Dispositif Pass' Emploi MCEF Toulouse Bellefontaine

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Maison commune emploi formation de Toulouse Bellefontaine

The Experience

Hélène Duffau Pierre-Olivier Mazoyer

Récits de parcours à vocation professionnelle Dispositif Pass’ Emploi



The Experience Récits de parcours à vocation professionnelle Dispositif Pass’ Emploi Maison commune emploi formation de Toulouse Bellefontaine


Textes : Hélène Duffau, Carole, Hanen, Héla, Marion et Narimène Photographies : Pierre-Olivier Mazoyer


The Experience Récits de parcours à vocation professionnelle Dispositif Pass’ Emploi Maison commune emploi formation deToulouse Bellefontaine

Hélène Duffau Pierre-Olivier Mazoyer Éditions 3POM


Š Studio Nelson


Ma conviction profonde, c’est qu’être une femme (ou un homme !) politique, élue du peuple, requiert deux qualités complémentaires : avoir des valeurs et l’énergie, le volontarisme, pour les mettre en œuvre. C’est là toute l’histoire de la création du Pass’ Emploi. Été 2009, la crise économique est au plus fort et ses effets sur l’emploi désastreux. Les habitants des quartiers situés en « zone urbaine sensible » sont touchés plus durement que les autres. En tant qu’élue et présidente de la Maison commune de Bellefontaine, je ne peux rester inactive. Avec le soutien du Conseil d’Administration, je décide alors de mettre en place un dispositif spécifique pour aider les jeunes des quartiers à retrouver un emploi. La mise en œuvre du Pass’ Emploi est guidée par quelques grands principes : offrir à ces jeunes le meilleur, être efficace dans la prise de décision et, au-delà des institutions, associer les forces vives des quartiers. Concrètement, cela veut dire un coach pour 50 jeunes, des aides financières mobilisables sous 48 h, un comité de suivi mensuel auquel

participent les institutionnels et les associations. Sans oublier, puisque c’est le sujet de ce très beau livre, la possibilité de faire un stage professionnel dans un pays d’Europe, dont nous savons les bienfaits pour la confiance en soi et le dynamisme. Pour mener à bien ce type de projets, il faut des financements. La Région Midi-Pyrénées et le Fonds social européen nous soutiennent financièrement depuis 2009 et je les en remercie. Le Pass’ Emploi est régulièrement évalué tant du point de vue du programme que de celui de l’utilisation, à bon escient, de l’argent public. Parmi les 150 premiers jeunes entrés sur le dispositif, 70 % sont sortis avec un emploi ou une formation. Quant à l’évaluation des parcours professionnels en Europe, les jeunes vous racontent, dans les pages qui suivent, leur expérience. Bonne lecture. Monique Iborra Présidente de la Maison commune emploi formation de Toulouse Bellefontaine Députée de Haute-Garonne


Š Dominique Simorre


Depuis bientôt quarante ans que l’insertion professionnelle existe, de multiples dispositifs ont été testés et nous savons aujourd’hui quels sont les principaux leviers de la réussite : un coach qui accompagne une cinquantaine de personnes tout au plus ; qui passe autant de temps au contact des entreprises qu’en entretien individuel ; qui fait confiance à la demande de la personne et met tout en action le plus vite possible ; qui peut aider à préparer une épreuve de cap ou, évidemment, à faire un cv ; qui peut rapidement mobiliser une aide pour acheter un vêtement professionnel, réparer un pare-brise ou acheter les annales d’un concours ; qui aide à prendre en charge la question de la couverture maladie ou la lettre « incompréhensible » des impôts…

Grâce à la volonté sans faille de la Présidente et à la confiance des financeurs, le Pass’ Emploi a pu mettre en œuvre concrètement tous ces principes et, malgré la crise qui perdure, c’est une réussite. Que soient aussi remerciés nos partenaires, notamment Pôle emploi et la Mission locale ; les prestataires qui nous ont aidés à trouver des solutions et les associations des quartiers qui nous ont envoyé « leurs » jeunes, en confiance.

Il y a aussi quelques éléments dont nous n’avions pas imaginé l’importance : la taille humaine de la Maison commune, les liens qui se nouent entre le personnel et les jeunes, avant et après les rendezvous. Pour ceux qui en avaient besoin, cette structure est aussi devenue « leur » maison, où ils sont connus et, surtout, reconnus.

Thierry Bertin Directeur de la Maison commune emploi formation de Toulouse Bellefontaine

L’ouvrage que vous lisez rapporte le plus important : la parole des jeunes, recueillie avec toute la sensibilité d’Hélène Duffau, et leur belle image, digne et droite, capturée par Pierre-Olivier Mazoyer. Le voyage peut commencer.



Carnets de voyage Pass’ Emploi 2011 - 2012



Toulouse-Dublin Dès la descente de l’avion, un pied sur le tarmac et une bourrasque bouscule mon arrivée. Dublin… et l’autan souffle jusqu’ici ?

De l’autre côté du fleuve, des Indignés installent leur campement sur les trottoirs de Dame Street, siège des banques.

Ciel gris. Les mouettes se jouent de l’air agité. Elles crient et se font emporter, ailes déployées, par le courant ascendant. Les oiseaux semblent se réjouir d’une météo tempétueuse.

Ici, l’insularité pose ses codes. Certains restaurants indiquent fièrement la provenance de la viande proposée à leur carte, irlandaise à cent pour cent. Et les pommes de terre, tout comme le pain, délicieux soda bread, ou encore l’eau de source...

À Dublin comme à Toulouse cette année, l’automne traîne en douceur. Dans les artères ébouriffées du centre-ville, les transports en commun se croisent en un flot discontinu : les bus à étages colorent les carrefours en jaune et bleu, rouge, vert, couleur acier du tramway. Paradoxe de l’époque : les promeneurs se pressent dans les rues décorées des mille feux de Noël où les boutiques semblent ne pas désemplir, tandis qu’une manifestation dans O’Connel Street dénonce les restrictions budgétaires du gouvernement en état de crise.

Vivre sur une île modèle les usages. De toute évidence, Dublin sait qu’il est important de veiller à son autonomie — alimentaire tout du moins. Dans les rues de la ville, une statue des affamés rappelle le passé douloureux d’un pays ravagé par la famine au milieu du xixe siècle. Dublin est une ville rapidement familière. Avec un centre-ville couleur brique resserré au cœur d’une vaste agglomération, elle ressemble à Toulouse. Ici, pourtant, la mixité l’emporte sur celle de la Ville rose.


Carole Si quelqu’un m’avait dit, il y a cinq mois, que j’allais partir dix semaines à Dublin, je lui aurais fait les gros yeux. Pourtant, c’est ce qui s’est passé…

permettrait de tourner une page et d’en ouvrir une autre par une expérience qui me ferait grandir et gagner en maturité.

Tout a commencé un après-midi. J’accompagnais Héla à la Maison commune emploi formation et là, entre deux gros classeurs, j’ai aperçu un flyer que j’ai lu. Moi qui rêvais d’aventure, j’ai immédiatement été emballée par le projet : partir à l’étranger, étudier l’anglais et travailler était une chance que je ne devais pas rater. Je me suis inscrite et tout s’est enchaîné : réunions d’information, tests… et l’attente !

Avant le départ, j’ai fait la connaissance du groupe : Héla, Marion, Narimène et Hanen. Le groupe des cinq ! Puis, mélange d’excitation et d’appréhension début octobre. Joie de partir, de découvrir un pays, de rencontrer de nouvelles personnes et de changer radicalement de vie en apprenant à vivre à l’étranger, dans une ville et une famille encore inconnues…

J’étais avec Héla le jour où nous avons été informées que étions retenues. C’est un moment que je n’oublierai jamais ! À la recherche d’un emploi depuis plusieurs mois, allant de refus en déception, ce projet de mobilité comptait beaucoup. J’avais besoin de me remettre en selle, de retrouver la motivation, de perfectionner mon anglais, important pour de nombreux employeurs. Ce voyage me

Rude arrivée avec beaucoup de stress : mes bagages perdus, je me retrouve avec mon manteau et mon ordinateur portable. Fort heureusement, j’ai fini par recevoir mes affaires et le séjour a pris un air serein. J’ai suivi des cours d’anglais ludiques et thématiques, avec des professeurs disponibles. Dans un même couloir se côtoyaient des étudiants



du monde entier et j’ai rencontré énormément de gens, noué des liens. Une différence majeure entre Dublin et Toulouse est cette facilité que l’on a d’aborder les gens ici. En soirée ou au quotidien, malgré la barrière de la langue, je n’ai eu aucune difficulté et surtout aucune gêne à aller vers autrui, à m’exprimer et à engager une conversation. Ici, on échange spontanément son Facebook ! Tout va très vite, il y a une grande ouverture d’esprit, les émotions sont démultipliées. Et le premier jour professionnel est arrivé. Pour parfaire mes connaissances et avoir une première expérience significative, je souhaitais effectuer mon stage dans une entreprise d’administration. À Dublin, Head Hunt est une société internationale très réputée, aussi j’avais hâte d’y pratiquer mon anglais, d’acquérir un nouveau vocabulaire professionnel. Cependant, une période de rush très prenante pour les employés m’a mise un peu de côté : saisie informatique, gestion de bases de données. J’ai fini par accéder à certaines tâches plus intéressantes

dans le service recrutement, un secteur qui me plaît beaucoup, où j’ai utilisé des logiciels spécifiques, des sites, et développé mes compétences administratives. Le rythme était intense.


Les cinq dernières semaines ont passé à toute allure. Entre stage, découvertes et vie quotidienne, je me suis habituée à Dublin au point de vraiment m’y sentir chez moi. Plus le temps passait plus je me rendais compte que je ne pourrais ni faire ni voir tout ce que je voulais. Et au cours des quinze derniers jours, tout s’est accéléré ! « Enjoy », le mantra du goupe, a été mis en application au maximum. Entre tristesse d’avoir quitté Dublin, joie de retrouver mes proches, et, une fois encore, l’absence de mes bagages : rude arrivée à Toulouse ! Je veux retourner à Dubin pour perfectionner mon anglais, et j’ai laissé là-bas bien des choses à explorer. L’expérience m’a fait grandir, mûrir, gagner en confiance et m’a apporté énormément de choses positives. Je sais maintenant où sont mes limites, ce que je suis capable de faire. Je suis très heureuse d’avoir su, dans des situations embêtantes, trouver des solutions et y arriver seule. Pour moi, l’aventure n’est pas terminée…


Vers l’inconnu Rien ne bouleverse tant une vie que l’exil. Rien ne rend plus humble et plus riche qu’un séjour dans un ailleurs, révélateur, enfin, de nombreuses facettes de sa personnalité auparavant ignorées.

étranger au ciel d’une différente luminosité. Perdre pied lors de l’immersion dans une autre langue qui, immanquablement, construit une nouvelle façon de penser, ouvre l’esprit à de nouvelles idées. Poser chaque jour un regard neuf sur un environnement étonnant. S’affranchir de ses propres limites pour renaître à l’exploration.

Quitter ses terres, laisser les repères rassurants et parfois confortables, les habitudes et les pas routiniers… Oser prendre son envol vers un pays

Partir c’est se confronter. C’est se dépouiller. C’est remettre en question croyances et convictions pour se laisser gagner par l’inconnu. Accepter


de se quitter coûte que coûte pour se retrouver métamorphosé. Pour se jouer de soi, là-bas, et revenir gagnant d’une partie dont on a découvert les règles, les codes et les enjeux, à mesure qu’elle se déroulait. Décider de vivre loin de chez soi demande une dose d’inconscience largement supérieure à celle de la décision raisonnée. Celle ou celui qui s’inscrit dans ce mouvement est brave, dans le sens de la force de caractère. Le saisonnier de l’ailleurs sait que l’avenir lui réserve quelque surprise. Il pressent, sans pouvoir la nommer encore, la transformation induite par le séjour. Avant de partir, chacun sait que sa vie dépend de ce moment. De cette bouffée d’air frais à humer, son effet à éprouver, à expérimenter. Et chacun sait, dès lors, que tout peut arriver.


Marion Au premier abord, je ne laisse rien paraître. Mais, sous ma carapace de fille enjouée et râleuse se cache une personne fragile avec un énorme manque de confiance. Je ne me livre pas facilement aux autres, et c’est pour cela que bien souvent l’écriture m’aide à évacuer mes problèmes. Un stylo, un calepin, et le tour est joué ! Je peux balancer des mots en vrac et y revenir ou pas plus tard. Lorsque mon côté artistique prend le dessus et déboule sans crier gare, je peux le satisfaire avec ce qui se trouve dans mon sac : mon appareil photo et mon stylo, entre autres.

Je me souviendrai longtemps du jour où la Mission locale m’a proposé ce voyage : mes yeux se sont illuminés, je m’y voyais déjà ! Après quelques péripéties, j’ai passé les entretiens et ma candidature a été retenue par la Maison commune. Lorsque j’ai rencontré les autres participantes, j’ai vu dans leurs yeux la même étincelle que je devinais dans les miens. Pourtant, je n’arrivais pas à réaliser dans quoi je m’embarquais !

Je suis très, très curieuse. J’aime l’aventure et découvrir de nouvelles cultures, de nouveaux horizons. Et, dans mes quêtes, mon appareil photo est quelque chose de précieux. Il fait partie de ma personnalité au point que rares sont ceux qui m’ont vue sans mon reflex. J’aime immortaliser tout ce qui m’entoure, aussi bien des lieux que des situations, comme les personnes que j’ai envie de graver ailleurs que dans ma mémoire.

Lorsque j’ai posé le pied sur le sol dublinois, j’ai senti que quelque chose de merveilleux allait m’arriver ici. À peine la porte du taxi ouverte devant ma nouvelle adresse, une femme m’a accueillie bras ouverts sur le seuil de sa maison, un véritable cocon rose chaleureux où j’ai passé deux mois et demi extraordinaires. Ethel a été d’une rare gentillesse avec moi. Tous les soirs, une tasse de thé à la main, je venais m’asseoir avec elle au salon

Jour J, bagages en main, rendez-vous à l’aéroport. On embarque vers une nouvelle page de notre vie.



pour lui raconter ma journée et mes projets. Avec elle, j’ai énormément progressé en anglais. Durant deux semaines de cours, de rencontres inoubliables et de découvertes étonnantes, j’ai créé de nouvelles affinités avec des personnes de toutes nationalités et je me suis enrichie de savoirs comme d’autres cultures. Appareil photo à la main, j’ai beaucoup photographié le centre-ville à chacune de nos sorties d’exploration à cinq. Dublin est à couper le souffle : tous les jours, je découvrais un nouvel endroit ; j’ai assisté au lever du soleil comme à son coucher : rayons orangés reflétés sur les eaux de la Liffey qui rejoint la mer d’Irlande, Dublin encore illuminé dans l’obscurité de la nuit. Le groupe a pris quelques habitudes : mardi soir au Dicey’s, un club où nous avons fait de nombreuses rencontres ; samedi soir au Fitzsimons, night-club très fréquenté pour soirées mémorables...

Pour mon stage, il a fallu que je m’habitue à mon nouveau look plutôt chic : maquillage et piercing aux oubliettes, tenue strictement professionnelle exigée pour un poste de réceptionniste dans un hôtel trois étoiles. Mes collègues ont été adorables,


mes repas pris en charge par l’établissement... À l’accueil, j’étais disponible pour répondre aux demandes, j’ai appris à faire des réservations, à parler au téléphone et à aider la clientèle. C’était très riche et varié. Et bien sûr, lorsqu’un client français se présentait, j’étais à mon avantage puisqu’aucun des réceptionnistes ne pratiquait cette langue. Mon badge « Trainee » (stagiaire) m’a permis de bénéficier de la bienveillance de nombreux clients et de leur correction de mon anglais ! Dublin m’a offert énormément de choses : de nouveaux amis dont aucun n’est irlandais ! C’est un peu comme si la Terre entière était concentrée à Dublin. Alors, si vous voulez rencontrer des Brésiliens, des Colombiens, des Chinois, des Japonais, des Américains… et que vous n’avez pas envie de supporter dix heures d’avion… Pas de problème, j’ai la solution : venez à Dublin !


Narimène Si je reviens un peu en arrière, j’étais, avant, animatrice de loisirs à mi-temps dans une école maternelle. Un métier que j’aimais bien et que j’exerçais depuis longtemps, mais qui me procurait un salaire un peu juste pour ma fille et moi. Coachée par Isabelle Gaudry, je me suis mise en route pour changer de travail, obtenir un poste à temps plein. J’ai effectué un bilan de compétences car je n’avais aucune idée de ce que je voulais faire. Tout était flou. Finalement, je suis à l’aise dans les métiers qui ont trait à la bureautique et au social en général. En consultant les offres d’emploi, j’ai réalisé que parler anglais était véritablement important pour décrocher un emploi. La proposition de participer à un séjour linguistique avec stage en Irlande m’a alors été faite. Évidemment, j’ai trouvé l’idée géniale ! Pour moi, c’était une aventure à vivre, un défi à relever et un challenge loin de la famille et de tous les repères habituels. Autour de moi, tout le

monde me disait : « Vas-y ! », « Ne rate pas cette occasion et cette expérience ! » Voilà le début de mon histoire dublinoise. Plus la date d’envol approchait, plus les choses sérieuses se précisaient : les cours d’anglais, l’accompagnement pour les démarches à faire avant de partir… Quand l’heure du départ a sonné, je n’ai réalisé qu’une fois dans ma famille d’accueil ce qui m’arrivait. J’étais dans une nouvelle maison et, surtout, dans une nouvelle chambre. Pour moi, c’était quelque chose d’incroyable ! La femme qui m’a hébergée était très sympa, très tranquille. Elle m’a mise à l’aise dès les premières minutes. Ensemble, on a fait le tour de la maison, elle m’a montré le fonctionnement des différents appareils à ma disposition. Pour être certaine que je la comprenais, elle répétait souvent ses phrases en changeant les mots. Elle m’a présenté ses deux filles, ensuite, on a pris sa voiture pour faire un tour de repérage dans le quartier : elle m’a montré les



arrêts de bus que je pouvais prendre pour aller au centre-ville et m’a indiqué quelques bons plans à Dublin et alentour, pour que je profite au mieux de mon séjour. Avant de commencer le stage, j’ai eu la chance de pouvoir suivre des cours d’anglais intensifs,

qui m’ont aussi permis de pratiquer la langue avec d’autres étudiants étrangers. L’ambiance à l’école était très conviviale. Le fait de pouvoir discuter avec des gens de multiples nationalités dans la même journée m’a donné l’impression que le monde est grand. Et surtout, cela m’a fait réaliser que je n’en avais encore rien vu ! La ville de Dublin est magnifique et les attractions ne manquent pas. Il y a toujours quelque chose à faire quelque part. Alors, avec les quatre autres « Dublinoises » qui partageaient la même aventure, on a essayé de faire le plus de choses possibles : balades dans les rues de la ville, visite de différents musées et grands parcs ; et le week-end, on allait en dehors de Dublin, en prenant le train. On est parties à la mer, on a visité plein de villes aux alentours et pour nos soirées, je crois qu’on a à peu près fait


le tour des pubs. Là, c’est formidable : de la musique en live, des gens, des décors magnifiques, de quoi prendre plein de photo pour exploser l’album du Facebook ! Avant de démarrer mon stage dans une crèche, je me suis quand même posé deux ou trois questions : comment seront les enfants ? quel âge ? et puis, surtout : est-ce que j’arriverai à communiquer ? Dès mon arrivée, ma patronne m’a présenté l’entreprise, le fonctionnement, l’équipe. Elle m’a proposé de choisir mes horaires pour sept heures de travail avec une heure de pause, en précisant que c’était vraiment flexible et que je pouvais modifier mon planning en n’oubliant pas de la tenir informée. L’équipe était constituée d’une dizaine de jeunes très sociables et très bavards, ce qui m’a permis de pratiquer mon anglais quotidiennement. Aujourd’hui, le défi relevé, je comprends l’anglais même si on parle vite. Et le meilleur, c’est que je sais répondre et me faire comprendre !



Dans les rues de Dublin Valeur sûre indétrônable, la musique est inscrite dans les mœurs irlandaises : ainsi, il semble que tout le monde joue d’un instrument, que chacun chante, danse à sa guise. En centre-ville, les promeneurs profitent des musiciens de rue. Le temps d’écouter une chanson, de s’étonner de la virtuosité de jeunes violonistes, d’un standard de rock égrené à la guitare électrique, devient une bulle salutaire, bienfaisante même. En guise de remerciement, une pièce est jetée dans l’étui, des sourires se partagent, et la musique rassemble. Dans le quartier de Temple Bar, réputé pour sa succession de pubs à la devanture léchée où se déguste la Guinness locale, les concerts sont nombreux et leur programmation variée. La ville est également réputée pour ses nombreux théâtres. Incontestablement, Dublin fait la part belle à ses artistes et leur témoigne reconnaissance. Devenue,

le 20 juillet 2010, la quatrième ville unesco de littérature, la capitale de la République d’Irlande expose ses auteurs les plus connus en statues de rues. Au 18 Parnell Square, le Writers Museum propose quelques manuscrits et éditions originaux d’œuvres des figures locales. Tout près, dans les locaux de l’université Trinity College, la bibliothèque Book of Kells recense un fonds impressionnant d’ouvrages, dont certains ont plus de deux mille cinq cents ans. De part et d’autre d’une immense galerie en bois, des livres anciens, reliure cuir, grand format, parfois illustrés de gravures ou enluminés, sont exposés sur des mètres et des mètres de rayonnages. De toute évidence, Dublin est une ville de culture, de savoir et d’ouverture d’esprit.


Héla Cette aventure est tellement riche que je ne sais pas par quoi commencer… Je dirais que c’est la plus belle opportunité qu’on m’ait offerte. Avant cette expérience à Dublin je n’avais jamais vécu dans un pays étranger pendant plus d’un mois et sans ma famille. Je ne m’attendais pas à autant m’attacher à cette ville, à y prendre mes marques et m’y sentir aussi à l’aise. Je suis partie en n’imaginant pas ma vie ailleurs qu’a Toulouse… Après avoir vécu presque trois mois à Dublin, je n’imagine pas rester à Toulouse, sachant qu’il y a tant de choses à vivre et à découvrir en dehors de la Ville rose. Tant de différences font le charme et la particularité de Dublin : le temps y est plus froid et pluvieux mais, paradoxalement, le cœur des gens y semble plus chaleureux, la mentalité y est très différente. C’est une mère de famille célibataire avec ses deux fils qui m’ont accueillie. L’un des enfants est

atteint d’autisme. Quand elle a appris la maladie de son fils, elle a choisi de réorienter sa carrière pour pouvoir mieux le comprendre. Elle a repris des études pour se spécialiser dans l’éducation d’enfants autistes, et travaille maintenant dans une école qui les accueille. C’est une femme forte, tolérante, curieuse, dynamique, pleine de vie, toujours souriante, bavarde, qui aime prendre soin de son apparence, sortir avec ses amis. Je ne l’oublierai jamais tant pour son hospitalité que pour sa personnalité. Pour moi, Dublin n’est pas en Irlande. C’est une ville au croisement de nombreux pays. Il y a, bien entendu, des Irlandais sur place, mais j’y ai surtout rencontré des « étrangers » d’Europe, d’Amérique du Sud, d’Asie, d’Afrique, qui avaient tous en commun leur amour du voyage et tout ce que ça implique, c’est-à-dire rencontrer de nouvelles personnes, nouer de nouveaux liens, apprendre à communiquer dans une autre langue, découvrir de nouvelles cultures… Confrontés à la même



difficulté, celle de se parler, la barrière de la langue finit par s’atténuer grâce au désir de mieux se connaître et de se comprendre. Lorsque je suis arrivée en entreprise, j’ai su très vite m’adapter à mon nouvel environnement. Mes tâches, répétitives, étaient cependant suffisamment variées pour ne pas me lasser. L’équipe se composait de la gérante, d’une secrétaire et de deux stagiaires. Au début, l’accent de la gérante, originaire du Nord du pays, m’a beaucoup impressionnée, mais, à force de persévérance, j’ai fini par la comprendre ! Avec ma collègue espagnole le courant est très vite passé, nous nous sommes très vite liées. Nous avons beaucoup discuté, en anglais, de choses parfois très personnelles, voire intimes. Je n’en reviens pas d’avoir eu cette aisance à communiquer sur des sujets souvent profonds dans une langue que je n’aimais pas encore quelques mois auparavant. Depuis que je suis rentrée, communiquer en anglais me manque…

L’expérience a été brève, mais suffisamment dense pour me permettre de prendre conscience de beaucoup de choses. J’ai l’impression d’être passé de la jeune fille toulousaine qui savait à peine se présenter en anglais, qui imaginait son avenir à Toulouse seulement, qui croyait savoir ce qu’elle voulait faire plus tard, persévérant dans


un domaine qui, pourtant, ne lui allait pas — par crainte de l’inconnu et peut être aussi par manque de confiance —, à la jeune femme qui a développé sa sociabilité au-delà de ce qui existait auparavant, qui est parvenue à échanger en anglais, et dont les projets professionnels ont totalement changé. De toute évidence, j’avais besoin d’un déclic, de me retrouver face à moi-même pour enfin prendre conscience de ce dont je suis capable et de ce que je veux vraiment, par moi et pour moi. Cette expérience m’a apporté tout ça. Et aujourd’hui, plus que jamais, j’ai confiance en l’avenir et en moimême !


Hanen Diplômée d’une maîtrise relations presse et relations publiques, ainsi que d’un master marketing et stratégie de marque, je souhaitais, après mes études, trouver un travail en tant que chef de projet spécialisé dans les médias. Une recherche qui s’est rapidement transformée en une chasse au trésor : trop diplômée, trop jeune, pas assez d’expérience et, surtout, des lacunes en anglais à corriger sans tarder. Pour moi, la solution était de partir à l’étranger afin d’améliorer mon anglais et d’obtenir une expérience professionnelle dans un pays anglo-saxon. C’est ainsi que ma sœur m’a parlé du projet d’un séjour à vocation professionnelle en Irlande auquel elle avait postulé. Ma chance a fait qu’elle a été contrainte de renoncer à cette aventure pour un emploi qui s’est confirmé. J’ai saisi l’opportunité pour me présenter à la Maison commune emploi formation, où j’ai été retenue, après avoir passé les entretiens.

Dublin à vingt-six ans : même si les premiers jours ont été difficiles (mode de vie, culture, habitudes alimentaires), je me suis rapidement acclimatée. Dix semaines rythmées par deux semaines de cours d’anglais à l’institut CES (Centre of English Studies), puis huit semaines de stage au sein d’Artefact Brand and Design Agency, une agence spécialisée dans le conseil de design de marque (design graphique, création de logos, identité corporate, packaging). J’ai enfin pu réaliser l’un de mes principaux objectifs : me familiariser avec le vocabulaire technique anglais en adéquation avec le domaine de la communication. Mes tâches se sont principalement articulées autour de la création d’un listing de prospects, de conseils stratégiques portés à la création du nouveau site internet, ainsi que de la mise en place de la newsletter de fin d’année. Une réelle expérience dans le domaine du marketing opérationnel qui enrichit mon parcours ! J’ai, par ailleurs, rencontré des gens formidables, travaillé



avec des personnes enrichissantes tant sur le plan professionnel que personnel. Je suis une jeune femme passionnée, enjouée, qui aime croquer la vie à pleines dents, s’amuser et profiter de chaque instant comme si c’était le dernier. Ma philosophie de vie : carpe diem. Je suis à la recherche de défis et de challenges à relever. Pour moi, ils aident à aller de l’avant et donnent confiance. Enfin, je suis prête à tout pour réaliser mes rêves et atteindre chacun de mes objectifs, malgré mon manque de confiance en moi ! Comme a dit William Shakespeare : « Nos doutes sont des traîtres, et nous privent de ce que nous pourrions souvent gagner de bon, parce que nous avons peur d’essayer. » Et c’est peut-être ça le problème… Alors, j’ai toujours sur moi mon médaillon portebonheur qui représente le coran : le plus petit coran au monde ! Un objet à valeur sentimentale offert


par ma tante à ma naissance. Dans ma culture, ce médaillon protège du mauvais œil mais c’est aussi une façon, pour moi, de me donner du courage, de me motiver dans mes moments de doutes. J’ai besoin d’être entourée des objets qui me rassurent. En plus de ce fétiche, j’ai en permanence avec moi : ma poudre compacte, c’est ma petite touche beauté quotidienne ; et mon indispensable smartphone qui me suit dans chacun de mes déplacements : en plus me permettre d’appeler et de rester joignable, il est aussi discothèque, ordinateur, console de jeux et lecteur vidéo. J’en suis accro ! Au-delà de l’objectif professionnel, j’ai vécu une magnifique expérience humaine avec quatre jeunes femmes formidables. De simples compagnes de voyage qui sont devenues de véritables amies. Nous avons tout traversé à cinq, les bons moments comme les mauvais, les joies comme les peines. Et je pense que je ne vais pas tarder à revenir à Dublin. Je suis amoureuse de cette ville que je

ne veux plus quitter. C’est un lieu où tout semble possible. Une capitale qui regorge de secrets insoupçonnables. Les gens, l’ambiance, les rues, la culture, l’état d’esprit font de cette ville un lieu unique. Cette expérience m’a permis de conforter le projet de m’installer dans un pays anglo-saxon.



Un an après : insertion et projets Pass’ Emploi 2010 - 2011


Vers un nouveau départ Comment revenir chez soi après une expérience incroyable à l’étranger ? Comment, puisque tout a dorénavant changé, donner à voir qu’on se ressemble encore ? Comment composer avec l’immobilisme de certains, tandis que tout bouillonne puisque tout est allé très vite ? Alors, comment, riche de ses découvertes, rester les pieds sur terre pour aller de l’avant ? D’un seul coup, c’est comme si tout était devenu fade ici. L’éclairage semble différent. Le regard a changé. Dans le théâtre de son existence, le rôle précédent est maintenant encombrant. Trop étroit, il manque d’envergure. Le souvenir rayonne, lui, d’une aventure peu commune à laquelle il est important de rester

connecté. Mémoire vive. C’est cette énergie-là qui fait envie. Cette dynamique initiée qu’il serait insupportable de voir s’étioler. Quand on se sait capable, il devient impossible de renoncer à soi. L’expérience dublinoise est forte. Celles et ceux qui l’ont vécue savent dire, aussitôt de retour, que leur vie est maintenant ailleurs. Différente — mais le mot n’est pas assez fort. Ils se sentent métamorphosés. Les yeux brillants de cette fièvre qu’instille l’étranger, il racontent le désir fort qui les porte à chercher l’envol, une fois encore. Ils rêvent d’autres horizons. Ils dessinent d’autres pistes. Un chemin qui les portera à oser rencontrer leurs souhaits profonds et les mettre en œuvre. Qui leur fera tout essayer, puisque cela a déjà réussi. Qui les conduira peut-être à Dublin pour une migration en terre d’accueil. Rentrer, oui. Les batteries rechargées comme jamais. La confiance chevillée au corps. Des projets plein la tête. Rentrer, oui. Vers un nouveau départ.



Aïda Un mot ce n’est pas suffisant pour résumer ce qu’Aïda a vécu à travers le Pass’ Emploi : richesse de l’expérience, soif d’apprendre, chance de voyager, de découvrir, importance d’être suivie et aidée dans son parcours d’insertion professionnelle…

secourisme, travaille son image. Dans le cadre de sa formation, elle part quelques jours à Paris et découvre la tour Eiffel !

Au cours de son parcours, Aïda quitte l’école assez tôt sans diplôme ni qualification. Avec un niveau de première année de bep commerce, elle souhaite travailler dans la grande distribution. Mais elle tourne en rond, s’épuise, jusqu’au moment où elle entend parler de l’École régionale de la deuxième chance. Elle prend contact et s’inscrit.

Arrive un premier emploi d’hôtesse de caisse en contrat de professionnalisation dans un hypermarché de la périphérie toulousaine. Elle continue d’apprendre, pendant sept mois. Le contrat n’est pas « Quand on reconduit, alors Aïda reprend est sérieux, contact avec l’École régionale ça marche ! » de la deuxième chance qui partage les mêmes locaux que la Maison commune emploi formation. Le Pass’ Emploi lui semble correspondre à ce dont elle a besoin : une expérience professionnelle à l’étranger, de quoi renforcer sa connaissance de l’anglais et se prouver qu’elle peut !

Aïda suit des cours de remise à niveau en français, mathématiques, anglais. Elle apprend le

Accueillie dans une grande maison dublinoise occupée par une veuve attentive aux jeunes

Sociable, Aïda a grandi au Mirail. Elle aime le contact, soigne son look et affiche une bonne présentation. Elle a plaisir à voyager en Tunisie, au Maroc, mais aussi en Espagne, à Dublin, dans les environs de Toulouse.




femmes étrangères en immersion dans sa ville, Aïda travaille dans une boutique de vêtements où elle accueille les clients et les renseigne, d’abord timidement, puis plus facilement au fil du temps. Elle profite de son temps libre pour visiter Dublin, la ville, ses musées, la culture locale au sens large, mais il fait froid, trop froid dans les rues ! Elle s’étonne de la vie des gens, des codes de politesse, qui, là-bas, ne sont pas les mêmes que ceux qu’elle connaît à Toulouse. Le temps irlandais file, l’expérience se termine et, de retour en France, elle cherche à nouveau du travail. Suivie et accompagnée dans ses démarches par sa coach Pass’ Emploi, elle devient préparatrice de « Je rêve de commande intérimaire pendant quelques mois et plusieurs travailler dans missions. Puis elle obtient un aéroport. » un poste similaire dans un magasin de bijoux d’une chaîne d’hypermarchés, en contrat pour quatre mois. Aïda aime ce travail de

logistique en bureau. Manipuler les bijoux demande de la finesse, elle trouve cela agréable. Elle se sent à sa place dans ce métier. Et après ? Après, elle ne sait pas. Elle aimerait conserver ce poste qui lui convient et lui permet, en dehors du travail, de prendre le temps de profiter de la vie. Si le contrat n’était pas prolongé, elle se remettrait en piste vers un autre travail. Et dans dix ans ? Un emploi stable, un métier qu’elle aime et qui lui permettra d’être bien financièrement, pour pouvoir voyager.


Eliesse Né à Toulouse il y a vingt-quatre ans, Eliesse a grandi à Bagatelle, un quartier aujourd’hui en reconstruction que sa famille et lui ont quitté pour s’installer à Patte-d’Oie, où les voisins sont de tous âges et de tous horizons.

son caractère. Il patiente, se disant que des jours meilleurs viendront. Lors d’une mission de téléprospection, il améliore sa prise de parole au téléphone et reçoit des conseils des gens qu’il démarche.

Après un bac stg, Eliesse passe un an Puis il décroche un contrat de « Je me en faculté en cursus « administration, professionnalisation, qui le mènera à économique et social ». Très vite, la croyais dans niveau bac + 3, et devient conseiller formation lui semble trop théorique, il mutualiste. C’est ce qu’il appelle son un film ! » est en manque de concret, d’entrée premier « vrai » travail ! La mutuelle est à professionnelle. Pour lui qui veut travailler dans la Toulouse et Eliesse se forme à Paris une semaine vente, cette année l’enrichit toutefois d’un nouveau par mois : la formation est bonne, le tutorat fructueux. lexique. Il développe sa sémantique. Après son contrat, Eliesse découvre l’annonce du Il rebondit, quitte l’université et se met en quête Pass’ Emploi à la Mission locale. Il s’inscrit, il est d’un contrat professionnel en alternance dans retenu et son aventure irlandaise commence. la vente, le commercial, tout secteur d’activité. En attendant de trouver ce qu’il recherche, il se À Dublin, avec l’immersion dans la langue anglaise met en route professionnellement et travaille en en présence de personnes du monde entier et une intérim. Préparation de commandes, manutention, famille d’accueil aux origines multiples, c’est une nettoyage, diverses missions qui l’aident à forger grande ouverture. Eliesse est stagiaire dans une


agence immobilière. Il alterne travaux administratifs et terrain, en binôme avec un professionnel anglophone. Son plus ? le français, qui lui permet alors de mener certaines négociations. L’ambiance est bonne, Eliesse apprend.

bon. Le coaching l’a motivé, il a gardé espoir. L’expérience irlandaise, elle, lui a apporté ouverture d’esprit, une nouvelle façon de travailler, la richesse des différences culturelles.

Et dans dix ans ? Eliesse se voit épanoui dans son À son retour en France, il est coaché dans sa travail. Il aura évolué professionnellement et sera recherche d’emploi : il se prépare aux entretiens, probablement prêt à transmettre son expérience, travaille son expression, mène à nouveau quelques comme d’autres ont su lui transmettre la leur plus missions en intérim. Puis il candidate à un poste tôt. de commercial dans l’assurance, passe un premier entretien téléphonique, un deuxième en visioconférence, et, après deux autres entretiens physiques, il obtient le poste. Il sait « Sept que son expérience mutualiste a joué en sa faveur, comme celle de sa semaines plus récente mobilité à Dublin. Après trois plus plus ! » mois à l’essai, Eliesse est confirmé en contrat à durée indéterminée. Tout au long de sa recherche, le fait d’être accompagné, encouragé, lui a permis de tenir




Entretien avec Isabelle Gaudry

Le Pass’ Emploi, ou la réussite du coaching de terrain Depuis son lancement fin 2009, le Pass’ Emploi accompagne chaque année une centaine de jeunes des quartiers dits de « zone urbaine sensible ». Pour entrer dans ce dispositif aux inscriptions permanentes, une condition incontournable : avoir entre 18 et 30 ans. Et bien sûr, avoir envie de travailler à son insertion professionnelle, qu’elle passe par la recherche directe d’un emploi, une entrée en formation, une remise à niveau, ou une expérience de mobilité à Dublin, entre autres. Alors, pour vérifier les motivations des candidats, s’assurer que le dispositif est adapté à leurs besoins et valider leur inscription, Isabelle Gaudry, coach Pass’ Emploi, les rencontre individuellement. Entretien : Isabelle Gaudry — Il n’y a aucune question de niveau. C’est la motivation qui fait la différence. Pour cent candidatures retenues, je rencontre deux cents jeunes environ. Une fois par mois se

tient un comité de pilotage avec les partenaires [Maison commune emploi formation, associations de quartier, organismes de formation…], et je présente chaque nouvel arrivant grâce à une fiche de synthèse réalisée après l’entretien. Ensemble, nous décidons du type d’accompagnement qui nous semble le plus pertinent. Dès le lendemain de cette réunion, les jeunes rencontrent les partenaires qui vont les suivre. Vous aussi vous accompagnez des jeunes ? IG — Pour ma part, je coache une cinquantaine de jeunes, en plus du recrutement permanent. Nous avons rendez-vous une fois par semaine ou une fois par quinzaine. Dès que le projet est clarifié, nous faisons le point des outils : cv, lettre de motivation, attentes des employeurs… Nous prospectons chacun de notre côté et nous nous donnons des nouvelles régulièrement. Il arrive souvent qu’un jeune trouve un poste tout seul et, dès qu’il est en autonomie, mon travail s’arrête. Chaque trimestre, j’édite des statistiques : les résultats sont très




encourageants, ils dépassent soixante-dix pour cent de « sorties positives ». Comment sont « choisis » ceux qui vont en Irlande ? IG — Le parcours de mobilité en Irlande est partie prenante du Pass’ Emploi. J’en parle tout de suite aux jeunes, et pour certains, c’est le déclic. Sont retenus, ceux pour lesquels l’approfondissement de l’anglais ou une expérience professionnelle à l’étranger est nécessaire pour leur insertion professionnelle. Ils sont bien suivis là-bas aussi. À leur retour de Dublin, ils sont boostés, ils ont gagné en autonomie, en confiance, en joie de vivre même. Et ils ont un réel plaisir à partager leur expérience. D’ailleurs, des jeunes s’inscrivent maintenant grâce à la réputation du Pass’ Emploi faite par les anciens participants. Que pouvez-vous dire des jeunes que vous rencontrez ? IG — Pour moi, ils sont loin des clichés : l’image des jeunes pas motivés qui n’ont pas envie de

travailler est absurde ! Le dispositif Pass’ Emploi n’offre aucune rémunération. S’ils s’inscrivent, c’est parce qu’ils ont réellement besoin d’être accompagnés pour mener à bien leur recherche. L’insertion professionnelle est souvent une étape déstabilisante et décourageante. Si des difficultés surviennent, nous en parlons, nous trouvons des solutions. Les personnes en accompagnement se remobilisent et les portes finissent par s’ouvrir ! Finalement, je leur propose du sur mesure.


Gladys Jeune femme de vingt-six ans, qui fréquente Toulouse depuis six ans, Gladys relève du miracle, et c’est elle qui le dit ! Grandie en région parisienne jusqu’à l’adolescence, elle est bonne élève, plutôt solitaire. À la maison, elle n’a ni frère ni sœur. Lorsqu’elle est seule, elle « La musique invente mille et un univers à résonne en l’assaut du dossier du canapé. moi. » Devenu cheval fougueux, le meuble l’emporte à travers le monde, tandis qu’elle se pare de draps, robes ou traînes, qui volent au vent. Gladys met en scène des histoires à s’évader. Des moments privilégiés « ailleurs ». Et puis elle écrit, confie à un journal intime ses pensées souvent noires et les moments rugueux de sa vie. Elle sait qu’elle est à fleur de peau, que tout l’atteint, parfois avec virulence. Difficile de se protéger de la violence du monde…

Ensuite, c’est la vie aux Antilles jusqu’à l’âge de vingt ans. Gladys aime les sciences, la biologie. Elle a envie de devenir médecin, pédiatre, professeure. Elle obtient un bac s et part faire ses études à Toulouse. Pendant son année de licence, un stage la conduit à enseigner au lycée Bellevue. Elle réalise que cette voie n’est pas pour elle. Que, peut-être, son avenir n’est pas dans les études de biologie qu’elle poursuit. Incertitude, chaos, doute, la période qui s’ensuit est douloureuse, compliquée, comme d’autres, survenues plus tôt, que la pudeur de Gladys tient à distance de la confidence. Elle ne sait plus ce qu’elle veut faire. Elle abandonne ses études. Deux éléments surviennent alors. De passage dans le quartier Saint-Cyprien, Gladys trouve « par hasard » les coordonnées d’un professeur de chant. Elle les conservera plus d’un an avant d’oser appeler. Car Gladys a ce rêve d’enfant qui la tient debout : chanter. Parce que la musique




parle au cœur, parce qu’elle aimerait que les gens soient gourmands de la vie, Gladys veut apporter du bonheur par son chant. Puis elle lit, encore « par hasard », l’annonce du Pass’ Emploi 2010. Motivée par l’immersion dans un pays anglo-saxon — elle veut aussi chanter en anglais — elle s’inscrit, passe les entretiens : elle est retenue. Une nouvelle vie commence ! Accompagnée dans ses démarches, elle reprend confiance et part pour cinq semaines de stage à Dublin. Elle est vendeuse dans un magasin de vêtements vintage, tisse des liens forts avec sa famille d’accueil, se réjouit de vivre comme les Irlandais qui partent au travail chaque matin. Elle dépasse petit à petit ses peurs et rentre en France motivée comme jamais, son projet professionnel précisé : Gladys sera chanteuse et elle va y arriver ! Le Pass’ Emploi a marqué un incontestable tournant. Stimulée par le changement survenu cette année-là, Gladys est devenue adulte. Dorénavant

assortie d’une foi inébranlable en elle comme en ses projets, elle prépare un séjour à Londres pour une immersion dans « J’ai envie d’avoir cet « ailleurs » qui lui une place dans ce réussit si bien. monde et de faire Et dans dix ans ? Elle se voit mariée, un ou un truc utile. » plusieurs enfants, la reconnaissance professionnelle après deux disques et quelques rôles au cinéma. Pas moins !


Mohamed Mohamed cuisine depuis toujours. Quand arrive, dans sa vie, le moment d’une orientation professionnelle, il envisage un bep. Il étudie plusieurs possibilités avec, toujours en tête, l’idée de choisir une formation qui lui assurera du travail. Il opte pour électrotechnique. Brevet professionnel en poche, il assure des missions en intérim et se retrouve électricien pour un soustraitant d’Airbus. En compagnie des techniciens, il vérifie, lors des essais au sol, la qualité de l’électricité embarquée.

C’est lorsqu’il se rend à la Maison commune emploi formation pour effectuer des recherches par internet qu’il a vent du programme d’immersion en Irlande. L’opportunité lui est offerte de réaliser le projet auquel il pense depuis longtemps. Il fonce ! Inscription, passage des entretiens, remise à niveau en anglais, rencontre avec les membres groupe prochainement en immersion bien du dublinoise, et le grand départ…

« C’est de faire une expérience ailleurs. »

À la fin de sa mission de deux ans, Mohamed aimerait concrétiser une idée qui occupe son esprit de plus en plus souvent. Curieux des Anglo-Saxons, il a envie de les rencontrer, de découvrir leur culture, de mieux parler leur langue. Mais, par-dessus tout, Mohamed rêve d’apprendre la cuisine car, au fond, son vrai projet est là : devenir cuisinier.

Lors de sa première semaine au Bon Crubeen, Mohamed est complètement perdu. Le vocabulaire professionnel lui manque, il manque aussi d’expérience, alors il assure des charges simples : préparation de la salade, du pain, mise en place… Au restaurant de cuisine gastronomique française, le chef, australien, a été formé en France. Et son équipe est internationale : Polonais, Mauriciens, Italiens, Australiens, Français, Égyptien, Roumain, Espagnols… Une vertigineuse ouverture au monde et, lors des services, une cuisine découpée en îlots multilingues.




Grâce à sa famille d’accueil Mohamed progresse beaucoup en anglais « de tous les jours ». Et quand il ne travaille pas, il parcourt la ville à pied, découvre, s’imprègne. À Dublin, le relais du Centre d’échanges internationaux est important, pour le suivi comme pour le lien avec la francophonie. Il rentre à Toulouse confirmé dans son choix : la cuisine est une pratique créative, d’invention ; l’électrotechnique est bien trop routinière ! Accompagné dans son parcours d’insertion, il suit une formation de six « J’aime mois et devient commis de cuisine, quand ça sucré salé. Les premières marches franchies, il souhaite continuer sa bouge. » progression à travers les grades d’une brigade, tout en travaillant comme saisonnier à l’étranger dans un hôtel trois ou quatre étoiles. Mohamed cherche à faire sa place et n’hésite pas, pour cela, à aller prospecter, seul ou en famille, au-

delà de Toulouse : Dubaï, Genève… Aux dernières nouvelles, il est en poste à Marne-la-Vallée, dans le restaurant d’un hôtel quatre étoiles. Sa famille le rejoindra prochainement. Mohamed reconnaît volontiers que le Pass’ Emploi l’a beaucoup encouragé, « boosté » même ! Et dans dix ans ? Il sera chef, complet dans la maîtrise de son métier, toujours en saison dans un hôtel ou un autre du bout du monde.


Sabah Née à Oran, Sabah est arrivée tout bébé à Toulouse. Elle y grandit et va à l’école, qu’elle aime bien. Poursuivant sa scolarité, elle se laisse impressionner par certains enseignants et les choses se compliquent. Sabah passe un cap pressing et devient repasseuse, puis responsable. Elle ambitionne d’ouvrir son propre pressing, aussi travaille-t-elle son projet. Mais deux accidents viennent ruiner ses initiatives et « J’ai pu la poussent à se réorienter vers partir l’accueil. Elle suit une formation d’hôtesse d’accueil trilingue, se seule. » perfectionne en anglais et en espagnol. Naît alors l’idée de partir travailler à l’étranger, pour mettre à profit ses acquis et renforcer ses connaissances. De fil en aiguille, d’Itinéraire international à la Mission locale, elle arrive à la Maison commune emploi formation de Bellefontaine,

postule pour l’aventure irlandaise où une place est pour elle. Elle s’envole… À Dublin, Sabah vit chez une retraitée qui ne parle qu’anglais ! La jeune femme ne peut être d’emblée à un poste d’accueil, car son anglais à elle doit encore se préciser ! Elle travaille dans la restauration, en salle. Un problème de genou lui impose de s’arrêter deux semaines et, lorsqu’elle reprend son activité, Sabah se trouve en stage dans une école de photo : là, elle est enfin à un poste d’accueil et s’occupe aussi de la librairie, du développement. Dès son retour à Toulouse, elle subit une opération du genou. Puis, comme le propose le Pass’ Emploi, elle est accompagnée plusieurs fois par semaine par sa coach. Elle forme le souhait de partir travailler en Espagne pour améliorer son espagnol, et cherche en parallèle un poste d’hôtesse d’accueil à Toulouse. Sabah trouve le temps long, la recherche difficile. Cependant, elle persiste et passe des entretiens dans une entreprise de téléphonie. Elle est retenue.




À l’issue de deux semaines de formation, une nouvelle vie professionnelle commence pour Sabah devenue chargée de clientèle pour un opérateur de téléphonie mobile : problèmes de factures, pin bloqué, elle apprend à composer avec l’agressivité de certains clients et propose de « J’ai souvent peur nouveaux services de l’opérateur à ses de faire les choses, interlocuteurs. Son mais je les fais contrat est établi quand même ! » pour une durée de six mois. Ensuite, Sabah aimerait continuer d’occuper son poste de chargée de clientèle. Si tel n’était pas le cas, elle irait travailler en boutique. Elle aimerait aussi prendre des cours de langue mais ne sait pas quand elle trouvera le temps pour cela. Parce qu’elle a souvent été empêchée auparavant, parce qu’on lui a tellement donné d’ordres au cours de ses précédentes expériences, Sabah,

qui aime bien gérer, avoir des responsabilités, se bat aujourd’hui pour dépasser ses peurs et faire ce qu’elle a vraiment envie de faire. L’expérience dublinoise lui a permis de se découvrir, de gagner en confiance. Elle s’est battue pour oser y aller, pour ne pas renoncer, et a vécu un séjour qu’elle qualifie de « grande chance ». Et dans dix ans ? Sabah se voit patronne d’un pressing bio. Ou alors, elle sera sur scène, au théâtre ou au cinéma…



The Experience a été pour nous, auteure et photographe, un moment intense. Au cours des séances consacrées aux portraits comme pendant les moments d’écriture, nous avons été touchés par la dynamique de toutes celles et ceux que nous avons rencontrés. Par la pertinence d’un dispositif d’insertion qui, grâce à l’immersion personnelle et professionnelle à Dublin, permet de concrétiser des « possibles ». Conduit vers l’envol de ses participants. Témoins d’une expérience peu commune, ils ont partagé la richesse de ce qu’ils ont vécu, véritable cadeau de la vie qui les a transformés pour toujours : tous le disent et le répètent volontiers. « On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt, c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait », posait Nicolas Bouvier, écrivain voyageur. Les dix personnages de cet ouvrage sont là pour rappeler le réalisme de cette affirmation. Tous ensemble et chacun à sa manière, ils disent que c’est en

s’éloignant de ce qui est connu — trop parfois —, en s’accordant alors de vivre un peu plus près de soi, qu’il devient possible de revenir, tout comme d’élaborer et de confirmer un projet de vie. Nous leur souhaitons le meilleur pour la suite de leur expérience de vie.

Hélène Duffau, Pierre-Olivier Mazoyer




ISBN 978-2-9541634-0-6 Mise en page : Pierre-Olivier Mazoyer Impression : Imprimerie Messages Toulouse (31) AchevÊ d’imprimer au 2e trimestre 2012




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