elle venait d'absorber une dose de drogue relativement conséquente. De son plein gré qui plus est. En fait, avec le recul, je crois comprendre ce qui avait fait tenir Lucy avec Mindy. Lucy était riche grâce à ses boulots pour Saliego et Mindy était une camée. Or pour la drogue, faut de l'argent. Lucy lui payait sa dose et la jeune fille lui offrait un moyen de se détendre, en tout cas c'est l'explication qui me paraît la plus plausible. -D'ailleurs, il fout quoi Jo ? Demandais-je. -Il est aux chiottes avec sa mexicaine, là, euh .... Marina nan ? -Maria je crois. -Elle est pas mal hein ! Je la prendrais bien pour une nuit mais j'ai peur des représailles du 18st si je vole la meuf d'un des membres. -T'as pas d'respect meuf. Mindy est juste là. Elle leva les yeux aux ciel avec l'air de dire "et alors ?". Il était vrai qu'en jetant
en regard vers cette fille complètement défoncée qui ne faisait que profiter des caresse de Lucy sans dire un mot, il était difficile de la voir s'indigner face à d'hypothétiques infidélités. -T'as cru on était mariées et tout ? C'est pas parce que je la baise régulièrement qu'on est direct en couple, Mike. -On dirais tu respecte encore moins les meufs que moi, putain tu fais fort. -Moi je respecte rien d'autre que la thune et moi-même. Ah tiens, le voilà, je vais prendre sa place. Tirant Mindy avec elle, Lucy quitta sa place et se dirigea vers les toilettes d'où Joaquin venait de sortir en compagnie de ladite Maria. Je regardais le déhanché maladroit de la petite amie de la punk disparaître avant de tourner les yeux vers le membre du 18st gang, ce dernier ayant envoyé sa copine au bar. -Alors, Mickey, quoi d'beau ? -Oh rien, t'sais la vie. Nick se fait prendre la misère par Lily et ses amies. -Lily ? La salope ? -Quoi la salope ? -C'est pas avec elle qu'on s'est fait un plan à trois ? -Nan, c'était sa sœur. Lily c'est une meuf bien. -Ouaip 'fin on sait pas trop ce que c'est pour toi une meuf bien. -La limite entre la salope et la vierge Marie. -Ouaip, en gros une salope qui se laisse désirer. -Nique ton père le chien ! J'te dis c'est une meuf bien alors tu ferme ta gueule. -N'empêche que tu te l'ai faite. C'est que ça doit être une salope. -Donne moi une meuf que je connais et que je ne me suis pas faite. -Lucy et les trois quarts de ses ex. -Nan mais des meufs normales. -Ta mère, ma sœur, Maria, la mère de Nick... -Nan mes des meufs de mon âge, et puis qu'est-ce qui te dis que j'ai pas baisé Andréa ? -Parce que sinon je t'aurais déjà enfoncé une balle. -Quoi ? Vaut mieux que ça soit moi plutôt que Lucy, nan ? -On peut arrêter de parler de baiser ma sœur, mec ? -Comme t'veux. Je m'enfilais un autre verre, toujours en regardant Nick se faire mener en bateau par le groupe de Lily. Je ne put m'empêcher de sourire en le voyant ainsi souriant au milieu de toutes ces jolies filles, ne sachant pas ce qui lui arrivait réellement. -Par contre faut qu'on parle taff Jo. Le coup de demain, il est prêt ?
-Putain j'sais pas mec... J'en ai marre de bosser pour Marco. -Pourquoi ? Il paye bien ce fils de pute. -Ouaip, mais c'est tout. Je sens qu'un jour il va nous faire une couille, je le sens pas. D'ici deux ans, j'suis sûr qu'on sera morts ou en prison à cause de lui. -Que dalle, il sait gérer son business. Tu veux faire quoi tout seul de toute façon ? -Braquages indépendant, on a réuni suffisamment de thune pour réaliser nos propres coups. En vrai, Carlos voit pas bien le fait que je partage mon temps entre son gang et l'organisation de Marco. -Bah nique lui sa race. T'es pas son chien nan ? -Tu peux pas comprendre, t'as jamais fait partie de ce genre de chose. Je suis lié à ce mec. -T'es sa pute quoi. -Ça sert à rien de parler avec toi Michael, t'es un putain de connard. -Et j'assume complètement. -Ça fait de toi quelqu'un de meilleur ? -Ça fait de moi un putain de connard. Nouveau verre. Sur ma montre, minuit venait de passer. Je me sentais quelque peu partir tout en gardant une certaine lucidité lorsque Lucy et sa compagne quittèrent les toilettes. La première n'eu pas un regard pour la deuxième lorsqu'elle s'écroula au sol, mélangée entre les effets de la drogue et l'épuisement des ébats. -Bon, les gars, je suis chaude là ! On se fait un truc ? -Ta meuf est couchée sur le sol et... elle est actuellement en train de vomir ses tripes... Tu veux pas aller l'aider d'abord ? -Si je devais m'occuper de tous les camés du coin... -Mais c'est ta meuf ! -Nope. Comme dit précédemment, c'est pas parce que je la baise que c'est ma meuf. -Vous êtes tous les deux des connards, Mike et toi. Fit remarquer Joaquin. Là ça va, vous êtes des gamins, mais à trente putain vous s'rez où ? -T'as cru on allait se caser ? Demandais-je. Nan, t'as cru j'allais aller vivre dans "un magnifique petit appartement de Manhattan, ma BMW m'attendant patiemment dans la rue tandis que que ma femme majestueuse, avocate de surcroît, fait la cuisine pour notre merveilleux enfant" ? Nan putain, moi je vis à cent à l'heure jusqu'à ce que je crève ! -Bah tu vas vite crever alors. Je lui lançais un sourire faussement provocateur avant de quitter notre table pour rejoindre celle où Nick mettais à l'épreuve ses talents de dragueurs. Lorsque les filles me virent arriver, le silence s'installa immédiatement et toute
l'attention se porta sur moi alors que je m'asseyais aux côtés de mon ami. -Les filles, commença Nick, je vous présente Michael. Mike, voilà Marta, Rose, Lily, Pe... -C'est bon Nick, je les connais déjà. -Ah ? Bah cool alors... Sur les cinq filles présentes, deux étouffèrent un léger rire alors que je rabrouais mon ami. En temps normal, il était impossible de trouver des jeunes dans les bars, principalement à cause de la limite d'âge pour la vente d'alcool, mais au Saliego's, on accueillait tout le monde. C'était pour ainsi dire la seule raison qui me poussait à venir boire ici plutôt qu'ailleurs. Ça et le fait que l'alcool y était gratuit pour moi. Ainsi donc, j'avais face à moi cinq filles allant de seize à dix-neuf ans. La plus jeune, Marta, était une fausse rousse aux allures de mannequin, des vêtements faussement luxueux, une coupe courte mais travaillée, des lunettes design, on ne pouvait lui retirer son talent pour le style. Rose, du haut de ses dix-sept ans, ne mesurait qu'un mètre cinquante cinq. Elle était pourtant d'une beauté tout à fait appréciable, avec sa longue chevelure noire et bouclée ainsi que ses yeux d'un bleu profond dans lesquels on aimait se perdre. Pétunia était la plus la vieille du groupe, mais aussi la moins belle. Dix-neuf ans, une peau un peu trop blanche, des vêtements qui trahissaient soit une trop grande pauvreté, soit une absence goût, des cheveux mal coiffés, non, elle n'avait rien pour elle. Nous reste donc les deux sœurs, Lily et Nina. Deux jumelles qui différenciaient pourtant en tout point. On affiche souvent les jumelles comme impossible à reconnaître l'un de de l'autre, mais dans le cas présent il n'y avait pas la moindre difficulté. Certes, il était vrai qu'avec un peu de concentration, le visage de Lily daignait apparaître sous les tonnes de maquillages de Nina. Il était aussi vrai que sans son soutien-gorge push-up, Nina avait une poitrine aussi mignonne que celle de sa sœur. Mais c'était là tous leurs points communs. Elles étaient deux opposées, et comme il faut bien commencer quelque part, je vais d'abord décrire la plus vulgaire des deux. Comme dis précédemment, Nina recouvrait son visage de maquillage, ce qui était de ailleurs assez superflu quand on pouvait apercevoir la beauté du visage de sa sœur juste à côté. Ainsi, le rouge à lèvre pétant côtoyait le blush et le fard à paupière, le tout en bien trop grande quantité pour embellir. Sa chevelure noire et brillante tombait sur des épaules nues, le T-shirt de cette fille s'apparentant plus à un bandeau faisant le tour de sa poitrine. Actuellement sous la table, il m'était impossible de le voir, mais il était de notoriété publique que Nina appréciait porter des jupes
relativement courtes sans l'accompagnement qui va en dessous. La façon dont cette fille se comportait énervait d'ailleurs sa sœur, refusant que des parties aussi intimes de son corps soient visibles par n'importe qui. Car oui, Lily était une fille très prude, ou du moins pour mon quartier. Une chevelure soignée coiffée en un magnifique chignon, un maquillage qui se limitait au strict minimum, une chemisier blanc suffisamment moulant pour que l'on puisse profiter de ses formes sans pour autant le rendre vulgaire, une paire de lunette aux branches fines et métalliques, Lily était une perle rare dans ce monde. -Alors les filles, demandais-je, quoi d'neuf ? -Tu me dois 100 $ Mickey, fit remarquer Lily. -Ah ? Et en quel honneur ? -Il y a trois jours, au restaurant, ça ne te dis rien ? -Hein ? Ouaip, p'têtre. T'inquiète je te paye bientôt. À n'importe quelle autre fille, j'aurais trouvé une excuse pour ne pas payer, mais j'avais une sorte de respect solennel pour cette Lily, seule créature pure dans un monde monstrueux. -T'as intérêt, parce que je les ai emprunté à mon père et il va me buter si je les lui rends pas. -S'tu veux je peux le buter moi même. -Si tu fais ça, n'espère pas me réinviter au restaurant. -T'as cru j'allais te réinviter ? -J'en suis sûre à cent pour cent. -Ah ouaip ? Et c'est quoi qui te fais dire ça ? -Le fait que depuis tout à l'heure, t'essaie de voir la couleur de mon soutif à travers ma chemise. Elle marquait un point, ce qui me fit légèrement rougir, mais pas suffisamment pour que je perde mon assurance. De son côté, Nick semblait légèrement déçu de ne plus être au centre de l'attention, il se replia donc en parlant avec Nina. -Bon, et sinon Mike, euh... Ça va ? Demanda Lily avec un ton hésitant. -Bah ouaip, c'quoi cette question ? -Nan, juste pour savoir. -Tu veux savoir des trucs chelous meuf. -Quoi chelou ? Ça t'arrive jamais de t'intéresser aux autres ? -Nope. -À personne ? -Ch'ais pas moi, t'me stress avec tes questions là. -Il en faut pas beaucoup pour te stresser.
Elle aussi était stressée, c'était visible par trois facteurs marquant. D'abord une hésitation dans ses mots, ensuite le fait qu'elle tapait la table avec ses doigts en essayant de reprendre un rythme connu, puis le regard de ses amies, tous tournés vers elle. Il y avait un truc qui allait se passer et dont tout le monde était au courant ici sauf Nick et moi. -Nan mais j'suis pas vraiment stressé t'vois, façon de parler. Juste c'est quoi toutes ces questions ? -Nan rien... Enfin c'est que... Tu vois.... Aussi étrange que ça puisse paraître, je... En fait tu vois je me demandais si tu voulais bien qu'on.... -Vas-y accouche. -Bon, ok. Elle inspira une grande bouffée d'air avant de se lancer. Est-ce que tu voudrais sort.... Personne n'entendra jamais la fin de cette phrase qui fut arrêtée par un coup de feu, suivi de près par un nombre conséquents d'autres. En une seconde, Nick et moi avions renversé la table et nous étions camouflés derrière elle. Je le regardais sortir son arme tout en vérifiant que la mienne était chargée. Malgré les effets de l'alcool, je sentais l'adrénaline qui commençait à couler dans mes veines. -C'est qui ces fils de pute ? Demandais-je en hurlant. -C'est les Bloods mec ! Me répondit Joaquin qui s'était caché derrière un canapé en compagnie de Lucy. Je lui fis un signe de tête pour lui montrer que j'avais compris avant de lever légèrement la tête pour essayer d'avoir une vue d'ensemble de la pièce. Partout, les gens étaient cachés, certains même gisaient sur le sol. Des éclats de verres étaient éparpillés partout et la plupart des tables avaient été renversées pour servir d'abris. Avec une assurance légèrement exagérée, les Bloods regardaient de haut les réfugiés. Tirant quelques balles dans le tas tout en cherchant. Leur cible était sans doute Joaquin. Il nous suffit d'un coup d'œil pour nous synchroniser et tous en même temps, on quitta nos cachettes pour lancer une salve dévastatrice sur des ennemis qui s'estimaient déjà vainqueurs. Ils avaient été bien trop présomptueux et ça leur avait coûté la vie. Il s'agissait d'amateurs, pour sûr, je m'approchais des corps sans vie de nos agresseurs avec une profonde fierté, d'autant que Lily était venue s'accrocher à mon bras, ce qui me provoquait un grand bien être. -Mais euh... Commençât-elle, c'est quoi qu'il a dans la main ? -C'est juste une .... Putain de merde !
Une bombe, ces mecs avaient amenés une bombe ! Il ne nous restait plus qu'un truc à faire, je me libérais de l'étreinte de Lily et me mît à courir le plus vite possible vers la sortie. De tous mes amis, j'était celui qui en était le plus loin, et alors que tout le monde était déjà sorti, j'atteignais presque la porte. On entendit un déclic, puis Lily qui était juste derrière moi me poussa en avant, la bombe explosa juste après. Je m'écrasais sur le sol alors que derrière moi, le bar explosait. Je sentis la déflagration me souffler mais je n'eut aucun problème pour me relever et regarder les restes de l'endroit en train de brûler et de fumer. Mais ce n'était pas là qu'était l'horreur, elle se trouvait là, à mes pieds. Le chignon défait, la chemise cramoisie, les lunettes brisées, les jambes arrachées. -Non ! Non putain elle n'a pas le droit ! Je tentais le bouche à bouche sur un visage déjà cramoisi, mais la mort n'était pas du genre à rendre ses captifs. J'ai passé de longues minutes à pleurer et à essayer différentes techniques : rien n'y fit. Lily était morte. -Les fils de pute ! Les fils de pute ! Ils allaient le payer, ils allaient le payer. -Lucy, passe moi ta caisse. -Quoi ?!? -Ta caisse ! J'ai un mec à tuer ! -Les Bloods ? Tu vas te foutre un gang sur le dos parce qu'ils ont buté une meuf ? -Pas une meuf, cette meuf. -Elle a quoi cette meuf ? C'est pas parce qu'elle porte des lunettes que tout de suite... Trop de palabres, j'en avais marre d'attendre. Je braquais mon arme en direction de la punk tout en lui demandant ses clés. Je ne pouvais pas laisser ces actes impunis. -Mike, tu sais que quand t'es en colère, tu fais des conneries, ressaisis-toi ! -Un peu que je suis en colère ! Ils l'ont buté Lucy ! Qu'est-ce que tu veux que je fasse ? -Mais c'était qui cette meuf ? -C'était Lily, juste Lily. -Putain mais je la connais même pas. -Elle méritait pas ça bordel ! C'était la seule qui.... Putain merde ! Merde ! MERDE !
Je n'en pouvais plus, je me laissais tomber au sol, les larmes coulant sur mes joues. Le monde tournait autour de moi alors que je prenais ma tête dans mes bras, refusant que le monde me voit pleurer. -Je déteste ce monde ! Je déteste ce putain de monde ! Et je le déteste toujours autant.
Chapitre 61 : Comme au bon vieux temps... La musique venait de se terminer, Lily avait retiré ses doigts du piano et me regardait désormais avec un sourire emprunt d'appréhension. Pendant les trois minutes précédentes, je m'étais laissé envoûté par sa musique. Les mains de ma fille avaient glissé majestueusement pour produire une mélodie certes imparfaite, souffrant de quelques fausses notes et d'une certaine lenteur, mais tout à fait appréciable. -Impressionnant ! Devant mon compliment, le sourire de la petite grandit rapidement. À côté de moi, sur son fauteuil, Sarah acquiesçait avec bienveillance. -C'est vrai c'est bien ? Me demanda Lily. -Oui, surtout quand on sait que tu n'en fais que depuis quelques mois. -Bah huit mois c'est un peu long quand même... -Non au contraire, c'est très court. Surtout par rapport à ce que tu viens de jouer. -Bah merci, me dit-elle avec une fierté non camouflée. Si tu veux je pourrais t'apprendre. -Oh non, j'ai bien peur d'être incapable d'apprendre à jouer comme ça. -Pourquoi ? -Oh tu sais, je n'ai pas une âme d'artiste. -Et moi j'en ai une ? -Tu dessine très bien, tu joue avec talent, je pense que oui, en effet. -Et c'est bien d'avoir une âme d'artiste ? -Ça dépend pour qui, moi je sais que j'aurais bien aimé. Tandis que sa mère quittait le salon richement décoré, probablement pour satisfaire des besoins, Lily semblait chercher activement à comprendre un fait. Ses petits yeux plissés étaient parfaitement adorables. -Dis papa. -Quoi ? -Ça sert à quoi d'avoir une âme d'artiste ? -Bah... Je suppose que ça rends plus simple les activités artistiques comme le dessin, la musique. -Et ça sert à quoi de savoir faire ça ? -Pourquoi tu en fais si tu penses que ça ne sert à rien ? -Parce que j'aime bien. Mais par exemple maman elle défend des gens qui vont se faire arrêter, c'est utile. Mais les dessins ça aide pas des gens. -D'abord, si tu aime faire ça, que ça te permet de passer le temps, alors c'est utile pour toi. Ensuite, l'art, ça sert à des gens... Ça leur donne, comment dire...
Des émotions. -Et toi, tu fais quoi ? -Comment ça je fais quoi ? -C'est quoi ton utilité ? -Moi ? Eh bien... Moi je suis ton papa ! C'est déjà pas mal non, comme utilité ? -Mais maman c'est ma maman et en plus elle sert vraiment à quelque chose. -Dis tout de suite que je sert à rien ! M'enfin, tu as raison. Bon, mon travail, en fait, c'est de fournir des... Enfin, pour l'instant je ne travaille pas officiellement, mais je vais ouvrir un café. -Pourquoi tu pouvais pas venir si tu travaille pas. -Parce qu'il faut du travail pour ouvrir un café, c'est juste que ce n'est pas considéré comme un vrai travail. -D'accord. Je la vis acquiescer, mais il était facile de comprendre qu'elle n'avait complètement apprécié ma réponse. Elle savait que je ne lui disais pas tout, et c'était effrayant de voir cette constatation dans le regard de ma propre fille. Sarah revint dans le salon tandis que Lily méditait sur mes paroles, tentant de démêler le vrai du faux. L'avocate pris place juste en face de moi pour pouvoir discuter. Ses cheveux noirs étaient coiffés dans un chignon parfaitement soigné, fait en accord avec une apparence totalement maîtrisée du tailleur aux talons. -Michael, tu veux vraiment venir à Noël ? Me demandât-elle. -Euh, oui... Pourquoi pas ? -Eh bien, après ce que tu viens de faire, j'entends par là "nous expulser de chez nous", il est probable que mes parents n'apprécient pas ta présence. -Tes parents ? Comme si c'était tes parents que ça allait gêner, nan mais sérieusement. Je t'ai connu meilleure menteuse, pour une avocate c'est pitoyable. -Mike, peux-tu être mature ne serait-ce qu'une seule fois ? Tu vois bien que ta place n'est plus dans cette famille. Comment tu crois qu'on va te recevoir ? -On va me recevoir comme le père de ta fille. Dois-je te rappeler qu'à part toi, toute ta famille t'apprécie ? Si tu ne veux pas que je vienne, dis le, mais ne le met pas sur le dos de tes parents. -Michael je... -Vous n'avez pas le droit de parler ! Nous rappela Lily. Cette dernière, qui avait entamé la lecture d'un livre pour enfant, nous regardait fixement. Ses yeux exprimaient une légère impatience face à nos désobéissances. -Je vous ai laissé quelques minutes mais là c'est fini ! -Ne t'en fait pas Lily, répondit Sarah. On ne fait que discuter, pas de disputes,
c'est promis. -Et si vous tenez pas la promesse ? -Je t'offre le jouet que tu voulais là.... Le LEGO. -D'accord, mais je vous surveille quand même. Je souris devant son ton faussement inquisiteur. En tout cas, la petite avait du caractère, c'était une bonne chose. Ses jambes commençant à se balancer, elle reprit la lecture de son livre. Sarah, elle, reprit la discussion. -Michael, tu sais que ça va être compliqué d'expliquer mon départ, il vaut donc mieux que... -Que ? -Que tu ne sois pas là. Si je leur dit "C'est la faute de Mike, mais tout va bien maintenant qu'on est séparés", ça n'aura pas beaucoup d'impact si tu te trouve assis à ma droite. -Alors trouve autre chose. Ce que tu veux, mais quelque chose. Au pire ils n'ont pas à savoir, tu leur dit que c'est personnel. -Je ne sais pas... -Moi, je sais. Tu ne veut pas que je vienne parce que tu as peur d'assumer l'erreur que tu as faite en m'épousant. Eh bien pour une fois, va falloir que tu assumes : je viendrais quoi qu'il arrive. -Quoi ? Mais pas du to... -Je viens et c'est tout. Fin de la discussion. Pour moi, il était nécessaire de venir, parce qu'un abandon sur ce front pourrait être pris comme une première victoire de Sarah sur la possession totale de ma fille. Il s'agissait donc de ne pas lâcher prise. C'est dans cette optique que je quittais la pièce pour installer mes affaires dans ma chambre, de manière à ne pas risquer de me laisser embrigadé par ses discours sur ma maturité. Je portais donc ma valise jusqu'à l'étage où se situait la pièce dans laquelle j'allais dormir pour les prochains jours. En traversant le couloir, je passais devant la chambre de Lily. La porte était fermée, j'eu pendant quelques secondes l'envie de briser son intimité mais je décidais d'attendre d'y entrer au moment opportun, lorsqu'elle m'y autoriserait. Après tout, je n'étais pas ici chez moi. Ma chambre, dans le même style mi-moderne mi-ancien de la maison, était une très grande pièce où ne se trouvait qu'un lit et une immense armoire. Pour le reste, les différents tableaux aux murs ne suffisaient pas à camoufler le grand vide causé par le manque de meubles. Tout en rangeant mes vêtements dans le placard, j'en profitais pour ingurgiter deux gorgées de ma bouteille récemment achetée, les effets de l'alcool ne tardèrent pas à calmer le stress causé par les protestations de Sarah.
À mon retour dans le salon, la femme de la maison finissait de préparer le repas pendant que Lily jouait avec des LEGOs. Elle mettait en scène une troupe de pompier qui essayaient de sauver les habitants d'un bâtiment étonnamment grand dont je n'osais imaginer le prix. Le repas se déroula sans événements exceptionnels et Lily alla se coucher directement après. Épuisé et peu motivé pour discuter plus avant avec Sarah, je décidais de suivre ma fille pour aller me coucher à mon tour. Le lendemain, je me réveillais presque à l'heure du repas, ce que Sarah ne manqua pas de me reprocher. Je me passais donc de petit-déjeuner pour sauter directement sous la douche et entamer notre repas avec le ventre vide. Dans l'après-midi, j'emmenais Lily se balader à New York avec moi, sa mère ayant du travail à rattraper. Nous sortîmes donc dans les rues de la ville, avec pour direction le magasin de jouet : j'allais pouvoir utiliser les peu de dollars que Wyte n'avait pas dépensé en relooking. Je redécouvrais avec une certaine nostalgie les rues de cette métropole, avec ses multiples taxis jaunes, ses immenses gratte-ciel et ses petits escaliers qui donnaient sur la rue. -Alors, Lily, tu ne m'as pas dit, comment ça se passe avec les garçons ? Elle était peut être un peu jeune pour aborder ces sujets mais cette petite n'avait cessé de m'étonner sur sa maturité, d'autant que même si j'étais très heureux de la revoir, j'étais relativement tenté de la titiller. -Quoi les garçons ? Me demandât-elle, comme tombant des nues. -Pas d'amoureux ? -Bah non, c'est degueulasse ! -De quoi ? Les amoureux ? -Bah oui ! C'est trop bizarre d'embrasser sur la bouche de quelqu'un d'autre ! -Et tu n'as pas vu le reste... -Quel reste ? -Eh bien... Ta maman t'as expliqué comment on faisait des enfants ? -Non, elle dit que je le saurais bien assez tôt. -Ah... Bon... Tu sais pourquoi on se marie ? -Pour faire des enfants, non ? -Pas exactement non. C'est quand deux personnes qui s'aiment veulent vivre ensemble. -Mais donc maman et toi vous vous aimez ? -"Aimiez"... Maman et moi nous aimions. -Elle ne t'aime plus à cause d'une bêtise ? Mais donc le mariage ça sert à rien si on peut l'arrêter. -Si, c'est un moyen de fonder une famille.
-On peut se marier avec qui on veut ? -Oui, normalement, des hommes, des femmes, qui tu veux. -Donc un monsieur peut se marier avec un autre monsieur ? -C'est ça. -Donc on peut faire des enfants quand on est deux garçons ? -Non, pourquoi tu dis ça ? -Bah t'as dit que se marier c'est pour fonder une famille. -Oui, pas forcément faire des enfants... Lily semblait perdue, je me demandais si je faisais bien de la mettre face à ce genre de questions alors qu'elle venait à peine d'avoir ses sept ans. -Mais donc ça sert à quoi ? -À vivre ensemble. -Mais si ils se marient pas, ils peuvent pas vivre ensemble ? -Si, si bien sûr ! C'est simplement que c'est symbolique, et puis ça donne certains avantages. -Des avantages ? -Financiers, des choses compliquées pour ton âge. -Mais donc moi je pourrais me marier avec un ami pour avoir des avantages ? -Euh... En théorie oui mais... Enfin ce ne serait pas très honnête. Je me retrouvais très étonné de voir que ma fille disposait déjà de facilités à manipuler la loi à son avantage. Avais-je eu une si mauvaise influence à son égard ? En tout cas, je préférais désormais mettre fin à cette discussion. -Bon, je ne pense pas être le mieux placé pour parler mariage, légalité et orientation sexuelle. Tu en discuteras avec ta mère. -Pourquoi elle est mieux placée ? -Parce qu'une femme voit les choses différemment d'un homme. C'est mieux que les filles parlent de ça avec leur maman et les garçons avec leur papa. -D'accord. Nous atteignîmes finalement le magasin de jouet. Les guirlandes de Noël et les luminaires se côtoyaient pour attirer le client égaré. Les différentes affiches sur les murs me donnaient vraiment l'impression d'être un pur produit de consommation, mais si je pouvais contenter ma fille, j'étais prêt à offrir mon âme à ces entreprises. Nous passâmes donc plus d'une heure dans les rayons du magasin, à rêver devant les LEGOs, les jeux de DS et quelques poupées. Regarder les yeux de ma fille briller devant ces différentes boîtes était un supplice insupportable, ce qui me fit sortir de l'endroit avec les bras remplis de jouets en tous genres. À mon retour à la maison, Sarah me reprocha bien évidement de trop gâter ma
fille, mais je n'y faisait pas attention. Je venais d'acquérir un niveau de reconnaissance suprême au regard de Lily et c'était la plus belle des récompenses. D'autant que je n'avais pas le temps de me disputer : Wyte m'appelait et je n'étais pas assez fou pour refuser de répondre à cet homme. Je montais donc dans ma chambre, le téléphone à l'oreille, pour pouvoir discuter et boire tranquillement. -Michael, comment tu vas ? -On ne peut mieux, pourquoi tu m'appelles ? -J'ai un grand nombre du sujet dont j'ai besoin de te parler. Tout d'abord, tu dois savoir que j'ai vendu une nouvelle part de notre cargaison, Thunder nous donnera la totalité des armes à vendre pour la prochaine fois... À ce propos, j'ai croisé Mary récemment, on dirait que tu as fait bonne impression. -Ah ? -Oui, elle m'a demandé où tu étais. Je suppose que tu as couché avec elle, et n'y voit là aucun jugement, elle couche avec tout le monde. C'est plus un passe temps qu'une réelle addiction... M'enfin, je digresse. Toujours est-il que tu as lui as fait de l'effet, elle a pour habitude d'oublier ses conquêtes. Ne t'en fait pas, elle ne risque pas de tomber amoureuse, ce n'est pas son genre, surtout vu le temps que vous avez passé ensemble. Mais il y a une chose que j'aimerais te demander. -Vas-y. -Il faudrait que tu augmente l'intensité de cette relation. Si tu noue des liens suffisamment fort avec Mary, on pourrait y trouver certaines avantages comme... -Non. Je refuse de jouer dans ce genre de truc. La manipulation ce n'est pas mon truc. -Ce n'est pas la manipulation, on appèlerait plutôt ça de la... -...prostitution ? Nan, hors de question. Je refuse de baiser pour les affaires. -Elle te plait, n'est-ce pas ? C'est une jolie fille, tu lui plais. Je suis sûr que sans ma demande, tu serais retourné la voir dès ton retour à L.A. Il marquait un point, je devais avouer que cette fille ne me laissait pas insensible. Mais toujours est-il que je refusais de coucher avec quelqu'un simplement pour obtenir des rabais. -Mike, Mike, Mike... Certaines personnes doivent infiltrer des organisations ennemies au péril de leur vie, certaines doivent tuer des hommes puissants et protégés, toi, tu dois coucher avec une jolie fille. Ce n'est pas la mer à boire. -Baiser, je le fais autant que tu veux. Le problème, c'est de le faire uniquement pour les profits. -Pas uniquement, rien ne t'empêche de prendre du plaisir, je t'autorise même à
tomber amoureux. Non, l'important, c'est que Mary prenne notre organisation en sympathie. Pour, peut être, fonder une alliance. -On dirais que tu parle d'un mariage arrangé Wyte ! -Effectivement il y a des similitudes. En fait, tu dois cultiver ta relation avec Mary pour, peut être, atteindre tes ambitions. Elle y gagne aussi ! -Si elle y gagne, pourquoi passer par des stratagèmes de ce genre ? On lui propose directement. -Elle ne se fie pas aux inconnus, du moins pas la plupart du temps. Elle les baise, négocie un peu, mais une alliance totale... Il faudrait que vous soyez vraiment proches. Allez Michael ! Ne me dis pas que tu ne comprends pas ! -Oui... Non... Je ne sais pas... Tu tourne ça bien mais... Je ne sais pas... -Réfléchis-y dans ce cas. En attendant, il faut parler d'autres choses. D'abord le café, on a les locaux, ils sont réservés et seront achetés avec l'argent du braquage. Viktor pensait l'appeler "Au corbeau moqueur" mais, en plus de faire nom de taverne d'heroïc fantasy, je trouvait que ce nom était un peu trop équivalent à un doigt d'honneur à la police. Si le nom du Corbeau devient connu, et j'espère qu'il le sera, alors une telle enseigne nous attirera des ennuis. -Donc, quel nom propose tu ? -La cage aux oiseaux avait été évoq... -Bon, prenez ça. Ce n'est qu'un nom après tout. Je pus entendre la satisfaction de Wyte à l'autre bout du fil lorsqu'il vit que je n'étais pas motivé pour le contredire sur toutes ses propositions. Aussi, durant le temps qu'il passait à chercher le nouveau sujet à aborder, je pris une nouvelle gorgée de mon cognac. -Parfait Mike. Question suivante, le braquage. Enfin ce n'est pas une vraie question, juste pour te dire que l'équipe est prête et qu'Adrien a récupéré des tas d'informations sur les différents transports de fond en ville. On n'attends plus que toi pour planifier le tout. -Parfait, dis lui que je suis fier de lui. -Je n'y manquerais pas. Donc, dernier sujet... Dernier sujet... Ah oui ! L'expansion. Les armes ça rapporte, mais j'avais pensé à ouvrir d'autres filières. On utiliserais le reste de l'argent du braquage pour financer ça. Tu as des envies ? Le jeux, la prostitution, le racket ? -Les jeux. On ouvre un casino officieux... J'ai des raisons personnelles. -Ok, je retiens. Je te trouve des locaux, je nous fait de la pub. On l'ouvrira juste après le braquage, on en discuteras à ton retour. Ici tout va bien ? -Oui, très bien. Demande à Josh si il s'y connaît en garde d'enfant. -Euh, d'accord. Parfait. Bonne soirée. Et n'oublie pas l'affaire Thunder. -Je m'en souviendrais, ne t'inquiètes pas. À la semaine prochaine. Nouvelle gorgée d'alcool pour oublier que je venais de me replonger dans le
stress du travail, puis retour au salon. Comme le soir précédant, un repas sans événements, pas de vagues, juste quelques discussions. Le véritable changement, c'est que quand elle sortit de table, au lieu de monter directement, Lily choisit de demander : -Papa, tu peux me raconter une histoire ce soir ? -Une histoire, euh eh bien... Oui, d'accord. Malgré une certaine appréhension, je montais à la suite de Lily pour la rejoindre dans sa chambre : une grande pièce aux murs bleus, recouverts de ses dessins. J'eu un pincement au coeur en en reconnaissant quelques un, me rappelant mon passé et les circonstances de l'élaboration de ces dessins. Au sol, des jouets, principalement des LEGOs, étaient étalés dans tous les sens. J'éprouvais une certaine fierté à voir que ma fille préférait la liberté de l'imagination que proposait ces briques aux poupées Barbie. -Je vais aller me mettre en pyjama, tu peux préparer ton histoire en attendant. Je hochais lentement la tête tandis que Lily fermait la porte de sa chambre. J'avais déjà une idée de ce que je voulais raconter comme histoire, aussi risqué que ce soit. Aussi, quelques minutes plus tard, quand je pris place à côté du lit de ma fille, le schéma s'était déjà dessiné dans ma tête. -Il était une fois un jeune paysan qui vivait sous la coupe d'un grand seigneur. Jake, puisque c'était son nom, vivait comme tous les paysans de son pays. Il labourait les champs, semait les graines, récoltait les fruits, mais il rêvait de plus. Pour lui, il y avait bien plus, il rêvait de vivre la belle vie parmi les rois. Il avait un ami qui partageait cette vision du monde, un autre paysan de son âge, Nick, avait envie de changer de vie. Tous les deux, ils étaient en désaccord avec leurs parents. En effet, leurs maman voulaient qu'ils soient de bon paysan, tandis qu'eux souhaitaient quitter la ferme familiale pour devenir riches. Nick et Jake n'étaient pas très aimés dans leur ville, les gens n'aimaient pas les rêveurs. Pour les habitants de la ville, les hommes bien restaient de bons paysans, alors Nick et Jake devaient se contenter d'être de simples rêveurs. Mais un jour, un homme entendit leur demande. C'était un vieux vendeur de chevaux, il s'appelait Marco. Pour Marco, la vie n'avait pas été très gentille, il avait lui aussi voulu devenir riche et puissant mais jamais il n'avais réussi. En voyant Nick et Jake, il s'était pris d'espoir. Pour lui, les deux enfants seraient un moyen de réussir. Leur ambition était telle que selon lui, rien ne pourrait se mettre en travers de leur chemin. Marco alla donc voir les paysans et il leur dit "Si vous travaillez pour moi, vous serez riches et puissants". Les deux jeunes hommes, prêts à tout pour réussir, acceptèrent l'offre du vieil homme.
Les mois suivants, Nick et Jake suivirent les ordres de Marco. Ces ordres, c'était de saboter les autres vendeurs de chevaux, voler leurs bêtes, brûler leurs magasins, que des mauvaises choses, mais Nick et Jake étaient vraiment prêt à tout, alors ils n'y firent pas attention. Comme prévu, la boutique de Marco devint très grande, puisqu'elle était la seule. Tous les gens venaient acheter leurs chevaux chez lui. Marco gagnait désormais énormément d'argent, et il distribua ses revenus aux deux jeunes paysans. Ces derniers étaient aux anges, ils passèrent les années qui suivirent à profiter de leur argent, à vivre comme des rois, et à aider Marco en faisant des mauvaises actions. Peu leur importait l'honneur, ils avaient réalisé leurs rêves et c'était ce qui importait. Sauf qu'un jour, Marco donna une mission à Jake, il lui ordonna de voler un objet très précieux chez le seigneur. Jusque là, pas de problème, mais ce que le vendeur de chevaux avait oublié de dire, c'est que le cheval qu'il avait donné au paysan était très peureux. Ainsi, quand Jake fut attaqué par les gardes du seigneur, il ne put pas fuir. Au lieu de courir le plus loin possible, le cheval resta paralysé de peur et Jake fut fait prisonnier par les gardes. Les semaines qui suivirent, notre paysan resta en prison où il compris qu'il avait fait de mauvaises choses. Aussi, lorsque Marco le libéra grâce à son argent, Jake refusa de travailler pour lui à nouveau. À la place, il décida de quitter sa ville pour partir le plus loin possible. Il voyagea pendant des jours et des jours, traversant divers seigneuries, pour finalement s'arrêter chez un lointain village. Là bas, Jake qui avait perdu tout son argent, choisi de redevenir paysan. Il s'installa dans le village et commença à cultiver des terres. La vie était dure et triste en comparaison de celle d'un voleur de chevaux, mais elle était honnête. Jake craignait chaque jour de laisser tomber, de revenir chez Marco, d'abandonner, mais il tint bon. Un jour, il croisa le regard de la fille du seigneur d'ici. Shanya, car tel était son nom, était une jolie fille, partie pour devenir la nouvelle dirigeante du village. Elle était belle, drôle et intelligente, aussi Jake en tombât-il immédiatement amoureux. La jeune Shanya fut émue par le caractère insolite du paysan et prise de pitié. L'héritière tomba elle aussi sous le charme de Jake, et tout deux s'aimèrent. Ensemble, ils eurent même une fille, Lola. Jake aurait apprécié que l'histoire se finisse ici, qu'ils vivent heureux pour l'éternité, mais non. Non car un des nouveaux amis du paysan eut vent de ses aventures passés. Il savait que Jake avait, à une époque, volé des chevaux. Ainsi, il lui proposa de nombreuses fois de recommencer. Mais à chaque fois, Jake refusait, car il avait promis à Shanya de ne jamais reprendre ses mauvaises actions. Le problème était que le pauvre paysan se sentait mal de ne pas travailler, car étant pauvre, le fait de vivre aux côté d'une riche femme le rendait triste. Il
culpabilisait, les jours passaient et il s'occupait de Lola pendant que sa femme travaillait jusqu'à l'épuisement. Aussi, quand son méchant ami dit à Jake qu'en volant des chevaux, il pourrait le vendre et offrir de beaux cadeaux à sa femme, il se laissa convaincre. Pour lui, c'était un moyen d'exister aux yeux de Shanya, de devenir plus qu'une créature prise en pitié. Il vola donc les chevaux et gagna son argent. Le problème, c'est que tous les crieurs publiques parlaient de ce vol de cheval, or Shanya savait que Jake s'était absenté au moment du vol. Comme la femme n'était pas idiote, elle devina que c'était son mari qui avait commis ce délit. Il n'avait pas tenu sa promesse, et pour la dirigeante, c'était inadmissible. Elle obligea donc le paysan à quitter son domaine et commença à vivre seule en compagnie de Lola. Jake, perdu et déprimé, revint dans sa ville d'origine. Il n'avait nul part où aller, tout le rendait triste. Pour lui, rentrer chez dans son village serait un moyen de prendre un nouveau départ sur d'anciennes bases. Aussi fit-il le voyage dans le sens inverse, désireux de pouvoir ensuite revenir voir Shanya les poches pleines. Mais là bas, il ne retrouva que la cupidité de Marco. Ce dernier ne désirait qu'une chose, retrouver son employé modèle. En effet, Nick avait arrêté de travailler pour le vendeur, comprenant que ses actions étaient mauvaises. Marco, même si sa boutique restait grande, rêvait de pouvoir travailler à nouveau avec un homme obéissant. Il harcela donc Jake pour le faire revenir à ses côtés. La première fois, Jake refusa. La seconde fois, Jale refusa. La troisième fois, Jake refusa. La quatrième, il hésita. La cinquième, il se laissa convaincre. Le pauvre Jake, inspiré par la cupidité et l'envie de briller, repassa du mauvais côté de la barrière. Il se remit à faire des mauvaises actions, retrouva son ami Nick, et reprit un riche train de vie. Sa culpabilité recommençait à le ronger, il se sentait mal, mais il avait l'impression que c'était le destin. Il vivait bien, sans problème, il avait même rencontré une nouvelle paysanne nommée Leslie. Quand il ne travaillait pas pour l'ignoble Marco, Jake passait son temps en compagnie de Leslie. Ils devinrent vite très proche de par leurs origines paysannes. Tout semblait avoir repris son cours, Jake était redevenu un hors-laloi au train de vie aisé. Mais un jour, Marco lui demanda de lui apporter un groupe de jeune fille pour pouvoir lui tenir compagnie. Comme Jake connaissait son patron, il savait
qu'aucune fille n'aimerait passer du temps avec lui, et il refusait d'obliger une fille à agir contre son gré. Aussi il n'exécuta pas les ordres de Marco. Ce dernier, ivre de rage, tua Nick sur le champ et lança un avis de recherche sur Jake, qui fut obligé de fuir en compagnie de Leslie. Ensemble, il partirent loin, jusque dans un autre royaume. Là bas, Leslie trouva un autre paysan et elle quitta Jake. Ce dernier, rongé de remord après le meurtre de son ami, se noyait dans le chagrin. Il passait ses journée à pleurer, seul dans sa maison. Rien ne semblait pouvoir lui être pire, il avait perdu Shanya, Lola, Nick et Leslie. Personne n'était resté auprès de lui, il s'était mis à détester la vie. Un beau jour, en revanche, tout changea. Marco avait retrouvé Jake après de nombreux mois de recherche et il le ramena au pays où il le tortura. Mais fort de sa rage et de sa colère, le pauvre paysan tua Marco. Son pire ennemie venait de mourrir, mais Jake n'était pas heureux. Alors il récupéra la boutique de Marco, devint un nouveau vendeur de chevaux, mais en essayant d'être une moins mauvaise personne que son successeur. Quand il eut engrangé suffisamment d'argent avec ses chevaux, il quitta sa ville et repartit voir Shanya, les bras couverts d'or. Cette dernière, encore en colère, refusa de vivre avec lui à nouveau. Lola, en revanche, aimait toujours son père et, grâce à son argent, Jake put devenir un seigneur. Il commença à vivre dans un domaine adjacent à celui de la dirigeante, tous deux se partageant l'amour de la petite. Ainsi, Jake vécu heureux, il ne lui restait plus que son argent et sa fille, mais cette dernière avait le don d'illuminer sa vie. Il profita donc de ce bonheur jusqu'à la fin de sa vie. Fin. Les yeux de Lily se rouvrirent lentement lorsque j'eu fini de raconter. Je cherchais à déchiffrer avec une certaine appréhension son expression mais j'en étais incapable. -Elle est bien ton histoire... Mais elle est un peu triste... -Je sais, je suis désolé, mais je me suis dis que maman avait dû te raconter déjà beaucoup d'histoires heureuses. -Oui, mais elle est bien quand même. Des fois c'est bien les histoires tristes, ça nous rappel qu'on est heureux. -Bon. Content que ça t'ai plu. Maintenant dors. -Oui papa. Est-ce que j'avais eu raison de lui raconter ça ? Probablement pas, mais je voulais que ma fille soit préparée à la vie, qu'elle n'en connaisse pas que les points positifs. J'allais quitter la pièce lorsqu'elle m'interpella.
-Papa ? -Oui ? -Est-ce que Lola et Shanya c'est moi et maman ? -C'est un peu inspiré, oui, mais tu vois bien que ta mère n'est pas une riche héritière. -Oui... Elle avait compris.
Chapitre 62 : Retour à la réalité Je passais les jours suivant à profiter de ma fille en discutant et jouant avec elle, toujours sous le regard protecteur de sa mère. À chaque moment que je partageais avec Lily, je sentais une sorte de mécontentement chez Sarah, comme s'il m'était interdit de nouer quoi que ce soit avec mon enfant. Au final, elle fut sans doute satisfaite lorsque je disparu dans la foule du terminal d'aéroport, quittant New York pour Los Angeles avec sur le visage le sourire que Lily y avait gravé. La valise en main, je montais dans l'avion avec l'intime conviction qu'à partir de maintenant, passer du temps avec cette petite serait ma priorité. Dans le vol, entre deux films d'action, je regardais la liste de Noël qu'elle m'avait donné, étudiant les différents cadeaux pour apprendre à connaître ses nouveaux goûts. À l'atterrissage, je connaissais par cœur tous les mots qu'elle y avait inscrit. Arrivé à la cité des anges, je fus accueilli par une Tesla model S de 2015, totalement noire, vitres comme carrosserie. À l'intérieur, sur le siège arrière, Wyte m'attendait, toujours en costume, un sourire sur le visage. -Alors Michael, tu as fait bon voyage ? -Tout va bien, lui dis-je en montant à son côté. Nouvelle voiture ? -Cadeau d'Adrien en ta faveur. -En quel honneur ? -Il a dit, et je cite "Pour le remercier de me faire confiance, et aussi parce que je n'ai aucune putain d'idée de comment dépenser ces millions qu'il m'a donné.". -Il faudra que je le remercie, à l'occasion. -Et cette occasion devrait arriver très prochainement. Tu es peut être épuisé mais les affaires n'attendent pas. Ton équipe est dans l'immeuble où vous avez planifié le dernier coup, Ade t'expliquera tout et tu leur donnera les instructions. Il ne fait aucun doute que tu ne te trouvera pas sur le terrain alors tache d'être précis. -Pourquoi je ne serais pas à leurs côtés ? -Tu te vois en pleine action, avec ta canne ? Ton métabolisme est encore en phase de réparation, il est hors de question que tu risque ta peau pour l'instant Mike. Je commençais vraiment à me demander qui dirigeais qui, mais Wyte faisait son travail à merveille et je pouvait difficilement lui en demander plus, d'autant qu'il n'avait pas tort : je me voyait mal au combat dans ma situation. -Une fois le coup terminé, et nous verrons quand il aura lieu, j'ouvrirai le casino. Nous ferons quelque chose en grandes pompes, publicité à l'appui. Tout
le monde dans le milieu est au courant de cette ouverture imminente. Le café quant à lui devra attendre : le légal est plus long à mettre en place. Tu vas devoir remplir des papiers et... -Je sais, je le ferais quand on me les donnera. Donc en gros, si je résume, j'organise le coup et je me repose ? -C'est une façon de voir les choses, mais en fait, il serais appréciable que tu organise la réception au casino et que tu commences tes "affaires" avec Thunder. -Wyte ! Protestais-je. Il s'aventurait sur un terrain où je n'étais pas encore prêt à le suivre, et il le savait, aussi laissa-t-il tomber son attitude de dirigeant. Pendant quelques secondes, je pu apprécier le silence du moteur de la voiture électrique, puis mon conseiller reprit la parole. -Au moins va la voir, caresse lui le visage, embrasse lui la jambe, montre lui qu'elle t'importe. Tu peux refuser de faire affaire avec elle, mais tant que ton choix ne sera pas fait, il est préférable que tu fasse preuve d'une certaine affection à son égard. -Comme tu veux... J'irais la voir... Ensuite, la discussion vira. J'informais Wyte que Mary avait des réserves à son égard, ce à quoi il répondit que peu lui importait, qu'il la connaissait bien et qu'elle disait ça uniquement parce qu'il n'avait pas toujours été honnête avec elle. J'acceptais sa réponse sans broncher mais au fond de moi, je sentais que cette femme n'avait pas complètement tort. Mon conseiller, désireux de changer de sujet, me parla des aptitudes de Josh en matière de procès familiaux, il m'expliqua que ce n'était pas là son principal champ de bataille mais qu'il était prêt à s'y battre. Je le remerciais de me transmettre cela avant de laisser le silence revenir. La tête collée contre la vitre teintée, je regardais la ville. À mes yeux, elle n'était plus un lieu de débauche et de crimes, c'était devenu un immense territoire qu'il me restait à conquérir. C'est d'ailleurs en pensant aux conquêtes qu'il me vint une question : -Et Saliego ? Son meurtre n'a pas causé trop de soucis ? -Hein ? Euh... Eh bien, non, enfin oui mais... Wyte était pris au dépourvu, il ne semblait pas avoir imaginé aborder ce sujet et son attitude devant l'inattendu était presque comique. Je le regardais bégayer pendant quelques secondes avant de reprendre son attitude posée. -Excuse moi, me demanda-t-il. Pour en revenir à Saliego, sa mort a causé des problèmes, en effet. Tiger a tout de suite cherché à trouver qui en était l'auteur.
Comme je l'avais prévu, il ne le voit pas comme un nouvel allié mais comme un potentiel concurrent. Heureusement, vous avez fait sauter le bar, rendant impossible toute identification. Il peut encore chercher longtemps avec le corps. Ce qui me fait peur en revanche, c'est si il se met à chercher dans les nouveaux business illégaux. Nous risquons d'être détectés en moins de temps qu'il ne faut pour le dire et notre organisation est loin de pouvoir riposter avec la sienne. À l'avenir, il serais donc préférable que tu évite tes crises de vengeance. -J'essayerais, simplement... N'était-il pas un peu simple à tuer ? Quelques homme ont suffit à tuer un homme qui tenait tête au plus grand mafieux de la ville ? -Marco ne tenait plus tête à personne. Sa présence était symbolique, il restait caché mais c'était son nouveau conseiller qui maîtrisait tout, conseiller qui soitdit-en-passant s'est fait descendre hier. -Ce n'était pas Ellijah son conseiller ? Et puis ne me dit pas qu'il était caché, tu savais où il était ! -J'ai des relations. Pour Ellijah, eh bien il est devenu fou, comme presque tous les membres de l'ancien régime. Il a explosé en voyant son monde s'effriter et s'est mît en tête de se venger sur toi... Ce qui ne lui a pas réussi. Le nouveau conseiller était bien plus droit, mais la mafia était déjà très affaiblie alors il a péri avec elle. -Donc Tiger a gagné ? À cause de moi ? -C'est ça, il dispose du monopole complet sur la ville. Ça et le fait qu'il nous cherche, on est vraiment en mauvaise posture. C'est pourquoi il faut s'agrandir au plus vite. J'acquiesçais, de nouveau perdu dans mes pensées. Ça devait être la fatigue mais je n'arrivais pas à me concentrer, aussi me contentais-je de contempler cette ville qui s'étendait sous mes yeux. Bientôt, chaque seconde serait un calvaire, des milliers d'entreprises seraient menées en même temps pour tenir notre organisation à flot, une mini-guerre se jouerait entre Tiger et moi, alors pour l'instant : je profitais. La neige qui tombait, les rues sales, les affiches publicitaires, les passants emmitouflés, tout était digne d'intérêt pour qui était prêt à s'y intéresser de plus prêt. Je me laissais porter par ce décor urbain qui courrait sous mes yeux, encore une fois impressionné par l'absence totale de bruit émanant de la voiture. Finalement, la Tesla s'arrêta devant l'immeuble où j'avais exécuté mon dernier emploi. C'était dans ce bâtiment en briques que, pour la dernière fois, j'avais travaillé pour quelqu'un d'autre. J'avais l'impression que c'était hier alors que déjà six mois s'étaient écoulés. Je quittais le confort des sièges en cuir pour monter quatre à quatre les marches du grand escalier en bois. Autour de moi, les murs étaient décrépis, fissurés, il
me venait même l'envie de frapper dessus pour voir si ils ne s'effondraient pas. Une fois en haut, j'ouvris la même porte qu'auparavant pour découvrir une pièce en tous points identiques à la dernière fois, autant dans l'agencement des meubles que dans l'ambiance qui y régnait. Lucy, vêtue d'un costume bariolé, fumait une cigarette à la fenêtre. Pendant ce temps, Viktor discutait avec celui que je reconnus comme étant mon sauveur. Sans Nick, Taka, Andréa et Ellijah, la pièce semblait beaucoup plus vide. Je me demandais même si nous étions en nombre suffisant pour réussir le coup, mais avant de me poser ce genre de questions, j'allais devoir être mis au courant du coup en lui même. Je saluais tout le monde d'un grand geste de la main avant de m'asseoir dans l'un des rares fauteuils de la pièce. Là, Viktor me rejoint en compagnie de son nouvel ami, l'ibérique. -Mike, alors, ça va ? -Je tiens le coup. Tu me présente ? -Euh ouaip, évidement ! Mike - Maverick, Maverick - Michael. L'homme eu une légère hésitation avant de tendre une main que je m'empressais de serrer. Il n'y avait pas à dire : cet homme avait de la poigne. -Bon ! S'exclama Viktor, je vous laisse faire connaissance en attendant Adrien. -Merci. Puis, en me tournant vers Maverick, alors, tu rejoins le groupe ou tu profites juste d'une bonne occasion ? -Pour l'instant, je profite de l'occasion. Je verrais ensuite ce que je fais. -Très bien. Sa voix était étonnement grave pour un homme de son âge, soit moins de dixhuit ans. Une chose était sûre, ce jeune en un imposait bien plus que la plupart des personnes de cette pièce. -On n'est pas censé t'appeler le Corbeau ? -Euh... Eh bien, oui, en effet. Il faut croire que Viktor n'a pas encore assimilé ce fait. -À ta place je ferais en sorte qu'il l'assimile vite. Mais pour moi, ça n'a pas d'importance, je connaissais déjà ton nom. La légende a fait le tour de la ville. -Ce serait bien qu'on me la raconte, cette légende, parce que vu qu'on m'en parle tout le temps... -En gros, Michael Da Silva serait le mec qui a permit à un simple barman sans succès de devenir le chef de la plus grosse organisation criminelle de la ville. Déjà ça en jette, mais c'était la version originale. Dans la nouvelle histoire, il est ajouté qu'à ton retour, tu aurais mis fin à tout ça. Seul, tu aurais détruit toutes les fondations d'une mafia que personne n'avait
réussi à affaiblir, tu aurais ouvert la voie à la concurrence. On dit que c'est à cause de toi que la ville est aussi chaotique aujourd'hui. -Bon, au moins tout est vrai... Le regard de Maverick était celui d'un homme du milieu, un regard observateur, analysant les moindres détails de la situation d'une façon très peu perceptible mais bien présente. -T'as pas la gueule de l'emploi, me révéla-t-il. -Probablement parce que je ne l'exerce pas réellement. -Wyte, n'est-ce pas ? -Tu le connais ? -Tout le monde connaît ce gars, c'est une pointure. Le problème c'est qu'il est tellement doué que personne n'ose l'embaucher, de peur qu'il prenne le pouvoir. Mais bon, comme personne n'a été suffisamment fou pour le garder assez longtemps, on ne sait pas si il est vraiment capable de mettre en place une mutinerie. -Plus on me parle de ce gars et plus j'ai l'impression que c'est le diable. -Tu crois pas si bien dire, bosser avec lui c'est comme pactiser avec le diable. Ton empire sera florissant, mais tu risques d'y perdre la vie. -J'espère que tu te trompes. -Moi aussi, ce serait dommage de sauver un mec pour qu'il se fasse buter un peu après. -Ouaip, d'ailleurs merci à ce niveau là. -De rien mec... De rien. L'ambiance était presque pesante dans la pièce. L'ombre du passé planait au dessus de nous, me rappelant toutes les morts qui avaient eu lieu depuis notre dernier rassemblement dans cette pièce, toutes ces morts dont j'étais responsable. Je voyais Lucy, seule dans son coin, principale victime des retombées desdites morts. Avec une certaine appréhension, je rejoins la punk dans l'espoir d'être en mesure de lui apporter un quelconque réconfort. -Alors, ça va ? -Ça va, me répondit-elle en crachant une bouffée de fumée. -T'en penses quoi de tout ça, tu crois que.... -Tu sais Mike, c'est pas parce qu'on a buté Saliego ensemble et qu'on a discuté chez moi que je ne t'en veux plus. -Je suppose. -Elle reste là, continuellement. J'en ai marre, je vois son visage partout, la nuit je rêve de sa mort, je l'imagine crier face à cet enculé de Marco. -Elle n'a pas crié, en réalité elle m'a impressionné. Elle lui a dit que...
-Tais-toi, juste tais-toi. Il n'y a pas de morceaux à recoller. On restera proches quoi qu'il arrive, je suis juste... J'ai besoin de temps, Mike. -Je comprends. Je la vis lâcher un rire presque nerveux avant de jeter son mégot consumé par la fenêtre. En bas le monde ne semblait plus exister, il n'y avait que cette pièce et les malheurs dont elle portait les souvenirs. -C'est drôle, mais tout ça me rappel la mort de ton amie là... Lola je crois. -Lily ? -C'était bien Lily, ouaip, je m'en étais douté quand j'ai appris le nom de ta fille mais je n'en étais pas sûre. À l'époque je ne comprenais pas, mais t'as dû ressentir la même chose que moi. -Non, non... Je... -Tu l'aimais hein ? C'est ça ? -Non, en fait c'était elle qui... -Tu n'as pas à te cacher Mike, grandit un peu. Personne ne se moquera de toi si tu avoue avoir été amoureux. -J'ai été amoureux de Sarah, Lily ce n'était pas pareil. Elle était une sorte de message d'espoir. -Un message d'espoir ? -Elle avait des rêves, elle n'était pas comme les autres filles que je connaissais. Pour elle, le monde n'avait rien de fatal, elle croyait en ses ambitions. Elle pensait maîtriser sa vie, au final elle l'a perdu à cause de moi. -Et tu ne me l'avais jamais présenté ? -Si, une fois, mais je ne t'ai pas dit son nom. Trop de risque pour que tu la prenne. Une fille comme ça ne méritait aucun de membres de notre groupe. -Pourtant je suppose que tu te l'es faite. -Nan, enfin pas vraiment. C'était indescriptible, ce n'était pas comme si... En parlant, les larmes s'étaient mises à couler sur mes joues. Cette fille m'avait marqué, profondément marqué, et le fait de penser qu'elle était morte en me sauvant continuait à me hanter. -T'es pas obligé de me parler d'elle. Si ça réveille des souvenirs trop douloureux, je ne veux pas t'imposer. -Dans ce cas là, je préfère ne pas en parler, effectivement. Bon, je te laisse avec tes souvenirs, mais à un moment il faudra comprendre que Jenna ne reviendra pas, c'est la dure loi de la vie. -Je n'ai jamais beaucoup aimé la loi. Enfin, on va faire avec. Je tentais de lui faire un sourire réconfortant, puis lui donnais une tape sur l'épaule avant de rejoindre le centre de la pièce. Nous avions suffisamment
attendu, Adrien serait là d'une seconde à l'autre et nous allions devoir être prêts. -Écoutez moi ! Tous, écoutez moi ! Nous ne sommes pas ici à un braquage comme les autres, ce que nous allons faire ici, c'est une récolte de fond. L'argent obtenu ne vous sera pas reversé, à part pour Maverick qui ne fait pas partie de l'organisation. Nous gardons tout, car cet argent, il nous donnera la possibilité de nous agrandir. Voyez ça comme un investissement, un investissement qui vous rendra bien plus riche que ce que peux vous offrir le contenu d'un fourgon blindé. Évidement, je ne m'attendais pas à des tonnerres d'applaudissements, mais la réaction me déçut quand même : deux hochements de tête et une absence totale de réaction pour l'ibérique, voilà tout ce que j'avais obtenu. Heureusement qu'Adrien intervint à ce moment là car l'envie de me tailler les veines devenait de plus en plus grande. -Salut la compagnie ! S'exclama-t-il à travers les haut-parleurs de la pièce. Je vous ai manqué ? Mike, j'ose espérer que ta nouvelle caisse te plait, un "non" équivaudrait à un cruel manque de goût. Surtout qu'elle est télécommandable par moi-même, le top du top quoi ! Bon, les gars, on pars sur l'exposition du coup sans plus attendre ! Alors j'ai deux options, comme notre bien aimé Corbeau l'a demandé, ce ne sont que des transports de fond. Le premier rapporte 3 000 000 et l'autre 5 000 000. En dollars, évidement ! Le coup numéro un se base sur un seul fourgon qui transite tous les lundi de Youth street vers la banque sur National Ave. Le second est focalisé sur trois fourgons qui se baladent en groupe en passant devant les différentes boutiques de luxe de la ville pour rejoindre la banque de Majestic street. -Quelle sécurité ? Demandais-je. -Les deux sont suivis par G.P.S. donc il est exclu de s'en emparer furtivement. Par contre, à part les deux conducteurs par véhicule, il n'y a pas le moindre garde. Ils sont armés de pistolets automatiques tout à fait classique et savent s'en servir : cinq heures d'entraînement par mois. -Bon, parfait. Je réfléchis attendez. Cette fois j'allais devoir choisir, j'avais deux options et une équipe réduite, le tout pour un butin bien moins élevé que la dernière fois... Il était loin le temps du casino. -On prends les 5 000 000. Ça nous fait trois fourgons et donc six hommes. Comme ces véhicules prennent la thune des commerçants, plus on attaquera tard et plus on gagnera je suppose. Ça nous laisse beaucoup moins de temps mais on gagne deux millions alors je
trouve cette option préférable. Vous êtes trois agents de terrain, et puis après on a un hackeur. Ade, l'argent est rangé comment dans les blindés ? -En mallettes, à la fin du trajet tu peux en compter une dizaine par coffre. -Très bien... Vick et Mave, vous êtes de bon pilote ? -Plutôt ouaip, répondirent-ils en coeur. -Ok. Adrien, t'es capable de brouiller les GPS et les systèmes de communication ? -La com c'est easy, les GPS ce serait un à la fois. -Parfait, j'ai mon plan. Lucy, tu te fous devant le premier véhicule et tu demandes aux conducteurs de le quitter. Ensuite, tu les assomme, on te passera un taser pour ça. Après tu récupère l'argent dans le coffre et tu te casse en vitesse. Les deux autres, vous tuez les chauffeurs, instantanément, pas de sommation. Vous montez dans les véhicules et vous quittez l'endroit. Vik, tu seras horsradar, t'auras juste à te garer au loin. Pour Mave ce sera plus dur. Il faudra que tu temporise jusqu'à ce que Lucy soit prête, t'auras les flics au cul donc ça risque d'être chaud. Ensuite, elle te rejoindra en voiture et montera à l'arrière. Elle récupère l'argent qui y est et pars avec dans sa voiture. Ensuite, Mave n'aura qu'à semer la police en laissant tomber le fourgon et tout ira bien. -Euh Mike, tu te rends compte que Primo, les vitres des fourgons sont blindés et Secondo, si je suis en voiture, je ne peux pas monter dans le fourgon de Mave. -Pour les vitres, on fournit la ville en armes, j'espère qu'on a des pistolets perforants. Après, niveau voiture, je te passe la Tesla, Ade doit pouvoir la contrôler à distance. Ce sera éprouvant mais tu vas devoir switcher en pleine action. -Bon, qu'est-ce qu'on ferait pas pour les beaux yeux du meurtrier de sa femme ? Je lançais un regard assassin en direction de Lucy avant de quitter mon poste de leader pour me rapprocher de Viktor. Je me sentais déjà épuisé par les quelques mots que je venais de prononcer, alors qu'on pouvait difficilement faire plus simple comme discours d'organisation. Il ne me restais plus qu'à compter sur le talent d'improvisation de mes compères, j'étais trop faible pour tout planifier moi même. Tout en sortant une bouteille de ma veste, je fis signe à Viktor de me suivre dans un coin de la pièce où, après avoir bu une gorgée, je lui demandais une faveur. -Dis Vick, comme je n'ai pas de baraque pour le moment et que l'hôtel commence à me revenir un peu cher, je me demandais si... -... tu pouvais venir chez moi. Évidement mec, évidement. Je le remerciais du regard avant de quitter la pièce : j'avais vraiment besoin de
repos.
Chapitres 63 : Gamins Tous les deux assis autour de la table, nous discutions depuis presque une heure maintenant. Les trois bouteilles vides sur le sol de sa maison témoignaient des nombreux coups que nous avions dans le nez. En regardant cette demeure dans laquelle j'avais été fait captif, je ne pouvais m'empêcher de frissonner. L'endroit était sombre, oppressant, mais son propriétaire ne semblait pas désireux de s'en séparer pour une raison qui m'échappait. -Alors, prêt pour demain ? Demandais-je à Viktor dans une voix qui trahissait mon ivresse. -Faut croire, mais on va vraiment le faire dès demain ? -Wyte n'aime pas attendre. -Et toi ? Me demanda-t-il avec un ton qui en disait long. Plus le temps passait et plus j'avais l'impression que personne ne croyait en Wyte à part moi, sans doute étais-ce parce que j'étais le seul à l'avoir réellement fréquenté. -Arrêtez avec Wyte ! Protestais-je, c'est grâce à lui que tout ça est possible. -Bon, ok. Je te laisse avec ton petit copain, et quand tu lui feras une pipe, tu pourras lui passer un message ? -Mais nique ta mère Vick. C'est pas toi qui dirige. -Apparement, ce n'est pas toi non plus. -On peut changer de sujet ? -S'tu veux. Alors, ces vacances ? Je lâchais un soupir d'épuisement, mais je ne saurais dire si il était dû à l'heure tardive ou à la fatigue que me provoquait la moindre pensée orientée vers Sarah. -Bien, très bien. Ma fille grandit bien... Sans moi. -C'est peut être mieux, tu te vois élever une gosse ? -J'en sais rien, mais au moins si son éducation est ratée, je ne pourrais m'en prendre qu'à moi même. -Ta meuf est quoi ? Avocate, c'est ça ? Je crois qu'elle est capable de l'éduquer. -Bordel tu sais que ça me fait peur ? T'imagines si ma fille devient le genre de salope que je fréquentais quand j'étais jeune ? -Pourquoi ça serait le cas ? -Bah ces filles avaient bien des parents, elles avaient une vie. Ça doit arriver à tout le monde. Si un jour je la vois sortir habillée en pute je... Putain je crois que je me taillerais les veines.
-Ça me paraît un peu exagéré mec ! Arrête de chialer pour le moment elle est cool nan ? -Pour le moment. J'ai trop de trucs qui m'angoissent, je fais quoi si elle devient asocial ? Si je la surprends en train de baiser je fais quoi ? Si elle rate ses études comment je fais ? -Bah tu te prends un autre verre et tu la recadre. C'est ta fille, t'as tous les droits sur elle, alors t'as juste à la punir. -Mais comment je peux la seule bonne chose que j'ai fait durant toute mon existence ? Pourquoi un raté comme moi aurait-il le droit de juger une fille comme elle ? -T'as plus qu'à te pendre en t'écoutant. Mec, t'as une fille qui, de ce que j'entends, est adorable, tu vas bientôt être peté de thune, il te faut quoi ? Je n'avais pas de réponse, aussi décidais-je d'éluder la question en prenant une nouvelle dose d'alcool. Mes sens commençaient à me quitter mais ce n'était pas suffisant, j'avais trop de choses à oublier. -Au pire ta fille sera une pute, et alors ? Il en faut bien nan ? On s'en est tous fait un tas, on est plutôt content que y'en ait. -Ouaip mais pas ma fille quoi. C'est pour ça que je l'ai appelé Lily, pour qu'elle soit différente, mais plus on s'approche du moment de vérité et plus je commence à douter. -Il a quoi de magique le prénom Lily ? -Pas envie d'en parler. Dis toi juste que c'était une meuf bien. -Ah, parce que ça existe ? -J'en doute de plus en plus... Même Sarah perd de sa superbe depuis notre rupture. -Et Lucy, t'en pense quoi ? -Lucy n'est pas une meuf... Enfin pas au sens où je l'entends quoi. C'est plus un mec avec un vagin. -Alors explique moi la différence entre un mec et une fille si c'est pas le vagin. -Fais pas le con, tu me comprends. C'est le comportement quoi. C'était étrange à quel point ma réaction à l'alcool différait d'un moment à l'autre. En compagnie de Leslie, il me rendait heureux et stupide, alors que ce soir, il me rendait encore plus dépressif qu'à l'accoutumée. -Oh et Vick, si tu comptais sortir ce soir, vas-y, reste pas là juste pour me tenir compagnie. -Nan, t'inquiète. Depuis la mort de Nick je... J'y arrive plus. C'est tout con mais... -J'te comprends. Putain à croire que j'ai gâché la vie de tous les habitants de cette ville.
-Y'a rien à croire, c'est le cas. -Bah désolé mec, sincèrement désolé. -Ça va. Alors qu'il se versait un autre verre, je laissais mes yeux vagabonder dans la salle à manger obscure. Cet endroit me donnait le cafard, c'était là qu'avait commencé cette série de meurtre, c'était là que tout avait commencé. -Je me disais un truc, en fait Mike, si t'avais eu un garçon, ça t'aurais gêné qu'il se fasse beaucoup de filles ? -Eh ben... Je sais pas. -Réponds franchement. -Non, non je pense pas. -Alors pourquoi avec Lily ça serait gênant qu'elle baise beaucoup ? -Je sais pas, peut être parce que j'attends plus de pureté chez une fille, peut être parce que je me laisse embrigader par les clichés genre tombeur-salope. C'est le truc de la clé tu sais, une clé qui ouvre beaucoup de serrure c'est cool, mais... -... une serrure qui se laisse ouvrir par toutes les clés, c'est moins cool. Je sais, sauf que pourquoi la meuf se laisserait faire et le mec maîtriserait la situation ? -Je sais pas moi. Mais faut avouer que c'est le mec qui drague, la plupart du temps les filles en boîte se contentent d'afficher un joli décolleté et le gars fait son choix parmi les différentes propositions. Donc c'est pas forcément faux qu'on décide. -Mouais... Mouais, mouais, mouais. De toute façon, on n'en sait rien si ta fille sera une pute alors pour l'instant, on garde espoir. Enivrés par l'alcool, la maison me paressait de plus en plus sombre. Les lampes éclairaient sans résultat un salon pauvrement décoré aux allures d'antiquité. Le canapé troué côtoyait un vieille télévision, rien n'était réconfortant ici. -Et Leslie ? Tu t'es barré avec elle et t'es revenu seul, il s'est passé quoi ? -De la merde, comme d'habitude. Elle était trop bien pour être vraie. Elle baisait un autre mec. -Nan, sérieux ? C'est vraiment pas le genre ! -T'en sais quoi ? Je te dis ce que j'ai vu. On vivait ensemble et madame embrassait un autre gars sur le palier. Le pire c'est qu'elle a voulu me faire croire que j'avais halluciné. -C'était peut être le cas, ils se faisaient peut être juste la bise. -Elle a avoué pour l'amant, c'est pour autre chose qu'elle m'a sorti ça. Genre elle m'a dis qu'elle me trompais pas parce qu'on étais plus en couple. À c'qui parait elle m'avait quitté officiellement sans cesser de vivre avec moi. Sauf qu'on continuait à baiser, et elle a dit que non, on baisait plus. -Donc elle t'as dit que tu hallucinais lorsque vous baisiez parce qu'en fait elle ne
couchait plus avec toi ? -C'est ça, ouaip. -Bah j'en sais rien mec, j'en sais rien. Plus le temps passait, plus les verres s'accumulaient, et plus je me sentais mal. Pourtant, je continuais d'enchaîner les bouteilles les unes après les autres dans l'espoir d'atteindre un niveau d'oublie suffisamment pour ne plus faire attention à cette douleur qui me rongeait de l'intérieur. Je ressentais un vrai besoin de quitter cette pièce, trop de mauvais souvenirs y vivaient et je n'étais pas encore prêt à les côtoyer. J'avais une idée pour me changer les idées, une idée stupide mais, sous l'effet de l'alcool, je m'empressais de l'expliquer à Viktor. Pendant toute la durée de la démonstration, je vis le visage de mon ami devenir de plus en plus incrédule. J'avais totalement conscience de la stupidité de ce plan, mais il me faisait envie et je ne voyais pas de raison pour m'en priver. C'est avec ce même raisonnement qu'avec un air complètement perdu, Viktor me répondit "c'est complètement fou mais j'adore !". Une tape dans l'épaule et quelques secondes plus tard, nous nous trouvions dans la voiture de mon ami, prêt à entrer en action. Déjà, je sentais l'adrénaline couler dans mes veines alors que j'enfilais ma cagoule et que je vérifiais le chargeur de mon arme. Dès que je fus préparé, je me mis à observer la nuit derrière les vitres de la voiture. J'avais toujours été fasciné par cette obscurité qui s'emparait chaque soir de la ville pendant plusieurs heures. Les rues étaient désertés, les magasins fermés, toute vie s'enfuyait pour ne laisser plus que la lumière faiblarde des multiples lampadaires. Durant les quelques heures où il était présent, ce grand manteau sombre cachait les monstruosités de la ville, elle camouflait nos péchés pour permettre aux Hommes de dormir en paix. Dans les rues obscures, un commerce de proximité était toujours allumé, rayonnant comme un soleil au milieu de la ville. Viktor stoppa son véhicule juste en face de la porte et, dans un geste synchronisé, nous quittâmes nos places. Soutenu par ma canne et bravant les effets de l'alcool, j'avançais tant bien que mal en direction de l'enseigne lumineuse. Mon désir de violence se mêlait à l'ivresse pour créer un filtre qui passait juste devant mes yeux. Je ne contrôlais plus rien, je n'étais plus qu'une ombre suivant un corps en transe, animé uniquement par des envies d'action. Dans le magasin, mes yeux se plissèrent légèrement sous la déferlante lumineuse qui m'agressa en tous bords. Je sentais mes bras faiblir alors que je levais mon arme dans un geste maladroit en direction du caissier. La terreur dans les yeux, ce dernier vidait sa caisse avec rapidité, espérant que nous n'étions pas assez fou pour mettre fin à sa pauvre
existence. Alors que je remontais dans la voiture, un sac de billets dans les mains et l'esprit complètement embrumé, je lâchais un intense hurlement de joie qui résonna dans toutes les sinistres rues alentours. Les conséquences ne m'importaient plus, je venais de retrouver mon ancien corps et ça faisait du bien. J'avais agi, j'avais mené, Wyte m'en voudrait certainement mais la satisfaction en valait la peine. Désormais, je pouvais m'évanouir tranquille... L'horloge indiquait vingt heure et demi, j'allais bientôt devoir partir. Je finis de taper mon message en prenant soin de corriger les fautes que j'y avais fait avant de me lever. Je ne quittais pas ma chambre immédiatement, préférant me regarder une dernière fois dans le miroir pour ne pas avoir de mauvaises surprises en arrivant. Mon chignon était magnifique, je ne crois pas en avoir jamais fait d'aussi beaux aussi en étais-je assez fière. On ne pouvait pas en dire autant du rouge à lèvre qui, si il était réussi sur ma lèvre inférieure, semblait relativement inégal sur la supérieure. J'aurais pu essayer d'arranger ça mais j'avais peur de détériorer le résultat plus que de l'améliorer. Je regardais ma poitrine tombante avec une certaine honte. J'avais choisi de ne pas porter de soutien-gorge pour éviter qu'il ne dépasse de mon décolleté ou que ses bretelles ne soient pas en harmonie avec ma robe qui me laissait les épaules nues. Mais dans ce miroir, voir mes seins ainsi chuter vers le sol me faisait douter à nouveau. Je ne savais pas vraiment si je voulais avoir une belle tenue mais pas de formes, ou un corps attirant qui serait légèrement gâché par une faute de goût sur ma robe. Refusant de trancher, je décidais d'essayer de remonter ma poitrine à la main mais rien n'y fit : ma robe n'était pas assez solide pour la maintenir en position. Tout en pestant contre le couturier qui avait fait un objet d'une aussi grande beauté sans penser aux aspects pratiques, je choisis d'abandonner et de garder mon apparence telle quelle. Je m'occupais ensuite de rabaisser ma robe au maximum pour éviter qu'elle ne laisse apparaître mes sous-vêtements, puis je me promis de penser à recommencer cette opération plusieurs fois par heure : il s'agissait de ne pas avoir l'air d'une fille facile. Après quelques minutes passées à complexer sur l'épaisseur de mes jambes, je me retournais pour observer mon dos nu, pester contre ses imperfections et essayer de me tenir la plus droite possible. Quand je fus enfin relativement satisfaite mon allure, j'enfilais ma paire de chaussures et quittais le confort de ma chambre pour commencer l'opération furtive. Un pas après l'autre, j'avançais le plus discrètement possible dans le
petit couloir de l'étage. Quand je me rendis compte que mes talons rendaient tout déplacement impossible à camoufler, je décidais de les ôter pour finir le trajet pieds nus : je les remettrais dans le jardin. Le contact du bois sur mes pieds était assez agréable si l'on oubliait les légers grincements qu'il émettait tous les cinq pas avec une régularité effrayante. En bas, j'entendais mon père qui se versait un verre d'alcool. Encore... Il ne me restait plus qu'à espérer que son ivresse l'empêche de m'entendre. Je sentais mon coeur battre la chamade en pensant aux éventuelles conséquences de cette sortie tandis que j'atteignais l'escalier. J'étais en face de la partie la plus compliqué, ici chaque marche serait une épreuve qui risquait de ma trahir. Devant ce pic de difficulté, je me demandais si j'étais prêt à braver autant d'obstacles uniquement pour une simple fête. En même temps, tout le monde y serait et si je n'y allais pas, il ne faisait aucun doute que les gens allaient s'en apercevoir. J'allais passer soit pour une fille chiante, soit pour quelqu'un incapable de désobéir à son père, dans les deux cas ce n'était pas enviable. D'autant que John serait là bas et que je comptais bien profiter de cette robe pour avancer dans la conquête de son cœur. Je lâchais un soupir rêveur en pensant à lui, ce qui paradoxalement me ramena à la réalité et aux multiples marches qui se tenaient entre moi et la porte d'entrée. J'encouragerais mentalement mes pieds avant d'entamer la descente. À chaque pas, mon coeur se serrait, à chaque grincement il s'arrêtait, à chaque bruit dans la cuisine, je me sentais proche de l'évanouissement. En atteignant enfin le plancher, je lâchais un soupir de soulagement. Même s'il n'en fut sûrement pas la cause, je maudit cette dernière action en entendant mon père se diriger vers l'entrée. Pétrifiée, je le regardais avancer de sa démarche claudicante, un verre à la main et les yeux légèrement plissés. -Je peux savoir où tu vas ? Me demanda-t-il d'une voix trahissant l'alcool qui coulait dans son sang. -Quelque part. Derrière sa barbe mal rasée, sa bouche recrachait une haleine fétide et empestant l'alcool, aussi réprimais-je un geste de recul. Désormais, il me restait deux options : soit je retournais dans ma chambre en pleurant, soit je lui tenait tête en espérant qu'il ne me tue pas dans sa crise d'alcoolique. -Papa, pousse toi s'il te plait, je vais être en retard ! -Et où ça ? -Quelque part, c'est pas tes affaires. -Ah bon ? Et pourquoi ?
-J'suis grande, je vais où je veux. -T'as quinze ans Lily, alors tu ne vas pas où tu veux. Maintenant retourne dans ta chambre et enfile quelque chose de moins... de plus convenable. -Nan mais s'teuplait papa, c'est vraiment important. -Rien à battre, je ne laisse pas ma fille sortir la nuit habillée en pute. -Attends, qu'est-ce que tu viens de dire ? Pour toi une robe de soirée c'est une tenue de pute ? -Ah parce que c'est une robe de soirée ? Bah merde alors ! Nan mais tu t'es vu ? Ton décolleté est tellement bas qu'il soutien même pas ta poitrine d'ado et je suis sûr qu'en me baissant un peu, je peux voir ta culotte. -Papa ! -Bah quoi ? Tu t'habille en salope, assume ! Tu sais quoi ? Vas-y à ta fête, et j'espère que tu te feras violer sur le chemin ! Il avait craché ces derniers mots en jetant son verre contre le mur, puis il était retourné dans la cuisine pour s'en verser un nouveau. De mon côté, je sentais les larmes couler le long de mes joues, emportant sur leur passage tout le maquillage que j'avais mis des heures à préparer. J'étais vraiment pitoyable, je me sentais mal, j'avais presque envie de monter dans ma chambre pour pouvoir y défouler ma haine sur les murs, mais ça ferait trop plaisir à mon père. Je préférais encore sortir, il était de notoriété publique que Michael Da Silva était un ivrogne violent, personne ne me reprocherait donc de pleurer. En quittant la chaleur de la villa pour me retrouver dans l'obscurité froide de la nuit, je me demandais pourquoi c'était sur moi qu'il était tombé, pourquoi il fallait que je me paye un monstre comme père. Assise sur le palier, j'enfilais tant bien que mal mes chaussures, mes mains tremblant sous mes sanglots. Je me rendais compte que je mourrais de froid, mais j'avais trop peur de retourner dans le hall pour y chercher un manteau et d'y croiser la colère parentale. Je marchais donc le plus vite possible dans les ténèbres de la ville, rabaissant continuellement une robe qui semblait résignée à remonter à chacun de mes pas. Je ne voyais même plus l'intérêt d'aller à la fête, j'étais trop déprimée pour en profiter. J'allais presque faire demi-tour lorsque je reçus un violent coup sur la tête. Je venais d'entendre un cri, celui de ma fille. Dans un geste maladroit à cause de l'affolement et de l'alcool, je me levais en vitesse pour courir vers la sortie. Je ne pris même pas le temps d'enfiler mes chaussures, si il arrivait quelque chose à Lily, jamais je ne pourrais me le pardonner. Dehors, Viktor m'attendait dans sa voiture, je montais en vitesse à l'intérieur et il quitta mon jardin le pied au plancher. Je regrettais déjà ces insultes que j'avais
lancé à son égard, je me sentais mal, j'étais terrifié de ce qui avait pu se passer. Dans un dérapage contrôlé, Viktor stoppa le véhicule devant la supérette, l'arme à la main, je le quittais en courant. Enfonçant la porte de l'épaule, je pénétrais dans l'environnement lumineux de la boutique. Sur le comptoir, Lily était étendue, à moitié assommée tandis que le caissier essayait d'abuser d'elle. Pris d'une crise de rage, je tirais la totalité de mon chargeur dans sa direction, ne faisant pas attention aux tremblements de mes bras. Finalement, quand les coups de feu eurent cessé, je regardais vers le massacre et je vis avec horreur les plaies sanglantes que mon arme avait creusé dans le corps de ma fille. Je me réveillais en hurlant, le corps humide de transpiration. Les yeux encore fatigués, je m'empressais de récupérer la bouteille de Whisky qui était posée sur la table d'à côté et d'en boire quelques gorgées. Le liquide chaud coulait dans ma bouche d'une manière presque réconfortante alors que je respirais encore par saccade des suites de ce cauchemar. J'avais besoin de quelque chose pour m'aider à oublier ce mauvais rêve, et l'alcool seul n'allait pas y arriver. J'allais faire plaisir à Wyte : Thunder allait bientôt recevoir de la visite.
Chapitre 64 : Procédure legale Couché sur le lit avec la couette qui recouvrait mes pieds pour seul vêtement, je caressait avec une sorte d'automatisme les jambes nues de Thunder. Dans la pièce mal éclairée, des flash de mon récent cauchemar me revenaient parfois. Pour essayer de l'oublier, j'écoutais la respiration de Thunder, encore légèrement saccadé après nos ébats. J'aurais probablement aimé discuter de l'éducation de Lily avec elle mais il valait mieux que Franck Raven n'ait pas d'enfant. Je me contentais donc de profiter de la douceur de sa peau dans un silence qu'elle seule venait troubler. Plus je la regardais, plus je laissais ses formes m'envouter et plus elle me paressait belle. -Elles te plaisent mes armes ? Demanda-t-elle soudain. -Pour l'instant je ne les ai pas vu, mais l'argent qu'elles me rapportent est plaisant, ouaip. -Et ton organisation, comment ça se passe ? -Je sais pas, bien je suppose. On s'agrandit. À l'heure où je te parle, j'ai des gars qui se préparent à récupérer cinq millions de dollar. -Bah tant mieux. -Ouaip... Réfléchir à tous ces gens que je dirigeais me fit soupirer. Je quittais Mary du regard pour observer les saletés qui s'éparpillaient sur son bureau ainsi que les vieilles armoires de cette chambre : n'y avait-il aucune maison réconfortante dans cette vile ? -Et avec Wyte ? -J'en sais rien... J'ai pas envie de parler de lui, vraiment pas. Tout le monde me fait chier à son sujet. -Ok, ok. Pour l'instant, le seul sujet qui me préoccupait était celui de ma fille. Dès que je fermais les yeux, je la voyais quittant la maison vêtu de cette robe courte, les larmes aux yeux et sur le point d'être violée. -Est-ce que tu pense qu'il existe un moyen infaillible pour élever une fille ? Finis-je par demander. -Pourquoi, t'as une fille ? -Nan, mais j'y pense sérieusement. Le truc c'est que je ne veux pas qu'elle devienne... Enfin tu vois quoi ? -Ouaip, je vois. J'en sais rien. J'ai jamais connu mes parents et j'ai jamais eu d'enfants alors l'éducation, c'est pas mon truc. Mais ça te vient comme ça, d'un
coup ? T'en voulais une depuis combien de temps ? -Je sais pas... -Le truc pour élever un enfant, enfin je pense, c'est de lui inculquer les bases dès son plus jeune âge. Je vais parler d'un truc que je connais pas mais je suppose que ça marche comme ça. Ta gamine, elle va se déterminer en fonction de ses parents et de ses amies. Si tu lui apprends que certains trucs sont pas bien, elle va pas devenir amie avec des gens qui font ce genre de truc, du coup personne ne lui demandera de le faire, CQFD. -Peut être, mais une amie au CP peut rapidement devenir une salope quand elle entrera au collège. -Tu sais quoi ? T'as l'air un peu parano. T'as même pas encore fait ta gosse. Tout se jouera sur l'éducation, les salopes ont souvent eu un problème au niveau de l'éducation comme des parents absents, ou qui se foutaient d'elle. Tu va être peté de thune d'ici quelques mois si ton affaire marche, elle va aller dans des putains d'écoles et tout ira bien. Fin de l'histoire. -Peut être... J'espère que t'as raison... -J'ai toujours raison, me dit-elle avant de m'embrasser. Je fermais les yeux et laissais sa langue glisser le long de mon torse. Mon excitation grandissait alors que la bouche de Mary se rapprochait de mon entrejambe. Couché sur le lit, complètement inerte comme une limace, je la laissais commencer son "massage". Il m'étais impossible de renier le fait que c'était agréable de la sentir ainsi mettre son palais au service de mon plaisir, mais rien ne pouvait me faire oublier Lily. Je me demandais ce qui avait fait apparaître cette question, pourquoi elle n'était là que depuis quelques heures. J'ouvrais les yeux et les tournais en direction de Mary, regardant son sourire jovial et son air coquin dans les yeux. Elle semblait vraiment prendre son pied. De mon côté, je me demandais si j'aurais apprécié que Lily lui ressemble. Après tout, elle était belle, intelligente, elle dirigeait tout un gang malgré son sexe. Pouvais-je lui reprocher d'aimer coucher ? Je n'était ni beau, ni intelligent, ni véritable chef d'une organisation, mais j'aimais coucher. J'étais donc bien pire qu'elle, mais en tant qu'homme cela était acceptable... Étais-je capable de faire abstraction de ces règles stupides vis à vis de ma fille ? Pouvais la traiter comme l'égale d'un garçon ? Non. -Eh Mary ? Ça t'arrive souvent de... Nan, laisse tomber. -Vas-y, dis. -C'est pas important. -Tu voulais savoir si ça m'arrivait souvent de baiser avec une personne que je
viens de rencontrer ? La plupart des mecs se demandent ça. Bah ouaip, pourquoi ? Parce que je le peux. Personne va te dire "je déteste baiser", alors bon, j'ai pas de mec, j'en profite. Je vois pas pourquoi ce serait mal, enfin je... -T'excite pas, c'est bon, je voulais juste savoir. -Ok, ok... Je lui souris et elle reprit son occupation. Une heure plus tard, je quittais le QG de Los Zetas pour rejoindre le bureau de Josh. À pied, dans les rues, le jour, la ville m'apparaissait beaucoup plus triste. Ces quartiers sales, remplis de pauvres jeunes qui s'ennuient au point de te menacer pour exister. Ici, les armes étaient légion, on pouvais presque sentir l'odeur de la drogue dans les rues. Les petites maisons en ruines s'apparentaient plus à des repères de camés qu'à de vrais domiciles, au point qu'on se demandait où pouvaient bien vivre tous ces gens que l'on croisait au fil des rues. Le soleil était déjà haut dans le ciel, il me regardait patiemment tandis que j'avançais dans les ruelles sombres de ce quartier, la canne à la main. Désormais, je ne la portais plus comme un infirme mais comme un noble, elle n'était plus qu'une sorte de symbole, un symbole qui cachait mon absence de pouvoir. Au bout de la rue, des silhouettes en contre-jour discutaient. Ils étaient quatre, grand, musclés, le genre de personne qui n'attirent pas l'attention normalement, mais là je les vis se rapprocher de moi avec une démarche que je connaissais bien. Un pas après l'autre, leurs amples pantalons flottant dans la brise matinale, ils avançaient dans ma direction en roulant des mécanique. Quand ils furent suffisamment prêt, j'aperçu leurs vêtements aux couleurs des Zetas ainsi que leurs mines patibulaires. -Mec ! S'exprima le plus vieux du groupe. Portable, portefeuille, tout ce que t'as. -Vous savez à qui vous parlez ? -Ouaip, à un vieux con ! Il devait y avoir une blague cachée dans ses propos puisque ses amis se mirent à rire, je fut incapable d'en déceler la raison. -Écoutez les gars, vous êtes des Zetas nan ? -Ça s'pourrait. -Ben il se trouve qu'il y a dix minutes, j'étais dans le cul de votre chef, alors ce serait cool si vous me laissiez passer. -T'as dit quoi là ? Tu traite Thunder de salope c'est ça ? -J'ai pas dit ça. Mais à votre place j'y réfléchirais à deux fois avant d'agresser
l'un des hommes les plus puissants de la ville, qui accessoirement est en relation avec VOTRE chef. -Nique ta mère l'homme puissant. Personne te connais alors va te faire. -Jamais entendu parler du Corbeau ? -Nope, maintenant arrête de délirer et passe ton fric, fils de pute ! Le cas était désespéré, définitivement. Je n'aurais su dire si ils disposaient d'armes, mais je n'étais pas disposé à les laisser en sortir, aussi commençais-je l'affrontement en les pointant avec mon pistolet. Malgré la faiblesse de mon bras, je réussis à les tenir en joue et à voir la peur se dessiner dans leurs yeux. -Fais pas le con vieux ! On veut pas de problèmes ! -Dans ce cas barrez vous. À mon grand étonnement, ils s'exécutèrent. J'avais imaginé pendant un instant qu'ils allaient eux aussi sortir leurs armes, misant sur le fait que je n'aurais pas le courage suffisant pour tirer, ou alors que je ne serais capable d'en tuer qu'un seul. Le sourire aux lèvres, je quittais cette ruelle insalubre non sans soulagement. Durant le reste du trajet, je restais sur mes gardes, tachais de rester dans les grandes artères de la ville et évitant tout contact avec les piétons qui risquaient d'être agressifs. Lorsque j'atteignis la lisière du centre ville, je tapais le numéro de Wyte sur mon portable pour lui faire part des récents événements. -Allo Mike ? Qu'est-ce qu'il y a ? -Euh Wyte... Tu crois pas que ce serait mieux si j'avais genre, une protection ? -Pourquoi cette question ? -Parce qu'il y a trente secondes, quatre mecs ont essayé de me voler. J'ai eu du bol, c'était des tapettes, mais si ça se reproduisait, je suis pas sûr d'avoir autant de chance. Ce serait dommage que je crève comme ça, nan ? -Tu as peur pour toi si je comprends bien. Ouaip, c'est normal. Je vais voir ce que je peux faire, mais ça risque de coûter cher. T'es sûr d'en avoir vraiment besoin ? -Je vais me remettre à l'entraînement d'ici quelques jours, mais tant que je serais un peu faiblard, je pense que c'est indispensable. -Comme tu veux Mike, comme tu veux. Ce sera tout ? -Ouaip, c'est tout. Merci Wyte. Ma balade urbaine toucha à sa fin dans les minutes qui suivirent, alors que je me trouvais devant la porte vitrée de l'immense tour où travaillait Josh. Je pénétrais dans le hall toujours aussi propre avant de rentrer dans l’un des nombreux ascenseur qui m'y attendaient.
De là, j'entamais une longue ascension vers le bureau de l'avocat. Je jetais un coup d'œil dans le miroir de la cage métallique pour refaire ma coiffure avant de la quitter et d'entrer dans l'immense salle d'attente. Là, des gens de tous horizons se côtoyaient sur des petites chaises, chacun regardant les autres comme dans obstacles qui retardaient l'heure de son rendezvous. Sous le regard médusé de ces patients, je traversais la moquette grise et donnais mon nom à la secrétaire qui me fit rentrer sur le champ. Dans son bureau, le gros avocat m'attendait en buvant un verre de cognac. En me voyant arriver, il s'empressa de me verser un verre qu'il me tendit ensuite, un regard bienveillant sur son visage bouffit. -Alors Mike, parlons affaire ! -Ouaip, sans doute la première affaire légale qu'on va organiser ensemble. -Et probablement la dernière ! Bon, donc c'est la garde de Lily que tu veux, n'est-ce pas ? -C'est ça. Pendant les vacances ça me va très bien. Vu qu'on habite loin, je suppose qu'un week-end sur deux ne serait pas super agréable pour la petite. -Ouaip, je comprends. Tu veux toutes les vacances ou seulement certaines ? -On va la laisser rester à New York pour Noël, ici elle n'a personne avec qui le fêter. -Ce serait plus simple aussi si elle restait là bas pendant la moitié des grandes vacances, faut quand même garder une certaine égalité. -Elle l'aurait pendant toutes les périodes scolaires, elle est où l'inégalité ? -Oui, sauf que quand ta fille est à l'école, tu ne peux pas vraiment en profiter. Écoute Mike, plus on fait de concession, plus le juge nous aura en sympathie et plus on aura de chances de gagner. D'autant que tu te vois passer toutes tes vacances avec la gamine ? Tu gère une organisation entière mon vieux ! -Tu marques un point. -Bon donc les périodes c'est fait. Ton ex est avocate, elle a beaucoup de thune et elle vit à Upper, ce qui signifie un milieu sain pour élever des enfants. On ne commencera pas le procès tant que tu n'auras pas de maisons et d'emplois déclaré.Il te faut une magnifique villa sur Beverly et la propriété de ton café. Avec ces deux cartes en main, tu pourras rivaliser avec Sarah. -Comme tu voudras. Au fur et à mesure qu'il parlait, Josh prenait un nombre astronomique de notes sur son carnet, comme si sa main était douée d'un conscience propre et programmée pour l'écriture. -Tu n'as pas peur qu'elle t'attaque sur ton passé ? -Nan, nan ce n'est pas le genre. -Tu es sûr ? On parle quand même de lui prendre sa fille pour l'emmener dans un milieu qui pourrait être hostile étant donné ta profession. Si elle parle des
derniers six mois, on est cuits. -Elle ne le fera pas, je te le promet. -Bon, en espérant que tu dises vrai... Je me prépare un dossier et je te rappèlerais pour avoir des infos sur les points faible de Sarah : j'ai des clients qui attendent. Ah et aussi, essaie de ne pas lui parler de cette attaque en justice, il faut qu'elle ait le moins de temps possible pour se préparer. -Comme tu voudras. À plus tard Josh ! -À plus. Après avoir bu une dernière gorgée de son alcool, je quittais le bureau de Josh et redescendais les dizaines d'étages de son immense tour. Dans l'ascenseur, je reçus un appel de Wyte. -Bon Mike, on lance le coup. D'ici deux heures tout devrait être fini. Comme prévu, j'ouvre le casino ce soir et j'ai fait venir des pointures. Ce serait bien si tu pouvais... -Être présent, je sais. T'en fait pas, donne moi l'horaire et l'adresse, je serais là. -Parfait ! Après avoir mangé dans un fast-food, je passais une heure entière à m'entraîner au tir dans mon propre magasin d'armes. Ce simple terme me provoquait d'ailleurs des frissons : "mon propre magasin d'armes". Une fois mes bras trop épuisés pour tenir une arme, je quittais le magasin en saluant le vendeur pour aller faire un somme. Vide, la maison de Viktor était encore plus sinistre mais ça ne m'empêcha de m'endormir paisiblement sur son canapé, fatigué par la vie. Dans mon sommeil, je fit un nouveau rêve, une sorte de nouvelle version du cauchemar précédant. Seul dans ma cuisine, je buvais de l'alcool à la bouteille lorsque soudain, à travers le liquide transparent, je vis Lily. Elle était en face de moi, dans le jardin, et plus je m'approchais, plus j'étais loin d'elle. Je faisais tout mon possible pour me rapprocher mais la distance qui nous séparait semblait continuellement augmenter. Au final, je me réveillais sans que rien ne se soit passé, pourtant j'étais terrorisé.
Chapitre 65 : Bluff Évidement, notre série de réussite devait s'achever un jour, et ce jour fut aujourd'hui. Notre braquage avait raté, mon plan pitoyable n'avait rapporté qu'un million de dollar et Viktor s'était retrouvé en prison dans la soirée. Lucy avait réussi à voler le fourgon mais le coup de la Tesla télécommandée avait raté, elle s'en était sortie de justesse. Maverick avait lui aussi réussi à fuir en laissant son fourgon sur le bas côté. Au final, je n'arrivais pas à savoir si je pouvais considérer ce coup comme un échec total ou une moindre réussite. Le problème, c'était que Wyte ne m'avait pas laissé le temps de me poser la question. À peine avait-il fait attention à ce problème. Pour le moment, on aurait dit que seul le casino lui importait. Je me retrouvais donc en costume devant une table de poker à attendre les autres participants, l'esprit emplit d'images de Viktor dans sa cellule. Derrière moi, Lucy et Maverick étaient censé me protéger mais en réalité, ils me rappelaient plus mon échec en tant que planificateur de ce fiasco. J'avais envie de tout foutre en l'air, la table, les tableaux aux murs, les lampes, rien ne méritait d'être ici. J'avais merdé, vraiment merdé. Même les multiples alcools que j'absorbais ne changeaient rien à l'affaire. Je me sentais mal à observer cette pièce qui aurait dû me rendre fier. Elle était ma propriété, je possédais ce casino, c'était grâce à moi que ces tables, ces chaises, ces cartes et ces jetons étaient ici, mais ils avaient coûté beaucoup trop cher à un homme. J'aurais apprécié me plaindre de l'endroit, cracher ma haine par des reproches, mais même ça c'était impossible. Le casino était impeccable, tout était neuf, de la moquette aux murs rouges en passant par les objets de décoration. Même si elle était plutôt petite, cette pièce était tout bonnement magnifique. Un artifice fondé sur un échec. -Je ne peux pas... Je ne peux pas. Je vais partir, vraiment désolé mais c'est au dessus de mes forces. J'allais pour me lever mais Lucy m'obligea immédiatement à me rasseoir avec une force qui ne cessait de me surprendre. -Non. Tu es là, tu y reste. On s'occupera de Viktor plus tard, mais pour l'instant, honore son sacrifice en jouant cette putain de partie. -Mais c'est ma faute ! Bordel j'ai vraiment merdé, je suis désolé ! -Pour le coup de la Tesla, t'étais défoncé, mais sinon ton plan tenait la route, j'en suis la preuve vivante. J'ai réussi en ayant une difficulté au dessus de la sienne. Il ne savait pas conduire un fourgon et c'est sa faute. Maintenant ferme ta gueule et ai l'air imposant : c'est tous tes hommes que tu représente là.
Lutter ne servait à rien de toute manière. Je n'avais plus qu'à attendre, à jouer cette partie puis à quitter l'endroit avec ma rage et ma honte. Je venais de découvrir l'échec en tant que chef et c'était tout sauf appréciable. Dans ce moment là, je me surpris à regretter que Wyte n'ait pas plus de pouvoir, pour que cette faute lui incombe plutôt qu'à moi. Le temps semblait s'être arrêté lorsque les joueurs pénétrèrent dans la salle, un à un. Ils étaient quatre, donc cinq avec moi et six si on comptait le croupier. Contrairement à moi, tous portaient des vêtements décontractés, tous sauf un. Ça aurait pu être son costume noir parfaitement taillé qui attirerait l'attention sur lui mais non, c'était plutôt son visage. Des traits fins, une paire d'yeux marrons, une chevelure orangée sans être criarde, un bouc accompagné des rouflaquettes, tout semblait exotique dans son apparence et pourtant, personne n'avait l'air plus distingué et moins excentrique que lui. Tous les hommes prirent place sur leurs chaises respectives dans une ambiance des plus oppressantes. On aurait dit qu'on allait jouer la vie de tous les participants ce soir et ce n'était pas pour me rassurer. D'autant que mes aptitudes au poker commençaient à dater, j'avais peur d'être un peu rouillé. Les hommes se présentèrent un à un mais je n'écoutais pas, je ne regardais plus que les cartes qu'on mélangeait avec le désir de gagner cette partie, un désir qui venait d'apparaître mais dont l'apparition ne me rendait pas mécontent. -Bon ! S'exclama soudain l'homme en costume, me faisant sursauter. Je propose de se la jouer en deux manches, on ne va pas tout perdre d'un coup, non ? -Pourquoi pas, répondit un homme. -Comme vous voudrez, dis-je sans voir de réel intérêt à cette demande. Chacun d'entre nous avait mis dix mille dollars sur la table et chacun d'entre nous sépara son tas en deux fois cinq mille, la première moitié resta sur la table et la deuxième vint se placer un peu plus en retrait. Ensuite, le croupier entama sa distribution. Les cartes volaient de sa main aux nôtres avec une certaine grâce, brisant l'air dans un bruit appréciable. Quand tout le monde eut reçu ses cartes, je levais discrètement les miennes pour prendre connaissance de ma main. Michael : 5 000 $ Jake : 5 000 $ Jeffrey : 5 000 $ Pokera : 5 000 $ Bill : 5 000 $ La partie pouvait commencer, les jetons s'avançaient et reculaient au fur et à mesure que les cartes se découvraient au centre de la table. Chaque regard était impassible, il régnait un silence de mort que seul le bruit des cartes et des jetons
qu'on faisait glisser venait perturber. Après trois tours de table et 500$ au centre, le dénommé Bill se coucha, suivi de près par Jake. De mon côté, ma main était relativement satisfaisante et m'offrait un magnifique carré de cinq. Je me contentais donc de monter les enjeux jusqu'à ce que tout le monde se couche devant mon assurance. Michael : 8 400 $ Jake : 4 200 $ Jeffrey : 3 800 $ Pokera : 4 100 $ Bill : 4 500 $ Fort de mon succès, je laissais ma fierté s'emparer de moi. À la nouvelle distribution, j'effrayais mes adversaires par l'allure victorieuse que je donnais déjà. Peu m'importait mes cartes, je sentais que ma victoire était à portée de main. Évidement, l'apparence ne faisait pas tout, aussi si Jeffrey et Bill se couchèrent rapidement, ce ne fut pas le cas de Jake et de l'homme en costume. Au final, lorsque les cartes se retournèrent, je me fis battre à plate couture. Michael : 6 400 $ Jake : 2 200 $ Jeffrey : 3 600 $ Pokera : 8 500 $ Bill : 4 300 $ Je restais deuxième, mais l'espoir disparaissait peu à peu tandis que les flots de sueur dégoulinants sur les fronts des joueurs devenaient de plus en plus épais. C'était devenu très difficile d'avoir l'air impassible pour certains. En réalité, à part William Pokera, personne n'en était capable. Lui gardait un calme olympien, regardant fixement ses cartes et jetant quelques fois des coups d'œil dans la direction des joueurs alentours. La manche suivante, ma main était si pitoyable que je me couchais immédiatement. Pendant que mes adversaires se disputaient les milliers qui traînaient sur la table, je buvais quelques verres de mon alcool favori. Au final, Pokera gagna à nouveau en éliminant Jake par la même occasion. Cette suite de victoire mettait à mal tout le monde, mais je pouvais m'estimer heureux de ne pas avoir participé à cette manche-boucherie. Michael : 6 300 $ Jake : 0 $ Jeffrey : 1 400 $ Pokera : 15 200 $
Bill : 2 100 $ -Alors ! S'exclama l'homme à la chevelure orangée, on joue ou quoi ? C'est pas que je m'ennuie mais bon... Il s'agirait de donner un peu plus de vous quoi ! De son côté, Jake quittait la salle, peut être pour aller pleurer aux toilettes. Je le regardais partir sans vraiment avoir de pitié pour lui. C'était le jeu et il savait ce qui l'attendait ici. -Bon, on va continuer comme ça pour le moment. Mais j'ai bien l'intention de pimenter les enjeux pour la prochaine manche, là on se fait chier. Bill adressa à l'homme un sourire agressif tandis que je regardais la nouvelle main que m'offrait le croupier. Avec une joie dissimulée le mieux possible, je découvrais deux as. Je forçais mon sourire à rentrer de là d'où il venait et commençais la nouvelle manche avec un nouvel espoir. À ma grande déception, Pokera et Bill se couchèrent immédiatement, me laissant avec un Jeffrey qui refusa de tout donner en se couchant avec ses derniers 100$. Tout ne s'était pas passé comme prévu mais au moins avais-je gagné un peu d'argent. Michael : 8 000 $ Jake : 0 $ Jeffrey : 100 $ Pokera : 15 000 $ Bill : 1 900 $ Au tour suivant, bien évidement, Jeffrey se fit abattre. Ce fut aussi le cas de Bill, même si c'était bien moins prévisible. Au final, je regardais cette table où ne se tenait plus que mes jetons et ceux de Pokera. Ce dernier qui avait gagné pour la énième fois ne souriait toujours pas. Il appliquait à la lettre l'expression pokerface en ne partageant avec nous qu'un air totalement impassible et une montagne d'argent devant le buste. Michael : 8 000 $ Jake : 0 $ Jeffrey : 0 $ Pokera : 17 000 $ Bill : 0 $ Le problème du poker, c'est qu'il n'y a ni deuxième ni troisième, ni quatrième, il n'y a que le gagnant. J'avais tenu jusque là mais ça ne signifiait rien, ce n'était pas une sécurité, si je perdais, je me retrouverais avec autant d'argent que mes compères : 0. Mais je ne pouvais pas perdre, j'avais un brelan de dix, certes ce n'était pas le
paradis mais ça restait très bon. Si on avait fait les probabilités, personne n'aurait pu espérer que Pokera ne se retrouve avec une meilleure main que moi. Fort de ces constations, je déposais mes 8 000 $ au centre de la table, prêt à exploser mon adversaire toujours aussi inerte. À mon grand étonnement, il me suivit sans broncher et j'étais incapable de savoir si c'était une bonne ou une mauvaise chose. Mais quand les cartes se retournèrent, je ne pus que comprendre son acte avec ces trois mots, trois mots qui venaient de me coûter 16 000 $ : Quinte flush royale. Plus de chance que lui, ça n'existait pas. C'était impossible et pourtant... Pourtant c'était bien en train d'arriver. -Bon, bien joué à tous ! Nous félicita le vainqueur. On entame la seconde partie du jeu ? 5 000 chacun à nouveau, d'accord ? Mais l'argent ce n'est pas très captivant, je pense qu'il y a mieux à parier. -Ah ouaip ? Quoi ? -Quelque chose d'unique et de précieux, quelque chose que pour rien au monde on ne donnerait. C'est avec ce genre de choses que la partie prends tout son sens. -Vas-y, passe un exemple. -Est-ce que quelqu'un ici a déjà entendu parler de l'As ? -Le joueur ? -Oui... Le joueur. -Oh merde ! Alors que la moitié de la table semblait au bord de la crise cardiaque, Jake qui était revenu avait l'air aussi perdu que moi. Je me sentais stupide de ne pas connaître l'As mais ce nom ne me faisait penser à rien d'autre qu'à une carte. La situation était sur le point de dégénérer quand je me rappelait que j'étais le propriétaire de ce casino. Je frappais donc plusieurs coups sur le sol avec ma canne pour obtenir le calme. -Qui c'est, cet As demandais-je. -C'est lui ! C'est ce William Pokera ! -Ouaip mais ça ne m'aide pas beaucoup... -Je vais me présenter moi même, finit-il par dire, après avoir observé toute l'attention se centrer sur lui. J'ai deux particularités, la première c'est que je ne perds jamais aux jeux de hasard, la seconde c'est qu'il y a quelque chose qui m'excite plus encore que de jouer de l'argent. -Et qu'est-ce que c'est ? -Ma vie. La mienne, celle de tous les participants, la vie en général. Il n'y a rien de plus stimulant que de savoir que c'est le destin qui a droit de vie ou de mort sur nous. On ne contrôle plus rien, on redevient des pantins. Mais le meilleur,
c'est probablement de voir sa victime s'écrouler au sol, la bouche maculée de sang, juste parce qu'elle faisait trop confiance à son Full. La folie était palpable dans ses yeux, c'était comme si deux petites flammes y dansaient. Lui qui était resté calme, on le découvrais sous un nouveau jour, un jour dont je n'aurais jamais soupçonné l'existence. -Donc vous voulez qu'on joue nos vie sur cette prochaine partie ? -En effet. -C'est d'accord. Je ne fis pas attention aux regards incrédules qui se tournaient vers moi. Je savais parfaitement ce que je faisais : un coup de pub. Si l'As était une star dans le milieu alors il était important qu'il joue à ma table, plus encore si l'on savait que c'était ici qu'il s'était fait battre pour la première fois. Les vies des autres joueurs ne m'importaient pas, l'alcool m'ayant fait oublier la valeur d'une vie. La mienne, elle était protégée par Lucy et Maverick, je ne courrais donc aucun risque, même si je perdais. Un sourire passât rapidement sur le visage de mon adversaire fou et le calme revint rapidement alors que le croupier distribuait à nouveau les cartes sur la grande table. Désormais, l'enjeu était de taille, je n'avais plus le droit à l'erreur. Michael : 5 000 $ Jake : 5 000 $ Jeffrey : 5 000 $ Pokera : 5 000 $ Bill : 5 000 $ Dans les regards des personnes assises à cette table, la terreur était palpable. Pour eux, ça ne faisait aucun doute, leur vie s'arrêtait là. Je n'éprouvais aucun remords face à cette condamnation : le Whisky m'empêchait de ressentir quoi que ce soit. C'était étrange mais les jetons prenaient alors une toute autre symbolique dans cette partie. Ce tas, il représentait ta vie, plus il grandissait, plus tu avais de chances de t'en sortir, plus il maigrissait, plus tu étais proche de la mort. Les cartes étaient distribuées par un croupier tremblant, se demandant probablement si lui aussi allait y passer. Je regardais avec une immense appréhension mes cartes, impatient de connaître celles qu'on allait dévoiler au centre. Au final, tout le monde s'était couché à 300 $, refusant de dépenser une trop grande partie de son capital vital. Ce simple fait me fit me demander si la partie allait vraiment être plus intéressante ou si nous n'allions pas simplement mourir à petit feu.
Michael : 4 700 $ Jake : 4 700 $ Jeffrey : 4 700 $ Pokera : 6 200 $ Bill : 4 700 $ Les cartes s'écrasaient sur la table, le bruit qu'elle émettaient était comme celui d'une trotteuse qui comptait les secondes nous restant à vivre. Si je voulais gagner, je devais agir, rien ne servait de se coucher. Aussi, une fois mes cartes en main, je décidais de jouer. La présence presque maléfique de l'As, le visage statufié, était oppressante à un niveau indéfinissable mais j'avais décidé de jouer. Moi aussi je pouvais être impassible, moi aussi je m'y connaissais en poker. Les mises avançaient, les pleutres se retiraient et Pokera jubilait. Plus on approchait du moment fatidique et plus mon cœur battait fort, aussi préférais-je le retarder au maximum en continuant à miser, continuant, continuant, continuant... Mais finalement, ce qui devais arriver arriva, c'était tapis ou rien. Soit je mettais ma vie au centre de cette table en espérant qu'un carré de valets suffise, soit je perdais définitivement tout cet argent que je venais de miser. Ce fut l'ivresse qui fit ce choix à ma place, m'obligeant à pousser mes derniers jetons sur la table d'exécution. Là, dans un grand sourire, Pokera me dévoila un brelan d'as. Ce fut alors à mon tour de sourire, pire que sourire, j'explosais de rire, j'étais incapable de me contrôler. Soudain, la victoire m'apparaissait comme atteignable, elle m'apparaissait comme facile. Je ne craignais pas de mourir, j'étais premier et loin devant tout le monde, très loin devant l'As. Michael : 10 800 $ Jake : 4 500 $ Jeffrey : 4 000 $ Pokera : 1 500 $ Bill : 4 200 $ Reprenant mon souffle, je découvrais ma nouvelle main. Refusant de me reposer sur mes lauriers et forcé de constater que ces cartes n'étaient pas bonnes, je me couchais dès le premier tour. Mes adversaires, ravigotés par la défaite que William venait de subir, se sentirent pousser des ailes. Tous étaient prêt à miser des sommes faramineuses face à l'As. Mauvaise idée. Je regardais d'un œil mauvaise la fortune de Pokera se renflouer sous les yeux incrédules de ses adversaires, ne comprenant pas comment ils avaient pu se faire berner aussi facilement.
Michael : 10 700 $ Jake : 3 000 $ Jeffrey : 2 500 $ Pokera : 6 100 $ Bill : 2 700 $ -On m'avait dit que vous étiez les meilleurs joueurs de Los Angeles ! Protesta l'As. Qu'est-ce que c'est que ça ? Vous n'êtes pas foutu de chier dans votre froque et de bien jouer en même temps ? On dirait qu'il n'y a que le Corbeau et moi à cette table ! C'était une flatterie, une technique pour me mettre en confiance. C'était étrange mais malgré un léger tournis, je ne sentais pas les effets de l'alcool sur ma cervelle. Normalement en étant ivre, je n'aurais pas dû comprendre le but de sa manœuvre et pourtant... À moins que je ne commence à m'habituer à ce breuvage. Les cartes retombaient, une nouvelle manche commençait. À partir de ce moment là, j'eu l'impression que tout allait bien trop vite, chaque manche ressemblait à la précédente, les sommes montaient et décédaient sans jamais atteindre zéro. À chaque fois qu'un joueur descendait en dessous de 1 000 $, on aurait dit que la divine Providence lui offrait la prochain tour et il se remettait dans la partie. Mais bien sûr, ça ne pouvait pas durer éternellement. -Perdu ! Cria Pokera alors que Jake s'écroulait au sol. Sa gorge ruisselante de sang, notre compagnon de jeu venait de nous quitter, abattu par ce qui semblait une carte métallique. Cette dernière était partie de la main de l'As, avait traversé la carotide de Jake puis avait fini sa course dans le mur où elle s'était enfoncée. -Bon, on continue à jouer ? Plus que quatre ! Michael : 3 900 $ Jake : 0 $ Jeffrey : 6 400 $ Pokera : 9 600 $ Bill : 5 100 $ Jeffrey et Bill n'osaient pas regarder le corps mourant de notre adversaire et il m'était impossible de le leur reprocher : rien que le râle qu'il continuait d'émettre me faisait froid dans le dos. La mort était bien présente et vue la vitesse avec laquelle ce psychopathe tirait ses cartes, j'avais bien peur que ni Lucy ni Maverick ne puisse intervenir à
temps pour me sauver. J'avais juste à espérer qu'il aient un bon esprit d'initiative. La partie continuait d'avancer, les caisses de William grandissaient tandis que les nôtres devenaient de plus en plus pitoyable. Plus les manches s'enchaînaient, plus je perdais et plus je sentais que le jugement dernier approchait. Michael : 1 300 $ Jake : 0 $ Jeffrey : 8 000 $ Pokera : 13 700 $ Bill : 2 000 $ Cette fois-ci c'était la bonne, j'allais pouvoir me refaire. Les autres me regardaient avec un sourire malveillant : ils savaient que j'étais le prochain. Ce qu'ils ne savaient pas, c'est que j'avais une quinte flush. Les mises grandissaient et moi, avec à peine un millier de jetons, je peinais à suivre. Rapidement, je fut obligé de mettre le tapis, mais je n'avais pas peur, ma main était en béton, rien ne pouvait la battre, presque rien. Jeffrey fut le premier à nous montrer son jeu : Brelan de rois. Bill, à son tour, avec une certaine nervosité, dévoila une paire d'as. Ce fut pour l'As que mon coeur se mît à battre à toute vitesse, il était le dernier obstacle face à la victoire. Si son jeu était moins bon que le miens, je survivais et je gagnais 3 900 $ en plus de mon investissement. En revanche si je perdais, la mort viendrais me cueillir. Doucement, comme savourant d'avance la vue de mon sang, les cartes de mon adversaire se levèrent une à une pour dévoiler quinte flush d'un point au dessus de la mienne. Un point... Un putain de point ! -Fais gaffe ! Hurla Lucy. J'avais senti la mort frôler mon oreille au moment même où la punk s'était jetée sur moi pour me coller au sol. Étalé sur le ventre, je n'étais pas en mesure de voir quoi que ce soit mais les bruits de coups de feu en disaient long. -Tu n'as pas d'honneur, Corbeau ! Tant pis, nous nous reverrons et tu pourras payer ta dette. Porté par les bras de Lucy, je sentais le monde partir dans tous les sens autour de moi. J'avançais péniblement pendant que des gens tiraient, impossible de savoir de qui il s'agissait. Les tables vibraient, s'envolaient, se retournaient, revenaient à leur place. Ce bâtiment me paraissait tellement instable que je faillis m'écrouler par trois fois
avant de réussir à en sortir pour que la punk de ne dépose sur le siège arrière de ma Tesla. De là, je quittais cet endroit de terreur, complètement secoué et ne comprenant pas par quel miracle je me trouvais encore en vie.
Chapitre 66 : Incarcéré J'aurais espéré ne plus jamais revoir l'intérieur d'une prison et pourtant c'était moi qui marchais ainsi dans les grands couloirs mal éclairés de ce grand bâtiment. Au moins ne venais-je pas en tant que détenu, mais c'était presque pire de savoir qu'un homme allait, par ma faute, subir tous les troubles du milieu carcéral. C'était sale, nauséabond, répugnant, j'aurais préféré vivre dehors pour le restant de mes jours que de retourner ici. Les murs étaient vieux, insalubres, nus et tristes. Ici tout était froid, la température comme les pièces, rien ne vous accueillait, tout vous rappelait où vous vous trouviez. Le gardien qui m'accompagnait ouvrit une porte qui débouchait sur une immense pièce grise. Au plafond, trois pauvres lampes tentaient désespérément d'apporter un peu de lumière. Les nombreuses tables métalliques de l'endroit étaient occupés par des prisonnier discutant avec leurs proches et dans un coin, se mêlant parfaitement au tableau, Viktor attendait, une sorte de sourire nerveux sur le visage depuis qu'il m'avait aperçu. Partout autour de nous, des hommes en uniforme observaient, nous rappelant que nous étions surveillés constamment. Plus je me rapprochais de la table de Viktor et plus je me demandais si j'avais vraiment bien fait de venir ici. Wyte m'avait mis en garde, il m'avait prévenu que ce serait une mauvaise idée, que je serais entre quatre yeux, que Viktor serait peut être prêt à me balancer pour sauver sa propre peau. Je m'en fichais, je n'arrivais pas à voir le mal tant qu'il n'était pas sous mes yeux. Ce ne fut que lorsque mes fesses se posèrent sur la chaise que je me sentis réellement mal à l'aise. J'avais presque envie de repartir sans dire le moindre mot. -Comment je t'appelle ici ? Frank ou Mi... -Frank, Frank. C'est plus prudent. -Bon, bah alors Frank, comme tu le vois, je suis dans la merde. Il prenait ça bien, enfin il c'était ce qu'il essayait de montrer. Derrière son masque d'amusement se cachait la peur, la peur de l'avenir. -Je suis désolé Vick, j'ai complètement merdé. -Toi ? Non ! T'étais même pas là. Nan c'est moi qu'ai fait des conneries. Mais tu sais, j'ai une idée. -Quel genre ? Tu veux t'évader ? -Non, soit pas fou. Le truc, c'est qu'ils veulent connaître le nom de mon boss. Si je leur donne celui de Tiger, il se retrouverais en taule directement non ?
-Je ne crois pas, sinon n'importe quel criminel pourrait dénoncer n'importe quel concurrent pour purger sa peine. Si Wyte n'avait pas eu cette idée, c'est qu'elle était mauvaise. Il y avait forcément une raison, un quelque chose qui empêcherait ce plan d'être mis à exécution. -Il nous faudrait des preuves... -Mais nan ! Les flics ont besoin d'un mandat pour aller chez Tiger, si je le dénonce, ça sera suffisant et ils pourront le fouiller. Ça doit pas manquer de preuves chez un chef mafieux. -Sauf qu'on ne connaît pas son prénom et qu'on n'a jamais vraiment bossé pour lui. Si ça se trouve, Tiger c'est comme Corbeau, un surnom. C'est trop risqué ton machin, surtout que je ne pense pas qu'on puisse dénoncer un gars comme ça. Il doit avoir des relations en prison qui... Enfin des mecs qui risqueraient de ne pas être satisfait de ton comportement. -C'est vrai que je me vois mal avec une trou sanglant dans le bide. Bon, plan annulé ! Pas grave. Je trouverais bien un autre moyen pour me sortir de là. Il lâcha un soupir et je le recopiais. Dans ces moments là, j'aurais aimé que Saliego revienne d'entre les morts pour m'expliquer comme il m'avait fait sortir. À son époque, tout semblait bien plus simple... -Vous avez récolté combien au final ? -Un million, à peine de quoi payer le casino. -Alors ça y'est, tu l'as ouvert ? -Ouiap, soirée désastreuse mais bon, maintenant il est ouvert au publique. Wyte continue à faire de la pub. J'ignore comment les choses vont avancer maintenant. -Toujours aussi déprimant de parler avec toi, hein ! Je suis pas sûr que tu sois la meilleure personne qui puisse me visiter. Tu peux pas m'envoyer Lucy plutôt, c'est pas contre toi mais bon... -Tu t'entends bien avec Lucy ? -Ça va, pendant six mois on a été les derniers vestiges de ta communauté. Tous les deux on avait perdu quelqu'un d'important à cause de ta fuite. C'est une meuf cool. -Bizarre, elle n'était pas spécialement amie avec Nick, pourtant vous vous ressemblez beaucoup lui et toi. -Moi et ce fils de pute ? Paix à son âme mais merde quoi ! Tu peux m'envoyer en prison mais ne m'insulte pas, je suis à mille kilomètres de tous les habitants de cette ville. -S'tu l'dit.
Sans m'en rendre compte, je m'étais mis à taper sur la table. Pas pour faire un rythme, mais parce que je tremblait... Symptôme dont je connaissais la cause. -Euh Vick, y'a pas d'alcool par ici ? -Tu veux dire en prison ? Nan ! On est pas au bar gars. -Bon, tant pis. Ton procès est quand d'ailleurs ? -J'en sais rien. J'ai appelé Josh, il m'a dit que t'étais prioritaire pour une autre affaire donc ça ne va pas être tout de suite. -T'as les moyens de te payer Josh ? -Non, mais toi oui. C'est ce que ferais un vrai chef. -C'est surtout ce que ferais un vrai pote. T'en fait pas, tu ne resteras pas ici plus d'un an. On va trouver un truc mais tu vas sortir de là. -Tu sais, je ne suis pas ta petite fille mec. Je sais quand une situation pu la merde, pas la peine de me sortir tes conneries attendrissantes. -Comme tu veux. Je serais bien resté plus longtemps mais l'endroit était devenu oppressant, encore plus oppressant qu'à mon arrivée. D'autant que j'avais nettement besoin d'un verre. Je saluais donc Viktor en lui promettant de répondre à tous ses besoin avant de quitter cette prison terrifiante. Dehors, dans l'air frais du matin, la Shelby de Wyte m'attendais devant le portail, son propriétaire derrière le volant. Je ne fut même pas étonné de le voir là et montais directement dans sa voiture sans poser la moindre question. -Alors, me question a-t-il. Qu'est-ce que vous vous êtes dis ? -Pas grand chose. Je lui ai promis de l'aider. -Ouaip. Dis Mike ? Je ne voudrais pas te manquer de respect mais... -Je sais, je sais. On ne peut pas l'aider. Le monde est de plus en plus sombre. -Ça dépend, par exemple il suffit de regarder ton casino pour retrouver le sourire. D'abord, on a gagné les 50 000 $ qui ont été investis hier soir : pendant une fusillade, tu ne penses pas à venir encaisser tes jetons. Ensuite, le fait de savoir que ton casino est tellement sûr que même l'As est incapable de t'y tuer, ça fait de la pub. Personne n'a entendu parler de la fusillade et c'est parfait. On sait juste que le Corbeau a perdu face à lui mais s'en est tiré, parfait non ? -Oui, probablement. Tout cela m'importait peu, il n'y avait plus que le manque qui m'intéressait. J'avais désespérément besoin d'un verre, je priais pour que Wyte ait pensé à ça, je priais pour qu'il ait une bouteille sur lui. -Wyte... T'aurais pas un truc à boire ? -Oui, bien sûr. Tiens. Il ne pouvait pas savoir à quel point j'étais reconnaissant, il ne pouvait pas
savoir à quel point j'étais heureux lorsque je sentais le liquide couler chaleureusement dans ma gorge. J'étais incapable de m'arrêter, c'était comme une drogue, délicieux, indescriptible. Quand finalement il ne resta plus une goute dans la flasque de mon conseiller, je la lui rendis avec des excuses. -C'est pas grave, me dit-il en balayant ces excuses d'un geste de la main. Où tu veux aller ? On ne va pas rester devant cette prison toute la journée. -J'en sais rien, je crois que je vais aller m'entraîner au tir. Mais je vais y aller à pied, ce vieux corps à besoin d'un peu exercice. En souriant, je quittais la voiture et entamais ma balade en direction de mon magasin d'armes. Sous le soleil matinal, la ville semblait encore légèrement endormie. À peine quelques passants se déplaçaient dans les immenses rues que je traversais péniblement. Plus les kilomètres s'entassaient et plus je me sentais fatigué, plus le monde tournait, plus je devais faire des pauses. Tel un vieillard, je m'adossais aux grands immeubles et j'attendais que la douleur dans mes jambes et ma tête passe. La souffrance et la fatigue s'entremêlant, je me voyais mal continuer mon chemin sans reprendre un peu de forces et je voyais mal meilleur endroit pour ce faire qu'un petit bar de quartier. Dans une pénombre quasiment totale, je rentrais à l'intérieur d'un petit établissement où seuls les néons faisaient office de source de lumière. Derrière un comptoir de vieux bois, un jeune homme discutait calmement avec le peu de clients qu'il avait, heureux de pouvoir se reposer. Dans le fond, assis à une table, un gros vieillard en costume profitait de la compagnie de deux charmantes jeunes femmes, un sourire satisfait et vulgaire sur le visage. Tachant de me mêler à la foule, je pris place sur un tabouret et demandais un verre de vodka. -Voilà votre verre, m'sieur ! Me dit le barman avec un débit de parole presque trop rapide. V'zêtes pas d'ici vous, j'me trompe ? -Un peu. Je suis de la ville, mais pas du quartier, c'est vrai. -C'bien ce que je me disais. Par contre v'zavez l'air d'avoir votre place ici ! -Peut être. Étais-ce une réflexion désobligeante ? Avais-je une tête d'ivrogne ? Qui ça intéressait ? La vodka était suffisamment bonne pour que j'en demande un deuxième verre, le reste pouvait attendre. Alors que le jeunot me versais un nouveau verre, je regardais cet homme reclus au fond du bar. Il y avait quelque chose chez lui qui m'intriguais, probablement la présence de canons attachées à une baleine périmée.
-Qui c'est ce gars ? Demandais-je alors qu'on me servait ma vodka. -Lui ? C'pas n'importe qui mais je peux pas vraiment parler d'lui. Il a des relations. -Je suppose qu'il ne trempe pas que dans des trucs légaux. Les deux filles, ce sont des prostituées ? -Ouaip, si on veut, mais j'vous dis, vaut mieux pas causer d'lui. Sans prévenir, je posais sur la table tous les billets de mon portefeuille, soit plus de 2 000 $ en liquide : le meilleur moyen de délier les langues. En voyant ça, le regard du barman s'illumina d'un coup pour mon plus grand bonheur. -D'accord, mais vous dites pas que c'moi qu'ai balancé ! Il travaille pour Tiger, les filles là, c'est pas qu'des putes, c'est ses putes à lui. -Un mac ? -Ouaip, c'est lui qu'approvisionne et qui gère le réseau, mais j'vous ai rien dit. -Non, tu ne m'as rien dit, et je t'en remercie. -D'rien m'sieur. N'allez pas me mettre dans des emmerdes. Je bus cul-sec mon deuxième verre avant de quitter mon siège, ne faisant pas attention à l'alcool qui me brûlait la gorge. Si ce mec était un haut-gradé de l'ennemi, j'allais en profiter pour discuter un peu avec lui. Dès qu'il me vit approcher, je vis son regard quitter la contemplation des seins de l'une des filles pour se porter sur moi, non sans une certaine appréhension. De mon côté, j'essayais déjà de marcher droit grâce à ma canne. Finalement, je pris place face à lui et son immense bedaine. Quand je voyais ces deux beautés qui le caressaient, j'avais vraiment l'impression de voir un énorme gâchis. Toutes deux étaient jeune, pas plus de vingt-cinq ans, l'une était brune et l'autre blonde. Mais malgré des formes et un visage parfaitement modelés, il était relativement aisé de constater que nous n'étions pas en face de génies. Autant dans leur attitude, leurs vêtements aguicheurs et leurs yeux éteints, je les percevais comme deux prostituées lambda, belles mais sans intérêt psychologique. -C'est ma table ! Protesta l'homme d'une voix rauque. -Je vous crois, c'est d'ailleurs pour ça que j'y viens. J'aimerais discuter avec vous. -Je ne discute avec personne. -Dans ce cas votre vie doit être bien ennuyante. Dites, très cher, vous connaissez la peine encourue pour proxénétisme ? -Quittez ma table ! -Hors de question. -Si vous êtes flic, montrez moi votre insigne, sinon dégagez ou je vous fou une balle entre les deux yeux.
-Non, je ne suis pas flic, je suis juste étonné de voir qu'un homme comme vous est laissé sans surveillance dans un lieu publique. Je venais de comprendre pourquoi j'avais fait tout ça, c'était étrange mais il y avait une raison précise qui ne m'était pas apparue tout de suite. C'était comme si mon inconscient, d'un coup, sans raison, avait rejoins la partie consciente de mon esprit. Maintenant, je savais pourquoi j'étais assis à cette table : aucune engeance ne me répugnait plus que les proxénète. C'était ça qui m'avait fait quitter Faustin et c'était ça qui allait tuer cet homme -Je n'ai pas besoin qu'on me surveille, dit-il en riant gras. Personne n'est assez fou pour s'attaquer à moi. -Ah, parce que certaines personnes pourraient vouloir s'attaquer à vous ? -C'est possible, oui. Maintenant quittez ma table. -Non. Vous, quittez ma ville. -Votre ville ? Vous vous êtes pris pour qui ? Il n'y a qu'une seule personne qui contrôle cette ville et c'est... -... le Corbeau, l'interrompis-je. Juste avant que ma balle ne s'enfonce dans son crâne, j'eu la satisfaction de voir que mon nom avait fait se raidir ses traits. Je devenais quelqu'un et ce qui venait de se passer allait faire avancer ma renommée. Insouciant, je quittais le bar en prenant soin de récupérer un verre de martini sur le comptoir sous le regard effrayé des clients. Le Corbeau était bien présent et Tiger s'en rendrait compte très prochainement.
Chapitre 67 : Avant les fêtes -Bordel mais-mais-mais pourquoi t'as fait ça Michael ?!? Enragé, pétrifié, surpris, bégayant, pitoyable, tant de mots qui décrivent tout ce que je voyais lorsque j'observais un conseiller qui, sous le coup de la colère, me balançait un flot de questions incompréhensibles. Sur son front rougit, une de ses veines semblait sur le point d'exploser tandis que ses yeux tournaient dans leurs orbites. Seule sa main, agrippée à la table, avait l'air de vouloir calmer le reste de son corps en restant immobile, comme pour donner l'exemple. -Qu'est-ce qu'on-qu'on-qu'on peut bien foutre maintenant ?!? Faut quitter l'Etat, nan le pays ! Pire, le continent ! Tiger va nous traquer, il va tous nous-nousnous tuer putain ! Dans le bureau du casino, notre repaire provisoire, le tableau devait être assez amusant à voir tant moi et Wyte étions opposés en tous points. Assis, je buvais calmement un verre de Whisky en regardant mon conseiller faire des gestes dans tous les sens en hurlant. -T'es pas bien dans ta tête ?!? C'est quoi ton problème ? -Bon Wyte, finis-je par dire, fatigué de l'écouter monologuer. Faut que tu te calme là. J'ai buté un mec, ok, c'était peut être pas une super idée, mais pourquoi ? Le gars était seul et important, si on peut faire chier Tiger sans difficulté, ça me va. -Putain mais tu t'es pas demandé pourquoi il était sans protection ? C'est aussi stupide que le gars qui se cache parmi ceux qui le cherchent parce que personne n'est assez fou pour se cacher parmi les chasseurs ! C'est le même genre de connerie ! Le raisonnement se contredit lui même putain ! Si le mec est pas protégé directement, c'est pas parce que les gardes lui gâchent la vue. -Ouaip enfin bon, si on veut contrôler la ville, il faut bien qu'on attaque un jour ou l'autre. -Évidement, mais pas maintenant ! C'est comme si on était une putain de fourmi qui grandissait chaque jour jusqu'à avoir la taille d'un géant. Si ton pire ennemi est un humain, tu vas aller le voir quand tu auras la taille d'une fourmi ? Non ! Il t'écraserais facilement. Ce qu'il faut, c'est attendre de grandir ! Attendre putain ! Qu'est-ce qu'on va faire maintenant ? Le voir ainsi se plaindre et s'exciter sur ma soit-disante erreur était devenu insupportable, aussi décidais-je de lui rappeler certaines choses à l'importance non-négligeable.
-Dis Wyte ? Tu te rappel qui est le chef ici ? -Oui mais... -Non. Je dirige, tu assiste. Tu sais ce que t'es Wyte, t'es un putain de conseiller. T'es pas mon père, t'as pas à me gronder, tu dois me conseiller. Alors conseille moi, merde ! -Oui... Oui bien sûr... Eh bien... Soudain, son corps se figea. Ses mains vinrent se coller le long de ses côtes et il se mît à respirer bruyamment dans ce qui devait être une technique pour reprendre son calme. Finalement, il posa ses deux mains sur la table et prit une ultime inspiration. -T'as raison Michael, je dois rester concentré. Pour l'instant, il ne nous a rien fait, pas de riposte, rien ne nous dit même qu'il saura que c'est toi. Après tout, qui oserait dénoncer un mec suffisamment fou pour buter un lieutenant de Tiger ? Pas moi en tout cas. Tout n'est pas perdu, il y a même une chance pour que rien ne change. Même en le regardant droit dans les yeux, je n'arrivais pas à savoir si il pensait réellement ce qu'il disait ou si il le disait uniquement pour me mettre en confiance. Au plus profond de moi, j'espérais que la première option soit la bonne. -Par contre on va t'assigner un garde du corps rapidement, Maverick me paraît un bon choix. Faut simplement espérer que Tiger n'osera pas attaquer nos établissements. Du reste, tu vas essayer de faire profil bas pour les prochains jours. J'acquiesçais calmement, décidé à suivre ses conseils. Les jours qui suivirent, je ne fut mêlé à aucune fusillade, aucun meurtre, rien de dangereux pour moi ou pour autrui. Wyte en fut très satisfait. Chaque jour, je me levais tard dans la maison de Viktor que j'avais continué d'occuper malgré l'absence de son propriétaire. Sans alarme pour me réveiller, il n'y avait que le manque d'alcool qui réussissait à me sortir de mon sommeil. Une fois en plein milieu de la nuit et une fois un peu avant midi. La première, j'allumais quelques lumières et, lentement, je me versais un verre que je buvais calmement dans la pénombre terrorisante dans cette maison. J'observais le décor en sentant comme une ombre qui grandissait dans mon dos, puis je retournais me coucher pour ne trouver le sommeil qu'une heure plus tard. À midi, je me levais péniblement avant de dévorer un petit déjeuner léger accompagné d'une boisson alcoolisée, le choix de cette dernière dépendant de mon humeur matinale. Ensuite, je prenais une douche, je m'habillais puis je
quittais cette petite demeure. Ce que je faisais du peu de matinée qu'il me restait dépendait des jours. Parfois, je rendais visite à Viktor en prison. J'essayais d'avoir l'air détendu, de lui remonter le morale, mais je me sentais toujours aussi mal à l'aise de l'avoir envoyé là-bas. Nous discutions de tout et de rien, principalement de rien. Il me donnait des informations sur la vie en cellule, vie que je connaissais déjà parfaitement bien. Ensuite, il me demandait des nouvelles de l'extérieur et je lui expliquais qu'il ne se passait rien, que je faisais profil bas et que les choses avançaient à leur rythme. Souvent, au bout d'une heure, la boisson se mettait à m'appeler et je quittais mon camarade pour rejoindre un petit restaurant à côté du bâtiment carcéral. J'y mangeais et y buvais bien. D'autres matinée, quand je n'avais pas le courage de discuter avec un homme dont la vie était gâchée par ma faute, je me rendais au stand de tir. Dans l'arrière salle du magasin d'arme, je pouvais passer une heure entière à vider des munitions sur les cibles, de plus en plus précisément malgré quelques légères crises de tremblote. Au final, là aussi je finissais par me retrouver au restaurant en quête d'un breuvage pour combler mes désir. J'enchaînais les verres avant d'entamer une après-midi plus ou moins remplie. Après avoir manger, chaque jour, je me rendais chez Thunder pour satisfaire d'autres besoin que ceux en alcool. Pendant quelques minutes, nous discutions de nos affaires respectives, ensuite les actes prenaient le pas sur les mots. Parfois, lorsque nous avions fini, il m'arrivait de rester. Sirotant un verre de rhum, je l'écoutait me raconter des passages de son enfance. Elle mettait en place les pièces d'un puzzle qui m'expliquait comment une petite orpheline était devenue la dirigeante de l'actuel plus influent gang de Los Angeles. Il m'arrivait aussi de la questionner sur les relations que Los Zetas entretenaient avec les autres gangs et particulièrement le 18st. La plupart du temps elle restait floue sur ces sujets mais en mêlant ses réponses, je finis par conclure que Luìs était bien trop dérangé mentalement pour qu'elle envisage une alliance avec lui. De son côté, elle aussi me demandais parfois de lui donner des informations sur ma propre vie, et là aussi, je restais vague. Je ne lui parlais pas de ma famille et les rares événements de ma vie dont je daignais lui faire part avaient été largement modifiés pour qu'elle ne fasse pas le lien entre Franck Raven et Michael Da Silva. Ainsi, chacun derrière son déguisement et paradoxalement entièrement nus, nous discutions tous deux de nos vies respectives avant de nous quitter d'une manière bien trop formelle, comme deux chefs qui venaient de finir des négociations.
Ensuite, régulièrement, je retournais soit au stand d'arme, soit je me rendais dans une salle de sport. De là, j'essayais de retrouver mon ancien corps, ou au moins de m'en rapprocher le plus possible. À la fin de ma journée, je rentrais épuisé et dégoulinant de sueur dans la vieille maison de Viktor où je passais la soirée devant un film. La bouteille de Whisky dans une main et la télécommande dans l'autre. En de rares occasions, il arrivait aussi que le programme de ma journée soit bouleversé par un appel de Josh, me demandant de venir à son cabinet dans l'après-midi. Comme un animal obéissant, je répondais toujours présent face à ses invitations. Dans ces journées là, je passais plusieurs heures en compagnie de l'avocat à lui parler de Sarah et de Lily, à lui livrer des informations capitales selon ses mots. Son dossier se formait au fur et à mesure de nos discussions. Pour lui, l'affaire était déjà gagnée d'avance, personne ne pouvant refuser à un père de voir sa fille de temps en temps. En réalité, la seule crainte qu'il avait, c'était que Sarah ne décide de dénoncer mes activités criminelles et, si je lui avais dis que jamais elle ne ferait une chose pareille, plus le temps passait et plus je doutais de ma promesse. Au final, au bout de quelques heures, je quittais sa tour après une poignée de main formelle et la promesse qu'il me rappellerait dans les prochains jours. Si il y avait une chose dans laquelle je ne m'étais pas impliqué durant ces jours, ce fut mon business. Aucune décision n'émana de ma personnes pendant ces semaines, et ce pour une bonne raison : tout allait parfaitement bien. Nous avions réussi à nous affirmer comme les nouveaux vendeurs d'armes de la ville et, probablement grâce à Wyte, c'était très bien passé. Les acheteurs nous avaient immédiatement acceptés et les bénéfices ne cessaient de s'entasser. Quant aux craintes de mon conseiller, elles disparurent rapidement devant l'inaction de Tiger. Nous étions incapable d'en comprendre la raison mais le constat était là, personne n'avait riposté après mon coup de folie. Le casino, s'il était moins rentable que la vente d'arme, commençait à nous offrir quelques revenus tout à fait appréciables. Revenus que Wyte s'empressait de dépenser dans l'agrandissement de ce même casino, essayant de former un cercle vertueux. Du reste je n'ai rien à dire, aussi ne fus-je pas triste de quitter cette épuisante routine pour rejoindre New York où j'allais retrouver Lily et la famille de Sarah. C'était peut être l'occasion de retrouver l'ambiance du temps d'avant.
Chapitre 68 : Joyeux Noël Après avoir affronté le froid New Yorkais, me voilà enfin devant la maison des parents de Sarah. Toujours aussi belle, cette immense villa était un mélange parfaitement harmonieux de modernité et de classicisme. Du haut de ses trois étages, elle observait un grand jardin parfaitement entretenu et trahissant des influences anglaises. Là, sous le manteau de neige, différents arbustes et fleurs attendaient le retour de la chaleur pour se pavaner à nouveau. Grelottant sur le palier de pierre, j'attendais impatiemment qu'on daigne m'ouvrir, non sans une certaine appréhension. Finalement, la lourde porte en bois finit par s'ouvrir et dévoiler le visage de mon ancien beau-père. Souriant, le vieil homme sembla d'abord surpris en me voyant, mais cette expression disparut immédiatement pour laisser place à un regard chaleureux dont lui seul avait le secret. Les cheveux gris tirés en arrière et le visage légèrement arrondi, il ne faisait absolument pas son âge. Rapidement, son costume noir vint se coller au miens pour que l'homme puisse me faire la bise. Ensuite, il passa quelques secondes à m'observer avec une curiosité presque effrayante. -Alors Michael ? Me demanda-t-il avec une joie non feinte dans la voix. Comment ça va ? Ça va bientôt faire un an qu'on ne s'est pas vu. -Oui, je sais, mais ça a été difficile avec Sarah et tout... -Effectivement, je comprends. J'ai cru comprendre que les choses allaient mieux désormais. -Entre nous ? -Non ! Que diable, non je n'en espère pas autant ! Non, je parlais de ta vie. Ça n'a pas dû être facile, c'est un sacré coup dur qu'elle t'a envoyé. D'autant qu'elle ne t'a pas donné une seule pièce à ce que je sache. Tu aurais été une femme et elle un homme, Sarah se serait retrouvé sur la paille à cause de la justice. À force de vouloir l'égalité homme-femme, les hommes comment à perdre du terrain. Je souris en entendant ces propos. Le ton plaintif de cet homme m'avait manqué. -Ça n'a rien à voir, je n'ai rien demandé. Je ne voulais pas lui prendre de l'argent, ce divorce est ma faute, elle n'avait pas à m'aider. -Ah, Michael, je ne te comprendrais jamais. En revanche, quand elle a refusé que JE te prête de l'argent, c'est elle qui a mal agi, tu ne peux pas la défendre. -Charles, tu sais qu'en temps qu'en temps normal, ce n'est pas au père de critiquer sa fille face à son ex ? -Oh mais le temps normal, il est passé le temps normal. Je dis ce que je pense,
peu importe qui ça dérange. M'enfin, il serait peut être temps de rejoindre les autres ? -Oui, je crois aussi. Après avoir quitté la chaleur de mon manteau, je suivais Charles dans la maison richement décorée. En traversant le couloir, j'observais avec admiration les multitudes de guirlandes qui avaient été accrochées aux murs et au plafond. Derrière cette petite allée, dans le salon, tout le monde était déjà arrivé. Le spectacle était magnifique à observer, je ne pouvais que saluer le travail des parents de Sarah sur la décoration de leur salle des fêtes. À droite, sur une table basse, des dizaines de biscuits apéritifs et autres gourmandises étaient réparties dans des assiettes qui, mises côtes à côtes, formaient les contours d'un sapin de Noël. Autour de cette même table, toute la famille était réunie et grignotait les plats qui s'y trouvaient en m'attendant. Sarah, parée d'une magnifique robe de soirée rouge, discutait avec animosité d'un sujet inconnu avec sa mère. De leurs côtés, mon ancien beau frère et sa femme, tous deux très bien habillés, parlaient calmement avec leur fils, vêtu simplement d'une chemise et d'un pantalon noir. Légèrement à l'écart de ces conversation, Lily s'amusait en compagnie de sa cousine, Kelly. Cette dernière, même si elle avait le double de l'âge de ma fille, semblait s'entendre à merveille avec la petite. Au milieu de la pièce, un grand sapin brillait de mille feux, décoré par toutes sortes de guirlandes, boules et autres objets aux allures festives. Au pied de cet arbre symbolique, des tas de cadeaux s'entassaient et attiraient le regard envieux de Lily. Enfin, à l'autre extrémité de la grande pièce se trouvait la table où nous allions dévorer le repas de Noël. Cette dernière, revêtue d'une nappe bleue, se présentait comme celles qu'on pouvait voir sur les magasines des fêtes. Tout le décorum imaginable était présent pourvu qu'il soit en harmonie avec le reste de la décoration. Une avalanche d'objets artistiques se côtoyaient, sapins en bois comme verres de cristal, tout n'était qu'opulence et beauté. Pourtant, même avec tous ces objets impressionnants et cette ambiance déjà bruyante, il ne fallut à ma fille pas plus d'une seconde pour m'apercevoir et courir dans ma direction, un immense sourire sur le visage. La petite, habillée d'une belle robe noire malgré sa sobriété, était surexcitée. C'était visible par la vitesse avec laquelle elle traversa la distance qui nous séparait avant de me sauter dans les bras. -Papa ! Cria ma Lily lorsque que son étreinte sur resserra autour de mes jambes, attirant par la même occasion le regard de toute la famille Spencer. -Coucou ma chérie ! Comment tu vas ?
-Ça va très bien ! Et puis en plus y'a plein de cadeaux cette année ! Et puis même que Kelly elle va m'apprendre à me mettre du vernis pour les ongles ! -Ah bon ? T'es pas un peu jeune pour ça ? -Non mais c'est juste pour essayer, en vrai ça à l'air dur donc je sais pas si je vais le refaire après. Pendant que Lily parlait, ses yeux regardaient avec envie les cadeaux que je portais sous mon bras. En parallèle, sa cousine me demandait du regard si elle avait fait une bêtise en proposant ses astuces à ma fille. En voyant sa réaction, je me demandais quelle tête j'avais fait quand j'avais appris la nouvelle. Le cauchemar me trottait toujours dans l'esprit, aussi avais-je probablement eu une réaction exagérée. Malgré ça, j'expliquais à Kelly qu'il n'y avait pas de problème en lui faisant un signe de la tête. Quittant le contact de l'enfant, je rejoignais le reste de la famille autour de la table basse pour les embrasser un par un dans une entreprise qui me sembla interminable. Finalement, je pris place à côté d'Hugo, le cousin de Lily. Pendant que toute la pièce discutait de choses et d'autres, je restais pensif. Je me sentais légèrement exclu de ce groupe de gens, je n'avais plus l'impression de faire réellement partie de la famille, comme si ma présence était une erreur. -Et toi Michael, comment ça avance ? Finit par me demander ma belle sœur. -Plus ou moins bien. Le début a été dur mais je commence me trouver une place. Je vais ouvrir un café ou un restaurant d'ici quelques jours. -Tu vas emprunter ? Ce n'est pas un peu risqué comme investissement. -Non, non j'ai déjà l'argent. C'est un endroit qui est laissé à l'abandon, l'acheter ne coûte rien. Je vais le rénover moi même avec des amis pour faire des économies. Quant au fait que ce soit risqué, eh bien disons que j'aime vivre dangereusement. -J'espère pour toi que ça va marcher, si c'est le cas ça pourrait être génial. Quand je pense au nombre de fois où j'ai rêvé de quitter mon job pour me mettre à mon compte et enfin avoir un peu de liberté. Cette femme qui cherchait de la liberté était directrice commerciale dans une boîte de voitures de luxe, j'étais donc personnellement incapable de plaindre sa condition. Aussi me contentais-je simplement d'un sourire faussement compréhensif avant de reprendre mes rêveries. Après avoir analysé chacun des sujets de discussions de la pièce, soit politique et travail, je décidais d'écouter ce que pouvaient bien se dire Kelly et Lily dans leur coin. -...vrai, moi je voudrais être avocate comme maman, disait ma fille. -Ah ? Et tu sais au moins ce que c'est ? -Bah oui ! Je suis pas stupide ! C'est quand on défend des gens pour pas que ils
vont en prison. -"Pour ne pas qu'il aillent en prison". Et comment tu fais pour les défendre ? -"Aillent" ? Comme de l'ail ? Pourquoi y'aurais de l'ail en prison ? -C'est la conjugaison du verbe aller. C'est pas ma faute tu sais, si il y a des mots bizarres. -Oui mais là c'est trop bizarre. Je crois pas que c'est vrai. -Tu verras. Je réprimais un sourire en attendant mon enfant réfuter les informations de Kelly lorsqu'Hugo décida de m'aborder. Malgré un tenue légèrement relâchée, le jeune adulte avait une peau parfaitement pure et une coiffure très travaillée qui trahissaient son amour pour le style et la mode. -Alors Mike, ça va bien dans la vie ? Me demanda-t-il de sa voix légèrement aigue. -Ouaip, comme je l'ai dit. Et toi ? La crise parentale est terminée ? -Bof, ça dépend. Personnellement je suis parti, là je vis avec mon copain. Je suppose que ça a détendu l'atmosphère. -Je suis vraiment désolé qu'ils l'aient pris comme ça. -Pas de raisons. Tu m'as hébergé au plus fort de la crise alors bon... Y'a vraiment pas à s'excuser. -Faut bien que je serve à quelque chose, hein ? -Probablement. Si sa mère ne l'avait pas remarqué, le père d'Hugo regardait notre discussion avec un œil légèrement suspicieux. Je décidais de placer une pause en récupérant quelques biscuits sur la table que je m'empressais d'avaler. -Et sinon, les études ? -Bah la prépa quoi... On bosse, on bosse, on bosse. Au début c'est vraiment dur mais on finit par s'y faire. -Prépa ingénieur toi, c'est ça ? -Ouaip. Y'a que ça de vrai. -Donc ce sera aux filles que reviendra la lourde tâche de succéder à cette longue lignée d'avocats. -Je pense que c'est Lily qui va devoir s'en charger, Kelly a l'air plus motivée par la médecine. -C'est pas mal non plus, mais à son âge ça veut rien dire. Et ton copain, il fait quoi ? -Deuxième année d'école de commerce. Autant dire qu'on a pas beaucoup de temps pour nous. -Effectivement... Au moins à la fin vous pourrez monter votre boîte, commercial et ingénieur, ça va tout faire peter.
-Pour ça faudrait déjà qu'on trouve une idée et qu'on soit encore ensemble à la fin des études. -C'est inenvisageable ? -C'est simplement qu'on pars sur cinq ans de cours pour moi, je t'avoue ne jamais avoir gardé un mec plus d'un an. -Il n'est jamais trop tard. Soudain, mon regard se porta sur la flûte de champagne qui trônait fièrement devant ma place. Tout en me demandant comment j'avais pu ne pas la voir plus tôt, je m'empressais de la récupérer pour en absorber le contenu. Évidement, je pris soin de ne pas aller trop vite pour ne pas choquer mon assemblée. Tandis que je déposais le verre sur la table, déçu du peu d'alcool qu'il contenait, Kelly vint prendre place à côté de moi. Avec sa robe bleue marine, son chignon et son maquillage parfaitement réussi, la jeune fille de quatorze ans en paressait presque dix-huit. -Tu lui as raconté le premier avril ? Demanda-t-elle à son frère avec une voix qui trahissait son jeune âge. -Euh, non. Mais je ne suis pas sûr qu'il approuverait. -Dites toujours, je verrais bien. Proposais-je, légèrement intrigué. -Bon, commença Kelly, on voulais savoir si papa et maman avaient arrêté de faire chier, pardon, d'embêter Hugo parce qu'ils étaient devenus tolérant ou alors simplement parce qu'ils avaient compris que ça ne servait à rien. Du coup, on a réitéré l'expérience pour voir si leur réaction allait changer ou si ils feraient pareille qu'avec lui. En gros le plan, c'était de... -...leur faire croire que tu étais lesbienne, c'est ça ? L'interrompis-je. Je comprends vos parents, ils ont raison de sa fâcher, c'est vraiment pas sympa ce que vous faites là. -Oh arrête, c'était juste pour rigoler. Donc je reprends, j'ai amené une amie qui était vraiment homo et je l'ai fait passer pour ma petite amie. Au début ils se sont énervés, moi je suis restée calme mais ma pote, comme elle s'est sentie visée, elle a riposté. C'est partie en putain de, désolée, en énorme bataille verbale. -Vous êtes vraiment pas cool là. Ça se fait pas de faire ça. Surtout qu'Hugo, je veux bien que t'ai envie de te venger. Mais toi, Kelly, ils t'ont rien fait, t'as pas à faire ça. Si j'étais à leur place j'aurais probablement réagi pareil. -Mais non, toi t'es pas comme ça. -Je suis pas comme ça parce que vous n'êtes pas mes gosses. Je t'avoue que je n'oserais pas m'avancer sur ma réaction si Lily me faisait un coup comme ça. Probablement déçue de me voir adopter un jugement mature sur son action, Kelly décida d'arrêter de se justifier et moi de changer de sujet.
-Et les cours, ça se passe comment ? -Euh, ouais, bien. J'suis dans les premières de la classe. -Génial ça. C'est vrai que tu veux bosser dans la médecine ? -Oui, genre chirurgienne. Je crois que ça paye bien et ça à l'air cool. -D'arracher des coeur et de disséquer des estomacs ? -Nan mais c'est pas ça, c'est genre médecin mais en plus prestigieux. Au lieu de donner des conseils, on sauve des vies. Moi je trouve ça cool, surtout qu'on est sous pression, y'a de l'adrénaline et tout. -Bah si ça te plais, tant mieux. Moi je sais que ce ne serait pas mon truc. Non, mon truc c'est plus de tuer des gens que d'en sauver. -Et pour les cadeaux, questionna la mère de Sarah, on les ouvre quand ? -Tout de suite ! Cria Lily, la voix pleine de joie. -Après l'entrée ça me paraît bien, répondit ma belle sœur, sans prendre gare aux désirs de ma fille. -Va pour l'entrée. D'ailleurs vu que tout le monde est là et que les coupoles se sont déjà bien vidées, on va peut être passer à table, non ? Dans un même geste, toute la pièce quitta le confort des canapés et fauteuils pour venir s'asseoir à la grande table décorée avec goût. Les enfants étant à une extrémité et les hôtes à l'autre, je finis assis entre Sarah et sa sœur et en face du mari de cette dernière. -Et l'argent, comment tu tiens ? M'interrogea Anna, ma belle sœur. -Oh tu sais, ça va ça viens. J'enchaîne les petits boulots histoire d'avoir une cagnotte. -Et ce n'est pas trop dur de toujours changer d'emploi ? Quitter ses anciens collègues et tout le tralala ? -Certains départs ont été assez durs à supporter, mais finalement je reviens toujours. -En tout cas c'est bien ton idée de restaurant. Tu sais comment tu vas l'appeler ? -La cage aux oiseaux ou un truc comme ça. Mais rien ne dit que ce sera un restaurant, déjà un café ça me va bien. -Faut de l'ambition, je pense qu'un restaurant serait plus rentable. -Possible. Mais bon, je ne fais pas ça pour l'argent à proprement parler, c'est surtout un moyen de passer le temps. Et toi, le travail ? -Ça taff, ça taff. On entame une sorte de fusion avec le groupe Jaguar, mais ce n'est pas vraiment une fusion, plus une campagne en alliance. Les détails ne sont pas intéressant, il faut simplement savoir que si tu demande à Kyle, il te dira que je ne dors presque plus. -Pas le temps ? -Pas le temps.
-Ah ouaip, dur... Pendant que nous parlions, Charles et sa femme avaient disposés les entrées dans nos assiettes. Tandis que tout le monde se jetait sur ses toasts pour les recouvrir de foie gras, je regardais mon bloc avec une certaine gourmandise avant de commencer à le déguster. Pour moi, ce plat était sans doute bien plus exceptionnel que pour les autres convives. Autour de moi, tout en mangeant, j'écoutais les diverses conversations qui se formaient au peu partout dans le brouhaha général. -Alors, qui a vu Star Wars 7 ? -Moi, pas mal mais sans plus. -Pas mal ? Il était génial ! Après la prélogie, enfin la saga retrouve sa splendeur. -De la splendeur, évidement... C'est vrai qu'un plagiat du 4 avec de meilleurs effets spéciaux, c'est tellement mieux qu'une intrigue politique profonde. -Quand tu dis "Intrigue politique profonde", tu parle de Padmé et d'Anakin qui roulent dans l'herbe en se faisant des baisers ou du monologue sur le sable qui est irritant ? -Et toi, quand tu parle de la splendeur de la trilogie originale, tu évoque le jeu d'acteur magistrale de Luc ou le manichéisme total de l'intrigue ? -Parce que la prélogie n'est pas manichéenne ? C'est vrai que Palpatine n'est absolument pas le méchant. -Il n'est pas méchant pour être méchant, dans la prélogie on comprend ses ambitions, il est bien plus développé, et puis les Jedis sont moins iconnisés. -Ce qui pour toi est une bonne chose, moi je te... -Taisez vous tous les deux. Au pire on s'en fiche, chacun ses goûts, c'est juste un film. Peut importe quelle trilogie est la meilleure. Même si il est vrai que le septième film manque un peu de nouveautés. Avec un sourire, j'avalais le dernier bout de mon foie gras. À ma gauche, la moitié de la famille était toujours en train de discuter avec animosité du meilleur Star Wars. C'était probablement le sujet qui m'étais le plus accessible dans cette soirée mais, n'ayant vu que deux des sept films, je me voyait mal m'y incruster. Aussi décidais-je de me réorienter vers un autre sujet. -... passé en France, après pourquoi pas chez nous ? -Ça a eu lieu chez nous, le World Trade Center, ça ne te dit rien. On voit les français pleurer pour quelques morts, heureusement qu'on a pas fait sauter leur plus grande tour. -Non mais il faut les comprendre, c'est beaucoup moins impressionnant mais ça reste très violent. Chez nous, ils s'attaquaient au travail, en France c'est au divertissement. Le fait de savoir qu'on ne peux plus se détendre reste embêtant. -Oui, c'est horrible, d'accord. Je trouve juste que la campagne "Pray for Paris"
etc, c'est stupide. Et puis quoi ! Priez pour Paris, non ! C'est gens sont morts à cause de la religion, c'est finit les prières. -Ce n'est pas la religion le problème, le problème c'est l'Etat Islami... Au bout de la table, Lily qui avait fini son entrée venait de sauter de sa chaise pour courir jusqu'au sapin. De là, elle était en train de chercher ses cadeaux parmi les nombreux paquets colorés. Rapidement, elle fut suivie par Hugo et Kelly, la soirée dégénéra alors en une remise de présents générale. Plus personne ne débattait, on ne faisait qu'attendre que les enfants nous apportent nos cadeaux. En effet, une règle avait été imposée voulant que les enfants amènent d'abord les cadeaux des adultes à leur destinataire avant de se concentrer sur les leurs. Ainsi, chaque membre de la famille se faisait couvrir de paquets dans un rythme effréné, on avait à peine le temps d'en ouvrir un que deux autres nous tombaient sur les genoux. Finalement, quand il ne resta plus que les jouets des enfants, ces derniers entamèrent un arrachage de papier cadeau violent, comme si leurs vies dépendaient de la vitesse avec laquelle ils auraient dévoilés tous leurs présents. De mon côté, j'avais reçu un parfum de la part de Sarah, j'étais incapable de savoir comment le prendre. Anna et son mari m'avaient offert un abonnement d'un an à Netflix avec quelques séries recommandées. Charles et sa femme s'étaient contentés, d'étrennes, de très grosses étrennes, un magnifique chèque de mille euros que j'étais réellement tenté de refuser. -C'est trop, vraiment. -Oh, tu sais, on n'en a pas l'utilité, se justifia le vieil homme. Notre maison est très bien, on vient de changer de voiture, j'ai suffisamment travaillé pour bien vivre jusqu'à la fin de mes jours. C'est pas un petit chèque comme ça qui va me mettre sur la paille. -Merci, merci beaucoup. -Tu verras quand tu te rendra compte que ce n'est même pas suffisant pour acheter un ordinateur, tu me remerciera un peu moins. Je souriais à sa remarque avant de l'embrasser pour le remercier. Après quoi, je jetais un regard en direction de Lily qui, les yeux plein d'étoiles, avait déjà entamé la construction de son aéroport LEGO. Elle fut d'ailleurs franchement déçue quand, en plein milieu du chantier, on l'appela pour venir manger le plat en notre compagnie. Malgré ça, grâce à une éducation dont je n'étais pas peu fier, la petite reprit sa place sans mot dire. Voyant que j'étais parti dans une observation silencieuse, Kyle, le mari d'Anna, dût trouver ce moment parfait pour me vanter les mérites de son cadeau. -Tu regarde des séries toi ou pas du tout ?
-Pas vraiment, mais c'est surtout parce que je ne suis pas très renseigné et que je n'ai pas le courage d'aller m'en acheter. Là avec ça et vos recommandations, ça devrait commencer à se faire. -Oui, je te le conseille parce qu'il y a vraiment des bons trucs. En revanche, essaie de ne pas commencer par Breaking Bad, après toutes les autres séries vont te paraître fades. -C'est noté. T'as un point de départ ou peu importe la série de début ? -Je ne sais pas, Sherlock ou Daredevil me paraissent un bon début, ouaip. Par contre fais gaffe, parce qu'avec toutes ces séries, tu vas perdre des tonnes de soirées. Plus chronophage tu meurs. -On va bien voir... La plat venait d'être servi. Filet de bœuf en croûte et pommes de terres rissolées : j'ai toujours adoré manger chez les parents de Sarah. J'allais pour découper ma tranche de viande lorsque mon ex femme commença à me parler. -C'est quoi cette histoire de restaurant ? Encore un de tes mensonges ? -Quoi ? Mais pas du tout ! Tu verras, si dans un mois je n'ai toujours pas de restaurant à moi, tu pourras me traiter de menteur. En attendant, je suis bien décidé à créer quelque chose. -Tu ne sais même pas cuisiner. -Qui a dit que j'allais être chef ? Moi je veux juste être proprio, gérant quoi ! -Toi en gérant ? -J'ai passé presque un mois en tant que gérant d'une boîte de nuit, ça a très bien marché. -Ah bon ? Quand ça ? -Un peu avant nos vacances - que tout le monde semble avoir oublié d'ailleurs The Vault, tu rechercheras. -Si personne ne parle de nos "vacances", c'est parce que j'ai dis que le sujet était clos. Pas la peine de te voir te faire frapper par toute ma famille lorsqu'ils apprendront quel genre d'homme tu es. -Ils ne sont pas stupide, tout le monde sait quel genre d'homme je suis. -Il m'a fallut huit ans pour m'en rendre compte personnellement, alors je pense que ma famille aura besoin d'une plus grande durée. -Ne les sous-estime pas. Ce n'est pas parce qu'ils ne sont pas avocats que ce sont des débiles. -Est-ce que j'ai dis ça ? -Non, mais j'aime bien déformer les propos des gens dont je n'apprécie pas les propos. Maintenant, j'ai le droit de manger ? -Je ne t'en ai jamais empêché. -Tant mieux. Enfin, je pouvais entamer la dégustation de cette délicieuse viande, tendre et
goûteuse à souhait. Chaque bouchée était comme une montée au paradis, j'avais beau ne pas être un grand gourmet, je savais apprécier la bonne nourriture et celle là était bien meilleure que dans la plupart des restaurants. Je terminais mon assiette calmement, sans discussion, je ne faisais que savourer. Aux alentours, les discussions fusaient en tous sens, les bruits des couverts se mélangeaient, tout le monde faisait ce même geste qui consistait à porter sa fourchette de l'assiette à sa bouche. De son côté, Lily était retournée sous le sapin où elle avait reprit la construction de l'aéroport, cette fois-ci en compagnie de Kelly qui l'aidait à trouver les pièces nécessaires. La jeune fille était adorable, en réalité, si Lily lui ressemblait dans sept ans, je serais en mesure d'affirmer avoir réussi son éducation. Je les regardais en souriant, travaillant de concert sur leur chantier, lorsque mon téléphone se mît à sonner. Immédiatement, en me confondant en excuses, je quittais la table pour retourner dans le hall et répondre à mon conseiller. Là, dans le silence de l'entrée, j'avais presque l'impression que la fête se déroulait dans une maison adjacente. -Putain mais Wyte, t'as pas de vie ? C'est Noël ! -Ma vie elle t'emmerde. Moi aussi ça me fais chier de quitter le réveillon pour parler travail, mais c'est mon job. Y'a deux infos qui viennent de tomber, d'abord Josh voudrait que tu tâte le terrain avec Sarah, que tu lui pose des questions sur la garde de Lily. Ensuite, Thunder veut savoir si t'as envie de trucider du mexicain en sa compagnie le 28 décembre. -Ok, je m'en charge pour Josh et j'accepte la proposition de Thunder. Fin de la discussion, over, bye bye, joyeux Noël. -Joyeux Noël mec, pense à lésiner sur l'alcool. -Nique ta mère. Je retournais ensuite à ma place comme si de rien n'était. Dans le salon, la fête battait son plein, s'en était presque bizarre de rentrer dans une ambiance telle que celle là, comme si on pénétrait dans un autre monde fait uniquement de joie. -C'était qui ? Demanda Sarah. -Le travail, toujours le travail... -Pour ton restaurant ? -Possible. -Sérieusement Michael ? -Sérieusement ? Sérieusement, j'ai d'autres problèmes, en particulier celui de la gamine. -Lily ? Il est où le problème ? -Est-ce qu'un jour, j'aurais le droit de la voir sans que tu sois présente ? Est-ce
que je vais pouvoir l'accueillir chez moi comme tous les parents divorcés normaux ? -Tu n'es pas comme tous les parents divorcés normaux, tu es criminel. Si Lily va à Los Angeles, j'ai bien peur qu'elle n'en revienne pas. -J'ai raccroché je te dis, maintenant je gère mon restaurant. -Je reste dubitative à ce niveau là. -Admettons que je sois toujours dans le milieu, ce qui n'est pas le cas. J'aurais des gardes du corps, ou un truc dans le genre pour elle. Et puis ce ne serait pas long, uniquement quelques vacances. -Il suffit d'une heure pour kidnapper une enfant. -Sarah... J'entends tes arguments, mais tu ne peux pas comprendre qu'un père veuille voir sa fille ? -Si, c'est pour ça que ma porte t'est encore ouverte. Je te donne la main, ne me mange pas le bras, Mike. Au moins la réponse était claire. Sans en demander plus, je quittais la compagnie de ma femme pour rejoindre celle de ma fille. On ne s'était pas parlé depuis le début de la soirée, il fallait rattraper ça.
Chapitre 69 : Du côté de l'innocence Les deux filles étaient vraiment adorables. À quatre pattes sur le sol dans leurs robes de soirée, travaillant en coopération dans la construction d'un aéroport déjà bien entamée, on ne pouvait que sourire en les observant ainsi s'occuper. Décidé à quitter l'ambiance oppressante des adultes, je rejoignais ces deux enfants. Sans bruit, je vins m'accroupir à côté de ma fille qui, l'air complètement concentrée, fouillait dans d'immenses tas de LEGOs ce qui devait être une pièce rare. -Alors les filles, demandais-je rapidement, ça avance bien ? -Bah oui, mais euh il manque une pièce. Répondit Lily avec un ton bien trop désabusé pour son âge. -Ah oui ? Elle est comment cette pièce ? Papa il va la trouver ! -Elle est comme ça. Son petit doigts pointa le manuel de construction et plus précisément le dessin d'un petit tuyau gris. Sans poser de question, j'acquiesçai avant de me lancer en quête de cet objet disparu. Parmi les immenses masses de piécettes, Kelly, Lily et moi devions avoir l'air idiots à chercher le petit tuyau gris avec tant de conviction. On remuait dans un sens, puis dans l'autre, chaque vague de pièces qu'on balayait créait un raffut assourdissant. Au bout d'un demi-dizaine de minutes, pour tromper l'ennui, je décidais de discuter avec ma fille. Cette dernière semblait réellement désespérée, ce qui était sûrement dû à l'heure déjà tardive pour une enfant de son âge. -Dis moi Lily, tu as eu quoi pour en cadeau ? -J'ai eu un nouveau manteau trop joli, une tirelire en forme de chat, une pochette avec plein de trucs pour dessiner et une tête que on peut coiffer. Après j'ai eu plein de LEGOs alors attends, dit-elle en regardant ses doigts pour compter. Une grande maison, une voiture de sport rouge, la gare des trains, un gros avion blanc et puis cet aéroport ou on a perdu une pièce donc on pourra jamais le finir ! -Eh bah dis donc ! Ça fais plein de cadeau, tu les as mérité au moins ? -Oui, je suis très sage, m'avoua-t-elle avec un sourire dévoilant quelques trous dans sa dentition. Mais il manque toujours cette pièce ! -T'en fait pas, on va la retrouver. Et puis si elle a vraiment disparue, on ira voir le père Noël et on lui demandera la pièce perdue. En entendant le nom du vieux barbu, Kelly leva immédiatement les yeux vers moi avec un sourire, comme si nous partagions une sorte de "private joke".
Heureusement, Lily ne remarqua rien, enfin c'était ce que je croyais. -Mais papa, il existe vraiment le père Noël ? -J'en sais rien, tu y crois toi ? -Bah je sais pas en fait parce que il y a plein de gens qui disent que c'est pas vrai. Et puis en plus je t'ai donné un liste pour les cadeaux et c'est toi qui a ramené le cadeau donc soit le père Noël il est feignant et il ramène que certains cadeaux, soit c'est pas un vrai qui existe. -Qui c'est qui dit que c'est pas vrai ? -Des amies à l'école. Moi je crois qu'elles ont raison, ça explique beaucoup de trucs. -Donc tu ne crois plus au père Noël ? -Non, enfin c'est pas sûr mais pour le moment j'ai pas de preuve alors je sais pas si c'est vrai donc c'est faux. -Dans ce cas là c'est faux. Mais qui on va voir pour la pièce alors ? C'était étrange, mais j'étais sûrement bien plus choqué en apprenant qu'elle n'y croyait plus qu'elle lorsqu'elle avait appris le mensonge organisé. J'avais toujours considéré ce mythe comme anodin mais en réalité, une fois brisé, il créait une réelle rupture dont je n'avais jamais imaginé les conséquences avant aujourd'hui : Ma fille grandissait. Elle grandissait bien trop vite. -Bah le vendeur nan ? Me répondit-elle comme s'il s'agissait d'une évidence. -Dans ce cas là nous irons voir le vendeur, papa il fera les scrogneugneux et il va tout de suite nous rendre la pièce. -Ce sera pas la peine, interrompit la voix de Kelly. Je l'ai trouvée. -C'est vrai ? Demanda Lily, surexcitée. En une seconde, elle avait couru en direction de sa cousine pour regarder le petit tuyau gris comme s'il s'agissait d'un objet sacré, suprême. Mais cette adoration ne dura qu'un temps, rapidement la pièce quitta la main de Kelly pour passer dans celle de Lily qui s'empressa de l'imbriquer dans ce futur d'aéroport. Observant la petite construire avec une vitesse étonnante et une concentration qui ne donnait pas envie de la déranger, je décidais de changer mon plan en entamant la discussion avec Kelly. -Et toi, ça va avec tes parents ? -Hein ? Euh bah ouaip. Y'a eu un peu de tension après le coup de premier avril mais ils sont trop occupés à en vouloir à Hugo pour pouvoir me faire chier, désolée, me gronder. En gros j'ai l'impression d'être devenue leur unique enfant, comme c'est le seul, bah ils ont pas envie de le gâcher. -Tant que ça ? Parce que là on dirait que c'est bien passé.
-Tu voudrais qu'ils le mettent nu en centre du salon et lui jettent des tomates ? Nan c'est plus subtile, ils ont des techniques pour insinuer des choses ou le faire chier, pardon, l'embêter sans que ça ait vraiment l'air d'une punition. Au final, ça plombe encore plus l'ambiance que des disputes ouvertes. -C'est vraiment dommage ça. Surtout que tes parents sont des gens intelligents, ce genre de truc ne devrait pas arriver dans une famille comme la tienne. -Selon la société, les gens intelligents sont mes parents et tu fais partie des stupides, bah je t'avoue que je ne partage pas vraiment cet avis. C'est pas tes années d'étude qui font de toi quelqu'un de bien... Enfin je crois pas. -Oh crois moi, je pense que tes parents sont des gens bien meilleurs que moi. -Même si c'était vrai, toi t'es gentil avec tout le monde, tu essaie de plaire, mes parents eux se comportent mal. Donc même si t'es pire qu'eux, au moins tu fais tout pour être meilleur, ce qui te rends moins pire qu'eux. -T'es sûre que tu veux être chirurgienne et pas philosophe toi ? -Oh ! Te moque pas ! Je la regardais rire de ce rire que seuls les enfants ont le secret, un rire qui exprime le bonheur plus qu'une absence de malheur. Rien de sarcastique, juste de la joie et de l'insouciance. Un rire que Leslie savait copier avec talent... -Et donc, les garçons ? -Quoi les garçons ? -Bah les garçons, lui dis-je avec un regard des plus explicites. -Rien, je me sens pas trop concernée pour le moment. -Ah, donc tes parents ont raison de s'inquiéter en fait. -Non ! C'est pas ça du tout. Je traine plutôt avec des filles - des amies, arrête de me regarder comme ça ! - J'ai pas vraiment le même état d'esprit que les mecs. Et puis de toute façon j'ai quatorze ans, je suis pas obligée de sortir avec un gars tout de suite. D'autant que je veux le faire parce que je suis amoureuse, pas juste pour faire comme tout le monde, mais comme je peux pas choisir quand je tombe amoureuse bah... La manière avec laquelle elle venait de sortir ses arguments prouvait qu'elle avait l'habitude de cette question, et qu'elle était souvent tournée comme un reproche. -Pas besoin de te justifier, je te comprends. C'est très bien ce que tu fais. -Ah ? Bah cool, en vrai la plupart des gens trouvent ça bizarre. -Ce sont eux qui sont bizarres. T'as quatorze ans comme tu dit, rien ne t'oblige à sortir avec qui que ce soit. -Toi, t'avais déjà une copine à mon âge ? Me demanda-t-elle avec une certaine anxiété dans l'attente de la réponse. -Moi je ne suis pas un exemple, tu sais.
-Ça veut dire oui ? -Ça veut dire non, je n'avais pas de copine. Enfant ça dépend ce que tu entends par ce mot. -Bah en couple quoi. -Non, je n'étais pas en couple à quatorze ans. Ou alors des couples à durée très limitée. -C'est vrai ? À quatorze ans ?!? Je t'imaginais pas comme ça ! -Et c'est tant mieux. Vaut mieux pas que t'imagines des trucs sur moi en fait. -S'tu le dit. En me retournant, je remarquais que Lily n'était plus en train de construire. L'absence de bruit m'avait déjà mis sur la piste lors de notre discussion mais je n'en fut pas moins étonné de la voir couchée sur le canapé. Je pris rapidement congé de sa cousine pour rejoindre ma fille, les yeux fermés, légèrement assoupie là où nous avions pris l'apéritif quelques heures auparavant. Quand je m'approchais d'elle, Lily ouvrit péniblement un de ses yeux tout en gardant l'autre parfaitement fermé. -Ça va ma poupée ? -Je suis fatiguée. Quand est-ce qu'on rentre ? -Pas tout de suite, on n'a même pas pris le dessert. -Tu peux demander à maman si on peut rentrer ? -Je peux mais je ne pense pas qu'elle acceptera. En attendant, reste là et repose toi. -D'accord. Je quittais la partie éteinte du salon pour rejoindre la grande table où tout le monde discutait bruyamment. En prenant soin de ne gêner personne, je repris ma place à côté de Sarah avant de demander à cette dernière : -Lily est fatiguée, tu veux la ramener ? -Déjà ? On n'a même pas commencé le dessert. -C'est ce que je lui ai dis. Elle attends sur le canapé pour le moment. -Dans ce cas on va se dépêcher puis je vais la ramener, oui... -Parfait. Au même moment, et je n'aurais su dire s'il s'agissait une coïncidence, la buche de Noël fit son entrée sur la table. Portée par les deux parents de mon exfemme, ce grand gâteau couloir de bois était magnifiquement appétissant. Sur son nappage chocolaté, on trouvait de nombreuses décorations en sucres telles que des maisons ou des pères Noël. Dès que le gâteau fut mis à la disposition des invités, les assiettes ses présentèrent les unes après les autres dans l'espoir d'obtenir la plus grosse part, nous faisant oublier tout ce que nous
avions avalé précédemment. Servi parmi les derniers, je commençais à peine à manger alors que certains des convives avaient déjà fini jusqu'à la moindre miette de gâteau dans leur plat. Sarah, qui s'était dépêchée de finir, nous fit ensuite à tous la bise avant d'emporter avec elle sa fille jusqu'à l'entrée. Pendant que Lily enfilait son manteau et ses chaussures, Kelly, Sarah et moi rangions les innombrables cadeaux de la petite dans de grands sacs de course. Après nous avoir remercié, l'avocate quitta la maison en compagnie de son enfant. L'ouverture de la porte nous offrant un aperçu du froid extérieur. Ensuite, la soirée commença à s'étendre avec l'arrivée des digestifs. En l'absence de Sarah, Hugo en profita pour venir s'asseoir à côté de moi. Il ne fit pas de remarques sur la quantité astronomique d'alcool que j'avalais et je lui en étais reconnaissant. Pendant presque une heure entière, on parla des générations actuelles, de l'éducation des enfants, principalement des filles. Souvent, le jeune homme donnait Kelly comme exemple de certaines affirmations, cette dernière levait alors immédiatement l'oreille et essayait de rentrer dans la discussion mais elle abandonnait rapidement. Plus il parlait et plus ce garçon m'impressionnait par son savoir, son intelligence sa lucidité. De plus, se disant lui même comme ayant plus d'affinités amicales avec les filles, son témoignage était très intéressant et je fis en sorte d'en retenir le maximum pour l'éducation future de Lily. Vers minuit et demi, Kelly, peu habituée à boire, commença à tourner de l'œil et parti donc se mettre en pyjama. Sa famille, refusant de prendre le risque de conduire en état d'ivresse, avait décidé de dormir sur place. Choix sage que je ne partageais pas. Quand la jeune fille revint pour nous souhaiter bonne nuit avant d'aller se coucher, elle était métamorphosée. Son chignon parfait s'était transformé en une cascade de cheveux lui tombant au milieu du dos. Son maquillage avait laissé place à une peau légèrement plus blanche, imparfaite ainsi qu'à deux cernes autour de ses yeux. À la place de sa magnifique robe de soirée, elle ne portait désormais plus qu'un t-shirt légèrement trop grand pour elle sur lequel était dessiné une tête de Minnie avec écrit "Hug Me", ce T-shirt laissant d'ailleurs apparaître une paire de jambes relativement fines. La jeune fille se contenta d'un "bonne nuit" souhaité de loin avant de remonter dans la chambre d'ami en traînant ses pieds nus sur le sol. De notre côté, même si l'ambiance sonore avait bien baissée, le climat de fête était toujours présent. Au final, les lumières commencèrent à s'éteindre vers deux heure du matin. Voyant le début d'agitation nocturne, je compris que l'heure était venue et je
saluais un à un tous les invités avant de retourner dans le froid hivernal, un sac de cadeaux au bout du bras. Dehors, après la chaleur festive, je trouvais une neige violente et agressive. Légèrement déséquilibré par l'alcool, je quittais le grand jardin recouvert de son manteau gris pour rejoindre le trottoir. De là, j'appelais un taxi. -----Dans le jardin de Sarah, Lily s'amusait avec ses jouets. Je ne la regardais que d'un œil, depuis les marches du perron, j'entretenais une conversation téléphonique. -Arrête ça tout de suite Michael, ce monde n'est pas fait pour toi. -J'y ai vécu pendant des années dans ce monde, aucun autre n'est fait pour moi. -Tu pense vraiment pouvoir diriger une ville ? Tu crois en être capable ? -Oui. Oui j'y crois. -Si c'était si facile, tout le monde le ferait. Qui tu serais pour réussir là où tous les autres ont échoué ? Oublie tes rêves prétentieux et redescend sur terre ou tu n'en reviendras jamais. -J'ai déjà bien entamé ma progression, d'ici une année, plus personne n'entendra parler de Tiger. Je serais devenu le roi de cette putain de cité. -Non, d'ici une année tu ne seras plus qu'un cadavre laissé sur le bord de la route. On ne fait pas de cadeaux dans ce monde là, surtout pas aux gens comme toi. Dans le jardin, le portail était ouvert. De l'autre côté, la rue. Lily jouait. -Tu ne sais rien de moi ! Je vais te surprendre. Quand le Corbeau sera la métaphore du pouvoir suprême, tu ne pourras plus rien dire. -Dans ce cas là je vais parler pour l'éternité. Tu es fini Michael, fini avant même d'avoir commencé. -Ne suis-je pas une légende, un homme qui a tellement d'histoire à raconter que la moitié suffiraient à faire de lui un héros ? -Un héros parmi les monstres n'est pas un héros, simplement un pariât charismatique. Pour simuler un décollage, Lily avait jeté son avion. Il était tombé de l'autre côté de la route. Elle est partie le récupérer. -Donne moi le nom que tu veux, si ma place n'est pas en haut, alors je n'ai aucune place. -Si, elle est en bas, à l'exécutif. C'est là que s'est jouée toute ta vie, et c'est là qu'elle se jouera encore. -Je ne veux plus de cette place. Elle m'a détruit, elle est inutile, à cause d'elle je
n'ai rien créé, aucun rattachement. Je n'étais qu'une ombre au service des autres. Désormais je vais pouvoir mettre en place des choses auxquelles je tiendrais. -Pour le moment, tu n'as rien créé qui te tienne à coeur ? -Non. -Même elle ? La voiture est passée. Lily ne l'avait pas vue. Je n'ai rien put faire, juste observer, observer et hurler, hurler et pleurer. Le véhicule s'était arrêté. Immédiatement, un vieil homme en était sorti. Peu m'importait son âge. J'avais une arme. Il me suppliait. Il voulait vivre. Ma fille aussi... Une balle. Les oiseaux s'envolaient. Sarah sortait en courant. Lily était là. Seule, sale, étendue, blessée, morte. Les yeux vides, elle me regardait avec effroi. Je ne pouvais pas, je ne pouvais pas. J'ai vomi. Sarah est arrivée en pleurant, je suis parti. Je n'ai pas tenu. J'ai fui. Dans la maison je me suis regardé. Le miroir montrait un monstre. C'était ma faute. J'avais vu le portail. C'était ma faute. L'arme sur la tempe. Une balle. Ça ne suffit pas pour m'achever. J'avais raté mon coup. Je souffrais. Mes cris duraient. Duraient. Duraient. Duraient... Ils durèrent jusque dans l'avion. Les gens aux alentours me regardaient bizarrement. Dans le haut parleur, la voix annonçait notre descente imminente vers la ville des anges.
Chapitre 70 : Rupture parentale et Histoire d'amour 3 Juin 2001 - 7h59 - Domicile des Da Silva Le réveil sonnait dans le vide depuis plus d'une vingtaine de minutes. Trop épuisé pour aller l'éteindre, je l'écoutais vociférer, la tête sous l'oreiller, espérant vainement qu'il se fatigue avant moi. Évidement, ce ne fut pas moi qui remportais cette bataille. À huit heure et demi, je quittais le confort de mon lit pour balancer cette saleté à travers la fenêtre. Mal réveillé, j'avais oublié que ladite fenêtre était fermée, aussi le verre se brisa dans un vacarme assourdissant. Sans me poser de question, avec pour seul regret le froid qui allait s'installer dans ma chambre, je quittais cette dernière pour me rendre dans la cuisine. D'une démarche lente et traînante, je rejoignais le frigo. Après en avoir ouvert la porte, je me rendis compte de l'absence de lait. -MAMAN ! Hurlais-je à travers toute la maison. Tu l'as foutu où le lait ? -Quoi ? Me répondit une voix toute droit sortie de la salle de bain. -IL EST OÙ LE PUTAIN DE LAIT ? -Je ne t'entends pas. Vient plus près. Avec un soupir, je laissais le frigo ouvert pour m'approcher de ma mère. Toujours avec cette même démarche traînante, je mis une éternité avant d'atteindre la salle de bain où ma génitrice était en train de prendre sa douche. -T'as foutu où le lait, ´man ? -Il est dans le frigo, non ? -Nan, y'en a plus. -Eh bien dans ce cas il n'y en a plus. -T'pouvais pas aller en racheter ? -Et toi ? -Moi je bosse ! T'as cru j'avais le temps d'acheter du lait ? Nan mais sérieusement... -Et moi ? Je bosse pas peut être ? -Bah nan ! Tu nettoie la baraque de fils de putes plus riches que nous au lieu d'essayer de faire de la thune. Encore ça passe tu vois, mais si t'est même pas foutu de bouger ton gros cul pour aller acheter du lait, j'vois pas trop à quoi tu sers. -Tu es sérieux quand tu dis ça ? -Bah ouaip. Vas-y, ose me dire tu fais un vrai métier ! Ose me dire t'es pas une ratée ! Conscient que cette dispute ne m'apporterait pas ma bouteille de lait, je laissais
la réponse de ma mère flotter dans le vide pour retourner à la cuisine. De là, je me contentais d'une tartine de confiture au goût légèrement sec. Quand j'eu finit la dégustation de cet en-cas, j'allais pour retourner dans ma chambre lorsque ma mère apparut dans le couloir. Les cheveux encore humide et le peignoir attaché à l'arrache, elle avait vraiment l'air d'une quinquagénaire dépressive. -Tu peux me répéter ce que tu m'as dit quand j'étais sous la douche, me demanda-t-elle sur le ton du défi. -J'crois que j'ai oublié les détails mais en gros j'ai dit que tu servais à rien, lui répondis-je avec un plaisir non feint. -J'y crois pas. Tu es vraiment mon fils ? -Ouaip. Moi aussi j'en ai honte. Mais t'as vu, j'fais avec. Je sentais la rage bouillonner dans ses rides, la colère montait dans ses yeux fatigués, et moi je me contentais de sourire. Elle m'avait condamné à cette vie de sous-homme, coincé dans les bas-quartiers, ces piques étaient méritées. -Je ne peux pas entendre ça, je ne peux pas croire que tu ai dit ça. -Le déni ! Classique. Bon, tu peux te pousser, je vais me changer. -Non mais tu t'entends ? On dirait que tu parle à un chien. Je laissais un blanc après cette phrase, puis, voyant que chacun de nous deux attendait que l'autre parle, je me décidais à répondre. -Nan mais oui, pour l'instant je n'ai rien à ajouter. Tu peux continuer. -Pas croyable ! Pas croyable ! Je t'offre cette maison, ta nourriture, ta chambre, pour toi ce n'est rien ? -J'tavoue que je connais personne qu'a pas de maison et de bouffe. Tu doit être vraiment en panne d'argument pour me sortir ces conneries. Encore heureux que tu me donne tout ça, tu m'as fait t'assume après, je vais pas te remercier. C'est comme si tu disais merci à un juge qui t'envoie en prison parce qu'il t'accorde une heure de sortie par semaine. Désemparée, ma mère me regardait sans mot dire, au bord des larmes, elle ne bougeait presque plus, comme figée face à la découverte de son échec. Ses longues jambes flétries par les âges tremblaient légèrement, rendant la scène presque comique. Étouffant un rictus méprisant, je quittais son champ de vision en entrant dans ma chambre où j'enfilais quelque chose de présentable. De retour dans le couloir, elle était toujours là, dans la même position. -Tu bug ? Ça doit être l'âge... Dis-je en prenant congé. -Je veux savoir, tu penses vraiment que tout ce qui est là t'es dû ? Que je ne suis
qu'une ratée ? -Euh bah... Ça dépend. Sentant la colère gronder derrière ses rides, je commençais à reculer. Désormais, j'étais conscient que le moindre mot en trop pouvait provoquer un désastre dépassant tout ce que je pouvais imaginer. -Oui ou Non ? -Bah j'en sais rien tu vois... -Dans ce cas, tu reviendras quand tu sauras. Je ne vois pas pourquoi je continuerais à t'héberger. Apprends la politesse et là je te laisserais rentrer, en attendant, je te laisse seul avec le monde réel. Je sentais que ça allait exploser, qu'elle allait me tuer si je ne bougeais pas, aussi quittais-je rapidement la maison sans un regard derrière moi. J'avais beau aimer la taquiner de temps en temps, les sacrifices corporels ne m'intéressaient pas et je me voyais mal frapper celle qui m'avait mis au monde. Dans la cage d'escalier, je descendais quatre à quatre les marches jusqu'au rezde-chaussée. Autour de moi, l'insalubrité était digne du moyen-âge, tags, absence de lumière, déchets sur les paliers, n'importe qui ne vivant pas ici aurait vomi en entrant. Parfois dans ma descente, je croisais des connaissances que je saluais d'un geste de la main, le tout en essayant de bloquer les larmes qui tentaient de sortir. Cette fois-ci, je me rendais compte que j'étais allé trop loin, que si je voulais rentrer, j'allais vraiment devoir changer. Dehors, dans le petit parc sur lequel débouchait l'immeuble, deux jeunes fumaient adossés à un arbre. En face de l'entrée, assise sur un banc, j'eu la surprise de voir Lily. Sans hésiter, je me dirigeais vers elle en prenant soin de cacher toute marque des récents événements. La jeune fille, comme à son habitude, arborais un chignon toujours aussi travaillé. Un sourire vint se poser sur son visage sans le moindre maquillage lorsqu'elle m'aperçut. Rapidement, elle réajusta ses lunettes et referma le livre qu'elle était en train de lire pour venir dans ma direction. Elle portait un sweet à capuche des plus simples, un jean légèrement trop ample ainsi qu'une paire de basket. Un style qu'on attribuait plutôt aux garçons mais qui lui allait à ravir tout en la démarquant des autres. -Salut, me dit-elle en me faisant la bise. -Salut. Tu va plus en cours maintenant ? -Et toi ? -Bah moi c'est pas nouveau. Mais genre toi j'te vois pas sécher. -C'est E.P.S... -Sérieuse ? Putain le seul jour où je viens pas y'a sport quoi !
-Le seul jour ? On est jeudi, t'es pas venu lundi et mercredi rien que la semaine dernière. -Ouaip bah j'étais occupé. Fais pas chier. -Quoi "fais pas chier", j'ai rien dit moi ! -Ouaip, pardon, désolé. -"Désolé", t'es sûr que ça va Mike ? -MAIS NAN ÇA VA PAS PUTAIN ! J'avais hurlé tellement fort que Lily avait eut un geste de recul et que tout le parc s'était tourné vers moi. Je n'en avais rien à faire de toute façon, ce genre de détails ne m'importaient plus. C'était regrettable mais j'étais à cran et j'allais partager mes problèmes avec Lily. -Ok, me répondit-elle, légèrement sous le choc. Tu veux en parler ? -J'sais pas. J'me suis encore embrouillé avec ma mère. Putain pourquoi les meufs sont toutes des chieuses ? -Je suis là hein ! -Ouaip mais nan mais pas toi. Genre les meufs chiantes quoi ! Les salopes qu'on trouve partout ici. -Nina ? -Ouaip, ta sœur, c'est ça. On dirait genre c'est génétique, si t'es une meuf, t'as 50% de chances de plus d'être une connasse. -C'est surtout qu'on a certaines choses qui nous poussent à être plus chiantes à certains moments. -Mais nan ! Je parle pas de ça. Genre ma mère, elle est emmerdante tout le temps ! Putain j'arriverais jamais à comprendre. Toi tu vois, t'es normale mais t'es une fille, du coup est-ce que t'arrive à comprendre ? -Ce que je comprends, c'est que la plupart des mecs sont assez immatures. Or même si une fille sera stupide, elle en sera quand même plus mature, donc plus chiante pour le mec. -Ouaip, putain de théorie de supériorité de mon cul. -T'en fais ce que t'en veux. Moi je te dis juste ce que je pense. Sans prévenir, Lily reprit place sur son banc avant de croiser les jambes. La dépassant déjà d'une dizaine de centimètre debout, l'écart de taille était devenu trop important et je m'assis donc à ses côtés. -Mais tu foutais quoi ici en fait ? -Bah je t'attendais. -Tu m'attends souvent devant chez moi ? -Non, mais je te rappel que t'as besoin d'aide en géo. Comme y'avait sport, j'étais sûre que tu te lèverais à l'heure et on aurait pu bosser à la place du cours... Au final c'est raté.
-Surtout que j'ai pas vraiment envie de faire de la géo pour le moment tu vois. -Va vraiment falloir que tu te mette à bosser un jour. -Je laisse ça à ceux qui sont bons. Moi j'suis pas fait pour ça. -T'as envie de rester là toute ta vie ? T'as pas envie de quitter ces quartiers de merde, d'avoir un bon job, une belle maison et tout ? -T'as cru avec ma gueule et mon accent, on allait me donner un bon taff. Ça se voit à trois kilomètres que je vient d'une zone de merde, personne embauche les fils de pauvre. C'est la vie... -Mais c'est toi qui l'a choisi. Tu vois moi, j'ai plus cet accent. C'est du taff mais au final on peut s'en sortir. -Sauf que toi t'es déterminée, t'as des putain de notes et tout, tu sais que tu vas réussir. Moi si je deviens normal, genre comme les riches, bah je resterais comme je suis. J'ai pas l'état d'esprit de ce genre de trucs. -Mais tu vas faire quoi de ta vie alors ? C'est ça, être adulte, faut bien te trouver un emploi, une utilité. -J'ai tout mon temps, là je réfléchi. Tout en relevant à nouveau ses lunettes, Lily lâcha un profond soupir d'exaspération. De mon côté, je me contentais de regarder le grand immeuble devant moi sans réellement réfléchir, comme si j'étais déconnecté de la réalité. -On dirait ma sœur quand tu dis que t'as tout ton temps. L'école ça sert à ça Mike, si tu rate les cours, tu rate tout. -Bah je rate tout. T'as cru le théorème de Pythagore il allait me servir plus tard ? J'en ai marre de leurs merdes qu'ils me font avaler. -Tu te rends compte que tu parle vraiment comme ma sœur ? -Et ? Ça fait quoi ? Elle est bonne, conne à souhait, dans ces quartiers là, elle va aller loin. Peut être même plus que toi. -Putain j'arrive même pas à croire qu'on est du même utérus. Tu sais qu'il y a trois jours, elle se faisait deux mecs majeurs dans ma chambre ? Putain on a quinze ans ! J'ai cru que j'allais me suicider, le pire c'est que je suis rentré à ce moment là... Bordel elle fait vraiment pitié. Surtout que des fois les mecs me confondent avec elle, après ils me parlent des récents ébats et tout. Vie de merde... -Comment on peut te confondre avec elle ? Vous avez genre rien en commun. -Bah quand tu la baise, généralement elle se fout à poil. Or nos différences visibles sont dans les vêtements principalement. Du coup... Enfin je pense que c'est ça. Et puis aussi le fait que je lui ressemble, si un gars me voit, il va pas se dire "oh, elle doit avoir une sœur jumelle". Si il est pas au courant, il peut pas deviner. -Moi je sais je confondrais jamais. N'empêche c'est bizarre, tu dois être la meuf la plus prude du quartier et pourtant tout le monde t'a déjà vu à poil.
-Ouaip enfin je pense pas qu'on aura le même corps encore longtemps. D'ici quelques années, je te parie qu'elle se fera tatouer et refaire la majeure partie de son anatomie. D'autant qu'elle se drogue, je donne pas cher de sa gueule dans dix ans. Au moins on ne nous confondra plus. -Ouaip, ça pourrait être cool... Après avoir vérifié la bonne tenue de sa coiffure, Lily changea le sens dans lequel elle avait croisé ses jambes. C'était comme si tout d'un coup, il lui était venu le besoin de bouger. -Tu vas faire comment avec ta mère ? Finit-elle par demander. -J'en sais rien. Je crois que ça va rester tendu là, j'vais aller vivre chez Nick pour le moment. -Tu vas vraiment tout gâcher hein ? Même la personne qui tient le plus à toi, t'as réussi à la dégoûter... -Merci d'me remonter le moral. -Ça me fait plaisir. -Nan mais ça me fais chier quoi ! -Ouaip peut être mais - elle lança un coup d'œil en direction de sa montre MERDE ! Putain je dois te laisser, on a cours dans deux minutes ! Tu viens ? -J'sais pas, je crois pas... -Bah fous ta vie en l'air tout seul dans cas ! À peine s'était-elle levée que déjà elle courrait vers le collège. Assis, sans bouger, je la regardais disparaître au loin sous le soleil matinal. 15 Janvier 2003 - 23h14 - Saliego's Dans la pénombre et l'agitation du bar, je cuvais les trois shots de vodka que je venais d'avaler pour une raison que l'alcool m'avait fait oublier. Avachi sur la banquette, la tête vers le plafond, je sentais que je pouvais partir à n'importe quel moment. À côté de moi, Lily avait laissé un léger écart entre nous face à mon état semicomateux. Parfois, elle jetait des regards dans ma direction pour s'assurer que je n'étais pas mort mais la majeure partie du temps, elle regardait en direction de Lucy. En face de nous, derrière son énorme verre de bière, la punk était dans ses plus beaux jours, à l'époque où elle avait adopté un style relativement normal. Durant ce mois de janvier 2003, on pouvait oublier les coiffures étranges aux couleurs agressives, ici il n'y avait qu'une longue chevelure blonde détachée avec quelques mèches rouges. J'avoue être moi même tombé sous le charme de cette Lucy là. Son maquillage blanc sur le visage, parfaitement en harmonie avec ses cheveux clairs, lui
donnait un air presque fantomatique, d'une pureté fascinante. Quand à ses vêtements, elle avait délaissé les classiques cuirs à pics pour un simple débardeur noir où apparaissait une tête de mort brillante et une mini-jupe à carreau rouges et noirs. Bref, nous nous trouvions en face d'une Lucy qui avait compris que la beauté était utile pour draguer. Aujourd'hui encore je suis incapable de comprendre ce qui l'a fait replonger dans ce style cent-pour-cent punk. -Et donc, demanda la fausse blonde, vous êtes ensemble depuis quand ? -Mais on n'est pas ensemble ! Protesta Lily. -T'assumes pas hein ? T'inquiète, moi non plus à ta place je pourrais pas. -Je suis sérieuse ! Y'a pas moyen ! -Tu sais avec Mike y'a toujours moyen, j'suis sûre qu'en ce moment, il rêve de te baiser. Technique de drague numéro 1 de Lucy : décrédibiliser l'adversaire. Deux avantages : supprime la concurrence et te rends importante aux yeux de la cible. -Peut être, mais je pense que tous les mecs sont comme ça, on fait avec. -Alors c'est peut être les mecs le problème. -Ça sert à rien, j'suis pas conne, même avec les deux verres de bières, je reste suffisamment lucide pour voir ce que tu fais, Lucy. -Ah bon, Nina, t'en es sûre ? Je souris en entendant le nom de la sœur de Lily sortir de la bouche de mon amie. Pour éviter qu'elle ne cherche à la recontacter, il nous avait paru préférable de ne pas donner de vrai nom. -Ouaip, et je suis pas intéressée. -C'est ce que je dis, t'es avec Mike. Peut être que tu te mens à toi même mais c'est le cas. -Mais pas du tout ! Malgré le voile qui se tenait devant mes yeux, j'arrivais à voir que la jeune fille était à la fois mal à l'aise et intriguée par la présence de la punk. On aurait dit un zoologue en face d'un lion : apeuré mais ayant envie d'en apprendre plus sur ce dernier. -Comment tu le saurais ? -J'en sais rien... Ça se saurait si je le kiffais, nan ? -T'as jamais aimé personne ? -Bah euh... -Putain, mais faut vraiment remédier à ça.
-Non, non, non... Ma vie me va très bien comme ça. Et toi ? Déjà tombée amoureuse ? -Pourquoi ? -J'aimerais bien savoir ce que ça fait, parce qu'à part la version des livres et des films, j'ai pas grand chose à me mettre sous la dent. -Demande à Mike. -Il dit qu'il est jamais tombé amoureux. -Ça m'étonne pas. Dans ce cas t'auras qu'à attendre de le découvrir toi même. -Pourquoi ? Supplia-t-elle avec une voix adorable à laquelle personne ne pouvait rien refuser. -Nan mais si je raconte, ça va faire pisseuse sentimental. C'est pas trop l'image que je veux donner, tu vois ? -Ouaip enfin Mike est raide mort, moi je risque pas de te revoir, où est le problème. Surtout que les filles aiment les sentimentales. -Tu me drague là ? -Crois pas. Par contre s'tu me raconte, je t'embrasse, dit-elle avec un air rieur. En entendant ça, je me réveillais immédiatement. Sortant de ma torpeur, je m'écroulais sur la table avant de me relever péniblement sous le regard stupéfait des deux filles. -Tu vas pas faire ça ? M'écriais-je. -Ah, tu vois ? Demanda Lucy. Il est dingue de toi... -Que dalle ! Juste que merde, quoi ! Pas avec Lucy ! -Ça veut rien dire, répondit Lily. T'as embrassé au moins un milliard de meufs, je peux bien en embrasser une. D'autant que c'est juste un échange, rien d'autre. -T'es une pute en fait ? -Je dois être la seule vierge de ce putain de quartier, alors nique ta mère Mike. Je suis curieuse ok ? Ma sœur, elle c'est une pute ! -Putain tu fais chier ! J'aurais bien protesté mais l'épuisement commençait à se faire sentir, aussi me laissais-je tomber sur la table. Ma tête s'aplatit entre deux shots vides et Lucy put commencer une histoire que je n'avais aucune hâte d'entendre. -J'avais quinze ans à l'époque, putain j'ai l'impression que c'était y'a une centaine d'années. C'était une meuf de ma classe, super bonne amie, seule amie en fait puisque chez les bourges, on accepte difficilement les originaux. On était du genre à foutre la merde ensemble, genre vraiment la merde. Toutes les deux on avait des parents chiants et ce qu’on faisait, c'était un moyen d'exister, de leur montrer qu'on n'était pas leurs jouets. On manifestait un peu notre mécontentent tu vois ? Sauf que le problème, c'est qu'au bout d'un mois à faire n'importe quoi, je me
suis rendu compte que j'pensais à elle, mais genre pas de temps en temps, tout le temps. J'exagère peut être en disant tout le temps mais c'était bizarre, grave bizarre. Je me lève le matin, je suis heureuse parce que je sais que je vais la voir en cours. Les jours où elle était pas là, je me faisais chier. Même le weekend, si un jour on pouvait pas sortir, des fois j'avais presque envie d'aller chez elle pour pouvoir la voir. En fait, ça devient la meuf qui te fait tenir, qui te donne envie de continuer à exister parce que tu sais qu'avec elle, la vie tue sa mère. Mais tu vois, moi je pensais pas que c'était de l'amour, j'croyais c'était juste de l'amitié. En vrai je sais pas si j'assumais pas ou si j'avais vraiment pas compris, dans les deux cas ça faisait pitié. Quand je lui parlais, j'étais heureuse, tu vois ? Je lui posais des questions juste pour l'entendre répondre, pas pour la réponse mais pour le son de sa voix, ce genre de truc vraiment zarbs. Du coup j'ai commencé à comprendre. Je me suis rendu compte que je voulais plus, je voulais pas juste lui faire la bise en la voyant, je voulais pas juste la serrer dans mes bras quand on était heureuses, mais j'avais pas le droit à plus. Rapidement c'est devenu horrible de la voir, c'était frustrant, j'avais besoin de faire tellement de trucs mais je me contentais de faire comme si de rien n'était, pour ne pas gâcher ce que j'avais déjà acquis, pour pas la perdre. Mais il y a eu un moment où j'ai pas pu me retenir. C'était un soir, on avait forcé la piscine municipale et on s'était fait des longueurs. Déjà, t'imagines pas le self-control qu'il fallait pour pas lui sauter dessus quand elle était en maillot. Nan en vrai c'est comme ça que tu test si t'es amoureuse, tu fou le mec de ton choix à poil et tu regarde si t'es cap de rester stoïque. Remarque un mec en maillot c'est genre mille fois moins attirant qu'une meuf, du coup je... -Oui, je vois ce que tu veux dire, l'interrompit Lily. Mais continue, et pour ta gouverne, certains mecs sont très sexy en maillots. -Comme Mike ? - Nique ta mère et finis ton histoire. -Ok, ok... Donc bon, là j'avais la totale, quand on était sortie de l'eau j'étais en sueur, mains moites, le cœur qui bat à mille à l'heure, impossible de quitter la meuf du regard, que des trucs qui te préviennent que la connerie arrive. On s'est assises au bord de l'eau, sans rien dire, et on a laissé nos esprit flotter comme ça pendant quelques minutes. À un moment la fille, qui s'appelait Sandra, je précise en plein milieu de l'histoire, rien à battre. Donc ouaip, Sandra est venu poser sa tête sur mon épaule. Meuf en maillot, les cheveux humides, qui pose sa tête sur ton épaule nue, c'est genre pas possible de résister. J'avais trois choix, soit je me jetais littéralement dans l'eau en hurlant, soit je restais paralysée, soit je l'embrassais. La moi d'aujourd'hui l'aurait violée contre un mur, mais à l'époque j'étais un peu fragile donc je suis restée immobile, j'ai juste commencé à caresser son cuir
chevelu pour canaliser la torture que je subissais intérieurement. Sauf qu'évidemment, il a fallut que Sandra décide de passer son bras derrière mes épaules. Là j'étais morte, sa tête collée à mon corps, son bras dans mon dos, j'ai vu ça comme un signal subliminal de sa part alors j'ai tenté. J'ai tenté et putain, je sais toujours pas si c'était vraiment ce qu'elle avait voulu au départ mais elle a accepté mon baiser. À ce niveau j'avoue, j'ai eu une putain de chance. -Et après ? -Après ? Après c'est privé, d'autant que dans les histoire d'amour, l'intéressant c'est la rencontre, pas la relation. T'as juste à savoir que mes parents on tout fait pour que je ne la revois plus, du coup je me suis cassé dans ce bled. -Ok. Donc si je résume, l'amour au début c'est cool parce que t'es contente, ensuite faut vite se mettre en couple sinon sa craint et après c'est genre l'extase ? -Mouais, version simplifiée mais ouaip. Bon, ça pars sur le smack ? D'un œil mauvais, je regardais Lily se pencher au dessus de la table pour coller ses lèvres à celles de Lucy dans un geste légèrement timide qui, s'il ne m'avait pas rendu affreusement jaloux, aurait été adorable. Aujourd'hui, je vois trois explications à ce baiser, la première étant la grande curiosité de Lily dans tous les domaines. La seconde aurait plutôt été une sorte de vengeance sur moi vu que je l'avais invité pour me torcher sous ses yeux. La dernière et probablement la plus prétentieuse voudrait qu'elle soit amoureuse de moi à ce moment là et que ce baiser n'ait pour utilité que de me rendre jaloux. Toujours est-il que lorsque leurs lèvres se décollèrent, j'avais autant envie de frapper Lucy que Lily, je me sentais trahi par les deux, mais je me sentais aussi trop mal en point pour tenter quoi que ce soit d'autre que des insultes. -Alors ? Demandais-je avec animosité, ça te plait d'embrasser des meufs ? -Fais pas chier Mike, déjà t'es ivre mort, en plus je vois pas ce que ça peut te faire. C'est ma bouche, j'embrasse qui je veux. -Ouaip, ouaip. Putain ! En plus juste pour une histoire quoi ! On dirait tu te prostitue ! -T'es vraiment con. J'suis en couple avec personne jusqu'à preuve du contraire, j'ai le droit d'essayer des trucs, nan ? -Mais va te faire foutre ! Ta sœur aussi elle a le droit de baiser qui elle veut, pourtant tu la fais chier avec ça, nan ? -Même pas j'essaie de parler avec toi. Décuve et reviens me voir, ok ? -Attends, reviens espèce de salope ! Tandis qu'elle se levait, j'essayais de la rattraper mais le poids de mon corps était trop lourd. Aussi me retrouvais-je rapidement couché sur le sol, le bar tournant autour de moi et voyant Lily quitter l'endroit. Ce que je venais de faire, j'allais passer un mois entier à essayer de m'en faire
pardonner. J'allais aussi apprendre au bout de ce mois que ce pardon m'avait été offert dès le lendemain matin, que mes excuses n'avaient servi à rien et que Lily n'était pas du genre à écouter les propos des alcooliques. Elle est morte.
Chapitre 71 : Les vrais visages Les bonnes nouvelles tombaient les unes après les autres. Le casino était apprécié, nous avions ouvert un nouveau magasin d'armes et mon restaurant était en cours d'aménagement. Pourtant je restais anxieux et pensif. Dans mes costumes luxueux, je traversais les grandes rues de la ville, Maverick sur mes talons, et tout me paraissait sombre. Chaque infime partie de cette ville me répugnait, tant il y avait de mauvais souvenirs que je pouvais y lier. La fête de Noël, loin de me rendre heureux, m'avait rendu une nostalgie que je croyais éteinte depuis longtemps. Cette époque de vie commune avec Lily et Sarah me manquait, ce temps sans responsabilités ni problèmes, où tout était parfait. Désormais, je naviguais entre le QG de Thunder, les bars de la ville, la prison et la maison de Viktor. Je me sentais mal, mauvais, je plongeais ma mélancolie dans un alcool qui, au lieu de la noyer, ne faisait que la renforcer. Pourtant je continuais à boire par faiblesse. Dans les rues sombres de la métropole, la neige avait laissé sa place à une pluie battante et sans fin. Chaque matin, dans la pénombre hivernale, je sortais avec l'impression de me trouver dans un vieux film noir où le monde serait en différentes teintes de gris. À peine deux jours après mon arrivée, je dus me rendre dans un petit restaurant pour y retrouver Mary. De là, nous étions censés quitter l'état pour réaliser une transaction à la frontière mexicaine. Fatigué, je me rendais là bas, las et désemparé, attendant simplement et continuellement de passer à autre chose sans savoir ce que cela voulait dire. Je voyais les gens se retourner sur mon passage, probablement à cause de ma canne et de mon garde du corps, le tout saupoudré d'une évidente dépression dans mon regard. Je n'étais pas le genre de personne qui passait inaperçu, plus maintenant. À l'intérieur du petit restaurant de quartier régnait une odeur de nourriture bon marché et d'huile de friture. Le peu de clients qui s'y trouvaient discutaient discrètement, comme si ils détenaient d'importants secret. Dans un coin de la salle, entourée de deux gorilles au regard perçant, Mary attendait patiemment. Pour la première fois, elle portait des vêtements plus pratiques qu'esthétiques, une simple combinaison de sport classique, sweet et jogging, le tout parfaitement noir. Rapidement, son regard se détacha de son couteau pour se poser sur moi. Avec un sourire, elle me proposa de prendre place à sa table tandis que Maverick restait debout en arrière plan. -Prêt ? Demanda-t-elle.
-Prêt. -Dans ce cas on y va. -C'est tout ? Pourquoi prendre rendez-vous dans un restaurant si on n'y reste pas ? -Pour y manger en t'attendant, me révéla-t-elle en montrant les tâches de sauce sur la nappe. Donc on y va ? -Ouaip. C'est pour ça qu'on est là, non ? D'un seul geste, on quitta tous la table. Toujours de cette démarche lente et fatiguée, je passais la porte du restaurant pour me retrouver à nouveau devant ce monde froid et pluvieux. À chaque pas que je faisais, ma canne s'abattait sur le sol, donnant à ma démarche un son particulier, celui d'un homme à trois pieds. Toujours encadrée par ses deux hommes, Mary menait la marche. Si j'en imposais par ma tenue, elle était impressionnante de détermination. Elle avait quelque chose en elle qui nous faisait comprendre qu'entre elle et les deux montagnes de muscles qui la suivaient, c'était elle le danger. Nous formions un étrange cortège dans les rues de cette ville, souvent, les gens qui risquaient de nous croiser changeaient de trottoir. Nous étions les rois de la ville en quelque sorte, notre simple présence faisait naître la peur dans les yeux des passants. Après quelques minutes de marche, nous arrivâmes à la voiture de Thunder, une Chevrolet Suburban dernière génération parfaitement noire, les vitres comme la carrosserie. C'était presque monstrueux comme véhicule, incroyablement long et imposant. Le conducteur du SUV se pressa d'ouvrir la porte arrière pour nous permettre de rentrer dans l'intérieur en cuir blanc. Ensuite, il fit rentrer les deux gardes de Mary juste devant nous puis ce fut au tour de Maverick qui prit place sur le siège du mort, à côté du pilote. Quand tout le monde fut installé, la voiture put démarrer. On aurait presque dit que nous allions en guerre tant il y avait de passagers armés, pourtant je n'étais pas encore au bout de mes surprises. -Franck, tu sais ce qu'on va faire là ? Me demanda Mary. -Une transaction, c'est ça ? -Non. Je l'ai vendu à Wyte comme une petite fusillade, mais ce qu'on va faire est bien plus grand. On va récupérer une cargaison de drogue d'environ huit millions de dollar. -Récupérer, dans quel sens ? -Dans le sens où à la base, nous ne sommes pas les acheteurs. Par contre, me dit-elle avec le plus grand sérieux, je veux savoir si t'es prêt à mettre ta vie en jeu. -J'en sais rien...
-Si je pouvais, je ne t'aurais pas fait venir. Le problème repose sur mes hommes. -Ah ouais ? Mais t'es pas leur chef ? -De un, Los Zetas est une énorme organisation, bien plus grande que tout ce que tu pourras créer. Moi, je dirige les hommes de L.A., sauf que je ne suis leur chef que si je me comporte en tant que telle. N'importe qui peut diriger, donner des ordres, mais au final, ceux qui peuvent survivre à ce poste sont rares. Même le plus fin des stratèges ne sera pas un bon chef s'il est incapable de respecter ses hommes. Ici, tout se base sur le respect, tu ne dois pas faire tes preuves pour être dirigeant, tu dois faire tes preuves pour rester dirigeant. La moindre faute peut être fatale. Or avec toi, ils ont l'impression que j'ai commis une faute. Personne ne te connaît, ne sait qui tu es, pour eux je me fais avoir. Aujourd'hui, tu leur prouve que tu mérite ma confiance et tu auras la leur. -Très bien. Tout en sortant une flasque de ma veste, je réfléchissais à ce qu'elle venait de me dire. En réalité, je l'avais prit comme quelque chose de personnel, j'avais eu l'impression qu'elle insultait mes capacités de chef en me donnant ces informations sur le respect, mais elle n'avait probablement pas tort. Gorgée par gorgée, j'absorbais en quelques secondes son délicieux breuvage avant de remettre ma flasque dans sa poche. En jetant un coup d'œil à travers les vitres, je fut surpris de voir que devant et derrière nous, il y avait désormais deux véhicules identiques au nôtre qui venaient de nous rejoindre. -C'est quoi tout ça ? M'interrogeais-je. -Mes hommes. Comme je te l'ai dit, on ne va pas à une promenade de santé. On ne baise plus là, on fait la guerre. -À ce point là ? -Huit millions en drogue plus l'argent pour l'acheter, ça fait seize millions de dollars. C'est énorme et ça se mérite, alors ne crois pas que trois coups de feu vont suffire. -Toi aussi, tu seras sur le terrain ? -Je suis le chef. Je serais en première ligne. -Pourquoi mettre son dirigeant en première ligne ? Ce n'est pas lui qui donne les ordres ? -Non. C'est lui qui donne l'exemple. C'est ça qui nous différencie tous les deux, les gangs des mafias. Nous, nous nous affranchissons des règles établies par cette société en matière d'élite, alors que vous, vous laissez vos hommes mourrir tandis que vous savourez un steak dans votre propre restaurant à mille kilomètres de là. -Ne penses-tu pas qu'il y ait une raison à ça ? -Je ne pense pas que le poste de chef accorde à ta vie plus d'importance. La
mort d'un Homme, quelle qu'elle soit, est un fléau. Je ne pleure pas que mes amis, si c'est ce que tu veux savoir. Il n'y a pas d'anonymat, je connais tout le monde et tout le monde me connaît. Si un jour un homme refuse de m'obéir, il part ou je le tue, mais si un jour vient où ils sont trop pour que je puisse tous les tuer, alors je ne mériterais plus mon poste. -Ça ne te fais pas penser à une sorte de dictature ? -Non, car à tout moment, je suis une cible qu'il est aisé d'assassiner. Si je ne suis pas morte, c'est que je fais bien mon travail. Je suppose que tu n'as pas vécu dans la misère durant suffisamment longtemps pour t'affranchir de ces lois morales que la société t'a inculqué. Moi j'ai grandi dans la rue, seule, affamée, les passants ne m'offraient rien d'autres que des regards emprunts de pitié. Je n'ai reçu aucune aide réelle. Pourtant ce monde est dit civilisé. J'ai vu des enfants dans les même conditions que moi, nous étions tous des rebut, nous étions condamnés à vivre ainsi car le monde nous avait vu naître ainsi et que cette société en qui tout le monde croit n'a pas daigné lever le petit doigt. Ce monde est mauvais, tous ses jugements de valeurs sont stupides au point que même ses plus fervents défenseurs sont incapable de tous les respecter. Des faibles énoncent des lois pour se protéger des forts, le tout en refusant de les appliquer. Ce n'est pas ici que je veux vivre, alors tes idées de dictature, tu les garde pour toi. Dans mes rangs, on est bien plus libre que dans cette démocratie qui t'autorise parfois à choisir parmi un groupe de monstres pire les uns que les autres pour te diriger. La plupart des personnes qui m'obéissent sont des anciens flics ou militaires, ils ont connu et accepté la loi, mais se sont rapidement rendu compte de son hypocrisie. Après cette grande tirade engagée, je ne me sentais pas d'offrir une réponse, je me contentais donc de regarder la ville devenir désert à travers les vitres teintées de la Chevrolet. Dans les grandes plaines sablonneuses, nous étions le seul signe de civilisation. Cinq voitures remplis d'hommes armés, roulant à toute vitesse sur ces routes qui semblaient sorties de nulle part tellement elles contrastaient avec le reste du paysage. Ici des cactus, là des buissons asséchés, dans le ciel, un immense soleil brûlant, autour de nous, la solitude. Il n'était pas aisé de s'imaginer que Los Angeles ne se trouvait qu'à quelques kilomètres d'ici, je me sentais comme sur une autre planète. Du moins jusqu'à ce que je reçoive un appel de la part de Josh. Il suffit d'un échange de regard avec Mary pour lui demander si je pouvais répondre et obtenir une réponse positive. -Bon, t'es prêt ? Me demanda-t-il.
-Prêt à quoi ? -Ton procès. -Ah oui ! Évidement, je suis prêt. -D'accord, je peux tout officialiser ? Ton ex sera mise au courant d'ici quelques jours par un recommandé. -Très bien. -T'es sûr que c'est ce que tu veux ? Si ça commence, je ne veux pas te voir abandonner en plein milieu de l'affaire. -J'en suis sûr. -Dans ce cas, j'envoie. Stupidement, j'acquiesçais avant de raccrocher. Sous le soleil de la Californie, notre avancée continua dans le silence. Je ne saurais dire si elle s'en voulait, mais Mary avait définitivement plombé l'ambiance. Le temps passait lentement, trop lentement. Les paysages ne ressemblaient à rien et se ressemblaient tous, rien ne changeait, tout restait parfaitement identique à part l'heure affichée sur le GPS du véhicule. La moindre personne qui prenait une profonde inspiration donnait l'espoir à chacun que les discussions allaient reprendre, mais rien ne se passait. Mary, complètement isolée, regardait par la fenêtre. Dans la vitre teintée, je voyais son reflet au regard rêveur. La chaleur, l'ennui, le confort, l'alcool, tant de facteurs auxquelles on ne peut pas résister. Le trajet allait être encore long, je pouvais m'autoriser un petit somme. -------------------Monstrueux, le visage couvert de balafre, un œil rouge sang, l'autre aveugle, Tiger se tenait devant moi, l'arme pointée sur Lily. Dans la pièce silencieuse, des gouttes d'eau tombaient sur le sol à un rythme régulier, rendant l'ambiance encore plus oppressante. -Alors, Corbeau ? Tu ne veux toujours pas arrêter ? -Non. -Ah ? Alors ta fille ne vaut rien à tes yeux ? Lily était terrifiée, le canon de Tiger sur son front, elle n'osait pas bouger. Des larmes commençaient à perler sur ses petits yeux d'enfant. L'immense masse graisseuse qui la menaçait, quant à elle, riait aux éclats. -Ton empire vaut plus que ton enfant ? La chair de ta chair, le sang de ton sang ? -Ce n'est pas ma fille, je suis le Corbeau, cette fille est celle de Michael Da Silva.
-N'êtes pas vous pas la même personne ? -Non, c'était un faible, respectueux d'une société qui l'avait trahi. Ma fille ne m'apporte rien, la garder en vie n'aurait pas d'intérêt. Cette organisation, c'est elle que j'ai façonné, elle que je dois garder. -Tant pis. À peine eut-il désactivé le cran d'arrêt que Lily sortit son arme et enfonça une balle dans le ventre de Tiger. Ce dernier, la surprise sur le visage, s'écroula au sol avec un cri pitoyable. Je m'apprêtais à prendre ma fille dans mes bras lorsque Thunder apparut dans l'embouchure de la porte. Immédiatement, elle se précipita pour asséner un coup de feu mortel en direction de ma fille. -Pourquoi ? Lui demandais-je, impassible. -Franck, me dit-elle. Elle était dangereuse, un moyen de pression. La vie d'un Homme ne doit pas durer si elle met en danger ta propre existence. Il n'y a pas de chef, pas de famille, pas d'alliés, uniquement des êtres humains. La loi de la nature veut que tu survive au dépend des autres. -Je m'y refuse. -Dans ce cas tu ne m'es plus d'aucune utilité. Le coup de feu s'envola dans ma direction et je me réveillais immédiatement dans la Chevrolet de Thunder qui venait de s'arrêter en plein milieu du désert. Tachant de cacher le contenu de mon rêve, je quittais mon siège pour découvrir la chaleur étouffante du désert. Huit hommes sortirent de chacune des voitures qui nous accompagnaient, si bien qu'on se retrouva une quarantaine dans cette immensité désertique où seul le bruit des armes qu'on rechargeait venait perturber le silence. J'absorbais le reste du contenu de ma flasque avant de la ranger dans ma veste, puis nous commençâmes notre avancée dans le sable fin du désert californien. En tête, moi et Mary menions la marche, suivis de près par Maverick et les deux gorilles de la femme. Ensuite, tout le reste des hommes nous suivaient avec une démarche qui trahissait leur entraînement militaire. Au loin, des montagnes brisaient l'horizon par endroit, même en hiver, il régnait ici une déformation du paysage due à l'immense chaleur de l'endroit. À chacun de mes pas, ma canne s'enfonçait dans le sable, laissant un petit rond à côté de l'empreinte de mes pieds. À un moment, nous passâmes juste à côté d'une maison isolée. Complètement en bois, elle était occupée par une famille qui discutait sur la terrasse. Seule édifice humain, cette bâtisse qui serait apparue comme moyen-ageuse en ville paraissait ici à la pointe de la technologie. L'air stupéfait, les trois membres de la famille ne surent détacher leurs regards de notre cortège. Ils savaient probablement qui nous étions et ce que nous
venions faire, aussi entreprirent-ils d'être le moins remarquable possible. -C'est dans ce coin paumé qu'à lieu l'échange ? Demandais-je. -Ouaip, loin des regards indiscrets. Le problème c'est de les trouver. -Effectivement. Au bout d'une dizaine de minutes à marcher sans point de repère, nous finîmes par apercevoir nos cibles au loin, ils étaient comme un groupe de points noirs dans l'immensité jaune orangée. Assoiffé, je sentais ma tête qui commençait à tourner alors que Mary donnait l'ordre de courir. Tous ruisselants de sueurs, nous avancions à toute vitesse en direction du lieu de la transaction. Rapidement, je laissais tomber ma veste sur le sable, Maverick m'imita rapidement. Finalement, les masse informes l'horizon prirent apparence humaine, certaines semblaient même nous avoir repéré. Mary donna alors l'ordre à ses tireur d'élite de s'arrêter pour servir de tir de soutien. Le reste du groupe continuait sa course. En plus de courir, nous devions désormais supporter le bruit des coups de feu qui résonnaient tout autour de nous sans que l'on soit capable d'en déterminer la source. Parfois, des balles venaient se loger à nos pieds, faisant voler des petits grains brillants lors de l'impact. Quand la dirigeante de l'opération nous estima suffisamment près, il lui suffit d'exécuter un geste du bras pour que toute la troupe se colle le ventre contre le sol, la crosse de l'arme légèrement enfoncée dans le sable. Parfaitement positionnés, entièrement stables, nous pouvions commencer l'attaque. En face de nous, c'était deux groupes qui se défendaient, l'un était constitué de mexicains pures souches tandis que les autres étaient surtout des afro-américains en vêtements courts, laissant apparaître d'énormes muscles. C'était le chaos totale, les balles partaient en tout sens, seul leur bruit résonnait dans cette immensité, à chaque contact avec le sol, elles soulevaient des gerbes de sable, avec les corps, des gerbes de sang. En face, le champ de bataille était trop anarchique pour réaliser des tirs précis, les gens courraient en tous sens, vidant leurs chargeurs avant de se mettre à couvert pour recharger. Personne n'essayait de s'arrêter pour faire des tirs précis, l'adversaire bougeait en tirant sans regarder sa cible. Soudain, à quelques mètres de moi, une puissance explosion retentit. Des nuages de fumée s'envolèrent tandis que quatre de mes alliés venaient de perdre la vie suite à l'utilisation d'une grenade. Sans réfléchir, je lâchais mon arme pour poser ma main sur mon oreille assourdie par la déflagration. Je voyais le monde tourner autour de moi, le sable était en haut, le ciel en bas, les balles volaient partout, rien n'avait de logique, l'univers revenait pour disparaître avant de se rapprocher à reculons. Quand enfin je reprit mes esprits, il ne restait plus qu'un infirme dans le camp adverse.
La jambe arrachée, le jeune homme hurlait de douleur en serrant ses bras autour de la blessure comme pour faire barrage au flot de sang qui s'écoulait. Sur son visage se lisait la douleur à l'état pure, dans ses yeux se voyait la rage. Sans le moindre état d'âme, Mary gravit la dune qui la séparait de l'homme avant de mettre fin à ses souffrances dans un tir des plus précis. Ensuite, elle se contenta d'afficher un sourire satisfait et effrayant. -Bon, on récupère la dope, la thune, et on se casse ! Autour de nous, un massacre. Le sable était rouge par endroit, les corps s'entassaient, les blessures étaient affreuses, des membres avaient quitté leurs propriétaires pour se retrouver seuls à quelques mètres de là. Jusque dans nos rangs la Mort avait été rassasiée, certains de ceux avec qui nous venions courir n'étaient plus que des masse informes couchées sur le sol, la bouche pleine d'un sang déjà sec. Le spectacle semblait avoir atteint le paroxysme de l'horreur lorsqu'au loin, un de nos alliés encore vivant aperçut un groupe de gens qui arrivaient dans notre direction. À partir de ce moment, tout devint précipité. Dix secondes plus tard, nous courrions tous, moi, Maverick, Los Zetas, Mary, tout le monde fuyait les nouveaux arrivants. Nous avions le magot : plus rien ne nous obligeait à rester là. Le principal problème, c'était notre épuisement. Nous venions à peine de sortir du champ de bataille, certains étaient à moitié mort, personne n'arrivait à tenir le rythme. À chaque regard en arrière, on pouvait voir la distance qui nous séparait des poursuivants se réduire. Aussi quand la maison isolée finit par apparaître à l'horizon, l'un des gorilles de Thunder eut une idée. -Le Corbeau et Mary, allez vous cachez dans la baraque avec la thune ! Nous on se casse aux voitures et on vient vous chercher. J'étais loin d'apprécier ce plan mais lorsque la chef de gang l'accepta, je me retrouvais obligé de le suivre à la lettre. Ainsi, nous entamâmes un dernier sprint en direction de la petite cabane, laissant derrière nous le reste des hommes. -T'y crois ? Demandais-je, le souffle coupé. -À quoi ? Répondit Thunder, au moins aussi épuisée que moi. -Qu'on va s'en sortir. -Ça dépends des poursuivants. -Tu sais qui ils sont ? -Des anciens amis à toi, probablement.
Chapitre 72 : Huis clos Notre fuite improvisée continuait, la canne dans une main, je torturais mes muscles pour qu'ils me portent jusqu'à cette vieille maison. Derrière nous, les Zetas fuyaient leurs poursuivants, à notre gauche, là où nous avions placé les tireurs d'élites, il n'y avait plus qu'un sable rougeoyant sur lequel reposaient des cadavres. -Merde ! Hurla Mary, toujours essoufflée. Putain fait chier ! Ça ne devait pas ... mais alors pas du tout ... se passer ... comme ça. -C'est qui ces gars ? -Ils sont ... trois groupes ... les deux qui faisaient affaire ... sont des gangs frontaliers ... plutôt entraînés ... le troisième je ne sais pas encore. -Putain de merde ! Tes gars étaient pas censés avoir un entraînement militaire ? -Comment ... ça ? -On s'est fait ... défoncés. Pourquoi ? -On était ... quarante ... et cinq se sont postés comme ... tireur en arrière. On a fait ... du trente-cinq ... contre au moins cinquante ... on a perdu huit hommes ... et eux sont tous morts. Elle est où ... la défaite ? -On fui les renforts ... elle est là ! -C'est ... normal, ils sont ... beaucoup trop. Et ils avaient ... prévu le coup ... ils ont tué nos tireurs ... à l'avance. -Comment tu ... sais ça ? -C'est ... évident ... sinon ... ils se seraient fait ... repérés. Je sentais un point de côté naître entre mes côtes, aussi décidais-je d'arrêter ici la conversation pour me focaliser sur les derniers mètres qui me séparaient de la petite maison dans le désert. Je me retournais une dernière fois, ce qui m'arracha un gémissement, pour voir nos alliés à portée de tir des ennemis. La fuite était finie pour eux, ils avaient entamé le combat pour nous laisser un peu de répit. -Si ils se battent... vaut mieux pas aller aux voitures ... directement ? -Non, si ils ont tué .. nos snipers ... j'ai bien peur ... qu'on n'ait plu de ... voiture non plus. Bordel ... je sais pas ... qui sont ces fils de pute mais ... la maison est notre seule ... cachette. -D'accord. On entendait les balles fuser dans notre dos lorsque l'on atteignit la terrasse désertée de la maison. À chacun de nos pas, le sol en bois grinçait. Les planches grossièrement clouées s'enfonçaient même parfois, me donnant presque le vertige.
Pendant que Mary tapait violemment sur la porte pour demander de l'aide, je m'étais accoudé à la barrière en bois sculptée qui faisait le tour de la terrasse pour y reprendre mon souffle. Là, sur la table en bois, un jeu de Monopoly était resté ouvert, les billets s'envolant parfois au gré du vent. Dans l'attente d'une aide salvatrice, je regardais nos hommes se faire décimer par les renforts tout en essayant de causer le maximum de dégât dans les rangs adverses. En réalité, depuis ma position, je n'étais capable que de voir deux groupes de points noirs sur une grande étendue jaune. -Putain mais ouvrez ou je vous descend un par un ! Hurla mon associée. Les menaces firent effet puisqu'un homme d'une trentaine d'années s'empressa alors d'ouvrir la porte. Ses vêtements blancs étaient recouverts par le sable et ses cheveux en bataille semblaient ne pas avoir été lavés depuis des jours, malgré ça, son sourire était des plus civilisés. -Que faire ici ? Demanda-t-il avec un accent que je peinais à reconnaître. -On rentre, répondit Mary. Sans prendre la peine de lui demander de son avis, nous pénétrâmes tous les deux dans la petite bâtisse en bousculant le pauvre homme sur notre chemin. À l'intérieur, il n'y avait qu'une seule pièce parfaitement éclairée par un puissant soleil. Ici, un lit deux places, là bas une chambre d'enfant, dans l'angle, une télévision des années quatre-vingt, le tout sans le moindre cloisonnement, parfaitement ouvert sur le reste de l'intérieur. C'était une architecture originale mais très agréable qui permettait de ne pas se sentir à l'étroit malgré le peu de superficie de l'endroit. Sur le canapé, son fils dans les bras, une femme nous regardait avec méfiance. Son enfant, qui devait avoir le même âge que Lily, nous observait en s'interrogeant probablement sur notre nature. Des trois habitants, c'était ses yeux qui dégageaient le plus d'intelligence. -Porqué estan en nuestro casa ? Demanda l'enfant. L'espagnol imparfait de ce dernier était légèrement compréhensible, en revanche, la réponse de ses parents, bien trop rapide, fut complètement indéchiffrable. Dehors, les coups de feu avaient cessé, il ne nous restait plus beaucoup de temps et pourtant tout le monde semblait figé. Il n'y avait que Thunder qui, peu regardante de la politesse, avait bu la quasi totalité de la bouteille d'eau qui était posée sur la table à manger. De notre côté, moi et les propriétaires nous livrions une sorte de bataille du regard. -Bon ! Finit par déclarer Mary, il nous faut une cachette. Ils n'auraient pas un
sous sol ? Elle leur posa la question en espagnol mais personne ne répondit. Au bout de quelques secondes, l'enfant se décida à l'aider en pointant du doigt un groupe de planches légèrement surélevés à côté du lit des parents. Je me précipitais alors dans sa direction pour la soulever et me glisser dans un endroit mal éclairé, oppressant et nauséabond, mais bien plus sûr que l'étage supérieur, pour peu que personne ne nous dénonce. En haut, on pouvait entendre le silence que nous avions laissé derrière nous, personne n'osait plus parler. Dans la pénombre quasi-totale de la cave, seules les faibles tranches de lumières qui passaient entre les planches nous offraient un éclairage. Je sentais l'adrénaline couler dans mes veines, mon coeur battre à toute vitesse, mes jambes trembler, mais je tentais de rester immobile, sans produire le moindre son, dans la simple attente d'une nouveauté. Finalement, les coups à la porte retentirent de nouveau, mais cette fois-ci nous les entendions depuis l'intérieur. Une autre différence fut la patience de la personne qui, au bout de trois chocs, enfonça la porte qu'on entendit s'écraser au sol juste au dessus de nos têtes. -Où sont ces fils de putes ? Hurla une voix que je reconnaîtrais entre mille. Pendant quelques secondes, personne ne parla, on ne pouvait qu'entendre le bruit des pas d'une dizaine d'hommes qui pénétraient dans la cabane. Face à cette évidente supériorité numérique, il ne nous restait plus qu'à espérer la coopération de nos hôtes. -Vous là, reprit la voix, les trois merdeux. Où vous les avez foutu ? Putain mais me regardez pas avec vos yeux de pécore attardés, je vous ai posé une putain de question ! Cette fois-ci, silence complet, seule la rage bouillonnante de Triple-Face venait perturber le calme. C'était silencieux, parfaitement inaudible, mais tout le monde la ressentait, même ceux qui ne pouvaient pas le voir. -Écoutez moi bien, ermites de mes deux, si vous ne me donnez pas la salope de blondasse que vous venez d'héberger, j'enfonce une balle dans le crâne de votre putain d'enfant. Ça n'avait plus de sens, pourquoi ne parlaient-ils pas ? Personne ne pouvait mettre en jeu la vie de son fils pour des inconnus. Je restais stupéfait, ne comprenant pas ce qui maintenait la bouche des ces gens parfaitement fermée. À moins qu'ils ne comprennent pas un mot des insultes de Luìs. -Bon, ok, adìos amigo, dit-il en appuyant sur la gâchette.
Le coup de feu retentit, pas besoin de voir la scène pour comprendre ce qui venait de se passer, le cri de la mère était bien suffisant. Perçant, strident, plaintif, comme venu d'un autre monde où la douleur serait reine. Cette femme venait de découvrir la plus grande douleur que le monde pouvait lui offrir et cette douleur était contagieuse. Je ne pouvais pas laisser ça impuni, je ne pouvais pas continuer à me cacher pendant que Luìs décimais des innocents, je n'avais pas atteint ce point là de monstruosité. De par ses cris, il était facile à localiser, je vins alors me placer juste en dessous de lui, l'arme à la main, et... -AAAAAAAAAAAAAH ! Putain de ..... ! AAAAAAAAAAH ! Dans un énorme choc, il s'écroula sur le sol, se roulant sur ce dernier en lâchant des cris de plus en plus insupportables à écouter. Ses hurlements ses joignaient aux pleurs de la mère pour former un orchestre qui me rendait fou, je perdais tout sens moral, je n'étais plus moi même. -Hey ! Hurlais-je. Vous voyez l'état de votre chef ? Vous voulez la même chose ? Alors barrez vous ! -Putain mais t'es qui ? Demanda Luìs entre deux cris. -Le Corbeau. -On va te descendre, sale fils de pute, on va te descendre ! Personne n'osait bouger, je savais que j'étais une cible facile, que je n'étais pas en sécurité. Si l'envie leur prenait, il suffisait aux hommes du 18st de tirer dans le plancher et il était très probable que je ne survive pas à l'attaque. Pourtant, je restais droit, sûr de moi, je n'avais pas peur. Dans la maison, ils pensaient trouver une Mary Thunder seule, or j'étais là, peut être étions nous une dizaine dans ce sous sol. Les risques étaient trop grands pour qu'ils n'osent ouvrir le feu. -On fait quoi ? Demandais-je silencieusement à ma partenaire. -On temporise. -Comment ça ? -Les renforts arrivent. -Sûre ? -Sûre. Pas entièrement convaincu, je me déplaçais furtivement jusqu'au mur le plus proche où je pris appui. En haut, le temps avait l'air de s'être arrêté. Plus de bruit, plus de mouvement, même l'Enragé avait cessé de hurler. Derrière moi, je sentais les fondations en bois sablonneux de la maison, je n'osais pas trop me reposer, de peur qu'elles ne s'effondrent sous mon poids. Dans l'obscurité silencieuse, le toucher était devenu mon seul sens, aussi
caressais-je avec automatisme le mur dans mon dos pour me rappeler que j'existais. Il ne se passait plus rien, un compte à rebours invisible s'était déclenché mais personne ne savait où il en était et personne n'osait en modifier le cours. Nous n'étions que des statues dans un immense tableau macabre. -Michael ! Hurla Luìs tout en me faisant sursauter. C'est ça putain ! T'es Michael Da Silva, je me disais bien que je connaissais ta putain de voix de fils de pute. Je ne savais pas quoi répondre, en face de Mary chaque option me paraissait mauvaise. Si je me dévoilais, je prenais un risque, si je mentais, elle garderait des doutes. En même temps, Luìs était sous le choc, ses propos étaient ceux d'un infirme... -Non ! Ce n'est pas moi, malheureusement. -Malheureusement ? Va niquer ta mère, on s'en fout de qui t'es, tu m'as explosé les couilles, ne crois pas que tu vas t'en sortir. J'ai encore plein d'hommes à l'extérieur qui attendent juste que tu sorte pour te détruire. -Je prends note. -T'es pas obligé de crever ici, tu peux me passer cette salope de Thunder avec sa thune et sa drogue. -J'y gagne quoi ? -Tu restes en vie. -Je n'ai pas besoin de toi pour ça. -C'est ce qu'on va vo... Putain c'est quoi ça ? À quelques mètres de là, au dessus du plancher, de l'autre côté des murs de bois, un hélicoptère approchait. Ça n'avait aucune logique, mais c'était bien réel, Luìs l'avait entendu et était probablement aussi surpris que moi. -C'est tes gars ? Demandais-je à Mary. -Non ! On n'a pas d'hélico. -Mais c'est qui alors putain ? Tout le monde dans la cabane baignait dans l'incompréhension, encore plus quand les coups de feu commencèrent à résonner au dehors : les hommes de Luìs postés à l'entrée allaient passer un mauvais quart d'heure. C'était impressionnant, dans les ténèbres, j'entendais la violence, les pales qui tournaient, les corps qui s'effondraient, les balles qui volaient, pourtant personne ne comprenait rien. -Mais à qui est ce putain d'hélicoptère de merde ! Hurlait Luìs, toujours couché sur le sol.
Personne ne répondit, personne ne savait. Tandis qu'au dehors, c'était la débandade, ici personne n'osait faire quoi que ce soit. Intérieurement, tout le monde espérait sans doute que les nouveaux venus soient des alliés et pas un autre groupe mis au courant de la transaction. Il n'y avait plus que de l'attente, une attente terrifiante où chaque corps qui tombait dans le désert pouvait être un rempart de plus qui s'écroulait entre nous et la mort. Incapable de faire quoi que ce soit, je restais collé à mon mur, le corps tout tremblant. Le bruit des pales finit par s'arrêter, tout comme les coups de feu. D'ici, on entendait les pas résonner contre les murs, il y avait un groupe d'une bonne dizaine de personnes en approche, et nous n'étions pas en mesure de les identifier. Pendant une seconde vint un calme profond, plus de mouvement, ni dans la maison, ni dans le désert, puis la tempête démarra. Pas de sommation, pas de demandes, pas de quartiers, pas de préavis, une simple pluie de balle qui ne s'arrêta que lorsque tous les hommes au dessus de ma tête se transformèrent en tas de chair troués et couverts de sang. À certains endroits, des gouttes de ce liquide rouge s'infiltraient à travers les planches pour tomber sur le sable de la cave et disparaître dans son obscurité. Au dessus, les arrivants marchaient en direction de la dalle, ils connaissaient son existence. Un intense faisceau de lumière pénétra dans l'endroit. L'une après l'autre, deux chaussures luisantes malgré le sable qui s'y était accroché descendirent les marches pour nous rejoindre. Mary et moi, pétrifiés, étions au bord de l'évanouissement, c'était cet homme aux chaussures de luxe qui allait déterminer notre avenir, c'était ces bruits de pas qui se rapprochaient en descendant les marches qui comptaient les secondes qui nous restaient à vivre. -Franck, si t'es mort, dis le moi tout de suite, que je n'ai pas à descendre dans cet endroit crasseux. C'était Wyte. Rien ne pouvait décrire le soulagement qui venait de naître en moi. Dans l'impossibilité de me contrôler, j'éclatais de rire en me laissant glisser le long du mur pour me retrouver assis sur le sol, mes fesses posées sur le sable fin. Je le regardais apparaître dans l'embouchure de la trappe, dans sa gestuelle toujours aussi travaillée, il jeta un regard dans ma direction, observa le stupide être humain qui se bidonnait alors qu'il venait de frôler la mort puis remonta comme il était venu. -Bon, Corbeau de mes deux, m'appela Lucy. On a loué ce putain d'hélicoptère
alors si tu pouvais remonter, ça nous permettrais d'économiser un peu de thune. -J'arrive, lui répondis-je au bord des larmes. Quatre à quatre, je gravis les marches pour me retrouver dans la cabane ensanglantée. Ici, les corps s'entassaient, certains étaient tombés sur les lits, d'autres sur le canapé, au sol, Luìs était étendu juste au dessus du corps de l'enfant. Immobiles et intacts, les deux parents regardaient la scène sans oser faire le moindre geste, les yeux de la mère étaient encore rougis par ses larmes. Je me sentais honteux, j'avais l'impression que tout ça était de ma faute. Dès qu'elle sortit à son tour de la cave, je pris la malette des mains de Thunder pour donner une partie du contenu à ces pauvres gens. Je ne reçus rien d'autre qu'un refus, les billets restèrent au sol, je les comprenais. Je laissais l'argent sur les planches de bois avant de quitter l'endroit, des larmes plein les yeux. -Tu peux remercier Maverick, m'expliqua Lucy. Quand il a vu que ça partait en sucette, il a donné l'adresse et on s'est direct bougé le cul. -Merci, répondis-je simplement. Je pris place dans l'immense hélicoptère noir, le pilote me salua et je lui rendis son salut. Autour de moi, des inconnus, des hommes habillés en guerriers, des mercenaires. Mary, encore sous le choc, tremblait légèrement. Wyte, quant à lui, avait le regard perdu à l'horizon, comme pour intérioriser les récents événements. Maverick et Lucy discutaient calmement, tout ça avait presque l'air routinier pour eux. J'avais tué un enfant... -Ça va ? Me demanda la punk. -Nan putain ça va pas, j'ai rien compris. Luìs est mort, un gamin s'est fait tué, Maverick était dans la fusillade et là il est en vie, l'hélicoptère qui arrive au bon moment, les renforts de Mary que tout le monde semble avoir oublié, l'histoire des tueurs d'élites qui étaient déjà morts, putain tout ça n'a pas de sens ! -T'es sous le choc, faut que tu te détende. -Que je me détende ? Putain y'a une centaine de gars qui sont morts aujourd'hui, alors ne me demande pas de me détendre ! La vie de ce gamin, elle a été prise pour sauver la notre. Tu sais ce que je ferais si un fils de pute faisait ça à Lily ? S'il la laissait mourrir sous mes yeux pour rester en vie ? -Calme toi, calme toi. Ça ne sert à rien de te remette en question. Alors que les pales se remettaient à tourner, je me demandais à partir de quelle hauteur sauter me serait fatal. Je serais incapable de me regarder à nouveau dans un miroir, alors pourquoi continuer à vivre ?
-Si tu veux, je peux répondre à toutes tes questions. Si Mave est en vie, c'est parce que lors de la séparation, il est parti se foutre dans les cadavres des tireurs d'élites et il a fait le mort. -Tu parle d'un garde du corps... Il connaît une bonne cachette et il y va seul. -Mary et toi étiez suivis du regard, s'il vous avait invité, la cachette aurait perdu son intérêt. Quant à la mort des tireurs, c'est Luìs qui a fait ça. Il avait envoyé une équipe pour supprimer vos couvertures. Les snipers, ça a marché, ensuite ils ont récupéré les Chevrolet pour les emmener loin. Son plan était loin d'être con. -Pourquoi arriver depuis le Mexique alors qu'on vient tous les deux de L.A. ? -Il devait avoir ses raisons, mais là il est mort, donc on risque pas de lui demander. Pour les renforts de Los Zetas, bah s'ils arrivent, ils vont probablement être déçus. -Ok...ok...ok... Mais merde ! Luìs est mort ? -Ouaip. Bon débarras. -Putain, et ces gens... Ces gens... Ils ont tout vu, ils ont perdu leur enfant. -Bienvenu dans ton monde. Ici, ce sont les meilleurs qui partent les premiers, alors essaie d'être le pire.
Chapitre 73 : Monde cruel Dans les airs, je me laissais bercer par le son redondant des pales de l'hélicoptère. Malgré le bruit assourdissant au dehors, ici tous les passagers étaient calmes. Après avoir pris toutes ces vies, personne ne se sentait en mesure de parler. En fermant les paupières, je voyais le visage de ce pauvre garçon dont j'avais pris la vie. Je me sentais honteux d'être incapable de comprendre cette douleur, de ne pas pouvoir la projeter sur moi, la partager avec les parents de la victime. -Bordel, Mary, t'es complètement conne ? Demanda Wyte. Tu envoie le Corbeau à la mort, sans prévenir personne et sans protection ? Ce sauvetage est tellement surréaliste que je ne comprends même pas comment il a pu avoir lieu. -C'était pas prévu, se défendit la chef de gang, ça devait pas se passer comme ça. -Et moi j'étais pas censé être appelé par Maverick en plein milieu de l'aprèsmidi pour récupérer un hélico et une équipe de mercenaires, pourtant je l'ai fais. Tu sais combien ça coûte, un soutien aérien ? C'est toi qui vas tout payer, évidement. Bordel de merde, si ils avaient été légèrement plus lents, vous seriez tous les deux des putains de cadavres. -J'avais des hommes qui arrivaient, on s'en serait sortis. -Nan, l'équipe des voleurs de voitures de Luìs gardait la route, on les a vu en arrivant, c'est comme ça qu'on a compris leur plan. Tes gars qui vont arriver, ils vont se faire descendre sur l'autoroute, à ta place j'annulerais leur ordre de mission. -Je m'en charge. Mary faisait des efforts surhumains pour se laisser faire ainsi sans riposter, elle savait qu'elle avait tort mais on sentait bien une certaine réticence à l'assumer. Pendant que Wyte se tournait vers moi, la jeune femme récupéra son téléphone pour appeler ses hommes. -Ça va ? Me demanda mon conseiller. -Non. J'y comprends rien, que Lucy aille se faire foutre avec ses explications, toute cette merde n'a pas de sens, un point c'est tout. Je m'en fou de comprendre, mais essayez pas de m'embobiner avec vos conneries de rationalité. -Comme tu voudras. Tu as besoin de quelque chose ? -Ouaip, ouaip putain j'ai besoin de quelque chose. J'ai besoin d'un verre, un énorme verre. -J'en ai pas ici, m'avoua-t-il en s'excusant. Par contre, il y a de l'alcool à la Cage aux oiseaux.
-Dans ce cas, c'est là bas qu'on va. Il est ouvert ? -Ce matin même. Navré que tu n'ai pas été là pour l'inauguration. -Rien à foutre, j'en ai marre de tout ça. Je ne sais même pas si je vais continuer, ce monde n'a pas le moindre sens. -Tu es sous le choc, on verra ça demain. -On ne verra rien du tout. Désireux d'oublier tous ces problèmes, ces enjeux, ces conneries en tout genre, je me laissais glisser le long de mon siège pour m'enfoncer dans le cuir. Définitivement, j'étais bien trop perdu pour vivre ici. -----------------L'endroit ne puait pas encore la sueur et l'alcool mais ça n'allait pas tarder. Dans l'arrière salle réservée aux buveurs invétérés, le bar était plein, chaque fauteuil était occupé par un homme plus ivre que son voisin. Aux murs, des néons en toutes sortes nous rappelaient que nous nous trouvions dans une société de consommation en nous encourageant à acheter des alcools de certaines marques. Le bruit des discussions, presque étouffé par celui des verres qu'on vidait, provoquait un brouhaha incessant aux allures réconfortantes. Dans mon verre, je regardais mon reflet déformé à la fois par le liquide et par le voile d'ivresse qui se dressait devant mes yeux. La serveuse, une jeune femme d'à peine vingt-cinq ans, remplissait à toute vitesse les verres de tous ses clients tout en repoussant inlassablement les avances de quelques vieux lubriques. -M'dame ! L'appelais-je, un autre ! -Vous êtes sûr ? C'est déjà votre dixième. -Rien à faire, je bois c'que je veux. Nonobstant le monde légèrement flou autour de moi, je ne pouvais m'empêcher d'admirer le corps de cette femme. Malgré sa profession quasiment précaire, elle portait un polo Ralph Lauren noir qui moulait parfaitement une poitrine généreuse. Sous l'éclairage obscure de l'endroit, ses yeux d'un bleu profond ressortaient d'autant plus sur sa peau presque mat. Quant à ses cheveux blonds et ondulés, je n'aurais su les décrire autrement qu'en les qualifiant de magnifiques. -Comment vous avez atterri ici ? Demandais-je lentement, pour me faire comprendre au mieux. -C'est un job comme un autre, répondit-elle en servant un autre client, j'avais besoin d'argent et me voilà. -Vous n'avez rien trouvé de mieux que barman ?
-J'ai toujours aimé faire des cocktails, donc... -Mais là vous ne faites rien. Vous servez une bande de poivrots obsédés, il n'y a pas mieux comme endroit ? -Le bar vient d'ouvrir, je n'avais aucune idée du genre de clientèle qui allait s'y trouver. -Bah putain ! Vous avez dû être déçue, déclamais-je en riant. Tandis qu'elle remplissait de bière la chope d'un des hommes assis au bar, j'en profitais pour vider mon verre tout en la regardant s'activer avec une grâce presque féline, indigne de sa profession. -Vous êtes belle. -Vous me draguez ? -Je constate. Vous auriez pu être mannequin ou je ne sais pas. -Ça ne me fait pas envie, il n'y a rien de plus affligeant que d'être simplement considérée comme un "beau morceau". -Pourtant c'est ce qui se passe ici. -Si ça continue comme ça, je vais probablement quitter ce poste. -Pour aller où ? -Dans un meilleur endroit. -Si vous pouviez aller dans un meilleur endroit, pourquoi commencer par ici ? -J'en sais rien, parce que le bar d'ici vient d'ouvrir, ça pouvait... Oh et puis merde, on ne se connaît pas, je ne sais même pas pourquoi je vous raconte ma vie. -Parce que je vous le demande. -Écoutez monsieur, là, je dois travailler, je n'ai pas vraiment le temps de parler. -Je comprends. Évidement, ce n'était pas suffisant pour me faire partir. Je me contentais de rester là, à enchaîner les verres les uns après les autres. Je sentais mes barrière sauter les unes après les autres, il me fallait douze verre pour oser en prendre un treizième, à chaque nouvelle gorgée, l'envie revenait de plus belle. J'étais incapable de m'arrêter, d'autant que la vue était suffisamment captivante pour rester assis là toute la nuit. Chacun des mouvements que faisait cette serveuse était d'une beauté magistrale, j'étais conquis, hypnotisé. -Vous travaillez jusqu'à quelle heure ? -Pourquoi cette question ? -J'aimerais bien vous inviter à sortir, lui avouais-je en me retenant de vomir sur le comptoir. -Ça ne m'intéresse pas, me répondit-elle avec un sourire gêné. -Allez, faites pas votre sainte nitouche, juste un restaurant. -Non, je suis fatiguée, je compte bien aller me coucher après le service.
-On peut coucher aussi, ça ne me dérange pas vous savez. La jeune femme eut d'abord un geste de recul avant de reprendre son service comme si de rien n'était. À chaque fois que lui parlais, elle faisait comme si elle ne m'entendait plus, chacun de mes mots semblait ne plus atteindre ses oreilles. J'avais beau lui donner des noms gentils comme "poupée" ou l'insulter en la traitant de salope, le résultat restait le même. J'étais insatisfait, je la voyais, en face de moi, une beauté parfaite, et pourtant elle m'ignorait. -Hey, merdeuse, t'sais à qui il est, ce bar ? Hein, putain, tu sais à qui il est ? C'est le miens, bordel de merde, c'est mon putain de bar. Alors tu vas arrêter tout de suite tes conneries, sinon t'es virée. Elle continuait à m'ignorer. Probablement se cachait-il un esprit limité sous ses aires de fausse bombe. Je n'en pouvais plus de la voir ainsi déambuler dans mon propre bar sans me respecter. Regarder sa poitrine se balancer quand elle courrait d'un client à l'autre était devenu un calvaire, voir sa chevelure blonde voler dans les aires était insupportable. Elle était parfaite et pourtant inaccessible, elle me donnait envie de vomir et de pleurer. Les deux furent fait. À un moment, je ne saurais dire lequel précisément, je me retrouvais à ramper sur le sol en direction de la sortie, l'esprit complètement éteint et la vision floutée. Rien ne m'apparaissait claire, autour de moi, le son des voix se mélangeait pour créer une sorte d'acouphène qui resta même lorsque je quittais le bar. Dehors, la pluie tombait. Tel un ivrogne sans domicile, je me reposais dans l'entrée, à côté de la poubelle, et j'attendis que le temps passe. J'étais complètement déstabilisé, parfois je voyais des voitures me foncer dessus pour m'éviter au dernier moment. En face, un groupe de jeune me regardait en riant, tirant parfois des bouffées de fumée sur leurs cigarettes. Moi même je riais avec eux, heureux de les voir heureux. Dans la nuit, le moindre signe de vie était réconfortant. Finalement, la serveuse s'était décidée à sortir. Sans me voir, elle quitta le restaurant pour rentrer chez elle. De mon poste d'observation, je la regardais s'avancer sous son parapluie, j'admirais ses jambes moulées dans son pantalon. Quand elle passa devant moi, je la traitais de salope pour me venger de son mauvais comportement. Sans faire attention à moi, elle continua sa route. Les jeunes qui avaient assistés à la scène n'y réfléchirent pas à deux fois. Il se précipitèrent vers moi, désireux d'aider la "belle femme en détresse". À quatre, ils m'entourèrent et me posèrent des questions que je comprenais pas. Je savais ce qu'ils voulaient faire, je pouvais aisément me l'imaginer, or c'était inadmissible. Péniblement, je tirais mon arme de son étui mais mes mains tremblantes la laissèrent tomber au sol.
Là, seul, ivre, dans la nuit, sous la pluie, je n'ai gardé de cette nuit que mes sous-vêtements et les cicatrices de nombreuses blessures. J'y ai perdu tous mes biens matériels ainsi que la majeure partie de mon amour propre. Le lendemain matin, je me réveillais minable. Tout mon corps était douloureux, autant à cause de la dose d'alcool que j'avais ingurgité le soir précédant que des coups qu'on m'avait asséné. À certains endroits, le sang séché avait créé des croutes sur ma peau endolorie. Dans le ciel, le soleil était déjà haut, nous avions au moins passé midi. J'essayais de chercher une solution à mes problèmes mais dans ma tête, je n'entendais qu'un bourdonnement incessant, comme si tout un essaim d'abeilles y avait élu domicile. Je me contentais donc d'attendre, comme à mon habitude, j'espérais que le monde me viendrait en aide. Mais évidement, je n'avais que l'apparence d'un ivrogne parmi tant d'autres. Si les gens se retournaient, c'était simplement pour se moquer de mon absence de vêtements. Je les regardais avec haine, je les méprisais presque plus qu'ils ne me méprisaient. Tous me dégoûtaient, j'avais envie de leur cracher dessus, pourtant je savais que je ne méritais pas leur aide. Je savais que je méritais ma place ici, en tant que déchet. Alors que la journée était déjà bien entamée, une femme m'aperçut, une beauté sublime, sa silhouette me rappelait quelqu'un mais il me fallut plusieurs secondes pour faire le lien entre elle et la femme du soir précédant. Honteux suite à cette découverte, j'essayais en vain de me faire tout petit, de disparaître à ses yeux, mais c'était trop tard, elle m'avait vu. Accélérant le pas, elle vint à ma rencontre, les yeux emplit d'une étonnante pitié. -Comment vous en êtes arrivé là ? -Après mon comportement d'hier soir, j'ai rejoins les miens. Dis-je en désignant les déchets qui s'entassaient autour de moi, fier de la tournure de ma phrase. -Qui vous a volé vos vêtements ? -Des jeunes... Vous n'étiez pas là ? -Non, je ne crois pas, je vous aurez aidé sinon. Je suis vraiment désolée, monsieur... En disant ça, elle me tendit une main délicate que je m'empressais de serrer. Sa peau était douce, pure, parfaite, pourtant ses muscles furent suffisant forts pour me remettre sur pattes. -Raven, Franck Raven. -Vous n'êtes pas sérieux ? -Si, parfaitement. -Mais donc vous êtes vraiment le...
-Oui, oui. À votre place je démissionnerais, lui avouais-je sur le ton de la plaisanterie. -Oh non ! Je suis vraiment, mais vraiment désolée. -Y'a pas de quoi, c'est moi qui suis désolé. On pourrait rentrer si ça ne vous dérange pas, je me les caille un peu ici. Elle eut un rire gêné avant de me faire rentrer à l'intérieur du restaurant. Dans la chaleur de l'endroit, la salle était presque vide. Les quelques rares clients qui mangeaient ici se retournèrent immédiatement en me voyant arriver pour se moquer de ma tenue. Sans y prêter attention, je traversais la grande salle pour monter à l'étage où se trouvait mon bureau. Dans la petite pièce tamisée sans autre décoration qu'une table avec un téléphone, je composais en vitesse le numéro de Wyte pour lui demander de m'apporter de quoi m'habiller. Pendant tout la conversation, la serveuse était restée dans l'entrée, ne sachant si elle avait la possibilité de rentrer ou la responsabilité de retourner gérer le bar. Quand finalement je raccrochais le téléphone, elle me regarda fixement pendant plusieurs secondes avec une expression indéchiffrable. -Je crois que je vais démissionner, dit-elle finalement. Ce n'est pas vraiment le genre d'ambiance que je recherche. -Oui, je crois l'avoir compris. Pour un premier jour, on n'est pas sur quelque chose de très encourageant, je m'en excuse. -D'accord. Elle commença à partir puis, au dernier moment, sembla se raviser. Oh et la prochaine fois, essayez de ne pas insulter vos employées. -J'y tacherais, lui répondis-je, légèrement honteux. Quand je me fut assuré de son départ, j'enfonçais violemment mon poing dans un des murs pour libérer la haine que j'éprouvais contre moi même. Je me sentais stupide, minable, ridicule, pitoyable. Je me demandais encore une fois comment un homme comme moi pouvait gérer quelque chose d'aussi important que toute une organisation criminelle. À peine quelques minutes après le départ de la serveuse, Wyte pénétra dans le bureau, légèrement essoufflé et un sac de vêtement au bout du bras. Recroquevillé dans un coin de la pièce, les yeux rougit par la colère, je n'osais pas le regarder en face. -Qu'est-ce que t'as encore foutu, Mike ? On te sauve la vie de justesse pendant une fusillade et toi tu viens te faire tabasser en centre ville. -Je sais, j'en ai marre d'être ce genre de merde. J'ai pas l'étoffe d'un dirigeant, je suis pas fait pour ça. -Ah oui ? Et pourquoi ? -J'suis qu'un connard, pas foutu de faire quoi que ce soit avec ses dix doigts. Si
je regarde dans ma vie, je ne vois qu'une liste d'échecs cuisants. Mes seules réussites n'ont eu pour but que de me faire tomber d'encore plus haut. -J'apprécie ton optimisme, mais Mike, t'as ouvert ce restaurant, ces deux magasins d'armes et ce casino, là t'as créé quelque chose. Si t'as l'impression de tout rater, c'est parce que tu passe ton temps à abandonner. Alors aujourd'hui, tu arrête de fuir et tu te bas pour ce que tu es. En attendant, explique moi ce qui s'est passé. Pendant que j'enfilais le jean et le t-shirt que Wyte venait de m'apporter, je lui expliquais avec plus ou moins de détails les événements de la veille. Plus l'histoire avançait, moins j'avais envie de la continuer tellement chacun de mes actes me paraissait stupide et irréfléchi. -T'as un vrai problème sur l'alcool, finit par conclure mon conseiller. Tu veux pas qu'on fasse quelque chose ? -Tu veux parler d'une cure ? Très peu pour moi, j'ai pas envie de passer les prochaines années surveillé par une bande d'infirmiers. Mais je vais essayer de me réguler, ouaip. -Bon, on va faire avec. Par contre, où était Maverick quand tu t'es fait battre ? -Après son soit disant éclair de génie, j'avais décidé de lui donner sa soirée, surtout que j'aime pas picoler en présence de mes connaissances. -La prochaine fois, garde le avec toi. C'est quand il n'est pas là que tu cours des risques, alors ne te met pas encore plus en danger. -Je retiendrais le conseil. -J'espère bien. Les jours suivants, j'ai tenté de boire le moins possible et je suis toujours resté en présence de Maverick. En fait, je n'ai rien fait des jours suivants. Je suis resté chez Viktor et j'y ai passé le temps. Je ne voulais voir personne, ni Thunder, ni mon conseiller, ni mon ami en prison, alors je restais enfermé. Pendant toutes ces journées passées à attendre, ma seule occupation consistait à surfer sur différents sites immobilier pour chercher une maison à acheter. Parfois, quand j'en trouvais qui attiraient mon attention, je partais les visiter et j'en profitais pour réapprovisionner le frigo. J'ai énormément souffert, à la fois l'alcool, la solitude, la constante remise en question, rien n'allait. Incapable de me regarder dans un miroir sans avoir envie de le briser, je laissais mon apparence physique se détériorer au fil des jours. Moins je buvais et plus mon addiction se renforçait, chaque jour, les tremblement mettaient un peu moins de temps à apparaître. Parfois, je tentais d'y résister au point d'entendre des bruits partout autour de moi, j'en arrivais à développer une sorte particulière de paranoïa. Il m'arrivait aussi que trop faible, je m'écroule juste devant la bouteille, incapable de la récupérer. Dans ces situations, je me sentais partir parfois pendant des heures durant jusqu'au
moment où une dernière bribe de volonté refaisait surface pour me permettre de rester en vie. Quand mes amis m'appelaient, j'écourtais au maximum la conversation. Chacune de leurs voix me rappelaient la mort de cette enfant qui aurait pu être Lily. Elles me rappelaient quel genre de monstre j'avais choisi d'être. Au final, dans ma routine ennuyante, je ne vis même pas passer le nouvel an. Ce soir là, comme tous les soirs, je suis allé me coucher à vingt-trois heure, ivre, et je me suis réveillé le lendemain vers dix heure avec une énorme gueule de bois. C'est en observant les messages de la nuit que j'avais découvert le passage de la fête. Quand je me suis rendu compte de mon niveau de déconnection, j'ai décidé d'agir, de participer à ce grand empire que je dirigeais. Trois jours plus tard, j'avais réinvesti tout l'argent qu'il m'avait rapporté dans différents bâtiments. Désormais, j'étais le propriétaire de cinq magasins d'armes ainsi que du plus grand casino illégal de la ville. J'étais à nouveau complètement fauché, je logeais chez un ami, mais mes revenus allaient bientôt grandir. Cependant, je ne me sentais pas satisfait, les manipulations bancaires ne me suffisaient pas, il me fallait du concret. C'est pourquoi, après avoir entamé mon expansion, je décidais de supprimer la concurrence. Ainsi, pendant les jours suivants, je mis à mal différents commerces en compagnie de Lucy et de Maverick. Toute méthode était bonne, braquage, incendie, kidnapping, rien ne nous arrêtait. Je retrouvais l'adrénaline, l'action. Tout était d'une facilité déconcertante comparé à ce que j'avais pu faire auparavant mais je me sentais utile. Avec ces régulières activités, j'en vins presque à oublier de boire, la peur de la mort étant la meilleure de toutes les drogues. Au final, je passais mes journées sur le terrain, ce qui me permettait d'être trop fatigué la nuit pour me questionner sur moi même. Petit à petit, je me sentais grandir, devenir quelqu'un dans cette ville. Finalement, le début prochain du procès pour la garde de Lily m'obligea à m'acheter une maison. Je passais donc une semaine entière à faire le tour des propriétaires avant de jeter mon dévolu sur une immense villa de Beverly Hills. La propriété, une sorte de manoir au style méditerranéen, était de toute beauté. Dans un jardin verdoyant parfaitement entretenu, des haies taillées côtoyaient différents arbres et plantes. La maison, quant à elle, comptait plus de cinq chambres, le même nombre de salles de bain, un gigantesque salon, une gargantuesque cuisine et un tas d'autres pièces dont je ne comprenais pas l'utilité. En réalité, cette maison était bien au dessus de mes moyens et je ne vivais que dans une infime partie de
celle-ci, mais elle allait m'aider à gagner ce procès. Je quittais cette ville à la fin du mois du Janvier, riche et prospère, mais apeuré par la réaction d'une Sarah qui ne m'avait toujours pas contacté depuis qu'elle avait reçu sa citation à comparaître...
Chapitre 74 : Terre civilisée Avais-je changé ? C'était une question récurrente dans mon esprit, pourtant je n'ai que rarement été capable d'y répondre. En me regardant dans le hublot de l'avion, c'était un tout nouvel homme que j'y voyais. Un bouc soigné, des cheveux propres, tirés en arrières dans une coupe volumineuse, des cernes sous les yeux, un nez rougit par l'alcool. Moi même je ne me reconnaissais plus, pourtant je n'avais pas l'impression d'avoir changé. J'étais resté le même homme, j'étais toujours aussi stupide. Le passé m'attrayait toujours autant, les souvenirs restaient les seuls bons moments de mon existence. Je m'en rendais compte en regardant les nuages, savourer m'était impossible, j'étais contraint à regarder avec nostalgie les ruines d'un bonheur que j'avais eu maintes occasions de reconstruire. Je n'étais qu'une ombre, survivant uniquement pour profiter de la joie que je ressentais en ressassant le passé. Cet avion dans lequel j'étais monté en était la plus grande preuve, j'essayais en vain de me réapprorier une relique d'un temps disparu : ma fille. J'espérais qu'à travers elle, je pourrait retrouver l'insouciance de ce temps là, ce temps où j'étais son père. Enfoncé dans le siège de la première classe, je me sentais mal, un mélange de honte et de mélancolie. Je n'avais envie de rien, même le futur procès me paraissait futile, je me sentais presque prêt à l'annuler. De la tristesse naissait la fatigue, mes paupière, inlassablement, se refermaient sur mes yeux endoloris. Aux alentours, des couleurs luxuriantes nous rappelaient le prix de notre billet. Des hôtesses, un faux sourire sculpté sur le visage, avançaient comme des automates dans les rangées, nous proposant toujours les même choses à intervalles réguliers. Les passagers, peu intéressés, s'en débarrassaient avec leurs manières de bourgeois. Certains dormaient, d'autres lisaient, le reste regardait des films, personne ne s'ennuyait autant que moi, personne ne se questionnait sur son existence. Personne ne pouvait me comprendre, j'en étais moi même incapable. À côté de moi, tout en me faisant sursauter, Josh lâcha un hurlement de surprise qui attira l'attention de tout l'avion. Sans donner la moindre explication, il s'empressa de sortir son téléphone d'une des poches de sa magnifique veste anthracite avant de vérifier anxieusement l'écran. Pendant quelques minutes, j'observais ses doigts glisser à toute vitesse sur son mobile pendant que la lumière qu'il émettait se reflétait sur son nez rouge, typique des grands buveurs. Finalement, il rangea son portable et me fixa avec les yeux déjà remplis d'excuses.
-On est dans la merde, m'avoua-t-il sans la moindre langue de bois. -Quoi encore ? Demandais-je, déjà lassé par le ton de sa voix. -On a deux problèmes, deux énormes problèmes. D'abord, ton compte est dans le rouge, vraiment dans le rouge, ça se mesure en millions. Je ne suis pas sûr que l'achat de cette maison ait été un si bon choix. Ensuite, y'a la Cage aux oiseaux, elle est au nom de Franck Raven, pas au tiens... En deux mots, t'es un chômeur qui vit au dessus de ses moyens. -Et t'es pas foutu de penser à ça ? L'interrogeais-je tout en sentant la colère commencer à monter en moi. -Si, si... En temps normal mais là, je suis comme qui dirait surchargé en matière de boulot et il est possible que certains détails m'aient échappé. -Ça fait plusieurs mois que tu bosse là dessus et tu ne te rends compte des problèmes que lorsqu'on est sur le point d'atterrir ? -Oui, oui, je sais, j'ai merdé. Écoute Mike, on va trouver une solution, on va trouver quelque chose. Euh, pour la thune je sais pas, mais le travail, ça peut se faire. Je peux faire en sorte de te créer un emploi fictif, je connais des gars qui font ça en à peine une heure, or on a jusqu'à demain midi pour les négociations. -Bah alors appelle les, putain ! -Ouaip, ouaip, je m'en charge. Vraiment désolé. -T'as intérêt. Putain mais tu te rends compte que c'est une erreur de débutant ? -Je sais, je sais. On a une journée entière, je vais te régler tout ça. Tu vas voir, dans quelques mois, on en rira encore. -Dans ce cas, j'espère pour toi que ma fille sera là pour rire avec nous. En attendant, appelle tes putains de gars ! Je n'aurais su être plus agressif et plus autoritaire qu'en prononçant ces mots, mais en regardant mon avocat dans les yeux, je ne su si je devais être fier de ce fait. Je me sentais mal, je me demandais si le pouvoir ne m'avait pas déjà corrompu. Pendant que Josh quittait son siège pour aller téléphoner, je restais immobile, la boule au ventre. Je n'y croyais plus, je ne pouvais pas gagner ce procès, moi contre Sarah, personne ne serait suffisamment stupide pour m'accorder la coupe. Sarah était tout ce que l'Amérique adorait, une femme forte, travailleuse, intelligente, belle. Sa famille était riche et puissante mais elle avait réussi seule, aucun de ses échecs ne l'a jamais fait douter, elle avait réussi dans la légalité et avec le mérite. Moi, j'étais un gamin qui avait quitté le système scolaire, qui avait fait de la prison, qui n'avait jamais rien mérité. Cette femme contre qui je me battais, elle m'avait entretenu pendant plusieurs années. Revenir lui demander la garde de l'enfant relevait de la folie.
Finalement, Josh revint, un sourire timide sur le visage. Avant de me donner son compte-rendu, il reprit place sur son fauteuil où il s'enfonça légèrement, puis ses yeux se tournèrent vers moi. -Tu sais Mike, si tu me paye aussi cher, ce n'est pas pour mon efficacité, c'est parce que j'ai le bras le plus long de toute la Californie. -Ce qui signifie quoi ? -Ce qui ne signifie rien du tout, puisque la personne qui nous intéresse aujourd'hui est Adrien. Ce petit con est doué, vraiment doué. En plus de t'avoir acheté un bar en plein centre-ville pour que tu disposes d'une source de revenues, il a trafiqué les chiffres dudit bar pour que l'on te crois en mesure de rembourser ta maison d'ici à peine deux ans. -Ça n'a pas de sens, aucun établissement légal ne peut rapporter plusieurs millions en deux ans. -Le sien en est capable, du moins en gonflant les stats. En revanche, il serait heureux si tu pouvais le lui rembourser dès que tes caisses seront à nouveau pleine. -Évidement... Bordel j'aime ce gamin. Soulagé et, dans une moindre mesure, détendu par cette nouvelle, je me laissais glisser dans ce siège et fermais les yeux pour écourter la durée d'un voyage déjà bien trop long à mon goût. Après l'atterrissage, je n'ai eu droit à aucun événement exceptionnel. Dans le hall de l'aéroport, personne ne m'attendait et ce fut en compagnie uniquement de Josh que je réquisitionnais la taxi qui allait m'emmener à l'hôtel. De là, nous nous empressâmes de prendre nos marques et de nous installer dans nos chambres respectives avant de quitter l'endroit pour sortir manger. En ville, de nombreux restaurant restaient ouverts toute la nuit, éclairant les rues de leurs néons multicolores. Finalement, on jeta notre dévolu sur un diner tout à fait classique. Entre les murs carrelés, l'odeur de friture était comme une drogue que seul le hamburger qu'on nous servait pour nous faire oublier. -Bon, tu te sens prêt pour demain ? Me questionna Josh. -Plus ou moins, j'ai aucune idée de comment tout ça va se passer. -C'est très simple, ton ex et son avocat vont tenter de faire passer ça pour des négociations en nous faisant des propositions mais en réalité, ils vont aussi t'attaquer sur ton territoire, t'obliger à dire des trucs que tu ne dirais pas en temps normal, le tout pouvant être réutilisé en procès. Évidement, notre objectif, c'est de faire pareil tout en étant irréprochables. -Je vais être obligé de parler ? -Oui, enfin non mais un silence serait une preuve de faiblesse. Ce qu'il te faut,
c'est une parfaite maîtrise de toi-même, essaie donc de ne pas arriver trop soûl au rendez-vous et fait les phrases les plus courtes possible. Des fois, tu auras envie de laisser s'exprimer ton coeur, surtout ne le fait pas. Des actes irréfléchis peuvent nous faire perdre tout le procès. -Ok, je ferme ma gueule et je réponds le moins possible. D'autres conseils ? -Pas de piques, jamais, même la plus raffinée. Pas d'agression verbale, fait comme si tu ne la connaissais pas, détache toi de la réalité et fait toi spectateur, dans ce cas on peut gagner. -Je retiens. Ce soir là, je savais que j'allais mal dormir, pourtant je me couchais tôt. Dans le confort de la chambre d'hôtel, il ne me fallut pas longtemps pour oublier ce monde qui m'entourait et retourner dans cet univers de rêveries que je commençais à connaître par cœur. Par deux fois je me réveillais, par deux fois je fut obligé de quitter mon matelas pour absorber quelques litres de Whisky. Dans les ombres de la nuit, je m'avançais péniblement jusqu'à la table où j'avais posé ma bouteille. Là, seul, dans le noir, animé par une addiction frénétique, j'enchainais quelques verres sous le regard terrifiant des ténèbres. La chambre s'agitait autour de moi, je sentais la sueur couler le long de mon front, les larmes perler à mes yeux, les cris résonner au dehors. Dans la nuit, le monde avait un aspect bien plus triste. Plus de circulation ni de passant bruyant, je n'entendais rien d'autre que ma propre respiration. Dans ce silence surréaliste, l'extérieur se donnait parfois le droit à des folies en m'offrant le passage d'une moto ou d'un groupe de jeunes ivres. Quand enfin j'allais me coucher, le verre de trop toujours rempli sur la table, mon esprit était rempli d'idées noires. Je me blottissais sous ma couverture comme si il s'agissait d'un ultime rempart entre moi et les démons nocturnes, mais ces derniers étaient déjà dans ma tête. -Alors Mike, bien dormi ? Me demanda Josh avant d'avaler son verre de jus d'orange. -On ne peut pire, mais peu importe. Je suis prêt. C'est à quelle heure ? -À onze heure, soit dans à peine une heure. Tu te rappelles ce que j'ai dis ? -Ouais, pas trop parler, pas agresser, rester calme. J'ai compris. Comment on saura qu'on a gagné ? -Là on ne gagne pas Mike, on s'arrange juste pour ne pas perdre. -Donc eux ils peuvent gagner et nous on doit juste essayer de ne pas perdre ? -On est en face d'une femme riche, qui a fait des études et qui garde l'enfant depuis une année sans le moindre problème, on n'est pas en position de force alors laisse moi faire et arrête de poser tes questions. -Putain Josh, t'as vraiment intérêt à gagner ce putain de procès.
-Je gagne toujours, m'assura-t-il en réajustant sa veste. Alors que nous quittions l'hôtel, je commençais à comprendre l'importance de ce jour pour le reste de mon existence. À maintes reprises durant ma vie, j'ai fais des choix aux impacts énormes, mais qui n'étaient représentés que par une case à cocher dans un formulaire ou une réponse brève à offrir. La plupart du temps, je n'ai réalisé que bien plus tard l'importance de ces moments, mais aujourd'hui, j'allais changer le reste de ma vie. C'était terrifiant. Ridicule, je marchais anxieusement dans l'immense hall de la tour où nous avions rendez-vous. Les mains croisés, le dos voûté, les yeux perdus dans la contemplation d'un reflet effrayé sur le sol, je devais faire peine à voir. Dans l'ascenseur, je regardais Josh silencieusement tout en essayant de déchiffrer son regard, d'y trouver un message d'espoir. Je ne me sentais réellement pas à l'aise ici et cette impression se renforça encore alors que l'on pénétrait dans le cabinet. Du calme nous passâmes à l'agitation en une seconde. Devant nous, derrière leurs bureaux, trois secrétaires entretenaient simultanément des discussions téléphoniques avec un débit de parole exceptionnel. Derrière elle, à travers la baie vitrée qui séparait l'entrée du reste des bureaux, on apercevait une grande salle de réunion où de multiples avocats en costumes dialoguaient avec animosité. À intervalles réguliers, des hommes traversaient l'endroit en courant, une masse variable de dossiers entre les bras, souvent inversement proportionnelle à leur âge. Réunis autour de la cafetière, trois hommes discutaient avec sérieux tout en observant le dos d'une des secrétaires. Enfin, adossée sur un mur où "Gernam-Spencer and associates" était écrit en lettres d'or, Sarah nous regardait d'un œil mauvais en compagnie de son avocate, une femme d'âge mûr en tailleur. Après de formelles présentations, la représentante de mon ex-femme nous entraîna dans les couloirs pleins de vie du cabinet jusqu'à une salle de taille tout à fait respectable. Tout en prenant place sur mon siège, j'admirais la vue sur New York et ses grattes-ciel que nous offrait la baie vitrée. Comme prévu, en plus des dossiers éparpillés sur la table en verre, une caméra placée au centre de la table surveillait la conversation. -Bon, commença Helen, l'avocate de Sarah. Pouvez vous nous rappeler vos revendications ? -Évidement, répondit Josh. Mon client souhaiterait obtenir la garde de sa fille
pour chacune des vacances exceptées celles de Noël ainsi que celles de juillet. -Et qu'est-ce qui lui offre le droit de revendiquer cela ? -Le fait que, jusqu'à preuve du contraire, Lily Da Silva est autant sa fille que celle de votre cliente, expliqua Josh, surpris par cette question. -Pourtant il apparaît ici que ma cliente a subvenu aux besoins de l'enfant pendant toute la période où elle et monsieur Da Silva étaient mariés, et ce sans aide financière de la part de ce dernier. -Oui, c'est vrai, car madame Spencer était à elle seule en mesure de faire vivre la famille. En réalité, je ne vois pas l'intérêt de votre remarque, de nombreuses femmes aux foyers ont obtenu la garde des enfants après leur divorce. -Effectivement, mais monsieur Da Silva est-il réellement en mesure de fournir à sa fille tout ce dont elle a besoin ? -Si votre question porte sur les revenus, alors oui. Mon client est propriétaire d'un bar dans le centre ville de Los Angeles aux rentes plus qu'honorables. -Ah bon ? C'est nouveau ça ? Autour de la table, personne n'était épargné par la crispation. Pendant que Josh et Helen s'envoyaient leurs arguments, Sarah et moi nous observions passivement sans que je sois capable de déchiffrer son expression. -C'est un fait récent, oui. -Très récent dans ça cas, avant-hier encore il était encore sans emploi. -C'est arrivé hier. Mais donc, en sachant que mon client possède de l'argent, qu'est-ce qui pourrait l'empêcher de voir sa fille ? -Rien, il peut la voir autant qu'il le désire. Non, le problème qui nous inquiète, c'est que monsieur Da Silva a fait de la prison, or ça ne me paraît pas prudent de laisser une enfant sous la direction d'un ancien hors-la-loi. -C'est arrivé il y a plus de dix ans et les raisons étaient des hypothèses qui ne se sont pas confirmées. Je ne vois pas vraiment de rapport, madame. -Monsieur Da Silva, dit-elle en se tournant vers moi, pouvez-vous nous dire où vous étiez il y a trois mois ? -Mon client n'est pas obligé de... -Laisse ! Interrompis-je Josh. Madame, je retourne la question vers Sarah Spencer. -Nous connaissons tous les raisons de cette absence, monsieur Da Silva, ne vous enfoncez pas en accusant les autres de faits que vous avez provoqué. -En réalité, mesdames, ce qui se passe me semble surréaliste. Nous nous attaquons tous autour d'un sujet sans parler à aucun moment du vrai problème. Si vous ne révélez pas la vérité, vous ne pouvez pas gagner, parce que je mérite cette garde. Mais si vous dévoilez ce problème, alors vous assumez certaines possibilités. Or si cela se révèle comme étant vrai, il vaudra mieux ne pas se retrouver en face de moi. Le tout en sachant que j'offre ma parole en disant que
Lily sera en sécurité à Los Angeles. -Puisque nous en arrivons là... Commença Helen, tout de suite interrompue par Josh. -Nous n'en arrivons pas là ! Les négociations sont reportées à demain, excusez mon client. Sans me demander mon avis, Josh quitta la salle de réunion et je m'empressais de le suivre. Dans le grand ascenseur, son regard seul suffisait à me faire comprendre qu'il était en colère contre moi, mais il y associa les mots. Quand les portes se rouvrirent sur le hall, il avait fini de me déverser un flot continu de reproches auxquels je répondais par un simple hochement de tête. Je ne lui donnais aucune justification et nous rentrâmes à l'hôtel comme nous étions venu, même si mon cœur était bien plus léger. Dans ma chambre, je sautais sur mon lit et y restais pendant des heures durant, à réfléchir sur ma tirade finale, avant que le téléphone ne se mette à sonner. -Mike, m'interpella Sarah à l'autre bout du fil. Tu peux m'expliquer ce qui vient de se passer ? -Quand ça ? -À l'instant, alors que je rentrais chez moi. -Dans ce cas, il vaudrait mieux que tu m'explique ce qui vient de se passer pour que je puisse à mon tour te l'expliquer. -Je me suis fait agresser, et pas un truc habituel, le gars avait juste un message : "tu t'aventures sur de dangereuses routes". Qu'est-ce que ça veut dire ? -J'en sais rien, peut être un signe. Répondis-je en tâchant de cacher ma surprise. -Bordel Mike, c'est pour ça que je ne veux pas t'accorder la garde de Lily. Tu me dis que tu es rentré dans les clous et là, quand je fais quelque chose qui te déplaît, tu envoie tes gorilles ? C'est exactement le comportement contraire au bon. -Écoute Sarah, tu veux savoir un truc ? -Vas-y. -Je n'ai aucune idée de qui a envoyé ce gars, je ne sais pas qui c'est, mais en tout cas ce n'est pas moi. Je suis déçu que tu me penses suffisamment stupide pour faire ce genre de chose, je te promet que jamais je ne pourrais ne serait-ce que penser à faire ça. Sur ce, bonne nuit ! Mais je savais pertinemment qui avait fait ça. -Josh ! Hurlais-je en tapant à la porte de sa chambre. -Quoi ? -Ouvre putain ! -Ok... Attends.
Après quelques secondes, l'avocat me fit entrer dans une chambre en tous points identiques à la mienne. Alors qu'il reprit place dans son fauteuil, sa chemise légèrement déboutonnée laissa apparaître, par endroits, sa bedaine protubérante. -C'est quoi le problème, Mike ? -T'as envoyé quelqu'un menacer ma femme ? -Quoi ? Mais pas du tout, jamais je ne... -Si c'est pas toi, qui ça serait ? -J'en sais rien, j'ai appelé personne, j'ai vu personne, j'ai rien fait ! -Putain mais ça n'a pas de logique. Qui pourrait avoir fait ça ? Wyte ? Mais il est à des dizaines de kilomètres d'ici. -Déjà, qu'est-ce qui te dit qu'elle s'est faite menacer ? -Elle me l'a dit, un gars l'a prise dans la rue, l'a menacée et lui a dit qu'elle s'aventurait sur des chemins dangereux. -Conneries ! -Putain mec j'en sais rien... T'es sûr que t'as rien envoyé ? Tu me le jure ? -Je te le jure, jamais je ferais ça sans te prévenir. -Bon, bah merde ! Merde ! Je vais retrouver le salaud qu'à fait ça, et il va morfler. Ce soir là, en allant me coucher, j'avais une boule grandissante dans l'estomac. Mon esprit empli de question refusa de m'offrir le repos, j'étais complètement perdu... Il fallait que je me détende, mais d'abord, je devais trouver celui qui était responsable des menaces qui pesaient sur Sarah.
Chapitre 75 : Famille fracturée Tous deux assis autour de la table de son salon, Sarah et moi nous livrions à ce qui semblait être un concours d'impassibilité. En attendant qu'elle engage la conversation, j'observais la décoration luxueuse de sa maison. -Il va vraiment falloir que tu m'explique ce que tu essaie de faire, Mike. -J'essais de passer un maximum de temps avec ma fille. -Je ne peux pas croire que tu sois suffisamment demeuré pour ne pas voir où se situe le problème. -Je vois très bien où est le problème, mais il n'existe pas. Lily sera en sécurité à Los Angeles et je t'en fais la promesse. -Pour ce que valent tes promesses... -Tu me crois assez stupide pour mettre en jeu la vie de notre enfant ? -Oui, je pense que tu es assez égoïste pour préférer ton bonheur à sa survie. -Sarah ! Tu sais très bien que si il lui arrivait quoi que ce soit, je ne pourrais pas m'en remettre. -Ce que je sais, c'est que tu as la naïveté de penser que tu peux la protéger, qu'il ne lui arrivera rien. Ce que tu fais, c'est un pari très risqué que tu prends en ne regardant qu'une partie des probabilités. -Donc tu ne me fais pas confiance ? Sans même prendre la peine de répondre, l'avocate lâcha un profond soupir avant de se verser un verre d'eau. À l'étage, je pouvais entendre Lily qui remuait ses LEGOs dans sa chambre. -Michael, tu me dis que tu as raccroché, pourtant j'ai un tas de preuve qui te contredisent, comme pourrais-je te faire confiance ? -Quelles preuves ? -L'agression d'hier soir et ton nouveau bar, par exemple. -Pour l'agression, je t'assure que je n'ai rien à voir là dedans. Quant au bar, je ne vois pas le problème, j'avais prévenu que j'en achèterais un. -Sauf que celui là est énorme ! Ses revenus sont à peine imaginables ! Je suis avocate d'affaire, Mike, je vois des tricheurs tous les jours et ce bar, il pue le blanchiment d'argent à plein nez. -C'est entièrement faux, de plus tu n'as pas la moindre preuve de ce que tu avances. -Si, si j'en ai. À commencer par le fait que ce genre d'établissement s'achète à plusieurs millions, or tu l'as payé d'un seul coût. Tu peux me dire d'où sort cet argent ? -C'est le cadeau d'un ami. Ce n'est pas parce que je n'ai pas fait mon emprunt auprès d'une banque qu'il n'y a pas eu de prêt.
-Ne me prends pas pour une gourde, tu es loin d'avoir raccroché Michael, et dans ces conditions, je ne peux pas te laisser la garde de ma fille. Ne serait-ce qu'une semaine par an. La rage bouillonnait en moi, j'avais envie de me lever, de frapper du poing sur la table, d'envoyer mon verre dans le visage de Sarah pour lui enlever ce regard méprisant. Chaque parole qu'elle prononçait sonnait comme un défi dans mes oreilles, un défi doublé d'une insulte. -Mais si je n'ai pas raccroché, alors tu prends de gros risques en agissant ainsi. Pourquoi n'enverrais-je pas deux de mes meilleurs hommes pour te torturer dans ta chambre jusqu'à ce que tu m'accorde la garde ? -Parce que tu n'es pas quelqu'un de mauvais. C'est pour ça, je ne pense pas que ce soit par méchanceté que tu veuille garder Lily, c'est simplement que tu n'arrives pas à voir le tableau dans son intégralité. -Quand il s'agit de ma fille, je peux vite devenir quelqu'un de mauvais. Et si ces agressions de rues avaient à nouveau lieu ? -Tu admets en être la cause ? -Non, mais j'admet qu'en admettant que je sois un puissant mafieux, il est admissible que cet événement se reproduise. -Je te connais, quand tu t'applique à tourner tes phrases, c'est pour contenir tes émotions. Tu sais que tu as tort. -Je sais que tu m'énerve. Mais vas-y, raconte moi cette soit-disante agression. Après quelques secondes de réflexion où ses yeux se perdirent dans le vague, Sarah prit la parole et commença à énoncer les faits avec une élocution qui rappelait sa profession. -Oh tu sais, je pense que tu t'imagines très bien ce qui s'est passé. Il faisait nuit, je rentrais chez moi, je suis passé par un raccourci assez peu connu et là, un homme m'a pris par surprise. Il devait avoir la trentaine, plutôt grand, carrure massive, une capuche lui recouvrais le visage. Il m'a directement plaquée contre le mur et a pris une voix menaçante pour me dire que je m'aventurais sur un chemin dangereux. Ensuite, avant même que je n'ai eu le temps de crier, il s'était enfui. Ce fut infime, mais sur la fin de l'histoire, l'espace d'un instant, j'ai vu l'hésitation passer sur son regard. Peut être étais-ce la conséquence d'un léger traumatisme, mais pour moi la cause était toute autre. -Connerie. -Comment ça "connerie" ? Tu m'accuse de mentir ? -T'es pitoyable Sarah. En arriver à de telles extrémités, ce n'est vraiment pas digne de toi. Tu veux me faire avouer des crimes que je n'ai pas commis parce
que tu pense que je doute de moi, c'est ça ? Tu croyais que j'allais tomber dans le panneau ? Ensuite tu me parle de droiture, tu me dis que je ne suis pas digne d'élever Lily... Écoute, là, je vais voir la petite, je lui demande son avis sur le procès. Si elle est de ton côté, j'abandonne immédiatement, sinon, je gagne cette affaire. -Michael je te promet que... -Rien à faire. Je me sentais trahi, j'avais la rage. Je me sentais plus idiot que jamais. Pendant presque une décennie j'avais idolâtré cette femme qui aujourd'hui essayait de me duper. Tout comme l'avait fait Leslie avant elle... Je commençais réellement à me questionner sur mon aptitude à choisir mes partenaires. Mais cela n'avait pas d'importance, ce que je savais, c'est qu'on avait essayé de me tromper sournoisement. Désormais, ma confiance serait bien plus dure à obtenir, j'allais oublier la naïveté. En ouvrant la porte de la chambre de Lily, je pris le soin d'afficher sur mon visage le plus beau des sourires. Ma fille, que j'avais déjà salué en rentrant, me regarda fixement, attendant probablement que je lui explique mon intrusion. -Lily, est-ce que ça te dérangerais de venir chez papa ? -Maintenant tout de suite ? -Non, mais pendant les vacances. -Celles qui arrivent ? -Ce serait régulier, tu viendrais pendant certaines vacances, tous les ans. -Attends, je comprends pas, répondit-elle en se mordant légèrement les lèvres. -Quand il y a cours, tu vis à New York avec maman, mais quand c'est les vacances, tu viens avec papa à Los Angeles. -Toutes les vacances ? -Presque. -Ce serait trop bien, oui. Mais vous préférez pas vous remettre ensemble et qu'on vive tous ici ? -J'aimerais bien mais ce n'est pas du goût de ta mère. Donc tu voudrais pouvoir venir me voir ? -Bah oui ! T'es mon papa, je vois pas pourquoi je pourrais être que à maman. -Génial ! Il ne me reste plus qu'à convaincre maman, je t'aime ma chérie. -Maman elle veut pas ? -Non, elle t'aime trop pour te laisser partir. -Et toi, tu m'aime pas assez et donc tu me laisse chez maman ? -Moi, je t'aime tellement que ton bonheur passe avant le mien. Si tu veux passer du temps chez maman, je te laisse chez maman. -Donc tu m'aime plus que maman ?
-Je n'en sais rien, je pense qu'on t'aime tous autant, simplement de manières différentes. Moi je dois partir, mais la prochaine fois que je te verrais, maman m'aura autorisé à te faire venir en Californie. Lily acquiesça avant de reprendre ses activités de constructions. J'allais pour quitter sa chambre mais, au dernier moment, elle me lança un "papa" qui me fit me retourner instantanément. -Bonne chance. -Merci. Je ne savais pas quoi répondre, je ne savais pas quoi dire, je ne savais pas quoi faire. Simplement, je quittais la maison, une larme au coin des yeux, ignorant totalement la propriétaire qui essayait de me convaincre que son agression était réelle. Dehors il faisait froid, la neige avant laissé sa place et pourtant, l'extérieur restait inconfortable. Aussi, je m'empressais d'appeler le premier taxi qui me mena jusqu'à l'hôtel où moi et Josh séjournions. Quelques minutes après mon retour dans la chambre, nous élaborions tous deux une stratégie pour la deuxième partie des opérations, prévue dès le lendemain matin à la première heure. -Lily est avec moi, expliquais-je à Josh. -Tout le monde se fout de l'avis des enfants, ça peut nous avantager mais c'est loin de nous offrir la victoire. Il nous faut plus. -Je pense que Sarah a inventé cette histoire de menaces. -Sûr ? -Presque. -Bon, on va harceler Helen à ce niveau là. J'ai appelé Wyte et il m'a assuré que ce n'était pas lui. -Tu lui fais confiance ? -Pas toi ? -Si.. Si, évidement. Et le problème du bar, comment on fait ? -Quel problème ? -Je l'ai sorti de mon cul, l'argent pour l'acheter ? Je te rappelle que je n'ai pas bossé pendant de longs mois. Contre toute attente, ma question sembla réjouir l'avocat. Ses yeux se mirent à pétiller alors qu'il remettait sa veste en place, impatient de me révéler ce qui devait être son dernier coup de génie. -Eh bien, tu vois ces six mois où tu as disparu ? -Oui, je vois. -Il se trouve que depuis ce matin, grâce à l'aide de certaines personnes, il est
indiqué que tu les as passées à travailler pour un puissant magnat de l'immobilier londonien. En tant que garde du corps, tu étais nourri et logé, donc tu as gardé tout ton argent en l'économisant. Quand tu es revenu, il t'as suffit d'un petit emprunt pour le bar. -Tu te rends compte que si on se fait prendre... -Ça n'arrivera pas, surtout qu'on a déjà fait bien pire. -Dans ma vie, il n'y a que deux périodes officielles qui ont vraiment eut lieu, de ma naissance à mes quinze ans et les dix ans de légalité en compagnie de Sarah. Si un jour je me fais coincer par les flics, je n'ose pas imaginer toutes les incohérences que je vais leur servir. -T'inquiète pas pour ça, les flics ça s'arrose facilement, surtout avec leurs salaires de fonctionnaires. Nan, je pense pas que ce soit un problème. D'autant qu'il y avait déjà un vide à cet endroit, or c'était bien plus suspect qu'un emploi à Londres. -Et votre milliardaire, il existe au moins ? -Mort, on n'a pas pris de risque. Ça fait deux semaines. Ni famille, ni domestique, personne ne pourra démentir ta présence en tant que garde. -Putain ça me fait peur, ça me fait vraiment peur. Plus le temps passait et plus j'avais l'impression de m'enfoncer. J'avais beau devenir de plus en plus puissant, mes pouvoirs se multipliaient au moins autant que les casseroles qui traînaient dans mon dos. La nuit suivante, je ne fus même pas capable de dormir. Je passais ces heures dans la contemplation intime du ciel depuis mon balcon. Les étoiles se reflétaient avec majesté dans la couleur ambrée de mon Whisky. J'observais les constellation avec une sorte de profonde mélancolie. Regarder ainsi l'immensité de l'univers me faisait relativiser ma place dans ce monde. J'avais l'impression de n'être plus qu'une miette, une miette aux multiples problèmes. Écouter le silence nocturne me détendait presque. Complètement affalé sur ma chaise, le cou plié en arrière, je me perdais dans le noir de la nuit, dans la beauté de ce ciel, dans la tristesse de la symbolique. Le lendemain matin, complètement épuisé, je laissais Josh manger tout seul son petit-déjeuner, puis je le rejoignis quand l'heure vint de partir. Nous quittâmes ensemble l'hôtel pour ce qui s'annonçait comme une autre séance de négociations inutiles. En avançant dans le hall lumineux de la tour où travaillait Sarah, je me surpris à regretter l'absence de ma canne et la démarche qu'elle m'offrait. Mais cet accessoire appartenait au Corbeau, or c'était Michael Da Silva qui se présentait aujourd'hui en face de son ex femme. -Reprenons, vous le voulez bien ? Demanda Helen en s'asseyant à la même
table que la fois précédente. Où en étions nous ? -Nous parlions de l'absence de mon client durant les derniers six mois, je crois. Répondit Josh. Mais en réalité, je crois que nous nous éloignions du réel problème. -Ah ? Et quel est ce réel problème, selon vous ? -La garde de Lily Da Silva. Or la disparition de mon client n'y a aucun lien. D'autant que disparition, il n'y a plus. -J'ai remarqué ça, en effet. Falsifier la réalité semble être votre spécialité. -Tout comme vous. -Plait-il ? -Je suppose que l'idée de l'agression s'est faite à deux. Je dois avouer qu'elle m'a surprise... Au début, tout du moins. -L'idée de l'agression... Non, je ne vois pas. -Inutile de mentir, nous avons les enregistrements des caméras de cette nuit là, il n'y a pas eu la moindre menace. -Et comment vous êtes-vous procuré ces enregistrements ? -J'aimerais savoir qui a eu cette brillante idée ? C'était presque amusant de les voir ainsi débattre, enfin ça l'aurait été si l'avenir de Lily n'avait pas été en jeu. On aurait dit qu’ils jouaient à celui qui pouvait tenir le plus longtemps sans répondre aux questions de l'autre. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'ils étaient tous les deux très forts à ce jeu. -Eh bien, reprit Josh, fier de lui. Pas la peine d'avouer, je vois la honte dans vos yeux, aussi par respect pour vous, je m'en vais changer de sujet. Expliquez moi ce qui rends mon client indigne de s'occuper de sa fille durant les périodes extra-scolaires. Pas d'exercices où elle aura besoin d'aide, juste du loisir et du divertissement, or j'ai cru comprendre que la petite s'amusait plus avec son père. -Spéculation. -Nous ne sommes pas encore au tribunal, gardez vos grandes formules ! Ce que je veux dire, c'est qu'un père propriétaire et rentier sera plus en mesure de partager avec sa fille qu'une mère surchargée par la travail. -Personne n'interdit les vacances aux avocats. -Mais nous sommes tous deux bien placés pour savoir qu'ils n'en prennent pas. D'autant que si mon client la garde pendant la plupart des vacances, madame Spencer pourra être présente tous les jours où Lily sera en vacances à New York. Le tout limitant les frais de babysitting et autre. Je tiens évidement à préciser que monsieur Da Silva payerait tous les billets d'avions, aller et retour. -L'argent ne suffit pas à élever une fille. -Je ne peux qu'être d'accord avec vous. Mais rappelez moi, qui a élevé l'enfant pendant les six premières années de sa vie, pendant que la mère travaillait ? Lily a reçu l'éducation de son père, pourtant personne ne se plaint de ses manières de
criminelle, elle n'a jamais insulté personne, on la dit adorable. Alors, en face de cela, il est impossible de dire que mon client ne peux pas élever sa fille pendant à peine quelques mois chaque année. Il avait gagné. C'était incroyable mais Josh venait de gagner. La défaite se lisait très précisément dans le regard des deux femmes assises en face de nous, du moins jusqu'au moment où Helen laissa libre court à ses instincts. -Et pour ce qui est de là dimension illégale des affaires de monsieur Da Silva ? -Développez. -Ce n'est un secret pour personne, cet homme ici présent est un meurtrier récidiviste. Ces six mois de disparition avaient pour but de fuir une potentielle menace mafieuse. Je ne suis pas payée pour vous attaquer sur ce terrain là, mais les intérêts de ce sujet se joignent au mien. Tant que votre client sera mêlé de près ou de loin aux activités de hors-la-loi, il y aura un risque de violence, autant sur lui que sur l'enfant. C'est bien là qu'est le problème, ma cliente refuse de prendre ce risque. -Nous y venons... Enfin. Dis-je avec un sourire nerveux. Enfin, les choses allaient devenir intéressantes. Enfin, j'allais savoir si Josh pouvait défendre l'indéfendable. Enfin, nous allions aborder le sujet directement sans la moindre langue de bois. -Non, nous ne venons nulle part, me dit Josh, puis il se tourna vers Helen. Vous ne pouvez pas partir sur ce terrain là. Ces accusations sont graves et nonprouvées. Si vous voulez utiliser cet argument, alors ce sera au procureur de s'occuper de l'affaire. Vous devriez déposer plainte, avoir des raisons de le faire, en bref, ce serait extrêmement compliqué. -Vous êtes donc en train de me dire que je devrais vous laisser la garde de l'enfant parce que lui sauver la vie serait épuisant ? -Je suis en train de vous dire que si vous faites ça et qu'aucune preuve n'est trouvée avançant dans votre sens, alors en plus de gagner la garde, nous serions en mesure de vous discréditer devant tous les tribunaux des Etats-Unis. Vous deviendriez la femme qui accuse de meurtre ses adversaires et ce uniquement pour retarder sa défaite. D'autant que vous n'êtes ni procureur, ni enquêtrice, ni membre quelconque d'une organisation de l'état. Je ne suis pas sûr que vos suppositions soient prises au sérieux. -Eh bien dans ce cas, nous verrons. Mais je ne suis pas certaine que monsieur Da Silva soit prêt à aller en prison simplement pour pouvoir risquer la vie de sa fille. -Aucune autre vie ne vaut autant la peine d'aller en prison, rétorquais-je. -De toutes manière, reprit Josh, nous ne sommes pas les seuls fautifs. Cet appel que nous avons enregistré où vous vous plaignez des menaces pour essayer de
faire avouer mon client, je ne pense pas que ce soit totalement légal. De plus, vous avez eu ce que vous voulez, non ? Il y a cru et vous a répondu honnêtement en jurant que jamais il ne vous ferait de mal. On y voit là la preuve d'un homme civilisé. Pendant que Sarah ne savait plus où se mettre, Helen bouillonnait intérieurement. Cette fois-ci c'était réel, nous dirigions le débat avec une main de fer. -Je crois comprendre que vous ne comptez pas changer d'avis, monsieur Salesman. -En effet. -Dans ce cas, l'audience aura lieu dans deux semaines avec le juge Trevoro. Nous nous verrons au tribunal. -Essayez de ne pas mourrir agressées entre temps. En sortant du bâtiment, malgré l'impression de réussite qui avait régné dans la pièce, je ne pu m'empêcher de demander son avis à Josh. -On a gagné ? -Et comment ! Même pas à cause des négociations, s'il n'y avait eu que ça, tu te serais fait allumé au procès. Les preuves de ta criminalité existent et ne sont pas dures à trouver. Nan, notre ticket gagnant, c'est Jonas Trevoro. -Le juge ? -Exactement. C'est un très grand ami à moi, enfin il le sera avec quelques billets en poche. Il est réputé pour la facilité avec laquelle il se laisse acheter. -On va soudoyer un juge pour gagner ? -C'est ça. T'imagines même pas la chance qu'on a ! Je croyais qu'on l'avait viré mais en fait non, ils l'ont juste mis à des affaires moins importantes comme les procédures de divorce etc... Là, on partait trop loin. Tout en montant dans la taxi, je regardais avec appréhension Josh et l'immense sourire victorieux qu'il affichait. Dans son costume noir, il avait vraiment l'air de l'avocat parfait, enfin si l'on oubliait son visage bouffi par l'alcool. -Je ne sais pas mec, tu crois pas qu'on pourrait gagner honnêtement, pour une fois ? Parce que là, ce serait quoi la différence si j'avais directement kidnappé Lily ? -Ici personne ne sait que tu es en faute et la loi te soutient. Dans l'autre, tu devras fuir à travers le monde comme une ravisseur. La différence me paraît plutôt grande. Écoute Mike, le destin nous tends une perche et c'est la seule qui peux te permettre d'obtenir la garde, alors ne laisse pas passer cette chance. -Tu fais chier Josh ! Putain tu fais chier.
-T'accepte ? -J'ai pas vraiment le choix, tu l'as toi même dit. -Dans ce cas, monsieur Trevoro va recevoir une petite visite. Immédiatement, Josh demanda au chauffeur de changer sa direction et nous partîmes en direction du tribunal. Depuis mon siège, je m'occupais en observant les tranches de vie New Yorkaise, j'admirais cette ville fourmillante et colorée. Une fois arrivés à destination, j'eu à peine le temps de regarder cet immense bâtiment aux allures de temple romain que déjà nous étions entrés dans le hall. Dans l'agitation, Josh tentait de se frayer un chemin parmi les nombreux hommes de loi qui marchaient en tous sens. Les yeux fixés sur son dos, je faisais tout pour rester derrière lui tout en évitant de glisser sur le sol encore brillant. Au plafond, l'immense dôme semblait me juger, me rappeler mon insignifiance. Au fur et à mesure que nous traversions ce bâtiment où tout respirait l'opulence et la propreté, le bruit et les employés se firent plus rares. Finalement, lorsque mon avocat frappa à la porte sur laquelle était écrite "Juge Trevoro", nous étions quasiment seuls dans le couloir. Après qu'on nous l'ait demandé, nous déclinâmes nos identité avant de pénétrer dans le bureau du juge. Là, dans une pièce de taille moyenne, assis derrière une vielle table de bois où était exposée une statue de la Justice, trônait le juge. Il portait la robe noire habituelle et devait avoir entamé la cinquantaine depuis peu. Sous sa paire de lunettes rondes, ses petits yeux noirs nous épiaient avec méfiance lorsqu'il nous proposa de nous asseoir. -Je ne reçois pas en temps normal, Josh. Nous dit-il avec un ton presque désabusé. -Oui, mais je ne suis pas le genre de personne à qui on offre le traitement normal. Bon, Jonas, j'ai besoin de tes services. -Quel genre ? -Tu t'es diversifié ou quoi ? Devine quel genre ! -C'est quoi comme affaire ? Je ne défends plus les criminels, au cas où tu ne l'aurais pas remarqué. -Rien à voir avec ça. C'est une affaire de garde d'enfant. -Toi aussi, tu t'es fait rétrogradé ? Moi qui croyais que tu étais parti en Californie pour éviter ce genre de problème... -Je suis parti en Californie et j'ai évité ce genre de problème. Non, mon client ici présent veut avoir la garde de sa fille, sauf qu'on peut dire qu'il n'est pas complètement propre. Sa femme va essayer de s'en servir au tribunal et il serait appréciable que tu ne prenne pas en compte ses accusations. L'homme nous regarda tous les deux dans les yeux l'espace d'un instant et je cru
qu'il allait refuser mais un sourire finit par apparaître sur son visage flétri par le temps. -Qu'est-ce qu'on ne ferait pas pour toi ? Bon, tu me donne combien ? -Michael, combien tu es prêt à passer ? -50 000 $ suffiront ? -Marché conclu ! S'exclama Trevoro en me tendant une main que je serrais immédiatement. Nous nous reverrons à l'audience. Le nom de ton client je te prie. -Michael Da Silva. En sortant du tribunal, j'avais vraiment l'impression d'avoir fait une connerie. Mais la bonne humeur de Josh était contagieuse et lorsqu'on se retrouva tous les deux autour d'un délicieux hamburger, je décidais d'oublier mes craintes pour me laisser aller à la naïveté.
Chapitre 76 : Le meilleur des cas Sur les deux semaines que nous allions passer à attendre l'audience, trois jours s'étaient déjà écoulés paisiblement. Le temps suivait son cours et rien ne venait dérégler mon emploi du temps. Chaque matin, après avoir savouré un croissant à l'hôtel, je passait une demiheure à préparer ma personne. Douche, rasage, choix du costume, pompes et alcool, la recette parfaite pour bien commencer ma journée. J'enchaînais ensuite directement sur une conversation téléphonique en compagnie de Wyte qui m'offrait toutes les nouvelles de Los Angeles. À chaque fois c'était la même chose, il me prévenait que ma fortune augmentait et je l'en remerciais. Mon organisation se portait bien, le reste ne m'importait que peu. Après m'être documenté sur mes affaires, je passais le temps qu'il me restait à me promener dans les immenses avenus de la grosse Pomme. De retour à l'hôtel, Josh, qui avait passé la mâtiné à gérer ses multiples affaires depuis son lit, m'emmenait à chaque fois dans un nouveau restaurant. Nous y mangions bien et c'était lui qui offrait : je n'avais aucune raison de me plaindre. Le reste de la journée se passait sous les éclats de rire de ma fille. Malgré la désapprobation de Sarah, je passais le plus de temps possible en compagnie de la petite. Je l'emmenais se balader en ville, je jouais avec, je faisais tout mon possible pour être aimé de cet enfant qui allait bientôt vivre avec moi. En rentrant dans ma chambre, le soir, j'avais toujours ce sourire empli de joie que Lily y avait gravé. Là, je savourais mon dernier verre avant le diner, mêlant ainsi ma joie à ma décadence. Ensuite, je mangeais à nouveau avec Josh puis nous rentrions nous coucher, chacun de notre côté. Les nuits étaient aussi vides que les journée semblables, si bien que ces trois jours ne parurent en durer qu'un seul. Tout ce tissu d'habitudes nouvellement brodé finit par se déchirer lorsque Josh me fit part de ses inquiétudes. Nous étions au matin de la quatrième journée, l'avocat dégustait son pain au chocolat lorsque la question quitta ses lèvres. -Tu trouve pas ça suspect que Trevoro ne soit pas en taule ? -Nan, pourquoi ? -J'en sais rien. Je discutais avec Wyte hier soir et le sujet est arrivé. Pour lui, Jonas a été rétrogradé parce qu'il s'est fait coincer. Le truc c'est qu'on envoie en prison les représentants de l'ordre qui ont été corrompus. -Ce que tu me dis, c'est qu'on s'est fait coincé par un gars que TU as conseillé ? -C'est possible. J'y ai pensé toute la nuit et tu vois... Ça me paraît de plus en
plus cohérent. Personne n'accepte un pot-de-vin aussi facilement. -T'es vraiment un déchet Josh, un putain de déchet ! Dis-je en quittant la table. Heureusement qu'on a Wyte, à croire que c'est le seul à avoir un cerveau dans toute cette organisation. Lorsqu'une des serveuses me demanda le numéro ma chambre pour payer la nourriture, je l'envoyais vers mon avocat avant de courir jusque dans ma chambre. Dans cette intimité relative, je récupérais ma veste tout en composant le numéro de mon conseiller. -Wyte ? Faut que je te demande un service. -Vas-y, demande. -J'ai besoin de deux mecs qui en imposent, le genre garde du corps peu regardant. -À New York ? -Ouais. Il me les faut maintenant, j'ai une petite visite à faire. -Le juge Trevoro je suppose. À ta place je n'irais pas le démonter dans son propre tribunal, c'est bien trop risqué. -Oh mais je ne vais pas être violent. Je veux juste lui montrer que j'ai les moyens de le punir. Est-ce que le Corbeau est connu ici ? -Déconne pas, même Tiger ne s'est probablement pas fait un nom à New York. Et c'est tant mieux si on n'est pas connus. Tu te rappelles le truc de la fourmi ? Bon, parfait. Donc vas-y, je t'envoie tes gars juste devant le tribunal d'ici une heure. Surtout fais gaffe, pas de violence. Il est même possible que la salle soit surveillée alors reste suggestif. Il faut aussi savoir s'il ne nous a pas déjà balancé. -T'en fait pas, je saurais être convaincant. Lui assurais-je en raccrochant. Après quelques secondes d'hésitation, je tirais la canne du Corbeau hors de ma valise avant de venir me placer juste en face de mon miroir. Le costume sur mesure, le bouc parfaitement taillé, la coiffure volumineuse, la tête d'oiseau sur ma canne, tout était là. Dans les couloirs de l'hôtel, je voyais tous les regards se tourner vers moi. Je maîtrisais tellement la démarche avec ma canne qu'il m'était devenu impossible de passer inaperçu. Plusieurs jours de travail avaient été nécessaire mais désormais, de dos, Michael Da Silva était impossible à confondre avec le Corbeau. Dehors, je montais dans le premier taxi libre et je parti en direction du tribunal. Avec l'heure matinale, nous dûmes faire face à de nombreux embouteillages mais au bout d'une demi-heure, je me trouvais en face du grand bâtiment, accompagné par mes deux gardes nouvellement nommés. Dans les grands couloirs du tribunal, l'heure de pointe n'était pas encore atteinte
et il fut facile d'esquiver les quelques personnes qui s'y déplaçaient. À chaque fois que ma canne touchait le sol, le son résonnait contre les murs et tous les regards se tournaient vers moi, pour ma plus grande satisfaction. Accélérant le pas, j'atteignis rapidement le bureau du juge. Comme l'avait fait Josh avant moi, je tapais trois coups avant de décliner mon identité. Trevoro m'autorisa à rentrer après une légère hésitation. Quand il aperçut les deux gorilles qui se placèrent dans mon dos, aux coins de la pièce, il regretta immédiatement son erreur. Non sans quelques tremblements, il déposa ses lunettes sur son bureau avant de gratter son nez aquilin. -Monsieur Da Sona, quel bon vent vous amène ? -Da Silva, Michael Da Silva. Et je ne suis pas sûr qu'on puisse qualifier ce vent de "bon". -Ah ? Vous m'en voyez désolé... Quel est le problème ? -C'est plus une question qu'un problème. Voyez-vous, le fait que vous ayez été muté ici m'intrigue. Pouvez-vous m'en donner la raison ? -Évidement. Eh bien disons que j'ai mal agi, Josh a du vous l'expliquer. -Donc vous vous êtes fait prendre ? -C'est un fait établi. -Dans ce cas, expliquez moi votre présence dans ce bureau. -C'est une sorte de punition, on m'a... -Non. Non, on ne punit pas les magistrats comme on punirait un enfant. Vous devriez être en prison, n'est-ce pas ? -Disons que j'ai eu de la chance. Vous savez, avec les bonnes relations, on arrive à tout. -Moi je pense que vous mentez. Moi je pense que je me fais arnaquer. -J'ai payé une énorme amende et j'ai juré que ça ne se reproduirait plus. J'ai passé une année en prison, trois en étant surveillé et maintenant me voilà. En réalité, cette branche là est bien moins tentatrice. Plus personne ne vérifie. Je sais ce que vous craignez, vous pensez que je pourrais être un indic. Mais dans ce cas, expliquez moi ce que je foutrais ici ? Combien de mari soudoient un juge pour ne pas à avoir à payer de pension ? Non, votre raisonnement ne tient pas debout. J'hésitais. Et si Wyte s'était trompé, pour une fois ? Mais je devais continuer, je devais chercher les erreurs, car je savais qu'il y avait des incohérences qui ne m'apparaissaient pas ici mais dont j'allais me rendre compte en rentrant chez moi. -On ne vous aurait jamais permis de continuer à exercer. -Je vous l'ai dit... Je connais les bonnes personnes. Un an de prison, trois ans en liberté surveillée. Je m'en sort pas exceptionnellement bien sur le tableau. -Mais vous restez dans le même milieu alors qu'on sait que vous y êtes mauvais.
-J'y suis bon, très bon même. Comment croyez-vous que je sois arrivé juge aux affaires criminelles dans le tribunal de New York ? Je suis excellent. Ça aurait été une trop grosse perte que de me virer, alors on s'est contenté de m'offrir une place où je ne risquais pas de prendre des billets en plus. D'autant que le métier y est d'un ennui, je vous assure que la punition est à la hauteur du crime. -J'espère que ce que vous avancez est réel, monsieur Trevoro. Parce que je déteste le mensonge et que j'ai les moyens de punir les menteurs, dis-je en montrant les deux montagnes de muscles qui nous observaient. Si la police peut vous mettre en prison, je peux vous mettre en pièce. J'aimerais donc que vous appliquiez votre part du marché sans broncher. -J'y compte bien, pas besoin de venir me menacer ni de remettre en doute ma parole. En sortant, je laissais un juge complètement terrifié, le front en sueur, mais encore en vie. Mes deux hommes me suivirent dans les allées du tribunal et me laissèrent une fois dehors. Quant à moi, j'avais beau y faire, je sentais bien que quelque chose était passé à travers mon filet. Heureusement, je n'eu pas à gérer le moindre autre problème durant cette période d'attente. Ma routine put reprendre normalement et je n'ai souffert d'aucune façon que ce soit. Tout semblait aller pour les mieux, les jours se suivaient et se ressemblaient, personne ne m'appelait à l'aide, personne ne se rendait subitement compte d'une récente erreur. Je pouvais profiter de la ville autant qu'il me plaisait, dans le calme et l'insouciance. Je m'autorisais même une aventure. Rien de bien fou, ce ne fut que l'affaire d'un soir, mais ça restait tout à fait appréciable. À part cela, il n'y a rien d'autre à raconter que le vide. Or le vide ne se raconte, il se suffit à lui même. Nous arrivâmes donc bien trop rapidement au jour du procès et au stress intense qu'il me provoqua. Ce fut avec les muscles tremblant que je pénétrais dans le tribunal où tout allait se jouer. Contrairement à ce que je pensais au commencement, l'audience n'allait pas avoir lieu dans ces énormes salles qu'on nous présentait habituellement. Ici, c'était une affaire civile et ça se gérait en privé. C'était donc dans un bureau que je commençais à connaître par coeur que nous allions débattre. Trevoro, après nous avoir ouvert sa porte, serra la main de mon avocat puis la mienne. Je pu d'ailleurs voir dans son regard lors de cette poignée que mes menaces étaient restées dans sa mémoire. Nous primes tous deux places dans la grande pièce lumineuse et, silencieusement, Josh commença à sortir les pièces à conviction et à les étaler
sur une table qui avait été ajoutée ici pour l'occasion. Après nous, ce fut au tour du greffier. Une poignée de main à tout les membres de la pièce puis il s'assit en bout de table. Tranquillement installé à l'écart, il alluma son ordinateur portable et y ouvrit un traitement de texte avant de s'étirer les doigts d'une façon presque ridicule. Enfin, Sarah et Helen furent les dernières avec presque cinq minutes de retard. Elles nous saluèrent d'un geste formel de la main puis s'assirent en face de nous. Tout comme Josh, l'avocate adverse étala son dossier sur la table et nous pûmes enfin commencer. -L'audience peut débuter. Étant donné que les droits de monsieur Da Silva à disposer de sa fille me paraissent évidents, je vais vous demander de commencer. Dit le juge en indiquant Helen. Cette dernière, rien que par cette entrée en matière, vit son visage se liquéfier d'un seul coup. Malgré mes soupçons pour le juge, il était apparement en train de tenir sa parole d'une façon que je n'aurais osé espérer. -Eh bien, commença l'avocate adverse, nous avons de multiples raisons de lui refuser cette garde. C'est un ancien prisonnier, il n'a pas finit ses études, actuellement il boit. -La prison s'est basée sur une erreur de jugement, l'interrompit Josh. Les études n'ont pas de rapport avec la garde d'une enfant et l'alcoolisme n'est pas prouvé. -Pas prouvé ? Laissez moi rire. Empêchez le de boire pendant une journée entière et il se roulera au sol en hurlant. -Spéculation. -Vous voulez du concret ? Et si nous parlions de ses fréquentations ? Viktor Azarov par exemple. L'homme est aujourd'hui en prison pour vol à main armé. -Très bien. Mon client était ami avec un hors-la-loi, cela fait-il de lui un mauvais père ? -Oui, parfaitement. De mauvaises fréquentations peuvent encourager l'enfant à poursuivre cette voie. -Parce que le père a des amis en prison, la fille deviendrait une criminelle ? Ce raisonnement me paraît léger. -À moi aussi, affirma le juge. N'avez-vous pas d'autres preuves plus marquantes de son incapacité à élever l'enfant ? C'était pitoyable. Helen semblait au bord du suicide, ses yeux courraient de Josh à Trevoro comme si elle attendait qu'on lui annonce que tout ça n'était qu'une blague. Malheureusement pour elle, c'était totalement réel. -Nous savons aussi que la plupart de ses revenus ne sont pas déclarés. Sinon comment aurait-il pu s'acheter ce bar ?
-Spéculation ! D'autant que nous avons déjà répondu à cette question : emprunt. -Personne ne serait assez fou pour prêter autant à un chômeur. -Vous évasez la question, Helen ! Vous émettez des dizaines d'hypothèses uniquement pour avoir des arguments. Je veux bien vous suivre sur ce chemin, mais il risque de ne pas convaincre le juge. -N'importe quel honnête homme est en mesure de voir la supercherie. Il y a quelque chose qui cloche dans les revenus de votre client. Or le monde criminel est dangereux, on sait tous que les attaques sur les membres de la famille sont légions. -Madame, l'interrompit à nouveau Jonas. Pouvez-vous énoncer des faits au lieu d'argumenter sur un mur de vides et de suppositions non-prouvées ? -La raison qui nous pousse à refuser cette garde se trouve là. Avec tout le respect que je vous doit, monsieur Trevoro, il paraît évident que cet homme est un criminel. Je vois mal comment un homme sain d'esprit pourrait laisser un enfant vivre sous le même toit qu'un mafieux. -Au risque de vous paraître gaga, je ne vois qu'un père de famille qui essaie de voir son enfant. Quant à vous deux, je vous perçois comme prêtes à modifier la réalité pour servir vos propres intérêts. -Quoi ?!? Ça c'est la meilleure. Monsieur Salesman modifie à longueur de journée le passé de monsieur Da Silva, il bouche les trous, change les noms, augmente les salaires. Après c'est moi qu'on insulte ? -Je ne vous ai pas insulté. Je vois simplement que vos seuls arguments sont avancés sans la moindre preuve valable, que puis-je y faire ? -Vous ne valez pas mieux qu'eux, hein ? Bande de pourris, crasseux. Ce monde me dégoûte, vous êtes les merdes qui entachent notre beau pays. Vous vous laissez corrompre par l'appât du gain, prêts à tout pour quelques dollars. Vous vous rendez compte que vous allez gâcher la vie d'une femme, que vous allez tuer une enfant ? -Je me rends compte que vous venez de m'insulter. Veuillez quitter mon bureau, l'audience est levée. Mon jugement sera rendu dans les prochains mois. En attendant, j'aimerais que vous me remerciez de ne pas vous inculper pour outrage à magistrat. Si Helen avait eu une arme, il était évident qu'elle aurait tiré sur Trevoro. Sarah, quant à elle, semblait au bord des larmes. Elle n'avait même pas la force de bouger. Collée à sa chaise, son corps frissonnait devant l'échec. Malgré son tailleur de marque et sa chevelure parfaitement lissée, elle avait l'air d'une enfant démunie. Son apparence était devenue pitoyable, elle restait digne pour sauver son honneur mais je voyais la tristesse se dessiner sous ses traits. J'étais sur le point de la rejoindre, de lui offrir mes excuses, lorsque Josh me tira en arrière. Après avoir transmis un papier au juge, il quitta le tribunal avec moi sur ses talons.
Jamais je ne m'étais senti aussi honteux d'une victoire. L'heure d'après, nous faisions la queue dans l'aéroport. La victoire était acquise, le papier assurait à Jonas l'obtention prochaine de son argent, les problèmes semblaient s'arrêter là mais je me sentais mal. Les gens qui m'entouraient m'insupportaient. Tous étaient bien plus honnêtes que moi, de bien meilleurs personnes. J'aurais aimé être n'importe lequel d'entre eux, même le plus pauvre. Mais j'en étais incapable. Dans l'avion, je passais tout le trajet à observer les nuages, me demandant ce qui se serait passé si nous avions eu un juge honnête. En réalité, je commençais même à me questionner sur mon aptitude à élever seul une enfant. J'étais réellement devenu ce genre de monstre, j'étais celui que Sarah m'accusait d'être. C'était elle qui avait raison, pas moi. Mais cette femme avait essayé de me duper, il ne fallait pas l'oublier. Je n'étais sans doute pas pire qu'elle. Nous nous valions tous deux. Qui se ressemble s'assemble, comme on dit. Des menteurs qui s'étaient alliés pour mieux se détester. Mais à partir de maintenant, je reprenais le dessus, j'avais gagné une bataille qui allait entamer une guerre... Plusieurs heures plus tard, l'avion atterrit à Los Angeles et je me rendis compte que je n'avais pas dis "au revoir" à Lily avant de partir. J'étais profondément honteux, je me détestais de plus en plus à chaque pas que je faisais dans cet immense bâtiment publique. Quelque chose n'allait pas, j'avais un mauvais pressentiment. Je m'imaginais plusieurs scénarios catastrophes mais ils n'étaient rien face à ce qui allait me tomber dessus juste devant le tapis où l'on récupérait les valises. -Monsieur Da Silva ? Nous aurions quelques questions à vous poser.
Chapitre 77 : Problèmes À partir de ce moment, le château de carte s'est effondré. Nous sommes tombés les uns après les autres, comme une rangée de dominos parfaitement alignés. Un seul coup avait suffit pour provoquer ma chute. Quelques secondes après être tombés sur les forces de l'ordre, ces dernières nous arrêtaient pour corruption. L'heure suivante, Josh et moi attendions en prison, privés de nos libertés. Pendant que je pestais sur ma naïveté, sur l'odeur insupportable de l'endroit, sur son insalubrité, sur notre manque de chance, Josh cherchait une solution qui nous permettrais de limiter la casse. La police, au lieu de nous interroger, s'orienta vers Sarah et ses accusations. Mon ex-femme et son avocate colérique déversèrent alors un torrent d'accusations sur ma personnes. La plupart furent prises en compte. Le bar récemment acheté devint le principal sujet des préoccupations. Il suffit d'une semaine à la police pour remonter au vrai acheteur. Adrien, démuni face à la violation de son domicile, se retrouva dans la même prison que nous. Le jeune hackeur, parfaitement incapable de supporter l'enfermement, dénonça tous ceux qu'il connaissait. En retournant dans sa cellule, les agents lui apprirent qu'il était accusé de nombreux crimes autres que son association avec moi. À ce moment, il comprit que jamais il ne sortirait d'ici. Sa vie prit fin trois jours plus tard, lorsqu'il se laissa étouffer par son compagnon de chambre. Lucy atterrit dans une prison féminine, il n'y avait aucun moyen de recevoir des nouvelles de sa part. Tout ce que l'on savait, c'est qu'elle n'avait rien dit aux enquêteurs et qu'elle s'était adapté rapidement à ce milieu rempli de femmes. Maverick, avant de pouvoir être arrêté, se donna immédiatement la mort. Jamais il ne connu l'humidité d'une cellule, l'insomnie provoquée par les cris des taulards, l'envie de vomir causée par la nourriture de prison. Thunder, déjà connue des forces de l'ordre, ne vit pas son quotidien changer. Elle perdit la vie trois ans plus tard, durant une fusillade avec un gang rival à la frontière avec le Texas. Quant à Wyte, l'histoire ne m'a jamais dit ce qu'il était advenu de lui. À peine avions-nous été arrêtés qu'il avait disparu de la circulation, laissant la totalité de ses affaires derrière lui. Personne ne réussit à le retrouver... Ainsi passait le temps. En compagnie de Josh, je regardais le mur sale et fissuré de la cellule, me demandant combien de temps j'allais encore pouvoir survivre dans cet enfer.
Le procès n'avait pas eu lieu, ils le retardaient le plus possible pour obtenir un maximum d'informations. Pour eux, plus on restait longtemps dans ces pièces crasseuses, plus la victoire était grande. Voilà tout ce que je visualisais dans mon esprit en observant mon reflet déformé dans l'insigne du policier. Je ne pouvais cacher mon angoisse face à ces hommes en costumes bleus, la matraque sur la hanche gauche, le pistolet sur la droite. Mes jambes légèrement pliées dénonçaient ouvertement mon désir de fuite, pourtant les agents semblaient très calmes. Le premier regardait aux alentours tandis que le deuxième plongeait ses yeux verts dans les miens, probablement à la recherche de la vérité. -Nous aimerions vous poser des questions sur la mort de Marco Saliego, finirent-ils par dire. Avec une synchronisation parfaite, Josh et moi lâchâmes un profond soupir de soulagement. Rien n'aurait put être plus suspect. Nous étions sur le point d'exploser et, en l'espace d'une question, nous nous sentions revivre. Pourtant, les hommes de loi ne remarquèrent rien. -Évidement, répondis-je, je suis tout à vous. Mais quand est-il mort ? -Plusieurs mois, en réalité cela remonte à l'avant-Noël. Vous vous rappelez de lui ? -Oui, plus ou moins. -Je suppose que ce n'est pas le genre d'homme qu'on oublie. Après tout, il a été une sorte de mentor pour vous. -Comment ça ? J'espérais me faire des idées, mais il était claire que ces deux hommes connaissaient mon passé. N'ayant jamais purgé ma peine pour mes crimes de l'époque, je n'arrivais pas à comprendre pourquoi ils ne m'arrêtaient pas. Normalement, mon histoire devait être inconnue, or ces gens là semblaient bien renseignés. -Monsieur Da Silva, votre affaire est classée, ne vous en faites pas. Nous savons qu'officiellement, vous avez organisé un incendie dans un bar hérité. Ici, nous ne faisons que vous demander de l'aide pour trouver qui aurait pu tuer monsieur Saliego. -Si mon passé n'est pas officiel, comment pouvez-vous utiliser mon témoignage ? -Nous ne vous demanderons pas de témoigner, ne vous en faites pas. Il suffira de dire que c'était dans le dossier.
Derrière ce sourire bienveillant se cachait un piège. Ils jouaient un rôle et je n'étais pas prêt à tomber dans le panneau. Si j'avais craint de me rendre en prison pour corruption, je n'allais pas y aller après avoir ouvertement avoué mes crimes. -En réalité messieurs, je n'ai pas bien connu monsieur Saliego. -Ah bon ? Fait étonnant. Il est pourtant établi que vous avez travaillé pour lui pendant trois ans, en tant que maître des basses œuvres. -Je ne vois pas de quoi vous parlez. Il y a eu une période où je suis devenu un habitué du Saliego's, nous avons sympathisé à ce moment là. Rien d'autre. -Vous n'êtes donc pas prêt à coopérer ? -Je ne suis pas du genre à avouer des crimes que je n'ai pas commis. -Très bien, dans ce cas, veuillez nous suivre. Pas vous, monsieur Salesman. Non, nous allons avoir une petite discussion privée avec la Légende, le grand Michael Da Silva. Le regard de Josh alors que je le quittais n'aurait su mieux représenter mes émotions. J'étais perdu, affolé et acculé. Accompagné par les deux policiers, je quittais l'aéroport, encore plus terrorisé que si l'on m'avait accusé de corruption. En dépassant les hordes de gens qui attendaient pour montrer leurs passeports, je vis de nombreux regards se tourner dans ma direction. On s'interrogeait, se questionnait. "Qui est-ce" "Qu'a-t-il fait", tous ceux qui m'apercevaient ne pouvaient s'empêcher de me suivre des yeux. Dehors, l'air frais me frappa au visage. Entre deux taxis, la voiture de police attendait. Blanche et noire, le numéro trente-sept écrit sur le capot, les gyrophares éteints sur le toit, elle attirait toute mon attention. Alors que l'un des agents ouvrait la portière arrière, les deux hommes furent apostrophés par un troisième que je n'avais pas remarqué en sortant mais dont la voix me permit immédiatement de deviner son identité. -Qu'est-ce qui se passe ici ? Demanda Wyte. Tournant la tête dans sa direction, je vis mon conseiller s'approcher avec détermination du véhicule. Équipé de son costume parfaitement noir et son regard perçant, il était presque effrayant. -Vas t'en Martinez, ce coup-ci c'est pas encore ton tour ! Répondit un des policiers. -Je peux savoir ce que vous avez contre lui ? -Non, maintenant casse toi avant qu'on t'arrête pour outrage à agent. -Si vous m'arrêtez un jour, j'espère pour vous que mon crime sera plus intéressant qu'un simple outrage. -C'est ça, moi aussi. Tire toi.
-Mike, toi au moins, tu peux m'expliquer où est le problème ? -C'est rien, ils vont juste m'interroger. Te pose pas trop de questions. -Ok. Fais gaffe à ton cul quand même ! -Ouaip. Toi aussi. Après qu'on m'ait fait prendre place sur la banquette arrière, la portière se referma derrière moi et la voiture quitta sa place. Séparé par une grille des sièges-avant, je me sentais comme un animal en cage. -Tu sais Mickey, au bureau, t'es un putain de trophée. Le mec qui réussira à te foutre en taule sera un héros mon gars. Alors à ta place, j'ferais gaffe, parce qu'on risque d'être nombreux à vouloir te cuisiner. -J'espère que vous vous amuserez au moins. Tant qu'à perdre mon temps, autant que quelqu'un y trouve un peu de plaisir. -Tu crois que tu vas perdre ton temps ? Tu vas voir, ce soir tu croupira en prison. Ta vie est un tel tissu de mensonge que si tu écrivais plusieurs fois ta biographie, je suis sûr qu'on aurait toujours une histoire différente. Au mot "biographie", mon cœur s'arrêta de batte. Leslie. J'avais laissé mon ordinateur à Londres, un ordinateur sur lequel était écrit plusieurs versions de mon histoire. Un ordinateur qui suffirait à condamner presque tous mes associés. Il fallait que je prévienne Josh. Si tôt sorti de l'interrogatoire, j'allais devoir partir à la recherche de l'ancienne strip-teaseuse et récupérer ces fichiers avant que la police ne mette la main dessus. Mais pour l'instant, je n'étais qu'une souris dans champ d'herbe à chat. Au commissariat, je ressentais presque cette même effervescence qu'au tribunal de New York. Les gens courraient en tous sens, se criaient dessus, travaillaient sur leurs écrans. Tout le monde semblait se tuer à la tâche. Après un passage rapide dans cette grande pièce pleine d'action, les deux policiers m'installèrent dans une arrière salle grise avec pour seul remplissage une table en fer et quatre chaises. Je pris place d'un côté et les policiers s'assirent de l'autre. Pendant de nombreuses minutes, nous nous contentâmes de nous regarder en silence, seule l'agitation de la salle de travail parvenait jusqu'à nos oreilles. Puis finalement, un des deux homme prit la parole. -Vous êtes bien Michael Da Silva ? -Oui. -Né en Novembre 1996 ? -Oui.
-Actuellement père de Lily Da Silva et divorcé de Sarah Spencer. -Oui... -Bon, parfait. Commençons les vraies questions. Entre 2001 et 2005, où viviez vous ? -Chez la mère de Nick Fear, Kate Fear. -Elle vous nourrissait et vous logeait ? -Oui. -Comment faisait-elle, avec le peu d'argent que lui offrait son emploi de vendeuse ? -Je ne lui ai jamais demandé. Mais elle n'a pas eu de problème d'argents, alors je ne vois pas pourquoi je l'aurais fait. -Vous n'avez jamais vendu du drogue pour arrondir ses fins de mois ? -Non. -Jamais volé de véhicules, tué d'hommes, violé la loi ? -Jamais. La tension était palpable dans la pièce. Je sentais la haine du policier grandir derrière sa moustache. Il n'avait jamais autant détesté la procédure qu'aujourd'hui, je le voyais dans ses yeux. Si ça ne tenait qu'à lui, il m'aurait déjà envoyé à Guantanamo Bay. -Dans ce cas, comment expliquez vous qu'à vos dix-huit ans, vous vous êtes acheté un immense appartement et une Ferrari ? -Cadeau de monsieur Saliego. -Ah ? Vous deviez être vraiment très amis, dans ce cas. -C'est le moins qu'on puisse dire. -Pourtant, je vois mal ce qui aurait pu vous lier. -Nous avons sympathisé, je vous l'ai déjà dit. C'était un homme bien... Je crois. -Vous avez dit l'avoir rencontré au Saliego's, n'est-ce pas ? -Non, je n'ai jamais dit ça. D'autant que je n'avais pas l'âge de boire, qu'aurais-je fais dans un de ses bars ? Non je l'ai rencontré pendant qu'il faisait ses courses, à une époque où il n'était pas encore riche. -Vous savez que malgré les modifications officielles, il est toujours écrit que vous avez été arrêté pour vol à main armé. Votre histoire de bar brûlé ne tient pas avec nous. -À quoi servent les modifications officielles dans ce cas ? -Saliego voulait probablement vous offrir un bon futur. Il a modifié la réalité, mais en fouillant un peu, on trouve des trucs intéressants. La vérité finit toujours pas ressortir. -Vous m'en voyez ravi. Mais donc ces trucs intéressants ne sont pas officiels. -Eh bien... -... et vous ne pouvez pas utiliser de preuves non-officielles durant un procès, je
me trompe ? -En réalité, nous ... -Je ne me trompe pas. Parfait ! Dans ce cas, messieurs, ce fut un plaisir ! J'allais pour me lever mais les deux hommes me firent signe de me rasseoir immédiatement. En réalité, je commençais à prendre goût à cet interrogatoire. Narguer mes ennemis était tout à fait grisant. De toutes manières, c'était la seule astuce que j'avais trouvé pour ne pas exploser sous la pression. -Après la prison, vous avez quitté L.A., pourquoi ? -Changer d'air. Cette ville ne m'aimait pas, je ne voyais pas de raisons d'y rester. -Et Joaquin Flores ? -Ouais, bah quoi ? -Arrêté en même temps que vous, tué un mois après votre départ. Lui, personne n'a pris la peine de modifier son dossier. -Anecdote intéressante s'il en est. -Ne faites pas le con avec moi. Flores et vous étiez de bons amis, il était de notoriété publique que vous deux, Nick Fear et Lucy Sharp étiez les plus grands buveurs du Saliego's. Vous y passiez toutes vos soirées ensemble. -Oui. D'accord. Ensuite ? -Ensuite ? Joaquin s'est fait buté en prison, Nick Fear est mort lors d'un règlement de compte qui a également mis fin à la vie de l'amante de Lucy Sharp. Coïncidence ? Je n'y crois pas une seule seconde. Tous ces événements sont liés et vous en êtes le point d'orgue. -Moi et les Illuminatis, quoique rien ne me dit que les Reptiliens n'ont pas d'importance dans l'affaire. -ASSEZ ! Vous n'êtes pas en position de force, monsieur Da Silva. À New York, fin 2014, un braquage a lieu. Le mode opératoire est très ressemblant à celui de Joaquin Flores. Or, un mois plus tard, madame Spencer demande le divorce. Tout ça est bien trop gros pour être un hasard. Vous savez que si je ne vous arrête pas aujourd'hui, il ne me faudra pas longtemps pour monter un dossier qui vous emmènera droit en prison ? -Je n'en doute pas. Vous savez, toutes ces questions me mettent face à un cruel dilemme. Je ne sais pas si je dois jouer l'innocent ou si je dois faire semblant d'être un puissant chef mafieux avec des phrases comme "Votre fille se porte bien ? Si vous voulez, je peux envoyer un de mes hommes aller la chercher à la fin des cours". À ma place, vous feriez quoi ? -Ne jouez pas avec mes nerfs. -Très bien. Motus et bouche cousu. Continuez votre histoire monsieur l'agent. Le scénario est passionnant, digne des plus grands films hollywoodiens, j'envie votre imagination. Qu'arrive-t-il ensuite ? Vous remarquez que la hausse du prix
du pétrole coïncidence avec mon retour à Los Angeles et vous en déduisez que je suis un puissant prince arabe ? Là, il allait exploser de rage. Moi, j'allais exploser de rire. Pourtant, jamais je n'avais été aussi tendu de toute mon existence. -Vous êtes méprisable, monsieur Da Silva. Vous savez quoi ? Partez. Mais sachez que d'ici un mois, deux tout au plus, j'aurais monté un dossier suffisant pour tous vous envoyer en taule, vous et vos amis les hors-la-loi. -Je n'en doute pas, aussi je vous souhaite bonne chance. Si vous avez besoin de moi, n'hésitez pas m'appeler. De retour à l'extérieur, je m'écroulais sur les marches du commissariat, un sourire nerveux sur le visage. Mes jambes tremblaient, tout mon corps semblait sur le point de tomber en morceau. Jamais je ne m'étais senti aussi mal. Tout en regardant les voitures foncer sur la rue en face de moi, je passais ma manche sur mon front pour en retirer la sueur. Au bord de la crise cardiaque, j'avais envie de crier, mais je ne savais pas si ça devait être un cri de joie ou un cri emprunt de terreur. Car si le présent venait de s'éclaircir, jamais le futur ne m'avait paru aussi sombre. Une pensée en entraînant une autre, je me rappelais soudain de l'ordinateur qui attendait toujours à Londres qu'on vienne le voler. En une seconde, j'avais sorti mon téléphone et je composais le numéro de Wyte. Ce dernier, après m'avoir demandé si tout allait bien, me réserva un jet privé prêt à partir dans l'heure. Juste avant de raccrocher, je lui demandais de chercher l'adresse de Leslie. Quelques minutes plus tard, toujours affalé sur les marches du commissariat, je fut tiré de ma contemplation solitaire par l'arrivée de ma Tesla. Maverick quitta le siège passager et m'ouvrit la porte arrière avant de remonter à l'avant. Alors qu'elle démarrait, je savourais le confort de ma voiture, mille fois plus agréable que celui du véhicule de police. Malgré ce léger moment de détente, mon cœur continuait de battre la chamade et je ne pouvais qu'espérer que mes hommes aient une solution face au problème de la police. De retour dans ce même aéroport que j'avais quitté à peine une heure plus tôt, je doublais la totalité des clients en compagnie de mon garde du corps pour rejoindre la zone privée. De là, un grand couloir menait vers une piste de décollage réduite où divers avions de petites tailles se côtoyaient. Il y avait de tous, des avions de fret aux
jets les plus luxueux, aucun genre de manquait à l'appel. Mon carrosse, un Legacy 600 gris, attendait à quelques mètres de la sortie du couloir. Presque inconsciemment, je courrais pour monter dans le véhicule. Quatre à quatre, je montais les marches de l'avion pour pénétrer dans son luxueux intérieur. C'était là qu'il m'attendait. -Pas mal cet avion !
Chapitre 78 : La rançon de la gloire On s'était passé le mot, ce n'était pas une coïncidence, le monde ne pouvait pas me détester à ce point. À peine venais-je d'éviter la prison à vie qu'un homme qui désirait ma mort se présentait à moi. Comble de l'ironie, il m'attendait dans un avion qui allait m'emmener à Londres où j'étais censé supprimer des preuves pouvant m'inculper. Ainsi, c'était pour sauver ma propre existence que je m'étais retrouvé face à la mort. Je n'en pouvais plus de toute cette pression continue, j'étais exténué, aussi me contentais-je d'un simple soupir d'exaspération, trop fatigué pour faire quoi que ce soit d'autre. J'en avais marre, je ne pouvais plus lutter. Les attaques sur ma personne s'enchaînaient les unes après les autres, à chaque fois sous une forme différente et sans jamais me laisser de répit. J'étais las de fuir et d'esquiver mon destin. Il était écrit que ma chute aurait lieu aujourd'hui. Or, préférant de loin mourrir que croupir en prison, je m'avançais dans l'intérieur de mon avion, Marverick sur mes talons. C'était là, avachi dans l'un des nombreux fauteuils du jet, que m'attendait l'As. Sur son visage, un sourire dérangeant. Dans ses yeux, la flamme de la folie. Jusque dans son attitude tremblante d'excitation, cet homme était effrayant. -Vous m'avez gravement offensé, autrefois, m'expliqua-t-il avec un ton presque mielleux. -Ai-je essayé de vous tuer ? -Vous, non. Vos hommes, oui. Mais le fait est que votre mort était issue d'un commun accord, pas la mienne. -Jamais je n'accorderais à un homme la permission de me tuer, soyez-en sûr. -Pourtant vous l'avez fait, sinon nous n'en serions pas là. Je peux comprendre que votre lâcheté vous ait poussée à oublier votre honneur et à fuir comme un enfant. Mais aujourd'hui, je viens laver votre nom. -Laver mon nom ? En m'assassinant ? Vous avez un sérieux problème. -C'est moi qui ai un problème ? Les seules personnes que je tue ont accepté leurs morts, contrairement à ceux dont vous prenez la vie. Comprenez moi, Corbeau, ce que j'aime dans le jeu, c'est sa dimension hasardeuse. Le fait de ne rien contrôler, c'est plus que jouissif, or plus les enjeux sont grands, plus la sensation est intense. Je joue donc avec les plus grands enjeux possibles : les vies des participants. Sauf que si un beau matin, on apprend qu'il est possible de perdre face à moi et
de s'en tirer, les gens n'auront plus peur, ils ne joueront plus sérieusement et je perdrais tout plaisir. Est-ce réellement ce que vous souhaitez ? Un dangereux psychopathe essayait de me prendre par les sentiments... Cette vie n'avait plus le moindre sens. Comme si l'homme qui avait écrit mon histoire venait de quitter le navire, laissant mon futur partir en roue libre dans d'inexplicables directions. J'étais complètement perdu. Affolé. Déprimé. -Dans ce cas vas-y, bute moi ! Fais un exemple ! Allez, je te laisse faire. -C'est pas si simple, me répondit-il en prenant une flûte de champagne sur la table qui se trouvait à coté de son siège. Les perdants, je les tue. Un coup, shlack, rapide. Mais les fuyards... Il leur faut un sort plus marquant. Sinon, tout le monde fuirait. Qui préfère une mort certaine à un risque de mourrir ? Nan... J'ai besoin d'inspirer la peur aux lâches. Il me faudrait une idée originale de torture. -Prenez votre temps. S'il n'était pas décidé à se charger de moi, alors c'était moi qui allais m'occuper de lui. Dans un geste rapide et précis, je sortis mon arme et la pointait en direction de l'As. Unique bémol, mon adversaire avait vu le coup venir et une de ses cartes vint s'enfoncer dans ma droite, me faisant lâcher mon arme ainsi qu'un hurlement de douleur. Ma vision se brouillait, je sentais l'objet métallique profondément enfoui dans ma chair, ressortant de chaque côté. Incapable de regarder, je ne pouvais que fermer les yeux en hurlant. Autour de moi, le sol semblait être en train de se balancer en tous sens. -Bon, au moins vous ne m'embêterez plus. Quand à vous, dit-il en s'adressant à Maverick. J'apprécierais que vous baissiez votre arme, sinon ma prochaine carte ira droit dans le tout petit cerveau de votre employeur. Capito ? Je laissais tomber, je me laissais tomber, je laissais tout tomber. Réfugié dans mon esprit, j'oubliais mon environnement, ma souffrance, tout ce qui m'entourait. Le monde n'existait plus, j'étais presque dans un état d'évanouissement mais tout en restant conscient de moi même. Pourtant, je ne voulais pas de cette conscience, je n'en voulais plus. Je désirais plus que tout au monde disparaître, ne plus exister, ne plus avoir à supporter tous ces fardeaux que je portais depuis trop longtemps sans protester. Je voulais abandonner. ...
À mon chevet, Lucy m'observait avec une sorte de pitié dans les yeux. Dans la pièce parfaitement blanche, ses vêtements colorés et agressifs attiraient le regard de manière violente. -Il t'a pas manqué en tout cas. Joli bandage. D'une légère rotation de la tête, j'observais l'épais tissu blanc qui faisait le tour de ma main là où la carte s'était enfoncée. En repensant à l'événement, je sentis la douleur se réveiller et je ne pu m'empêcher de lâcher un gémissement plaintif. -Je suppose qu'on t'a briefé. -Ouaip. L'As s'est enfui, je sais. Maverick est désolé, je sais. Putain, on a de plus gros problèmes que ce fils de pute. -Ah ouais ? Et qu'est-ce qui pourrait être plus important qu'un tueur psychopathe à tes trousses ? -Le fait que la police soit en train de monter un putain de dossier sur moi ! Le fait qu'il y ait à Londres un ordinateur qui peut tous nous faire aller en taule. Le fait que j'ai corrompu un juge qui était probablement un indic. Le fait que Tiger est probablement toujours en train de chercher qui je suis. Le fait que les problèmes arrivent bien avant les avantages et que j'ai peur de ne pas être à la hauteur. -Michael et ses complexes moraux : une grande histoire d'amour. C'est fou à quel point t'es con et pourtant, quand on t'écoute parler, t'as presque l'air d'un philosophe. -Va te faire foutre, Lucy. -Écoute Mike, je suis pas celle qui va te remonter le moral en te faisant des câlins et en te disant que tu es un héros pour nous tous. Nan, je laisse ça aux autres suceurs. Moi, je te dis les choses franchement et il y a un truc que tu dois savoir, c'est que tes pleurnicheries me font chier à un point inimaginable. Alors arrête de pleurer mec, t'as de la thune, une baraque, une fille, des connards qui croient en toi, donc fait pas chier. T'es sérieusement pas à plaindre. Toutes les merdes qui t'arrivent, tu les mérite. Toutes les bonnes choses découlent de coups de chance. Je t'aime bien, Mike, t'es un mec cool, vraiment. Mais ose me dire que tu t'as jamais espéré avoir une vie comme ça en étant enfant. -Si, peut être... -Voilà, t'es un des rares fils de pute qui voit son rêve se réaliser. Maintenant vas pas faire chier parce que tu découvre qu'il n'est pas parfait. Les rêves, ça n'existe pas. Il y a toujours une face cachée qu'on découvre une fois qu'on est dedans. Je ne supportais pas qu'elle me parle ainsi, comme si j'étais un demeuré, alors que je venais de frôler la mort, mais je la laissais faire.
Peut être était-ce par faiblesse, peut-être parce que je savais qu'elle disait vrai. En réalité, j'avais d'autres problèmes en tête. -Il faut vraiment que j'aille à Londres. -Dans ton état ? À ta place, j'enverrais quelqu'un. -Non. Je dois le faire moi même. C'est beaucoup trop risqué. -Récupérer un ordinateur chez la fille la plus adorable du monde ? Tu parle d'une mission risquée... -Si je choisis la mauvaise personne, elle pourrait garder l'ordi pour me faire chanter. Nan, c'est moi qui m'en occupe. -Tu ne fais confiance à personne ? Ni à moi, ni à Maverick, personne ? -La confiance m'a fait commettre trop d'erreurs. -Tu sais que si tu dirige, ce n'est pas juste pour faire joli. Un chef qui ne croit pas en ses hommes va droit dans le mur. Quand Marco t'envoyait en mission, tu crois qu'il courrait derrière toi pour voir si tu te débrouillais ? -J'ai pas encore trouvé d'homme de confiance. -Ah ouais ? Putain, j'sais pas ce qui te faut. On a passé toute notre adolescence ensemble et t'es pas foutu de me faire confiance ? Entre la naïveté et la paranoïa, y'a un faussé et on dirait que tu viens de le sauter. -Fais pas chier Lucy. Accompagne moi si tu veux. Mais cette mission la, uniquement celle la, j'ai besoin de la faire moi même. Le lendemain matin, je quittais Los Angeles dans un autre avion. Je sentais l'ombre de l'As planer au dessus de ma tête, je savais qu'il était là, tapi dans l'ombre, tout comme les policiers qui montaient patiemment leur dossier, preuve après preuve. Je me sentais comme un claustrophobe. Je voyais ma vie comme une pièce, moi au centre et les murs qui se rapprochaient. Je n'arrivais pas à voir leur vitesse, je ne savais pas à quelle distance ils étaient de moi, mais ils finiraient par m'écraser. Durant toute la durée du voyage, je n'osais poser mon regard sur ma main droite. À certains moments, des pics de douleurs me surprenaient, allant jusqu'à me faire frissonner en sursautant. J'étais mis à mal, réellement, et les multiples coupes de champagnes que j'absorbais ne changeaient rien à l'affaire. Lucy, assise dans un coin de l'avion, me regardait avec une sorte d'inquiétude. Son expression était inédite pour moi, j'étais donc incapable d'en déchiffrer précisément le sens. Parfois, je la voyais comme une mère veillant sur son enfant malade. -Tu peux arrêter de me regarder comme ça, c'est dérangeant ! Finis-je par lui dire.
-T'es à trente verres alors qu'on est parti depuis deux heures. Je crois que si j'arrête de te regarder, tu vas faire une connerie. -C'est du champagne, y'a presque pas d'alcool. -Mon cul ouais ! Vu que le nombre de flûte que tu t'es pris, tu dois avoir plus d'alcool dans le sang que si tu t'étais fait plusieurs shots de vodka. -Mêle toi de ce qui te regarde. -Je me sens concernée par la santé de mon ami et employeur. C'est vraiment étonnant ? -Venant de toi, oui. -T'es vraiment affligeant comme gars. Bordel tu gère une organisation complète mais t'es pas foutu de respecter tes plus fidèles associés. -Et toi t'es pas foutu de respecter ton boss. Est-ce que je te fais chier avec ça ? -Pour l'instant mon boss, c'est une loque ivrogne et effrayée par tout ce qui l'entoure. Écoute, je fais pas ça pour te faire chier, même si ça peux en avoir l'air. C'est juste que tu fais pitié là, et un chef qui fait pitié, il ne reste pas longtemps au sommet. -Va te faire foutre avec tes conseils. Je sais ce que je fais. L'alcool aidant, je transformais ma terreur en colère pour l'envoyer contre Lucy. J'en étais parfaitement conscient mais je continuais, je savais que sinon, j'allais exploser encore plus violemment. -Tu sais pourquoi le monde nous déteste ? Pourquoi on a peur de nous ? Me demanda-t-elle. -Parce qu'on est des connards sanguinaires. -Parce qu'on donne l'impression d'avoir réussi. On a la liberté, les gens sont jaloux. On fait des films, des livres, des séries, de jeux, y'a tout sur le milieu criminel. On crée l'envie, ils veulent s'identifier à nous. Des gens aux couilles énormes, qui vivent au jour le jour, engrangent d'énormes revenus, n'ont pas de problèmes. C'est ça qu'on leur vends. En réalité, tous ces gens vivent dans un monde qu'ils détestent et nous, on leur montre que la rébellion est possible. Toi, moi, Viktor, on est sortis du rang, on a eu le courage de quitter les clous, de faire ce qu'on voulait. On a réussi, mais maintenant, on en paye le prix. Là, on s'approche du paradis, on est sur la dernière ligne droite, va simplement savoir rester dans la course. Un autre problème, ça sera de supporter le sommet. Parce que quand tu seras au plus haut, les vents violents te fouetteront le visage et il n'y aura plus que toi pour les supporter. Tu pourras dire adieux à tes relations. Quand on dirige, on perds tout le reste. Si déjà maintenant tu veux abandonner, alors fais-le, Parce qu'une fois en haut, la chute sera bien plus douloureuse. -T'as l'air vraiment calée. Tu me rappelles à quelle moment t'as dirigé quoi que ce soit ? -Moi, j'ai passé plusieurs années dans des putains d'écoles. Là bas, tu te
renseigne sur des témoignages de mecs qu'ont eu le pouvoir. Je dis pas que ma culture est sans limite, mais elle est probablement bien plus étendue que la tienne et le fait est qu'en règle général, le pouvoir a beaucoup d'inconvénients. Après un regard en direction de la bouteille sur la table, je me rendis compte qu'elle était vide. Je me levais aussitôt et partis en direction de l'armoire où étaient rangées les multiples réserves d'alcool. -Et toi ? T'as pas envie de diriger ? Si j'en ai pas l'étoffe, pourquoi pas toi ? -C'est pas mon truc. Il y a trop de risque de rater et même si j'y arrivais, les avantages ne m'intéressent pas. Qu'est-ce que tu veux que je fasse de tout ce fric ? Quand j'étais jeune c'était un moyen de m'affirmer, jusqu'à récemment ça me permettait d'offrir des cadeaux à la femme de ma vie, mais maintenant... J'en vois plus trop l'intérêt. -Tu penses encore à elle ? -Évidement ! Putain, y'a même des soirs où j'y pense tellement que j'ai envie de me foutre une balle. J'ai l'impression que la vie a perdu une grande partie de son sens. Mais t'as pas connu ça, toi ? Avec Lily ? -Peut être si. Enfin j'ai pas essayé de me suicider moi. À la place, je suis allé dans le quartier des Bloods et j'ai fait sauter leurs maisons, une à une. Cocktail Molotov, grenade, tout ce qu'il y avait dans l'arsenal que Marco avait mis à ma disposition. Je les ai tous butés. Femmes, enfants, parents, j'en avais plus rien à foutre. Quand ils sont arrivés, je me suis foutu en plein milieu de la route et j'ai attendu qu'on me tire dessus. Jo avait prévu que j'allais faire cette connerie. Il avait ramené le 18st en renfort et m'avait sauvé juste à temps... Putain, quand je pense que c'est lui qu'on a laissé crever en prison. -Ouais. C'est les meilleurs qui partent les premiers. Dans un soupir, je mis fin à la discussion pour replonger dans la constatation mélancolique et fataliste de ma situation. En fermant les yeux, j'écoutais les réacteurs de l'avion me porter jusqu'à ma destination. Arrivé à Londres, je ne pris même pas le temps de me poser, de profiter de la ville, d'apprécier le climat exceptionnellement tempéré. Au lieu de ça, je me rendais directement à l'adresse que m'avait donné Adrien. Cette ville me rappelait trop cette période où boire était ma seule occupation. Je revoyais leurs morts dans ma tête à longueur de journée, je me roulais en boule pour hurler. Jamais je n'avais été aussi pitoyable. Tout en essayant de supprimer ces images de mon esprit, je toquais à la porte de Leslie. Légèrement anxieux, je vérifiais que Lucy était toujours derrière moi, au cas où tout ça dégénérait. Finalement, ce fut un homme qui ouvrit la porte. À peine vingt-cinq ans, il ne
répondait pas réellement aux critères de beauté en vigueurs mais son attitude suffisait à dégager un certain charisme, tout comme son regard trahissait son intelligence. -Vous êtes ? -Nous venons voir Leslie. D'abord, l'homme sembla surprit, ensuite la méfiance passât sur son visage pour laisser place à l'interrogation la plus totale. Après un geste de recul, il me demanda la raison de ma visite. -Est-ce que Leslie est là ? Si oui, faites la venir. -Je le fais si vous me dites qui vous êtes et ce que vous lui voulez. -Vous vivez ensemble ? Vous formez un couple ? -Mêlez vous de ce qui vous regarde. -Si vous êtes ensemble, alors vous devez avoir entendu parler de Michael. -C'est vous ?!? Partez ! On ne veux rien avoir à faire avec vous ! L'homme était sur le point de fermer sa porte mais je la bloquais du pied au dernier moment. Après avoir poussé un grand coup, je pénétrais dans le petit appartement, le pistolet pointé sur le propriétaire des lieux, projeté au sol après le choc. L'endroit était sobre, aucun mot ne pouvait mieux le décrire. Une table, un canapé lit, un frigo et quelques meubles de cuisine. Rien de plus à part une porte qui devait déboucher sur une salle de bain si l'on s'en fiait au bruit de douche qui s'en dégageait. Je regardais presque avec dégoût cette décoration pauvre, ces murs gris. C'était pour lui qu'elle m'avait quitté ? Je lui avais offert un immense appartement et elle me trompait pour aller vivre dans un studio ? -C'est elle qui se douche ? Pas de réponse. L'homme restait impassible, couché sur le sol, un air de défi sur le regard. -Écoute moi bien, fils de pute. Je viens faire de mal à personne. Il y a simplement un truc que je dois récupérer. Là, Leslie va sortir de la douche, je vais lui demander ce qu'on veut et on va partir comme on est venu. D'accord ? -Comment vous osez revenir après ce que vous lui avez fait ? -Ce que je lui ai fais... Tu parle de la maison que je lui acheté ? Des études que je lui ai payé ? De son ancienne vie dont je l'ai libéré ? -Vous passiez vos journée à boire. Un misérable dont elle devait s'occuper en rentrant. Vous hurliez à la mort, vous pleuriez sans raison. Si elle n'avait pas été là, vous auriez dormi dans vos propres excréments. En plus de ça, vous étiez
ivre à longueur de journée, le budget partait plus dans l'alcool que dans les études. Et puis vous la frappiez... Comment on peut ne serait-ce qu'imaginer vouloir frapper une femme comme elle ? -Vous n'avez aucune idée de ce que j'ai traversé ! Aucune putain d'idée ! Il me la volait et ensuite il osait me critiquer ? Me calomnier ? Il n'y avait que Leslie qui me retenait d'appuyer sur la gâchette, sinon cet homme serait déjà mort depuis longtemps. Lucy, quant à elle, observait la scène avec un certain recul. Elle se contentait de faire sauter son regard de la porte à mon arme. -Quoi que vous ayez traversé, ça n'a jamais été la faute de Leslie. Elle n'avait pas à subir ça ! -Vous n'êtes pas elle ! Vous ne savez rien d'elle ! Sans moi, elle serait encore en train de trémousser son cul devant des pervers. Je l'ai sorti de là. Si elle voulait me quitter après, elle l'aurait fait. Pourtant, elle est restée. -Elle se sentait responsable de vous. -Et pourquoi, selon-vous ? -Parce qu'il fallait bien que quelqu'un le soit ! S'il m'insultait encore une fois, je ne serais plus en mesure de retenir mes doigts, aussi décidais-je de mettre fin à la discussion d'un geste de la main. -De toutes manières, tous ces événements sont passés. Maintenant, elle est à vous et j'espère que vous la méritez. Ce fut ce moment là que Leslie choisit pour sortir de la salle de bain. En un instant, je retombais sous ses charmes et, si on s'en référait à son regard, Lucy aussi. Je ne saurais faire portrait de la perfection, aussi suis-je incapable de décrire cette femme qui, rien qu'en apparaissant, me paralysa. Si les mots assumaient souvent bien leur fonction, j'étais forcé d'admettre qu'ici, aucun ne me permettrai de faire honneur à Leslie. Deux pieds nus, bronzés, doux au regard, magnifiques. Même jusque dans ses orteils on pouvait voir une sorte d'idéal féminin, inatteignable et pourtant présent sous mes yeux. De là partaient deux jambes parfaitement proportionnées, identiques, sans la moindre imperfection, pas le moindre grain de beauté, juste une peau pure qui donnait envie de la caresser. Ensuite, cachée par une serviette blanche presque blasphématoire, la partie allant de son bassin à sa poitrine se laissait deviner. La suggestion que permettait ce vêtement était presque plus excitante que le reste du corps. Mais
malgré lui, les hanches de la jeune femme se démarquaient sur le tissu, tout comme la poitrine voluptueuse autour de laquelle il était enroulé. Ses bras, presque trop fins, partageaient avec ses jambes leur aspect uniforme et parfait. Leur diamètre ridicule était comme un symbole de pureté, avec de telles bras, impossible de faire le mal. C'était presque comme si leur unique utilité était la création d'un plaisir sacré. On avait l'impression que par quelque divin procédé, Leslie n'avait jamais eu à se servir d'eux pour une tache ingrate, du genre de celles à mobiliser les muscles. À l'image des bras, les mains étaient fines et légères. Le dos de sa main était si lisse que même la plus jeune des peaux aurait pâli devant une telle perfection. Ses doigts agiles semblaient eux aussi ne jamais avoir servi, comme si la jeune fille venait à peine de naître. Et son visage... Son visage était encore plus indescriptible que son corps. Sous une cascade de cheveux bruns et humides, deux yeux noisettes m'observaient. Même si j'y voyais de l'incompréhension, je ne pouvais m'empêcher d'y revoir le pétillement coquin qui jadis les habitait. Quant à sa bouche, juste en dessous de son nez légèrement en trompette, elle affichait une profonde interrogation, que la aussi je remplaçais par le sourire malicieux d'autrefois. -Michael... C'est toi ? Me demanda-t-elle avec la voix la plus envoûtante que le monde ait connu. -Ouais, ouais. Ouais, c'est moi. -Mais qu'est-ce que tu fais ici ? -Moi aussi je suis content de te voir. -Nan mais c'est pas ça. Évidement, c'est bizarre de te revoir... T'as l'air d'aller mieux en tout cas. J'hésitais. Normalement, ma mission consistait à prendre l'ordinateur et à repartir mais Leslie était là, sous mes yeux. Probablement ne pourrais-je jamais revoir aussi parfaite créature durant toute mon existence. Étais-je vraiment capable de m'en séparer ? -Oui, je vais mieux. Remarque, c'est pas difficile. Et toi ? La vie, ça va ? -Tu veux dire, en oubliant que t'as une arme braquée sur mon petit copain ? -Ah oui, merde ! Désolé ! Je m'empressais de ranger mon arme sous le regard complètement perdu de l'amant de Leslie. L'aspect presque comique de la scène réussit même à arracher un sourire à la jeune femme, ce qui suffit pour briser les quelques réticences me poussant à partir.
-Bon, je suppose que tu ne viens pas pour taper la discute. Qu'est-ce qu'il se passe ? Il se passe qu'une nuit de plus avec toi et je serais le plus heureux des hommes. -Tu me manque. -Quoi ?!? Hurlèrent en cœur Lucy et le petit ami de Leslie. -Ça me fait chier de me dire que j'ai tout gâché. Je suis vraiment désolé d'avoir été comme ça, je me suis comporté comme une merde. J'espère, à défaut de renouer notre liaison, que tu me pardonneras. -Euh... Bah j'avoue que je m'y attendais pas... Mais je sais pas Michael... T'as une idée de ce que j'ai vécu ? -Non, aucune, mais je sais que c'est ma faute et ça me ronge de l'intérieur chaque jour qui passe. J'en peux plus de me dire que j'ai gâché ta vie. Tout en discutant avec cette déesse, j'avais réussi à mêler surprise, jalousie et incompréhension dans les yeux des deux autres protagonistes. -Je pense que je peux te pardonner, mais ça n'ira pas plus loin. Je suis bien ici, j'ai ma vie, je suis amoureuse, je finis mes études. Entre nous, il y a plus rien. -Sûre ? -Sûre. Je ne pouvais pas laisser passer ça, si je le faisais, j'allais le regretter toute ma vie. Je devais continuer, je devais la faire changer d'avis. -Bon. Dans ce cas, ça te dirait qu'on aille boi... -Wow, wow, wow ! M'interrompit Lucy. On se calme là. Bon, je t'avoue que Mike dévie un peu, ça doit être son pénis qui parle pour lui, excuse le. Nan, en vrai nous, on vient juste chercher un ordinateur. Le dîner, ça sera après. -Un ordinateur ? -Ouaip. Celui de Mike quand vous étiez à Londres. Tu l'as gardé ? -Euh... Oui... Je crois... Au cas où. Attendez, j'enfile quelque chose et je vais vous le chercher. -On a tout notre temps. En une poignée de secondes, Leslie était rentrée dans la salle de bain, avait fermé la porte, avait mis ce qui devait être un pyjama et était ressortie. Le fait des porter des vêtements la rendait encore plus réelle, augmentant le désir que j'éprouvais à son égard. -Bon, normalement il est dans le placard. Elle s'orienta jusque dans la pseudo cuisine où elle ouvrit un des tiroirs pour en sortir un ordinateur couvert de poussière mais intact. Avec un sourire presque
anxieux sur le visage, elle me le tendit et je m'empressais de le récupérer. -Il contenait des trucs secrets c'est ça ? Tu racontais ton histoire dedans, pas vrai ? -Tu l'as ouvert ? -Non, je devine, c'est tout. Je me suis dis qu'il y avait des trucs importants à l'intérieur et que si le jetais, t'allais me tuer. Putain je suis conne ! Je me justifie alors que j'ai fait le bon choix ! Bon, bah du coup... -Ça vous dérange si on reste manger ? Demanda Lucy, le regard discrètement orienté vers la poitrine de Leslie. -Euh un peu, répondit le propriétaire. Le fait est qu'on est pas prêt à recevoir et... -Ouaip Michael, ajouta Leslie. C'était il y a presque six mois, de l'eau a coulé sous les ponts. Ça devait se finir un jour, on était trop différents, n'essaie pas de perdre ton temps à poursuivre un bonheur chimérique. Je sais quel genre de vie tu aimes mener et ça ne me convient pas. Je suis désolée mais ça ne sert à rien de rester. Vaut mieux que tu partes. Et puis bon, Lucy, les filles, ça m'a jamais intéressé. -Tu sais pas ce que tu rate. Répondit la punk, sans cacher sa déception. Après un sourire sans joie en signe de pardon, la jeune femme nous indiqua la porte avec sérieux puis la referma derrière nous, ne laissant plus qu'un souvenir de perfection dans nos esprits. Penser qu'à une époque, elle m'appartenait, me faisait souffrir. J'avais tout, l'argent, la femme parfaite, mais je m'étais contenté de me complaire dans ma mélancolie et j'avais tout perdu. J'avais moi même détruit mon propre bonheur, encore une fois... -Putain ! Elle est pas devenue encore plus belle en dix mois ? S'interrogea Lucy. -J'en sais rien... -En tout cas ce fils de pute est un chanceux ! Quand je pense que tu te l'es tapé ! -J'ai envie de pleurer quand je pense que je me la suis tapé. Bon... On rentre ? -Tu veux pas attendre demain matin et la violer contre un mur ? -Quoi ?!? -Rhooo ça va ! Je déconne. Ouais, on se tire. De retour dans l'avion, je m'endormais rapidement, portée par une vague de nostalgie. Dans mes rêves, je revivais les moments en compagnie de Leslie, des moments d'une époque qui semblait bien plus simple, bien plus heureuse. Quand le défilé de souvenir prit fin, le jet amorçait son atterrissage sur l'aéroport de Los Angeles et je ne fut pas fâché d'en quitter le confort. Ici, il faisait beau, bien plus qu'en Angleterre. Sous le soleil presque étouffant, je rejoignais l'entrée du bâtiment où m'attendait ma voiture.
Dès qu'elle pénétra dans mon champs de vision, je courrais jusqu'à ma Tesla pour en ouvrir la porte arrière. Cependant, sur la banquette se trouvait un objet qui me provoqua geste de recul. Là où je devais m'asseoir, dans ma voiture, il y avait un as de pique sur lequel était écrit au feutre rouge "Derrière toi !". Sans réfléchir une seule seconde, je me retournais pour me rendre compte qu'il n'y avait rien d'autre qu'une foule de touristes pressés. Le cœur sur le point d'exploser, je récupérais la carte pour en regarder l'autre côté et y lire "C'était drôle, hein ? Tu vas voir, la farce ne dure pas éternellement". Déjà satisfait d'être encore en vie mais effrayé de voir que mon chauffeur ne savait pas quand on avait pu poser la carte ici, je décidais de prendre un taxi pour rentrer chez moi. Pendant plusieurs heures, je me contentais de déambuler dans mon immense villa, d'en vérifier toutes les fenêtres, toutes les portes, tout devait être sûr, je devais avoir l'intime conviction que personne ne pouvait rentrer sans mon accord. Quand finalement je commençais à être rassuré, je me jetais sur mon lit et tentais d'y dormir mais, après trois vols en avion décalés de quelques heures chacun, je fut incapable de réussir à trouver le sommeil. Le lendemain matin, sans même me demander mon avis, Wyte m'envoya en négociation. C'est ainsi qu'épuisé, devant résister pour ne pas fermer mes paupières, j'attendais mon entrevue avec Fritz Dawson dans une petite pièce sans la moindre décoration. L'homme que je devais voir m'avait été brièvement présenté par mon conseiller quelques minutes auparavant. Officiellement, il était propriétaire de la plus grande entreprise de taxi de Californie. Officieusement, il vendait des parts de son entreprises à des bandits pour blanchir leur argent en faisant passer les bénéfices pour des royalties. Évidement, il touchait un petit pourcentage. Pour Wyte, cet homme était celui qu'il nous fallait. Sa richesse était telle que personne n'osait l'emmerder et il était là depuis tellement longtemps qu'il paraissait inimaginable de le détrôner. Ainsi, en compagnie de Maverick, j'attendais. En face de moi, un homme légèrement plus âgé que moi au visage durcit par la vie semblait lui aussi patienter pour voir le millionnaire. -Le Corbeau, hein ? Finit-il par dire dans un sourire sans joie. -Possible. -Ça fait toujours son petit effet de vous voir, vous, les gens dont tout le monde parle. On se fait toujours des portraits extraordinaires et au final, la réalité est
toujours décevante. -J'en suis navré. Et vous, vous êtes qui ? -Me présenter serait bien trop long, sachez simplement que mon histoire est au moins aussi riche que la vôtre. -Je n'en doute pas. -Vous venez négocier avec Dawson ? -Possible. -Dans ce cas, je m'excuse d'avance pour ce que je vais faire. Sachez simplement que j'avais mes raisons. Je lui lançais un regard interrogateur mais Fritz venait de sortir de son trou et avait fait signe à mon compagnon de le rejoindre. Ainsi quitta-t-il la pièce pour s'enfermer dans le bureau du vieil homme. Dix minutes passèrent, parfois, on pouvait entendre crier, mais aucun son n'égala celui du coup de feu qui mît fin à la conversation. D'un seul geste, Maverick et moi sortîmes nos armes avant de nous précipiter dans le bureau de Dawson. Là, dans une pièce aérée par la fenêtre ouverte, se trouvait un cadavre baignant dans son sang. Je regardais ce corps sans vie, le souffle putride de la Mort venant de dehors pour s'écraser sur mon visage. Cet homme avait beau être connu de tous, il avait perdu la vie comme n'importe qui. Ce sang qui coulait jusqu'à mes pieds me rappelait que même les plus grands n'étaient pas en sécurité, et j'étais loin d'en faire partie. La mort était partout et elle semblait apprécier me suivre.
Chapitre 79 : Entrée en scène C'était la guerre. La chaos total. Emportés dans un tourbillon de haine, les cris se mêlaient aux bruits agressifs des affrontements. La souffrance était presque visible dans l'air. Chaque hurlement, chaque goutte de sang versée, chaque détail venait assombrir un tableau déjà obscure. Et moi, honteux, en retrait, j'étais incapable d'oublier que j'étais le commanditaire de ce bain de sang. Tout cela était ma faute, mais quand Wyte m'avait informé que nous avions localisé le meilleur chimiste de Tiger, je n'ai pas été en mesure de laisser passer l'occasion. Depuis trop longtemps je subissais, la rage avait grandi en moi sans pouvoir s'exprimer. J'ai pensé qu'en tuant cet homme, je me sentirais revivre, je retrouverais mon honneur perdu. Je me trompais lourdement. Ce que j'avais sous les yeux m'horrifiait, et savoir que j'en était la cause rendait les choses encore pires. Ces cadavres effondrés, ces vies que j'avais prises sans même me salir les mains. Tout ça était atroce. En théorie, nous devions arriver ici devant une usine remplie d'honnêtes travailleurs. Terrorisés devant la menace que nous représentions, ils auraient fui sans réfléchir et tuer la cible aurait alors été un jeu d'enfant. En réalité, Tiger était loin d'être suffisamment stupide pour laisser son plus éminent fournisseur de méthamphétamine seul et sans protection. C'est pourquoi nous nous sommes vite retrouvés face à une armée. Tous ces gens qui tombaient, toutes ces morts inutiles, tout ça pour une guerre que la plupart des combattants n'étaient même pas en mesure de comprendre. Deux personnes qui ne s'étaient jamais vu, qui n'avaient aucune raison de se détester, et qui pourtant faisaient mourrir des dizaines d'hommes pour avoir le dessus sur l'autre. Lors de la découverte des gardes, la mission aurait dû être abandonnée mais il n'en fut rien. Wyte avait paré cette éventualité, il avait pris à nos côtés une douzaine de mercenaire. Après quelques explications évasives de sa part sur les retombées éventuelles de notre hypothétique fuite, je me contentais de lui céder le droit d'attaque. Ainsi commença cette boucherie sanglante. Caché derrière mon pouvoir et mon argent, je ne prenais pas part à l'affrontement. Simple spectateur, je ne faisais que contracter les muscles de mon visage pour chaque mort qui se dessinait sous mes yeux. Les murs, métalliques et lisses lors de notre arrivée, n'étaient désormais plus
que des plaques brillantes recouvertes de sang et d'impacts de balles. Par endroit, on pouvait même voir la trace rouge d'une main, celle d'un homme qui avait cherché un support pour tenir debout. Quand le dernier coup de feu fut tiré, j'étais au bord de l'explosion. Mes oreilles sifflaient, mes yeux pleuraient et mon cerveau embrumé par les récentes agitation peinait à réfléchir. Tout en regardant avec un œil méprisant les restes de cette violence, je traversais le champ de bataille en prenant soin de ne pas poser le pied dans les nombreuses flaques de sang. À chaque pas, ma canne s'abattait sur le sol, le bruit du choc résonnait dans toute l'usine. Pour le chimiste, ce son devait être comme celui d'un requiem. À mes côtés, il n'y eut que deux personnes qui montèrent dans l'ascenseur gris. Après un signe de tête de la part de Wyte et une pression sur le bouton par Maverick, la cage entama sa chute dans les sous-sols à une vitesse exaspérante tant elle était lente. Lorsque les doubles portes s'ouvrirent, un paysage actif et pourtant bien plus paisible qu'en haut s'offrit à nous. Malgré le raffut que nous avions provoqué, le chimiste et son assistant semblaient travailler dans le plus grand des calmes. Tous deux en combinaison jaune, ils étaient chacun penchés sur une énorme machine aux utilités obscures. Dès que l'on entra dans le champ de vision des intéressés, ils s'orientèrent immédiatement vers nous, laissant soudainement tomber leurs tâches cuisinières. -L'endroit est interdit, nous affirma le plus grand des deux. Veuillez remonter. -Je suis plutôt du genre à ne pas respecter les interdits, leur avouais-je. À ce moment là, en apercevant les armes qui pendaient à nos ceintures respectives, les deux hommes se rendirent compte qu'ils n'étaient pas en face d'employés perdus. Le regard vira alors du tout au tout, passant du mépris à la crainte la plus profonde. -Qu'est-ce que vous nous voulez ? Demanda l'autre chimiste, complètement sur la défensive. -Pour l'instant, notre histoire ne vous concerne pas. Ce qu'il se passe en ce moment est très simple : vous venez de changer d'employeur. Vous travailliez pour Tiger n'est-ce pas ? Dans ce cas, bienvenus chez le Corbeau. Vos salaires resteront les mêmes s'ils ne montent pas, soyez en sûrs. Nous vous offrirons aussi des locaux d'une qualité au moins supérieure à ceux-ci. Évidement, pour obtenir tout ça, il y aura un prix, mais il vous sera très simple de nous le payer : dites nous simplement qui est votre employeur et où il se trouve. Pendant plusieurs secondes, ils restèrent sur place, tremblants, les yeux volant
en tous sens à la recherche d'une solution pour fuir. Finalement, quand la peur l'emporta sur l'hésitation, le plus frêle des deux nous offrit ce que nous étions venus chercher sous le regard accusateur de son compère. -Il s'appelle Harry Gopeen, c'est le propriétaire de l'usine. Quand il viens ici, il est dans son bureau, à part ça, on ne sait pas grand chose. L'argent tombe pour chaque fournée, on essaie de nous cacher le reste de l'organisation le plus possible, vous comprenez ? -Tu étais l'assistant ou le chimiste en chef ? -Euh... Et bien, begaya-t-il, surpris par ma question. J'étais le chef. -Tu connais la recette ? Demandais-je à son associé avant de recevoir un acquiescement timide. Dans ce cas, tu viens de passer chef, trouve toi un gars sûr d'ici quelques jours ou je m'en chargerais. Quant à la balance, Maverick va s'en occuper. -Quoi ?!? Mais qu'est-ce que j'ai fais ? -Tu viens de dénoncer ton patron, or si je venais à t'embaucher, je deviendrais ton patron. Vu que t'es un scientifique, je vais laisser ton esprit comprendre le reste, la logique c'est votre fort, non ? Je ne pris même pas la peine d'observer la terreur se dessiner sur son visage. Cet homme venait de vendre la vie d'un autre pour sauver la sienne, je ne faisais pas une mauvaise action en l'assassinant. D'autant que ma vie était en danger, je n'avais aucunement besoin d'un associé trop bavard. Malgré ça, en entendant le petit homme crier sous les coups de Maverick alors que les portes de l'ascenseur se refermaient, je me sentis presque coupable. Presque... En retournant à la surface, j'eu l'impression de me retrouver dans l'âge d'or de la piraterie. Sous mes yeux se dressait un tableau que jamais je n'avais observé auparavant. Formant une ligne parfaitement droite, mes mercenaires se tenaient face aux portes de l'ascenseur, les armes braquées sur une dizaine d'homme à genoux. J'aurais pu répugner à l'idée d'être en face d'une telle pratique, à l'idée de procéder à une prise d'otage, mais j'avais la conviction que l'homme que je cherchais se trouvait parmi les prisonniers, aussi n'en dis-je rien. Il me suffit de hurler son nom pour qu'il se manifeste par un tressaillement des plus visibles. Se rendant compte qu'il s'était lui même vendu, le propriétaire de l'endroit se recroquevilla sur lui même alors que je m'agenouillais devant lui. -On a une seule question, un petite question et on te laisse partir, tu penses être en mesure d'y répondre ? -Jamais, me répondit-il avec détermination.
-Ah ? C'est dommage ça. Écoute, Harry, on n'a pas de raisons de te faire du mal, alors n'essaie pas de nous en donner une. On sait tous que tu bosses pour Tiger, on veut simplement que tu confirme ce fait et que tu nous dise où il se trouve. Après ça, on te laissera avec quelques millions et une nouvelle identité. Ce n'est pas honnête, ça ? -Vous pouvez mourir, jamais je ne le dénoncerais. De toutes façons je ne sais pas où il est. -Mais donc tu travailles pour lui, c'est bien ce que tu viens de dire, n'est-ce pas ? Parfait, dans ce cas, si tu ne peux pas me révéler l'emplacement de sa cachette, tu ne m'est d'aucune utilité. Il ne me supplia pas quand j'enfonçais une de mes balles dans son front, c'était la preuve qu'il n'avait rien d'autre à me vendre, la preuve qu'il m'avait tout dit. En quittant l'endroit, j'entendis la mort des otages retentir dans le silence matinal. Nombreux seraient ceux qui pourraient me traiter de monstre, mais je n'avais jamais demandé une telle chose. Le seul sang que j'avais sur les mains, il venait de deux hommes qui avaient trahis leurs supérieurs. Deux hommes qui ne connaissaient pas le respect. J'avais tué des sans-honneurs et ça ne me créait aucune honte. J'étais en train de changer, mais en mieux. L'ancien Mike, celui qui faisait confiance à chaque inconnu, venait de mourir. Aujourd'hui, j'apprenais à filtrer, les ennemis comme les amis, ceux qui méritaient de vivre comme ceux qui méritaient de mourir. Mes hommes avaient tué des combattants loyaux qui avaient donné leurs vies pour sauver leur employeur. Moi, j'avais tué deux incapables qui étaient prêt à envoyer leurs supérieurs à la morgue. Il n'y avait là aucune hypocrisie quand j'ai dit être dégouté par la boucherie, même après ces deux meurtres, je continuais à me sentir plus innocent que ces mercenaires. C'était nécessaire à ma survie. Après ça, tout devint différent, ma perception du monde, des autres, tout était bouleversé. Dans les jours qui suivirent, j'ai repris le contrôle de mon organisation, et je l'ai mené d'une main de fer. Je crois même que ce regain de vigueur et d'intérêt pour mes affaires n'ait pas été entièrement du goût de Wyte, qui perdit d'un coup une grande partie de son pouvoir. Chaque soir, je jouais au casino, j'amassais des sommes extraordinaires pour chaque victoire. Pour chaque défaite, j'envoyais mes hommes cambrioler le domicile du vainqueur : j'étais chez moi, et personne ne me prenait mon argent sur mon terrain de jeu.
Suite à quelques négociations tendues en compagnie de Thunder et après avoir harcelé les autres gangs d'attaques incessantes, j'avais obtenu une certaine part sur l'approvisionnement en drogue de la ville. Les armes et la drogue, je vendais de tout à tout le monde. Pas une journée ne se passait sans une opération offensive. On attaquait les gangs, les hommes de Tiger, même les boutiques concurrentes aux miennes venaient à souffrir de mes soudaines pulsions agressives. J'étais en train d'entamer ma montée, l'argent rentrait de plus en plus vite. Mais évidement, il vint un jour où la riposte devait arriver, nous ne pouvions pas attaquer impunément. Aussi meurtrière et inarrêtable que paraissait notre machine, l'opposition finit par se manifester. Ainsi, en pleine nuit, Wyte me tira de mon sommeil avec un appel nocturne. Dans un ton aussi alarmé qu'alarmant, il m'informa de ce qui venait de se produire. Sans poser la moindre question, j'enfilais des vêtements et quittais le confort de mon immense demeure pour rejoindre la Cage aux oiseaux. Dans les rues ténébreuses de la nuit, je fonçait au volant de ma Tesla, évitant tout ce qui pouvait se dresser sur mon chemin. Bien avant d'être arrivé à destination, je pouvais apercevoir le tourbillon de fumée qui quittait le sol, éclairé par les multiples néons de la ville. Mais cette vue de loin n'était rien en comparaison de ce sur quoi je tombais en arrivant devant mon bar. Derrière une horde de curieux, trois camions de pompiers essayaient d'éteindre le brasier qui touchait les deux bâtiments auxquels était collé mon établissement. Là, dans l'agitation fantomatique et surréaliste, dans l'ambiance mystérieuse que produisait l'heure tardive, je voyais une route éclairée uniquement par la chaleur orangée des multiples flammes qui crachaient leurs braises ardentes sur la rue. Mon bar, un tas de ruine, se faisait dévorer peu à peu par le feu. Les murs étaient effondrés, par moment, on voyait même des morceaux entier s'écrouler sur eux même dans une explosion effrayante. Obligé de contenir ma rage face à cet affront, je serrais mes mains dans mes poches. J'avais envie de tuer l'auteur de ce crime, j'avais besoin de me venger. J'étais sur le point de quitter l'endroit, incapable de résister devant ce spectacle, lorsque mon conseiller me rejoint. -Vingt morts, le double en blessés. Rien que dans notre bar. Sinon, l'attentat se compte en centaines de victimes. -T'as une idée de l'identité de ce fils de pute ? -La police voit ça comme un accident venant de la Cage, mais on sait tous les deux que c'est faux. Pour moi, c'est Tiger. Ça faisait trop longtemps qu'on
l'emmerdait. Il attendait la bonne occasion et il l'a trouvé. -C'est la guerre qu'il a trouvé. Immobile, je regardais les volutes de fumée qui s'envolaient pour former un énorme nuage noir et menaçant. À partir de ce jour, on ne jouait plus. J'allais prendre mes responsabilités et j'allais écraser cet homme. Je m'en faisais la promesse, d'ici trois ans, la ville toute entière connaîtrait mon nom. D'ici trois ans, j'aurais gagné cette guerre.
Chapitre 80 : Premier rendez-vous 6 mai 2007 - 20h28 - New York Pour la troisième fois consécutive, j'essayais de réajuster ma coiffure. Je tentais en vain de faire rentrer mes quelques mèches rebelles dans le lot mais rien n'y fit, j'allais devoir les garder comme ça ce soir. Tout en regardant droit dans les yeux mon reflet, je m'assurais que tout allait bien se passer. Après m'être légèrement humecté les lèvres, je baissais mon regard vers mes vêtements. Dans la glace, j'étais incapable de savoir si ils étaient trop sobres ou trop luxueux. Refusant de me poser la question plus longtemps, je me persuadais que ce n'était pas le genre de chose qu'on risquait de me reprocher. Après un retour dans ma chambre où je vérifiais que je n'avais rien oublié, je quittais mon lieu de vie avec l'intime conviction que j'allais gâcher cette soirée. Nous étions trop différents, il n'y avait aucune chance pour que ça marche, et pourtant, je ne pouvais pas m'empêcher d'y penser. J'y pensais tellement que ça devenait insoutenable. Dans les bureaux, lorsque nos regards se croisaient et que nous entamions une discussion, tout le reste de mes responsabilités disparaissait et je me suspendais à ses lèvres, buvant chacun de ses mots. Je ne savais pas si mes sentiments étaient réciproques mais c'était ce que je désirais le plus au monde, rien n'aurait pu m'apporter plus de bonheur. En pensant à tout ça, je ne pouvais m'empêcher de sourire bêtement malgré l'angoisse qui grandissait dans mon ventre. Tout en marchant, je regardais aux alentours avec une certaine crainte. Je n'avais jamais vraiment aimé la nuit, que ce soit en ville ou dans la campagne. Je me sentais comme une cible, une cible entourée d'ombre qu'il était impossible de reconnaître. Pour moi, il n'y avait de plus grand contraire à l'insécurité que la nuit et son obscurité. Avec sa foule de gens, ses multiples néons et même parfois ses écrans géants, New York était probablement la ville nocturne la plus accueillante du monde, pourtant je continuais à avoir peur, cela devais me venir de l'enfance. En arrivant devant le restaurant on nous avions rendez-vous, je constatais avec une légère déception l'absence de la personne qui faisait battre mon cœur. C'était probablement un retard, rien de plus, mais comment devais-je le prendre ? Étais-ce la preuve d'une préparation minutieuse pour me plaire ou cela montrait-il simplement le peu d'interêt porté à mon égard ? Ne sachant qu'en déduire, je profitais du temps qu'il me restait pour essuyer mes
mains moites et essayer de me calmer. Il était vrai que ce n'était que notre second rendez-vous et le premier avec un but romantique avoué, mais avais-je raison d'autant m'emporter ? Si je continuais comme ça, j'allais tomber dans les pommes. Mon cœur battait tellement vite qu'après chaque contraction, j'avais l'impression qu'il allait exploser ma cage thoracique. Je devais vraiment avoir l'air stupide en me tortillant ainsi d'un pied sur l'autre, me mordant les lèvres et essuyant à intervalles réguliers des mains qui relâchaient des flots incessants de sueur. Quand finalement je l'aperçu, toute la machine s'arrêta d'un coup et je crus pendant un instant que j'allais m'évanouir. Je ne pus empêcher mon regard de se coller sur son visage tandis que je courrais dans sa direction, refusant d'attendre plus longtemps pour être à ses côtés. Une fois face à face et obligée de retenir certaines pulsions, je me contentais de lui faire la bise avant d'admirer sa tenue. Pour moi, il avait revêtu un costume noir parfaitement classique mais qui lui allait à merveille, surtout qu'il était en totale harmonie avec sa chevelure noire, coiffée pour l'occasion en une raie gominée. -T'es magnifique, m'avoua-t-il. C'est dans ce genre de moment qu'on se sent idiote. Si seulement j'avais pu arrêter le temps, attendre que les papillons dans mon ventre ne disparaissent, attendre que la fumée dans mon cerveau ne disparaisse, puis lui offrir un compliment au moins aussi touchant que le sien. Sauf que là, je me contentais d'un sourire crispé, trop concentrée sur le fait de me persuader qu'il ne s'agissait pas d'un rêve pour pouvoir répondre quoi que ce soit d'intelligent. Pendant quelques secondes, nous restâmes face à face dans un silence presque gêné. J'aurais pu proposer de bouger mais je n'en avais aucune envie, je voyais ses yeux parcourir mon corps autant que les miens parcouraient le sien, j'étais aux anges. La seule chose qui m'enrageait était de savoir que je ne pouvais pas lui sauter dessus pour l'embrasser et le serrer contre moi. -On va p't'être rentrer dans c'restaurant, non ? Finit-il par demander. -Euh... Oui... Bien sûr. Bégayais-je. Putain mais tu veux être avocate et tu n'es pas capable d'aligner trois mots face à un homme que tu croise tout les jours depuis presque un mois ? Quand je pensais aux entraînements qu'on faisait, aux plaidoyer fictifs auxquels je participais face à des dernière année, quand je pensais que j'arrivais à les battre... Normalement je savais parler, j'avais quelque chose, alors pourquoi quand
c'était réellement important, je ne pouvais que trembler en disant des banalités ? Prenant les devants, il pénétra dans l'établissement et, si la torture de ne plus l'avoir dans mon champ de vision n'avait pas été aussi grande, je serais certainement restée paralysée sur le trottoir. À l'intérieur, dans une salle chaleureuse et brillant de mille feux, le serveur de l'entrée me reconnut immédiatement et, après m'avoir salué, nous mena à une table légèrement isolée du reste de la salle, là où le bruit était le moins agaçant. -Alors, bonne journée ? Demandais-je en m'asseyant, furieuse de me rendre compte de la stupidité de ma question. -Ça va, ça va. Par contre j'crois faut vraiment j'trouve un nouveau job. Là ça d'vient galère de survivre. -Si tu veux je peux t'aider, financièrement je veux dire, je pense en avoir les moyens. Non mais ça va pas ? Tu peux faire encore plus prétentieuse ? "Je pense en avoir les moyens", mais non ! Tu gâche tes chances là, on dirait que tu l'insulte ! Et puis c'est quoi cette idée de lui passer de l'argent ? Ok tu veux qu'il t'aime, mais là c'est l'argent qu'il va aimer. Trouve autre chose que ton magot pour le draguer. -Nan mais c'bon, j'ai pas envie d'faire le parasite. -Comme tu voudras. Pas intéressé par l'argent, refuse de se faire aider. Plus je regardais cet homme et plus je tombais irrémédiablement sous son charme. -Nan en vrai faut que j'trouve un taff genre plus mieux. -Ah ouais ! Précis le truc. -Nan mais tu vois quoi. Genre où je sers à quelque chose d'autre qu'à nettoyer des bureaux propres. J'ai pensé à garde du corps en vrai. Ça doit être grave cool ça. -Ce n'est pas un peu dangereux ? -T'inquiète, le danger il a peur de moi. Le plus impressionnant dans tout ça, c'était qu'il parlait sérieusement. On aurait pu prendre ça pour de la bêtise mais, en regardant dans ses yeux, on voyait les traces d'un passé violent qui prouvaient que Michael connaissait le danger. -Et toi ? Aujourd'hui t'as fait quoi ? -J'ai révisé, en fait j'ai l'impression de ne plus faire que ça à longueur de journées. Si on m'avait dit à quel point les premières années étaient ennuyantes... -Vous faites quoi qui peut être aussi chiant ? En vrai ça doit être cool d'être
avocat. -Oui, mais pour l'instant, on apprend quasiment le code pénal par cœur, on doit pouvoir donner la jurisprudence de tel jour du tac-au-tac, on étudie des plaidoyer pour voir ce qui le rends bon ou mauvais. Il n'y a tellement pas de pratique que je suis obligée de m'incruster dans les entraînements des dernières années pour m'amuser un peu. -Ah ouais, dur. Remarque moi c'est encore pire, pour m'amuser je suis obligé de manger avec toi, la preuve que c'est vraiment la dèche dans ma vie. -T'es pas drôle ! Avec une expression faussement vexée, je récupérais la carte pour partir à la recherche de mon menu du soir. En face de moi, Michael fit de même et je profitais de son absorption dans la lecture pour admirer son visage. Il n'étais pas ce qu'on pouvait appeler un canon, mais ses traits à la fois jeunes et marqués par le temps combinés à un charisme inné lui octroyaient un effet d'attirance sans égal. -Tu n'envisage vraiment pas de reprendre tes études ? -T'sais, j'te l'ai dit, j'ai quitté l'école à seize piges, je suis foutu. -Je ne pense pas qu'on puisse réellement être foutu. Il y a toujours un moyen de s'en sortir. -T'sais pas c'que j'ai fais, j'ai aucune putain de chance de me sortir de quoi que ce soit. J'suis un raté, peu importe ce que l'avenir va m'offrir. -Écoute, je ne sais pas ce que tu as fais par le passé, mais je suis sûre que ce n'est pas aussi horrible que tu le dis. -S'tu savais... Même pas tu sortirais avec moi. Même s'il avait été un meurtrier récidiviste, rien ne m'aurait empêché de rester à ses côtés. Le sentir proche de moi, avoir son regard posé sur mon visage, écouter le son de sa voix, j'étais prête à tout pour profiter de ça. Alors que la discussion suivait son cours, le serveur finit par prendre nos commandes et nous apporter une bouteille de vin. Je profitais d'ailleurs de l'alcool pour calmer légèrement mon cœur qui, s'il ne battait plus autant qu'avant le rendez-vous, restait prêt à exploser au moindre compliment de Michael. -C'est dommage que tu abandonnes aussi vite. Tu pourrais faire tellement de choses. -Tu penses ? Je suis allé jusqu'à laisser mes meilleurs amis quand j'ai fui ma ville natale. J'ai quitté une fille qu'avait confiance en moi sans la prévenir que je partais. Je suis un connard jusqu'au bout. -Pourquoi tu ne l'a pas prévenue ? -J'avais trop peur de sa réaction. Faut pas croire quand tu me vois là, sûr de moi
et tout, en vrai j'suis une merde. J'ai gâché la vie d'un tas de gens, j'ai pris celles de nombreux autres. Tout ceux qui comptaient pour moi sont restés là-bas. -Tu as sauvé ta peau en les sacrifiant ou tu es juste parti parce que tu en avais marre ? -J'en avais marre. Mais tu vois, ça fait deux ans, pourtant je peux pas m'empêcher de penser à eux. Ce qu'ils doivent penser de moi... Probablement qu'ils me détestent tous. C'était la première fois que je découvrais cette facette de sa personnalité. Presque mélancolique, il s'était légèrement replié sur lui même. À ce moment là, je pestais contre cette table qui était entre nous, m'empêchant de profiter de ce moment pour le serrer contre moi. J'avais envie de le consoler, le voir ainsi était insoutenable, mais je n'avais aucune idée de ce que je pouvais dire. Il ne m'avait parlé de son passé que de façon évasive, je n'étais pas en mesure de l'aider à ce sujet là. -Tu ne peux pas y retourner, juste une fois, pour te faire pardonner ? -Non. Je veux plus jamais aller là-bas. Cette ville est maudite. -Il y a quelque chose que je peux faire pour te remonter le moral ? -J'crois pas non. Faut que je me pardonne moi même ou une connerie du genre, c'est juste que j'y arrive pas. -Si tu deviens quelqu'un de bien, probablement que le passé perdra de son importance. Essaie de faire des trucs qui te plaisent, trouve la vie qui te convient, après tu pourras te dire que tout ça t'arrive "grâce" à quelques erreurs de jeunesses. -Est-ce que je peux fonder mon bonheur sur les cadavres de dizaines d'inconnus ? -Je n'en sais rien. On a chacun nos différences, des facilités ou non à oublier le passé. -J'veux pas oublier le passé. Mais bon, je dois te faire chier avec ma nostalgie à la con. Parlons d'autre chose, je t'ai dis que t'étais magnifique ? -Oui, mais ça fait toujours autant plaisir. Véridique. Alors que le serveur apportait les plats, je ne pu m'empêcher de boire un nouveau verre de vin pour résister aux conséquences de ce nouveau compliment. -Tu sais, t'es la première fille aisée qui m'invite à manger. -Et pourquoi ça ? -J'en sais rien, soit elles sont trop snobs, soient elles sont trop moches. En vrai je crois que j'suis jaloux. T'es belle, intelligente et riche, faudra qu'on m'explique comment on peut laisser passer de telles injustices. À côté y'a moi, normal, con sur les bords, complexé par le passé et complètement fauché. À ce
propos, rappelles moi ce qui t'as poussé à m'inviter, moi, à sortir avec toi. -J'en sais rien, répondis-je en me mordillant la lèvre inférieure. Peut être que tu me plais. Là je me mettais à nue, c'était le moment de vérité. Si je lui avouais mes sentiments, il allait soit me briser, soit faire de moi la femme la plus heureuse au monde. Mais si je ne le faisais pas, je risquais de ne plus avoir d'occasions, d'autant que c'était devenu insoutenable de le voir sans pouvoir obtenir plus qu'une simple bise. -Moi ? Je te plais ? L'homme de ménage de Kyle & Associés plait à l'héritière de Charles Spencer, le plus grand avocat de New York ? Tu me fais marcher là ? -Sinon, qu'est-ce qu'on ferait là ? -J'en sais rien. P't'être que j'te fais pitié et que tu m'offre le resto pour pas que je meurs de faim. -Va falloir t'y faire, mais non, il n'y a aucune part de pitié là dedans. Enfin il y en avait peut être à notre premier rendez-vous, mais là... -Mais à l'université, il y'a pas plein de beaux gosses riches et promis à un putain de taff ? -Si, mais j'en vois tous les jours des comme ça, ils sont "formatés", en quelque sorte. Toi t'as quelque chose... Je sais pas quoi mais c'est... Enfin je peux pas t'expliquer. Est-ce que ça allait trop vite ? C'était le premier garçon que je draguais, normalement ce n'est pas aux filles de faire le premier pas, peut être que ça ne va pas lui plaire. Je sais qu'à chaque fois qu'un homme m'a avoué que je lui plaisais, je l'ai renvoyé dans ses buts, si Michael me faisait ça, jamais je ne m'en remettrais... Étais-ce ça que je leur avais fais subir, à chacun d'entre eux ? Ressentaient-ils la même chose que moi à cet instant précis ? Si oui, alors je ne pouvais que m'en vouloir d'être aussi froide. -Ouais, je vois... Bon, Sarah, faut qu'tu saches que c'est réciproque, enfin je crois, mais euh... Enfin je sais pas si c'est une bonne idée. Tu vois, j'ai pas envie de gâcher ta vie, je suis une grosse merde et toi t'es sur le point de devenir quelqu'un. Je pourrais jamais me le pardonner si à cause de moi, ta vie était moins bien. C'était la chose la plus touchante, la plus stupide et la plus énervante qu'on ne m'avait jamais dit. Je comprenais cet homme, je comprenais ses motivations, mais j'étais incapable de les accepter. Si je devais gâcher ma vie pour être avec lui, alors soit. J'allais lui expliquer ça lorsqu'il quitta la table et me dit qu'il devait y réfléchir.
Comment pouvait-il avoir besoin d'y réfléchir ? Si il ressentait ce que moi je ressentais, il n'y avait rien à étudier. À sa suite, je quittais la table et tentais de le rattraper mais il accéléra le rythme. En talons, j'étais incapable de le rattraper, aussi laissais-je tomber ma poursuite et retournais-je à ma place sous les regards curieux des clients. Je faisais de mon mieux pour ne pas pleurer tandis que je finissais mon plat. À chaque fois que je levais les yeux, je le voyais en face de moi sur la chaise, à chaque fois que je tendais l'oreille, j'entendais sa voix dans la salle, à chaque fois que je laissais mon esprit vagabonder, il retombais sur lui. Michael. Dans le taxi qui me ramenait à l'université, je ne savais pas si cette soirée avait été un échec ou une réussite. Je lui avais avoué mes sentiments, j'avais appris qu'ils étaient réciproques, c'était tout ce que j'espérais. Pourtant il m'avait laissé tomber, je m'étais retrouvée seule à finir le repas, sans savoir si il comptait laisser libre court à ses désirs ou se laisser aller à un autodénigrement qui gâcherais sa vie en même temps que la mienne. Les longs couloirs sombres de l'université étaient presque effrayants à cette heure de la nuit, mais j'étais trop focalisée sur Michael pour avoir peur. J'avais l'impression que le destin se moquait de moi, il m'offrait l'homme de ma vie, le faisait amoureux de moi, mais ne le laissait pas à ma portée, comme pour me narguer. En rentrant dans ma chambre, je commençais par m'écrouler sur mon lit avant toute chose, ne répondant pas aux multiples questions de mes amies. -Alors, ça s'est passé comment ? Demanda Alice. -T'as vu ses yeux ? Rétorqua Julie. Ça sert à rien de lui poser la question. On est désolées Sarah... Si tu veux faire quelque chose pour que ça aille mieux, on est là. -Aussi, c'est ça de sortir avec le mec qui passe le balais. Ils ont pas de respect. -Putain mais t'es trop conne ! Pourquoi passer le balais aurait quelque chose à voir avec le respect ? -Ils sont pas comme nous, on peut pas les comprendre, on n'a pas le même mode de fonctionnement. -Affligeant... Je n'avais absolument pas envie de partager mon échec et pourtant, je savais que si je ne leur en parlais pas, j'allais continuer à ruminer ça pendant plusieurs jours. -Tu veux quoi ? T'as envie d'en parler, tu veux aller quelque part ? -Non, c'est bon. Putain ! Je suis dégoûtée.
-Ça se voit. -Ça n'a pas de sens ! Il me dit qu'il m'aime et la seconde d'après, il se casse. -T'es pas sérieuse ? -Si, je te jure ! Ça fait tellement chier. En fait, je crois qu'il assume pas. -Envoie lui une photo hot, tu vas voir, il va assumer. Proposa Alice qui tentait d'entrer dans la discussion. -Ta gueule meuf, retourne réviser. Je crois pas que Sarah ait besoin de ce genre de conseils. -Je sais même pas si j'ai besoin de conseils. J'suis perdue là. Au final, un mec qu'est pas capable de s'assumer lui même, je suis pas sûre d'en vouloir. -Pourquoi tu dis qu'il s'assume pas ? -Il veut pas rester avec moi parce qu'il pense qu'il va gâcher ma vie, il a une sorte de complexe en fait. Mais au quotidien, ça risque d'être invivable. -Mais c'est trop mignon un gars comme ça ! Au lieu de ces bourrins qui te prennent pour un bout de viande et qui semblent amoureux d'eux-même tellement ils se trouvent beaux et fort, t'es en face d'un gars qui te trouve géniale et qui ne veut pas gâcher ta vie. C'est inimaginable comme chance ! Évidemment que j'avais de la chance ! Évidement que j'aimais cet homme plus que tout. Évidement que toutes mes réticences n'étaient que des mensonges visant à m'auto-persuader que j'avais rien raté. -Mais le problème, c'est l'argent. Tu te vois vivre le restant de tes joues avec un chômeur ? -Qu'est-ce que ça peux me foutre qu'il soit chômeur ? Je l'aime moi ! Ça pourrait être un putain de serial killer que j'aurais envie d'être avec lui ! Je l'aime ! Répétais-je en sanglotant de plus belle. Si seulement j'avais su ce qu'il allait devenir, j'aurais laissé tomber.
Chapitre 81 : Fulgurante escalade J'avais beau être entré en guerre, certains problèmes prenaient le pas sur les autres et parmi eux, il y avait l'affaire Trevoro. En effet, s'il n'avait encore rien fait, le juge n'en était pas moins un indic, nous en avions désormais la preuve grâce à Adrien. À partir de là, pour limiter les risques sans trop nous mouiller ni perdre inutilement de temps, j'ai simplement fait déposer sur son lit une photo de ses enfants maculée de sang. C'était le genre de chose qui décourageaient la plupart des hommes et Jonas y fut parfaitement réceptif puisqu'à peine quelques jours plus tard, je recevais la garde de Lily. Libéré d'un fardeau, je me retrouvais en prises avec trois autres. En premier lieu, la menace directe, c'était Tiger. Officiellement, nous allions nous livrer à un affrontement qui n'aurait de cesse que lorsque l'un de nous deux perdrait la vie. Ensuite, légèrement en retrait, il y avait l'As. Tapi dans l'ombre, il pouvait me tuer n'importe quand, n'importe où, comme une menace de mort planant au dessus de ma tête. Mais en plus de la guerre ouverte et de l'épée de Damoclès, j'avais le sablier. Pendant que je faisais tout pour rester en vie, un groupe de policiers mettait en place un regroupement de preuves qui pouvaient m'envoyer en prison jusqu'à la fin de mes jours. Face à tout ça, j'allais devoir établir un sens des priorités. En premier lieu, Wyte réussit à nous obtenir une taupe dans le commissariat. De là, nous avions connaissance de l'avancement du dossier et du nom des agents chargés de l'affaire. Désireux d'utiliser au mieux ces nouvelles informations, j'embauchais un responsable de ma sécurité, un vieil homme aigri surnommé Rain. C'était le meilleur dans son domaine et il le savait, le moindre reproche le mettait dans une colère noire alors on évitait au maximum de converser avec lui. L'intérêt de cet homme, c'était que pourvu qu'on lui paye son salaire chaque moi, il m'assurait que je ne courrais aucun danger. Ainsi, il filtrait les policiers à menacer de ceux qu'il fallait payer, ou encore des incorruptibles qui nous obligeaient à les tuer. Les bénéfices de la drogue mêlés à ceux des armes et du casino m'offrant un train de vie douillet, ce fut donc dans le plus grand des calmes que j'accueillais Lily lors de son premier voyage à destination de Los Angeles. Pendant toute la période de sa présence, je laissais mes affaires aux charges de Wyte pour profiter pleinement de ma fille. Plage, parc d'attraction, restaurant, magasin de jouet, rien n'était trop beau pour elle. Au final, lorsqu'au bout de
deux semaines, elle partit rejoindre sa mère, des larmes coulèrent dans mes yeux comme dans les siens. Laissant mes sentiments de côté, je dû faire face à une nouvelle attaque de la part de Tiger, cette fois-ci sur un de mes magasins d'arme. Pour riposter, en plus d'en acheter deux autres et de mettre à prix la tête des personnes qui avaient posé les bombes, j'engageais un nouvel associé. Paul McLand était un spécialiste de la sécurité. Son travail, c'était celui de Rain, sauf qu'au lieu de me protéger, il protégeait mes établissements. Portes blindés, caméras de surveillance, champs magnétiques, on était plus en sûreté dans mes magasins que dans le coffre fort d'une banque. Mais évidement, des endroits comme ça, on ne les cache pas bien longtemps. Rapidement, j'inaugurais l'entreprise M.D.S. spécialisée dans les commerces. En à peine trois mois, je disposais d'une dizaine de magasins d'armes à travers la ville et du double de bars. De plus, en supprimant la concurrence à coup d'attentats, les bénéfices ne faisaient qu'augmenter. Et vous savez la meilleure dans l'histoire ? Comme Tiger m'avait attaqué plusieurs fois, personne ne soupçonnait que je puisse être l'auteur des attaques puisque certaines m'avaient touchés. D'autant qu'avec les nouveaux systèmes de sécurité, il était tout à fait justifiable que je subisse moins d'agression que mes concurrents. Désormais incapable d'attaquer mes propriétés, mon ennemi commença à se pencher sur mes hommes. Dans le meilleur des cas, et je n'arrive pas à croire que je dise ça, il ne faisait que les tuer. Mais quand l'occasion se présentait, il les interrogeait avant de les envoyer directement à la police. C'est là que Viktor est entré jeu. À l'intérieur de la prison, nous lui avions grassement payé quelques autres taulards et ensemble, ils persuadaient nos hommes de ne pas parler avec une certaine efficacité. J'avais mon système de sécurité, j'avais un homme qui protégeait mes bâtiments, j'avais un représentant en prison, j'avais un contrat avec le plus gros gang de la ville, j'avais un conseiller talentueux, j'avais un avocat sans scrupule, j'avais ma propre entreprise, j'avais tout. Quand Lily revint me voir, j'avais suffisamment d'hommes pour laisser mon entreprise en autonomie. Ainsi, nous quittâmes la ville, je lui ai fait voir l'Europe, Paris pendant une semaine, Rome pendant l'autre. Rien ne me faisait plus plaisir que de voir l'émerveillement dans ses yeux. De retour en ville, j'étais victime de mon propre succès. L'entreprise M.D.S engrangeait d'énormes bénéfices alors qu'elle vendait des armes et de l'alcool, rien ne pouvait plus attirer l'attention des autorités.
Directement, pour élargir ma zone de profits, j'achetais deux boutiques multimédias, un magasin de jouet et une compagnie de taxi. En parallèle, j'ouvrais un autre casino illégal, le premier ayant atteint sa taille maximale. L'argent tombait, l'argent tombait, et l'entreprise grandissait. Présenté par Josh, j'ai embauché Albert Zyrn, le nouveau vice président de M.D.S. Il allait gérer toute la partie officielle, tous les bénéfices déclarés. De mon côté, j'avais pris goût à la sous-traitance. La semaine d'après, j'embauchais Kimo. Un dieu de la vente d'armes. J'achetais, il vendait. Il me payait. Je dirigeais. J'étais le roi. Je ne travaillais plus. Plus rien à faire. Je me contentais d'être un homme riche. Le jour, je faisais bonne figure face à mes employés, je leur montrais que j'existais, que c'était moi qui dirigeais. La nuit, je pleurais en pensant aux dizaines de personnes que j'avais tué froidement, aux vies que j'avais gâché pour disposer de tout cet argent. J'enchaînais les bouteille à un rythme incroyable, je me sentais mal, je me détestais et pourtant j'avais ce dont j'avais toujours rêvé. Plus je me sentais malheureux et plus j'étais monstrueux, je me disais que si j'arrêtais maintenant, tous ces gens seraient morts pour rien. Mais valait-il mieux mourrir pour engraisser un monstre que mourir sans raison ? L'argent coulait à flot, je me réveillais chaque matin plus riche que le précédent, j'avais même un banquier qui se contentait de gérer uniquement ma fortune : Benoit Delamare. À partir de ce moment, la vie perdit tout son sens. J'avais tué tellement d'hommes qu'une mort de plus ne m'atteignait plus. J'avais tellement d'argent que je ne comprenais même plus la signification du mot "prix". Je dilapidais ma fortune en œuvres de charités, en hôpitaux, en aides aux démunis, j'essayais de m'acheter une conscience, en réalité, je ne faisais que servir mon image. Quand j'allumais la télé et que je voyais mon visage, souriant, hypocrite, en train d'inaugurer mon nouveau mensonge, je ne pouvais m'empêcher de pleurer. Pour tous ces gens, j'étais un héros, un self-made man qui mettait son argent au service du bien. Moi, tout ce que je voyais, c'était la preuve que notre système était corrompu jusqu'au bout, mais je ne faisais rien pour changer les choses.
Dès qu'un journaliste s'attaquait à moi, il était licencié. Si il retrouvait un emploi, on mettait fin à ses jours avant d'offrir un million de dollars à sa famille. Je disais publiquement être désolé du décès, que j'allais faire tout mon possible pour mettre le responsable sous les verrous et, devant des dizaines de caméras, je donnais le chèque. La ville me voyait comme un défenseur de la liberté d'expression, j'aidais les familles de journalistes, j'étais forcément quelqu'un de bien. Ce qu'on ne disait pas, c'est que la plupart du temps, ces familles s'empressaient de brûler le chèque dans leur cheminée avant de quitter le pays. Le idiots m'adoraient, les honnêtes gens me haïssaient. Pourtant, la personne qui me détestait le plus, c'était moi même. Paradoxal quand on sait qu'il n'y avait pas plus idiot et moins honnête que moi. Même Lily commençait à s'éloigner de moi, ou était-ce le contraire ? J'étais trop occupé à polir mon image et à boire pour m'occuper de la petite. Quand elle venait, je l'accueillais et je l'envoyais dans un centre aéré, un voyage pour enfant, je faisais tout pour ne pas l'avoir près de moi. Pas parce qu'elle ne m'intéressait plus, non, je refusais simplement qu'elle découvre quel genre d'homme j'étais. La seule image de moi qu'elle devait avoir, c'était celle de la télé. Son père était un héros, rien d'autre. Elle n'avait pas à savoir le nombre d'hommes que j'avais tué, le nombre d'innocents que j'avais torturé, le nombre de mensonges que je proférais à longueur de journée, le nombre de bouteilles que je buvais chaque heure. Parfois, quand je sortais d'une soirée mondaine où tout le monde m'avait acclamé, j'hésitais à mettre fin à mes jours. Je rentrais chez moi, dans cette immense villa bâtie sur les cadavres de centaines de personnes, je m'asseyais sur mon lit et je mettais mon arme dans ma bouche. Là, je laissais le temps courir, je regardais la ville à travers la fenêtre, et quand j'en étais réduit à choisir entre tirer ou assouvir un désir d'alcool qui devenait insoutenable, je laissais tomber le pistolet et descendais dans la cuisine où j'enchainais toutes les bouteilles que j'y trouvais. Par trois fois durant cette période, l'As essaya d'attenter à ma vie. Par trois fois, Rain réussit à déjouer ses plans. C'était presque décevant, la mort m'attirait de plus en plus, pourtant j'avais engagé des dizaines de personnes qui devaient me maintenir en vie. Un beau matin, une semaine où j'avais la garde de ma fille, on m'apprit que les bénéfices de M.D.S. étaient supérieurs à ceux de mes activités illégales. Qu'estce que ça voulait dire ?
Que je pouvais arrêter de vivre en hors-la-loi. Qu'est-ce que j'ai fait ? J'ai étendu mon business à toute la Californie, de façon à avoir une raison de continuer. En réalité, je n'étais pas si riche que ça, du moins si on ne comptait que l'argent. Toutes mes rentes partaient directement dans l'achat de nouvelles sources de revenus, si bien que jamais je ne dépassais la dizaine de millions sur mon compte en banque. M.D.S. s'étendait plus vite que n'importe quelle autre entreprise américaine, pourtant personne ne se rendait compte de l'origine des revenus. Aux États-Unis, on aimait les gens comme moi, les pauvres partis de rien qui devenaient des héros. Personne ne voulait briser le mythe, des gens voyaient en moi un exemple, si un jour il s'avérait que j'étais un criminel, tout le monde se rendrait compte de l'inefficacité du pouvoir. Si j'étais arrêté, ça ne profiterait à personne d'important, alors personne d'important ne cherchait à m'arrêter. Or les petites gens, ça se brisait sans difficulté. J'étais riche. J'étais malheureux. Rien de bien extraordinaire dans cette ville. Chaque mois, je consultais plus d'une dizaine de psys différents, à chacun je racontais une histoire différente et à chaque fois j'obtenais des conseils différents. Que des mauvais conseils... Mais un jour, les problèmes moraux ne suffirent plus. Un jour, Tiger décida de repasser à l'action. Une attaque ciblée sur les fournisseurs d'armes de Thunder supprima la moitié de mes bénéfices illégaux et m'obligea à négocier avec les mexicains pour qu'ils acceptent une escorte armée de ma part. Un attentat dans les bureaux de Josh causa la mort de plusieurs dizaines de personnes et priva mon avocat de sa jambe gauche. Malgré, ça il resta à mes côtés et je ne pu qu'être ému face à tant de dévotion. Enfin, cerise sur le gâteau, une attaque sur la colonie de vacances où j'avais envoyé Lily mît fin à la vie de tous les animateurs mais épargna miraculeusement la vie des enfants. Face à cette violence, je ne ripostais pas. Je me contentais d'une demande de paix. Je lui offrais la moitié de Los Angeles et moi je prenais l'autre, en plus de toute la Californie. Tiger accepta, il savait que sinon, j'avais les moyens de le faire souffrir. Le plus gros problème qui découla de cette attaque furent les protestations de Sarah. Cette dernière venait de voir se produire ce qu'elle craignait le plus, et elle n'allait pas le laisser passer aussi facilement. Après maintes et maintes négociations, je réussis à la calmer. Mais de toutes
manières, elle n'avait pas les moyens de changer les choses, j'étais devenu une figure publique trop importante pour qu'on ose me voler ma fille impunément. Ainsi, Rain relâcha le système de sécurité qu'il avait mît en place pour moi et partit se concentrer sur celui de Lily. À chaque seconde du jour et de la nuit, la petite était surveillée et protégée, personne de suspect n'était en mesure de toucher ne serait-ce qu'à un seul de ses cheveux, et elle n'en était même pas au courant. En plus de l'alcool, je vivais désormais dans la peur constante. Le pacte de paix avait été signé par Tiger mais je doutais de cette homme, rien ne me m'assurait qu'il tiendrait parole. J'avais un avocat unijambiste, une fille en danger de mort, un semblant d'allié qui risquait de me trahir à n'importe quel moment, des problèmes avec la boisson. J'étais terrorisé. J'avais trop peur d'être mis à nu pour profiter des moments passés en compagnie de Lily, je me sentais trop coupable quand je regardais la prothèse de Josh, je n'étais pas à l'aise en face de Wyte, j'étais incapable d'aller en prison pour rendre visite à Viktor. J'avais l'impression de perdre ma fille. Elle grandissait bien plus vite que je ne voulais l'admettre et pire que ça, elle grandissait sans moi. Quand elle n'était pas là, elle me manquait, quand elle venait, je l'éloignais le plus possible. Des fois, elle semblait déçue en sortant de l'aéroport, impatiente durant toute la semaine et heureuse quand on lui annonçait qu'aujourd'hui, elle retournait voir sa mère. J'avais gâché la plus belle chance de mon existence. En fait, il n'y avait que Lucy qui réussissait à me rendre le sourire. Cette dernière s'était trouvé une nouvelle petite amie peu après mon trentetroisième anniversaire. Jeune femme charmante, diplômée dans le commerce, elle travaillait dans l'agroalimentaire. Les deux allaient parfaitement ensemble, aussi ne pouvais-je m'empêcher d'être heureux par procuration en voyant l'amour briller dans leurs yeux. Je l'enviais tellement. Lucy vivait toujours dans son appartement, son travail pour moi était celui que j'effectuais pour Saliego autrefois. Pas de responsabilités, juste à obéir aux ordres et à être payée. Personne n'en voulait à sa vie, personne ne la connaissait. Son quotidien se résumait à exécuter des tâches pour moi avant de rentrer chez elle pour profiter de la femme qu'elle aimait. Quasiment chaque semaine, j'allais les voir. Elles me rendaient heureux, elles me vendaient un rêve au moins autant que j'en vendais à la population
américaine. J'espérais pouvoir un jour retrouver cette insouciance, même si je savais qu'elle était hors d'atteinte depuis bien trop longtemps. J'avais fait une promesse, je l'avais tenu. Trois ans étaient passés, tout le monde connaissait mon nom. J'avais réalisé mon rêve. Mais désormais en plein dedans, je commençais à connaître par cœur sa face cachée. Et les avantages ne valaient vraiment pas la peine de la subir...
Chapitre 82 : Bal masqué -C'est une très mauvaise idée, m'expliquait Rain. Je te le dis et te le répète : n'y vas pas ! -Et moi je te dis que je n'ai pas le choix, lui repondis-je. J'ai été invinté il y a deux mois, je ne peux pas refuser au dernier moment. -T'es Michael Da Silva ! Tu pourrais refuser si le président t'invitait à dîner. -Déjà, non. Ensuite, peut être qu'une fête où je dois parler, c'est plus important qu'une invitation du président. Que vont dire les gens si je ne m'y pointe pas ? -Et qu'est-ce qu'ils vont dire quand tu te seras fait buté par l'As. Mike, à quoi bon me payer pour assurer ta sécurité si te ne suis pas mes conseils ? Albert sera là, il est vice-président de la boîte, c'est ton bras droit, il peut te représenter. -Tu ne me feras pas changer d'avis Rain, j'irais à cette soirée, un point à la ligne. -P'tit con va... -Moi aussi je t'aime. -Bordel, quand je pense que c'est peut être la dernière conversation qu'on aura. -Mais non ! L'As a échoué plusieurs fois, c'est pas dans une immense salle bondée de célébrités qu'il va réussir à m'assassiner. -Ouais, c'est ça. Bonne mort, Mickey ! -Toi aussi. Après avoir raccroché le téléphone, je posais ma tête contre la vitre de ma voiture pour observer l'agitation nocturne. Je me sentais loin, tellement loin de ces vitrines, de ces néons, des ces passants, de ces inconnus qui admiraient avec envie ma limousine. Le verre teinté était comme une barrière qui me séparait de la réalité. Cela faisait presque deux ans que j'avais ce train de vie, que la vraie vie n'avait plus le moindre sens à mes yeux. À l'intérieur, j'avais les sièges en cuir, la télé, la bouteille de champagne hors de prix, les flûtes en crystal. À quoi tout cela servait ? À dépenser mon argent. Si j'avais jeté ma montre sur le trottoir, les gens se seraient entretués pour la récupérer et la vendre. C'était à cause de ça qu'une limite s'était créée entre moi et eux, c'était parce qu'ils me voyaient différemment. À l'arrivée devant la salle de fête, un simple portier en smoking ouvrit la porte de ma voiture. Tout en déposant un billet de cinquante dollars dans la poche de sa veste, je sortais de mon véhicule pour rejoindre la porte de l'immeuble. Devant l'entrée, une masse de personnes en costumes faisaient la queue. Chacun son tour, ils donnaient leurs noms et les videurs regardaient sur leur liste. Quand vint mon tour, je pu rentrer sans avoir la moindre indication à offrir.
Même parmi les plus puissants de cet état, je restais supérieur. Une fois à l'intérieur, après avoir traversé un immense couloir doré éclairé par des lustres parsemés de pierres précieuses, je pénétrais dans la salle où allait se dérouler la soirée. Orchestre symphonique sur estrade, buffets de plusieurs mètres de long où s'entassaient toutes sortes de mets plus raffinés les uns que les autres, tableaux de collectionneurs accrochés aux murs, foule d'invité de marque. Ce spectacle, je commençait à le connaître par coeur. C'était, semblait-il, les obligations implicites des fêtes de la haute société. À peine avais-je eu le temps d'admirer la décoration de l'endroit que déjà le maire laissait tomber une discussion avec d'autres politiciens pour me rejoindre. -Monsieur Da Silva, c'est un plaisir de vous voir ! Me dit-il en me serrant la main. -Plaisir réciproque. Ça faisait longtemps, l'anniversaire du gouverneur, c'est bien ça ? -Ça doit être ça. Dire que c'était il y a trois mois... Le temps file à une vitesse incroyable. -Oh vous savez, j'ai tellement de temps pour moi que parfois, j'aimerais qu'il aille encore plus vite. -Dans ce cas, échangeons nos places. Me proposa-t-il en riant. -Très peu pour moi. Avec une personne comme moi à la tête de la ville, Los Angeles deviendrait très vite la ville la plus pauvre des États-Unis. -Pourtant ce n'est pas bien différent de la gestion d'une entreprise. -Oh mais je suis loin de gérer mon entreprise. C'est à Albert Zyrn que revient tout le mérite. Je ne suis que le fondateur. -Mais tous ces dons, ils sont de votre fait ? -Oui. Il entasse l'argent, je le dépense... C'est à peu près ça. Pendant quelques secondes, nous restâmes face à face, un sourire hypocrite sur chacun de nos visages. Finalement, pour mettre fin à ce moment gênant, je profitais de la venue de mon vice-président. -Quand on parle du loup... -Oui, en effet. Bon, moi j'ai quelques personnes à rencontrer. Ce fut un plaisir de parler avec vous, Michael. -De même. J'allais pour rejoindre mon ami lorsqu'une chevelure orangée passa dans mon champ de vision. Pétrifié, je scrutais la foule à la recherche du possesseur de ces cheveux mais je fus incapable de la retrouver. Ce dont j'avais peur en revanche, c'était qu'ils pouvaient appartenir à l'As.
Essayant de supprimer ces idées noires, je parcourais la distance qui me séparait d'Albert avant de lui serrer la main. La quarantaine, parfaitement rasé, habillé, coiffé, cet homme donnait à M.D.S. la meilleure image envisageable, d'autant plus qu'il était un génie en affaires. -Alors comme ça t'es venu ? Me demanda-t-il. -Évidement. Pourquoi pas ? -Rain a dû te dire que l'As rôdait. -Oui, j'ai entendu ce genre de ragots. Peu importe. D'ici une heure, je dois faire un discours, c'est mieux si je suis là. -C'est mieux si tu es en vie. Et puis je peux le faire ton discours. -Pas question. C'est moi qui l'ai écrit, je n'ai pas envie que tu me vole la vedette ! Non, plus sérieusement. Ça me fait chier mais j'ai une image à garder. Ne pas venir à ce genre d'événement est impossible. -Toujours à te cacher derrière l'impossible, hein ? Le truc, c'est que ça ne marche plus. T'es devenu le genre de personne qui peut tout faire, il n'y a plus d'impossible. -Putain. Même trois ans plus tard, même en étant devenu l'un des hommes les plus riches de Californie, il y aura toujours des gens pour critiquer ma façon d'être. C'est comme ça, je suis un raté, arrêtez de me faire chier avec ça. -Si tu veux, mais il y a des trucs qui deviennent urgents. -Comme quoi ? -Lily. En entendant le nom de ma fille, je ne pu m'empêcher de regarder Albert avec appréhension face à ce qu'il pouvait me dire. En réalité, si Wyte continuait à me conseiller sur la partie illégale, tous mes associés aimaient me donner des conseils sur ma vie privée, c'était presque devenu une mode. -Qu'est-ce qu'elle a, Lily ? -Elle est à Los Angeles depuis six jours et elle a passé cinq nuits avec ma fille. Alors d'accord, elles sont très amies, c'est génial. Mais il y a un problème ! J'ai l'impression d'être plus son père que toi. -Elle mérite sans doute plus un père comme toi. -Là n'est pas la question. Peu importe ce qu'elle mérite, ce n'est pas à moi de la voir grandir. Tu te gâches tout seul la vie. Tu sais certains soirs, la petite me demande pourquoi tu ne l'aimes pas. Comment tu veux que je gère de telles situations ? J'essaie de te défendre mais il va falloir que t'y mette un peu du tiens. -Je ne suis pas fait pour être père. Même toi tu sais que je passe mes nuits à me bourrer la gueule. Si on prenait le risque, je pourrais la frapper durant une crise. Ce n'est vraiment pas l'image que je veux renvoyer. -Pour l'instant, tu renvoie juste l'image d'un père qui n'aime pas sa fille. Et
encore, ça pourrait aller, mais Lily se sent coupable. Elle croit que c'est elle qui a mal fait quelque chose. Vu qu'on parle de toi comme un héros, elle pense ne pas être à la hauteur. -Elle te dit ce genre de chose ? -Oui. Tu commences à voir le problème ? Le problème, ça faisait des mois que je le connaissais, j'espérais juste ne pas avoir atteint un tel stade. Complètement crispé, je regardais autour de moi, à la recherche d'une potentielle menace, avant de reposer les yeux sur Albert en soupirant. -Ouais, je sais. Demain je passerais la journée avec elle. Faut vraiment que je fasse quelque chose. -Je ne te le fais pas dire. Surtout qu'elle est adorable cette petite. -À se demander si elle est vraiment ma fille... -Rho, allez ! Je suis sûr que toi aussi tu étais une enfant adorable quand tu étais petite. -Très drôle ! Bon, c'est pas tout ça mais faut que je vois Wyte. Rassure moi, il est venu ? -Ouais, ce fils de pute est venu. -Ça ne va toujours pas entre vous ? -Je ne lui fais absolument pas confiance. -T'inquiète pas, il fait cet effet à beaucoup de gens. Mais bon, tant que je crois en lui, vous devez croire en lui. -À ta place je ferais gaffe. -On se connaît depuis trois ans, et ces trois dernières années, je suis devenu un millionnaire extrêmement connu. Personnellement, je ne crois pas qu'il s'agisse d'une coïncidence. Or aucun d'entre vous, que ce soit Josh, Rain ou toi, n'avez accompli un tel exploit. Par conséquent, je te serais gré de ne pas le mépriser. -Comme tu voudras. Moi, je te dis juste ce qui me fait peur. En tant qu'opposés, représentants de mon pouvoir légal et illégal, Wyte et Zyrn ne s'étaient jamais bien entendus. En réunion, pour peu que les deux aient à faire un choix, le tout partait en dispute général. Pour les mettre d'accord, il fallait se lever de bonne heure, aussi avais-je décidé de limiter le nombre d'heures qu'ils passeraient en compagnie de l'autre. De nouveaux sans interlocuteur dans la grande salle bruyante, je me frayais un chemin parmi les nombreux invités, en quête de mon conseiller et espérant que personne ne vienne interrompre ma recherche. Évidement, c'était bien trop demander. À peine avais-je parcouru quelques mètres qu'une petite femme, légèrement en surpoids, vint à ma rencontre. Immédiatement, je plaquais un faux sourire sur
mon visage avant de me tourner vers elle. -Vous êtes monsieur Da Silva ? C'est bien ça ? -Oui, c'est ça. Et à qui ai-je l'honneur ? -Stillman, Hope Stillman. Je travaille à la Sillicon Valley. -Ah ! Ça doit être intéressant là-bas, avec toute cette effervescence. -Eh bah oui. On vois des petits jeunes qui défilent tous les jours avec un tas d'idée. Quand on pense que certains d'entre eux seront les prochains Steve Jobs, ça fait tout bizarre. C'est beau la technologie quand même. -Oui, en effet. Et en quoi consiste votre travail ? -Je gère un fond d'investissement, on trouve des starts-up prometteuses et on les aide financièrement à se hisser au sommet. -Je vois. Ça doit être très intéressant. -Oh, je ne m'ennuie pas vous savez ! Mais bon, si je vous accoste, vous vous doutez bien qu'il y a une raison. -Pas forcément. Un tas de femme m'accostent sans raisons particulières. Après ma remarque, je l'entendis glousser comme un dindon. C'était face aux gens comme elles qu'il m'était le plus dur de garder mon calme, de ne pas leur avouer que leur simple présence m'insuportait, qu'avoir leur visage dans mon champ de vision était une torture et que j'avais bien mieux à faire que de discuter avec eux. -En réalité, j'aimerais orienter mes fonds vers des sources de revenus plus sûres. Hors M.D.S. n'est pas en bourse. -Vous voulez investir dans mon entreprise ? -C'est ça, oui. -Dans ce cas, vous allez être déçue. M.D.S. est parfaitement autonome, elle s'auto finance depuis sa création et ça ne risque pas de changer. Je n'aime pas savoir qu'une horde de milliardaire peuvent décider de l'avenir de ma boîte juste en m'offrant quelques billets dont je n'ai pas besoin. En réalité, tant que j'en serais le PDG, mon entreprise n'entrera pas en bourse et ne recevra de fonds d'aucun bords. Enfin, une dernière question : si je peux offrir plusieurs millions à une œuvre de charité, pensez-vous réellement que je sois dans le besoin ? -Non mais n'importe quelle entreprise peut à tout moment av... -Pas la mienne, madame Stillman, pas la mienne. Offrez votre argent à ceux qui en ont vraiment besoin, c'est très bien d'aider ces jeunes, continuez comme ça. M.D.S. est en surplus et ça me va très bien. Sur ce, j'ai un ami à retrouver. -Très bien. J'étais très heureuse de vous avoir rencontré. En la quittant, je ne pu m'empêcher d'afficher une moue dégoûtée. Même après s'être fait insulté, elle continuait à me traiter avec déférence. Ces gens là n'avaient-ils aucun honneur ? Jusqu'où pouvait aller leur hypocrisie ?
Enfin, je reprenais mon parcours du combattant entre les masses de personnalités qui se côtoyaient. À un moment, alors que je passais devant le buffet, je sentis une main se poser sur mon épaule. Après un sursaut instantané, je me retournais, les muscles prêts à l'action, pour finalement tomber sur Wyte. -Ça va mon vieux ? Je te trouve légèrement à cran. -Non, c'est rien. Enfin rien... L'As quoi. -T'aurais pas dû venir. -Je commence à connaître la chanson. C'est moi le patron et j'ai choisi de venir. Point final. -T'as une arme au moins ? -Non ! Évidement que non ! On est à une putain de soirée mondaine, pas à la guerre. -Dans ce cas, qu'est-ce que je fous là ? -Tu me tiens compagnie. J'avais besoin d'un gars de la maison. -Pourquoi faire ? Et puis Albert ne suffisait pas ? -Albert n'est pas vraiment de la maison. Je parle de ceux qui étaient là le soir de la création du Corbeau. Viktor est en taule, Lucy déteste ce genre de truc, Maverick était pris et Josh préfère éviter de trop se montrer en publique. Ça ne me laissait pas trop le choix. -N'empêche que je sers à rien. Peut être que j'avais une soirée de prévue. -Dans ce cas, profite de celle là. Dans cette salle, t'as au moins une vingtaine de filles de notre âge, riches héritières, qui attendent juste le prince charmant. -Donc tu avous que je n'ai pas la moindre utilité ici ? -Si, j'ai besoin d'un gars qui comprends ce qui se passe, un gars qui peut me couvrir si une merde nous tombe dessus, un gars en qui je peux avoir confiance. -Très bien. Dans ce cas, en tant qu'homme de confiance, je te conseille de faire attention au policier qui vient vers nous, très cher. Je ne sais pas pourquoi mais j'ai l'intime conviction qu'il veut parler avec toi. -Je sais. Je gère, c'est bon. Reste en arrière mais ne t'éloigne pas, si il part trop loin, coupe le. -Je connais mon taff. Immédiatement après que Wyte ait rejoins le buffet, l'agent Hudson était venu à ma rencontre. Nous nous étions déjà rencontré à l'occasion de quelques cérémonies mais j'étais incapable de savoir ce qu'il pensait de moi. Toujours estil que du haut de ses cinquante ans et avec son épaisse moustache, il avait l'air bien trop honnête pour m'apprécier. -Agent Hudson ! M'exclamais-je. Que faites-vous ici ? -À vrai dire, je n'en sais rien. Je crois que je représente le service de police de la ville mais je ne vois pas bien auprès de qui. M'enfin, je profite de la nourriture. -Oui, c'est ce que je préfère dans ce genre de soirée, lui avouais-je en souriant.
-Tout comme votre ami. -Comment ça ? -Geoffrey Martinez, celui qui est parti au buffet quand il m'a vu arriver et qui est en train de nous espionner. -N'exagérons rien. Le pauvre s'ennuie, ce genre de fête, ce n'est pas réellement son truc. -Ou alors il me surveille, je n'en sais rien. Vous savez, quand on a passé autant de temps que moi dans la police, on commence à devenir paranoïaque. Dans ce cas, met ton talent à la recherche de l'As au lieu de chercher des embrouilles à mon conseiller. -Je comprends parfaitement. Ça ne doit pas être un métier facile. -Oh que non, mais passionnant, pour sûr. Tout comme le vôtre, je suppose. -Passionnant, c'est vite dit. Intéressant par moments, tout au plus. -Si peu ? Pourtant vous faites un métier relativement proche du miens, simplement dans la branche inverse. -Je ne suis pas sûr de vous suivre. -Moi je met les criminels sous les barreaux. Vous, vous les financez. -Et qu'est-ce qui vous fait dire ça ? -Vous n'allez pas me dire que vos barmans, quand ils me font payer ma pinte dix dollars, ce ne sont pas des criminels ! -Ah ! J'ai eu peur. Pendant un instant, j'ai cru que vous m'accusiez d'être un hors-la-loi. Lui avouais-je en riant. -Vous avez cru que je savais que vous étiez le Corbeau ? Ah, ce serait amusant pas vrai ? Qu'un flic honnête ose vous accuser. Remarquez, ça serait tellement surréaliste que ne vois pas comment vous avez pu y croire ! Allez, à plus tard monsieur Da Silva. Avec une totale incompréhension, je regardais le policier rentrer dans la foule. Dès qu'il fut hors de vue, Wyte me rejoignis, lui aussi semblait médusé par les propos de l'agent. Il était sur le point de me donner son avis lorsque j'aperçu l'As à quelques mètres de nous, son sourire machiavélique sur le visage. Sans réfléchir, dans un réflexe, je me couchais sur le sol sous le regard surpris des invités. Au bout de quelques secondes, quand je me rendis compte du ridicule de la situation, je quittais ma position en m'excusant auprès des convives choqués. -Qu'est-ce qui se passe Mike ? Me questionna Wyte. -C'est rien. Faut que j'aille aux toilettes. Profondément insatisfait par cette explication, mon conseiller ne protesta pas lorsque je quittais sa compagnie pour rentrer à nouveau dans cette foule
grouillante. Cette fois-ci, je ne laissais personne venir pour me parler. Ma démarche rapide et mon regard inquiet devaient suffire à éloigner les curieux. Pendant tout le chemin, je jetais des coups d'œil dans tous les sens à la recherche de l'homme qui en voulait à ma vie. C'était ma faute si j'en étais là, et maintenant je regrettais amèrement de m'être jeté dans pareil guêpier. Rapidement, je rentrais dans les toilettes des hommes pour me rendre compte que j'avais commis une autre erreur. L'endroit était vide, parfaitement isolé, si quelqu'un voulait me tuer, il n'y avait pas meilleur endroit. Sans un regard aux alentours, je me précipitais face aux miroirs et m'aspergeait le visage d'eau pour me réveiller. Après quoi, je passais mes mains le long de mes traits pour essayer de raffermir ma perception du réel. Je n'étais pas en danger. Je n'étais pas en danger. Je n'étais pas en danger. Je n'étais pas en danger. Il était là ! Je me retournais en sueur mais le mouvement que j'avais vu dans le miroir n'était que celui provoqué par le vent sur le papier toilette. Immédiatement, je refermais la fenêtre qui donnait sur la ville et qui avait causé ce courant avant d'avaler plusieurs gorgée de ma flasque de Whisky et de me replonger dans le brouhaha de la salle des fêtes. À peine avais-je retrouvé l'ambiance colorée et bruyante de l'endroit qu'une jeune femme me sautait dessus. Cette dernière avait les cheveux courts, blonds, ainsi qu'une magnifique robe de soirée rouge. Le tout amélioré par une légère couche de maquillage. -Monsieur Da Silva ? Gill Nimez, je suis journaliste. Vous avez un instant ? -Wow ! J'ai l'impression que vous, non. En tout cas, vous êtes directe. -Ça veut dire oui ? -Je n'en sais rien. Pourquoi être aussi pressée ? -Il y a environ un demi-milliard de notables dans cette pièce. Je peux avoir suffisamment d'interviews pour les cinq prochains mois. D'où ma rapidité. Si c'est non, autant ne pas perdre de temps. -Eh bien... Pourquoi pas. -Parfait. Vu le sourire qu'elle affichait et son jeune âge, cette soirée devait être l'un des premiers gros événements qu'elle couvrait. Dans une gestuelle maladroite, elle lança le fonctionnement de son enregistreur et sortit une feuille sur laquelle était écrite une liste de questions.
-On peut faire les questions ici, ça ne vous dérange pas ? -Non, pas du tout. -Parfait. Euh donc euh oui... Vous avez arrêté l'école à seize ans, c'est bien ça ? -Oui, à mon grand regret. -Dans ce cas, entre vos seize ans et le moment où vous êtes devenu millionnaire, qu'avez-vous fait ? -Je crois que vos compères à disposer de cette info sont nombreux. Mais soit. J'ai réalisé quelques petits boulots, j'ai rencontré ma femme, je me suis marié, j'ai divorcé, j'ai à nouveau réalisé quelques petits boulots et puis me voilà. -Qu'est-ce qui vous a motivé à monter votre boîte ? -Au début, je ne voulais pas monter ma boîte. J'ai acheté un bar, puis un autre, et au final, j'avais trop d'établissements pour qu'ils soient indépendants alors je les ai reliés via M.D.S., c'était une sorte de grosse tête dominant les commerces. -D'où venait l'argent des premiers achats ? -J'ai travaillé pour un homme d'affaire Londoniens qui m'avait vraiment à la bonne. On peut appeler ça un coup de chance... Mais ces questions m'ont déjà été posées, vous ne risquez pas d'obtenir d'exclusivité. -C'est une mise en bouche pour mes lecteurs. On va passer aux choses sérieuses, ne vous en faites pas. Avec un sourire provocateur, elle retourna sa feuille de question pour en dévoiler une nouvelle liste. Je me demandais pourquoi elle changeait déjà de page alors que seules deux questions avaient été posées mais je n'en dit rien. -Est-ce que vous auriez des conseils à donner à ceux qui voudraient se lancer ? -La persévérance. Simplement. Il faut y croire et surpasser toutes les embûches. Au final, on est dix mille à avoir de bonnes idées, cinq mille à savoir les mettre en œuvre et une petite centaine à avoir la volonté d'aller jusqu'au bout. Au début, on croit qu'il suffit d'être un génie, mais ça n'a rien à voir avec l'intelligence. Quand on a fait sauter la Cage aux oiseaux, j'aurais pu abandonner mais j'ai continué. -Merci. Et vous, comment vous vivez cette richesse en sachant que vous êtes né dans une famille presque "pauvre", si je puis dire. -Oui, il n'y a pas de mal, ma mère était très pauvre. Eh bien pour l'argent... C'est assez compliqué en fait. Je pense que le fait d'avoir grandis dans un famille modeste a fait que je ne le dépense pas tant que ça. Vous ne me verrez jamais dépenser des millions pour aller chasser dans une réserve naturelle africaine ou faire le tour des Philippines dans un yacht. En fait, même si je suis heureux de ne plus être dans le besoin, je ne crois pas que mon train de vie ait réellement changé. Si l'on regarde, les seuls moments où je pars en vacances, c'est pour faire plaisir à ma fille. -Merci, transition parfaite. Justement, votre fille, qu'est-ce que ça lui fait d'avoir
quelqu'un comme vous en tant que père ? Se rends-t-elle compte de l'homme que vous êtes ? Après avoir regardé au dessus de l'épaule de la journaliste à la recherche de potentielles menaces, je plantais mes yeux dans les siens avec un soupir de déception. -Eh bien... C'est un sujet délicat en réalité et je ne suis pas sûr de vouloir l'aborder. Sachez juste que je ne la vois pas autant que j'aimerais et je ne suis pas sûr que ce soit à cause l'argent, mais j'ai l'impression de la perdre de vue. C'est peut être quelque chose de récurent chez les parents mais cette impression est très forte chez moi. -Elle a dix ans, c'est ça ? -Oui, mais comme je l'ai dis, j'aimerais ne pas trop parler d'elle. -Comme vous voudrez. Dans ce cas, je me contenterais d'une dernière question. Après avoir fait tous ces dons à de multiples organisations, avez-vous une idée pour l'avenir dans l'aide aux démunis ou allez-vous rester à cette même échelle ? -Cette échelle me va très bien. J'aide une dizaine d'œuvres de charités et j'ai fondé la mienne, je vois mal quelle pourrait être l'étape supérieur. À moins de m'engager physiquement dans ce genre de cause mais bon.... On va dire que je ne pense pas être le plus qualifié. -Très bien, merci beaucoup. Tout en la regardant partir, je me rendis compte que l'hôte de la soirée avait commencé son discours et que tous les convives l'écoutaient avec attention. Mon cœur s'arrêta lorsque je me rappelais que mon discours devait avoir lieu juste après le sien. D'une démarche rapide quoique mal assurée, je me frayais un chemin entre les masses de personnalités costumés pour finalement atteindre l'entrée qui menait à la scène. Là en coulisse, il faisait bien plus sombre. Un homme vêtu d'un smoking m'indiqua une porte sans lever les yeux de son téléphone portable. Ne prenant pas la peine de le remercier, je montais quatre à quatre les marches qui menaient à ladite porte avant d'attendre que mon nom soit prononcé en écoutant les belles paroles de celui qui m'avait invité. -... et je vous remercie donc d'être venus si nombreux, c'est vraiment un plaisir de tous vous accueillir. Mais il y en un que je suis vraiment très heureux d'avoir à ma fête, un homme que vous connaissez probablement tous et qui va me rejoindre sur scène. Mesdames et Monsieur, j'allais vous demander un tonnerre d'applaudissement mais ça fait un peu théâtrale alors simplement, voilà Michael Da Silva !
Un sourire anxieux sur le visage et les bras levés en signe de remerciement aux nombreux applaudissements qui retentissaient, je vint me placer derrière le micro après avoir remercié mon ami. Depuis la scène, la salle semblait immense. Des centaines de gens avaient les yeux tournés vers moi, attendant que je commence à parler, et je sentais le trac monter en moi, même s'il avait quelques minutes de retard. -Tout d'abord et bien évidemment, je tiens à remercier notre hôte pour cette magnifique soirée, c'est un plaisir d'être ici, en si bonne compagnie. Mais si l'on passe sur la réussite de cette soirée, vous ne pouvez pas imaginer à quel point c'est étrange pour moi d'être là, en face de centaines de personnes, à réciter mon discours. On m'aurait dit ça il y a trois ans et je ne l'aurais pas cru, même aujourd'hui j'ai des difficultés à penser que tout ça est réel. C'est vraiment extraordinaire de se retourner et de voir tout le chemin parcouru, de se dire qu'on a réalisé quelque chose de grand, et ça, je le dois à un homme qui n'est pas suffisamment connu à mon goût. Certains l'auront deviné, je parle de mon vice-président, Albert Zyrn, qui mérite probablement bien plus mon poste que moi. C'est étrange comme l'Histoire retiens certains noms et en oublie d'autres. Sans lui, M.D.S. serait loin d'être une grosse entreprise, il a un énorme talent et je pense qu'il a bien plus de choses intéressantes à vous dire que moi. Malgré ça, c'est moi qui suis ici, sur cette scène, ce soir, et comme je n'ai pas l'habitude de fuir mes responsabilité, je n'ai pas l'intention de déléguer. Mais si je suis ici ce soir, sur cette scène, ce n'est pas simplement pour parler de mon ascension sociale et de féliciter mon vice-président. Non, je tiens aussi à vous remercier vous tous, qui m'avez accueilli dans votre monde alors que Dieu sait que je suis invivable. Mais après tout, Il sait aussi que je fais tout pour me racheter et ce soir, je peux vous en présenter un nouvel exemple avec l'internationalisation des œuvres de charités de M.D.S. ! En effet, ce matin même, mon entreprise vient d'investir cent millions de dollars en Amérique du Sud pour aider ces gens qui sont obligés de vivres tassés les uns sur les autres. Alors je suis sûr que pour beaucoup d'entre vous, c'est assez dur à visualiser, mais à moi, ça me fait un grand effet et je tiens à remercier tous ceux qui m'ont permis de faire tout ça et d'en être là aujourd'hui. Allez ! Merci à tous et amusez-vous ! Encore légèrement à cran, je quittais la scène sous une pluie d'applaudissement. Dans les coulisses, Wyte m'attendait adossé à un mur. Dès que je pénétrais dans son champ de vision, il vint me donner une tape dans le dos. -Bravo. Très bien géré, on dirait que t'as fait ça toute ta vie. -J'en ai rêvé tout ma vie, mais... -...aujourd'hui ce n'est plus pareil, je ne connais la musique. À ce propos, tu
m'as l'air plutôt sobre. -Ouais, j'essayais de me contenir. Mais là il faut que je rentre, j'en peux plus et j'ai pas envie de faire un scandale en publique. -Parfait, c'était ce que j'allais te proposer. Plus rien ne te retiens et l'As rode toujours alors plus vite tu... Il n'eut pas le temps de finir sa phrase avant que notre hôte ne décide de s'incruster dans la discussion. Le sourire jusqu'aux oreilles, ils me prit dans ses bras comme si j'étais son plus grand ami. Wyte, de son côté, avait parfaitement compris qu'on souhaitait me parler en privé et quitta les coulisses, sans oublier de me rappeler que je devais me dépêcher. -Ça fait plaisir de te voir, Mickey ! -Ouais, moi aussi, très plaisir. Magnifique ton discours, d'ailleurs. -C'est vrai, t'as aimé ? J'étais pas sûr pour le passage sur les phoques... N'ayant écouté que la fin du speech et ne sachant pas de quoi il parlait, je ne pu m'empêcher de sourire en voyant le sujet arriver dans la discussion. Malgré ça, je tentais de lui répondre le plus sérieusement possible. -Non, c'était très bien, ne t'en fais pas. -Merci beaucoup. Le tiens aussi était plutôt bon, il y avait une sincérité qui s'en dégageait... Il est de toi ? -Oui, enfin c'est presque une impro. Je n'ai rien dis de bien extraordinaire, je remercie tout le monde, je dis que je suis heureux, on a déjà vu bien mieux. -Ce n'est pas ça, en fait, tu es un bon parleur. On voit que ça vient du cœur et tu pourrais nous raconter une recette de cuisine que ça resterait émouvant. -Je ne sais pas comment je dois le prendre. -Oh, mais comme un compliment bien sûr. Je ne me permettrais pas de te manquer de respect. D'ailleurs, à propos de respect, l'Hôtel Respect, tu n'envisage toujours pas de le... -De le vendre ? Non, toujours pas. Je l'ai, je le garde. Arrête de me harceler avec ça. -Comme tu voudras. Tu veux venir boire un verre ? -Non, merci. Je dois rentrer. -Déjà ? Il est à peine vingt-trois heure. -Oh mais je suis un homme très pris. Je suis vraiment désolé, il faut que j'y aille. À une prochaine fois. -Dans ce cas... À la prochaine, Mike. Après une traversée rapide de l'immense salle luxuriante, bruyante et brillante, j'atteignais la porte d'entrée et l'obscurité silencieuse de la nuit. C'était un changement total d'ambiance.
Il faisait froid, noir, les seules lumières émanaient de quelques petites enseignes clignotantes, l'humidité de l'air laissait présager une pluie prochaine. Pendant quelques minutes, je restais replié sur moi-même pour me réchauffer, attendant la venu de ma limousine. Quand finalement elle s'arrêta devant moi, je ne laissais pas le temps au portier de m'ouvrir et montait directement à l'intérieur. Je ne me rendit compte que trop tard qu'un autre passager y était installé. Le sourire aux lèvres, portant un costume d'un rouge agressif, l'As me regardait avec ses yeux de fous. Sa chevelure orangée et désordonnée représentait parfaitement sa psychologie dérangée. -Pas mal, cette voiture... Quoique je préférais le jet. Tu t'en souviens ? Ça commence à faire. -Ouais, je m'en souviens. Tu sais que si tu me tue, tu ne t'en sortiras pas ? Je suis devenu trop important pour que ma mort reste impunie. -Stupide Hobbit prétentieux ! Je n'ai plus envie de te tuer. Quand je t'ai vu te coucher au sol en plein milieu de la fête, j'étais mort de rire. Non, te voir terrifié est bien plus drôle. Le problème, c'est que si je te dis que je ne vais plus te tuer, je ne peux plus te faire peur. Du coup, le bonheur m'empêche d'être heureux. Après, j'aurais pu simplement ne pas dévoiler mon plan, mais c'était tellement plus amusant ! Ce qui va se passer, c'est qu'à partir de maintenant, je vais te prendre un doigt. Ce n'est pas très utile un doigt, et puis ça ne t'empêche pas d'avoir peur. Du coup, c'est génial ! Pour cette fois, je te laisse tranquille, mais la prochaine fois, si je t'attrape, coupe ! Coupe ! Après une explosion de rire, il mima le signe des ciseaux avec ses doigts et quitta le véhicule qui n'avait toujours pas démarré. Dès qu'il fut sorti, le chauffeur accéléra immédiatement et se fondit en excuse mais je lui expliquais que ce n'était pas sa faute avant d'appeler Rain. -Mec, je viens de le voir. -Sûr ? -Oui. Il était dans ma voiture. Putain, dans ma propre voiture ! -Alors qu'est-ce qui fait que t'es encore en vie ? -Il est complètement fou. Maintenant, il n'essayera plus de me tuer mais juste de me couper un doigt par rencontre. -Et là... Tu viens de... Enfin est-ce qu'il a... -Non, je ne sais pas quelles sont les règles de son jeu mais il m'a épargné. Par contre, je crois que je vais faire gaffe à l'avenir. -Oui, c'est mieux que tu m'écoute. Le fait que tu l'ai compris au bout de la deux millième fois me redonne espoir en ton intelligence. -Ai un peu de respect pour ton bosse.
-Tu sais ce que je lui dis, à mon bosse ? -Va te faire ! Et bonne nuit, vieux con. -Bonne nuit, p'tit con. Avec un sourire, je rangeais le téléphone dans ma poche et avalais l'intégralité du contenue de ma flasque de Whisky. Ensuite, je me laissais tomber en arrière pour me faire bercer par le bruit du moteur jusqu'à la maison. Dans ma tête, le problème de l'As avait déjà laissé place à un autre : J'avais promis à Zyrn de m'occuper de Lily le lendemain, mais en étais réellement capable ?
Chapitre 83 : Tentative paternelle Après avoir arrêté ma voiture devant la magnifique villa d'Albert, je restais sans bouger pendant de longues minutes. En bas de la falaise où était construite son immense demeure, les vagues se jetaient les unes après les autres sur les récifs. Je regardais la porte de sa maison en hésitant, j'avais presque envie de démarrer et de rentrer chez moi. Au bout d'un certain temps de réflection, je finis par me persuader qu'il était anormal d'avoir aussi peur de voir sa fille, que rien ne pouvait m'arriver et que plus je restais dans ma voiture, plus j'allais être angoissé longtemps. Dans l'atmosphère matinale, je marchais sur les quelques mètres qui me séparaient de l'entrée. Ce paysage était vraiment éblouissant, à plusieurs kilomètres de la ville, une maison ultramoderne en haut d'une falaise, le spectacle me laissait sans voix à chaque fois que je venais. Après avoir sonné à la porte, je passais un œil à travers la baie vitrée pour observer mon ami traverser son salon richement décoré et venir m'ouvrir. -Salut Mike ! Rain m'a dit pour l'As, t'es sûr que c'est une bonne idée de... -Ouais. Tu m'a proposé de passer une journée avec elle, je ne changerais pas d'avis. Elle est là ? -Dans la chambre de Laura, tu veux que j'aille la chercher ? -J'aimerais bien, oui. Avec un sourire, Albert quitta ma compagnie en s'engouffra dans l'un des nombreux couloirs de sa maison. Quelques minutes plus tard, il revint avec Lily sur ses talons et je ne pu m'empêcher d'angoisser en la voyant arriver. Désormais, c'était elle qui avait le pouvoir. Elle pouvait me regarder avec mépris, me lancer une pique assassine, se venger de mes absences, ou au contraire afficher son bonheur de me voir. -Coucou, 'pa. Se contenta-t-elle de dire en enfilant sa paire de baskets blanches. -Coucou. À chaque fois que je la voyais, je ne pouvais m'empêcher de me rendre compte qu'elle paraissait beaucoup trop grande. Dans mon esprit, elle restait une petite fille, pourtant en face de moi, cette enfant n'avait rien d'un bébé. Chaussures de sport blanches, jean serré, débardeur de marque, gilet en cuir, ces vêtements n'étaient plus ceux d'un enfant. D'autant que son visage ne laissait plus de doute possible, car si elle n'avait pas les traits d'une adulte, on sentait tout de même l'adolescence se rapprocher à grands pas. Des traits fins, ceux de sa mère, des cheveux légèrement ondulés qui tiraient vers le noir, une pair d'yeux magnifiquement bleus, elle avait tout pour devenir
une future beauté. Mais moi, j'étais incapable de la visualiser dans le futur, j'éprouvais même des difficultés à me la visualiser dans le présent. -Au revoir, dit-elle à Albert avant de quitter la maison pour monter dans ma voiture. -Alors, qu'est-ce que t'as envie de faire ? Lui demandais-je quand j'eu pris place derrière le volant. -J'en sais rien... C'est comme tu veux. -Et moi, ce que je veux, c'est te faire plaisir. Dis moi juste un endroit où tu veux aller, et on y va. -N'importe où ? -C'est toi la reine de journée. -Tu fais ça juste une fois pour pas que je t'oublie où il y aura d'autres journées comme ça ? -Il y en aura d'autres. Écoute mon cœur, je sais que je n'ai pas été très présent, mais je m'en veux, vraiment, et je vais essayer d'améliorer ça dans les jours qui viennent. -Promis ? -Promis. Lorsqu'elle déposa un bisous sur ma joue, en plus de retrouver dans son regard celui de la petite fille d'antan, je sentis mon assurance renaître. Finalement, je n'avais peut être pas perdu trop de terrain, peut être que le cas n'était pas désespéré. -Mais donc, où tu veux aller ? -Bah euh... Ça te dérange si on fais les magasins ? -Non, pas du tout. Expliquais-je en démarrant. Mais un jour, il faudra que tu m'apprenne ce qui t'as fait passer des LEGOs aux vêtements. -L'âge, nan ? Je vais pas rester petite toute ma vie. -Déjà, pourquoi pas ? Ensuite, c'est pas ça... C'est juste que ça t'est passé d'un coup. On dirait qu'un beau matin, tu as découvert que tu adorais les vêtements au détriment des jouets. -Mais non, c'est juste que je joue moins et que je m'intéresse plus au style. C'est pas comme si j'avais jeté tous mes jouets et que je passais mes journées dans les magasins. -Oui, c'est vrai qu'on est pas du tout là... -C'est bon hein ! Tu verrais, j'ai des amies qui font mille fois pire. -Est-ce que j'ai critiqué ? Et puis ce n'est pas vraiment un argument. Si t'étais amie avec un serial killer, tu aurais le droit de tuer une personne de temps en temps ? -Ça n'a rien à voir ! -Complètement d'accord, mais c'est l'exemple le plus parlant que j'ai trouvé.
-Eh bah dis donc ! T'es pas fort pour les exemples ! -Je t'interdis de me critiquer, jeune fille, sinon je te déshérite ! Ça faisait au moins une année entière que je n'avais pas trouvé le temps de passer ce genre de moment, ces instants où on ne faisait que se taquiner sans chercher de réelle logique ni de sens, ces périodes où on voulait simplement s'amuser. Retrouver tout ça me faisait un bien fou, je redécouvrais ce que c'était qu'être père. En fait, avoir un enfant, c'est un amour au fonctionnement inversé, au lieu de commencer en tant qu'inconnu et d'essayer de se faire aimer, on commence par se faire aimer et on fait tout pour ne pas devenir un inconnu. Mon problème, c'est que j'étais passé très près de ce point, mais il semblait possible de facilement remonter la pente. -De toutes façons, si tu me déshérite, j'ai toujours l'argent de maman ! -Maman ? Pfff ! Maman, elle est pauvre. -Tu rigole ? Après c'est sûr que si on te prends comme point de comparaison... -Évidement qu'on me prends ! Qui d'autre ? Par contre, plus sérieusement. Tu veux aller dans quel magasin ? -Le centre commercial du South Bay Galleria n'est pas mal. -"Le South Bay Galleria n'est pas mal", commençais-je en la parodiant. Mais bon, il est rempli de petites gens, ce n'est pas réellement le top du top, voyezvous ? Moi, je ne traîne pas dans ce genre d'endroit. -T'es pas drôle ! Si tu veux, il est génial, c'est le meilleur centre commercial où je suis allée. T'es pas propriétaire, par hasard ? -Tu veux des réductions ? Non, c'est pas moi qui dirige. Moi je vends pas de haut-de-gamme. -Pourquoi ? T'aimes pas les marques ? -J'aime pas les riches. Répondis-je en riant. En fait, c'est surtout que c'est moins rentable à mon échelle. Et puis j'ai une image proche des familles modestes, le luxe n'est pas ma branche. -Toi ? Proche des modestes ? Avec tes voitures et ta maison ? -Je ne vois pas de quoi tu parles... Lui dis-je en faisant semblant de regarder ailleurs. Enfin, les tours de la cité des anges se dessinaient à l'horizon. Je me demandais comment Albert pouvait vivre si loin de la civilisation. Certes cela devait être reposant, mais au niveau de la pratique, je plaignais celui qui devait faire les courses. -Mais donc, direction le South Bay Galleria ? -Oui, si ça te dérange pas. -Pourquoi ça me dérangerait ?
-Bah je sais pas, ça peut être chiant de m'attendre quand j'essaie des vêtements et tout ça... -Tu sais, je pense avoir suffisamment de temps pour attendre ma fille. C'est pas comme si j'étais ultra pris. -Dans ce cas, pourquoi on passe si peu de temps ensemble ? Le faux pas de merde. -Nan mais en ce moment quoi, c'est pour ça qu'on est là, parce que je ne suis plus ultra pris. -C'est vrai ? Y'a pas d'autres raisons ? -Quel genre de raison ? -Je sais pas moi, je me demandais juste. C'est que des fois... J'ai presque l'impression que t'évites de passer du temps avec moi. -N'essaie pas de me faire culpabiliser parce que tu vas y arriver. Écoute Lily, je suis vraiment désolé, mais les relations humaines n'ont pas toujours été mon fort. C'est pour ça que ta mère et moi, on a divorcé et c'est pour ça qu'on ne passe pas énormément de temps ensemble. J'ai tendance à faire ou dire des conneries, et pour éviter que tu ne vois ça, j'essaie de ne pas t'avoir dans les environs quand ça m'arrive. Tu es la personne qui compte le plus à mes yeux et je n'ai pas envie de perdre l'image que j'ai, aussi mauvaise soit-elle. -Bah... Euh... C'est bizarre de... Enfin je voyais vraiment pas les choses comme ça. Mais donc ce n'est pas de ma faute ? -Absolument pas ! Qu'est-ce que tu aurais pu faire ? -J'en sais rien. Et puis c'est quoi les conneries que tu fais ? Je suis sûre que ça ne changerais rien si je te voyais. Maman aussi ça lui arrive de... -Non, Sarah ne fait pas ce genre de chose. Si tu me voyais trop souvent, tu finirais par me détester, c'est ça que j'essaye d'éviter. En limitant les rapports, quand je te vois c'est un événement et donc je suis au meilleur de ma forme. -Pourquoi maman pourrait me garder deux cent jours et toi tu galèrerais pour un peu plus d'une centaine ? -Parce qu'on est différents. J'y peux rien Lily, j'aimerais qu'il en soit autrement mais tu es mieux chez Albert. Tu t'entends bien avec Laura, n'est-ce pas ? -Oui, vraiment bien, mais c'est différent d'être avec une amie et d'être avec son père. -Je sais, ma chérie. Je sais... Je garais la voiture dans le grand parking sombre et malodorant du centre commercial. Là, des voitures de tous horizons se côtoyaient, le tout agrémenté d'une petite musique d'ascenseur presque inaudible. Sans nous attarder en bas, nous montâmes à la surface où des centaines de gens marchaient dans les immenses allées fortement éclairées. Partout, des boutiques, des enseignes, des clients, des pubs, des posters, du bruit. En venant
ici, je ne pouvais m'empêcher de penser à la fois où j'y avais emmené Leslie. À partir de ce moment là s'engagea pour Lily une sorte de course contre la montre. Avec agilité, elle se frayait un chemin entre les passants à une telle vitesse que je peinais parfois à la suivre. Parfois, il arrivait qu'elle se stoppe quelques instants devant une vitrine mais elle reprenait rapidement sa route. Au final, elle pénétra dans l'Abercrombie de l'endroit. Ici, dans un éclairage tamisé et une atmosphère bien trop parfumée à mon goût, un grand nombre de jeunes adultes se partageaient l'immense magasin. Ma fille, après avoir vérifié que je l'avais bien suivi jusqu'ici, couru entre les rayons comme si elle connaissait déjà la boutique par cœur et qu'elle cherchait à se rendre en un point précis. Quand je réussis enfin à la retrouver dans les secteurs du magasin, elle semblait en admiration totale devant une sorte de veste en jean. Lorsqu'elle me vit arriver, elle se tourna vers moi avec une moue déçue. -Ils vendent pas les mêmes trucs qu'à New York. -Encore heureux, sinon ça servirait à quoi d'avoir deux magasins différents ? -Bah à approvisionner deux villes différentes... Nan mais le truc, c'est que comme New York est très touristique, y'a de tout. Alors qu'ici, on trouve que les vêtements pour quand il fait chaud, qu'on est au soleil, sous les palmiers californiens. -Dans ce cas là, crée toi une garde-robe d'été. -C'était ce que j'allais faire. Mais, euh, question : pour les vêtements, tu veux voir ce que j'essaye ou je peux me débrouiller ? -C'est peut-être mieux si je regarde. Après maman va m'engueuler parce que je t'aurais laissé t'acheter un truc trop court. -Ok, ok. Bon bah j'y vais. Après plusieurs minutes de vagabondage intensif dans les rayons, Lily finit par s'orienter dans la partie enfant où elle passa le reste de la matinée à chercher puis essayer différents vêtements. De mon côté, je m'étais posé dans un coin et, subissant le parfum étouffant du magasin, j'observais ma fille se débrouiller toute seule. Jean, T-shirt, veste, short, jupe, robe, je la voyais aller et venir dans tous les sens, entassant les vêtements autours de ses bras jusqu'au moment où la quantité lui parut suffisante. À ce moment là, elle me demanda de la suivre dans une pièce étriquée qui donnait sur une dizaine de cabines d'essayage. Je passais alors les vingt minutes qui suivirent à la regarder faire la queue pour essayer, puis les trente suivantes à lui donner mon avis sur les différents produits.
Au bout du compte, je laissais tout passer, forcé de constater que ma fille avait du goût et qu'elle n'était pas du genre à porter des choses trop aguicheuses. De toutes manières, ce n'était pas encore de son âge... Finalement, nous libérâmes la cabine sous les regards visiblement impatients des autres clients, et ce malgré la pénombre de l'endroit. Au passage à la caisse, il nous fallut encore une fois patienter pendant de longues minutes avant de pouvoir payer mais à treize heure, nous étions de retour dans les grandes allées éclairées et bruyante du centre commercial. -Merci beaucoup papa ! Me dit Lily, avant de se mettre sur la pointe des pieds pour déposer un baiser sur ma joue. -On va manger, maintenant ? -J'en sais rien. Comme tu veux. -Dans ce cas, on va manger. Tu veux aller quelque part en particulier ? -On peut faire un Burger King ? -T'es sûre ? Après tu ne vas plus rentrer dans tes nouveaux vêtements ! Je rigole, ça va. Un bon gros hamburger, y'a rien de mieux. À peine quelques minutes plus tard et après avoir rangé les sacs pleins de vêtements dans le coffre la voiture, Lily et moi étions attablés dans un des Burger King de la ville, deux délicieux hamburgers sous les yeux. -Et donc, les cours, tu ne m'as pas dit. C'est pas trop dur d'avoir sauté une classe ? -Bah... Si en fait. Bon, je tiens, je suis normale, mais c'est plus dur quoi. -Tu t'es trouvé de nouveaux camarades ? -"camarades"... Ouais, si on veux. Ça va, c'est pas le problème. Nan, c'est surtout que j'ai l'impression d'avoir raté une année entière. -Ce qui est quand même un peu le cas. -Oui, je sais. Mais même, ça reste dur. Je suis presque à la traîne. -Moi je pense que tu t'es surtout reposée sur tes lauriers. Tu t'es dit que si tu avais sauté, c'est que tu étais trop forte et donc que tu pouvais arrêter de travailler. -Oui, c'est possible. Je vais peut être essayer de bosser... Un jour. Mais pour l'instant, entre le dessin, le piano, la gym, c'est assez chaud de trouver du temps. -C'est toi qui as choisi. Si ça te prends trop de temps, tu peux arrêter. -Non ! J'adore tout, mais ça reste galère. Après avoir pris quelques bouchées, j'hésitais à sortir ma flasque. D'un côté, ça risquait de déplaire à Lily, mais de l'autre, je n'étais pas sûr de tenir encore bien longtemps sans la moindre goutte d'alcool dans le sang. -Papa ?
-Qu'est-ce qu'il y a ? -Est-ce que tu vas te remarier ? -Hein ? J'en sais rien moi ! Ça dépend. Pas pour le moment en tout cas. -Ça dépend de quoi ? -Pour me marier, il faudrait déjà que je trouve une femme qui me plaise. Pour le moment, ce n'est pas le cas. -Ouaip... Mais bon, t'as du temps. -Comment ça ? -Bah je veux dire... T'as que trente-trois ans. En fait c'est grave bizarre. Tu sais que t'es à la fois le père le plus jeune dans tous ceux de mes amis et aussi le plus riche. -Et alors ? -Bah j'en sais rien. T'es pas normal on va dire... Genre t'es super riche, t'as quitté l'école, tout le monde te connait, t'es jeune et pourtant t'es déjà divorcé avec une fille... Enfin je sais pas, mais on dirait presque que t'as déjà fini ta vie. Je sais pas si je m'exprime bien mais... -Je vois, ouais. J'aurais atteint tous mes objectifs. C'est possible, j'en sais rien. Je t'avoue que moi aussi je suis complètement perdu. C'était étrange, j'avais l'impression qu'il y avait un message derrière les affirmation de Lily, mais j'étais incapable de le déchiffrer. Je ne savais pas si j'étais parano ou simplement stupide. -Mais donc... Ce serait possible que tu te remarie ? -Et pourquoi tu voudrais savoir ça ? Tu aimerais bien ? -J'en sais rien. En fait, je crois que ça dépendrais de la femme. Je pourrais refuser si un jour tu voulais te remarier ? -Non ! Non, je pense que si j'en avais envie, je ne t'écouterais pas, que tu ai tort ou raison. Je pense d'ailleurs que tu auras probablement raison. Mais c'est quoi toutes ces questions ? Pourquoi maintenant ? -Bah parce que je n'avais pas vraiment eu l'occasion avant, et puis parce que je crois que maman a trouvé quelqu'un. -C'est vrai ça ? -Oui. Je comprends pas c'est quoi son travail mais il a une belle maison. Je les ai vu s'embrasser, par déduction, je suppose qu'éventuellement... -Bah c'est possible. Tu l'aimes bien ? -Ça va, il essaye d'être gentil, même s'il n'y arrive pas forcément. C'est déjà ça. -Un peu comme moi, quoi. -Oui mais non. Toi c'est parce que tu es mon père, t'as envie de passer du temps avec moi, enfin je crois. Lui, je crois que c'est surtout pour gagner des points avec maman. -Dis donc ! Plutôt perspicace pour ton âge.
-Pourquoi tu crois que j'ai sauté une classe ? -Fais gaffe, si t'es trop intelligente, tu finiras comme ta mère. Ce serait un comble d'avoir mon sang dans les veines et de rater ta vie... Je rigole ! Mais bon, pour le nouvel amoureux de maman, toi, ça te gênerait qu'ils se marient ? -Je crois, un peu. On perdrait quelque chose je pense. Déjà quand il est à la maison, j'ai plus l'impression d'embêter maman qu'autre chose. C'est égoïste, mais il passe avant moi et ça fait bizarre après trois ans où on était que toutes les deux. Surtout qu'après le divorce, maman faisait tout pour que je la préfère à toi. -Tu n'as pas envie de faire de la psychologie ? Légèrement vexée par ma remarque alors que ce n'était pas du tout mon but initial, Lily se perdit pendant quelques secondes dans la contemplation de la grande salle agitée avant de reposer ses yeux bleus sur moi. -Vous ne m'avez toujours pas expliqué pourquoi vous vous êtes séparés, maman et toi. -Et ça ne va pas changer. On ne s'entendait plus et je n'ai pas tenu une promesse, c'est tout ce que tu dois savoir. -Non. Une promesse ça ne suffit pas pour un divorce, à moins que ce soit une grosse promesse. -Là, c'en était une. Et puis j'ai pas envie de parler de ça. -Il y aura un moment où j'apprendrai ce qu'il s'est réellement passé ? -Si ça arrive, ce ne sera pas de ma bouche. Après un soupir, ma fille laissa le repas sombrer dans un silence presque gêné. Tout en mangeant, je me contentais de regarder aux alentours, plus pour passer le temps que réellement inquiet par une quelconque menace. En quittant le fast-food, je reçus un appel de Rain. Aussi, après avoir pris un peu d'écart vis à vis de Lily, je décrochais le téléphone. Accessoirement, je profitais de cette distance pour me désaltérer. -Salut, s'pèce de connard ! -Rain ! Que me vaut le plaisir d'entendre ta voix de pécore du moyen-âge. -Dis pas ça, parce qu'après la nouvelle que je m'apprête à prononcer, tu auras envie de m'embrasser les pieds comme la salope que tu es. -Je t'écoute. -Eh bien il se trouve que j'ai enfin trouvé les bonnes personnes. -Pour ? -Devine ! Ton petit-copain va sortir de prison pour bonne conduite d'ici une semaine, et ça, c'est grâce à Bibi. -T'es sérieux ? T'as vraiment réussi ? -Oh que oui ! Alors j'attends un peu de respect dans ta bouche de paléontologue
amorphe. -Tu connais les mots que tu emplois, au moins ? -Ils sonnent bien, tout le monde se fout du sens, de nos jours. Bon, sur ce, c'est pas qu'écouter ta voix de chien qui sort d'un toucher rectal m'énerve, mais j'ai d'autres priorités. -Ouais. C'est ça. En tout cas, merci. -Faut bien que quelqu'un fasse correctement son job dans ton entreprise de merde. En raccrochant le téléphone, j'étais aux anges, et ça dû se voir sur mon visage puisque dès que je l'eu rejoins, Lily me demanda avec curiosité ce qu'on venait de me dire. Après quelques secondes d'hésitations, je me dis qu'il y avait déjà suffisamment de chose que je lui cachais, et qu'il ne servait à rien d'en rajouter d'autres. -J'ai un ami qui va sortir de prison. -Ah bon ? Qui c'est ? -Tu ne le connais pas, il s'appelle Viktor. On s'est connu quand je suis revenu ici après que j'ai divorcé de ta mère, et on l'a enfermé un peu avant que j'obtienne ta garde. -Pourquoi il est allé en prison ? Vérité ou Mensonge ? J'avais l'impression de choisir au hasard. -Il était fauché et, comme un certain nombre de gens, il n'a pas tenu le coup. Il a essayé de voler un fourgon blindé... Bon, c'était pas forcément très intelligent. -Mais même après être devenu un criminel, il reste ton ami ? -Évidement ! Pour l'avoir beaucoup fréquenté, je sais que c'est quelqu'un de bien, cet incident ne change rien à l'affaire. -Si c'était quelqu'un de bien, il n'aurait pas... -Non. À ma connaissance, tu es issue d'une famille relativement aisée et tu n'as même onze ans, alors je vois mal comment tu pourrais savoir ce qu'on ressent quand on est dans la misère la plus totale et que personne ne vous aide. Après quelques secondes de réflection, Lily me regarda avec un grave. -C'est ça, hein ? C'est pour ça que maman t'a quitté ? Pétrifié. Immobile. Incompréhensif. Comment c'était possible ? Jusqu'à quel niveau cette petite pouvait comprendre les sous-entendus ?
J'étais terrorisé à l'intérieur, mais tachais tout de même de ne pas perdre la face. -Non ! Grand Dieu ! Non. Ça n'a rien à voir. M'enfin, assez parlé. Tu veux aller au cinéma ? -Pourquoi pas, ou alors à la plage... En reprenant notre route, je vis le soupçon sur son visage. Elle avait dix ans et était probablement la première personne non-informée de mes activités criminelles à avoir compris les raisons de mon divorce. Finalement, je me demandais si avoir une enfant trop intelligente n'était pas un mal.
Chapitre 84 : Terres ennemies Le soir même de cette journée en compagnie de Lily, je reçus un appel de Wyte. Une heure plus tard, je ramenais ma fille chez Albert malgré la soirée que j'avais prévue en sa compagnie. La seconde qui suivait, je me dirigeais vers l'aéroport. Même si elle avait été contrariée par ce brutal changement, la petite l'avait accepté avec beaucoup de maturité. En réalité, elle avait presque l'air de comprendre à quel point je regrettais ce changement de plan, elle avait presque l'air de compatir à ma déception. En pénétrant dans l'intérieur luxueux de mon jet, je commençais par pester sur mon conseiller et ses missions de dernière minutes avant de m'assoir en face de Lucy et de Maverick. Dès lors que nous fûmes tous installés, les réacteurs de l'avion démarrèrent et les roues du véhicule quittèrent le sol. Parmi les quatre passagers, aucun n'affichait autre chose qu'une expression emprunte de fatigue. -Bon, les gars, qui me brief ? Demanda Lucy. -Fais le, Wyte, je vais dormir. Proposais-je avant de m'avachir sur mon fauteuil. -Rodrigo Allaròn, notre grand ami et fournisseur, essaye de quitter le navire. Selon lui, le Corbeau serait devenu un personnage trop connu, ce qui impliquerait une part de risques non-négligeables qu'il ne veut pas courir. Par conséquent, il compte arrêter de nous fournir et se ranger sur Tiger, enfin c'est une supposition pour Tiger. -Ça veut dire plus de coke ? -C'est complètement ça. Mais ce n'est pas envisageable étant donnée la part de bénéfices que représente cette branche de notre organisation. Je suppose que t'as compris ce qu'on s'apprête à faire. -Ouais, une petite visite de courtoisie, comme on les aime. Pendant que les discussions allaient bon train, je me laissais partir au pays des songes. Le voyage devait être court mais je ne voyais pas bien d'autres choses à faire que de dormir dans ce genre de situation. Perdant peu à peu connaissance, je me laissais bercer par les échanges de mes compagnons. Mais, alors que j'étais sur le point d'atteindre le sommeil, un soudain besoin d'alcool me fit revenir à la réalité et je m'empressais de boire quelques gorgées de ma flasque. -Ah ! Notre héros est réveillé ! S'exclama la punk. -J'ai même pas réussi à m'endormir. -Pauvre chou. Selon la rumeur, t'aurais passé la journée avec Lily. Verdict ?
-C'est ma fille, pas ma meuf ! On dirait que tu tu me demandes si je l'ai pécho ! -Pas vraiment, non. Après si tu le faisais, je te jugerais pas, chacun ses goûts... Mais donc, comment ça s'est passé ? -J'aborde le fait qu'elle ait compris que j'étais un criminel ou je le passe sous silence ? -Sérieusement ? Mais pourquoi tu lui as dis ? -J'ai rien dit du tout ! Je sais pas comment elle a fait, une intuition ou quoi, mais elle l'a compris. -Là on est dans la merde. Encore elle aurait quinze ans, ok, elle peut fermer sa bouche. Mais là, tu penses qu'elle est en mesure de comprendre que le raconter partout est une mauvaise idée ? -Oui, je pense qu'elle est en mesure de le comprendre. En fait, elle m'étonne continuellement par son intelligence et je crois qu'elle sait très bien ce que ce genre d'aveux implique. -Mike ! Elle a dix ans. Je pense pas qu'elle sache ce que c'est qu'une prison. Ok c'est ta fille, mais essaye d'être objectif. On est dans la merde. Ce n'était ni de la peur ni de l'angoisse que je voyais dans les yeux de Lucy. J'avais plus l'impression qu'elle essayait de déchiffrer mon expression pour comprendre si je disais la vérité, pour comprendre comment Lily avait pu deviner. -Ce qui est fait est fait, s'interposa Wyte. Mais personne n'a jamais interrogé Lily auparavant et je vois mal pourquoi ça changerais. Le seul truc auquel il faut faire attention, c'est que la petite n'ait pas envie de tout déballer d'elle même, c'est à dire que tu vas devoir rester en bons termes avec elle, surtout quand elle entrera dans sa crise d'adolescence. -Déjà que je ne la voyais pas beaucoup... -Je ne t'ai jamais demandé de ne plus la voir, au contraire, il faut que tu garde une image suffisamment forte dans son cœur pour que te dénoncer ne soit même pas une option. Il arrive parfois que les enfants fassent des choses stupides, mais c'est plus souvent sous le coup de la colère que de l'amour. Donc essaie d'être le meilleur père qu'elle puisse avoir. -Je me ferais aimer par ma fille uniquement pour ne pas qu'elle me dénonce à la police ? Est-ce qu'on me donner une situation parentale plus pitoyable ? -Pas uniquement pour ça. Il faut juste que tu ne t'attire pas ses foudres, le reste devrait être évident. En tant que son père, tu dois avoir envie de passer du temps avec elle. Tu as juste à le faire et à ne pas trop t'énerver, le reste suivra. C'est de loin la punition la plus agréable que j'ai jamais ordonnée. Cette fois-ci, ils furent deux à scruter mon visage. Moi qui croyait avoir lancé une anecdote anodine, j'avais en fait démarré un conseil de guerre improvisé où tous les membres semblaient incrédules face à la menace.
-Tu peux me dire exactement ce que tu lui as dis ? demanda mon conseiller. -On parlait des raisons de mon divorce, j'ai dis qu'elles étaient privées, puis j'ai reçu un appel de Rain qui me disait que Vik allait être libéré. Par conséquent, quand Lily a vu que l'appel m'a mît de bonne humeur, elle m'en a demandé la cause et je lui ai expliqué qu'un ami allait sortir de prison. De là, elle s'est demandé comment je pouvais être ami avec un prisonnier, du coup j'ai défendu le fait qu'on puisse commettre certains délits dans certaines situations et elle a capté le truc. -En défendant Viktor, tu lui as dit avoir déjà fait ça ? -Non. -Tu l'as sous-entendu ? -Non ! J'ai juste dit qu'elle n'avait jamais vécu dans la misère et que donc elle ne pouvait pas savoir. -Mais que toi tu peux savoir, et que donc tu essayais de te défendre à travers Viktor. -C'est peut être ça. Mais bordel, elle a dix ans, comment elle peut comprendre des trucs comme ça ? D'autant que toi, tu le savais déjà, c'est normal que tu analyse l'implicite, alors qu'elle, ça n'a aucun sens. -Elle est forte en déduction, ou alors simplement a-t-elle émit une hypothèse sans y croire. -Elle y croyait. Ce n'était pas "Ce serait pas à cause de ça que vous vous êtes séparés ?" Mais plutôt du style "C'est ça. C'est pour ça que pour que maman t'as quitté". -Affirmative, du coup ? -Une pointe d'interrogation, j'ai répondu "non", mais c'était quand même très affirmatif. -Je ne sais pas trop... En tout cas, tant qu'on pense qu'elle dispose peut être de prédispositions à la compréhension des sous-entendus, en plus d'être superpapa, tu vas essayer de ne surtout pas parler du milieu. Évite le sujet, faut ce que tu peux mais il ne faudrait pas qu'elle sache que tu es encore dedans. Pour le moment, elle pense juste que c'est la cause de votre divorce, rien de plus. N'est-ce pas ? -C'est ça, rien de plus, du moins je l'espère. Wyte me fixa quelques instants en soupirant puis la discussion dévia. L'heure suivante, alors que nous finissions de peaufiner les détails de notre expédition, le jet entamait sa descente vers la piste de Rodrigo Allaròn. Le repère du mexicain avait presque l'air d'une base digne des méchants de James Bond. Son immense complexe, construit au beau milieu du désert, comprenait un bâtiment entier dédié aux laboratoires où la drogue était produite, en plus d'un autre bâtiment tout aussi grand dédié à la gestion de
l'organisation. Du reste, l'endroit était entouré de deux pistes d'atterrissages, d'un hangar à avion et d'un héliport. C'en était presque à se demander comment personne ne pouvait avoir remarqué un tel quartier général. Mais malgré l'aspect professionnel de l'endroit, il fallait avouer qu'il renvoyait plus une image de bidonville que de base secrète. Murs et toits en taule, sol recouvert d'une fine couche de sable, présence de quelques gardés vêtus d'un short et d'un débardeur, il était facile d'imaginer paysage plus impressionnant. Malgré cela, je ressentis tout de même une pointe d'anxiété en descendant les marches de mon avion pour me trouver face à un comité d'accueil conséquent. Une douzaine d'hommes, tous armés et, semblait-il, mécontents de nous voir. Derrière moi, Maverick avait posé sa main sur la crosse de son arme et Wyte s'était placé légèrement en retrait, de façon à pouvoir rester couvert si les choses dégénéraient. Lucy semblait être la seule à garder son calme. -Allaròn ne vous a pas invité, Corbeau. Me reprocha l'un des gardes. -C'est justement la raison de ma présence ici, j'en ai bien peur. S'il refuse de me contacter, alors c'est moi qui viens à lui. Maintenant, si vous daignez me conduire à lui, je me ferais un plaisir de négocier. -Il ne désir pas négocier, cabrón. Vous êtes mort dans son cœur. -Permettez-moi de douter du fait que vous sachiez ce qui se passe dans son cœur. Quant aux négociations, j'espère que vous comprenez qu'il m'est impossible de quitter votre territoire tant que les choses ne seront pas revenues à la normale. Le garde était sur le point de répondre mais le bras droit d'Allarón lui intima de se taire. Vêtu, tout comme moi et mes hommes, d'un costume trois pièces, Juan Barros faisait presque tâche parmi ses alliés. -Il n'y aura pas de négociations, m'expliqua-t-il. Vous ne faites plus partie de notre organisation, nous n'avons rien à ajouter. Vous avez perdu votre temps en venant ici, mais il aurait suffit de nous appeler pour éviter d'inutiles déplacements. -J'aime parler face à face avec mes égaux. -Allaròn est loin d'être votre égal. Lui ne s'est pas laissé corrompre par l'argent. Vous passez plus de temps à vous pavaner à la télé qu'à gérer la sécurité de vos affaires, or c'est inacceptable pour nous. Dans toute la Californie, votre nom est connu, et où vendons-nous ? Dans toute la Californie. Il est largement préférable de changer de vendeur quand celui-ci n'est pas sûr. -Depuis que j'ai acquis ma notoriété, combien de mes associés en ont souffert ? J'aimerais savoir à quel moment j'ai été un mauvais parti, quelle est la cause de vos peurs.
-Il n'y a rien à faire, nous ne travaillons plus ensemble. Je vous accorde le droit de quitter la piste dans les minutes qui suivent. Il y a un aéroport à quelques kilomètres d'ici, vous pourrez y faire le plein. Nous ne voulons plus avoir à faire quoi que ce soit qui puisse vous inclure, Corbeau, alors estimez vous heureux que nous vous laissions partir sans agressivité. Encerclés, nous n'étions pas réellement en position de force, mais si nous nous laissions saper notre autorité ainsi, rien n'assurait que ce genre de chose ne recommencerait pas. -Je tiens à parler à Allaròn, peu m'importe que son refus soit catégorique, je veux l'entendre de sa bouche. Cela fait longtemps que nous travaillons de concert et n'y voyez là aucun sous-entendu, mais je ne pense pas qu'il s'agisse du genre d'homme à trahir ses alliés sans les regarder dans les yeux. -Une trahison ? N'employez pas de si grand mot. Toujours est-il que notre ami commun n'est pas disposé à vous recevoir, il n'y a rien à ajouter. J'allais répondre en lançant un pique assassine mais Wyte s'interposa et m'empêcha de parler. Avant même qu'il n'ouvre la bouche, je vis dans ses yeux qu'il avait une idée brillante. -Vous savez quoi ? Je pense que vous mentez. Je pense que Rodrigo n'a rien à voir dans cet affaire, il s'est simplement laissé manipulé par vous-même. J'ai des hypothèses sur vos raisons, mais je suis sûr que c'est vous qui avez stoppé nos négociations. Si le Corbeau n'a pas le droit de voir votre employeur, ce n'est pas parce qu'il refuse de lui parler, mais bien parce que vous avez peur qu'il le retire de votre emprise. -C'est réellement ce que vous croyez ? Vous pensez que je suis le genre d'homme à faire ce genre de choses ? -Vous nous en donnez trop de preuves pour que l'idée ne me traverse pas l'esprit. -Dans ce cas, je me ferais une joie de supprimer vos doutes. C'était une question d'argent, mais vous avez rendu ça personnel. Le Corbeau va pouvoir voir monsieur Allaròn, et lorsqu'il reviendra, je suis sûr qu'il vous dira que vous n'êtes qu'un fou aux absurdes élucubrations. De toutes manières, que puis-je y perdre, si ce n'est du temps ? -Nous verrons ça. Après avoir lancé un signe d'admiration discret en direction de mon conseiller, je rejoignis Barros et ses gardes pour me laisser guider à travers le complexe. Alors que nous pénétrions dans le bâtiment de direction, j'aurais pu être terrorisé à l'idée d'être seul et entouré d'ennemis, mais je faisais confiance aux mexicains : personne n'était suffisamment stupide pour tuer le plus riche
mafieux de la Californie. À l'intérieur comme à l'extérieur, l'endroit était pauvre. Le sol n'était même pas recouvert, ainsi marchait-on sur une épaisse couche de sable qui venait s'infiltrer dans les vêtements. Aux alentours, des planches de bois faisaient office de murs, on entendait les gens dialoguer de l'autre côté. Il n'y avait pas la moindre porte dans le couloir que nous traversions, les liaisons entre les pièces étaient ouvertes, aussi parfois était-il possible d'apercevoir deux mexicains en train de s'échanger des informations. Au final, au bout de plusieurs minutes de marche à travers le dédale, mon escorte finit par s'arrêter en face d'une grande pièce contenant uniquement une table où Allaròn fumait un cigare en compagnie de deux charmantes demoiselles aux traits hispaniques. Ces dernières lancèrent des regards curieux dans ma direction quand elle m'aperçurent. Le propriétaire de cet endroit, au contraire, garda son air décontracté en levant des yeux fatigués dans ma direction. Avec sa légère bedaine et sa moustache à l'ancienne, il ressemblait à une parodie de Pablo Escobar. -Mickey ! S'exclama-t-il. Le Corbeau est de retour dans mon désert. -Ça fait plaisir de te voir Rodrigo. -Ouais, ouais, moi aussi. Mais tu vois, il n'y a pas que le plaisir dans la vie. Je sais que t'es ici avec de très bonnes intentions, mais c'est devenu impossible de bosser avec toi. -Vraiment ? -Oh que oui ! Même si personne ne le dit ouvertement, que ce soient les mexicains ou les américains, tout le monde veut ta peau. J'ai quelques gars dans certains services de renseignements, et ça ne parle que de toi. Ils veulent te coincer, et dès qu'ils commencent à désespérer, le fait de te revoir à la télé leur redonne la haine dont ils ont besoin. Du coup, ils en savent un tas sur toi, pas forcément qu'ils ont des preuves, mais ils en savent un tas. Encore, ça serait que ça, je dis pas, c'est bon. Le problème, c'est qu'ils ont aussi commencé à chercher du côté de tes fournisseurs. Thunder, moi, on est tous sur liste prioritaire. Avant de répondre, je pris place à la grande table ronde, juste en face de Rodrigo et des deux beautés qui l'accompagnaient. En quelque sorte, il me rappelait le macro de Tiger, celui que j'avais tué dans un bar plusieurs années auparavant. Mais entre eux, il y avait deux différences : Allaròn était un ami et Allaròn n'avait jamais vendu d'être humain.
-S'il ne m'ont pas encore coincé avec toutes les conneries que je fais, comment veux-tu qu'ils te coincent ? -Parce que je bosse au Mexique. Ici, on est légèrement moins regardant que chez toi. Ils peuvent me buter pendant un raid et faire passer ça inaperçu. Toi, t'es presque intouchable si on n'a pas suffisamment de preuve à ton encontre. -Viens au pays, gère la production de loin. -Je reste proche de mes hommes, c'est comme ça que j'ai acquis ma place et c'est comme ça que je la garderais. -Tu veux combien ? -Je ne suis pas sûr de bien comprendre. J'ai pas besoin de ta thune, Mickey. Je veux juste la sécurité. -Tu pense que cinquante millions suffisent à s'acheter la sécurité ? -Il n'y a rien qui achète la sécurité. Le seul moyen de l'obtenir, c'est de ne pas faire d'erreurs. Le truc, c'est que rester avec toi, c'est une énorme erreur. -Avec qui tu te fous ? -Tiger. Il sera sûrement fâché de savoir que je te l'ai dit, mais je me met avec lui. -Il est lié à moi, on partage la même ville. Je suis presque sûr que les flics le cherchent autant que moi. -C'est des conneries ça. Si il y a un requin et un piranha qui sévissent dans l'océan, peu importe le fait qu'ils s'entraident, on va chercher à attraper le requin d'abord. C'est pas un problème de logique ou autre, juste qu'une photo avec un requin mort, ça en jette beaucoup plus qu'un cadavre de piranha. Il n'allait pas revenir sur sa décision, c'était un fait. Peut être Wyte aurait-il réussi à faire changer les choses, mais j'avais échoué. Je levais les yeux vers Barros qui attendait impatiemment que la discussion se termine avant de les reposer sur Allaròn. -Dans ce cas, c'est finit. J'ai été très heureux de travailler avec toi, Rodrigo. J'espère que tu te rendras compte de ton erreur, sache que ma porte te sera toujours ouverte. Adieu. Trop content de me raccompagner, le bras-droit me guida en sens inverse dans les couloirs du bâtiment. Dehors, la lune brillait avec une force écrasante, au point que je dû passer mon bras au dessus de mes yeux pour rejoindre mes amis dans le jet. Sans saluer qui que ce soit, je pris place sur un des fauteuils moelleux avant de demander au pilote de démarrer. Je venais d'essuyer un cuisant échec et l'expliquer devant tout le monde ne me faisait pas envie. -Alors ? Demanda Lucy, t'as géré ? -J'ai merdé. Il reste sur sa décision. T'as été bon Wyte, mais ça n'aura pas suffit.
-Désolé, me répondit l’intéressé. Va falloir se trouver un nouveau fournisseur, sinon on va rapidement chuter. -Est-ce qu'on a réellement besoin de toute cette thune ? Je veux dire, on est tous riches, ça sert à quoi de continuer ? -Si t'arrêtes, la boîte ne va pas disparaître, tu devras la laisser à quelqu'un d'autre. Mais on sait tous ici que laisser sa création, l'œuvre de sa vie, aux mains d'un autre, c'est impossible. -J'en sais rien. Je commence à me demander pourquoi on a autant besoin d'argent. -On n'a pas besoin d'argent, on a besoin du besoin d'argent. C'est grâce à lui qu'on bosse, qu'on trouve des gars, c'est une motivation. L'argent ne sert à rien, mais tant qu'on en a besoin, on va se surpasser. -Je suis pas sûr de comprendre. -Moi, ce que je comprends, nous avoua Lucy, c'est qu'on vient de perdre la moitié de nos bénéfices et que la fille de Mike est en capacité de nous dénoncer à la police. -Et encore, rajoutais-je. Vous ne savez pas ce qu'Allarón m'a dit à propos des services secrets...
Chapitre 85 : Sortie et entrée de prison En attendant la libération prochaine de Viktor, je passais chacune de mes journées en compagnie de Lily. Les deux premiers jours, je l'emmenais à la plage, dans les centres commerciaux, les paries d'attractions, visiter les studios d'Hollywood. Mais il vint une phrase qui mît fin à tout ça. -Papa, tu sais, si tu veux obtenir quelque chose, tu peux me le dire. Je fus forcé de tout arrêter. Je n'avais pas le choix, elle comprenait tout, tout. Le soir même, alors qu'elle venait d'aller se coucher, je décidais de la rejoindre dans sa chambre pour parler de ça, pour essayer de comprendre si je ne me faisais pas des idées. -Lily, je vais te poser une question et j'aimerais que tu me réponde franchement. En fait, je me demandais s'il ne t'arrivait pas, à certains moments, de comprendre des choses que les autres ne comprennent pas, de déceler le sens d'une phrase alors que celui qui l'a prononcée ne voulait pas que tu la comprenne. -J'en sais rien. Peut être des fois, y'a des choses que je trouve évidentes et que les autres ne comprennent pas. Mais tu parle en cours ou dans des discussions ? -Principalement dans des discussions. Une personne te dirait qu'elle aime le chocolat, et toi tu en déduirais qu'elle est triste. C'est un exemple mais tu vois ce que je veux dire ? -Faire le lien entre une information et sa cause, c'est ça ? Oui, je fais ça tout le temps. Pourquoi ? C'est pas bien ? -Je n'ai pas dis ça. C'est juste que parfois, certaines causes doivent rester secrètes et le fait que tu puisse les déchiffrer... Je ne sais pas si c'est réellement bon pour toi. -Je peux arrêter ? Parce que je le fais pas exprès, promis. -Je sais bien que tu ne le fais pas exprès. Non, le problème, il est pour toi et ceux qui t'entourent. Tu as un don Lily, et probablement qu'il te sera très utile, mais j'ai peur qu'il te cause aussi certains problèmes. La petite avait l'air presque effrayée devant mes dires. C'était quasiment comme si je lui apprenais qu'elle avait une maladie mortelle. Pendant certainement plusieurs années, elle avait utilisé cette capacité comme un sens normal, et maintenant elle se rendait compte que c'était une mauvaise chose. -Comment je dois faire pour que ça s'arrête ? -Ça ne doit pas s'arrêter, tu dois continuer de t'en servir, ça te donne un avantage certain sur le reste des gens. Ce qu'il faut, c'est faire en sorte que les personnes que tu fréquente ne se rendent pas compte de cette capacité. Quand tu
comprends un sous-entendu, garde le pour toi. Si quelqu'un ne veut pas que tu sache quelque chose et qu'il voit que tu es au courant, ça risque de créer des problèmes. -Mais comment je fais pour savoir s'il ne voulait pas que le sache ? Il a dis quelque chose, il y a mis un sens caché et je l'ai compris, si le sens était là, il y avait bien une raison. -Non. C'est comme si quelqu'un écrivait son journal intime en codé. Il veux tout coucher sur papier mais désire être le seul à pouvoir le lire, il pense être le seul à pouvoir déchiffrer le code. Mais toi aussi, tu en es capable. Tu pourras lire le journal, mais l'homme ne le souhaitait pas à la base. -Il n'avait qu'à pas l'écrire ! -Oui, c'est pas faux, mais tu vois ce que je veux dire ? -Je crois que oui, c'est bon. Je vais essayer de pas le montrer. Mais je peux continuer avec toi et maman ? Parce que des fois, vous dites des choses et je sais que vous voulez dire autre chose, si je ne peux pas vous demander d'aller aux faits, c'est énervant. -Ok. Tu pourras continuer avec nous deux, mais évite avec les autres. -D'accord papa. Après avoir déposé un baiser sur son front, je quittais sa chambre avec l'impression d'avoir accompli mon devoir de père. Ça m'arrivait rarement, mais je trouvais ça parfaitement grisant. Savoir que j'avais aidé ma fille, que j'avais contribué à son éducation, que je l'avais conseillé, la sensation était exquise. Le jours suivants, je ne fis rien qui pouvait trahir mes objectifs extérieurs. Quand Lily voulait sortir, nous sortions, quand elle voulait rester à la maison, nous y restions. Je ne la gâtais pas outre mesure, je ne cédais pas à tous ses caprices, je me contentais d'être son père. Et enfin, quand la semaine toucha à son terme, les affaires reprirent le dessus sur la vie de famille. Ma fille quitta Los Angeles le dimanche matin et, l'aprèsmidi du même jour, j'étais en face de la prison où Viktor avait croupi toutes ces années. Toute l'équipe était là, Rain avec ses vêtements sales et son allure de vieux pirate, Wyte toujours aussi propre sur lui, Lucy dans une combi-short tape à l'œil, Josh qui cachait sa prothèse sous son costume à plusieurs milliers de dollars, il n'y avait qu'Albert qui ne répondait pas présent. C'était d'ailleurs sous mon ordre qu'il n'était avec nous devant la porte de la sombre prison. J'avais catégoriquement refusé que l'étendard de M.D.S. puisse être associé de près ou de loin avec les eaux troubles de mon passé. -Ça va lui faire bizarre de sortir, murmura Lucy pour elle-même. -Vik ? Ouais, remarque c'est que trois ans, il aurait pu faire pire. Répondais-je
en me grattant le cuir chevelu. -Trois ans c'est long, d'autant qu'il s'agit des trois années les plus importantes de notre vie. Il est rentré alors que tu n'avais même pas le casino et il va sortir pour retrouver l'homme d'affaire le plus connu de la Californie. -Ok, j'admet, il va probablement recevoir un choc. En attendant, la punk venait d'allumer une cigarette avant de la coincer entre ses lèvres. Le reste du groupe, quant à lui, semblait impatient de voir les choses bouger. Pour le moment, nous ne pouvions qu'observer la façade orangée de l'entrée, attendant qu'il se passe le moindre événement. Et cet événement vint, même s'il était loin de ce que nous avions envisagé. Avant la libération de Viktor, deux fourgons de polices vinrent se garer avec une vitesse fulgurante pour libérer une poignée d'agents armés. En une demi-seconde, nous étions encerclés et incapable de faire le moindre geste. Sans tenter quoi que ce soit, je faisais sauter mes yeux d'un homme à l'autre, cherchant les points faibles de ces gardiens de la paix. Dès que la situation fût officiellement sous contrôle, l'agent Hudson quitta son véhicule, un air satisfait sur le visage. Tout en se passant les doigts sur sa moustache ridicule, il prit place entre deux de ses hommes. -Monsieur Da Silva peut nous accompagner maintenant, calmement, et tout ira bien. Nous ne demandons qu'une totale compréhension et nous ne ferons preuve d'aucune violence. Sur l'autoroute qui longeait la prison, on pouvait voir le regard curieux des automobilistes se poser sur nous un instant avant de quitter notre champ de vision. J'aurais apprécié être à leur place, simple spectateur de ce qui s'annonçait comme ma chute. -J'accepte de venir avec vous, mais je suis en droit d'amener mon avocat. -Vous n'êtes pas en position de force, monsieur Da Silva. Peu m'importent vos droits. -Je ne suis peut être pas le mieux placer pour juger, mais tout ça ne me paraît pas totalement professionnel. -Ça ne l'est pas. Maintenant, montez dans cette voiture ou nous faisons feu. -Vous seriez prêts à nous tuer ? Vous êtes policiers, bon Dieu ! -Si je croupis en prison le reste de ma vie pour avoir mis fin à votre vie ainsi qu'à celles de vos associés dans le crime, je pense que je serais satisfait de mon existence. -Et vos hommes ? Seront-ils heureux d'être en cellule pour vous avoir obéi ? -Je prends l'entière responsabilité de cette mission. Personne d'autre que moi ne sera puni, mais sachez que chacun d'entre eux vous déteste autant que moi.
-Dans ce cas, je ne puis que m'incliner. Avec une assurance factice, je montais à l'arrière d'un des fourgons, laissant derrière moi mes amis, ma fortune et probablement ma liberté. Dans l'intérieur oppressant du véhicule, j'étais incapable de bouger, chaque mouvement semblait consommer une immense énergie, aussi me contentais-je de suer à grosses gouttes. Ici, je n'étais plus une grande personnalité, je n'étais plus qu'une proie assise à côté d'une horde de prédateurs. -Vous avez subi de nombreux interrogatoires, monsieur Da Silva, mais je sens que celui là sera le bon. -J'espère pour vous. Car si je m'en sors vivant, il se pourrait bien que des poursuites vous tombent dessus, vis à vis de vos méthodes de travail. -Ne croyez pas ça. Si je n'ai pas de quoi vous inculper, alors je me satisferais de votre mort. Mon objectif est de défendre ce pays, je n'ai pas l'égoïsme nécessaire pour préférer une belle vie à la capture d'un dangereux monstre. -C'est ce qui vous perdra. -C'est ce qui vous perdra. -Nous verrons bien. Ne rien laisser paraître, c'était la première règle. Chaque mois, Wyte simulait un interrogatoire pour la totalité de l'équipe, l'entraînement était rude, les questions choisies avec soin, l'agressivité présente, mais on en sortait prêt à tout affronter. Si je m'en tenais à ce que j'avais appris durant ces entraînements, j'avais une chance de ne pas être envoyé en prison. Du reste, il ne me restait qu'à espérer que le vieil agent ne soit pas suffisamment fou pour mettre fin à mes jours de sang-froid. En à peine quelques minutes, grâce au pouvoir de la sirène, les fourgons s'arrêtaient en face du commissariat. Accompagné de mon escorte, je parcourais des couloirs que je connaissais par cœur. J'avais déjà fait de nombreuses visites de charité ici, j'avais déjà été interrogé ici, j'avais déjà pris un café avec le chef de ce bâtiment, pourtant aujourd'hui, j'étais un trophée qu'on traînait dans la boue. Dans l'arrière salle, là où devait avoir lieu l'interrogatoire, Hudson s'assit en face de moi, derrière lui, deux gorilles armés tentaient de me déstabiliser sur regard. Pendant quelques longues minutes, nous nous contentâmes de nous épier les uns les autres sans dire mot. Puis l'agent pris la parole. -Votre premier bar a été acheté via l'argent hérité d'un homme d'affaire Londonien. Soit, mais alors expliquez moi pourquoi votre compte en banque n'a pas été débité le jour dudit achat.
-Je ne peux pas vous l'expliquer, ce n'est pas moi qui gère mon compte. Je n'ai fais qu'acheter. -Vous répondez ne pas savoir pour ne pas être obligé de divulguer la vérité. -Il y a un tas de choses qu'un tas de gens ne savent pas, les arrête-t-on pour autant ? -Vous êtes pitoyable, mais soit, vous ne savez pas. Ensuite, et là vous ne pourrez pas mentir, que faisiez-vous en compagnie de Mary Thunder le mois dernier ? -Qu'est-ce qui vous fait dire que j'étais en compagnie de Mary Thunder ? -Ces photographies. Jubilant, le vieil homme sortit méticuleusement d'une de ses poches un couple de clichés sur lesquels on me voyait serrer la main de la dirigeante des Zêtas. -Votre raisonnement n'a pas de sens. Thunder est recherchée, si quelqu'un a pu prendre ces photos, c'est que quelqu'un sait où elle est. Dans ce cas, pourquoi ne pas l'arrêter ? -Thunder est un bien moins gros poisson que vous. -Dans ce cas, pourquoi ne pas m'arrêter ? -Parce qu'on ne peux pas vous arrêter. Tout le monde vous lèche le cul, c'est impossible d'attaquer votre front. Même une preuve évidente, si elle est partagée, sera invalide. C'est pourquoi je n'ai rien fait, j'ai récupéré la photo et je l'ai gardée. -Donc elle ne vaut rien, puisqu'il s'agit d'une preuve évidente. Vous me montrez quelque chose d'invalide ? -Non. J'ai trouvé les bonnes personnes, je n'ai qu'à vous arrêter aujourd'hui et tout se passera bien. Cette fois-ci, vous ne fuirez pas votre destin. -Tout est truqué, en quelque sorte ? -C'est ça. Vous êtes perdu, monsieur Da Silva, j'ai fais tout ce qu'il faut pour que jamais vous ne sortiez de prison. -C'est une initiative louable, mais donc mon arrestation ne vaudra rien. -Si, elle sera frauduleuse, mais parfois l'illégalité est le seul moyen de défendre la légalité. -C'est de vous ? Parce qu'il se trouve que c'est avec ce genre d'idée qu'on tombe dans un régime totalitaire. -Ai-je l'air d'un dictateur ? -Oui. Je n'avais pas de porte de sortie, tout était barré. Dans cette petite pièce étriquée, où les murs sales côtoyaient une table métallique crasseuse, je n'avais aucun moyen de fuir. Autour de moi, je voyais les crimes des précédents interrogés se mêler à la poussière, et bientôt moi aussi ferais-je partie des condamnés de cet endroit.
-Si tout est déjà prêt, pourquoi ne pas m'envoyer directement en prison ? -Parce que je ne suis pas un dictateur, je crois en la justice. J'ai besoin d'être sûr, je veux vous entendre nier comme un criminel. -Et si j'avoue ? -Dans ce cas je n'aurais même pas à me poser la question. -Vous êtes complètement timbré. Dans les deux cas je suis coupable ! Vous savez pourquoi je ne me fais pas arrêter ? C'est très simple, c'est parce que tous les gens brillants, toutes les personnes douées de raison, elle savent qu'il n'y a rien à gagner. Je leur offre de l'argent, alors que s'ils m'emprisonnent, je fais assassiner leur famille. Tous ces gens biens ne laissent derrière eux qu'une poignée d'idiots bien-pensants. Personne ne peux m'arrêter parce que les seuls à le vouloir, les gens comme vous, sont complètement dépassés par le monde, ils sont d'une stupidité affligeante. C'est un cercle vicieux. -Peut être suis-je un con, mais vous savez ce qu'on dit des cons ? Ils osent tout. Si vous ne pouvez pas mourrir de la main d'une élite, alors vous mourrez de celle d'un idiot, qu'à cela ne tienne. Il était calme, Hudson était trop calme. Légèrement voûté, les coudes posés sur la table et les mains croisées, il semblait se délecter de ce moment comme si rien ne pouvait arriver de mal. -Avez-vous déjà tué quelqu'un, monsieur Da Silva ? -Non. -Même indirectement ? -Non. -Pourtant nous avons des vidéos prouvant que vous avez demandé à Viktor Azarov de raccourcir les jours de certaines personnes en prison. Il serait dommage que le bougre ne quitte pas sa cellule comme c'était prévu, n'est-ce pas ? -Ce serait regrettable, en effet. Mais votre pouvoir me semble bien trop limité pour empêcher Viktor de sortir de prison. -Oh, détrompez-vous. Je puis vous assurer que ce genre de chose, ça vaut au moins perpétuité. -Vous mentez... Ça se voit à trois kilomètres, arrêtez là, ça devient gênant. -Le déni, n'est-ce pas ? -Si vous voulez. Je ne vous crois pas, déduisez-en ce que vous voulez, mais je ne vous crois pas. -Tant pis, prenons une autre corde sensible dans ce cas. Le problème des policiers, c'était qu'ils n'étaient pas tout puissant. Pour la plupart, ce n'est pas un mal, moins ils assument de responsabilités, mieux ils se portent. Mais pour les honnêtes, la torture est immense, ils passent leurs journées à faire leur travail, à poursuivre une cause juste, à accomplir ce
pourquoi ils se sont engagés, cependant, si ce n'est pas du goût de leurs supérieurs, alors ils resteront impuissant. Imaginez-vous travailler pour le bien de l'humanité et qu'un imbécile en costume vous demande d'arrêter, simplement parce qu'il désire toucher un peu plus d'argent à la fin du mois. Au bas mots, on pourrait qualifier ça de rageant. Ainsi, soit ces hommes quittent leurs emplois pour des postes plus libres, soit ils outrepassent les supérieurs. Hudson était ce genre d'homme, un homme qui libérait un torrent de rage sur moi parce qu'aujourd'hui, il avait l'occasion de faire ce qu'il voulait faire. Et moi je le détestais autant que je l'aurais admiré s'il ne s'était pas intéressé à moi. -Victoria, ce nom vous dit-il quelque chose ? -Possible. -La petite amie de Lucy Sharp. Une grande amie à vous, n'est-ce pas ? -Lucy ou Victoria ? -Lucy. -Oui, Lucy est une amie à moi. -Vous savez qu'elle vit sur une source de revenus non-déclarée ? -Non, je n'en savais rien. N'est-elle pas propriétaire d'un night-club ? -En effet, vous lui en avez acheté un, mais ne faites pas croire qu'il lui ramène un peu moins d'un demi-million par mois. Mais bref, je m'égare. Nous parlions de Victoria. Saviez-vous qu'elle a été agressée en pleine rue et que Lucy a sauvé sa vie en tuant ledit agresseur ? -J'en ai peut être entendu parler au détour d'un discussion. -Probablement. Ainsi donc, le beau couple se promène, agression, meurtre, le tout est filmé, mais personne ne dit rien. Le corps est trouvé, pas de mobiles, on n'a que la vidéo. Par conséquent, Victoria est témoin d'un meurtre mais elle n'en a fait part à personne. -Elle protège la femme qu'elle aime, c'est compréhensible. -Et répréhensible. Je suppose qu'elle appréciera la prison. Une commerciale bourgeoise va probablement se plaire en compagnie des détenues. -Vous n'avez pas de pouvoir. Je le dis et le répète, aucune de vos menaces n'est valable puisque je suis mille fois plus important que vous. Vous pouvez l'envoyer en prison ? Je peux la libérer. Vous pouvez la tuer ? Je peux faire sauter votre commissariat. Vous pouvez m'assassiner ? Je peux vous faire arracher la peau et vous obliger à la manger en attendant que la mort ne daigne vous prendre. -C'est tout ce que j'avais besoin de savoir. Merci pour ces menaces très instructives. Je m'étais coulé, j'avais creusé ma propre tombe, j'étais perdu.
J'allais riposter, essayer de trouver quelque chose, tout faire pour déstabiliser l'adversaire, lui enlever cet énorme sourire de son visage, mais la porte s'ouvrit. Dans le couloir, un haut-gradé, probablement le gérant du commissariat ou jene-sais-quoi, venait d'entrer. Ses yeux d'un vert agressif se posèrent sur moi avant d'aller sur Hudson. C'était le moustachu qui l'avait appelé, on allait m'emmener. -Hudson, t'es viré, expliqua le nouvel arrivant. Si il y a des lois, c'est pour qu'on s'y tienne, encore plus quand on les représente. T'iras en disciplinaire. Monsieur Da Silva, je vous pris de l'excuser, je vous assure que ça ne se reproduira plus. -Quoi ?!? Vous allez le libérer ? Ce fils de pute ? Pas tant que je serais vivant ! Tout se passa très vite. La haine s'enflamma dans les yeux d'Hudson. La peur naquit dans ceux du commissaire. L'homme aux moustaches sortit son arme. Il la pointa dans ma direction. Il trembla légèrement, se stabilisa, tira. Hurlement général. Rideau, fin.
Chapitre 86 : Défilement Le néant. À la fois indéfinissable et d'une ridicule simplicité. Pour le définir, un mot suffit, un unique mot, rien. À nouveau, mot indéfinissable et d'une ridicule simplicité. Demandez à un homme d'imaginer le néant, il verra une grande étendue noire. Demandez à un homme de ne penser à rien, il pensera à quelque chose. L'absence n'existe pas, car si elle existait, elle serait présente. Par conséquent, on pourrais imaginer que le néant n'existe pas. Pourtant j'y suis allé, j'y suis resté, j'en suis sorti. Je m'étais perdu, le présent était devenu passé. J'avais observé, inactif, j'avais tout vu défiler. Ma vie, ma naissance, mon enfance, mon adolescence, Du début jusqu'au moment où j'ai obtenu toute cette puissance. Mon premier meurtre, ma première baise, J'ai vu des brasiers dont il ne reste plus que des braises. Perdu dans une immensité vide. Obligé d'observer mon visage vieillir, jusqu'à la dernière ride. Le temps n'avait plus la moindre signification, Je le voyais filer, j'étais en totale incompréhension. Je n'étais plus moi, je suivais ma vie depuis un regard extérieur, J'ai vu les atrocités dont j'étais responsable, toutes les horreurs. J'ai retracé mon départ, ma fuite, Ma rencontre avec Sarah, mon bonheur, sa poursuite. J'ai vu la femme de ma vie donner naissance, Je me suis vu perdre patience. J'avais tout perdu, un simple erreur, J'ai pu m'observer me noyer dans les pleurs. J'ai assisté à mon retour, à mes nouveaux échecs, Le retour de mes amis, la mort de mes ennemis, les échanges froids et secs. Ma nouvelle fuite, mon propre génocide, Ma vie avec Leslie, profitant d'un amour candide. À nouveau, les ombres qui ressurgissent, La naissance du Corbeau, sa vengeance, ses prémices. Je me suis observé devenir un ivrogne milliardaire, Je m'énervais en me voyant perdre tout ce qui m'était cher. Et d'un coup, j'ai retrouvé le monde réel. Les murs blancs des hôpitaux, les bipbips incessantes des multiples machines, les écrans aux significations obscures, les infirmières qui voyageaient entre les chambres, le soleil qui se levait et se
couchait. J'ai tout retrouvé, à une exception près. La balle m'avait arraché l'oreille droite. Dans mon lit d'hôpital, vieil infirme victime de besoins d'alcool que le personnel médical s'empressait d'assouvir, je n'entendais plus qu'à gauche. Je n'arrivais plus à me situer. Parfois, alors que je restais couché, le monde semblait tourner autour de moi, je perdais conscience peu à peu, tous mes repères disparaissaient. J'avais l'impression que le monde s'enfuyait sans me prendre à ses côtés. Quand on venait me rendre visite, je ne parlais pas, je ne faisais qu'observer, comme je l'avais fait dans le néant. Je regardais les gens parler sans les écouter, le son de leur voix m'apparaissait comme abstrait, incomplet, étrange. Quand j'ouvrais la bouche, mon oreille me faisait souffrir, je subissais un calvaire continuel. Les infirmières étaient aux petits soins mais ça n'y changeait rien, je souffrais. Je souffrais. Je souffrais. Je souffrais... Un jour, Sarah vint me visiter. Elle s'était assise sur un fauteuil, dans un coin, avait croisé ses jambes et plongé ses yeux dans les miens. Pendant plusieurs minutes, on s'est contentés de ça, un simple regard qui faisait bien plus que n'importe quelle discussion. Quand les larmes se sont mises à couler sur mes joues, elle m'a embrassé puis a quitté la pièce. Je me rappelle l'avoir suivi de l'œil jusqu'à ce qu'elle quitte mon champ de vision. C'est la seule visite de cette période dont je me souviens avec une telle netteté. Ensuite, le temps passant, la douleur disparut pour ne laisser place qu'à un étrange impression. Le moment vint enfin où je fus à nouveau en mesure de parler et où les visites commencèrent à affluer. Tout naturellement, le premier à venir me voir était Nick. Tout en souriant, il me serra dans ses bras avant de s'assoir sur le fauteuil où Sarah s'était installée auparavant. -Je m'absente quelque mois et c'est dans cet état que je te retrouve ? -J'ai jamais été doué pour me débrouiller tout seul. -Et moi alors ? On était comme les doigts de la main mec, c'est dommage que ce soit fini. -On aurait pu faire tellement plus, c'est vrai. Remarque, je ne suis pas sûr de vouloir plus. -Comme si tu pouvais avoir plus ! Toujours en train de rêver, comme quand on était gosses. Tu risques pas de monter plus haut que le sommet. Je regrette juste de pas être là pour que tu puisse me payer quelques cadeaux. -Quel genre de cadeaux ?
-Devine ! Putain pour 10 000$, je t'assures que les meufs font des trucs dont t'avais même pas imaginé l'existence. -Toujours le même obsédé, hein ? -Évidemment ! C'est le seul truc cool qu'on peut faire alors j'en profite. -T'as bien raison mec, t'as bien raison... -Ça fait tout drôle de te regarder dans les yeux. Toi, le gamin le plus paumé du quartier, t'es un putain de milliardaire sa mère. La vie est complètement défoncée. -Tant mieux, parce que si y'avait la moindre justice, je serais mort à l'heure qu'il est. -Ouais, et probablement que moi aussi. Après m'avoir donné une tape dans le dos, il quitta la chambre d'hôpital avec sa démarche grassouillette. Une poignée de seconde et vint Saliego. Sans se soucier des commodités, il plaça son visage en face du miens. À quelques centimètres l'un de l'autre, je pouvais admirer son visage ridé à travers son énorme paire de lunettes fumées. -T'es un beau fils de pute, Mickey. Mais bon, j'crois que c'est pour ça qu'on t'aime. -T'es quand même venu me voir ? Après tout ce qui viens de se passer ? -Évidemment que je suis venu ! T'es mon meilleur élément, j'allais pas te laisser dans la merde comme ça. Tu vois, je prends soin de mes hommes. -Ouais, t'es un mec bien Marco. J'suis content de t'avoir eu comme patron. J'espère que tu me pardonneras les récents événements. -Ouais, ouais. C'était de la légitime défense, on a tous les deux merdé, fallait bien que quelqu'un gagne. De toute façon j'étais sur le départ, j'ai pas vraiment de raison de t'en vouloir. -C'est sympa, c'est sympa. Quand je pense à toute la merde que j'ai foutu, je me sens vraiment mal. -Ça, t'es un bon pour foutre la merde. Quand je me dis que si t'étais jamais rentré en ville, je serais encore en train de la diriger, je t'avoue que ça me fait un peu chier. -Faustin t'aurait certainement tué. Je pense que j'ai plus gâché son avenir que le tiens. -Si tu le dit. De toutes manières, un jour, l'élève devait dépasser le maître. Je ne crois pas qu'on puisse rester le subordonné d'un être inférieur. -Toi ? Un être inférieur ? T'es pas sérieux ? -Tu m'as regardé ? Je suis un vieux décharné, je galère à bouffer une compote et j'étais en train de devenir gaga quand t'es arrivé. Ouais, je suis inférieur, peu importe ce qu'on pourra raconter sur moi. -C'est toi qu'a créé tout ça ! T'es parti de rien, pas d'argent, pas d'expérience, pas
de conseiller. T'as tout créé pour atteindre le sommet et ça je le respecte. -Toi aussi t'as tout créé, sauf que t'es parti d'encore plus bas et que t'es arrivé encore plus haut. Alors d'accord tu l'a fais en deux parties, d'abord l'obéissance avant la puissance, mais au final, t'as été quelqu'un bien avant moi. J'avais la soixantaine quand je suis monté en haut, toi t'as presque trente ans et t'es là depuis plusieurs années. Nan, t'es bien meilleur moi, je suis forcé de l'admettre. Un sourire bienveillant sur le visage, il me salua avant de sortir de la chambre par la porte-même que Nick avait emprunté. Je passais ensuite plusieurs jours sans visites, seul dans mon lit à observer des détails que je connaissais par cœur, à écouter le rythme d'un bip-bip incessant, à somnoler par moment pour oublier la solitude, à regretter l'absence de fenêtre. Enfin, Lucy me rencontra. Entièrement vêtue de noir, le même noir que les murs de la chambre, elle me rappelait qu'au dehors nous étions en hiver avec ses vêtements chauds. Son regard était presque gêné lorsqu'elle s'installa sur le lit. -Tu refais jamais ça, mec. On a cru que t'allais y passer. -Je ne meurs jamais, t'en fais pas. -Ouais, dit ça, dit ça. On verra bien. N'empêche que t'es là, avec une putain d'oreille en moins. Tu souffres pas trop ? -Ça va, la douleur est passée. Je pense que ça aurait pu être bien pire. -Ça aurait dû être bien pire. Tu sais qu'il y a une horde de journalistes qui veulent te rendre visite ? -C'était envisageable. Ils veulent des interviews ? -Je pense, ouais. Wyte refuse que tu acceptes de les voir, les événements ont été causés par ton passé et il veut pouvoir en discuter avec toi avant eux. -Ça ne m'étonne pas de lui. Il y a beaucoup de gens au courant ? -Tu rigole ? Tout le pays est au courant. Il y a même eu un mouvement de manifestation quand on a su qu'Hudson n'allait pas faire de la prison à vie. Les gens ont failli faire sauter le commissariat où il t'a interrogé ! -Sérieusement ? Les gens ou mes hommes ? -Les gens, le peuple quoi. T'imagines même pas. Le fait de savoir qu'un policier pouvait en toute impunité foutre une balle à une personnalité publique, ça les a effrayé sur le pouvoir des défenseurs de l'ordre. Les flics n'osent plus sortir sans leurs armes en ce moment. -Bordel, je suis devenu important à ce point ? -Carrément. En fait, t'es tellement devenu une victime et un saint que je suis sûr que les américains seraient prêts à t'élire comme nouveau gouverneur de la Californie. -Dans ce cas, rappelle moi de ne pas m'y présenter. -J'y compte bien. Par contre je dois aller voir Victoria là, j'essayerais de
repasser. -Ouais, à plus tard. Après des salutations presque solennelles, Lucy laissa sa place à Joaquìn. Ce dernier semblait presque attristé de me revoir après toutes ces années. Contrairement aux autres, il ne s'assit pas. Simplement resta-t-il debout en face de moi. -T'as toujours été un putain de chanceux. -J'pense qu'il y a un niveau dans la vie où on ne peut plus appeler ça de la chance. -Si c'est le cas, alors tu l'as dépassé depuis très très longtemps. J'ai jamais compris pourquoi on te maintenait en vie aussi longtemps avec toutes les merdes que tu faisais. -Si ça peux te rassurer, moi non plus. Ça devait être mon destin ou un truc dans le genre. -Mon cul ouais, t'es juste un putain de chanceux. M'enfin, je ne crois pas que ma vie ait eu un quelconque intérêt à continuer. J'étais paumé dans un gang de merde, j'aurais pas vécu vieux quoi qu'il arrive. -J'étais pas forcément mieux placé que toi, pourtant je m'en suis sorti. -Pas faux. On dirait qu'il n'y a pas de justice sur cette planète. -C'est que maintenant que tu t'en rends compte ? J'en ai fais l'expérience toute ma vie et j'avoue que j'en ai bien profité. Le problème, c'est quand je prends du recul. -C'est notre problème à tous. Dès que t'essaie d'être objectif, que tu te regarde depuis l'extérieur, t'as envie de te suicider. Du coup, j'essaie de pas y penser, je me voile la face. Ça fait esprit étriqué mais c'est le seul moyen que j'ai trouvé pour ne pas péter un câble. -Moi je bois, je sais pas ce qui est le mieux. Le soir je me fou dans la cuisine et je bois, je bois, je bois. Juste ça. C'est une technique pour oublier le genre de merdeux que je suis devenu. -T'as toujours été un merdeux, Mickey. -Je sais, mais pendant un moment, j'ai espéré que c'était fini. Au final, j'espère avoir fait les bons choix, j'espère avoir réussi ma vie. -Il n'y a que toi qui peux savoir si t'as réussi ta vie, mon gars. C'est pas une suite une critère, c'est juste la façon dont tu le sens. -J'ai aucune idée de comment je le sens. -Dans ce cas, j'peux rien pour toi. Avec un once de pitié, Joaquìn me serra la main avant de retourner là d'où il venait. Je passais alors les minutes les plus longues de ma vie, attendant que Sarah fasse son entrée. Un tailleur de luxe, une coiffeur arrangée, elle était de loin la personne la plus
classe à avoir franchi cette porte. Sans se poser la moindre question et avec une certaine grâce, elle reprit sa place d'autrefois sur le fauteuil. -Ça va mieux ? -Je survis, du moins pour l'instant. J'avoue que c'est bizarre de n'entendre que d'une oreille. -J'ai besoin de savoir. Cet homme qu'on envoie en prison, il t'a attaqué le premier ou il n'a fait que riposter ? -Ils ne l'ont pas dit à la télé ? -Tu sais, je suis devenue trop grande pour continuer à croire ce que l'on dit à la télé. -Et moi tu me croirais ? -Si je te regarde dans les yeux, il y a de fortes chances pour que je sache si tu ment. -Dans ce cas non, je n'ai pas attaqué cet homme. Il voulait m'arrêter sans en avoir l'autorisation et quand ses supérieurs l'ont découvert, il a été réprimandé. Sous le coup de la colère, il m'a tiré dessus. Je peux remercier le ciel d'être encore en vie. -C'était un homme bien ? -Qu'est-ce que ça peux faire ? -C'était un homme bien ? -Il m'a tiré dessus ! -Est-ce que c'était un homme bien, Michael ? -Peut être, un homme honorable à coup sûr. Il était fou sur les bords. -Tu te rends compte que tu as gâché sa vie ? Je ne comprends pas pourquoi tu continues sur cette voie alors que tu as déjà tout. À quoi te servent tous ces billets ? -Qu'est-ce qui te fait croire que je continue sur cette voie ? -C'est évident. Sinon, qu'est-ce que tu ferais ? T'as pas réellement de travail, t'es rentier, si tu ne travaillais pas, tu serais tout le temps chez toi. -Et qu'est-ce qui te fais croire que je ne suis pas tout le temps chez moi ? -Lily. -Tu l'envoie pour m'espionner ? -Pas du tout, mais il arrive qu'on parle de toi, aussi impressionnant que ça puisse paraître. -Putain ! C'est ma vie privée ! Est-ce que je lui demande des infos sur toi ? Non. C'est une enfant, pas une espionne. T'es pitoyable Sarah, vraiment pitoyable. -C'est toi qui est pitoyable Mike. Sans même un regard, elle rejoignis le groupe des multiples personnes qui avaient passé cette porte aujourd'hui. Je me sentais comme une bête de foire qu'on venait visiter les uns après les autres.
Et le visiteur suivant fût Lily. Légèrement choquée en apercevant mon visage dépourvu d'un oreille, elle tenta au mieux de ne rien laisser paraître et se contenta de rester légèrement à distance de ma personne. -Ça fait mal ? -C'est supportable. Papa en a vu de bien pires, tu sais ? -Tu vas rester comme ça tout le temps ? -Qu'est-ce que tu veux dire ? -Tu vas toujours garder une grosse cicatrice ou on va te remettre une oreille ? -Je ne crois pas que ce soit possible. Toi, ça te gêne ? -Un peu, oui. Mais si tu veux la garder comme ça, je dirais rien. -Non, je n'ai aucune envie de la garder comme ça. Si je peux ravoir une oreille, je le ferais, mais prépare toi à ne pas la voir arriver de sitôt. -Pourquoi on t'a tiré dessus ? -Parce qu'un policier pensait que j'étais coupable et personne n'était d'accord avec lui ? -Tu étais vraiment coupable ? Mentir ne servait à rien, avouer signifiait s'étaler sur le sujet. Si je mentais, je passais pour un lâche qui cachais ses secrets. Si je disais la vérité, j'allais devoir tout lui expliquer. -J'étais peut être coupable mais ça ne valait pas la peine de mort. Et avant que tu ne me demandes, je te préviens que c'est privé, je n'ai pas l'intention de t'expliquer ce que j'ai fait. -C'est ça le problème de mon "don" ? C'est que je sais ce que tu as fait ? -Peut être. -Je n'en vois pas d'autres. Le problème, c'est que je ne sais pas comment le prendre. Tu le prendrais comment toi ? -Je ne peux pas te dire, je n'ai jamais eu à traverser ce genre de chose. -Ça te dérange si je reste chez maman pendant les vacances qui viennent ? Je crois que j'ai besoin de réfléchir à ça. -Je le comprends complètement ma chérie. Mais quoi que tu choisisse, il faut que tu sache que je suis désolé. -C'est bizarre. -Qu'est-ce qui est bizarre ? -Tu es sincère quand tu dis être désolé, mais en même temps tu continue. Pourquoi continuer si ça te rends triste ? -C'est un problème d'adulte. -Tu n'as pas la réponse... Je pense que c'est ça ton problème papa. Tu n'arrives même pas à te comprendre toi même. -Tu as vu comment tu me parle ?!? -Excuse-moi. Je crois que je vais rentrer.
Elle se faisait toute petite, elle avait presque l'air honteuse. Elle savait que si je n'étais pas dans une pièce sous video-surveillance, je l'aurais déjà puni sévèrement pour son manque de tact. Ce soir là, je le passais à faire les cents pas dans ma chambre en observant la lune à travers la fenêtre. Juste pour me dégourdir, chasser les idées noires, penser à demain, oublier aujourd'hui, réfléchir à tout ce que j'étais en train de traverser. Le lendemain, la première visite fut celle de Viktor. Habillé décontracté, comme à son habitude, il était probablement celui qui avait l'air le plus heureux de me voir. -Mon fils de pute préféré ! Tu pouvais pas te faire casser la gueule quand j'étais encore en taule ? -J'aurais pu, mais dans ce cas j'aurais passé trop de temps à l'hôpital et je serais pas devenu milliardaire. -Putain t'es milliardaire. Je me rends même pas compte. -En fait je suis que millionnaire, que... -T'as intérêt à partager mec, sinon tu vas voir je viens avec la kalach' tu vas pas tenir longtemps. -Dans tes rêves. -Quoi mes rêves ? Tu fais pas croquer la famille ? -Mais si, t'inquiète. J'ai un bon gros matelas de billets qui t'attend. Putain ça fait plaisir de te voir dehors. -Ouais, moi aussi ça me fait plaisir d'être là. Mais je maintiens que t'aurais pu choisir un meilleur moment pour te prendre une balle ! -Je sais, j'suis désolé, je recommencerais pas. -Pour un ou deux millions, je te pardonne facile. -Dans ce cas, tout va bien. Sa mère t'es dehors ! Ça fais du bien, on est enfin au complet. -Je crois bien qu'il en manque un. -Il en manque bien plus d'un, j'essaie de me concentrer sur le présent pour pas y penser. Non, je parlais du jour de la création de nos affaires. Y avait moi, toi, Josh, Wyte, et puis Lucy est arrivée folle de rage avant de pleurer. C'est nous, le complet. Les autres sont des arrivistes. -Ouais, mais de ce que j'en ai vu quand ils ont cherché à te faire libérer, ils sont tous loyaux. -Je sais, j'ai de la chance de les avoir. -Tu les aurais vu. Au bord de la crise cardiaque, cherchant désespérément une solution. C'est Wyte qu'a proposé de prévenir le supérieur. Une fois l'appel fini, on était tous en train de croiser les doigts comme des salopes. -Sérieusement ? Putain j'aurais aimé voir ça !
Et la discussion dériva, dériva, dériva. Quand finalement Viktor quitta la pièce, je ressentis un grand vide en moi, un vide qu'un homme que j'avais presque oublié s'empressa de combler. James Faustin, toujours habillé à la fois classe et décontracté, se tenait sous mes yeux, adossé aux murs blancs de la chambre. Derrière sa légère barbe se cachait un sourire satisfait. -Je ne vais rester longtemps, je venais juste voir jusqu'où était arrivé l'homme qui avait gâché ma vie. -Fallait pas m'engager. -Je sais. On fait tous des conneries, je suppose que ça ne t'est pas inconnu. -C'est loin d'être inconnu. -C'est bizarre, t'as vraiment pas la gueule de l'emploi. Difficile de t'imaginer être une personnalité. Les apparences sont trompeuses après tout. -Ouais, ça doit être ça. Sans afficher la moindre émotion, Faustin sortit de l'endroit comme il était venu en croisant Josh qui venait d'arriver. Ce dernier marchait bruyamment avec sa prothèse, aussi l'entendais-je arriver bien avant qu'il ne pénètre dans ma chambre. -Tu risques ta vie un peu trop souvent en ce moment, mon vieux. -Ah bon ? C'était quand la dernière fois ? -Il y a eu la fois où tu t'es rendu seul dans un bâtiment rempli de mexicains armés ou encore celle où tu étais dans ta voiture en compagnie de l'As. Après on peut évidement parler de... -J'ai compris l'idée. Mais le fait que ce soit toi qui me dise ça est assez ironique. -Sans-oreille et sans-jambe, les deux justiciers masqués. Toujours est-il que moi, les prothèses existent. -Ouais, bon ok. T'es avantagé, et alors ? Tu penses qu'un jour je me ferais à ce handicap ? -On peut se faire à tout, même à la mort. Par contre, il y a une question que je me posais au sujet d'Hudson. Désirerais-tu qu'il meurt en prison ? -J'aimerais bien qu'il y meurt, mais de vieillesse, ne le tuez surtout pas. Il va devoir subir une à une la totalité des journées qu'on lui a imposées. -C'est bien ce que je me disais. Et si il sort avant de perdre la vie ? -On le tuera à l'entrée. Ça arrive souvent que des criminels connus soient assassinés lorsqu'ils quittent la prison. Je refuse de revoir ce mec en liberté. -Moi aussi. Après, on peut voir le bon côté des choses. Avec sa mise en cellule et la libération de Viktor, il ne reste plus que le problème de la coke à régler et on serait à nouveau paisibles. -On n'a jamais été paisibles. Pour la coke, je pense qu'on peut trouver des gens pour nous approvisionner en Amérique du Sud. Le Mexique c'était bien pour sa
proximité, mais si on n'a pas le choix, on va devoir chercher un peu plus loin. -Je m'occupe de ça, quand tu sortiras, tu te demanderas à quoi tu sers. -Je me demande déjà à quoi je sers. Je suis juste une égérie, les affaires tournent toutes seules, je ne fais que prendre quelques décisions de ci de là. -Quelques décisions qui changent à jamais l'avenir de la boîte. C'est ça d'être le chef mec. -T'as sûrement raison. -J'ai toujours raison. Et à la suite des autres, lui aussi quitta ma chambre. Personne n'allait venir durant les prochaines heures, mais je reçu un appel de la part d'Adrien à peine quelques minutes après le départ de l'avocat. -Pas trop proche de la mort ? -J'ai l'impression de m'en éloigner, je pense que c'est une bonne chose. -Dépend pour qui. Je suppose que tout le monde t'a parlé des citoyens en colères contre la police, le fait est que l'inverse aussi. Personne ne le dit ouvertement alors je dois être un des seuls à le savoir mais certains flics veulent ta peau. Hudson a été un exemple, une marque d'honneur et de droiture qu'ils sont tous prêts à suivre. -Tu me fais marcher ? -Absolument pas. Quand tu sortiras de prison, ils t'assigneront une escorte, je peux te promettre qu'une partie de tes gardes du corps auront envie de te voir mort et ne vont pas se gêner pour voir leur rêve se réaliser. -Je déteste ce monde. -Yep, moi aussi. C'est pour ça que je ne sors pas. Rain va venir bientôt, je lui ai déjà parlé de tout ça mais tu pourras essayer d'en discuter avec lui pour voir ce qu'il est en mesure de faire. -J'y compte bien. Déjà c'est incroyable que je me sois pris cette balle sous sa tutelle. Comment pouvait-il ne pas avoir prévu cette descente ? -Hudson était peut être fou mais il était loin d'être con. Personne à part ses hommes de confiance n'étaient au courant. Rien n'avait été planifié par écrit, ordinateur ou même en publique. Le tout était minutieusement préparé mais il avait fondé un peu trop d'espoir sur la droiture de ses supérieurs. Ça ne lui a pas réussi. -Il a été stupide. Si j'avais été emmené dans un désert pour m'y faire interroger, tous ces problèmes ne lui seraient pas arrivés. -Quand on gagne, c'est toujours parce que l'ennemi a été stupide et il serait idiot de s'en plaindre. -C'est vrai, mais je trouve ça presque rabaissant de me dire que je ne suis en vie que grâce aux erreurs d'autrui. -Mieux vaut être rabaissé que mort. Ah, j'ai un double appel, je vais te laisser.
Bon rétablissement, vieux. -Merci. Dès le lendemain matin, les visites s'enchaînèrent de nouveau. Le premier à venir était Wyte. Pendant presque une heure entière, on ne fit que discuter du monde, du passé et de l'avenir, de la mort, mais, le temps passant, il aborda les choses sérieuses. Les problèmes liés à mon attaque, à ma sécurité, à ma survie, aux handicaps que pourraient me provoquer le manque d'un oreille. Chaque sujet était abordé avec le sérieux dont mon conseiller avait l'habitude de faire preuve. Le destin le plus funeste était envisagé avec un calme olympiens et une objectivité impressionnante. Quand la discussion prit fin, j'avais passé la soirée la plus productive de ma vie. J'avais en à peine deux heures géré la totalité des prochaines initiative prises par l'organisation. Si je mourrais dans la nuit, mes ordres continuaient à avoir des répercussions pendant un mois entier, à minima. À sa suite vint Rain. Habillé avec classe pour l'occasion, je faillis ne pas le reconnaître quand il passa la porte. Ses yeux attentifs coururent le long des murs couleurs de sang avant de venir se poser sur mon visage. -Déjà que t'avais une sale gueule, là on touche le fond. -Rappelle moi pourquoi de toutes mes fréquentations, celui qui me connait depuis le moins longtemps est celui qui m'insulte le plus souvent ? -Parce que les autres ont appris à connaître ton petit cœur de beurre. J'en sais rien, t'as une gueule de mec qu'on a envie d'insulter, c'est pas personnel, c'est physique. Bon, je viens de voir Wyte qui sortait, vous avez résolu le problème des journalistes ? Je proposais de leur foutre une bombe fumigène dans leurs culs de tafioles. -Mauvaise idée. -Sans blague ? Tu me crois suffisamment dérangé pour essayer ça ? -Avec toi, on sait jamais. -Va te faire foutre, espèce de moisissure d'urètre. Donc, pour les journalistes, vous avez une solution ? -Ouais, je vais répondre à leurs questions en sortant. Ça me donnera bonne image, après tout, c'est ce que les gens attendent. -Mais on s'en tamponne l'oreille avec une babouche de ce que les gens attendent. Les journaleux sont des fils de chimpanzés dégénérés, ils vont te poser des questions qui auront le même effet qu'un putain de fist anal. Si tu te foire, c'est toute l'opinion publique que tu perdras. -Je suis prêt à prendre le risque. La plupart sont de mon côté, les questions ne devraient pas être trop affreuses. -On se verra à la télé, dans ce cas.
Le calme après la tempête, Albert Zyrn était mon dernier visiteur du jour. Propre sur lui, élégant, les yeux pétillants d'intelligence, il était en tous points l'homme que j'aurais rêvé d'être. En sa compagnie, il n'y eu que des potins d'anciens amis. C'était lui qui avait le mieux compris l'angoisse que me provoquait ma position et qu'il valait mieux ne pas m'en parler. Nous avons donc fait comme si de rien n'était. Deux bons amis assis autour d'un verre, passant le temps sans but avoué. C'était ce qu'il y avait de plus agréable. Mais en comparaison avec l'homme qui vint à sa suite, n'importe quoi m'aurait paru agréable. -On avait dit quoi ? Un doigt, c'est ça ? Parfait !
Chapitre 87 : Effondrement -Il va bien falloir s'y faire, répétait Wyte. Le Corbeau va mourir et pleurnicher n'y changera rien. Depuis une heure, nous supportions toutes ses absurdités et ses prédictions. Le conseiller de Michael nous toisait du regard avec un air froid et supérieur. Si nous avions été seuls, je lui aurais probablement déjà tiré dessus à plusieurs reprises. Pour l'instant, je laissais Viktor s'occuper de lui. Ce dernier devait avoir emmagasiné une énorme quantité de rage car il déversait un torrent de reproches à l'égard de notre soit-disant supérieur. Simple spectatrice, je ne faisais que sourire face à ces disputes intestines, tâchant au mieux de cacher l'anéantissement que me provoquait la moindre pensée en direction de mon ami d'enfance. Dans leurs coins, Rain et Paul ne semblaient pas se sentir concernés par la situation. Leurs yeux étaient presque vitreux, ils écoutaient d'une oreille distraite la dispute qui opposait Viktor à Wyte. L'atmosphère de cette pièce était étouffante. Il s'agissait de la suite présidentielle d'un hôtel appartenant à M.D.S. et pourtant je m'y sentais à l'étroit. Savoir que mon meilleur ami était entre la vie et la mort, le tout en étant forcée de regarder deux idiots s'insulter violemment, c'était à la limite de l'acceptable. Sans la cigarette qui trônait fièrement dans ma bouche malgré le panneau d'interdiction affiché en face de moi, je crois que j'aurais déjà perdu mon sangfroid depuis de nombreuses minutes. -On ne sauvera pas le Corbeau en se disputant, argumentait le conseiller. Il est évident que sa vie touche à son terme et il nous faut agir en conséquence. Sa mort ne peut pas détruire la totalité de ce qu'il avait fondé. -Si, elle peut ! Riposta Viktor. Écoute mec, j'te connais pas, on s'est vu une ou deux fois avant que je me retrouve en taule, mais j'aimerais bien que tu fasse preuve d'un peu plus de respect pour Mike. Et puis merde ! Arrête de l'appeler "le Corbeau", on dirait que t'as pas les couilles de lui donner son vrai nom. Si tout ça est là c'est grâce à lui et j'ai pas envie de me casser le cul pour un inconnu qu'est même pas foutu d'éprouver de la reconnaissance envers son prédécesseur. -On doit se calmer. Viktor, je comprends ce qui peux t'énerver, mais tu dois savoir que j'éprouve un profond respect pour Michael, ainsi que pour toi et tout ce que tu as participé à fonder. Mais le fait est qu'il est à l'hôpital avec une balle logée dans le crâne, pour moi ça n'engage rien de bon. Je pense qu'il faut
prendre les devants et envisager son décès dès maintenant. -T'aimerais trop qu’il soit mort. Tu veux récupérer les reines, sale fils de pute. T'sais quoi ? Je m'en fou, vas-y, fais toi plaisir. Mais que ce soit bien clair : ne compte pas sur mon aide pour asseoir ton pouvoir fondé sur un putain de coup d'état. -Comme tu veux. Si tu désire partir, dans ce cas fais-le, je n'ai aucune raison ni justification pour te faire rester. En revanche, je pense que tu fais une erreur. À ta place je prendrais exemple sur Lucy, elle aussi connaissait le Corbeau, et ce depuis plus longtemps que toi, pourtant elle ne se met pas dans de telles états. Elle comprend ce qui est nécessaire. En entendant mon nom, je quittais immédiatement ma torpeur. Il pouvait débattre avec Viktor, mais m'utiliser comme argument était exclu. Dans ses yeux, je voyais le gel de son cœur, la malice d'un traitre. Viktor avait raison, si Michael venait à mourir, notre conseiller ne serait pas le plus désemparé. Un sourire presque machiavélique sur le visage, je lançais ma cigarette dans la poubelle qui se trouvait à l'autre bout du salon avant d'avancer vers Wyte. Je lisais dans son regard une certaine appréhension, il avait compris ce que j'allais dire bien avant que je ne prenne la parole. -À ta place je commencerais à me taire, lui dis-je. Tu n'as ni ma confiance, ni mon respect. Ce n'est pas parce que Michael voyait en toi un dieu vivant que je fais de même. Si tu tiens à rester aux commandes de cette affaire, soit, mais ma participation sera équivalente à celle de Viktor alors ne m'inclus pas dans ton argumentation. -Aucun de vous ne comprends que c'est la chose à ne pas faire ? Demanda Wyte, complètement désemparé. On ne peut pas commencer à se faire la guerre dès qu'un des membres du groupe meurt. On doit rester unis et ce, jusqu'au bout. Je suis d'accord avec vous, le décès du Corbeau est une tragédie mais ce n'est pas une raison pour laisser à l'abandon tout ce qu'il a créé. -Le Corbeau, comme tu l'appelles, n'était pas un membre du groupe, il était la raison d'être de ce groupe. N'importe qui pouvait mourir mais pas lui. Quant à l'utilisation du mot "tragédie", dans ta bouche, je le vois comme une nouvelle preuve de ta traîtrise et de tes manipulations. T'a-t-on vu à un seul moment regretter l'accident ? Non. Je te vois presque jubiler derrière ce masque qui est censé nous mettre en confiance. -Dois-je m'excuser pour ne pas avoir pleuré ? Sommes-nous tous obligés d'être de grands émotifs ? Dans ce cas je l'avoue, l'aspect pratique des choses m'a toujours bien plus intéressé que celui émotionnel, mais cela n'enlève en rien le poids de la mort du Corbeau. Il avait atteint le stade de non-retour. Je l'observais pendant quelques instants, son costume sur-mesure, sa coiffure parfaitement arrangée, sa barbe rasée de
près, tout ça n'était qu'un masque de propreté pour cacher les mains les plus sales que je connaissais. J'avais essayé de rester calme, d'argumenter de façon construite, de lui offrir des phrases bien tournées, mais cet homme n'était que mauvaise-foi. Je n'avais plus la moindre raison de rester ici, en compagnie de cette bande de traîtres. -Tu sais quoi, Wyte ? Je t'emmerde. Voilà, c'est dit. Moi, je vais buter Hudson, ensuite on verra. Si je dois continuer d'honorer la mémoire de Michael, c'est probablement la meilleure chose à faire. -Quoi ? Mais ... Mais ... Mais non ! Hudson est protégé. On ... On ... On se doute que quelqu'un va ... va ... va le tuer. Si tu fais ça, tu va te faire prendre ! Putain et si tu te fais prendre, on va tous ... tous se faire prendre ! Tu peux ... peux ... peux pas faire ça ! -Rien à battre. Je m'occupe de ce fils de pute, même si je dois y laisser ma vie. Dans cette ville, il y a des gens qu'on n'a pas le droit de toucher... Et toi Rain, t'as pas parlé depuis le début, qu'est-ce que t'en penses ? Tu veux venger Mike ? -J'sais pas trop Lucy. Wyte a raison, c'est pas forc... -Wyte a raison ? C'est ça, lèche moi la chatte ! Et toi Viktor, t'en es ? -J'aimerais bien, putain tu sais que j'aimerais bien. Sauf que je sors juste de prison et donc je... -Tous des enculés, c'est ça ? J'suis la seule à avoir des couilles dans cette putain de pièce ? J'suis la seule à avoir de l'honneur ? Vous faites tous pitié. Quand je pense que l'homme qui vous a propulsé au sommet est entre la vie et la mort dans un lit d'hôpital et que vous n'êtes même pas capable d'aller buter le responsable. Allez vous faire foutre, moi je me tire d'ici. Tachant au mieux de retenir les larmes qui commençaient à perler sur mes yeux sous le coup de la colère, je quittais cette pièce atroce pour rejoindre le couloir qui menait à l'ascenseur. Dès que je fut à nouveau seule dans la cage qui allait m'emmener au rez-dechaussée, je donnais un puissant coup dans le mur pour évacuer ma haine. En plus de bloquer le contrecoup, les pics métalliques de ma mitaine laissèrent quatre trous identiques sur la paroi. Dans l'entrée démesurément grande où tableaux de maîtres côtoyaient moquette hors de prix, je sentais les regards se poser sur moi. J'avais l'habitude de ce genre de chose, d'être le centre de l'attention, de voir tous les yeux se tourner vers ma personne uniquement parce que je n'avais pas adopté leur style. Entre eux, ces gens me jugeaient, me critiquaient, peut être se moquaient-ils de moi, pourtant si je venais leur demander un service, ils me le rendraient avec un grand sourire et une toute aussi grande hypocrisie. Dehors il faisait encore jour, mais ça n'allait pas durer. Un soleil faiblard laissait
peu à peu sa place à la lune. Avant de monter dans ma voiture, je lançais un regard circulaire autour de moi. L'avenir s'annonçait sombre et peu importe ce que je pouvais montrer ou ne pas montrer, il me faisait peur. Derrière le visage de chacun des passants, de l'adolescent qui embrassait sa petite amie au vieil homme qui lisait son journal pouvait se cacher mon meurtrier. Si elle n'était pas encore officielle, l'annonce de l'état de Michael serait bientôt connue de tous et à partir de ce moment là, le pouvoir de notre organisation s'effondrera. Tiger n'allait être que le premier d'une longue lignée d'opportunistes tentant de voler notre territoire. Cette paix que nous avions mis tant de temps et de sueur à mettre en place allait s'effondrer en quelques jours et la guerre qui agitais la ville lors du retour de mon ami allait reprendre de plus belle. Mais cette fois-ci, nous ne serions plus du côté des vainqueurs. Au volant, j'avais presque envie de foncer dans un arbre, de mettre fin à ma vie avant qu'elle ne devienne une enfer. J'étais angoissée et je doutais qu'il existe un remède miracle à cette angoisse. Je pouvais tuer Hudson, libérer ma colère, me venger, mais ça ne ferais pas bouger les choses. Je commencerais par ça, puis j'irais voir mon vieil ami, j'irais me poster à son chevet en espérant qu'une brillante idée me traverse l'esprit. En temps normal, j'aurais pris rendez-vous avec Victoria, nous aurions discuté, elle m'aurait réconforté et les problèmes m'auraient paru bien loin. Aujourd'hui, je ne pouvais pas faire ça, mes émotions étaient bien trop grandes pour être partagées ou oubliées. Je devais les supporter seule. Une fois garée en face du commissariat, je ne quittais pas immédiatement ma place. Au préalable, je sortis mon téléphone portable de ma poche pour y composer le numéro d'Adrien, plus précisément l'un des numéros d'Adrien. Cachée derrière mes vitres teintées, j'observais les policiers qui savouraient un café en discutant devant l'entrée. Cette profession m'avait toujours fait rire, policier, des pseudos protecteurs des citoyens qui travaillaient en réalité pour une horde de capitalistes sans honneur. Tous ceux qui étaient dans scrupules acceptaient l'argent et grimpaient pendant que les rares hommes droits et sérieux se faisaient pisser dessus par leurs collègues. C'était amusant de savoir que même la structure qui est censée représenter l'ordre dans notre société est pourrie jusqu'à la moelle. -Allô Lucy, tu comprends ce qui se passe ? C'est le bordel complet, je sais même pas qui est le nouveau big boss. -On n'a pas de nouveau big boss tant que Mike est en vie, quoi qu'en dise Wyte. Du reste, c'est effectivement le bordel. Si je t'appelle, Ade, c'est pour autre chose. J'ai besoin que tu me dise où est Hudson et que tu désactive les alarmes
et les caméras de surveillances de sa prison. Tu peux faire ça ? -Oui, je dois pouvoir. Attends, je te donne le nom de la prison ... Trente secondes ... Ça cherche les dossiers... Metropolitain Detention Center ! C'est du basique, je te fais ça sans problème pour les caméras et tout. Par contre sa cellule est gardée par deux hommes et tu ne pourras pas pénétrer dans l'enceinte de l'établissement. -Je m'en charge. Occupes toi juste des systèmes de sécurité et suis moi dans le bâtiment. Si tu vois que j'ai un problème, tu improvises pour me sauver la mise. -C'est une mission solitaire ou c'est Wyte qui t'a demandé de faire ça ? -Au diable Wyte. Je ne travaille pas pour cet enculé. C'est une mission de vengeance pour Michael. Si on laisse en vie un gars qui essaie de tuer notre patron, on n'aura aucune crédibilité. Et puis je refuse de voir ce fils de pute respirer le même air que moi. Tu me suis ? -Je crois, ouais. Du coup je me prépare, bonne chance. À l'intérieur du commissariat, dans une salle d'attente grisâtre et sombre où hommes de lois et déposeurs de plaintes se tenaient compagnie, je ne passais pas inaperçue. Pour presque tout le monde ici, j'avais le profil parfait de la délinquante et il fallait avouer que c'était un fait avéré. Sans faire attention à toutes ces têtes qui se tournaient dans ma direction, je marchais avec un air décidé sur le visage. Dans un coin, en train de trier une pile de paperasse, se trouvait l'homme que je cherchais. Petit mais imposant par sa carrure, il semblait distrait et ne remarqua ma présence que lorsque je m'éclaircis bruyamment la gorge. Il leva alors deux yeux fatigués et remplis d'incompréhension. -Tu me remet ? Lui demandais-je. -Je crois que oui. T'es Lucy Sharp ? -C'est ça. Tu travaille pour Rain ? -Euh... -Laisse tomber, c'était réthorique. J'ai besoin de toi pour un taff. Par contre, il vaut mieux qu'on arrête de parler ici, vous n'avez pas des toilettes ou un truc dans le genre où l'on serait à l'abris des oreilles indiscrètes ? -Si, bien-sûr. Avec précipitation, le jeune agent se leva et me guida à travers le longues allées agitées du bâtiment. Partout, par groupe de trois ou plus, des policiers discutaient calmement, parfois avec un café, parfois sans. Il était rare de les trouver en train de travailler, même s'il faut avouer que quelques uns prenaient leur métier à cœur. Au final, le garçon me fit pénétrer dans une sorte d'arrière salle poussiéreuse où nous avions pour seule compagnie les insectes et les toiles d'araignée. Même la
lumière paraissait sortir d'un long sommeil quand le policier appuya sur l'interrupteur. -Rain ne m'a rien dit, c'est quoi le boulot ? -Tu n'es probablement pas au courant de certaines choses et pour ne pas t'en informer, je vais rester très évasive. Est-que ça te dérange ? -il fit non de la têteParfait, alors le but de la mission va consister en une infiltration tout à fait basique. T'es flic, je suis une criminelle et tu m'amène en cellule. T'aura une arme avec silencieux à la ceinture et dès que je passerais devant la salle où est enfermée la cible, je te prends l'arme et je le tue. Après quoi je m'enfui, on pensera simplement que tu n'as pas fait assez attention. -C'est super risqué ! Et puis ce genre d'endroit est filmé, on va voir que je laisse faire sans riposter. -Les caméras seront arrêtées. C'est du tout-cuit, pas de problème. Tu joue le jeu, on arrive devant la cage et tu me laisse faire. Ensuite tu fais semblant, ou pas, d'être sous le choc. Tu seras bien rémunéré si tu accepte et Rain n'appréciera pas si refusais, alors fais ton choix. -C'est bon, je marche. J'ai pas le choix quoi qu'il arrive. Après lui avoir offert ce qui se voulait comme une tape amicale dans le dos, je demandais à mon nouvel associé l'emplacement d'un endroit où je pourrais me changer. Nous quittâmes alors la petite pièce froide et humide pour rejoindre les couloirs foisonnants de l'endroit. Après un long dédale vint une série de marches puis un couloir qui déboucha sur une grande pièce digne de la salle des costumes d'un grand théâtre. Tenues de policiers, de détenus, gilets pare-balle, armes en tout genre, on était dans une sorte de réserve géante. L'agent m'indiqua l'endroit où s'entassaient une pile de tenues oranges avant de se retourner pour regarder avec innocence l'un des murs de la pièce. Je défit en vitesse la totalité de mon attirail pour le rouler en boule avant d'enfiler la combinaison orangée. Vêtue comme une bagnarde, mon ancienne tenue dans les bras, je quittais la salle en compagnie de mon acolyte. Ceux qui m'avaient vu monter habillée normalement et descendre en prisonnière me lancèrent des regards plein de questions mais il me suffisait de les fixer quelques secondes pour qu'ils se refusent à pousser plus avant leurs recherches. Pour tenter de détendre le gamin qui, il faut le dire, était au bord de la crise cardiaque, je lui demandais son nom. Loyd, il s'appelait Loyd. Et ainsi quittaisje un repère de policier en compagnie de Loyd, le tout en portant un costume orange, une coiffure peu orthodoxe et une quantité astronomique de tatouage.
Moi qui pensais les forces de l'ordre fermées d'esprit... En premier lieu, je déposais mes vêtements dans le coffre de ma voiture, après quoi montais-je dans celle de Loyd. Assise calmement à l'arrière, ce dernier m'attacha une paire de menottes aux poignets, ses mains tremblant à chaque geste demandant un minimum de précision. Le policier monta ensuite à l'avant et démarra la voiture. Pendant toute la durée du trajet, je me félicitais d'avoir pris cette initiative qui m'empêchait, du moins pour le moment, de penser à la direction désastreuse que prenait ma vie avec Wyte à la succession de Michael. J'étais tranquille, presque apaisée. Je ne faisais que regarder les rues de la ville défiler sous mes yeux sans vraiment m'y intéresser. Par moment, des passants me remarquaient et se mettaient alors à me dévisager. Les raisons étaient différentes de mon habitude mais les regards restaient les mêmes. Le Metropolitain Detention Center était un bâtiment étrange de par son architecture. Si le premier étage ressemblait en tous points à celui d'un commissariat normal, le reste du bâtiment qui s'étirait sur la hauteur était d'une terrifiante austérité. Des murs d'un blanc laiteux, parfaitement droits et géométriques, émanait une violence indescriptible. L'Ordre était ainsi représenté par des formes classiques, sans originalité, qui nous renvoyaient l'image d'un bâtiment de régime totalitaire. À l'intérieur, la structure était à peu de choses près la même. L'étage du bas consistait en un regroupement d'agents qui discutaient et travaillaient autour de bureaux écrasés sous la paperasse. Le hall était ouvert jusqu'au toit et l'on pouvait donc apercevoir une nuée d'étages reliés par de grands escaliers gris, chaque palier n'étant qu'un regroupement de cellules. Loyd me tenait fermement par le bras lorsque nous traversâmes la grande pièce en direction de l'escalier qui allait nous faire monter. Pendant le voyage en voiture, Adrien nous avait envoyé la position de la cellule d'Hudson, ainsi ne nous restait-il plus qu'à nous y rendre. Fait étonnant, nous passâmes presque inaperçus durant notre traversée. Chaque policier continuait de vaquer à ses occupations et le peu d'entre eux qui m'avait remarqué ne se contentait que d'un salut en direction de mon associé. Nous montâmes ensuite quatre à quatre les marches qui nous menaient de plus en plus haut et, au fur et à mesure que nous nous rapprochions d'Hudson, je sentais la pression grandir dans la main de Loyd qui serrait mes poignets. Dès que notre ascension fut terminée, je ne pu m'empêcher de regarder depuis
notre point de vue l'entrée du bâtiment. La vie semblait si dérisoire vue du dessus, j'étouffais même un sourire avant de repartir à la recherche du vieil homme. Dans les couloirs, lorsque nous passions entre les détenus, il arrivait que je me fasse siffler par quelques mâles en chaleur. Je restais satisfaite de voir qu'il ne s'agissait que d'une minorité. J'avais à une époque tenté de rejoindre les critères de beauté universels, ce qui me facilitait grandement l'épreuve de séduction, mais j'avais rapidement mis fin à l'expérience suite aux comportements de la gente masculine. Certes, il aurait été hypocrite de dire qu'être objet de fantasme n'avait rien d'excitant, mais j'avais parfois l'impression de n'être plus que ça, un objet. Ainsi avais-je repris ce style vestimentaire qui me correspondait bien plus et qui m'évitait ce genre de problèmes. Quand enfin nous approchâmes de la cage d'Hudson, je sentis mon rythme cardiaque s'accélérer. Mes yeux étaient désormais collés à la crosse de l'arme qui pendait à la ceinture de Loyd. D'un geste, je me libérais de son étreinte et nous continuâmes notre route côte à côte. Soudain, je le vis apparaître à l'angle. Derrière deux agents de sécurité portant gilets et képis, le moustachu reproduisait un air connu avec ses doigts contre le mur sale de sa cellule. Il ne lui fallu pas longtemps pour me remarquer et sûrement me connaissait-il puisque sa bouche semblait prête à s'ouvrir quand ma balle lui transperça le crâne. Sous le coup de la surprise, il fallut un seconde de réaction aux deux gardiens de prisons qui écopèrent chacun d'une balle dans l'épaule. Loyd me regarda fixement, se demandant ce qui allait advenir de lui alors même que je me posais exactement cette question. Un violent coup de crosse sur la tête lui suffit pour tomber dans les pommes et susciter l'excitation dans toutes les cellules alentours. Courant comme si ma vie en dépendait, et Dieu sait que ma vie en dépendait, je quittais à toute allure les couloirs carcéraux pour rejoindre les longs escaliers grisâtres. Jusqu'au second étage, je sautais le plus de marches possible à chaque enjambée puis, arrivée en bas, je repris un rythme normal. À l'étage du dessous se trouvait une horde de policiers qui ne manqueraient pas de remarquer que j'étais menottée, dotée d'une arme et habillée en bagnarde alors que personne ne m'accompagnait. Je pestais contre moi-même d'avoir blessé Loyd dans le feu de l'action avant de réfléchir à une éventuelle solution pour me tirer de ce guêpier. Remerciant le ciel que personne ne patrouille dans ces couloirs et ces escaliers, je remontais jusqu'au lieu du meurtre. Là, les hommes étaient toujours évanouis
sur le sol, se vidant de leur sang. Si Adrien n'avait pas été là, le bâtiment aurait sûrement été encerclé par toutes les forces armées de la ville à cette heure-ci. Je lançais donc un clin d'œil à la caméra avant de lui demander de détourner le regard. J'étais en revanche incapable d'en demander autant aux autres prisonniers et je fu obligée d'échanger mes vêtements avec ceux de Loyd sous les yeux lubriques de multiples hors-la-loi hurlants. C'était lui qui avait les clés des menottes, je n'eu donc aucune difficulté à me changer, si ce n'est la frayeur qu'il me fit lorsqu'il lâcha un soupir qui me fit me demander s'il n'allait pas se réveiller. À partir de là, vêtue comme l'une des leurs, je n'eu aucune difficulté à passer devant les nombreux policiers, à quitter le bâtiment et à appeler un taxi pour me ramener chez moi. À peine trente seconde après mon retour, j'étais sous la douche, mon déguisement de défenseur de l'ordre roulé en boule dans un coin. Après avoir repris une apparence convenable, je sortais de chez moi et appelais un taxi pour me déposer à l'hôpital. Entre temps, je fis une halte à la décharge où je déposais la tenue de policier et l'arme du crime sous un immense tas d'ordures. Enfin je pouvais rejoindre l'homme pour qui j'avais fait tout ça. À l'entrée du centre médical, je du subir les multiples refus d'une hôtesse d'accueil relativement stupide mais qui, après l'arrivée de sa supérieure, se montra compréhensive et me laissa voir Michael. Dans une grande entièrement blanche, sur un lit tout à fait classique, le Corbeau était plongé dans un profond coma. Son œil gauche était fermé tandis que le droit était caché par le bandage qui faisait le tour de son visage. Je me contentais de m'assoir à ses côtés et de regarder son visage bouffi par l'alcool. Il avait l'air paisible, comme s'il rêvait. C'était réconfortant d'être auprès de lui, aussi passais-je le reste de l'après-midi à le contempler. Je dû m'endormir puisque je ne remarquais pas l'entrée de Victoria dans la pièce. Il vint simplement un moment où, en levant la tête, je vis apparaître son visage angélique. En apercevant le sourire réconfortant qu'elle affichait, je fut incapable de résister à l'envie de déposer mes lèvres sur les siennes avant de laisser sa tête s'appuyer sur mon épaule. -Il va s'en sortir, murmurais-je pour moi-même. -Tu as demandé aux médecins ? Me demanda-t-elle avec une voix d'une douceur inégalée. -Ils n'en savent rien, pour eux c'est aléatoire. Ça ne dépends que de lui. -Normalement, la mort par balle dans la tête est causé par l'hémorragie, si on
survit à ça, on est presque sûr de s'en sortir. -C'est vrai ? -J'ai lu ça quelque part. Ça paraît cohérent, si il reste vivant jusqu'à maintenant, je vois mal ce qui pourrait le tuer. -Si son cerveau est blessé, peut être va-t-il essayer de tenir jusqu'à l'épuisement puis abandonner. -Ça ne marche pas comme ça. Pour moi, il va s'en sortir. Peut être me mentait-elle, peut être ne me disait-elle que ce que j'avais envie d'entendre, mais ça me faisait un bien fou. Tout en caressant son cuir chevelu, je déposais un baiser sur son cou avant de revenir à l'observation de Michael. -Si il meurt, je n'ai aucune idée de ce que je vais devenir. Est-ce que je continue à bosser pour Wyte ? Est-ce que je me remet à mon compte ? -Tu n'es pas obligée de continuer à travailler dans ce milieu, tu sais ? -Où veux-tu que je travaille ? Qui voudrait m'embaucher ? -On n'a pas vraiment besoin d'argent et, dans tous les cas, tu as le club qu'il t'a offert. -Pourquoi pas, mais donc ça serait la fin de l'histoire ? -Peut être, mais ne s'agirait-il pas d'une belle fin ?
Chapitre 88 : Hostilité -Je ne peux pas me résoudre à tout laisser tomber, je dois faire quelque chose. Révélais-je à ma partenaire. Couchées dans la pénombre, je sentais le corps nu de Victoria sous le miens. La tête posée sur sa poitrine, j'entendais chacun des battements de son cœur, ils sonnaient dans mon oreille comme une douce mélodie. Encore légèrement essoufflée par ce qui venait de se passer, la femme que j'aimais laissait son ventre se soulever et se rabaisser à un rythme soutenu. En plus de les ressentir par notre contact physique, j'entendais ses mouvements à travers l'obscurité. Avec une gestuelle délicate, sa main me caressait lentement les cheveux. Je la laissais faire en ressentant une excitation non-feinte. -Tu veux retourner voir Wyte ? M'interrogeat-elle. -Pas tout de suite, il me faut quelqu'un d'autre. J'ai besoin d'un allié, un vrai allié, quelqu'un qui appréciait vraiment Michael et qui serait prêt à se battre face à cet enflure. -Tu m'as dit que Viktor avait abandonné, c'est ça ? -Pas vraiment, il veux juste la jouer cool pendant les prochains jours et ça se comprends. J'aurais bien pris Josh mais les avocats sont bien le genre de connards à changer de camps dès qu'on montre une mallette pleine de fric. Or Wyte dispose d'un tas de malettes. -Toi et tes aprioris... -Je suis actuellement au lit avec une commerciale alors tu ne peux pas dire que je sois fermée d'esprit. -Peut être, mais si tu n'avais pas flashé sur moi, je doute que tu ai tenté de me connaître. -Normal, je ne tente de connaître personne, ne le prends pas pour toi. -Tu vois très bien ce que je veux dire. -Ok, peut être qu'une jolie fille dans un costume noir peut me faire aimer les costumes noirs. Et alors ? Est-ce que je dois m'excuser d'être tombée sous le charme ? -Absolument pas. Avec un sourire, je déposais un baiser sur ses seins avant de remonter peu à peu, mes lèvres glissant le long de son cou, de son menton, pour finalement se coller aux siennes et laisser pénétrer ma langue dans son palais. Tout en l'embrassant, je passais mes mains dans son dos, entre le matelas et son corps. Même si je ne les voyais pas, je sentais les contours de sa peau sous mes doigts. Victoria fit de même et nous ne fîmes bientôt plus qu'un, elle enroula ses
jambes autour de mon bassin et nous devînmes un être parfaitement fusionnel, il aurait été impossible de nous détacher l'une de l'autre. Quand le baiser prit fin, je me laissais tomber sur le côté et, main dans la main, toutes deux couchées sur le lit, nous observâmes le plafond en rêvassant. -Je ne vois qu'un seul connard qui déteste suffisamment Wyte pour m'aider à le faire tomber. -Lucy, je me demandais, est-ce que tu as une raison de faire ça ? Tu ne crois pas que tu t'emportes après l'accident ? -Wyte est en train de voler l'organisation de Michael et je peux difficilement laisser ça passer. -Wyte était le conseiller de Mike, c'est sûrement le plus qualifié pour reprendre la suite des opérations. C'est ça le problème, on dirait que ce n'est pas lui que tu combats, mais simplement le fait qu'il veuille que le monde continue à tourner. -Tu ne peux pas comprendre, c'est pas une entreprise comme les autres... Chez vous, le patron s'en va et tout va bien, ici c'est une famille. Si le père meurt, ce n'est pas le fils aîné qui prends sa place, le fils aîné reste l'aîné. -Mais c'est à l'aîné d'assumer le rôle du chef de famille. Il en faut bien un. -Peut être, sauf qu'ici, l'aîné est un connard qui, pendant que le père est dans le coma, s'accapare ce rôle. Wyte est bien trop heureux que Mike soit mourant et je ne peux pas le tolérer. -Je comprends. Elle ne comprenait pas. Elle était très loin d'imaginer ce que je risquais de perdre avec la mort de Michael, ce que je risquais de perdre avec l'ascension de Wyte. Nous étions dans deux mondes différents et si certaines barrières pouvaient sauter, celle là n'en faisait pas partie. -C'est Zyrn qu'il me faut. Il est le seul à aimer Mike autant qu'il détestait son conseiller. -Qu'est-ce que tu comptes faire ? -Le convaincre de m'aider. -Et ensuite ? Vous allez le tuer ? -C'est une option. En tout cas, on va l'empêcher de monter au sommet tant que son prédécesseur est en vie. -Est-ce bien prudent ? Si Wyte est devenu aussi puissant que l'était Michael, alors c'est à la ville toute entière que tu vas devoir te confronter pour l'abattre. Tu ne préfères pas laisser tomber et rester là, avec moi ? Son inquiétude était totalement justifiée, je pouvais la sentir jusque dans ses doigts qui courraient le long de mes jambes. Néanmoins, mon choix était fait. Aussi, même si je me laissais aller en sentant la tête de Victoria glisser jusqu'entre mes jambes, j'avais fermement l'intention de rendre visite à Albert
Zyrn. • La tour du siège de M.D.S. était certainement le bâtiment le plus tape-à-l'œil qu'il m'ait été donné voir. Construite un an après la création de la boîte par Michael, le gratte-ciel avait été terminé à peine quelques mois auparavant. Dépassant de peu l'U.S. Bank Tower avec ses quatre-vingt étages, la M.D.S. Tower était une merveille d'architecture. Ce qui attirait le regard en premier lieu était évidement ses façades entièrement en baie vitrée, mais dès le dixième étage, les vitres devenaient teintées et l'on ne pouvait plus y apercevoir que les reflets de la ville. La base de la tour, celle ayant les vitres non teintées, prenait la forme d'un octogone. Les dix étages suivants avaient celle d'un heptagone, puis d'un hexagone pour les dix d'après et ainsi de suite pour terminer avec un triangle des étages soixante à soixante-dix et d'un cercle pour les dix derniers. Ainsi, en haut de ce cylindre d'une dizaine d'étages, écrit en lettres d'or de presque trois mètres de hauteur, les initiales M.D.S. semblaient régner sur la ville. Elles avaient d'ailleurs été appliquées de part et d'autre du cylindre de façon à ce qu'où que vous soyez dans la ville, il vous soit possible d'apercevoir au moins une de ces lettres dorées. Dans l'entrée, on retrouvait ce goût pour le luxe et le marquant. En premier lieu, il était facile de remarquer qu'aucun mur n'avait été placé au premier étage, nous nous y trouvions donc entourés par les vitres, ce qui donnait presque l'impression d'être encore dehors. Aux huit coins de l'octogone, des ascenseurs aux portes brillantes attendaient patiemment que quelqu'un vienne appuyer sur les bouton aux aspects de cristal qui servaient à les appeler. Depuis la porte d'entrée, une moquette rouge faisait office de route en avançant jusqu'au centre de la pièce pour ensuite se disperser en direction de chacun des ascenseurs. Ce croisement n'était d'ailleurs pas un endroit anodin puisque c'était là que se situait l'accueil. C'était une sorte de comptoir circulaire autour duquel tournait le tapis rouge et derrière lequel une demi-douzaine d'hommes et de femmes en costumes prenaient des appels téléphoniques et dirigeaient les visiteurs. En bref, je n'étais pas à ma place ici. Je n'étais jamais venu dans cette tour auparavant, l'envie ne m'avait jamais prise et ni Michael ni Albert n'avaient eu besoin de mes services depuis cet endroit. Ainsi, lorsque je m'accoudais au comptoir de l'accueil pour demander à rencontrer le vice-président, je me doutais que l'accès me serait refusé.
Je fut prise en charge par une femme d'une vingtaine d'années, cheveux noirs et yeux marrons. En plus de son tailleur légèrement trop sinistre à mon goût, elle portait une paire de lunettes qui lui donnait le style stéréotypé de la secrétaire. -Que puis-je faire pour vous, madame ? Me demanda-t-elle avec une assurance toute relative. -Je viens rendre visite à monsieur Albert Zyrn. -Vous avez rendez-vous ? M'interrogea-t-elle, même si sa question sonnait plus comme un refus qu'une réelle demande. -Non, mais je suis une amie. -Monsieur Zyrn n'est pas disposé à recevoir pour le moment. -Alors pourquoi m'avoir demandé si j'avais rendez-vous ? -Pour m'assurer que ce n'était pas le cas. -Donc vous n'êtes pas sûre qu'il ne reçoive pas ? -Si, mais pourquoi prendre un risque inutile ? Madame, je suis au regret de vous demander de partir si vous n'avez aucune bonne raison d'être ici. -Je viens de vous la donner, ma bonne raison. -Dans ce cas, veuillez quitter le bâtiment avant que je n'appelle la police. -Quoi ?!? Mais t'es pas sérieuse ? Je t'ai fait quoi ? Explique-moi à quel moment la police aurait une raison d'être impliquée dans ces conneries ? -Je vous en pris madame, je n'ai aucune envie de faire ça. Derrière la jeune femme, les autres membres de l'accueil observaient la discussion avec voyeurisme. Ce qui m'inquiétait réellement, c'était l'apparition soudaine des deux agents de sécurité qui venaient d'entrer. -Écoutez, dis-je avec le ton le plus mielleux possible. Je désire rendre visite à Albert Zyrn qui est un ami à moi, je vous demande simplement de lui envoyer mon nom ainsi que, si ça vous fait plaisir, ma description physique. -Je ne peux pas le déranger, il est en pleine réunion. -Très bien, très bien, je comprends. Sous le regard inquiet des standardistes et l'air attentifs des protecteur du bâtiment, je quittais l'entrée avec une démarche presque violente qui faisait résonner dans tout le hall la chaîne qui pendait à mon pantalon. De retour dehors, je ne perdit pas une seconde avant de sortir mon téléphone et de chercher le vice-président de M.D.S. parmi mes contacts. Adossée à l'une des œuvres d'art moderne qui se trouvaient devant le building, j'envoyais mon message. Moi : Il faut que je te vois dans ton bureau, mais ta secrétaire est une conne. Tu peux lui expliquer qui je suis ? Pendant un temps, je restais à observer les voitures foncer sur le boulevard qui
s'étirait sous mes yeux, puis enfin je reçus la réponse d'Albert. Albert : C'est bon. Moi : Merci, j'arrive. En repassant la porte, il me suffit d'un regard en direction de l'accueil pour comprendre que la femme qui m'avait accueilli venait de recevoir le message d'Albert et qu'elle émettait déjà quelques hypothèses sur ma future réaction. D'une démarche décidée, je rejoignais le comptoir et y déposais à plat mes deux mains. Là, regardant de haut celle qui avait refusé de me laisser entrer, je ne pris même pas la peine de prononcer un mot. -Il est au téléphone et désire ne pas être dérangé, m'expliqua-t-elle avec une moue boudeuse. C'est le dernier étage, mais je suppose que vous le savez déjà, si vous êtes de si bons amis. Sans même relever sa pique, je la fis quitter mon champs de vision en joignant l'ascenseur le plus proche. À peine eu-je appuyé sur le bouton d'appel que déjà les portes s'ouvraient non pas sur une cage mais sur un studio richement paré. Un sourire aux lèvres et après avoir désigné le quatre-vingt-huitième étage comme destination, je me laissais aller dans le doux canapé de velours, observant par la fenêtre la ville qui rétrécissait au fur et à mesure que je montais. J'étais en train de déguster l'une des cacahuètes mises en exposition sur la table basse lorsque les portes s'ouvrirent à nouveau sur le bureau d'Albert Zyrn. Ce dernier, ne prenant même pas le temps de me saluer, me fit signe de m'asseoir avant de reprendre sa discussion téléphonique. -...mais vendez-leur à trois mille, c'est pas important ... Oui, c'est ça, un prix de gros. On ne peux pas laisser passer leur offre, peu m'importe que l'on perde mille dollars l'unité ... Si, si, je peux vous assurer que l'entreprise à les moyens d'essuyer ce léger désagrément. D'autant que c'est à vos hommes de négocier, je ne vois pas pourquoi vous me criez dessus ... Comment ça ? Vous n'êtes pas sérieux ? Je vais peut être vous apprendre quelque chose mais ici, je dirige et si je dis qu'on peux baisser les prix, alors on peut baisser les prix ... Mais non ce n'est pas énorme ! Écoutez, je crois qu'il va falloir revoir vos bases. Ces merdes valent ... Ne me coupez pas, et oui ce sont des merdes, il faut bien le dire ... Donc, ces merdes valent quatre mille dollars, à la base, dont la moitié en bénéfice. Vous êtes au courant de ça ? Vous savez qu'on n'est pas chez McDo ici. À M.D.S. le client paye la marque. En conséquence, il est tout à fait possible de s'affranchir d'un millier par tête. On reviens au final avec des bénéfices tout à fait respectables ... Je sais qu'on pourrait mieux faire, sauf que votre commercial s'est planté et que je ne peux pas laisser passer ça. Licenciez-
le, débitez son salaire, faites-lui les gros yeux ou je ne sais pas quoi, mais arrêtez de me faire chier. Au revoir. Lorsque Zyrn raccrocha son portable, j'allais pour lui parler mais il me stoppa net d'un geste de la main avant de me dire avec des signes "encore un et je suis à toi". Un sourire plein d'excuses sur le visage, il s'installa sur l'un des fauteuils de son bureau, juste en face d'une vue extraordinaire sur Los Angeles, puis rappela un autre correspondant. Tout en attendant qu'il finisse sa conversation, j'observais avec attention l'étage entier qui lui servais de lieu de travail. Table de réunion exagérément longue, mur placé au plein milieu de la pièce uniquement pour y accrocher un écran géant, canapé qui courrait le long d'un quart de la baie vitrée, rien n'était trop incroyable pour décorer le bureau d'Albert. Cependant, malgré l'entassement d'objets utiles et décoratifs, l'ouverture sur le ciel et la vue sur la ville qui nous entourait donnaient presque le vertige. C'était comme si nous étions sur une plateforme isolée de la réalité, côtoyant les nuages. -Retardez la réunion à minuit ... Mais non ils ne dorment pas, ce sont des chinois, ça ne dort pas un chinois, de toutes manières si ils dorment, ils perdent l'une des meilleurs occasions de leur carrière ... D'accord, ce n'est pas une vente, oui c'est une négociation, mais sérieusement, vous envisagez un refus ? Je suis sûr que si je leur demandais une pipe pour cette livraison, ils me la feraient ... Ce n'est pas du mépris ! Je suis simplement lucide. Votre problème, Taylor, c'est que vous ne savez pas tirer parti d'un avantage. Pour vous, il s'agit toujours d'être modeste, or la modestie vous perds bien plus facilement que la vanité. On est dans un milieu où le rapport de force est dur à obtenir alors quand on l'a, on en profite ... Vous n'avez rien écouté de ce que je viens de dire ? Ils accepteront, c'est garanti ... Bon, très bien, merci ... Oui ... Oui ... Quoi ?!? Comment ça un remplacement ? Monsieur Da Silva n'est pas mort à ce que je sache. Vous n'êtes pas sérieux ? Je refuse qu'on parle de lui comme d'un cadavre en putréfaction qu'il faut rapidement jeter ... Quoi qu'il en soit, que je ne vous y reprenne plus. De toutes manières, son poste est purement honorifique, il n'y aurait aucun changement si je venais à le remplacer ... Comment ça ? Si ce n'est pas moi, qui voulez-vous que ce soit ? ... Un vote ? Et depuis quand les employés votent-ils pour leur employeur ? Je vois mal comment quelqu'un pourrait être plus qualifié que moi à gérer cette boîte Taylor ... Oui, je préfère ça. Vous savez tout ce que j'ai fais ici ? Vous êtes au courant de ce que j'ai accompli ? ... Parfait, dans ce cas, je vous dis à demain. Et n'oubliez de mettre la réunion chinoise à minuit, vous serez gentil. Bon, Lucy, c'est parti. Quel est le problème ? Après avoir quitté sa contemplation du paysage, Albert vint s'asseoir à mes
côtés sur le canapé. Son visage et ses cernes trahissaient une profonde fatigue, sûrement était-il épuisé de porter tout son argent de son lieu de travail à son domicile. -On a un problème, lui expliquais-je, et pas n'importe lequel. -Si seulement je n'en avais qu'un seul... -Wyte veut récupérer la direction de l'organisation. -Quoi ? Mais pourquoi ? Michael n'est pas encore mort, si ? -Non, mais je n'ai pas l'impression qu'il désire attendre. Pour moi c'est très simple, s'il réussit à s'imposer comme dirigeant avant son réveil, il n'aura aucun mal à mettre fin aux jours du Corbeau officieusement. -Wyte est un connard mais ça a des limites, je le vois mal tuer Mike. En revanche, je refuse catégoriquement que cet enculé dirige les affaires. -Ah ? Je croyais que le vice-président succédait au président et que les employés ne pouvaient pas protester. -Ça c'est dans une entreprise normale, d'autant que Michael ne travaillait pas réellement ici, son départ n'importera pas sur le développement de l'entreprise. Alors qu'à ce que je sache, notre ami gérait de lui-même ses affaires, n'est-ce pas ? -Je te ferais la morale sur ton côté dictateur plus tard. Pour le moment, il faut trouver une solution pour empêcher Wyte de récupérer les rennes. Il est conseiller et ses pouvoirs resteront ceux du conseiller tant que Mike sera dans le coma. -Moi qui avais prévu de refuser son invitation, je crois que je vais venir à sa réunion. -Quelle réunion ? -Tu n'as pas reçu le mot ? Il va y avoir une sorte de conseil de guerre dans la soirée, je n'avais pas compris ça tout de suite mais, avec tes infos, je suppose que c'est à ce moment que Wyte se verra offrir le commandement de l'organisation. Je ne m'étais pas trompé à son sujet, Albert était loin d'apprécier Wyte. Sa méfiance semblait dépasser la mienne, je pouvais la voir briller dans son regard. Tout en lâchant un soupir, le vice-président servit l'une des coupes de champagne qui trônaient sur la table-basse avant d'en prendre une gorgée. -Et sinon, dis-je en changeant complètement de sujet, pas trop dur de faire payer deux milles dollars de marque à tes clients ? -Je le vis bien. Et puis c'est important de monter les prix, sinon tout le monde pourrait en acheter et on perdrait cette image de luxe qui nous permet de vendre. -Vous vendez plus parce que c'est plus cher ? Putain je comprendrais jamais cette société. On fait pas l'inverse en temps normal ?
-On peux, mais pas que. Ta meuf est dans le commerce, non ? Elle doit pouvoir t'expliquer ça. D'ailleurs je me demande toujours ce que tu fous avec une vendeuse vu que tu déteste cette "société". -À force de nous vendre ça comme étant prestigieux, j'ai fini par gober le morceau. T'avoueras que les gosses de riches sont souvent plus belles que les clochardes en haillons... Quoiqu'elles ont parfois un certains charme. Et puis surtout, tu n'as aucune idée de ce qu'elle pense de notre gouvernement. C'est pas parce qu'elle s'est fondue dans la masse officiellement qu'elle est idéologiquement comme tous ces moutons. -Si tu le dit. -Sur ce, je te donne rendez-vous au conseil de guerre. -Attends, Wyte ne t'a pas invité, il serait donc préférable que tu ne... -C'est bon, je gère, à ce soir. Je quittais son bureau avec un sourire moqueur sur le visage avant de m'avachir sur le canapé de l'ascenseur. Peu à peu, au rythme de ma chute, la ville et ses buildings reprenaient leur aspect impressionnant. En quittant le bâtiment pour retrouver l'agitation du centre du ville, j'eu du mal à m'imaginer que j'étais à peine quelques secondes plus haut dans ce cylindre en verre qui trônait au sommet de cette tour. Michael devait vraiment avoir un complexe d'infériorité. Je passais le reste de la journée à attendre en compagnie de mon pauvre ami. Je n'avais rien à faire et l'importance de cette réunion nocturne rendait n'importe quelle occupation négligeable, alors je me contentais d'observer l'ivrogne se complaire dans son sommeil. Parfois, sa respiration devenait saccadée, comme s'il était sur le point de s'étouffer. D'autres fois, en revanche, un sourire naïf venait se déposer sur son visage rêveur. J'enviais son insouciance, le fait qu'il soit incapable de comprendre qu'au dehors, le monde s'écroulait pierre par pierre. Quand l'heure devint suffisamment proche, Albert partagea le lieu de la réunion et je quittais l'hôpital, une arme dans la poche et des larmes dans les yeux. En à peine une dizaine de minutes, je me retrouvais en face du premier casino de Michael, celui où l'As été apparu. Désormais, l'endroit était devenu un repère pour hommes de marques. Dans la décoration luxueuse de l'endroit, entourés par des murs d'un rouge qui rappelait le sang versé pour obtenir l'argent nécessaire à leur achat, des dizaines et des dizaines de joueurs compulsifs misaient et hurlaient, jouaient et criaient, discutaient et buvaient. Devant le bar au style faussement vieillot, un attroupement d'ivrognes. Autour de la table de poker, un attroupement de menteurs. Derrière les machines à sous, un attroupement d'addicts.
Ne faisant pas attention à l'agitation, je me frayais un chemin dans la foule pour rejoindre le bureau du directeur. Là, dans une ambiance tamisée et bien plus calme, toute la troupe était déjà en pleine discussion. Wyte, debout dans un coin, surplombait et dirigeait la scène dans son costume noir. Assis à ses côtés, dans un petit fauteuil de velours, Rain regardait avec un faux mépris tous les membres de l'assemblée. McLand, légèrement en retrait, observait la scène de loin depuis un autre coin. Avachis sur le même canapé, Josh et Albert me regardèrent entrer avec appréhension. L'avocat comme l'homme d'affaire avaient tous deux les jambes repliés l'une sur l'autre. Même Mary Thunder était présente, elle semblait attendre que Wyte prenne la parole. En me voyant pénétrer dans la pièce, elle me lança un sourire que je lui rendais immédiatement. Enfin, dans l'écran géant du mur du fond, Robert Delamare, le banquier de Michael, partageait une conversation Skype avec Adrien. L'équipe était au complet. -On va pouvoir commencer. Annonça Wyte. Et c'est là que tout a dégénéré, avant même que la réunion ne démarre.
Chapitre 89 : Jugement dernier Si un événement dispose d'une certaine importance tout en étant parfaitement inattendu, alors il a les caractéristiques nécessaires pour être qualifié d'incroyable, au sens littéral du terme. Quand la déflagration retentit dans la salle de jeu, je compris tout de suite qu'elle n'était pas anodine et, même si je m'étais préparée à affronter Wyte, jamais je n'aurais pensé que l'attaque commencerait aussi vite et loin du lieu de rendez-vous. Je passais donc plusieurs secondes pétrifiée, comme le reste de l'équipe, attendant simplement la deuxième explosion pour m'assurer que tout ça était réel. Lorsqu'elle vint, lorsque les cris retentirent, lorsque l'on entendit les gens hurler et courir en tous sens, là j'avais la certitude qu'il se passait quelque chose de grave. Maigre consolation, le visage terrorisé de Wyte me prouvait qu'il n'était en rien le commanditaire de cet attentat. La main posée sur la crosse de mon arme, je fut la première à quitter le bureau du directeur pour me retrouver face à un funeste tableau. Le feu. La salle brûlait, un immense brasier dévorait avec violence et folie tout ce qui se mettait sur son chemin. À peine avais-je ouvert la porte qu'une vague de chaleur me sautait à la gorge. Ici, les crépitements agressifs de l'incendie se mêlaient aux plaintes des condamnés. J'étais sur le point de me jeter dans la mêlée, espérant atteindre la sortie avant que le feu ne fasse s'effondrer les fondations, mais les coups de feu qui retentirent m'en dissuadèrent rapidement. Suite au bruit des flammes, je n'étais en mesure d'entendre que des bribes de la fusillade mais il paraissait évident que tous ceux qui réussissaient à se sortir de cet enfer trouvaient la mort d'une autre façon. Je me retournais vers les membres du groupe pour les voir plongés dans une transe de réflection. À leur visage, il était impossible de se douter qu'un brasier ardent mettait fin à des nombreuses vies juste dans la pièce d'à côté. -La sortie de secours est notre seule option, expliquait Wyte. Par contre on va devoir courir avant que tout le bâtiment ne s'effondre. -Ils nous attendent devant, rétorquais-je. C'est du suicide. Il n'y a pas des fenêtres ? -Tu te vois mettre une vue sur l'extérieur quand ton bâtiment est illégal ? Ce serait plus simple de dire "Eh ! Regardez ! Ici on est des hors-la-loi ! Venez
nous attraper !". Putain, évidement qu'il n'y a pas de fenêtre. -Dans ce cas... Sortie de secours. Après un acquiescement général, toute l'assemblée se leva et entama une fuite effrénée. À peine avais-je sauté dans la salle de jeu ardente que déjà je les oubliais, trop concentrée sur ma propre survie. Par endroit, on pouvait apercevoir les restes calcinés d'un meuble entre eux immenses flammes. Meuble... Comptoir... Alcool... Explosion... -Ça va péter ! Hurlais-je, on se sort les doigts du cul et on fonce !!! Après avoir lancé un regard en direction du bar qui, par miracle, était resté jusqu'à maintenant à l'écart de l'incendie, je me précipitais vers la sortie de secours. Je transpirais à grosses gouttes tout en poussant chaque inconnu qui restait paralysé sur mon passage. Durant mon périple, il arrivait qu'un changement de trajectoire soit nécessaire suite à la présence d'un entassement de débris trop haut pour être escaladé où d'une zone déjà conquise par le feu. Je suffoquais presque, l'énergie nécessaire à ma course disparaissait peu à peu, m'obligeant alors à marcher. Le bruit des coups de feu, du brasier, des cris, de la mort, du bâtiment qui s'écroule, tout ça était assourdissant. Je me traînais désormais comme un vieille femme, m'accrochant aux rares structures encore en bonne état pour me projeter en avant. Dans mon champ de vision restreint par l'épuisement, tout n'était que mort et désolation. Dans mon dos, j'entendis un chute, pas celle d'un objet mais bien d'un homme. Je n'avais pas le force de me retourner, je continuais d'avancer péniblement à travers les gravats de l'enfer. Sous mes yeux, à peine deux mètres devant mois, une poutre s'effondra sur le sol, emportant avec une elle une partie de l'étage supérieur. Le craquement fut intense et le bruit du choc me rendit sourde pendant un court instant. Tout en faisant un détour pour éviter les suites de cette chute, j'ôtais violemment mon gilet en le jetant au feu, j'avais trop chaud, beaucoup trop chaud. J'étais incapable de voir quoi que ce soit, mes yeux se fermaient automatiquement et je dépensais l'énergie nécessaire à leur ouverture dans ma course. À l'entrée, les tirs avaient cessés, c'était une bonne chose. Je n'avais plus l'usage de mes yeux mais je continuais à ressentir cette chaleur ardente, je continuais à sentir l'étouffement se rapprocher, je continuais à avoir envie de me coucher sur
le sol pour m'y reposer. Je ne voyais plus de contre-argument, il n'y avait aucune raison de ne pas me reposer ici. Quelques secondes, peut être quelques minutes, dans le simple but de récupérer de l'énergie, dans le simple but de fuir plus vite ensuite. Je me laissais tomber sur la moquette, elle était brûlante mais le fait d'être couchée était suffisamment confortable pour subir ce genre d'inconvénient. Je me roulais sur moi-même, j'étouffais. Je ne pourrais pas me relever, mes muscles venaient de se mettre à l'arrêt, j'allais pouvoir profiter de cette pause, j'allais pouvoir me reposer, me laisser aller... Alors qu'il me restait encore un peu de conscience, je sentis deux bras s'enrouler autour de moi tandis qu'une voix féminine prononçait : -Si je meurt parce que j'ai voulu te sauver la vie, je te tue. • À mon réveil, je me retrouvais dans une petite pièce aux allures de vieux repère de drogués. Tout en observant les murs décrépis et tagués, je sentais un violent courant d'air s'abattre continuellement sur mon visage. En face du canapé déchiré sur lequel j'étais couchée, Mary Thunder tapotait sur son téléphone avec une exaspération non-feinte. Par moment, elle jetais des regards vers la porte rouillée d'où sortait le son de voix en pleine dispute. -Ça va ? Me demanda la chef des Zêtas en voyant que je me réveillais. -Je crois que ouais. J'ai rien de cassé en tout cas. C'est toi qui m'a sorti de là ? -Ouais, c'est normal, t'en fait pas. Avec une dizaine de mecs dans la même pièce, il était facile de deviner qu'aucun d'entre eux n'aurait de couilles. Et maintenant on se retrouve à attendre qu'ils aient fini de parler politique. -Comment ça ? -Pour moi, c'est évident, on doit riposter dans les prochaines heures. Sauf que pour ces tapettes, il faut d'abord en discuter, étudier le pour et le contre, peser chaque option, etc... -Mais se venger de qui ? On sait qui est le responsable ? -Tiger, encore et toujours Tiger. -C'est Wyte qui t'as dit ça ? -Non, c'est un des gars qu'on a récupéré à l'entrée. Il nous l'a vendu en échange d'une balle dans la tête. -Et on sait où est ce merdeux ? -Tiger ? Oui, Adrien nous a passé son adresse. -Dans ce cas qu'est-ce qu'on fout encore là ? -Je te dis je... Elle n'avait pas eu le temps de finir ses explications que déjà je passais la porte
d'où sortaient les sons de disputes. De l'autre côté, dans ce qui ressemblait à un hangar abandonné, on pouvait assister à un débat houleux entre Wyte, Rain et Albert. En l'absence de fenêtre, la lumière était offerte par une petite lampe fatiguée qui peinait à tous nous éclairer. Dans cet éclairage faiblard, Wyte avait encore plus l'air d'un monstre lorsqu'il faisait les cent pas pour déblatérer son discours. -...arriver. Mais pourquoi ? La sécurité devait être gérée ! Rain explique moi ce que t'as foutu ! Les bras croisés, le vieil homme regardait le conseiller sans la moindre honte. Quand Wyte lui fit ce reproche, il parut même choqué de devenir le responsable de tous ces événements. -Moi ? Je te rappelles que je défends Mike, pas ses casinos. C'est le travail de Paul et bon, on n'est plus vraiment en position pour le critiquer. -Pourquoi ça ? Demandais-je avec inquiétude. Dès que je pris la parole tous les regards se tournèrent vers moi. J'étais en quelques secondes devenue le centre d'attention de cette pièce étriquée où se tenaient les personnalités les plus importantes de la ville. -Il est mort, m'avoua froidement Wyte, tout comme Josh. Si tu as l'intention de piquer une crise, j'aimerais que ça soit ailleurs. -T'es pas sérieux ? -Tu as écouté ce que je viens de dire ? -Affligeant mec, affligeant. Continuez à dialoguer comme des salopes, moi je vais buter Tiger. -Elle recommence... C'était incroyable, purement et simplement incroyable. Ces gens étaient censés diriger une organisation pesant plusieurs millions de dollars mais ils se trouvaient dans l'incapacité de prendre une décision. Toutes ces morts, ils y restaient insensibles. En sortant de la salle de discussion, je croisais le regard de Mary et cela suffit pour qu'elle comprenne mes intentions. Nous quittâmes à deux cette cachette insalubre par un étroit couloir pour rejoindre l'extérieur sous l'éclat de la lune. Nous nous trouvions typiquement dans un quartier pauvre. Des immeubles hauts sans être impressionnants s'alignaient dans une profonde monotonie. Là, des vitres cassées. Ici, des ordures qui s'entassent. -Où est Tiger ? Interrogeais-je mon amie. -Dans un bar, à la lisière de la ville. Selon Adrien, il n'y a pas plus d'une dizaine d'hommes de mains avec lui.
-Dans ce cas, guide moi. À pieds, nous y allions à pieds. Dans la nuit, nous n'étions plus que deux ombres qui filaient dans les immenses rues de la ville. Parfois, une voiture passait, parfois nous croisions un homme qui accélérait le pas en nous voyant, mais le reste du temps, il n'y avait que le calme nocturne. Légèrement en retrait, je suivais le corps élancé de Thunder. Avec une démarche presque féline, elle avançait pourtant à un rythme relativement soutenu. À un moment, elle sortit son téléphone et y tapota un message que je fut incapable de lire. Avec le temps, nous voyions la lune monter dans le ciel. Je me demandais ce qu'Albert pouvait faire en compagnie de ces lâches, même s'il n'était pas si loin d'eux. Je me demandais quel était le sujet de leur discussion, quelles allaient être les initiatives prises face à cette attaque. Nous allions tuer Tiger. Ce nom était revenu tellement souvent dans de si nombreuses conversations qu'il avait acquis un statut presque sacré. L'homme derrière ce titre, je ne l'avais jamais rencontré, mais j'allais le tuer. Il allait mourrir comme un homme, pas comme un roi. J'allais le voir et le tuer, je ne commettrais pas l'erreur de savourer ma victoire, j'allais mettre fin à ses jours et voir son sang se déverser sur le sol. Le sang d'un homme qui nous avait concurrencé avant de nous rejoindre pour finalement nous planter un couteau dans le dos. Nous allions tuer Tiger. Alors que nous approchions dangereusement du bar où l'homme avait trouvé refuge, du moins pour la nuit, j'aperçu une horde de combattants au loin. Armés jusqu'aux dents et massifs comme des montagnes, ils vinrent rapidement se caler derrière nous. Les Zêtas en imposaient, c'était un fait avéré. En réalité, je crois que pour rien au monde je n'aurais osé me confronter à l'un d'entre eux. Arme à la main, crâne rasé, musculature saillante, détermination et violence dans le regard, ils n'étaient pas des enfants de cœur. Nous allions tuer Tiger. Le bar devant lequel nous finîmes par arriver n'avait rien de bien exceptionnel. À la manière des pubs anglais, il était situé en coin de rue et disposais d'une planche qui pendait et sur laquelle était écrite son nom. Derrière des fenêtres en carreaux, on pouvait admirer la joie de vivre d'une
multitude d'ivrognes côtoyer le sérieux d'un groupe d'hommes en costumes. Pendant que les premiers dansaient en chantant, les seconds semblaient passionnés par la contemplation de leur chef, Tiger. Assis seul à une table, il regardait dans le vide. Les mains croisées, on aurait pu le penser en méditation. Ses cheveux légèrement foncés paraissaient négligés, une mèche lui tombait même sur l'œil gauche. Avec ses nombreux rides, on aurait pu aisément lui donner la cinquantaine, mais son costume noir le vieillissait encore de quelques années. Sans faire attention aux regards soupçonneux des clients de l'établissement, nous pénétrâmes dans son enceinte. Sans la moindre hésitation, les Zêtas prirent de court les hommes de Tiger et nous arrivâmes rapidement à une situation où nos alliés braquaient ceux de l'ennemis du canon de leurs armes. Oubliant mes promesses, je pris place à la table du chef mafieux, un sourire vengeur sur le visage. Le visage du vieil homme ne trahissait aucune peur, juste un calme dont Michael aurait été incapable de faire preuve. -Vous savez ce que nous faisons ici ? Demandais-je. -J'ai bien peur de ne pas vous reconnaître, m'expliqua-t-il d'un voix grave, alors de là à connaître la raison de votre visite. -Le casino. Qui sème le vent récolte la tempête. -Je ne suis pas sûr de comprendre. -Vous avez failli me tuer, ce n'est pas quelque chose que je laisse impuni. -Soit vous êtes terriblement en retard, et dans ce cas il faudrait me rappeler lors de quelle attaque je vous ai laissée en vie, soit vous vous trompez de personne. -Ne jouez pas au con av... Le barman avait tenté d'appeler la police, ce qui s'était soldé par une balle dans la tête. Par suite, tous les tirs avaient été lâchés et chacun des hommes en costumes s'étaient écroulés au sol. Prise dans la continuité de l'action, je sortis mon arme et plantais un boulet dans le petit crâne du mafieux. Dans les cris et les plaintes, je quittais le bar en compagnie des gangsters. Cet homme venait de mourrir et je ne ressentais rien, le monde n'était pas plus beau, la nuit n'était pas plus clair, je n'avais même pas pu profiter de la vue de son sang. Mary reçu un coup de téléphone, je n'y faisait même pas attention. J'étais déçue, insatisfaite, mais rien n'aurait été en mesure de me contenter. Rien excepté le regard de la femme lorsqu'elle raccrocha, rien excepté ces trois mots : -Il est réveillé.
Chapitre 90 : Haine Extrait du rapport de l'agent Hudson sur le dossier Michael Da Silva : De toutes les personnes qui ont foulé cette terre, je ne crois en avoir connu de plus répugnante que monsieur Da Silva. Il est à lui seul la représentation de la décadence de notre beau pays. À la fois meurtrier et adulé, il montre la stupidité du peuple autant que celle de nos élites. Il suffit d'une heure passée à ses côtés pour comprendre de quel genre d'homme il s'agit. Le dégoût que vous lui inspirez est immédiatement visible, il ne s'en cache pas, sa richesse lui permet toutes les bassesses. Il est en quelque sorte la preuve que les gens issues de familles dans le besoin ne devraient pas avoir accès à ce palier de richesse. Ces gens là ne respectent rien, ils ne comprennent pas les codes de notre monde et, même après y avoir passé plusieurs années, ils continuent à ne pas y faire attention. Dans son immense stupidité, il ne comprends pas l'utilité de la loi et la voit probablement comme un fardeau. Sans doute est-il incapable de se projeter chez autrui pour se rendre compte du mal qu'il fait autour de lui. Mais si ce document n'est pas là pour descendre le prestigieux propriétaire d'M.D.S. il a pour but d'expliquer quels sont ses torts et ses abus. Ces faits que j'énoncerais seront, si je meurs dans ma quête, utilisés par mes successeurs dans le but de mettre sous les barreaux cette ordure. En premier lieu, il me paraît normal d'aborder sa jeunesse. Notes médiocres dès les plus jeune âge, incapacité à suivre le cours, perturbe l'ambiance de la classe, arrive en retard, parfois même ne vient pas, nous sommes en face d'un cas évident d'handicap social. Ses camarades ont, j'en suis sûr, été très heureux de le voir quitter l'école dès seize ans pour se pencher sur des activités plus lucratives. Le jeune était déjà soupçonné de vendre de la drogue, mais une fois les cours terminés, il s'est mis à travailler pour le fameux Marco Saliego. Cette version de l'histoire n'est bien entendu pas officielle, en tout cas ne l'estelle pas jusqu'en 2005 où il tombe en prison et où, au lieu de faire leur travail, les forces de police de l'état ont décidé de le laisser sortir contre une petite somme d'argent. Pendant presque trois semaines, nous avons la preuve que Michael Da Silva est un criminel, puis elle s'évapore des dossiers comme par magie. Le jeune homme quitte alors la ville, désireux peut être de trouver un nouvel environnement pour s'enrichir, un environnement où il serait moins connu, les récents événements lui ayant fait prendre conscience de l'efficacité de notre police.
Mais en arrivant à New York, le voilà face à la déception. Ni amis ni argent, il doit travailler comme un esclave. Le monstre se retrouve à travailler pour ces gens qu'autrefois il pillait. N'est-ce pas ironique ? Il ne tiendra que deux ans dans cette position avant de céder. Mais son plan est réfléchi, le vol sera moins ouvert. Ce criminel est peureux, la prison l'a terrorisé et pour rien au monde il n'y retournerait. Le voilà donc draguant la riche héritière de la dynastie Spencer. La jeune fille, probablement limitée intellectuellement, se laisse enguirlandée et se retrouve rapidement la bague au doigt. Michael peut alors la laisser travailler pendant qu'il se prélasse à la maison. Le sournois se retrouve néanmoins piégé à son propre jeu quand elle lui demande un enfant, ce qu'il accepte à contrecœur. Le voilà désormais obligé de s'occuper d'un être qu'il déteste pendant les six années suivantes. Mais au bout de ces six ans, le calvaire est trop grand, notre ami ne tient plus et commet l'irréparable : il vole à nouveau. Le coup est connu, celui de FreshTynes, personne n'est identifié mais Michael divorce peu après. L'ingénue a fini par comprendre et quitte son monstre de mari. Le monstre revient alors à Los Angeles, pensant renouer avec ses anciennes relations pour retrouver sa gloire d'antan. Il y retrouve Nick Fear, un idiot qui tient une supérette, aujourd'hui décédé. Le jeune garçon est stupide, il est en quelque sorte le faire-valoir de Michael, l'acolyte qui se laisse embriguadé. Vous remarquerez d'ailleurs l'amour qu'éprouve notre homme pour les personnes limitées, ce qui traduit un profond complexe qu'il tente de cacher. Sa deuxième amie est Lucy Sharp, une punk lesbienne sans foi ni loi. Cette dernière ne respecte rien, même l'argent. Pire que son ami, elle ne viole pas l'ordre pour l'argent mais bien pour le plaisir de voir le monde se fissurer sous ses yeux. À eux trois, ils vont alors organiser de nombreux coups pour la mafia régnant sur la vile à cette époque : la SFM. C'est durant cette période que nous assisterons à la fusillade d'argent qui mettra fin à la vie de James Faustin. La disparition de Steve Migaud se fera moins bruyante, réservée comme l'était l'intéressé. Après avoir semé un bordel monstre, Michael fuit la ville avec une prostituée. Il passera quelques années dans un lieu inconnu, obligeant par ailleurs sa famille à se cacher, pour revenir six mois plus tard en voulant nous faire croire qu'il travaillait pour un homme d'affaires londonien. Il arrive et directement, il tue son ancien patron, Saliego. "Pas d'honneur chez les voleurs". Il va ensuite tenter de prendre sa place face à la concurrence du dénommé Tiger, un fantôme dont nous ne connaissons ni le visage ni la véritable identité.
Et c'est là que commence notre histoire, c'est là que commence l'ascension d'un monstre vers le succès international. Tout d'abord, il y a récolte de fond. Cela se fait par l'intermédiaire d'un Nick Fear Bis, Viktor Azarov. Le braquage qui servait à amasser de l'argent sera un échec et le jeune homme finira en prison. Malgré ça, Michael ouvrira quand même un casino illégal où il organisera une première partie face à une figure du jeu criminel : l'As. La partie est un coup de pub évident durant lequel Michael fera exprès de perdre pour ensuite montrer que la sécurité de son casino est immense. En effet, l'As a pour réputation de tuer les perdants de ses parties. Le coup de communication marche très bien et les bénéfices ne tardent pas à rentrer. Il va alors acheter la Cage aux Oiseaux pour camoufler ses revenus en les blanchissant. L'achat sera fait sous le nom de Franck Raven, nouveau nom de Michael, en référence au Corbeau qui deviendra son surnom. Un autre bar se laissera ensuite approprié par Da Silva, l'argent ayant servi cet achat étant déclaré comme venant de l'homme d'affaire londonien dont j'ai parlé plus haut. Pour l'homme averti, il vient bien évidemment du casino. Un accord est signé peu après avec Mary Thunder, la dirigeante du gang des Zêtas, une hystérique à la fois meurtrière et accro aux aventures sexuelles de tous bords. Cet accord concerne la vente d'armes, futur revenu qui va avoir son importance dans le business de monsieur Da Silva. Pendant que l'entreprise grandit, Michael commence déjà à préparer sa future image de milliardaire, il va donc se faire passer pour un bon père de famille. Le voilà à New York pour essayer de récupérer la garde de sa fille, chose qu'il aura suite à quelques billets passés sous le manteau. Prêt à gâcher la vie de ses proches pour atteindre le sommet, notre criminel va profiter de son argent pour s'étendre dans des magasins d'armes et des bars. Les premiers étant utiles pour écouler sa marchandises, les deuxièmes étant dus à son nouvel amour pour l'alcool. Car oui, si son compte est noyé sous l'argent, son cerveau est noyé sous le Whisky, ce qui se ressent d'ailleurs dans son haleine ou lorsque l'on observe son visage bouffi. Les morts se multiplient, que ce soit par sa faute ou celle de ses ennemis, ils n'est jamais innocent. Des explosions, des attentats, des familles qui voient leurs enfants mourrir, des maris qui voient leur femme prise en otage pour une récolte de fond, rien n'est trop horrible pour Da Silva. Même sa fille qu'il avait invité à venir séjourner chez lui va rapidement devenir un fardeau qu'il enverra en colonie de vacance. Colonie où elle subira d'ailleurs une attaque ciblée qui mettra fin à la vie de deux animateurs, dont une mère de famille. Sur son sillage, mort et désolation, pourtant le monde l'adore. Avec ses
établissements, il commence à se faire de l'argent. Parti de rien, il crée un empire de bars et de magasins d'armes, puis se diversifie. Rain est recruté pour gérer la sécurité du nouveau riche. Ancien agent de protection, le vieil homme est rapidement devenu l'une des plus grosses têtes de l'organisation, juste après Wyte, le cerveau de l'opération, servant à combler le vide dans la tête de Michael. Pour défendre les magasins qui se font souvent attaquer, Paul McLand est engagé. Expert dans la sécurité, son travail est fait à la perfection et il devient très vite impossible d'attaquer les propriétés de Da Silva. En prison, on note que le meurtre et la torture sont deux armes utilisées par le Corbeau pour éviter de se faire dénoncer. J'ai souvent vu des hommes se vider de leur sang dans leur cellules suite aux coups de hommes d'Azarov. Symbolisation sur terre du mal, Josh Salesman était l'avocat de ce monstre. Le défenseur de la justice avait vendu son âme au diable. Désormais, il ne travaille plus que pour servir les intérêts de son maître sans se poser la moindre question éthique. C'est en quelque sorte aussi le cas d'Albert Zyrn, vice-président de M.D.S. et représentant de la partie légale de l'organisation du Corbeau. Ce dernier, après avoir fait des études de commerce prestigieuses, se retrouve à la tête d'une des plus grosses boîtes du pays avec un énorme salaire, en échange, il doit taire les méfaits de son patron au monde entier. L'entreprise grandit et les hommes l'adorent. Spécialisée dans les services, elle garde une belle image, d'autant que Michael est un beau parleur. Ses discours sont médiocres, plein de mensonges et d'hypocrisie, mais bien contés. Il y a un passage qui m'a fait hurlé de rage et que je me ferais une joie de citer : "Le monde est sombre, cela ne fait aucun doute. Nombreux sont les gens à se battre face à l'adversité mais à se retrouver impuissant. Je me vois dans l'obligation d'admettre que notre système judiciaire a des problèmes, les policiers ne sont pas à l'écoute de leurs citoyens et des crimes sont commis impunément à longueur de journée. J'ose espérer qu'avec ce don, les forces de l'ordre sauront faire la différence, j'ose espérer pouvoir faire changer les choses." Voyez vous de quel genre de personne il s'agit ? Ce discours a été prononcé devant tout un commissariat et personne n'a bronché, les gens ont même applaudi devant ce répugnant déchet. Cet homme est responsable d'un tel monceau d'atrocités que je ne saurais toutes les citer. Il n'y a qu'à se pencher un peu sur lui pour découvrir de nombreuses horreurs. Les gens tentent de nous cacher la vérité mais les faits sont tellement énormes qu'une simple curiosité suffit. Ce monde me fait de plus en plus peur.
Il semble bien que la loi ne soit plus suffisante pour protĂŠger les pauvres gens, j'ai l'impression que la justice ne peut plus ĂŞtre rendue par les institutions, je pense qu'il faut des gens forts pour protĂŠger les faibles. [...]
Chapitre 91 : Reprise Après plusieurs jours passées dans un profond coma, j'étais de retour parmi les vivant, mais à quel prix ? Maux de tête, vertiges, envies de vomir, tant de symptômes qui allaient me poursuivre pour le reste de mes jours. À peine avais-je repris conscience que déjà les visites s'enchaînaient. Je n'osais pas demander à mes infirmières de limiter ce genre de choses alors il arrivait fréquemment qu'une journée entière soit passée en compagnie de mes vieux associés. Les visites de Viktor étaient celles que je préférais, nous ne parlions de rien d'important. Simplement de la vie, comme deux amis, comme deux personnes normales. Il n'y avait pas de vie en jeu, pas de responsabilités, avec lui j'oubliais mon importance et ma condition précaire. Celles de Lucy étaient déjà bien moins agréable. En effet, pour une raison qui m'échappait, cette dernière éprouvait désormais une sorte d'obsession pour Wyte et se trouvait dans l'incapacité d'éviter le sujet. À chaque fois qu'elle me voyait, le problème était mis sur la table en même temps que sa demande de le renvoyer. Évidemment je refusais, il m'était impossible de supprimer le ciment de mon organisation. Cependant, même si il disposait de tout mon respect, les visites de mon conseiller m'ennuyaient. Il ne faisais que me questionner sur les actions que je voulais mettre en place en ne prenant que rarement le temps de me parler comme à un ami plus qu'à un collègue. Ce fut lui qui m'apprit la mort de Josh Salesman ainsi que celle de Paul McLand, tous deux décédés dans un incendie criminel provoqué par Tiger. Lui aussi serait mort, de la main de Lucy si l'on en croyait Wyte. Quand j'ai appris le décès de mon avocat, j'ai été pris d'un intense mal de tête qui me plongea dans un coma de plusieurs heures. À mon réveil, la nouvelle me paraissait déjà loin et je l'assumais sans la moindre larme. Ensuite, il y avait Albert. Ses visites ses faisaient souvent dans le calme, il me regardait pendant de longue minutes avant de prendre la parole. Dans ce genre de moment, j'étais comme au loto, je pouvais aussi bien tomber sur une discussion professionnelle qu'amicale. Parfois je devais choisir la voie d'M.D.S. et parfois j'apprenais les derniers ragots en vigueur. Enfin, les visites de Rain étaient celles qui avaient le moins d'intérêt. En fait, elles n'en avaient pas d'autres que de me faire oublier les récents événements. Il me taquinait comme il savait si bien le faire, je ripostais et cela pouvait durer pendant plusieurs minutes comme pendant une heure. C'était mon quotidien, pendant un mois entier je n'ai vécu que ça.
Le soir de ma sortie d'hôpital, Wyte m'organisa une interview sur plateau télé. À peine remis du choc, je me retrouvais sous les yeux de milliers de gens, une couche de maquillage sur le visage, un costume neuf sur le dos et une dizaine de projecteurs pointés dans ma direction. En face de moi, derrière un bureau faussement bling-bling, une vieil journaliste complètement refaite de la poitrine au visage m'observait attentivement tandis qu'une voix off disait : -On est en direct dans trois, deux, un, c'est parti ! La femme rangea alors ses notes avec une gestuelle qui avait due être répétée un bon million de fois avant de poser ses yeux sur moi tout en réajustant ses petites lunettes rondes. Sur le plateau, entre les spectateurs et nous, l'équipe technique nous regardait attentivement. -Bonsoir, mes chers téléspectateurs, commença la présentatrice. Ce soir,nous accueillons Michael Da Silva qui, à peine sortie de l'hôpital où il vient de passer plus d'un mois, nous fait l'honneur de sa présence sur notre plateau. Alors, monsieur Da Silva, comment avez-vous vécu cette attaque ? -En fait je ne l'ai pas vraiment vécu, j'étais plus proche de la mort que de la vie, mais ça a été éprouvant, ça oui. -Pouvez-vous nous narrer les conditions de l'incident ? Jusqu'à présent les informations circulant à ce sujet sont très maigres. -Eh bien c'est relativement simple en fait. J'ai été arrêté par un policier fou, ce dernier ne désirant qu'une chose : me voir en prison. Ne me demandez pas pourquoi, je ne le sais même pas moi-même. Toujours est-il qu'un de ses supérieurs est arrivé pour l'en dissuader et, voyant qu'il ne m'aurait pas en vie, il a décidé de mettre fin à mes jours. -Ça doit faire un choc de vivre ce genre de chose. Vous rappelez-vous de l'histoire ou êtes-vous en train de raconter les faits qu'on vous a rapporté parce que vous avez tout oublié ? -Vous me traitez de menteur ? -Absolument pas, je me demande simplement comment vous pouvez vous rappeler de ça. C'est le genre de chose que le cerveau préfère oublier. -Pas le miens. Vous savez, j'ai connu d'autres choses horribles dans ma jeunesse, jamais mon cerveau ne m'a fait oublier quoi que ce soit. -Peut être qu'il l'a fait, mais vous ne vous en souvenez plus. Qu'est-ce qui était en train de se passer ? Étions-nous là pour discuter souvenir ou pour montrer que Michael Da Silva était de retour en ville ? J'avais toujours détesté les journaliste qui ne comprenaient pas ce qu'on attendait d'eux. -Des rumeurs voudraient que le policier fou soit l'agent Hudson, sont-elles
fondées ? -Non, et ensuite, d'où viennent ces rumeurs ? -Eh bien le fait qu'il ait été arrêté peu après, puis tué en cellule... Cela soulève certaines questions. -Après me soupçonner de mentir, vous pensez que j'aurais commandité son assassinat ? -Mais non ! De toutes manières vous étiez dans le coma à cette époque, c'est donc impossible. Relaxez vous, l'interrogatoire est terminé, ici on ne veut pas vous jeter en prison. -Oui, excusez moi, tous ces événements m'ont rendu un peu tendu. -C'est tout à fait normal. À ce propos, vous avez eu une chance énorme pour vous en sortir, comment expliquez-vous ça ? -Le destin. Ce n'était pas mon jour, tout simplement. Et puis comme vous dites, beaucoup de chance. Un petit air supérieur sur le visage, la vieille femme changea la première fiche de son tas et la survola du regard en une seconde. Après ça, elle lança un sourire à la caméra pour ensuite se tourner vers moi. -Est-ce que cette attaque va changer quelque chose à votre vie ? Nous savons tous qu'il a eu lieu à cause de votre importance médiatique, le genre de chose qui peut exciter les dérangés mentaux. Allez-vous passer moins de temps à la télé ou dans des galas ? -Pour l'instant je ne pense pas, peut être que oui, peut être que non. Ce n'est pas une chose à laquelle j'avais réfléchi. Je pense que le mal est fait et qu'un changement d'attitude ne bouleverserait pas les comportements. Je n'ai pas envie de vivre dans la peur quoi qu'il en soit. -Et pour la politique de M.D.S. doit-on s'attendre à des changements prochains ? -Je ne vois pas pourquoi. Monsieur Zyrn dirige la boîte depuis longtemps et rien ne lui est arrivé, il n'a donc aucune raison de modifier les choses. -Vous ne vous considérez pas comme impliqué dans votre propre entreprise ? -J'y suis moins que monsieur Zyrn, c'est un fait connu et répété. J'étais bon au début mais vu le monstre qu'est devenu M.D.S. il me faut quelqu'un de plus qualifié à sa tête. -Je comprends. Monsieur Da Silva, il y a un autre sujet dont j'aimerais que nous parlions, c'est la mort de Josh Salesman. Il est de notoriété publique qu'il s'agissait de votre avocat personnel, je me demandais donc la façon dont vous percevez les circonstances de sa mort. -Elle est tragique, c'était un ami avant d'être un collègue et le savoir mort durant une fusillade me brise le cœur. Peut être avait-il eu tort d'aller jouer dans un casino illégal, oui c'était un délit, mais il ne méritait pas la mort. Si je
connaissais le responsable de cet attentat, je ne sais pas ce que j'aurais fait. -Certaines sources pensent qu'il s'agissait de Tiger, l'homme qu'on a retrouvé mort dans un bar à l'orée de Los Angeles. Quel est votre avis ? -Je n'arrive pas à m'imaginer que Tiger soit mort, ce nom revenait tellement souvent dans les journaux, mais si c'était le cas, alors il sera mort quelques heures trop tard. Alors qu'elle remettait ses lunettes, je compris à ses yeux que la prochaine question serait plus compliquée, plus osée, plus délicate. Je sentis mes nerfs se raidir quand elle commença à parler. -Après une attaque sur votre personne, on assiste à la mise en prison d'un policier, à son meurtre, puis à un incendie criminel et à une fusillade sur un casino illégal où votre avocat meurt, ce qui débouche sur l'assassinat de Tiger. J'avoue qu'il est assez compliqué d'y voir une coïncidence. -Voyez-y ce que vous voulez, je ne suis pas impliqué. -Vous non, mais si un de vos amis avait voulu se venger ? Si la mort d'Hudson n'était qu'un accès de rage d'une de vos relations ? Si l'attaque du casino avait pour but d'éliminer votre avocat et si la vengeance de vos employés s'était abattue sur Tiger ? -Vous êtes impressionnante d'imagination et j'avoue que ça ferais, à défaut d'être un bon titre de journal, un bon scénario de film. Toujours est-il que non, tout cela ne me paraît pas sensé. -D'accord, je voulais simplement m'en assurer. Après cette interview, ma vie repris son cours normal avec ce qu'il impliquait d'alcool et de fusillades. J'étais redevenu le même homme qu'avant, mais comme l'avait prévu la journaliste, je passais moins de temps en public. M.D.S. était déjà au summum de sa puissance et je décidais donc de me concentrer sur mon organisation illégale. Je n'étais plus que l'emblème de la famille, j'en étais devenu le père. Les quatre années qui suivirent ont vu beaucoup de changements se produire. Le plus important est le départ de Lucy qui, refusant de travailler dans la même boîte que Wyte, quitta mon commandement pour gérer le night-club que je lui avais offert. Je continuais de la voir régulièrement mais elle n'étais désormais plus qu'une amie, aucun lien professionnel ne nous unissait. Ça me faisait mal de ne plus l'avoir à mes côtés mais c'était son choix et je n'étais pas assez stupide pour me séparer de mon conseiller. Ce dernier resta fidèle, il resta sous ma coupe et continua de me servir. Son pouvoir se rétracta légèrement avec mon soudain accès d'ambition mais il ne
s'en plaint pas le moins du monde. Toujours dans mon dos, il nous suffisait de regards pour communiquer, j'avais appris ses signaux et plus aucune négociation ne se soldait par un échec lorsque nous étions deux dans la même pièce. Rain renforça son importance en gérant à la fois ma sécurité et celle des mes établissements. Suite à la mort de McLand, il avait obtenu une promotion qui lui offrait une rentrée d'argent conséquente. Même si son talent pour ce genre de travail était loin de celui de Paul, son agressivité lors des ripostes compensait largement le manque de sécurité. Plus personne n'osait nous attaquer, parce que même si c'était facile, il était impossible de s'en sortir impunément. Albert Zyrn fut promut au poste de PDG sous mon ordre. Je n'étais désormais plus que le propriétaire de la boîte et ça n'était pas pour déplaire à mon ami. Ce dernier avait désormais les pleins pouvoirs sur M.D.S.. Comme c'était impossible, on ne pourra pas dire que l'entreprise devint encore plus florissante, mais l'argent continuait à rentrer d'une manière tout à fait agréable. Mon nouvel avocat, James Johanssen, était une a sorte de Josh dernier cri. Plus classe, plus cultivé, une plus grande noblesse dans le regard, ses conseils étaient presque aussi précieux que ceux de Wyte. Seul bémol, son air froid permanent qui lui donnait presque l'air d'un mortvivant. On aurait dit un vieux bourgeois mal à l'aise en compagnie du peuple. Durant cette période, il y a un autre fait important à nommer, c'est la capture de l'As. Ce dernier s'était fait prendre au Mexique durant une partie comportant des indics et aujourd'hui il croupissait dans une prison d'Amérique du Sud. J'étais libre à nouveau, libre de vivre sans la peur et se diriger mon organisation. Et enfin, enfin il y avait Lily. En quatre ans, la jeune fille avait beaucoup changée. Tout d'abord, elle avait mis fin à ses cours de dessin, estimant qu'elle avait atteint un stade où l'on ne pouvait plus rien lui apprendre. À la place, elle s'était concentrée sur sa nouvelle passion : la gymnastique. La petite raflait tous les prix, elle adorait ça et c'était extrêmement gratifiant pour elle de voir qu'elle y avait du talent. Rapidement, ce sport avait aussi pris le pas sur la danse et désormais, elle alternait entre piano et gym. Ensuite, pour son caractère, le plus simple serait de dire qu'il s'était affirmé. Elle avait pris confiance en elle et il était impossible pour elle d'imaginer ne pas avoir le dernier mot lors d'une discussion, quitte à hausser le ton et à user de ses capacités. Ce côté grande-gueule lui avait d'ailleurs valu la haine de ses professeurs, ça et
son carnet de note. En effet, Lily se laissait aller, ses bulletins étaient de plus en plus médiocres, ce qui ne semblait pas la déranger. Pourtant, la petite était manifestement très intelligente. Elle exposait d'ailleurs cette intelligence lorsqu'elle analysait les films. Car oui, en plus de la gym, elle s'intéressait grandement au cinéma. Pas comme une spectatrice lambda mais bien comme une critique avertie. Du reste, je n'avais plus à l'emmener en colonie lorsqu'elle venait à la maison, étant donné qu'elle passait ses journées en compagnie de Laura à faire les magasins ou à bronzer sur la plage. Elle était très sociable et semblait avoir une grande troupe d'amis à Los Angeles avec qui elle passait son temps. Au final, je passais plus de temps avec mes hommes qu'avec ma fille, ce qui me faisait beaucoup de peine. Mais c'était une fatalité. Je devais choisir entre mes deux familles.
Chapitre 92 : Parrain -C'est une simple question, répétais-je. Il ne t'arriveras rien si tu donnes la réponse, ne t'en fait pas. Assis sur mon immense fauteuil, séparé par mon bureau de l'homme que j'interrogeais, je tachais d'avoir l'air le plus impassible possible. Mieux encore, j'avais plaqué un sourire réconfortant sur mon visage dans l'espoir que les aveux arrivent prochainement. Tom, quant à lui, faisait sauter son regard de son ami à moi, il paraissait terrorisé et c'était tout à fait compréhensible. Au niveau des aisselles, je pouvais voir la transpiration sur sa chemise. Sur le terrain, il était peut être un meurtrier sans état d'âme, mais ici, il ressemblait à un enfant qu'on s'apprêtait à gronder. -Je ne l'ai dit à personne, ce n'est pas moi ! Jura-t-il. -Tu étais le seul à connaître l'information avec moi, pourtant la transaction a mal tournée. Il y a forcément quelqu'un qui a craché le morceau. -Et si c'était le vendeur ? Je n'ai jamais fait confiance à Joe ! -Tu sais ce que je pense des gens qui dénoncent les autres pour sauver leur peau ? Joe est un homme de confiance, bien plus que toi, je n'imagine pas une seule seconde qu'il puisse donner ce genre d'informations à la concurrence. Je vais donc me répéter : À qui l'as-tu dit ? Il était hésitant, tremblotant, malgré son costume sur-mesure à plusieurs milliers de dollars, je retrouvais là l'enfant des bas-quartiers, je retrouvais la misère dans son regard. Cela faisait trois ans qu'il était sous mon aile et il comprenait que peu importait sa réponse, notre collaboration s'arrêterait là. Jimmy, sur le fauteuil d'à côté, n'arrivait même pas à regarder son ami dans les yeux, comme s'il fuyait la vérité. -Bon, je l'ai peut être dit à une prostituée, révéla Tom. J'étais bourré, on était à deux sur le lit, on venait de le faire et puis on a commencé à parler, je pouvais pas savoir qu'elle bossait pour Jasper. -Tu ne pouvais pas savoir qu'elle bossait pour Jasper ? Donc selon toi, si elle ne bossait pas pour Jasper, il aurait été normal de lui dévoiler un lieu de livraison secret ? -Non mais enfin je... -Pour ta gouverne, tu dois savoir que je ne gère aucun des réseaux de prostitution de cette putain de ville, alors s'il y a un mac quelque part, il travaille forcément pour la concurrence. Est-ce que c'est bien compris ? -Oui. Je suis désolé monsieur Da Silva. Il s'était replié sur lui-même, je voyais les larmes perler sur ses yeux. Il avait
parfaitement compris ce qui allait se passer. Avec un regard plein de bonté, j'ouvrais grand mes bras et lui fis signe de venir. D'abord étonné, le jeune homme quitta sa chaise et contourna le bureau pour venir se serrer contre moi en pleurant. Je collais mes bras dans son dos, essayant au maximum de le réconforter, de lui montrer que ce n'était pas grave. -Tu as compris ton erreur ? -Oui, monsieur Da Silva. -Tu vois, ce n'était pas si difficile. Il suffisait d'y mettre du tiens. Je ne peux pas te reprocher d'aller aux putes, je sais ce que c'est. Et puis après quelques verres, on ne sait plus ce qu'on dit. -Oui, c'est ça. -Tu es un bon gars, Tom, je n'ai pas l'intention de te faire du mal. D'autant que ton frère se marie dans le jardin en ce moment même, je m'en voudrais de gâcher la cérémonie en lui apprenant ta mort. Non, tu vas profiter de cette fête avec nous et ensuite, ensuite tu vas quitter cette ville et ne jamais revenir. Si je te revois ici, je n'aurais pas la même clémence. -Merci monsieur Da Silva, merci beaucoup ! Le "merci" s'apparentait plus à une supplication mais je n'y fit pas attention. Au lieu de ça, je desserrais notre étreinte, donnais une tape amicale dans le dos de Tom puis quittais l'ambiance tamisée du bureau pour rejoindre les grands couloirs de ma maison. À trois, nous traversâmes les gigantesques dédales en direction du jardin où la cérémonie de mariage battait son plein. J'entendais les gens chanter, danser, faire la fête, boire. Tout en marchant dans les couloirs, je passais devant la porte de la chambre de Lily où un panneau "ne pas déranger" avait été collé. Derrière cette porte, j'entendais la voix de ma fille ainsi que celle de Laura. Désolé qu'elles ne participent pas à la fête, je décidais de les y inviter en toquant contre le bois. -Qui c'est ? Demanda Lily avec agressivité. -C'est papa ! J'aimerais savoir pourquoi tu n'est pas avec les invités. -Pas envie. -Allez ! Tu vas t'amuser, j'en suis sûr. -J'crois pas, non. -Lily, je ne tolérerai pas ce genre d'impolitesse. Lorsque nous avons des invités, la moindre des choses est de les saluer. -C'est toi qui les a invité, pas moi, pourquoi tu m'inclus dans tes trucs ? -Je peux rentrer au moins ? -C'est ta maison... En essayant de camoufler la rage paternelle qui bouillonnait en moi, je pénétrais
dans la chambre de ma fille. La pièce était immense, deux fois plus grande que la mienne. Accroché sur un mur entier, on ne pouvait pas manquer l'écran géant dernier cri actuellement éteint. Juste à côté, l'entrée sur la salle de bain personnelle côtoyait celle vers le dressing. Au centre de la pièce, sur le tapis de gym, on pouvait voir des barres parallèles ainsi qu'une boîte de talc encore ouverte. Le tout était saupoudré de multiples vêtements et sous-vêtements féminins qui s'étalaient un peu partout. Dans cet environnement, assise en tailleurs sur le lit, Lily et Laura regardaient dans ma direction. Mais là où la fille d'Albert avait presque l'air honteuse, Lily me fixait de ses yeux profondément bleus, sans jamais détourner le regard. Cette couleur saphir reflétait tous les reproches qu'elle me lançait sans même ouvrir la bouche. -Bon, t'es rentré, c'est cool. Maintenant, à part me faire rentrer dans tes merdes illégales, explique moi l'intérêt de me joindre à vous. -Comment ça, mes merdes illégales ? C'est un mariage ! -Ouais, ouais -elle jeta un regard vers Tom qui se tenait dans mon dosN'empêche que vu le regard du frère du marié, vous ne devez pas avoir parlé que de la cérémonie. Papa, je galère déjà à assumer ce que tu fais, mais t'as vu, je te fais pas chier, alors ne m'oblige à rejoindre vos fêtes de merde. -Si tu m'avais expliqué ça calmement, j'aurais peut être accepté de te laisser là, mais étant donnée ton insolence... -Non, tu m'aurais obligée à sortir quoi qu'il arrive. Donc si tu veux que tous tes invites voient que t'es incapable de te faire respecter par ta fille, alors je t'encourage à me faire descendre. Par contre, si je reste là, il n'y aura que le gars qui va bientôt se faire assassiner et son ami qui seront au courant. -T'es contente hein ? Ça te fait plaisir de me faire chier ? -Je suis contente de voir que quand tu essais de me faire chier, j'ai des arguments pour contrer. -C'est ça, c'est ça. En voyant le sourire satisfait qui s'était posé sur le visage pourtant si doux de mon enfant, je ne pu m'empêcher de claquer la porte avec violence en quittant sa chambre. Dans le couloir, Tom semblait interloqué par ce qu'il venait de voir. -Comment savait-elle que je... -Longue histoire. Oublions tout ça et allons faire la fête ! Après tout, on ne se marie par tous les jours. Après deux gorgées de ma flasque, les récents événements me paraissaient déjà loin et je pus rejoindre joyeusement les multiples personnes qui dansaient et discutaient dans mon jardin. Entre les buffets, les chanteurs, les stands d'activités, les invités et la décoration,
il me fallut un certain temps pour retrouver les mariés mais j'y parvint. Discutant avec un groupe de gens, ils sourirent en m'apercevant. -Monsieur Da Silva, me salua Élodie. C'est vraiment adorable ce que vous avez fait pour nous, je ne sais pas comment vous remercier. -Ne me remerciez pas, soyez heureux, c'est tout. -On y compte bien, renchéris Chris, le frère de Tom. -Dans ce cas c'est parfait ! Où comptez-vous aller pour la lune de miel ? -En Espagne, aucun de nous deux n'y est allé et ça a l'air fantastique. -Oui, j'ai eu la chance de m'y rendre, il faut juste faire attention au soleil lorsque l'on va trop au sud. C'est un vrai brasier. -Je n'en doute pas. Toujours en souriant, je serrais la main du nouveau couple avant de rejoindre le buffet le plus proche et de m'y servir une coupe de champagne, puis deux, puis trois, sous le regard inquiet du serveur. Quand enfin je fut rassasié, je rejoins une des tables en bord-de-fête pour m'y installer et réfléchir à ce qui venait de se passer avec Lily. Fort heureusement, Albert vint m'interrompre dans mes élucubrations. -Alors Mike, ça va ? On dirait que tu t'ennuies ? -Non, c'est Lily. J'ai l'impression qu'elle ne me respecte plus. -Tu te fais respecter par la totalité de la ville, je vois mal comment une petite fille pourrait te manquer de respect. -C'est ça le problème, j'éduque mieux mes hommes que ma fille. Là je lui ai proposé de descendre, elle a refusé impoliment. -Ce sont les ados, elles sont toutes comme ça, Laura y compris. -Quand je l'ai vu, ce n'est pas l'impression qu'elle a donnée. Elle avait presque l'air de se sentir honteuse en voyant Lily me parler ainsi. -C'est normal, on se permet des trucs qu'avec ses propres parents. Tu verrais chez moi, Lily est un ange et Laura une peste. Ça va leur passer, la tienne n'a même pas encore quinze ans. -J'espère tellement que tu as raison. À l'époque, j'avais peur qu'elle devienne une salope, au final je crois que j'aurais préféré une salope respectueuse à ça. -Ce que je vais te dire ne va peut être pas te faire plaisir à entendre, mais ce n'est pas en disant ce genre de choses que tu vas améliorer la situation. "Considère les gens tels qu'ils devraient être et peut être qu'ils deviendront ce qu'ils sont". Si tu la traite comme une peste, elle sera une peste. Offre lui de l'autonomie, des responsabilités, là elle se sentira plus mature et gagnera en respect. -Peut être, peut être. Pendant les quelques secondes de silence qui suivirent, je finis le contenu de ma
flasque en quelques gorgées avant de la ranger dans ma veste. Malgré l'agitation et la verdure du paysage, je me sentais triste. -Lily vient à la fête de ce soir ? M'interrogea Albert. -Quelle fête ? -Laura organisa une fête à la maison avec quelques amis, je crois que ta fille est invitée. -Elle ne m'a rien dit. -Donc probablement que non. -Oh, si, simplement elle s'en fout que je sois ou non au courant. Cette petite merdeuse ne me respecte pas comme je te l'ai dit. Elle va sortir en cachette et quand je l'appellerais pour manger, elle va espérer que je m'inquiète pour elle en croyant qu'elle a disparu. Je vais l'appeler au téléphone et elle va faire exprès de ne pas répondre, voilà ce qui va se passer. -Tu t'emportes un peu, je crois. Lily n'est pas machiavélique, c'est juste une ado. -Une putain d'ado machiavélique de mes deux. Putain ! Pourquoi elles ne restent pas gamines toute leur vie ? -Il y a des hauts et des bas. Quand elle est petite, elle pleure tout le temps, c'est horrible, mais ensuite elle devient super mignonne et tu ne peux plus t'en passer. Après ça, elle devient insupportable et casse-couilles, mais c'est pour mieux devenir ta fierté lorsqu'elle sortira d'une école prestigieuse, le diplôme en main. -Vu ses résultats, je ne serais pas surpris qu'elle quitte l'école avant la fin de l'année. -Ça c'est embêtant. Tu as pensé à un prof particulier ? -Oui, à chaque fois ils disent qu'ils ne peuvent apprendre qu'à ceux qui veulent apprendre. Lily est un putain de cas désespéré. Je crois que je vais la laisser à sa mère. -Et moi je crois que tu le regretterais. Je balayais cette hypothèse d'un geste de la main avant de me lever. Tout en expliquant à Albert que j'allais revenir, je me dirigeais vers le buffet où je m'enfilais un toast au foie gras et cinq flûtes de champagne. De retour à table, ma tête commençait à tourner légèrement. -Je pense que le problème, c'est qu'il s'agit de filles, m'expliqua Albert. Elles ont plus de caractère, un plus grand besoin de s'affirmer. -Mon cul ouais, j'étais bien pire qu'elle à son âge. Le problème il est dans les gènes, j'étais un connard, c'est une connasse, voilà tout. -Non mais tu t'entends ? C'est ta fille quand même ! -Et alors ? Qu'est-ce que ça peut me foutre que ça soit ma fille ou non ? Une connasse reste une connasse. -Elle est comme ça tout le temps ? Peut être qu'on est simplement dans une mauvaise période...
-Elle a ses règles au début du mois, on est en plein milieu, c'est pas ça. -Il n'y a pas que ça, Mike ! Sinon les mecs ne seraient jamais énervés. -T'en as pas marre de la défendre. Tu sais quoi ? On va aller la voir, tu vas comprendre ce que c'est. -Si tu veux. D'une démarche décidée, le PDG de M.D.S. sur les talons, je rejoignais l'imposante porte de ma demeure. Dès que le seuil fut franchi, nous retombâmes dans le calme. Ici, plus de discussion ni de chants, uniquement la résonance de nos pas sur le sol. En moins d'une minutes, nous étions en face de la chambre de Lily et mon ami était en train d'y toquer. -Quoi encore ? -C'est Albert, Lily il faut que je te parle de ton père. -Pourquoi ? -Parce que ! Je peux rentrer ? -Bah ouais. Sous les ordres de ma fille, il referma la porte derrière lui et passa les dix minutes suivantes à discuter sans que je ne puisse entendre le moindre mot. Je ne faisais qu'attendre patiemment, adossé au mur du couloir. Quand enfin il sortit, il ne m'expliqua pas tout de suite ce qui s'était dis mais me fit redescendre au cœur de la fête. En passant devant le buffet, j'en profitais pour boire deux autres coupes de champagne avant de m'asseoir à notre table. -Tu ne vas probablement pas aimer ce qu'elle a dit. -Balance, je m'en fou. -Lily trouve ça étouffant de vivre avec un mafieux ivrogne, de devoir supporter des crises d'alcoolique, tes maux de têtes, de devoir t'aider comme si elle était ta mère, le tout en sachant qu'à côté, tu ruine la vie de centaines de personnes. C'est très dur pour elle de savoir ce qu'elle doit faire parce que tu as beau être son père, elle ne peut pas se résoudre à assister un meurtrier. -C'est juste un putain de dilemme moral ? C'est ça son excuse ? Mais qu'elle aille se faire foutre, j'ai pas besoin de son aide moi ! Qu'elle reste dans sa chambre et qu'elle fasse pas chier ! -Mike, tu es ivre, je pense qu'il vaut mieux que... -Je vais très bien et je t'emmerde, toi aussi tu prends sa défense. Tout le monde est contre moi ici ou quoi ? Désemparé, mon ami pris congé de moi et, pour ce qu'il avait à me dire, ça n'était pas une grosse perte. À sa suite vint l'un de mes hommes, Guillaume. Vêtu d'un costume noir, je compris immédiatement qu'il était venu me
demander quelque chose. -Monsieur Da Silva, commença-t-il avec un voix hésitante. J'ai une demande à vous faire. -Vas-y, mais je te préviens, tu pouvais difficilement trouver pire moment. -Je peux repasser si vous voulez. -Non, vas-y. -Eh bien j'ai un ami, Lee, et il galère un peu à trouver de la thune. Je lui ai dit que peut être vous pourriez essayer de lui dégoter un travail. -Va voir avec Marina, c'est elle qui s'occupe du recrutement, mais en tout cas, pour moi c'est oui. Du moment que ton gars est réglo, on ne dit jamais non à des nouvelles têtes. -Merci, monsieur Da Silva, merci beaucoup. -Ça me fait plaisir. J'en avais marre de tout ça. Malgré tous les convives, je me sentais plus seul que jamais. Je ressentais l'ennuie, la tristesse, la mélancolie. Je me levais pour aller chercher à boire mais le sol se mettait à tourner autour de moi. Péniblement, j'atteignis le buffet, mais chacune des bouteilles étaient vides. Quelqu'un avait vidé mes bouteilles, j'avais payé ces bouteilles et quelqu'un avait décidé que je ne pourrais pas en profiter. M'appuyant sur la nappe pour ne pas perdre l'équilibre, je commençait à hurler. -Qui a fini le champagne ? Bordel de merde ! Si j'achète du champagne, c'est pour qu’il y en ai, pas pour faire joli ! À quoi ça sert d'avoir des putain de bouteilles vides sur la table ? À quoi ? Bah je vais vous le dire ! À rien ! -Qu'est-ce que tu fous Mike ? Me demanda Albert. Calme toi. -Ferme ta gueule toi ! Elles sont pas à toi ces bouteilles ! Je suis sûr que tu fais parti de ces enculés qui les ont vidés pour pas que je puisse en boire ! Vous êtes tous des putain de salaud ! Tous ! Je ne compris pas vraiment ce qui se passa ensuite. C'était une sorte de mutinerie, une horde d'hommes se jetèrent sur moi, me maîtrisèrent et me firent me coucher dans mon salon, seul à l'écart du monde, trop laid pour être partagé. Le dernier souvenir de cet après-midi, c'est le passage de Lily qui, après m'avoir aperçu en raccompagnant Laura jusqu'à la porte, se dit pour elle même : -Il fait vraiment pitié...
Chapitre 93 : Jeunesse La dernière couche de vernis venait d'être appliquée, je regardais mes ongles désormais bleus avec un air satisfait. Comme je l'avais prévu, le résultat final me rappelait la couleur que je pouvais voir en fixant mes yeux dans un miroir. Entièrement satisfaite, je lançais un regard en direction de la boîte du vernis pour me rappeler que c'était celui-là qu'il me fallait désormais acheter. N'étant plus disposée à faire usage de mes mains dans l'heure qui allait suivre, je me contentais de lever les yeux vers mon écran qui diffusait le dernier épisode de "Black Mirror". Couchée sur mon lit, emmitouflée dans ma serviette de bain, les cheveux encore légèrement humides, j'aurais été au paradis si j'avais été capable d'oublier l'ivrogne qui buvait à l'étage du dessous. Par moment, je ne pouvais m'empêcher de soupirer en regardant le bazar environnant, il y avait sûrement plus de vêtements ici que dans ma penderie. Je me décidais alors à mettre sur pause ma série pour me concentrer sur le rangement de ma chambre, tout en prenant soin de ne pas abîmer mon vernis. À peine deux minutes plus tard, un gros tas d'habits trônait juste à côté de la porte, attendant que quelqu'un ne daigne les mettre à laver. De nouveau installée confortablement sur le lit, je pouvais reprendre mon épisode, du moins jusqu'à recevoir un message de Laura. Laura : Tu viens à quelle heure ? Moi : jsp les autre vienne quand ? Laura : 21h Moi : C grave bientot Moi je vien apres je fini un truc Je suis meme pas habillée ^^ Laura : Ok t'inquiètes Un rapide coup d'œil vers mon réveil m'indiqua qu'il était déjà vingt-et-uneheure moins dix. "Black Mirror" allait se terminer dans trente minutes, c'était trop long, d'autant que le trajet d'ici à la maison de mon amie prenait déjà une bonne dizaine de minutes. Par conséquent, j'éteignis mon écran afin de rejoindre mon dressing. Là, j'observais mes vêtements en analysant les choix qui s'offraient à moi. Je pouvais la jouer décontractée ou robe de soirée, le second cas était plus adapté à la situation mais il pouvait donner l'impression que je souhaitais me trouver quelqu'un. La tenue décontractée me faisait passer pour quelqu'un de détendue, qui ne se prends pas la tête, en plus de limiter les envies de drague sur ma personne. En suivant ce raisonnement et toujours en évitant de gâcher mon vernis, j'enfilais un jean noir très serré et un T-shirt à manches courtes blanc. Tout en
balançant mes mains en tous sens pour essayer de faire sécher le bleu sur mes doigts, je me rapprochais de ma boîte à piercing. Dans le petit coffret rangé sur l'étagère de ma salle de bain, j'avais le choix entre des cœurs, des têtes de morts, des étoiles ou de simples boules métalliques grises. Par le même raisonnement que pour mes vêtements, je jetais mon dévolu sur les billes métalliques. Face au miroir, je tirais la langue pour y laisser apparaître deux trous imperceptibles à ceux qui en ignoreraient l'existence. Tachant au mieux de ne pas bouger et d'oublier la légère douleur que cela m'infligeait, j'accrochais les deux sphères métalliques avant d'admirer le résultat de mon venom. Après avoir remercié intérieurement ma mère de m'avoir laissé me faire percer la langue, je ramassais mon pyjama et le fis rentrer dans mon sac. Ensuite, ce fut au tour de la brosse à dent, des vêtements du lendemain, de mon portable, puis je fus fin prête à quitter cette maison pour rejoindre ma meilleure amie. Je sentais mon rythme cardiaque commencer à s'accélérer, je n'avais jamais été fan des soirées. Entre amis ça allait mais j'avais cru comprendre que je ne connaissais aucun des invités et c'était quelque chose d'assez agaçant. Depuis le couloir, j'entendais mon père qui buvait, c'était affligeant. Il ronflait presque, c'était comme un râle, celui d'un géant endormi. À défaut d'être endormi, au moins était-il soûl. Je ne l'avais pas prévenu au sujet de cette fête et je savais qu'il refuserait que j'y aille, malgré ça je n'étais pas prête à refuser l'invitation pour autant. C'était pourquoi je descendais l'escalier dans la plus grande des discrétions, tâchant au mieux de passer inaperçue. Chaque marche était une épreuve, j'usais de tous mes talents en agilité pour émettre le moins de perturbation sonore possible mais ces marches grinçaient trop, beaucoup trop. Au milieu de la descente, je l'entendis se lever puis se rapprocher de moi avec sa démarche d'ivrogne. Quand il arriva à ma hauteur, la première chose que je sentis fut son haleine qui empestait l'alcool. On entendait sa respiration à plusieurs kilomètres, elle trahissait son épuisement face aux quelques mètres qu'il venait de parcourir. Son regard était vide, pendant quelques secondes il se posa sur moi, comme pour essayer de comprendre ce qui se passait. -Je peux savoir ce qui s'passe ? Demanda-t-il en cherchant ses mots. -Je vais chez Laura. -Ah ? Et pourquoi tu ne m'avais pas prévenu ? -Tu m'en as pas laissé l'occasion, par contre je vais être en retard, faut vraiment que j'y aille. Tout en parlant, j'avais descendu les dernières marches de l'escalier. Nous étions
désormais à deux dans ce hall gigantesque et richement décoré, l'un regardant l'autre. Je me dirigeais maintenant vers le porte-manteau pour y récupérer mon gilet. -Je ne te laisse pas sortir si je ne suis pas au courant de ce qui se passe. -Je te dis, c'est une soirée chez Laura, tout va bien, on sera pas beaucoup. -Joue pas à ça avec moi, je sais ce que tu vas faire, tu me mens tout le temps. Son cerveau était au point mort, je pouvais enfiler mes baskets sans même qu'il ne hausse le ton. C'était comme s'il ne comprenait pas ce qui se passait, comme s'il suivait tout à travers un voile. Quand il était dans cet état là, ça ne servait à rien de discuter avec lui, je pouvais quitter la maison tranquille, il aurait tout oublié dès le lendemain. C'était triste à dire mais c'était le cas, à peine avais-je dépassé le seuil de la porte qu'il se rendit compte de son impuissance et repartit à la cuisine sans protester. Seule dans le jardin et la pénombre, mon sac à la main et un gilet sur le dos, je traversais l'immense allée entourée de grands cyprès pour rejoindre le portail métallique. Juste derrière cette merveille de beauté métallurgique, la limousine de mon père m'attendait, le chauffeur adossé à la portière, n'attendant plus que moi pour l'ouvrir avec un immense sourire sur le visage. Je me sentais coupable en voyant la fatigue apparaître sur son visage, savoir qu'il pourrait dormir chez lui si je n'avais pas été là était quelque chose de désolant, toujours est-il que c'était le travail qu'il avait choisi, je pouvais difficilement le renvoyer pour prendre un taxi. Je m'installais donc à l'arrière, m'étendant de tout mon long sur le canapé en cuir pendant que la voiture quittais sa place attitrée pour commencer son parcours dans les rues obscures de la ville. -À quelle heure viens-je vous chercher, madame ? -Euh... Ce sera demain, je vous appèlerais. Et puis arrêtez de m'appeler madame, ça fait bizarre. -Je vous appelle Lily ? -Ouais, c'est bien Lily. Pendant le trajet, je passais plusieurs secondes à inspecter la moindre parcelle de mon visage dans le miroir du mini bar. [oui, on avait un miroir sur le mini bar, je n'y suis pour rien]. Cheveux longs relâchés, en accord avec l'air détendu que je voulais donner. Pas de boutons, peau bronzée et unie, par conséquent, pas de maquillage nécessaire. Yeux bleus, harmonie parfaite avec mes ongles. Magnifique piercing venom sur la langue. Tout était parfait, je n'avais pas à me plaindre.
Il ne me restait plus qu'à espérer ne pas tomber sur une horde de garçons en manque qui allaient passer la soirée à essayer de me draguer alors qu'ils ne comprenaient même pas l'intérêt d'embrasser une fille. C'était assez contradictoire en fait. J'avais passé l'heure précédente à me faire belle et ça dans l'espoir de ne pas me faire draguer, j'étais vraiment stupide. En même temps, pouvais-je arriver en haillons dans le simple but de ne pas me faire accoster ? Non, c'était impensable. Il fallait faire un choix et je l'avais fait, j'allais simplement en subir les conséquences. Quand le véhicule s'arrêta en face de la villa où Laura m'attendait, le chauffeur se précipita pour m'ouvrir la porte avant que j'ai eu le temps de le faire moimême. Toujours avec ce même sourire, il me souhaita de passer une bonne soirée puis quitta le périmètre. De mon côté, j'avais toujours cette boule dans le ventre alors que j'avançais vers cette immense demeure sur la falaise. C'était avec une certaine hésitation que je pressais la sonnette et, la seconde d'après, mon amie m'ouvrait la porte. Sa rapidité de réaction me prouvait qu'elle était au moins aussi stressée que moi, simplement pas pour les mêmes raisons. Laura avait enfilé une robe noire, courte sans être aguicheuse, elle était sobre mais ça ne l'empêchait pas d'être belle. Mon amie avait utilisé un fer à friser et arborait désormais une chevelure ondulée, en plus d'un léger maquillage. Dès qu'elle vit que c'était moi qui avait sonné, un sourire s'empara de son visage et elle me fit la bise presque instantanément, machinalement. Après s'être reculée, elle m'analysa du regard. -Comme d'habitude, pas de robes, me reprocha-t-elle. -C'est un piège à mec les robes ! Tu te rappelle les trois gars à Burger King ? -Nan mais eux ils étaient pas normaux. -Ça, putain, c'est vrai. N'empêche que si on avait pas été en robe courtes, ça serait pas arrivé. -Moi je pense que c'était dû à notre charme naturel. -Ouais, c'est ça, rêve toujours. Tu vas me laisser entrer un jour ? -Ah ! Oui, désolée. En premier lieu, je déposais mon gilet sur le porte manteau de l'entrée. Une fois libérée de mon sac, j'observais le salon dans lequel j'allais passer la soirée. À travers la baie vitrée, on pouvait apercevoir l'immensité de l'océan ainsi que les vagues qui se jetaient contre la falaise. Ce n'était pas l'extérieur qui m'intéressait mais bien les invités et je fut au regret de remarquer que sur les six filles présentes, toutes avaient revêtu une robe. Au final, ma tenue décontractée allait plutôt me faire passer pour une négligée. Au bout de sept ans, je n'avais toujours pas compris les différences
vestimentaires entre ici et New York. Là-bas, les gens portaient des tenues urbaines, supportaient le brouillard et la pluie, par conséquent la moindre jupe semblait provocante. Ici, sous la chaleur de la Californie, les gens passaient leur temps en tenue courte, voir même en maillot de bain, enfin bref, je venais de commettre une faute de goût stupide. Les garçons, quant à eux, portaient chemises et jean, rien de bien extraordinaire en fait. En tout, on pouvait dénoter trois groupes, le premier se composait de trois gars légèrement moins bien habillés que les autres et qui étaient très loin des canons de beauté, l'un d'entre eux passait même son temps à jeter des regards aux alentours comme pour se demander s'il ne descendait pas dans l'échelle sociale en restant avec eux. Le deuxième groupe se constituait de deux filles, une blonde et une rousse, qui auraient été plutôt mignonnes si elles n'avaient pas recouvert leurs visages de dix kilos de maquillage. Décolletés plongeant mais robes longues et larges, elle se pensaient trop grosses et essayaient de le cacher. Bref, de jolies complexées, le genre de filles superficielles qui m'insuportaient. Le dernier groupe comptait trois filles et un garçon, l'homme avait une gestuelle légèrement efféminée et des vêtements serrés, preuve qu'il passait la plupart de son temps en compagnie du sexe opposé mais en toute amitié. Sur les trois filles, il y en avait une qui paraissait légèrement plus mature que les autres. Son maquillage faisait adulte et elle était la seule de la pièce à ne pas avoir les cheveux longs. Les deux autres, deux brunes à la limite d'être enrobée, semblaient là uniquement pour rire aux blagues du garçon. -Je vais te présenter, me dit Laura en me tirant par le bras avant de me lâcher en se rendant compte de ce qu'elle faisait. Pendant presque cinq minutes, elle me fit circuler dans les groupes pour m'apprendre les noms de chacun et me faire connaître auprès des gens. Je remarquais d'ailleurs qu'elle avait parlé de moi à bon nombre d'entre eux. Une fois cela fait, j'avais le devoir de choisir un groupe. Mon amie avait pris celui du garçon efféminé mais si je voulais profiter de la soirée, j'allais devoir me débrouiller par moi-même, aussi me dirigeais-je vers le groupe des trois garçons. -...que le grab marche pas quand t'es stun, du coup faut faire gaffe. -Ouais, mais si tu prends Purge, ça passe crème. -Plus personne prends Purge mec, c'était fini même quand le jeu est sorti. -C'est pas ma faute si personne ne sait jouer. -Plus inutile comme sort ça existe pas, mais bon on s'en fout. Le fait est que c'est mort parce que le Taric est ... Ah salut. -Salut, dis-je avec une légère hésitation.
On s'était déjà vu, le fait de rajouter le salut montrait qu'il était au bord de la panique. C'était le garçon qui était mal à l'aise, celui qui avait peur de descendre dans l'échelle social, il s'appelait Baptiste. À son regard, je compris qu'il n'était pas fier de parler jeu vidéo devant une fille. J'avais décidé de m'amuser et si je voulais trouver un sujet de discussion intéressant, c'était probablement chez les geeks qu'il serait, le reste se résumant en ragots et commérages. Le principal avantage était que je n'allais pas avoir à me faire accepter, ils n'avaient aucune raison de me repousser. -Vous parlez de quel jeu ? Demandais-je. -C'est LoL, je sais pas si tu connais... Répondit James. -Mais c'est pas important, l'interrompit Baptiste. Tu joues pas trop aux jeux vidéos je suppose. -Qu'est-ce qui te fait dire ça ? -J'en sais rien, généralement c'est pas trop un truc de... Enfin tu vois quoi. -Ouais, c'est un peu cliché mais c'est vrai, je joue pas trop. En fait, je suis plutôt cinéma. -Ah ouais ? T'aime plutôt quoi ? -Tout, du moment que c'est bien fait. -C'est à la limite du vague ça. -Je sais, je sais, mais c'est vrai. -Moi je suis surtout genre films de super héros, de la bonne grosse action. [Bon, ok, je m'étais trompée, les geeks n'avaient pas forcément de goût en cinéma.] Prétextant une envie d'aller aux toilettes, je me libérais de leur contact pour rejoindre les WC de Laura. Simplement, alors que j'allais quitter la maison, le dernier invité arriva et mon amie s'empressa d'aller lui ouvrir. Brun, plutôt grand, musclé, visage anguleux sans être agressif, deux magnifiques yeux noisettes, une peau parfaitement bronzée, une chemise rouge à carreaux, un jean bleu délavé, des chaussures de marque [Oh mon dieu je m'emporte]. Depuis mon point d'observation, je le regardais discuter avec Laura dans l'entrée puis faire le tour des invités comme je l'avais fait avant lui. Toujours souriant, il faisait la bise aux filles et serrait la main des hommes. Quand ce fut mon tour, j'eu une certaine hésitation en lui tendant ma joue. Il avait mis du parfum, j'aurais été incapable d'en donner le nom précis mais il était des plus agréables. -Salut, moi c'est Damien. Et toi ? -Moi ? Euh ... Bah ... Lily. -T'avais oublié ton nom ? J'en connais une qu'a déjà un peu bu.
-Non, c'est pas ça, je bois même pas de toutes manières. -Ah ? Pourquoi ? -Problèmes parentaux, ça me donne pas très envie. -Je comprends ouais. Léger blanc, une seconde, deux secondes... Je devais trouver un truc pour le faire rester, un sujet intéressant. -D'où tu connais Laura toi ? Demandais-je. -J'suis dans sa classe, et toi ? -Nos parents sont amis, du coup son père avait l'habitude de me garder avec elle. -Je t'ai jamais vu au lycée, t'es d'où ? -New York, ouais je sais c'est pas la porte à côté. Je passe de mon père ici pour les vacance à ma mère là-bas pour les cours. -Chaud ! Pas trop dur de tout le temps traverser le pays ? -On s'y habitue avec le temps. -Dans ce cas là c'est cool. Ça te dérange pas si je passe prendre à boire ? -Non, vas-y. Debout au plein milieu de la salle, droite comme un stupide piquet, je restais à attendre qu'il aille chercher sa bouteille de bière. J'admirais sa démarche, il avait l'air tellement sûr de lui, et il avait tellement raison de l'être. Sa voix était comme une mélodie dans mes oreilles. Quand il revint, ses yeux se posèrent sur moi et j'y sentis immédiatement une certaine gêne, j'étais prêt à parier que c'était parce que j'étais en train de rougir. Je devais me contrôler, on ne se connaissait que depuis trente secondes, il pouvait être très con, ce n'était pas parce qu'il était juste beau que je devais tomber sous son charme. -Ils sont bizarre tes yeux, m'avoua-t-il. Pas dans le mauvais sens, au contraire, mais ils attirent le regard. -Merci... C'est vrai qu'ils ont un bleu bizarre, je sais pas pourquoi. -Donc c'est pas des lentilles ? -Non, c'est complètement naturel. Quand j'étais petite ils étaient pas comme ça, du coup je sais pas. -En tout cas c'est grave beau. Mais euh, je me demandais, t'es pas Lily Da Silva quand même ? Je détestais aborder ce sujet. Mon nom était plus une honte qu'autre chose, mais dans le cas présent, si Damien ne connaissait que la face de publique de mon
père, je pouvais essayer de m'en servir. Je n'arrivais pas à le croire, moi, j'étais en train de draguer. Moi ? -Oui, c'est moi, mais j'ai pas trop envie d'en parler. -Pourquoi ? C'est trop la classe non ? -Même. Je préfère qu'on me juge sur moi même plutôt que sur les exploits de mon père. -Ah ouais, je vois. Mais du coup, je me suis toujours demandé, en vrai il est cool ? Parce qu'on le voit toujours sympa et tout dans ses remises de dons, mais dans la vie, il est aussi comme ça ? -C'est un connard et un ivrogne, d'autres questions ? -Tant que ça ? -T'as pas idée sauf que j'ai pas envie de m'attarder dessus. -Ok, ok, dans ce cas tu veux parler de quoi ? Il me laissait choisir le sujet de la discussion, ça signifiait que je l'intéressait. Avant de lui répondre, je jetais un coup d'œil vers les deux filles qui riaient dans un coin de la pièce en nous regardant et dont j'avais compris la discussion. -Tu regardes quoi ? -Nan, rien. Bon, sinon, tu vas souvent au cinéma ? -Ouais, tant que faire se peux. -C'est à dire, t'aimes plutôt quoi ? -Tout, du moment que c'est bon. Et toi ? Ok, il venait de m'achever. Il était parfait. J'étais sans défense. -Pareil, j'aime à peu près tout. Principalement le film d'auteur mais grand publique genre Nolan ou Tarantino. -Deux génies ! Nolan, putain la claque d'Interstellar ! Quand j'ai vu ce film, j'étais encore un gamin, c'est lui qui m'a fait tomber amoureux du cinéma et je... Et moi tu m'as fais tomber amoureuse de toi. Je n'arrivais même plus à suivre ce qu'il me disait, je ne faisais que regarder ses lèvres s'ouvrir et se fermer, je me laissais bercer par le doux son de sa voix sans comprendre les mots prononcés. Il parlait avec passion, il connaissait son sujet, je regrettais presque de manquer les propos qu'il tenait mais j'étais incapable de me concentrer. -Ça va ? M'interrogea-t-il. -Euh... Oui ... Oui ça va. Je vais aux toilettes, attends. -T'inquiètes, j'attends. -Merci.
C'était presque au pas de course que je courus m'enfermer dans les cabinets pour me confronter à mon reflet dans le miroir. Rapidement, je me passais de l'eau sur le visage avant de me fixer droit dans les yeux. -Panique pas, me dis-je à moi même. Ok il est beau, ok il a l'air intelligent, ok il kiffe le cinéma, ok tu lui plais, mais et alors ? C'est juste un mec, arrête d'avoir l'air aussi conne et reprends toi ! Déjà, tu le connais depuis moins d'une heure, c'est peut être un connard à côté. Ensuite, te laisse pas attraper aussi facilement, reste autonome au moins pour la soirée. T'as qu'à lui demander si il reste dormir et puis tu concluras demain matin. C'est ça, parfait, maintenant retournes-y et explose la baraque ! Déterminée, je rejoignis le salon où les meubles venaient justes d'être poussés sur les côtes. Au centre de la pièce, on avait placé une sorte d'immense tapis qui allait sûrement faire office de piste de danse. À côté de la table où étaient entassées les bouteilles de bière, une énorme chaîne hifi n'attendait plus que l'on l'allume. Pendant un instant, je cherchais du regard Damien, angoissée à l'idée qu'il soit parti, pour le retrouver en compagnie des deux filles trop maquillées. J'en étais sûre, je lui avais dit de m'attendre et il ne m'avait pas écouté. Il avait préféré aller voir ailleurs. Je m'étais faite des idées sur lui, ou peut être que non. Toujours est-il que je ne pouvais pas le laisser avec ces deux allumeuses. Sans perdre de temps, je m'incrustais dans la discussion avec un faux sourire sur le visage, espérant pouvoir récupérer le garçon des griffes de ces deux pestes. -Vous discutez de quoi ? Demandais-je avec un air ingénu. -Dana me dit qu'elle fait de la danse en club, ça à l'air cool. -Ah ? Moi je fais de la gym, je me débrouille pas mal en compétition. Dans tes dents, la blonde. Il est à moi. -Tu fais de la compétition ? C'est cool ça ? Donc tu as des prix et tout ? -C'est ça, j'en ai un tas. Je suis arrivée première des 10-15 ans de New York l'année dernière. -Sérieusement ? La classe ! -Et ça sert à quoi dans la vie ? Interrogea Dana, légèrement jalouse. -À passer le temps, c'est cool, moi j'aime ça. Quand un mec fait du foot, ça sert à rien pourtant il en fait. -Ça sert, c'est pour jouer entre amis, la gym c'est un truc seul non ? -Ça dépend, mais dans ce cas là tous les sports seuls servent à rien. -La danse ça sert, c'est toujours beau de voir quelqu'un danser. -C'est toi qui le dit. -Toujours plus beau que de voir une fille tourner autour de deux barres.
-Parce que rester sur le sol en bougeant dans tous les sens c'est plus impressionnant ? -Je crois que ouais ! Je sais pas si tu sais mais tout le monde danse. -Ouais, c'est tellement facile que c'est accessible à tous. -Oh la la la ! Calmez-vous les filles, nous interrompit Damien. La danse et la gym c'est cool, pas la peine de vous mettre sur la gueule. Dana était au bord de l'implosion, je ne la connaissais pas mais je voyais à son visage qu'elle avait l'habitude de se disputer et qu'on était qu'à l'entraînement. Son amie quant à elle restait parfaitement calme. Mais le plus important était Damien qui, par son regard, m'informait qu'il venait de comprendre l'intérêt que je lui portais, l'intérêt que nous lui portions. -Je vais prendre une bière et je reviens, qui en veux une ? Le deux filles levèrent la main et je restais sans bouger. Est-que je devais boire pour avoir l'air plus cool ? Non, j'en étais incapable quoi qu'il arrive, c'était trop ancré en moi pour se détacher en un instant. -Tu bois pas ? Me demanda Dana. -Non, pas besoin de ça pour m'amuser. -Tu sais pas ce que tu rates. -Si tu le dis. -Bah je le dis. -Bah tant mieux. -Bah parfait. -Rien à ajouter ? -Absolument pas. -Donc n'ajoutes rien. -Je fais ce que je v... Damien était revenu, il passa les bières à chacune des filles avant de poser les yeux sur Dana, ce qui fit monter une vague de jalousie en moi. Qu'est-ce qu'il pouvait bien lui trouver avec tout son maquillage et son décolleté beaucoup trop vulgaire. -Ouais donc on disait quoi ? -Bah qu'en danse je... Je. Toujours Je. Putain mais soit modeste au moins et ferme ta gueule. Même sa voix était agressive. Elle essayait de le draguer avec ça ? J'aurais été à sa place, je me serais déjà barré en courant. En plus elle ne s'arrêtait pas, "et patati, et patata, je raconte ma vie, je suis à peine chiante, je me baisse légèrement pour que tu vois mes seins, je me
mordille la lèvre parce que c'est trop sexy, je me passe la main dans les cheveux, et je continue à dire la merde, etc". C'en était trop, je ne pouvais plus l'écouter. Si je restais là encore une seconde, j'allais la frapper. Je pouvais me servir d'elle comme d'un test, si Damien revenait vers moi, il me méritait, sinon, si il restait avec cette pétasse, je n'avais aucune raison de rester avec lui. En conséquence, je décidais de rejoindre Laura qui, en cuisine, finissait de sortir du four quelques gourmandises à prendre avec les boissons. En me voyant arriver, elle sourit. Je pouvais lire la fatigue sur son visage, elle était épuisée d'avoir tout organisé. -Tu t'en sors ? La questionnais-je. -Ça va, ça va. Pourquoi t'es pas avec les autres ? -J'avais envie de te parler. Dis, tu vois Damien ? -Ouais, je vois. -C'est plutôt quoi son genre de fille ? -C'est pas vrai ? -Si... Aussi étonnant que ça puisse paraître. -Mais faut fêter ça ! J'avais presque peur que tu sois homo. Par contre Damien... Toi tu prends pas les plus faciles. -Je sais. Tu penses qu'il peut sortir avec Dana ? -Non ! Non c'est mort. Au mieux elle va le soûler et ils vont baiser mais pas plus. -Pourquoi tu l'as invité ? -Elle est sympa, j'invite qui je veux. -Sympa ? -Elle l'a dragué, hein ? Écoute meuf, fais pas ta jalouse alors que vous êtes même pas en couple. Tu restes calme, tu l'amène sur ton terrain et tu le finis. Il adore le cinéma, comme toi, vous pouvez parler de ça. -Je sais, j'ai essayé mais cette salope est arrivée et... -Aussi t'as pas pris la tenue parfaite pour draguer, la concurrence est rude. -J'allais pas me foutre à poil pour avoir un mec ! -Ça aide toujours. N'empêche qu'il va falloir que tu apprennes sur le terrain. Ris à ses blagues, ait l'air cultivée mais détendue et tout se passera bien, t'inquiète. Au pire tu peux rajouter des petits gestes sexy mais fait gaffe à pas faire salope. -Comme Dana ? -Bon ! Soit tu m'aides, soit tu retournes là-bas, mais ne restes pas là à insulter mes invitées. -Ok, ok, je pars. -T'es méchante ! -Je sais, je sais...
L'amener sur mon terrain, l'amener sur mon terrain, l'amener sur mon terrain. Et voilà ! Ils dansaient ensemble. Au moins c'était de la musique pop mais cela n'empêchait pas cette blondasse de prendre des postures suggestives tout en se collant à lui. Cette fille était d'un mauvais goût affligeant, pas le moindre amour propre. Pendant les trois minutes qui composaient la chanson, j'étais obligée de la voir se prostituer sous ses yeux pour obtenir son attention et le supplice était atroce. Elle donnait tout, parfois elle le regardait avec anxiété, espérant qu'il voit bien tout ce qu'elle faisait. Quand enfin la musique prit fin, je me précipitais sur la piste pour voler la place de Dana en face de Damien. On passait The Nights d'Avicii, j'adorais cette chanson et j'allais devoir y mettre le paquet. Ça commençait, je pouvais le faire, j'avais déjà fais de la danse auparavant, je devais juste être un peu rouillée à ce niveau là mais je pouvais le contrebalancer avec la souplesse acquise en gymnastique. En rythme, chaque geste était calculé, je suivais les tempos, je me remémorais mes cours, il fallait que je soit parfaite. Il fallait avouer que le jean n'était peut être pas un très bon choix pour les mouvements compliqués. La musique continuait, je le vis se rapprocher de moi, je devais rester concentrée, ne pas tout gâcher juste à cause de sa proximité, danser, danser mieux que l'autre pute. Elle c'était le genre de truc qu'on voyait au strip-club, moi c'était de la vraie danse, il ne pouvait pas la préférer. Lorsque le chanson s'arrêta, je me laissais tomber sur le fauteuil le plus proche. J'avais tout donné et ça avait porté ses fruits puisque Damien venait vers moi sous les yeux bouillonnant de rage de Dana. -Tu danse vraiment bien, tu t'entraînes souvent ? -Pas du tout, j'en ai juste fait en club à un moment mais ça m'a soûlé. Je préfère la gym en fait. Toi tu fais quoi comme sport ? -Athlétisme, du coup un peu de tout. Course, saut, plutôt polyvalent. -Ça explique les muscles, dis-je en riant. -Ouais, c'est ça. Dis, c'est un venom que t'as sur la langue ? -T'as remarqué ? Ouais c'est ça. Je tirais fièrement la langue pour qu'il puisse admirer mon piercing. Simplement j'étais tellement satisfaite de le voir me regarder ainsi que j'oubliais toute notion du temps et que je laissais ma langue pendre encore quelques secondes après qu'il eut cessé de l'observer. Me sentant complètement stupide, j'allais pour m'excuser en rougissant lorsque Dana, encore elle, l'appela depuis l'autre bout de la pièce. À mon grand désespoir, il la rejoignis sans se poser de question, moi sur ses talons.
La blondasse, son amie et le reste du groupe étaient assis en cercle et faisaient circuler deux joints. Légèrement déstabilisée, je ne laissais rien paraître et me contentait de regarder. -T'en veux ? Demanda mon ennemie à Damien. -Ouais pourquoi pas ? Et toi Lily, ça te dit ? J'étais dans la merde. Un autre "non" et j'étais cuite, ni alcool ni herbe, j'allais passer pour la meuf chiante de service et je ne pourrais plus rivaliser face à Dana. En même temps, je risquais quoi ? C'était ma première et probablement ma dernière fois, je n'allais pas devenir accro. Ce genre de truc devait griller les neurones si on en prenait régulièrement, je pouvais accepter, c'était bon. -Ouais, carrément que ça me dit. Heureusement que mes parents n'étaient pas là pour voir ça. Quand je vis le petit objet blanc se rapprocher de moi, je dois avouer que j'étais anxieuse. En le portant à mes lèvres, je me demandais quel genre de sensation j'allais en tirer, de quelle conséquence j'allais souffrir. Maladroitement, je tirais quatre inspirations avant de rendre la mèche à Damien. Peut être étais-ce un effet placebo mais je me sentais déjà légèrement désorientée. Je regardais le petit objet sacré faire le tour du cercle pour revenir vers moi en ayant perdu la moitié de sa longueur. M'étonnant moi-même, je n'hésitais pas en tirant les trois inspirations suivantes avant de le faire passer à nouveau. C'était étrange comme sensation, comme si j'étais dans un rêve. L'environnement était à la fois parfaitement net et parfaitement flou, présent et absent à la fois. Je fixais Damien pendant quelques instants, il était vraiment magnifique, j'étais presque hypnotisée. -Tu peux arrêter de me regarder ? C'est limite stressant là. -Désolée. -Eh les gens ! S'interposa le garçon efféminé. Ça vous dit qu'on fasse un action ou vérité ? Les voix me parvenaient déformées, je percevait bien chaque mot, chaque sens, mais en plus lent. À moins qu'il n'arrivent à une vitesse normale et que je mette juste plus de temps à les déchiffrer. Toujours est-il qu'à la question du garçon, tout le monde acquiesça et la partie commença. Désormais totalement désorientée, je m'assis en tailleur sur le sol, les bras posés sur les genoux. Les questions s'enchaînaient les unes après les autres, puis vint mon tour. C'était
l'amie de Dana qui avait la voix, je le regardais en souriant et espérant que sa demande ne soit pas trop sévère. -Action ou vérité ? -Euh ... Vérité. -Ok, dans ce cas, est-ce que t'es actuellement sur quelqu'un de la soirée. -Bah non ! Je suis sur le sol ! Dis-je en riant face à la stupidité de la question. -Ha ha, très drôle. Nan mais est-ce que tu comptes finir avec un des gars de la soirée ? -Euh... Possible. -Faut répondre, c'est le jeu. -Bah alors oui. Évidement, tous les regards se tournèrent vers Damien qui prit immédiatement un air innocent. Après cela, ce fut à mon tour de poser ma question et c'était Dana qui allait en payer les frais, je ne pouvais pas rêver meilleure vengeance. -Action ou vérité ? -Vérité. Bon, c'était une salope, j'en étais sûre. Si je demandais avec combien de mecs elle avait couché, peut être qu'elle passerait pour une allumeuse et perdrait donc de ses atouts. En même temps, elle avait quinze ans et on faisait tous partie de la classe supérieure ici, il était possible qu'elle ne fasse que se donner un genre et qu'elle n'ait jamais pratiqué. -Bon, tu te magnes ? -Attends, euh... T'as eu combien de mecs en tout ? -À partir de quand tu considères que c'est mon mec ? -J'en sais rien, vous vous tenez par la main, y'a des bisous, des trucs de couple quoi ! -Alors douze. -Douze ? Ok. Elle n'avait pas chômé. J'aurais peut être pu lui demander son nombre de conquêtes sexuelles finalement. C'était perdu de toutes manières, je me laissait donc bercer par les discussion alentours avant de redevenir le centre des attentions. -Action ou vérité ? M'interrogea Laura. -Action on va dire. -J'ai vu que vous vous adoriez, du coup tu vas embrasser Dana. -T'es pas sérieuse ? J'étais trahie, trahie par ma meilleure amie, mais c'était le jeu et j'allais m'y plier.
Maladroitement, je quittais ma position pour m'avancer au travers du cercle et rejoindre la blondasse de l'autre côté. Le dégoût était palpable dans ses yeux la seconde où nos lèvres se touchèrent pour immédiatement se décoller. Laura éclatât de rire mais protesta quand même. -Un vrai baiser ! Au moins cinq secondes et avec la langue ! -Je te hais, meuf, je te hais ! -Ouais, Laura, t'abuses là ! Renchérit ma rivale. Je pouvais remercier le joint qui limitait mes sensations puisque je ne perçut pas grand chose de cet échange de salive. Je sentis juste les lèvres de Dana contre les miennes, sa langue dans ma bouche, puis tout s'arrêta d'un coup. -T'es contente ? -Carrément ! C'était à mon tour et j'allais me venger. Mon ancienne meilleure amie était la cible, je ne pouvais m'empêcher de me délecter à l'avance de cette future attaque même si mon cerveau fonctionnait bien trop lentement pour trouver une question suffisamment agressive. -Action ou vérité ? -Vérité. -Ta plus grande peur. -Les clowns. -Donc toi, un clown te fait plus peur qu'une horde de tueurs en série ? -Nan mais peur du quotidien quoi ! Sinon y a toujours pire. -Ouais, ouais, t'évites mes questions, je le vois bien. J'avais mal joué là, c'était évident mais j'éprouvais certaines difficultés à réfléchir. C'était à la fois gênant et agréable. Je ne pouvais plus penser normalement et c'était handicapant mais mes problèmes me paraissaient loin, comme tout mon environnement, ils étaient flous et c'était incroyablement relaxant. Le jeu prit fin une demi-heure plus tard et la musique put alors régner en maître dans le salon. Les gens se dispersèrent, certains allèrent sur la piste, d'autres à côté de la bière et moi, je restais en compagnie de Damien. -Il était très sexy ton baiser, m'avoua-t-il. -Je t'emmerde ! -Ça va, je rigole ! Quoique... -Fais pas chier avec ça, j'aimerais bien l'oublier. -Comme tu veux. Si t'as un mec, il devrait être un peu jaloux !
-Mais arrête, et puis j'ai pas de mec, sinon je te... Ouais non oublie. Foutu cerveau embrumé, je venais de me vendre. Bon, c'était déjà fait depuis le début de la soirée mais là je l'avais dit en face de lui et il allait me tourner en ridicule à coup sûr. -Sinon tu me... ? -Sinon je rien du tout. Oublie. -T'es là que pendant les vacances, c'est ça ? -Ouais mais je peux essayer d'inverser et de venir en cours ici ! Là t'es complètement coulée ma vieille. Tu vas supporter ton père pour ce bel étranger ? -T'es sûre ? Juste pour moi ? -Ça dépend. -De quoi ? -De toi. -Qu'est-ce que je dois faire ? J'étais complètement défoncée alors au diable les "pas le premier soir". Je venais d'embrasser une fille, je pouvais au moins profiter de ce gars. Ça faisait trop longtemps que j'en avais envie et le joint avait fait sauter toutes mes défenses. Je me penchais sur lui et déposais un court baiser sur ses lèvres avant de revenir en arrière et de lui sourire bêtement. D'abord, il fut un peu déstabilisé, puis me regarda en souriant. -On va danser ? J'avais gagné. Tout en me levant péniblement, je lançais un regard vengeur vers Dana. Elle avait perdu. C'était un slow, j'avais toujours détesté les slows. Désormais, j'adorais les slows. Sa tête sur mon épaule, la mienne sur la sienne. Sa main sur mon dos, la mienne sur le sien. Ma poitrine collée à la sienne, nos deux corps si près l'un de l'autre. Son parfum dans mes narines. Le flou du monde extérieur. J'étais au paradis. Des erreurs de tempo, des fautes au niveau des pas, nous en faisions plein à cause de la drogue mais ça n'avait pas d'importance, j'étais collée à lui et je ne m'en détacherais qu'à la fin de cette chanson. Fin qui arriva bien trop vite. -Moi je suis crevée, je vais sortir les sacs de couchage et puis je dort. Annonça
Laura. Elle faisait ce qu'elle voulait, moi j'allais passer la soirée avec Damien, toute la soirée... -La même, expliqua mon cavalier. Il est déjà trois heures du mat', je commence à les sentir passer. -Déjà ? -Bah ouais. Ne cachant pas ma déception, je l'embrassais à nouveau, profitait de ce baiser au maximum, puis quittais son contact pour récupérer mes affaires de nuit. Je m'enfermais ensuite dans la salle de bain pour retirer les vêtements et enfiler le T-shirt long qui me servait de pyjama. Apres quoi, je me brossais les dents avant de me laisser tomber dans le lit de la chambre d'ami, sur mes paupières fermées se dessinait le visage de Damien, un visage qui allait occuper toute ma nuit. Au matin, je fut réveillée par les rayons de soleil qui traversèrent les épais rideaux de la chambre. Me roulant sur moi-même en gémissant pour ne plus être gênée par la lumière, je tentais de me remémorer les événements du soir précédant. Après une longue analyse, j'en arrivais à la conclusion que j'avais fait un tas de conneries. D'abord, je m'étais droguée et j'avais embrassé un garçon que je connaissais à peine, les deux étaient intimement liés mais je ne m'en sentais pas moins idiote. Je me fit la promesse de ne plus jamais toucher à de l'herbe ainsi que de demander pardon à Damien. J'avais toujours détesté les gens qui faisaient ça dans les films mais j'allais devoir lui demander un peu de temps, je m'étais bien trop précipitée durant la soirée. En ouvrant un œil, je remarquais que le réveil indiquait midi. Honteuse d'être restée si tard au lit, je quittais le confort de mon matelas, encore légèrement endormie, pour ouvrir les rideaux de ma chambre et observer pendant quelques minutes l'océan se jeter inlassablement sur les récifs. Lorsque ma contemplation prit fin, je sortis de ma chambre et rejoignis la cuisine d'où s'élevaient les bruits des discussion. En arrivant, j'eu la satisfaction de voir que seul une mince part d'entre nous était déjà réveillée. Laura, qui avait dû être la première levée, s'était déjà douchée et habillée. Elle portait une jupe bleu et t-shirt rouge. Pendant qu'elle préparait des œufs au plat, je ressentis sa fatigue et compris qu'elle n'attendait plus que le départ des invités pour s'écrouler sur le canapé. Assises à la table en marbre, il n'y avait que deux personnes, mais les deux
mauvaises personnes. Dana, les cheveux pendouillant en arrière, ne portait qu'un short en toile extrêmement court ainsi qu'un soutien-gorge noir, ce qui offrait une vue sur son corps dont Damien semblait profiter. Ce dernier avait revêtu ses vêtements de la veille, il ne devait pas avoir de pyjama. Si il n'avait pas été en train de passer sous le contrôle maléfique de la blonde en sous-vêtements, j'aurais sûrement étais déçue de voir qu'il n'était pas venu dans un pyjama qui lui aurait laissé le torse nu. Toujours est-il qu'à mon arrivée, le garçon leva les yeux vers moi. Une seconde sur mon visage pour voir qui j'étais, une autre à m'observer dans ma totalité, trois secondes à admirer mes jambes laissées nues par mon long T-shirt, puis un dernier retour gêné vers mon visage. Après avoir salué l'assemblée, je me dépêchais de prendre place à côté de Damien et de lui faire la bise. Dans son assiette se trouvaient les miettes de ce qui avait dû être une tartine de confiture. -Bien dormi ? Me demanda-t-il. -Ça va et toi ? -Ça va mais euh... Je peux te parler d'hier soir ? -Ouais, d'accord. Moi aussi j'ai quelque chose à te dire en fait. -Pour le baiser, on étais défoncés tu vois, je voudrais pas que tu penses que je suis ce genre de gars... C'était exactement ce que je voulais lui dire mais je trouvais quand même le moyen d'être déçue. Derrière lui, je voyais Dana qui arborait un air supérieur, elle était presque sur le point de jouir face à la tournure que prenaient les événements. Elle ne comprenait vraiment rien... Je voyais la main du garçon posée sur la table, j'aurais pu espérer que ce soit un signe, une demande de contact, mais je voyais à son visage que c'était juste un placement sans réel but. -Et toi ? Tu voulais me dire quoi ? -La même chose, je sais pas ce qui m'a pris. C'était la première fois que je fumais... Enfin voilà quoi. -Ouais, je comprends. Au moins, il ne voulait pas que notre relation ne parte sur de fausses bases et il ne s'agissait pas d'un rejet complet, je pouvais donc espérer voir les choses se concrétiser avec le temps et, alors que je regardais son visage, rien ne pouvait me faire plus plaisir. Cependant, notre discussion prit fin et celle qu'il entretenait avec Dana reprit de plus belle. Elle jubilait à chacun des mots qu'elle prononçait, cette pauvre fille
pensait avoir gagné la partie. Les invités se levèrent les uns après les autres, les échanges s'enchaînaient, parfois certains partaient se doucher, d'autres partaient tout court et Damien fut le premier dans ce cas là. Il fit la bise à tout le monde et quand ce fut mon tour, je ne put m'empêcher de rougir en le sentant près de moi, en sachant que c'était peut être la dernière fois. -Tiens, me dit-il en me tendant un bout de papier. Si jamais t'as du temps pendant les vacances, je suis libre la plupart du temps. Ok, je venais de faire un arrêt cérébral. Je ne réussis même pas à articuler un remerciement en découvrant son numéro de téléphone. Je restais plantée là à le regarder quitter la maison et pourtant, j'étais au comble de la joie. Je n'éprouvais même plus le besoin de faire quoi que ce soit, penser à lui suffisait pour me rendre heureuse. Ainsi les invités disparurent les uns après les autres pour qu'il ne reste plus que moi et Laura. Dès lors que nous fûmes seules, cette dernière me sauta dessus en riant et en m'ébouriffant les cheveux. -Oh putain c'est génial ! J'arrive pas à le croire. Lily va sortir avec un mec ! -C'est pas moi qui suis sensée être heureuse ? -C'est du bonheur par procuration. C'est juste que tu me faisais pitié, toujours toute seule. -Je sais pas comment je dois le prendre. -Prends le bien. Oh la la la ! T'as encore une semaine pour le mettre dans ta poche. -Et ensuite je vais devoir attendre deux mois avant de le revoir... À moins que... -À moins que quoi ? -Je peux demander à aller en cours ici. -T'es pas sérieuse ? Avec ton père ? Tu vas mourrir meuf ! -Je sais mais merde. Il me manque déjà, alors deux mois sans lui, je sais pas si je vais tenir. -T'as tenu quatorze ans. -Fait pas comme si tu comprenais pas. Nan, je crois que je vais demander à rester. -À ta place j'attendrais, essaie d'obtenir genre un premier baiser avant de tout organiser. -T'inquiètes, je suis pas conne à ce point là. -Je sais. Oh putain c'est trop génial !
Chapitre 94 : Conduite accompagnée Je bouillonnais. À peine une demi-heure auparavant, Mary Thunder m'avait appelé pour me prévenir que nous avions un problème. J'avais alors fait tout mon possible pour la rejoindre dans les plus brefs délais et désormais, l'un en face de l'autre, les yeux dans les yeux, elle m'apprenait que je n'aurais plus d'armes de sa part. -Comment ça "plus d'armes" ? Interrogeais-je Mary. Même en sachant que ce n'était pas le cas, je ne pouvais qu'espérer être en train de rêver. La femme en face de moi, la dirigeante des Zêtas, elle sentait ma haine, ma colère, ma rage qui pouvait se déclencher si elle confirmait ce qu'elle venait de dire. Sous les regards insistants de mon conseiller et de mon avocat, elle finit par céder, sachant que je l'apprendrais à un moment et qu'il valait mieux que ce soit de sa bouche, entourée par ses hommes. -Le vendeur arrête sa production pour aller couler des jours heureux, j'ai plus de fournisseurs. -Et comment je fais moi après ? -J'en sais rien, ça me fait chier moi aussi. Je vais essayer de trouver un nouveau fournisseur mais rien n'est sûr. -T'as intérêt ouais, parce que je risque pas de subir cette mauvaise nouvelle sans réagir. C'est qui ton ancien gars ? -Le fait pas chier, Mike, c'est un mec bien. Il prends juste sa retraite. -Comment il s'appelle ? L'arme de mes hommes était bien en évidence dans leurs mains de façon à ce que Mary comprenne que nous ne plaisantions pas. J'avais beau porter cette fille dans mon cœur, il y avait certains problèmes qui ne prenaient pas en compte les sentiments et Thunder l'avait bien compris. -Rick Vaulture, mais les gars, ce mec est un putain de saint alors le faite pas chier. -Il n'avait qu'à pas arrêter de bosser. -Mike, je t'en prie ! -Et moi je m'en contrefou, personne ne me fait faux-bon. On va aller rendre visite à cet enculé de vendeur. Sans faire attention aux protestations de mon associée, je quittais le quartier général des Zêtas pour rejoindre ma voiture. Johanssen, Wyte et moi montâmes comme un seul homme à l'arrière du véhicule, puis ce dernier démarra.
Tout le monde affichait un air morne, mais si c'était normal pour James, mon conseiller m'inquiétait. Son regard se perdait dans le vide, comme s'il pensait à quelque chose de grave. -Qu'est-ce qui ne va pas, Wyte ? -C'est trop soudain... Personne ne prends sa retraite du jour au lendemain, surtout que Mary et Vaulture avaient l'air d'être proche, vu comment elle le défend. Pour moi, il y a anguille sous roche, sinon elle nous aurait parler de cette éventuelle retraite depuis plusieurs jours voir plusieurs mois. -C'est possible, on fait quoi du coup ? Qu'est-ce que tu proposes ? -On va le voir, j'en sais rien. C'est peut être une bonne idée de vérifier s'il a bel et bien prit sa retraite. -Comme tu v... Nous venions tous d'être projetés sur le côté suite à un lourd choc que la voiture avait essuyé. Encore complètement déstabilisé, je n'eu pas le temps de réagir que déjà Wyte se jetait sur moi pour m'écraser au sol. Je restais une seconde sans comprendre son geste puis les balles se mirent à traverser les vitres. Bruyant était le premier mot qui me venait à l'esprit. J'entendais le verre se briser, tomber sur le sol, y rebondir. J'entendais les projectiles me passer juste au dessus de la tête, coupant l'air dans leur avancée. J'entendais le moteur de la limousine qui faisait de son mieux pour nous porter à sa vitesse maximale. Je ne voyais rien, bloqué sous le poids de mon conseiller, je ne faisais que ressentir les chocs lorsque notre véhicule entrait en contact avec ceux de nos agresseurs. On avait une limousine, c'était stupide d'essayer de les semer, je n'arrivais pas à comprendre ce qui était en train de se passer. -On devrait pas appeler du renfort ? -Déjà fait ! Répondit Johanssen. Il leur faut juste le temps de nous rattraper. -Putain de merde ! C'est qui ces connards ? -On en sait rien, personne n'est actuellement en conflit avec nous, cette attaque n'a pas le moindre sens. Pourtant elle avait lieu et nous en subissions les frais. Dans les virages, je roulais sur le côté, je quittais une portière pour me cogner contre l'autre. Il n'y avait pas plus inconfortable comme condition, d'autant que l'étouffement provoqué par Wyte n'arrangeait pas les choses. L'action paraissait distante, comme si je n'étais pas concerné. Je me sentais comme un enfant dans une attraction à sensations fortes, je bougeais dans tous les sens sans qu'il n'y ait de réelles raisons. D'un coup, le calme revint pendant un instant, puis ce fut le chaos. La guerre faisait rage au dehors, les coups de feu fusaient et moi je ne voyais rien, j'étais
confiné entre Wyte et le sol, incapable de me mouvoir. J'entendais des cris, je percevais la violence, il y avait des morts et j'étais exclu de tout ça. C'était indéfinissable, indescriptible, j'avais trop peu d'informations à me mettre sous la dent, rien de précis à analyser, finalement lorsque le calme revint, j'étais dans l'impossibilité de savoir ce qui venait de se passer. Quelqu'un ouvrit la porte et, Dieu merci, nous informa que tout allait bien. Le mercenaire me tendit une main que je m'empressais de serrer pour me redresser et pénétrer sur le champ de bataille. Nous étions en plein milieu d'une avenue, les cadavres faisaient légions, chacun entouré par sa flaque de sang. En plus des trois véhicules de guerre, il y avait deux berlines noires, celles des tueurs. Ces derniers avaient des mitraillettes à la main et portaient des costumes, j'en déduisit qu'il ne s'agissait pas d'amateurs. Aux alentours, les gens venaient de partout pour regarder les restes de la fusillade. -Mike, faut pas rester là. Me pressa Wyte. On doit pas être vu ici. -Je comprends. Un coup d'œil vers ma limousine criblée de balle suffit pour comprendre que remonter dedans n'était pas une bonne idée. Nous empruntâmes donc la voie pédestre en courant. Mon conseiller passait devant et tentait de se frayer un chemin parmi les curieux. -T'as une idée de qui sont ces connards ? -J'en sais rien, mais c'étaient des pros. On va chez toi, barricade toi et je vais réunir l'équipe pour chercher qui sont les responsables. -Moi qui pensait qu'on en avait fini avec les ennemis... -On n'en a jamais fini.
Chapitre 95 : Époque pacifique Dans la rue, je faisais tout mon possible pour passer inaperçu aux côtés de Wyte. En tant qu'ancienne star, cette tâche se révélait laborieuse mais je comptais principalement sur l'incrédulité des gens pour m'aider. L'après-midi tirait déjà vers sa fin, je me demandais si j'aurais à me coucher le soir en sachant que l'homme qui avait tenté de me faire assassiner était encore en liberté. Un homme qui pouvait s'en prendre à moi comme à toute ma famille, comme à Lily. Cette dernière était repassée le matin même, juste après la fin de sa soirée, mais n'avait pas trouvé d'interêt à rester dans la maison. Elle l'avait donc quitté pour rejoindre un "nouvel ami", selon ses dires. Elle était seule avec un inconnu et à l'extérieur de mon périmètre d'action. -Wyte ! M'exclamais-je. Oublie moi et dépêche une équipe, il faut retrouver Lily. -Comment ça ? Tu l'as perdue ? -Je l'ai toujours perdue, mais le fait est qu'elle n'est pas en sécurité en ce moment et j'aimerais donc que mes hommes aillent la récupérer et me la ramènent saine et sauve à la maison. -Je m'en occupe. Tu pourras rentrer seul ? -Je ne suis pas encore complètement gaga, tu sais. Maintenant que j'étais seul, le trajet me paraissait moins angoissant. Je n'avais plus l'impression de fuir mais simplement de me balader en ville, avec ce que cela impliquait de voiture qui klaxonnaient, de clochards qui mendiaient, de marchands qui criaient, le paysage urbain naturel en quelque sorte. Dès que je fut rentré, je tentais une vérification de la présence de ma fille en l'appelant mais, comme prévu, elle n'était pas rentrée. Je pris alors place dans mon fauteuil fétiche, au centre du salon, et me mît à attendre. J'avais tellement de questions au fond de moi, tellement de problèmes qui venaient de naître alors que je pensais avoir dépassé ce stade depuis longtemps. Je pensais qu'une fois au sommet, ce genre d'inconvénients ne pouvait plus me toucher. Tiger était mort, l'As était en prison, le 18st avait vu son chef mourir par ma main, mes adversaires connaissaient rarement un sort favorable alors pourquoi quelqu'un sortait-il de son trou ? Et pourquoi maintenant ? Quatre ans après mon coma. Ensuite il y avait Lily, le fait de ne pas savoir où elle se trouvait était insoutenable. J'étais presque sûr que ce nouvel ami était une ruse de mon nouvel ennemi, peut être l'avaient-ils kidnappés, peut être allaient-ils me demander une
rançon. Le salon commençait à tourner autour de moi, j'étais pris d'un soudain mal de tête. Maladroitement, je me levais et rejoignis ma salle de bain en titubant. Là, dans un des placards, je récupérais deux flacons d'aspirine que j'avalais avec un verre d'eau. Ce fut à ce moment là que la porte s'ouvrit et que je courut dans sa direction. À cause de ma nouvelle désorientation, je ne pu parcourir que quelques mètres avant de devoir m'accouder au mur en attendant que Lily n'entre dans mon champs de vision. -Tu peux m'expliquer ce qui se passe ? Me demanda-t-elle avec colère. -État d'urgence, j'ai subi une attaque, tu pourrais en être la cible toi aussi. -T'es pas sérieux ? Je croyais que c'était fini ça. -Il faut croire que non. Et arrête de me regarder comme si tu allais me tuer, je n'y suis pour rien. -Si, t'y es pour quelque chose. Si t'étais pas là, il n'y aurait pas eu cette attaque et tes gars ne m'auraient pas foutu la honte en plein milieu d'une séance de cinéma. -Et toi, si tu avais été une fille normale, j'aurais pu t'appeler au lieu d'envoyer mes hommes. Sauf qu'il n'y avait aucune chance pour que tu ne me répondes, puisque tu ne le fais jamais. -Même une fille normale ne réponds pas au cinéma ! Et puis on va faire quoi là ? -On va attendre que la tempête passe. -Mais dis donc, c'est génial comme emploi du temps ! Merci beaucoup. J'avoue ne pas avoir compris la totalité des tenants et des aboutissants de cette conversation. Encore pouvais-je comprendre qu'elle soit déçue d'avoir raté son film, mais sa colère semblait plutôt donner l'impression que j'avais gâché sa vie toute entière. Trop épuisé pour essayer de comprendre les crises d'une adolescentes irrespectueuse, je me laissais à nouveau tomber sur le fauteuil de mon salon en regardant à travers la fenêtre. Il s'était mis à pleuvoir, le jardin subissait des rafales de vent incessantes, je voyais les arbres se plier légèrement sous le coup de leur violence. C'était à la fois reposant et agressif d'observer ce genre de spectacle, pourtant je restais là, sans bouger. Je me demandais ce que faisait Lily, je me demandais si c'était une bonne idée de la laisser seule à l'étage supérieur alors qu'on risquait une attaque. J'allais pour la chercher mais, par miracle, elle descendit d'elle même à ce moment précis.
Elle avait l'air complètement calmée et, dans le plus grand des silences, elle vint s'asseoir sur le canapé en face de moi, fixant ses yeux bleu saphir dans les miens. J'avais toujours apprécié la manière qu'elle avait de s'asseoir, elle se mettait en tailleur sur le siège, sans doute une conséquence de sa souplesse. -Papa, commença-t-elle avec hésitation. Il faut que je te demande quelque chose. -Je t'écoute. -Mais euh... Enfin je sais pas si c'est une bonne idée. -Je ne peux pas le dire à ta place. -C'est un choix assez lourd, mais je crois que j'ai envie de le prendre... Je sais pas comment l'expliquer mais c'est bizarre et ça me ferait chier si tu refusais. -Dis moi tout au lieu de tergiverser. -Bon, voilà, j'aimerais aller en cours à L.A. -Qu'est-ce.... Quoi ?!? Elle était sérieuse, elle était parfaitement sérieuse. Je le voyais dans ses yeux, dans les plis de son front, dans sa posture stoïque, dans l'hésitation de ses bras, dans la façon qu'elle avait de faire passer son piercing juste devant ses dents, elle était sérieuse. -Je savais que ça allait être étonnant et je... Enfin les raisons sont personnelles et donc je... -On n'est pas foutu de rester dans la même maison plus d'une heure, tu le sais ça ? Qu'est-ce qui t'as rendu folle ? -C'est mes affaires, mais j'aimerais aller en cours ici. Je te promet que si je le fais, je serais gentille et j'arrêterais de t'embêter. -Même si je te demande des trucs qui ne te plaisent pas ? -Je serais obéissante, promis. C'était peut être l'occasion de renouer avec ma fille. Étant donnée toute l'anxiété qu'elle dégageait, cette décision était vraiment importante pour elle et un refus aurait pu l'anéantir, mais je n'allais pas accepter sans comprendre ce qui se passait. -Tu me dis ce qui te pousses à faire ça et j'accepte. -C'est privé. -Dans ce cas je refuse. -Papa ! S'teuplait ! -Je n'arrive pas à comprendre quel genre de chose peut te faire changer à ce point alors dis le moi. -J'ai pas envie. J'ai le doit, non ? -Dans ce cas tu restes à New York.
-T'es chiant. Si tu veux tout savoir, c'est un garçon. T'es content ? -Un garçon ? -Ouais, un garçon, tu sais, un être humain doté d'un pénis. -Un garçon. Tu vas me supporter tous les jours pour un garçon ? Une amourette d'ado ? -Déjà, t'en sais rien de si c'est juste une amourette d'ado, ensuite tu le connais pas et après, si je veux faire des sacrifices, j'ai le droit. -Tu sais quoi ? Je vais accepter, mais à ta place je ferais attention. Il y a un tas de personnes qui gâchent leur vie juste pour profiter de la personne qu'ils aiment, mais dès que l'amour part, on se retrouve sans rien. -Il ne partira pas, et puis même s’il partait, Los Angeles c'est cool comme ville. -Dans ce cas c'est d'accord. Je peux en savoir plus sur ce garçon ? -Plus tard, désolée mais faut que je prévienne maman. -Ah oui merde ! -Quoi "merde" ? -On va devoir retourner à New York pour faire les papiers... Peu importe. Si c'est ce que tu veux. -Merci papa. Je cru rêver lorsqu'elle déposa un baiser sur ma joue avant de remonter dans sa chambre. Ça devait faire des lustres qu'elle n'avait pas fait ça et là, alors que je venais de signer son arrêt de mort, elle m'embrassait. Les adolescents avaient vraiment un sérieux problème. J'aurais bien réfléchi au genre de garçon qui pouvait avoir fait fondre le cœur de Lily et s'il s'agissait d'une bonne ou d'une mauvaise chose mais Wyte venait d'arriver, accompagné des autres grands chefs de mon organisation. Le conseil de guerre prit place dans la salle à manger, autour de la table ronde en bois. On pouvait compter une demi-douzaines d'hommes dont Viktor, James Johanssen, Rain, Albert, mon conseiller et moi. Tous semblaient abattus par les récents événements et Wyte qui présidait l'assemblée pris la parole avec un ton grave. -La maison est encerclée par nos hommes et ils y resteront jusqu'à nouvel ordre. Adrien tâche de trouver le responsable mais rien ne peut le mettre sur sa piste pour le moment. Quant à nous, il nous faut trouver des solutions de riposte. -Sans connaître l'ennemi, contre quoi veux-tu riposter ? Demanda Albert. -Il est vrai que nos pistes sont moindres, mais il y en a une qui mériterait d'être étudiée. Le fournisseur de Mary, Rick Vaulture, je suis prêt à parier que son départ à un lien dans tout ça. Je propose d'y aller avec Michael pendant que vous continuez les recherches en ville. Personne n'a d'autres solutions à étudier ? Non ? Parfait, voilà un conseil rondement mené, comme j'aime à le dire. Allons-y Mike.
À la table, tout le monde semblait perdu dans ses pensée, comme cherchant une idée pour rallonger la durée de cette réunion qui n'avait au final pas le moindre intérêt. Cette remarque en elle-même pouvait d'ailleurs parfaitement faire l'affaire. -Wyte, commençais-je. Pourquoi tu nous as tous fait venir ici alors qu'on a juste établi une mission qui concernait deux personnes ? -J'espérais que nos hommes aient des hypothèses à proposer ce qui, à mon grand regret, n'a pas été le cas. -Il suffisait d'envoyer un message de groupe, ce genre de chose ne... Personne ne saurait jamais ce que ce genre de chose n'étaient pas, le premier coup de feu venait de retentir au dehors et m'avait coupé dans mon élan. D'un coup, l'envie de faire un discours m'avait passé. Je retrouvais cette même sensation que dans la voiture, tout entendre, tout ressentir, mais ne rien voir, ne pas avoir d’impact sur les événements, j'étais réduit à un rang inférieur à celui de spectateur. Dans la pièce, Rain, Viktor et Wyte avaient sortis leurs armes. L'avocat, le PDG et moi étions passés de notables à simples civils qu'il fallait protéger. Je me sentais faible, encore une fois, et c'était insupportable. Trop d'impuissance, trop de coups de feus tirés sans que je ne sois présent, trop de secousses dont la cause m'était inconnue, trop de morts que je comprendrais jamais, trop de vie que j'aurais pu épargner. Tous collés contre un des murs de la salle à manger, nous attendions que les choses se tassent, que tout aille mieux, mais ça durait, durait, durait, durait... Et puis soudain, Lily apparaît dans la pièce. Par réflexe, nos trois gardes braquent leurs armes sur elle mais se ravisent immédiatement. La petite paraît terrifiée, elle nous rejoint contre le mur. -Qu'est-ce qui se passe ? -Ce pourquoi on t'a ramené ici. T'en fait pas chérie, tout va bien se passer. Je me baissais légèrement et la pris contre moi lorsque le dernier tir fut lâché. Ensuite, ce fut le calme, un léger calme qui ne dura pas puisqu'on entendit la porte sauter en morceaux l'instant d'après. -Ok, hurla Wyte. On tient les positions et on s'en sort ! -Non ! Riposta Viktor. On est foutu si on reste ici, je veux bien couvrir vos arrières mais le boss doit quitter le bâtiment. -Ils nous attendent sûrement dehors, c'est mort. -Ferme ta gueule Wyte et emmènes les vers le jardin, c'est la seule option pour les garder en vie. -Tu vas vraiment te sacrifier ?
-Demandes à Mike, je fais ça à longueur de journées et je ne suis jamais mort. Maintenant barrez-vous ! -Vous avez entendu ? Demanda mon conseiller après une légère hésitation, on se tire d'ici. Pendant que Viktor et Rain mettaient en place une barricade de fortune, Wyte s'était mis à courir en direction de la porte de derrière, toute une procession sur ses talons. D'un coup d'épaule, il explosa la porte au même moment où la fusillade reprit dans ma demeure. Sans y faire attention, il courrait de toutes ses forces à travers le jardin. Sous la pluie, nos pas éclaboussaient tout autour de nous avec violence. Avec les palmiers, la boue, les coups de feu, le crachat, j'avais presque l'impression d'être au Vietnam. Rapidement, nous atteignîmes un petit muret de pierre qui ne fut pas dur à escalader, même pour Lily, puis nous étions sur la route. Là, j'entendis une explosion dans la maison et alors que la fumée commençait à s'élever, ma fille se serra contre moi. -Albert, tu récupère Lily et tu l'emmènes chez toi, James retourne à ton cabinet et gère l'affaire avec Adrien, moi je pars avec Mike, on va régler tout ça le plus vite possible. Tout le monde acquiesça, chacun partit de son côté. J'éprouvais une certaine angoisse en laissant Lily loin de moi mais je faisais confiance à Albert, même s'il n'était pas un homme de terrain, c'était une personne courageuse et intelligente. La Shelby de mon conseiller était garée à quelques rues de là, rues que nous avons parcouru à toute vitesse, brisant les gouttes de pluie qui se jetaient violemment sur nous. Une fois à l'intérieur, je me sentais presque en sécurité mais un regard vers l'énorme nuage noir qui s'élevait depuis ma villa me fit prendre conscience que j'étais loin d'être hors de danger. Les pneus de la voiture crissèrent, le moteur vrombit et la Mustang s'enfuit dans les avenues de la cité des anges, tout droit en direction de l'aéroport.
Chapitre 96 : Île mortuaire Dire que je me sentais en danger dans cet avion aurait été un euphémisme. À chaque seconde, je m'attendais à le voir exploser, s'effondrer sur lui même, piquer du nez. Je crois que si le pilote essayait de m'assassiner, je ne serais pas surpris. -Vaulture vit sur une île au large des côtes mexicaines, m'expliqua Wyte. Selon Adrien, il est putain de riche mais n'est aucunement relié au réseau international, par conséquent, une fois là bas, on sera seuls. -T'es sûr que c'est une bonne idée ? Je ne le sens vraiment pas, ton plan. -Soit il est innocent et donc on sera venu pour rien mais on ne risquera rien, soit il est coupable et donc on court des risques mais notre présence était indispensable. Dans les deux cas, on aura fait le bon choix. -Je ne sais pas si on peut vraiment appeler ça un bon choix. Contrairement à moi, mon conseiller n'avait pas le moins du monde l'air affolé par les événements et ceci même lorsque l'appareil amorça sa descente sur la petite île battue par la pluie et les vagues où les seuls bâtiments humains étaient une immense villa et une piste d'atterrissage. À la sortie de l'avion, nous fûmes accueillis par deux hommes recouverts par d'épais anoraks. Dans le vent et la pluie, il nous était impossible de clairement les distinguer mais ils n'avaient pas l'air hostiles. -Une tempête arrive ! Hurla l'un d'entre eux pour se faire entendre à travers les rafales. Il faut vous dépêcher de rentrer ! Le fait qu'on ne nous demande pas notre identité pouvait être une cause de suspicion mais j'étais trop occupé à me soucier de ma propre survie dans cet environnement hostile que je courus à la suite de nos guides jusqu'à l'entrée de la gigantesque demeure. Le tonnerre retentissait au loin, chaque éclair se faisant plus angoissant et surtout plus près. Ils ne mentaient pas, la tempête se rapprochait à un rythme effréné. Les yeux rivés sur le sol, j'avais utilisé ma veste comme une capuche pour me protéger de la pluie. En entrant dans le grand hall décoré de multiples œuvres d'art moderne, ce fut comme une libération. On voyait les gouttes couler le long des carreaux, sur les fenêtres. Je m'empressais de retirer ma veste humide et de regarder autour de moi pour admirer le mobilier. -Monsieur Vaulture vous attends à l'étage, nous informa l'un des deux hommes avec calme. Si vous le souhaitez, nous avons des costumes de rechange ainsi
que des serviettes pour vous sécher. -Si ça n'est pas trop demander, je me vois mal refuser. Suivant ces deux personnes, nous traversâmes un grand couloir entièrement vide et sans la moindre décoration jusqu'à une petite pièce où l'on me laissa avec des vêtements propres et de quoi m'essuyer. Je me changeais en vitesse avant d'observer la décoration extrêmement sobre de la pièce. Une unique lampe servait à éclairer cette espèce de salle sans le moindre mobilier ni tableau. De retour dans le couloir, je vis Wyte qui m'attendait, lui aussi s'était changé et portait désormais un costume bleu qui ne lui allait pas réellement. Quant à moi, j'avais revêtu un polo rouge et un chino beige qui s'accordaient bien ensemble, en plus d'être à ma taille. -Désirez-vous quelque chose avant de rendre visite au propriétaire ? -Non, je pense que nous l'avons suffisamment fait attendre. Dehors, les éclairs continuaient de s'enchaîner, plaquant leur couleur blanchâtre sur les murs de la maison avant d'exploser bruyamment. Il était à la fois angoissant de les entendre et rassurant de savoir qu'ils étaient séparés de nous par d'épais murs. Ignorant complètement le déchaînement de mère nature, nos guide nous menèrent jusqu'à un escalier en bois qui débouchait sur un bureau démesurément grand. Assis sur un fauteuil rouge à côté d'une impressionnante cheminée en bois sculptée, Vaulture nous regardait à travers ses petites lunettes rondes. Il restait silencieux le temps que nous prenions place en face de lui, seuls le feu et la tempête perturbaient le calme. Les hommes qui nous avaient accueilli restèrent dans le fond, comme s'ils surveillaient leur maître au moins autant que nous. Ce dernier était vieux, au moins la soixantaine, ses cheveux blancs commençaient à ne plus être suffisant pour couvrir son crâne flétri par le temps. -Monsieur Da Silva, je suppose. Me salua-t-il avec une voix grisonnante. C'est un honneur de vous rencontrer enfin. Et vous devez être Geoffrey, n'est-ce pas ? Bienvenue dans mon humble demeure. -Elle est loin d'être humble. Comment savez-vous qui nous sommes ? Demandais-je, intrigué. -Votre jet, le nom de votre entreprise est écrit dessus, je ne suis pas magicien. -Pourtant cette maison sur une île en pleine tempête a quelque chose de mystique, avouez-le. -Pendant la tempête oui, mais sachez qu'en temps normal, le climat est fort agréable par ici.
-Je n'en doute pas. Un nouveau coup de tonnerre, plus puissant que les autres, nous fit tous sursauter. Cet endroit était effrayant et j'espérais y passer le moins de temps possible. D'autant que cet homme ne m'inspirait pas confiance avec ses regards insistants en direction de ses gardes du corps. -Vous connaissez la raison de notre venue, je pense. -Je la devine assez facilement, c'est un fait. -Et donc, qu'avez-vous à nous répondre ? -Absolument rien. Par un malheureux concours de circonstances, je me vois dans l'obligation de me retirer de ce business. -L'obligation ? Mary nous a parlé de retraite. -Je me fais vieux, comme vous pouvez le voir. C'est une des principales causes de ce départ. Je ne pouvais plus en imposer à mes adversaires et quand on s'écrase face à l'ennemi, alors on perd. -Mais vous pouviez vous payer des gardes ! Ou au moins vous faire remplacer après votre départ ! Pourquoi avoir tout arrêté ? -Je souhaite me reposer, si mes affaires continuent à tourner, je prends le risque de me faire arrêter. Alors que maintenant, je ne peux plus être arrêté, si ils n'ont pas réussi avant, il ne réussiront pas maintenant. Je peinait à le croire, l'hésitation et la peur se lisaient dans son visage, il mentait. Pendant quelques secondes, nous ne fîmes que nous observer en silence, écoutant le crépitement du feu dans son refuge. -J'ai l'intime conviction que vous nous cachez certaines choses, monsieur Vaulture. -C'est peut être le cas. -Je pense qu'il y a eu un événement déclencheur de tout ça, sinon Mary aurait été mise au courant bien plus tôt. -Je me suis cassé la jambe, rien de plus. Comme pour appuyer ses dires, il souleva une partie de son pantalon et nous laissa entrevoir l'attelle qu'il portait ainsi que la cicatrice de sa blessure. Immédiatement, je détournais le regard face au dégoût que m'imprégnait cette image. -Je suis tombé et me suis blessé. C'était stupide et à la maison. Je redoutais ce moment et il est arrivé, alors ne m'obligez pas à m'étendre dessus. Je ne voulais pas l'accepter au début mais j'ai du me rendre à l'évidence et prévenir tous mes acheteurs de mon départ anticipé. Je me fais vieux, je ne suis plus aussi résistant qu'avant. -Ce n'est que ça ?
-La raison me paraît suffisante à moi et n'est-ce pas le principal ? -Si, le principal, évidement. -Dans ce cas, le débat est clos. Je me demandais... M'accompagnerez-vous à ma table, ce soir ? -J'ai bien peur que nous ne soyons déjà le soir. -Dans ce cas mangeons tout de suite, déclara-t-il en se levant. -En réalité, nous n'avions pas prévu de rester. Si le débat est clos, nous allons repartir au plus vite. -Dans cette tourmente ? Allons, ne soyez pas ridicule, aucun pilote ne peut voler par ce temps. Dormez ici et partez au matin, ça me fait plaisir. À contrecœur, j'acceptais son offre. Malgré ma terreur face à cet environnement, je ne pouvais m'empêcher d'admettre qu'un vol dans ces nuages noirs ne m'annonçait rien de bon. Le vieil homme ne perdait pas son temps, à peine avait-il lancé sa proposition que déjà nous nous dirigions vers une salle à manger qui, à l'image de toute sa maison, était bien trop grande. Sa tablée pouvait accueillir une cinquantaine de personnes, chaque chaise et couvert étant d'ailleurs déjà placée au cas où l'occasion se présenterait. De plus, toutes les deux assiettes, un objet de décoration avait été installé. De la fausse nourriture à la masse informe en passant par le chandelier, rien ne manquait à l'appel. Vaulture nous fit signe de nous asseoir, chacun d'un côté, alors qu'il prenait place à un bout de la table. Regarder l'autre extrémité me donnait presque le vertige tant elle paraissait loin. -Dites moi, monsieur Da Silva, est-ce une habitude pour vous que de rendre visite vous même à vos vendeurs ? -J'aime me sentir proche de mes associés. -Pourtant c'est la première fois que nous nous rencontrons. -Mary ne m'avait jamais parlé de vous auparavant. -Je n'en doute pas, elle sait garder une identité secrète. Cette petite est pleine de ressources. -C'est un fait indiscutable. Son ascension est très impressionnante. -Tout comme la vôtre, Michael, tout comme la vôtre... Déjà, les hommes amenaient l'entrée et, par une sinistre coïncidence, chaque tranche de saumon fumé qui se déposait sur une assiette était accompagnée d'un violent coup de tonnerre. Je regardais avec hésitation le contenu de mon assiette mais, en voyant que Wyte et Vaulture mangeaient sans difficultés, je me laissais aller à la naïveté en dégustant le meilleur saumon de ma vie.
-Comment êtes vous entré dans la vente d'armes, Rick ? -C'était un moyen comme un autre de me faire de l'argent. J'achetais des armes d'un côté de la frontière et les revendais de l'autre côté à des amis. L'argent rentrait rapidement. Un jour, j'ai décidé de j'élargir et je me suis fait un carnet d'adresse qui a grandi, grandi et grandi. J'ai donc pris de nombreux surnoms, parmi lesquels Rick Vaulture. J'ai un nom pour chaque pays, le fait d'avoir une sonorité connue met en confiance. Un Dabrousnov Melkivor peut faire peur aux américains tout comme un François Delapierre est capable d'effrayer un chinois. Au final, très peu voient mon visage donc très peu savent que je ne suis pas un vrai concitoyen. -Et d'où venez-vous, en réalité ? Je dirais d'Amérique du Sud grâce à vos traits mais il m'est impossible d'être plus précis. -Ça m'arrange. Moins on en sait sur moi, moins je risque ma vie. -Pourquoi dites-vous que très peu voient votre visage si vous effectuez les transactions ? -J'ai dit très peu, je n'ai pas dit personne. En général, je ne participe pas aux négociations, je suis là pour la vente. Le client sait déjà qu'il va payer, quand il me rencontre, il a déjà accepté le prix et ne refusera pas en apercevant mon visage. -Je vois... En réalité, avec tout le vacarme au dehors et la présence des deux hommes qui nous suivaient depuis le début, je n'arrivais pas à réfléchir normalement. Cette villa avait quelque chose d'effrayant mais j'étais incapable de savoir quoi. Quand nos assiettes furent finies, les serveurs débarrassèrent la table avant de ramener de la sole dans de magnifiques plats en argent. J'avais comme l'impression qu'on tentait de m'impressionner, de me mettre en confiance et, en croisant le regard de Wyte, je vis qu'il était en accord avec moi. -Vous aimez beaucoup le poisson, à ce que je vois. -Oui, c'est mon péché mignon. C'est étrange, on peut servir un foie gras suivi d'un magret, personne ne remarquera que vous aimez le canard, alors qu'un saumon fumé et du cabillaud, les gens sont tout de suite effrayés. -Ne s'agit-il pas d'une sole ? Et puis je ne suis pas effrayé, loin de là, ce n'était qu'une remarque. -Oui, c'est de la sole. En effet, je m'égare. Je suis un peu chamboulé par tous ces événements, c'est assez dur de supporter trop de changements d'un coup. -Je ne vous le fait pas dire. Vous vivez seul ? -Non, comme vous le voyez, je suis bien accompagné. -Je parle d'une famille. Un homme avec votre vécu disposé forcément d'une histoire. -Ça, j'ai une belle histoire et un tas de conquête, mais aucune femme n'est restée
pour que je lui passe la bague au doigt. Si j'ai des enfants, ils ne me connaîtront jamais. -Ça ne vous dérange pas ? -Non, j'aime ma liberté. Malgré ça, je me sens comme emprisonné ces derniers temps. -L'âge ? -En partie... Peut être... Il se fait tard ! Je vais aller me coucher, nous allons vous présenter vos chambres. -Si tôt ? -Si tôt. Ce genre de repas avait toujours un dessert. Je ne savais pas ce qui se passait dans cette maison mais c'était louche, très louche. Pour qu'un hôte aussi attentif finisse le dîner en avance, c'était qu'il y avait une bonne raison. Peut être était-il incapable de supporter notre présence à cette table plus longtemps. Comme il nous l'avait dit, les deux hommes nous guidèrent à travers le dédale de la villa pour rejoindre deux chambres d'amis. Je pris celle de gauche et Wyte prit celle de droite, mais dès que les deux hommes nous quittèrent, nous nous retrouvâmes tous deux ma chambre. -Il y a un putain de sérieux problème ici ! -Je sais Mike, on part demain à la première heure, mais on n'a pas le choix, on doit rester ici pour la nuit. -Ce mec est un putain de menteur, je ne sais pas ce qui lui arrive mais ce n'est ni la vieillesse ni une blessure à la jambe. -J'en ai l'intime conviction moi aussi. Le problème c'est que cette maison est gardée, je préfère ne pas prendre de risques en insultant notre hôte. On part et on fait des déduction une fois en sûreté. -C'est aussi mon plan. Bonne nuit Wyte, en espérant qu'ils ne nous tuent pas dans notre sommeil. -En espérant... Dans les premières heures de la nuit, je ne trouvais pas le moyen de m'endormir, la peur me rongeant de l'intérieur. Je passais donc de longues périodes à regarder la mer se jeter violemment contre les roches à travers la fenêtre. Parfois, un éclair s'abattait sur l'eau, à quelques mètres d'ici, je n'avais jamais rien vu d'aussi impressionnant. Jamais rien vu d'aussi effrayant.
Chapitre 97 : Crash Au matin, le soleil avait reprit ses droits sur la tempête et nous pouvions désormais admirer la beauté naturelle de l'île depuis la terrasse où nous prîmes notre petit-déjeuner en compagnie de Vaulture. Ce dernier semblait avoir laissé ses soucis s'envoler avec la tempête et nous racontait avec entrain des anecdotes de tous bords. En surface, je riais à ses blagues autant que je le plaignais à ses infortunes passées, mais je continuais à chercher ce que cet homme pouvait vouloir nous cacher. La matinée passa sans que l'on s'en rende compte et après avoir fait usage des douches de notre hôte, Wyte et moi quittâmes l'endroit à bord du jet qui nous avait amené ici. En souriant, je saluais une dernière fois le marchand d'arme, heureux de quitter cette maison mais intrigué de ne pas avoir compris quels étaient les secrets qui y régnaient. Dans l'avion, personne n'osait prendre la parole et nous nous contentâmes d'un silence gêné où seuls des regards volés faisaient office de communication. Je n'aurais su dire ce que mon conseiller pensait mais jamais je ne l'avais vu autant perturbé. Quant à moi, je rêvassais en pensant à l'avenir et à cette ombre qui faisait tout pour mettre fin à mes jours depuis les ténèbres. Je me sentais stupide de ne pas réussir à déchiffrer les indices laissés par mon ennemi. Je pensais aussi aux dégâts collatéraux, à la mort de Viktor et de Rain que je n'avais pas pleurée, trop occupé à m'angoisser sur mon propre sort. Lily occupait une grande partie de mon esprit, car je ne pouvais m'imaginer que mon adversaire n'ait pas pensé à l'attaquer. Je contactais donc Albert et ce dernier m'informa de faits qui me donnèrent le vertige. Ma fille, pendant la nuit qui venait de s'écouler, avait quitté la maison. Mon ami avait d'abord tenté de la retrouver mais sans succès, ce fut Laura qui lui avait dévoilé à peine quelques minutes avant mon appel que Lily était allée rejoindre son nouvel amoureux. Pestant contre l'éducation insouciante que j'avais offert à cette enfant, je remerciais Albert et le rassurais en lui expliquant que rien de tout cela n'était de sa faute. Après quoi, par trois fois je tentais de téléphoner à la petite et ce ne fut qu'au dernier coup qu'elle daigna répondre. D'abord étonnée, elle ne comprit pas mon angoisse, puis m'assura que tout allait bien. Elle m'expliqua qu'elle se trouvait en sécurité et qu'elle savait pertinemment ce qu'elle faisait, ce dont je doutais fort. Il me fallut lui rappeler la promesse qu'elle m'avait faite pour la convaincre de rentrer chez Albert, ce qu'elle accepta à la condition d'emmener son petit-ami avec elle.
Malgré le peu de confiance que j'éprouvais à l'égard de ce garçon qui avait volé le cœur de ma fille, je m'inclinais face à sa demande qui, au final, ne me concernait pas tellement. Espérant que l'habitation du président de M.D.S. suffise à protéger ma descendance, je me laissais aller dans mon siège et tentais de trouver le sommeil suite à cette nuit agitée. Je fut tiré de mon repos par un événement qui était loin d'être anodin. À travers le hublot, dans un crachat de feu et de fumée, le réacteur de l'aile droite du véhicule était en train de rendre l'âme. D'abord sous le coup de la fatigue, je regardais le désastre sans comprendre puis, en posant mes yeux sur le visage affolé de Wyte, je compris que le problème nécessitait qu'on y accorde de l'importance. Mon conseiller quitta son fauteuil en trombe pour rejoindre le pilote avec qui il évalua la situation. Pendant ce temps, j'essayais de me tirer de cet état semicomateux qui m'empêchait de réfléchir correctement. Lorsque Wyte revint, je compris que la situation était désespérée plus grâce à son visage qu'à ses explications. Du doigt, il me montra la réserve de parachute et m'intima l'ordre d'en équiper un. Quelques secondes plus tard, les trois passagers de l'avion portaient cet étrange attirail et se tenaient devant la porte du véhicule, hésitant à sauter et à laisser tomber ce bijoux d'aéronautique aux mains de la nature. Ce fut le pilote qui sauta le premier, son assurance trahissait les entraînements qu'il avait du subir pour contrer ce genre de problèmes. Ensuite, ce fut au tour du conseiller, lui aussi quitta le véhicule avec une certaine facilité. À leur suite, je me laissais tomber sur le continent, je voyais l'Amérique du Sud se rapprocher dangereusement tandis que mes deux compères dans le malheur n'apparaissaient que comme des points dans l'immensité du ciel. Les contours d'une ville commençaient à se dessiner sur le sol alors que j'ouvrais mon parachute. Au dessus de nos têtes, on pouvait apercevoir le jet qui se laissait tomber sur le sol en lâchant une traînée de fumée dans son dos. Ce dernier s'éloignait dans sa chute, si bien que nous serions loin lorsqu'il exploserait au sol dans un immense fracas de flammes et d'engrenages. Probablement arriverait-il après nous sur la terre ferme car il réussissait à planer depuis notre départ. Quand mes pieds foulèrent le sable sec du Mexique, je me libérais du parachute pour courir en direction du point d'atterrissage de Wyte. Ce dernier s'était assis sur le sol et regardait le ciel avec regret. -C'était criminel, m'assura-t-il. Ils ont saboté l'appareil. -Evidement qu'ils ont saboté l'appareil. Putain ! Je tiens encore combien de
temps comme ça ? -On va retrouver ce mec Mike, ne t'en fais pas. Le gars qui est derrière tout ça va payer, je te donne ma parole. -Merci Wyte, mais je ne pense pas qu'on n'ait à le trouver. -Qu'est-ce que tu entends pas là ? -Retournes toi. Dans le dos de mon conseiller, trois voitures noires de même type que celles qui m'avaient attaqué à Los Angeles faisaient leur entrée en scène. Traçant une route à travers le dessert via leur pneus, elle atteignirent tant bien que mal notre position et libérèrent une horde d'hommes aux allures hostiles. Leur chef, un grand brun avec une balafre sur la joue gauche, m'indiqua du doigt et prononça quelques mots en espagnol. Sans que je n'ai le courage de riposter, ses soldats me prirent chacun par un bras et me guidèrent jusqu'à l'arrière d'une des voitures. Les portes se refermèrent et je vis mon conseiller disparaître au loin alors que la berline s'enfuyait dans l'immensité sablonneuse. Soudain, l'homme qui se tenait assis sur le siège avant se retourna et me salua. En le reconnaissant, je cru que mon cœur allait s'arrêter de battre. -On ne joue pas sa vie impunément, monsieur Da Silva.
Chapitre 98 : Folie L'humidité, le froid, la nuit, une cage. Je revivais mon retour à Los Angeles sept ans plus tôt, ce moment où Ellijah m'avait attaché à une chaise pour me faire perdre l'envie de vivre. La scène se reproduisait, mais l'As remplaçait le conseiller de Saliego. -C'est étrange, je n'éprouve pas l'envie de vous tuer, monsieur Da Silva. -Dans ce cas, je nous propose d'en rester là et de nous quitter en ami. -Nous quitter en ami ? Avons-nous jamais été des amis ? -Nous aurions pu, mais vous avez préféré me traquer. -Vous aviez accepté de jouer votre vie, je n'ai fait que respecter les règles du jeu. La folie, c'était tout ce que j'arrivais à voir en regardant les yeux de mon ravisseur. L'entendre parler de "règles" avait ainsi quelque chose d'ironique, presque de comique. -Qu'est-ce qui vous fait rire ? Me demanda-t-il avec suspicion. -Nan, ce n'est rien, continuez. -Si continue je vous tue, c'est en quelque sorte l'objectif de cette rencontre. -Pourtant vous ne le ferez pas. -Et pourquoi donc ? -Depuis sept ans que nous nous sommes rencontrés, vous avez eu des millions d'occasion de mettre fin à mes jours et aucune n'a aboutie, jamais je n'ai vu la mort. Même à la réception où nous nous sommes vu dans ma limousine, vous m'avez laissé en vie. -Justement, cela a assez duré, d'autant que les circonstances ont changé. -Je vois ça, quelle est la cause de cette nouvelle armée ? Ma question était sincère, j'étais plus qu'intrigué face à tous ces soldats que l'As avait envoyé me chasser. -J'ai reçu des fonds, un donateur un anonyme souhaite votre mort au moins autant que moi. Alors j'ai joué avec vous, je vous ai attaqué dans votre ville, j'ai détruit votre maison, j'ai empêché votre fournisseur de vous votre vos armes, puis j'ai fait sauté votre avion. Tout ça pour en arriver là. Deux courtes journées de violence masquée pour enfin me dévoiler et vous assassiner froidement. -Dans ce cas, ma mort serait de votre fait ou de celui de votre employeur ? -Le siens, si ça ne tenait qu'à moi, je vous laisserais ici et je m'en irais. Mais ce genre de chose peu finir sur la survie du détenu, par conséquent je m'en vais terminer ce que j'ai commencé.
Tout cela ne pouvait pas finir maintenant, pas déjà. J'avais besoin de gagner du temps, de comprendre, de survivre. -Qui était cet employeur ? -Je vous l'ai dit, il était anonyme. Je ne connais pas son identité. -Comment vous a-t-il contacté ? -Avec un de ses hommes. L'argent m'a été donné avec l'ordre de vous tuer moimême après que tout le monde se soit rendu compte que vous étiez menacé par un puissant chef mafieux. -Donc ces attaques n'étaient qu'une mise en scène ? -Oui ! Vous ne deviez pas y mourrir. L'objectif était simplement que la populace, vos amis, comprenne qu'un homme avec une armée vous en voulait. N'est-ce pas fantastique ? -Et cet homme, c'était vous. -En quelques sorte, c'était mon rôle. Personne ne devait savoir que l'As vous avait tué, officiellement je suis en prison. -D'ailleurs, comment êtes vous sorti ? -Mon mécène, encore lui. Cet homme semblait me porter dans son cœur. Je le voyais hésiter, jouer avec sa lame devant moi, la pointer dans ma direction puis se raviser. -C'est embêtant, finit-il par dire. -Qu'est-ce qui est embêtant ? -Je n'ai pas envie de vous tuer. Ça fait trop longtemps que je vous cherche, si vous êtes mort, je n'aurais plus personne avec qui savourer cette victoire. C'est ennuyant de gagner si personne ne le sait. -Dans ce cas ne me tuez pas, j'admet votre victoire et nous nous quittons. -Je ne peux plus, l'homme a les moyens de m'aider, il a par conséquent les capacités de me punir. Non, je vais vous tuer, c'est simplement triste. Il tournait en rond, comme s'il se disputait de l'intérieur. Par moment il s'arrêtait, se tournait vers moi, laissait l'éclairage tamisé de la pièce lui donner un aspect fantomatique, puis reprenait sa ronde macabre. -Putain ! Pourquoi ? Pourquoi je ne peux pas ? Hurlait-il avec démence. Tu n'est qu'un être humain, ta mort ne vaut rien, tu dois mourir, tu dois mourir, tu dois mourir, tu dois mourir, tu dois mourir, tu dois mourir, tu dois mourir, tu dois mourir, tu dois mourir, tu dois mourir, tu dois mourir... Il se répétait cette phrase en me fixant, je n'osais le regarder dans les yeux tellement le conflit qui s'y lisait paraissait violent. -Tu as triché Michael, tu as triché et on ne triche pas impunément. Les tricheurs
doivent payer, il faut donner ce qu'on a parié ! Il faut respecter les règles ! Pourquoi alors ? Pourquoi je ne peux pas ? Je ne voulais pas répondre, je ne voulais prendre le risque de le faire changer d'avis, de modifier l'image qu'il avait de moi. À lui seul, il semblait s'opposer une résistance qui ne requerrait pas mon appui. -J'ai tout fait, j'ai cassé la jambe de Vaulture, je l'ai obligé à se retirer, j'ai envoyé les voitures, j'ai fait sauter ta baraque, j'ai explosé ton putain d'avion ! Merde ! Je peux te foutre ça dans la gorge ! Ça n'est pas compliqué ! Je peux le faire ! Je peux le faire ! Il commençait à pleurer, à se replier sur lui même. Nous étions seuls dans la pièce et savoir que ma vie dépendait de ce dérangé était terrifiant. -C'est simple de tuer un homme, il suffit qu'il ne vive plus. J'avais tout préparé, j'ai gagné et je vais perdre ? Je vais perdre parce que je suis faible ? Je suis trop faible pour commettre un meurtre ? L'anonymat, l'anonymat c'est simple, on tue et on ne connaît pas. Mais là ! Là c'est trop ! Je t'ai vu, je t'ai suivi, je t'ai observé ! Tout ça serait fini ? Non ! Trop étrange ! Trop insupportable ! La vie, la mort ! Attaquer, mordre, violence ! Non ! Sans prévenir, il s'écroula sur lui-même et commença à se rouler sur le sol comme un animal blessé. Entre deux phrases, il laissait s'échapper un gémissement plaintif et pitoyable. -Trop de passé, on n'efface pas le passé, la vie ne peut pas se finir quand elle commence. Pourquoi je ne peux pas ? C'est simple ! C'est trop simple ! Trop de conséquences, je me projette trop, je réfléchis trop ! Arrête de penser et tue-le ! La mort est simple ! Tu ne dois pas réfléchir, le tuer et le regarder mourir ! C'est satisfaisant, il te verra gagner. Oui ! C'est ça ! Me regarder, me voir gagner ! Si il ne meurt pas tout de suite, je peux attendre ! Je peux le voir me voir ! Je gagne et il le sait ! Il le sait ! Si il le sait, alors la victoire est complète, car c'est lui qui perd ! Oui ! C'est lui qui perd ! Il reprenait confiance, se relevait et à nouveau me regardait droit dans les yeux, comme pour y chercher la force de m'achever. Le dilemme continuait à être étudié dans son regard. -Tu vas mourir, Michael Da Silva et enfin je serais libre. Je pourrais à nouveau me concentrer sur la réalité des choses, me concentrer ce qui est réel au lieu de te pourchasser à travers le monde. Tu sais que je n'ai joué que deux parties ces trois dernières années ? Deux uniques parties de cartes ! Tout ça c'est ta faute et tu dois payer !
Sa dague s'approcha et je fermais les yeux. Je la sentis traverser l'air dans un bruit de frottement, me foncer dessus. Mes nerfs se raidirent lorsqu'elle ne fut plus qu'à un centimètre de moi, puis tout se stoppa. -Mais non ! Tu ne peux pas partir comme ça ! Il nous faut une dernière partie ! C'est ça qui manque, une revanche ! Dégoulinant de sueur, je vis l'As trottiner jusqu'à la porte métallique de sa salle de torture puis y frapper avec violence en hurlant "Apportez-nous un jeu de cartes, des jetons et une table". Ensuite, il revint vers moi et s'assit sur le sol, le regard planté dans le miens. Pendant plusieurs minutes, le temps passa, puis cinq hommes amenèrent une table qu'ils placèrent au centre de la pièce. Sur cette dernière fut disposée un deck ainsi que deux tas égaux de jetons. L'As me libéra ensuite avec un clin d'œil et m'intima l'ordre de prendre place à sa table. Suffisamment conscient du danger qui m'enveloppait, je suivis ses ordres et m'assieds derrière l'une des deux réserves de pièces. L'homme à la chevelure orangée se mît en face de moi et les cartes commencèrent à être mélangées par un des gardes. Mike : 10 000 L'As : 10 000 C'était simple, je gagnais la partie et je m'en tirais. Mes mains tremblaient, je me sentais ballonné, personne n'avait gagné contre mon adversaire et ce n'était pas sous le coup du stress que j'allais réussir. Ma première main consistait en un trois et un cinq de couleurs différentes. Dès lors que les cartes au centre se dévoilèrent, je compris ma défaite et m'empressais de me coucher face au sourire dément de l'As. Mike : 9 500 L'As : 10 500 Au second coup, j'eu la chance de tomber sur un as et un deux de pique. Retrouvant espoir, je traversais les mises alors que les cartes communes apparaissaient. Je pouvais faire un brelan de deux, c'était une posture confortable. Les mises augmentaient, au centre de la table se trouvaient déjà trois mille dollars lorsque l'As me présenta une main complètement vide. Malgré sa défaite, il ne paraissait pas déstabilisé et ça suffit à me faire prendre peur. Mike : 11 000 L'As : 9 000
Cette manche-ci, nous sortîmes les grosses sommes. En à peine trois tours de table, cinq mille dollars étaient déjà sur la table alors que nous ne connaissions même pas le tableau commun. Evidement, j'eu la joie d'y découvrir ma défaite et face à un couple de carreau, mon adversaire m'assassina avec un carré de rois. La partie démarrait très, très mal pour moi. Mike : 3 700 L'As : 16 300 Je regardais avec envie l'énorme tas qui venait de se former entre moi et l'As. Je ne pouvais pas gagner cette partie en la jouant, il me fallait donc chercher une autre porte de sortie. Alors que le croupier distribuait les cartes, j'aperçu l'arme qui sortait de son pantalon. Mon ennemi avait déposé sa dague sur le sol et il était probable qu'il ne porte rien d'autre, il me suffisait donc d'un vol bien placé. Trop concentré à planifier cette sortie, je me laissais aller au jeu sans y réfléchir et perdais rapidement une masse d'argent conséquente. Mike : 2 100 L'As : 17 900 Je pouvais l'avoir, le garde se baissa légèrement pour jeter une carte et je réussis mon mouvement. La main sur la crosse de son arme, le poing sur sa tempe, je passais mon bras autour de son cou pour m'en servir comme d'un bouclier humain tout en pointant mon pistolet nouvellement acquis sur l'As. -Toujours sans le moindre honneur à ce que je vois. Tant pis, au moins mouraisje dans la victoire... Simplement, il restera toujours l'anonyme. Un homme puissant t'en veux Mike, tu ne seras pas libre. Maintenant tue moi, que je savoure depuis l'au-delà tes prochaines années de souffrance et de peur. S'il suffisait de ça pour le satisfaire, alors j'exauçais son souhait. La balle partit s'enfoncer dans son front sans même qu'il ne tente de l'esquiver. Les autres hommes dans la pièce vidèrent alors leurs chargeurs dans le ventre de leur compère que j'avais pris en bouclier. Poussant la table contre le sol pour m'en faire une barricade, je me cachais en attendant que les armes soient vides. Dès lors, j'assenais à l'un des gardes un coup mortel qui me valut une punition à l'épaule. La douleur était intense, elle réveillait d'anciennes plaies mais je restais calme, concentré, la panique était ma pire ennemie. Le responsable de ce tir perdit la vie peu après et le dernier homme, aussi pitoyable que cela puisse paraître, se rendit à moi-même.
Peu soucieux des questions d'éthiques et angoissé à l'idée d'être trahi, je rangeais un boulet dans son cœur avant de contempler pendant quelques instants le corps sans vie de mon grand adversaire. L'As gisait au sol, macérant dans son propre sang, ses yeux reflétant toujours sa folie à la perfection. En passant la porte métallique, je me retrouvais en plein milieu du désert. La salle de torture dans laquelle j'étais n'était en fait qu'une réserve parmi de nombreuses autres, chacune gardée par des hommes prêts au combat. Fait étonnant, les combattants avaient un uniforme différent par réserve, comme s'ils travaillaient pour différents chefs. Ces bâtiments s'étendaient sur plusieurs kilomètres et formaient une sorte d'allée de réserves. Tachant de prendre un air calme et posé, je déambulais dans ce couloir gardé pour rejoindre un endroit. Je ne savais pas où j'allais, je ne savais pas où j'étais. La seule satisfaction dont je pouvais disposer, c'était de voir qu'aucun des gardes ne paraissait déterminé à m'attaquer, aucun d'entre eux n'était concerné par ma personne. Je quittais ce rendez-vous de bâtiments et marchais sur le sable, marchais, marchais... Le paysage était le même partout, pas la moindre différence, les mêmes dunes, les mêmes creux, c'était impossible de savoir où l'on se trouvait. Je ne sentais que ma douleur à l'épaule devenir de plus en plus insupportable. Le soleil cognait, agressait le corps autant que l'esprit. Il me rendait fou, me donnait envie de m'assoir, de me reposer, de me faire de l'ombre. Je pensais à m'enterrer sous le sable pour ne plus avoir à subir cette fournaise. Et avec la chaleur venait la soif. Ma tête me tournait tant j'étais assoiffé, partout je voyais de l'eau, le sable lui-même me paraissait liquide appétissant du moment qu'il était suffisamment loin pour ne pas le discerner clairement. Et marchant, je vis le soleil se coucher et la nuit prendre le contrôle du paysage. Je vis les étoiles qui m'observaient, seuls visages familiers de mon périple. J'étais seul, dans la mort comme dans la vie, entre les deux, j'étais seul. Et enfin, enfin j’aperçus la civilisation, image salutaire qui me vit m'évanouir.
Chapitre 99 : Achèvement En attendant le début de l'audience, Wyte et moi observions New York à travers les fenêtres du tribunal. Debout derrière les carreaux, nous nous laissions bercé par la vie qui suivait son cours dans les grandes avenues. Depuis le bureau, bien au chaud, nous contemplions le froid extérieur. Je ne pouvais m'empêcher de sourire en regardant ce paysage calme et paisible, loin de toute guerre et envie de meurtre. -Tu penses qu'on va le retrouver ? Demandais-je dans le vide. -On le retrouvera forcément, mais il y a des chances pour que ce soit en mauvaise posture. -Qui ça pourrait être ? Qui me déteste à ce point ? -Rien ne dit qu'on le connaît. Un homme que tu aurais offensé lors d'un réunion, un concurrent indirecte, les possibilités son légions. Les fous sont nombreux et il est difficile d'essayer de comprendre leurs intentions. En entendant le mot "fou", je repensais à la mort de l'As et tout mon corps se mît à frissonner. Presque par réflexe, je balançais mon bras gauche pour oublier ma douleur à l'épaule qui venait de se réveiller. -Quand je pense que Lily va venir vivre avec moi. Elle ne sait pas ce qu'elle fait. -Tu pouvais le lui interdire. -Non, je ne pouvais pas perdre le peu d'amour qu'elle me donnait. Mais il va falloir renforcer la sécurité, avec la mort de Rain, j'ai besoin d'un nouveau gardien. -Je m'occupe de ça. Toi, repose-toi, oublie tes blessures et penses à demain. Tu as survécu à cette merde par miracle, ce serait dommage de ne pas profiter de la vie qu'on t'as laissé. -Merci Wyte. J'étais heureux. Heureux d'être là, en vie, avec mon conseiller et prêt à obtenir la garde de ma fille d'un commun accord entre Sarah et moi. Malgré les menaces extérieures, je me sentais bien, j'étais en paix. -Serais-je un bon père pour Lily ? -Ça fait quatorze ans, la question a déjà été tranchée par l'expérience. -Je n'en sais rien... Je ne l'ai jamais gardée réellement. À chaque fois elle partait et nous ne passions que des moments de loisir ensemble. Là, je vais devoir être responsable, l'obliger à faire ses devoirs, la punir pour ses notes, j'endosse le rôle de père à proprement parler désormais. -Il n'y a que toi qui peux savoir ce qui va se passer.
-Non, personne ne le peux. James vint ouvrir la porte. Il salua mon conseiller puis m'intima l'ordre de le suivre en m'indiquant que l'audience avait commencé. Avant de partir vers ma nouvelle vie, je jetais un dernier coup d'œil vers Wyte. -C'est marrant, me dit-il, mais après toutes ces erreurs, nous touchons enfin notre but. -Des erreurs ? Je ne vois que des victoires imprévues. Lui expliquais-je avant de rejoindre mon ex-femme.
Chapitre 100 : Épilogue Ainsi s'achève la deuxième partie de ma vie. Je n'ai pas de réelle raison pour l'avoir délimitée à ce moment précis, c'est simplement que je l'écrit depuis ce point temporel là. Cependant, j'ai bien peur que comme la première partie, ce texte ne soit à nouveau effacé pour être réécris. Cela fait trois fois que je me relis pour modifier des passages, en supprimer certains et en ajouter de nouveaux. Je ne suis pas satisfait de l'histoire que je raconte. En commençant à écrire, et c'était aussi le cas à Londres, j'espérais que ma vie trouverait un sens sur le papier. Pourtant, à chaque relecture, tout ne m'apparaît qu'encore plus flou. Mes choix me paraissent stupide et mes échecs évidents. Je n'aurais peut être pas dû écrire tout ça, personne ne le lira quoi qu'il arrive. Je cache mes souvenirs dans ce récit, et peut être qu'un jour, une personne les découvriras et se rendra compte du menteur que je suis. Je me demande si je devrais le partager avec Lily. Elle a sûrement déjà compris une grande partie de l'histoire grâce à des bribes de conversation, mais je pense qu'elle devrait la connaître dans son intégralité. Elle baigne dans ce monde par ma faute et si un jour elle s'y trouvait confrontée ouvertement, j'ai peur qu'elle ne sache pas comment réagir. C'est drôle, j'ai l'impression que ma vie touche à mon terme. Je garde un ennemi qui se terre dans la pénombre mais je ne me sens pas concerné, j'ai peut être retrouvé ma naïveté. C'était peut être pour ça que j'écrivais. Je viens de renouer avec la paix.
A suivre… Dans le tome II de La Face Cachée du Rêve : Hérédité
Sommaire : Chapitre 1……………………………………………………………………….5 Chapitre 5……………………………………………………………………...17 Chapitre 10…………………………………………………………………….39 Chapitre 15…………………………………………………………………….69 Chapitre 20…………………………………………………………………...101 Chapitre 25…………………………………………………………………...141 Chapitre 30…………………………………………………………………...181 Chapitre 35…………………………………………………………………...231 Chapitre 40…………………………………………………………………...277 Chapitre 45…………………………………………………………………...317 Chapitre 50…...………………………………………………………………357 Chapitre 55…………………………………………………………………...383 Chapitre 60…………………………………………………………………...429 Chapitre 65…………………………………………………………………...473 Chapitre 70…………………………………………………………………...511 Chapitre 75…………………………………………………………………...555 Chapitre 80…………………………………………………………………...599 Chapitre 85…………………………………………………………………...645 Chapitre 90…………………………………………………………………...691 Chapitre 95…………………………………………………………………...731 Chapitre 100………………………………………………………………….754