Le bûcher des sorcière de Dominique Labarrière, Pygmalion (extrait)

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Le Bûcher des sorcières


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DU MÊME AUTEUR Grandeur et décadence de l'ordre des Templiers, Pygmalion, 2019. Sociétés secrètes. Mythes, réalités, fantasmes, impostures, Pygmalion, 2017. La Conspiration de Chambord, Marivol, 2017. Épopée française, Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2017. 12 arnaques qui ont changé l'Histoire, Pygmalion, 2015. Quand la politique tue, La Table ronde, 2014. La Mort de Pierre Bérégovoy. Vingt ans de questions sans réponses, La Table ronde, 2013. Marie Stuart. Sainte ou putain ?, Pascal Galodé, 2012. La Diabolique affaire des Templiers, Alphée, 2011. La Bataille de l'Ouest, Pascal Galodé, 2011. L'Affaire Jacques Viguier. L'engrenage infernal, Alphée, 2010. Marie Besnard : l'énigme, en collaboration avec Olga Vincent, Michel Lafon, 2006. Corps et âme. Miracles au quotidien dans un grand hôpital, La Table ronde, 2006. « Cet homme a été assassiné… » La mort de Pierre Bérégovoy. Enquête sur l'enquête, La Table ronde, 2003. Contre-enquête : l'affaire Viguier, La Table ronde, 2003. Esther, juin 1940, Éditions Belami, 2002. Esther, 1939, Éditions Belami, 2002. La Part du fou, Éditions Hors Commerce, 1999. Survivre. La vie des Français de l'Ouest en 1944, Éditions Ouest-France/Mémorial de Caen, 1994. Héros, Albin Michel, 1993. Bouffe Kaiser, Flammarion, 1992. Folie douce, Flammarion, 1992.


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Dominique Labarrière

Le Bûcher des sorcières


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© Pygmalion, département de Flammarion, 2020. ISBN : 978-2-7564-2580-1


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À Bérengère de Bodinat.


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Sorciers et sorcières : hommes et femmes qu'on prétend s'être livrés au démon, et avoir fait un pacte avec lui pour opérer par son secours des prodiges et des maléfices. J. D'ALEMBERT et D. DIDEROT, L'Encyclopédie, première édition, 1751

Que tout soit fait pour que le pénitent ne puisse se proclamer innocent afin de ne pas donner au peuple le moindre motif de croire que la condamnation est injuste. Francisco PEÑA, Le Manuel des inquisiteurs, 1578


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Avant-propos

Qu'on ne s'y trompe pas : la sorcière n'est pas le sorcier au féminin. Elle est d'une autre nature. Quand bien même parviendrait-on à faire l'inventaire exhaustif des actes, des prodiges, des maléfices, des mirages relevant de la sorcellerie, on n'aurait pas encore mis à nu le mystère de la sorcière. Elle est la divinité d'un monde à rebours du Ciel, d'un paradis sur terre, le paradis cauchemardesque de l'ici-bas. Le sorcier, lui, est un assez bon bougre qui rafistole, reboute le membre mal fichu, qui guérit un peu, soulage vaille que vaille, sème une frayeur de bon aloi. Cependant, on ne l'imagine pas volant de sabbat en sabbat à califourchon sur un manche à balai, mettant à bouillir dans de grands chaudrons des enfants morts dont on fera des onguents recherchés, copulant à la folie avec les puissances du mal, déchaînant des tempêtes et rendant stériles la vache, le champ, la mariée, et impuissant qui l'enchante. La sorcière, si. Non seulement on l'imagine fort bien, mais en fouillant en toute honnêteté dans le tréfonds de nos savoirs d'avant le savoir, on lui en reconnaîtrait presque le droit. La légitimité pour tout dire. De quels délires primordiaux, universels, intemporels, la sorcière est-elle le nom ? Vaste question. 11


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LE BÛCHER DES SORCIÈRES

Très vieille affaire, d'ailleurs, que la sorcellerie ! Les documents fiables les plus anciens en situent le berceau, pour nos cultures occidentales, en Thessalie, d'où elle se serait propagée à travers la Grèce entière où on l'appelait goétie 1. Puis, en digne héritière de la civilisation hellénique, Rome s'adonna à son tour aux philtres, aux envoûtements, aux sorts et autres pratiques obscures, souvent criminelles, que – chose étonnante pour nous – les contemporains rangeaient dans la case « mathématiques ». Avec l'apparition du christianisme, la sorcellerie s'orienta plus particulièrement vers la démonolâtrie, puisant là un culte régénéré et l'inspiration de rites nouveaux, sabbat, messes noires, etc. Précision d'importance, tant à Rome qu'en Grèce, les adeptes de ces pratiques étaient passibles de la peine de mort. Du moins en principe… Plus tard, dans nos contrées d'Europe, trois ou quatre siècles durant, leur rendant l'hommage flamboyant et purificateur du bûcher, on a consumé des sorcières par dizaines de milliers. Mais, ce faisant, a-t‑on réduit en cendres « la » sorcière, l'essence de cette créature, l'amante des songes obsessionnels de clercs et de juges qui en perdaient la raison et qui, en vérité, dans une ébriété d'âme et d'esprit d'une infinie volupté, assouvissaient autant qu'ils châtiaient leurs propres fantasmes par ces feux de liesse populaire ? Notre Occident de surface policée ne brûle plus guère de sorcières aujourd'hui. C'est une concession que nos aïeux ont bien voulu faire à la déesse Raison. On doit évidemment leur en savoir gré. 1. Du grec goêteia, signifiant « sorcellerie », magie recourant à l'aide des mauvais esprits. Larousse.

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AVANT-PROPOS

D'ailleurs, en un juste retour des choses, les sorcières de nos jours sont de meilleure composition. Elles ont abandonné le diable, leur suborneur d'alors, dans les flammes du sacrifice et œuvrent désormais – croit-on savoir – dans la bienveillance. Et c'est tant mieux. D'autant que le bien ne recelant pas moins d'insondables secrets que le mal, la raison – la raison raisonnante et prétendument raisonnable – n'est pas près d'en épuiser, là encore, le mystère.


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Première partie

La femme, l'hérétique ultime


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« La calamité désirable »

Une évidence s'impose d'emblée. En toute région et les quelque quatre longs siècles que dure la traque du maléfice et de la possession démoniaque 1, ce sont les hommes qui allument le bûcher. Et dans huit cas sur dix, c'est une femme qu'on livre aux flammes. Le sorcier est donc avant tout une sorcière. La femme, voilà le suprême danger, voilà l'allié privilégié du Malin dans ses œuvres et ses pompes ! Tel est le credo de l'Inquisition lorsque, après avoir combattu les hérésies collectives, elle s'attaque non plus seulement à la déviance doctrinale de groupes humains mais à l'hérésie individuelle, visant tout être dont le comportement, les propos, les pensées supposées sont jugés insanes par l'autorité religieuse, bien vite relayée en cela – et avec quelle ardeur ! – par l'autorité civile. 1. En 1231, le pape Grégoire IX crée un tribunal de « l'Inquisition de la perversion hérétique dans l'affaire de la foi » et en confie la charge aux frères prêcheurs de l'ordre des Dominicains. 1233, la bulle Vox in rama du pape Grégoire IX institutionnalise la croyance en un culte du diable. 1326, la bulle Super illius specula du pape Jean XXII officialise l'assimilation de la sorcellerie à l'hérésie. Enfin, chez nous, en France, en 1672, Colbert met officiellement fin à la traque en interdisant aux tribunaux d'instruire toute affaire de sorcellerie.

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LA FEMME, L'HÉRÉTIQUE ULTIME

La femme devient la cible clairement désignée de cette répression dans les dernières décennies du XVe siècle, avec notamment la publication du pesant traité de démonologie le Malleus Maleficarum 1 qui, venant après d'autres manuels du parfait inquisiteur 2, exprime avec force ce qui n'était jusqu'alors qu'implicite : les méfaits du diable se conjuguent au féminin. Et presque exclusivement au féminin. En 1486, paraît donc Malleus Maleficarum, Le Marteau des sorcières 3, œuvre de deux dominicains, Jacques Sprenger et Henry Institoris 4. Ils sont mandatés par le pape Innocent VIII pour conduire la lutte contre le mal et surtout réactualiser la codification de l'Inquisition. Certes, cette institution pontificale n'est pas alors une nouveauté puisqu'elle sévit depuis environ deux cent cinquante ans, mais le pouvoir religieux entend la revitaliser. Dès l'avant-propos de l'ouvrage, ou « Apologie », le ton est donné. Jacques Sprenger écrit en effet : « […] le vieil Orient, déchu sous la sentence irrémédiable de sa ruine, depuis l'origine n'a cessé d'infecter de la peste des diverses hérésies, l'Église que le nouvel Orient, l'Homme Christ Jésus, a fécondée par la rosée de son sang ; il s'y emploie cependant surtout aujourd'hui […]. Pour cela, il fait pousser dans le champ du Seigneur une 1. Ou Marteau des sorcières. Ce titre reprend celui d'un traité de Jean de Francfort, publié quelques décennies plus tôt, le Malleus Judaeorum ou Le Marteau des juifs. Les juifs étant, eux aussi – et en premier – perçus, combattus et persécutés comme hérétiques et potentiellement démoniaques. 2. Les plus notables : Pactica Officii Inquisitionis Heretice Pravitatis de Bernard Gui en 1322 ; Le Manuel des inquisiteurs de Nicolau Eymerich en 1376 (augmenté au XVIe siècle des gloses du canoniste et dominicain espagnol Francisco Peña) ; Formicarius de Johannes Nider en 1437, traitant de la sorcellerie en tant que « suprême hérésie ». 3. Réédité par les Éditions Jérôme Millon, 2017. 4. Il semble toutefois que Sprenger y ait assez peu mis la plume.

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« LA CALAMITÉ DÉSIRABLE »

perversion hérétique surprenante, je veux dire l'Hérésie des Sorcières, ainsi caractérisée par le sexe où on la voit surtout sévir. […] À cause en effet d'un pacte avec l'enfer et une alliance avec la mort, pour réaliser leurs desseins dépravés, ces femmes se soumettent à la plus honteuse servitude […]. » Autrement dit, elles se font esclaves et servantes-maîtresses du diable. Puisant dans des textes soigneusement sélectionnés de la Bible, dans les œuvres de l'Antiquité et dans les écrits des « féminophobes 1 » canonisés que sont, parmi d'autres de moindre influence, saint Jean Chrysostome, saint Augustin – voire saint Thomas d'Aquin 2 –, Institoris et Sprenger instruisent, avant même celui de la sorcière, le procès de la femme. Pour eux, il est évident que c'est essentiellement parce que la femme est femme qu'elle est sorcière, les conditions extérieures n'étant, dans leur approche de ces choses, que secondaires, voire inopérantes. Là est le point fondamental de leur doctrine, de leur engagement, de leur hystérie, pourrionsnous dire. Au IVe siècle, Jean Chrysostome fourbit son éloquence la plus affinée – celle qui lui vaut le qualificatif de « Bouche d'or » (chrysostome en grec) – pour émettre ce jugement sans appel : « La femme, qu'est-elle d'autre que l'ennemie de l'amitié, la peine inéluctable, le mal nécessaire, la tentation naturelle, la 1. Le terme « misogyne » nous semblait trop faible pour caractériser leur conception de la femme. 2. 1225-1274. Fréquemment accusé d'avoir formalisé et promu les outils intellectuels de la répression des sorcières. Esprit fécond, brillant, on lui doit cependant ce jugement d'un dogmatisme achevé : « Si un point quelconque de la philosophie est contraire à la foi, ce n'est pas de la philosophie mais un abus de la philosophie résultant d'un défaut de raisonnement. »

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LA FEMME, L'HÉRÉTIQUE ULTIME

calamité désirable, le péril domestique, le fléau délectable, le mal de nature peint en couleurs claires ? » Au vrai, la condamnation est ici ornée d'hommages sans doute involontaires : fléau, certes, mais délectable. Calamité, sans doute, mais désirable. Mal de nature, assurément, mais paré de belles couleurs. Sous ces mots-là se trouvent suggérés le charme et les charmes de la féminité et, au-delà, le trouble profond, voire la peur panique du mâle face à ces caractères spécifiques, à ces profonds mystères de l'autre sexe qui, sans cesse et de toute éternité, lui échappent, se dérobent tant à sa connaissance qu'à son pouvoir. Pour confirmer leur propos, Sprenger et Institoris citent deux saints martyrs en Afrique du IIIe siècle, Valère et Rufin. Le premier écrivant au second : « Tu ne sais pas que la femme est une chimère, mais tu dois le savoir. Ce monstre prend une triple forme : il se pare de la noble face d'un lion rayonnant ; il se souille d'un ventre de chèvre ; il est armé de la queue venimeuse d'un scorpion. Ce qui veut dire que son aspect est beau, son contact fétide, sa compagnie mortelle. » L'Ecclésiaste nourrit aussi le réquisitoire d'Institoris et Sprenger : « Toute malice n'est rien près d'une malice de femme. » « J'aimerais mieux habiter avec un lion ou un dragon qu'avec une femme méchante. » « J'ai trouvé la femme plus amère que la mort, et la femme bonne soumise à la passion de la chair. » Au tribunal de nos inquisiteurs, Sénèque est à son tour convoqué : « Deux genres de larmes en même temps dans les yeux d'une femme qui pleure, les unes pour la douleur, les autres pour la ruse. » Et du même : « Une femme qui pense seule, pense à mal. » Les auteurs du Malleus livrent bien d'autres références tels Térence – dans l'Hécyre : « Les femmes sont presque comme des enfants par la légèreté de la pensée » – et Lactance – dans ses Institutions, il fait mine de s'interroger : « En dehors de 20


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« LA CALAMITÉ DÉSIRABLE »

Thémeste, est-ce qu'une seule femme a jamais appris la philosophie ? » Quant au livre des Proverbes, également cité par nos inquisiteurs, il décrit la femme comme « Un anneau d'or au groin d'un pourceau ». Sentence dont est donnée aussitôt la justification : « De cela la raison naturelle c'est qu'elle est plus charnelle que l'homme. On le voit par ses multiples turpitudes. » Les rédacteurs du Malleus ne manquent pas d'y aller de leur propre avis qu'ils prétendent tiré de leur expérience de pourfendeurs de terrain. « Parce qu'elles [les femmes] sont déficientes dans leurs forces d'âme et de corps, il n'est pas étonnant qu'elles songent davantage à ensorceler ceux qu'elles détestent. Pour ce qui est de l'intelligence et de la compréhension des choses spirituelles, elles semblent d'une nature différente de celle des hommes. Ceci est un fait appuyé par l'autorité et la raison, avec maints exemples dans l'Écriture. » Pour Institoris et Sprenger, si « dans l'Ancien Testament, les Écritures rapportent la plupart du temps du mal des femmes », cela est à cause de la première femme pécheresse, Ève, et de ses imitatrices. D'ailleurs, expliquent-ils, « on pourrait noter qu'il y a comme un défaut dans la formation de la première femme, puisqu'elle a été faite d'une côte courbe, c'est‑à-dire d'une côte de la poitrine, tordue et comme opposée à l'homme. Il découle aussi de ce défaut que, comme un vivant imparfait, elle déçoit toujours. » Ainsi, issue d'une côte recourbée vers l'intérieur, comme pointée contre les organes vitaux de l'homme, la femme, dès sa création, représenterait pour lui un mortel danger. Quant à l'affirmation qu'elle « déçoit toujours », les auteurs en trouvent la preuve également du côté de la première femme, qui « par nature a une foi plus faible » comme le démontre si bien l'épisode « du serpent tentateur et du fruit défendu, que, 21


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LA FEMME, L'HÉRÉTIQUE ULTIME

par manque de foi en la parole de Dieu qui en avait souligné l'extrême danger, elle se laissa aller à mordre à belles dents ». Les auteurs vont jusqu'à en appeler à une étymologie des plus improbables pour justifier leur point de vue. « L'étymologie le démontre », écrivent-ils : « Femina vient de fe (foi) et minus (petit) car toujours elle a et garde moins de foi. » En fait, ils ne font que reprendre là une explication livrée auparavant par saint Isidore. Mais sous leur plume inspirée on trouve également ceci : « Quant au défaut de la mémoire, c'est un défaut naturel chez elles de ne pas vouloir être gouvernées mais de suivre leurs mouvements sans aucune retenue ; c'est tout leur souci et il occupe toute leur mémoire. » « Ne pas vouloir être gouvernées », là est le crime inexpiable, sans aucun doute. En effet, si l'inquisiteur reconnaît que certaines femmes sont « bonnes », méritant le respect et la considération, il ne manque pas de préciser que c'est parce qu'elles sont « gouvernées » et maintenues dans le bon chemin par d'éclairés directeurs de conscience. Car livrée à elle-même, la femme cède à « la passion charnelle qui est en elle insatiable ». Ce qui fait qu'on « peut la dire plus amère que la mort, car la mort corporelle est un ennemi effrayant mais manifeste, la femme au contraire est un ennemi charmant et dissimulé ». La femme idéale, selon la conception – masculine, bien entendu – de l'Église, est la femme qui a renoncé à la sensualité, ce caractère ne pouvant être que d'inspiration démoniaque 1. L'absolu féminin, c'est bien sûr la Vierge Mère. Marie. L'Immaculée Conception, indemne du commerce charnel et du désir 1. Dans la tradition catholique la plus autorisée, Marie-Madeleine, la pécheresse, peut-être prostituée, aurait été possédée par le démon. Jésus l'en aurait libérée en l'exorcisant, pouvoir d'exorcisme que, avec celui de guérir les maladies, il a par la suite transmis à ses apôtres et disciples.

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