FJohansen-Cesar le Rhone pour mémoire

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CÉ S AR LE R H ÔN E P OU R M É M OI R E V I N G T AN S DE FOU IL LE S DAN S LE FLE U VE À A RLE S

sous la direction de Luc Long et Pascale Picard

Couverture Portrait de César © MDAA, Laurent Jordan Esquisse préparatoire à la restitution graphique Duplex Arelate © MDAA/DRASSM, J.-C. Golvin Garde arrière plan préparatoire à la restitution graphique Duplex Arelate © MDAA/DRASSM, J.-C. Golvin

Dépôt légal : octobre 2009 ISBN ACTES SUD : 978-2-7427-8610-7 © Actes Sud, 2009 www.actes-sud.fr © Musée départemental Arles antique, 2009 www. arles-antique.cg13.fr

ACTES SUD


CÉSAR, LE RHÔNE POUR MÉMOIRE Vingt ans de fouilles dans le fleuve à Arles 24octobre 2009-19 septembre 2010 Arles, musée départemental Arles antique Cette exposition est organisée par le Conseil Général des Bouches-du-Rhône en collaboration avec le Département des Recherches Archéologiques Subaquatiques et Sous-Marines (DRASSM)

DRASSM

Le chantier de fouille DRASSM du Rhône a reçu le soutien exceptionnel de : Association archéologie sous-marine (2ASM) Centre Camille Jullian (CNRS - CCJ) Compagnie nationale du Rhône (CNR) Conseil général des Bouches-du-Rhône (CG13) Conseil régional Provence-Alpes-Côte d’Azur ECLECTIC Production Entreprise Morillon Corvoi Courbot (EMCC) Entreprise Tournaud Fédération française d’études et de sports sous-marins (FFESSM) Service départemental d’incendie et de secours des Bouches-du-Rhône (SDISS) Société d’économie mixte des Saintes-Maries-de-la-Mer (SEMIS) Société de remorquage méditerranéenne (SRM) Syndicat mixte interrégional d’aménagement des digues du delta du Rhône et de la mer (SYMADREM) 3D Avenir SAS Ville d’Arles

COMITE D’HONNEUR

FRÉDÉRIC MITTERRAND Ministre de la Culture et de la Communication

JEAN-NOËL GUÉRINI Sénateur et Président du conseil général des Bouches-du-Rhône

COMITE D’ORGANISATION

MICHEL L’HOUR Conservateur général du patrimoine et directeur du Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines CLAUDE SINTES Conservateur en chef du patrimoine et directeur du musée départemental Arles antique

COMMISSARIAT Cette exposition est reconnue d’intérêt national par le Ministère de la Culture et de la Communication / Direction des Musées de France. Elle bénéficie à ce titre d’un soutien financier exceptionnel de l’Etat.

Les études technologiques et scientifiques des œuvres ont reçu le soutien de : Centre de recherche et de restauration des musées de France de Paris (C2RMF) Commissariat à l’énergie atomique de Cadarache (CEA) Centre interrégional de conservation et de restauration du patrimoine de Marseille (CICRP)

Commissaire général et scientifique LUC LONG, Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines Conservateur en chef du patrimoine et directeur de fouilles Commissaires scientifiques PASCALE PICARD, conservateur du patrimoine, musée départemental Arles antique JEAN PITON, archéologue chercheur associé au CNRS, centre Camille Jullian Commissaire exécutif FABRICE DENISE, attaché de conservation du patrimoine, musée départemental Arles antique

CATALOGUE

PASCALE PICARD, coordination et suivi éditorial AURÉLIE COSTE, suivi des campagnes photographiques et bibliographie MARTA MASCARDI, recherches documentaires sur les bronzes JESSY RUIZ, collecte iconographique et gestion des prêts SOIZIC TOUSSAINT, liste des œuvres exposées et publiées, gestion de l’iconographie Avec l’assistance des stagiaires : Nicolas Camau, Clémentine Durand, Judith Mader.


LES PORTRAITS DE CÉSAR Flemming Johansen

C’est à l’automne 2007 que fut découvert dans le Rhône un très beau portrait romain. Au moment où ce portrait encore ruisselant sortait de l’eau, face à la vieille cité d’Arles, Luc Long, le directeur des fouilles, s’écria : “Mais c’est César !” Cette exclamation enthousiaste a fait couler depuis beaucoup d’encre. Aujourd’hui, le portrait est exposé au musée départemental d’Arles sous la désignation : Caius Julius Caesar.

Jusque-là, les chercheurs spécialisés dans les représentations de César s’étaient, non sans mal, à peu près accordés pour retenir de lui trois portraits principaux. Le premier, contemporain du dictateur, fut découvert en 1825 à Tusculum. Il est actuellement conservé à Turin (fig. 1). Les deux autres, datés d’environ 20 à 30 av. J.-C., sont le portrait dit Chiaramonti, au Vatican (fig. 2), et le portrait Camposanto, à Pise (fig. 3). Figure 1 ~ Portrait de César, dit du Castello di Aglié, découvert à Tusculum en 1825, Musée archéologique de Turin.

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Figure 2 ~ Portrait de César, dit de Chiaramonti, musée du Vatican à Rome. Figure 3 ~ Portrait de César, dit de Camposanto.

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Il existe plusieurs copies ou répliques de ces portraits, qui constituent l’arrière-plan de notre conception de César. Au vrai, les portraits de Tusculum et ceux de Chiaramonti et Camposanto diffèrent considérablement du César d’Arles, même si l’on retrouve certaines caractéristiques communes. Ainsi, le portrait de Tusculum présente une pomme d’Adam proéminente et des sillons sur le cou. Les mêmes traits se retrouvent sur des monnaies frappées par Marcus Mettius en 44 av. J.-C., deux mois et demi avant la mort de César, le 15 mars 44 (fig. 4). D’après l’historien romain Dion Cassius, ces effigies monétaires ont été dessinées et gravées sous la direction du quatuorviri monetales, une commission des monnaies constituée par quatre membres. Ces monnaies sont la seule base sûre en notre possession pour juger d’éventuels portraits contemporains de César parmi le grand nombre des portraits de marbre romains qui sont conservés. C’est le profil gravé en 44 av. J.C., sur les deniers du maître monnayeur Marcus Mettius, qui porte l’inscription DICT(ator) QUART(um) (dictateur pour la quatrième fois), qui constitue l’effigie la plus sûre de César. Les deniers de Mettius démontrent que César avait un long cou maigre, sillonné de rides, et une pomme d’Adam très marquée. La tempe est creusée, les pommettes et le maxillaire inférieur sont saillants. Le front, lui aussi, est haut et ridé. Les yeux, profondément enfoncés dans les orbites, sont largement ouverts. Ramenés de l’arrière vers

Figure 4 ~ Denier de Marcus Mettius frappée en 44 av. J.-C., Musée archéologique de Venise.

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l’avant, les cheveux sont coiffés d’une couronne et peignés sur la nuque de manière artistique. Bien que les effigies monétaires reproduisent une chevelure abondante – représenter César chauve était impensable –, certains détails démontrent que ces cheveux étaient en fait des mèches d’emprunt. Parmi les contemporains de César, Cicéron est le seul à pouvoir nous décrire son aspect physique, ce qu’il fait dans Brutus, 75, 261. Citons-le : “Son brillant art oratoire n’était pas dû uniquement à la routine, mais à sa voix, à ses gestes et à son apparence” ( forma, qui signifie peut-être ici “son beau physique”). “Il était d’une certaine manière grand et noble.” Cette affirmation est reprise et renforcée plus tard par l’historien Velleius Paterculus, qui précise que César était le plus bel homme de son temps. Un siècle après la mort de César, c’est l’historien Suétone (Divus Iulius, 45) qui fournit la description la plus complète du physique de César : “On dit qu’il était de haute taille, qu’il avait la peau claire, des membres ronds, des yeux noirs et vifs… Assez scrupuleux quant à son physique, il ne se faisait pas simplement couper (les cheveux) et raser très soigneusement, mais se faisait aussi épiler.” Dans De la guerre civile (III, 105, 6), César nous précise qu’“à Tralles, dans le temple de la Victoire où ils avaient inauguré une statue de César, on montrait un palmier qui avait poussé dans le pavage, au cours de ces journées, entre les interstices des pavés”. Cette statue avait peut-être été érigée pour remercier César de son action dans la province d’Asie, en 74, ce qui permet de penser qu’il pourrait s’agir de la mention du tout premier portrait de César. En 48 av. J.-C., dans la partie orientale du monde romain, on commence à ériger publiquement des statues honorifiques de César. Au total, en Grèce, on connaît vingt bases de statue portant des inscriptions qui lui sont dédiées. Mais aucune d’elles n’a conservé sa statue. En Italie, de 46 à 44 av. J.-C., une série de statues honorifiques sont érigées en son honneur. A Rome, une statue de bronze lui est dédiée à son retour d’Afrique, en 46 av. J.-C. “Ils ont décidé que son char de guerre serait placé au Capitole, tourné vers la statue de Jupiter, et sa statue de bronze élevée sur une représentation du monde, avec une inscription qui le proclamait demi-dieu.” La mise en place des statues de César continue après sa mort, sous les empereurs Auguste, Claude et Trajan. Les écrivains antiques offrent des commentaires très variés sur les portraits de César, mais aucun ne nous fournit

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une description détaillée de l’aspect de ses statues. Tout le monde savait à quoi elles ressemblaient. La découverte dans le Rhône, à Arles, d’un portrait de très haute qualité, qui ressemble à César, nous oblige à poser la question suivante : si ce portrait est bien celui de César, comment s’insère-t-il dans la série des portraits “connus” de lui, et sa proximité ou son éloignement avec ces portraits connus permettent-ils ou interdisent-ils qu’il lui soit attribué ? Mais, d’abord, dans quelle mesure les portraits de César “connus” sont-ils sûrs ? N’avons-nous pas, pendant trop longtemps, considéré de manière si traditionnelle les portraits de Tusculum, Chiaramonti et Pise comme les seules représentations de César, que nous sommes du coup devenus aveugles devant d’autres possibilités ? En ce qui concerne le César de Tusculum, n’est-ce point une erreur de lui accorder tant d’importance ; nous devrions plutôt reconsidérer la réplique qui se trouve depuis 1822-1823 à Woburn Abbey, Bechley Bucks, à Woburn, dans le Bedfordshire (fig. 5). Ce portrait doit provenir du palazzo Rondinini, à Rome. Il n’est pas aussi nettoyé et retouché que le portrait de Tusculum et se rattache au César d’Arles tant par la face que par le profil. A mon sens, le portrait de Woburn Abbey devrait jouer un rôle plus prédominant, ce qu’il fera sans doute désormais en raison de son lien étroit avec le César d’Arles1. A dater de l’automne 46, César est en Espagne. Sur le chemin du retour, il fait un séjour de plusieurs semaines pour voir comment se déroule l’occupation de Narbonne et d’Arles par ses vétérans. En 49 av. J.-C., César avait pillé Marseille, mais il avait épargné Arles, et il serait normal d’admettre qu’entre 49 et 46, la ville d’Arles a voulu lui ériger une statue honorifique de bronze ou un hermès. Comment ce portrait s’est-il retrouvé plus tard dans le Rhône, c’est une autre histoire. Le portrait de César du Rhône est celui d’un bel homme d’âge mûr, exécuté par un artiste très habile. Si ce portrait, sculpté dans un marbre blanc provenant de la partie occidentale de l’Asie Mineure, est une œuvre locale, il n’a en tout cas rien de provincial. A l’évidence, le sculpteur travaille tout à fait dans la tradition du portrait romain républicain. Peut-être était-il romain ou grec. Le matériau et le sculpteur viennent donc de l’Orient, par rapport à Arles. Il est vrai que les marbres et les sculpteurs voyageaient souvent à l’époque, à l’intérieur des limites de la Méditerranée. Le cou et l’épaule forment une ligne continue qui indique

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que le portrait était intégré dans un hermès. La coupure de l’occiput et du cou peuvent s’expliquer par un endommagement et les goujons de fer par une réparation. Il est également possible que la découpe sur l’arrière du crâne et les goujons de fer soient d’origine et aient tout simplement servi à fixer la tête contre un mur. A première vue, le portrait semble reconnaissable, ce qui s’explique dans une certaine mesure par son lien physionomique avec les César de Tusculum et Chiaramonti. Je dois avouer qu’un laps de temps important s’est écoulé avant que ne me vienne à l’esprit une réplique de ce portrait. Il faut en effet désormais reconsidérer le marbre mis au jour en 1897-1899 dans la villa romaine de Chiragan, près de Martres-Tolosane, au sud-ouest de Toulouse, à environ 300 km d’Arles (fig. 6). Léon Joulin, qui a trouvé ce portrait, l’a placé dans la catégorie des portraits du Ier siècle av. J.-C., avec le commentaire suivant : “Le très beau portrait n° 263 (hauteur 0,46 m, marbre grec, nez légèrement érodé), dans lequel la fermeté et la finesse s’unissent si heureusement, pourrait être antérieur à Trajan.” En 1937, en étudiant le portrait de Toulouse, Frederik Poulsen “a senti qu’il lui rappelait le portrait de César2”. En 1980, François Salviat et Danièle Terrer ont proposé de rattacher ce portrait à César, mais en 2005, dans le catalogue des portraits romains de Toulouse, Jean-Charles Balty et Daniel Cazes en ont fait le portrait d’un inconnu3. Le César d’Arles n’est pas à mon sens une réplique des portraits de Tusculum, Chiaramonti et Pise, mais il offre tant de traits communs avec ces portraits qu’il est bien évidemment logique de l’identifier comme un César. D’ailleurs, qui d’autre que César eût pu avoir son portrait érigé à Arles, entre grosso modo 50 et 44 av. J.-C. ? Son lien étroit avec le portrait de Toulouse renforce, en outre, grandement cette identification. Enfin, ici, il ne sert à rien, comme on le fait si souvent, de parler d’un “visage de l’époque”, mais il faut, au contraire, être ouvert à de nouvelles variations du portrait de César. En 1982, l’archéologue allemand Paul Zanker a attiré l’attention sur le fait que les portraits des citoyens romains ordinaires étaient influencés par l’effigie des personnalités dirigeantes du Sénat. C’est visiblement le portrait de César qui a exercé le plus d’influence sur son époque, puisque l’on peut parler dans les années 40-30 av. J.-C. d’un “visage de l’époque de César”. On a retrouvé par ailleurs des centaines de répliques des portraits d’Auguste, le successeur de César. Nous devons imaginer l’existence d’une production

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de portraits contrôlée par l’empereur. Mais le vieillissement du prince n’était pas tolérable. L’on ne peut pas dire, en revanche, que la théorie de Zanker sur le “visage de l’époque” soit particulièrement valable sous Auguste, le portrait de l’empereur étant trop divin pour que de simples citoyens se l’approprient pour l’appliquer à leur propre portrait. Tous les portraits de César – à l’exception de ceux des monnaies de Mettius – sont posthumes. César n’a eu ni la possibilité, ni le temps, ni le désir, ni l’organisation nécessaire pour établir, et à plus forte raison contrôler, la production de ses portraits. Dans les années qui suivent sa mort, la production de ses portraits n’est pas strictement encadrée, pas plus qu’elle ne l’a été dans les années qui l’ont précédée. Avant la mort de César, ses portraits étaient peu nombreux. Il n’est donc pas possible de dire que la production des portraits était canonisée, ni que les portraits étaient exécutés à partir d’un type donné.

Le portrait de César trouvé dans le Rhône est un portrait très précoce, l’un des tout premiers. Il est même fondé de se demander si le sculpteur connaissait bien les traits de César. Il est également permis de réfléchir sur la validité de la théorie du “visage de l’époque” durant la vie de César. La statue à laquelle appartenait le portrait du Rhône devait ressembler à “l’idée qu’on se faisait de César”. L’inscription du socle de cette statue indiquait clairement l’identité de la personne représentée. Cette inscription, absente aujourd’hui, gît peut-être au fond du fleuve, parmi des centaines de débris. Le portrait de César trouvé dans le Rhône est un défi, l’occasion d’une discussion et d’une inspiration pour ceux qui veulent réellement comprendre un peu mieux l’art du portrait romain dans les dernières années de la République.

Notes 1. Elizabeth Angelicousis, The Woburn Abbey Collection of Classical Antiquities, 1992, p. 22, n° 54.

2. Frederik Poulsen, Probleme der römische Ikokographie, 1937, p. 21. 3. Balty, Cazes 2005, p. 129, n° 4. 4. Zanker 1982, p. 307.

Traduction du danois : Monique Christiansen

Figure 5 ~ Portrait de César, dit de Woburn Abbey. Figure 6 ~ Portrait supposé de Jules César, Musée Saint-Raymond de Toulouse.

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