STEFANI
astrid adam
Monsieur
Ă Monsieur Stefani,
- Si vous deviez écrire un livre aujourd’hui, quel serait le sujet ? - Quel sujet ? Le sujet ? - Oui. - Probablement l’image de ça. (dit-il en désignant de ses deux mains ses alentours) - La maison ? - Pas nécessairement. Vous écrivez le livre ? - Oui, j’écris le livre. - Quel serait le sujet ? - Mon sujet ? Ahah. C’est le vôtre. Mon sujet, c’est vous. - Très bien. Pourquoi pas... Pourquoi pas ! Ahah. Ça peut être le sujet, être l’Etre... Ça se peut.
- Vous avez encore oublié mon prénom. - Non, non. Je tâche de ne pas l’oublier. - Alors, si vous ne l’avez pas oublié... - Pas oublié ! - Quel est mon prénom ? - Ah non ! Je ne le dis pas ! - Pourquoi ? - Parce que je devrais en vous le disant…. Vous dire tout ce que je… pense. Et cela est trop lourd. Trop lourd pour le moment. - Ahah. Vous êtes fort M. Stefani ! - Je suis faible. Ahah. Il est encore six heures et demi ? Oui ?! Trop tôt pour aller au lit.
- Et vous ? Comment les gens vous appellent ? - Monsieur. Parfois, Monsieur. Et un de mes enfants d’ici a essayé de… de dénommer, de renommer le type dont il était question tel qu’il en résulte tant de bons signes. Et il a demandé au titré, à l’autorité titrée d’Afrique, pourquoi il s’appelait ça, ça, ça… ça. Et il a eu une réponse, une réponse drôle, mais immédiate, pas intéressée qui habite le Congo. Il a dit j’ai reçu ça, ça, ça, ça, parce que j’ai toujours fait ce que votre père m’a dit de faire. Et quel succès pour moi ! Ahah. Je trouve toujours déjà positif que mon fils ait demandé « Comment avez-vous fait pour arriver là ? » Et il a répondu intelligemment. Même si ce n’est pas vrai, mais ça je ne sais pas. « D’avoir toujours fait ce que votre père me disait de faire. » Et il a fait une liste ! Mais, mon fils qui m’a fait cette déclaration ne m’a toujours pas répondu lui-même, mais je connais la réponse. Mais pour moi c’est une merveille : « D’avoir toujours fait
ce que votre père m’a dit de faire. »
C’est autre chose que comtesse. - Que voulez-vous dire par « C’est autre chose que comtesse ? » - Je ne sais pas. Je l’ai jeté comme ça. Dans l’avenir, je donnerai une explication satisfaisante. Et pour le reste, on verra.
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Le Monsieur dont vous parlez, il est au Congo ? Il est élu au Congo. Et de sa science ! C’est de sa science ! Je veux dire que ce n’est pas au hasard. C’est bien prélevé. Mystère… Voyons. (levant les bras au ciel) Vous n’êtes pas au travail ? - C’est-à-dire ? - Vous n’écrivez pas ?
- Vous êtes logée où ? - Ici. C’est vous qui m’hébergez. Ahah. - Ahaha ! C’est vous. C’est vous qui logez ici. Et bien, vous logez. C’est votre maison. Vous devez faire à manger ? - Pour vous ? Oui, je peux. - Non, moi pas. Pour vous ? - Non. - Mais, il faut que vous mangiez. Et convenablement.
- J’ai aimé tenter d’écrire. J’aimais. Mais je n’ai pas continué. - Pourquoi n’avez-vous pas continué ? - Trop compliqué. Trop compliqué de l’écrire bien. De l’écrire comme ça, nous pouvons le faire. Mais ce n’est pas assez bien pour moi. Donc j’ai renoncé. Je n’arrivais pas à accomplir les vues que je me proposais, ou alors avec des défauts tels qu’ils annulaient une grande partie de l’esprit du livre que je (p)réparais. Je renonçais donc à écrire le livre. Mais avec la grande peine de renoncer à cette besogne ! (...) Tous ceux qui ont prétendu d’écrire… mais à leurs excuses et à leur pardon, ils l’écrivaient bien, pas bien. Moi, j’aurais dû si vous voulez retoucher ça, ça, ça… Mais j’ajoute tout de suite qu’il s’agirait d’une manière d’écrire tout à fait… inanimée ! De ce que j’ai dit, il ressort l’énorme difficulté de réaliser ce qu’on pense, ce que je pense. Je l’ai fait durant tellement d’années… penser, que j’ai fini… par ne plus rien dire ici.
- Vous aimiez écrire ? Vous auriez voulu écrire à quel propos ? - La vie d’un homme et d’une femme. - Et qu’est-ce que l’histoire raconterait ? - Ce qui n’est pas écrit encore. Qui soit très rationnel pour la..., pour ma femme. Je veux être rationnel. - Pourquoi rationnel ? - Pour avoir laissé une trace utile. - Ce qui n’est pas rationnel n’est pas utile ? - C’est ça. Ca se peut. Et beaucoup d’autres choses, mais ça, ça sera pour demain. Maintenant vous allez au lit ? Et demain matin vous me réveillez.
- Vous avez toute la nuit pour vous souvenir de mon prÊnom M. Stefani. - Ahah. Toute la vie oui ! - ‌ - Vous avez peur ? - Ahah. Je vous interroge demain.
- Hého ! - Vous m’avez appelé ? - Venez. Approchez-vous. C’est gentil d’avoir répondu. Venez-vous introduire pour vous souhaiter la bonne nuit... Monarque ! Héhé. - Ahah. Mon prénom n’est pas « Monarque ». - Altesse ? - Non plus. Mais, il commence par la même lettre. - Haha. - D’accord. Vous avez gagné. Je vais vous le dire. C’est ….. Astrid. - Ahah. Voilà ! Merci. - Bonne nuit. - Et fermez la portière ! - Oui. Je ferme la portière. Ahah.
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Pardon ? Je vous oblige à vous lever tôt. Il n’est pas si tôt. Ha ? Il est sept heures trente. Alors je ne m’excuse pas. Ahah.
Avez-vous trouvĂŠ un mot Ă placer sur le plateau ?
- Non. Mais je suis arrivé à une conclusion. Le Scrabble n’est pas fait pour les langues latines.
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Et bien ? Vous ne dormez pas ? Si, je dors. Modestement.
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Il faut encore dormir un peu M. Stefani. Il est cinq heures trente. Oui, allez dormir. Oui, mais vous aussi. Il faut encore mourir un peu ? Pardon ? Allez‌ mourir un peu. Je ne vais pas mourir, mais dormir un peu. Et vous aussi. Quelques minutes alors.
- Les attitudes des uns, des autres. (dit-il à propos du programme télévisé en regardant le reflet du poste par la fenêtre) - Vous vous intéressez à la sociologie ? - Intéressé ? Peut-être pas… Mais… Regardez ! Ils sont à table.
- Bonsoir M. Stefani ! - Ah vous êtes là. C’est la providence qui vous envoie ! C’est la providence ! J’étais justement en train de m’habiller pour aller en bas. J’allais téléphoner à Bébé pour qu’elle m’envoie quelqu’un. Et vous êtes là. - Vous allez bien ? - Moi oui, mais mes affaires pas tellement. - Vos affaires ? - Oui, pendant que je dors, rien ne se fait.
- Il y a ces trois définitions appliquées sur la paroi. Prenez votre carnet. Venez. Les voilà. (M. Stefani m’indique le carreau de faïence posé à côté de la gazinière et porte ses lunettes à son nez.) Ecrivez. « La beauté fascine. L’esprit attire. La bonté seule retient. » Fenelon Les trois peuvent être prises de manière isolée. Les trois peuvent également être exprimées par une seule personne.
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Vous avez vu le médecin hier ? Le médecin ? Oui. Il a dit que vous allez bien ? Il dit toujours ça… que je vais bien quand je vais mal. Ahah.
- Voulez-vous vous promener ? - Avec vous ? Oui, mais une autre fois. - Pourquoi pas aujourd’hui ? - Mon devoir est à l’intérieur, pas à l’extérieur. - A l’intérieur ? - Pour la maison. Si je sors, je ne suis plus ici. Si je ne suis plus ici, il se peut que je lui manque... que je lui manque.
- Moi, je vais monter. - Déjà ? Mais regardez, il y a encore du soleil, il faut en profiter ! - Ce n’est pas pour le soleil que je monte. Je monte parce que je suis chargé pour me décharger.
- Je vais devoir vous quitter. - Vous partez ? Vous ne mangez pas ici ? - Je dois récupérer mon frère. - Mais c’est une folie ! Téléphonez-lui que vous n’y allez pas ! - Ahah, je suis obligée. - Très bien. Et quand revenez-vous ? - La semaine prochaine. - Combien de jours ? - Sept jours. - Sept jours ?! Non, c’est trop ! - Ahah.
- Vous avez une chaise droite. Moi pas. Tant pis pour vous ! Quelle heure avez-vous ? Regardez ici. (m’indiquant sa montre) - Il est six heures et demie. - C’est possible ? - Oui. - Bon..
- Et voilà ! Les lumières sont éliminées. Et là-bas… (désignant le fauteuil au coin de la fenêtre) On m’attend. - Votre fauteuil ? - Ici, c’est ma poésie. (Prenant place dans le fauteuil, après avoir replacé son coussin) Il faut que vous augmentiez la chaleur. C’est en train de diminuer. (Touchant le chauffage.) (Je me dirige vers le thermostat) - Combien ? - Vingt-trois. - Combien avez-vous dit ? - Vingt-trois. - Oh ! Trop peu ! - Non, c’est déjà beaucoup ! - Il faut encore augmenter !
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Eh bien ! Vous l’avez haussé ! Ca brûle ! Ahah. (La main sur le chauffage) C’est bien, mais il faudra baisser !
(Je me dirige à nouveau vers le thermostat) - Combien ? - Vingt-trois ! - Vingt-trois ?! Oh... C’est beaucoup trop ! Quelle heure est-il ? Six heures et demie ? - Six heures cinquante. - C’est trop tôt pour aller au lit ?!
- Le faites-vous volontiers ? ... Vous l’avez déjà fait ça, auparavant ? - ? - Rendre des services comme ça ? - Non, vous êtes le premier. - Je l’espérais. Ahah.
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Quand allez-vous vous marier ? Ahah. Ce n’est pas au programme. Pourquoi ? Je ne peux pas me marier toute seule. Ahah. Non, non. Il faut un homme. Exactement, il me manque l’homme. Eh bien, cherchez-le ! Il faut le chercher ! Ahah. J’y penserai !
- Le jour du mariage, elle était souriante et espiègle. Et moi, j’étais heureux de voir son contentement.
M’observant un moment regarder par la fenêtre, M. Stefani me tire de mes pensées. - - - -
Votre cœur est ailleurs ? Mon cœur est ailleurs ? Oui, votre vœu est d’être ici, ou ailleurs ? Ici. Oui, j’aime être ici.
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Vous dormez où ? Ici ? Non, ailleurs. Aah... Ailleurs.
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Je ne suis pas porteur de valeurs. Si j’avais des valeurs… Mais je n’en ai pas. Qu’est ce qui est important pour vous ? C’est difficile de le dire. C’est de se sentir très bien en ce qu’il fait. Ce n’est pas assez hein ?! Ahah.
Je me tais. Je me tais.
Il y a des enfants à moi qui disent : « Comment ? Papa ? Tu ne fais pas ça ? » – Nooon, jamais. Pour eux c’était extraordinaire. (…)
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Vous allez préparer votre avenir. C’est bien. Soyez exigeante. J’espère que je pourrai l’être. Vous le serez.
- Soyez ce que vous êtes. Soyez-le.
Ce n’est pas s’ennuyer que d’observer. M. Stefani
La pensée paraît s’envoler une fois couchée sur papier. Sa justesse, le ton, l’expression. Je me suis mise à écrire, vous écrire, de peur que le temps puisse balayer les détails, nos échanges, nos réflexions. De peur d’oublier la douceur de la lumière baignant chacune des pièces. De peur d’oublier cette routine. Ce bol de café au lait. Le sirop de liège. L’autorité, les phrases construites, posées, calculées. La ruse. La muse. De retour à la maison, il est 23h30. Le temps de dormir un peu. Buonanotte Monsieur Stefani, A domani, Una figliola.