Les Nouvelles d'Archimède 52

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l e s   n o u v e l l e s

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rchimède le journal culturel de l’Université Lille 1

OCT NOV DÉC #

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Rendez-vous d’Archimède > Créativité et territoires > La crise

Ouverture de saison 2009-2010 En attendant le grand soir…, Une Mort moderne La Conférence du Docteur Storm Spectacle vivant / Duo Lê Quan Ninh - Tony Di Napoli, Trio Benoit - Deschepper - Huby, Drums Noise Poetry Concerts / Au plus près des étoiles : l’histoire de l’Observatoire de l’Université de Lille Exposition / Fête de la science / 4ème Valse des livres Dossier : Le 1 % artistique

2009

« Le diable est diable parce qu’il se croit bon » Ramiro de Maeztu, La crise de l’ humanisme


LNA#52 / édito

Le génie de l’Université

Nabil EL-HAGGAR

Vice-président de l’Université Lille 1, chargé de la Culture, de la Communication et du Patrimoine Scientifique

L’université française a vécu une fin d’année universitaire mouvementée, rythmée par les grèves et contestations des enseignants-chercheurs et des étudiants. Alors que certains ont parlé d’une « crise profonde » à l’université, d’autres ont souligné le manque de sérieux de l’université française, soumise aux rumeurs des étudiants et des enseignants. Et, tous, nous avons pu remarquer à quel point, dans ces périodes de crise, l’université peut devenir un bel objet médiatique. L’intérêt des médias pour l’université est donc fonction de l’importance de la contestation. En période de grève, l’université devient médiatiquement rentable. Pourtant, la vie de l’université est régulièrement marquée par des événements scientifiques, culturels, sociétaux… Mais il est si rare que la presse y fasse écho que la majorité de nos concitoyens pense que rien d’intéressant ne s’y passe. Quant au petit écran, roi des médias, il considère définitivement l’université comme objet antitélévisuel. Deux journées nationales ont été organisées sur les mathématiques en société, une conférence de presse a eu lieu en présence d’un grand universitaire médaillé Fields (l’équivalent d’un prix Nobel mais en mathématiques), aucune rédaction n’a jugé bon d’être présente ! « Ce n’est pas une priorité » nous ont-elles répondu ! Et d’ajouter : « Nous venons cet après-midi pour l’Assemblée générale des étudiants ». La communication n’est peut-être pas ce que l’université sait faire de mieux, mais il est certain que les médias ne lui facilitent pas la tâche…

L’équipe Jacques LESCUYER direction Delphine POIRETTE chargée de communication Edith DELBARGE chargée des éditions et communication Julien LAPASSET concepteur graphique et multimédia Audrey Bosquette assistante aux éditions Mourad SEBBAT chargé des initiatives étudiantes et associatives Martine DELATTRE assistante initiatives étudiantes et associatives Dominique HACHE administrateur Angebi Aluwanga assistant administratif Johanne WAQUET secrétaire de direction Joëlle FOUREZ accueil-secrétariat Antoine MATRION chargé de mission patrimoine scientifique Jacques SIGNABOU régisseur Joëlle MAVET café culture Mélanie LOS stagiaire

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Néanmoins, ne nous trompons pas, ce désintérêt des médias à l’égard de l’université n’est qu’une conséquence de son histoire. Elle est aujourd’hui victime d’une culture politique qui la secondarise, depuis des siècles, dans la république. La France est le seul pays au monde qui renvoie ses meilleurs bacheliers sur des études courtes et les moins bons sur des études longues à l’université ! En même temps, la République demande à l’université d’accueillir 80 % d’une tranche d’âge indépendamment de son niveau et sans fournir les moyens nécessaires pour amener les plus faibles d’entre eux vers une possible réussite. Malgré un passé douloureux et une permanente secondarisation de l’institution universitaire au profit des écoles et instituts, malgré une grande indifférence pour l’université et ses réalisations, malgré le peu d’intérêt que lui manifestent les politiques en général, l’université est capable de génie. Elle parvient à former et intégrer professionnellement des milliers d’étudiants, à faire avancer la recherche et l’industrie. L’université est capable de progrès, d’adaptation et d’autonomie. Elle a suffisamment de ressources et de pertinence pour dessiner les contours de la modernité et pour être une actrice incontournable du développement culturel, social et économique de notre société. Le défi que l’université doit aujourd’hui relever, et dont la responsabilité revient à la seule communauté universitaire, c’est une réforme de pensée, de culture et d’organisation des connaissances. Il appartient à la culture universitaire d’incarner la somme d’une culture humaniste et d’une culture scientifique. C’est l’inéluctable condition pour que l’université puisse accomplir pleinement l’ensemble de ses missions. Qu’elle s’inscrive à la fois dans l’exigence de la réflexion nécessaire pour poser un regard critique sur le monde, préserver la démocratie et se projeter dans l’avenir, tout en faisant preuve d’efficacité et d’utilité exigées par l’immédiateté. C’est une citation de Ramiro de Maeztu qui marquera la saison 2009/2010 : « Le diable est diable parce qu’il se croit bon ». En ce début de nouvelle saison, Jacques Lescuyer prend ses fonctions de directeur de l’Espace Culture, nous lui souhaitons la bienvenue à l’Université Lille 1.


sommaire / LNA#52 À noter pages 43-44 : OUVERTURE DE SAISON

Créativité et territoires 4-6

Créativité, économie et territoires par Christine Liefooghe

La crise 7 8

Introduction par Nabil El-Haggar - Qu’est-ce qu’une crise ? par Marcel Gauchet Les crises stratégiques (et leurs modèles mathématiques) par Daniel Parrochia

Rubriques 9-11 12-13 14-15 16-17 18-19 20-21 22-25 26-31 32-33 34-35 36-37 38-39

Questions de sciences sociales par Jean-Pierre Lavaud Mémoires de science par Marc Moyon Paradoxes par Jean-Paul Delahaye Humeurs par Jean-François Rey Repenser la politique par Alain Cambier Jeux littéraires par Robert Rapilly À lire par Bernard Maitte À lire par Rudolf Bkouche À lire, à voir par Youcef Boudjemai L’art et la manière par Nathalie Poisson-Cogez Vivre les sciences, vivre le droit… par Jean-Marie Breuvart Chroniques d’économie politique par Nicolas Postel, Richard Sobel et Henri Philipson

Dossier 27-30 : Le 1 % artistique Libres propos

En couverture : (L)armes le 9 avril 2009, l’Espace Culture recevait la Cie À corps perdus le temps d’une soirée de 5 ou 6 petites formes à la croisée du théâtre, de la danse, de la vidéo et de la performance. Photo : Julien Lapasset

40-42 Lire Jacques Roubaud par Jacques Jouet Au programme 43-44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55

Ouverture de saison Rendez-vous d’Archimède : Cycle « Créativité et territoires » Rendez-vous d’Archimède : Cycle « La crise » Question de sens : Cycle « Résistances » 4ème Valse des livres Séminaire « Nature, paysages, sociétés - Enjeux contemporains » Spectacle : En attendant le grand soir… Spectacle : Une mort moderne La conférence du Docteur Storm Fête de la science Exposition : Au plus près des étoiles L’histoire de l’Observatoire de l’Université de Lille Concert : Lê Quan Ninh/Tony Di Napoli Concert : Olivier Benoit/Philippe Deschepper/Régis Huby Concert : Trio de batterie Drums Noise Poetry

LES NOUVELLES D’ARCHIMÈDE Directeur de la publication : Philippe ROLLET Directeur de la rédaction : Nabil EL-HAGGAR Comité de rédaction : Rudolf BKOUCHE Youcef BOUDJEMAI Jean-Marie BREUVART Alain CAMBIER Nathalie Poisson-Cogez Jean-Paul DELAHAYE Bruno DURIEZ Rémi FRANCKOWIAK Robert GERGONDEY Jacques LEMIÈRE Jacques LESCUYER Bernard MAITTE Robert RAPILLY Jean-François REY Rédaction - Réalisation : Delphine POIRETTE Edith DELBARGE Julien LAPASSET Impression : Imprimerie Delezenne ISSN : 1254 - 9185

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LNA#52 / cycle créativité et territoires

Créativité, économie et territoires Par Christine LIEFOOGHE Maître de conférences en géographie économique et aménagement, Université Lille 1

« L’imagination humaine est la principale source de valeur de la nouvelle économie. » 1

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a créativité est-elle en passe de devenir le nouvel avatar de la mutation du capitalisme et le nouveau dogme du développement des territoires ? C’est ce que laisse à penser le succès des recherches et des politiques en termes de classe créative, d’industries créatives et de ville créative depuis près de dix ans, dans le monde qui entoure la France. Dans notre pays, chercheurs et institutions s’étaient habitués à parler d’économie de la connaissance et d’économie culturelle. La France semble avoir découvert la créativité comme outil de développement économique des territoires depuis que la Commission européenne a fait de 2009 une « année de l’innovation et de la créativité ». Deux mondes sont appelés à se rapprocher. D’un côté, le monde de la rationalité scientifique et productive qui fait de l’innovation, technologique en particulier, la clé de voûte de la résistance des pays développés à la mondialisation de l’économie et à la concurrence des pays dits émergents. De l’autre, un monde de la culture, largement subventionné, sommé de valoriser sur le marché les productions artistiques, le patrimoine et autres produits culturels, voire de les mobiliser pour revitaliser des quartiers, des villes et autres territoires fragilisés par la désindustrialisation et la mondialisation. La convergence de ces deux mondes est accélérée par deux mutations majeures. Une innovation technologique, la numérisation des données, permet l’industrialisation de la production culturelle mais remet en cause, paradoxalement, la valeur économique attribuée à la production intellectuelle et artistique. Quant à l’avantage comparatif des pays industrialisés en matière d’innovation, il est contesté par la Chine qui ne se contente plus d’être l’atelier du monde. La créativité estelle le dernier atout des pays qui ont jusqu’à présent dominé le monde ? C’est ce que semblent penser les Européens, les Américains et les Japonais, mais aussi les Chinois qui emboîtent très rapidement le pas des politiques à la mode dans les pays de la Triade. Du génie de Léonard de Vinci au citoyen créatif Prérogative traditionnellement divine, la créativité devient le propre de l’Homme quand il acquiert une plus grande

maîtrise de son environnement grâce à son inventivité technique. S’opposent alors deux conceptions antinomiques de la créativité. La première, et la plus ancienne, présente l’inventeur ou le créateur comme un individu d’exception, capable de révolutionner un domaine de connaissance, de compétence ou d’action. Qu’elle soit un don de la nature ou le fruit d’un travail acharné, cette créativité est une ressource rare. L’histoire de l’art, des sciences et des techniques conforte souvent les stéréotypes de l’inventeur solitaire, du génie torturé ou de l’excentrique, qui parviennent à exprimer leur inventivité en transgressant les normes sociales ou les frontières entre des disciplines tout aussi normées. La seconde approche, plus récente, considère la créativité comme une aptitude propre à tout être humain. Une formation scolaire appropriée et une éducation artistique et culturelle permettent à cette inventivité latente de s’épanouir. Tel est le postulat de l’Union européenne qui vise à promouvoir la créativité des citoyens, pour leur propre bien-être et pour atteindre des objectifs collectifs de développement. Mais pourquoi certaines périodes de l’histoire et certains pays semblent-ils plus propices que d’autres à une création artistique exceptionnelle, à l’effervescence intellectuelle et à la profusion d’inventions techniques ? Pour M. Csikszentmihalyi 2, la créativité naît de l’interaction entre un individu et un contexte socio-culturel à une époque donnée. À Florence, au XVème siècle, banquiers, commerçants et hommes d’église passaient commande aux artistes, pour leur prestige personnel, celui de Dieu ou de la ville. Mais la sélection des projets était sévère, ce qui poussait les artistes à se surpasser dans l’espoir d’être délivrés des soucis financiers. Cette émulation et l’ouverture à d’autres cultures entretenaient l’attractivité artistique de Florence, son développement économique et sa domination politique. Serait donc créatif ce qui acquiert une légitimité au sein du groupe social ou épistémique auquel appartient ou veut appartenir le créateur 3. Inversement, reconnaître l’aptitude créative de tout individu revient à dire que toutes les créations se valent. Cette tension entre individu et société est une contradiction qui sous-tend tous les débats sur le rôle de la créativité en matière de développement économique, social et territorial.

Csikszentmihalyi M., 2006, La créativité. Psychologie de la découverte et de l’ invention, Paris, éd. Robert Laffont. 2

Tom Peters, Crazy Times Call for Crazy Organizations, New York, Vintage Books, 1994, p. 12.

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Rouquette M. L., 1973, La créativité, Paris, éd. PUF, Coll. Que sais-je ?, (édition 2007, n° 1528).

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cycle créativité et territoires / LNA#52

MONDIALISATION INEGALITES DE DEVELOPPEMENT REGIONAL

VILLE DUALE NON DURABLE

ECONOMIE CREATIVE

LOCALISATION

VILLE CREATIVE

ATTRACTIVITE

COMPETITIVITE

REGENERATION URBAINE

EQUIPEMENTS CULTURELS GENTRIFICATION VIE NOCTURNE

INNOVATION

CLUSTERS CREATIFS

QUARTIERS CREATIFS CLASSE CREATIVE

INDUSTRIES CREATIVES

CREATIFS

Ch. LIEFOOGHE, TVES

ARTISTES

COLLECTIFS D'ARTISTES

CREATIVITE

Université Lille 1, 2009

De l’innovation à la créativité : l’imagination au service de l’économie Comment faire de l’argent avec de l’émotion, du désir, du besoin de reconnaissance et autres valeurs qui font l’être humain, telle est la nouvelle frontière d’une économie de la connaissance mondialisée. Obsolescence organisée des produits, valorisation des marques, du design et de la nouveauté, séduction suggestive et rêves de stars sont quelques parades des entreprises pour contrer la concurrence par les coûts. Cet empire de l’éphémère et de la mode 4, cette économie libidinale 5 investit également la sphère culturelle 6. Longtemps considérés comme des postes déficitaires, le patrimoine et surtout la création artistique deviennent des produits culturels, dupliqués grâce aux technologies numériques : la créativité individuelle, l’imagination, la propriété intellectuelle sont sources de création de richesse et d’emplois. Les États, à l’imitation du gouvernement travailliste britannique des années 1990, reformatent les nomenclatures pour mettre en exergue les « industries créatives ». Du livre au Lipovetsky G., 1987, L’empire de l’ éphémère, Paris, éd. Gallimard.

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5 Stiegler B., 2006, Réenchanter le monde. La valeur esprit contre le populisme industriel, Paris, éd. Flammarion.

Greffe X., 2006, Création et diversité au miroir des industries culturelles, Paris, éd. La Documentation française. 6

cinéma et à la musique, du jeu vidéo à la publicité et à la mode, du design à l’architecture, des services informatiques aux musées et à la joaillerie, de l’édition à la presse et aux productions télévisuelles, la diversité de ce secteur d’activités n’a d’égal que l’espoir des institutions de trouver un nouveau moteur de croissance économique. L’individu créatif est ainsi au cœur du système productif, alors même que l’innovation est de plus en plus le fruit d’un processus d’apprentissage collectif. Autre paradoxe de l’économie créative qui conduit à deux types de stratégies. La première consiste à recruter ces talents spécifiques dont les industries, traditionnelles ou créatives, ont besoin ou, du moins, à booster la créativité de ceux qui composent déjà les fonctions stratégiques de l’entreprise. À l’inverse, pour A. Robinson et S. Stern 7, la créativité est une capacité partagée par le plus grand nombre et « l’entreprise créative » se doit d’encourager les échanges entre services, l’exploitation de l’imprévu et l’expérimentation informelle, pour faire naître des projets innovants non programmés. Alors que l’organisation hiérarchique des firmes est un frein à l’expression de la créativité, l’artiste devient l’archétype de ce travailleur flexible, motivé et inventif que recherchent les entreprises Robinson A.G., Stern S., 2000, L’entreprise créative. Comment les innovations surgissent vraiment, Paris, éd. d’Organisation.

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LNA#52 / cycle créativité et territoires

innovantes et les industries dites créatives, quand il ne devient pas lui-même entrepreneur 8. Situation paradoxale qui fait de l’individu créatif non-conformiste le dernier rempart des entreprises et des territoires contre la mondialisation, au risque de l’instrumentalisation de la créativité individuelle. Classe créative, ville créative et disparités de développement La créativité devient-elle un facteur de développement économique des territoires ? Tel semblent le croire les politiques, séduits tantôt par la thèse de la « ville créative » du sociologue britannique Charles Landry, tantôt par celle de la « classe créative » de l’économiste américain Richard Florida. L’hypothèse est que l’attractivité d’un quartier ou d’une ville vis-à-vis des artistes et autres créatifs conditionne la localisation des entreprises intéressées par ce type de capital humain, et donc la compétitivité d’un territoire dans un contexte de forte concurrence mondiale. Mais audelà de cette hypothèse commune, les deux chercheurs ne travaillent pas à la même échelle. R. Florida 9 met en valeur les corrélations statistiques entre importance de la « classe créative » et dynamique économique. Les villes les plus attractives combineraient, selon lui, Talents (artistes et créatifs), Tolérance (diversité ethnique, communauté Gay) et Technologies (innovations). En dépit des nombreuses critiques scientifiques apportées à la méthodologie utilisée et à l’usage de la notion de classe, les villes continuent de mesurer leur attractivité à l’aune médiatique de ces « 3 T ». Quant à C. Landry 10, la « ville créative » est celle qui renonce à son passé industriel finissant pour parier sur le développement d’activités artistiques et de clusters 11 d’industries créatives. Cette conception de la revitalisation économique et sociale d’anciens quartiers industriels a été plébiscitée par nombre de villes en Europe et dans le monde.

8 Menger P.M., 2002, Portrait de l’artiste en travailleur, Métamorphoses du capitalisme, éd. du Seuil et de la République des Idées. 9

Florida R., 2002, The rise of the creative class, New York, Basic Books.

10 Landry C., 2006, Culture et régénération urbaine. Activités culturelles et industries créatives, moteurs du renouvellement urbain, Rapport pour le Réseau URBACT CULTURE / ADULM. 11 Grappe d’entreprises, à la fois concurrentes et partenaires, dans une même filière d’activités.

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Artistes et Talents sont ainsi une ressource rare que se disputent les villes. Pour les attirer, elles misent sur la qualité de vie, les politiques culturelles, la régénération urbaine et soutiennent le développement des industries créatives. Mais ces villes ne risquent-elles pas de favoriser une nouvelle élite, la classe créative, sur laquelle repose l’espérance de développement ? D’autant que d’autres travaux de recherche contestent la préférence des créatifs pour le cœur des villes, leur vie nocturne et leurs animations culturelles, thèse également avancée par R. Florida. La mutation de quartiers industriels par des collectifs d’artistes n’est pas non plus exempte de contradictions. La vie artistique a attiré bars, restaurants et boutiques à proximité de nouvelles galeries d’art. Dans une deuxième phase se sont parfois installées des sociétés de multimédia et autres industries créatives. L’attractivité retrouvée de ces quartiers entraîne spéculation foncière et gentrification, au détriment des artistes. Aussi C. Landry a-t-il fait évoluer son approche de la ville créative vers une gouvernance plus respectueuse de l’environnement et de la diversité socio-ethnique. Quoi de commun entre une métropole multimillionnaire et des villes plus modestes qui veulent s’inscrire dans l’économie créative ? Pourtant, la dynamique qu’on observe à New York ou Los Angeles sert de modèle, explicite ou implicite, aux politiques de villes qui n’ont pas la même masse critique en termes de tissu économique, de marché du travail et d’animation culturelle. Comment la créativité peut-elle devenir une ressource pour le développement territorial quand les conditions préalables à ce développement n’existent pas ?


cycle la crise / LNA#52

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omme chaque année universitaire, les Rendez-vous d’Archimède se déclinent en trois thèmes : l’un sociétal, le second dit intemporel, enfin le troisième qui abordera régulièrement, à travers des rencontres-débats, les questions scientifiques. Pour cette saison 2009-2010, nous avons choisi comme premier thème « La crise ». Aurions-nous pu faire autrement alors que le monde est rythmé, depuis plus d’un an, par les affres de la crise économique et financière ? Une crise bel et bien réelle mais dont personne n’est tenu pour responsable et dont les conséquences ne sont pas vécues de la même manière par tous. Nous savons que cette crise est essentiellement celle du capitalisme financier basé uniquement sur les profits. Il est vrai que l’homme est suffisamment inventif pour réussir à survivre et se sortir des crises, néanmoins il reste incapable de les prévenir. Alors, s’agit-il d’une crise de plus ? Ou marque-t-elle un seuil qui n’aurait jamais dû être atteint ? Ce qui est sûr, c’est que cette crise financière et économique satellise bien des objets… L’objet politique en crise est sans doute le plus paradoxal parmi tous les autres. Depuis que la politique a démissionné pour ne s’adonner qu’à la gestion, abandonnant les rênes du monde à l’économique, elle s’est elle-même mise en crise et a rendu possible celle que nous subissons aujourd’hui. « La politique réduite à des activités de gestion des affaires relatives à la ‘chose publique’ ne peut, en aucune manière, honorer la raison d’être du politique, d’autant plus qu’elle est perçue par les membres de la Cité comme un instrument du pouvoir dont il faut se méfier 1 ». C’est pourquoi la part de responsabilité du politique dans la crise actuelle est sans doute très importante. D’ailleurs, les politiques tentent de gérer la crise pendant que la chose commune perd, chaque jour, un peu de sa consistance. C’est ce que révèle au grand jour la crise de la démocratie et de l’ensemble des partis et représentations politiques. Dans le même temps, notre monde, riche et inquiet, se demande si cette crise aura des conséquences durables. Modifiera-t-elle les équilibres de pouvoir sur la planète ? Impulsera-t-elle un nouvel ordre qui dépasse le cadre multipolaire ? Le système responsable de tant de misères est-il réformable ? De l’autre côté de la planète, le quotidien d’une majeure partie de l’humanité est rythmé par la violence, la pauvreté et la domination ; dans les pays riches, nombreux sont ceux qui se projettent encore dans un quotidien paisible. Sûrs de l’irréversibilité de nos acquis, nous avons longtemps exclu d’éventuels bouleversements. Pourtant, ils se déroulent devant nous au quotidien. Le thème de « La crise » sera discuté à travers une dizaine de conférences et une journée d’études selon une déclinaison qui se veut suffisamment plurielle afin de dépasser le seul angle économique et financier : crises dans le corps humain, l’urgent et le durable, crise écologique… Par Nabil EL-HAGGAR

Qu’est-ce qu’une crise ? Par Marcel GAUCHET Historien et philosophe, directeur d’études à l’EHESS au Centre de recherches politiques Raymond-Aron

En conférence le 20 octobre

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e l’avis général, nous sommes au milieu d’une crise parmi les plus graves – la plus profonde depuis 1929 –, dont on ne peut exclure qu’elle se prolonge des années. Crise financière, crise économique, crise sociale, crise politique : nous risquons de parcourir toute la gamme des déclinaisons de la notion. Encore n’est-il pas sûr que celles-ci épuisent toutes les possibilités en la matière. Après tout, il y a de bonnes raisons de penser que nous sommes en présence d’une crise de fonctionnement globale du modèle sur lequel vivent nos sociétés. C’est dire que nous n’en avons pas fini avec ce terme de « crise ». Il promet d’être au centre de nos interrogations et du discours public pendant un long moment. Raison de plus d’en regarder de près le sens. Car, son omniprésence n’a d’égale que son indéfinition. Il paraît vide à force d’être obsédant. À tel point que d’aucuns en rejettent l’emploi par principe, en dénonçant une facilité de langage qui trompe plus qu’elle n’éclaire – si tout est toujours déclaré en crise, alors plus rien ne l’est, en fin de compte. Fausse rigueur, qui soulève cependant une vraie question. « Crise » fait partie, en effet, de ces mots dont l’abus est étroitement lié à ce qui les rend indispensables. La rigueur authentique, devant une situation de ce genre, consiste à élucider les motifs de cette séduction, en même temps qu’à circonscrire la spécificité de l’objet qui rend la notion nécessaire. Il n’est pas moins important de saisir ce qui nous porte à en abuser que d’en établir la teneur exacte. Ce n’est que de cette manière qu’on peut aboutir à un mode d’emploi raisonné. C’est dans cet esprit qu’on s’efforcera de parvenir à une définition à la fois rigoureuse et compréhensive du concept de crise. On retracera pour ce faire la généalogie de la notion, de la médecine à l’économie, en examinant quelques-unes de ses utilisations les plus exemplaires. On s’attachera enfin, à la lumière de la crise en cours, à déterminer aussi précisément que possible ce que crise veut dire, non sans tâcher de cerner par la même occasion ce qui fait de ce mot de crise l’un des repères favoris de notre expérience du changement historique.

Jean-Pierre Vernant, Mythe et pensée chez les Grecs, I, éd. Maspero, 1971, Paris.

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LNA#52 / cycle la crise

Les crises stratégiques (et leurs modèles mathématiques) Par Daniel PARROCHIA Université Jean Moulin - Lyon III

En conférence le 1er décembre

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et exposé, qui rend compte pour l’essentiel d’un travail effectué pour le groupe de recherche et de réflexion sur la gestion des crises au CHEAR (Centre des Hautes Études sur l’Armement) au début des années 2000, a deux buts : montrer en quoi le recours aux formalismes peut éclairer la notion de crise et présenter une petite sélection de modèles (parmi bien d’autres) susceptibles d’être utiles à cet effet. L’ensemble de ces propos ne prétend évidemment pas que la gestion de crise pourrait relever d’automatismes a priori ni qu’elle pourrait se passer du concours des diplomates, militaires, juristes et spécialistes des SHS en général. Nous aborderons successivement la notion de crise (et de crise internationale tout spécialement), puis les questions d’identification et de reconnaissance, avant d’en venir aux problèmes d’explication et de prévision. Moment politiquement décisif dû à l’aggravation soudaine d’une situation instable susceptible de dégénérer en conflit armé, la crise est perçue comme une sorte d’intensification de la dimension conflictuelle « normale » des relations internationales. Plus qu’un point précis ou un moment particulier du temps, elle est un intervalle ouvert situé sur un axe dont les extrémités pourraient être les deux types idéaux de la coopération pure et du conflit pur. On peut appeler globalement « gestion de crise » l’ensemble des méthodes à mettre en œuvre pour : 1 - Prévenir la crise, autrement dit empêcher qu’elle n’advienne (prévention) ; 2 - La prévoir si elle s’avère inévitable (prévision) ; 3 - La reconnaître si elle n’est pas inédite (identification) et la comprendre par rapport à d’autres (interprétation) ; 4 - La manœuvrer (manœuvre ou gestion de crise proprement dite) ; Enfin, 5 - La clore en lui trouvant une issue favorable (sortie de crise). Nous montrerons que la phase de prévention (qui implique en réalité toute la politique d’un État) est trop indéterminée et trop peu testable pour donner lieu à l’élaboration de modèles, et que la manœuvre de la crise comme sa clôture (sortie de crise) sont également des moments trop délicats pour être formalisés et, a fortiori, confiés à un pilotage automatique. Tout au plus peut-on imaginer que des simulations de stratégies (théorie des jeux) puissent être utilisées en appui à des analyses diplomatiques. Il reste donc l’identification et la prévision, phases pour lesquelles nous proposons quelques modèles actuellement disponibles. 8

A) Les méthodes utilisées pour comparer et identifier les crises sont généralement des méthodes de reconnaissance de formes qui ont trouvé leurs premières applications en génétique et en reconnaissance de la parole. Il s’agit de chercher à saisir automatiquement des analogies entre des crises historiques différentes, afin de pouvoir ensuite appliquer au même type de situations des schémas d’analyse et de traitement qui ont fait leur preuve et se sont trouvés validés par l’expérience. Un exemple est celui des processus de Markov. B) Concernant l’explication et la prévision, on peut distinguer trois grands types de modélisation des crises : - Les Modélisations de type déterministe • Théorie des jeux (Von Neumann, 1944) ; • Théorie des systèmes (Richardson, 1960) et chaos déterministe ; • Théorie des catastrophes (Thom, 1972) ; - Les Modélisations stochastiques (Cioffi-Revilla, 1998) - Les Modélisations et simulations issues de l’informatique • Réseaux de Petri (Cl. Michel) ; • Modèles multi-agents (Cardon, Sallantin). Notre conclusion, après étude, est qu’on ne doit pas trop s’illusionner, pour l’instant, sur la possibilité de traiter les crises par des adjuvants mathématico-informatiques. Prévention, manœuvre, sortie de crise relèvent surtout, comme on l’a dit, de la diplomatie. Identification et reconnaissance automatique des formes de crises restent à l’état expérimental. Quant à la prévisibilité, elle bute sur différents obstacles : - Le repérage des signaux faibles ; - La multiplicité et l’incertitude des scénarios, même déterministes ; - La contingence des situations historiques et la relative liberté des acteurs. La gestion des crises gardera sans doute toujours quelque chose d’ « artisanal ». Cependant, dans le contexte d’un monde complexe et où sont récemment apparues de nouvelles formes de crises, le nombre d’informations à traiter tend incontestablement à s’accroître. La modélisation peut donc s’avérer, malgré tout, une aide non négligeable.


questions de sciences sociales : rubrique dirigée par Bruno Duriez et Jacques Lemière / LNA#52

Prologue à la lecture des nouvelles en provenance de Bolivie Par Jean-Pierre LAVAUD Professeur émérite, Université Lille 1

Le sociologue nord américain Peter L. Berger présente la sociologie comme un « art de la méfiance », et il voit le sociologue comme celui qui va regarder « derrière les façades » avec « une visée démystifiante » qui le conduit à « l’irrespect intellectuel » 1. C’est avec cet état d’esprit que je vais rapidement présenter quelques données sur la Bolivie permettant de prendre un peu de recul pour interpréter, ou au moins recadrer, les maigres nouvelles transmises par les médias à propos des transformations politiques et des affrontements sociaux qui s’y déroulent depuis l’élection d’Evo Morales à la présidence, à la fin de l’année 2005.

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e qui est dit de la Bolivie véhicule en effet des clichés tenaces. On ne verra généralement pas malice à la considérer comme un pays rural représenté par la photo emblématique de la gardienne de moutons ou de lamas sur fond de cordillère enneigée. Or, la population urbaine qui était de 62 % au recensement de 2001 a maintenant dépassé les 70 %, et l’axe urbain La Paz-El Alto, Cochabamba, Santa Cruz comprend à lui seul 40 % de la population du pays. On la voit aussi comme un pays andin. Sa capitale, La Paz, n’est-elle pas située à plus de 3000 mètres d’altitude ? Et qui ne connaît pas le lac Titicaca ou les légendaires richesses de la montagne de Potosi ? Mais, il suffit de regarder attentivement une carte pour se rendre compte que la majeure partie du territoire est à basse altitude et relie le bassin amazonien au bassin du Rio de la Plata (au moins 70 %). Et si, depuis l’indépendance du pays (1825) jusqu’aux années 1950, la majeure partie de la population (55 à 60 %) était effectivement rassemblée sur le haut plateau (altiplano), du fait de l’urbanisation et des migrations, aujourd’hui, dans ce pays qui compte 10 millions d’habitants pour une superficie équivalente à deux fois celle de la France, le département oriental de Santa Cruz a autant d’habitants que celui de La Paz (2 500 000) ; le tiers de la population nationale habite trois départements de plaine (Santa Cruz, Beni, Pando), tandis que les départements d’altitude (Oruro, Potosi, La Paz) n’en accueillent plus qu’un peu moins de 40 %. L’importance économique relative des départements orientaux ne cesse de croître. Leur décollage a sans nul doute été favorisé par l’exploitation des hydrocarbures. Mais la majeure partie de la richesse du département de Santa Cruz provient d’une agriculture et d’une industrie dynamiques – principa-

lement une agro-industrie – (respectivement 15 % et 14 % du PIB départemental en 2007 ; soit 43 % et 35 % de la part nationale dans ces deux rubriques). On mesurera le renversement de situation en sachant qu’en 1970 le département de La Paz, qui engendrait 33 % du PIB national, n’en produit plus que 24,6 % en 2007, tandis que la part de Santa Cruz a grimpé de 16,6 % à 28,2 % dans le même intervalle. Le gouvernement actuel présente volontiers Santa Cruz comme le domaine privé d’une oligarchie de Blancs riches et omnipotents, fer de lance du modèle capitaliste néo libéral à combattre. De fait, le boom économique de Santa Cruz a engendré un pôle de richesse relative. Mais on serait plus fondé à parler de moindre pauvreté. En 2007, le PIB par habitant de la Bolivie était de 1360 dollars, celui de Santa Cruz de 1484 dollars ; 58,6 % des Boliviens étaient pauvres et 38 % des habitants du département de Santa Cruz (selon l’indice NBI : nécessités de base insatisfaites). Il y a certes des grands propriétaires terriens dans ce département, comme dans tout l’Orient bolivien, ainsi que des familles qui concentrent des biens divers (fonciers, immobiliers, industriels, commerciaux, bancaires…). Et l’on peut sans doute y voir une oligarchie 2, représentée notamment dans un Comité Civique (regroupement large de toutes les associations locales et mené par les chambres consulaires) qui porte la revendication régionaliste depuis les années 1950, mais il est excessif d’en faire une instance dominatrice. On s’expliquerait mal, sinon, pourquoi elle a été largement suivie par les habitants depuis tant d’années – notamment lors de toutes les consultations électorales récentes, alors même que les caractéristiques de la population locale ont complètement changé : 40 000 habitants à Santa Cruz de la Sierra en 1950, 1 500 000 maintenant ; plus de la moitié des habitants du département est issue de tous les autres départements du pays, principalement de celui de Cochabamba, et une partie de colonies étrangères (japonais, mennonites…) ; ce qui en fait un creuset de la population nationale. On voit volontiers la Bolivie comme un pays indien, ayant enfin ! à sa tête un président indien, Evo Morales – le premier dit-on de Bolivie et d’Amérique du Sud 3. Et, c’est En fait, ce terme est neutre et signifie le gouvernement du petit nombre. On peut donc aussi bien fonder l’existence d’une oligarchie des cocaleros (producteurs de coca) ou, encore, d’une nouvelle oligarchie gouvernante.

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S’il était acceptable de définir l’Indien comme celui qui est porteur de sang indien (quelle qu’en soit la proportion), rappelons que le président Andrés de Santa Cruz, qui gouverna la Bolivie quelques années après l’indépendance du pays, de

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Peter L. Berger, Comprendre la sociologie, Paris, éd. du Centurion, 1973.

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Cartes : Roberto GIMENO et Atelier de cartographie de Sciences Po, février 2009

LNA#52 / questions de sciences sociales : rubrique dirigée par Bruno Duriez et Jacques Lemière

d’ailleurs un des leitmotive de la propagande du gouvernement, autant à usage interne qu’externe, que de se présenter comme celui qui décolonise le pays et redonne enfin leur place aux populations originaires. Cette scie occulte plus de 500 ans d’histoire de mélanges biologiques et culturels. C’est si vrai que Charles-Quint, inquiet de la place que prennent les métis dans la nouvelle colonie, décrète en 1549 qu’ils ne peuvent exercer de charges publiques sans une licence royale, ne peuvent taxer les Indiens, ou être cacique de villages indiens, et il leur interdit le port d’arme. Au moins depuis la fin du XVIème siècle, il existe dans les Andes une couche sociale identifiée comme métis, localisée dans les villes et les bourgs, constituée principalement d’artisans, de commerçants 4 et d’employés des deux sexes. Cela ne signifie aucunement que tous les métis biologiques s’y trouvent rassemblés – il y en a aussi parmi les Espagnols et les Indiens – mais cela montre au moins que l’on reconnaît leur existence et que certains d’entre eux occupent une place ou une position sociale dans la cité. Et Santa Cruz de la Sierra, la

1829 à 1839, avait pour mère une fille de cacique de la région du lac Titicaca, Juana Basilia Calahumana. En Amérique latine, d’autres peuvent aussi prétendre au titre tel Benito Juarez, président du Mexique (1858-1864) ou Alejandro Toledo, président du Pérou (2001-2006). Rappelons enfin que Victor Hugo Cardenas, un des fondateurs du mouvement indianiste bolivien, fut vice-président de la Bolivie de 1993 à 1997. On ne connaît pas le degré de métissage biologique d’Evo Morales. Et, à s’en tenir à ce seul critère, il y a fort à parier que, dans la longue liste des présidents boliviens, on trouverait d’autres Indiens. 4 Voir la thèse passionnante de Véronique Marchand, chargée de recherche au CLERSÉ : Organisations et protestations des commerçantes en Bolivie, Paris, éd. L’Harmattan, 2006.

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ville soi-disant blanche, est fondée en 1561 par une expédition venue d’Asunción composée d’Espagnols, d’Indiens guaranis et de métis appelés dans cette région montagnards (montañeses) – appréciés pour leurs qualités guerrières. En 1793, un Intendant de la couronne, Francisco de Viedma 5 y dénombrait 4303 Espagnols, 1376 métis, 2638 cholos (union indien et métis), 2111 Indiens, 150 nègres. En revanche, ce qui est vrai, c’est que c’est la seule ville de Bolivie où la langue espagnole s’est imposée rapidement à tous 6. Au plan culturel, il suffit de voir la prégnance de la religion catholique dans les campagnes comme dans les villes pour saisir la profondeur du syncrétisme. Il en va de même pour ce qui concerne les techniques, les modes de vie, l’habillement, les mœurs, les modes de pensée… Je ne citerai qu’un exemple spectaculaire et émouvant de cette hybridation culturelle. Les Jésuites ont organisé, en Bolivie, certaines de leurs célèbres missions dans les territoires de Moxos et Chiquitos (dans les départements actuels du Beni et de Santa Cruz). Les Indiens regroupés dans ces « réductions » – qui abritaient des groupes aux origines et aux langues diverses – y étaient évangélisés par la musique, et des maîtres de musique venus du vieux continent écrivaient des partitions, destinées à cette œuvre. Dans la région de Chiquitos, l’acculturation musicale fut relativement brève : débutée en 1730 (la première mission y avait été fondée en 1690), elle se termina avec l’ordre d’expulsion des jésuites pris par la couronne espagnole en 1767. Or, quelle ne fut pas la surprise du savant naturaliste français Alcide d’Orbigny quand, en juillet 1831, à San Javier de Chiquitos, il entendit chanter une grande messe italienne : « chaque chanteur, chaque choriste ayant son papier de musique devant lui, faisait sa partie avec goût, accompagné de l’orgue et de nombreux

Francisco de Viedma, Descripción geográfica y estadística de la provincia de Santa Cruz de la Sierra, 1793.

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Alcide d’Orbigny en fait le constat en 1831. Voyage dans l’Amérique méridionale, Tome 2, Paris, 1844, p. 572.

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questions de sciences sociales : rubrique dirigée par Bruno Duriez et Jacques Lemière / LNA#52

violons fabriqués par les indigènes… J’écoutais cette musique avec d’autant plus de plaisir que, dans toute l’Amérique, je n’en avais pas entendu de meilleure » 7. Il relate la même aventure à Moxos : « On exécuta une grand-messe italienne qui me paru moins bien chantée qu’à Chiquitos, tandis que je fus au contraire plus frappé de la musique instrumentale, remplie d’harmonie… ». Et récemment, en 1991 et 1992, le musicologue et chef d’orchestre argentin Gabriel Garrido constatait, lors de l’office religieux des fêtes de San Ignacio de Moxos, que d’anciennes partitions étaient toujours interprétées par un chœur accompagné de violons de fabrication artisanale et de flûtes traversières. Étrange paradoxe que celui de colonisés qui ont sauvé de l’oubli un patrimoine musical de colonisateurs en l’incorporant à leurs propres rituels 8. En dépit de ce métissage et de ces hybridations indéniables, l’existence d’Indiens – en Bolivie, et ailleurs dans les Amériques – s’impose toujours comme une évidence. Au point même qu’on en fait le décompte. Depuis 2001, sur le modèle nord américain, et suivant les recommandations d’organisations internationales (OIT, ONU, CEPAL…) qui estiment que c’est la voie vers la construction de la citoyenneté sociale, le découpage est effectué par la population ellemême, lors du recensement, sur la base de la réponse à une question d’auto-affiliation à un peuple ou à une nation (en fait, ce sont des ensembles linguistiques). À la question : « À quel peuple ou nation indigène appartenez-vous (aymara, quechua…) ? », on répond en cochant la case correspondante de la liste ; et l’on obtient le nombre des Indiens en totalisant les réponses positives pour chaque peuple : 62 % en 2001 (dont 1 510 560 quechuas et 1 243 728 aymaras). Si on avait posé la question de savoir qui se considère Blanc, indigène, métis, Noir, comme cela a été fait dans ce même pays de manière répétée auprès d’échantillons représentatifs de la population, on aurait obtenu entre 10 et 18 % d’Indiens et plus de 60 % de métis – l’Équateur, qui avait choisi cette option en 2001, s’était retrouvé avec 7 % d’Indiens

Alcide d’Orbigny, op. cit.

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8 Pour une histoire documentée de cette transmission de la musique baroque dans les Amériques, voir Alain Pacquier, Les chemins du baroque dans le Nouveau Monde. De la Terre de feu à l’embouchure du Saint Laurent, Paris, éd. Fayard, 1996. Cette musique retrouvée est écoutable dans la collection Les chemins du baroque, Label K617. La ville de Santa Cruz de la Sierra organise, tous les deux ans, un festival international de musique baroque où concourent des orchestres du monde entier, qui se déroule à la fois dans la ville et dans les ex missions, et des programmes de coopération ont permis d’associer la population à une renaissance musicale qui contribue à la vie et à l’essor local.

et 77 % de métis. Un autre découpage, selon par exemple le critère de la langue utilisé précédemment depuis 1950, aurait abouti à un chiffre encore différent. On comprend donc aisément qu’il n’est pas innocent de comptabiliser les Indiens, qu’il ne peut y avoir de décomptes neutres, chaque technique renvoyant à des définitions de l’Indien plus souvent implicites qu’explicites, et visant à produire un résultat qui légitime des visions idéologiques et des politiques publiques spécifiques. Après avoir été longtemps la catégorie administrative de ceux que l’on exploitait et qui payaient le tribut (pendant toute la période coloniale), puis celle de paysans, toujours aussi exploités, après l’Indépendance, l’Indien est devenu dernièrement le sujet de cultures ou d’ethnies singulières. C’est sur ce fond d’appréhension culturelle de l’Indien qu’on les a d’abord recensés en Bolivie selon le critère de la langue (1950, 1976 et 1992), puis celui de l’auto-identification. Selon cette vulgate, des cultures ou des ethnies du passé auraient perduré qu’il suffirait de dépoussiérer ou de libérer. Et les mouvements indianistes revendiquent, de ce fait, des bénéfices ou des avantages : des terres ou des territoires, des gouvernements autonomes et une justice propre, des prérogatives sociales et des expressions culturelles spécifiques. Ils ont obtenu gain de cause dans la nouvelle Constitution politique approuvée lors d’un référendum entaché de fraude en janvier dernier. Il reste à voir comment cette nouvelle architecture nationale va se mettre en place. Comment vont s’articuler ces constructions indiennes avec le reste du tissu national, qualifié de blanco-mestizo, au sein d’un territoire de plus en plus urbanisé ? Et comment vont évoluer ces entités autonomes, rivales pour certaines, divisées pour d’autres ? Pour l’heure, les écarts de pouvoir, de prestige et de richesse croissent entre des représentants politiques indianistes membres d’une élite mondialisée, ou des entrepreneurs et commerçants prospères, et les masses indiennes qu’ils représentent : selon divers rapports, la pauvreté s’est même accrue ces trois dernières années en dépit des recettes engrangées par le pays du fait de l’envolée du prix des matières premières jusqu’en 2008, et en dépit des primes que le gouvernement a distribué aux personnes âgées et aux enfants d’âge scolaire.

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Géométrie et mesurage des champs dans l’Antiquité latine Par Marc MOYON Historien des mathématiques, Centre d’Histoire des Sciences et d’Épistémologie de Lille

Ce mot est formé de deux mots grecs, géô, terre, & metrein, à lui donner un caractère pédagogique. Deux chapitres du mesure ; & cette étymologie semble nous indiquer ce qui a Livre V sont consacrés au mesurage des champs. Le premier donné naissance à la Géométrie : imparfaite & obscure dans s’intitule « Comment tu dois mesurer les formes données aux son origine comme toutes les autres sciences, elle a comchamps ». Il s’agit d’une introduction au chapitre suivant. Y mencé par une espèce de tâtonnement, par des mesures & des sont distinguées les tâches relevant de l’agriculteur de celles opérations grossières, & s’est élevée peu de l’arpenteur. Columelle précise, par Lorsque les procédures ne sont pas exactes, à peu à ce degré d’exactitude & de su- les erreurs d’approximation commises, pour des exemple, que la mesure des champs blimité où nous la voyons. 1 « appartient plutôt à la géométrie qu’ à dimensions probablement caractéristiques des terrains usuels pour les formes considérées, sont l’agriculture ». Suit un exposé sur les moindres, voire négligeables : + 29 (respectivement a description des connaissances + 2) pieds carrés pour le triangle (respectivement principales unités de mesure utilisées géométriques disponibles en latin pour le cercle). dans le sud de l’Espagne et en Gaule. effet, dans le pire des cas, cette erreur est moins dans l’Antiquité tardive prend appui En Les pieds, les pas, les actes, les climats, qu’un demi-scrupule * présenté par Columelle sur l’ensemble des productions d’un comme la « plus petite mesure » nécessaire à les jugères, les stades et les centuries territoire qui correspond grosso modo l’ « estimation des travaux effectués » au-dessous sont parmi les plus importantes. Enfin, de laquelle « aucune rétribution ne dépend ». Cette à l’Empire romain d’Occident du dernière remarque laisse entendre que les calculs il regrette que le calcul de la surface des Vème siècle. Cet empire est limité par exposés par Columelle seraient ceux pratiqués par champs ne soit pas toujours facile en la péninsule ibérique, l’est du bassin les arpenteurs de l’administration fiscale pour le raison de leur forme et amène ainsi le paiement de l’impôt sur les terres, ou bien par les méditerranéen, l’actuelle Angleterre propriétaires fermiers pour le calcul du fermage second chapitre « à propos des formes vaet le Maghreb. L’administration de des parcelles. Dans ces conditions, est-il vraiment riées des champs et de leurs mesurages ». de préciser qu’ils majorent toujours la valeur l’Empire disposait de quelques moyens utile exacte ? pour mesurer des superficies. Les éléUne contribution géométrique ? ments du savoir géométrique, relatif à * 1 jugère = 576 demi-scrupules = 28800 pieds carrés. cette période, sont à chercher en partiColumelle se livre à un exposé très culier dans les écrits agricoles et juridiques liés à l’arpentage didactique avec un énoncé numérique à caractère général. et au mesurage des champs. Même si les nombreuses éditions postérieures présentent des

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Columelle et le De re rustica Avec son De re rustica [De l’agriculture] 2, Columelle (Ier s. de notre ère) peut apparaître comme un pionnier de cette littérature latine. Originaire de Cadix, il possédait de grandes propriétés qu’il administrait lui-même. Ses nombreux voyages en Espagne, en Italie mais aussi en Asie ou en Afrique, lui ont permis de rencontrer différentes méthodes de culture. En s’installant à Rome, capitale des affaires de l’Empire, il est devenu un des plus grands écrivains géoponiques 3 de langue latine. Plusieurs manuscrits conservent le De re rustica de Columelle dont le sujet concerne l’exploitation des grandes propriétés agricoles. L’ouvrage, réparti en douze livres, est rédigé dans un style élégant, précis et extrêmement clair, ce qui contribue D’Alembert, Article Géométrie dans Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers, vol. 7, 1757.

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Notre édition de référence est l’ouvrage de Varron réalisé en 1533, Scriptores rei rustica, Libri de re rustica (disponible sur gallica.bnf.fr).

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Auteur d’ouvrages en relation avec le travail, la culture de la terre.

figures géométriques (cf. fig. 1), nous ne pouvons assurer que l’œuvre originelle en contenait. Il propose neuf éventualités selon la forme du champ à mesurer, à savoir dans l’ordre : le carré, le rectangle, le trapèze isocèle, le triangle équilatéral, le triangle rectangle, le cercle, le demi-cercle, l’arc de cercle inférieur au demi-cercle et enfin l’hexagone. Parmi ces problèmes, seuls trois algorithmes de calcul sont exacts (pour le carré, le rectangle et le triangle rectangle) et Columelle expose les procédures déjà connues des scribes mésopotamiens du deuxième millénaire avant notre ère. Pour les autres figures, les procédures donnent une valeur approchée de la surface à mesurer (voir encadré). Deux de ces exemples permettent de montrer le caractère mathématique des algorithmes exposés dans cet ouvrage agricole. - Le triangle équilatéral : « Soit un champ triangulaire ayant trois cents pieds sur chacun de ses côtés. Que ce nombre soit multiplié par lui-même ; ce sera quatre-vingt-dix mille pieds. Que soit pris le tiers du résultat, c’est-à-dire trente mille. De même, que soit pris le dixième, c’est-à-dire neuf mille. Que soient ajoutés l’un et l’autre des deux résultats [précédents], ce sera trente-neuf mille pieds. Nous di-


mémoires de science : rubrique dirigée par Rémi Franckowiak et Bernard Maitte / LNA#52

sons que ce résultat correspond aux pieds carrés qui sont contenus dans ce triangle. » Autrement dit, l’aire At d’un triangle équilatéral de côté c est obtenue par l’algorithme suivant : ⎧1 ⎪⎪ 3 (c × c ) 1 1 c → c×c → ⎨ → (c × c ) + (c × c ) = At 1 3 10 ⎪ (c × c ) ⎪⎩10

La procédure donnant l’aire Ac d’un cercle à partir de son diamètre d s’exprime alors de la manière suivante : d → d × d → d × d × 11 →

1 (d × d × 11) = Ac 14

L’analyse mathématique de cette procédure révèle que le rapport constant entre le périmètre d’un cercle et son diamètre, à savoir le célèbre nombre π , prend la valeur 22/7 dans l’ouvrage de Columelle. Cette approximation est déjà présente dans La mesure du cercle d’Archimède 6, et se retrouve largement dans les ouvrages postérieurs. C’est cette même approximation qu’utilise Héron dans ses Metrica précédemment citées.

Cette première relation est aussi utilisée pour déterminer l’aire d’un hexagone régulier, considéré comme la somme de six triangles équilatéraux. Aucune hypothèse ne peut raisonnablement être avancée sur les sources de Columelle quant à cette procédure. Néanmoins, quelques informations La postérité du traité de Columelle méritent d’être relevées à propos du calcul approché des surfaces du triangle équilatéral et Ces deux extraits du De re rustica suffisent à de l’hexagone régulier. En effet, nous avons montrer que Columelle ne fait pas que fournir remarqué ces algorithmes dans le petit opuscule, deux études pratiques de mesurage de champs : Traité de planimétrie et de stéréométrie, attribué il contribue au développement d’une véritable à Diophane 4. Ce mathématicien mineur de la géométrie de la mesure utilisant des procédures tradition grecque, vivant au Ier siècle avant nogénériques. tre ère, attribue leur découverte à Archimède En ce qui concerne la postérité de ces chapitres, (212 av. J.C.) : il affirme que, d’après ce dernier, nous ne savons pas s’ils ont ou non influencé des « 30 triangles équilatéraux sont équivalents à Figure 2 : Traité de géométrie, IX siècle. successeurs. Ils ont pu inspirer certains 13 carrés ». L’utilisation du coefficient auteurs latins de l’Antiquité tardive comme, 1/3 + 1/10 ne se trouve toutefois pas entre autres, Boèce (ca. 480-524) ou dans l’un des textes les plus importants encore Isidore de Séville (m. 636). Mais de la tradition grecque du mesurage : les aucune référence explicite à Columelle ne Metrica d’Héron d’Alexandrie 5, mécanivient confirmer cette hypothèse. Ils ont cien et mathématicien contemporain de pu aussi nourrir les travaux des agrimenColumelle. Dans ce dernier ouvrage, Hésores (littéralement les « mesureurs des ron présente un calcul exact qui requiert champs ») romains. Chargés de mesurer l’extraction de la racine carrée d’un la terre avec logique et précision et de jouer nombre irrationnel. Cela peut fournir le rôle d’expert et d’arbitre lors de certains une éventuelle explication à son absence litiges liés au bornage des champs, ils ont du texte de Columelle. Cette procédure naturellement besoin de recourir à des Figure 1 : Édition du De re rustica de Columelle par Varron, 1553. peut être résumée ainsi : procédures géométriques pour calculer la ème

c → c × c → (c × c )× (c × c ) →

surface de différents champs. Ainsi, le texte anonyme De iugeribus metiundis 7 n’est pas sans rappeler Columelle, tant dans la forme que dans les procédures proposées. L’œuvre de Columelle pourrait donc être considérée comme une des éventuelles sources des pratiques géométriques de l’Antiquité tardive. Néanmoins, il est absent, en tant que tel, du corpus agrimensorum, qui regroupe un ensemble hétéroclite de textes (entiers ou fragmentaires) sur l’arpentage des terres dans l’Empire romain. Ce corpus n’est pas sans importance : transmis à l’Europe médiévale par l’intermédiaire de nombreux codices (cf. fig. 2) copiés pendant des siècles dans plusieurs sciptoria européens, ces textes vont servir de base à l’enseignement de la géométrie pendant des décennies.

3 (c × c )× (c × c ) → 3 (c × c )× (c × c ) = At 16 16

- Le traitement du cercle : Une traduction de l’énoncé donne : « Si le champ est rond, de telle sorte qu’ il ait la forme d’un cercle, calcule les pieds ainsi : soit une surface ronde de diamètre soixante-dix pieds. Multiplie ceci par lui-même, soixante-dix fois soixante-dix font quatre mille neuf cents. Multiplie ce produit par onze, il viendra cinquante-trois mille neuf cents pieds. J’enlève de ce produit le quatorzième, c’est-à-dire trois mille huit cent cinquante pieds. Je dis que ceci correspond aux pieds carrés contenus dans ce cercle. »

4 P. Ver Eecke, Les opuscules mathématiques de Didyme, Diophane et Anthémius, suivis du fragment mathématique de Bobbio, Paris - Bruges, éd. Desclée - De Brouwer, 1940.

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J. Heiberg, Heronis Alexandrini opera qua supersunt omnia, vol. 3, Leipzig, H. Schöne, 1903.

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Archimède, Œuvres (ed. Ch. Mugler), Tome 1, Paris, éd. Les Belles Lettres, 1970. Il semblerait que ce titre soit tronqué. Une hypothèse raisonnable donnerait [De agris] iugeribus metiundi pour être traduit De la mesure [des champs] en jugères.

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LNA#52 / paradoxes

Paradoxes

Rubrique de divertissements mathématiques pour ceux qui aiment se prendre la tête

*  Laboratoire d’Informatique Fondamentale de Lille, UMR CNRS 8022, Bât. M3

Par Jean-Paul DELAHAYE Professeur à l’Université Lille 1 *

Les paradoxes stimulent l’esprit et sont à l’origine de nombreux progrès mathématiques. Notre but est de vous provoquer et de vous faire réfléchir. Si vous pensez avoir une solution au paradoxe proposé, envoyez-la moi (faire parvenir le courrier à l’Espace Culture ou à l’adresse électronique delahaye@lifl.fr). Le paradoxe précédent : DES SILENCES QUI EN DISENT LONG

Voici le raisonnement qui donne la solution que nous présentons sans recopier tous les détails des calculs car cela occuperait quatre pages.

Rappel de l’énoncé

Il y a, au départ, 252 quintuplets (a, b, c, d, e) possibles. Certains d’entre eux donnent une somme S qui permettrait de retrouver (a, b, c, d, e). C’est le cas, par exemple, si S = 15 car 15 = 1 + 2 + 3 + 4 + 5 est la plus petite somme possible et oblige donc à avoir a = 1 b = 2 c = 3 d = 4 e = 5. Le fait que Sylvie ait indiqué, au point 1, qu’elle ignorait (a, b, c, d, e) signifie que le quintuplet (1, 2, 3, 4, 5) n’est pas le bon. C’est vrai pour d’autres sommes. De même, certains produits ne peuvent être obtenus qu’une fois et doivent être éliminés après l’étape 1. De même, encore, pour C et V. Un long calcul à la main, ou en utilisant un ordinateur, montre que l’élimination de ces quintuplets fait passer les 252 possibilités initiales à 140. Les quatre personnages mènent ce raisonnement d’élimination pendant l’heure qui suit l’énoncé du problème. À partir de ces 140 possibilités pour (a, b, c, d, e), chaque personnage peut donc à nouveau raisonner comme précédemment. Si Sylvie indique qu’elle ne peut pas trouver (a, b, c, d, e) lors de l’étape 2, c’est que les S n’apparaissant qu’une fois dans la liste des 140 possibilités peuvent être éliminées. De même pour les P, C et V. On arrive alors à 100 quintuplets possibles.

On choisit cinq nombres a, b, c, d et e tels que : 1 ≤ a < b < c < d < e ≤ 10. Autrement dit : les cinq nombres sont compris entre 1 et 10, tous différents et classés par ordre croissant. On indique leur produit P à Patricia, leur somme S à Sylvie, la somme de leurs carrés C = a 2 + b2 + c2 + d2 + e2 à Christian et la valeur V = (a + b + c)(d + e) à Vincent. Ils doivent deviner quels sont les nombres a, b, c, d et e. 1 - Une heure après qu’on leur a posé le problème, les quatre personnages qu’on interroge simultanément répondent tous ensemble : « je ne connais pas les nombres a, b, c, d et e ». 2 - Une heure après, les quatre personnages qu’on interroge à nouveau répondent encore tous ensemble : « je ne connais pas les nombres a, b, c, d, et e ». Etc. 23 - Une heure après (soit 23 heures après la formulation de l’énoncé !), les quatre personnages qu’on interroge à nouveau répondent encore tous ensemble : « je ne connais pas les nombres a, b, c, d et e ». Cependant, après cette 23ème réponse, les visages des quatre personnages s’éclairent d’un large sourire et tous s’exclament : « maintenant, je connais a, b, c, d et e ». Vous en savez assez pour deviner les 5 nombres a b c d e ? Solution Assez étrangement, ce problème, qui est le plus difficile de tous ceux qui ont été proposés dans cette rubrique, a intéressé un grand nombre de lecteurs qui ont tous découvert la bonne solution, parfois à la suite d’un long travail. Les premières réponses reçues sont, dans l’ordre, celles de : Virginie Delsart, Nicolas Vaneecloo, Patrice Cacciani, Michel Damiens, Jean-François Colonna, Nicolas Berger, Clément Théry, Chantal Enguehard, Julien Destombes, Jeff van Straeyen et Florent Cordellier. 14

La réduction des solutions donne, petit à petit, des quintuplets candidats de moins en moins nombreux : on en obtient successivement 85, 73, 64, 62, 60, 57, 54, 50, 47, 44, 40, 36, 33, 31, 28, 24, 19, 13, 8, 4. La prise en compte de l’étape 23 conduit à une solution unique. À cet instant, tout le monde – et en particulier vous – sait que : S = 28, P = 3360, C = 178, V = 195 et donc que : a = 2, b = 5, c = 6, d = 7, e = 8.


paradoxes / LNA#52

NOUVEAU PARADOXE : LES CHAPEAUX ALIGNÉS Des étudiants en logique au nombre de N sont soumis à un test. On leur explique qu’on va les aligner les uns derrière les autres, tous tournés vers la droite. On posera sur leur tête un chapeau rouge ou bleu tiré au hasard. L’étudiant le plus à gauche pourra voir tous les chapeaux sauf le sien ; celui placé devant lui pourra voir tous les chapeaux sauf le sien et celui de l’étudiant placé derrière lui. Plus généralement, l’étudiant placé en position k, à partir de la gauche, pourra voir tous les chapeaux des étudiants k + 1, k + 2, etc. jusqu’au dernier le plus à droite, mais aucun autre. On interrogera chaque étudiant sur la couleur du chapeau qu’il a sur la tête et on leur distribuera ensuite autant d’ordinateurs portables qu’ils auront donné de bonnes réponses. Ils s’arrangeront pour se les répartir. On précise encore qu’avant de se mettre en rang ils peuvent discuter entre eux et convenir d’un système de réponses, mais qu’une fois aligné les chapeaux seront placés au hasard et qu’ils ne pourront plus avoir d’échanges. Dernière précision : on les interrogera à voie haute et ils répondront, à voie haute, sur ce que chacun croit être la couleur de son chapeau, en commençant par l’étudiant le plus à gauche et en terminant par celui le plus à droite. Analysons un instant le problème qui est soumis aux étudiants. En répondant au hasard, ils gagneront en moyenne N/2 ordinateurs car une réponse sur deux au hasard sera juste à peu près. Les étudiants peuvent obtenir bien mieux s’ils conviennent entre eux de la méthode de jeu suivante : - l’étudiant 1 (le plus à gauche) répondra en donnant la couleur du chapeau de l’étudiant 2, qui connaîtra donc de manière certaine la couleur de son chapeau ; - l’étudiant 2 répétera ce que l’étudiant 1 aura proposé (et gagnera donc) ; - l’étudiant 3 répondra en donnant la couleur du chapeau de l’étudiant 4 (qui connaîtra donc de manière certaine la couleur de son chapeau) ; - l’étudiant 4 répétera ce que l’étudiant 3 aura proposé (et gagnera donc) ; - etc.

Buste d’Attis portant le bonnet phrygien, marbre de Paros, IIème siècle ap. J.-C.

Cette façon de procéder assure les étudiants d’avoir au moins N/2 réponses exactes et, en moyenne, d’en avoir 3N/4 (car les étudiants de rang impair tomberont juste une fois sur deux environ). C’est très bien, se disent les étudiants qui s’apprêtent à adopter cette tactique de jeu. Pourtant, l’un d’eux, Alonso, les arrête et dit : - « Non, j’ai une autre idée, nous pouvons être certains de gagner un ordinateur chacun, sauf peut-être l’un de nous ». Il semble impossible que les N étudiants puissent gagner de manière certaine N - 1 ordinateurs et peut-être N ! Pourtant, Alonso est un très bon étudiant qui ne se trompe jamais. Quelle est donc l’idée d’Alonso ?

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LNA#52 / humeurs

Autonomie et vulnérabilité : pour une éthique élargie Par Jean-François REY Professeur de philosophie à l’IUFM de Lille

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onsidérée à juste titre comme une des fins de l’éducation, l’autonomie représente en outre la pierre de touche de la citoyenneté démocratique. Au point que, au siècle des Lumières, « autonomie » était employée comme synonyme de « majorité ». L’idéal de l’autonomie éclairée se laisse écrire en une triple formule : penser par soi-même, agir par soi-même, juger par soi-même. Ni les parents, ni les curés, ni les chefs de parti ne peuvent me dicter une loi que je n’aurais pas élaborée ou reconnue comme mienne. Pour Kant, par exemple, l’autonomie désignait la « propriété qu’a la volonté d’être à elle-même sa loi ». Toute sujétion à la loi d’un autre ou d’un Autre, tout respect craintif ou unilatéral d’une autorité, sans même parler de servitude volontaire, relèvent de « l’hétéronomie ». Pour Kant toujours, tout mobile d’action morale relevant d’un penchant sensible (Kant disait « pathologique ») dénote autre chose que la raison, autre chose que le devoir. L’autonomie, classiquement, ne peut qu’être distincte de et soustraite à la « sensibilité ». Ainsi, punir une personne coupable d’un délit ou d’un crime revient à exercer sur elle une mesure qui agit sur sa sensibilité (privation de liberté, amende, etc.), c’est-à-dire joue sur l’hétéronomie. Longtemps tenue pour la marque de l’épanouissement de la personne humaine, l’autonomie a un peu perdu de sa superbe et de son autosuffisance. Car jusqu’où repoussera-t-on l’exclusion du sensible ? Inexpugnable en droit, l’autonomie peut rencontrer de sérieuses limites en fait. Mais, plus encore, la position de maîtrise du sujet autonome a été contestée de longue date par les sciences humaines. Les philosophes ont donc appris à regarder autrement l’autonomie, à partir de ce qui n’est pas elle.

C’est le cas de Corinne Pelluchon dans L’autonomie brisée, bioéthique et philosophie 1. L’auteur place son travail sous la double référence à Emmanuel Levinas et Claude LéviStrauss, mais explore un champ aussi vaste que la philosophie politique (Hobbes), l’éthique (Ricœur), la bioéthique ou les soins palliatifs. L’originalité de l’ouvrage est d’être nourri d’une immersion de son auteur dans les services hospitaliers où elle a été à l’écoute de personnes vieillissantes ou en fin de vie, dont précisément l’autonomie était empêchée et pas seulement au sens moteur du terme. Ce simple rapport à la pratique professionnelle en milieu hospitalier ferait l’originalité et l’intérêt du livre : ce n’est pas tous les jours que des philosophes vont se soumettre à l’épreuve de la mort

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Éd. PUF, janvier 2009.

d’autrui, de la folie ou du désir d’enfant, de la souffrance ou de la douleur. La philosophie, ne l’oublions pas, se nourrit d’expériences préphilosophiques qu’on peut appeler aussi « naturelles ». C’est le cas ici et il est important de souligner également que l’expérience vécue par l’auteur déploie l’horizon du philosophe, et donc du lecteur, au plan éthique, politique et métaphysique. De Kant, nous avons hérité, outre l’autonomie, du partage cardinal entre personne et chose. Une chose s’échange, s’évalue, se négocie : elle a un prix. Une personne est ininterchangeable, unique : elle a une dignité. Mais on voit très bien, là aussi, que certaines personnes ont du prix à nos yeux pour ce qu’elles expriment de charme, d’humour ou d’intelligence. Sur le marché de l’emploi, cela peut être un avantage recherché. Autrement dit non interchangeable, unique en droit, ne signifie pas que toutes les personnes sont également aimables ou estimables. Au plan du droit, rappelons-nous les débats qui ont accompagné, il y a vingt ans, le texte de la Convention Internationale des droits de l’enfant : n’y a-t-il, pour l’enfant, que des droits de protection face à l’enrôlement dans les guerres, le travail ou l’esclavage sexuel ? Ou bien l’enfant peut-il en outre disposer, comme les adultes, de droits de liberté ? La réponse la plus avisée serait de dire que les enfants sont bien des personnes, mais qu’ ils sont portés par la Personne de leurs éducateurs. Les enfants sont des personnes par procuration (voir, là-dessus, les travaux de Jean-Claude Quentel). Nous sommes ici à l’articulation de l’autonomie à venir et de la vulnérabilité. Mais ce que les philosophes nous ont légués comme critères ou repères simples mérite d’être revu à la lumière de la complexité du monde naturel et technique. C’est le cas de la bioéthique, mais aussi plus largement de toutes les possibilités d’agir sur les gènes et de breveter les fruits de nos manipulations. Autrement dit, comme le philosophe et juriste Bernard Edelman le montre dans son dernier livre (Ni chose ni personne. Le corps humain en question 2 ), le partage homme/ animal ou personne/chose est parfois brouillé : le corps humain n’est pas encore tout à fait un objet, ni plus tout à fait une personne. Le corps constitue ainsi un « gisement de valeur, composé d’organes et de cellules qu’on peut vendre, louer, breveter ». Il en va de même pour nos rapports avec l’animal. On est revenu très tôt sur son exclusion par

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Éd. Hermann, 2009.


humeurs / LNA#52

Descartes, Malebranche et leurs successeurs. Jusqu’à LéviStrauss qui inscrit l’espèce humaine au cœur du vivant, dont les droits sont à protéger mais qui cessent « au moment précis où leur exercice met en péril l’existence d’une autre espèce » 3. Corinne Pelluchon en vient donc à donner comme objectif à sa réflexion « de repenser le rapport de l’homme à l’autre que lui en posant les bases d’une responsabilité collective où l’enjeu ne concerne pas seulement l’individu, mais l’espèce humaine, la nature, les générations à venir, c’est-à-dire des objets que l’éthique et la politique classiques ne prennent pas en compte » 4. Élargissement de la sphère de la responsabilité, et donc de la sphère éthique, comme le recommandait déjà Hans Jonas dans le Principe Responsabilité qui aboutit à se soucier de la fragilité et de la vulnérabilité de ce qui est en notre garde : enfants, personnes âgées, mais aussi tout ce qui réclame du soin (care) ou des soins (cure) : malades, personnes en situation de handicap, espèces animales ou végétales en danger, dans la mesure où nous nous en tenons responsables à l’égard de l’avenir. Pour toutes ces raisons, et riche de son travail en milieu hospitalier, Corinne Pelluchon en vient à jeter les bases d’une « éthique de la vulnérabilité ». Elle part de la rencontre avec des personnes hospitalisées pour un cancer. Quel peut être le sens de sa présence, ou de la nôtre, là, au chevet de la personne qui souffre et qui, vraisemblablement, ne reviendra jamais chez elle, en cela empêchée dans son autonomie ? De quel droit ? Suis-je justifié à être là ? De telles questions, dit Corinne Pelluchon, ne relèvent pas de « l’intellect ni même de la conscience » 5. Elles sont donc de l’ordre de la rencontre, c’est-à-dire du face à face et de la parole. Présence à un travail qu’on appelle « clinique », selon l’étymologie dérivée du lit du patient, et dont les dimensions éthiques sont aujourd’hui broyées dans les évaluations quantitatives, voire reprochées aux infirmières par leur hiérarchie (voir à ce sujet les travaux de Pascale Molinier sur le travail invisible à l’hôpital). Toute la question de la clinique, c’est celle du sens d’être là auprès de la personne de moins en moins autonome. On peut avoir deux types de position qui ne s’affrontent pas, ne sont pas exclusives, mais qui nous mettent pourtant en tension. La première position est raisonnable, c’est celle de

Paul Ricœur, par exemple, qui s’en tient à distinguer les « trois niveaux du jugement médical » 6 : la relation médecin/malade, où le malade a une dignité et la santé publique un coût. Ricœur développe une réflexion à la fois téléologique et déontologique. L’avantage d’une telle position, c’est que les professionnels peuvent se l’approprier et la travailler. Il est seulement regrettable que Ricœur rejette comme excessive l’autre position contre laquelle il s’est dressé parfois avec agacement : la position de Levinas. Celle-ci se résume en un mot si radical, voire si extravagant, qu’il expulse en quelque sorte l’autonomie du sujet. C’est le mot « substitution ». Au départ, il y a la certitude immédiate que « ça me regarde », je suis concerné, je suis requis à être là. La seule chose, disait Heidegger, qui m’appartienne en propre, où je suis insubstituable, c’est ma mort. Mais, devant l’imminence de la mort de l’autre, je peux avoir cette motion insensée : vouloir mourir à sa place. Ce que, bien sûr, je ne ferai pas dans la vie ordinaire : c’est une éthique sans commandement pratique ; d’où le recul effrayé de Ricœur. Ce ne sont pas seulement les problèmes hospitaliers (nombre des patients, politique de la santé, insuffisance des moyens, harcèlement hiérarchique) qui limitent une telle position. Pragmatiquement, celle-ci est difficile mais c’est le lieu de l’éthique. Elle est le Dire dont le code de déontologie est le Dit. L’articulation de l’éthique et de la déontologie est un problème complexe qu’on ne peut traiter en si peu de place. On se bornera, pour l’heure, à saluer l’ampleur de vue de Corinne Pelluchon avec, toutefois, une insatisfaction de philosophe : ne va-t-on pas vers une sorte d’œcuménisme ? Ricœur, Levinas, Lévi-Strauss sont loin de penser dans la même direction. Mais l’essentiel du débat est posé : l’autonomie, norme idéale de la personne, n’est pas le tout. La réflexion et la recherche doivent prendre en compte ce que le discours évacue sous le nom d’hétéronomie. Ce n’est pas vraiment dans l’air du temps : l’abus des références à l’éthique nous inspire d’autres billets d’humeur à venir.

Cf. Le regard éloigné, Paris, éd. Plon, 1983.

3

Corinne Pelluchon, op. cit., p. 19.

4

Op. cit., p. 167.

5

6

In Le juste 2, Paris, éd. Seuil, 2001.

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LNA#52 / repenser la politique

La guerre aux corps intermédiaires Par Alain CAMBIER Docteur en philosophie, professeur en classes préparatoires, Faidherbe - Lille

L’épisode du 22 janvier dernier, où le chef de l’État s’est livré à une charge contre les chercheurs 1, ne peut être interprété, malgré sa gravité, comme une simple remise en cause de l’Université française. Elle participe également d’une stratégie plus large qui vise la réputation des corps intermédiaires. Les exemples de désinvolture se sont multipliés à propos de l’école, de la justice, de l’hôpital, de comités d’éthique, etc. Xavier Darcos a regretté lui-même le « divorce avec les sachants ». Mais, si cette méthode politique provoque des crispations, elle peut séduire aussi, de manière démagogique, ceux qui y voient une revanche contre toute autorité intellectuelle ou compétence spécifique reconnue.

L

a place accordée aux corps intermédiaires est toujours une pierre de touche pour juger le fonctionnement d’un État. Elle est considérée comme un facteur d’opacité lorsqu’est entretenu le mythe d’une expression immédiate et transparente de la volonté du peuple ; mais elle est indispensable dans une république tempérée pour faire contrepoids tant aux empressements des gouvernants qu’aux réactions émotionnelles des gouvernés. De la monarchie absolue à Napoléon III, l’histoire de France témoigne de ce désir récurrent de faire taire la voix des corps intermédiaires. L’abaissement des corps intermédiaires par l’absolutisme royal La remise en question de leur rôle a caractérisé l’établissement de la monarchie absolue au XVIIème siècle. Max Weber a vu dans l’obsession de centralisation du pouvoir de l’État moderne l’un des traits caractéristiques de son édification : « Partout le développement de l’État moderne a pour point de départ la volonté du prince d’exproprier les puissances ‘privées’ indépendantes qui, à côté de lui, détiennent un pouvoir administratif, c’est-à-dire tous ceux qui sont propriétaires de moyens de gestion, de moyens militaires, de moyens financiers et de toutes sortes de biens susceptibles

« Plus de chercheurs statutaires, moins de publications et pardon, je ne veux pas être désagréable, à budget comparable, un chercheur français publie de 30 à 50 % en moins qu’un chercheur britannique dans certains secteurs. Évidemment, si l’on ne veut pas voir cela, je vous remercie d’ être venu, il y a de la lumière, c’est chauffé… », Discours de M. le Président de la République, Palais de l’Élysée, 22 janvier 2009.

d’être utilisés politiquement » 2. L’abaissement des corps intermédiaires – ce que l’on appelait auparavant les « estats », au sens de groupes sociaux disposant d’une position de pouvoir, comme la noblesse, le clergé ou le Tiers État – participa de ce mouvement de concentration monopolistique de la puissance politique qui culmina dans la notion de souveraineté absolue. Mais, parce qu’il y voyait poindre le risque de despotisme, Montesquieu se fit le chantre, au XVIIIème siècle, non seulement de la séparation des pouvoirs, mais également de la réhabilitation du pouvoir des corps intermédiaires. Car le droit ne peut suffire à maintenir dans ses rets la logique de puissance du politique, encore faut-il que des autorités autonomes et reconnues fassent pièce au souverain : elles constituent « des canaux moyens par où coule la puissance ; car, s’il n’y a dans l’État que la volonté momentanée et capricieuse d’un seul, rien ne peut être fixe, et par conséquent aucune loi fondamentale » 3. De petits esprits ont cru que Montesquieu ne cherchait qu’à restaurer les privilèges de la noblesse, alors qu’il jetait les bases d’une politique moderne de la « modération » dont, à son époque, les Anglais furent les initiateurs, après leur glorieuse révolution accomplie un siècle avant les Français. En réalité, il voulait également montrer que l’État moderne possédait des racines bien antérieures à la monarchie absolue et celleci n’en fut peut-être que le dévoiement. Média-corps ou méta-corps ? Comme nous l’avons souligné ailleurs 4, Montesquieu fut le théoricien original des média-corps, par opposition au culte rendu par la monarchie absolue au méta-corps ou sur-corps royal. Car, selon une tradition remontant à la fin du MoyenÂge 5, le roi disposerait de deux corps : un corps physique naturel soumis aux vicissitudes de l’existence et un corps surnaturel et symbolique, censé incarner le corps politique du royaume. Ce deuxième corps ou méta-corps correspondrait à la sécularisation de la notion de corpus mysticum héritée de la religion. En se réappropriant cette notion, la monarchie absolue prétendait que l’unité politique d’un peuple ne pouvait être accomplie qu’à travers la personne du sou2

Max Weber, Le Savant et le politique.

3

Montesquieu, De l’Esprit des lois, II, 4.

4

Cf. Qu’est-ce que l’État ?, éd. Vrin, coll. Chemins philosophiques.

5

Cf. Ernst Kantorowicz, Les Deux corps du roi, éd. Gallimard.

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repenser la politique / LNA#52

verain. Dans la monarchie absolue, celui-ci n’était même plus considéré comme la simple tête d’un corps constitué par les autres « organes » du royaume 6 , mais comme accomplissant, dans sa personne même, grâce à son métacorps, le passage de la multitude dispersée à l’unité d’un peuple constitué enfin en corps politique. Cette thèse avait été théorisée par Hobbes, dans le Léviathan : elle consistait à faire croire qu’un peuple ne serait un peuple qu’à travers les actes de la personne du souverain, sans quoi il serait condamné à demeurer une foule atomisée. Or, à cette conception justifiant l’absolutisme, Montesquieu a opposé sa théorie des média-corps afin de déconstruire la mystique de la représentation politique incarnée dans la personne du roi : « Pour former un gouvernement modéré, il faut combiner les puissances, les régler, les tempérer, les faire agir ; donner, pour ainsi dire, un lest à l’une, pour la mettre en état de résister à une autre » 7. La sagesse politique est donc de disposer les choses pour qu’un pouvoir établi ne puisse jamais se retrouver sans freins et prétendre, à lui seul, « incorporer » le peuple. Car la souveraineté absolue se paye toujours en servitudes consenties ou imposées. Ainsi, les corps intermédiaires entrent non seulement dans une stratégie de l’équilibre des puissances pour garantir la liberté, mais ils représentent également les autorités incontournables à respecter dans l’exercice du pouvoir politique pour permettre aux citoyens d’être éclairés à partir de plusieurs sources. La nécessaire médiation entre gouvernants et gouvernés Cette théorie de la médiation en politique fonde plus globalement le rôle du Tiers dans l’État. Car qu’est-ce qui caractérise au fond la politique si ce n’est cette séparation principielle entre gouvernants et gouvernés ? Cette division est à la fois nécessaire pour éviter toute désagrégation des relations humaines dans une collectivité, pour garantir la cohésion sociale, mais toujours risquée car porteuse de dérives autoritaires. Dès lors, les corps intermédiaires permettent de juguler ce risque qui hante le commandement politique et de tempérer la scission fondamentale au nom de laquelle il subordonne. L’action de tout pouvoir politique requiert d’être contrebalancée par des dispositifs, des groupes,

des organisations ou des associations reconnues qui représentent la société dans sa complexité et contribuent à lui permettre de se réfléchir : tel est le prix de la légitimité. Il peut s’agir aussi bien d’organisations socio-économiques et syndicales que de partis politiques ou de mouvements associatifs, des autorités religieuses et philosophiques, ou même du « quatrième pouvoir » que représente la presse lorsqu’elle possède une réelle indépendance. Ils témoignent de la diversité présente au cœur même de l’unité politique. Pour garantir un dialogue avec les citoyens, le pouvoir ne peut rester sourd aux avis des tiers. Ils permettent de structurer l’opinion publique nécessairement labile, en renforçant sa puissance de jugement. Les risques de la politique du tiers exclu Sans l’existence de corps intermédiaires, le face à face du pouvoir avec les gouvernés ne peut que conduire à l’impasse, voire à la violence. Certes, au stade vespéral de la Vème République, le pouvoir présidentiel a perdu toute prétention à représenter un méta-corps symbolique : se contentant de la mise en scène médiatique du corps trivial, il confond peuple et population, en flattant les préjugés pour mieux manipuler les affects, en misant sur les peurs fantasmées plutôt que sur les vertus citoyennes. Il ne s’agit même plus d’en appeler au symbolique commun, mais de cibler l’imaginaire des personnes privées. Par calcul, il peut également susciter l’affrontement avec une partie de la population, en dressant les ressentiments d’une catégorie sociale contre une autre, selon la logique du bouc émissaire. Suggérer que la figure de l’adversaire puisse être remplacée par celle d’un ennemi intérieur reviendrait à mettre fin à l’idée même de république. La logique d’exclusion l’emporterait sur celle d’inclusion qui doit caractériser l’État. C’est pourquoi le rôle des corps intermédiaires permet d’éviter un tel face à face où chacun perdrait son statut. Constituant autant de puissances arbitrales, ils garantissent le ressourcement du débat public. Présenter les corps intermédiaires eux-mêmes comme des canaux superflus favorise, au contraire, le risque d’arbitraire. Si l’État républicain repose nécessairement sur la reconnaissance de tiers indépendants, toute politique du tiers exclu ne peut que faire régresser la démocratie en démagogie.

Comme dans la monarchie médiévale.

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Montesquieu, De l’Esprit des lois, V, 14.

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LNA#52 / jeux littéraires

CRISE de LANGUE

LANGUE de CRISE

par Robert Rapilly Metteur en scène et poète complice d’OuLiPo, Benoît Richter a publié en décembre 2008 « La Dîme », fable linguistique, aux éditions Pedibus Cum Jambis. Déjà portée à la scène par l’auteur, cette conversation enchaîne étroitement langue et contingence économique. Situation invraisemblable ? À moins que la fiction n’excelle à souligner l’évidence oubliée sous nos yeux.

Parle ! J’ai du mal à parler là maintenant. Que ça t’empêche pas de nous dire bonjour. Reste pas planté là, dis-le ! Je dis quoi ? Bonjour, le mot, tu peux le dire, quand même ? Même le-mot-quisalue je peux pas le dire, mais je le pense quand même oui, ça je peux le faire je pense le-mot-qui-salue vers vous tous ici. Qu’est-ce qui t’arrive, ma vieille, tu as pas bonne mine, tu couves quoi ? Rien, tu me prends pour cet animal-à-plumesqui-pond-des-œufs, je couve rien ! Alors quoi ? Tu fais la gueule ? Tu nous en veux pour l’autre fois ? C’était juste un jeu, tu sais. Rien de bien grave. C’est pas à cause de ça. Alors ? Alors quoi ? Quoi ? Allez, arrêtez, laissez-la respirer, vous comprenez vraiment rien de rien… Pas grand-chose, non. Elle a pas assez, c’est tout, pas assez, c’est clair, non, faut vous le dire en quelle langue ? Pas assez de quoi, pas assez de quoi ? Mais c’est pas possible, on dirait que vous êtes bouchés à l’émeri vous alors, elle a pas les mots, pas les mots, c’est tout, la forcez pas à parler, c’est humiliant, c’est déjà assez difficile comme ça sans en rajouter une couche. Voilà, j’ai pas les mots, voilà tout. T’as pas payé ? T’as pas pu payer la Dîme ? J’ai pas pu, pas pu payer. Tu peux dire quoi ? Oui, alors tu peux dire quoi ? Quelques mots, deux cents mots, la plus petite partie. Le minimum, le pack minimum de langage, c’est ça ? C’est tout, le pack-le-plus-petit. Merde. Ça alors ! Je mets des sous de côté. Courage, bientôt tu pourras acheter une extension, 20

http://robert.rapilly.free.fr/ peut-être, une extension de vocabulaire. J’espère, oui, le pack-plus-tout-àfait-le-plus-petit. Moi j’ai commencé avec le minimum, puis j’ai travaillé longtemps. Un an tu as travaillé. Oui, un an, après j’ai acheté une extension technique avec des mots incroyables et inutiles, enfin du superflu, tu vois ? Tu dansais dans la rue, le jour de ton extension. Oui, je dansais en criant des mots inutiles : pyromane, éléphantiasis, cochonnaille, insurrection ! Tais-toi tu me fais jalouse. Pardon, mais tu verras, le premier jour on est hystérique, on parle sans pouvoir s’arrêter. Tais-toi ! [...] Insensée, il n’y a pas de mots au marché noir. Trop risqué, personne ne prend ce risque. Moi je le prendrai, pour la fête-du-milieu-de-l’hiver-autourde-l’arbre, j’achèterai quelques mots interdits à dire entre nous. Personne ne t’en vendra. Même si tu avais beaucoup d’argent. Si tu as de l’argent, achète plutôt une extension, il y aura des promotions à Noël, comme tous les ans. Les mots que je veux ne sont pas dans les extensions, les mots que je veux, personne ne les possède, même pas toi. Tu te trompes, moi, je peux dire tous les mots. Peux-tu dire ce qu’on sent en dedans quand un enfant boit aux fruitsqui-sont-accrochés-ici-devant, as-tu des mots riches qui disent les idées-auxyeux-fermés dans la tête de mon fils qui regarde les formes-blanches-qui-dansent dans le vide-au-dessus-de-nous, sais-tu dire la musique-bonne-tout-au-fonddedans quand on pose le voir-loin-ouprès et ensuite le ça-pour-sentir sur une herbe-en-couleur-qui-s’ouvre-au-soleil ? Je peux dire tout ça, je peux le dire ! Tu ne dis rien ? Il ne dit rien. Il ne bouge plus. Il ne respire plus. Il faut prévenir un médecin. Il est déjà trop tard, ça a voulu sortir et ça a pris une fausse route, il s’est étouffé dans ses mots. Partons. Suivez-moi.

Amalgamer de safran Marmelade gars fana Salamandre m’agrafe Mars fada mélangera Rafale d’anagrammes N ote s / S téno , a nagr a mme s d’A l a in Chevrier, ou comment donner du monde un résumé en anagrammes dicté par le démon de l’analogie. Dictionnaire de distiques malicieux qui n’éludent rien, irrévérence ou poésie. Exemples : Académie française : mondanité dominante Mon chat félidé fidèle Feuille sur l’eau étang ganté (Éditions Reflet de Lettres, collection Formules)

Une collecte de Frédéric Forte trompe l’œil, enchante l’esprit. D’apparents vers libres sont anagrammes de fragments du Manuel d’ethnographie de Marcel Mauss. La phrase : Des greniers entiers peuvent n’être que de simples poteries de v ient pa r la g r âc e de Forte : presse inuit, quels degrés te préservent de mentir (en poésie) Une autre virtuose des anagrammes – quand donc publiera-t-elle ses époustouflants poèmes ? –, Élisabeth Chamontin s’émerveille de cette invention de Forte : L’ étude des boissons fermentées mène tout droit dans la religion transmuté en : instant t la mise en bière nous, d’os sorte d’os, froidement le déluge (Éditions du Théâtre Typographique)


jeux littéraires / LNA#52 A nagrammes pour sourire et rêver de Jacques P erry-Salkow : le recueil a été finement cerné par l’encyclopédiste ‘pataphysicien Alain Zalmanski, du site Fatrazie. Il en souligne « les qualités poétiques et mordantes, mieux que toute analyse ». Extrait : Hu Jin t a o , p r é si d e n t d e l a République populaire de Chine De l’abruti qui jardine et déracine un peuple philosophe. Mais le titre ne ment pas, on sourira et rêvera en puisant au hasard : Alexandre le Grand, roi de Macédoine / Exode de l’Inde à l’Iran, roman de grâce Charles Baudelaire / chaleur de la braise L’amiral Nelson / sillonna la mer Obélix / il boxe (Éditions du Seuil)

Fac-s R ien qu imilé i en av concerne ant-p l remi a prosod ère d i ’une e n’échap pa g e p du fu e aux No tur « u Lach velles d ’A arde r & M chimède ! igard X XI e siècle ».

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LNA#52 / à lire

Galilée - Leçons sur l’Enfer de Dante * Par Bernard Maitte Professeur d’histoire des sciences et d’épistémologie à l’Université Lille 1 Centre d’Histoire des Sciences et Épistémologie UMR Savoirs, Textes, Langage « S’ il a déjà été difficile et admirable […] 1 que les hommes aient pu, grâce à de longues observations, à des veilles continuelles, à de périlleuses navigations, mesurer et détruire les intervalles entre les ciels, leurs mouvements rapides tout comme les plus lents et les rapports entre eux, les grandeurs des astres, qu’ ils soient proches ou lointains, les lieux de la terre et des mers – toutes choses qui, totalement ou en grande partie, tombent sous le sens –, alors nous devons considérer à combien plus merveilleuses l’ étude et la description du lieu et de la taille de l’Enfer qui, enseveli dans les entrailles de la Terre, caché à tous nos sens, n’est connu de personne et échappe à toute expérience, ce lieu où il est si facile de descendre et dont pourtant si difficile de sortir… »

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’est par ces phases, teintées de l’ironie dont il ne se départira jamais, que Galileo Galilei commence la première de ses deux leçons sur l’Enfer de Dante 2, données fin 1587 devant les membres de l’Académie florentine. De quoi s’agit-il ? L’œuvre de Dante (1265-1321) est fondatrice de la culture italienne. Or, deux de ses commentateurs s’opposent sur les points particuliers de la détermination de la géométrie des sites architecturaux infernaux et de leur imbrication, telles que l’on peut les reconstituer à partir d’indices précis et concrets disséminés dans le poème dantesque. Le florentin Antonio Manetti donne, en 1506, une interprétation, contredite en 1544 par Alessandro Vellutello, de Lucques. Qu’un natif de cette ville ose porter ombrage à un citoyen de Florence, ville de Dante, indispose ! Mais aussi, l’exploration de la réalité concrète du monde, dont fait alors réellement partie pour tous l’Enfer, interroge. Qui a raison ? Le consul de l’Académie f lorentine demande à Galilée de trancher. C’est qu’à 24 ans à peine le jeune homme est déjà célèbre, comme géomètre, comme mécanicien, comme homme de culture, comme polémique. Il vient de publier sa « Bilancetta » qui se propose de reconstituer la balance hydrostatique d’Archimède (1586), de donner des théorèmes sur les centres de gravité, d’étudier le mouvement, en s’opposant alors à Aristote – qu’il comprend mal –, d’inventer un « pulsomètre » destiné à mesurer le temps à partir du pouls. Mais, fils de Vincenze Galilei, célèbre compositeur et musicologue, Galilée a grandi dans les milieux humanistes.

Il compose des poèmes dont l’un, assez osé, sur le port de la toge 3, rédige des commentaires sur le « Roland Furieux » de l’Arioste et « La Jérusalem délivrée » du Tasse – poèmes épiques s’inspirant d’Homère, de Virgile et des romans de chevalerie, qui fécondent alors l’imaginaire des artistes de la Renaissance. Galilée est aussi féru de perspective, qu’il voit à l’œuvre dans les tableaux et les fresques qu’il peut admirer quotidiennement et dont il peut suivre l’évolution, qu’il maîtrise parfaitement, de Giotto à Masaccio, d’Alberti à Piero della Francesca, de Botticelli (auteur d’illustrations de l’Enfer) 4, Léonard de Vinci et Michel-Ange à Raphaël et au Titien. Enfin Galilée, de tempérament vif et combatif, se passionne pour les joutes intellectuelles et y participe activement. Qui serait mieux qualifié que cet homme de sciences et de culture pour trancher le débat entre Manetti et Vellutello ? Galilée, qui convoite la chaire de mathématiques de Bologne, saisit l’opportunité de faire éclater ses compétences et montrer que la géométrie et la mécanique apportent aux humanités : il accepte le défi et donne deux conférences devant l’Académie florentine. La première confirme la description de Manetti, la seconde explique celle de Vellutello pour conclure à la supériorité du commentateur florentin. Dès les premières phrases, la messe est dite, l’ambitieux Galilée fera « apparaître combien le vertueux Manetti – et, avec lui, la très noble et docte Académie florentine tout entière – a été injustement calomniée par Vellutello » 5. Son auditoire peut être rassuré : les efforts à fournir pour suivre la démonstration seront récompensés par une conclusion éclatante. L’honneur de la Cité sera lavé. Galilée relève quels sont les accords entre Manetti et Vellutello et précise leurs désaccords « sur la grandeur de l’Enfer tout entier…, … sur les tailles des géants et de Lucifer… ; … dans leur conception du chemin que prirent Dante et Virgile… sur le calcul du nombre de ponts de Malebolges 6 ». À l’issue d’une démonstration, où se mêlent connaissance de l’œuvre dantesque et virtuosité géométrique convoquant

3 Voir Vilma Fritsch, Galilée ou l’avenir de la science, Paris, éd. Seghers, 1971, pp. 137 à 140. Ce livre évoque également la topographie de l’Enfer de Dante selon Galilée, pp. 141 à 142.

Botticelli, La divine Comédie de Dante, présentation par André Chastel, Paris, Le Livre club du libraire, 1958. Les dossiers originaux, conservés au Cabinet des Estampes de Berlin, ont été détruits en mai 1944. 4

* Galilée, Leçons sur l’Enfer de Dante, traduit par Lucette Degryse. Postface de Jean-Marc Lévy-Leblond, Paris, éd. Fayard, 2008.

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1

Lacune dans le manuscrit.

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Op. cit. (*) p. 39.

2

Op. cit (*) p. 37.

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Op. cit. (*) p. 79 et 80.


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artistes, artisans, géomètres et mécaniciens participent à l’élaboration de la culture caractéristique de la cour des mécènes et en sont imprégnés 9. Elle montre aussi l’attachement de Galilée à la langue vernaculaire, qu’il emploiera dans ses livres pour s’adresser aux destinataires qu’il choisit, le monde des villes et non les clercs. « J’écris dans la langue parlée, car il faut que tout le monde puisse me lire » 10. Cette langue, il y tient surtout car elle est belle et véhicule la culture. Pour prévenir ses auditeurs académiciens de ce qu’il devra aussi employer dans ses démonstrations des termes techniques, ne dit-il au début de sa première conférence « … espérons que vos oreilles, accoutumées à entendre ce lieu résonner toujours des paroles choisies et distinguées que la pure langue toscane nous offre, puissent nous pardonner si elles sont parfois blessées par quelque mot ou expression propre au domaine dont nous traitons, et emprunté à la langue grecque ou latine, puisque le sujet que nous abordons nous oblige à faire ainsi » 11.

L’enfer selon Antonio Manetti (1506)

Archimède, la perspective, Dürer…, il peut conclure par une défense de « l’ ingénieux Manetti contre les calomnies perfides injustement reçues…, surtout parce qu’elles ne le blessaient pas lui seul, mais bien la très docte Académie florentine tout entière » 7. Le justicier n’obtiendra pas le poste convoité de Bologne, mais ses leçons impressionnent. Il sera nommé, en 1589, à la chaire de mathématiques de l’Université de Pise, dont il partira précocement en 1592 pour aller enseigner les mathématiques à l’Université de Padoue. S’ouvre alors une période faste qui s’achèvera par la publication du « Sidereus Nuncius » donnant les preuves observationnelles de la validité du système de Copernic, avant son retour à Florence… Quel est l’intérêt de lire aujourd’hui ce texte de jeunesse de Galilée, que nous restitue Lucette Degryse dans ce livre qu’elle présente, annote et accompagne de superbes iconographies de l’Enfer, tandis que Jean-Marc Lévy-Leblond 8 nous donne, à son habitude, une postface critique d’une grande pertinence ? Tout d’abord, l’œuvre nous fait comprendre le climat intellectuel de la Renaissance, duquel va émerger la science moderne : philosophes, poètes, littérateurs,

Mais, aussi, le texte nous révèle un Galilée alors partisan, avec Dante, du géocentrisme. Le centre du monde coïncide encore pour lui avec le centre de la Terre, avec le centre des graves…, voire avec le nombril de Lucifer 12. Certes, malgré la contre-réforme et son interprétation littérale des Écritures, Galilée et les académiciens florentins n’accordaient pas foi à la description de Dante du point de vue de la théologie, ce qui n’était pas, pour eux, une raison pour délaisser les aspects géométriques. Ce sont eux qu’il fallait comprendre. Ce n’est que progressivement que Galilée sera amené à préférer l’héliocentrisme. Il donnera une première preuve de son ralliement, en 1596, dans une lettre à Kepler et ne prendra parti publiquement – et comment ! – qu’avec son « Sidereus Nuncius » 13 de 1610, fournissant alors les preuves observationnelles de ce qu’il avance. Il faut connaître le point de départ pour comprendre l’itinéraire… Les conférences sont également, je l’ai indiqué, un bel exercice de géométrie. On y voit poindre cette maîtrise qui permettra à Galilée d’interpréter les taches sombres et claires qu’il voit sur la Lune comme étant des pics éclairés et leurs ombres, de calculer les hauteurs de ces montagnes, d’induire l’identité de la Terre et de la Lune, de comprendre les phases de Vénus, d’identifier les étoiles qu’il décèle de chaque côté de Jupiter à des satellites de cette planète, de démontrer que les comètes se trouvent au-delà de la Lune,

Lire, à ce sujet, l’admirable conclusion de la première journée du Dialogo où Sagredo se livre à l’éloge enthousiaste du génie humain dans toutes ses composantes artistiques, littéraires, techniques, scientifiques, le tout « en assemblant diversement vingt petits caractères sur une feuille de papier ». Galileo Galilée, Dialogue sur les deux grands systèmes du Monde, trad. par R. Fréreux avec le concours de F. De Gandt, Paris, éd. Seuil, Sources du savoir, 1992, p. 130.

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Éd. Maz. XI, 327.

10

Op. cit. (*) p. 39.

11

Op. cit. (*) p. 105.

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8 Voir aussi Jean-Marc Lévy-Leblond, La vitesse de l’ombre…, Paris, éd. Seuil, Science Ouverte, 2006, pp. 77 à 91.

12 Dante, Enfer, trad. Jacqueline Risset, Paris, éd. Flammarion, 1985, p. 311 vers 75 à 93. 13 Galileo Galilée, Le Messager des étoiles traduit, présenté et annoté par Fernand Hallyn, Paris, éd. Seuil, Sources du Savoir, 1992.

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de préciser que les taches solaires qu’il découvre sont situées sur la surface de l’étoile et tournent avec elle… « La philosophie est écrite dans ce très grand livre qui se tient constamment ouvert devant tous les yeux… mais elle ne peut se saisir si on ne se saisit point de la langue et si on ignore les caractères dans lesquels elle est écrite : ce sont des triangles, des cercles et autres figures géométriques… » pourra-t-il écrire 14. Mais, curieusement, et là aussi réside l’intérêt de la lecture des conférences, Galilée est encore trop géomètre, pas assez physicien : il n’a pas encore compris que les objets dont les tailles sont proportionnelles ne possèdent pas une résistance égale. Ses calculs sur la voûte de l’Enfer, les voûtes de maçonnerie, la taille des géants ou de Lucifer ne sont pas pertinents, notamment parce qu’ils ne prennent pas en compte la résistance des matériaux. Il va s’apercevoir assez vite de son erreur… Ainsi, Galilée se refusera-t-il toujours à communiquer son manuscrit, retrouvé au XIXème siècle et publié ici pour la première fois en français. Pourtant, il se rappellera de ces calculs de proportions et y fera des allusions implicites, tant dans des lettres (à partir de 1604) que dans son œuvre ultime, les « Discorsi … » publiés à Leyde en 1638, dans laquelle il fonde deux sciences nouvelles, la

Galilée, Lettre à Don Benedetto Castelli du 21 déc. 1613, traduite dans P.H. Michel, Galilée, Dialogues et lettres choisies, Paris, éd. Hermann, 1966, p. 384 à 391.

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résistance des matériaux, justement, et le mouvement local 15. Il y démontrera, en comparant les accroissements des surfaces et ceux des volumes, qu’un géant devait avoir des os disproportionnés, beaucoup plus gros, pour soutenir son corps, qu’une voûte ne peut que s’effondrer si on augmente proportionnellement sa portée et son épaisseur… La voûte, référence à cette œuvre emblématique de Brunelleschi, qui domine depuis le XVème siècle la ville de Florence et y oriente tous les regards… N’est-ce pas en étudiant et en comprenant nos erreurs que nous parvenons à atteindre plus de pertinence dans nos raisonnements ? Quel bel exercice est, à ce propos, la lecture des « Leçons sur l’Enfer de Dante », données par cet homme qui repose à présent dans le Panthéon des florentins illustres qu’est l’Église Santa Croce. Son mausolée est situé face à celui de son illustre prédécesseur et, ironie de l’histoire, masque partiellement une crucifixion du quattrocento, qui laisse voir une Marie-Madeleine semblant agenouillée devant Galilée : métaphore de l’Église pécheresse en repentance éternelle devant son condamné triomphant ? Lisez, ces « Leçons… », vous éprouverez une délectation géométrique, esthétique et culturelle jubilatoire.

15 Galilée, Discours contenant deux sciences nouvelles, trad. Maurice Clavelin, Paris, éd. PUF, Épiméthée, 1970.

Les Indiens mixtèques dans les Californies contemporaines Par Corine MAITTE Professeur d’histoire moderne, Université Paris-Est Marne-la-Vallée, laboratoire ACP

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es Indiens dont il est question dans ce livre 1 sont originaires de la Mixtèque, une région qui s’étend sur trois États du sud du Mexique (Oaxaca, Puebla et Guerrero) et parlent une langue du même nom, quoique avec des variations locales. Cela leur permet d’être reconnus par l’État mexicain qui identifie, par le critère linguistique, les descendants des habitants précolombiens des Amériques dans les recensements officiels.

« Peuple des nuages » pour les Nahuatl, « peuple de la pluie » pour eux-mêmes, ils se désignent aussi comme « la Race », un terme dont l’auteure identifie tous les ressorts :

Les Indiens mixtèques dans les Californies contemporaines. Migrations et identités collectives, Françoise Lestage, Paris, éd. PUF, « Ethnologies », 164 pages.

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elle leur permet d’inverser symboliquement le sens de la domination, de se débarrasser des termes péjoratifs qui les désignent communément et, au choix, de s’identifier à une communauté restreinte des gens originaires de ces lieux, ou à celle des Mexicains, voire des Latino-américains en général, quand ils se trouvent aux USA. Ces réflexions montrent bien les enjeux autour des questions d’identité dont traite largement le livre. Son terrain principal n’est pas constitué par les communautés de la région d’origine mais, au contraire, par celles des migrants dispersés dans le Nord du Mexique et la Californie étasunienne, dont certains circulent constamment entre différentes régions selon les opportunités de travail. Les familles sont parfois multi-résidentielles : installées aux États-Unis, elles conservent néanmoins une maison dans le nord du Mexique et des possessions au village, selon des pratiques communes à de nombreux com-


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portements migratoires. Ce que l’auteure étudie tout particulièrement, c’est donc le fonctionnement d’une communauté transnationale. Elle montre en effet que les liens avec les communautés d’origine restent forts, notamment parce que les migrants (ou leurs descendants) peuvent toujours en rester membres à condition de contribuer à leur gestion et à leur financement. Des parallèles fructueux pourraient être ici établis avec de nombreuses études historiques auxquelles l’auteure fait une rapide allusion, mais l’épaisseur historique de ces migrations n’est assurément pas l’objet de ses recherches. En tous cas, cette caractéristique implique qu’un jeune né dans la migration peut se considérer comme mixtèque tout en ne connaissant pratiquement pas le village d’origine de ses parents : la communauté inclut donc des gens qui sont en fait nés dans des lieux très divers, à tel point que l’auteure pense qu’ils sont sans doute plus nombreux à être nés et à vivre en dehors de la région qu’à l’intérieur. Surtout, Françoise Lestage montre bien que l’idée même d’une « communauté mixtèque » est une construction sociale dynamique, fruit de l’interaction de nombreux acteurs, qu’ils soient membres de la communauté ou extérieurs (État, fonctionnaires, politiques, médias, autres habitants des villes, etc.) car la cinquantaine de communautés qui existent dans la terre d’origine ne sont en rien unies : la constitution et l’unité, relative, de « La » communauté dérive du phénomène migratoire. Les migrations, qui dispersent ces populations dans des espaces géographiques sans cesse plus vastes,

les unissent en même temps par de nombreux liens sociaux, familiaux, économiques qu’étudie le livre. Son terrain d’enquête principal, si ce n’est exclusif, est constitué par la ville Tijuana, qui comptait plus d’un million d’habitants en 2000 alors qu’elle était pratiquement inexistante au début du XXème siècle. Parmi cette population, le recensement indique 4640 mixtèques. À vrai dire, le livre étudie tout particulièrement le quartier Obrera de la ville, créé en 1975, qui compte 700 mixtèques et le met en regard d’autres quartiers de la ville, créés plus tardivement en 1993, comprenant également un nombre important de Mixtèques (« Valle verde » et « Eijido Matamoro » à l’est de la ville). On ne pourra ici qu’inciter à lire cette recherche très bien menée du rôle des parentés, de l’école bilingue, des célébrations (scolaires, rituelles, religieuses ou autres), des leaders et des mouvements politiques dans la construction de l’identité de cette communauté mixtèque. Une communauté dans laquelle l’usage de la vidéo permet des communications, et des communions, presque instantanées entre des membres dispersés. Une communauté qui sait utiliser et parfois réinventer des éléments traditionnels pour en faire un objet d’échanges économiques : ainsi du tressage traditionnel des chapeaux de palme que certains reprennent dans la migration à destination des boutiques et des restaurants pour touristes ou, plus novateur, adaptent à de tous autres matériaux et usages, en l’occurrence le tressage de nattes dans les cheveux des touristes étas-uniennes. Ainsi se trouve-t-on en présence de la construction d’une communauté mixtèque qui ne renvoie plus « à une ‘tradition’ figée dans le temps (celle de la langue précolombienne, du vêtement paysan, de hiérarchies sociales intergénérationnelles), mais à une ‘communauté mixtèque’ du XXIème siècle, insérée dans une société urbaine » (p. 111). « Ces migrants qui s’ignoraient dans leur région d’origine ont bâti, avec la contribution d’autres acteurs, une petite société indienne bien insérée dans les structures économiques, sociales et politiques locales. » Un beau livre à lire pour qui veut se défaire des idées préconçues sur les phénomènes migratoires contemporains et réfléchir au contraire à la richesse des constructions sociales, économiques et culturelles auxquelles ils peuvent donner lieu.

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Nathalie Bulle, L’École et son Double * (Essai sur l’évolution pédagogique en France)

Par Rudolf BKOUCHE Professeur émérite, Université Lille 1

Une critique des théories pédagogistes qui, loin de se réduire à une diatribe, se propose d’étudier la genèse de ces théories ; en ce sens, cet ouvrage peut aider à comprendre les raisons du succès de ces théories.

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athalie Bulle distingue deux grands courants qui traversent la réflexion sur l’enseignement, le courant rationaliste et le courant progressiste. Pour le premier courant, le développement de la pensée humaine est lié à l’usage des facultés rationnelles, conscientes et réflexives de l’homme. Quant au second courant, il s’inscrit dans la continuité du développement biologique adaptatif. Si la distinction proposée par Nathalie Bulle nous semble pertinente, on peut critiquer la façon dont l’auteur réduit le courant progressiste à la philosophie américaine du pragmatisme. Ce courant est multiple et, à côté du point de vue pragmatiste des philosophes américains, James et Dewey, il faut ajouter un point de vue scientiste dont l’un des principaux représentants est Piaget. La confrontation Piaget-Chomsky 1 nous montre que le courant progressiste est représenté par Piaget, qui s’appuie sur les théories évolutionnistes issues du darwinisme, alors que Chomsky représente un rationalisme pur et dur. Même si Nathalie Bulle explique que les dégradations américaines arrivent en Europe avec quelques années de retard, il importe de savoir relativiser ce fait et rappeler que le courant progressiste ne se réduit pas à l’influence américaine. Cette critique étant faite, il faut dire l’importance d’un tel ouvrage qui nous apporte un autre éclairage que les confrontations rituelles entre Finkielkraut et Meirieu. Si ces deux courants peuvent apparaître, selon Nathalie Bulle, comme complémentaires, ils vont cependant conduire à des conceptions pédagogiques opposées, voire contradictoires. Alors que les rationalistes mettent l’accent sur la transmission des connaissances, pour les progressistes, la transmission des connaissances traduit la survivance d’un ordre fondé sur l’autorité, soit une forme d’autoritarisme politique. C’est ainsi que s’est développée l’idéologie de la centralité de l’élève. Il s’agit moins d’instruire que d’adapter les élèves « au monde réel et actuel ». Nathalie Bulle voit dans ce courant l’influence des sciences humaines, ellesmêmes marquées par les théories évolutionnistes issues de la biologie, ce qui conduit à affirmer un parallélisme entre

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Éd. Hermann, Paris, 2009.

1 Théories du langage, théories de l’apprentissage, le débat entre Jean Piaget et Noam Chomsky organisé par Massimo Piatelli-Palmarini, « Centre Royaumont pour une science de l’homme », éd. du Seuil, Paris, 1979.

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l’évolution des sociétés humaines et le développement propre de l’individu. Si l’auteur renvoie pêle-mêle aux divers courants évolutionnistes du XIXème siècle, on peut considérer que ce pêle-mêle renvoie plus aux adeptes du courant progressiste qu’aux auteurs qu’elle cite (Comte, Spencer, Darwin, Marx), le terme « évolutionnisme » pouvant avoir des sens différents, voire opposés. Le courant progressiste relève bien de considérations idéologiques plutôt que d’un discours philosophique ou scientifique. Nous renvoyons encore une fois à la confrontation Piaget-Chomsky citée ci-dessus. Au biologisme de Piaget qui définit le développement de l’enfant d’une façon interne sous-estimant ainsi le rôle de l’enseignement, Nathalie Bulle oppose Vigotsky qui considère que le développement intellectuel de l’enfant s’appuie sur ce qu’on lui enseigne. Ainsi s’opposent la centralité de l’élève et la transmission des connaissances. Cette centralité de l’élève conduit à développer les activités de l’élève, lesquelles devraient lui permettre de construire du savoir. Le rôle du maître est alors moins de transmettre que d’accompagner l’élève dans cette construction. Pour expliquer cette remise en cause de l’enseignement dit traditionnel au profit du courant progressiste, Nathalie Bulle esquisse une histoire des théories qui ont conduit au développement de ce courant, à commencer par l’Émile de Rousseau. « Vivre est le métier que je veux lui apprendre » écrit Rousseau. Il faut donc protéger l’élève de tout enseignement pour lui laisser développer ses propres connaissances. Si on ne peut considérer Rousseau comme un évolutionniste au sens que dit Nathalie Bulle, on peut cependant remarquer le caractère naturaliste de la pensée de Rousseau, marquée par la méfiance envers une civilisation qui aurait perverti l’homme. On peut voir, dans ce naturalisme quelque peu naïf, les prémisses de l’obscurantisme moderne. Autre point développé par le courant progressiste, le caractère idéologique de l’éducation, ce qui conduit à mettre l’accent sur la fonction politique de la culture transmise. Une conception strictement utilitaire de l’enseignement apparaît alors comme une arme de combat contre les disciplines qui représenteraient l’autoritarisme politique. Mais, ici, il faudrait ajouter que cette réduction utilitariste de l’enseignement ne peut qu’isoler encore plus de la culture


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Que vive notre patrimoine artistique Le 1 %

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es maîtres d’ouvrages publics ont pour obligation de réserver 1 % du coût de leurs constructions pour la commande ou l’acquisition d’une ou plusieurs œuvres d’art spécialement conçues pour le bâtiment considéré. Cette belle initiative est née en 1951 lors de la création du ministère de l’Éducation Nationale. Depuis, le dispositif a été élargi et s’impose aujourd’hui à la plupart des constructions publiques. Parallèlement à cet élargissement du champ d’application, le « 1 % » s’est ouvert à l’ensemble des formes d’expression dans le domaine des arts visuels, des disciplines les plus traditionnelles, comme la peinture ou la sculpture, aux nouveaux médias, la vidéo, le design, le graphisme, la création sonore, la création paysagère, etc. Bien sûr, comme toutes les grandes initiatives, celle-ci suscite admiration, débat et contestation. Elle, comme tant d’autres, remet la création artistique face à la politique. Un vieux et indispensable couple, plus au moins heureux, qui continue d’entretenir l’ambiguïté inhérente à sa propre existence. Bien que, dans le cas du 1 %, l’ambiguïté est moindre. L’État garantit l’existence de l’œuvre et devient médiateur entre l’art et la société.

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Il arrive que des maîtres d’ouvrage tentent d’échapper à cette obligation dans l’espoir de gagner quelques mètres carrés de construction. Bien que le « 1 % » soit l’expression d’une volonté politique, et malgré un cadre et des modalités d’applications bien définis, le « 1 % » n’a pas toujours été respecté et parfois la rencontre entre l’artiste, l’architecte et le public n’a pas pu avoir lieu. Le « 1 % » est devenu possible suite à une volonté politique, laquelle est l’expression d’une politique publique de la culture et de la création artistique. Sur le campus de l’université Lille 1, on compte aujourd’hui 23 œuvres artistiques qui ont été réalisées grâce au 1 %. Ce patrimoine artistique n’a pas toujours eu l’attention qu’il mérite. Certaines œuvres ont été taguées, d’autres abîmées par manque d’entretien et surtout par l’usure du temps. Pourtant, les œuvres artistiques sur un campus constituent un vecteur de valorisation de l’espace, elles apportent de l’imagination, de la beauté, de la gaieté et incitent au questionnement. Le campus de la Cité Scientifique possède de nombreuses œuvres majeures. Ce dossier spécial que nous consacrons au 1 % en témoigne.

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L’université assumera désormais pleinement ses responsabilités en termes de conservation et de valorisation de ses œuvres. Un itinéraire du 1 % sera mis en place prochainement. Par Nabil El-Haggar

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es collections d’objets témoignant des savoir-faire passés aux œuvres artistiques qui s’exposent sur le campus : l’Université Lille 1 possède un patrimoine riche et varié. En effet, avec un peu d’attention, on remarque que la Cité Scientifique est habitée par des créatures étranges et originales : un cheval à l’allure un peu maigre trottine dans le patio du bâtiment de Physique, des coqs se battent violemment sur l’un des murs du bâtiment administratif, un passe muraille nous surprend devant le bâtiment de Mathématiques…

Ces sculptures, fresques, peintures et mosaïques qui agrémentent les édifices font bel et bien partie du décor au sein duquel la communauté universitaire évolue au quotidien. Pourtant, si l’on sonde certains de ses usagers, les réponses restent souvent floues… Certains n’en pensent « pas grand-chose », voire « rien », d’autres affirment au contraire « qu’il en faudrait plus », « qu’elles décorent les bâtiments souvent trop tristes » ou encore « qu’elles animent l’espace ». 7

La Recherche scientifique et l’Idée dominant en toute chose Édouard Pignon 1970

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aune, bleu, rouge, noir, vert, blanc… Une explosion de couleurs attire le regard. L’œil cherche à se repérer dans cet imbroglio qui semble a priori abstrait. Des pattes acérées, des ailes ébouriffées, un œil sanguinolent, un bec : peu à peu, les formes prennent sens. Les carreaux de lave émaillée tracent un damier régulier sur lequel se déploient deux gigantesques gallinacés. En 1970, Édouard Pignon (1905-1993), sollicité pour le 1 % artistique du bâtiment administratif, propose La Recherche scientifique et l’Idée dominant en toute chose. Il s’agit en réalité d’un Combat de Coqs. En 1958-1959, Pignon se rend deux fois par semaine à Marles-les-Mines, commune du Pas-de-Calais où il a grandi. Il assiste aux duels des volatiles qui se déroulent traditionnellement dans les gallodromes de la région. Dès lors, au bord du ring, il retrouve ses souvenirs d’enfant : le vacarme, les cris, la fumée... Ses carnets se gorgent de violence. Pignon explique : « Pour moi, ils [les coqs] avaient deux, trois mètres de haut 1 ». Cette monumentalité concorde avec les exigences de la commande publique. Le motif du coq est repris pour les céramiques-sculptures de Saint-Étienne-du-Rouvray (1976) et du collège Émile Zola de Marles-les-Mines (1977) ainsi que pour la céramique murale de Lille, à côté de la figure plus sereine de L’Homme à l’enfant (1977). Le combat de coqs – récurrent dans la peinture de Pignon – est une métaphore de l’éclatement du monde que l’artiste explore simultanément dans les séries des Batailles (1961-1964), des Têtes de Guerriers (1964-1969) et des Seigneurs de la Guerre (1967-1970). Nathalie Poisson-Cogez

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Édouard Pignon, La Quête de la réalité, éd. Denoël, Paris, 1966, p. 163.


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De manière générale, qu’ils soient étudiants, professeurs ou membres du personnel de l’université, la majorité d’entre eux ne prête plus vraiment attention à ces créations tant elles sont ancrées dans le paysage. En réalité, chacun s’approprie à sa manière ces œuvres appelées communément les « 1 % », décrites comme « les petits plots », « le triangle et l’œuf » ou encore « le bonhomme en pierre » : elles deviennent point de rendez-vous, vecteurs de messages (affiches et tags les recouvrent bien souvent…) et se trouvent parfois investies le temps d’une pause. Cette appropriation peut être interprétée comme une réponse à la volonté de faciliter l’accès de tous à l’art et à la culture et de démocratiser l’œuvre en l’exposant dans un lieu moins « réducteur » que le musée. Mais doit-elle se faire au détriment de l’œuvre ? Autrement dit, il peut y avoir appropriation sans dégradation ! Cette démocratisation de l’art et de la culture, cet accès au plus grand nombre passeront aussi par la mise en place d’outils de conservation, de diffusion et d’information.

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Par ailleurs, une autre étape reste à franchir : la compréhension de cet art parfois « sauvage » donc trop insaisissable. Une valorisation et une aide à l’interprétation de ces œuvres se doivent d’être envisagées pour assurer la pérennité de cette mission de diffusion de la culture. Mélanie Los 13

Y du pronom au prénom Yvan le Bozec

Y

du pronom au prénom. Le « Y » est désormais la signature d’Yvan Le Bozec. Les murs du Restaurant Universitaire Le Barrois sont envahis d’une multitude de lettres identiques qui font la roue et forment une trame régulière imitant le papier peint ou la tapisserie. La répétition monochrome transforme le symbole identitaire en simple motif décoratif. La lettre transférée au pochoir est fracturée par un vide. Un interstice sépare ses deux branches : deux voies possibles. Le Y reprend finalement corps sur sept panneaux de verre accrochés sur le mur orné. Évoquant les abécédaires enfantins, les déclinaisons graphiques font simultanément allusion au dessin d’illustration, à la gravure, aux lettres ornées des enluminures médiévales et aux logotypes contemporains. Homme cosmique et androgyne, frères et sœurs incestueux, couple soleil-lune, Anthropos… Des figures hybrides, souvent bicéphales, soulignent la dualité du Y : « Condensateur des énergies mâle et femelle en un seul et même signe » 1. Cette approche symbolique est suggérée par les textes imprimés mais toutefois tronqués sur les panneaux de verre. L’artiste puise dans de multiples doctrines : gnose, ésotérisme, chamanisme, mysticisme tout en oblitérant ses sources. Ainsi, image et texte se télescopent dans une double lecture. La clarté et la transparence sont détournées au profit d’une herméneutique impossible. Les panneaux demeurent énigmatiques et le spectateur est renvoyé à ses propres références…

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Nathalie Poisson-Cogez

Yvan Le Bozec, Tiens-Y, Saint-Brieuc, septembre-octobre 1994, n.p.

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LNA#52 / dossier N°7 Urgence 69 Pierre BRUN 1972 Sculpture en résine de polyester ou béton Proximité du bâtiment B5, face à un rond point

N°1 Le Cheval écorché André ARBUS 1972 Sculpture en bronze doré Patio du bâtiment P1 N°2 Buste de Pasteur Paul BELMONDO 1973 Sculpture en bronze Bureau du Président de l’Université, bâtiment A3

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N°22 Œuvre sans titre Kim CREIGHTON, Jean-Marie GUIGUES, David VINCENT 2003 Sculpture en inox LIFL

N°17 Le Cri Etienne MARTIN 1971 Sculpture en bronze Face à l’Espace Culture

N°12 Œuvre sans titre Bruno DUMONT 1996

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N°21 Signal Raymond SUBES 1971 Sculpture en acier inoxydable Face à la Bibliothèque Universitaire

N°16 Œuvre sans titre Yves LOYER 1971 Sculpture en résine de polyester Cour de l’ancien IUT A

N°11 Œuvre sans titre Bruno DUMONT 1996 Relief mural en plaquage bois École Centrale, entrée du Grand amphithéâtre

N°6 Peintures Pierre BRUN Avant 1978 Décor mural sur panneaux de bois peint École Centrale, salle de réunion Bossut

N°20 L’Équilibre Turau SELIM 1971 Sculpture en acier Proximité de l’ancien IUT A

N°15 Y du pronom au prénom Yvan LE BOZEC 1998 Peinture murale au pochoir et plaques de verre imprimées Restaurant Universitaire Le Barrois

N°10 Œuvre sans titre Bruno DUMONT 1996 Sculpture murale en bois poncé École Centrale, couloir d’entrée, face à l’accueil

N°5 Œuvre sans titre Pierre BRUN Avant 1978 Sculpture en inox et béton École Centrale, patio des bureaux de l’administration

N°19 La Recherche scientifique et l’Idée dominant toute chose Édouard PIGNON 1971 ou 1970 Panneaux de céramique Façade du bâtiment A3

N°14 Le Passe muraille André GAILLARD 1971 Sculpture en acier soudé ou bronze Face au bâtiment M1

N°9 Figure agenouillée Eugène DODEIGNE 1971 Sculpture en pierre de Massangis Parking du bâtiment A3

N°4 Œuvre sans titre Pierre BRUN Avant 1978 Sculpture en béton peinte en blanc École Centrale, cour intérieure

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N°13 Phasis Patrick DUPRETZ 1995 Peinture à l’huile sur toile de lin Plafond du bâtiment M5

N°8 Passages Milos CVACH 1998 Relief mural bleu et jaune ENSC, hall d’entrée de l’aile J. DUMAS

N°3 Œuvre sans titre Patrick BOUGELET 1977 Relief mural en inox Bâtiment M1, 1er étage

N°18 L’Athlète après l’effort Raymond MARTIN 1974 Sculpture en bronze Derrière le bâtiment SH2

Sculpture pyramidale en verre et métal École Centrale, patio de la bibliothèque

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à lire / LNA#52

ceux dont les familles ne possèdent pas de capital culturel, renforçant les analyses de Bourdieu. En se réclamant de Bourdieu, les adeptes du courant progressiste ont fait un remarquable contresens et on peut regretter que Nathalie Bulle reprenne à son compte ce contresens. Elle néglige ainsi les obstacles, épistémologiques ou culturels, que rencontre la transmission des connaissances, obstacles que les défenseurs de l’instruction doivent savoir prendre en compte. Dans la seconde partie de l’ouvrage, Nathalie Bulle revient sur les réformes qui ont marqué l’institution scolaire française dans la deuxième partie du XXème siècle, la réforme du français mise en place par la Commission Rouchette et la réforme des mathématiques modernes, cette dernière présentant un caractère international. La Commission Rouchette se proposait d’adapter l’enseignement du français dans le primaire pour des élèves qui devaient prolonger leurs études au collège. Pour justifier la réforme, ses promoteurs se sont appuyés sur l’échec de l’enseignement élémentaire, échec dont Nathalie Bulle explique qu’il était moins important que les statistiques du ministère ne le disaient mais, ici encore, bien plus que l’échec scolaire, ce sont des raisons idéologiques qui ont conduit à la réforme. La réforme a été marquée, d’une part par la priorité donnée à la langue orale, la langue étant réduite à un moyen de communication, d’autre part par le développement de la linguistique et des thèses structuralistes qui se développaient dans les sciences humaines. On peut rappeler que ces réformes ont conduit à la diminution des horaires de français tant à l’école qu’au collège. Si, comme le rappelle Nathalie Bulle, la réforme des mathématiques modernes s’est moins posée comme une réponse à l’échec scolaire que comme une volonté de modernisation de l’enseignement des mathématiques, son analyse de la réforme et de la contre-réforme qui a suivi n’est pas pertinente. Contrairement à ce que dit Nathalie Bulle, les mathématiques n’étaient pas en crise dans les années cinquante, mais les travaux de Hilbert, repris dans la seconde partie du siècle par Bourbaki, les avaient profondément renouvelées. La question se posait alors d’adapter l’enseignement à cette évolution. Si l’enseignement supérieur s’était transformé dans les années cinquante, fallait-il pour autant transformer l’enseignement secondaire ? Les mathématiques semblaient jouer un rôle de plus en plus important dans la société et les besoins de l’économie demandaient d’accroître le nombre de scientifiques et de techniciens ; mais cela devait-il conduire à une réforme de cette ampleur ? Ici encore, la réforme allait rencontrer le courant progressiste

avec Piaget et la confusion qu’il a introduite entre les structures cognitives et les structures mathématiques mises en avant par Nicolas Bourbaki. La contre-réforme allait provoquer une remise en cause d’un enseignement considéré comme trop abstrait et s’inscrivait dans l’anti-intellectualisme caractéristique du courant progressiste, mais Nathalie Bulle n’a pas vu ce paradoxe apparent que les idées de la contreréforme s’inscrivaient tout autant dans les conceptions piagétiennes que celles portées par la réforme des mathématiques modernes, et les mêmes qui avaient défendu la réforme des mathématiques modernes, pouvaient, sans grande contradiction, défendre la contre-réforme. On peut voir ici les limites de la vision américanocentriste du courant progressiste que propose Nathalie Bulle même si celle-ci, dans sa recherche des sources du courant progressiste, n’oublie pas ses origines européennes. Si ces courants, le rationaliste et le progressiste, sont transverses aux positions politiques comme l’explique l’auteur dans un dossier de presse présentant son ouvrage12 , on peut alors poser la question des raisons qui ont conduit à identifier la démocratisation de l’enseignement au courant progressiste au détriment de l’enseignement des disciplines, c’est-à-dire de l’instruction. C’est peut-être la question principale comme le rappelle Nathalie Bulle dans la conclusion de l’ouvrage. Pour conclure, nous relèverons deux points essentiels de l’ouvrage. Le développement intellectuel humain s’inscrit en rupture avec le reste du vivant. Si la sortie de l’état de nature a des origines biologiques et, en cela, s’inscrit dans la théorie de l’évolution, l’homme est « un être naturellement culturel » comme le dit Nathalie Bulle s’inspirant de Pic de la Mirandole. La naturalisation de l’homme qui sous-tend le courant progressiste n’a aucune assise scientifique et c’est un point important que de le rappeler. Quant à ses aspects moraux et politiques, le courant progressiste n’aura su que renforcer les inégalités entre ceux qui ont accès au savoir et ceux à qui l’école ferme cet accès.

http://www.nathalie-bulle.com/Files/doss_presse_l_ecole_et_son_double.pdf

21

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LNA#52 / à lire

Pierre Rivière ou « l’univers silencieux du malheur » * Par Youcef BOUDJEMAI Directeur de la Maison Départementale des Adolescents, Lille

En 2007, le film de Nicolas Philibert, Retour en Normandie, aura permis, le temps d’une saison, de sortir de l’oubli le cinéaste René Allio, auteur de Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère..., réalisé en 1975. Profitant de cette actualité, l’I.N.A. restaure le film, l’édite en DVD et incite les films du losange à le ressortir en salle. Dans ce contexte événementiel, Gallimard décide de rééditer l’ouvrage sur ce parricide au XIXème siècle présenté par Michel Foucault, paru en 1973.

À

l’origine de Retour en Normandie, un autre film, celui de René Allio écrit à partir de matériaux issus du livre. Nicolas Philibert en fut le premier assistant chargé du repérage des lieux de tournage correspondant au cadre historique du fait divers, et de trouver des personnes parmi les paysans normands pour interpréter les personnages populaires du film. Philibert restera profondément marqué par cette expérience qui s’est nourrie, dit-il, de rencontres à coups « de dialectique douce et de petits verres de calva » pour convaincre les paysans de s’aventurer dans cet « étrange » projet. Trente ans après, il revient sur les « lieux d’origine », à la rencontre de ces protagonistes singuliers, en se confrontant aux multiples traces laissées par cette expérience unique et aux figures emblématiques marquées par l’absence : celle d’Allio, décédé en 1995, celle de Claude Hebert, interprète de P. Rivière et dont personne n’a de signes de vie et celle de son père chargé du rôle de Ministère public dans une séquence de tournage non retenue au montage final. En réintroduisant dans son propre film, par la séquence retrouvée, l’image du père « disparu », Philibert inscrit sa mise en scène dans une économie générale de la filiation et de la transmission qu’il prend soin de tisser à travers les rapports subtils entre images et paroles présentes et absentes. Le film porte avec force la question complexe du lien. Comment, après tant d’années, des hommes et des femmes de différentes générations et aux parcours divers se trouvent « ensemble » à partir de cette histoire commune qui lie le mémoire de Rivière et le film d’Allio ? Le film dessine le tracé d’un état de relations individuelles au temps, à la mémoire, à la folie, à la maladie, à la séparation, à la mort, à l’histoire sociale... que la mise en scène se charge de relier au collectif. Chacun, y compris le spectateur, est invité à être voyagé à travers son histoire personnelle en l’insérant dans une dimension socio-historique. Avec pudeur, le film accompagne les résonances entre les réalités qui entourent la tragédie de

* Cf. texte de Jean-Pierre Peter et Jeanne Favret, L’animal, le fou, le mort, in Moi, Pierre Rivière..., éd. Gallimard/Julliard, collection Archives, 1973, p. 249.

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Rivière et celles que vivent aujourd’hui les personnes ayant eu la charge de la représenter. De même, la description du monde paysan en 2007 ne trouve sens que dans la liaison qu’elle opère avec la réalité sociale et économique de la Normandie du XIXème siècle et avec celle des années 70. Le film analyse, sans effet de lourdeur, le processus de transformation sociale caractérisé par l’industrialisation, la violence du marché, les nouvelles conditions de travail, les fonds de pension. À travers ces multiples strates se constitue une mémoire commune par laquelle s’écrit une histoire sociale à la fois réelle et imaginaire. Philibert résumera son intention en ces termes : « un film sur le passé, mais aussi surtout sur le présent, qui mêlera les trois époques, celle du crime, celle du film [d’Allio] et celle d’aujourd’hui ». Le crime est celui d’un jeune homme de vingt ans témoin de vives tensions entre un père auquel il est attaché et une mère à qui il voue une profonde détestation. Le 3 juin 1835, il égorge à coups de serpe sa mère, sa sœur et son frère. Après un temps d’errance, il est arrêté et condamné à une détention perpétuelle. Décrit comme un garçon étrange, peu instruit, il rédigera, durant son incarcération et peu avant son suicide, un mémoire remarquable dans lequel il expose les motifs de son geste sur fond de description âpre des conditions de vie de ses semblables. Le « cas Rivière » devient vite un enjeu entre les juges et les psychiatres. Chacun voulant asseoir son pouvoir en marquant l’acte de son savoir. En 1971, une équipe de chercheurs, constituée notamment de Michel Foucault, Robert Castel, Jeanne Favret, Jean Pierre Peter, étudie dans le cadre d’un séminaire du Collège de France l’histoire des rapports entre psychiatrie et justice pénale. À cette occasion, elle « rencontre » l’affaire Rivière et entreprend l’analyse de son mémoire. Allio se saisit du livre à sa parution. Dans ses Carnets présentés par Arlette Farge, il souligne la parenté avec l’objet de sa recherche, à savoir rendre au peuple son histoire. Dans Pierre Rivière, il y voit de la politique, des « héros » différents, un autre regard et un autre point de vue sur la culture, les mœurs, les rapports entre les hommes, « le poids de ce triste monde [qu]’il nous faut parler » (Shakespeare).


à lire / LNA#52

En mettant à distance les appareils idéologiques religieux (les camisards), judiciaire et psychiatrique (Moi, Pierre Rivière...), les films d’Allio contribueront à la théorisation de la critique du début des années 70 qui est à l’œuvre aux Cahiers du Cinéma. Après sa dérive maoïste, la revue renoue avec le cinéma en investissant l’histoire et la culture populaire. La tâche de la fonction critique repose désormais sur l’articulation des niveaux des énoncés et le terrain où ils se déploient : Qui parle ? À qui ? Dans quel contexte ? Et sur la mise en question du système de la représentation. Michel Foucault et Jacques Rancière seront, entre autres, des compagnons précieux de cette aventure théorique. Dans ce contexte, le travail autour de Moi, Pierre Rivière répondait à la nécessité de se réapproprier l’ « histoire de France » en élargissant le système de références et en s’attachant particulièrement aux personnages refoulés qui, par leurs actes, tentent d’imposer leur discours. Allio fut l’un des rares cinéastes qui se posait, avec pertinence, la question de la représentation des personnages populaires. Tous ses films décrivent des personnages de condition modeste, confrontés au changement et dont le quotidien dessine leurs « moments historiques ». De La Vielle dame indigne à Transit, la préoccupation du cinéaste a été de rendre au peuple son histoire, en permettant à des personnages populaires de retrouver un rôle central, les sortant ainsi du hors champ de l’histoire. Déconstruire la représentation dominante du peuple implique un autre regard sur la réalité. Pour faire parler le peuple, il faut donc parler d’ailleurs. D’où la nécessité d’une double rupture : la première avec Paris, espace symbolique où s’exerce le pouvoir culturel dominant. Aussi, pour retrouver les personnages populaires, il faut aborder l’histoire des régions porteuses d’une parole populaire et s’y implanter en produisant et réalisant un cinéma décentralisé : avec Moi, Pierre Rivière..., Allio opère une seconde rupture, celle avec le brechtisme. Cette posture consistant en la prise de possession de la fonction de porte-parole par l’intellectuel à partir d’un point de vue qu’il adopte en toute solidarité avec le personnage populaire qu’il représente et en prenant finalement la parole pour lui. Évoquant, dans ses Carnets, la préparation du film, le cinéaste écrit en août 1974 : « Il faut que Pierre Rivière devienne le manifeste du cinéma qui se veut l’étendard de la parole du peuple, de son histoire vraie, ces vies des « pauvres », de ceux qui n’ont pas la parole ne laissent pas de traces et ne déploient pas moins de « savoir vivre », d’imagination, de courage, d’invention, d’amour, pour exister seulement, continuer d’exister ». Pour sortir de

cette confiscation de la parole du peuple en la lui restituant, Allio choisit une démarche esthétique qui consiste à faire prendre en charge, par des paysans normands, la représentation du peuple à travers le mémoire de Rivière. Foucault disait, à juste titre, que Moi, Pierre Rivière... est le film du mémoire et non celui du crime. En effet, le discours transcende le crime, et la parole reliée au geste est elle-même référée à l’écrit. Allio aborde ce mémoire comme l’expression authentique d’une parole qui entre en résonance, cent cinquante ans après, avec celle de la paysannerie normande à laquelle appartient son auteur. Le cinéaste restitue magistralement la mise en scène que fait le jeune paysan d’un récit qui dévoile, avec rigueur, l’antagonisme d’un ordre social assignant chacun à sa place. Le film ne traite pas de la folie. Il déborde toute approche normative qui chercherait à le ramener à un système d’explication qui produit et fait circuler des discours ayant fonction de vérité. Moi, Pierre Rivière... est une tragédie de la loi et de la terre ou sourd violemment l’indicible d’un geste qui brouille l’ordre des discours.

Quelques références : - Moi, Pierre Rivière..., Notes de travail, critiques, entretiens avec Michel Foucault, Cahiers du Cinéma, numéro 271, novembre 1976. - Fleurs intempestives (sur la fiction de gauche), Jacques Rancière, Cahiers du Cinéma, numéro 278, juillet 1977. - Carnets, René Allio, éd. Lieu Commun, 1991. - Dits et Écrits, Michel Foucault, Volume II 1976-1988, éd. Gallimard, 2001. - Moi, Pierre Rivière..., film de R. Allio, édité en DVD par l’I.N.A., 2007. - Moi, Pierre Rivière ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère, éd. Gallimard, collection Folio poche, 2007. - Retour en Normandie, film de N. Philibert, édité en DVD par GCTHV, 2008.

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LNA#52 / l’art et la manière

Enrique Ramirez : La Maison qui traverse l’Horizon Par Nathalie POISSON-COGEZ Docteur en histoire de l’art contemporain, chargée de cours à l’Université Lille 3, membre associé du Centre d’Étude des Arts Contemporains (CEAC) - Lille 3 Le Studio National des Arts Contemporains - Le Fresnoy, à Tourcoing, présentait du 13 juin au 23 juillet 2009 Panorama 11. Placée sous le commissariat de Régis Durand 1, cette exposition montrait des œuvres réalisées par les étudiants des deux dernières promotions et de plusieurs artistes-professeurs invités de l’école. Le spectateur qui s’en donnait le temps avait l’occasion d’être confronté à « Un archipel d’expériences 2 ». Au centre de la grande halle, une salle de projection proposait un dispositif cinématographique pour la projection de films. Tout autour, plusieurs installations. Horizon de Enrique Ramirez a retenu plus particulièrement notre attention, nous proposons d’y jeter l’encre pour offrir au lecteur quelques pistes de réflexions soulevées par cette œuvre.

L

’artiste chilien Enrique Ramirez a réalisé pour Panorama 11 une installation constituée de deux écrans qui se font face et sur lesquels sont projetées deux vidéos en simultané. Sur un écran : un homme sur une grande étendue de plage, quelque peu familière. Sur l’autre : une femme évolue dans une forêt tempérée. L’homme et la femme, dont les pensées sont exprimées par deux voix off, échangent des paroles intériorisées : « Es-tu de l’autre côté ? Qu’est-ce qu’il y a là-bas de l’autre côté ? Notre Terre » *. Les rondins de bois nus dressés sur la plage pour briser les lames font écho aux arbres de la forêt dont la caméra filme un court moment les cimes qui narguent le ciel, seul horizon visible de ce côté-là. De l’autre, la mer et le fil tendu du ciel qui s’étire dessus. L’homme. La femme. Une troisième figure apparaît au fil de la narration : la maison. Elle est matérialisée par une cabine de plage que l’homme porte vers la mer aidé par un groupe d’anonymes. « Notre maison est un bateau, est-ce que tu l’as déjà regardée ? » *. La maison, perçue habituellement comme point d’ancrage, devient un objet mobile, flottant. Elle est l’activateur du souvenir : « La mer. Une fenêtre. Vue sur la mer. Une nappe blanche. Deux chaises. Une table » *. Maison natale, maison familiale… La demeure est le lieu où l’on séjourne ; où

l’on se fixe ; où l’on reste, où l’on revient. Gaston Bachelard précise que « la maison est un corps d’images qui donnent à l’homme des raisons ou des illusions de stabilité » 3. Outrepassant sa seule fonction résidentielle, la maison est un point de repère, rassurant : « Trouver une terre, une maison, un foyer, la chaleur, la protection » *. D’autres artistes contemporains se sont emparés du thème de la maison dans leurs projets. La maison traverse l’œuvre de Louise Bourgeois : des peintures et dessins sur le thème de la Femmemaison de 1946-1947 aux Cellules des années 1990. Dans la série Femme-maison, le corps nu d’une femme se dresse, la tête remplacée par une maison. La tête cachée dans son abri atteste du rapport identitaire de l’âme à son habitation. En 1981, à Staten Island, Louise Bourgeois achète une maison qui ne sera jamais habitée, la Maison vide : « c’est une belle maison, mais il n’y a pas d’âme dedans » 4. La posture verticale de la Femme-maison souligne la dimension symbolique de la maison : un lien entre la terre et le ciel. L’homme debout est celui qui habite quelque part. Selon Gaston Bachelard : « La maison est imaginée comme un être vertical. Elle s’élève. […] Elle est un des appels à notre conscience de verticalité » 5. Pour Louise Bourgeois 6, la maison renvoie au foyer mais aussi à l’enfance. Cellule (Choisy) 7 est une maquette en marbre rose de la maison dans laquelle Louise Bourgeois a vécu de un à sept ans juste avant la Première Guerre mondiale. La maison, réalisée à partir de photographies et de ses propres souvenirs, est un simulacre sculpté. Emprisonnée derrière un grillage, elle est surmontée d’une guillotine qui symbolise « le passé qui est guillotiné par le présent » 8. La Maison de Jean-Pierre Raynaud 9 est un monde clos, presque un blockhaus. Construite de 1969 à 1987 à La Celle SaintCloud, cet ouvrage est en perpétuelle mutation. Les surfaces Gaston Bachelard, Poétique de l’espace, Paris, éd. PUF, 1957, p. 34.

3

Louise Bourgeois, entretien avec Nina Dimitrijevic (1994) cité dans Louise Bourgeois, Paris, Centre Georges Pompidou, 5 mars - 2 juin 2008, p. 192.

4

Gaston Bachelard, op. cit., p. 34.

5

Régis Durand : Critique d’art, Directeur artistique du Printemps de Cahors (1992-1996), Directeur du Centre National de la Photographie (1996-2003) et du Jeu de Paume (2003-2006) à Paris. 1

Voir Jean Frémon, Louise Bourgeois femme maison, Paris, éd. l’Échoppe, 2008.

6

1990-1993, Fondation d’art Ydessa Hendeles, Toronto.

7

Le titre de l’exposition est une allusion au romancier Herman Melville (18191891) et à Gilles Deleuze. Voir, à ce sujet, le texte de Régis Durand dans le catalogue de l’exposition : Panorama 11, Un archipel d’expériences, Le Fresnoy - Studio National des Arts Contemporains, Tourcoing, 13 juin - 26 juillet 2009, p. 5-6.

2

* Ces textes sont extraits de la bande son de l’installation.

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8 Entretien avec Bernard Marcadé repris dans Marie-Laure Bernadac et Hans Ulrich Obrist, Louise Bourgeois, Destruction du père, Reconstruction du père, Écrits et entretiens 1923-2000, Paris, éd. Daniel Lelong, 2000, p. 79.

Jean-Pierre Raynaud, La maison, Paris, éd. du Regard, 1998.

9


l’art et la manière / LNA#52

intérieures des différents espaces – dont la Salle sans nom – sont couvertes de carreaux de faïence blanche. « Pendant 24 années, j’ai construit dans le réel un espace imaginaire, ce que la société était incapable de m’offrir. Puis, en 1993, pour la protéger de l’homme, je la fis disparaître » 10. Les fragments seront exposés dans mille bassines au CAPC de Bordeaux. La maison n’existe plus que par les films 11 et les photographies. Captations virtuelles dans lesquelles s’incarne alors l’édifice disparu. « La maison qui m’a contenu où j’ai grandi est en moi désormais » 12. Pour l’architecte Paul Andreu, La maison est celle de sa mémoire d’enfant. Son roman est une description minutieuse. Des abords : la rue, le jardin. Des pièces : chambres et couloirs, cave et grenier, salle à manger, cuisine. Des détails architecturaux : la porte, un balcon… Sons, couleurs, odeurs, sensations tactiles ou gustatives. Il égraine, au cours du récit, un à un, les souvenirs ravivés, notamment dans ses rêves, par la mémoire du lieu. Dans l’installation de Enrique Ramirez, la maison est un fragile esquif, flottant devant l’horizon. La maison, boîte close, est ballottée par le ressac provoqué par le passage d’un Ferry de SeaFrance, aperçu au début de la projection en train d’avaler les véhicules autorisés à traverser la Manche. Cette séquence fait écho au film de Philippe Lioret, Welcome (mars 2009), dont le décor est aussi le port de Calais. Au mépris des lois, un maître nageur apprend la nage à un jeune kurde qui a l’espoir de traverser ainsi la Manche. Dans Horizon, la présence de l’eau est manifeste. D’un côté : la mer et sa salinité « Si la mer ne t’emmène pas, qui t’emmènera ? » *. De l’autre : l’eau verdâtre des marécages couverts de lentilles. Au mouvement incessant des vagues et à la trace de la marée répond le déplacement à peine perceptible du reflet des nuages sur le marais. Au commencement de la narration, le corps de la femme flotte à la surface de l’eau. Ophélie des temps modernes. Cette allégorie renvoie aux images morbides et médiatisées des corps récupérés sur les plages du Détroit de Gibraltar. La femme n’est pas morte. Les yeux grands ouverts, elle est entourée de cabas abandonnés au fil lent du courant. Ces sacs plastifiés que trimbalent les Sans Domicile Fixe, les migrants. Cet objet qui « porte en lui le passé et les maigres souvenirs de l’émigré, de l’exclu, de l’exilé » 13 évoque la série Le sac de Madame Tellikdjian de Paul Rebeyrolle 14 qui dénonce, par la peinture, les maux de notre société contemporaine.

http://web.archive.org/web/19970617021105/www.havas.fr/html/french/14/raynaud/ 1_1.html consulté le 7 juillet 2009.

10

Au Fresnoy, le spectateur prend place au sein du dispositif. Il a le choix de rester légèrement en retrait de manière à visionner les deux écrans ou de s’introduire au milieu de l’espace scénique pour faire face à l’une ou l’autre des séquences, dans un entre-deux finalement impossible à tenir. Sur le sol, entre les deux écrans, flottent des textes entrecroisés, récupérés sur le Web et mis à jour toutes les cinq minutes 15. BBC News, Le Figaro, Libération, Los Angeles Times, El Pais, Der Westen. de… « Lula régularise 50 000 immigrés clandestins » (Courrier International) ; « Les immigrés premières victimes de la crise » (20 minutes.fr)… Ainsi, Enrique Ramirez pose la question de l’exil et de l’immigration. Le migrant est celui qui abandonne tout : son pays, sa famille, ses amis, sa maison « à la recherche d’un monde meilleur » 16. D’autres de ses productions révèlent ce parti pris politique : Le paysage (2007), vidéos dans lesquelles des immigrants relatent leur histoire ou Brises (2008) tourné au Palais présidentiel du Chili, qui évoque l’histoire politique de son pays natal. Avec Horizon, il aborde un sujet engagé tout en lui conférant une dimension éminemment poétique. Le visiteur est convié à une expérience plurisensorielle provoquée par la qualité des images et de la bande son. Cette dernière alterne voix off, musique classique, cris des mouettes, mélange des langues – réminiscence de la Tour de Babel – et son de l’accordéon comme évocation nostalgique. Ignorant les barrières et les obstacles, par la magie de l’image, la maison-bateau passe finalement de l’autre côté de l’horizon et apparaît dans le marais où la femme la regagne à la nage. Elle devient son refuge. Elle ne pénètre pas dans la maison qui reste close, mais qui devient garante d’un retour à l’intime, au foyer. « Combien de frontière pour arriver chez soi, l’horizon est-ce que tu es loin ? » *. Pour en savoir plus et visualiser l’œuvre : Catalogue de l’exposition : Panorama 11, Un archipel d’expériences, Le Fresnoy - Studio National des Arts Contemporains, Tourcoing, 13 juin - 26 juillet 2009. www.lefresnoy.net www.panorama11.net www.enriqueramirez.fr www.projethorizon.com Enrique Ramirez est né au Chili en 1979. Après avoir étudié la musique puis la communication audiovisuelle et le cinéma au Chili, il séjourne en France où il effectue un Master au Studio National des Arts Contemporains - Le Fresnoy (Tourcoing).

Voir notamment le film de Michelle Porte sur la destruction de La Maison en mars 1993.

11

12

Paul Andreu, La Maison, Paris, éd. Stock, 2009.

Jacques Kerchache, « Parcours libre dans l’Espace Paul Rebeyrolle » dans Paul Rebeyrolle, Espace Paul Rebeyrolle, Eymoutiers, 2000, p. 17.

13

www.projethorizon.com

15

Voir Paul Rebeyrolle, La peinture hors normes, Musée des Beaux-Arts de Valenciennes, 28 mars - 12 juillet 2009. 14

Enrique Ramirez, « Notes sur l’Horizon », catalogue Panorama 11, op. cit. , p. 92.

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LNA#52 / vivre les sciences, vivre le droit...

L’humanité virtuelle Par Jean-Marie BREUVART Professeur émérite de philosophie

Nous vivons dans un monde « virtuel », c’est une banalité de le dire. Pourtant, cette virtualité va plus loin que celle des images que l’on peut créer et modifier à son gré. Ne porte-t-elle pas atteinte à notre conception quotidienne de la réalité « dure » ? De plus, ce pouvoir de création, qui nous institue comme « maîtres et possesseurs des formes », n’est-il pas la preuve que nous avons dû renoncer à être « maîtres et comme possesseurs de la nature » comme le voulait Descartes ? En d’autres termes, tout semble se passer comme s’il s’agissait d’un alibi à notre impuissance à changer les choses réellement. Le couple virtuel/réel est-il pertinent ?

La puissance du potentiel

Pourtant, qui pourrait nier aujourd’hui que la technique du virtuel permet bien des prouesses, par exemple en architecture, dans l’apprentissage de nouveaux comportements, dans l’élaboration de nouveaux projets d’urbanisme, ou l’investigation du corps humain, ou encore la reconstitution de monuments disparus ou d’événements passés, ou encore d’univers extraterrestres ? Dans tous les cas, nous avons le pouvoir de nous rendre présents à nous-mêmes des événements irréels ou tombés dans l’oubli du passé. Ainsi pouvons-nous jouer avec cette pseudo-réalité comme nous aimerions le faire avec le réel têtu qui s’impose à nous : comment se présenterait par exemple le bâtiment virtuel si l’on en ôtait telle ou telle baie, si l’on changeait la couleur de la façade, ou la forme de la terrasse, etc. ? De même pouvons-nous avoir l’impression de déambuler indéfiniment dans le bâtiment historique reconstitué (par exemple, le temple de Jérusalem). Pour autant, le temple de Jérusalem a bel et bien été détruit en l’an 70. Le jeu doit donc bien s’arrêter à un moment donné, lorsque les nécessités de la construction, ou tout simplement celles de la subsistance, s’imposent à nous. La vie des corps et de leurs interrelations reste la base dernière à partir de laquelle peuvent s’élaborer les rêves, aussi fous soient-ils. Certes, on peut toujours imaginer l’utopie d’un « corps glorieux », mais l’autre nous ramène toujours à sa réalité propre et indestructible. On peut alors se demander si le couple virtuel/réel est bien pertinent pour la recherche d’une vie sensée : à quoi sert de construire des images virtuelles si, finalement, elles nous font oublier la dynamique réelle de la vie ? La virtualité n’apparaît ainsi que comme une fuite ou, au moins, comme une solution provisoire à une question définitivement présente : celle de notre propre désir. C’est toute notre vie qui se définit dans une telle tension entre les deux : nous croyons, avec le virtuel, être dans un autre monde, un monde de puissance infinie, mais nous sommes finalement dans le même monde : celui de l’impuissance 1.

Pourtant, si l’on cesse de se situer à l’échelle personnelle pour envisager le virtuel comme une réalité de plus en plus insistante, on s’aperçoit à quel point ce virtuel représente un véritable « pouvoir », au sens premier de ce mot. Déjà chez le Grec Aristote, ce terme avait deux sens : celui du possible et celui du puissant, la puissance de la nature recélant des possibles toujours nouveaux. Or, l’ordinateur nous permet aujourd’hui de mieux anticiper sur ces nouveaux possibles. Certes, il y a les images nouvelles et inédites que cet ordinateur permet de former 2, mais, également, la « quincaillerie » et les programmes qu’il utilise pour ce faire. La véritable nouveauté humaine est précisément là : dans la capacité de produire des outils techniques et logistiques qui passent souvent inaperçus mais qui, par leur « vertu », ouvrent sur des possibles indéfiniment insoupçonnés. L’outil informatique opère ainsi sur le même mode que la nature elle-même : celle-ci recélait des potentialités qu’elle manifeste au fur et à mesure de son développement, alors que celui-là crée de nouvelles réalités par la mise en œuvre d’un langage nouveau qui se substitue à celui de la nature. Les nouvelles potentialités ainsi manifestées n’ont certes pas fini de nous étonner. Elles vont déjà jusqu’à la création de machines à forme et visage humains, des « robots » évoluant comme nous dans un « espace de vie », ressemblant étrangement au nôtre. Mais c’est bel et bien la technologie des circuits électroniques et celle des programmes qui ouvre sur une infinité de virtualités. L’oublier, ce serait comme si l’équilibriste sur sa corde ignorait qu’elle le maintient en vie.

Sur ce thème, voir le livre récent de P. Caye, Morale et Chaos (éd. du Cerf, Coll.

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La nuit surveillée, 2008), avec une reprise de la distinction grecque classique du faire et de l’agir (p. 237) : Le faire s’empresse de substituer à la faiblesse native de l’ homme la force prophétique de la technique (…) L’agir opère à l’ inverse, en assumant sans relève l’ impuissance de l’ homme. Cf., sur Internet, la présentation suivante d’un service de création virtuelle : Nous vous offrons l’ humanité virtuelle. Vous êtes le créateur. À l’aide de photos, de dessins ou tout simplement d’une description sommaire, nos artistes reproduisent fidèlement en trois dimensions le personnage original souhaité. Nous pouvons également vous proposer le design du personnage en fonction de vos besoins de communication. Nous produisons des personnages réalistes ou des clones, des personnages fantaisistes, des humanoïdes ou des créatures bizarres ou loufoques…

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vivre les sciences, vivre le droit... / LNA#52

Or, tout se passe comme si le développement même du virtuel masquait les réseaux « durs » qui lui ont donné naissance. On oublie la réalité du monde qui l’a rendue possible, dont une part relève justement de ce que, non sans raison, on a appelé le « hard », ce qui, en son existence même, forme le sol (ou la corde, pour continuer l’image de l’équilibriste) sur lequel toute création devient possible. Plus généralement, le virtuel parvient ainsi à se faire passer comme la véritable nouvelle planète, faite de réseaux virtuels multiples et toujours changeants, masquant les problèmes économiques, scientifiques et politiques de la planète physique « Terre », au profit d’une sacro-sainte communication universelle. C’est sans doute le développement même de la toile matérielle correspondant à l’Internet qui serait le meilleur exemple de ce déplacement opéré par le virtuel. Les deux couches de réseaux, reliant respectivement les machines et les logiciels d’exploitation, en engendrent une troisième : celle d’une communication qui créerait de toutes pièces une nouvelle civilisation, celle des blogs et des groupes de discussion. C’est cette couche même qui donne alors l’impression, soit par des mots, soit par des « pseudos » ou des images, que l’humanité avance à grands pas vers la totale transparence. Selon une telle perspective, les corps individuels et leurs vraies passions sont mis entre parenthèses, y compris les corps et les enjeux des machines pensantes et de leurs logiciels, pour ne plus retenir qu’un immense corps universel : celui que Teilhard de Chardin aurait sans doute appelé la « noosphère », mais seulement définie de nos jours par la « virtualité » des images et des échanges électroniques. C’est bien à quoi semble se réduire le « corps » de l’humanité, embrassant dans sa virtualité la totalité des corps particuliers, jouissant ou souffrant. Vers une humanité virtuelle des droits ? C’est sans doute la raison pour laquelle, en 2008, l’association Les Humains associés, notamment par les soins de Natacha Quester-Séméon, a produit la charte Néthique qui tente de définir comment cette nouvelle « sphère » du virtuel peut rester celle d’une authentique humanité, introduisant dans les rapports humains des exigences, elles-mêmes non-virtuelles, relatives aux valeurs humaines de toute personne. C’est ainsi que l’on peut lire dans cette charte : Les commentaires racistes, homophobes, antisémites, pornographiques, révisionnistes, sexistes ou en général tout sujet contraire à la loi et aux valeurs humanistes ne sont pas acceptés. On se croirait revenu réellement à notre planète Terre, avec

ses questions réelles, ses doutes, ses révoltes. De nombreuses associations, certains partis politiques ont adhéré à une telle charte, laquelle alimente l’idée d’une humanité virtuelle, définie comme telle par une cyberculture qui redonne de la valeur aux personnes réelles et concrètes. Il est clair qu’une telle tentative qui reconnaît de facto la réalité de cette humanité virtuelle devrait, si elle était suivie d’effet, ramener les internautes et tous les adeptes du « virtuel » à plus de modestie sur le sens d’une telle communication. Celle-ci ne saurait, en tout cas, faire l’économie de valeurs bien « terrestres », car liées à l’expérience de la vie la plus quotidienne, comme l’amitié ou la fraternité 3. Il me semble néanmoins que bien du chemin reste à faire sur le « Net » pour qu’un tel idéal cesse, quant à lui, d’être « virtuel ». Nombreux sont les réseaux qui n’appliquent pas la Néthique, ou ne l’appliquent pas encore, nombreux sont également les intérêts économiques qui continuent de régir les développements technologiques sans référence explicite à ces valeurs. De plus, la mise à distance opérée par le Net risque de dénaturer le sens profond d’une émotion immédiatement ressentie en une simple représentation de cette émotion. Or, cet oubli de notre véritable attachement à la Terre, comme l’avait si bien analysé M. Heidegger, conduit à un autre oubli, bien plus grave, celui de notre réalité d’animal vivant et pensant, un jour appelé à l’échange sur les valeurs du quotidien. Dans le livre que nous venons d’évoquer, R. Debray considère que l’un des « moments » des plus importants de notre vie quotidienne actuelle serait celui de la fraternité : Ce qui fait d’un ghetto ethnique une communauté fraternelle, ce n’est pas la couleur de la peau, c’est d’abord une association de quartier, et ensuite le fait d’aller à l’école, à l’église du coin, chez la grand-mère, partout où se contracte une dette imaginaire envers un passé qui passe sans passer (…) Quel lien peut-il se nouer entre des gens qui ne se racontent plus d’ histoires, parce qu’ ils mettent tous leurs verbes au futur ? (op. cit. p. 350) On dira que, précisément, le virtuel met tous les verbes au futur, mais on peut nourrir l’espoir qu’il le fera un jour en gardant le sens du passé qui passe sans passer. Il suffirait, pour cela, qu’il garde la mémoire de tout ce qui, d’une façon ou d’une autre, signe l’avènement d’une humanité nouvelle. Ce serait une humanité à la fois créatrice de nouveaux présents, tout en gardant sa densité historique, par le souvenir toujours maintenu de ses origines non-virtuelles. Cf. le livre très suggestif que vient de publier R. Debray, Le Moment Fraternité (éd. Gallimard, NRF, 2009), où l’on peut lire (p. 288) : La fraternité a une syntaxe modeste, grammaire ancestrale qui décline les credo et traverse les âges. Elle permet de faire du noir, du rouge, du rose et du tricolore.

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LNA#52 / chroniques d’économie politique coordonnées par Richard Sobel

Penser la crise avec Karl Polanyi Par Nicolas POSTEL, Richard SOBEL Maîtres de conférences en économie, Clersé / Université Lille 1 et Henri PHILIPSON Ancien maître de conférences en économie, Clersé / Université Lille 1 Après quelques mois de frémissements idéologiques durant lesquels le vieux Keynes fut sorti de son placard, il semble qu’on en revienne aux bonnes vieilles méthodes libérales et réactionnaires : flexibiliser la main d’œuvre, casser les services publics, réduire les prestations sociales, maintenir au plus bas les impôts des plus riches… Les élites de la technostructure – médiatico-étatico-économique – profondément acculturées au néolibéralisme ne risquent pas de changer de logiciel. Une pensée radicalement alternative doit remobiliser Karl Polanyi, dont la pensée toujours actuelle nous permet de pointer la seule question qu’il faut se poser aujourd’hui : quelle forme de ré-encastrement du capitalisme est-il possible de construire ? Les dangers de la marchandisation

Le nécessaire ré-encastrement du capitalisme

Karl Polanyi 1 rappelle qu’aucune société humaine ne peut durablement exister sans qu’un système assure une forme d’ordre dans la production, la distribution et la consommation des ressources. En règle générale, cet ordre économique est toujours bien encastré dans le social, lequel pour ainsi dire le structure et le contient. Or, au début du XIXème siècle, les sociétés occidentales ont institué et développé, pour l’économique, un mode d’être singulier : le « Marché Autorégulateur ». Son fonctionnement suppose qu’existent des marchés pour tous les éléments de l’activité économique, non seulement pour les biens et services, mais aussi pour le travail, la terre et la monnaie. Une économie (capitaliste) de marché, qui suppose l’alimentation continue du capital accumulé en moyen de production, ne peut fonctionner pleinement que dans une société de marché inventant un marché du travail, de la terre, de la monnaie.

C’est à cette aune que l’on doit lire l’énorme effort politique collectif des démocraties occidentales pour bâtir, après la Seconde Guerre mondiale, une monnaie commune gérée politiquement (à Bretton Woods en 1944), une représentation collective des droits du travailleur (la protection sociale collective) et une forme de démarchandisation de l’accès aux ressources naturelles (infrastructures publiques d’accès à l’eau, l’électricité, l’habitat… et aussi pillage politique et non marchand des colonies des pays occidentaux). La mise sous le boisseau, à Bretton Woods, des possibilités de spéculations financières à permis de contenir le pouvoir, et les rémunérations, des rentiers et des actionnaires en leur imposant une faible rémunération. Cette politique de bas taux d’intérêts réels a permis aux entreprises de se financer aisément. Parallèlement, les pouvoirs publics ont assuré aux entreprises un libre accès aux ressources naturelles (notamment en partie via la colonisation et l’exploitation des pays du sud) et leur ont garanti des débouchés directement (via la politique d’infrastructure publique) et indirectement (via les politiques de relances contra cycliques keynésiennes menées lorsque la conjoncture s’affaiblissait). Les entreprises, libérées de la pression du marché de la monnaie, du marché de la terre et même, d’une certaine manière, du marché des biens et services, ont pu alors nouer un compromis historique avec les salariés en suspendant à peu près entièrement les modalités marchandes d’évaluation et d’achat de la force de travail. En lieu et place du marché, les partenaires sociaux, artificiellement mis à égalité autour de la fiction politique du paritarisme, portés par une représentation collective des unes (les entreprises via les syndicats patronaux) et des autres (les syndicats de salariés), ont inventé ce qu’on appelle la « propriété sociale » 2 ou encore l’État Social 3.

Une marchandise, rappelle Polanyi, est un bien ou service « créé en vue d’ être vendu ». Le « travail » (comprenez : la puissance humaine), la « terre » (comprenez : l’environnement naturel de l’humanité) et la « monnaie » (comprenez : l’unité de mesure commune de ce qui vaut et que suppose tout échange) ne peuvent donc pas véritablement être des marchandises. Mais la fiction de leur marchandisation, lorsqu’elle est sans limite, est un processus destructeur pour la société. La démonstration en est faite avec l’effondrement des sociétés occidentales, dans les années trente, qui s’abîment dans le fascisme et le totalitarisme, ultime, mortelle et dramatique affirmation d’un « tout » social contre la dissolution marchande.

2 Castel R., Les métamorphoses de la question sociale - Une chronique du salariat, Paris, éd. Fayard, 1995.

Polanyi K., La Grande Transformation, Aux origines politiques et économiques de notre temps (1ère édition anglaise, The Great Transformation, 1944), 1983.

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3 Ramaux C., Emploi : éloge de la stabilité. L’État Social contre la flexicurité, Paris, éd. Milles et Une nuits, 2006.


chroniques d’économie politique coordonnées par Richard Sobel / LNA#52

La contre-offensive néolibérale ou le retour du refoulé ?

Crise sociale, crise politique, crise économique : le triple dividende de la re-marchandisation du monde

La révolte des rentiers, et en particulier des retraités américains titulaires de fond de pension, contre la trop faible rémunération du capital qui découle du compromis précédent sonne la fin de celui-ci. Leur désir de voir une revalorisation des actifs financiers entre en résonance avec la volonté du gouvernement américain de rompre avec les accords de Bretton Woods pour des raisons conjoncturelles (ce système leur semble de nature à surévaluer le dollar et à entraver leur capacité à demeurer compétitif au niveau international). Le président Nixon décide donc, en 1971, de suspendre la convertibilitéor du dollar, c’est-à-dire, de fait, de briser la logique du SMI mis en place en 1944 et qui pilote politiquement l’accumulation du capital. Dès lors, l’entrée dans un système de change « flottant » est inéluctable et entérinée lors des accords de la Jamaïque en 1976. Le SMI est définitivement détruit… et rien, en réalité, ne lui est substitué. L’expression « change flottant » signifie simplement que les États décident de laisser les différentes places financières fixer, selon le jeu de l’offre et de la demande, le cours des devises. Il convient d’attirer des capitaux en haussant les taux d’intérêt pour garantir la force de la monnaie. Les différents pays du SMI développent leurs marchés financiers et différents outils de placement pour attirer des capitaux étrangers. C’est l’envol du capitalisme financiarisé, de la rémunération des actionnaires et du cours des actions. Dans un contexte où la croissance n’excède pas 3 % par an en moyenne, on comprend vite que la part des revenus du capital croît rapidement et se traduit par une baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée.

Au début des années 2000, le processus de re-marchandisation de la monnaie, puis du travail et de la terre, est à peu près achevé. Presque simultanément, des signes de souffrance sociale graves se multiplient : crise des sans logement, drames de l’immigration, émergence de problèmes massifs de stress au travail puis de séries de suicides… et arrivée aux affaires, aux États-Unis, en Italie, en Autriche, dans les régions françaises, d’une extrême droite fascisante. Cette double crise s’accompagne, à compter de l’année 2007, d’une très grave crise économique qui émerge… par le logement ! La crise des « subprime » est en effet directement l’effet de l’envolée des prix de l’immobilier. C’est dire que cette crise se nourrit directement des effets de la marchandisation du travail (baisse des salaires et des possibilités de remboursement) et de l’espace naturel ! Lorsqu’elle touche la finance en septembre 2008, la boucle se boucle. Comment s’en sortir ? Deux voies existent :

La revitalisation du marché financier s’est accompagnée d’un retour de la contrainte de compétitivité prix sur le marché des biens et services et sur celui des matières premières. Les entreprises ont alors dénoncé le compromis social fordiste et obtenu, par le développement d’un chômage massif, une « flexibilisation » du travail, c’est-à-dire une « remarchandisation » du travail. On assiste au même type de phénomène en matière d’espace naturel : non seulement les organismes internationaux (Banque mondiale et FMI) enjoignent les producteurs à libéraliser leur économie et à jouer le jeu du libre échange, mais encore, à l’intérieur même des pays riches, on assiste à la mise en place (par une politique d’incitation foncière et de libéralisation du prêt) d’une concurrence accrue dans l’accaparement de l’espace immobilier qui provoque mal logement et envolée du prix des logements.

La première est hélas la plus probable. Elle consiste à panser les plaies de la finance, immédiatement par un endettement accru des États, puis, structurellement, par une forte cure d’austérité publique et salariale et la recherche effrénée d’un nouveau potentiel de croissance « vert ». C’est-à-dire accentuer encore le mouvement de la marchandisation. C’est la voie libérale. Celle de l’OCDE, de la Commission européenne et de la plupart des gouvernements (que l’on pense à la marchandisation de l’Éducation Nationale en France). Elle s’accompagnera inévitablement de nouvelles crises économiques et, avant cela, de tensions politiques fortes et de résurgence ou d’accentuation de formes politiques autoritaires et de politique sécuritaire pour combattre les différentes émeutes sociales. C’est là l’enseignement de Polanyi sur les conséquences de la marchandisation des piliers de la vie sociale. La seconde consiste à sortir de la crise économique et sociale en sortant de ce qui l’a provoqué. La « crise de civilisation » n’est finalement pas si ancienne… Elle ne prend corps qu’avec la re-marchandisation forcée des années 70. Redonner de l’espace à la vie sociale requiert quelques mesures simples : profiter de la crise actuelle pour recréer un SMI assis sur le contrôle politique de la finance (c’est en gros la proposition chinoise de nouvelle monnaie mondiale), refonder un droit du travail en Europe (là où le socle commun est le plus fort et le plus ancré), rompre avec l’idéologie d’une croissance non durable en privilégiant le temps libre (passage aux 32 heures) et les besoins en matière de service (éducation, santé, culture) pris en charge par une collectivité publique.

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LNA#52 / libres propos Jacques Jouet rend ici hommage à son aîné, l’autre colosse oulipien vivant... Du même auteur en cette rentrée, lisez sans délai Bodo (chez P.O.L.) : roman d’inégalable densité, immersion trempée d’espérance dans son second pays, l’Afrique entre Sahara et golfe de Guinée, aux échos du théâtre wassan kara. R.R.

Lire Jacques Roubaud Cher lecteur. Je voudrais, en quelques lignes, tenter de vous convaincre de rejoindre – si ce n’est déjà fait – les aficionados de Jacques Roubaud.

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i vous aimez les livres et si vous les aimez généreux, amusants, graves, poignants, joueurs, érudits, savants, méditatifs et convaincus, cette œuvre est pour vous, cet auteur est pour vous, ces ouvrages sont pour vous. Il n’y en a pas tant que cela de cette espèce. Ces livres s’appellent Jacques Roubaud, puisque le nom de l’auteur est l’un des noms propres d’un livre. Le titre en est un autre. Je n’ai jamais rencontré, à ce point d’intensité, plus que chez Jacques Roubaud (que j’ai la chance de côtoyer à l’Oulipo depuis presque trente ans), l’enthousiasme de la connaissance et la passion de l’art des lettres. Car, c’est là une œuvre d’enthousiasme, lecteur, qui demande lecture avide et active tout autant. Je n’irai pas par quatre chemins, je ne ferai pas la fine bouche. Je n’aurai même pas honte (mais regret, oui) de mes limites personnelles pour mener à bien cette tâche d’admiration : ma formation scientifique et mathématique est faible. Pourtant, je lis et relis cette œuvre qui a tout pour constituer un repère et ouvrir des champs de continuation.

L’œuvre commence sérieusement en 1965, par un livre exceptionnel reconnu immédiatement comme tel : ∈­[le signe d’appartenance]. Elle a bientôt cinquante ans de développement dans des territoires les plus variés. Elle est profuse. C’est d’abord une œuvre de poésie. La poésie en constitue le noyau. Dans la nécessité exprimée par Roubaud de perpétuer l’activité de poésie « comme art, comme artisanat et comme passion, comme jeu, comme ironie, comme recherche, comme savoir, comme violence, comme activité autonome, comme forme de vie » (quel programme !), l’exemple des Troubadours occupe la place d’un archaïsme nécessaire : « L’archaïsme du trobar est le mien ». Il faut apprécier cette position comme une manière de réaction contre les révérences obligées d’un poète des années 1960 en France : le surréalisme, la modernité absolue ou résolue, l’engagement, tous mouvements fortement tentés par la table rase. Au contraire, les poètes provençaux du XII ème siècle deviennent, pour Roubaud, les poètes d’origine, savants du vers, inventifs de la forme, clairs et obscurs, engagés par les poèmes pour la cause de l’amour. On ne fait pas du neuf à partir d’une table rase, mais à partir d’une généa40

Par Jacques JOUET

logie qu’on se choisit de façon partiale : Queneau plutôt que Breton, les poètes objectivistes américains plutôt que la Beat Generation, mais aussi Jane Austen plutôt que Balzac, Gertrude Stein plutôt que Joyce, Churchill (celui des années 40) plutôt que tout autre… Londres plutôt que Paris… Châteillon le tolérant plutôt que Calvin… liste non close. Le poète Roubaud est en charge de toute la poésie, qu’il sait par cœur, lit avidement et compose avec ampleur. Il est celui qui n’a peur de rien, ni du comique, ni du lyrisme de deuil, ni de celui du vide, ni de la logique formelle, ni de la ville comme sujet (Paris, Londres, mais pas seulement…), ni de la comptine pour l’enfance et les premiers lecteurs. Roubaud est d’emblée le poète de la présence au monde : « J’appartiens au doigt qui frappe le la ». Il est celui de l’extrême formalisme qui est, en même temps, l’extrême substantialisme au nom du concept de « sens formel ». La poésie n’est pas paraphrasable, « elle dit ce qu’elle dit en le disant ». La pratique s’accompagne de théorie qui n’est pas absconse, puisque Roubaud n’entretient aucun mépris pour l’artisanat poétique. À ce sujet, il faut lire absolument deux gloses fondamentales de grands poèmes anciens, démonstrations qui ôtent définitivement toute pertinence à la dichotomie traditionnelle du fond et de la forme : la glose du poème de Rimbaud « Qu’est-ce pour nous mon cœur que les taches de sang… » (La vieillesse d’Alexandre) et la glose de « La canso de l’amour de loin » de Jaufré Rudel (La fleur inverse). Le premier poème signifie l’ébranlement politique de la Commune de Paris par celui, formel, de l’alexandrin ; le second signifie l’affirmation de l’amour et sa défaite par le jeu des placements relatifs des mots qui se trouvent à la rime. Le poète qui « appartient à… » est celui de la marche à pied, de la marche en ville ou le long du Mississipi, qui est une marche de composition de poésie. Le poète est celui des voyages de par le monde qui l’accueille pour dire et vivre la poésie (Churchill 40 et autres sonnets de voyage). Le poète est celui de la légèreté et du jeu de langage des Fumistes et Hydropathes dont il faut reprendre la provocation comique, souvent liée à la rime, greffée du jeu de langage de Wittgenstein. Poésie « mémoire de la langue », amour de la langue, amour de l’amour…


libres propos / LNA#52

À l’origine encore, il y a la mathématique (théorie des catégories), l’empreinte des maîtres du groupe Bourbaki et une carrière de professeur. Il en restera plus que des traces dans le projet de poésie : un principe fondateur qui est plus proche d’une méthode scientifique que d’une volonté expressive. Le métier de mathématique s’infléchit du côté de la poésie. Le projet 1 dresse le bilan et met en programme des années de travail et se présente, existentiellement, comme « alternative à la disparition volontaire », euphémisme tranquille pour dire un premier drame intime, le suicide d’un frère, suicide qui aurait pu devenir un modèle malheureux (l’œuvre en parla longtemps en négatif, finalement explicitement dans Impératif catégorique). Le projet est de poésie à écrire, de théorie à échafauder, de lectures à effectuer exhaustivement, de recherches formelles sans frontières. Il est aussi et parallèlement celui d’un roman, ‘Le grand incendie de Londres’, qui voulait être ce que fut pour un Musil L’Homme sans qualités, par exemple, pas moins. La prose, donc, en regard de la poésie, sourcée elle aussi dans le Moyen-Âge du Graal. Le Lancelot en prose fonde, selon Roubaud, le roman, comme les cansos des Troubadours fondent la poésie.

détracteurs encensent (cette manière exaspéra nte de primer le malheur !). Dans ce livre, qui n’a besoin

Le projet est monstrueux : de connaissance, de composition, de vie. Il suppose le collectif. Des revues : Change, Action poétique, Po&sie… ; des groupes : Change encore, l’Oulipo, le cercle Polivanov, le Centre de poétique comparée (gigantesque travail sur l’alexandrin, sur le sonnet, tous les sonnets de toutes les langues, dans toutes les occurrences quantitatives, dans toutes ses variations formelles)… ; des collaborations nombreuses : la théorie du rythme avec Pierre Lusson, Graal Théâtre avec Florence Delay, d’innombrables traductions de poésie (Traduire, journal) et plus récemment d’un livre de la Bible, Paroles de Qohélet (L’Ecclésiaste)…

Le projet était gigantesque, « à bien des égards utopique », et chose curieuse, Roubaud œuvrant à l’accomplir partiellement lui en surajoute un second à moins que ce n’en soit qu’une nouvelle partie, mais alors la clef de voûte.

La haute idée que Roubaud se fait de la poésie n’a pas grandchose à voir avec les couchers de soleil (à la rigueur avec les levers), ni même avec la littérature, celle-ci étant largement débordée par celle-là, au rebours de l’opinion reçue qui fait de la littérature l’englobement du poème, du roman, du drame théâtral, éventuellement de l’essai. La place se trouve dégagée, aussi, pour la faille et pour la mélancolie, pour les morts d’une vie, « les mots des poètes sont ma vie », les morts de mes morts sont ma vie… jusqu’à ce grand livre de deuil Quelque chose noir, que même les

Photo © Coraline Soulier

de nulle illustration, la photographie est pourtant omniprésente, en tant qu’activité de la personne morte, mais aussi en tant qu’attestation d’un avoir été où le noir et le blanc vont déployer toutes les gammes de leur métaphorisation, le café, le pubis, la nuit, l’écriture sur la page…

Si « la poésie est mémoire de la langue », il convient d’interroger la mémoire, et ce sera par des moyens de prose. ‘Le grand incendie de Londres’, à ce jour lisible en sept forts volumes (réunis en un seul cet automne), encore inachevé, est une « prose de mémoire ». Il aurait dû être un roman « distinct du Projet quoique s’y insérant, racontant le Projet, réel, comme s’il était fictif, donnant enfin à l’édifice du Projet un toit qui, comme ceux des demeures japonaises, débordant largement des façades et s’incurvant presque jusqu’au sol, lui aurait assuré l’ombre nécessaire à sa protection esthétique ». Ce roman n’a pas eu lieu. Vient à sa place un récit fait d’incises et de bifurcations, de dépôts quotidiens de prose sans en faire jamais un journal ou des mémoires : une prose de mémoire. Celle-ci est extrêmement ambitieuse. Elle ne serait sans doute pas hostile à se laisser considérer comme alternative au livre de Proust, au point qu’on ne rendra vraiment justice au ‘Grand incendie de Londres’ que lorsqu’on aura pris la mesure des différences. Il est, quant à la mémoire, un irénisme de Proust, une confiance implicite en la vérité de la

Voir Description du Projet, Mezura n°9, 1979.

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LNA#52 / libres propos

reconstitution du temps perdu que ne partage pas Jacques Roubaud. Cela est fait pour l’écarter significativement, de façon inquiète, des retrouvailles proustiennes. ‘Le grand incendie de Londres’ est récemment abrégé par Roubaud en « Gril » – et non en « Gil », c’est à noter. Gril : le lieu où Roubaud se met sur les braises. Pourquoi cette impossibilité du roman ? Pourquoi cette destruction d’un projet de roman ? Pourquoi « destruction » au premier livre et « dissolution » au dernier ? Le Gril sera-t-il achevable ? Échec du roman pour laisser toute la place à la poésie, comme la mathématique l’avait déjà fait ? La fin est-elle écrite ? Autant de questions qui nourrissent un programme inépuisable de lecture du Gril. Il n’est rien de moins dégagé que cette œuvre, rien de moins étranger à un souci de civilisation et de Lumières. L’activité oulipienne, dont Roubaud est dans la période actuelle l’esprit central (l’Oulipo a une histoire, qui n’est pas finie, et qui a eu comme esprits centraux le biface Queneau/ Le Lionnais, puis le météore Perec, à présent Roubaud) est fondée sur la notion de potentialité que Roubaud ne cesse d’interroger, et l’on ne peut comprendre (ce qui n’est pas si courant) la pensée roubaldienne oulipienne de l’art littéraire que si l’on admet la métaphore scientifique du travail poétique, ou l’analogie : projet, axiome, solution, démonstration, champs ouverts de façon centripète et infinie, toutes choses qui rendent impropres toutes les opinions sceptiques sur l’épuisement de l’objet oulipien : « Vous trouvez encore des choses à chercher ? »… On trouve encore chez Roubaud le souci patent de la transmission de valeurs prenant leur source dans une famille cultivée, résistante, des Lumières, qui affirme des valeurs d’obligations de l’homme (obligations historiques) au temps de la religion des droits (dans un présent hors l’Histoire). Il faut lire, à ce propos, La dernière balle perdue et Parc sauvage. C’est tout cela, Jacques Roubaud, une certaine idée de la position de poète, qui est au cœur, l’atome, et autour duquel tournent des électrons plus ou moins libres et des planètes : la mathématique, la prose, les lectures anglaises, la potentialité…, selon un système qui a ses lois, ses exceptions, ses catastrophes. Il s’agit, typiquement, d’un auteur d’œuvre où toute chose a 42

un sens, devant laquelle on ne peut pas faire la fine bouche. C’est une œuvre généreuse qu’il faut lire avec générosité, en en acceptant les écarts, les différences. C’est une œuvre, encore, doucement subversive en ce qu’elle accomplit l’obsolescence de la notion de style. Plus loin qu’Exercices de style, ici un exercice de styles. Il n’y a pas de style, il y a des styles (voir les dix styles de l’auteur japonais Chomei, passim, dans le Gril), certains sont légers, certains sont graves, certains sont vite écrits, certains demandent long travail… Il n’y a pas de recherche d’absolu du style. Vive la « prose invisible » de Jane Austen plutôt que celle de Flaubert et ses affres… Il y a là de quoi penser, apprendre et ne pas s’ennuyer. Il y va de la réjouissance qui est au cœur de tous les arts. Aujourd’hui, lecteur, l’œuvre de Roubaud est l’œuvre qu’il faut lire.

L’œuvre poétique de Jacques Roubaud est publiée aux éditions Gallimard, collection blanche ou collection Poésie-Galimard. ‘Le grand incendie de Londres’ aux éditions du Seuil. La Dissolution, aux éditions Nous.


au programme / ouverture de saison & ateliers / LNA#52

Ouverture de saison Lundi 5 octobre 18h : présentation de la saison et des ateliers de pratiques artistiques Ateliers, stages, workshops Inscriptions dès le 5 octobre

sera en mesure d’apprécier la puissance de ce médium dans le champ de l’art d’aujourd’hui. La participation à cet atelier implique une certaine disponibilité et surtout un engagement réel dans la mise en œuvre d’un projet artistique. Le mercredi de 18h30 à 21h30 * THÉÂTRE Direction artistique : Jean-Maximilien Sobocinski

WORKSHOPS LILLE 1 Orchestre d’improvisation / Orchestre jazz Direction artistique : Olivier Benoit Comme chaque année, les deux orchestres dirigés par Olivier Benoit *, recherchent des musiciens d’un niveau confirmé ou très motivés, venus d’horizons divers (classique, rock, jazz) pour sa création 2009-2010. Le bagage jazz n’est absolument pas une obligation. Dans certains cas, la lecture à vue n’est pas obligatoire. Improvisation, rythme, écriture, travail en groupe, élaboration d’un répertoire, interprétation des morceaux écrits par les musiciens et par Olivier Benoit, sessions d’enregistrement, vous explorerez toutes les facettes de la création.

L’atelier théâtre cette année, et comme chaque année, nous permettra de créer, en fin de parcours, un montage. Une présentation de fin de travaux avant fermeture. Un chantier qui comme souvent ne sera jamais terminé. Notre ultime étape de travail. Constituons ensemble ce groupe, cette unité de participants pour explorer, tenter, proposer, faire du théâtre. Sans crainte ni contrainte, ouvrir le champ des possibles, des tentatives, du plaisir de jouer à deux... à tous. Je vous donne rendez-vous. Le lundi de 19h à 21h30 * * La date de reprise de chaque atelier vous sera communiquée le 5 octobre.

Le lundi de 17h à 21h * * Pour plus d’informations : obenoitmusic@gmail.com - http://obenoitmusic.free.fr

PHOTOGRAPHIE Direction artistique : Antoine Petitprez et Philippe Timmerman L’atelier de photographie est un lieu de recherche et d’expérimentation. Apprendre à photographier, c’est apprendre à observer, c’est aussi prendre conscience du réel qui s’offre à chacun. C’est, au final, choisir ce que l’on donne à voir. L’atelier est donc propice au développement d’une recherche personnelle, afin que chacun puisse s’exprimer tout en découvrant les potentialités artistiques de ce médium. Les séances seront ponctuées par des temps d’échange en groupe portant sur la lecture et l’analyse des images, ainsi que par une réflexion sur les choix techniques quant à la mise en œuvre des projets individuels. Par l’étude des différentes démarches artistiques des auteurs contemporains, chacun

INSCRIPTIONS Dans la limite des places disponibles, l’inscription de participants extérieurs à l’Université Lille 1 sera envisagée. TARIFS Étudiants et personnels Lille 1 1 atelier : 30 euros / 2 ateliers : 50 euros / 3 ateliers : 70 euros Extérieurs 1 atelier : 50 euros / 2 ateliers : 80 euros / 3 ateliers : 100 euros Paiement uniquement par chèque à l’ordre de l’Agent Comptable de l’Université Lille 1.

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LNA#52 / au programme / ouverture de saison & ateliers

DANSE Danse contemporaine Par le collectif w2YD Le collectif w2YD, en résidence à l’Espace Culture, recherche danseurs (amateurs bienvenus) et personnes de tous horizons artistiques (plasticiens, comédiens, chanteurs, musiciens…) pour son projet d’écriture et d’expérimentation autour du Livre de l’Intranquillité - Autobiographie sans événements de Fernando Pessoa. Les mercredis et samedis (horaires à préciser) http://w2yd.free.fr États de corps Par Alice Lefranc (Cie Carapacine + w2YD) À la croisée de ses différentes pratiques, Alice Lefranc proposera à chacun de développer une mise en condition propice à la recherche chorégraphique. Chacun se familiarisera avec son propre schéma corporel, les sensations de poids du corps et le contact. Aujourd’hui chorégraphe, Alice Lefranc a été interprète dans plusieurs projets (Vivat d’Armentières, Danse à Lille, Espace Culture Lille 1…). Au cours de nombreux stages, elle a abordé différentes techniques (Feldenkrais, Alexander, Yoga) en parallèle d’une pratique avancée de l’Aïkido. Elle développe son langage chorégraphique à partir de ces différentes approches du mouvement. Une fois par mois le samedi après-midi (horaires à préciser) http://onlineblog.fr/alicelefranc.php STAGES THÉÂTRE DIAGONALE Par la Compagnie du Théâtre Diagonale : Esther Mollo et Nicolas Madrecki. Stage 1 : Construction de la partition corporelle avec Esther Mollo Les 3 et 4 octobre Le corps est le fondement du travail. Exploration des principes servant de base dans les créations, mise en œuvre dans un travail personnel. Une présentation clôturera le stage en permettant aux participants d’aller jusqu’au bout de l’expérience créative. 44

Stage 2 : Technique de mime corporel avec Esther Mollo Les 12 et 13 décembre Le mime est l’art de la représentation à travers le mouvement du corps. Cette technique s’adresse à tous ceux qui sont confrontés ou désirent se confronter à un espace scénique en qualité d’acteur, de danseur, chanteur, metteur en scène, etc. Inscription et infos : Théâtre Diagonale 03 20 92 15 86 / 06 83 45 37 66 theatre.diagonale@free.fr www.theatrediagonale.com Ouverts aux étudiants, enseignants et autres personnes extérieures 3 ateliers seront proposés en 2010 : les 30 et 31 janvier, les 27 et 28 février, les 27 et 28 mars. Présentation le 29 mars à 19h. Tarifs : 30 euros par module pour les étudiants et membres de l’Université Lille 1 / 80 euros pour les personnes extérieures.

19h : concert duo Mohamed Derouich guitare / Christophe Hache contrebasse Musique marocaine, gnawa et jazz La rencontre entre Mohamed Derouich et Christophe Hache a donné naissance à un duo original qui mêle les rythmes africains et l’improvisation jazz à travers des thèmes connus et des compositions personnelles. Mohamed Derouich, guitariste autodidacte d’origine marocaine, très influencé par Oum Kalthoum, Nass El Ghiwane, John Coltrane, Miles Davis…, pratique les percussions traditionnelles du maghreb (derbouka, bendir, chakchouka) et a adapté pour la guitare les jeux de oud, gembri, kora, percussions gnawa et quanun. Christophe Hache, contrebassiste de jazz, membre du collectif Circum, s’est déjà produit avec l’Orchestre National de Jazz (Franck Tortillier), Antoine Hervé, etc. Chacun des deux musiciens s’enrichit de la musique et de la culture de l’autre pour un univers métissé qui crée une ouverture vers d’autres horizons…


au programme / réflexion-débat / LNA#52

Octobre 2009 – mars 2010

Cycle Créativité et territoires

RENDEZ-VOUS D’ARCHIMÈDE u  Conférence introductive : Créativité, économie et territoires Mardi 13 octobre à 18h30 Par Bernard Stiegler, Directeur du département du développement culturel au Centre Pompidou. Animée par Christine Liefooghe, Maître de conférences en géographie, Université Lille 1. u  L’artiste, l’ingénieur et les nouvelles technologies Mardi 10 novembre à 18h30 Par Jean-Paul Fourmentraux, Sociologue, maître de conférences à l’Université Lille 3, UFR Arts et Culture et laboratoire GERIICO, chercheur associé au Centre de sociologie du travail et des arts (EHESS). Animée par Lise Demailly, Professeur émérite de sociologie, CLERSÉ, Université Lille 1 (sous réserve).

u  L’économie du marché de la créativité Mardi 24 novembre à 18h30 Par Yann Moulier-Boutang, Professeur de sciences économiques, Université de Technologie de Compiègne, directeur adjoint du Costech (EA 22 23) de l’UTC, professeur associé à l’École Supérieure des Arts et du Design de Saint-Etienne, co-directeur de la Revue Multitudes. Animée par Abdelillah Hamdouch, Maître de conférences en sciences économiques, Université Lille 1.

JOURNÉE D’ÉTUDES

u  Droit, création et art contemporain Mardi 8 décembre à 18h30 Par Bernard Edelman, Avocat à la Cour, docteur en droit. Animée par Laurence Allard, Maître de conférences en sciences de la communication, Université Lille 3 (sous réserve).

Responsables du cycle : Nabil El-Haggar et Christine Liefooghe.

u  Créativité et politique : un lien ambigu Mercredi 10 mars 9h30 – 11h : La créativité, un idéal démocratique ? 11h15 – 12h45 : Culture et politique 14h30 : Créativité et politique : un lien ambigu

Plus d’informations : http:// culture.univ-lille1.fr Programme détaillé disponible à l’Espace Culture

u  Nouveaux territoires de l’art et développement urbain Mardi 19 janvier à 18h30 Pa r Boris Grési l lon, Ma ître de Conférences en géographie, Université de Provence. Animée par Christine Liefooghe. u  Multimédia, une chance pour le territoire ? Mardi 2 février à 18h30 Par Maxence Devoghelaere, Co-fondateur de 3Dduo et Christophe Chaillou, Professeur d’informatique, Université Lille 1. Animée par Pascale Lepers, Institut d’Administration des Entreprises, Université Lille 1. 45


L’urgent et le durable

23-03-10 à 18h30

Frédéric Worms

Bernard Maitte

Crise écologique et ...

04-05-10 à 18h30

Jean Gadrey

Sandrine Rousseau

Qu’est-ce qu’une crise ?

20-10-09 à 18h30

Marcel Gauchet

Nabil El-Haggar

La crise chez le vivant

17-11-09 à 18h30

André Langaney

Taniel Danelian

Les crises stratégiques

01-12-09 à 18h30

Daniel Parrochia

Robert Gergondey

Physique statistique...

15-12-09 à 18h30 Octobre 2009 –Roger maiBalian 2010

Rudolf Bkouche

La crise du capitalisme...

12-01-10 à 18h30

Nicolas Postel

Comment naissent...

26-01-10 à 18h30

Philippe Gallois

Jean-Marie Breuvart

Crise, enfance et psyché

02-03-10 à 18h30

Pierre Delion

Jean-François Rey

LNA#52 / au programme / réflexion-débat

CycleLaurent La Cordonnier crise

RENDEZ-VOUS D’ARCHIMÈDE

u  La crise du capitalisme financier

u  Conférence introductive : qu’est-ce

Par Laurent Cordonnier, Maître de

RENDEZ-VOUS D’ARCHIMÈDE

Y a-t-il des crises politiques ? 16-03-10 àMardi 18h30 12 janvierJacques à 18h30 Rancière Nabil El-Haggar L’urgent et lecrise ? durable qu’une

23-03-10 àconférences 18h30 en économie, FrédéricCLERSÉ, Worms

Mardi 20 octobre à 18h30 Université Lille 1. Crise écologique et ... 04-05-10 àAnimée 18h30 Jean Gadrey Par Marcel Gauchet, Historien et phipar Nicolas Postel, Maître losophe, directeur d’études à l’EHESS de conférences en économie, CLERSÉ, au Centre de recherches politiques RayUniversité Lille 1. mond-Aron. Animée par Nabil El-Haggar, Viceu  Comment naissent les crises dans président de l’Université Lille 1, chargé le corps humain ? de la Culture, de la Communication Mardi 26 janvier à 18h30 et du Patrimoine Scientifique. Par Philippe Gallois, Neurologue, Faculté Libre de Médecine, Lille. u  La crise chez le vivant : mutation, Animée par Jean-Marie Breuvart, évolution des espèces Philosophe. Mardi 17 novembre à 18h30 Par André Langaney, Biologiste, Uniu  Crise, enfance et psyché versité de Genève et directeur du laboMardi 2 mars à 18h30 ratoire d’anthropologie biologique du Par le Professeur Pierre Delion, Faculté Musée de l’Homme. Animée par Taniel Danelian, Profesde médecine Lille 2, pédopsychiatre, Centre Hospitalier Universitaire de Lille. seur, Institut National des Sciences de l’Univers, Université Lille 1. Animée par Jean-François Rey, Professeur de philosophie à l’IUFM de Lille. u  Les crises stratégiques (et leurs modèles mathématiques) Mardi 1er décembre à 18h30 Par Daniel Parrochia, Philosophe, Université Jean Moulin Lyon 3. Animée par Robert Gergondey, Mathématicien.

u  Y a-t-il des crises politiques ? Mardi 16 mars à 18h30 Par Jacques Rancière, Philosophe, professeur émérite à l’Université Paris 8. Animée par Nabil El-Haggar.

u  L’urgent et le durable : le temps u  Physique statistique, chaos et

mécanique quantique : entre déterminisme et imprévisibilité Mardi 15 décembre à 18h30 Par Roger Balian, Physicien, membre de l’Académie des sciences. Animée par Rudolf Bkouche, Professeur émérite, Université Lille 1.

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de la crise entre catastrophe et développement Mardi 23 mars à 18h30 Par Frédéric Worms, Professeur à l’Université Lille 3, directeur du Centre international d’étude de la philosophie française contemporaine à l’ENS (Paris). Animée par Bernard Maitte, Professeur d’histoire des sciences et d’épistémologie, Université Lille 1 (sous réserve).

Bernard Maitte 10-09 > 05-2010

Qu’est-ce qu’une crise ?

20-10-09 à 18h30

Marcel Gauchet

Nabil El-Haggar

La crise chez le vivant

17-11-09 à 18h30

André Langaney

Taniel Danelian

Les crises stratégiques

01-12-09 à 18h30

Daniel Parrochia

Robert Gergondey

Physique statistique...

15-12-09 à 18h30

Roger Balian

Rudolf Bkouche

La crise du capitalisme...

12-01-10 à 18h30

Laurent Cordonnier Nicolas Postel

Comment naissent...

26-01-10 à 18h30

Philippe Gallois

Jean-Marie Breuvart

Crise, enfance et psyché

02-03-10 à 18h30

Pierre Delion

Jean-François Rey

Sandrine Rousseau Y a-t-il des crises politiques ? 16-03-10 à 18h30

Jacques Rancière Nabil El-Haggar

L’urgent et le durable

23-03-10 à 18h30

Frédéric Worms

Crise écologique et ...

04-05-10 à 18h30

Jean Gadrey

Qu’est-ce qu’une crise ?

20-10-09 à 18h30

Marcel Gauchet

Bernard Maitte Sandrine Rousseau Nabil El-Haggar

la crise La crise chez le vivant

17-11-09 à 18h30

André Langaney

Les crises stratégiques

01-12-09 à 18h30

Daniel Parrochia

Robert Gergondey

Physique statistique...

15-12-09 à 18h30

Roger Balian

Rudolf Bkouche

La crise du capitalisme...

12-01-10 à 18h30

Laurent Cordonnier Nicolas Postel

Comment naissent...

26-01-10 à 18h30

Philippe Gallois

Jean-Marie Breuvart

Crise, enfance et psyché

02-03-10 à 18h30

Pierre Delion

Jean-François Rey

CYCLE

Taniel Danelian

Y a-t-il des crises politiques ? 16-03-10 à 18h30

Jacques Rancière Nabil El-Haggar

L’urgent et le durable

23-03-10 à 18h30

Frédéric Worms

Crise écologique et ...

04-05-10 à 18h30

Jean Gadrey

Qu’est-ce qu’une crise ?

20-10-09 à 18h30

Marcel Gauchet

Nabil El-Haggar

La crise chez le vivant

17-11-09 à 18h30

André Langaney

Taniel Danelian

Les crises stratégiques

01-12-09 à 18h30

Daniel Parrochia

Robert Gergondey

Physique statistique...

15-12-09 à 18h30

Roger Balian

Rudolf Bkouche

La crise du capitalisme...

12-01-10 à 18h30

Laurent Cordonnier Nicolas Postel

Comment naissent...

26-01-10 à 18h30

Philippe Gallois

Jean-Marie Breuvart

Crise, enfance et psyché

02-03-10 à 18h30

Pierre Delion

Jean-François Rey

Bernard Maitte

Sandrine Rousseau

Y a-t-il des crises politiques ? 16-03-10 à 18h30

Jacques Rancière Nabil El-Haggar

L’urgent et le durable

23-03-10 à 18h30

Frédéric Worms

Bernard Maitte

Crise écologique et ...

04-05-10 à 18h30

Jean Gadrey

Sandrine Rousseau

u  Crise écologique et crise écono-

mique ? Mardi 4 mai à 18h30 Par Jean Gadrey, Économiste, professeur émérite à l’Université Lille 1. Animée par Sandrine Rousseau, Maître de conférences en économie, CLERSÉ, Université Lille 1.

JOURNÉE D’ÉTUDES u  Pendant la crise, les crises conti-

nuent… Mercredi 31 mars

Remerciements à Rudolf Bkouche, Jean-Marie Breuvart, Laurent Cordonnier, Bruno Duriez, Rémi Franckowiak, Robert Gergondey, Jacques Lemière, Robert Locqueneux, Bernard Maitte, Bernard Pourprix, Jean-François Rey et Richard Sobel pour leur participation à l’élaboration de ce cycle. Plus d’informations : http:// culture.univ-lille1.fr Programme détaillé disponible à l’Espace Culture


au programme / réflexion-débat / LNA#52

Question de sens 2009/2010 :

Résistances Cycle proposé par Jean-Pierre Macrez et l’équipe « Question de sens » (Université Lille 1) Résister contre tout ce qui est survalorisé, aux moyens qui se prennent pour des buts contre tout ce qui oublie l’humain contre les formatages contre l’inacceptable contre la violence légalisée contre les effets de mode… Donner priorité à l’humain et aux chemins d’humanisation afin de promouvoir la solidarité internationale et la fraternité.

Les prophètes interviennent directement en osant une parole subversive sur la place publique pour faire face à l’événement. Ils entrent en résistance. Leur parole devient action. Ils ne prédisent pas l’avenir. Ils l’inaugurent ».

Conférences

u  Fondements philosophiques et

u  Éloge de la rupture

Jeudi 22 octobre à 18h30 Espace Culture Par Jean-Marie Muller, Porte-parole national du Mouvement pour une alternative non-violente. « Le cours du monde charrie quantité d’iniquités et d’injustices. Elles ne suscitent chez les citoyens(nes) que des émotions passagères, ne provoquent pas une véritable prise de conscience. Face à l’inacceptable, ils ne se révoltent pas. Or, la pensée doit être dure. Seule la dureté permet à la pensée de n’être pas modelée par la pression de l’événement. Seule une éthique politique de rupture peut permettre de faire face aux défis de l’histoire. La pensée juste est une dissidence, souvent une désobéissance. Aujourd’hui, l’urgence est de rompre avec les idéologies qui incitent au meurtre de l’autre homme, le justifie et l’honore. Le moment est venu de comprendre que la violence est le facteur le plus puissant du désordre du monde.

Jean-Marie Muller est l’auteur du Dictionnaire de la non-violence, éd. Le Relié Poche, 2005.

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En lien avec la semaine de l’éducation à la Paix et avec le soutien du CRDTM.

perspectives de la résistance altermondialiste en ces temps de crise Jeudi 12 novembre à 18h30 Maison des Étudiants Par Gustave Massiah, Président du Centre de Recherche et d’Information sur le Développement (CRID), ancien vice-président de Attac-France, membre de son Conseil scientifique. Le mouvement altermondialiste, dans ses différentes significations, est porteur d’un nouvel espoir né du refus de la fatalité, c’est le sens de l’affirmation « un autre monde est possible », la construction d’une alternative à la logique dominante. Le mouvement altermondialiste ne cesse de s’élargir et de s’approfondir. La proposition d’organiser les sociétés et le monde à partir de l’accès pour tous aux droits fondamentaux donne son sens à la convergence des mouvements et se traduit par une nouvelle culture de la transformation.

Question de sens

de l’altermondialisme qui a aiguisé les contradictions internes au système. Des dangers mais aussi des opportunités sont ouverts par cette crise de la mondialisation. Si les dangers sont connus, les opportunités le sont moins. Dans le cadre de la semaine de Solidarité Internationale et en partenariat avec le CRDTM.

Le mouvement altermondialiste est confronté à la crise de la mondialisation. La crise du néolibéralisme, du point de vue idéologique, est fortement liée à la montée en puissance 47


LNA#52 / au programme

4ème Valse des Livres

Mercredi 14 octobre de 10h à 17h

Entrée libre Une manifestation ouverte à ceux qui aiment les livres, tous les livres… Vous achetez des livres, vous les lisez, puis ils vous encombrent… Profitez de cette nouvelle Valse des livres pour renouveler votre bibliothèque et faire des heureux ! Déposez, dès le lundi 5 octobre, à l’Espace Culture les livres que vous ne lisez plus et venez choisir, le mercredi 14 octobre, d’autres livres à emporter gratuitement. Comme toujours, cette journée est ouverte à tous, y compris à ceux qui n’ont pas de livres à déposer. C’est l’occasion de faire découvrir des livres lus, parfois relus, à d’autres

férus de lecture mais aussi de se rencontrer et d’échanger autour d’une passion commune. Renseignements : 03 20 43 69 09 À l’occasion de cette 4 ème Valse des livres, les Brigades d’Intervention Poétique de la Médiathèque municipale de Villeneuve d’Ascq nous rendront visite pour des lectures impromptues de poèmes… Les BIP ont été inventées en 1998 dans le cadre des « Langagières » (quinzaine autour de la langue et de son usage organisée par la Comédie de Reims, dirigée par Christian Schiaretti).

Nature, paysages, sociétés - enjeux contemporains Changements environnementaux et nouvelles technologies Vers des territoires et des paysages mutants ?

Séminaire organisé par Éric Glon, Jean-Marc Besse et Armelle Varcin Avec le soutien de TVES (Laboratoire Territoires, Villes, Environnement, Société), l’IAUL (Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de Lille), l’ENSAP Lille (École Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage) u  Jeudi 19 novembre à 18h

u  Jeudi 17 décembre à 18h

Quelle biodiversité pour demain ? Biodiversité urbaine, le retour. L’exemple du jardin intraurbain de Gilles Clément à l’ENS de Lyon par Paul Arnould. Bâtiment des thèses, Université Lille 1

Robots et avatars. Quelles implications dans notre environnement de demain ? par Jean-Claude Heudin Espace Culture, Université Lille 1 u  Jeudi 7 janvier à 18h

u  Jeudi 26 novembre à 18h

OGM, quels enjeux spatiaux ? par Yves Bertheau Bâtiment des thèses, Université Lille 1 u  Mardi 1er décembre à 18h

Biodiversité biologique et jardins publics par Yves-Marie Allain École Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage de Lille, Villeneuve d’Ascq

Les sources de rayonnement électromagnétique et leur spatialisation - Radiofréquences et santé avec Bernard Demoulin et Joël Hamelin Espace Culture, Université Lille 1 u  Jeudi 14 janvier à 18h

Nouvelles technologies - vers un post-humain ? par JeanMichel Besnier Espace Culture, Université Lille 1

u  Jeudi 3 décembre à 18h

Biodiversité et projet de paysage par Pacale Hannetel École Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage de Lille, Villeneuve d’Ascq u  Jeudi 10 décembre à 18h

Certitudes et incertitudes du changement climatique par Claude Kergomard Espace Culture, Université Lille 1 48

Contact : Anissa Habane, Laboratoire TVES anissa.habane@univ-lille1.fr / Tél : 03 20 43 45 18


au programme / spectacle vivant / LNA#52

En attendant l e

grand soir…

Deux petites formes théâtrales en résistance

Typologie de la Manifestation Soixante-huit (Une vieille histoire…)

Jeudi 15 octo bre à

Entrée gratuit

e sur réservatio n

19h

Par La Vache bleue compagnie

Typologie de la Manifestation De et avec Frédéric Legoy et Jean-Christophe Viseux Création 2004 (durée : 26 mn) Photos : Frédéric Legoy (entre autres) Jean-René Darmentières et son assistant projectionniste JeanFrédéric vous convient à une expérience hors du commun : l’Hypnorama, procédé révolutionnaire qui aiguise vos sens et vous transforme en manifestant, le temps d’une séance… Laissez-vous entraîner à la découverte d’un monde inconnu et de ses codes, celui de la manifestation… À l’origine du spectacle, les événements de l’été 2003 : lutte des intermittents, convergences avec d’autres luttes, manifestations de rue… Au-delà de son caractère ironique et divertissant, Typologie de la manifestation est une étude légèrement obsessionnelle et franchement décalée de la manifestation, qui décortique ses codes, rites et usages (drapeaux, banderoles, couleurs, mouvements…). C’est avant tout un hommage à ce qui rassemble, à un moment donné, des gens différents autour des mêmes valeurs, d’un mot d’ordre commun, d’un rêve ou d’un idéal… Sur un ton léger et à travers une expérience étonnante – l’hypnorama nous transforme en manifestants – Typologie de la manifestation aborde le caractère grave, voire dramatique de la manifestation à travers les diapos qui sont projetées. Une centaine d’images puisées dans une collection de plusieurs centaines de clichés réalisés depuis 10 ans par le projectionniste et photographe Frédéric Legoy, mais aussi dans une série de clichés plus anciens.

Soixante-huit (Une vieille histoire…) De et avec Frédéric Legoy et Jean-Christophe Viseux Création 2008 (durée : 35 mn) Comment faire – et réussir – la révolution ? Il existe quelques écrits à ce sujet. La révolution, c’est avant tout la prise du pouvoir. Une méthode simple se devait d’ être écrite, imaginée. C’est chose faite. La voici brièvement exposée. Une révélation… Et l’on se dit : « mais oui, c’était tellement simple, comment n’y avons nous pas pensé plus tôt ? ». 1968-2008… Quarante ans séparent ces deux dates… Soixante-huit et son mois de mai qui aurait presque pu être oublié sans l’hommage appuyé que lui a rendu le Président Sarkozy durant sa campagne électorale... Deux mille huit comme si soixante-huit n’avait jamais existé. Au nom des anniversaires en danger, il fallait réveiller les mémoires pour évoquer ce que fut 68, ce qu’il est aujourd’hui et ce qu’il sera. C’est aussi l’occasion d’interroger, une nouvelle fois, nos envies et notre capacité à changer le monde… Dans le même esprit que le premier spectacle, Soixante-huit (Une vieille histoire…) propose, en images, en son, en texte et en gestes, une étude attentive, sarcastique et mordante de la Révolution. La révolution et ses coutumes, mais aussi l’avantgarde éclairée dont elle a besoin : accessoires, tactiques et gestes, conspirations et conspirateurs du grand soir... Les images viennent nourrir et illustrer la démonstration du conférencier et l’entraînent parfois dans un rêve éveillé : celles des événements de Mai 68, bien sûr, mais aussi des images d’archives et, en écho, des photos plus récentes. Sources photographiques : collection de Frédéric Legoy, clichés du photographe JeanClaude Seine (qui a suivi en 68 et dans les années suivantes les mouvements sociaux pour plusieurs journaux militants), Photothèque du Mouvement social.

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LNA#52 / au programme / spectacle vivant

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Une Mort moderne La Conférence du Docteur Storm

Lundi 9 novembre à 19h Entrée gratuite sur réservation

Par Bruno Tuchszer D’après La Mort Moderne de Carl Henning Wijkmark Compagnie La Virgule (Centre Transfrontalier de Création Théâtrale, Mouscron-Tourcoing) Avec le soutien de Richard Sobel, Maître de conférences en économie à l’Université Lille 1

Baisser le coût du travail pour relancer la croissance ? Promouvoir la solidarité entre les générations ? …

« Mes chers concitoyens

L’interprète, Bruno Tuchszer, est diplômé de l’EDHEC et a tourné dans une vingtaine de films pour le cinéma et la télévision. Il a notamment joué sous la direction de Claude Berri, Philippe Lioret, Christian Vincent, Ariel Zeitoun… et a participé à une trentaine de productions théâtrales.

Réforme hospitalière, financement des retraites, déséquilibre des comptes de la Sécurité Sociale, qualité des soins, nombreux sont les défis qui nous attendent et qui nous préoccupent tous. Le ministère des Affaires Sociales m’a demandé de diriger une commission sur ces questions et de formuler des recommandations pour préserver un modèle de solidarité auquel nous sommes tous attachés. Je suis en mesure de livrer aujourd’ hui les conclusions de ces travaux et je viendrai en personne vous les présenter. Je suis persuadé que notre société est mûre pour dépasser blocages et conservatismes, afin de faire triompher l’esprit de responsabilité et de partage. Ensemble, inventons demain ! » Caspar Storm, Président de commission sur la phase terminale de l’être humain Inspirée d’un texte suédois qui fit scandale à sa parution, Une mort moderne, la conférence du Docteur Storm est une parodie corrosive des rapports qu’entretiennent les sphères politiques et médicales. Garantir le montant des retraites ? Améliorer notre système de santé ? Désendetter le pays pour assurer son avenir ? 50

Ce spectacle, qui fait écho à des questions qui nous concernent tous, sera suivi d’un débat avec Richard Sobel, Maître de conférences en économie à l’Université Lille 1 et Vladimir Nieddu, Syndicat SUD santé sociaux et Union Syndicale Solidaires.

Extraits du texte de Carl-Henning Wijkmark « Au fond, les personnes âgées comprennent fort bien qu’on doit d’abord miser sur les classes d’ âge actives et assurer le niveau de vie de celles-ci. Mais, en même temps, elles défendent leur retraite qu’elles conçoivent comme intangible..., nous constatons donc paradoxalement que si la société pose le problème en termes de choix entre l’argent et la vie, la réponse que donnent avec un soupir les personnes âgées, c’est qu’elles sont prêtes à renoncer à la vie. » « … Tous les citoyens de ce pays doivent pouvoir être assurés que, lorsque sera atteint un certain niveau de maladie incurable, de dépendance, de sénilité, ou mieux encore un peu plus tôt que cela c’est-à-dire dès un certain âge, la société interviendra pour administrer une mort exempte de souffrance et libératrice (…) Le grand défi à venir sera de répandre dans le public cette nouvelle éthique de la vie et de la mort qui, bien comprise, ne s’oppose pas au respect de la dignité humaine mais contribue à l’accroître au contraire. »


au programme / fête de la science / LNA#52

La fête à LillOsciences Du 19 au 21 novembre à l’Espace Culture

Photo : Eric Bross communication Lille 1

L

a fête de la science est devenue une tradition, l’occasion de rencontrer ceux qui travaillent sur des objets scientifiques et qui produisent des techniques issues de leurs recherches. Pour l’Université Lille 1, la plus grande université scientifique au nord de Paris, et l’INRIA, centre de recherche Lille-Europe, ce rendez-vous avec le public est précieux. Contrairement à ce qui est généralement admis, les scientifiques sont, selon moi, les meilleurs « médiateurs » pour expliquer, discuter et défendre leurs recherches auprès du public. Pour ce faire, nos laboratoires et nos partenaires se mobilisent durant trois jours. Notre ambition est de poser un regard critique et de discuter la science. C’est un moment privilégié, un échange autour de la science et des techniques si présentes dans notre quotidien à tous. Au fur et à mesure que l’intérêt pour la science et ses applications s’est développé, les questions se sont multipliées. Il est de notre responsabilité d’y répondre. Interroger les scientifiques, la science et ses applications relève d’une exigence éthique qui puise sa légitimité dans les valeurs démocratiques des sociétés économiquement et techniquement avancées. Pour que l’intelligibilité des réalisations techniques soit possible, il faudrait que les bonnes questions soient posées. Mais il faut aussi que ceux qui font la science puissent mettre de la distance entre eux et leurs propres réalisations pour apporter les bonnes réponses. Cet événement couvrira l’ensemble de la métropole lilloise, il sera découpé en plusieurs îlots. Le cœur de l’événement se tiendra au centre du campus de l’Université Lille 1, dans les locaux de l’Espace Culture et de la Maison des Étudiants. Nabil El-Haggar

L’ilôt découverte Démonstrations interactives et ateliers ludiques Touchez, c’est du virtuel ! / Le chirurgien virtuel / La chimie dans tous ses états / Jeu de l’oie sur la santé L’ilôt savoirs : conférences Art et technologie : 18/11 à 15h (au Fresnoy) Par Christophe Chaillou, Professeur d’Informatique, Université Lille 1, Savine Faupin, Conservatrice du Musée d’Art Moderne de Lille Métropole, et Michel Menu, Chef du Département Recherche au Centre de recherche et de restauration des musées de France.

Conférence de Hugues Leroux, Maître de conférences en physique à l’Université Lille 1 : 19/11 à 14h Conférence de André Brahic, Astrophysicien (sous réserve) : 19/11 à 18h30 La vie dans l’univers : entre rêve et réalité Par André Brack, Exobiologiste, directeur de recherche honoraire au CNRS : 20/11 à 14h Conférence-spectacle Par Didier Hober, Chef de service du Laboratoire de virologie du CHRU de Lille : 20/11 à 18h30 L’histoire de Lille et ses canaux : 21/11 à 14h L’ilôt expo Au plus près des étoiles : l’histoire de l’Observatoire de l’Université de Lille En parallèle de cette exposition : > Ateliers démonstratifs (après-midi) Comment construire une carte du ciel et L’île mystérieuse de Jules Verne : 19/11 Comment construire un cadran solaire : 20/11 L’orbite de Mars : 21/11 > Lectures publiques : « Voyages imaginaires » En partenariat avec l’Université Lille 3 Lectures de poèmes de « La vie de Galilée » de Brecht ou de textes de Jules Verne : 19/11 (après-midi) Par Anne-Pascal Pouey-Mounou, professeur de lettres modernes à l’Université Lille 3 et l’équipe du laboratoire ALITHILA. > Séances d’observation à l’Observatoire de Lille : 19, 20 et 21/11 à 20h30 Observatoire de Lille 1 impasse de l’Observatoire de Lille Pour tout public à partir de 10 ans Réservation par téléphone à l’Espace Culture à partir du 1er octobre Pour plus d’informations, le site internet sera mis à jour régulièrement : www.lillosciences.fr 51


LNA#52 / au programme / exposition

Au plus près des étoiles l’histoire de l’Observatoire de l’Université de Lille

Du 19 octobre au 18 décembre Vernissage : lundi 19 octobre à 18h30 Entrée libre Visites guidées sur réservation au 03 20 43 69 09

Dans le cadre de l’Année Mondiale de l’Astronomie L’année 2009 est marquée par divers événements visant à mettre en lumière une science souvent trop méconnue : l’astronomie. En hommage aux 400 ans des premières découvertes faites par Galilée, l’UNESCO a déclaré l’année 2009 « Année Mondiale de l’Astronomie ». C’est aussi la 18ème édition de la Fête de la science, avec laquelle coïncident les 100 ans de l’inauguration de la lunette astronomique de l’Observatoire de Lille.

L

’exposition « Au plus près des étoiles : l’histoire de l’Observatoire de l’Université de Lille » est l’occasion de découvrir de multiples objets représentatifs des savoirs et pratiques de cette époque, mais aussi les différentes techniques d’observation de l’univers. L’observatoire astronomique de Lille est né, en 1909, de la volonté du fils d’un riche industriel du textile : Robert Jonckheere. Passionné d’astronomie, il en fait la demande à son père comme cadeau d’anniversaire pour sa majorité. D’abord situé à Hem, l’observatoire collabore avec le Conseil Général du Nord et l’Université de Lille, en effectuant des relevés météorologiques, en participant au service de l’heure et en proposant des cours d’astronomie. L’observatoire est officiellement déclaré Observatoire de l’Université de Lille, par décret ministériel, le 6 juillet 1912.

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Face aux conséquences de la Première Guerre mondiale sur la gestion de l’observatoire, Robert Jonckheere se trouve, en 1929, dans l’obligation de le vendre à l’Université de Lille. Très vite, l’équipement scientifique de l’Observatoire de Hem, dont la célèbre lunette de 6 mètres de longueur, est réinstallé Porte de Douai à Lille. L’édifice, construit sur le modèle de l’Observatoire de Hem, est inauguré le 8 décembre 1934 en présence du Recteur Albert Châtelet, de l’Assemblée de la Faculté et des représentants de l’État. L’université Lille 1, héritière de l’observatoire et de son histoire, jouit aujourd’hui d’une collection unique d’objets scientifiques sur l’astronomie. Le temps de cette exposition, l’Espace Culture se transforme en observatoire astronomique présentant des objets anciens, parfois uniques, comme le micromètre de Robert Jonckheere, les théodolites en acier et en laiton, le sidérostat… Seront notamment exposés des documents rares et authentiques (relevé du sismographe, plan de l’observatoire…), un ancien atlas du ciel ou le premier catalogue d’étoiles doubles de Robert Jonckheere. De nombreux documents photographiques (certains datant du début du XXème siècle) et une vidéo (réalisée par Lille1T V ) témoigneront également de l’histoire et de la richesse de l’observatoire.


au programme / concert / LNA#52 © Béatrice Trichet

Duo Lê Quan Ninh / Tony Di Napoli Percussions / Lithophones (Pierres sonores) Jeudi 5 novembre à 19h Entrée gratuite sur réservation

En partenariat avec le Crime Lê Quan Ninh commence très jeune l’étude du piano puis débute des études de percussion. En 1982, il obtient le Premier Prix du Conservatoire National de Région de Versailles. Il manifeste très vite un intérêt pour l’improvisation libre. Il travaille avec le compositeur Butch Morris, le clarinettiste Misha Lobko, les saxophonistes Daunik Lazro et Michel Doneda. Il est l’un des membres du Quatuor Hêlios, ensemble de percussion qui a joué et enregistré, entre autres, la musique pour percussion de John Cage. Depuis 1989, il participe à de très nombreuses rencontres en Europe et sur le continent américain et joue régulièrement dans des groupes où se mêlent musique improvisée, acoustique et électroacoustique, poésie, performance, danse, actions, cinéma expérimental, photographie, vidéo... Sa rencontre, en 1993, avec George Lewis est le départ d’un travail avec l’outil informatique. Lê Quan Ninh travaille régulièrement avec des danseurs : Iwana Masaki, Yukiko Nakamura, Michel Raji, Olivia Grandville, Franck Beaubois et Patricia Kuypers…

Sculpteur et musicien, Tony Di Napoli débute ses études de sculpture à l’Académie des Beaux-Arts de Liège. La pierre devient un de ses matériaux de prédilection. Il complète sa formation chez des artisans tailleurs de pierre en Belgique, au Népal et en Italie. En 1994, il conçoit et réalise ses premiers instruments de musique en pierre : des gongs suspendus de formes variées (carrées, ovales, pierres gravées), des pierres rondes et des lames oblongues posées sur des caisses de résonance. Il a beaucoup étudié la « musique sur pierre » notamment les différentes pierres sonores anciennes et contemporaines au Viêt-Nam. Il est également formé à Hô Chi Minh-Ville à l’art d’accorder les pierres sonores, ce qui lui permet de nouvelles explorations. Il travaille un nouveau matériau, le contenant de la musique : l’air. Il travaille sur le projet « Un rêve de pierre – compositions pour différentes pierres sonores », projet réunissant les différents sculpteurs et musiciens de la pierre à travers le monde. Tony Di Napoli a composé et interprété la musique de plusieurs pièces de théâtre et a créé la musique pour un DVD de présentation d’un travail photographique. Il travaille actuellement à la création de musique pour une série de contes indigènes du Brésil.

En 2006, il crée avec la violoncelliste Martine Altenburger l’ensemble]h[iatus, un ensemble de musique contemporaine dont ses membres sont à la fois interprètes et improvisateurs. 53


LNA#52 / au programme / concert

Philippe Deschepper : guitare

Olivier Benoit : guitare

Régis Huby : violon

Trio Benoit / Deschepper / Huby Mercredi 25 novembre à 19h Entrée gratuite sur réservation En partenariat avec Circum La musique de ce trio à cordes, résolument « électrique », est essentiellement improvisée collectivement. Le traitement du son comme une matière organique, le lyrisme des mélodies composées dans l’instant sont au cœur de la démarche des trois solistes qui trouvent dans cette formation singulière l’espace idéal pour partager leur imaginaire. Guitariste, compositeur et chef d’orchestre, Olivier Benoit multiplie les collaborations et recherches à la croisée de différents domaines : danse, musique improvisée, expérimentale, musique contemporaine, jazz, électronique, pour lesquels il a parfois créé un langage. Il travaille, entre autres, avec le danseur/chorégraphe David Flahaut, les musiciens Joëlle Léandre, Sophie Agnel, Jean-Luc Guionnet, Michel Doneda, Éric Echampard, le collectif du Crime (dont la Pieuvre et Electropus qu’il dirige à l’aide d’un code de signes qu’il a créé), le collectif Circum (dont il compose en partie la musique), Happy House, Optronic, projets avec lesquels il a créé une vingtaine d’albums. Diplômé des Beaux-Arts, Philippe Deschepper entame, en parallèle de son activité de plasticien, une carrière de guitariste qui va se confirmer dès son arrivée à Paris en 1980. Il se produit régulièrement en France et à l’étranger avec Henry Texier, Gérard Marais, Louis Sclavis, Michel Portal, Sylvain Kassap, François Corneloup, Jacques Di Donato, Claude Tchamitchian… 54

© Photos : Jean-Michel Monin

Sous son nom, il dirige EAO, L’impossible Trio, Quartet PHD, Sextet PHD, Chien méchant, Unwritten… À partir de 1990, il reprend la sculpture et crée la Performance « sculptures musique et vidéo » avec le vidéaste Kamel Maad. Philippe Deschepper s’installe à Marseille en 2000. Il devient membre de diverses formations : Tota la Vertat Trio, Mécanos sonores, Fanfare E, Manoeuvres, Trio Santa Cruz… Il a par ailleurs composé et interprété des musiques pour la danse. Régis Huby est violoniste, improvisateur, compositeur, arrangeur et producteur. Il multiplie des collaborations qui sont le fruit de rencontres entre des styles les plus divers, du classique au post-rock en passant par des hymnes traditionnels. L’expérimentation est son mot d’ordre dans sa quête d’une musique « nouvelle ». Il a joué avec Joachim Kühn, Louis Sclavis, Dominique Pifarély, Paul Rogers, Marc Ducret, Noel Akchoté, George Russel, Bruno Chevillon, Bernard Subert, Hélène Labarrière, Gianluigi Trovesi, Enrico Rava, François Raulin, Éric Echampard, Paolo Damiani, Lambert Wilson, Christophe Maguet, Claude Tchamitchian, Andy Emler…


au programme / concert / LNA#52 © Patrick Veyssière

Drums Noise Poetry Trio de batterie Edward Perraud / Didier Lasserre / Matthias Pontevia

Jeudi 3 décembre à 19h Entrée gratuite sur réservation

En partenariat avec le Crime Dans ce « Drums noise poetry », les peaux, le cuivre et le bois sont autant de pages blanches où viennent s’inscrire les plus étranges aphorismes, les plus angoissantes strophes et les plus sombres paragraphes qu’auraient pu signer Edgar Poe, Franz Kafka ou Donatien Alphonse François de Sade. Ici, le fracas des tambours accède à la poésie pure… Joël Pagier, Improjazz Renversant. Bouleversant. Ca tire vers les instruments à vent, à cordes frottées, les synthétiseurs évidemment, toutes les percussions possibles, bombardiers, Spitfire en piqués, les orages, les brises, les tornades, les friselis, les forêts, les prairies, les chutes du Niagara, les rouleaux de l’océan, l’atelier typographique, l’usine. Le septième jour, le trio de batterie inventa le son, l’énergie et l’amitié… Claude Chambard, Journal des Allumés du Jazz, 2008 Edward Perraud commence la guitare très jeune, puis le trombone et la percussion classique au CNR de Rennes. Il étudie la musique classique, la musique contemporaine, le jazz, la musique indienne et l’improvisation libre qui marquent son jeu de percussionniste. On compte une quarantaine de disques à son actif sur des labels du monde entier. Depuis 2005, il participe à un projet comme comédien et s’investit dans un projet itinérant Cinéma/Musique. Il a joué avec nombre de musiciens des scènes européennes et américaines : Paul Rogers, John Edwards, Michel Portal, Daunik Lazro, Jean-Luc Cappozzo, Didier Petit, Olivier Benoit, Jean-Luc Guionnet, Marc Helias… Il travaille, depuis huit ans, la musique indienne et fait de nombreuses tournées en France et à l’étranger. Batteur, per-

cussionniste, compositeur, improvisateur et chercheur, il revendique un parcours où tout doit être possible… Didier Lasserre Il débute l’instrument à l’âge de seize ans puis travaille essentiellement en autodidacte. Il enseigne la batterie (Centre d’Improvisation Libre, Bordeaux, 2003) et dirige des ateliers d’improvisation et des master-classes (AsproJazz/Jazz en Franche-Comté). Il joue dans de nombreux festivals en France et à l’étranger (Jazz à Mulhouse, All’ Improvista / Pannonica, Jazz à Luz, Bordeaux Jazz Festival, Long Arms & APosition festivals Moscou & St Petersbourg…), tourne en République Tchèque, Allemagne, Portugal, Espagne... et co-fonde, en 2003, le label Amor fati avec Mathieu Immer. Il a joué, entre autres, avec Paul Rogers, Daunik Lazro, Jean-François Pauvros, Kent Carter, Bertrand Denzler, Bertrand Gauguet, Ronnie Lynn Patterson, Bobby Few, Roy Campbell... Matthias Pontevia fonde et dirige le Centre d’improvisation Libre à Bordeaux. Formé par l’écoute de Lê Quan Ninh, Tati, Barre Phillips, John Cage, Jack Dejohnette, Bach, Jackson Pollock, Sunny Murray, Jimmy Lyons, Marcel Duchamp, John Coltrane, Prince, Led Zeppelin, Alain Lestié, Jabo Stark, Michel Doneda, Miles Davis…, il est passionné par le détournement et la conception de batteries et percussions hybrides et joue dans divers groupes et orchestres jazz et free jazz. Batteur-percussioniste pour l’improvisation libre en diverses formations, il joue actuellement en trio avec Bertrand Gauguet (sax) et Jean-Sébastien Mariage (guitare électrique), en duo avec Xabi Hayet (contrebasse), en trio avec Jean-Luc Petit (sax ténor) et Hayet. 55


Octobre, novembre, décembre

*Pour ce spectacle, le nombre de places étant limité, il est nécessaire de retirer préalablement vos entrées libres à l’Espace Culture (disponibles un mois avant les manifestations).

Ag e nd a

Retrouvez le détail des manifestations sur notre site : http://culture.univ-lille1.fr ou dans « l’in_edit » en pages centrales. L’ ensemble des manifestations se déroulera à l’Espace Culture de l’Université Lille 1.

Les 3 et 4 octobre

Stage « Construction de la partition corporelle » par le Théâtre Diagonale

Lundi 5 octobre

Ouverture de saison : présentation des ateliers de pratiques artistiques Concert : duo Mohamed Derouich / Christophe Hache

18h 19h

Les 6, 13 et 20 octobre 14h30 Conférences de l’UTL Mardi 13 octobre 18h30 Rendez-vous d’Archimède : Cycle « Créativité et territoires » « Créativité, économie et territoires » par Bernard Stiegler Mercredi 14 octobre

10h-17h 4ème Valse des livres

Jeudi 15 octobre 19h

Spectacle : « Typologie de la manifestation / Soixante-huit (une veille histoire...) » * par La vache bleue Cie

Du 19 octobre au 18 décembre

Exposition « « Au plus près des étoiles : l’histoire de l’Observatoire de l’Université de Lille » Vernissage le 19 octobre à 18h30

Mardi 20 octobre 18h30 Rendez-vous d’Archimède : Cycle « La crise » « Qu’est-ce qu’une crise ? » par Marcel Gauchet Jeudi 22 octobre

18h30 Question de sens : Cycle « Résistances » « Éloge de la rupture » par Jean-Marie Muller

Jeudi 5 novembre

19h

Lundi 9 novembre 19h

Concert : duo Lê Quan Ninh / Tony Di Napoli avec le Crime * Spectacle : « Une Mort moderne La Conférence du Docteur Storm » * par Bruno Tuchszer - Cie La Virgule

Les 10, 17 et 24 novembre 14h30 Conférences de l’UTL Mardi 10 novembre 18h30 Rendez-vous d’Archimède : Cycle « Créativité et territoires » « L’artiste, l’ingénieur et les nouvelles technologies » par Jean-Paul Fourmentraux Mardi 17 novembre 18h30 Rendez-vous d’Archimède : Cycle « La crise » « La crise chez le vivant : mutation, évolution des espèces » par André Langaney Du 19 au 21 novembre

Fête de la science

Mardi 24 novembre 18h30 Rendez-vous d’Archimède : Cycle « Créativité et territoires » « L’économie du marché de la créativité » par Yann Moulier-Boutang Mercredi 25 novembre 19h

Concert : trio Olivier Benoit / Philippe Deschepper / Régis Huby avec Circum *

Les 1er, 8 et 15 décembre 14h30 Conférences de l’UTL Mardi 1er décembre 18h30 Rendez-vous d’Archimède : Cycle « La crise » « Les crises stratégiques » par Daniel Parrochia Jeudi 3 décembre 19h

Concert : « Drums Noise Poetry » Trio de batterie * Edward Perraud / Didier Lasserre / Matthias Pontevia avec le Crime

Mardi 8 décembre 18h30 Rendez-vous d’Archimède : Cycle « Créativité et territoires » « Droit, création et art contemporain » par Bernard Edelman Les 12 et 13 décembre

Stage « Technique de mime corporel » par le Théâtre Diagonale

Mardi 15 décembre 18h30 Rendez-vous d’Archimède : Cycle « La crise » « Physique statistique, chaos et mécanique quantique : entre déterminisme et imprévisibilité » par Roger Balian Espace Culture - Cité Scientifique 59655 Villeneuve d’Ascq Du lundi au jeudi de 11h à 18h et le vendredi de 10h à 13h45

Tél : 03 20 43 69 09 - Fax : 03 20 43 69 59 http://culture.univ-lille1.fr - Mail : culture@univ-lille1.fr


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