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Hermann Geiger
portrait
le pilote des glaciers qui imite les choucas
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Le 9 août 1965, la compagnie AirGlaciers effectue un transport de blessé avec son nouvel hélicoptère. L’Alouette III remplace le Bell 47J. Le blessé à bord est mon oncle, Laurent Revey, âgé de 21 ans et originaire de Mayoux dans le val d’Anniviers. Quelques jours auparavant, il a été victime d’un terrible accident sur la route Vissoie-Saint-Luc. Son état est grave. Après avoir reçu les premiers soins à Sierre, il doit être transporté de toute urgence à l’hôpital cantonal de Lausanne. C’est le pilote Hermann Geiger qui assure ce transport. Malheureusement, mon oncle Laurent ne survivra pas. Il est marié depuis quelques semaines et son épouse, rescapée de l’accident, attend un enfant.
A l’époque, Geiger est déjà célèbre. La radio vante ses mérites de pilote-sauveteur. La presse régionale et même le National Geographic Magazine de Washington relatent sa vie et ses exploits.
Il est né le 27 octobre 1914 dans la maison de ses parents Maria-Theresa et JeanAuguste Geiger près de Savièse. Il est le septième bambin d’une fratrie de seize. Il adore ses parents. Chaque fois qu’il retourne chez lui, il offre à sa maman des fleurs qu’il cueille lui-même. Son papa fonde sa vie familiale modestement. Avec l’aide de sa femme, ils éduquent leurs enfants au mieux et dans l’amour. JeanAuguste martèle sans cesse à ses enfants: tout est dans la nature, il faut écouter les oiseaux et tirer des enseignements du vol des choucas.
Passion montagne Durant son enfance, Hermann consacre ses loisirs à jouer de la clarinette et confectionne de petits avions en papier ou en bois. Son rêve est de créer un modèle capable de voler aussi bien que les choucas. Il aime courir la montagne où il se réfugie souvent en solitaire. A seize ans, il s’engage à la Grande Dixence comme conducteur du petit train Decauville qui évacue les déblais hors des tunnels. Plus tard, lorsqu’il est apprenti mécanicien au Garage Valaisan à Sion, Hermann se lie d’amitié avec Max Kaspar. Ce dernier est étudiant en ingénierie de l’aviation. Ensemble, ils décident de construire un planeur made in Sion. Max est un ingénieur avisé et Hermann débrouillard et inventif. A eux deux, ils forment une équipe de choc. A force de patience et d’ingéniosité, ils iront jusqu’au bout de leur rêve. Après avoir construit un planeur puis un avion à moteur, ils fondent l’Aéro-Club de Sion et apprennent à voler.
Hermann et Hilda son épouse sont inséparables et indissociables. Elle l’aide jour et nuit dans la gestion de l’administration et planifie les vols. Malgré leur emploi du temps chargé, ils s’occupent avec attention et amour de l’éducation de leur fils Pierre qui lui aussi deviendra pilote. Hermann est considéré comme le prince des neiges éternelles, c’est un pilote sans égal. Il sait humer les vents et son regard perçant
scrute l’horizon comme celui des aigles. Son charme un peu rude de montagnard, sa gaîté légendaire, son assurance tranquille, sa gentillesse, toutes ses qualités le guident vers son but, jusqu’au déclic.
Apprivoiser la montagne Hermann rêve de glaciers et de haute montagne. Excellent alpiniste, il veut devenir l’ambulancier du ciel. Il commence sa carrière en effectuant des largages dans les Alpes. Peu à peu, il met au point des mécanismes ingénieux et révolutionnaires pour améliorer ses engins volants. Avec l’aide de ses amis, il invente un train d’atterrissage qui facilite la pose des hélicos sur les glaciers. Puis, tous se cotisent pour acquérir un système de largage sophistiqué. Il est alors possible de charger du gros matériel destiné aux centrales hydro-électriques. Il invente et finance de sa poche, un mécanisme-levier pour monter ou descendre des skis ou les roues de train d’atterrissage afin de pouvoir évoluer dans toutes les configurations de terrains.
Le 10 mai 1952, il se pose sur le glacier de la Kander avec un Piper équipé de skis rétractables. Son rêve se réalise. Comme les choucas, il atterrit en remontant la pente. Pour décoller, il fonce droit dans le vide, pire qu’un casse-cou. Pour s’envoler sûrement il faut de la puissance et une pente raide. Des oiseaux qu’il observe toujours avec attention, il apprend qu’il doit toujours décoller et atterrir contre le vent. Depuis 1913, de petits avions atterrissent déjà sur des glaciers mais sans sécurité car les roues s’enfoncent dans la neige ou patinent. A force d’essais et d’ingéniosité, Hermann réussit à perfectionner les atterrissages sur glace et neige. Il apprend à maîtriser tous les dangers, par tous les temps. Il affine sa technique avec une volonté et une passion obstinées. Son talent est prodigieux. Il sait mesurer comme personne l’angle d’approche pour se poser à l’endroit adéquat avant de virer et d’immobiliser son appareil sur un glacier. Sa technique est exceptionnelle, indispensable pour décoller plein gaz et éviter le crash. Doué, il pose son joujou sur de minuscules portions de glace. On vante alors sa technique de l’aglacissage.
Ses inventions et ses multiples expériences permettent à Hermann d’approvisionner les cabanes de haute montagne, de porter secours aux villages isolés, de transporter des passagers. Il pratique des sauvetages en tous genres. Il largue des médicaments, du bois de chauffage et même du foin pour nourrir des animaux en détresse dans les Alpes. Il a même trouvé le moyen de remorquer un avion en panne sur un glacier des Grisons. Sans dégât, il le ramène sur terre ferme. Un exploit et un vrai miracle pour son propriétaire.
Malgré tout, Geiger est un homme très prudent qui évite les risques inutiles. Il meurt le 26 août 1966 à 17h05. Ebloui par les rayons du soleil lors d’un décollage à Sion, Hermann n’aurait pas vu un planeur qui atterrissait. La collision lui est fatale. Un paradoxe incompréhensible pour le pilote exceptionnel qu’il est. Le destin, ce Dieu incognito ? Le nom d’Hermann Geiger fait partie de l’histoire suisse de l’aviation. Il est l’un des premiers sauveteur en montagne à se poser sur un glacier. Le 1er août 1965, il fonde Air-Glaciers avec ses amis, Bruno Bagnoud et Fernand Martignoli. Grâce à eux, Sion devient le berceau du sauvetage aérien en montagne.
Le bilan des exploits de Geiger est impressionnant : des milliers de vies sauvées, quelque 34 250 atterrissages tout-terrains, 12 500 en haute montagne, 2500 en hélicoptères, 9000 heures de vol à moteur et 350 de vol à voile avec une flopée d’élèves formés au pilotage et au sauvetage en montagne.
texte : Dominique©Epiney Regolatti photos : collection©PierreGeiger
Sources • 1958 - Geiger, pilote des glaciers. Œuvre suisse des lectures pour la Jeunesse, Zurich. • 1967 - Dans les Alpes avec Geiger. Texte : Gygax Georges. Photos : Debraine Yves. • 1967 - Hermann Geiger 1914-1966 Editions Marguerat. Lausanne.

