Les Nouvelles d'Archimède 65

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l e s   n o u v e l l e s

JAN FÉV MAR

la revue culturelle de l’Université Lille 1

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d’A

rchimède

Les Rendez-vous d’Archimède Le corps, À propos de l’évaluation Expositions Expo numéro 41 - Laurent Goldring, Quelques mesures d’écart Parution Quel devenir pour le travail social ? 2014

« L’ homme est le terme unique d’où il faut partir et auquel il faut tout ramener. » Denis Diderot - 1713-1784


LNA#65 / édito

Université, lieu de culture Jean-Philippe CASSAR

Vice-président de l’Université Lille 1, chargé de la Culture et du Patrimoine Scientifique

Le 12 juillet dernier s’est déroulé à Avignon un événement très attendu dans le petit cercle des personnes qui font vivre la culture sur les campus universitaires, mais qui est passé pratiquement inaperçu des média et de la communauté universitaire : la signature de la convention cadre « Université, lieu de culture » 1 entre le ministère de la Culture et de la Communication, le ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche et la Conférence des Présidents d’Université. Cette convention présente l’intérêt d’officialiser le fait que de nombreuses universités ont développé, ces dernières années, une politique culturelle universitaire. En préconisant que les contrats quinquennaux des universités comprennent un volet culturel, elle place cette politique au même niveau que les autres politiques des établissements.

« Université, lieu de culture » - Convention cadre, 12 juillet 2013 : http://mesr.gouv.fr/c73014

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2 Loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013, « Enseignement Supérieur et Recherche » : http://www. legifrance.gouv.fr/jo_pdf.do?cidTexte=JORFTE XT000027735009

Éditorial du n° 63 des « Nouvelles d’Archimède » : « Une culture pour comprendre le monde »

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L’équipe Jacques LESCUYER directeur Delphine POIRETTE responsable communication Edith DELBARGE chargée des éditions et communication Julien LAPASSET graphiste - webmestre Audrey Bosquette assistante aux éditions Mourad SEBBAT chargé des initiatives culturelles Martine DELATTRE assistante initiatives culturelles Dominique HACHE responsable administratif Angebi Aluwanga assistant administratif Fathéa Chergui secrétaire de direction Sophie BRAUN chargée du Patrimoine scientifique Brigitte Flamand chargée d'accueil Jacques SIGNABOU régisseur technique Joëlle MAVET responsable café culture

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Par ailleurs, la convention précise que la diffusion de la culture et l’information scientifique et technique est reconnue comme une des missions centrales du service public de l’enseignement supérieur. Dans la Loi « Enseignement Supérieur et Recherche » 2, la culture scientifique, technique et industrielle fait partie de la stratégie nationale de recherche et est prise en compte dans sa mise en œuvre. De plus, la valorisation des activités de diffusion de la culture scientifique, technique et industrielle dans la carrière des personnels de l’enseignement supérieur et de la recherche devient un critère de l’évaluation des établissements. Ces textes prennent donc acte du rôle important que les établissements d’enseignement supérieur jouent dans ce domaine et les situent comme des acteurs essentiels de la culture scientifique, technique et industrielle dans le nouveau contexte, introduit par la Loi, de coordination par les régions des initiatives territoriales visant à son développement et sa diffusion. Dans l’esprit de cette convention, la culture à l’université doit pouvoir se développer dans les prochaines années et bénéficier des moyens appropriés. Les artistes, les intervenants des institutions culturelles avec lesquelles nous collaborons sont des professionnels qui doivent être rémunérés à hauteur de leur travail. Le patrimoine scientifique – instrumentation, collections, ouvrages anciens, archives… – est une mémoire à conserver et à valoriser. Le réel intérêt qu’il suscite dans notre université doit pouvoir être soutenu en partenariat avec les organismes qui participent à sa préservation et à sa valorisation. Le patrimoine universitaire ne peut être réduit, comme le fait la convention, à sa seule dimension architecturale. Les collègues qui contribuent à ce que la science devienne une composante de la culture 3 doivent voir leurs efforts reconnus et accompagnés. Si la spécificité d’une politique culturelle universitaire repose sur la participation directe de la communauté universitaire […] et une articulation étroite avec les domaines de la formation et de la recherche, l’université est lieu de culture lorsque la formation des étudiants, la recherche, la vie universitaire s’ouvrent à des domaines plus larges que les disciplines, intègrent la recherche de sens, s’inscrivent dans une histoire… La politique culturelle doit alors dépasser l’objectif de l’accès à la culture, de l’animation culturelle des campus pour viser une appropriation grâce à l’implication dans la création, l’élaboration de propositions culturelles et grâce à des temps de retours, d’interpellation ou d’expression qui établissent les liens entre les œuvres, les spectacles ou les conférences et la recherche ou la formation.


sommaire / LNA#65 Retrouvez le détail de nos manifestations dans notre programme trimestriel et sur notre site Internet : culture.univ-lille1.fr

Le corps 4-5 6-7

Le corps à corps : plaisirs, sexualités par Yves Ferroul Y a-t-il dans l’homme des fonctions qu’il ne puisse pas déléguer ? par Sylvie Allouche

À propos de l’évaluation 8-9 10-11 12-13

Une bulle artistico-financière par Nathalie Heinich Évaluation au travail : pourquoi est-il si dur de lui résister ? par Bénédicte Vidaillet Mesurer les chercheurs ? par Jean-Paul Delahaye

Rubriques 14-15 16-17 18-19 20-21 22-23 24-26 27 28

Mémoires de sciences : Prévoir les réactions chimiques : un problème controversé au XIXème siècle par Vangelis Antzoulatos Repenser la politique : L’impouvoir politique par Alain Cambier Paradoxes par Jean-Paul Delahaye Chroniques d’économie politique : Emplois vacants : la faute aux chômeurs ? par Anne Fretel Sciences en société : Loi Enseignement Supérieur et Recherche 2013 : une chance pour les sciences participatives ? par Bertrand Bocquet Sciences en société : Entre les sciences exactes et les sciences humaines : la notion d’ « onde traumatique » par Philippe Breton À lire : Pascal Mercier, Train de nuit pour Lisbonne par Charlotte Meurin Arts et sciences : Hypothèse numéro quatre par Laurent Goldring En couverture :

Au programme 29-30 Rendez-vous d’Archimède : Cycles « Le corps » et « À propos de l’évaluation » 31 Collection Les Rendez-vous d’Archimède : nouvelle parution « Quel devenir pour le travail social ? » 32-33 Exposition : Expo numéro 41 - Laurent Goldring 34-35 Exposition : Quelques mesures d’écart - œuvres de la collection du FRAC Nord-Pas de Calais

Illustration de l’ouvrage Quel devenir pour le travail social ? Collection Les Rendez-vous d’Archimède Photo © Getty Images / Lydia Evans

LES NOUVELLES D’ARCHIMÈDE Directeur de la publication : Philippe ROLLET Directeur de la rédaction : Jean-Philippe CASSAR Comité de rédaction : Bertrand BOCQUET Alain CAMBIER Jean-Paul DELAHAYE Rémi FRANCKOWIAK Jacques LESCUYER Bernard MAITTE Richard SOBEL Rédaction - Réalisation : Delphine POIRETTE Edith DELBARGE Julien LAPASSET Impression : Imprimerie Delezenne ISSN : 1254 - 9185


LNA#65 / cycle le corps

Le corps à corps : plaisirs, sexualités Par Yves FERROUL Médecin, sexologue

En conférence le 4 février Un cerf n’est pas attiré par la beauté du corps de la biche quand il cherche à s’accoupler. Mais les singes vivant en groupe ont détaché leur sexualité des automatismes rythmés pour en faire un comportement de tissage de liens sociaux fondé sur le plaisir : l’automaticité est remplacée par le désir, par l’envie d’avoir et de donner du plaisir. Cette nécessité de donner envie et d’avoir envie entraînera leurs descendants humains à jouer avec l’apparence de leurs corps pour y parvenir. La perte du schéma comportemental Les mammifères au cerveau le moins développé ont une sexualité fondée sur un rythme biologique impérieux, celui qui déclenche les périodes de rut et de chaleur. Quand le changement hormonal commande l’accouplement, celui-ci s’exécute automatiquement selon un schéma comportemental inné : le cerf et la biche, par exemple, n’ont pas à se demander ce qu’il faut faire, cela « marche tout seul ». Leur sexualité de couple est – inconsciemment, mais de fait – strictement à visée reproductrice. En dehors des périodes de reproduction, aucune activité de nature sexuelle ne lie un tant soit peu femelles et mâles, qui broutent côte à côte sans la moindre pensée pour « la chose » !

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voit aussi beaucoup de singes consacrer du temps à l’acte sexuel, et le préparer par des jeux génitaux. L’orgasme est recherché et atteint par de nombreuses espèces de primates, dont les femelles, même si elles ne peuvent pas en parler, ont des réactions physiologiques et comportementales typiques. Les quelques réflexes automatiques qui subsistent, l’érectionéjaculation chez le mâle, la lubrification vaginale chez la femelle permettent qu’un nombre suffisant de jeux sexuels comprennent une pénétration vaginale (elle ne fait pas mal à la femelle) et une éjaculation interne (la sensation vaginale la provoque quasi instantanément), donc puissent aboutir à une fécondation, et que l’espèce perdure, alors que le processus reste parfaitement ignoré des individus.

Cependant, au fur et à mesure du développement cérébral dans certaines branches de mammifères, les individus perdent leurs automatismes comportementaux au profit d’une capacité d’apprentissage croissante. Ainsi, les rats, femelles ou mâles, élevés hors de la présence d’adultes, ne savent pas s’accoupler une fois devenus eux-mêmes adultes et mis en présence de partenaires potentiels : au contraire des cervidés, il leur faut apprendre le comportement d’accouplement, en voyant agir des congénères adultes.

Il en a été de même dans l’espèce humaine, qui est un rameau de la branche des chimpanzés ayant pris son autonomie il y a entre six et huit millions d’années. La sexualité y était un jeu avec l’excitation et la jouissance, une sexualité relationnelle, tenant compte de l’autre, intégrée aux autres comportements de tissage de liens sociaux, et, comme pour certains singes, venant parfois renforcer un attachement préférentiel.

Pour les grands singes, a fortiori, les différentes étapes qui permettent de parvenir à la pénétration ne sont plus du tout spontanées et doivent être apprises. Les grands singes ne s’accouplent donc plus simplement parce que l’instinct inné les pousse à cet acte lors de périodes spécifiques afin que l’espèce puisse se perpétuer, mais parce que l’accouplement leur procure des sensations agréables, et leur permet d’établir des liens sociaux absolument nécessaires à leur qualité de vie, voire à leur survie (comme, d’ailleurs, d’autres activités, notamment l’épouillage) : ces finalités nouvelles de la sexualité expliquent le nombre de copulations, très supérieur à ce qui serait nécessaire à la reproduction. D’ailleurs, non seulement beaucoup de guenons multiplient les rapports en période féconde, mais elles s’accouplent aussi à des moments qui débordent largement celles-ci, même alors qu’elles ne sont pas encore pubères ou alors qu’elles sont déjà grosses. On

Les nouvelles conditions que l’évolution a mises en place dans l’exercice de la sexualité humaine entraînent des changements profonds dans les comportements sexuels : si la biche provoque l’accouplement du cerf simplement parce qu’elle est en chaleur, sans qu’il lui soit nécessaire d’attirer autrement son attention, la femme doit attirer l’attention de l’homme en lui faisant espérer du plaisir. Symétriquement, le cerf n’a pas à se faire beau pour la biche, les taux d’hormones suffisant à leur faire rechercher l’accouplement, alors que l’homme doit susciter l’envie de plaisir chez la femme.

Conséquences anatomiques et comportementales

L’automaticité comportementale, quand le taux d’hormones est atteint, est donc remplacée par un travail volontaire et conscient sur l’apparence, destiné à provoquer l’envie de plaisir sexuel chez un partenaire.


cycle le corps / LNA#65

L’évolution anatomique s’adapte à cette nouvelle règle du jeu, en dotant les femmes de signaux érotiques antérieurs (les seins permanents) et postérieurs (les fesses), les hommes ayant respectivement leur sexe et leurs fesses aussi. Mais, surtout, les sociétés humaines ont développé le travail sur le corps, travail d’ornementation, de parure, de jeu avec les coiffures et les vêtements, propre à l’espèce. Cependant, avec l’agriculture et l’élevage qui entraînent l’accumulation de biens, donc la création du mariage comme moyen de déterminer les enfants légitimes afin de transmettre les héritages, les femmes seront réparties en deux groupes : les épouses, réservées à leur propriétaire, confinées dans l’espace privé, et n’ayant pas besoin de séduire ; les autres, à qui est laissée la liberté d’être dans l’espace public, donc d’être séductrices. Historiquement, certaines sociétés ont maintenu ce clivage. La société européenne occidentale, elle, a maintenu les épouses dans l’espace public, permettant à toutes les femmes de séduire. Cette culture a donc développé un « travail des apparences » particulièrement important si bien que, dès le Moyen Âge au moins, femmes et hommes y cherchent à plaire par les habits, les coiffures, les bijoux, les soins du corps, le langage et les manières. La vie sociale intègre des règles de courtisement qui valorisent le fait que les relations entre individus intègrent la séduction.

dées sur la symétrie, les femmes ayant en creux ce que les hommes avaient en relief : aux testicules correspondaient les ovaires, à la verge, le vagin, au gland, la vulve. La conséquence sur le « corps à corps » était qu’il apparaissait alors logiquement comme fondé sur l’insertion du saillant dans le creux, et comme déterminant un « actif » qui pénètre et un « passif » qui est pénétré. La réflexion sur la sexualité comme sa pratique concrète en ont été particulièrement marquées. Aujourd’hui, la reconnaissance que le clitoris n’est pas que sa petite extrémité saillante, mais comprend quatre racines d’environ huit centimètres, formant un ensemble interne aussi volumineux que la verge, amène le « corps à corps » à tenir compte de cette nouvelle donne, et à accorder de l’importance à d’autres jeux érotiques. Avec une autre explication des modalités d’accession à l’orgasme chez les femmes, d’autres règles du jeu se mettent en place, troublant les certitudes, déstabilisant les habitudes. Conséquences sur la sexualité contemporaine Si la sexualité humaine n’offre plus de séquences comportementales automatiques, innées, elle doit être apprise et faire l’objet d’un apprentissage.

Pour les hommes, on aura par exemple les braguettes médiévales, les bustiers avantageux de la Renaissance, les culottes moulantes des aristocrates, etc. Pour les femmes, les décolletés, les tailles serrées, les corsets et les guêpières, les hanches élargies, les soutiens-gorge pigeonnants… Pour les deux sexes, les bijoux, les fards, les talons hauts qui augmentent la taille et la cambrure, etc.

Si l’autre n’a pas un rythme sexuel synchronisé automatiquement par la simultanéité des périodes de rut et de chaleur, chacun doit apprendre à susciter le désir de l’autre pour qu’il réponde au sien, aussi bien que susciter son propre désir pour répondre à celui de l’autre. Sans conditionnement hormonal déterminant, les techniques de séduction deviennent prépondérantes.

Puis, quand, au xxème siècle, le vêtement s’ajuste au corps des femmes, il ne reste plus qu’à transformer le corps lui-même, et c’est l’avènement de la chirurgie esthétique.

Chaque adolescent doit donc faire l’apprentissage de l’ensemble des comportements qui seront mis en jeu dans l’accomplissement de la sexualité adulte, et chaque adulte doit vérifier qu’il a acquis les maîtrises nécessaires à leur réalisation.

L’imaginaire du corps Une autre caractéristique de l’espèce humaine vient du développement d’un cortex cérébral qui aboutit à donner la prééminence à l’imaginaire, à la représentation intellectuelle. Ce que les individus s’imaginent va déterminer les modalités de leurs activités.

Références : --www.sexodoc.fr --Élisa Brune, Yves Ferroul, Le Secret des femmes, Voyage au cœur du plaisir et de la jouissance, éd. Odile Jacob Poche, 2010.

Or, les différences sexuelles physiques ont été imaginées, depuis les Grecs jusqu’à l’époque moderne, comme fon5


LNA#65 / cycle le corps

Y a-t-il dans l’homme des fonctions qu’il ne puisse pas déléguer ? Par Sylvie ALLOUCHE Attachée Temporaire d’Enseignement et de Recherche, Université de Technologie de Troyes Honorary Research Fellow, University of Bristol

En conférence le 25 mars Les prothèses qui visent à compenser un membre absent ou un organe défaillant deviennent de jour en jour plus perfectionnées, notamment en termes d’interfaçage avec le corps (muscles et système nerveux). Dans certains cas, les exosquelettes par exemple, sont explorées des applications qui visent non plus seulement à réparer des fonctions, mais à en augmenter les capacités, voire à en créer de nouvelles. Mais, en déléguant ainsi ses fonctions, n’est-ce pas en réalité à une opération de soustraction que se livre l’être humain ? Y a-t-il alors dans l’homme des fonctions qu’il ne puisse pas déléguer ?

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e demander s’il y a des fonctions dans l’homme qu’il ne puisse pas déléguer suppose qu’on ait préalablement déterminé ce qu’on entend par « fonction ». Le terme a de nombreux sens techniques en mathématiques, en chimie ou en économie, mais c’est surtout le sens qu’il prend en biologie qui doit retenir notre attention. Une fonction désigne une activité exercée par un élément biologique (appareil, organe ou cellule), comme pour les fonctions de nutrition ou de reproduction. Décrire la fonction de l’élément, c’est alors répondre aux questions : à quoi sert-il dans l’ensemble ? Comment interagit-il avec les autres éléments et les autres fonctions du système ou de l’organisme ? Que faut-il par suite entendre par l’expression « déléguer une fonction » ? Quand un homme a une fonction professionnelle et qu’il la délègue, il la confie à quelqu’un pour qu’il la remplisse à sa place, parce qu’il n’a pas le temps, qu’il est moins compétent ou toute autre raison qui fait que la collectivité est censée mieux « fonctionner » de cette manière. On peut alors apporter un premier élément de réponse à la question posée : si, de fait, existent aujourd’hui de multiples fonctions en l’homme qu’il ne peut pas déléguer, on peut estimer qu’il sera un jour possible de déléguer toutes les fonctions corporelles à des machines, comme le font déjà divers implants tels les pacemakers. Selon Descartes dans Les Passions de l’ âme 1, le corps de l’homme tout entier n’est en effet rien d’autre qu’une machine naturelle. Dans une telle perspective, il n’y a pas de raison intrinsèque que l’homme ne puisse déléguer n’importe quelle fonction corporelle à une machine artificielle. En revanche, la pensée, en la prenant dans le sens cartésien très large de la « chose pensante », c’est-à-dire de la chose « qui doute, qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent » 2, ne pourrait pas être réduite à une fonction dans la machine de l’homme. Elle excèderait toute fonctionnalité

puisque, en particulier, elle est le lieu d’exercice de la liberté humaine. Il apparaît alors que tout ce qui relève de l’âme humaine ne peut pas être délégué. Pourtant, que fait-on lorsqu’on utilise une calculatrice sinon déléguer une fonction mentale ? Cet exemple montre qu’il faut affiner notre analyse. L’exemple de la calculatrice ouvre tout un champ de fonctions humaines déléguables, qui ne sont pas des fonctions corporelles, mais des fonctions mentales. Maintes tâches effectuées par les ordinateurs peuvent ainsi être considérées comme résultant d’une telle délégation : calcul, correction orthographique, mémorisation, traduction, etc. Les technologies informatiques n’en sont encore qu’à leurs débuts, mais on peut imaginer que de plus en plus de tâches pourraient leur être de cette manière confiées, et la prospective science-fictionnelle est allée très loin dans cette direction : par exemple dans Le Canal ophite de John Varley 3, où les procès sont conduits en quelques secondes par des ordinateurs. Le point commun de toutes ces fonctions susceptibles d’être remplies par l’informatique semble être leur caractère logique et mécanique, qui procède de l’application de règles et du respect de la non-contradiction entre ces règles. Le domaine de l’intellect pourrait alors être tout entier investi par les machines logiques. Que reste-t-il alors à l’homme ? L’art ? Mais il existe des programmes musiciens, tels ceux de David Cope, qui sont capables de composer de la musique originale, comme EMI 4 ou Emily Howell 5. Et il y a de façon générale tout ce qui relève aujourd’hui de l’ « art génératif » 6. N’est-ce pas alors la pensée toute entière qui apparaît comme déléguable ? Cela 1977.

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Bach by design, 1993.

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1649.

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From darkness, light, 2010.

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Les Méditations métaphysiques, tr. 1647, « Méditation Seconde ».

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Berger & Lioret, L’Art génératif, jouer à Dieu... un droit ? un devoir ?, 2012.


cycle le corps / LNA#65

voudrait donc dire qu’elle aussi constitue une fonction. Mais la fonction de quoi ? Nietzsche, dans La Volonté de puissance, fait de la pensée non seulement une fonction, mais une fonction subordonnée au reste du corps : Toute la vie consciente, l’esprit ainsi que l’âme et le cœur, la bonté ainsi que la vertu, au service de qui travaillent-ils donc ? Au service d’un perfectionnement aussi grand que possible, des fonctions animales (les moyens de nutrition, d’augmentation de l’énergie) : avant tout, au service de l’augmentation de la vie (Nietzsche, 1901, tr. t. II, aphorisme 314).

Dans une telle interprétation, tout ce qui se fait en l’homme est fonctionnel, et est donc susceptible d’être délégué. Pourtant, même si l’on admet ainsi que toutes les facultés de l’homme, y compris la créativité ou la pensée, sont des fonctions déléguables, la question demeure de savoir si l’homme est fondé à y procéder. Se demander s’il existe des fonctions que l’homme ne puisse déléguer, c’est en effet non seulement s’interroger sur la possibilité de cette délégation, mais aussi sur son opportunité et sa légitimité. L’écriture, le dessin, la photographie constituent des moyens de déléguer la faculté mentale de mémorisation, en ce qu’elles permettent d’avoir à disposition, de façon plus précise que la mémoire mentale, la pensée et l’expérience passée, personnelle, et plus encore collective. Or, Platon, dès le IVème siècle av. J.-C., met en évidence un danger possible de cette délégation, lorsqu’il rapporte le mythe de Theuth. Ce dernier, inventeur de l’écriture, se voit en effet répondre par le roi d’Égypte : « Elle produira l’oubli dans les âmes en leur faisant négliger la mémoire : confiants dans l’écriture, c’est du dehors, par des caractères étrangers, et non plus du dedans, du fond d’eux-mêmes, qu’ils chercheront à susciter leur souvenirs » (Platon, Phèdre, tr. p. 306).

un autre ordre d’idées, sera-t-il acceptable, si cela devient un jour possible, de confier à un ordinateur la tâche de juger un accusé, comme l’imagine John Varley ? Cette interrogation nous fait entrer dans un dernier domaine de questionnement, qui est celui de la légitimité de la délégation des fonctions humaines, qu’elles soient classées comme mentales ou corporelles. Et, de fait, maintes questions de bioéthique sont déjà en réalité des questions sur la légitimité de telles délégations : est-il par exemple acceptable qu’une femme délègue à une autre la tâche de porter son « enfant génétique » (débat sur les « mères porteuses ») ? Sera-t-il acceptable qu’elle le fasse via des machines (utérus artificiels) ou des animaux ? Etc. Références : --Berger P. & Lioret A., L’Art génératif, jouer à Dieu... un droit ? un devoir ?, Paris, éd. L’Harmattan, 2012. - -Cope D. & Experiments in Musical Intelligence, Bach by design – computer composed music (CD), USA : Centaur Records, 1993. --Descartes R., Les Méditations métaphysiques, tr. fr. de 1647, Paris, Veuve Jean Camusat & Pierre Le Petit, 1641. --Descartes R., Les Passions de l’ âme, Paris, Henri Le Gras, 1649. --Howell E., From darkness, light (CD), USA : Centaur Records, 2010. --Nietzsche F., La Volonté de puissance (apocryphe), tr. fr. de 1903, tome II, Paris, Société du Mercure de France, 1901. -Pignier N. & Lavigne M. (dir.), Mémoires et internet, Paris, éd. L’Harmattan « Médiation et information », 2010. --Platon (IVème s. av. J.-C.) Phèdre, tr. fr. d’É. Chambry (1922), Œuvres de Platon : Ion, Lysis, Protagoras, Phèdre, Le Banquet, Paris, Garnier Frères. -Varley J., Le Canal ophite, rééd. de la tr. fr. de 1983, Paris, éd. J’ai lu, 1977.

L’écriture ne constituerait donc pas une délégation satisfaisante de la mémoire, parce qu’elle ne donnerait que l’illusion de celle-ci. Ce jugement peut paraître excessif, compte tenu du progrès difficilement contestable que l’écriture a apporté à l’humanité, mais on peut l’interpréter comme une mise en garde susceptible de concerner toutes les fonctions que l’homme peut vouloir déléguer. Car, quoi que les ordinateurs soient capables de faire à l’avenir, il serait inconsidéré de s’imaginer que les tâches confiées ne sont pas transformées par leur délégation. Ainsi, des ouvrages comme Mémoires et internet 7 montrent comment nos modes de mémorisation sont déjà profondément modifiés par ces technologies. Dans Pignier & Lavigne, 2010.

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LNA#65 / cycle à propos de l'évaluation

Une bulle artistico-financière Par Nathalie HEINICH Sociologue au Centre National de la Recherche Scientifique, Paris

En conférence le 11 février Les nouveaux collectionneurs, arrivés sur le marché de l’art contemporain à partir de la fin des années 1990, enchérissent aisément dans les salles des ventes, jusqu’à 3, 4 ou 5 millions. Attirés par un art contemporain facile d’accès, qui se reconnaît comme un sigle, ils proviennent soit des milieux financiers qui se sont développés grâce à la financiarisation de l’économie, avec les grandes fortunes rapidement acquises par des traders et des responsables de fonds d’investissement, soit des pays émergents tels la Chine, la Russie, l’Inde et les Émirats. La Chine, en particulier, a connu un essor spectaculaire, et du marché de l’art (en 2007, elle était passée en troisième position des ventes mondiales), et du nombre de ses artistes présents sur la scène de l’art contemporain.

L

e marché de l’art contemporain des années 2000 a connu une hausse vertigineuse avec, de 2002 à 2006, une progression de 95 % en termes de valeur et de 24 % en nombre de transactions et, en 2007, une progression annuelle de plus 18 %. Non seulement le monde de l’art s’est élargi et accéléré, confirme l’anthropologue Sarah Thornton, mais il est devenu « plus chaud, plus chic et plus cher » (hotter, hipper, and more expensive). Il est à présent, définitivement, un art de riches, devenu à la fois un bien de luxe et un symbole de statut. Il s’agit bien là toutefois d’une bulle, sinon au sens économique, du moins au sens statistique, tant la plupart des artistes contemporains échappent à ce phénomène. Rappelons qu’en France, pour être affilié à la Maison des artistes et bénéficier de la Sécurité sociale, un artiste doit justifier d’un revenu au moins égal à 900 fois la valeur horaire du smic, soit 7 038 € en 2005 ; or nombre d’entre eux n’atteignent pas ce montant, voire émargent au RSA. En même temps que l’art contemporain, du moins dans sa partie la plus visible, s’infléchit vers une mercantilisation spectaculaire, il se laisse pénétrer par la culture de la célébrité, dans la voie ouverte il y a cinquante ans par Andy Warhol : emprise de la communication, popularité auprès de nouveaux publics jeunes et « branchés » ou même appartenant à la jet-set, extension à l’art de la « logique de la célébrité » propre aux industries du film et de la mode, starification de quelques vedettes, y compris au-delà du monde de l’art proprement dit. Au premier rang de celles-ci figure Damien Hirst, qui soigne son style de vie aussi attentivement que son art et qui possède, selon son collègue et rival Maurizio Cattelan, « quasiment la même notoriété qu’une pop star ». C’est dire que l’art contemporain a réussi à intégrer certains des traits de la culture populaire en même temps que ceux de la mondanité la plus élitiste, notamment grâce aux

vernissages et soirées mondaines organisées lors des foires et biennales pour les collectionneurs les plus en vue – telle la foire d’Art Basel Miami Beach, où aff luent les plus grands collectionneurs internationaux, attirés autant par l’art que par les fêtes et visites de collections organisées en parallèle. C’est, pourrait-on dire, l’ « effet-Longchamp » de l’art contemporain actuel, pris entre culture de la célébrité, mondanité et luxe. Dire que l’art contemporain est devenu « à la mode » doit se prendre au pied de la lettre : il a rejoint des secteurs qui lui étaient jusqu’alors très étrangers, tels que la mode, le design, le luxe et la culture de la célébrité. Boutique Louis Vuitton proposant des sacs monogrammés pour accompagner l’exposition Murakami au MOCA 1 de Los Angeles en 2007 ; carrés Hermès dessinés par Daniel Buren, exposés à la Monnaie de Paris en partenariat avec la galerie Kamel Mennour ; participation de responsables institutionnels de l’art contemporain parisien à un défilé de mode organisé par Hermès le soir du vernissage de la Biennale de Lyon en 2005 ; maisons de ventes aux enchères possédées par deux grands collectionneurs d’art contemporain, Bernard Arnauld et François Pinault ; foires organisées dans tous les hauts lieux de la jet-set internationale : le mélange actuel de l’art, de la mode et du luxe ne manque pas d’exemples, d’autant que les styles aisément reconnaissables des artistes-stars – notamment les Anglo-américains – tendent à fonctionner comme des logos. Du sac de luxe à l’œuvre d’art contemporain, l’on est dans une même logique de distinction ostentatoire qui semble faite pour confirmer la validité de la thèse plus que centenaire du sociologue américain Thornstein Veblen sur la « société de la classe de loisirs ». Voilà qui suscite forcément des rejets, y compris à l’intérieur même du marché de l’art, où les galeristes trop unilatéralement engagés auprès de ce type d’artistes subissent Museum Of Contemporary Art.

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parfois le dédain de certains de leurs pairs, encore attachés aux valeurs de naguère : « J’ai souffert pendant toute ma carrière de l’accusation d’ être une entreprise commerciale, je vais peut-être réussir à m’en sortir, comme l’a fait Larry Gagosian. On s’est moqué de moi comme on se moquait de lui naguère : forcément, les œuvres que nous présentons ne sont pas intéressantes puisqu’elles se vendent bien ! », témoigne le galeriste à succès Emmanuel Perrotin, exaspéré par « la mauvaise foi de ceux qui méprisent l’art commercial, l’art paillettes que je symbolise ». C’est que, de ce point de vue-là au moins, les choses ont bien changé depuis la première génération de l’art contemporain, lorsque les « artistes du siècle dernier », comme dit Christian Boltanski, se faisaient un honneur de ne rien vendre.

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LNA#65 / cycle à propos de l'évaluation

Évaluation au travail : pourquoi est-il si dur de lui résister ? Par Bénédicte VIDAILLET 1 Maître de conférences en sciences des organisations, Université Lille 1, psychanalyste

En conférence le 18 mars Un développement tous azimuts 1 Au cours des vingt dernières années, l’évaluation individualisée de la performance s’est diffusée dans toutes les organisations publiques ou privées, dans le secteur marchand, mais aussi à l’université, à l’hôpital, dans le secteur sanitaire et social. Malgré l’apparente complexité des moyens techniques – entre autres informatiques – qu’elle mobilise, ce type d’évaluation se réduit toujours à quelques « indicateurs de performance » : un chiffre d’affaire, un taux de rentabilité, un coût moyen du patient soigné, un nombre d’articles cités qui finissent par devenir la seule boussole autour de laquelle se structure l’ensemble de l’activité. Devenue centrale, elle conditionne la définition des activités et leur standardisation, les objectifs fixés et les contrats passés avec la hiérarchie ; organise le contrôle de l’activité ; détermine ce que chacun est censé recevoir de son travail – rémunération, prime, promotion, etc. Effets néfastes de l’évaluation L’évaluation individualisée de la performance a des effets néfastes, maintenant bien documentés par les chercheurs qui se sont penchés sur le sujet. Elle conduit par exemple à des contre-performances. Ainsi, constatant le décès régulier de certains types de patients au bloc opératoire, une clinique fixe un quota maximal de « pertes » à ses chirurgiens ; résultat : aucun ne veut plus opérer ce type de patients à l’approche du chiffre fatidique 2. D’autres recherches 3 ont montré combien les pratiques d’évaluation, avec leur cortège d’indicateurs, de standardisation, de contractualisation et d’individualisation avaient contribué à dégrader la santé au travail. Le travail est intensifié, parfois à la limite de ce qui est humainement supportable ; les résultats à atteindre sont de plus en plus prescrits, standardisés et surveillés. Enfin s’instaure une compétition généralisée qui dégrade les rela Auteure du livre Évaluez-moi ! Évaluation au travail : les ressorts d’une fascination, éd. Seuil, 2013.

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2 M. Beauvallet, Les stratégies absurdes, Comment faire pire en croyant faire mieux, Paris, éd. Seuil, 2009. 3 On pourra se référer aux travaux de Christophe Dejours, Marie Pezé, Marie-Anne Dujarier, Vincent de Gaulejac, Nicole Aubert, Yves Clot, etc. Cf. aussi le documentaire de Jean-Robert Viallet, La mise à mort du travail, Yami 2 Productions, 2009.

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tions entre collaborateurs et casse le collectif de travail 4. Pourtant, l’évaluation n’a cessé de se développer… avec notre complicité. Car, si nous ne sommes pas dupes de ses effets pervers, comme aux sirènes d’Ulysse, nous avons du mal à lui résister. Toute la question est alors de comprendre à quelle demande inconsciente correspond le désir d’être évalué ? À qui cette demande s’adresse-t-elle et que met-elle en jeu ? La promesse narcissique de l’évaluation Tout d’abord, lorsqu’on nous tend la perche de l’évaluation, on nous propose d’avoir repéré au préalable les meilleures pratiques, celles qui « marchent », celles qu’il convient d’utiliser, et de nous y former. On nous propose aussi des modèles auxquels nous allons pouvoir nous identifier. Voilà ce qu’est être un « bon chercheur » (publier tant d’articles en tant d’années dans telle et telle revue) ; un « bon vendeur » (faire tel chiffre d’affaire et tel niveau de marge sur une période donnée) ; un « bon médecin » aux urgences (ne pas dépasser telle durée de temps par patient). N’est-il pas attirant de pouvoir se projeter dans ces figures de la réussite, de savoir exactement ce qui sera valorisé et permettra d’être reconnu comme « bon » ou « très bon » dans son domaine ? Bien sûr, on ne fait pas que nous « vendre » ces modèles de réussite, on nous propose aussi de nous aider à nous en rapprocher. Ainsi, l’évaluation s’accompagne toujours de la promesse de pouvoir « s’améliorer », « grandir », « aller plus loin », « se surpasser ». Grâce à l’évaluation, aux processus qu’elle met en place, au retour qu’elle propose, on espère devenir meilleur, on pourrait même viser l’excellence. Le procès d’évaluation est aussi bien souvent présenté comme un processus de sélection permettant de repérer les « évolutifs », les « top ten »… au passage, bien sûr, on oublie les autres, la majorité, ceux qui ne seront pas dans les 20 %, invitant chacun à se projeter en tête. Dans l’évaluation, l’adresse à notre narcissisme se fait aussi au moment de « choisir les indicateurs ». Bien souvent, si l’on vous fournit clés en main le dispositif, on vous a sollicité pour en élaborer certaines parties. Participer au processus,

4 B. Vidaillet, Les ravages de l’envie au travail, Paris, éd. Eyrolles, 2006. B. Vidaillet, Workplace envy, Londres, Palgrave McMillan, 2008.


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c’est être déjà distingué comme particulièrement bon. Et, souvent, avant que le système ne s’applique à tous, on le testera sur des volontaires, bien contents de participer aux réglages préliminaires, d’être regardés avec attention et gratitude par leur direction. Qui refuserait ce rôle de pionnier ? Renaître de ses cendres Autre caractéristique : en découpant le temps en échéances, et en organisant dans ces intervalles des compétitions dans lesquelles tout est supposé pouvoir se rejouer, les pratiques contemporaines d’évaluation font ressembler le travail à de gigantesques parties de casino dans lesquelles il n’y a plus de fin. Et c’est justement ce qui peut nous séduire. Car cela installe l’individu qui travaille dans une tension permanente qui lui permet d’oublier la nature, par définition instable et mystérieuse, de son désir. Là où sa motivation intrinsèque au travail pouvait fluctuer, lui échapper en partie, le voilà installé dans un processus qui, de manière artificielle, le met en tension. La répétition lui promet une jouissance rejouable sans fin. Et il est prêt à en payer le prix qui est une forme de désappropriation de l’expérience et un effacement de son histoire. À chaque séquence, il imagine pouvoir faire mieux que la fois précédente, il peut oublier ce qu’il a mal fait, « se refaire ».

Rien est beaucoup plus malin et qu’il saura certainement mieux y faire que vous pour être en règle avec les indicateurs, quitte à tricher un peu…). Avec l’évaluation, on est prêt à voir sa marge de manœuvre réduite si l’on sait que l’autre aussi ; cet autre qui se fait plus plaisir que nous, échappe au travail, nous nargue. Ce n’est pas l’actionnaire ou le patron qui profite de nous, c’est cet autre si proche, ce collègue, ce voisin de bureau ou d’atelier, rendu entièrement responsable de notre démotivation au travail. Ce ne sont là que quelques-uns des ressorts psychiques qui peuvent nous attirer dans l’évaluation. L’intérêt de les repérer est de pouvoir mieux résister aux sirènes de l’évaluation. On évitera alors de lui attribuer des bienfaits qu’elle n’a pas et on pourra rester lucide sur le fait qu’elle ne constitue pas une solution miracle à la démotivation au travail, à la difficulté de nos relations avec nos collègues ou à notre quête insatiable de reconnaissance.

Accepter d’être évalué pour que l’autre le soit aussi Autre caractéristique notable de l’évaluation telle qu’elle est pratiquée actuellement : elle va toujours de pair avec la comparaison ouverte, les « résultats » sont visibles et affichés au nom de la « transparence ». L’évaluation n’a aucun intérêt si elle reste secrète ; n’est-ce pas alors un moyen de surveiller l’autre dans un rapport de voyeurisme et de contrôle ? On est prêt à être évalué soi-même pour que l’autre le soit aussi. Car on fantasme toujours que l’autre s’en tire mieux : c’est toujours l’autre qui « triche avec le système », qui reçoit plus que soi sans le mériter ! C’est pourquoi l’appel à l’évaluation s’accompagne immanquablement de l’exposé d’un cas : celui de « M. Fout-Rien qui casse la motivation de tout le service, parce qu’il ne fait rien, qu’il est payé comme tout le monde, et que personne ne lui dit rien ». L’évaluation, comme par magie, est censée effacer, éradiquer les M. Fout-Rien, qui seront enfin remis dans le droit chemin (sauf que M. Fout11


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Mesurer les chercheurs ? Par Jean-Paul DELAHAYE Professeur émérite à l’Université Lille 1, Chercheur au Laboratoire d’Informatique Fondamentale de Lille Évaluer les chercheurs est délicat. La bibliométrie, qui est un outil pour cela, a récemment beaucoup évolué.

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valuer un chercheur est nécessaire et difficile. On peut juger ses découvertes et son travail en en prenant connaissance mais, pour un chercheur donné, peu de gens sont aptes à bien le faire. En s’adressant à des spécialistes de son domaine, on n’échappera pas à la subjectivité, voire à la jalousie ou aux querelles d’école. L’évaluation humaine par les pairs restera toujours essentielle mais, en appliquant l’idée qu’ « un chiffre, même médiocre, vaut mieux que pas de chiffre du tout », on a souhaité compléter le jugement des évaluateurs humains avec du concret et du mesurable. Ce qu’écrit un chercheur constitue cet élément matériel sur lequel il est naturel de s’appuyer pour le noter. Aujourd’hui, il existe plusieurs bases bibliographiques qui semblent convenir : elles recensent les articles, les congrès et les livres et donnent, pour une grande quantité de publications, des informations qui permettent de calculer le nombre N de travaux d’un chercheur donné. Les homonymies, les erreurs de frappe (qui font que l’on comptera deux fois la même publication, ou qu’elle sera oubliée), les obstacles typographiques créés par les lettres accentuées, les traits d’union et les abréviations des prénoms, la non exhaustivité des bases bibliographiques, tout cela engendre des erreurs qui parfois faussent gravement les résultats. Cependant, le problème le plus délicat est que toutes les publications ne se valent pas, certains journaux sont bien plus exigeants que d’autres. Comptabiliser de la même façon un article dans une revue qui publie tout texte qu’on lui propose et un autre dans une revue qui n’en retient qu’un sur 100 serait injuste. Une solution consiste à classer les revues et publications en catégories et à pondérer les listes de travaux écrits d’un chercheur en fonction de ce classement. Bien que largement utilisée, cette solution est mauvaise, car, si le classement des revues est fait par des comités réunis pour cela, on risque de constater la surévaluation des revues auxquelles participent les membres du comité et la pénalisation des revues associées aux écoles et sensibilités concurrentes mal représentées dans le comité. La solution du calcul de facteurs d’ impacts des revues ne semble guère meilleure car les méthodes proposées pour les définir sont assez discutables. C’est par exemple le cas de la méthode usuelle utilisée pour calculer le facteur d’impact qui ne prend en compte que les citations dans les deux années qui suivent la publication d’un article. En mathématiques, plus de 90 % des citations portent sur des articles publiés plus de deux ans auparavant !

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Un autre problème, dont les spécialistes de bibliométrie ont démontré la gravité, est qu’un article dans une « bonne revue » (au sens du facteur d’impact) peut être très significativement moins bon – selon par exemple le décompte des citations qu’on en fait – qu’un article d’une revue jugée moyenne ou médiocre. Se fonder sur un classement des revues n’est donc pas une façon satisfaisante de juger la qualité des publications d’un chercheur. En novembre 2007, la European Association of Science Editors (EASE) a d’ailleurs émis l’avis suivant : « le facteur d’impact n’est pas toujours un instrument fiable. En conséquence, il ne faut l’utiliser qu’avec précaution pour comparer l’inf luence des revues entre elles, mais pas pour évaluer un article et encore moins pour évaluer un chercheur ou un programme de recherche ». Une idée plus simple, et sans doute bien plus saine, consiste à prendre en compte le nombre total de citations (NTC) faites aux travaux du chercheur qu’on veut évaluer. Si un chercheur est cité, c’est que ses travaux sont reconnus et appréciés. Plus un chercheur est cité, plus son NTC augmente, plus il devient clair qu’il est efficace, qu’il a de l’influence et qu’il produit des idées et des résultats pertinents. Calculer le NTC d’un chercheur exige de disposer de bases de données particulières, contenant non seulement les listes d’articles publiés mais contenant aussi, pour chaque publication, la liste des publications qu’elle mentionne, dont on déduit le nombre de citations renvoyant à une publication donnée. De telles bases de données existent depuis plusieurs années. Les trois principales sont la propriété d’acteurs privés : Thompson Reuters dispose de la base SCI (Science Citation Index) et offre les services du ISI Web of Science ; Elsevier a lancé en 2004 la base Scopus ; Google propose Google Scholar dont l’accès, contrairement aux deux autres, est gratuit. Les deux premières incluent principalement des journaux de recherche rigoureusement sélectionnés et mesurent donc l’activité de recherche dans un sens étroit. La base Google Scholar est plus large et donnera une idée de l’activité du chercheur prenant mieux en compte les actes de conférences et congrès, ainsi qu’une part du travail de publication didactique et de médiation. Selon les domaines, et selon ce qu’on souhaite précisément mesurer, on choisira l’une ou l’autre, mais toutes les trois sont assez bonnes et donnent des évaluations rarement contradictoires. D’une discipline à l’autre, les usages en matière de publications et de citations sont très différents et il est donc absurde de comparer des chercheurs de disciplines différentes


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en considérant leur N ou leur NTC. En mathématiques, on publie moins qu’ailleurs et les articles sont plus souvent publiés avec un seul nom d’auteur, alors qu’en physique ou en biologie des articles avec plusieurs dizaines de signatures ne sont pas rares. C’est sans doute pour cela qu’en 2005, Jorge Hirsch, un physicien de l’université de Californie, a introduit une nouvelle idée qui, depuis, est devenue le critère préféré pour les évaluations numériques des chercheurs. Le H-index de Hirsch se veut une mesure du niveau d’un chercheur par la prise en considération uniquement de ses meilleures publications. Sa définition précise – qui dépend bien sûr de la base bibliographique qu’on utilise – est la suivante : - le H-index d’un chercheur est le plus grand entier I, tel que les I articles les plus cités de ce chercheur ont chacun été cités au moins I fois. Pour avoir un H-index de 1, il faut avoir 1 publication citée 1 fois. Pour avoir un H-index de 2, il faut avoir au moins 2 publications citées au moins 2 fois chacune. Pour avoir un H-index de 3, il faut avoir au moins 3 publications citées au moins 3 fois chacune, etc. Le H-index est donc majoré par le nombre de publications du chercheur : si vous n’avez publié que 5 articles, votre H-index ne pourra pas dépasser 5. Par ailleurs, si vous publiez beaucoup mais que vous n’êtes jamais cité, votre H-index sera nul. Autre conséquence (voulue par Hirsch) : si vous avez un très bon NTC, mais que cela n’est dû qu’à un seul article, votre H-index vaudra 1. Plus on avance, plus il est difficile de faire croître son H-index. Le nombre minimal de citations qu’il faut pour atteindre un H-index de I est I2. D’une manière générale, on constate que le NTC d’un chercheur est environ de 3 à 5 fois le carré de sont H-index, avec des variations importantes selon les chercheurs. À titre d’exemple, voilà un petit tableau pour cinq mathématiciens : Paul Erdös Nicolas Bourbaki Jean Dieudonné Alexandre Grothendieck Cedric Villani

N 975 355 310 136 102

NTC 15040 16127 12580 9110 3426

H-index 60 47 39 32 28

Le H-index a maintenant pris de l’importance dans l’évaluation des chercheurs, aussi il est utile de bien comprendre ce qu’il mesure et les biais et erreurs qui peuvent survenir dans son calcul. Voici quelques remarques bonnes à assimiler le concernant : - Le H-index est une mesure efficace et assez robuste qui permet d’avoir très rapidement une idée de la productivité en même temps que de la qualité du travail d’un chercheur. C’est un indicateur composite prenant en compte à la fois l’intensité du travail d’un chercheur et sa qualité. Il sera donc utile pour se faire une idée grossière et instantanée de ce qu’il a fait. - Cependant l’utilisation qu’on fera du H-index doit être prudente. (a) Il ne faut jamais oublier qu’il dépend de la base bibliographique qui en permet le calcul. (b) Il peut y avoir des erreurs quand on le calcule, dues en particulier aux homonymies et aux multiples difficultés typographiques. Il faut mener des contrôles, en examinant attentivement au moins les publications qui y contribuent (les I premières pour un H-index valant I). (c) Il est absurde de comparer des chercheurs de disciplines différentes, car les usages concernant les publications et les citations varient considérablement. Les facteurs correctifs qu’on a tenté de calculer restent incertains. (d) De nombreux biais favorisent ou défavorisent un chercheur. En particulier, on doit prendre en compte son âge et le fait qu’il publie seul ou pas. (e) Un seul nombre ne peut pas et ne pourra jamais évaluer à la fois la créativité, la persévérance, le rayonnement, l’influence, l’aptitude à la synthèse d’un individu. En conséquence, tout ramener à une seule note ne donnera jamais d’évaluation fine de la personnalité et des accomplissements précis d’un chercheur, ce qui est bien sûr essentiel quand un comité doit opérer un recrutement, attribuer une promotion, une récompense ou décider d’un financement. Bibliographie --Pour un article plus complet avec des exemples et des indications bibliographiques, voir : Jean-Paul Delahaye, « Évaluer les chercheurs », Pour la science, n° 401, 82-87, mars 2011, http://www2.lifl.fr/~delahaye/ pls/205.pdf --Pour un livre avec un chapitre sur les outils généraux d’évaluation de la notoriété voir : Jean-Paul Delahaye, Nicolas Gauvrit, Culturomics : Le numérique et la culture, éd. Odile Jacob, 2013, chapitre 2.

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LNA#65 / mémoires de sciences : rubrique dirigée par Rémi Franckowiak et Bernard Maitte

Prévoir les réactions chimiques : un problème controversé au XIXème siècle Par Vangelis ANTZOULATOS Laboratoire SCité, Université Lille 1

L’essor de la chimie organique au XIXème siècle ouvre la voie à d’innombrables possibilités : la création de nouvelles molécules éveille de nouveaux espoirs et l’industrie chimique naissante devient un enjeu majeur pour des nations comme la France, l’Angleterre et l’Allemagne. On comprend dès lors que la question de la prévision des transformations chimiques soit au cœur des débats de l’époque. Retour sur une controverse… Duhem contre Berthelot : une nouvelle version de David contre Goliath ? À quelle condition une réaction chimique est-elle possible ? Lorsqu’en 1879 Marcellin Berthelot (18271907) énonce son « principe du trava il ma x imum », il pense avoir apporté la réponse définitive à cette question : une réaction est spontanée (elle se produit d’elle-même) si elle dégage de la chaleur. Quinze années de travail acharné auront été nécessaires pour aboutir à ce résultat. Quinze années, et une impressionnante quantité de résultats expérimentaux obtenus au laboratoire du Collège de France, à l’aide du fameux calorimètre auquel le nom de Berthelot reste encore aujourd’hui attaché… Ce travail donnera lieu à la publication de deux cents mémoires entre 1864 et 1879 ! À son ami Renan, il fait part de sa mélancolie de voir ainsi terminée son œuvre et confie : « Maintenant, il va falloir regarder le terme de la vie, élever ses enfants, les établir, et puis s’en aller ». Cinq années suffiront à ruiner l’espoir de Berthelot de voir son principe rejoindre la loi de gravitation de Newton au panthéon des principes universels. En 1884, un jeune normalien de vingt-trois ans, Pierre Duhem (1861-1916), soumet une thèse dans laquelle il applique à la chimie une nouvelle théorie, développée par l’américain Gibbs. Le système de Berthelot est dynamité par les fondations. Duhem y réfute implacablement le principe du travail maximum, montrant que sa théorie trouve un meilleur accord avec les résultats expérimentaux. Berthelot profitera de sa position dans les institutions pour organiser la riposte. En 1884, il est un homme de pouvoir et un véritable héros républicain. Titulaire d’une chaire au Collège de France, membre de l’Académie des Sciences, inspecteur général de l’instruction publique, il est également sénateur inamovible depuis 1881 (ajoutons qu’il sera inhumé au Panthéon et qu’un deuil 14

national sera proclamé à sa mort). Il parvient facilement à convaincre le jury de thèse de Duhem de lui refuser de soutenir. Une longue controverse s’ensuit par journaux interposés, et on imagine sans peine la haine farouche que les deux hommes nourriront l’un pour l’autre. L’histoire ainsi racontée séduit par ses atours romanesques. Nous penchons spontanément pour David contre Goliath, pour le jeune débutant qui ose affronter le mandarin au prix de sa carrière, et fait surgir la vérité au terme d’un combat contre une théorie erronée… Or, voilà précisément le piège que l’historien doit éviter. La dramaturgie doit laisser place à une analyse froide, dégagée de tout jugement de valeur. Que signifie la controverse entre Duhem et Berthelot ? Quels enseignements pouvons-nous en tirer ? Et, d’abord, que nous dit réellement le principe du travail maximum ? Le principe du travail minimum et son dépassement Prenons un exemple. Lorsqu’un objet en fer se trouve au contact de l’air, il se forme inexorablement une couche de rouille à sa surface. On dit que la corrosion du fer est une réaction spontanée. Par ailleurs, un dégagement de chaleur accompagne cette réaction : elle est exothermique. Berthelot relie ces deux observations en utilisant le concept d’énergie : le système chimique que le fer forme avec l’air possède plus d’énergie que la rouille. Lors de la réaction, une partie de l’énergie initiale a donc « disparu »… pour se retrouver dans les corps environnants sous forme de chaleur. En d’autres termes, une partie de l’énergie chimique du système (fer + air) a été convertie en énergie thermique. La diminution d’énergie, pour passer du fer à la rouille, constituerait donc le « moteur » de la réaction chimique. D’où l’utilisation du calorimètre pour la quantifier. Dès lors, on comprend que, pour Berthelot, une réaction spontanée est une réaction qui dégage de la chaleur. Nous utilisons ce type de réaction pour nous chauffer (la combustion du bois, par exemple, est une réaction similaire à la corrosion du fer), mais nous pouvons encore convertir l’énergie chimique en d’autres formes d’énergie : énergie électrique (à l’aide d’une pile par exemple), énergie mécanique (la contraction musculaire est due à une forme de combustion des aliments


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que nous avons consommés), ou encore énergie lumineuse (les lucioles produisent de la lumière à partir d’une réaction chimique spontanée). À l’inverse, certaines réactions ne sont pas spontanées. Du minerai de fer ne se transformera jamais de lui-même en fer, nous dit Berthelot, car il possède moins d’énergie que le fer. Une telle transformation doit donc être provoquée, en fournissant au minerai la différence d’énergie, à l’aide d’un agent extérieur (une pile, par exemple, ou encore une source de chaleur). Pour Berthelot, une réaction chimique qui absorbe de la chaleur est donc forcément une réaction provoquée. L’intérêt du principe ainsi posé est qu’il permet de prévoir a priori la possibilité d’une réaction chimique. En fin de compte, Berthelot réalise un vieux rêve des chimistes : celui de faire de leur art une science prédictive, ce que Newton avait réussi en physique avec la loi de la gravitation universelle. C’est alors qu’un physicien allemand, Rudolf Clausius, entre en scène. Il montre, vers 1865, que le concept d’énergie ne permet pas de prévoir l’évolution du monde, et plus particulièrement celle d’un système chimique. Clausius introduit un autre concept, aussi fondamental que l’énergie, qu’il nomme entropie, dont nous dirons, pour aller vite, qu’il fournit une mesure du désordre à l’échelle moléculaire (le mouvement aléatoire de molécules correspond par exemple à une forme de désordre). Et il énonce la loi fondamentale selon laquelle une transformation est spontanée à condition qu’elle augmente l’entropie de l’univers. Traduire : un processus (chimique par exemple) n’est possible que s’il est générateur de désordre. Josiah Willard Gibbs sera le premier à saisir les conséquences de cette loi pour l’étude des réactions chimiques. En 1876, il affirme que deux paramètres doivent être pris en compte pour prévoir la possibilité d’une réaction : d’une part, la variation d’énergie (conformément à la loi de Berthelot) ; d’autre part, et c’est là que se situe la nouveauté, la variation d’entropie du système. Il introduit alors une fonction appelée énergie libre qu’il définit comme suit : Énergie libre = énergie totale - (entropie × température) Le moteur de la réaction chimique ne serait donc pas la diminution de l’énergie totale, comme Berthelot le pensait, mais la diminution de l’énergie libre. Par suite, une réaction chimique peut être spontanée et absorber de la chaleur. On peut par exemple obtenir des mélanges réfrigérants à partir de certains sels qui ont la particularité de se dissoudre spontanément dans l’eau en absorbant de la chaleur. Certes, l’énergie totale du système augmente lors de la dissolution

puisque de la chaleur est absorbée. Mais, malgré cela, l’énergie libre diminue ! En effet, le sel se dissémine dans l’eau de manière aléatoire, ce qui augmente le désordre, donc l’entropie… Celle-ci l’emportant sur l’augmentation de l’énergie totale, on aboutit donc bien à une diminution de l’énergie libre : la réaction est bien spontanée ! La théorie de Gibbs est incontestablement un progrès par rapport au système de Berthelot. Pourtant, son succès ne fut pas immédiat. Il faut dire que les chimistes de l’époque étaient peu nombreux à comprendre les subtilités mathématiques qu’elle mobilisait, et voyaient mal comment l’appliquer au laboratoire. C’est ici que Duhem intervient. Dès sa scolarité au collège Stanislas, celui-ci acquiert une solide formation en mathématiques, et l’un de ses professeurs lui fait connaître la théorie de Gibbs, dont il saisit immédiatement l’importance. Il décide d’en faire l’objet de sa thèse et montre, à partir d’exemples précis, comme la réaction d’estérification, comment la théorie de Gibbs peut être avantageusement substituée à la théorie de Berthelot. Avec les conséquences que l’on sait pour sa carrière… Ainsi évolue la science… Si l’histoire des sciences était un tribunal, force nous serait de constater que les preuves accablent l’accusé Berthelot. Mais, tel n’est pas le cas : élaborer une nouvelle théorie ne consiste pas, le plus souvent, à détruire la précédente, mais à y apporter pour l’améliorer ou la mettre sur d’autres voies. Dans le cas développé dans cet article, Berthelot a réalisé un immense travail expérimental pour pouvoir proposer une première théorie de l’évolution des systèmes chimiques… Duhem l’a corrigée en s’appuyant sur la théorie de Gibbs. La science est un processus collectif, ce qui n’empêche pas, au contraire, les controverses, parfois très vives, entre les hommes. Du reste, des facteurs extra-scientifiques, idéologiques ou psychologiques viennent souvent renforcer l’opposition entre les protagonistes. Ici, Berthelot, homme de gauche, libre penseur, et Duhem, catholique, proche de l’action française, avaient d’emblée toutes les raisons de se détester… Duhem dut passer une autre thèse pour entrer dans l’enseignement supérieur. Il y sera toujours tenu loin de la capitale : il exercera à Lille, puis à Bordeaux. Au début du XXème siècle, il fut un opposant acharné de la physique moderne naissante, défendant alors les positions traditionalistes de bien des physiciens de l’époque.

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LNA#65 / repenser la politique

L’impouvoir politique Par Alain CAMBIER Docteur en philosophie, chercheur associé UMR 8163 « Savoirs, textes, langage » Professeur en classes préparatoires, Faidherbe-Lille Sur les scènes internationale et nationale, nous sommes saisis par la confrontation de la politique à l’impuissance. Que ce soit à propos de l’Égypte ou de la Syrie, les États-Unis sont apparus d’une faiblesse inattendue. Quant au rôle politique de l’Union européenne, il brille par son absence. Concernant la politique intérieure, la gestion politique de la crise économique tend à se réduire à la déclinaison des normes fixées par la Commission européenne, avec quelques ajustements à la marge. En France, Marseille est devenue le miroir grossissant de l’impuissance des pouvoirs publics, tant pour le problème du chômage que pour ceux de l’exclusion et de l’insécurité. À l’inverse, la montée en puissance d’autres types de suprématies accentue cette crise du politique.

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a politique peut être définie comme la prise qu’exercent les citoyens sur le devenir de leur société, mais cette prise passe par l’exercice du pouvoir : la politique apparaît alors comme l’ensemble des efforts en vue de participer au pouvoir ou d’influencer la répartition du pouvoir soit à l’intérieur de l’État, soit entre les États. Or, il faut bien admettre que cet exercice du pouvoir montre aujourd’hui ses limites et se manifeste plutôt comme un « impouvoir ». Alors qu’au XIXème siècle, le dépérissement de l’État était envisagé comme une espérance, au XXIème siècle, le dépérissement de la politique suscite la plus vive inquiétude. La politique prise en étau De par le monde, les causes de l’impuissance de l’action politique apparaissent multiples : les menaces viennent aussi bien de la religion que de l’économie. En Égypte, l’éclipse de la politique se traduit par la confrontation tragique des islamistes et des militaires. Quand la religion prétend prendre la place de la politique, elle ne peut que conduire à la régression des droits des citoyens et du droit tout court. En prétendant n’agir qu’au nom de Dieu, la religion s’avère incapable de prendre en charge les spécificités de la sphère terrestre et de son évolution historique. Son immixtion directe dans les affaires de l’État et de la société civile installe la confusion des genres et entretient l’obscurantisme. Quand, en fin de compte, une religion ne propose comme engagement politique que de devenir le martyr passif ou le terroriste actif de sa cause, le degré zéro de la politique est atteint : alors triomphe le nihilisme qui décline une nouvelle fois le fameux pereat mundus fiat iustitia... Mais, si la seule voie de salut proposée pour faire face aux dérives intégristes est la dictature militaire, le sanglant succès d’un coup d’État peut être aussi la pire des défaites : non seulement la porte est définitivement fermée à l’espoir de l’intégration des islamistes au jeu réglé des institutions, mais tout débat public disparaît et la transition démocratique du monde arabe est rendue impossible. La violence armée est une régression brutale qui dérive vers le terrorisme d’État et impose le

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silence jusqu’aux démocrates. L’ironie de l’histoire est qu’en Égypte ou en Syrie l’armée, qui n’a jamais été capable de gagner une seule des guerres qu’elle a dû mener, se montre implacable vis-à-vis de sa propre population. La politique prise en otage Mais l’économie revendique également aujourd’hui une telle hégémonie qu’elle fait totalement perdre de sa superbe à la politique. Déjà, la mondialisation des marchés livrés au néo-libéralisme et le développement d’un capitalisme financier sans scrupules ont mis les États à la merci des indicateurs des agences de notation. Nous sommes passés de l’expérience tragique, au siècle dernier, des États totalitaires à l’ère des États subsidiaires 1. Mais la difficulté se renforce dans le cadre de la zone Euro. Si, à l’époque médiévale, le pouvoir politique devait nécessairement aller à Canossa, aujourd’hui, il lui faut passer sous les fourches caudines de la Commission européenne qui, par la voix d’Olli Rehn, commissaire européen aux questions économiques, parle à la France comme à une vassale. Pourtant, la crise de la zone euro n’est qu’un exemple éclatant des conséquences de l’approche dogmatique « ordolibérale » qui, dès le début, a marqué de son sceau la naissance de l’Union économique et monétaire, au détriment d’un vrai débat démocratique et contradictoire 2. L’idée d’Union européenne a été détournée au profit d’un constructivisme technocratique se réclamant d’un dogme incohérent : « la planification du marché total » 3. C’est la programmation perfide de la libéralisation à tout prix des marchés qui a enclenché le processus de désin-

Le principe de subsidiarité a été introduit officiellement dans le Traité de Maastricht.

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2 Le vote par le Parlement de Strasbourg, en 1984, de la proposition Spinelli, créant une démocratisation réelle des institutions européennes, n’a jamais été appliqué.

Cf. Robert Salais, Le Viol de l’Europe, Enquête sur la disparition d’une idée, éd. PUF, 2013. L’auteur montre, en particulier que, dès 1956, dans le rapport Spaak qui a servi de base au traité de Rome, l’objectif de la libéralisation des marchés l’emporte sur celui d’une union politique.

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repenser la politique / LNA#65

dustrialisation et, en même temps, miné la base fiscale des États européens. L’attachement obsessif et idolâtre à la libre concurrence « non faussée » a servi de formidable opérateur d’égalisation abstraite de nos économies, visant à gommer les différences entre les États membres, au détriment d’une puissance économique de l’Europe qui aurait pu être fondée sur l’addition des points forts des différentes économies nationales. Bien plus, cette organisation bureaucratique de la libéralisation systématique des marchés a consisté non seulement à désarmer les États concernant leur politique économique, mais à les livrer aux foudres de la spéculation financière. Ainsi, la politique est désormais confinée à une fonction de managment, c’est-à-dire de « ménage collectif », de simple transposition en intérêt public de ce qui, au départ, ne concerne que l’individu dans sa façon d’aménager sa sphère domestique. Dès lors, l’obsession de la croissance l’emporte sur l’exigence de liberté, au point que les révélations sur les dispositifs mis en œuvre par la NSA pour surveiller des dizaines de millions de citoyens – notamment européens – n’ont donné lieu à aucune démarche d’ampleur pour dénoncer officiellement ce système digne de Big Brother. La morale ne fait pas une politique Enfin, la politique est aussi menacée par la confusion entretenue avec la morale. Parler de « guerre punitive » vis-à-vis du régime qui détient le pouvoir d’État en Syrie est pour le moins discutable. Une intervention militaire d’États sans mandat de l’ONU, pour empêcher un autre État de se livrer à des crimes de guerre contre sa propre population, ne peut se justifier simplement au nom de principes moraux. Déjà, dans son Projet de paix perpétuelle, Kant nous avait mis en garde : « On ne peut concevoir entre les États de guerre punitive (bellum punitionum) » 4. Certes, Kant s’était prononcé clairement pour l’institution d’un « Congrès permanent des États », d’une Société des nations à vision planétaire, mais il s’interdisait de justifier tout interventionnisme direct dans les dissensions internes d’un État : « Une alliance des peuples (Völkerbund ), d’après l’Idée d’un contrat social originaire, est nécessaire, alliance par laquelle ils s’engagent à ne pas s’immiscer dans les dissensions intestines les uns des autres » 5. Bien plus, Kant a récusé le droit d’ingérence dans le cas spécifique d’une guerre civile : « Tant que ce conflit

intérieur n’est point résolu, cette ingérence de puissances étrangères serait une lésion des droits d’un peuple luttant seulement contre son mal intérieur ». Ce n’est pas la moindre ironie de voir Kant user du mot de « scandale » à propos de l’éventualité d’une telle immixtion directe. Toute entreprise d’un État quelconque pour affaiblir le pouvoir officiellement en place d’un autre État, par des moyens directement violents et sans aucun mandat international, ne peut équivaloir qu’à une déclaration de guerre, relevant alors d’une logique de puissance pure qu’il faudrait assumer politiquement et militairement. Des citoyens dépossédés et désimpliqués Substituer la suprématie de la religion, de l’économie ou de la morale à la politique revient à faire dépendre le devenir d’une société d’une extériorité surplombante qui ne peut que produire des effets de dépossession 6. Le fondement de notre vivre ensemble se retrouve rejeté dans une instance transcendante et ses injonctions apparaissent alors inquestionnables sur leur bien-fondé. L’État moderne a succédé à des sociétés traditionalistes qui se croyaient privées de toute prise efficace sur leur manière d’être, elle-même fixée par une source extérieure de nature religieuse 7. Aujourd’hui, l’affaiblissement de l’État de droit est à la fois la cause et l’effet du retour de ces instances en surplomb qui prétendent être, à notre place, les « maîtres du sens ». La démocratie, comme pouvoir institutionnalisé de délibération, de contestation, est la première à en faire les frais. Pascal avait déjà subtilement souligné que la tyrannie consiste précisément à sortir de son registre, de son ordre 8. Quand une politique se montre impuissante, elle favorise aussi un désengagement des citoyens, qui laissent le champ libre aux démagogies odieuses. Ainsi, sa faiblesse conduit à faire elle-même la force des politiques du pire. La puissance politique est la force réservée et sublimée dans les signes, qui s’adressent à l’intelligence des citoyens : son retrait fait le lit de ceux qui misent sur les rancœurs aveugles et font croire abusivement que seule la force brutale serait la solution efficace.

6 Cf. les analyses particulièrement éclairantes de Marcel Gauchet dans La Condition politique, éd. Tel-Gallimard, n° 337.

Cf. Qu’est-ce que l’État ?, éd. Vrin, collection « Chemins philosophiques », 2ème édition, 2013.

7

Kant, Projet de paix perpétuelle, 1ère section, 6 ème article.

4

Kant, Doctrine du droit, § 54.

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« La Tyrannie consiste au désir de domination, universel et hors de son ordre », Pascal, Pensée 58-332, éd. Brunschvicg-Lafuma.

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LNA#65 / paradoxes

Paradoxes

Rubrique de divertissements mathématiques pour ceux qui aiment se prendre la tête * LIFL, UMR CNRS 8022, Bât. M3 extension

Par Jean-Paul DELAHAYE Professeur émérite à l’Université Lille 1, Chercheur au Laboratoire d’Informatique Fondamentale de Lille *

Les paradoxes stimulent l’esprit et sont à l’origine de nombreux progrès mathématiques. Notre but est de vous provoquer et de vous faire réfléchir. Si vous pensez avoir une solution au paradoxe proposé, envoyez-la moi (faire parvenir le courrier à l’Espace Culture ou à l’adresse électronique delahaye@lifl.fr). LE PARADOXE PRÉCÉDENT : UN CARRÉ VRAIMENT MAGIQUE ! Tout le monde connaît les carrés magiques ! En voici un :

Neuf nombres sont inscrits sur des pions qui sont rangés dans un carré composé de neuf cases. Il y a un pion par case. Les pions forment huit alignements de trois pions : trois alignements horizontaux, trois alignements verticaux et deux alignements en diagonale. Chacun de ces alignements donne un total de 15 : 8 + 1 + 6 = 15  3 + 5 + 7 = 15  4 + 9 + 2 = 15  8 + 3 + 4 = 15

1 + 5 + 9 = 15  6 + 7 + 2 = 15  8 + 5 + 2 = 15  4 + 5 + 6 = 15 Le problème posé est : comment déplacer les pions pour que (a) il y ait toujours un pion dans chacune des neuf cases du tableau ; (b) et que les huit alignements obtenus de trois pions donnent cette fois, chacun, un total de 16 ? Cela semble impossible, car il ne va pas y avoir assez de points sur les pions pour passer de 15 à 16. Aussi paradoxal que cela paraisse, le problème possède une solution ! 18

Solution Plusieurs lecteurs m’ont proposé la démonstration que le problème était impossible, mais aucune ne s’appliquait à l’énoncé tel qu’il était formulé, puisqu’il possède une solution ! Celle-ci est basée sur une idée inattendue : il n’était pas précisé que les pions devaient être placés au centre des cases car cela rendrait le problème infaisable. En recherchant à disposer les pions d’une manière moins simple (mais conforme à l’énoncé !), Lee Sallows a découvert l’extraordinaire rangement suivant qui résout l’énigme..., qui n’était donc pas impossible.


paradoxes / LNA#65

NOUVEAU PARADOXE : LE VOTE PAR TÉLÉPHONE Cinq personnes, dans cinq pays différents, doivent voter pour ou contre une certaine motion. Il leur est impossible de se déplacer et, donc, elles doivent se débrouiller par téléphone (ou par courrier électronique). Elles ne veulent faire intervenir aucun tiers, ni aucun calcul compliqué demandant l’usage d’un ordinateur (ou d’un smartphone ou d’une tablette), et souhaitent absolument que les votes restent confidentiels, comme lors d’un vote à bulletins secrets avec une urne si cela avait été possible. Comment doivent-elles s’y prendre ? On fera l’hypothèse que les cinq personnes savent, lorsqu’un message leur parvient, qui l’a envoyé (aucun anonymat n’est donc possible dans les communications). Les personnes ne se voient pas, ne peuvent pas échanger de papiers et les mélanger (ce qu’elles feraient si elles se trouvaient au même endroit). Il semble donc impossible d’organiser ce vote. Le paradoxe est qu’en réalité cela est possible !

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LNA#65 / chroniques d'économie politique coordonnées par Richard Sobel

Emplois vacants : la faute aux chômeurs ? Par Anne FRETEL Maître de conférences en économie, Clersé (UMR 8019 CNRS), Université Lille 1

C

’est presque devenu une ritournelle : quand le chômage augmente, la question des emplois vacants est mise sur le devant de la scène et, de façon plus ou moins implicite, le comportement des demandeurs d’emploi est montré du doigt. Lors d’une intervention télévisée le 24 avril 2008, Nicolas Sarkozy avait ainsi déclaré : « il y a 500 000 offres d’emploi qui ne sont pas satisfaites avec 1,9 million de chômeurs, l’ immense majorité des chômeurs essayent de trouver un emploi, mais certains ne veulent pas se mettre au travail, c’est une minorité qui choque ». Plus récemment, lors de l’ouverture de la deuxième conférence sociale des 20 et 21 juin derniers, François Hollande soulignait : « Nous avons à regarder une réalité, elle n’est pas nouvelle. Il y a à peu près de 200 000 à 300 000 recrutements qui sont entamés, puis abandonnés, parce qu’ il n’y a pas de candidats suffisamment qualifiés par rapport aux emplois qui sont proposés ». L’analyse a le mérite d’être simple : s’il y a des emplois vacants, c’est de la faute des chômeurs qui ne veulent pas travailler ou, dans la version plus « soft » de 2013, qui ne sont pas assez formés. Les choses sont pourtant plus complexes qu’il n’y paraît. De quoi parle-ton ? Il existe plusieurs concepts relatifs à la notion d’emplois vacants qui renvoient à différentes enquêtes ou sources de données administratives.

L’enquête ACEMO porte sur l’emploi salarié dans le secteur marchand. Elle est utilisée pour alimenter la mesure des « emplois vacants » ou « job vacancies » menée par Eurostat. Le terme anglais traduit avant tout la notion de poste à pourvoir que le terme français capte mal. Une « vacance d’emploi » se définit comme un poste rémunéré nouvellement créé, inoccupé ou sur le point de devenir vacant, (a) pour lequel l’employeur entreprend activement de chercher, en dehors de l’entreprise concernée, un candidat apte et est prêt à entreprendre des démarches supplémentaires, (b) qu’il a l’intention de pourvoir immédiatement ou dans un délai déterminé. Un poste inoccupé ouvert uniquement aux candidats internes n’est pas considéré comme une « vacance d’emploi ». D’après les dernières estimations de la DARES, au 4ème trimestre 2012, le taux d’emplois vacants est de 0,6 % pour les entreprises de plus de 10 salariés (ce taux est en moyenne de 1,4 % pour les autres pays de l’EU) et de 3 % pour les entreprises de moins de 10 salariés. Cela représente au total un peu plus de 180 000 emplois vacants. 20

Une autre manière d’appréhender la question des emplois vacants, au sens de poste à pourvoir, est de regarder les offres qui transitent par Pôle emploi, principal intermédiaire mobilisé par les entreprises pour la recherche active de candidats. Au second semestre 2012, il y avait un peu plus de 230 000 offres d’emploi enregistrées en fin de mois. Ce chiffre pose des difficultés d’interprétation. D’un côté, il sous-estime les offres à pourvoir, puisque toutes les entreprises ne font pas appel à Pôle emploi pour recruter et, d’un autre côté, il surestime les offres disponibles, ces dernières n’étant pas toujours actualisées en temps réel. Au final, on peut estimer que les emplois vacants représentent au plus 3 % de la population active. Mais au-delà des chiffres, c’est leur signification économique qui importe. Comme on l’a rappelé dans la définition d’Eurostat, un emploi vacant à un instant t illustre le fait qu’une offre d’emploi est émise par une entreprise sans être immédiatement pourvue. Cela reflète donc le fonctionnement normal du marché du travail où les ajustements ne sont pas instantanés. La notion d’emploi vacant, en tant que telle, ne dit rien du résultat final de la recherche menée par l’établissement. Des emplois vacants aux difficultés de recrutement Mais la notion d’emplois vacants est abusivement assimilée aux difficultés de recrutement. Or, ces dernières sont estimées à partir d’autres indicateurs issus des données d’enquête, notamment l’enquête OFER (Offre d’emploi et recrutement), celles d’un observatoire consacré à cette question mis en place par le MEDEF (Observatoire TEC 1) ou, encore, des données administratives comme les offres annulées de Pôle emploi. Sans entrer dans les détails méthodologiques de ces différentes sources, elles sont relativement convergentes et on peut estimer que le nombre de recrutements difficiles s’élève à environ 300 000 par an. Est-ce beaucoup ? Quand on sait que le flux annuel total de recrutement est de l’ordre de 22 millions par an hors intérim 2 , cela revient à dire qu’environ 1,5 % des recrutements par an sont jugés diffi-

Observatoire TEC (Tendance emploi compétence), http://www.observatoire-tec.fr/ tec/difficultes-recrutement

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2 Cette estimation du flux total de recrutement hors intérim est donnée à partir des DPAE (Déclarations préalables à l’embauche - ex DUE, Déclarations uniques d’embauche) de l’ACOSS. Sur ces 22 millions de recrutements annuels, 65 % sont des recrutements en CDD de moins d’un mois, 20 % des recrutements en CDD de plus d’un mois et 15 % des recrutements en CDI.


chroniques d'économie politique coordonnées par Richard Sobel / LNA#65

ciles. Sur ces 300 000 recrutements jugés difficiles, un peu plus de la moitié aboutira quand même (Observatoire TEC et OFER). Si l’on regarde de plus près les raisons invoquées pour qualifier ces recrutements de difficiles, on retrouve là aussi des éléments assez convergents selon les enquêtes (OFER et TEC) : environ 1/3 des recrutements ne vont pas à leur terme en raison de la disparition du besoin qui les avait justifiés. Dans les autres cas (2/3), l’employeur évoque le manque de main-d’œuvre disponible sur un bassin d’emploi donné ou la difficulté de trouver des candidats appropriés 3. Sont alors évoqués des problèmes de compétences techniques et, dans une moindre mesure, des problèmes de « savoir être » (Observatoire TEC). On pourrait alors penser, dans ce cas, que former plus de chômeurs permettrait de diminuer les échecs de recrutement. Mais tout ceci relève-il seulement de la responsabilité du demandeur d’emploi ? Les difficultés de recrutement : un problème d’ « employeurabilité » Comprendre les échecs de recrutements suppose de mieux saisir comment la fonction de recrutement est organisée dans les entreprises et quelles sont les procédures initiées. L’enquête Ofer met en évidence un paradoxe : alors même que l’opération recrutement est peu organisée dans les entreprises, ces dernières sont très exigeantes dans leurs attentes vis-à-vis des candidats. Si les grandes entreprises ont un service RH impliqué dans les recrutements et disposent d’une procédure formalisée, ce n’est pas le cas des PME ou des TPE 4. Or, ce sont justement les entreprises de petite taille, et celles qui procèdent à des recrutements peu nombreux dans l’année, qui déclarent le plus avoir des difficultés à recruter. Et ces entreprises, face à un échec, ne remettent pas en cause leurs modes de recrutement 5. Dans le même temps, l’étude du contenu des offres d’emploi montre que les annonces françaises – comparées à celles de ses voisins européens – comportent plus de critères de sélection liés au

diplôme ou à l’expérience professionnelle, pour partie déconnectés des caractéristiques du poste à pourvoir qui n’est d’ailleurs que sommairement décrit 6. En un sens, l’accumulation des exigences affichées dans les annonces sert d’analogon d’une fonction employeur peu développée. Reste la question de l’adéquation de la formation de la personne au poste occupé. Là aussi, les choses sont moins évidentes qu’il n’y paraît. Comme le souligne O. Chardon, la spécialité de formation ne joue qu’un rôle secondaire pour accéder à la plupart des métiers 7. Le lien entre spécialité de formation et poste occupé n’est vérifié que dans un tiers des cas, en général pour des professions à entrée réglementée (comme les médecins ou les avocats) ou des métiers avec une identité professionnelle reconnue (coiffeur ou boulanger par exemple). Au final, sur la question des difficultés de recrutement, plus que la question de la compétence du demandeur d’emploi, c’est la question de la capacité de l’entreprise à être employeur qui se trouve être posée. Pour reprendre l’expression Duclos (2007) 8, c’est la question de son employeurabilité qui mériterait d’être interrogée, dans une période où les politiques d’emploi mettent avant tout l’accent sur l’employabilité des personnes.

E. Marchal et G. Rieucau (2005), « Candidat de plus de 40 ans, non diplômé ou débutant s’abstenir », Connaissance de l’emploi, CEE, n° 11, janvier.

6

DARES (2006), « Des difficultés pouvant aller jusqu’à l’échec du recrutement », PIPS, n° 48-2, novembre, http://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/2006.11-48-2.pdf 3

4

G. De Larquier (2009), « Des entreprises satisfaites de leurs recrutement », Connaissance de l’emploi, CEE, n° 70, octobre.

O. Chardon (2005), « La spécialité de formation joue un rôle secondaire pour accéder à la plupart des métiers », Économie et statistiques, n° 388-389, http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/es388-389c.pdf

5 Comme le souligne la DAR ES (2006), malgré l’échec, les employeurs procéderaient différemment pour seulement 30 % des processus en CDD et pour 15 % de ceux en CDI.

L. Duclos (2007), « L’entrepreneur ne fait pas l’employeur », Correspondance METIS, 1er juin, http://www.metiseurope.eu/l-rsquoentrepreneur-ne-fait-pas-lrsquoemployeur_fr_70_art_128.html

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LNA#65 / sciences en société

Loi Enseignement Supérieur et Recherche 2013 : une chance pour les sciences participatives ? Par Bertrand BOCQUET Professeur à l’Université Lille 1, SCité - Sciences, Sociétés, Cultures dans leurs Évolutions

L

a recherche scientifique est devenue un pilier fort de la nouvelle économie au travers de l’innovation. Cette dernière, en se rapprochant de laboratoires universitaires, s’intéresse de plus en plus à la recherche fondamentale. Une volonté politique accompagne ce rapprochement en réorientant les budgets récurrents des laboratoires par les projets ANR (selon la technocratie, pour palier « certaines rigidités traditionnelles des acteurs publics 1 »), par la fiscalité – notamment le Crédit Impôt Recherche 2, par le développement de laboratoires communs avec des entreprises ou des Partenariats Public-Privé. Nous assistons à un profond changement dans le mode de production et d’appropriation des savoirs scientifiques. Grâce aux Assises Nationales de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (ESR) de 2012, et aux nombreuses initiatives provenant de la société, de nouvelles pistes pourraient voir le jour afin de remettre les choix scientifiques et technologiques en débat. Des assises sans débat public sous la pression d’acteurs associatifs

Les Assises ont été lancées le 20 juillet 2012, par une mission confiée à Vincent Berger, pour « refonder le paysage français de l’ESR sur des bases durables, au profit d’objectifs partagés ». Elles se sont déroulées selon trois niveaux : une consultation nationale, des assises territoriales et des Assises nationales pour la synthèse de l’ensemble. Ce mode opératoire – assises et non états généraux – n’a pas permis une expression publique forte : consultations sur rendez-vous, surreprésentation des acteurs des institutions académiques et territoriales et du monde économique. En revanche, il faut souligner la contribution de la direction du CNRS dont le premier paragraphe est consacré à « Science et société ». Par ailleurs, une mobilisation d’acteurs associatifs, menant depuis plusieurs années une réf lexion internationale au sein du Forum Mondial Sciences et Démocratie 3, a permis de faire entendre d’autres voix en ouvrant un espace de dialogue entre l’ESR et la société civile sur le rôle et la place des sciences dans

nos sociétés. Mentionnons enfin que le comité de pilotage, par la diversité de sa composition et d’une structure dédiée, disposait d’une relative indépendance par rapport au ministère. Le rapport « Berger » 4 a été remis le 17 décembre 2012. Mais la loi promulguée le 22 juillet 2013 ne reprend que très partiellement les propositions n° 72 et 73, qui insistent sur la nécessité de renforcer le dialogue entre les sciences et la société 5. Une loi ESR qui intègre les questions sciences et société Entre la remise du rapport et la promulgation de la loi, l’entrée des questions Sciences et société se manifesta par trois événements très différents, montrant qu’elles sont d’une actualité brûlante, multiforme et multi-acteurs. Un colloque à l ’A ssemblée Nationa le, organisé par l’Alliance Sciences Société 6 composée d’acteurs institutionnels, associatifs et de l’éducation populaire, s’est déroulé le 21 mars 2013 autour des tables rondes : (i) recherches participatives, citoyennes et coopératives, (ii) lieux de pratiques scientifiques, techniques et numériques sur tout le territoire national, (iii) responsabilité sociale et territoriale des établissements d’ESR, (iv) rendement en emplois des Politiques Sciences-Société & Égalité républicaine des territoires. Des modifications du texte de loi furent proposées. Une journée nationale d’échange, le 11 avril 2013, organisée par le PRES Université de Lyon, a été consacrée à la reconnaissance institutionnelle des actions « Science-Société » dans les établissements d’enseignement supérieur et les organismes de recherche. L’introduction d’A. Kaufman 7 a souligné le retard important du système ESR français par rapport à d’autres pays. Une table ronde, dédiée à un échange avec des représentants de la CP-CNU 8 et du

http://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/Assises_esr/24/0/ Assises-ESR-Rapport-Vincent-Berger-_237240.pdf

4

« Développer des pratiques permettant de démocratiser les choix scientifiques et de mener des débats de société au niveau local ou régional comme au niveau national : conventions de citoyens, recherche participative, living lab, associations de diffusion de la culture scientifique, expertise collective mixte » (proposition n° 73).

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Note n° 275 d’avril 2012 du Centre d’Analyse Stratégique du Premier Ministre, p. 8, www.stratégie.gouv.fr

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5,2 milliards d’euros en 2011 et il pourrait atteindre 7 milliards après 2014, http://www.ccomptes.fr/Publications/Publications/L-evolution-et-les-conditionsde-maitrise-du-credit-d-impot-en-faveur-de-la-recherche

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http://www.fmsd-wfsd.org/fr/

http://alliance-sciences-societe.fr

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Université de Lausanne où il existe un laboratoire Sciences et société depuis 1995.

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Commission permanente du Conseil national des universités.

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sciences en société / LNA#65

CoNRS 9, a montré que les relations science-société pour ces acteurs se réduisent à la vulgarisation et à la culture scientifique et technique. Le ministère ESR a présenté la thématique « Sciences-société » selon quatre axes : (i) la culture scientifique et technique, (ii) les recherches participatives, (iii) le débat public, (iv) les controverses scientifiques, en pointant un besoin de recherche. Une audition publique de l’Office Parlementaire d’Évaluation des Choix Scientifiques et Techniques (OPECST) sur la diffusion de la culture scientifique, technique et industrielle (CSTI), le 13 juin 2013, a montré que, si les centres de CSTI sont des acteurs incontournables, les sciences en société ne sont pas pour autant réductibles à la seule CSTI. Trois conclusions : (i) la médiation indispensable des savoirs scientifiques doit être repensée, voire étendue, (ii) les formations de journalisme scientifique doivent être développées, (iii) la structuration de la CSTI doit être largement régionalisée pour une relation plus fine aux territoires. De ce foisonnement d’initiatives, il ressort quelques timides avancées dans la loi votée le 23 juillet dernier 10 : seuls les articles 6 - 8ème alinéa, 7 - 2ème, 10 - 1er et 2b mentionnent explicitement le renforcement des interactions entre sciences et société. Avec les décrets d’applications, nous verrons si ces ajouts réussiront à impulser de nouveaux champs d’investigations scientifiques. Quant à la communauté scientifique, prendra-t-elle toute la mesure des enjeux qui s’opèrent derrière cette question des sciences en société ? Quelles perspectives pour les sciences en société ?

reconnues sont celles des centres de CSTI et du journalisme scientifique. Elles constituent la partie émergée d’un iceberg en formation : le phénomène récent des recherches participatives, citoyennes et coopératives, qui participent largement à la médiation des savoirs, reste encore trop peu connu et financé ; les outils comme les boutiques de sciences, susceptibles de pratiquer une médiation scientifique « en situation » entre acteurs de la société civile et monde de la recherche sur des questions de société, de santé, d’environnement, etc., manquent de soutien. L’émergence de la « société civile organisée » de la connaissance est une chance pour le monde académique, non pas pour en faire d’ultimes sujets de recherche, mais pour retrouver une relation équilibrée avec les citoyens et être en phase avec la réalité et les enjeux d’une planète occupée à terme par une dizaine de milliards d’êtres humains. En s’appuyant sur la timide avancée de la nouvelle loi ESR, les recherches participatives pourraient être plus fécondes. Celles-ci regroupent un foisonnement d’initiatives : collaboration avec des associations d’amateurs pour la collecte de données, coopération et montage de projets de recherche conjoints 11, recherches citoyennes par des associations 12 employant des chercheurs (docteurs, ingénieurs). Pourtant, ces expériences, si riches soient-elles, ne sont encore qu’expérimentales et laissent la majorité des acteurs profanes à l’écart du système de la recherche. La science se partage avec de plus en plus d’acteurs de la société civile. Faut-il craindre de démocratiser la recherche ?

Pour remettre en débat les questions scientifiques et technologiques, la société de la connaissance pourrait, avec les sciences en société, ouvrir une voie ascendante (bottom-up), a contrario de la voie descendante (top-down) de l’Union Européenne. Cette extension potentielle du champ de la recherche scientifique questionne les sciences de l’information et de la communication. Si les technologies sont aujourd’hui à des niveaux de performances très élevées, la véritable communication entre les individus est à la peine, particulièrement en matière de communication scientifique où la médiation des savoirs est centrale. Mais médiation pour qui et par qui ? Les médiations institutionnalisées et

Comité national de la recherche scientifique.

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10 http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000027735 009&fastPos=1&fastReqId=1212524665&categorieLien=id&oldAction=rechTexte

Programme Institution-Citoyen pour la Recherche et l’Innovation (PICRI), Chercheurs-Citoyens, boutiques de sciences…

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CRIIRAD, CRIIGEN, ACRO…

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LNA#65 / sciences en société

Entre les sciences exactes et les sciences humaines : la notion d’ « onde traumatique » Par Philippe BRETON Professeur des universités, Centre Universitaire d’Enseignement du Journalisme, Université de Strasbourg L’objectif de cet article est de montrer tout l’intérêt épistémologique – et pratique – qu’il pourrait y avoir à utiliser la notion d’ « onde » pour décrire le mode d’existence et les conséquences du traumatisme subi par les personnes dans un certain nombre de situations violentes (agressions, implications dans des catastrophes, etc.). Cette importation, sous forme d’une analogie faisant pont entre les sciences exactes et les sciences humaines, permettrait de dépasser une représentation, assez statique, du traumatisme en termes d’état, pour lui substituer, en l’englobant, une notion, celle d’onde, qui peut peut-être mieux saisir la dynamique du processus. Au-delà de l’ « état traumatique », on pourrait donc parler avec profit de l’ « onde traumatique », dont l’effet irait bien au-delà de la personne directement concernée.

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utre l’intérêt pour la problématique de recherche liée à l’anthropologie et l’histoire de la violence, cette importation pose une nouvelle fois la question des conséquences de l’importation de notions issues des sciences exactes dans d’autres champs de recherche. Il faut préciser toutefois que cette réflexion ne s’inscrit pas dans le paradigme qui voit dans les sciences exactes un réservoir de rigueur auquel les sciences « molles » devraient plus s’abreuver. L’ « échange analogique » peut en effet fonctionner dans les deux sens.

Les comportements violents, même s’ils sont, en période de paix, assez en recul dans l’Europe contemporaine, sont parties intégrantes, hélas, des relations sociales. Homicides, viols, agressions, coups, insultes, harcèlement sont une réalité quotidienne. Ils entraînent une réponse pénale qui tente de juguler ce flux permanent et sont appréciés à travers des normes sociales qui sont variables, selon les cultures ou les périodes de l’histoire concernées. Ces comportements convoquent la double notion de contrôle social et d’autocontrôle des pulsions violentes. Leur existence et leur prévalence au sein d’une société donnée ne sont pas sans conséquences sur la vie de ceux qui en sont victimes, directement ou indirectement. L’un des enjeux épistémologiques majeurs à ce sujet est la mise en place de notions stables et légitimes qui permettent d’appréhender ces phénomènes, de les reconnaître, d’ouvrir la voie à leur description rationnelle. Or, les effets de la violence, notamment sur le plan du traumatisme, n’ont pas toujours été vus, ni reconnus. Aussi étrange que cela puisse paraître pour une notion devenue si familière aux yeux des contemporains, la notion de « traumatisme » subi à la suite d’une agression (coups, violences sexuelles par exemple) est une découverte du XIXème siècle, qui ne s’est affirmée que dans le deuxième tiers du XXème siècle. La souffrance éprouvée dans ces situations n’était certes pas inconnue jusque-là, mais elle était cadrée à l’intérieur d’un système de coordonnées qui, d’une part, ne la mettait pas 24

en avant comme l’une des conséquences essentielles du phénomène de la violence et qui, d’autre part, pouvait même en faire un élément positif et souhaitable. Ainsi, la souffrance de l’enfant fouetté ou humilié par ses parents – pratique courante jusqu’à il y a peu – était cadrée comme la source nécessaire d’un redressement possible. La souffrance liée aux conséquences du viol a longtemps été invisible, dans un contexte où cette violence subie était considérée globalement comme une dégradation morale (on a longtemps puni pénalement la personne violée autant, sinon plus, que le violeur lui-même, même dans le cas où ce sont des enfants qui sont victimes). C’est au milieu du XIX ème siècle que quelques médecins, souvent dans les milieux proches de l’expertise judiciaire, remarquent prudemment, tout en manquant du vocabulaire adéquat, comme le note George Vigarello, que les victimes de viol sont l’objet d’une « perturbation morale », d’un « ébranlement physique », de « mouvements fébriles », de « troubles du système nerveux », de « larmes et souffrances remontant à la période du viol », et font le pronostic de « désordres définitifs ». Ce constat essentiel, et entièrement nouveau, ne suffit pas encore à changer la donne car « médecins et juges de la fin du siècle évaluent encore fortement le crime sexuel à ses résonances sur les mœurs, moins à ses résonances sur la vie personnelle et sensible. Ils notent la perte de virginité, le risque de corruption, moins les conséquences de la terreur et du désarroi » 1. La notion de traumatisme n’en est pas moins en route. Elle va être l’objet, en quelque sorte, d’une double capture. D’une part, par la psychologie et la psychanalyse naissante, avec Freud notamment, qui va faire du traumatisme une notion purement psychologique, attachée à la personne et servant à caractériser un état dans lequel elle se trouve du

Vigarello Georges, Histoire du viol du XVIème au XXème siècle, éd. Seuil, coll. Points, 1998, p. 238.

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sciences en société / LNA#65

fait des violences subies et de leurs répercussions sur l’intime de la personnalité. D’autre part, par la médecine, qui va construire son avancée de ce point de vue à partir de l’analogie avec la blessure physique, pour penser la « blessure psychologique » et, aujourd’hui, en rechercher, toujours, les fondements biologiques. Le deuxième tiers du XXème siècle verra émerger, pour différentes raisons (notamment la redéfinition des rôles masculins et féminins), la notion de traumatisme psychologique subi par les victimes de viol. Une sensibilité accrue au sort des victimes de catastrophes permettra à cette notion de s’étendre largement au point qu’aujourd’hui la souffrance psychologique des victimes ou des « impliqués » est largement prise en compte grâce à l’institution du « soutien psychologique », des cellules d’ « aide psychologique ». On a bâti, à cette occasion, la notion de « résilience » pour désigner le sursaut positif, la reconstruction d’une personne traumatisée. Cette étape de la prise en compte de la souffrance des individus est essentielle et constitutive de ce que notre modernité porte en termes de « pacification des mœurs », pour reprendre l’expression du sociologue Norbert Elias. Mais le paradigme de la souffrance psychique des victimes a des limites, et certaines d’entre elles sont d’ores et déjà atteintes. L’appréciation du traumatisme se fait en termes d’états purement individuels (ce qui concorde bien avec le fait que c’est bien le nouveau regard porté sur l’individu et sur ses droits qui est en partie à l’origine de la reconnaissance – et de l’affirmation du caractère intolérable – de sa souffrance lorsqu’il est victime d’une violence) et cette individualité est appréciée en termes presque uniquement psychologiques. Que ne voit-on pas aujourd’hui des effets de la violence qui reste pourtant à voir ? C’est à ce point que la notion d’onde, et plus précisément d’onde traumatique, nous permet peut-être de discerner un pan du réel jusque-là invisible (comme le traumatisme l’était jusqu’à une période récente). Partons d’un constat simple. Une personne qui a été, par exemple, victime d’une agression va subir, plus ou moins fortement, un traumatisme 2. Celui-ci va avoir une résonance Voici, par exemple, comment un homme de 60 ans, agressé avec sa femme dans sa maison en Alsace par une bande extrêmement violente de cambrioleurs d’origine albanaise, ligoté et battu, raconte les conséquences, pour lui, de l’événement : « c’est le cauchemar de ma vie, j’y repense chaque jour et chaque nuit », « vous ne vous en relevez jamais, au fil du temps, vous êtes habité par quelque chose

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psychologique individuelle, mais il va aussi modifier, plus ou moins en profondeur, le comportement qu’il a vis-à-vis d’autrui, de sa famille, de ses enfants. Irritabilité, angoisse, manque de concentration, réitération de la scène de l’agression, peur permanente, méfiance vis-à-vis d’autrui, et d’autres troubles, plus graves, vont affecter son rapport aux autres, qui vont à leur tour voir leur comportement transformé négativement. L’angoisse va générer de l’angoisse chez autrui, l’irritabilité va provoquer du ressentiment, la peur va s’offrir au partage, etc. Le traumatisme, en quelque sorte, va se transporter d’un individu vers d’autres. Ce traumatisme transporté va « s’accrocher » chez eux avec plus ou moins de force en fonction de la nature du lien entre les personnes, de leur personnalité, de leur sensibilité, de leur histoire personnelle. La peur transmise va réactiver d’autres peurs auxquelles elle va s’agréger. Le traumatisme a une vie propre, faite de mobilité, de diffusion, variable selon les capacités d’absorption ou de défense de ceux qui vont y être exposés. Lors d’une enquête téléphonique réalisée auprès d’un très large échantillon, par des chercheurs de l’INSERM, de l’INED et l’ANRS, sur la sexualité en France, les enquêteurs ont été confrontés à un véritable déferlement d’ondes traumatiques au moment de poser des questions sur les agressions sexuelles dont les personnes interrogées auraient été éventuellement victimes. Ils ont dû être pris en charge psychologiquement pour pouvoir continuer l’enquête, alors que l’entretien se faisait à distance et qu’ils n’avaient aucun lien avec les personnes sources de ces ondes 3. La diffusion d’une onde traumatique peut également s’observer dans une temporalité plus ou moins longue. La trace historique d’un traumatisme ancien peut ainsi être très présente et très active. À court terme, par exemple, on pourra s’interroger sur les multiples ramifications et effets traumatiques actuels des violences subies

que vous n’auriez jamais imaginé. C’est une violence effroyable », cité dans le quotidien DNA, 31 juillet 2013. « Les premiers questionnaires ont fait apparaître un niveau de déclaration de violence sexuelle plus élevé que ne l’avait prévu l’équipe de recherche. Les enquêteurs se sont sentis démunis face à ce qu’ils entendaient et à la fréquence de tels événements, plus élevés que ce qui leur avait été annoncé. Des groupes de discussion animés par la psychologue ont alors été mis en place », (Bajos Nathalie, Bozon Michel, avec la collaboration d’Agnès Prudhomme, « Les agressions sexuelles en France, Résignation, réprobation, révolte », in Enquête sur la sexualité en France, pratiques, genres, santé, Bajos Nathalie, Bozon Michel, éd. La découverte, 2008, p. 384).

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LNA#65 / sciences en société

par les militaires impliqués dans la guerre d’Algérie 4. Les ondes traumatiques ont transité ici par l’éducation donnée aux enfants, les changements de comportements qui ont été induits. On voit là que le regard va bien au-delà de la « simple » emprise psychologique individuelle du traumatisme. À long terme, on pourra s’interroger sur le poids traumatique actuel, sur l’humanité, des très nombreuses souffrances traversées par l’Homme dans la très difficile et longue période du paléolithique. La résilience, évoquée plus haut, pourrait, dans ce cadre, être conçue, au-delà d’un mécanisme de restauration individuelle, comme un lieu de blocage de l’onde traumatique, afin d’empêcher sa diffusion. La notion de résilience pourrait aussi s’étendre aux attitudes collectives et aux changements des normes sociales qui permettent une réduction de l’effet et de la diffusion des ondes traumatiques. On voit, à partir de ces simples exemples, combien appréhender la question du traumatisme sous l’angle d’une réalité mobile, circulante, communicante, peut être précieux pour l’analyse et nous sortir du cadre trop étroit de la souffrance d’un individu. Le but de cet article n’est pas de développer ici cette notion, par ailleurs assez nouvelle, voire originale 5, mais de suggérer l’intérêt qu’il pourrait y avoir à examiner plus avant les bénéfices d’un emprunt plus large aux différents développements que les sciences exactes lui ont donné jusqu’à présent, sous réserve de la prudence que tout recours à une analogie, en sciences, impose.

4 Voir Marie-Odile Godard, Rêves et traumatismes ou la longue nuit des rescapés, éd. Érès, 2003. 5 À notre connaissance, un seul auteur l’a utilisée dans la littérature francophone, dans le titre d’un article, sans que le terme soit repris ou développé d’une quelconque façon dans cet article et sans que ce titre renvoie à une problématique véritablement proche de celle qui est développée ici (la notion développée ici l’a été avant que j’ai eu connaissance de cet article) : Marc Jarzombec, « L’onde traumatique », Cahiers de médiologie, 2002

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à lire / LNA#65

Pascal Mercier, Train de nuit pour Lisbonne * Par Charlotte MEURIN Bibliothécaire

Je suis montée dans le Train de nuit pour Lisbonne de Pascal Mercier. Et maintenant que j’y suis embarquée, j’ai décidé de ne plus en descendre. Nulle escale. La succession des chapitres nous entraîne à ne pas suspendre la lecture, à la poursuivre comme l’on court derrière l’autobus en marche espérant encore y grimper et éviter l’attente à l’arrêt. Pourtant, il serait dommage de ne pas l’interrompre tant la profondeur de la réflexion, esquissée tout en douceur, nous invite à penser. Je lève les yeux de la page à peine parcourue, je pose le livre gardé ouvert à l’envers, face retournée. L’oiseau de papier aux ailes déployées vient ainsi s’écraser sur mes genoux. Je prends la prose.

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aimund Gregorius, professeur de latin à Berne, savant érudit, amoureux des langues et des mots, mène une vie rangée. Personnage régulier, il ne pourrait être qualifié d’ordinaire, car rien chez cet homme n’inspire la banalité ni l’ennui, tant son être tout entier est habité par une vitalité spirituelle. Émerveillement de la poésie latine, grecque et hébraïque. Enthousiaste passeur de savoirs, Gregorius envoûte son auditoire chaque fois qu’il convoque ses poètes acolytes. « Mundus », surnom dont l’ont affublé ses collègues et ses élèves au Lycée, ressuscite les langues mortes en en révélant leur caractère géniteur et leur force créatrice. Tel le théoricien et linguiste Humboldt, il nous rappelle combien les langues participent à la construction du monde. « Mundus » incarne la vie de l’esprit. Son intelligence va de pair avec sa modestie tandis que son charme, ravageur, déjoue les codes de la mode et se moque des dictats vestimentaires. Il enfile les mêmes costumes depuis toujours, imperturbable gardien du monde des « Anciens ». Le désintérêt total qu’il exprime, ou plutôt n’exprime pas, pour l’argent qu’il gagne et qu’il ne dépense ni ne place (au grand dam de sa banque), suscite grandeur et sympathie. Un homme sincère et délicat que rien ne semble pouvoir détourner de sa précieuse routine. Pourtant, les premières lignes du roman nous disent déjà tout de la vérité à venir : « Ce jour commença à la manière d’innombrables autres, pourtant, après lui, rien ne devait plus être comme avant dans la vie de Raimund Gregorius. » Deux éléments servent de trame au récit : Une femme sur un pont, agrippée au parapet, dont le texte éclaire la lucide intention, « elle va sauter », et la découverte d’un poète portugais, Amadeu Inacio de Almeida Prado, à travers un livre inconnu : Orfèvre des mots, Lisboa, 1975. Il n’en fallut pas plus à Gregorius pour prendre le train pour Lisbonne et commencer une quête aussi personnelle qu’intellectuelle.

Quatre chapitres ponctuent le roman : « Le départ » ; « La rencontre » ; « La tentative » ; « Le Retour ». Ulysse vogue non loin de là. « La vie n’est pas ce que nous vivons, elle est ce que nous imaginons vivre ». Laissez-nous donc, nous aussi, imaginer ce que serait notre vie si un jour nous tournions les

talons, ouvrions la porte et la fermions derrière nous pour prendre une route inconnue, incertaine, tout motivés que nous serions par l’infaillible foi et croyance d’être jusqu’ici passés à côté de l’essentiel, endormis que nous sommes dans le lit de l’habitude, revêtus de nos coutumes côtelées de velours. Calderon n’a-t-il pas écrit La vie est un songe 1 dans l’espoir de faire naître le doute entre ce qui est réel et ce qui est rêvé ? Ne souhaitait-il pas assombrir la frontière qui, distinctement, sépare l’historique et le fictif ? Ne rêvons-nous donc jamais ce que nous pourrions vivre un jour ? « S’il est vrai que nous ne pouvons vivre qu’une seule partie de ce qui est en nous, qu’advient-il du reste ? » Voilà encore une question posée en filigrane dans les marges du récit. Découvrir qui est cet autre, cet inconnu, cet étranger pour, finalement, tenter de se connaître un peu mieux soi-même. Dialectique de l’identité ou Soi-même comme un autre 2, l’essai de Paul Ricœur s’invite dans mon esprit et accompagne ma lecture. Je retiens aussi ce magnifique passage sur la disparition et l’absence qui, écrit Mercier, était si insupportable qu’elle en devenait visible et palpable, pesante et bruyante. L’auteur n’est ni lisboète ni employé des chemins de fer mais un professeur de philosophie d’origine suisse et vivant à Berlin. Un Européen qui aime nous faire voyager en faisant de l’existence un trésor difficile à conserver tant la force du vécu cristallise sans cesse nos émotions et forge, dans la contemplation, ses bijoux les plus précieux.

* Pascal Mercier, Train de nuit pour Lisbonne, traduit de l’allemand par Nicole Casanova, Paris, éd. 10-18, 2008. Pedro Calderon de la Barca, La vie est un songe, trad., introd. et notes par Bernard Sesé, Paris, éd. Flammarion, 1996.

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Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, éd. Seuil, 1996.

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LNA#65 / arts et sciences

Hypothèse numéro quatre Par Laurent GOLDRING Plasticien et vidéaste

J’ai déjà émis l’hypothèse que la situation actuelle dans les arts pouvait se comprendre comme la liquidation du modernisme. Le modernisme lui-même était à reconsidérer comme un processus d’autoprotection de l’art contre le nouveau statut des images au temps de la mécanisation de leur production et de leur diffusion. Cette façon de voir m’aide beaucoup plus que celle qui considère le modernisme comme une aspiration spontanée vers l’origine ou l’infini creusement vers la spécificité absolue.

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a tendance moderniste à l’abstraction est un mouvement de mise à distance des images quand l’industrialisation les soumet à l’obligation de devenir des signes pour pouvoir circuler rapidement. Il est intéressant de constater que les discours d’aujourd’hui sur la prolifération et la circulation des images sont les décalques des enthousiasmes des années 1850 qui jubilaient de la porosité des genres et jouissaient des transferts d’un médium à un autre. La peinture officielle de l’époque a répété, avec talent et servilité, les signes déjà en circulation, à la fois dans l’hyperréalisme et dans l’immédiateté de la reconnaissance, savoir bavard qui met sa fierté dans la vérité des uniformes, jusqu’au moindre bouton du moindre pompier, d’où son nom. L’art pompier est l’art d’état à la naissance de l’art publicitaire. Dans les deux cas, l’image devient ce signe qui peut se décliner d’un medium à l’autre. Or, l’image peut se lire, le signe s’impose par sa répétition. Les images coexistent, les signes sont en compétition et seuls survivent ceux dont la force de frappe est suffisante. D’où la raréfaction générale des images. Plus elles circulent, moins il y en a. En effet, chaque passage dans un autre medium implique une perte en définition, et l’image qui passe le mieux est celle qui n’a plus aucun lien avec un medium particulier. Or, en deçà d’un certain nombre de pixels, seules restent reconnaissables les images devenues des signes, ce qu’on appelle les icônes. Une icône est une image déclinée si souvent qu’elle reste reconnaissable malgré sa pauvreté. Les apories de l’art contemporain se réduisent souvent à ce que les logiques valables pour les icônes devraient servir de modèle aux images en général. Or, une image qui ne se réduit pas à un signe immédiatement reconnaissable perd très rapidement toute lisibilité, sauf à s’imposer comme icône, ce qui est seulement une question de puissance et de présence permanente dans l’espace public. L’art moderne est né du refus de participer à ces batailles d’images qui se jouent sur la quantité d’occurrences. L’art n’a pu conserver sa spécificité qu’à refuser ce devenir redondant avec le monde des signes, et ce refus a été celui de la circulation entre les mediums. La recherche des spécificités a été la seule protection efficace contre la disparition de l’art comme autre monde possible.

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On sait que cette situation s’est totalement renversée au profit de la soumission aux images existantes. Un interdit pesant répète sans cesse que toutes les images ont déjà été faites et qu’il ne s’agit plus que de les combiner. Le pop et sa révérence pour la culture massive, Duchamp et ses images prêtes-à-porter sont les points de départ différés d’une iconophile qui reprend précisément celle où l’art pompier s’était vautré. Le postmodernisme peut se lire comme la liquidation d’un siècle de résistance face à la mécanisation des images. Cette résistance est fondée sur la recherche de la spécificité du medium, on liquide la notion de medium pour la remplacer par celle de media et, dans la même logique, la notion d’artiste est remplacée par celle de créateur. C’est dans cette configuration qu’on peut comprendre le rapport entre science et art aujourd’hui. 1) La science et la technique apportent les concepts nécessaires à la destruction de la notion de médium. Les nouvelles technologies importent, dans la production d’images, une logique de perfectibilité et de progrès infini où les limitations de l’outil sont toujours de l’ordre de la contingence. Pour l’art, cette logique implique que tout médium est potentiellement sans effet sur l’image, asymptotiquement transparent : donc qu’il se nie en tant que médium. 2) La science est un modèle de fonctionnement, la transformation des artistes en créateurs étant homologue à la transformation des savants en chercheurs. Le savant maître de sa trajectoire, passant d’une discipline à l’autre, d’un sujet à l’autre et construisant une œuvre selon une logique personnelle, a cédé la place aux chercheurs qui tentent de s’imbriquer dans des programmes et des projets. La même dynamique s’installe dans le domaine de l’art, par l’intermédiaire de l’industrie cinématographique et du spectacle. 3) La science est un modèle de comportement. Les savants avaient partie liée avec les émancipations face aux vérités révélées, les chercheurs se caractérisent au contraire par leur soumission pratique aux grandes options fixées. Le nucléaire est le laboratoire de toutes les schizophrénies. Ce sont les mêmes qui ont lancé les pétitions contre la bombe et qui ont accepté de la fabriquer. Comme les chercheurs, les créateurs ont oublié l’autonomie qu’ils revendiquent en tant qu’artistes. Duchamp a fourni l’argumentaire de cette position en inversant le rapport entre les œuvres et le statut d’artiste.


au programme / réflexion-débat / LNA#65

Cycle

Le corps

Octobre 2013 - avril 2014 Espace Culture RENDEZ-VOUS D’ARCHIMÈDE u  La construction sociale du corps Mardi 14 janvier à 18h30 Par Christine Détrez, Maître de conférences en sociologie à l’École Normale Supérieure Lettres et Sciences Humaines de Lyon. Animée par Alain Cambier, Docteur en philosophie, professeur en classes préparatoires, Faidherbe-Lille. u  Le corps à corps : plaisirs et sexualités Mardi 4 février à 18h30 Par Yves Ferroul, Médecin, sexologue. Animée par Antoine Drizenko, professeur à la Faculté de Médecine, Université Lille 2. Les singes vivant en groupe ont détaché leur sexualité des automatismes rythmés pour en faire un comportement de tissage de liens sociaux fondé sur le plaisir : l’automaticité est remplacée par le désir, par l’envie d’avoir et de donner du plaisir. Les corps humains ont évolué anatomiquement pour créer de nouveaux signaux visuels d’excitation, les fesses charnues et les seins permanents. De plus, les humains doivent travailler leur apparence (vêtement, parure, maquillage) afin de se rendre attirants pour l’autre. Les avancées contemporaines modifieront encore les façons de susciter le désir et le plaisir physique. Cf article p. 4-5

u  Et pour vous, ce sera quelle augmentation corporelle ? Mardi 25 mars à 18h30 Par Sylvie Allouche, Attachée Temporaire d’Enseignement et de Recherche à l’Université de Technologie de Troyes. Animée par Laurent Grisoni, Professeur

en information, responsable de l’équipe MINT, Université Lille 1. Alors que la question de l’ « augmentation corporelle », et plus généralement de l’ « anthropotechnie », suscite depuis une dizaine d’années un débat nourri au sein de la communauté philosophique internationale, nombre d’observateurs regrettent que ce débat porte trop souvent sur des technologies spéculatives. Si je ne partage guère ce regret, il peut de fait être intéressant de se concentrer sur des technologies qui existent ou pourraient exister aujourd’hui et de réfléchir aux divers enjeux philosophiques par là soulevés.

À suivre u  Journée d’études Corps et esprit Mardi 15 avril 2014 Comité d’organisation : Sylvain Billiard, JeanPhilippe Cassar, Laurent Grisoni, Jacques Lescuyer, Bernard Maitte, Sylvie Reteuna. Retrouvez toutes nos conférences en vidéo sur le site : http://lille1tv.univ-lille1.fr/

Cf article p. 6-7

u  Le don d’organes Mardi 1er avril à 18h30 Par Michel Castra, Professeur en sociologie, CERIES, Université Lille 3. Animée par Dominique Boury, Cadre infirmier, docteur en philosophie et histoire des sciences, Centre d’Éthique Médicale, Institut Catholique de Lille. Si le « don » d’organes et la greffe mobilisent l’attention régulière des médias et du public, mettant en valeur les prouesses médicales et la générosité des donneurs et de leurs proches, le prélèvement et ce qu’il implique restent largement du domaine de l’officieux et du non-dit. La plupart des pays ont modifié leur législation pour permettre de déclarer légalement décédés les patients en état de « mort encéphalique ». La mort relève ainsi d’une décision médicale fondée sur des critères d’utilité du corps. Mais l’inadéquation entre l’offre et la demande d’organes, liée au développement des greffes, le discours sur la « pénurie » de greffons poussent aujourd’hui à avancer un peu plus la frontière entre la vie et la mort. 29


LNA#65 / au programme / réflexion-débat

Cycle

À propos de l’évaluation Octobre 2013 - avril 2014 Espace Culture RENDEZ-VOUS D’ARCHIMÈDE u  En quoi la recherche peut-elle être évaluée ? Mardi 21 janvier à 18h30 Par Pierre Joliot, Professeur honoraire au Collège de France, membre de l’Institut. Animée par Bertrand Bocquet, Professeur à l’Université Lille 1. La recherche scientifique et tout particulièrement la recherche fondamentale est, comme toute activité créative, difficile à évaluer. Les méthodes d’évaluation actuelles s’appuient le plus souvent sur des critères quantitatifs. Le couplage entre programmation et évaluation quantitative se traduit par une concentration excessive de moyens humains et matériels sur un nombre limité de sujets jugés comme prioritaires plutôt que de favoriser l’émergence de nouveaux domaines de recherche. Le développement de méthodes d’évaluation privilégiant la créativité et l’originalité apparaît donc comme une priorité qui conditionne l’avenir de la recherche. u  L’évaluation de l’art contemporain Mardi 11 février à 18h30 Par Nathalie Heinich, Sociologue au Centre National de la Recherche Scientifique, Paris. Animée par Anne Boissière, Professeure, Université Lille 3, directrice du Centre d’Étude des Arts Contemporains. Que vaut une œuvre d’art contemporain ? Les critères d’évaluation propres au « paradigme » contemporain sont très différents de ceux qui prévalent dans les paradigmes classique et, surtout, moderne : d’où d’innombrables malentendus et controverses sur la valeur de cet art, tant en termes marchands qu’en termes esthétiques ou éthiques. Il sera également question des différences 30

d’appréciation internes au monde de l’art contemporain selon les procédures et les catégories d’acteurs : subventions ou achats des institutions publiques, écrits des spécialistes, transactions marchandes, opinions des visiteurs. Cf article p. 8-9

u  Évaluer les politiques de la ville : les mutations urbaines et sociales sont-elles évaluables ? En partenariat avec l’Institut Régional d’Administration Mardi 11 mars à 18h30 à l’Institut Régional d’Administration (49, rue Jean Jaurès - Lille / inscriptions : 03 20 29 87 10)

Par André Bruston, Maître de conférences retraité, ancien conseiller scientifique du Ministère de la Ville. Animée par Gilbert Elkaïm, Directeur de l’Institut Régional d’Administration de Lille. Les politiques de la ville en France trouvent leur origine au début des années 80 et, dès le début, elles ont été l’objet d’une quadruple approche : le contrôle de l’action, la pratique de la recherche en sciences sociales, l’évaluation spécifique à cet objet et enfin le débat politique qui, comme on le sait, n’a jamais déchiré les protagonistes au point de mettre fin à ces politiques… En revanche, faute de connaître les causes des dysfonctionnements auxquels on voulait remédier, la pratique des diagnostics préalables s’est généralisée, et a engagé la réflexion sur la « mesure » des effets des remèdes choisis. Et là, il est possible de déceler des écarts sensibles dans la conception de cette mesure, mesures statistiques (sur quels indicateurs ?), évaluation par les comités de pilotage, par les acteurs, par les groupes habitants des quartiers… ou encore la recherche.

u  Évaluation au travail : les ressorts d’une fascination Mardi 18 mars à 18h30 Par Bénédicte Vidaillet, Maître de conférences en sciences des organisations, Université Lille 1, psychanalyste. Animée par Yvan Sainsaulieu, Sociologue à l’Université Lille 1. L’évaluation individualisée de la performance a fait l’objet de nombreuses critiques de spécialistes du travail, ses méfaits sont connus et les salariés se plaignent de ses effets néfastes. Pourquoi alors continue-t-elle de se développer dans tous les secteurs d’activité ? L’hypothèse avancée ici est qu’elle se développe avec notre complicité subjective ; parce que nous voulons être évalués ; parce que nous croyons qu’être évalués nous permettra de résoudre des problèmes que nous rencontrons au travail. C’est un leurre bien sûr mais il fonctionne… Il s’agit donc de comprendre sur quels ressorts psychiques l’évaluation joue pour nous séduire, alors qu’elle contribue grandement à détruire notre désir de travailler et notre relation à l’autre. Cette compréhension est au principe d’une réelle capacité de résistance à l’évaluation. Cf article p. 10-11

À suivre u  Journée d’études Organisée par la Maison européenne des sciences de l’homme et de la société (MESHS) et l’Espace Culture - Université Lille 1 Évaluer les richesses ? Mardi 8 avril 2014 Comité d’organisation : Bertrand Bocquet, Jean-Philippe Cassar, Bruno Duriez, Jacques Lescuyer, Frédéric Gendre. Retrouvez toutes nos conférences en vidéo sur le site : http://lille1tv.univ-lille1.fr/


au programme / parution / LNA#65

QUEL DEVENIR POUR LE TRAVAIL SOCIAL ? Nouvelles questions, nouvelles légitimités Nouvelle parution dans la collection Les Rendez-vous d’Archimède, ouvrage collectif aux éditions L’Harmattan Dirigé par Youcef Boudjémaï, Chargé de développement à l’Association La Maison des enfants (59), consultant-formateur dans le secteur social et médico-social

Présentation d’ouvrage le lundi 3 février à 17h30 Espace Rencontres du Furet de Lille - Entrée libre En présence de Philippe Rollet, Président de l’Université Lille 1 Jean-Philippe Cassar, Vice-président de l’Université Lille 1, Culture et Patrimoine Scientifique Youcef Boudjémaï et des auteurs.

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e travail social n’a cessé de s’adapter aux recompositions sociales auxquelles il a été confronté au cours de ces dernières décennies. Par ailleurs, l’évolution des politiques publiques a fini par lui imposer des conceptions de gestion issues du monde économique tant dans son mode de gestion que dans ses références et ses pratiques. Ce cours nouveau a abouti à sa profonde restructuration par une remise en cause de ses finalités, de sa légitimité comme de son cadre associatif. Cet ouvrage tente de comprendre ces transformations et de prendre la mesure des nouvelles questions qui bordent le travail social en vue de construire de nouvelles légitimités.

AUTEURS Michel Autès, sociologue, chercheur au Clersé, Université Lille 1 et à la MESHS Patrick Banneux, président de l’Association Prévention Spécialisée du Nord Youcef Boudjémaï, chargé de développement à l’Association La Maison des enfants (59), consultant-formateur dans le secteur social et médico-social Francis Calcoen, président de l’Uriopss Nord-Pas de Calais Michel Chauvière, directeur de recherche émérite au CNRS, membre du CERSA, Université Paris 2 Philippe Crognier, directeur de la recherche et de l’évaluation à la Sauvegarde du Nord Michel David, consultant, enseignant à Sciences Po Lille, à l’IFU, Université Paris-Est Marne-la-Vallée et à l’IAUL, Université Lille 1

Bernard Eme, sociologue, professeur émérite des universités au Clersé, Université Lille 1 Jean-Michel Godet, directeur général de l’IRTS de Basse-Normandie, secrétaire général de l’UNAFORIS Hélène Hatzfeld, politologue, maître de conférences à l’IEP de Paris, chercheur au Laboratoire Urbanisme Ville Environnement Marcel Jaeger, professeur titulaire de la Chaire de Travail social et d’intervention sociale au CNAM Henri Noguès, professeur d’économie émérite, Université de Nantes, membre du LEMNA, président de l’ADES Joël Roman, philosophe, essayiste, directeur de la collection « Pluriel » chez Fayard, membre de la rédaction de la revue Esprit Dominique Susini, président d’honneur de l’Association Internationale pour la Formation, la Recherche et l’Intervention Sociale Ont contribué à la réalisation du cycle de conférences duquel est issu le présent ouvrage : l’Association de l’École européenne supérieure en travail social (AESTS)/ Nord-Pas de Calais, la Sauvegarde du Nord, l’Union régionale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uriopss).

ISBN : 978 - 2 - 343 - 01986 - 4 26 €

Retrouvez toutes les informations sur cet ouvrage et la collection complète sur : http://culture.univ-lille1.fr/publications/la-collection.html Ouvrages en vente en librairie et à l’Espace Culture, consultables à l’Espace Culture et à la Bibliothèque Universitaire de Lille 1.

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LNA#65 / au programme / exposition

Laurent Goldring du 13 janvier au 28 février En coréalisation avec l’Espace Pasolini, laboratoire artistique / Valenciennes

Conférence de Laurent Goldring suivie du vernissage de l’exposition lundi 13 janvier à 18h30 Espace Culture / Entrée libre

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ette exposition comprend 8 boucles noir et blanc et couleur. Les premières datent des années 95 et les dernières sont récentes. Elles proposent des démonstrations de similitudes entre diverses parties du corps, entre le corps et le crâne et entre le corps nu et le corps habillé. Ces symétries et similitudes sont importantes parce que ce sont précisément celles-là que la tradition du nu a réussi à dénier. La représentation du corps (et plus précisément du nu) a régulièrement réagencé les différentes parties selon les hiérarchies de l’époque : la Rome antique ne différencie pas entre l’épaule et le coude ; le nu actuel a oublié que le genou existe ; le cou a disparu depuis le Romantisme et les organes génitaux sont en train de venir au premier plan. On peut Laurent Goldring, normalien, philosophe, plasticien et chorégraphe, travaille depuis 1995 sur le nu en questionnant la domination actuelle de l’image analogique (photo, cinéma, vidéo) par la mise en évidence de sa très grande pauvreté. Ce qui le conduit à démontrer que le corps n’a jusqu’ici que très peu été vu ou montré. Son travail se poursuit aujourd’hui autour du portrait, et du paysage – principalement urbain – avec les mêmes attendus et les mêmes effets. Ces images ont intéressé de nombreux chorégraphes aux questionnements similaires : elles ont permis l’émergence d’un nouveau corps dans le champ de la danse avec des spectacles devenus des références.

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même dire, à rebours, qu’une époque se définit aussi par les hiérarchies de l’espace corporel qu’on trouve dans l’art. Il y a des invariants dans ces hiérarchies : ce sont les organes porteurs de significations qui organisent le reste du corps comme simple liant. La main et les doigts indiquent, parlent, pointent ; le bras est là pour les soutenir. Et l’ensemble bras/main se distingue le plus possible des jambes qui supportent le tout. L’homologie anatomique bras/jambes comme l’homologie fesse/épaule, tout comme la ressemblance du crâne et du cul, ne doivent pas se voir. Les constructions représentationnelles servent ainsi de modèle à l’hominisation des postures et des gestes. Cette hominisation est toujours différentielle ; il n’y a pas de geste neutre, le questionnaire de Mauss a mis en lumière que toute technique du corps indique une place d’abord dans l’éventail des cultures et, ensuite, dans le groupe. L’art est garant de la norme bien plus qu’il ne la questionne. L’accent mis aujourd’hui sur les genitalia est moins une transgression que l’illustration répétée de ce que Foucault avait pointé : la sexualité est un dispositif de pouvoir. L’interdit contemporain sur les nouvelles représentations qui s’exprime par cette idée que tout a déjà été fait et qu’il ne s’agit plus que de jouer avec les représentations préalables ; les pratiques d’importation des images des cultures populaires, publicitaires et virtuelles ; la mise en circulation du patrimoine mondial de la représentation en dehors des fonctions propres à chaque culture ; toutes ces tendances lourdes conduisent au même effet : l’art, contrairement à ce qu’il proclame, renonce une fois de plus à élaborer son


au programme / exposition / LNA#65

propre territoire et ses propres logiques. Il renonce à questionner les logiques dominantes, au double sens de logiques majoritairement acceptées et de logiques de la domination.

WORKSHOP avec Laurent Goldring Mardi 14 janvier de 14h à 17h

Pour échapper à ce qu’il semble impossible d’éviter dans la représentation, il s’agit de rejouer le processus de construction d’une organisation corporelle par le rapport aux images de façon à montrer comment le corps « naturel ? », celui de tout un chacun, s’est lui-même construit dans des jeux de miroirs avec les images modèles. Pour construire mes images, il faut construire le corps qui est filmé ; cette construction se fait par des mots, des indications, mais des indications qui ne sont pas données directement au sujet du corps mais à l’image en train de se faire dans le moniteur. Et c’est dans les impossibilités et les décalages que la déconstruction du corps peut s’accomplir et que le sujet peut se récupérer dans une nouvelle organisation, d’abord à l’aveugle, puis de plus en plus consciente.

À l’Espace Pasolini 2 rue Salle Le Comte - Valenciennes Gratuit sur inscription au 03 27 32 23 00 ou accueil@espacepasolini.fr

Ces images ont été faites avec des artistes dont le trajet pouvait croiser mes interrogations : Anne Laurent, Chiara Gallerani, Xavier Le Roy, Andrea Stotter, Franco Senica, Nuno Bizarro, Isabelle Schad, Heide Kinzelhofer. Certains d’entre eux ont utilisé ces corps pour des spectacles et des performances démontrant ainsi que les images ne peuvent se comprendre que si on les considère comme des organes, avant de les analyser comme des représentations. Laurent Goldring

Bonnes nouvelles L’image n’est pas une représentation, elle est d’abord un organe et une fonction biologique. Ce n’est que lorsque l’image devient prothèse technique qu’elle peut se définir comme représentation. Depuis que le corps ne se conçoit plus sans ses multiples prothèses, l’image prend le contrôle et réorganise le rapport de soi à soi. Une nouvelle définition de la personnalité juridique ne pose plus le sujet en propriétaire de son image, mais en auteur de son image. Première

bonne nouvelle, tout sujet est un artiste. Symétriquement, dans un monde entièrement technique, la technique prétend à l’esthétique avec comme résultat des images de moins en moins nombreuses, des corps de plus en plus semblables et la mode en argumentaire d’une révolution industrielle qui, deux cents ans après avoir vidé le travail manuel de toute créativité, est en train d’inventer le travail intellectuel sans pensée. Seconde bonne nouvelle, plus besoin d’être un sujet pour être artiste.

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LNA#65 / au programme / exposition

L’évaluation se distingue de la notion de goût. À travers elle, nous cherchons à réduire notre part de subjectivité qui reste cependant importante, en particulier dans l’évaluation des aptitudes humaines ou de la créativité. Le principe d’incertitude fait donc partie intégrante de l’évaluation et tend à être réduit par la définition de mesures, d’outils, de critères. Depuis Marcel Duchamp et l’avènement de l’art conceptuel, les artistes contemporains s’engouffrent dans l’espace indéfini, l’écart qui existe entre l’objectivité de l’évaluation et la subjectivité des critères. Ils créent ainsi leur propres critères et mesures afin de mettre à l’épreuve le spectateur, de renverser les points de vue, de garder un esprit critique sur notre monde contemporain. Composée de trois courts chapitres, « Quelques mesures d’écart » vous invite à faire un pas de côté, à regarder de biais. Après une mise à l’épreuve de votre perception et de vos connaissances (Otto Berchem, Magdalena Fragnito di Giorgio), puis la découverte d’œuvres qui décortiquent la mesure pour mieux la mettre en doute (Jean-Pierre Raynaud, Stanley Brouwn), vous effectuerez une plongée dans l’évaluation, la critique, les regards corrosifs de trois artistes sur l’art contemporain (Ben, Marcel Broodthaers, Présence Panchounette). À vous donc de vous sentir décomplexés afin d’évaluer la création contemporaine selon vos propres critères !

Du 10 mars au 18 avril

Vernissage : Lundi 10 mars à 18h30

Espace Culture / Entrée libre Œuvres de la collection du FRAC Nord-Pas de Calais

PRÉSENCE PANCHOUNETTE Collectif d’artistes créé à Bordeaux en 1969, dissous en 1990 par (notam ment) Frédéric Rou x et JeanYves Gros Les membres de ce collectif d’agitateurs-artistes actifs en Aquitaine se font remarquer avec des interventions que d’aucuns jugent néo-dada ïstes. Ils prat ique nt en effe t le détournem ent, la mis e en que stion des fonc tion nem ents économique s et sociologiques de la culture, la satire des valeurs de l’art contemp orai n et désignent nettement les produits de consommation com me conservateurs d’un goût marqué pou r le « décoratif ».

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MA DDALENA FRAGNITO DE GIORGIO 1980, Milan (Italie)

Focus sur trois artistes de l’exposition BEN 1935, Naples (Italie) Depuis la fin des années 50, Ben prat ique l’art com me une activité multiforme (concerts, publications, tableaux ou objets à écrit ure, etc.) qui s’interroge nota mm ent sur sa propre surv ie à l’âge moderne, où tout se doit d’êt re toujours beau et nouveau. Auteur en 1960 d’une théorie où il affirmait que le nouveau est touj ours fait des mêm es vieux matériaux, morceaux de puzzle qui se réunissent chaque fois autrement, Ben se distingue aussi par son esprit farceur.

Maddalena Fragnito de Giorgio est une jeune artiste, auteur de sculptures et de dessins. Elle a participé à des expositions collectives en Italie, au Japon et en Amérique du Sud. Ses sculptur es sont conçues avec un sens subtil du drame et de l’humou r, mai s aussi du mer veilleux. L’us age qu’e lle fait des obje ts, des situations ou des lieu x inhabituels évoque la démarche des surréalistes : des port es qui ouv rent sur nulle part ou alors sur le spectateur, des ballons qui émergent d’une énorme fissu re du sol, des bala nçoires qui n’ont pas l’espace pour aller en avant ou en arrière...

2009, tour de livres et ballons blancs Madda lena Fragnito de Giorgio, Taboo, Frac Nord-Pas de Calais. (c) D.R. en équilibre, 150 x 40 x 40 cm. Collect ion



Janvier, février, mars 2014

Initiatives culturelles Conférences : entrée libre dans la limite des places disponibles. * Pour ce spectacle, le nombre de places étant limité, il est nécessaire de retirer préalablement vos entrées libres à l’Espace Culture (disponibles un mois avant les manifestations).

Ag e nd a

Retrouvez le détail des manifestations sur notre site : http://culture.univ-lille1.fr ou dans notre programme trimestriel. L’ ensemble des manifestations se déroulera à l’Espace Culture de l’Université Lille 1.

Du 13 janv. au 28 fév.

Exposition « Expo numéro 41 » de Laurent Goldring Conférence et vernissage le 13 janvier à 18h30

Du 20 janv. au 14 fév.

Exposition « Take back the night » Vernissage et performance le 20 janvier à 18h30

Mardi 14 janvier

18h30

Rendez-vous d’Archimède : Cycle « Le corps » « La construction sociale du corps » par Christine Détrez Séances de courts métrages avec le Tati Roulant * 11h45 - 13h - 16h45 - 18h

Mercredi 15 janvier Mardi 21 janvier

18h30

Rendez-vous d’Archimède : Cycle « À propos de l’évaluation » « En quoi la recherche peut-elle être évaluée ? » par Pierre Joliot

Lundi 3 février

17h30

Présentation de l’ouvrage « Quel devenir pour le travail social ? » Collection Les Rendez-vous d’Archimède (Furet - Lille)

Mardi 4 février

18h30

Rendez-vous d’Archimède : Cycle « Le corps » « Le corps à corps : plaisirs et sexualités » par Yves Ferroul

Mardi 11 février

18h30

Rendez-vous d’Archimède : Cycle « À propos de l’évaluation » « L’évaluation de l’art contemporain » par Nathalie Heinich

Mercredi 12 février

18h30

Café langues avec la Maison des Langues (Lille 1)

Mercredi 12 février

19h

Du 13 au 20 février Mercredi 19 février

Restitution résidence d’artiste « The last lecture » d’Alexis Guillier * (Amphi Archimède - Bâtiment M1) Festival « 1, 2, 3 Théâtre ! » par l’association « 1, 2, 3 Théâtre ! »

19h

Concert « Méduse 1.2 » par l’OGR + Denis Streibig * (avec Muzzix)

Du 10 mars au 18 avril

Exposition « Quelques mesures d’écart » avec le FRAC NPdC Vernissage le 10 mars à 18h30

Du 11 mars au 18 avril

Exposition « La peau que j’habite » par l’association SPUL Vernissage le 11 mars à 18h

Mardi 11 mars

18h30

Rendez-vous d’Archimède : Cycle « À propos de l’évaluation » « Évaluer les politiques de la ville : les mutations urbaines et sociales sont-elles évaluables ? » par André Bruston (à l’IRA)

Mercredi 12 mars

18h30

Café langues avec la Maison des Langues (Lille 1)

Les 18 et 19 mars

Valse des livres en partenariat avec Radio Campus 18h30

Rendez-vous d’Archimède : Cycle « À propos de l’évaluation » « Évaluation au travail : les ressorts d’une fascination » par Bénédicte Vidaillet

18h

Vidéo-performance, marionnette et projection par la Cie Tantôt *

Mardi 25 mars

18h30

Rendez-vous d’Archimède : Cycle « Le corps » « Et pour vous, ce sera quelle augmentation corporelle ? » par Sylvie Allouche

Mardi 1er avril

18h30

Rendez-vous d’Archimède : Cycle « Le corps » « Le don d’organes » par Michel Castra

Mardi 18 mars Les 24, 25 et 26 mars

Espace Culture - Cité Scientifique 59655 Villeneuve d’Ascq Du lundi au jeudi de 9h30 à 18h et le vendredi de 10h à 13h45 Café : du lundi au jeudi de 9h45 à 17h45 et le vendredi de 9h45 à 13h45

Tél : 03 20 43 69 09 - Fax : 03 20 43 69 59 Mail : culture@univ-lille1.fr Site Internet : http://culture.univ-lille1.fr


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