Les Nouvelles d'Archimède 71

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l e s   n o u v e l l e s

JAN FÉV MAR

Revue culturelle de l’Université de Lille, Sciences et Technologies

# 7 1

d’A

rchimède

Conférences Les Rendez-vous d’Archimède

La carte invente le monde Expositions La carte, miroir des hommes, miroir du monde Des cartes à l’œuvre

2016

Aujourd' hui ils m'ont montré leur monde. Je n'ai vu que leur doigt sanglant. Bertolt Brecht


LNA#71 / édito

S’engager pour retrouver un rapport positif à l’avenir dans l’expérience des petites choses 1 Jean-Philippe CASSAR

Vice-président de l’Université de Lille, Sciences et Technologies, chargé de la Culture et du Patrimoine Scientifique 1 Je ne traiterai pas ici des attentats du 13 novembre 2015 qui viennent de se produire au moment où je termine cet éditorial. Je vous invite simplement à relire l’éditorial de Philippe Rollet dans le n° 69 et à étendre la compassion que vous pouvez avoir pour les victimes et leurs familles aux populations de tous les peuples en guerre qui vivent ces situations au quotidien.

À voir ou revoir sur http://lille1tv.univ-lille1.fr : Collections / Conférence de rentrée / Les voies du progrès démocratique.

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« Raison d’État et démocratie » p. 16.

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« Mieux comprendre la crise grecque » p. 18.

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« Le bon gouvernement », éd. Seuil, 2015.

Pour reprendre l’expression de Bruno Latour dans son article « Où est le pouvoir ? », Le Monde des livres, vendredi 6 novembre 2015.

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7 On pourra revisiter avec intérêt les grands courants utopistes, à la suite de la publication de « L’utopie » de Thomas More, qui ont permis de construire les bases d’une critique radicale des systèmes politiques et économiques dominants.

L’équipe Delphine POIRETTE responsable communication Edith DELBARGE chargée des éditions et communication Julien LAPASSET graphiste - webmestre Audrey BOSQUETTE assistante aux éditions Mourad SEBBAT chargé des initiatives culturelles Martine DELATTRE assistante initiatives culturelles Dominique HACHE responsable administratif Angebi ALUWANGA assistant administratif Fathéa CHERGUI secrétaire de direction Sophie BRAUN chargée du patrimoine scientifique Alicia ZASSO médiatrice patrimoine scientifique Karine JASIAK chargée d'accueil et d’information Jacques SIGNABOU régisseur technique Joëlle MAVET responsable café culture

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La conférence de rentrée de l’Université de Lille s’est tenue le 30 septembre dernier. Après son intervention sur le thème « Les voies du progrès démocratique » 2, Pierre Rosanvallon a été questionné par un vice-président étudiant de l’Université de Lille de la façon suivante : comment pourrait-on renforcer l’engagement citoyen dans l’Université de Lille et, plus particulièrement, chez les étudiants ? La réponse de Pierre Rosanvallon a invité les élus étudiants à chercher d’autres formes que la représentation pour ne pas seulement faire vivre les institutions et à être davantage des animateurs. Ainsi, l’engagement se joue dans l’articulation entre ces deux termes : animer, mettre en mouvement et représenter, agir ou parler au nom de quelqu’un. Dans ce numéro, deux articles font écho à la représentation démocratique et au rôle des exécutifs nationaux issus des modes de représentation démocratique. Alain Cambier 3 rappelle qu’un exécutif qui s’appuie sur des vérités présentées comme absolues – alors qu’elles ne sont qu’arguments d’autorité – produit une opinion publique méprisée et frustrée, qui est la porte ouverte aux dérives populistes porteuses de préjugés violents. Vincent Duwicquet 4 nous donne des clés pour « mieux comprendre la crise grecque » du point de vue des mécanismes économiques et montre ainsi comment les décisions qui ont été prises relèvent de choix dans lesquels l’impact social n’a pas été déterminant. Au niveau de l’Université de Lille, la question de la représentation va se poser dans les mois qui viennent à travers les élections des conseils des universités qui la composent. Les conseillers élus vont élire les présidents qui auront à mener la phase finale de la transition vers l’Université de Lille. L’importance croissante accordée à l’élection du président traduit l’évolution des processus électoraux qui conduit à un poids grandissant des exécutifs. D’après Pierre Rosanvallon 5, cette évolution touche tous les processus de représentation et conduit à une alternance entre emballement des promesses avant les élections et retrait désenchanté des électeurs entre les périodes électorales. Il soutient qu’une démocratie d’exercice doit contrôler l’action de l’exécutif en s’appuyant, au niveau national ou international, sur la création d’institutions spécialisées et sur l’action d’associations ou de fondations. L’animation et la mise en mouvement, dans l’activité professionnelle ou associative notamment, peuvent alors être vues comme un socle sur lequel peut se construire un engagement citoyen, préalable de cette démocratie d’exercice. Quand l’Université, par exemple, favorise le développement d’une vie associative étudiante, quand elle met l’implication de la communauté universitaire au cœur de sa politique culturelle, elle mise sur le fait que, dans les situations de responsabilité qui en découlent, se vit une expérience des mécanismes de la démocratie. Si, par exemple, dans des projets aux enjeux limités, les modalités d’élaboration progressive des décisions permettent à chacun d’être impliqué et assurent que l’intérêt collectif prime sur les intérêts individuels, cette expérience pourra nourrir par la suite une critique de l’exercice des pouvoirs qui ne conduise pas à une leçon d’impuissance 6. Par ailleurs, l’émergence d’exécutifs soucieux du parler vrai passe, sans doute, par l’attention portée dans les réunions à éviter le monologue démobilisant et à favoriser, lorsque la controverse survient, le dialogue et le respect des expressions contradictoires dans un souci de qualité de l’argumentation. Cette expérience des petites choses de la vie collective ne peut se vivre dans une position de consommation ou de délégation. Elle contribue à construire une démocratie vécue au quotidien si une attention continue est portée à la manière d’exercer chaque responsabilité. Cette exigence relève sans doute de l’utopie 7. Elle est cependant nécessaire pour redonner, sur la base d’une expérience partagée, un sens à la critique de l’exercice des pouvoirs et retrouver un rapport positif à l’avenir.


sommaire / LNA#71 Retrouvez le détail de nos manifestations dans notre programme trimestriel et sur notre site Internet : culture.univ-lille1.fr JANV > MARS 2016 / #17

espace culture

La carte invente le monde 4-5 Cartographier des frontières mobiles ? L’antiAtlas des frontières par Anne-Laure Amilhat Szary 6-7 La cartographie géologique, un voyage dans le temps par Francis Meilliez 8 De la Topographie à la Géométrie : apport des cartes dans la pensée mathématique par Patrick Popescu-Pampu 9-10 Attrape-moi si tu peux ! Une réflexion sur la cartographie des mobilités par Sébastien Oliveau Rendez-vous d’Archimède La carte invente le monde

Les Vikings et les Satellites

La carte, miroir des hommes...

Nyctalope

Des cartes à l’œuvre

Déterritorialisations du vecteur

Pôle Nord

Journées Arts & Culture

Zones de fuite

Trading Litany

Rubriques 11-13 14-15 16-17 18-19 20-21 22-23

Mémoires de sciences : Représentations du monde, théories de la lumière et des couleurs, peintres par Bernard Maitte Paradoxes par Jean-Paul Delahaye Repenser la politique : Raison d'État et démocratie par Alain Cambier Chroniques d’économie politique : Mieux comprendre la crise grecque par Vincent Duwicquet Vie de l’Université : Quelques considérations sur les collections historiques d’instruments de physique de l’Université de Lille par Paolo Brenni Jeux littéraires : Battre les cartes par Martin Granger

Au programme 24-25 26 27 28-29 30-31

Rendez-vous d’Archimède : Cycle « La carte invente le monde » Journée Cartographies participatives Résidence Artiste Rencontre Territoire Universitaire : Emmanuelle Ducrocq Exposition : La carte, miroir des hommes, miroir du monde Exposition : Des cartes à l’œuvre - œuvres de Pauline Delwaulle et de la collection du FRAC Nord-Pas de Calais

En couverture : Graphomètre à pinnules Baradelle, seconde moitié du XVIIIe siècle Cf. pp. 28-29 Exposition La carte, miroir des hommes, miroir du monde

LES NOUVELLES D’ARCHIMÈDE Directeur de la publication : Philippe ROLLET Directeur de la rédaction : Jean-Philippe CASSAR Comité de rédaction : Bertrand BOCQUET : Sciences en société Alain CAMBIER : Repenser la politique Jean-Paul DELAHAYE : Paradoxes Rémi FRANCKOWIAK : Mémoires de sciences Martin GRANGER : Jeux littéraires Bernard MAITTE : Mémoires de sciences Olivier PERRIQUET : Arts Richard SOBEL : Chroniques d’économie politique Rédaction - Réalisation : Delphine POIRETTE Edith DELBARGE Julien LAPASSET Impression : Imprimerie Delezenne ISSN : 1254 - 9185

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LNA#71 / cycle la carte invente le monde

Cartographier des frontières mobiles ? L’antiAtlas des frontières

Par Anne-Laure AMILHAT SZARY Professeure, Institut de Géographie Alpine, Université de Grenoble-Alpes (UJF) / CNRS – PACTE

En conférence le 19 janvier La frontière est née avec la carte, on a tendance à l’oublier. Elle date de l’époque moderne qui « inventa » l’idée opératoire qu’une limite entre deux puissances politiques pouvait être linéaire…, juste au moment où les techniciens d’alors mettaient au point les moyens de représenter fidèlement l’espace sur des feuilles, d’aplanir le monde avec précision. Il y a quelque chose de troublant dans cette coïncidence, qui n’est pas uniquement liée à l’histoire des sciences et à l’évolution des techniques. Cela tient au fait que l’on se représente le monde avec les moyens dont on dispose à un moment donné…, et que l’on perd souvent la mémoire de cette contrainte par la suite.

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ien sûr, la notion de frontière comporte une dimension symbolique qui traverse les périodes historiques. Même s’il est courant d’avancer que l’idée de frontière politique est née en 1648, définie par les Traités de Westphalie qui mirent fin à la guerre de Trente Ans, on en connaît de nombreuses manifestations antérieures. Que l’on pense par exemple à la violence du geste de Romulus qui tua son jumeau Rémus alors que ce dernier faisait mine de se moquer du sillon que le premier venait de tracer. Le désaccord sur le sens à donner à cette ligne imaginaire creusée dans la terre valut sa vie à un homme. L’empire qui découla de la construction de cette ville débordant, lui, totalement de cette limite initiale… L’un des grands paradoxes du fonctionnement des frontières contemporaines est bien de faire porter aux limites anciennes des significations profondément renouvelées. S’il ne s’agit pas de proclamer la caducité des frontières modernes, l’évolution récente des formes d’échanges, de communication ainsi que du rôle des États devraient nous amener à réfléchir en profondeur sur le sens que nous donnons à ce mot. Cette entreprise étant conceptuellement ardue, on peut tenter de prendre le problème à l’envers en examinant comment les représentations des limites internationales évoluent. À l’heure où les technologies bouleversent le rapport à la représentation, des explorations artistiques et scientifiques permettent en effet de mettre à jour les enjeux inédits des frontières contemporaines et, notamment, leur dissémination en amont et en aval des lignes qui les matérialisent. Cela amène les chercheurs à évoquer des frontières « mobiles », une notion que nous tenterons de définir brièvement ici, pour l’illustrer par le retour sur une expérience participative, le projet « Cartographies Traverses ». Vivre entre des frontières mobiles ? Le détour par les contes de fée peut être utile : imaginez la maison du troisième petit cochon, elle est en pierre, donc solide ; on peut s’y barricader en en fermant porte et volets, et dissuader le loup de rentrer par la cheminée en lui brûlant le derrière. Revenez maintenant chez vous : maison ou

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appartement, peu importe, une fois les ouvertures matérielles fermées, dès que vous allumez un écran, une série de signaux wifi font connaître leur présence, pour vous relier potentiellement au vaste monde ; selon leurs abonnements, les différents habitants du logis sont susceptibles d’avoir accès à des réseaux différents. La protection absolument hermétique n’existe plus. Alors qu’il est courant d’entendre opposer, dans les débats, des frontières « naturelles » à d’autres qui, l’étant moins, seraient moins légitimes, il est urgent d’établir que toutes les frontières sont artificielles : elles résultent toutes, sans exception, de négociations entre êtres humains sans préjuger du fait qu’ils aient eu à leur disposition, au moment de leur tracé d’un support topographique, montagne ou fleuve pour y faire reposer leur ligne. Il est d’autant plus important de faire comprendre qu’une frontière ne peut pas continuer à exister si on ne la fait pas vivre. Autrement dit, une frontière, c’est un processus plutôt qu’un fait ponctuel. Dans le lieu qui sépare et réunit tout à la fois, sur lequel on a fait passer cette délimitation, coexistent simultanément des dynamiques qui ferment et ouvrent la frontière. On observe cela même sur la barrière la plus close du monde, la ligne de démarcation entre les deux Corées, où la circulation se fait autour de la zone économique spéciale, partagée, de Kaesong. Il ne s’agit plus d’observer le possible mouvement du tracé des frontières sur le temps long. On cherche dès lors à capter combien et comment les fonctions de régulation et de contrôle, dévolues aux frontières, disséminent sur tout le territoire, à commencer par les nœuds de communication que sont les aéroports et les gares. Les frontières, aujourd’hui, sont devenues les lieux de triage des flux de la globalisation, elles interconnectent des réseaux. Pour ce faire, elles sont devenues « mobiles », et nous traversent autant que nous les traversons. Le collectif art-sciences « antiAtlas des frontières » « L’histoire de la représentation des frontières est celle d’une réitération constante de la confrontation entre, d’un côté, des représentations statiques et réglées avec, de l’autre, la


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fluidité de l’expérience sociale. » Cette phrase est l’une des phrases-clés du Manifeste de l’antiAtlas des frontières 1, un collectif né du désir d’explorer les contradictions entre les évolutions des frontières contemporaines et la façon traditionnelle dont on continue le plus souvent à les représenter. « Nous ne sommes pas contre les cartes comme production scientifique et comme outil de connaissance, mais contre l’idée qu’une compilation systématique de cartes, agrémentée de commentaires, pourrait produire une connaissance suffisante des frontières. (…) L’atlas produit une synthèse statique et réglée, l’antiAtlas une analyse dynamique et critique. »

Au printemps 2013, des personnes en situation de demande d’asile et vivant à Grenoble ont accepté de participer à des ateliers de cartographie organisés par deux géographes, Sarah Mekdjian et moi-même, aidées de quatre artistes (un photographe, une plasticienne et deux artistes sonores). L’idée était de travailler ensemble sur leurs itinéraires migratoires sans avoir recours aux méthodes traditionnelles d’identification des schémas de mobilité. Il fallait aller audelà des lignes : éviter de simplifier leurs parcours par une flèche reliant un point A à un point B, comme de figurer la frontière par un tracé linéaire qui ne rendait pas du tout compte de leurs difficultés à la traverser. Pour ce faire, nous avons cherché à éviter la situation d’entretien, trop proche de celle dans laquelle ils se retrouvaient dans le cours de la procédure normale de la demande d’asile, qui exige du requérant qu’il fasse le récit linéaire de son exode. Il a donc fallu réinventer, ensemble, un langage permettant d’exprimer ce qui s’était joué dans cette expérience spatiale complexe.

Ce constat a amené un groupe de chercheurs, d’artistes, d’experts de la frontière (douaniers ou militaires, mais aussi migrants) à travailler ensemble sur le renouveau de l’expression visuelle des frontières. L’originalité de leur travail est d’avoir mis l’accent sur la composante technologique des limites contemporaines et de leur représentation. On Cela s’est traduit par la réane produit pas une image de lisation de dessins sur papier la même façon selon qu’on et sur tissu, ainsi que par la dessine ou qu’on agence celle de deux œuvres sole s pi xels. De la même nores. Dans ce travail, les manière, notre rapport à chercheuses et les artistes cette visualisation dépend professionnels ont joué les beaucoup de son potentiel médiateurs : on voit ce « performatif », c’est-à-dire geste dans la préparation sa capacité à mettre en jeu des toiles qui doivent être l’interaction avec celui qui lissées par le fer à repasser regarde l’image ou l’œuvre. avant d’être exposées… Les C’est ainsi que les travaux migrants ont eux acquis le de l’antiAtlas ont conduit Cartographies Traverses au Festival International de Géographie de St Dié des Vosges, 2014 © A.-L. Amilhat-Szary statut d’artistes, confirmé ses membres à explorer des par la réception de leurs conditions d’expérimentation de formes inédites de représenœuvres dans de nombreuses expositions. tation des frontières. « Conçu au départ comme un projet L’innovation permise par le pas de côté indiscipliné de de recherche exploratoire, l’antiAtlas est devenu une expéril’expérience art-sciences n’est certes pas reproductible à 2 mentation dans le sens artistique du terme. » l’infini. Il n’y existe certainement pas de façon universelle de cartographier les frontières mobiles… Le défi, cepen« Cartographies traverses », un projet pour partager dant, demeure de poser ensemble la question de l’impact les frontières mobiles ? sur nos vies de frontières qui ne sont plus des lignes. « Ceci est-il une carte ? Il s’agit d’abord d’un dessin, celui d’un itinéraire migratoire qui relie l’Afghanistan à la France, ponctué de noms de lieux et de formes géométriques de couleur. De la carte, cette illustration partage en partie le point de vue, l’approche zénithale, cette vue d’en haut dominante qui permet d’embrasser d’un seul coup d’œil des lieux que des distances séparent. Pourtant, derrière cette familiarité apparente, des anomalies surgissent. » 3

http://www.antiatlas.net/vers-un-anti-atlas-des-frontieres/

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Références - « Les frontières vues du sol et du ciel : navigation dans un itinéraire migratoire », A.-L. Amilhat Szary & Sarah Mekdjian, Géoconfluences [en ligne], Carte à la une, février 2015, http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/ carte-a-la-une/carte-a-la-une-les-frontieres-vues-du-sol-et-du-ciel - « Cartographies traverses, des espaces où l’on ne finit jamais d’arriver », S. Mekdjian & A.-L. Amilhat Szary, Visions Carto [en ligne], 27 février 2015, http://visionscarto.net/cartographies-traverses - Qu’est ce qu’une frontière aujourd’ hui ?, Anne-Laure Amilhat-Szary, Paris, éd. PUF, Hors collection, 142 p.

ibid.

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Amilhat Szary & Mekdjian, 2015.

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La cartographie géologique, un voyage dans le temps Par Francis MEILLIEZ Président de la Société Géologique du Nord

En conférence le 2 février Prenez une image d’un film et observez-la. Faites courir votre imagination à partir du moindre détail, bridée par une conscience précise des incohérences vers lesquelles elle vous porte. Puis reconstituez toute la séquence antérieure, enfin racontez la suite du film. Ainsi se résume la démarche du géologue cartographe. Cartographier suppose quatre étapes : accéder à la donnée, l’identifier et en décrire les valeurs qualitatives et quantitatives, l’insérer dans un ensemble cohérent quadridimensionnel, la faire vivre dans ce contexte restitué jusqu’au désaccord. Accéder à la donnée Faire face à une observation ne suffit pas à en faire une donnée. Il faut lui attribuer une signification. Le géologue cartographe, avec endurance et sagacité, muni d’une bonne paire de chaussures, d’un carnet et d’un fond topographique, traque la donnée appelée affleurement. Une roche ainsi exposée à l’air libre se transforme par interactions entre lithosphère, atmosphère, hydrosphère et biosphère. Pour le géologue cartographe, le sol qui en résulte est une couverture gênant l’observation directe de la donnée recherchée, laquelle représente sur la carte le matériau constitutif du sous-sol. Les mines et carrières 1 sont un accès précieux pour le cartographe qui y observe, en trois dimensions, des objets géologiques de taille plurimétrique, clés nécessaires à la compréhension de la structure à l’échelle régionale. Là où l’objet étudié n’est pas visible, des forages tentent de l’atteindre. L’accès à la donnée est direct, mais aléatoire et coûteux. La première carte géologique sous-marine au monde a été obtenue de cette façon dès 1877 2 (fig. p. 7). Le bassin houiller du Nord-Pas de Calais, seul gisement de cette taille en Europe à être entièrement souterrain, a été reconnu à la fois par des forages et à l’avancement depuis 1723. Le géologue cartographe accède à la donnée directe dans une épaisseur de terrains d’ordre kilométrique. Rapporté au rayon terrestre (6378 km), il explore la pelure de l’orange mais ne goûte pas au fruit. Identifier la donnée et en décrire les valeurs Devant l’affleurement, le géologue expérimenté évite de détruire une information ; pour repérer la structure de l’affleurement, il la dessine. Cette étape est essentielle : les roches sont-elles massives ou litées ? Le litage est-il plan ?

Plissé ? Y a-t-il d’autres observations particulières (fossiles, structures diverses) ? Dessiner oblige à observer l’ensemble pour y placer le détail. Il faut discipliner son crayon, dessiner juste ce que l’on voit. Exercice très exigeant, mais combien fructueux s’il est maîtrisé. Le dessin permet aussi de localiser les sites d’identification des matériaux et les prélèvements de toutes sortes (échantillons, fossiles, photos, mesures). Le travail d’analyse se poursuivra au laboratoire, en lames minces 3 et par diverses analyses minéralogiques et géochimiques. Les techniques analytiques sont devenues lourdes. Leur coût élevé peut donner l’illusion d’améliorer la portée de la recherche. Mais, si le positionnement de l’échantillon dans son gisement est défectueux, le résultat perd sa signification. L’ivresse de l’analyse est aussi un danger scientifique. Enfin, les techniques de positionnement dans l’espace évoluent très vite aujourd’hui. Le fond topographique de base 4 est complété par divers outils sur base d’images satellitaires. La technologie du GPS 5 est un heureux complément pour ceux qui savent lire une carte, une calamité pour les autres. Le carnet de terrain est l’objet le plus précieux du cartographe géologue. C’est l’équivalent du cahier de laboratoire du « chercheur à la paillasse ». Même si leur lecture est difficile, les carnets déposés aux Archives témoignent d’observations que l’on peut rarement renouveler. Irremplaçable, le carnet fait partie du géopatrimoine à préserver dans le cadre d’une politique de culture scientifique ambitieuse. Insérer la donnée dans un ensemble cohérent quadridimensionnel Reprenant la métaphore du film, nous venons d’analyser le mieux possible le contenu d’une seule image. Les corps géologiques, différenciés par leur nature, leur géométrie, Sous une épaisseur de 30 microns, la plupart des minéraux peuvent être étudiés par transparence au microscope optique. La lumière polarisée qui les traverse produit des interférences caractéristiques de l’espèce minérale et de l’orientation de sa section par rapport au système cristallin.

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1 La distinction entre mines et carrières est juridique ; elle dépend de la substance exploitée (Code Minier : Art. L100-1 et L111-1 ; http://www.legifrance.gouv.fr).

F. Meilliez, F. Amédro & T. Oudoire, Les peintures murales de l’Institut des sciences naturelles à Lille : un patrimoine géologique à préserver, Annales Soc. Géol. Nord, Mém. XVII, Lille, 2014, p. 139-150.

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Édité par l’Institut Géographique National.

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GPS = Global Positionning System.

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leur âge, doivent maintenant « parler », témoigner des événements qui les ont juxtaposés en un site donné ; il faut les placer en perspective historique. Une carrière exceptionnelle, près de Bavay, montre très bien 6 que le sous-sol régional est constitué d’une série de strates à peu près horizontales, couvrant d’autres strates, plus anciennes et déformées. La série supérieure, appelée par les mineurs morts-terrains, parce qu’elle ne contient pas de charbon, couvre toute la région. Les falaises du littoral en exposent quelques couches. Majoritairement d’origine marine, ces strates se sont déposées sur un paysage issu de l’érosion d’une importante chaîne de montagnes, dont la construction s’est achevée il y a moins de 300 millions d’années. Les reliefs résultent de l’affrontement de plaques tectoniques qui se déplacent lentement à la surface du globe 7. En Avesnois, la Sambre et ses affluents ont plus ou moins dégagé les mortsterrains et atteint les terrains déformés sous-jacents, visibles en carrière. En Ardenne, la Meuse, le Rhin et leurs affluents ont fait de même, mais plus profondément. Les strates anciennes, plissées et faillées, sont observées à l’affleurement (échelle métrique) et représentées sur la carte géologique (échelle pluri-kilométrique). La structure observée près de Bavay est semblable à celle cartographiée entre Fumay et Givet. Les sondages réalisés à l’aplomb du bassin houiller ont démontré qu’il jalonne toute la bordure septentrionale de la chaîne de montagnes évoquée précédemment, du sud des Iles Britanniques à la Pologne. La cartographie étaye l’idée que les terrains du Massif ardennais se prolongent sous la région Nord-Pas de Calais. Faire vivre la donnée dans un contexte restitué À ce stade du raisonnement, l’expérimentateur conçoit un protocole pour tester son hypothèse et reproduire le processus étudié. Ce n’est pas transposable en géologie à cause de la dimension temps. Sauf à réduire l’échelle spatio-temporelle en jouant sur la viscosité des matériaux. La modélisation analogique de chaînes de montagnes, avec du sable très fin pour simuler la croûte terrestre rigide (100 km d’épaisseur), et du miel pour le manteau supérieur plastique (jusqu’à 700 km de profondeur), a été un exemple très médiatisé dans les années 1980 8. La modélisation numérique requiert des moyens de calcul puissants, utilisés en mécanique des roches pour la construction de grands ouvrages. Les calculs restent contraints par des 6 F. Robaszynski & G. Guyetant, Des roches aux paysages, Société Géologique du Nord et Conservatoire des Sites naturels du Nord et du Pas de Calais, 2012, 152 p.

Carte géologique sous-marine (la première au monde) du détroit du Pas de Calais, réalisée par prélèvement de plus de 2 500 échantillons par Potier et de Lapparent en 1875 et 1876. Cette peinture (détail) entre dans un ensemble plus vaste qui orne les murs de la cage d’escalier de l’ancien Institut de Géologie (Faculté des Sciences de Lille, 23 rue Gosselet). Photographie mise à disposition de la Société Géologique du Nord par le service photographique de la Ville de Lille.

hypothèses simplificatrices. Les phénomènes de vieillissement, les interactions avec l’eau, l’intervention de phénomènes externes au modèle sur la durée à modéliser, tout cela reste hors d’atteinte et fait l’objet de recherches persévérantes. Sur le terrain, le géologue qui observe très soigneusement ses affleurements y trouve, dans la masse des blocs rocheux et/ou sur leurs surfaces, des figures témoins de phénomènes subis au cours des temps géologiques : glissement, échauffement, circulation de fluides, écrasement, etc. Ces marques sont précieuses pour jalonner l’évolution subie par le matériau, depuis sa formation jusqu’à son exhumation. Au-delà du travail de cartographie, le chercheur y trouve des arguments supplémentaires pour proposer sa reconstitution. Mais ceci est une autre histoire… La cartographie s’affiche en numérique, mais ne peut s’abstraire du terrain Aujourd’hui, l’acquisition de données sur le terrain par un géologue cartographe est relativement peu coûteuse. En France, elle a utilisé des fonds topographiques d’abord en hachures, à l’échelle 1 :80 000, puis en courbes de niveau, à l’échelle 1 :50 000. Aujourd’hui, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) coordonne ces travaux en généralisant l’usage des technologies numériques. Toute entaille ouverte dans le sous-sol est l’occasion d’enrichir la connaissance. Pour cela, les programmes universitaires doivent développer conjointement la formation à la cartographie sur le terrain et aux traitements géomatiques (systèmes d’information géographique).

7 L’ordre de grandeur de la vitesse de déplacement des plaques tectoniques est de 10 à 100 mm/an, c’est-à-dire la vitesse de croissance des ongles pour les plus lentes.

Laboratoire de Peter Cobbold, à Rennes.

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De la Topographie à la Géométrie : apport des cartes dans la pensée mathématique Par Patrick POPESCU-PAMPU Professeur à l’Université de Lille, Sciences et Technologies, Laboratoire Paul Painlevé

En conférence le 23 février Les cartes topographiques représentent dans le plan, que ce soit celui d’une feuille de papier ou bien celui d’un écran, le relief d’une portion de la Terre. D’autres informations y sont ajoutées d’habitude : des noms de lieux, des tracés de routes et de cours d’eau, des indications de zones bâties et de monuments, etc. Nous négligerons ces aspects pour nous concentrer uniquement sur la représentation de l’altitude. Deux moyens principaux sont utilisés pour cela, séparément ou combinés : un dégradé de couleurs ou la représentation de courbes de niveau. C’est cette deuxième méthode qui a le plus inspiré les mathématiciens.

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a structure du partage d’une portion du plan en courbes de niveau a d’abord été analysée par Arthur Cayley en 1859, dans un article intitulé « On contour and slope lines ». Il s’y intéressa aux formes possibles des courbes de niveau d’un paysage idéalisé mathématiquement, et à la manière de déterminer l’écoulement de l’eau à partir de celles-ci, le long des « lignes de plus grande pente ». Il montra l’importance de certains points spéciaux, singuliers, qu’il baptisa « sommets », « nœuds » et « immets », lorsque l’on veut comprendre la structure qualitative du paysage représenté. Il attira par exemple l’attention sur le fait que les « lignes de partage des eaux » sont les lignes de plus grande pente qui passent par les nœuds. Plus généralement, on peut analyser la structure des courbes de niveau d’une fonction hauteur variant de manière suffisamment douce, définie sur une surface quelconque et y modélisant un paysage collinaire. C’est par exemple de cette manière que, peu après Cayley, August Ferdinand Möbius classifia d’un point de vue qualitatif les formes possibles des surfaces refermées sur elles-mêmes de l’espace euclidien. En 1905, Henri Poincaré étendit cette démarche à l’étude de la structure qualitative (ou topologique, comme disent de nos jours les mathématiciens) des espaces abstraits de dimension trois. Il montra que cela fournissait une méthode pour calculer les « nombres de trous » de ces espaces, des caractères de leur forme au sens topologique, qu’il avait définis une décennie plus tôt en précisant des intuitions de Bernhard Riemann et Enrico Betti. Dans les années 1920, Marston Morse poussa cette analyse aux espaces de dimension quelconque, finie ou infinie. Ces derniers ne sont pas de pures curiosités pour mathématiciens, mais ils apparaissent très naturellement en géométrie. Par exemple, l’espace des courbes fermées tracées sur une surface est de dimension infinie. Morse s’intéressait précisément à de tels espaces de courbes afin de montrer entre autres que, pour toute structure géométrique de la surface, on pouvait y trouver des « géodésiques » – généralisations des droites du plan euclidien, vues comme plus courts chemins entre deux de leurs points – qui soient fermées.

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C’est Poincaré qui avait mis en évidence, dès 1905, l’importance de l’étude de ce problème d’existence des géodésiques fermées sur les surfaces, comme prototype de problèmes beaucoup plus difficiles de mécanique céleste. Morse prouva que la structure topologique d’un espace imposait des contraintes sur le nombre de points singuliers de toute carte topographique représentant des formes de relief sur cet espace. Plus précisément, il montra que l’on pouvait partager les points singuliers en types, généralisant la trichotomie sommets/nœuds/immets de Cayley, et il prouva des inégalités entre les nombres de points singuliers de type donné et les nombres de trous définis par Poincaré. Ces inégalités devinrent l’un des outils centraux de l’étude des géodésiques sur les espaces de dimension quelconque. Tout au long du XXème siècle, la théorie « topographique » générale bâtie par Morse fut, sous une variante ou une autre, un outil fondamental de l’analyse de la structure topologique des espaces de dimension quelconque. Elle a sûrement encore de beaux jours devant elle car, comme l’a si bien dit en 1988 l’un de ses grands utilisateurs, Raoul Bott, elle est « indomptable ».

Elevation map of Paris' valleys and highest buttes par ThePromenader [CC BY-SA 4.0], via Wikimedia Commons


cycle la carte invente le monde / LNA#71

Attrape-moi si tu peux ! Une réflexion sur la cartographie des mobilités Par Sébastien OLIVEAU Maître de conférences en géographie, Université d’Aix-Marseille

En conférence le 15 mars a dernière décennie a été marquée par un formidable développement de la disponibilité des données géographiques. La production de données géolocalisées a littéralement explosé avec la diffusion large des GPS couplés avec des logiciels de traçage, disponibles via des interfaces faciles d’utilisation (que l’on pense seulement à nos smartphones). Dans le même temps, les individus produisent volontairement (ou pas) de plus en plus d’informations et les institutions rendent publiques les fichiers qu’elles constituent. Enfin, l’essor des interfaces en ligne a permis un accès encore plus large et les logiciels de traitement, aussi bien statistiques que cartographiques et plus largement de visualisation, se sont largement démocratisés, tant d’un point de vue économique (avec le développement des logiciels libres) que d’un point de vue technique (avec des interfaces « user friendly »). Ainsi, donc, il n’a jamais été aussi facile de produire des cartes et, par conséquent, il n’y a jamais eu autant de cartes en circulation. La géographie et la cartographie sont omniprésentes dans la vie des populations aujourd’hui.

fiques. Les lignes expriment bien cette idée, puisqu’elles partent d’un point pour arriver à un autre en suivant dans l’espace un trajet. Elles peuvent en outre être complétées par des flèches pour signifier le sens du mouvement, ou varier d’épaisseur pour marquer le volume des flux.

Source : British Museum. Reproduction à cette adresse : http://www.math.yorku.ca/SCS/Gallery/images/harness-flow.gif

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Il reste néanmoins un secteur de la cartographie qui continue de poser quelques problèmes, celui des mobilités. En effet, si l’on maîtrise très bien la cartographie de données de toute nature (aussi bien qualitative que quantitative), la question de la représentation des mouvements n’est pas aussi simple d’abord. Aux questionnements habituels de la représentation graphique (qu’est-ce que je souhaite montrer ? À qui ? Quelles sont les règles pour le faire ? etc.) s’ajoutent quelques spécificités liées au thème abordé. Les mobilités peuvent en effet être envisagées sous au moins trois angles qui rendent leur représentation délicate. Les mobilités, au sens géographique, expriment le déplacement d’individus, d’objets, d’informations dans l’espace. Elles marquent l’éloignement à un lieu d’origine, qui peut s’achever au lieu de départ ou dans un autre lieu. Cela pose deux problèmes importants pour la carte, objet de représentations traditionnellement figées et, par conséquent, peu adaptées au mouvement. On distinguera donc le problème lié à l’ubiquité du phénomène observé du problème lié à sa durée. Ce que l’on nomme ubiquité est la caractéristique du mouvement qui fait qu’un seul phénomène (une mobilité observée) comporte une ou plusieurs localisations : a minima une origine et une destination, parfois des étapes, voire un itinéraire complet. Les cartographes ont d’abord cherché à imprimer cette dynamique de déplacement à travers des figurés spéci-

La carte de H.D. Harness serait, d’après Arthur H. Robinson 1, la plus ancienne carte de flux connue. Ce type de représentation, certes efficace, a plusieurs limites. Par exemple, elle n’autorise pas un grand nombre de flux. Plus important : elle ne donne pas d’idée de la temporalité des flux représentés. En effet, et c’est important, le mouve Arthur H. Robinson, 1955, « The 1837 Maps of Henry Drury Harness », The Geographical Journal, 121, 440-450.

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LNA#71 / cycle la carte invente le monde

ment dans l’espace implique par construction une durée et une fréquence. Durée et fréquence constituent donc deux nouvelles dimensions à intégrer aux dimensions spatiales de la carte. La carte doit donc être adaptée à ces contraintes, mais la durée implique un ordre (il y a un avant et un après), qui ne doit pas être une hiérarchie (l’avant n’a pas plus ou moins de valeur que l’après). Quant à la fréquence, elle représente une information supplémentaire à intégrer, qui vient s’ajouter à la durée, au sens et éventuellement au volume du mouvement.

l’impression du mouvement, mais le cerveau ne peut en retenir le détail et le lecteur ne peut retourner sur chacune pour en apprécier la richesse. Néanmoins, ces techniques procurent un apport important à la visualisation, et donc à la compréhension des mobilités.

Extrait d’une carte animée des mobilités en transport public à Londres par Joan Serras. (http://simulacra.blogs.casa.ucl.ac.uk/2011/03/visualising-public-transport-networks/)

Parkes (D.N.), Thrift (N.J.), 1980, Times, spaces and places. A chronogeographic perspective, New York, John Wiley.

Au milieu du XXème siècle, T. Hägerstrand 2 a proposé de représenter la carte en 3 dimensions et d’y figurer le temps (ce que l’on a retenu sous le terme d’aquarium). Plus encore que sur une carte des flux, les limites de ce type de représentation apparaissent avec évidence. La lecture est compliquée par la perspective, qui atténue notre capacité à discerner les distances parcourues. D’autre part, on envisage que l’augmentation du nombre de mobilités représentées rend vite cette carte illisible. Le développement de l’informatique et les possibilités de visualisation qu’elle offre a permis de passer outre ces contraintes. La plus grande innovation est, de ce point de vue, la possibilité d’animer les cartes. Sortir la carte de sa fixité a permis de changer les représentations. La cartographie dynamique autorise l’intégration du temps (sous forme de durée). Mais, à bien y réfléchir, il s’agit non pas d’une carte animée, mais de nombreuses cartes dont la visualisation se succède. Les cartes dynamiques laissent dans l’œil T. Hägerstraand, « What about people in regional science ? », Papers in Regional Science, 1970, 24: 7–24. doi: 10.1111/j.1435-5597.1970.tb01464.x.

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Les difficultés de représentations que nous venons d’exposer, dont on peut dire qu’elles recoupent des questions de forme et de fond, ne doivent pas non plus masquer la qualité des données elles-mêmes. Nous l’avons souligné en introduction, il y a aujourd’hui pléthore d’informations géolocalisées. Se pose alors la question de leur traitement : le domaine des « big data » est un nouveau domaine à investir. On sait cependant déjà que les données fournies sont de qualités variables. L’information « volontaire » des usagers est partielle, les bases de données des institutions sont parfois datées, mal documentées et/ou souffrent d’un manque d’harmonisation. Bibliographie indicative : - J.P. Antoni, O. Klein, S. Moisy, « La discrétisation temporelle. Une méthode de structuration des données pour la cartographie dynamique », Cartes & géomatique, Comité français de cartographie, 2012, pp. 27-31, https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00736467/document. - F. Audard, S. Carpentier, S. Oliveau, « Les ‘big data’ sont-elles l’avenir de la géographie (théorique et quantitative) ? », 20ème colloque Géopoint, 12-13 juin 2014, http://www.groupe-dupont.org/ColloqueGeopoint/ Geopoint14/Documents/GP14_PropositionsDebat_Web/GP14-A21-Audard-Carpentier-Oliveau.pdf. - O. Klein, Modélisation et représentations spatio-temporelles des déplacements quotidiens urbains. Application à l’Aire Urbaine Belfort-Montbéliard, Thèse de l’Université de Strasbourg, 2007, 266 p., http://scd-theses.ustrasbg.fr/1387/01/KLEIN_Olivier_2007.pdf.


Mémoires de sciences / LNA#71

Représentations du monde, théories de la lumière et des couleurs, peintres Par Bernard MAITTE Professeur émérite à l’Université de Lille, Sciences et Technologies Les rapports entre les théories de la lumière et des couleurs et les Arts sont trop souvent passés sous silence. Pourtant, à divers moments cruciaux de leurs histoires respectives, les interférences entre ces champs furent décisives pour l’évolution ultérieure de la physique et de l’art. Les premières théories des couleurs Tous les peintres et teinturiers le savent depuis la Préhistoire : pour obtenir des couleurs, il faut mélanger à un substrat des pigments ou des colorants, substances tinctoriales issues de végétaux, d’animaux ou de minéraux. Des observations courantes montrent qu’un objet coloré présente des teintes variables selon qu’il est vu à l’aube, au crépuscule, en plein soleil ou à l’ombre. Le blanc est obtenu par purification. C’est en s’appuyant sur ces savoirs techniques et ces observations qu’Aristote (384-322) élabore sa théorie de la vision 1. Cette sensation se distingue des autres sens en ce qu’elle permet de voir les couleurs. Pour lui, le blanc est pureté, toutes les couleurs sont des mélanges ; le noir mélange maximum. Pour expliquer les différences des teintes observées selon la luminosité, Aristote a recours à l’ensemble de sa philosophie : le monde est constitué de deux régions cosmiques sphériques ; au centre, celle de la Terre et des quatre éléments (terre, eau, air et feu) ; autour, celle du Ciel, emplie du cinquième élément, l’éther. Le Ciel, en rotation circulaire uniforme, entraîne les astres ; il est en contact avec la sphère du feu. Par frottement, une partie de l’éther pénètre dans notre monde et emplit les corps. On l’appelle alors le diaphane. Quand il n’y a ni regard ni lumière, celui-ci est en puissance : c’est le noir, l’absence de visibilité. Quand la lumière et le regard sont présents, le diaphane passe immédiatement en acte, donne différentes couleurs, selon l’illumination subie et les parties de feu et de terre présentes dans les corps, tous mixtes. Les couleurs sont des qualités ; on peut obtenir une même nuance par divers moyens (colorants, luminosité, mise en acte…) : on ne saurait donc définir une échelle chromatique. La lumière n’est pas visible en soi, elle est la condition de visibilité des couleurs. Cette théorie, tirée des observations courantes et des savoirs techniques, explique parfaitement la vision colorée ; elle va subsister, avec plus ou moins de variantes, pendant plus de deux mille ans. Pendant tout le Moyen-Âge, outre cette concordance, les intellectuels essaient de concilier Foi et Raison ; ils adoptent

la structure du monde aristotélicienne, empruntée à Empédocle et à Platon, et la mettent en concordance avec l’Écriture : le Ciel est le domaine de Dieu. Sculpteurs, verriers et peintres représentent cette division du monde en deux régions : ils placent sur les tympans les images de Dieu, des Anges et des Saints, disposés en des positions qui, à la fois, respectent la hiérarchie biblique et permettent d’appliquer l’art de la mémoire ; l’Enfer, fournaise centrale, est situé en bas ; nous sommes dans l’entre-deux. Une harmonie théorique règne entre peintres et philosophes. Le Quattrocento et l’unification du monde Après que Giotto a unifié l’espace dans ses représentations des scènes des vies du Christ (Padoue, 1306) et de Saint François (Florence, 1318), les « perspectivistes » du quattrocento italien ne vont plus distinguer les deux régions cosmiques qui structuraient la pensée depuis l’Antiquité. À Florence, dans leurs tableaux, Brunelleschi 2 (1425) et Masaccio 3 (1425) représentent un espace homogène et unifié. Jan Van Eck fait de même en Flandres (1427) 4. Bientôt, Alberti théorise cette innovation dans son De pictura 5, où il établit les lois de la perspective. Piero della Francesca va plus loin dans son De prospectiva pigendi (1476) 6 : il y introduit la projection cotée. À la suite de Ficin (1476) 7, les artistes vont aussi donner au Soleil une place insigne et développer une mythologie solaire. Dans cette Haute Renaissance, où le jeu des possibles est décliné par artistes et philosophes pour contester l’aristotélisme ambiant, la philosophie pythagoricienne, qui place le feu au centre du monde, est revisitée. Aristarque de Samos avait construit (-280) un système plaçant le Soleil au centre du monde : un Dans la Tavoletta, panneau perdu.

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Dans la Trinité, Santa Maria Novella, Florence.

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Dans l’Agneau Mystique, cathédrale St Bavon, Gand.

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L. B. Alberti, De Pictura (1435) / De la Peinture, trad. J.L. Schefer, Paris, éd. Macula, 1992.

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P. Della Francesca, De la perspective en peinture, trad. et annot. J.P. Le Goff, Paris, In Media Res, 1998.

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Aristote, De l’ âme, trad. J. Tricot, Paris, éd. Vrin, 1992.

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M. Ficin, Quid sit Lumen, trad. B. Schefer, Paris, éd. Allia, 1998.

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LNA#71 / Mémoires de sciences

astronome vivant alors en Italie s’en imprègne ; il fréquente aussi les perspectivistes et adopte leur vision du monde unifié, apprend le grec pour effectuer la traduction d’Héraclite du Pont, qui avait donné à la Terre une rotation propre. Son nom : Nicolas Copernic. Rentré dans sa Warmie natale, il publie le Commentariolus 8 (1512), puis son œuvre majeure, le De Revolutionibus (1543), qui unifient le monde et placent en son centre le Soleil. La Terre devient une poussière dans l’espace, basculement majeur qui amènera, après d’intenses luttes et polémiques, un renouvellement complet de la physique et le rejet définitif, par Kepler 9 (1604) et Galilée 10 (1632), de toute théorie faisant de la lumière une qualité. Les peintres ont initié ce renversement, Galilée en est l’artisan majeur, lui qui peut effectuer et interpréter ses observations grâce à son immense culture, dont font partie les sciences, les techniques, la musique, la peinture, la littérature, la poésie de son époque. Newton et le bouleversement du statut des couleurs En 1666, âgé de 24 ans, Isaac Newton s’amuse à reproduire, dans une salle obscure, les célèbres expériences de dispersion

H. Hugonnard-Roche et alt., Introductions à l’astronomie de Copernic, Paris, éd. Blanchard, 1975.

Polyptyque de l’Agneau Mystique, Cathédrale Saint-Bavon, Gand Dimensions : 3,75 x 5,20 m Ce polyptyque a été réalisé, entre 1424 et 1432, par Hubert et Jan Van Eyck. La partie supérieure, conçue par Hubert, est caractéristique de l’art médiéval : Dieu, les Saints, les Anges, Adam et Eve sont dans la Région cosmique du Ciel, placés selon la hiérarchie des valeurs. Le bas a été réalisé par le seul Jan, après la mort de son frère (1426). Elle montre la naissance de la perspective dans les Flandres : le monde est unifié, ordonné selon des lois géométriques. Le personnage le plus important, l’agneau, symbolisant le sacrifice du Christ, est placé au point de fuite situé devant l’œil du spectateur, destinataire de l’œuvre. La lumière qui baigne le tableau est naturelle : elle vient de l’avant et de la droite, semblant passer par une petite ouverture pratiquée dans le vitrail de la fenêtre de la chapelle dans laquelle était disposée l’œuvre. La présentation actuelle (mise en place en 1986) ne permet plus de lire cette volonté de l’artiste..., si il n’y avait que cela à reprocher à cette mise en scène ignare !

des couleurs par un prisme que tous les philosophes de la nature, de Ibn al-Haytham 11 (1020) à Descartes 12 (1637), ont effectuées. Il prend d’abord un plaisir intense à admirer les très belles teintes peintes sur le mur de la chambre de sa grand-mère et qui ont traversé la pièce comme un fantôme : c’est un spectre lumineux qu’il observe 13. Les conditions dans lesquelles il se place, la multiplication des expériences,

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J. Kepler, Ad Vitellionem Paralipomena, Francfort, 1604.

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G. Galilei, Dialogue sur les deux grands systèmes du monde, trad. R. Fréreux, Paris, éd. du Seuil, 1992.

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Ibn al-Haytham, Optics, trad. A.I. Sabra, Londres, 1989.

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12 R. Descartes, Discours de la méthode et Essais, in Œuvres, publiées par C. Adam et P. Tannery, t. VI, Paris, éd. Vrin, 1956.

I. Newton, Carnet de notes, présenté par A.R. Hall, Annals of Science, 111, 1995.

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Mémoires de sciences / LNA#71 un peu de chance nourrissant un esprit de synthèse hors pair, l’amènent à mesurer que les cinq teintes qu’il observe après le prisme ne sont plus dispersées par un second : il existe un degré de réfrangibilité propre à ces couleurs, qui sont donc, du point de vue de la physique, « pures ». Par contre, leur superposition donne du blanc. Celui-ci est donc mélange. Couleurs pouvant être pures, blanc composé : voici des conclusions qui renversent deux mille ans de théories des couleurs. On devine que ce bouleversement n’est pas adopté par les physiciens sans débats, d’autant que Newton appuie ses déductions sur une théorie corpusculaire de la lumière, à une époque où ses concurrents (Hooke) essaient de les expliquer par une théorie ondulatoire. Quant aux peintres, ils savent qu’il faut mélanger substrat et pigments pour obtenir des couleurs. C’est en s’appuyant sur leurs savoirs et parce qu’il est séduit par les couleurs des paysages italiens que Goethe 14 (1808) rejette, lui aussi, les conclusions de Newton, qui, dit-il, a eu le tort de s’être placé dans le noir pour observer des couleurs, alors que celles-ci vivent en pleine clarté. Une lutte intense oppose entre eux, pendant plus d’un siècle, les physiciens. Quand ceux-ci adoptent enfin des conclusions pratiques de Newton (caractère composé du blanc, homogénéité de certaines couleurs), non forcément sa théorie de la lumière, une incompréhension totale demeure entre peintres et physiciens. Pour la lever, il faudra que Young 15 (1802), puis Maxwell 16 (1855-72) et Helmholtz 17 (1867) s’intéressent à la vision. Les premiers postulant la vision trichromique de l’œil, le dernier, la démontrant par l’examen de la structure de la rétine et y distinguant trois types de cellules en cônes, qui provoquent la vision des couleurs, et un type de cellules en bâtonnets, sensibles à la luminosité. Peintres et physiciens vont pouvoir préciser leurs positions : les mélanges de couleurs par absorption provoquent la synthèse soustractive, qui rend compte des mélanges de peintures ; la superposition de lumières monochromatiques donne, par synthèse additive, les teintes obtenues par Newton. Les positions des physiciens, physiologistes et artistes se sont fécondées mutuellement. Synthèse partitive, impressionnisme et Bauhaus Entre autres travaux, le chimiste Chevreul 18 (1839) s’attache à produire, par voie de synthèse organique, les teintes utilisées en tapisserie. Ce faisant, il est amené à fréquenter la manufacture des Gobelins. Il constate alors que les artistes tapissiers peuvent distinguer entre elles plus de 150 teintes, que la juxtaposition de différents fils colorés provoque, à distance, une teinte résultante différente de chacun d’eux. De ces observations, il tire un Traité des couleurs, dans 14

J.W. Goethe, Traité des couleurs, Paris, éd. Triades, 2000.

T. Young, http://rstl.royalsocietypublishing.org/content/92/12.full.pdf+html.

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lequel il donne son célèbre Cercle chromatique et prévoit les couleurs observées par juxtaposition de différentes teintes par ce qui sera appelé synthèse partitive. Le peintre Signac prend connaissance de ces travaux et les utilise ; citant explicitement Chevreul, il réalise des tableaux qui sont les premières manifestations de l’impressionnisme (1874). Il restera au peintre-théoricien J. Itten d’étudier systématiquement les effets visuels produits par les juxtapositions de différentes couleurs et les contrastes induits (1920) : il popularisera ses recherches dans son enseignement du Bauhaus 19, qui amèneront les neurophysiologistes à préciser les fonctionnements de la rétine et du cerveau. Les peintres apportent alors à la science. Sciences et Arts Victor Hugo disait que l’art est fulgurance, qu’un chef d’œuvre est créé une fois pour toutes 20. Il ajoutait que la science rature, se corrige, est une œuvre collective en perpétuel mouvement. Le paraphrasant, je pourrais dire que Masaccio et Signac ne sont pas dépassés, alors qu’Aristote, Newton, Maxwell le sont. Mais les œuvres d’art ne peuvent se comprendre si on ne les situe dans leur contexte, dont la science fait partie. Et la science d’une époque ne peut se comprendre sans la situer dans le cadre dans lequel elle s’élabore, dont les Arts font partie. J’espère que ce trop court article l’a montré : Science et Arts diffèrent radicalement, mais ont pu se féconder. Il reste que l’évolution historique les a fait se séparer. La science moderne est née au XVIIème siècle dans la matrice culturelle dont elle faisait, comme les Arts, partie intégrante depuis le Moyen-Âge. Au XVIIIème siècle, malgré des connivences d’inspirations, la séparation commence à s’opérer. Elle s’accentue et s’institutionnalise avec le XIXème siècle : ce sont des ponts qui permettent alors quelques passages entre deux rives bien identifiées. La logique disciplinaire triomphe au XXème siècle : elle amène divorce, voire aliénation mutuelle. Nous vivons celle-ci : notre époque voit le triomphe de la technoscience, un triomphe qui menace l’existence même d’une recherche fondamentale jugée dispendieuse. La grande aventure qu’a vécue la construction d’une science permettant à la fois de connaître le monde et de le transformer en est menacée. Ce ne sont pas les incantations sur « arts et sciences » qui permettront de diminuer cette menace, mais la prise d’épaisseur des pratiques scientifiques. Elle commence par l’éducation des chercheurs, de manière à ce qu’ils connaissent la place qu’ils occupent dans l’évolution historique et le contexte dans lequel se situent leurs travaux. Pour aller plus loin : - Bernard Maitte, Histoire de l’arc-en-ciel, Paris, éd. du Seuil, Coll. Science ouverte, 2005. - Bernard Maitte, Une histoire de la lumière, de Platon au photon, Paris, éd. du Seuil, Coll. Science ouverte, 2015.

En 1861, T. Sutton réalise la première photographie en couleurs grâce aux conseils de J.C. Maxwell.

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17 H. von Helmholtz, Optique physiologique, trad. E. Javal et N.T. Klein, Paris, éd. Masson, 1867. 18 Eugène Chevreul, De la loi du contraste simultané des couleurs…, Paris, éd. PitoisLevrault, 1839.

Le Bauhaus est une École d’art (1919-1933) fondée par Gropius, qui nourrira la réflexion sur le développement de la peinture, de l’architecture, des arts décoratifs en Allemagne. Fermée par les nazis.

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Victor Hugo, L’art et la science, préf. J.M. Lévy-Leblond, Paris, éd. Actes Sud, 1985.

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LNA#71 / paradoxes

Paradoxes

Rubrique de divertissements mathématiques pour ceux qui aiment se prendre la tête * UMR CNRS 9189, Bât. M3 extension

Par Jean-Paul DELAHAYE Professeur émérite à l’Université de Lille, Sciences et Technologies, Chercheur au Laboratoire CRISTAL *

Les paradoxes stimulent l’esprit et sont à l’origine de nombreux progrès mathématiques. Notre but est de vous provoquer et de vous faire réfléchir. Si vous pensez avoir une solution au paradoxe proposé, envoyez-la moi (faire parvenir le courrier à l’Espace Culture ou à l’adresse électronique delahaye@univ-lille1.fr). LE PARADOXE PRÉCÉDENT :

VAUT 3

Dans le Premier livre des Rois de la Bible (1R 7, 23), on trouve la description du Temple de Salomon et, en particulier, celle d’un bassin de bronze coulé par le fondeur Hiram : « Il fit la Mer en métal fondu, de dix coudées de bord à bord, à pourtour circulaire, de cinq coudées de hauteur ; un fil de 30 coudées en mesurait le tour ». Si le périmètre du bassin rond vaut 30 coudées, et que son diamètre mesure 10 coudées, c’est que π = 3. Cela semble contredire la valeur aujourd’hui admise pour π qui est 3,1415926... Certains prétendent avoir calculé π avec une précision de 13 mille milliards de chiffres (record du 8 octobre 2014). Heureusement, une preuve définitive que la Bible a raison vient d’être proposée par un mathématicien qui souhaite rester anonyme.

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La voici : Posons x = (π + 3)/2, on a alors 2x = π + 3 => 2x (π – 3) = (π + 3) (π – 3) => 2 πx – 6x = π2 – 9 => 9 – 6x = π 2 – 2 πx => 9 – 6x + x 2 = π 2 – 2 πx + x 2 => (3 – x)2 = (π – x)2 => 3 – x = π – x => π = 3. Il est cependant étrange et même paradoxal que tant de mathématiciens se soient trompés en proposant une valeur différente de 3 pour π. Saurez-vous expliquer cela ? Solution Merci aux lecteurs qui m'ont fait parvenir la bonne solution : Jef Van Staeyen, Hervé Moritz et Roger Desjardins. L’implication suivante est fausse : (3 – x)2 = (π – x)2 => 3 – x = π – x


paradoxes / LNA#71

En effet, lorsque deux nombres a, b ont le même carré, il en résulte que a = b ou a = -b Ici, c’est bien sûr la seconde possibilité qui est bonne et elle donne simplement 2x = π + 3 ce qui n’est pas une surprise ! NOUVEAU PARADOXE : LE VOTE INCONSCIENT PONDÉRÉ L’un de mes amis, fatigué de devoir voter une ou plusieurs fois par an, m’a expliqué : « Je veux voter. Par contre, je n’ai pas d’opinions arrêtées sur les différents partis et candidats entre lesquels je dois choisir, sauf à propos de certains que j’élimine car ils défendent des idées opposées à la démocratie. Je souhaite donc voter au hasard pour l’un des candidats démocrates. Choisir au hasard et aller voter conformément à ce choix me déplaît profondément, car j’éprouve une sorte de dégoût généralisé pour la politique et je préférerais ne pas savoir pour qui je vote ».

drais choisir au hasard celui pour lequel je vote de telle façon que le candidat X ait 4 fois plus de chances d’être choisi que Z, et que le candidat Y ait 3 fois plus de chances d’être choisi que Z. J’ai bien pensé généraliser ton protocole, en mettant dans le chapeau qui me sert au tirage : 4 bulletins pour X, 3 bulletins pour Y et 1 pour Z. Malheureusement, la mairie ne m’envoie qu’un bulletin pour chaque candidat, et je ne me vois pas attendre d’être dans le bureau de vote, y prendre les bulletins nécessaires, puis entrer dans l’isoloir avec mon chapeau pour effectuer le tirage au sort. Comment dois-je m’y prendre pour déterminer mon vote chez moi avec un seul bulletin pour chaque candidat ? ». Cela semble impossible. Avec un seul bulletin par candidat, on ne peut pas favoriser un candidat plus qu’un autre et aller voter sans connaître le résultat du choix. C’est faux – et c’est là le paradoxe –, il existe des méthodes pour satisfaire mon ami. Saurez-vous m’en proposer ?

Je lui ai répondu : « Avant chaque élection, la mairie t’envoie les bulletins de vote des différents candidats. Élimine ceux qui te déplaisent, plie les autres, place-les dans un chapeau, mélange, choisis au hasard l’un des bulletins pliés, mets-le dans ta poche, déchire ou brûle les autres, et va voter avec le bulletin qui est dans ta poche sans le regarder ». Mon ami semblait satisfait. En effet, le protocole de vote proposé assure à la fois l’équité entre les candidats retenus et l’impossibilité pour lui de savoir pour qui il vote. Un tel protocole de vote « inconscient équitable » est amusant, car il permet de voter contre quelqu’un et non plus seulement pour quelqu’un comme la méthode usuelle. Statistiquement, en procédant selon la méthode décrite, on vote à parts égales – les probabilistes diraient avec une espérance mathématique égale – pour tous les candidats retenus, ce qui n’est pas le cas lorsqu’on s’abstient ou lorsqu’on vote blanc ou nul. Ce mode de vote élargit l’éventail des choix qu’offre une élection. S’il était plus connu, il y aurait peut-être un peu moins d’abstentions. Malheureusement, mon ami est très exigeant. Après avoir utilisé le protocole de vote inconscient équitable, il est revenu me voir et m’a expliqué que cela ne lui convenait pas : « Imagine, me dit-il, que beaucoup de gens fassent comme moi ; imagine même que tout le monde fasse comme moi, que va-t-il se passer ? C’est simple : les candidats les plus farfelus auront à peu près autant de voix que les autres. Je ne le souhaite pas. Je ne veux pas faire de choix fermes, mais je voudrais pondérer les candidats. Très précisément, je vou15


LNA#71 / repenser la politique

Raison d'État et démocratie Par Alain CAMBIER Docteur en philosophie, chercheur associé UMR 8163 « Savoirs, textes, langage » Professeur en classes préparatoires, Faidherbe-Lille La question de la compatibilité de la raison d’État avec la démocratie a souvent été posée et Charles Pasqua avait même soutenu 1 que « la démocratie s’arrête là où commence la raison d’État ». On pourrait croire qu’avec l’affaiblissement du rôle joué par les institutions politiques le recours à la raison d’État puisse apparaître désormais obsolète. Mais, le repli apparent des États sur leurs fonctions régaliennes tend à faire revenir au premier plan cette question. Bien plus, le contexte de crise géopolitique et économique, auquel s’ajoutent les attaques terroristes, contribue à justifier de nouveau son invocation. Cependant, même lorsqu'elle se réclame des meilleures intentions, il serait naïf de penser que la raison d'État ne peut constituer un risque pour la démocratie.

À

première1vue, le recours à la raison d’État ne peut être considéré comme incompatible avec la démocratie. Après tout, celle-ci est une -cratie, c’est-à-dire un pouvoir et, à ce titre, elle relève aussi de la logique de puissance propre à l’essence du politique. Toute société organisée politiquement est tributaire d’une séparation salutaire entre gouvernants et gouvernés, parce qu’elle constitue le principe de son ordre et la condition, pour les citoyens, de la représentation de leur co-appartenance collective : la démocratie a pour vocation de réduire le risque d’arbitraire de cette séparation, tout en lui assurant sa légitimité. Aussi, pour garantir sa sécurité contre ses ennemis extérieurs et intérieurs, une démocratie ne peut renoncer à la raison d’État, mais se doit de la réguler. Les dérives de la raison d’État dite « machiavélienne » La raison d’État dite « machiavélienne » a été théorisée sous la monarchie absolue : Gabriel Naudé la définissait comme « un excès de droit commun à cause du bien public » 2. Elle témoigne du hiatus entre la logique juridique et la logique de puissance qui taraude le pouvoir politique. Ce dernier relève d’un décisionnisme 3 que la raison d’État illustre sous une forme hyperbolique : elle révèle la part discrétionnaire de l’exercice du pouvoir. Certes, elle est censée demeurer au service du salut public, mais elle peut aussi donner lieu à des dérives qui conduisent à l’abus de pouvoir. À moins de se condamner à l’impuissance, la démocratie elle-même ne peut se passer de la raison d’État et vise plutôt à l’apprivoiser. L’exigence de séparation des pouvoirs qui remonte à John Locke et Montesquieu a contribué, par exemple, à juguler le risque d’arbitraire inhérent à la raison d’État. Le 26 février 1987 sur TF1, lors d’une émission avec Anne Sinclair, au sujet d’une histoire de vrai/faux passeport.

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Gabriel Naudé, Considérations politiques sur les coups d’État, Les éditions de Paris, 1988, p. 98.

Le souci de transparence peut aussi mettre fin aux arcana imperii, propices à toutes les manipulations, et Wikileaks y a contribué. Mais l’idéal de transparence est ambivalent et peut aussi bien affaiblir l’exercice du pouvoir que se retourner contre les citoyens eux-mêmes. Chacun a droit à une part d’ombre et toute vérité n’est pas toujours bonne à dire... Il s’agit donc plutôt d’encadrer le recours à la raison d’État par des normes juridiques pour le maintenir dans les rets du droit, comme ont pu le faire la loi du 3 avril 1955 sur l’état d’urgence et l’article 36 de la Constitution de la Vème République concernant l’état de siège : il en est de même de la dernière loi sur le renseignement, promulguée le 24 juillet dernier. Mais, face à l’invocation actuelle de la raison d’État, nous découvrons que le rôle du droit est dénaturé : comme pour la loi sur le renseignement, il ne vient que justifier après coup le fait de pratiques intrusives et indistinctes déjà en cours. En outre, les régimes actuels donnent une place exorbitante au pouvoir exécutif, qui devient de plus en plus le centre exclusif de décision : le législatif est le plus souvent réduit à une chambre d’enregistrement. Cette « présidentialisation » des démocraties tend à se justifier au nom de la « guerre » contre le terrorisme 4. Déjà la riposte américaine aux attentats du 11 septembre avait remis en question l’État de droit 5 et, depuis, Obama n’a en rien rompu avec la politique de son prédécesseur. Les pouvoirs en place – en France comme ailleurs – vont dans le même sens, tout en accentuant leur interdépendance. La raison d'État a été longtemps invoquée comme une prérogative spécifique de la souveraineté, mais preuve est faite qu'il n'y a plus aujourd'hui de souveraineté étatique absolue. Avec la globalisation des moyens et des pratiques de renseignement, le transfert généralisé des données tend vers une surveillance de masse et conduit à justifier un régime pénal dérogatoire. Le paradoxe est donc que nous en arrivons à

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Le décisionnisme politique considère que la décision est une prérogative du souverain qui échappe à tout normativisme juridique : cf. notre ouvrage Qu’est-ce que l’État ?, éd. Vrin, coll. Chemins philosophiques, 2ème édition, 2012.

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Cf. Pierre Rosanvallon, Le Bon gouvernement, éd. du Seuil, 2015.

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Cf. le Patriot Act du 26 octobre 2001, le military order décrété le 13 novembre 2001, l’instauration de zones d’exception juridique en matière de détention, le statut de prisonniers soustraits à la Convention de Genève, etc.

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repenser la politique / LNA#71

invoquer une raison d’État là où la référence à l’État perd son sens, puisqu’il n’est plus que l’ombre de lui-même : les pouvoirs nationaux sont devenus subsidiaires, soumis à des entités transnationales. Parler de raison d’État apparaît donc inapproprié, quand l’État s’efface devant une toile d’araignée sans frontières que lui-même ne maîtrise pas. Parler même de « guerre » au sens classique perd ici toute pertinence : nous tendons plutôt vers une sorte de guerre civile mondiale permanente. Aussi, le droit se voit instrumentalisé pour devenir un accessoire de police. L’émergence d’une justice prédictive 6 qui prétend anticiper les risques et opérer une dilatation de la responsabilité pénale, au nom de la dangerosité de certains individus, dénature le rôle du droit pénal qui, jusqu’alors, établissait une culpabilité sur des preuves tangibles. Le droit suppose la responsabilité et donc la liberté des individus mais, ainsi conçu sur la base d’une sorte de « profilage », il en vient à nier la part d’indétermination inhérente à la conduite de toute personne et à considérer que l’intention est déjà en soi une raison de sceller un destin. Cette dérive fait basculer le droit dans une sorte de traque morale des intentions, en faisant en même temps appel aux technologies les plus sophistiquées pour percer les fors intérieurs. Les impostures du recours actuel à la prétendue « bonne raison d’État » Mais, aux avatars de la raison d’État machiavélienne, il faut encore ajouter ceux du courant de la prétendue « bonne raison d’État » qui prétend pourtant se démarquer résolument de la première. Alors que l’une entretient l’idée d’une autonomie de la logique de puissance du politique, l’autre – d’abord inaugurée par Botero et mise en œuvre par Frédéric II de Prusse – vise à optimiser les ressources et la prospérité d’un État. La « bonne raison d’État » articule la politique sur l’économie et préfère la gestion statistique, la gouvernance éclairée à la démonstration de force. Elle privilégie le terrain de la connaissance plutôt que celui du champ de bataille. C’est en son nom que se sont développés le caméralisme et la ratio administrationis des États modernes. Or, dans son principe, cette prétendue « bonne raison d’État » est aujourd’hui devenue envahissante. En effet, se réclamant du savoir économique et de compétences techniques et financières, le pouvoir politique fait fi de l’opinion du citoyen, considérée comme incapable d’être porteuse d’une quelconque vérité. L’exclusivité accordée à la prétendue « bonne raison d’État » crée un fossé entre une élite économique autoproclamée et la démocratie. Que ce soit en France – avec le referendum de 2005 – ou ailleurs – 6 Cf. Mireille Delmas-Marty, Libertés et sûreté dans un monde dangereux, éd. du Seuil, 2010, et ses analyses dans un entretien au journal Le Monde du 6 juin 2015 : La démocratie dans les bras de Big Brother.

comme dernièrement avec la Grèce –, l’opinion du peuple ne pourrait avoir raison : en réalité, cette pseudo « bonne raison d’État » bafoue les raisons légitimes que se donnent les citoyens, en exprimant à la fois leur ressenti et leur bon sens vis-à-vis des politiques qu’ils subissent. Sûrs de leurs dogmes technocratiques, la BCE et les pouvoirs en place se comportent comme des médecins obtus qui n’hésitent pas à tuer le malade pour guérir la maladie. Plutôt que de se remettre en question, ces doctrinaires préfèrent faire marcher la « planche à billets », non pour les peuples mais pour s’en remettre à de pseudo-élites financières : ainsi, un énorme matelas de liquidités flottantes de l’ordre de 20 000 milliards de dollars que ces politiques ont artificiellement fabriqué « se balade » à la discrétion exclusive de quelques centaines d’investisseurs d’une région du monde ou d’une classe d’actifs à une autre. Jamais la démocratie n’a été autant méprisée par un petit nombre de pseudo-« sachants » politiques, économiques et financiers qui font la sourde oreille à l’opinion des citoyens. Les conséquences de cette rupture entre politique économique et démocratie sont lourdes. Alors que, dans le jeu normal des démocraties, l’expression des opinions apparaît nécessaire pour qu’elles s’auto-corrigent et se rectifient – par le biais de l'argumentation publique, fondée sur le respect du principe de non-contradiction –, dans la situation actuelle, l’opinion publique méprisée et frustrée se laisse tenter par des dérives populistes porteuses de préjugés haineux. À l’inverse, au nom de la science économique et gestionnaire, les pouvoirs politiques imbus d’eux-mêmes entretiennent une conception gravement dogmatique de la « vérité scientifique » : comme si celle-ci n’était pas faite d’hypothèses risquées, d’essais et d’erreurs ou d’approximations. Nos gestionnaires de l’économie et leurs serviteurs entretiennent un positivisme qui exclut tout « faillibilisme » pourtant propre à l'esprit scientifique. L’indubitabilité n’est jamais une garantie de vérité et les sciences visent plutôt la « vérisimilitude » 7, c’est-à-dire une forme de vraisemblance incompatible avec l’idée d’une vérité absolue. Quitte à se condamner à l’aveuglement, ils en sont venus à confondre méthode scientifique et méthode d’autorité. La rationalité strictement instrumentale dont ils se réclament relève d’un entendement abstrait borné qui se situe aux antipodes de l’idée d’un État démocratique incarnant une raison dialectisée. L’ironie de l’histoire est que le recours actuel à la raison d’État marque donc le crépuscule de l’État et s’effectue désormais au nom d’une caricature de la raison.

7 Expression de Montaigne et de Leibniz et reprise d’abord par Peirce, puis Popper, à propos du type de vérité scientifique. Karl Popper avait lui-même souligné le lien étroit entre recherche scientifique féconde et démocratie.

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LNA#71 / chroniques d'économie politique

Mieux comprendre la crise grecque Par Vincent DUWICQUET Maître de conférences en économie, Clersé, Université de Lille, Sciences et Technologies

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a crise grecque, débutée au printemps 2010, a pris une nouvelle tournure à l’été 2015 avec l’acceptation par le gouvernement grec d’un troisième plan d’aide proposé par la commission européenne, la Banque centrale européenne (BCE) et le Fonds monétaire international (FMI). L’objet de cet article est de présenter les mécanismes à l’œuvre dans la crise grecque et le rôle prépondérant du cadre institutionnel de la zone euro. Dans une première partie, nous insisterons sur la nature extérieure de la dette grecque qui a considérablement augmenté dans les années 2000. La montée de cet endettement extérieur s’est avérée insoutenable compte tenu du cadre institutionnel de la zone euro, basé sur l’indépendance de la BCE, les règles budgétaires nationales et l’absence d’un véritable budget fédéral européen. Dans une seconde partie, nous analyserons les conséquences économiques et sociales de la crise grecque, débutée en mai 2010, en soulignant les mécanismes sous-jacents à la résorption du déficit extérieur. La dernière partie de cet article s’intéressera au problème du poids de la dette extérieure grecque et aux politiques alternatives que pourraient mener les pays européens afin de limiter les déséquilibres entre les pays de la zone euro. Les origines de la crise : la Grèce pénalisée par un euro surévalué et par le cadre institutionnel de la zone euro La perte de souveraineté monétaire, consécutive à l’adoption de l’euro, a été préjudiciable à l’économie grecque dont la monnaie (l’euro) s’est retrouvée rapidement fortement surévaluée 1. L’euro est apparu « trop fort » pour la Grèce, ce qui a eu des incidences importantes sur le commerce extérieur. Les exportations ont été ralenties, en particulier pendant les périodes de forte appréciation de l’euro (entre 2002 et 2008, l’euro s’est apprécié de 70 % par rapport au dollar). Dans le même temps, les importations ont fortement augmenté, suite à la hausse du pouvoir d’achat international de l’euro. Le déficit extérieur grec s’est donc accru et s’est autoentretenu par l’appréciation de l’euro. La dégradation de la position extérieure nette de la Grèce 2 a été spectacu-

Une monnaie est surévaluée lorsque sa valeur est trop élevée par rapport à une valeur de référence qui prend en compte les caractéristiques structurelles du pays (démographie, spécialisation productive, dépenses de recherche et développement, degré d’ouverture). En moyenne, depuis l’entrée de la Grèce dans l’union monétaire, l’euro est surévalué de 30 % en Grèce.

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La position extérieure nette d’un pays représente le patrimoine net des résidents vis-à-vis du reste du monde. Lorsqu’elle est négative, comme dans le cas de la

laire. Entre 2000 et 2015, la position extérieure nette est passée de - 10 % du PIB à - 120% du PIB. La surévaluation de l’euro a donc accru le besoin de financement de l’économie grecque vis-à-vis du reste du monde. Cette situation est devenue insoutenable lorsque les marchés financiers internationaux sont devenus réticents à financer la Grèce. Les taux d’intérêt sur la dette publique ont donc augmenté de façon exponentielle et la Grèce, afin d’éviter un défaut de paiement, a été contrainte à demander l’aide de la troïka (commission européenne, BCE, FMI) en mai 2010. Le statut d’indépendance de la BCE vis-à-vis des États de la zone euro lui interdisait d’acheter les titres publics grecs. Elle n’est donc pas intervenue sur les marchés financiers et n’a donc pas évité la montée des taux d’intérêt. Cette absence de soutien financier de la BCE place les budgets nationaux des États de la zone euro sous la contrainte des marchés financiers : tout endettement public supplémentaire peut entraîner une hausse des taux d’intérêt qui peut devenir insoutenable. Depuis mars 2015, la BCE a débuté un programme de rachats de titres publics. Ce soutien financier, qui avait fait défaut à la Grèce en 2010, s’avère cependant peu efficace. L’injection de liquidités dans la sphère financière permet de résoudre les problèmes financiers (taux d’intérêt trop élevé, non remboursement de la dette), mais pas les problèmes économiques et sociaux, étant donné sa faible diffusion à l’économie réelle. La participation à la zone euro impliquant le respect de règles budgétaires, dont le but est de réduire la dette publique et le déficit public, les États de la zone euro n’ont plus de marge de manœuvre pour relancer l’économie réelle. En accordant un financement plus avantageux à des États dont l’objectif principal est de réduire l’endettement public, la politique monétaire de la BCE apparaît donc peu efficace pour créer des emplois et faire diminuer le chômage. Les réponses apportées à la crise grecque : austérité budgétaire et flexibilité des salaires L’ajustement du déficit extérieur grec fut brutal entre 2011, où le déficit extérieur atteignait 10 % du PIB, et 2013, où le solde extérieur est devenu positif (+ 0,5 % du PIB). Cet ajustement s’est en grande partie effectué par une baisse de la masse salariale et des revenus sociaux. Entre 2009 et 2014, l’État grec a réduit ses dépenses de 35 %, ce qui

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Grèce, cela signifie que les résidents grecs sont endettés vis-à-vis du reste du monde.


chroniques d'économie politique / LNA#71

constitue un effort d’une ampleur exceptionnelle. À titre comparatif, l’Irlande et le Portugal – qui ont également demandé l’aide de la troïka – ont baissé leurs dépenses publiques respectivement de « seulement » 11 % et 4 %. Au niveau macroéconomique, cette forte baisse des dépenses publiques grecques a plombé l’activité privée (la consommation et l’investissement ont chuté) et a plongé l’économie dans une récession comparable à la crise des années 1930. Le PIB ayant diminué suite à l’austérité budgétaire imposée par la troïka, les dépenses publiques en pourcentage du PIB n’ont diminué que de 14 % entre 2009 et 2014, soit 2,5 fois moins que l’effort fourni ex ante. Au niveau social, la pauvreté, la précarité et le chômage ont explosé et restent aujourd’hui à des niveaux exorbitants (en septembre 2015, le taux de chômage est de plus de 25 % et dépasse les 50 % pour les jeunes de moins de 25 ans). L’ajustement du déficit extérieur s’est effectué par une chute des importations induite par la baisse des revenus réels, en particulier des plus pauvres, au prix de conséquences sociales catastrophiques. La hausse du chômage a fait pression sur les salaires, qui ont été freinés, ce qui a permis une baisse du coût du travail. Cependant, cette baisse ne s’est pas répercutée sur les prix des exportations, les entreprises en difficulté cherchant à se désendetter et à augmenter leurs marges plutôt qu’à regagner en compétitivité-prix et à investir. La baisse du coût du travail, par son effet négatif sur le pouvoir d’achat, tout comme la baisse des dépenses publiques, a accentué la récession. L’absence d’alternatives ? Suite aux politiques d’austérité, le solde public primaire (sans les intérêts à payer) et le solde extérieur sont devenus excédentaires. Malgré la brutalité de l’ajustement, la dette extérieure à rembourser et les intérêts y afférents constituent le fardeau principal pour l’économie grecque. Cette dette vis-à-vis du reste du monde s’étant accumulée sur plus d’une décennie, le désendettement de la Grèce ne peut être que progressif. L’économie grecque reste aujourd’hui enlisée dans une faible croissance et une position extérieure nette très dégradée et doit rembourser ses créanciers avec l’aide de financements extérieurs provenant de l’Union Européenne et du FMI. Afin d’améliorer la situation économique et sociale de la Grèce, plusieurs alternatives peuvent être proposées. Une annulation conséquente de la dette serait sans doute bénéfique pour l’économie grecque, qui pourrait consacrer davantage de dépenses à son économie réelle plu-

tôt qu’au remboursement de la dette. Cependant, une amélioration substantielle de l’architecture institutionnelle de la zone euro paraît indispensable pour éviter la montée des déséquilibres à l’intérieur de la zone euro. Ces déséquilibres intra-zone euro doivent être limités et gérés par un mécanisme d’impôts, de transferts et d’endettement au niveau européen, comme cela est le cas entre les États américains ou entre les régions françaises. La mise en place d’une solidarité budgétaire entre les pays de la zone euro permettrait à la Grèce de bénéficier de transferts de revenus et d’investissements dans les secteurs d’avenir (éducation, recherche, infrastructures pour le développement durable, lutte contre l’oligarchie, amélioration du système d’imposition). Cette solution, qui apparaît de loin la plus efficace sur le papier, se heurte à des difficultés considérables et qui doivent être reconnues. À court terme, les pays du Nord, dont l’Allemagne au premier rang, devraient accepter de perdre leurs excédents extérieurs qui sont aujourd’hui énormes (l’excédent allemand pourrait atteindre 9 % du PIB allemand en 2015) et qui sont au cœur de leur modèle de croissance. Le scénario le plus probable est qu’après une longue période de récession et de baisse d’investissement (la baisse de l’investissement en Grèce a été de près de 70 % entre 2007 et 2015) une baisse du chômage très lente et incomplète se produise en Grèce, comme le montrent les exemples des pays baltes, de l’Irlande ou plus récemment de l’Espagne. Ce scénario d’enlisement durable ne peut être satisfaisant socialement, mais apparaît viable si la situation relative de la Grèce s’améliore, même faiblement. Références - Jacques Mazier, Pascal Petit, Dominique Plihon, L’ économie mondiale en 2030 : ruptures et continuités, éd. Economica, 2013. - Vincent Duwicquet, Jacques Mazier et Jamel Saadaoui, Désajustements de change, fédéralisme budgétaire et redistribution : comment s’ajuster en union monétaire, Revue de l’OFCE n° 127, La zone euro en crise, 2013, http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/127/revue-127.pdf.

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LNA#71 / vie de l'université

Quelques considérations sur les collections historiques d’instruments de physique de l’Université de Lille Par Paolo BRENNI Historien des sciences

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’ai eu récemment l’opportunité d’examiner les collections historiques d’instruments de physique de l’Université de Lille, Sciences et Technologies. Une grande part de ces instruments fait partie du patrimoine scientifique provenant de la Faculté des Sciences de Lille, fondée en 1854. Ces instruments furent utilisés pour l’enseignement de la physique et aussi pour les recherches menées par les professeurs entre la moitié du XIXème siècle et les premières décennies du XX ème siècle. Oubliés pendant longtemps, ils étaient devenus inutiles pour les activités scientifiques. Lors du déménagement de la Faculté des Sciences du centre de Lille vers l'actuel campus, une partie de ces instruments est restée sur Lille, au Musée industriel, commercial, colonial et agricole avant d’intégrer les réserves du Musée d’Histoire Naturelle de Lille. Les instruments qui ont suivi les laboratoires sur le campus de la Cité Scientifique sont redécouverts depuis quelques années, catalogués et soigneusement restaurés 1. Ils sont entreposés dans des locaux de l’Université. C’est de cette collection que je vais parler ici, elle représente bien toutes les branches de la physique classique : mécanique, acoustique, thermologie, optique, magnétisme et électricité. Depuis quelques décennies, les instruments scientifiques du passé sont considérés comme des sources d’information essentielles pour mieux comprendre l’évolution des pratiques scientifiques et de l’enseignement, et ils constituent donc une partie importante de notre patrimoine culturel. En même temps, les figures des constructeurs d’instruments – considérés autrefois comme de simples exécutants au service des savants – ont été mieux étudiées ; aussi, leur rôle essentiel d’inventeurs, d’innovateurs et souvent de chercheurs apparaît beaucoup plus clairement. Il est bien connu que, pendant la plus grande partie du XIXème siècle, l’industrie française (essentiellement parisienne) des instruments scientifiques, et surtout de ceux utilisés pour la physique, produisait d’excellents appareils qui – non seulement étaient en grande partie exportés et équipaient les plus importants cabinets scientifiques en Europe et en Amérique – mais, pris comme modèles, étaient aussi copiés par plusieurs constructeurs étrangers. C’était l’âge d’or des instruments scientifiques parisiens. À partir de la fin du XIXème siècle, la formidable expansion de l’industrie de précision allemande Sur l’histoire de cette préservation et le rôle joué par l’Association de solidarité des anciens, ainsi que par la Mission Patrimoine scientifique de l’Université, lire l’article de Sophie Braun « L’ASA inventorie son millième appareil scientifique ! », Les Nouvelles d’Archimède n° 68, p. 24-25, disponible sur http://culture.univ-lille1.fr/ publications/la-revue/

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mit fin à la prédominance française des instruments de physique sur le marché. Il n’est donc pas étonnant que, dans les collections lilloises, les noms des meilleurs constructeurs français de l’époque soient très bien représentés. Il est impossible de donner dans ces quelques lignes une image détaillée des collections d’appareils de physique de l’Université de Lille, mais quelques exemples suffisent à donner un aperçu de leur richesse et de leur variété. Parmi les instruments électriques, on trouve des machines électrostatiques, plusieurs instruments de mesure, des moteurs magnétoélectriques et des dynamos, des télégraphes, des bobines d’induction et des appareils de démonstration fournis par des constructeurs célèbres, comme Ruhmkorff, Ducretet & Lejeune, Breguet ou Froment. Une très belle collection de tubes pour les décharges dans le vide (tube de Geissler ou de Crookes), ainsi que de tubes à rayon X et de tubes électroniques, enrichit cette partie de la collection. Les pompes à vides (à pistons ou à chute de mercure) portent les noms de Bianchi et d’Alvergniat. Jules Duboscq, spécialisé en appareil pour l’optique, avait vendu plusieurs appareils à la Faculté. Le plus insolite est certainement celui pour étudier un « miroir magique ». Ces miroirs métalliques, parfaitement polis d’un côté et décorés avec des gravures de l’autre, ont la curieuse propriété de projeter l’image de ces dernières quand un intense rayon de lumière se réf léchit sur la face polie. Le constructeur d’origine allemande Rudolph Koenig, actif à Paris dans la deuxième moitié du XIXème siècle, est extrêmement bien représenté dans les collections lilloises. Koenig était non seulement un excellent constructeur spécialisé dans la production d’appareils pour l’étude de l’acoustique physique, mais il en avait aussi inventé ou perfectionné un grand nombre. Les instruments de Koenig conservés à Lille furent achetés par Alfred Terquem (1831-1887), professeur à la Faculté des Sciences, très intéressé par les phénomènes acoustiques. Parmi ces instruments, il y a un analyseur harmonique, une grande machine à ondes de Wheatstone, des diapasons de précision et plusieurs sirènes acoustiques, dont une à disque, unique dans son genre pour ses dimensions colossales. Si les constructeurs français sont particulièrement bien représentés dans la collection, les acquisitions d’instruments étrangers augmentèrent à partir de la fin du XIX ème siècle, comme en témoignent, par exemple, des ampèremètres et voltmètres de la maison américaine Weston, des appareils de mesure électrique de Hartmann & Braun de Francfort ou une magnifique machine électrostatique à


vie de l'université / LNA#71

Paolo Brenni expliquant à Sophie Braun (Patrimoine) et Christian Druon (ASA) le fonctionnement de la « Sirène de M. le Professeur Pellat » construite par Ducretet vers 1895 et nouvellement entrée en collection. © JC. Pesant / ASA Patrimoine

20 plateaux de verre fabriquée par Oskar Lenner de Dresde. Mais il est aussi possible de trouver, dans la collection, des instruments certainement fabriqués avant 1854, date de la fondation de la Faculté. Ces derniers sont signés Dumotiez (deux frères actifs à Paris entre 1775 et 1825) ou Pixii, successeur des Dumotiez et actif entre 1825 et la moitié du siècle. Ces appareils étaient probablement entrés dans les collections de la Faculté après avoir été utilisés pas d’autres institutions plus anciennes (les premiers cours municipaux de physique ont été professés à partir de 1817 par Charles Delezenne). La collection de physique comprend aussi un nombre important d’instruments de la première moitié du XX ème siècle. Peut-être esthétiquement moins attrayants que les appareils plus anciens en laiton verni, bois et verre, ils illustrent néanmoins les étapes de la transformation du cabinet de physique en laboratoire moderne et représentent aussi le passage d’une construction artisanale des instruments à une production industrielle et standardisée. Il serait réducteur de penser que ces appareils ont uniquement un intérêt pour les historiens des sciences et des techniques. Ces objets techniques forment un patrimoine matériel qui fait partie intégrante de l’histoire locale de l’université et de toute la communauté lilloise. Mais si, aujourd’hui, la conservation des instruments du XIX ème siècle et des premières décennies du XX ème est assurée, la sauvegarde du patrimoine scientifique de la fin du XXème siècle pose d’importants problèmes. Non seulement le nombre d’instruments utilisés dans un passé très récent a augmenté de façon exponentielle, mais leur obsolescence est aussi extrê-

mement rapide. En outre, les méthodologies pour la conservation des matériaux récents (plastiques, alliages, matériaux synthétiques) sont encore peu connues. Étant donné la quantité de matériel désormais inutilisé, qui s’accumule dans les caves des laboratoires universitaires et des instituts scientifiques, il est absolument impossible de tout conserver. Il est donc d’abord nécessaire d’inventorier ce matériel et d’en sélectionner ensuite la partie qui mérite d’être conservée, avec des critères rationnels et établis. Cette tâche difficile est menée à Lille, depuis 2007, grâce à une convention entre le Cnam – Musée des Arts et Métiers de Paris – et l’Université de Lille, dans le cadre de la Mission nationale de sauvegarde du patrimoine scientifique et technique contemporain (PATSTEC). Mais le catalogage, la restauration et la sauvegarde ne sont que les premiers pas vers une vraie valorisation du patrimoine scientifique. Afin de pouvoir exploiter pleinement son potentiel, il est nécessaire de le rendre facilement accessible aux chercheurs, de le présenter au public grâce à des animations, des conférences, des événements périodiques, de l’illustrer à travers des produits divers (multimédia, catalogues en ligne, applications, etc.). C’est seulement ainsi que la conservation de ce patrimoine aura une réelle utilité et nous aidera à mieux comprendre notre passé, sinon elle restera un stérile exercice d’antiquaire.

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LNA#71 / jeux littéraires

Battre les cartes Par Martin GRANGER Association Zazie Mode d’Emploi Les Cent mille milliards de poèmes de Raymond Queneau (1961) sont une référence en matière de littérature combinatoire. Mais ces sonnets, dont les vers sont écrits sur 140 languettes de papier, ne permettent que 1014 combinaisons. Avec Composition n°1, publié l’année suivante, l’écrivain Marc Saporta propose un roman combinatoire composé de 150 feuillets non reliés, dont l’un doit être lu en dernier. Il y a donc 149 ! façons d’agencer les feuillets, soit 3,8 x 10260 romans potentiels. Cent mètres sous la terre

Dans sa préface, l’auteur indique la marche à suivre : « Le lecteur est prié de battre ces pages comme un jeu de cartes. De couper, s’il le désire, de la main gauche, comme chez une cartomancienne. L’ordre dans lequel les feuillets sortiront du jeu orientera le destin de X. Car le temps et l’ordre des événements règlent la vie plus que la nature de ces événements. [...] De l’enchaînement des circonstances dépend que l’histoire finisse bien ou mal. Une vie se compose d’éléments multiples. Mais le nombre des compositions possibles est infini ». Le poète et oulipien Frédéric Forte a repris cette idée du jeu de cartes à battre avec sa forme Bristols (2010). Il s’agit d’un poème combinatoire composé de 99 bristols à mélanger avant chaque lecture. Notons une variante intéressante, le blitz-bristol, qui se veut une sorte de joute oratoire où deux poèmes sur des thèmes contradictoires sont lus par deux auteurs. En 1973, Italo Calvino, dans La Taverne des destins croisés et Le Château des destins croisés, développa un procédé analogue. Son récit met en scène des convives qui, réunis autour d’une table, se retrouvent privés de la parole par quelque enchantement. Ils vont pourtant raconter leurs vies respectives par le truchement des arcanes d’un jeu de tarot. À la fin, toutes les cartes se retrouvent étalées sur la table, les histoires se croisant de multiples façons. Calvino explique dans sa postface : « j’ai commencé avec les tarots de Marseille, en cherchant à les disposer de manière qu’ils constituent comme les scènes successives d’un récit pictographique. Quand les cartes posées côte à côte au hasard me donnaient une histoire dans laquelle je reconnaissais un sens, je me mettais à l’écrire ». Mais le plan de l’auteur se complique assez vite : « je passais […] des jours entiers à défaire et refaire mon puzzle […], je

dessinais des centaines de plans, en carré, en losange, en étoile : il y avait toujours des cartes essentielles qui restaient inutilisées et des cartes superflues qui se trouvaient en plein milieu, et les plans devenaient tellement compliqués (allant même jusqu’à requérir une troisième dimension, sous forme de cubes, de polyèdres) que je m’y perdais tout le premier ».

À toute vitesse De temps en temps Paf ! Un boson À cheval Il faut relativiser Élémentaire mon cher On accélère On décolle

Atlas I’m free Pour notre part, nous vous proposons un petit poème combinatoire Nous sommes les ions de 32 vers à découper vous-même C’est bien peu de choses suivant les pointillés. Pour que ce poème dure, n’hésitez pas à le Regarde le bien ton plasma contrecoller avant la découpe sur De tous tes yeux une plaque de tungstène. Qui a laissé le frigo ouvert ? La force faible On déplore 600 millions d’accidents par seconde On ne serait pas déjà passé par ici ? Douze mille tonnes d’azote liquide L’énergie d’un moustique en vol Mais quel moustique Attendez Je n’ai pas tout compris Plus de onze mille tours par seconde Des aimants et des frigos Pour chercher quoi exactement ? La beauté des quarks comme un rêve de pierre Éternité, mutisme De purs miroirs Ma grand-mère aussi a une masse non-nulle

Pouvez-vous changer ce modèle standard contre quelque chose de moins vétuste ? Je répète, quelle est votre position ?

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jeux littéraires / LNA#71 Le trajet d’Isidore (longs pointillés) 1. Chervey 2. Rosny 3. Quiers 4. Geay 5. Bussy 6. Verdelais 7. Ecquedecques 9. Hirel 10. Sonnaz 11. Théza 12. Migé 13. Trôo 14. Fumay 15. Lecques 16. Onard 17. Villejésus 18. Peyremale 19. Offoy 20. Mainsat 21. Loreux 22. Gemeaux 23. Scye 24. Lévis 25. Lamoura 26. Troyes 27. Seix 28. Menotey

Le trajet de Véronique (petits pointillés) 1. Cherisy 2. Dornes 3. Mens 4. Palaja 5. Nébian 6. Assay 7. Pabu 8. Estérençuby 9. Lecques 10. Contre 11. Coupvray 12. Mégevette 13. Cassel 14. Latronche 15. Pauvres 16. Gland 17. Yvrencheux 18. Miserey 19. Hyet

ITINÉRAIRE AMOUREUX Isidore et Véronique, deux agents secrets d’une puissance étrangère, passent leurs vacances en France, chacun de son côté. Avant de partir, ils se sont tenus au courant de leurs itinéraires respectifs grâce à un simple échange de lettres. Voici la lettre d’Isidore : Chère Véronique, hier j’ai bu six verres de lait et que des kirs. Elles sont nazes tes amies. J’ai trop fumé ! Les connards vils… J’ai super mal au foie, mince alors. P.S. : J’aime aussi les vices : l’amour à trois, sexe menotté… Et voici la réponse de Véronique : Cher Isidore, ne mens pas : là j’en ai bien assez. Pas bu ? Esther en subit les contrecoups, vrai ! Mais je vais te casser la tronche, pauvre gland ivre en chemise rayée ! Hélas, le service de contre-espionnage a eu tôt fait de décrypter les missives, et les deux agents dormants ont été suivis à la trace pendant toutes leurs vacances d’été. Il suffisait d’établir une homophonie entre le contenu des lettres et la liste des communes visitées. Les deux trajets sont matérialisés sur la carte. On peut d’ailleurs remarquer que nos deux espions se fichent de leur bilan carbone comme de leur premier microfilm. Bien entendu, ce code est utilisable dans l’autre sens, c’est-à-dire en suivant un trajet qui, une fois décrypté, révèlera un message. C’est une méthode de communication amusante quoiqu’assez coûteuse.

Ateliers d’écriture à contraintes L’association Zazie Mode d’Emploi vous propose des ateliers gratuits et ouverts à tous, pour pratiquer l’écriture à contraintes tout au long de l’année. Notez d’ores et déjà que l’Oulipo sera à Lille le vendredi 29 avril à 19h à la médiathèque centrale. Toutes les infos sur www.zazipo.net 23


LNA#71 / au programme / réflexion-débat

CYCLE

LA CARTE INVENTE LE MONDE

Octobre 2015 - mars 2016 | Espace Culture | Entrée libre Animée par Patrick Picouet, Professeur de géographie, chercheur au Laborau Cartes corticales : une représentation toire Territoires, Villes, Environnement et Société, Université de Lille, Sciences objective et dynamique de la réalité ? et Technologies. Mardi 12 janvier à 18h30 Par François Mauguière, Professeur de Les frontières ont été inventées au neurologie, Université Claude Bernard même moment que les cartes, au cœur Lyon 1. de l’Europe moderne. À l’heure où les Animée par Marie-Hélène Canu, Pro- technologies bouleversent le rapport fesseure en neurosciences, Université de à la représentation, des explorations Lille, Sciences et Technologies. artistiques et scientifiques permettent RENDEZ-VOUS D’ARCHIMÈDE

Les progrès importants des techniques d’imagerie cérébrale permettent aujourd’hui d’établir une cartographie dynamique du cerveau. Peut-on dire, en neurosciences, que la carte invente le monde ? Il serait plus juste de renverser la proposition, et de dire que les contraintes du monde extérieur sculptent le cerveau. En particulier, les cartes cérébrales parlent de notre être et de notre vécu, de ce que nous sommes et de notre relation au monde... u Cartographier des frontières mobiles ? L’antiAtlas des frontières Mardi 19 janvier à 18h30 Par Anne-Laure Amilhat-Szary, Professeure, Institut de Géographie Alpine, Université Joseph Fourier/Grenoble-Alpes.

de mettre à jour les enjeux des frontières contemporaines, et notamment leur dissémination en amont et en aval des lignes qui les matérialisent. À la lumière du retour sur des expériences participatives (projet Cartographies Traverses notamment), la conférence détaillera les conditions de fabrication des frontières mobiles. u Quand les cartes racontent l’histoire de l’espèce humaine Mardi 26 janvier à 18h30 Par Alicia Sanchez-Mazas, Directrice de recherches en anthropologie et génétique des populations humaines, Université de Genève (Suisse). Animée par Dany Amiot, Professeure de linguistique, Laboratoire Savoirs, Textes, Langage, Université de Lille, Sciences Humaines et Sociales. Étudier l’histoire de l’espèce humaine (D’où venons-nous ? Comment et quand les humains ont-ils conquis les continents ?) fait appel à de nombreux types de représentations, parmi lesquels des cartes géographiques sur lesquelles des données biologiques ou culturelles sont reportées. De telles cartes sont essentielles pour comprendre des résultats scientifiques souvent très complexes ; en revanche, elles guident parfois de manière biaisée les interprétations, jusqu’à véhiculer certaines idées fausses.

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Quelques exemples seront discutés dans le contexte des recherches actuelles dans ce domaine. u La cartographie géologique, un voyage dans le temps Mardi 2 février à 18h30 Par Francis Meilliez, Professeur émérite de géologie, Université de Lille, Sciences et Technologies. Animée par Éric Masson, Maître de conférences en géographie, Université de Lille, Sciences et Technologies. Cartographier suppose quatre étapes : accéder à la donnée, l’identifier et en décrire les valeurs, l’insérer dans un ensemble cohérent quadridimensionnel, la faire vivre dans ce contexte restitué jusqu’au désaccord. La cartographie géologique, c’est l’expression d’une compréhension de l’évolution physicochimio-biologique d’une partie de la Terre. Rien que ça ! C’est un voyage dans l’espace et le temps, en passant sans cesse d’une échelle à une autre. C’est une démarche très conceptuelle à partir d’observations on ne peut plus matérielles. Amorcer la boucle suivante occupe le « septième jour ». u De la Topographie à la Géométrie : apport des cartes dans la pensée mathématique Mardi 23 février à 18h30 Par Patrick Popescu-Pampu, Professeur de mathématiques, Université de Lille, Sciences et Technologies. Animée par Valério Vassallo, Maître de conférences, Université de Lille, Sciences et Technologies. Les cartes de randonnée sont des cartes topographiques imprimées sur une feuille en deux dimensions. Leurs lignes de niveau suffisamment rappro-


au programme / réflexion-débat / LNA#71

chées permettent d’avoir accès au relief qui constitue la troisième dimension de notre espace géométrique quotidien. En Mathématiques, la Géométrie traite de myriades d’espaces qui sortent de notre perception habituelle. Des propriétés qualitatives incroyables de ces espaces ont été démontrées en imaginant des « reliefs » poussant dessus, que l’on a représentés aussi par des cartes topographiques. À l’aide de nombreuses images, et sans entrer dans la formalisation des concepts, la conférence montrera comment la pratique de la cartographie a ainsi inspiré l’un des outils les plus puissants du XXème siècle pour étudier la structure des espaces de dimensions arbitraires, la « théorie de Morse ». Cette théorie est toujours à la base de la compréhension fine de la structure qualitative des espaces, à la fois en Mathématiques et en Physique. u Entre ciel et terre : histoire de la représentation plane de la Terre Mardi 1er mars à 18h30 Par Michel Capderou, Maître de conférences, Université Pierre et Marie Curie, chercheur au Laboratoire de Météorologie Dynamique, École Polytechnique. Animée par Florent Deleflie, Astronome à l’Institut de Mécanique Céleste et de Calcul des Éphémérides, Laboratoire d’Astronomie, Université de Lille, Sciences et Technologies.

Les mobilités posent différents problèmes lorsque l’on souhaite les cartographier. Aux questionnements habituels de la représentation graphique (quoi ? à qui ? comment ? etc.) s’ajoutent quelques spécificités liées au thème abordé. Les mobilités peuvent en effet être envisagées sous au moins trois angles qui rendent leur représentation délicate : mouvement, ubiquité et durée sont autant de défis pour le cartographe. Entre réf lexions théoriques et réalisations pragmatiques, nous reviendrons sur des usages anciens de la cartographie et verrons ce que les nouvelles technologies peuvent nous apporter.

Comité d’organisation : Dany Amiot, Sylvain Billiard, Marie-Hélène Canu, Jean-Philippe Cassar, Frédérique Cornuau, Fabien Delecroix, Florent Delef lie, Marie Laboureur, Jacques Lescuyer, Patrick Picouet, Valério Vassallo. Retrouvez toutes nos conférences en vidéo sur le site : http://lille1tv.univ-lille1.fr/

Les 12, 19, 26 janvier et le 2 février à 18h : visite guidée gratuite de l'exposition « La carte, miroir des hommes, miroir du monde »

u Fabriquer l’atlas d’un peuple sans État ? L’exemple palestinien Mardi 22 mars à 18h30 Par Jean-Paul Chagnollaud, Professeur en sciences politiques, directeur de l’Institut de Recherche et d’Études sur la Méditerranée et le Moyen Orient, Université de Cergy-Pontoise. Animée par Pauline Bosredon, Maître de conférences en géographie, Université de Lille, Sciences et Technologies.

u La Fin des cartes ? Territoires rêvés, territoires normalisés Mardi 29 mars à 18h30 Par Karen O’Rourke, Professeur en art et communication, Centre Interdisciplinaire d’études et de recherches sur u Attrape-moi si tu peux ! Une réflexion l’expression contemporaine, Université sur la cartographie des mobilités Jean Monnet - Saint-Étienne. Mardi 15 mars à 18h30 Animée par Éric Leclerc, Professeur des Par Sébastien Oliveau, Maître de confé- Universités, laboratoire TVES, Université rences en géographie, Université d’Aix- de Lille, Sciences et Technologies. Marseille. Animée par Frédérique Cornuau, Maître de conférences en démographie, Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques, Université de Lille, Sciences et Technologies.

www.culture.univ-lille1.fr

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CYCLE LA CARTE INVENTE LE MONDE

Cartographies participatives : enjeux de pouvoirs 1 Mercredi 9 mars | Espace Culture

MATIN : Ateliers Entrée libre sur inscription 9h30 : Accueil Cyclabilité Pour partager votre expérience en tant que cyclistes du campus et de ses environs, l’association Droit au Vélo - ADAV vous invite à découvrir et alimenter sa carte collaborative de cyclabilité accessible en ligne.

fronts économiques et industriels. Dans un contexte interculturel, dans lequel les relations interpersonnelles et institutionnelles sont marquées par l’histoire coloniale, la cartographie participative invite le chercheur à opérer consciemment un décentrement culturel quant aux savoirs, techniques et méthodes de cartographie mobilisés, et à mettre en en place une approche éthique et réflexive, tenant compte des éventuelles asymétries de pouvoir et des positions institutionnelles et collectives des participants.

Cartographie subjective Venez jouer, avec Catherine Jourdan, les premières manches d’un jeu dans lequel le geste cartographique se pense 15h30 : Table ronde ensemble et s’alimente de perceptions fugaces, d’impressions tenaces et des Une cartographie au service des opinions des participants sur un lieu. citoyens ? Irène Hirt OpenStreetMap Venez faire l’expérience d’une carte du Gaël Musquet, Porte-parole d’OpenStreetmonde entier, faite par des gens comme Map France vous : OpenStreetMap qui permet libre- Production participative de données : ment de voir, modifier et utiliser des OpenStreetMap est un outil collaboratif données géographiques et découvrir les de production de données publiques principaux vecteurs de communication qui, dans le contexte d’ouverture à l’accès utilisés par la communauté francophone. numérique des données publiques de l’administration, permet d’interroger l’articulation entre ces sources de données APRÈS-MIDI : Un temps pour débattre et leur contribution à des services offerts Entrée libre aux utilisateurs. 14h : Introduction Par Jean-Philippe Cassar, Vice-président chargé de la Culture et du Patrimoine Scientifique

Catherine Jourdan, Psychologue et artiste documentaire Géographie subjective Réalisées par un groupe d’habitants avec une artiste et un graphiste et affichées dans les espaces publics, les créations collectives d’une carte de la ville ont touché douze villes européennes depuis 2008. Les enjeux, les limites et l’intérêt de ce projet de « Géographie subjective » 2, qui souhaite donner ses pleins droits à une géographie buissonnière collective par le biais d’une carte dite « subjective », seront l’objet de cette intervention.

14h30 : Conférence introductive Cartographies participatives en contexte autochtone : quelles cartes, pour qui et pour quoi ? Par Irène Hirt, Chargée de recherche CNRS - UMR 5185 ADESS, Bordeaux Les peuples autochtones mobilisent des modes de représentation et du langage cartographiques de l’État moderne pour défendre des droits au sein des États-nations qui les englobent, et pour Mathias Vadot, Association Droit au vélo faire face à l’expansion de nouveaux - ADAV

Cyclabilité de la métropole lilloise La carte collaborative de cyclabilité est un outil novateur permettant de révéler l’exacte représentation des routes et rues de la région, accessibles à vélo, en se basant sur le ressenti des cyclistes. L’association Droit au vélo - ADAV exposera les raisons ayant abouti à ce projet, les choix méthodologiques retenus ainsi que l’application actuelle et future de cet outil. Animation : Marie Laboureur, Ingénieure d'études SIG - cartographie, Laboratoire TVES et Maryvonne Prévot, Maître de conférences, Laboratoire TVES, Université de Lille, Sciences et Technologies 18h : Conférence de clôture Cartes participatives, des cartes hors de la cartographie Par Gilles Palsky, Professeur de géographie, UMR Géographie-Cités, Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne La cartographie universitaire s'est développée comme une discipline qui vise à produire « la » bonne carte, bien dessinée et communiquant de façon efficace. Elle laisse ainsi de côté tout un continent cartographique dans lequel le processus mis en œuvre dans l’élaboration prime sur l'apparence du produit fini. Ces cartographies participatives seront abordées selon les contextes de leur réalisation – aide au développement, projets de territoires, cartographie 2.0 – pour en mesurer les apports en termes de renversement des rapports de pouvoir, mais aussi en souligner les possibles biais et explorer comment ces cartographies de non spécialistes imposent un renouvellement des méthodes et des questionnements au sein même de la cartographie académique. Comité d’organisation : Dany Amiot, Sylvain Billiard, Marie-Hélène Canu, Jean-Philippe Cassar, Frédérique Cornuau, Fabien Delecroix, Florent Delef lie, Marie Laboureur, Jacques Lescuyer, Patrick Picouet, Valério Vassallo. Plus d’informations : http://culture.univ-lille1.fr

Voir le programme détaillé de cette journée : http://culture.univ-lille1.fr 1

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http://www.geographiesubjective.org/Geographie_ subjective/Klaxon.html

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Retrouvez toutes nos conférences en vidéo sur le site : http://lille1tv.univ-lille1.fr


au programme / résidence artistique / LNA#71

Résidence Artiste Rencontre Territoire Universitaire

Emmanuelle Ducrocq

RENCONTRE AVEC LES ÉTUDIANTS Mercredi 20 janvier de 12h à 14h

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a nouvelle édition d’Artiste Rencontre Territoire Universitaire (ARTU) aura lieu de janvier à fin avril 2016. Organisée par le service culture de la ComUE Lille Nord de France et soutenue par la DRAC, cette résidence permet à un artiste invité d’approfondir son travail tout en plaçant les étudiants et la communauté universitaire au cœur du processus de création. À travers ce dispositif unique en France, l’artiste a pour mission de travailler sur l’ensemble des Universités du Nord-Pas de Calais. Une nouvelle saison de gestes artistiques et de restitutions publiques est donc lancée… Après le passage remarqué de l’artiste japonais, Atsunobu Kohira, nous accueillons cette année une artiste française, plasticienne. La démarche artistique d’Emmanuelle Ducrocq repose sur la notion d’espace. La rencontre avec un lieu, ses caractéristiques, son histoire et ses habitants sont autant de sources d’inspirations pour créer une œuvre qui lui répond. L’emplacement qui accueille l’œuvre est choisi comme un espace scénique où l’œuvre peut alors entrer en scène. C’est pourquoi chaque installation est le fruit d’un ressenti, une nouvelle expérience et une pièce inédite, vivant et se dégradant au fil du temps. Parfois, ses œuvres sont aussi le résultat d’une interaction directe avec un public qui devient l’élément central de la création et sans qui la pièce ne pourrait exister. « Mon travail répond au ‘ lieu’ qui devient tout à la fois le partenaire, la matière et la scène de création. Joute corporelle...

Ce temps d’échange avec l'artiste sera l'occasion d'aborder deux pistes de réflexion – le cheminement dans le campus et les lieux de convivialité au sein des départements – et de partager un processus de création pour y répondre ensemble. Une visite du campus permettra de définir le lieu d’investigation. Ce projet vous intéresse ? Contactez Mourad Sebbat : mourad.sebbat@univ-lille1.fr Corps à corps... Un lieu ou un territoire m’ interpelle particulièrement lorsqu' il est « malade », déséquilibré, contraint ou obstrué. Je suis également sensible à sa valeur scénique souvent éteinte ou ensevelie. L’œuvre devient alors un autre corps qui s' inscrit dans le corps du lieu pour le réactiver de l’ intérieur… L’œuvre s’ immisce également dans l’ écriture du paysage pour en bousculer la lecture, réveiller la relation consciente et inconsciente que nous tissons avec notre environnement. Elle peut enfin devenir une interpellation publique pour s’exprimer sur les espaces quotidiens que nous investissons et habitons. » Emmanuelle Ducrocq ARTU est l’occasion pour les étudiants, issus de tous types de formations, de participer à une expérience artistique inédite. Renseignements sur la résidence ARTU : http://artucomue.tumblr.com/ Renseignements sur le travail de l’artiste : http://emmanuelleducrocq.blogspot.fr/ Contact : axelle.doual@cue-lnf.fr

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LNA#71 / au programme / exposition

LA CARTE, miroir des hommes, miroir du monde Du 11 janvier au 19 février Vernissage : lundi 11 janvier à 18h30 Espace Culture | Entrée libre Visites guidées sur réservation * Visible le samedi 30 janvier de 9h à 17h lors des JPO

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a carte a toujours été l’un des modes de représentation par lesquels l’Homme a cherché à traduire sa vision du monde, sa place dans celui-ci, l’étendue de son territoire, la position de ses lieux symboliques ou matériels, les limites de l’inconnu, de l’étranger, du chaos…

antiques, la Terre pouvant même redevenir plate ou limitée par peur des antipodes. La vision symbolique et mystique domine. Peu à peu, à partir du XIème siècle, les savoirs de la « science arabe » et de l'Antiquité pénètrent ce monde. Des portulans sont dressés, qui permettent navigation et cabotage.

La multiplicité des cartographies n’est pas étonnante. Leur histoire est loin d’être linéaire. Plusieurs formes se sont développées simultanément, selon les besoins auxquels elles répondent (se déplacer, situer les lieux symboliques, etc.). La réalisation d’une carte mobilise les savoirs d’une époque, contribue à les développer, utilise des codes visuels particuliers, exprime le pouvoir de ses commanditaires. Les Grecs pensent d’abord le monde dans le cercle puis, Platon et Aristote faisant de la Terre une sphère placée au centre du monde, en imaginent les dimensions grâce à leurs appareils de mesure et à des projections planes (Ératosthène, Ptolémée). Les Romains s’attachent à des représentations utilitaires, favorisant cartes topologiques pour leurs déplacements et mise au point de cadastres (Peutinger). La cartographie en pays d’Islam fait des progrès décisifs dans la représentation des latitudes, grâce à la jonction entre observation, mathématiques, méthode de projection (Al-Idrissi). La Mecque et les principales villes sont positionnées. Le problème des longitudes est, pour longtemps, posé. Le Moyen-Âge chrétien veut unir Foi et Raison. Ses connaissances se fondent d’abord sur les vestiges des savoirs

Au Quattrocento, les savoirs migrent dans l’espace profane. Paolo Toscanelli, à Florence, représente un monde où de grandes îles sont situées à la place de l’Amérique. Avec Brunelleschi, il invente la perspective, qui unifie le monde et inspirera Copernic. Dans cette « science des mécènes » qui se développe et emprunte aux « sciences arabes », instruments de mesure performants, progrès des mathématiques, nouvelle astronomie permettent d’obtenir des mesures exactes de la Terre (angles, latitudes, altitudes, etc.), préalables à la réalisation plus précise d’un espace qui prend alors une signification propre (Mercator). L’image mentale du monde se fixe dès le début du XVIIème siècle et propose la trame conceptuelle de la cartographie occidentale. Celle-ci pose le problème de la détermination des longitudes. Sa résolution exige des « garde-temps » et ne trouvera de solution définitive qu’au XIXème siècle. C’est cette période de l’histoire de la cartographie que La carte, miroir des hommes, miroir du monde illustre à travers les développements des instruments scientifiques et des techniques de la cartographie en Europe. Ceux-ci font interagir différents corps de métiers (cartographes, ingénieurs,


au programme / exposition / LNA#71

Ci-dessus : Graphomètre à pinnules Baradelle, seconde moitié du XVIIIe siècle

graveurs, etc.) et interférer différents acteurs (commanditaires, mécènes, éditeurs, etc.) dans le processus de création de la carte ; depuis les représentations des cartographes et graveurs des XVIème et XVIIème siècles (Hondius, Blaeu, Van der Keere) jusqu’aux nouvelles techniques de conception de la cartographie numérique, en passant par les triangulations (Cassini), l’apparition de la photographie, des satellites et enfin du numérique, qui rendent la précision de la représentation de la Terre et de l’Univers de plus en plus grande et la superposition des données cartographiées possible. Cartes, atlas et instruments scientifiques d’époque – véritables trésors des Universités lilloises 1, du CNRS 2 et du Musée d’Histoire Naturelle de Lille – composent cette exposition, expression d’une vision suivant l’évolution des représentations cartographiques occidentales, qu’elles soient topographiques, géologiques, célestes... avec une interprétation iconographique, politique, militaire, scientifique ou encore pédagogique.

Ci-dessous : Salle des collections de l’Institut de géographie de la Faculté des lettres de Lille, archive photographique, fin du XIX e siècle - début du XXe siècle, Université de Lille, Sciences et Technologies, UMR 8198 Évo-Éco-Paléo, Bibliothèque recherche

* Du lundi au jeudi de 9h à 18h et le vendredi de 9h à 13h : visites guidées d’une heure, gratuites et sur réservation (16 pers. max./ groupe). Pour réserver votre visite, en groupe ou individuellement, contactez Alicia Zasso, médiatrice du patrimoine scientifique : alicia.zasso@univ-lille1.fr ou 03 20 33 77 17. Visites à l'attention des personnels de l'Université les 13, 21, 26 janvier et le 1er février (inscription auprès du CAS qui offre sandwich et boisson).

Sophie Braun, Chargée du Patrimoine Scientifique Université de Lille, Sciences et Technologies

1 Université de Lille, Sciences et Technologies (UFR Aménagement et Géographie, Laboratoire d’Astronomie de Lille, ASA), Université de Lille, Sciences Humaines et Sociales (Fonds patrimonial et Bibliothèque Michelet), Institut catholique de Lille (CRGH).

UMR 8198 Évo-Éco-Paléo (Bibliothèque recherche).

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LNA#71 / au programme / exposition

DES CARTES À L’ŒUVRE Œuvres de Pauline Delwaulle et de la collection du FRAC Nord-Pas de Calais

Du 7 mars au 15 avril Vernissage : lundi 7 mars à 18h30 Espace Culture | Entrée libre Visites guidées sur réservation * En partenariat avec le Fonds Régional d’Art Contemporain Nord-Pas de Calais

Pauline Delwaulle : Terra Incognita / Nom Blanc / Équinoxe moins deux minutes

Des toponymes s’affichent au gré de nos déplacements et témoignent du paysage autant qu’ils appellent à l’imaginaire.

Art & Language / Stanley Brouwn / Samuel Buckman / Gloria Friedmann / Bouchra Khalili / Gianni Motti / Matt Mullican / Lawrence Weiner

Équinoxe moins deux minutes transpose, dans le lieu d’exposition, la luminosité relevée le 20 mars 2015 sur l’archipel du Svalbard où était visible l'éclipse solaire totale.

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Des œuvres de la collection du Frac Nord-Pas de Calais accompagnent ces installations et témoignent de l’intérêt d’artistes tels que Art & Language, Gianni Motti, Stanley Brouwn ou Bouchra Khalili pour l’espace et sa retranscription.

orge Luis Borges et son paradoxe de la carte à échelle 1 nous rappelait que toute carte est finalement une abstraction du monde, offrant aux cartographes mais aussi aux artistes la possibilité de penser cet écart avec la réalité, de l’explorer à travers des représentations subjectives. « Des cartes à l’œuvre » évoque la façon dont les artistes contemporains s’emparent de la carte, notamment depuis les années 60, pour créer des allégories, une poésie du paysage, une expérience sensible du monde. La cartographie est source infinie d’appropriations grâce aux données qu’elle produit en terme de langage, de signes, d’échelles. Elle est aussi le point de départ pour arpenter les territoires et inscrire son itinéraire. Les deux installations de Pauline Delwaulle nous invitent à voyager à travers des espaces immaculés. Terra Incognita est une carte du monde présentée sur une surface tactile. 30

Pauline Delwaulle a grandi à Dunkerque, puis étudié l’art et le cinéma contemporain à l’École Nationale Supérieure d’Arts de Paris Cergy. Elle y a développé une approche sensible de l’écriture de l’espace et de la géographie. Après avoir obtenu son diplôme avec les félicitations du jury, elle intègre le Fresnoy - Studio national des arts contemporains, pour y être diplômée en 2013. Aller chercher, aller trouver, chaque projet est une nouvelle aventure, une expérience. Puisant à la fois dans le documentaire, l’art contemporain et la littérature, le travail de Pauline Delwaulle se développe en rhizome, à travers plusieurs médiums. Actuellement, elle travaille sur l’idée de paysage sémantique et sur les données chiffrées du paysage (mesures topographiques, météorologie…).


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1 : Pauline Delwaulle, Terra Incognita 2 : Pauline Delwaulle, Équinoxe moins deux minutes 3 : Gianni Motti, Revendication : le tremblement de terre en Californie en 1992, 1992 - Collection Frac NordPas de Calais © Gianni Motti 4 : Stanley Brouwn, This Way Brouwn, 1964 Collection Frac Nord-Pas de Calais © Stanley Brouwn 5: Art & Language, Map of an area of dimension 12"x12" indicating 2, 304 square, 1967 © Art & Language

* Contact : fathea.chergui@univ-lille1.fr ou 03 20 33 61 12 Visites à l'attention des personnels de l'Université les 9, 17, 22 et 31 mars (inscription auprès du CAS qui offre sandwich et boisson).

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Janvier, février, mars 2016

Ag e nd a

Retrouvez le détail des manifestations sur notre site : culture.univ-lille1.fr ou dans notre programme trimestriel. L’ensemble des manifestations se déroulera à l’Espace Culture de l’Université de Lille, Sciences et Technologies (sauf mention particulière).

Du 11 janvier au 19 février

Rendez-vous d’Archimède « Cartes corticales : une représentation objective et dynamique de la réalité ? » par François Mauguière

19h

Théâtre et sciences : « Pôle Nord » Cartographie 4 par la Cie Vertical Détour *

Mardi 19 janvier

18h30

Rendez-vous d’Archimède « Cartographier des frontières mobiles ? L’antiAtlas des frontières » par Anne-Laure Amilhat-Szary

Jeudi 21 janvier

18h30

Projection-débat « Les moissons du futur » par l’AESS APIESS

Mardi 26 janvier

18h30

Rendez-vous d’Archimède « Quand les cartes racontent l’histoire de l’espèce humaine » par Alicia Sanchez-Mazas

Mardi 2 février

18h30

Rendez-vous d’Archimède « La cartographie géologique, un voyage dans le temps » par Francis Meilliez

Mercredi 3 février

18h30

Café langues avec la Maison des Langues

Mercredi 10 février

19h

Mercredi 13 janvier

Tél : 03 20 43 69 09 - Fax : 03 20 43 69 59 Mail : culture@univ-lille1.fr Site Internet : http://culture.univ-lille1.fr

Spectacle « Zones de fuite » par la Cie Les Blouses Bleues *

Jeudi 11 février

18h30

Conférence « Migrations : de qui mon voisin est-il l’étranger ? » par l’Association Alter Idées

Mardi 23 février

18h30

Rendez-vous d’Archimède « De la Topographie à la Géométrie : apport des cartes dans la pensée mathématique » par Patrick Popescu-Pampu

Mardi 1er mars

19h 18h30

Théâtre et sciences : « Les Vikings et les Satellites » Cartographie 2 par la Cie Vertical Détour * Rendez-vous d’Archimède « Entre ciel et terre : histoire de la représentation plane de la Terre » par Michel Capderou

Du 2 au 5 mars

Festival 1,2,3 théâtre par l’association 1,2,3 théâtre

Du 7 mars au 15 avril

Exposition « Des cartes à l’œuvre » avec le FRAC Nord-Pas de Calais Vernissage le 7 mars à 18h30

Mercredi 9 mars

Mardi 15 mars Du lundi au jeudi de 9h à 18h et le vendredi de 9h à 13h45 Café : du lundi au jeudi de 9h à 17h45 et le vendredi de 9h à 13h45

Exposition « La carte, miroir des hommes, miroir du monde » Vernissage le 11 janvier à 18h30 18h30

Mardi 12 janvier

Mercredi 24 février

Espace Culture - Cité Scientifique 59655 Villeneuve d’Ascq

Initiatives culturelles

Mercredi 16 mars Mardi 22 mars Mercredi 23 mars Mardi 29 mars

9h30

Journée « Cartographies participatives »

18h30

Café langues avec la Maison des Langues

18h30

Rendez-vous d’Archimède « Attrape-moi si tu peux ! Une réflexion sur la cartographie des mobilités » par Sébastien Oliveau

19h 18h30

Rendez-vous d’Archimède « Fabriquer l’atlas d’un peuple sans État ? L’exemple palestinien » par Jean-Paul Chagnollaud

19h

Théâtre et sciences : « Les déterritorialisations du vecteur » Cartographie 3 par la Cie Vertical Détour *

18h30

Rendez-vous d’Archimède « La Fin des cartes ? Territoires rêvés, territoires normalisés » par Karen O’Rourke

Les 29, 30 et 31 mars Jeudi 31 mars

Spectacle « Nyctalope » par La Générale d’Imaginaire *

Journées nationales des arts et de la culture à l’université 19h

Performance sonore « Trading Litany » avec Muzzix *

Conférences : entrée libre dans la limite des places disponibles. * Spectacles gratuits sur réservation préalable (dans la limite des places disponibles).

L’Espace Culture est adhérent au réseau national A+U+C et partenaire de Cultures du Cœur du Nord MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION NATIONALE, DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE


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