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Des mines d’or aux fours à chaux
Pour voyager d’Anniviers en Afrique du Sud et retour, il suffit de passer une journée avec ce crapahuteur de Jean, dit Jean de la Lune. Habitué à travailler les vignes avec son père très tôt, curieux de la diversité des composants du terrain, il se destinait au plein air. Après une licence en sciences de la terre, il s’est lancé dans un diplôme d’ingénieur géologue. Des études complexes mais avec de bonnes périodes passées en solitaire sur le terrain, par exemple dans le Jura entre St Cergue et les Rousses (travail de diplôme principal) où il se souvient qu’il pleuvait beaucoup… et aussi au col du Mt Genèvre au-dessus de Briançon (F). Attiré par l’aventure, Jean Zufferey s’est épanoui dans ce monde mystérieux, à l’ombre des mille-feuilles géologiques qui forment notre pied-à-terre.
Mais que fait un géologue ? Ce domaine, vaste et compliqué, comprend la connaissance de la nature de la roche : la pétrographie, de l’empilement des couches : la stratigraphie, de la déformation des roches : la tectonique et des minéraux : la minéralogie, de la direction de ces couches et de leur inclinaison (le pendage). La boussole du géologue permet de mesurer tout cela, les prélèvements sur le terrain puis l’observation au microscope polarisant de lames minces établies par un préparateur donnent de bonnes indications sur la matière étudiée, deux centièmes de millimètres suffisent pour cet examen ! La loupe du géologue est utilisée pour observer des fossiles microscopiques quand ils existent, tout un monde pas si mort qu’il n’y paraît et qui nous transmet de
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bien précieuses informations sur notre histoire. Voilà la mission du géologue.
L’or, par 2000 mètres de fond En 1973, Jean a envoyé deux cents offres d’emploi et a reçu deux réponses positives dont une d’Afrique du Sud d’un grand groupe occupé à l’exploitation de mines d’or. Pas d’hésitation, la décision a été rapide, départ immédiat pour la pointe sud de l’Afrique. Là-bas, la compagnie connue à l’époque pour sa bonne réputation quant au respect des mineurs et au refus d’engagement d’enfants pour travailler dans ces lieux étouffants et moites, a offert à Jean un intéressant contrat d’engagement. Basé à Carletonville, à 80 Km à l’ouest de Johannesbourg, Jean a trouvé dans cette cité des similitudes avec Sierre. Alors, pas besoin de partir si loin pour frayer avec ce qu’on connaît ? Détrompez-vous.
Le lieu de séjour comportait un réfectoire commun, Jean occupait une chambre mo-
Jean (à gauche) et son collègue évaluant un filon d’or
derne avec douche et payait, repas compris, 1/15ème de son salaire. La nourriture anglaise était correcte, il a pu s’acheter une VW Coccinelle neuve pour se rendre à la mine high-tech pour l’époque appelée East Driefontein,. Située pas très loin de celle considérée la plus riche du monde, West Driefontein, le seul endroit où l’or était visible à l’œil nu ! Et qui renfermait aussi de l’uranium exploité comme sous-produit. Pour accéder à «sa» mine, un puits d’un diamètre de 9 m. y conduisait d’un seul tenant à 2000 m. sous la surface. Jean surveillait l’avancement des travaux, et quand les mineurs perdaient le filon, grâce à sa connaissance de la stratigraphie fine aux abords du conglomérat aurifère ou par carottages, le géologue indiquait la nouvelle direction à suivre. Les Noirs seuls travaillaient à creuser, installer les rails pour la locomotive électrique à batterie tirant les wagonnets au niveau de l’exploitation, étayer les galeries avec des carrelets de bois entrecroisés, mesurant 1 m. de hauteur en
.... et 50 ans plus tard, devant le four à chaux

moyenne et extraire le précieux métal. La position courbée en continu des ouvriers a sûrement laissé des traces indélébiles sur leur santé. Un gros tuyau permettait de ventiler le puits et quand plusieurs galeries s’ouvraient, la ventilation s’organisait naturellement.
Cela n’empêchait pas une chaleur qualifiée de monstrueuse. Jean descendait dans ces sous-sols humides environ trois à quatre fois par semaine vers neuf heures du matin avec le monte-charge puis marchait une demi-heure environ pour atteindre le lieu d’exploitation. Chacun s’éclairait avec une lampe fixée sur le casque, la batterie de recharge solidement arrimée à la ceinture. Dans cette mine, le résultat de l’extraction donnait environ quinze grammes d’or à la tonne, ce qui est remarquable.
Dans une mine plus ancienne appelée Venterspost, dans laquelle Jean a aussi travaillé, on trouvait 5 à 6 gr d’or par tonne. On y accédait par un puits rectangulaire descendant jusqu’à 900 m. suivi d’un funiculaire jusqu’à 1500 m. et enfin du dernier puits vertical atteignant 2190 m. de profondeur … amis claustrophobes, passez votre chemin ! Ce parcours permettait d’examiner la grande faille qui délimitait la fin du gisement. Des picotements ressentis dans les bras mettaient en garde contre le manque de ventilation. En deux ans passés dans cette mine, Jean a pu produire des relevés détaillés de la couche aurifère cachée là sous la couche de lave depuis près d’un milliard d’années. Le minerai était ensuite conduit à l’usine de traitement. Les quatre années passées là-bas ont amené Jean à visiter l’Afrique du Sud, à côtoyer les ouvriers du Malawi, du Mozambique, à ressentir les pressions de l’apartheid. Nelson Mandela se trouvait en prison à ce moment-là. Jean n’a pas osé traverser Soweto, des pneus brûlaient pendant les émeutes, il a préféré éviter des rencontres improbables. C’était l’époque de la crise pétrolière, ce milieu des géologues miniers restait très international et Jean bénéficiait de deux mois de congé en hiver ce qui lui convenait bien pour revenir skier en Anniviers…
La chaux, à 2000 m. d’altitude Anniviers compte de nombreux fours à chaux. À Chandolin, près des fours situés à l’arrière du Grand Hôtel, un panneau explicatif très bien fait en trois langues transmet d’intéressantes informations sur leur utilisation. Là-haut, les fours ont servi lors de la construction de l’église et du Grand Hôtel entre autres à la fin du 19è siècle. Audessus de St-Luc, dans la forêt du Rochet, deux fours à chaux ont été dégagés grâce à la motivation d’habitants bénévoles et cinq autres sont encore bien visibles.
On creusait un trou dans la terre, étonnamment au milieu de la forêt, dans une clairière, on y construisait un mur en quartzite ou en para-gneiss. Puis on allait chercher des pierres calcaires qu’on cassait, on les débitait en morceaux, les mélangeait ensuite avec le bois ou le charbon de bois qu’on allumait par le fond du four. Il fallait atteindre des températures de 900° à 1000° pour réduire le calcaire en oxyde de calcium plus communément appelé chaux vive... Cette dernière devait ensuite être additionnée d’eau, ce qui donnait de l’hydroxyde de calcium ou chaux éteinte. Il fallait encore préserver tout cela de l’air, y ajouter de l’eau et du sable pour obtenir le mortier de chaux et l’utiliser pour recouvrir les murs et lier les pierres. Le mortier bâtard aurait mieux convenu, mais le ciment était cher à l’époque. Cette réaction exigeait beaucoup d’eau, pour enfin obtenir le lait de chaux servant au blanchiment des murs. Alors bon marché peut-être mais quelle dépense d’énergie pour arriver à ces fins !
Le village de St-Luc ayant brûlé deux fois en 1845 et 1858, les habitants ont eu besoin de beaucoup de chaux pour recouvrir les nouvelles maisons reconstruites en pierres. C’est probablement pour cette raison que de si nombreux fours ont carburé au-dessus du village. Les chalets blancs de Rouaz et du Toùnot ont aussi profité de cet enduit local.
Le calcaire étant rare dans ce coin de vallée, Jean pense que les valeureux habitants d’alors ont exploité la seule filière existant dans la région de Chandolin. Ont-ils transporté la matière première avec les mulets ? Les indications sont rares, les écrits d’alors restent flous sur ces épisodes malheureusement. Willy Gyr dans « Le Val d’Anniviers, Vie traditionnelle et culture matérielle axées sur le patois de St-Luc » indique : « on entretenait le feu jour et nuit jusqu’à cuisson terminée. Ensuite, on faisait fuser la chaux dans des fosses creusées au préalable à proximité immédiate de la construction et on s’en servait au fur et à mesure ».
Willy Théler auteur du livre « Un Village en feu » a pu trouver un texte d’archive qui dit que «les fours produisant la chaux nécessaire à la reconstruction du centre du village en pierre se situeront dans la forêt au-dessus du village» c’est tout.
Le regard du géologue Il se sent à l’aise à déambuler d’une époque à l’autre, d’un mille-feuilles géologique à une gigantesque faille. Les renseignements qu’il nous transmet représentent une infinie richesse : sur quoi reposent nos pieds et ce que voit notre regard lorsqu’il se porte aussi haut que le plus haut sommet de notre bonne vieille terre : un monde immense, riche encore de découvertes à venir et de mystères qui, peut-être, garderont leur secret.
Facile pour Jean, toujours accompagné de son marteau de géologue et de ses cartes au 25’000, de nous en mettre plein la vue, même si, ouf, il n’a pas réponse à tout. Petits, tout petits que nous sommes, déconcertés devant tant d’immensité.
Merci Jean de la Lune pour ton art de rendre les balades sur le terrain si vivantes et animées.
Simone Salamin