Astrid Adam | 2014-2015
NOS VOISINS, LES DETENUS Vers une détention à échelle humaine.
Mémoire présenté en vue de l’obtention du diplôme d’architecte. Promotrice : Chloé Salembier Lectrice : Dominique Anne Falys
UCL | LOCI Faculté d’architecture, d’ingénierie architecturale, d’urbanisme | Tournai
AVANT-PROPOS Vingt ans. Vingt ans que je passe régulièrement devant la prison de Tournai. Ce bâtiment austère domine le rond-point dit « Haricot » sur la ceinture périphérique de la ville. Assise à l’arrière de la voiture, ce bâtiment retient mon regard. Je scrute. De nombreuses interrogations me viennent à l’esprit. Que renferment ces murs ? Qui enferment-ils ? Quel horizon pour ceux qui vivent à l’intérieur ? Que perçoivent-ils de l’extérieur ? Rien ne transparaît, alors j’imagine. Parfois, un attroupement de personnes attend devant la porte principale couronnée de l’inscription « Maison d’arrêt ». Maison, du latin, mansionem, action de séjourner, rester. Rester pour combien de temps ? C’est le jour des visites. Ils attendent de pénétrer ce monde arrêté, ce monde en marge de la société. Les saisons passent. Eternelle austérité. Mur. Caméra. Je longe le mur. Je jette un coup d’œil à la caméra. Je ne peux empêcher un sentiment de malaise. Qui me regarde ? Qui me voit. L’univers carcéral, univers clos. Paradoxe ? L’inaccessible m’interpelle. Aujourd’hui, sept nouvelles prisons sont déjà construites ou sont encore à l’étude en Belgique pour pallier à la surpopulation ou remplacer des prisons obsolètes. Ces nouvelles prisons sont « vendues » comme « plus humaines » et avec l’étiquette « durable ». Heureux d’enfermer. Rassurés d’enfermer. Un jour, une réflexion de Patric Jean dans « La Raison du plus fort » a fait écho à la mienne. Elle résonne comme une prière. 5
« A quoi rêve-t-on derrière ces grilles ? A quoi rêve-t-on ? Bientôt la prison sera terminée. La misère viendra s'entasser dans un bâtiment propre. Peut-on dormir tranquille ? Que sommes-nous en train de faire ? Avons-nous perdu la raison ? ». La peur s’entasse. Mettre la peur en cage et refermer. L’oublier. Les oubliés. Et après ? L’ignorance. Jusqu’au jour où… la peur déborde. Mon combat. Mon monde de bisounours. Mon idéal. Laissez-moi rêver. Laissez-moi croire en l’Homme. Tout n’est pas que fatalité. Tout n’est pas perdu. Aujourd’hui je m’inquiète. Je m’inquiète d’entendre mes amis prôner la peine de mort, «Je suis pour la peine de mort », « C’est nous, contribuables, qui les entretenons. ». Libérez-les. Délivrez-les du poids de leur ignorance. Le monde en saigne. Le monde enseigne. « Celui qui ouvre une porte d’école, ferme une prison .» Je m’inquiète du manque d’ouverture de ce monde. Ai-je tort de croire en l’humanité ? Comment (ré)intégrer une société de laquelle on a été écartée pour cinq, dix, vingt, trente ans ? La rédaction d’un mémoire pour clôturer ces 5 années d’études en architecture a été pour moi l’opportunité de me questionner sur le rôle politico-social de l’architecte, et de tenter d’apporter quelques réponses à mes interrogations sur le sujet ; l’espace carcéral en vue d’une (ré)insertion.
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20150310 | Prison de Tournai | Photo : Adam Astrid
SOMMAIRE
AVANT-PROPOS ..................................................................................................................................................5 METHODOLOGIE ............................................................................................................................................. 11 INTRODUCTION ............................................................................................................................................... 15 I.
HORS LES MURS | Dessine-moi une prison........................................................................... 19
II.
AUJOURD’HUI, LA PRISON | L’échec d’un système ............................................................ 61 LA PRISON DANS SON RAPPORT A LA VILLE ............................................................................. 69 LA PRISON DANS SON RAPPORT AU CORPS ............................................................................ 97 DES PRISONS, ET APRES ? ................................................................................................................ 111
III.
DEMAIN, LES MAISONS | Une détention à échelle humaine ............................... 121
CONCLUSION................................................................................................................................................. 147 REMERCIEMENTS ........................................................................................................................................ 151 SOURCES .......................................................................................................................................................... 153
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METHODOLOGIE
Au début de ma recherche, je n’avais pas d’angle d’attaque particulier, l’univers carcéral m’intriguait dans sa globalité. Ensuite,
je m’interrogeais surtout sur l’influence que
l’espace, que l’enfermement, pouvaient avoir sur le comportement. Sans savoir où aller, je me suis laissé guider par mon intuition. D’abord intuitive, ma méthode m’a permis au départ d’être ouverte au sujet au sens large, de ne pas trop vite me restreindre à un angle de recherche. J’ai voulu confronter différentes perceptions de la prison par le dessin « Dessine-moi une prison », ou encore au cours d’un brainstorming « Si je te dis prison, tu me réponds.. » effectué auprès de personnes de tout âge, de tout horizon. Une image mentale de la prison. L’imaginaire collectif. Les dessins et les propos que j’ai pu recueillir autour de la prison sont révélateurs d’une partie de l’imaginaire collectif, de l’opinion publique à ce sujet. Les lectures, documentaires, les débats, spectacles auxquels j’ai pu assister, et surtout mes rencontres ont aiguisé au fur et à mesure ma recherche et ont permis de préciser le sujet. Les rencontres déterminantes ont été principalement celles avec : un ancien détenu, Serge Thiry, le coordinateur du réseau Art et Prison, Alain Harford, le directeur de la prison de Termonde et initiateur du projet De Huizen (Les Maisons), Hans Claus, mais aussi avec un architecte de la régie des bâtiments, avec du personnel pénitentiaire (directeurs d’établissement pénitentiaire, commissaire de surveillance, gardien de prison).
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Si je devais citer deux ouvrages de référence, ils seraient indéniablement : Surveiller et
Punir1 de Michel Foucault et le livre Les Maisons, vers une approche pénitentiaire2 durable tout juste publié en mai 2015 par l’asbl De Huizen. Mon regret est que ma seule expérience à l’intérieur des murs ait été ma rencontre avec la directrice de la nouvelle prison de Leuze-en-Hainaut. J’avais introduit une demande de visite pour la prison de Leuze et celle de Tournai ou St Gilles. Malheureusement, une réponse défavorable de la part de Direction générale des Établissements pénitentiaires m’a été renvoyée.
« Mademoiselle, Suite à votre courrier, j’ai le regret de vous annoncer qu’un avis défavorable a été donné à votre demande. L’accès au stage dans les établissements pénitentiaires est limité aux étudiants effectuant des études supérieures ayant un lien direct avec le pénitentiaire.» La prison est un bâtiment public, propriété de l’Etat. Elle est gérée et contrôlée par lui ou plus particulièrement par les collectivités locales ou régionales. Mais son acception est également accessible, ouvert à tous3, tout comme l’est le Palais de Justice, l’Hôtel de
1
FOUCAULT Michel, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975
2
CLAUS Hans et alii, Les Maison, vers une approche pénitentiaire durable, Bruxelles, ASP, 2015
3
Le Petit Robert 1, Paris, Dictionnaires LE ROBERT, 1990, p. 1563 12
ville, l’Hôpital, les écoles de l’Etat,… La prison constitue donc en ce sens un cas particulier de bâtiment public. Et reste, en ce qui me concerne, inaccessible. « L’architecture de notre temps (…) est un art qui appartient à tous puisqu’il est, s’il s’agit
de monuments publics, payés par tous, il doit donc se conformer aux mœurs, non d’une coterie, non d’un public, mais du public. »4 Viollet-le-Duc
Ce refus sous-entend également que l’architecture n’a pas de lien direct avec le pénitentiaire. Qu’en est-t-il du panoptique, architecture carcérale permettant, à partir d’un point central, de surveiller l’ensemble des détenus de manière optimale, imaginée à la fin du XVIIIe par deux frères anglais, le philosophe Jeremy, et l’ingénieur-architecte Samuel Bentham ? Et du dispositif architectural réformant le système carcéral développé par l’inspecteur général des prisons, Edouard Ducpétiaux, représentant de l’architecture cellulaire en Belgique au XIXe ? Dispositif spatial. Comment ne pas voir le lien ? Monde imperméable. Je me heurte à un mur.
4
VIOLLET-LE-DUC E-E., Entretiens sur l'architecture, 1872, p. 213
13
INTRODUCTION La Belgique, à l’heure où j’écris ces lignes, compte près de 12000 détenus 5 répartis dans 34 prisons. 12000 détenus pour 9592 places. La situation alarmante occupe le devant de la scène médiatique. Il ne se passe pas un mois sans que les médias nous confrontent aux symptômes de l’échec d’un système. Récidives, grèves, insalubrité, surpopulation, émeutes, violence, réincarcérations6. La réponse du gouvernement pour pallier à cette crise du système pénitentiaire est : des prisons, encore des prisons. Les nouvelles prisons poussent comme des champignons sur le sol belge à l’instar de celles construites au siècle dernier ; uniformes, à grande échelle et avant tout basées sur le contrôle et la sécurité. Avec certes, la technologie et le « confort » de notre époque. Ces nouvelles prisons, implantées en périphérie des villes, à la campagne, sont vendues comme étant « plus humaines », et une étiquette verte, pour être dans l’air du temps, leur est collée, « Durable ». Malgré nos connaissances actuelles à propos de l’impact négatif de ce genre d’établissements sur les détenus, sur la sécurité en prison sur les problèmes engendrés lors de la libération, la politique pénitentiaire du XXIème siècle n’a pas évolué. Elle reste même très conservatrice.
5 Belgian Federal Government, Economie / Statistics Belgium, 2014, site consulté en avril 2015
http://statbel.fgov.be/fr/statistiques/chiffres/population/autres/detenu/ 6 MAES Eric, ROBERT Luc,
Après la prison, combine y retournent-ils ?, le 20 juin 2012
http://www.justice-en-ligne.be/rubrique194.html : « Pour les condamnés définitifs libérés en 2003, on constate que, entre leur libération en 2003 et le 8 août 2011, 48,2 % (soit 3.016 personnes) ont été réincarcérées. »
15
Des nouvelles prisons et après ?
« Le but de la prison, moi, je pensais dans mon imaginaire qu’elle avait trois points : Protéger la société, punir la personne qui a commis un délit et la remettre après sur les rails, la réinsérer. -
Et on oublie souvent la troisième.
Oui, parce qu’il n’y en a que deux en fait. Ils ne sont pas là pour nous réinsérer. La preuve, quand ils sortent de prison, ils sont encore plus démunis que le jour où ils sont rentrés. Pourquoi ? »7
Serge, ayant passé 27 années entre les murs, nous rappelle ici que le détenu est amené à en sortir un jour. Il en va de l’intérêt commun qu’il soit libéré dans les meilleures conditions pour se (ré)insérer dans la société. Comment préparer de manière individuelle et sûre les personnes condamnées et enfermées à (ré)intégrer la société ? Comment allier aujourd’hui, avec les connaissances actuelles, la question de la sécurité et celle de la réinsertion ?
Architecture et société. Le carcéral et l’architecture ont toujours été intimement liés, l’infrastructure n’est donc pas à négliger et pose d’emblée une série de questions auxquelles je tenterais d’apporter des réponses à travers ce mémoire :
7
THIRY Serge, ancien détenu, entretien réalisé par Astrid Adam, Bruxelles, avril 2014 16
Quelle influence l’espace peut-il avoir sur le comportement ? En quoi les nouvelles prisons (en partenariat Public / Privé) sont-elles « plus humaines » et « durables » ? Quelle liberté est laissée par le cahier des charges à l’architecte dans la conception et la gestion des espaces de détention ? Que peut-on proposer, urbanistiquement et architecturalement parlant, pour favoriser la (ré)insertion ? Ne pourrait-on pas penser l’espace de détention à plus petite échelle, connecté à la ville/vie, en préservant un lien social ?
17
I.
HORS LES MURS
Dessine-moi une prison.
Dessine-moi une prison. Les dessins parlent. Chacun d’entre eux reflète l’image mentale que leur auteur se fait de la prison, une part d’un imaginaire collectif8.
L’imaginaire collectif, point de départ de la recherche. Les individus s’expriment sur le sujet des prisons à partir des représentations qu’ils s’en font. Les représentations nous permettent d’interpréter le monde. Ces représentations font intervenir une approche concrète de la réalité
et la soumet à l’appréhension personnelle, à la nécessité
subjective9 – la faculté de juger – de l’individu ou du groupe auquel il appartient. Denise Jodelet, psychosociologue française, définit le concept de représentation « comme produit et comme processus d’une élaboration psychologique et sociale du réel ». De l’ensemble de ces représentations, dessins et brainstorming, découle des lieux communs, un imaginaire collectif. Les dessins et le brainstorming constituent une porte d’entrée pour essayer d’examiner et comprendre les manières d’appréhender la thématique des uns, des autres, et soulever un questionnement à qui tente de les décrypter. Miroir.
8
GIUST-DESPRAIRIES, Florence, Introduction, ERES « L’imaginaire collectif », 2009, p. 13
9
MALHERBE Michel, Kant ou Hume, ou La raison et le sensible, Paris, Librairie Philosophique J.
Vrin, 1980, p. 177
21
< Louise, 12 ans. « Gevangenis / de laatste zucht »
Prison / le dernier souffle. La clôture, La cellule. La surpopulation. Miroir brisé. Insalubrité. L’injustice. La religion (radicalisation ?). Uniformité. Identité ? Porte unique. Rareté et petitesse des ouvertures. L’attente. Relation au corps. A la mort. Pornographie. Négligence. . Estropié. Corps entravé. Boulet. Malbouffe. Protestation. Pain sec et eau. 23
< Andréas, 5 ans
Isolé. Gros caillou. Pas d’ouverture. Massivité. Impénétrable. Forteresse. Cage. Institution (drapeau).
25
< Pauline, étudiante en communication (Bac 3), 21 ans,
Barreau. Case. Cage. Serrure. Proportion. Cubique. Enferment. Modularité. Combinable. C’est tout. Désespoir. Coincé. Noirceur.
27
< Joséphine, 15 ans
Ecole, Règlementation. Vous n’êtes pas libre… Barreaux. Poignée. Interdictions. Horaire. Ordre défini. Autorité. Habillement. Communication interdite.
29
< Eve, femme au foyer, 49 ans
Corps empêché. Corps malade. Alité. Perfusion. Médicalisation. Expression entravé. Privations culinaire. Contacts familiaux limités. Inexistant. Paysage, nature inaccessible. Captif. Inactivité subie. (Pas de barreau, pas de dimension architectural)
-
Plaisirs empêchés
31
< Lylian, étudiant en architecture (Bac 1), 20 ans
« Clos - froid – lugubre – sombre – dictature – règles – punition – prisonnier – cellule – serrure – clé – humidité – rats »
Dimension temporelle. Infini. Spirale. Gouffre. Rat. Insalubrité. Sexualité. Douche. Savon doux. Barbelé. Corps empêché.
33
< Roman-César, étudiant en architecture (Bac 3), 21 ans
« Rouille – détenu – mauvaise bouffe - néon – béton – clé – barreaux – coursives – gardiens – tatouage – gang – drogue – suicide – émeute – évasion – envie de vacance – école – maison - chambre – internet »
Noir. Contraste. Surveillance. Eloignement. Terrain dégagé. Industriel. No-man’s land. Imposant. Massif. Rares percées. Sans espoir. Sans vie. Mortel. Uniforme.
35
< Valentina, étudiante roumaine en architecture (M1), 25 ans
« Lieu : île isolée (imaginaire des films) – Pierre – Construction solide – Froid – Gris – Triste – communiste (égalité, uniformisation, collectiviste, où tous les individu sont pareil dans une collectivité, pas de place pour l’individualisme, égalitariste..) – déshumanisation – pas de lumière – Ombre – petite chambre – Froid – forteresse – noir – isolé – privé de liberté »
Minéralité. Alcatraz Isolé. Eloigné. Trou. Claustrophobie. Barreaudage. Oubli. Enfoui. Emmuré. Enterré vivant.
37
< Louise, 13 ans
Mixité. Casser des cailloux. Travail inutile. Autorité militaire. Barreau, mur, épaisseur. La limite. Ameublement sommaire rudimentaire. Eau. Rien. Larmes. L’arme. Désespoir. Tuer le temps. Ambiguïté. Confusion interne – externe. Figure familiale.
39
< Julia, 5 ans
« Une prison, c’est un carré avec des lignes. Des lignes en fer. Et plein de petits
carrés. Et un code ou un cadenas. »
41
< Etudiant en architecture (Bac 3), Une prison idéale.
« Nourris, logés, blanchis » - télé – terrain de tennis – trop grand – trop agréable – belle vue sur l’extérieur - camp de vacances Perso, la prison ça ne fait pas peur !
Oubli. Enterré. Caché. Poubelle. Au fond du trou.
43
< Anne, assistante sociale, 54 ans
Prison "marmite à pression"
Des gens y sont entassés, privés de tout, privés de tout projet, privés de toute perspective, privés de toute possibilité de reconstruction personnelle .... Dépersonnalisation, perte de sens ...
Tout attire vers le "bas", provoquant le "suicide», la "mort sociale", l'enterrement de tous les "possibles" ...
Quand je pense aux prisons aujourd'hui, des mots décrivant le "vide" se bousculent dans ma tête: espace confiné, cocotte-minute prête à l'explosion, surpopulation, violence, drogue, asphyxie, oubli, surmédicalisation, confinement, isolement,
ennui,
dépression,
schizophrénie,
peur,
honte,
inutilité,
désœuvrement, folie, horreur, désorientation, destruction, mort, suicide, inutilité, frustration, punition ....
Isolement, punition, pardon, reconstruction, réhabilitation .... Est-ce possible????
45
< Célia, médecin généraliste, 24 ans
La prison n’a de sens que la liberté. La liberté de tous les individus de la société.
La prison ressentie. Prison intérieure. Humanité. Ombre. Lumière. Quelles perspectives ? Quel horizon ? Barreaux.
47
< Marc, Directeur de la prison de Tournai (retraité)
J’avais fait un dessin jadis, c’est en haut dans mes archives. J’avais dessiné la prison idéale, et j’avais fait une petite stèle « ici se trouvait la prison de tournai » et j’avais dessiné la prison telle que je la ressentais, une masse, une masse énorme, un dôme énorme avec vraiment une petite entrée, un truc qui écrasait vraiment.
49
< Michel, photographe, 54 ans
Liberté – ils sont pris – silence – taire – serrure – geôle – geôlier – cage – enfermé – sombre
Réflexions ouverte par le dessin :
Coupe de glace, miam ! Prison appréciée parce qu’elle devrait être appréciée.
Le cornet pour sortir du collant, aussi dit acoustique, est peut être nécessaire pour s’entendre.
Siphon, parce qu’il y a un ou des chemins qui sont entrainant pour un monde plus juste (inoffensif)
Evacuation : solution temporaire ou bien… à vie, à perpétuité.
Récompense, parce que pas facile, ouvrir une autre vision pour s’échapper ou se « normaliser », un état propre (une bonne conduite, un état qui n’est pas dérangeant)
Nettoyer pour ne pas s’éloigner de l’apparence propre. De nos bonnes consciences.
Fondre dans la masse. Cela peut paraître difficile car c’est faire disparaître les particularités de chacun. Mais il faut faire attention que celles-ci ne sabordent pas notre bon vouloir de vivre en paix. Il y a les boules à avoir parce que nous sommes gourmands de tout ce que nous ne connaissons pas et que nous ne maîtrisons pas : nos peurs sont bien souvent organisées et remontent à la nuit des temps. »
L’autorité de ces différences est parfois destructive. Michel Adam 51
Fenêtre vers l’Extérieur (enfants admis, rêves)?? Revenons à l’impossibilité de voir plus loin. Prévenir. - Si tu regardes par une fenêtre de la prison, tout ce que tu peux voir c’est ta taule qui te rassure sur ta punition effective. Parce que responsable de tes fautes, tu restes responsable de tes fautes pour la société qui te demande la liberté. Renvoie à l’absence de contrôle sur ce monde qui nous a inclus et qui nous a exclus. Sortir du néant. C’est souffrir. Une autre réalité qui n’est plus centrée sur son individualité. Tasse de café, tâche noire, lac noir, la profondeur des maux est obscure. Sucre à fondre pour se donner un autre goût. Théâtralisation c’est se retirer de sa scène de vie pour mieux comprendre les enjeux de ses conséquences. Se regarder éloigné du miroir peut effectivement nous amuser : la cause ironique de nos déraisons. Donner du goût : sortir du gouffre en savourant ce qui nous retient dans nos sens mal perçus ou mal vécus. - L’effort de se libérer, d’être mieux. Cette cage à lapin dénature l’animal limité de partout. L’espace sanction. L’espace perdu. Prison. Où est l’affiche ? - Où est la fiche ? – Voilà que se présente encore la prise de courant « haute tension ». Gribouillage, expression de toutes les incompréhensions. Michel Adam
53
S’écrire, c’est se décrire. Et Verlaine l’a très bien fait entre les murs de la prison de Mons. Un petit clin d’œil au « Bateau Ivre » de Rimbaud et à tous ces artistes qui pour une raison ou une autre, par leurs talents, se voient retirer du monde parce que la folie du danger ou le danger de la folie existe et beaucoup (Camille Claudel,..) en paieront les conséquences. Les conséquences des actes ne peuvent pas nous laisser neutre. Michel Adam
55
« Si je te dis prison, tu me réponds… »
ERNEST, étudiant en architecture (M1), 24 ans : Barreaux – Cour – Drogue – Ballon (foot) - Avocat – Vitres blindées (parler à sa famille) – Lit en béton – Voiture (accueil des prisonniers à leur libération – prison lieu isolé) – grillage – Bruit – Couteau – Cantine – Homosexualité
MARGARITA, étudiante espagnole en architecture (M1), 22 ans: Pas de liberté – noir – sans lumière – claustrophobie – Tristesse – pas de dignité
DIMITRA, étudiante en architecture (M1), 23 ans : Plant in a pot – succession d’espaces vides et plein – gris – silence – dépressif
GROUPE ETUDIANT, étudiants en architecture (Bac 3) : -
« Je n’ai rien à dire, je ne me sens pas concerné »
-
Lugubre – barreaux – grand (le complexe carcéral) – petit (cellule) – gris – brique – enfermement – construction massive – monde clos – monde à part – coupé du monde (à part avec la télé)
-
Série américaine - Prison en Australie = appartement - Film français : se sentir en sécurité à l’intérieur de la prison par rapport au monde extérieur
56
CLEMENCE, étudiante en infirmerie (Bac 3), 22 ans : Enfermer - sanction – violence – isolement – solitude – éloigner les familles
HELENE, étudiante en psychologie (M1), 21 ans : Stanford – injustice – détention – autorité – animaux – criminel – Dutroux – pénalité – droit – justice – impersonnel – ouvert (vus par l’extérieur) – clos (coincé) – froid
ANTOINE, étudiant en architecture (Bac 2), 21 ans : Cage – liberté - délit – conflit – drogue – bêtise – sombre – cachot – petit – étroit – barreaux – hauteur – plafond – porte
RENAUD, étudiant en architecture (M1), 27 ans : Case du Monopoly – cellule – mur – parloir – fermé – caché – infranchissable – couloir – barbelé - ciel
CAMILLE, étudiante en communication (M1), 21 ans : Froid – viol – malsain – surpopulation – grille
JUSTINE (étudiante en architecture, M1) : Enfermement – espace minimum – clos – retrait – exclu – surveillance – contrôle – règle – individualisme 57
Différentes approches transparaissent par le dessin et le brainstorming, elles sont révélatrices de l’influence du vécu, du statut de leur auteur. Certaines représentations rendent compte d’une approche plus sociale, sensible, d’autres d’une approche plus spatiale, architecturale, ou politique, ou encore tronquée, idéalisée de la situation carcérale. De ces représentations, dessinées ou non, se dégagent différents champs d’analyse. -
Ambiance, Atmosphère (froid, lugubre, sombre, malsain, silence. bruit.)
-
Sanitaire, insalubrité (humidité, rats …)
-
Autorité,
politique
(règles,
dictature,
communisme,
punition,
contrôle,
surveillance, sanction...) -
La matière, les composants architecturaux, éléments constructifs (barreau, serrure, clé, grille, gris, brique, lit en béton,…)
-
Le confort (lit en béton, mobilier rudimentaire, «logés, nourris, blanchis », télé, douche...)
-
Personne, relation à l’autre
(prisonnier, viol, surpopulation, exclu, coupé du
monde, monde à part, homosexualité, foot, Stanford, violence, animaux, criminel…) -
Espace (clos, espace minimum, cage, cour, couloir)
-
Le quotidien (travail inutile, l’attente,..)
-
Médicalisation (drogues, dépression...)
Ces représentations sont alimentées quotidiennement par les médias, feuilletons, romans criminels, dessins animés, ou encore le jeu, ou par ce que la société veut bien nous donner à voir de ce monde en marge.
58
La prison est décrite par ces représentations, dessinées ou non, à la fois de manière factuelle et à la fois très sensible, interprétative, subjective.
Chacune d’entre elles
témoigne de l’espace carcéral, de ses limites, révélant le lien évident qu’entretiennent l’architecture et le pénitentiaire. Toutes, sauf une. Eve illustre la prison dans son rapport au corps exclusivement, le corps
alité, empêché, isolé. Plaisirs hors de portée.
Emprisonné à l’intérieur des murs, dans son corps. Des questionnements émergent de l’ensemble de ces images mentales. Une part d’entre elles représente la prison vue de l’extérieur comme une forteresse impénétrable, architecture austère imposante ou cachée, inaccessible, isolée sans contexte (Louise (12), Joséphine, Andreas) ou avec un contexte éloigné (Roman-César, Michel, Valentina). Ces représentations soulèvent un questionnement à grande échelle, l’établissement pénitentiaire dans son rapport à la ville, une question urbanistique. A l’inverse, l’autre part interroge la petite échelle, la prison dans son rapport au corps. Elle illustre alors l’espace de la cellule, l’espace du détenu, elle entre dans son intimité. Par le mur, la porte, la serrure, le parloir, la question de la limite et de l’interface avec la société est également récurrente. Ces questions émanant de ces représentations constituent des clés d’analyses, le fil conducteur de ce mémoire.
« Gevangenis / De laatste zucht ». Le dernier souffle accompagne l’enseigne de la prison de Louise, 12 ans. L’ultime respiration d’un monde à l’agonie. Sans issue.
59
II.
AUJOURD’HUI, LA PRISON L’échec d’un système.
« Une société se juge à l’état de ses prisons. » Albert Camus
Au commencement, il est bon de la nommer. Le nom permet l’existence, il lui donne sa réalité, sa substance. En l’occurrence, sa réalité trouve son origine dans son étymologie latine : prehensio, prehensionis de prehendere (prendre) qui évolua sous la forme de prisun, prisum « prise, capture » pour ensuite prendre sa forme actuelle au XIIe siècle : prison. Le Petit Robert définit la prison comme étant « un lieu de détention, un établissement clos aménagé pour recevoir des délinquants condamnés à une peine privative de liberté ou des prévenus en instance de jugement ». – Qu’est-ce que la liberté ? – Si la liberté peut être caractérisée par la possibilité de pouvoir agir par volonté propre au sein d’un système politique ou social tout en respectant les droits des autres et la sécurité publique, alors la peine est née dans le dessein de la protéger. Dans cette visée, pour reprendre les mots annotant le dessin de Célia en première partie de ce mémoire, la prison n’a de sens que la liberté. L’acception contemporaine du mot « prison », c’est à dire son utilisation en tant que peine privative de liberté sanctionnant la délinquance, est un phénomène relativement récent datant de la fin du XVIIIe. Avant, la prison n’avait que pour fonction l’accueil des prisonniers dans l’attente de l’accomplissement de leur véritable peine, exécution, bannissement. Au XVIIIe, les protestations des philosophes et théoriciens contre les supplices conduisent à l’adoucissement des peines. Les peines sont, dès lors, proportionnées et les condamnations à mort ne concernent plus que les assassins. A propos, le philosophe français, Michel Foucault, dans son ouvrage Surveiller et Punir met l’accent sur deux éléments : la « mesure » et l’ « humanité ». Quel que soit le crime,
63
l’« humanité » est la chose à préserver quand on punit. Ainsi, à la fin du XVIIIe, la peine privative de liberté devient la sanction principale. Vers une prison humaniste. Avant toute chose, il me semble opportun de rappeler l’idée essentielle de la prison qui n’est pas de punir, mais de corriger. C’est la liberté de l’individu, aussi bien celle de celui entre les murs, que de celui hors les murs, que l’on vise, et ce, depuis la naissance de la prison en tant que peine privative de liberté. Lors du Congrès pénitentiaire de Bruxelles en 1847, le but essentiel de la peine privative est défini comme étant l’amendement et le reclassement du condamné. La prison intervient sur le corps évidemment, mais il n’est là que comme intermédiaire.
L’évolution de la peine du supplice à la peine privative de liberté mène à s’interroger sur le système pénitentiaire et à son expression architecturale. La prison est l’un des thèmes architecturaux qui prédomine au XIXe siècle.
Le rôle de l’architecte est alors, de concevoir un type de plan permettant l’agencement d’un maximum de cellules dans un ensemble dont l’emprise au sol est réduite et optimisant le système de surveillance de façon à économiser du personnel. Résultent, de cette volonté, différents systèmes et différentes typologies de prison dont la plus importante est le plan panoptique élaboré par Jeremy et Samuel Bentham (1780). Le Panopticon est un projet théorique. Une tour centrale abritant le pouvoir, et un bâtiment périphérique divisé en cellules individuelles occupant l’épaisseur du bâtiment avec une fenêtre de part et d’autre. De la tour s’effectue la surveillance de chacun des individus en contre-jour, constamment vu sans jamais voir. Le pouvoir est visible, mais invérifiable par la présence de
1791 | Panopticon, Jeremy Bentham
persiennes aux fenêtres de la tour et un jeu de chicanes rendant imperceptible la présence réelle ou non du gardien. Ce dispositif architectural permet de rendre la surveillance permanente dans ses effets, même si elle est discontinue dans son action. Architecture austère centrée sur elle-même, elle n’est pas située, la question de l’implantation n’est pas abordée. Elle ne témoigne d’aucune interaction avec son environnement. Cylindrique, sa volumétrie, et son expression architecturale revendiquent son autonomie formelle et fonctionnelle. Une entité unique.
Le Panoptique est devenu dans les années 1830-1840 le programme architectural de la plupart des prisons10 à travers le monde. Une prison-machine basée sur l’observation et la surveillance, détenus visibles dans un anneau périphérique et un point central à partir duquel sont en permanence contrôlés les prisonniers et le personnel. Autour de ces deux exigences plusieurs variations de plan d’établissements pénitentiaires ont vu le jour : le panoptique benthamien dans sa forme la plus stricte, ou le demi-cercle, ou le plan en croix, ou encore la disposition en étoile. Cette dernière disposition est la forme la plus rependue en Belgique, un cœur tour de contrôle à partir duquel filent en étoile les couloirs cellulaires. Ce modèle est dit de type « Ducpétiaux », du nom de son concepteur Edouard Ducpétiaux, réformateur du système pénitentiaire belge au XIXe siècle.
10
FOUCAULT Michel, Surveiller et punir,… p289
66
Cette nouvelle typologie d’établissement pénitentiaire, basée sur le panoptisme, a été imaginée peu après la naissance de la Belgique, vers 1830. Ducpétiaux pensait que ce modèle cellulaire d’inspiration monastique répondait au triple but de la peine (répression, prévention et amendement) et que ce système pénitentiaire remplaçait le plus efficacement le supplice, la peine de mort. Il était convaincu que dans l’isolement de sa cellule, le détenu pourrait s’amender. A l’époque, ce projet était innovateur et profondément humaniste.
68
LA PRISON DANS SON RAPPORT A LA VILLE Suivent ici, quatre analyses de prison dans leur rapport à la ville. Ces analyses montrent comment la prison a évolué, est déplacée géographiquement dans l’objectif de répondre aux objectifs que l’on assigne à la prison, ou que la prison s’est assignée à elle-même. Trois analyses sur les quatre illustrent l’évolution de la place de la prison dans l’agglomération bruxelloise. La quatrième est le cas d'une nouvelle prison récemment mise en service, la prison de Leuze. Ces analyses se succèdent dans un ordre chronologique de leur mise en service et non géographiquement, pour comprendre l’évolution de la politique pénitentiaire. -
La Prison des Petites-Carmes (Bruxelles)
-
La prison de St Gilles (Bruxelles)
-
La prison de Leuze
-
La prison de Haren (Bruxelles), non réalisé
69
1837 | Plan situation de la Prison Petits-Carmes, Bruxelles | Plan : W.B. Clarke, Archt.
PRISON PETITS-CARMES, Bruxelles
Au début du XIXe, la prison se situait dans le quartier du Petit Sablon, à la rue des Petits-Carmes. Construite sur les traces d’un ancien couvent, le couvent des PetitsCarmes démoli en 1811, la « Maison de Sûreté Civile et Militaire » accueillait ses premiers locataires en 1824, les derniers prisonniers de la Porte de Hal11. La prison était implantée dans le centre historique de Bruxelles, à l’intérieur de la deuxième enceinte de la ville élevée au XIVe siècle. Une seule rue la sépare du Palais de Justice. La prison des Petits-Carmes est implantée en retrait de l’alignement du front de la rue, en cœur d’îlot.
L’établissement pénitentiaire
comporte des ailes disposées en carré autour d’une cour dont le centre est occupé par un pavillon central. Plus tard, vers 1947, cet ensemble fut complété par une prison cellulaire de style néo-Tudor édifiée plus proche de la rue.
11
LEVAE Adolphe, L’Hermite à la prison des Petits-Carmes ; réflexions philanthropiques d’un
détenu, Bruxelles, Chez Brohez, 1827
71
1973 | Vue aĂŠrienne de la Prison de Saint-Gilles, Bruxelles | Photo : CHDStG, Belfotop
PRISON DE SAINT-GILLES, Bruxelles
Le quartier actuel de Saint-Gilles, au début du XIXe encore, n’était qu’un petit village rural. Sa métamorphose s’effectua entre 1840 et 1925, le village devint alors un faubourg complètement urbanisé de la capitale du nouveau Royaume. La prison de Saint-Gilles a vu le jour entre 1874 et 1884. Edifiée en remplacement de la prison des Petits-Carmes, elle marqua la première étape du développement du « quartier Sud ». La prison s’inscrit dans le plan d’aménagement de Victor Besme qui prévoyait l’expansion de Bruxelles en dehors des murs.12 Complètement intégrée au tissu urbain continu, elle reste très connectée au centre, notamment par le chapelet de monuments et de parcs qui les relie. Plus tard, la prison de Forest sera construite juste à côté de celle de Saint-Gilles pour pallier à la surpopulation de l’établissement de cette dernière, elle sera mise en service en 1910. De style « Tudor » s’apparentant à un château médiéval, la prison est conçue sous le modèle et la politique de Ducpétiaux, elle comporte 6 ailes disposées en étoile. Le mur clôturant le complexe pénitentiaire haut de 6m et long de 960m, n’est visible de la voirie que de l’avenue Ducpétiaux et de la jonction. Elle est assez bien intégrée à l’ilot, respecte l’échelle des îlots voisins, et reste à l’échelle du piéton.
12
Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale, Direction des Monuments et des Sites,
Histoire du développement urbanistique de Saint-Gilles, de 1840 à nos jours - inventaire du patrimoine architectural de la région Bruxelles-Capitale, 2004
73
2015 | Plan situation de la Prison de Saint-Gilles Ă Bruxelles et espaces publics qui la connectent au centre (Palais de Justice)
La prison de Saint-Gilles est théoriquement une Maison d’arrêt, c’est-à-dire un établissement où séjournent les prévenus en attente de jugement, tandis que les Maisons de peines sont destinées aux condamnés. Cependant, en raison de la surpopulation au sein des établissements pénitentiaires, il n’est pas rare que prévenus et condamnés soient mélangés. Elle génère pas mal d’allées et venues d’avocats, de visiteurs, de transferts,… Elle jouit d’une position stratégique à égale distance du Palais de justice et de la gare du Midi et est bien desservie par les transports en commun, 2 lignes de bus, et 3 lignes de tram. La prison tourne sans arrêt. Ici, les visiteurs se bousculent. Une femme de détenu témoigne : « Mon mari est
prévenu, il n’a pas encore été jugé, il a donc droit aux visites journalières. Les condamnés, eux, à 3 visites par semaine. Je viens ici tous les jours depuis un mois et demi. On perd sa journée quand on vient rendre visite. Une fois j’ai dû attendre 4h à l’extérieur et après ce n’est pas fini, j’ai encore du attendre 1h à l’intérieur. (…) Parfois, il y a des bagarres. Des gens qui dépassent tout le monde. C’est pour ça, ils ont mis ces barrières, pour éviter ce genre de débordement, mais il y en a toujours qui dépassent. (…) Je viens ici en transport en commun, c’est facile. Je finis de travailler à 14h et je viens directement. (…) Si la prison était en dehors de la ville, oui ça serait plus compliqué, on perd déjà pas mal de temps à attendre. »13
13
Anonyme, Témoignage d’une épouse de prévenu recueilli devant la prison de Saint-
Gilles, juillet 2015
75
20150728 | Prison de Saint-Gilles | Photo : Adam Astrid
L’établissement, par les flux qu’il engendre, participe à la vie du quartier, fait se rencontrer les différentes couches sociales de la population, et par conséquent génère une certaine mixité dans la vie du quartier. Une plaine de jeu, des cafés, commerces, restaurants, installés à proximité y contribuent également. La prison, sous ses airs de château, théâtralise aussi une grande coupure entre deux mondes. Implantée dans un quartier assez bourgeois et résidentiel, l’établissement pénitentiaire est fréquenté essentiellement –pour ne pas dire en totalité- restons politiquement correct… de gens issus des classes les plus populaires. Un ghetto de « pauvres » au pays des riches. Aujourd’hui, il est question de délocaliser les prisons de St-Gilles et Forest à Haren. Les arguments avancés par le gouvernement sont la surpopulation carcérale et la vétusté des deux établissements. Cette perspective fait débat, ainsi que l’affectation des lieux une fois vidés de leurs occupants. En effet, des projets sont déjà à l’esquisse pour la reconversion des prisons de Forest et Saint-Gilles, sites de haute valeur patrimoniale. L’ensemble devrait accueillir un nouvel écoquartier. 14 Quelles conséquences ? Quelles sont les réelles raisons de ce déménagement ? Est-ce une réponse pertinente à la surpopulation et la vétusté des lieux ? Éradiquer la population carcérale, la misère des rues de Bruxelles. Et libérer du terrain à haute valeur foncière pour d’autres affectations.
14
FDF, Oui, Bruxelles et les Bruxellois ont un avenir, Brochure publiée dans le cadre des
élections bruxelloises du 25 mai 2014
77
2015 | Plan situation de la prison de Leuze-en-Hainaut
PRISON DE LEUZE-EN-HAINAUT
La prison de Leuze a été inaugurée le 20 mai 2014. Il s’agit d’une des sept prisons prévues par le Masterplan 2008-2016 pour une infrastructure pénitentiaire dans des
conditions humaines.15 Elle est destinée à accueillir 312 détenus, avec une possibilité d’augmenter sa capacité de 15% et une aile est consacrée à la faible proportion de femmes. La prison est conçue, construite, financée et entretenue en partenariat public-privé. L’établissement est implanté en zone agricole sur un terrain de 14Ha à proximité d’une zone d’activité économique industrielle. Plus de voisins. Le rejet des établissements à l’extérieur des villes est argumenté par l’espace nécessaire pour accueillir autant de détenus et la valeur foncière du terrain. Cette exclusion n’est pas sans conséquence sur la vie et le travail de réinsertion du détenu. Le centre de détention est essentiellement accessible en voiture, la zone étant très mal desservie par les transports en commun. Cette situation isole d’avantage les détenus de leurs familles dont la plupart précarisées se déplacent essentiellement via les transports en commun. Pour les services d’aide aux détenus, et les autres associations l’accès à la prison devient également plus compliqué. De plus, loin du Palais de Justice, la défense se trouve également affectée, les allersretours entre le Palais de Justice et la prison auxquels seront contraints les avocats vont avoir pour conséquence la réduction des visites à leur client.
15 Service Public Fédéral (Belge) / Justice,
http://justice.belgium.be/fr/themes_et_dossiers/prisons/prisons_belges/prisons/, consulté en Juillet 2015
79
2014 | Prison de Leuze-en-Hainaut | DDS & Partener Architects
Aucune infrastructure à l’extérieur de la prison n’est prévue pour les visiteurs qui attendent. Horaires TEC : Aller
Retour
SNCB 07:45 10:11 13:43 15:35
Prison 10:25 14:22 16:22 18:20
Prison 07:56 10:22 13:54 15:46
SNCB 10:35 14:32 16:32 18:30
La conception architecturale pose également question et est, selon moi, très révélatrice. Nombre de fois, je suis passée à côté de la prison de Leuze sans même la remarquer. Peut-être en cela que réside la réussite du projet ? Faire disparaître la prison du paysage. La régie des bâtiments définit le concept de cette nouvelle prison, qui entre dans la lignée des autres :
« Les places fortes imaginées par Vauban (Ath et Tournai, deux villes proches fortifiées) sont le point de départ du concept de la prison. En effet, les abords de la prison
sont
pensés
comme
tel
pour
donner
une
force
architecturale
complémentaire à l’ouvrage et un sens au modelage du paysage. La prison doit être insérée dans le paysage, entourée de murs, de talus et de douves de protection. Les murs formant un pentagone sont son enceinte ; les talus de protection sont les mouvements de terre qui permettent de l’intégrer dans le paysage et les douves, des zones d'infiltration d'eau et des marécages. »
81
20150802 | Prison de Leuze vue depuis la Grand Route | Photo : Astrid Adam
Une question se pose, la régie du bâtiment dit vouloir à l’aide de talus « intégrer dans le paysage », le mot exact ne serait-il pas « cacher » ou encore « ensevelir » ? Une Leuzoise témoigne « Si on n’y prête pas attention, on ne la voit pas. »
83
20140417 | Site destinĂŠ au village pĂŠnitentiaire | Lutte paysanne - Les patatistes de Haren | Photo : Oxfam
PRISON DE HAREN, Un village pénitentiaire
La future méga prison de Haren est destinée à remplacer les prisons vétustes et surpeuplées de Forest et Saint-Gilles. Le site est situé à la limite Nord-Est de la capitale, entre deux villages, enclavé, délimité par des axes importants, de longues lignes d’infrastructure. Le site est une zone fermée, indépendante des zones d’habitation.16 Avec sa capacité d’accueil de 1200 détenus, ce complexe pénitentiaire sera l’un des plus importants en Europe. Trois prisons destinées à la gente masculine, deux pour la gente féminine, un centre psychiatrique, une institution pour jeunes et un bâtiment pour l’administration et la détention limitée. Le concept de ce «nouveau» modèle est le « village-prison ». Ce concept est nouveau en Belgique, mais est déjà en application dans d’autres pays (exemple le village pénitentiaire de San Pedro en Bolivie). Ce projet est actuellement au centre des débats. Tout comme la prison de Leuze et l’ensemble des projets de prison ex-centrée des villes réalisés ou encore à l’étude, ce projet pose la question de la mobilité, aussi bien pour les familles, le personnel, les services d’aide aux détenus et les avocats. Pourtant, on le sait, le maintien des liens sociaux et familiaux est primordial dans le processus de la (ré)insertion des détenus.
16
CAFASSO, Demande de permis de bâtir pour la construction d’un nouveau complexe
pénitentiaire à Haren, 29 novembre 2013
85
2015 | Plan situation du terrain concerné par le projet du « Village pénitentiaire »
Au-delà de cela, d’autres questionnements et sources de débats voient le jour. Un tel projet au cœur de ces villages a des conséquences non seulement sur la qualité de vie des détenus, mais aussi des riverains. Ce projet menace le dernier espace vert de cette envergure au nord de Bruxelles, le poumon du village, mais pas seulement. Avec ce projet, ce ne sont pas seulement les détenus qui se retrouvent enclavé, c’est le village entier et ses 4500 habitants. En effet, le village est délimité de part et d’autre par de grosses infrastructures le coupant physiquement des communes alentours, et ce terrain est le dernier à le relier au village le plus proche (Diegem) et ses commodités (boulanger, marché, club de foot,..), la construction de cette prison, infranchissable, aura pour conséquence d’achever d’enclore le village. De l’étouffer. L’impact d’un tel projet sur le paysage reste non négligeable malgré les efforts du bureau d’architecture pour « intégrer » ce mastodonte au paysage par le travail des gabarits, des façades, la matérialité, etc. Le bureau d’architecte a travaillé sur la typologie, l’a repensé. Il ne s’agit plus ici, d’une prison « Ducpetiaux revisité » à l’instar des nouvelles prisons qui ont vu le jour sur notre territoire ces dernières années, mais de bâtiments à plus petite échelle, à une échelle résidentielle, selon la volonté des architectes. Les espaces laissés entre les unités deviennent des « publics » pour rester dans l’esprit petit village. Un village où tous les flux sont contrôlés et séparés. Un village où il y a encore des enceintes à l’intérieur de l’enceinte principale. Un village qui dit vouloir entrer en interaction avec le voisinage sans y parvenir de par l’échelle, son langage et sa gestion ultra sécuritaire. Toutefois, il peut être observé au sein du projet des tentatives d’échange avec la société externe, le travail de l’espace public devant le bâtiment d’entrée et l’unité réservée à la détention des femmes dont le rez-de-chaussée abrite un magasin et un atelier de repassage accessible depuis la place. Place sur laquelle le bureau d’architectes 87
2013 | Image 3D du projet de « Village pénitentiaire » à Haren | CAFASSO
énonce la possibilité d’organiser des activités pour renforcer le contact avec le voisinage17. L’intégration du complexe ultra sécurisé à son environnement est prioritaire à la (ré)intégration du détenu. Le bureau donne une réponse à la question donnée par le maître d’ouvrage, en l’occurrence l’Etat. Ce n’est pas la réponse qui est mauvaise, je pense, mais la question. Le fait de fractionner le programme en plusieurs « petites » unités architecturales, dont la « matérialisation des bâtiments réfère à une situation normale ; le bâtiment
communal réfère à une maison communale ou un centre administratif, les bâtiments en cluster réfèrent à des logements collectifs »18 pour rapprocher l’environnement intérieur aux murs de l’environnement à l’extérieur pour (ré)intégrer le détenu à sa sortie, est loin d’être suffisant.
La réalité reste inchangée, 1200
détenus entre les murs répartis entre x prisons, …une échelle inhumaine.
CAFASSO, Demande de permis de bâtir pour la construction d’un nouveau complexe pénitentiaire à Haren, 29 novembre 2013 17
18
CAFASSO, Demande de permis de bâtir pour la construction d’un nouveau complexe
pénitentiaire à Haren, 29 novembre 2013
89
« Qu’avez prévu pour l’encadrement de nos jeunes à qui l’on semble n’offrir qu’une
prison comme avenir ? Ne devrait-on pas conserver ces terrains pour des écoles ou des centres d’animations ? Nous rêvons de structures et d’encadrement pour nos jeunes AVANT de les envoyer en prison. Qu’avez-vous prévu pour interdire le trafic de transit qu’occasionnera cette MEGAprison ? Quels sont les plans de mobilité en cas d’incidents qui semblent inhérents aux prisons ? Qu’avez-vous prévu pour suppléer à la perte d’espaces de détente et à la perte d’espaces verts ? Le fédéral nous explique que la participation doit être gérée depuis la ville, ce projet de « plus grande prison de Belgique » sur cette terre oubliée, ne mérite-t-il pas un effort particulier de communication et d’implication des habitants ? »19
19
Extraits du texte de l’interpellation du Conseil Communal de la Ville de Bruxelles par le
Comité des Habitants de Haren, le 12 septembre 2012
90
20150728 | A proximité de la prison de Saint-Gilles, Avenue Ducpétiaux | Photo : Adam Astrid
DE LA VILLE A LA CAMPAGNE
Depuis sa naissance, la prison partage son sort entre la volonté de la société de l’intégrer ou de la reléguer. Le père du Panoptique, Jeremy Bentham, prônait au XVIIIe siècle la place de la prison dans la ville à la fois pour favoriser la réintégration du détenu en conservant un lien avec la société, le détenu devait être régulièrement visité, mais aussi pour intimider, dissuader ceux qui seraient tentés d’enfreindre la loi. La prison, architecture austère, devait être placé en ville comme symbole de la punition. Au XIXe siècle, les prisons de type Ducpétiaux fleurissent sur le territoire belge en bordure du centre historique dans la première couronne urbanisée, intégrées aux plans d’urbanisme et au tissu urbain. Depuis, l’eau a coulé sous les ponts. On assiste depuis lors à la tendance inverse. Depuis les années 70, les prisons se voient éloigner de la ville dense, d’abord construites
en
zone
floue
formant
le
développement
péri-urbain
des
agglomérations. Aujourd’hui, les prisons sont reléguées dans les campagnes en zone agricole ou en zone industrielle. Ce choix est régit par des impératifs économiques (logiques foncières, partenariat public privé), sécuritaires, et de connexion (à proximité de grands axes). Par cet éloignement, les détenus se trouvent pour la seconde, voire troisième, fois exclus de la société. Le problème d’accessibilité découlant de cette implantation a pour effet de diminuer les visites des proches, mais également des services d’aides aux détenus et des avocats. En découle une certaine désocialisation du détenu ce qui à long terme, une fois libéré, pose un problème de 93
(ré)insertion. Rappelons que le taux de réincarcérations20 après libération des condamnés est, d’après une étude de l’Institut national de criminalistique et de criminologie (INCC), de 48%, ce qui est énorme. Tous, ou presque, sont amenés à être libérés, il est donc important de les amener sur la voie de la (ré)insertion au cours de leur détention, le maintien des liens sociaux en constitue un des facteur important. « Isolant le détenu hors de la vie sociale ordinaire, la prison contribue à masquer le
subterfuge, permettant au système de se perpétuer en maintenant les citoyens dans l’ignorance des approximations et des simplifications des processus de répression pénale »21 Oserais-je un parallèle avec les cités HLM en France ? Celles-ci sont de la même manière reléguées sur des terrains peu chers et en périphérie des villes et constituent des ghettos de personnes précaires ou peu aisées et participent au processus de ségrégation et d’exclusion. Ces cités concentrent une série de difficultés qui se décuplent, et peuvent, de facto, avoir pour conséquence d’enfermer ses habitants dans le cercle vicieux de la précarité. Ce phénomène accentue les disparités sociales en les enfermant dans une architecture.
20
MAES Eric, ROBERT Luc, Après la prison, combine y retournent-ils ?, le 20 juin 2012
http://www.justice-en-ligne.be/rubrique194.html 21
COMBESSIE Philippe, La prison dans son environnement : symptômes de l’ambivalence
des relations entre les démocraties et l’enfermement carcéral., in Les Cahiers de la sécurité, n° 12, avril-juin 2010, pp. 21-31
94
Est-ce que concevoir la ville autour de l’idée de mixité ne serait pas plus pertinent en favorisant les échanges entre les différents groupes sociaux pour s’opposer à l’idée d’organiser la société en ghetto aisé <> précaire ?
95
2014 | Jean-Marc Mahy, ancien détenu sur scène, « Un homme debout » dans l’espace de sa cellule (mise en scène de Jean Michel Van Den Eeyden) | Photo : Le Bruit du Off
LA PRISON DANS SON RAPPORT AU CORPS
L’analyse de la constitution de l’espace de l’enfermement ci-après est basée essentiellement sur des articles des actes d’un colloque Espaces d’enfermement, Espaces clos, organisé par Doc'Géo, association bordelaise des doctorants et masters en sciences de l'espace et du territoire. Le propos est illustré par le témoignage de Serge Thiry, ex-détenu.
Le contexte urbanistique maintenant planté, pénétrons à l’intérieur des murs. Poursuivons la réflexion à l’échelle de l’incarcéré. La prison a pour but de séparer physiquement les criminels ou les délinquants (présumés ou condamnés) de la population, de les isoler, de les punir par l’enfermement. L’incarcération est une mise à l’écart de la société d'un individu considéré potentiellement dangereux. De ce fait, l’espace architectural des prisons, par sa morphologie, accentue cette visée séparatrice, stigmatise et systématise les frontières entre l’extérieur et l’intérieur du centre pénitencier et entre les détenus eux-mêmes. Telle une poupée russe, les enceintes se succèdent isolant physiquement les détenus du monde extérieur. La première est celle des murs, ensuite la seconde est celle du bâtiment, qui se réduit ensuite à l’étage et enfin à l’espace de la cellule. Chacun sa case. Chacun sa cage. Cette imbrication d’espaces introduit chez le détenu un sentiment d’isolement, de réclusion par rapport à la société, mais on peut se poser la question de savoir si elle induit de facto la sensation d’enfermement ?
97
L’espace clos n’induit pas forcément un phénomène d’enfermement. Prenons l’exemple de l'ermite qui se retire en solitaire dans un espace restreint ou isolé souhaitant ainsi trouver sa voie vers Dieu. A l’inverse, un espace dont la morphologie ne consiste pas en un espace enfermant peut induire chez l’individu un sentiment d’enfermement.
On peut se sentir
prisonnier face à l'immensité d'un désert.
C’est pourquoi, nous pouvons déduire que le processus de constitution d’un espace d’enfermement n’est pas relatif qu’à la dimension formelle de l’espace, mais au rapport du corps à l’espace, au vécu de l’espace carcéral.
Si notre existence est caractérisée par le fait que nous occupons l’espace, le rapport du corps à l’espace est, alors, primordial. Nous nous intéressons à la relation du Moi au Monde, c’est pourquoi, la notion de l’espace sera abordée dans son approche égocentrée22 ; Moi, centre du monde. L’origine de notre rapport à l’espace est la position centrale qu’occupe notre corps, nous pouvons faire le tour, varier notre position par rapport à un objet, un corps extérieur, mais nous ne pouvons en faire autant avec notre propre corps. L’espace nous est révélé par nos sens ; intermédiaires entre Moi et Le Monde.
22
JOANNE Pascal, OUARD Thomas, Constitution d'un espace d'enfermement | Essai sur
une phénoménologie de l'enfermement, In DI MEO Guy (dir.), Espaces d'enfermement,
espaces clos, 28 mai 2008, Bordeaux (France), Cahier ADES, 2008, p. 25
98
Pour appréhender la relation de l’individu au Monde, il est nécessaire de situer l’individu spatialement et temporellement : Moi-Ici-Maintenant. Le fait de se situer dans l’espace, et dans le temps qualifie notre existence en tant qu’individu propre, notre identité. La détermination de ces concepts sous-tend l’existence de leur contraire. En effet, le Moi suppose l’existence d’Autrui ; l’Ici, l’existence d’Ailleurs ; le Maintenant, d’hier et de demain. Phénomène primitif de la relation du Moi au Monde, le Moi-Ici-Maintenant induit la notion de vécu. L’ensemble de ces concepts constitue une base phénoménologique nécessaire à la compréhension du processus de constitution de l’espace d’enfermement. Par cette analyse, nous verrons que les spécificités du vécu de l’espace d’incarcération entrainent une détérioration de la relation du Moi au Monde. Déshumanise, désocialise l’Homme. L’Homme, cet animal sociable.23 De cette altération émerge l’espace d’enfermement.
23
Aristote, « L'homme est un être sociable ; la nature l'a fait pour vivre avec ses
semblables. »
99
DEGRADATION DU MOI
Le Moi est défini comme la conscience de la pensée et des actes. Il se matérialise par le corps, l’enveloppe, dont la peau constitue la frontière entre l’être et le monde. Le corps me permet d’occuper l’espace, preuve fondamentale de mon existence. Mon Monde est partagé par l’existence d’Autrui, il en limite mon usage. Mes actes se font alors sous le regard et le jugement d’Autrui. Mes rapports avec Autrui constituent un monde social. La proximité avec Autrui, dans certains cas traduit l’affection (famille, conjoint, amis,..), dans d’autres une violation de mon intimité (dans le métro, en cas de fouilles,..) L’arrivée d’un individu en prison s’accompagne d’une série de ruptures, de pertes. Ces pertes sont liées au fait que la prison interdit les actes qui en dehors de la prison permettent à l’individu de s’identifier, d’affirmer son Moi vis-à-vis d’autrui. Le détenu perd un des droits fondamentaux de l’être humain, sa liberté. Ce droit est défini comme étant la possibilité, le pouvoir d’agir sans contrainte24, c’est-à-dire, l’autonomie et la spontanéité d’une personne. Sa perte constitue donc une altération du Moi. Avec sa liberté, le détenu a perdu son indépendance, son intimité, son identité, sa sexualité, son travail, … Chacune de ces pertes intervient dans le processus de la dégradation du moi.
24
Le Petit Robert 1, Paris, Dictionnaires LE ROBERT, 1990, p. 1090 100
En prison, les individus sont placés sous une autorité qui, par ses règles et son organisation, entretient un rapport dominant/dominé entre les détenus et les surveillants. Les détenus ayant perdu toute indépendance dépendent désormais des gardiens. Ces derniers ont un rôle dominant important, car c’est à eux qu’appartient le pouvoir d’ouverture de la porte de la cellule dont l’actionnement rythme la journée. La porte, seul contact entre le détenu et le gardien, synthétise, selon Lionel Rebout, doctorant en philosophie, l’essentiel du rapport carcéral, le poids de l’institution.25 La porte, objet architectural à priori simple dans son usage, mais est en réalité complexe dans sa conception et la routine qu’elle engendre. Lourde, d’abord en bois, elle est remplacée au cours du XIXe par l’acier, d’où l’émergence du terme « taule » pour qualifier la prison.
La porte passée, entrons dans l’espace de vie du détenu, la cellule. En raison de la surpopulation dans les prisons, les cellules, d’environ au mieux 12m2, comprennent souvent 3 à 5 détenus. Cette promiscuité quasi permanente avec des codétenus non-choisis peut être ressentie comme une violation de l’intimité, une intrusion d’autrui dans mon monde. Les détenus n’ont pas, ou pratiquement pas la possibilité de se retrouver seuls. Même la douche, moment d’intimité dans la vie hors des murs, est collective dans certains établissements pour des raisons de sécurité. Le fait d’être contraint de vivre l’un sur l’autre renforce l’atmosphère tendue en prison.
25
REBOUT Lionel, Le seuil de la porte. Processus de visibilisation et mode d’apparaitre en
milieu carcéral, In DI MEO Guy (dir.), Espaces d'enfermement, espaces clos, 28 mai 2008, Bordeaux (France), Cahier ADES, 2008, p. 25
101
L’absence de liberté entraîne chez l’individu incarcéré un manque d’affection. La vie affective et sexuelle est un besoin propre à tout être humain. Si on nie la sexualité en prison c’est qu’on nie la sexualité à tout individu. L’homme libre et en bonne santé en oublie son corps. Le manque entraîne, dans les témoignages, une dissociation entre le Moi et la partie du corps qui les fait souffrir. La détention rend sexuellement malade.
L’image qu’a le détenu de lui-même, notamment par les pratiques telles que les fouilles corporelles, se retrouve dégradée.
Le corps incarcéré est détérioré par la vie carcérale. Le corps du détenu peut se retrouvé abîmé par nombre d’auto-agressions dont les automutilations représentent une part importante. La prison, lieu de régression, de désespoir, d’automutilation, peut également entrainer le suicide du détenu. A cause du sentiment d’insécurité régnant dans les centres de détentions, les détenus s’adonnent à la musculation de manière excessive dans le but de tenir à l’écart quiconque voudrait s’en prendre à eux. Cette musculation extrême provoque chez le détenu des déchirures abîmant son corps. Il peut être également observé que le manque d’hygiène engendre également une détérioration du corps (ex : perte de dents, infections,..). Le manque d’hygiène est en partie lié à la surpopulation des prisons.
102
La vie en détention affecte également la vision. En effet, les détenus n’ont pas la possibilité de voir au loin, car leur vision est arrêtée par les murs.
Le dernier point, et non des moindres, que nous abordons dans le processus de dégradation du moi est la perte d’identité individuelle. En effet, les centres de détention gèrent un grand nombre de détenus à moindre coût dans un espace restreint. IIs sont principalement désignés par et considérés comme des matricules. De plus, les témoignages d’anciens détenus sont symptomatiques de la perte d’identité du détenu. En effet, la plupart d’entre eux emploient le pronom personnel «on» pour témoigner de leur propre expérience carcérale. Heidegger, à ce propos, parle de la dictature du «on». Dans ce cas, le Moi appartient à autrui, personne nondéterminée, les autres. Le détenu lui-même ne se considère plus comme une identité unique26.
L’ensemble de ces ruptures et pertes contribue à la dénaturation du fait d’être. Le détenu perd ce qui le caractérise en tant qu’individu propre. Les détenus se retrouvent privés de leurs besoins naturels, ce qui engendre, entre autre, un sentiment de frustration qui cultive la tension et la violence omniprésente dans les milieux carcéraux.
26 DASTUR Françoise, L’universel et le singulier, Vrin | Revue des sciences philosophiques
et théologiques, n°95, mars 2011, p.586
103
DESAPPROPRIATION DE L’ESPACE CONSTRUIT
La notion d’Ici est relative à l’espace. L’espace est vital, il constitue notre sphère d’action. Tout individu dispose d’un espace. Pour affirmer son existence, il a besoin de se l’approprier, de se constituer un Ici. L’être ressent la nécessité de se fixer dans un espace et de le ressentir comme étant sien. Par cette appropriation se crée un phénomène d’identification. L’appropriation de l’espace passe d’abord par l’appropriation de son corps. En effet, l’appropriation de l’espace est rendu impossible si l’individu ne peut être libre de ses actes.
L’Ici, espace dans lequel évolue l’individu incarcéré, est la prison, ou plus précisément, en raison de la moyenne de 22h par jour passées en ce lieu, l’espace restreint de la cellule. Comme tout être, le détenu a besoin de se constituer un environnement rassurant au sein de sa cellule. Cependant, les règles inhérentes à l’institution carcérale constituent des obstacles à l’appropriation de l’espace. Prenons comme exemples, le fait que le détenu n’ait pas choisi sa cellule, ni ses codétenus, le fait qu’il puisse être déménagé
de cellule du jour au lendemain, ou encore qu’il soit sous
surveillance. S’ajoutent à ces règles, l’interdiction d’aménager sa cellule, les fouilles de cellules… L’interdiction, doublée l’impossibilité dans le cas de la nouvelle prison de Leuze, essayez de planter un clou dans un mur en béton, ou encore d’afficher avec un ruban adhésif. Le détenu ne peut, dès lors, s’identifier à son espace de vie, il s’y sent étranger. La seule tentative d’appropriation de l’espace physique de la prison qu’il lui reste est le graffiti. 104
Cette ambiguïté entre l’Ici et l’ailleurs accentue le phénomène enfermant. En prison, l’Ici, espace vécu par les détenus à l’intérieur des murs, est d’autant plus manifeste à cause de son isolement par rapport à l’Ailleurs, hors des murs. Cependant, l’espace de la cellule, Ici, est vécu par le détenu comme un Ailleurs. Ce phénomène est lié à la non-appropriation de l’espace. L’individu, dans ce cas, subit son espace de vie.
Cette désappropriation de l’espace de la cellule, Ici, et la promiscuité due à la surpopulation dans les prisons peuvent se traduire par l’insalubrité, l’agressivité latente.
105
L’espace, il est très limité en prison, donc je l’ai toujours vécu mal. On apprend malheureusement à vivre dans un espace très limité, très surveillé. Mais on s’y habitue, l’homme à cette faculté de s’adapter à tout, même dans les goulags, ils se sont adaptés, ils survivent. Donc moi je me suis adapté à cet environnement et je l’ai intégré à ma façon de réagir même. Et c’est vrai que c’est un contraste, quand on sort, moi il m’a fallu un moment. Il m’a fallu pratiquement 1 mois avant de ressortir seul. Voilà, pas que j’étais craintif, mais j’osais pas aller vers les gens. Je me souviens, je suis sorti une fois seul et j’ai dû téléphoner pour qu’on vienne me rechercher, je ne trouvais plus mon chemin, et je n’osais pas trop demander aux gens, donc on est décalé un peu. On est décalé, il faut un petit moment. D’ailleurs quand la dame est venue me rechercher à ma libération, elle m’a demandé « qu’estce que tu veux faire ? », je lui ai dit « écoute, arrête-toi sur l’autoroute dans une sorte de restaurant, j’ai envie de voir beaucoup de gens et beaucoup de couleur », comme ici tu vois ? Parce que ça t’as pas en prison, autant de couleurs en une fois. T’as pas de couleurs pratiquement, c’est gris en prison, t’as vu c’est pas beau. A l’intérieur encore moins, c’est plein de gris, plein d’hommes en bleu avec des képis. Enfin on s’adapte. J’ai fait 5 ans stricts dans un cachot, je me suis adapté. Je me suis adapté, je me suis réfugié dans le rêve. On réfléchit beaucoup, on rêve beaucoup. (…) Pour l’espace en prison, c’est à toi de le créer. Moi, je créais un univers, je faisais même des fausses fenêtres au mur, sur un dessin, pour me donner l’impression, avec un soleil et tout. Mais l’espace était limité, mais on apprend, l’homme s’adapte à tout. On nous ferait vivre dans des cachots au rez-de-chaussée, on survivrait encore. C’est ça que je te disais, dans les goulags, c’est autre chose que dans les prisons, mais ils survivent. Enfin c’est beaucoup plus dur. (…) 106
Béton, murs, barreaux, les barbelés. Quand je suis sorti, les portes se sont ouvertes et c’était des champs, des vaches, vert à l’infini, des betteraves, mais à certains moments j’ai eu mal aux yeux, parce que c’était trop loin. C’était trop loin, et je n’étais plus habitué à regarder aussi loin. A voir autant de couleur. Un arbre, ça paraît con hein ?
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L’ATTENTE
Maintenant apporte une temporalité dans la relation du Moi au Monde. Le temps est intimement lié à l’espace. Ces deux notions ensemble rendent possible l’action, l’activité ainsi que le vécu. Sans le temps, le Monde serait figé. Le terme d’ « activité » relatif à l’action se déroulant dans le temps et dans l’espace trouve son contraire dans l’inaction, soit l’ « attente ».
Le temps en prison est dans la plupart des cas assimilé à l’attente. Le détenu, dès son arrivée en centre de détention, aspire à sa sortie, seul objectif. Il « fait son temps », il compte les années, les mois, les jours le séparant du jour fatidique de sa sortie. Pour les individus se situant dans ce cas de figure, le temps devient une prison. L’attente peut devenir insupportable. Dans un témoignage, un ancien détenu, en attendant sa sortie, occupait son temps en faisant des origamis, il disait « plier pour ne pas penser ». Penser au monde hors des murs le faisait souffrir, le rendait fou.
D’autres détenus, ne vivent pas leur incarcération comme un temps d’attente, mais plutôt comme un temps à mettre à profit le Maintenant en participant aux activités proposées dans leur centre de détention, se formant professionnellement ou en travaillant. Ils préparent leur sortie. Malheureusement, les places sont limitées dans les ateliers, il n’y a donc pas toujours du travail pour tous les détenus qui le souhaitent. 108
Les détenus vivant dans l’attente d’un évènement futur, leur sortie, oublient de tirer parti du Maintenant. Vivre dans l’attente du Demain, en général, est source de souffrance chez les individus. Ils se sentent prisonnier du présent.
Quand je n’avais pas de livre, je rêvais. J’avais cette faculté de m’investir totalement dans mon truc et comme je l’ai encore dit aux jeunes, je le dis à chaque fois, je peux rester dans une pièce totalement délabrée et rester assis sur une chaise une journée entière. J’ai été habitué à ça. Je me lèverais juste si je sens que voilà mes muscles, .. Je vais me faire plein de vies dans mon imaginaire, je vais vivre plein de trucs et me réfugier dedans. Donc, voilà ça je peux le faire. Donc c’est pour ça qu’encore aujourd’hui je ne parviens pas à vivre en couple, ma copine je la vois que les w-e. Le reste je vis seul, je préfère, j’ai besoin de retrouver cette solitude. Elle fait partie de moi maintenant, elle fera partie de moi jusqu’à la fin. (…) Moi je me disais « moi, j’ai une vie de merde, alors ça justifie ce que je fais ». Il n’y a rien qui peut justifier de devenir un bandit un jour. C’est à nous à faire face, et à assumer, la délinquance ne peut rien excuser. Donc j’ai dû faire un chemin, ça a pris 7 ans, ça ne s’est pas fait (claquement de doigts) comme ça. 7ans où j’ai commencé à gamberger autrement, avant de sortir, parce que moi j’ai pris ma décision de ne plus être un voyou à l’intérieur, pas à l’extérieur. Avant de sortir, je savais que pour moi c’était tout, j’avais assez donné, 27 ans de cellule. 40 ans de condamnations, tout ça pour quoi ?
109
Cette analyse a pour but de montrer l’importance du vécu de l’espace par l’individu incarcéré dans la constitution de l’espace d’enfermement. La morphologie d’un espace clos, à elle seule n’engendre pas un phénomène d’enfermement, bien qu’elle puisse renforcer le phénomène. Un espace devient un lieu d’enfermement lorsque les rapports du Moi au Monde, dont le phénomène primitif
est
Moi-Ici-Maintenant,
sont
détériorés.
Grâce
aux
jalons
phénoménologiques, Moi-Ici-Maintenant, il a été possible de montrer l’influence des rapports « Moi à Autrui », « Moi à l’espace », « Moi au temps » sur l’émergence de l’espace d’enfermement. La détérioration des rapports du Moi au Monde résulte donc de la dégradation du Moi, de la désappropriation de l’espace, de l’attente.
Processus de désocialisation – de déshumanisation qui n’est pas uniquement lié à l’espace mais aussi et surtout à sa gestion.
110
DES PRISONS, ET APRES ?
Depuis son apparition en tant que peine privative de liberté, la prison cherche à répondre à plusieurs objectifs sans jamais y parvenir : protéger la société en écartant ses contrevenants, dissuader les citoyens de commettre des délits, et permettre l’amendement voire la réinsertion des personnes privées de liberté. Le constat de l’échec du système carcéral ne date pourtant pas d’hier, depuis plus de 150 ans, la proclamation de son échec s’est toujours accompagnée de son maintien. Le philosophe français, Michel Foucault, synthétise le système carcéral comme suit : « Le système carcéral joint en une même figure des discours et des architectures,
des règlements coercitifs et des propositions scientifiques, des effets sociaux réels et des utopies invincibles, des programmes pour corriger les délinquants et des mécanismes qui solidifient la délinquance. »27 Dans son ouvrage, il rappelle les sept principes fondamentaux28 de la « bonne condition pénitentiaire », principes dont on attend depuis plus de 150 ans les effets : -
Principe de la correction (amendement et reclassement social du condamné)
27
FOUCAULT Michel, Surveiller et Punir, Paris, Gallimard, 1975, p. 316
28
FOUCAULT Michel, Surveiller et Punir, Paris, Gallimard, 1975, pp. 314-315
111
-
Principe de la classification (isolés et répartis selon la gravité pénale de leur acte, âge, disposition et techniques de correction qu’on entend utiliser à leur égard, phases de leur transformation)
-
Principe de la modulation des peines (le déroulement des peines doit pouvoir se modifier en fonction de l’individualité des détenus, de leurs progrès, de leurs rechutes)
-
Principe du travail comme obligation et comme droit (le travail doit être l’une des pièces essentielles de la transformation et de la socialisation du détenu)
-
Principe de l’éducation pénitentiaire (éducation, précaution indispensable dans l’intérêt de la société et une obligation vis-à-vis du détenu)
-
Principe du contrôle technique de la détention
-
Principe des institutions annexes (contrôle et assistance jusqu’à la réadaptation définitive de l’ancien détenu)
Ni la gestion des établissements pénitentiaires, ni l’architecture, ne répondent actuellement à ces principes. L’objectif non-avoué du gouvernement est de faire des économies en investissant dans une architecture de masse hyper sécuritaire. Les économies sont faites sur le personnel, notamment sur le personnel du secteur psychosocial. En témoigne un des directeurs retraité de la prison de Tournai :
« Mais, il est vrai que les grandes prisons déshumanisent absolument les détenus. D’autant plus que la tendance actuelle c’est de faire des économies bien évidemment. Et ces économies sont des économies en personnel essentiellement, parce que c’est le personnel qui coûte le plus cher. Ce qui pose un gros problème, c’est que en économisant le personnel, vous devez par conséquent réduire toutes les missions de ce personnel, c’est-à-dire les missions d’accompagnement des mouvements des détenus. Donc par exemple, à la prison de Leuze, on a mis des 112
douches dans les cellules. Comme ça, vous évitez un mouvement « douche ». Or, le mouvement douche, vous avez des contacts des détenus entre eux, c’est peutêtre ça qu’on veut éviter, je me demande pourquoi ? C’est également là aussi, qu’il y avait un contact avec le gardien, peut être bon ou mauvais, mais au moins, il a le mérite d’exister. Tandis qu’en faisant ça, la douche en cellule, et bien c’est tout, il n’y a plus de contact. De même, il y a eu une merveilleuse invention qui s’appelle le prison cloud, c’est un ordinateur que vous avez en cellule à partir duquel vous pouvez interroger le greffe et lui demander : j’en ai encore pour combien de temps,… A partir de quand serais-je admissible à la libération conditionnelle où aux congés ? Et on répond au détenu via l’ordinateur. Ce qui veut dire qu’on évite encore un mouvement, on évite encore un contact entre l’employé du greffe et le détenu. (…) ce qui s’est passé jadis, c’est qu’on a eu une période je dirais, fin du XIXe siècle, où les détenus restaient enfermés dans leur cellule, je dirais presque 24h/24. Et à partir de ce moment-là, on s’est rendu compte que les détenus devenaient fous. On ne tient pas compte des leçons du passé.»29 Est-ce là un bon calcul d’investir dans le répressif plutôt que dans les politiques sociales ? De plus, en ce qui concerne le partenariat public-privé auquel l’Etat a recours pour amortir sur deux décennies le financement des nouvelles prisons, il engendre beaucoup d'incertitudes sur le plan des économies à long terme. 30 Ne serait-il pas préférable au vu du pourcentage tout à fait effarant de réincarcérations de miser sur une (ré)insertion durable du détenu justement en investissant dans le
29 DUFRANE Marc, Entretien réalisé par Astrid Adam, Anonyme, Tournai, juillet 2015 30
DUFAUX Florence, Enfermer la prison à la campagne ?, Inter-environnement-Bruxelles,
fédération de comités de quartier et groupes d’habitants, Bruxelles en mouvement, n°264, mai-juin 2013
113
secteur psychosocial et repenser totalement le système pénitentiaire notamment en remettant en question l’architecture ? N’a-t-on pas intérêt pour faire des « économies » que les détenus, une fois libérés, ne soient pas réincarcéré ? Les prisons de type « Ducpétiaux », majoritairement représentées en Belgique, ont été conçues en idéalisant les bienfaits de la vie recluse et en omettant l’usage collectif de l’espace de détention, la problématique sécuritaire occultant l’œuvre de réinsertion. Les nouvelles prisons de type « Ducpétiaux revisité », à l’instar de celle de Leuze, tentent de concilier les deux et offrent un cadre ultra sécuritaire tout en isolant socialement les détenus et le personnel pénitentiaire.31 Paradoxalement, les détenus et le personnel pénitentiaire (gardiens), préfèrent les anciennes prisons aux nouvelles qui se devaient être un modèle sur le plan humain selon ses représentants. Pourquoi ? Serge Thiry l’explique par le fait que l’être humain a cette capacité de s’adapter à tout, même aux goulags dit-il, et peut donc se passer de confort, mais pas de contact humain. Autant les détenus que les travailleurs paraissent préférer une «ambiance» à un cadre de vie ou de travail sain, sécuritaire et confortable. Peut-on penser autrement la sécurité, autrement qu’en termes de grilles, de tours de contrôle ? Ne pourrait-t-on pas la penser en termes de qualité des contacts sociaux et d’activités qui pourraient avoir, à mon avis, un effet bénéfique sur le comportement des détenus, calmer la tension et préserver leur humanité (identité, autonomie,..) ? Peut-on parler de prison “plus humaine” lorsque par exemple les contacts détenugardien, détenu-détenu, détenu-personnel sont réduits au minimum (portes
31
SCHEER David, Le paradoxe de la modernisation carcérale, Paris, L’Harmattan, Cultures
& Conflits, n°90, février 2013, pp. 95-116.
114
automatiques, écrans interposés, …) ? Lorsque les détenus sont encore plus mis à l’écart de toute vie de par la situation de la prison au nom du budget et de la sécurité ? Nous pouvons être d’accord sur le fait que les prisons belges telles qu’elles existent aujourd’hui ne sont pas très appropriées pour réaliser leur tâche centrale, c’est-àdire, à préparer de manière individuelle et sûre les personnes condamnées et enfermées à (ré)intégrer la société. Il s’agit aujourd’hui de joindre le discours et l’architecture. D’une architecture exclusive, « militarisante », à une architecture socialisante, « insérante ». Et l’architecte dans tout ça ? Où, à quel niveau peut-il encore intervenir dans l’état actuel des choses ? Les architectes, sans une réforme du système pénitentiaire, ne peuvent rien proposer de réellement innovateur, le travail de l’architecte est de répondre de la manière la plus pertinente à la question donnée par le maître d’ouvrage, par l’Etat. Tant que l’Etat ne changera pas la question de départ, la réponse restera toujours mauvaise en vue d’une (ré)insertion durable. La tâche demandée aux architectes est, tout en respectant les innombrables normes de sécurité imposées par l’affectation des bâtiments et dictées par le cahier des charges élaboré par la Régie des Bâtiments et le SPF Justice, rendre les lieux plus humains et fonctionnels. Le sécuritaire prend le pas sur les contacts humains, Tout est fait pour faciliter les déplacements des gardiens et d’entraver celui des détenus, les mouvements sont réduits au minimum.
115
Un architecte ayant collaboré au projet de la prison d’Ittre, mise en service en 2002, témoigne32 :
Ca commence quand le camp de concentration ? C’est ça la question quand même. Est-ce que j’allais ou pas être complice d’un camp de concentration ? Mais en fait, les choses ne sont pas aussi simples que cette question-là, parce que ce qui fait un camp de concentration, je pense que c’est en partie l’architecture, mais qu’en partie. Le reste, c’est les humains qui gèrent le bâtiment. On peut faire une prison magnifique, très progressiste, si on met dedans une série de directeurs, parce qu’il n’a jamais un directeur, il y a plusieurs directeurs de prison dans une même prison, si on met un commando de directeurs de prison d’extrême droite, ça a beau être conçu de manière progressiste ce sera un camp de concentration. Puisqu’elle sera gérée comme un camp de concentration. Donc, la question est effectivement complexe. Mais moi, je ne sentais pas ça à l’époque, donc j’étais mal à l’aise. (…) A l’administration, on peut proposer des choses, et il n’est pas rare que ça soit accepté, du moment que l’on peut le justifier, que ça a l’air cohérent. Tout le monde est demandeur en fait pour des choses de qualité, mais on n’a pas nécessairement ni les moyens, ni la structure ? (…)
32
Entretien réalisé par Astrid Adam, architecte de la régie des bâtiments en Belgique ayant
collaboré au projet de la prison d’Ittre, Anonyme, Bruxelles, juillet 2015
116
Il y a une certaine ouverture au niveau de l’administration pénitentiaire. L’administration pénitentiaire est le reflet de la société de ce qu’elle est dans son état actuel. Il y a des gens de gauche, de droite, d’extrême gauche, d’extrême droite, et du centre... et c’est pour ça, je pense qu’ils ont accepté que des artistes interviennent et c’est très bien, il faut le dire. (…) Je pense qu’on a quand même la possibilité en tant qu’architecte et malgré le programme de faire avec la prison d’Ittre, d’apporter un petit quelque chose qui n’existait pas avant dans les autres prisons et c’est ce que j’ai dit à mes collègues qui après se sont chargé des autres prisons : n’essayez pas de faire la révolution c’est impossible, vous allez tomber sur des murs, prendre des murs directement. Essayez de changer des petites choses une à la fois et ça va déjà avancer comme ça. Alors qu’est ce qui a avancé à Ittre par rapport à avant, et bien avant il y avait beaucoup de couloirs très sombres parce qu’ils ne donnaient sur rien du tout. Ça veut dire qu’on est très dépendant de la lumière artificielle, là on a réussi à faire des couloirs qui sont assez lumineux, soit il y a des grilles à toutes les fenêtres, mais c’est beaucoup plus lumineux. C’est de la lumière naturelle. Il y a du soleil qui rentre. Ça n’a l’air de rien comme ça, mais lorsque qu’on est enfermé 24h/24 c’est beaucoup. Il n’y a pas que ça. On s’est aussi penché en détail sur la partie visite. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas de raison, ce n’est pas parce que quelqu’un est incarcéré que sa famille doit en faire les frais. Et c’est très traumatisant pour un enfant d’aller voir un parent qui est emprisonné. Donc, on a décidé d’emblée qu’on ne mettrait pas de barreaux aux fenêtres de la salle des visites, mais ça avait un impact quand même qui n’est pas innocent, pas neutre, c’est que ça coûte beaucoup plus cher de mettre des vitrages blindés que de mettre des barreaux. Donc, il y a eu un choix qui a eu 117
des répercutions budgétaire, le centre de visite n’a donc pas de barreaux. C’est déjà pas mal, c’est beaucoup déjà. Et on a réussi aussi à créer un coin pour les enfants, qui était je pense identifiable comme coin pour les enfants parce que les fenêtres étaient à leur hauteur. Donc si je pense que l’architecte peut apporter quelque chose, oui, des petits points de détails. Faire en sorte que la prison ait l’air moins carcérale en fait. Mais ce n’est qu’une des données du problème. Il ne faut pas considérer que l’architecte va sauver le monde avec son architecture, non surtout pas, c’est du délire ça. C’est une seule donnée du problème. Mais elle existe. Il faut se mettre dans la peau d’un gars qui va rester là pour vingt ans. Donc oui on a une responsabilité, bien sûr. (..) Encore un exemple où l’architecte peut intervenir, dans les prisons on ne peut pas mettre des tentures, parce que c’est trop facile de se pendre avec des tentures. A la prison d’Andenne par exemple, il y avait des problèmes de surchauffe énorme sur les façades sud. En été c’est le four. La chaleur vraiment est horrible, et comme il n’y a pas moyen de mettre une tenture, un store ou quoi que ça soit d’autre, c’est vraiment infernal, alors qu’avons-nous fait à Ittre ? Là, je me suis dit, puisqu’on ne peut pas jouer sur les stores et les tentures, je vais jouer sur l’architecture. Mais je devais mettre des barreaux. Donc, j’ai conçu les barreaux en pare soleil. Alors ça ne se voit peut être pas très fort parce qu’à Andenne, il y a toujours les barreaux dominants, plus épais et les barreaux mineurs qui sont plus minces, à Andenne les barreaux dominants sont verticaux, à Ittre, ils sont horizontaux pour cette raison-là. 118
VoilĂ , nous en sommes lĂ . Nous aussi prisonniers.
119
III.
DEMAIN, LES MAISONS Une détention à échelle humaine.
ÂŤ Face au monde qui bouge, il vaut mieux penser le changement que changer le pansement. Âť Francis Blanche
Et si la (ré)insertion commençait dès le premier jour de la détention ? Oser sortir du système paternaliste qu’est la prison telle que nous la connaissons aujourd’hui en Belgique pour miser sur l’autonomie et la responsabilisation des détenus. Oser croire en la (ré)insertion. Si la société n’y croit pas, un détenu peut-il y croire ? Dans quel cadre, quelle structure ? Quels sont les ingrédients favorisant une bonne (ré)insertion ? Oser penser la Maison. La Maison, comme « modèle alternatif
d’accompagnement collectif des transgressions de l’interdit en incluant son auteur au sein de la cité, en tant que citoyen, impliquant droits et devoirs, libertés et responsabilités. »33. Le choix des mots a son importance, parlons Maison plutôt que prison. Par ce procédé il s’agit de faire évoluer de manière positive la détention dans l’imaginaire collectif ; les mots ont un poids. La maison, dont le sens premier celui de bâtiment d’habitation, induit une l’échelle humaine, tandis que prison, défini comme « lieu de détention »34, perd dans ce cas sa dimension humaine non seulement dans le mot mais aussi par sa figure, sa typologie actuelle. Habiter plutôt que stocker un monde arrêté. L’humanité, ne l’oublions pas, est à préserver. Le concept des Maisons a été développé en Belgique par une asbl flamande, vzw De Huizen, initiée par Hans Claus, directeur de la prison de Termonde. Un projet pilote a été élaboré et est actuellement dans l’attente d’un permis de bâtir. Aucune
DUFAUX Florence (Observatoire International des Prisons), Enfermer la prison à la campagne ?, Inter-environnement-Bruxelles, fédération de comités de quartier et groupes 33
d’habitants, Bruxelles en mouvement, n°264, mai-juin 2013 34
Le Petit Robert 1, Paris, Dictionnaires LE ROBERT, 1990, p. 1531 123
information n’est à ce jour divulguée au sujet de ce projet (ni publication, ni site, ni plan, ni programme). Le rôle de l’architecte – maître d’œuvre – est de concevoir un projet architectural à la demande d’un client – le maître d’ouvrage. Mon ambition dans cette partie n’est pas de dessiner un plan fini d’une maison de détention telle que je la conçois, mais d’identifier les besoins, d’émettre une hypothèse à l’échelle du territoire, de concevoir comment une telle maison peut être intégrée à la vie d’un quartier en prenant l’exemple de Tournai. Bien que le maître d’ouvrage reste l’Etat, nous devons, en tant qu’architectes, rester conscients au premier chef de ceux pour qui nous concevons, ceux qui vivent à l’intérieur de ces établissements de détention et dans quel but nous agissons. A qui notre travail est-il, in fine, destiné ? Un premier aspect à prendre en compte est celui de la surpopulation carcérale. Les causes structurelles avancées par l’Observatoire International des Prisons en sont d’une part le taux abusif de détentions préventives (de personnes non jugées, et donc présumées innocentes) – dont la durée est de plus en plus longue, d’autre part l’allongement et le durcissement des peines de prison prononcées, lié à la difficulté croissante d’obtenir une libération conditionnelle, et enfin, last but not least, l’explosion du nombre d’internés, détenus jugés non-responsables de leurs actes, parqués en prison en attente d’une place en établissement adapté, c’est-à-dire en défense sociale. Il y a là déjà matière à revoir la politique pénale pour une détention adaptée à chacun. Ensuite, il est peut-être bon de le rappeler, la délinquance n’est en aucun cas le fruit du hasard, pas plus qu’une fatalité. Depuis le XIXe, elle est le fruit presqu’exclusif du 124
dernier rang de l’ordre social35. Lorsqu’elle ne résulte pas d’un déséquilibre mental, auquel cas la défense social serait l’établissement le plus adapté, elle trouve sa source alors dans la majorité des cas au sein d’un décrochage familial et/ou scolaire, d’un manque de repères, d’une précarité matérielle, d’une dépendance, ou encore d’une recherche désespérée d’affirmation.36 Si nous pouvons, aujourd’hui, concevoir la prison comme peine privative de liberté pour les individus constituant un réel danger pour la société, elle ne peut et ne doit en aucun cas devenir un automatisme, et doit rester le dernier recours lorsque toutes les peines alternatives ont échoué.
« Il y a quelques anciens détenus qui s’en sortent parce qu’il faut de la résilience. La résilience, tu sais ce que c’est… C’est comme le disait Nelson Mandela, « l’essentiel ce n’est pas d’éviter de tomber, c’est d’avoir la capacité de se relever ». La résilience c’est se relever. Quoi que tu vives, pas seulement dans la délinquance. Pour moi c’est la délinquance. Mais bon, pour rattraper de la résilience il faut un potentiel intellectuel, parce que tu dois prendre conscience, pas seulement culpabiliser et pleurer du matin au soir pour ce que tu as fait mais avoir un comportement d’amendement, te relever et prendre un nouveau départ, sans nier ce que tu as fait. Mais ça il faut amener ceux qui n’ont pas ce potentiel sur ce chemin. »37
35
FOUCAULT Michel, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975, p.321
36
PINTO Renato (Vivre Ensemble Education), Sortie de Prison | Difficile réinsertion, mai 2012
http://vivre-ensemble.be/SORTIE-DE-PRISON-Difficile 37
THIRY Serge, ancien détenu, entretien réalisé par Astrid Adam, Bruxelles, avril 2014
125
Le détenu est le premier acteur de sa réinsertion, il est donc primordial qu’il évolue au sein d’un environnement favorable et adapté. En commençant sa détention, l’estime qu’il a de lui-même est au plus bas, les détenus sont généralement des personnes abîmées. Chaque personne est différente, a une identité propre, menacée par la dégradation de la relation du Moi au monde résultant de l’enfermement, et je pense qu’il y a quelque chose à valoriser chez chacune d’entreelles pour les aider à trouver le chemin de la (ré)insertion, de la résilience. La valorisation du détenu passe par un encadrement psycho-social individualisé, mais également par l’activité, le travail. De ce fait, la ville constitue un milieu favorable à l’implantation d’un établissement pénitentiaire reconsidéré par son gros potentiel d’activités économiques et sociales offrant des perspectives de (ré)insertion. L’idée serait que les établissements tels que nous les connaissons aujourd’hui soient vidés de leur population et que celle-ci soit répartie en vue d’une détention adaptée dans des maisons disséminées sur le territoire belge.
Passer à une
incarcération à petite échelle où chacune des maisons aurait sa propre identité, avec un régime à caractère évolutif de fermé à ouvert selon les progrès du détenu sur le chemin de la réinsertion, en se positionnant en rupture par rapport à la détention d’aujourd’hui régie par l’uniformité et le contrôle. La capacité d’accueil des Maisons telles qu’imaginées par l’asbl De Huizen est dans l’idéal de dix à douze détenus pour une détention différenciée réellement effective et efficace, mais la capacité peut être élargie à un maximum de trente détenus38.
38
CLAUS Hans et alii, Les Maison, vers une approche pénitentiaire durable, Bruxelles, ASP,
2015, p. 23
126
La petite échelle a déjà fait ses preuves. En effet, des études norvégiennes menées par Johnsen et Granheim (2011-2012) ont démontré que la qualité de vie au sein des petites prisons (moins de 50 détenus) est meilleure par rapport aux grands établissements pénitentiaires plus grandes prisons. Les relations entre les gardiens et détenus y semblent de meilleure qualité.39 Les deux obstacles qui m’ont été énoncés par le directeur d’un nouvel établissement pénitentiaire en Belgique40 sceptique à propos d’un tel projet sont la pression de l’opinion publique et le budget. En ce qui concerne le budget, le point a été abordé en conclusion du chapitre précédent, il s’agit avant tout d’un choix citoyen : est-il préférable d’investir dans la répression ou dans la (ré)insertion ? L’impact budgétaire peut être contrôlé aussi par le choix du terrain en ville ce qui relève du travail de l’architecte. Pour ce qui est de la pression de l’opinion publique, comment rendre ces maisons acceptables ? Largement influencée par les médias, un gros travail de sensibilisation est à faire auprès de l’opinion publique, mais également en banalisant les rapports entre prison et société pour intégrer l’institution pénitentiaire au tissu urbain et social. Une réflexion doit être engendrée sur l’interface, question substantielle du projet. A la reconquête de l’urbanité.
JOHNSEN Berit & GRANHEIM Kristian, Exceptional prison conditions and the quality of prison life: Prison size and prison culture in Norwegian closed prisons, European Journal of 39
Criminology, November 2011, pp. 515-529 40
Entretien réalisé par Astrid Adam, directeur d'un centre pénitentiaire en Belgique,
Anonyme, avril 2015
127
Extrait d’entretien avec un directeur de prison :
-
Dans le cadre d’une prison conçue comme une maison de détention, insérée dans le tissu urbain, dans la ville. Que pensez-vous de traiter l’interface entre le milieu carcéral et la société par la mise en place d’un programme commun, utile à la fois aux détenus et à la société. (ex : restaurant social géré par les détenus,..)
Oui, je crois que ça serait une excellente chose d’avoir cela. Il y a des années, il y avait des cours d’imprimerie, à l’époque où il n’y avait pas encore les ordinateurs, et il y avait encore du travail pour les imprimeurs. Il y avait une école de promotion sociale qui voulait bien venir avec un minibus tous les matins prendre des détenus, les conduire jusqu’à l’école et les ramener le soir. C’était déjà un premier pas vers ce genre de chose. Malheureusement ça n’a pas pu se faire, j’ai été muté à la prison de Mons et la personne qui m’a succédé n’était pas très intéressée par ce genre de programme. Je crois que ça serait une bonne chose. Il a aussi un problème, c’est que le détenu a en général une image négative de lui-même et ça aussi c’est très important, cette image négative est due au fait qu’il a commis un délit et qu’il s’est fait prendre par le flic, par le juge et qu’il est en prison. Moi je suis le prolongement du juge, donc un mauvais. Le détenu a en général une image négative de lui-même, si on parvient à refaire le chemin inverse, à lui donner une image positive alors il va justement démarrer. En les mettant dans des restaurants sociaux, des choses comme ça, il va avoir l’impression d’être utile à quelque chose, il va avoir limite l’impression d’aider des gens issus du même milieu que lui, qui pourraient pour un oui, pour un non, très 128
bien basculer du mauvais côté. Je crois effectivement que ça serait une bonne chose de les mettre au travail et qu’ils aient un contact avec la société, parce qu’en fait le problème c’est qu’il n’y a pas de contact à part la famille qui vient voir c’est tout. Une fois qu’ils sont dehors et qu’ils ont des contacts ça va nettement mieux. Parfois, les contacts sont aussi mauvais, on prépare un mauvais coup ensemble, avec d’autres qui sont là. Mais bon c’est quand même rarissime quand ça arrive, enfin quand ça arrive, ça arrive. Le risque zéro n’existe pas.41
41
DUFRANE Marc, ancien directeur de la prison de tournai, entretien réalisé par Astrid
Adam, juillet 2015
129
Extrait de témoignages à propos de l’Intégration d’une Maison d’Accueil (de personnes en marge de Notre Société) - La Moisson à HOUMONT - Regards croisés de résidents et de riverains sur cette structure.42 -
Ici, c’est … c’est une Maison, c’est un foyer d’accueil si tu veux, mais c’est une Maison assez spéciale.
-
Ils ne sont pas Méchant, hein ?
-
Pas Méchant…. Ils s’en foutent quoi, hein ?… Ils s’en foutent.
-
Pas acceptés au village, Non ! - N’est pas Accepté au village.
-
Ben, ils, je ne les aime pas encore trop.
-
J’ai déjà dit beaucoup de fois : - Il vaut mieux qu’il y est des maisons comme ça pour les recueillir que de les laisser rouler des routes. Voilà ce que j’ai déjà dit beaucoup de fois, moi.
Et vous savez un peu le… Le projet de Bernard Joachim, pourquoi il y a une maison comme ça ? … -
Attends, Comment on va expliquer le problème ? Ce sont beaucoup des gens qui n’ont pas, qui ne savent pas aller, qu’ils n’ont pas l’accueil de leur famille. – Hein ! Et si vous sortez de prison et que vous êtes sous surveillance policière, vous devez avoir une place pour aller pouvoir aller, hein !
42
ADAM Michel, Des Mots pour des Maudits, Montage Audio-Visuel en fondu-enchaîné sur
l’Intégration d’une Maison d’Accueil (de personnes en marge de Notre Société) - La Moisson à HOUMONT, Fondation Roi Baudouin, 1985
130
-
On vous dit franchement : On ne va pas les embêter, ils ne viennent pas nous embêter. C’est tout, hein !
-
L’Assistant Social de Dinant qui a expliqué à Christian qu’il existait des Maisons d’accueil pour des personnes comme nous, fin, - Enfin pas précisément comme nous mais pour tout-à-chacun.
-
Et je me trouvais à Marneffe, à la prison de Marneffe – A la prison de Marneffe et Mon frère était ici. - Alors Bernard m’a accepté tout de suite. - Quoi ? Euh ? Même sans me connaître, rien du tout. Bon !
-
Quand tu fais deux ans de prison. Bon ! Ça te travaille moralement. Psychologiquement tu es anéanti surtout si tu prends des médicaments. Parce que là-bas, tout, tu prends des médicaments pour oublier. Tu as tendance à la fainéantise. Tu n’as plus envie de rien foutre. Tu n’as plus envie de rien faire. La Vie te paraît dire comme on dit. La Vie te paraît dure.
-
Le but est tout simple, c’est Survivre. Parce que quand je suis arrivé, je n’avais pas, je n’avais plus d’allocation, je n’avais plus d’argent, je n’avais plus rien. – Il me fallait simplement hein, un foyer d’accueil, c’est vraiment le mot. – Et je suis arrivé plutôt en détresse ici. – Des buts au départ, je n’en avais pas, sinon survivre, hein ! et trouver un toit pour me loger.
-
Il y en a quand même beaucoup qui venaient de prison. – Alors, les gens avaient peur. – Mais, on n’a pas eu de problème.
-
Qu’est-ce que Vous voulez ? – C’est des gens comme les autres. – On ne peut pas les détester.
-
Et je crois quand même que petit à petit les gens vont admettre.
131
-
Il n’y a pas d’aspects positifs ou négatifs : C’est un, c’est simplement un changement de situation. – Je ne suis plus clochard, Quoi ? – Ce qui me paraissait positif ici, c’est qu’il y avait moyen de s’occuper la journée. - Parce que j’ai besoin de m’occuper, parce que je suis dépressif et qu’il y avait des perspectives peut-être minimes. – M’enfin, il y a des perspectives de se créer un statut économique peut-être très bas, mais il y a moyen de progresser.
-
Hein ! C’est facile de dire que ce sont des gars qui sortent de la prison. Alors que malgré tout, il y en a beaucoup là-dedans qui ne sortent pas de prison. – Et, ce n’est pas toujours pour un petit délit qu’on est condamné. Hein ? – Parce qu’il y en a beaucoup ici, même dans la campagne, que pour des mêmes délits, si ils étaient livrés à eux-mêmes, ils se retrouveraient peut-être dans ces maisons-là, aussi, hein ! – Parce que les gars ne sont pas méchants. – Pas du tout. – Moi, je m’entends très bien, avec eux. – C’est simplement parce que s’ils sont livrés à eux-mêmes. – Ce sont des PetitsEnfants, Quoi !
-
Je suis ici, surtout pour, pour me stabiliser, pour me retrouver avec moimême et, et avoir une base de départ pour partir dans la vie et. - Prendre un autre chemin, Vivre autre chose. – Déjà quand tu es avec eux, tu te sens rassuré. – Tu vois : Parce que celui qui n’a jamais personne derrière lui pour l’encourager à partir, il ne partira jamais, il va tomber toujours profondément plus bas, tu vois ! – Ici, il essaye de te réadapter au travail afin que tu puisses à la fin, trouver, trouver une place. –Que tu puisses travailler couramment manuellement couramment.
132
-
Mais le fait d’avoir trouvé du travail, ça m’a complètement changé, je revis. – Je suis de nouveau bien dans ma peau.
-
D’un autre côté, c’est une chance que Bernard soit venu à Houmont. – Parce que sinon on aurait que des ruines au milieu du village. – Alors, aussi bon, il faut aussi admettre qu’avec tout ce qu’ils ont créé : la boulangerie et toutes ces histoires-là, ça fait du bien pour le patelin-ici. – C’est dommage que les gens du village ne comprennent pas un petit peu mieux. Quoi !
133
2015 | Plan situation de la Prison de Tournai et la couronne d’équipements
134
UNE MAISON A TOURNAI
Suite au démantèlement de la seconde enceinte de la ville de Tournai débuté en 1863, les terrains dégagés sont investis par le développement d’un nouveau quartier au Sud-Est de la ville, celui du Palais de Justice (1879), et par des boulevards bordés d’une série d’équipements, espaces publics d’importance plus ou moins grande : Gare (1879), prison, caserne d’infanterie, asile psychiatrique Saint-Bernard (1881) qui évoluera en CHR Les Marronniers, hôpital civil (1889), écoles, etc. C’est dans ce contexte de grandes transformations du paysage urbain que la prison de Tournai s’élève en remplacement de la prison des Carmes (ancien couvent à la rue des Carmes) sur l’emplacement des fortifications de ceinture érigées par Vauban43. Mise en service en 1868, elle est construite, comme la majorité des prisons du Royaume, suivant le modèle Ducpétiaux. Bien que connectée au cœur historique, la prison n’a jamais été rattrapée par l’étalement urbain.
Elle demeure isolée, hors du grain de la ville dense
contrairement à la prison de Saint-Gilles totalement intégrée à un quartier. Ses principaux voisins sont l’hôpital de la Dorcas, l’école de puériculture, la caserne Ruquoy et le CHR Les Marronniers. Les gabarits sont à l’échelle du piéton, s’intègrent au contexte, mais l’interface avec la société n’est autre que le mur, imperméable aux échanges avec cette dernière.
43
Fondation pour l’Assistance Morale aux Détenus (FAMD), Prison de Tournai,
http://www.smbg-famd.be/fr/prison-tournai.html, consulté juillet 2015
135
20150802 | Faรงades rue Saint-Piat | Photo : Adam Astrid
L’interface, base de la question de la Maison. Là où l’échange se crée. L’interface, lieu de rencontre entre le détenu et la société, pourrait se matérialiser par un programme d’utilité publique géré par les détenus et s’inscrire dans une dynamique de quartier. Le choix du quartier susceptible d’implanter une telle Maison n’est pas anodin. La ville
a
une
structure
socioéconomique.
44
morphologique
L’existence
de
mais
cette
également
structure
une
structure
socioéconomique est
corroborée par le morcellement en quartiers de la ville. Chacun de ceux-ci est donc caractérisé par une typologie et une fonction propre. Pour ce projet, un lieu me semble particulièrement approprié à recevoir un tel programme, il s’agit du quartier Saint-Piat. Il se situe sur la rive gauche de l’Escaut. Un historien local, Etienne Boussemart45 décrit ce quartier comme populaire où les gens vivent parfois dans la précarité mais se connaissent, se parlent, échangent et sont très solidaires. Autrefois, de nombreux commerces animaient la rue Saint-Piat. Ensuite, victime du développement de la mobilité et de facto de la création des zonings et centres commerciaux, cette rue, nerf du quartier, s’est peu à peu vidée de ses commerces. A ce jour, de nombreuses surfaces commerciales résolument vides affichent « à louer », « à vendre » ou encore demeurent abandonnées. Seules une boulangerie,
44
Agence Wallonne des Télécommunications (AWT), Démographie et structure socio-
économique, 2007, consulté en juillet 2015 http://www.awt.be/web/dem/index.aspx?page=dem,fr,cit,010,020 45
BOUSSEMART Etienne et les habitants du quartier Saint-Piat, Mémoires du quartier Saint-
Piat: un état d'esprit, une âme, Bruxelles, Présence et action culturelles, 2009
137
2015 | Plan situation du quartier Saint-Piat et de l’îlot dit Cherequefosse
une solderie et une vieille mercerie subsistent. Depuis 2008, le quartier renaît de ses cendres, notamment grâce à la mise en place d’un comité dynamique et très actif dans le domaine social qui en organise la vie46 : par l’organisation d’une soupe « solidaire », d’une distribution gratuite de vêtements pour les personnes et familles en difficulté, et désireux de créer du lien entre les riverains, par un goûter de Noël, la ducasse annuelle, … Quatre années plus tard, une maison de quartier, pied à terre du comité, voit le jour facilitant l’exercice de son action sociale et permettant l’organisation de réunions, d’expositions et d’ateliers d’animation. Saint-Piat fait aujourd’hui l’objet d’une vaste opération de revitalisation urbaine initiée conjointement par des architectes habitant sur place et l’association D.A.L (Droit au Logement). L’opération sera menée par la ville et IDETA en partenariat avec un promoteur privé qui doit encore être désigné. Pour concrétiser le projet, 14 millions émanant de la région wallonne, de l’Europe et de la ville ont été débloqués. Ce projet concerne essentiellement l’îlot Cherequefosse, un espace de 80ares au cœur du quartier Saint-Piat. L’ancienne piscine Madame et les anciens bâtiments de la TEI, qui, après démolition en octobre prochain, vont faire place à la création d’ici 2017, de logements mixtes (moyens et sociaux), de petits commerces de proximité, de services et de nouvelles activités économiques, mais également à l’aménagement d’espaces publics au cœur de l’îlot. De quoi donner un souffle nouveau au quartier.47
46
TOURNAI INFO (Bulletin communal), Saint-Piat solidaire, Ville de Tournai, n°1, juillet 2013,
p. 6 47
NOTELE, Revitalisation de l’îlot Cherequefosse dans le quartier Saint-Piat, JT 29 mai 2015
139
20150802 | Intérieur de l’îlot Cherequefosse | Photo : Adam Astrid
Les habitants sont très investis dans ce projet attendu depuis quelques années. Ils prennent part aux réunions citoyennes et sont invités à faire des propositions notamment en ce qui concerne l’espace public qui leur est destiné. Leur avis est pris en compte. Malgré cette dynamique citoyenne, le quartier pâtit encore à tort d’une mauvaise réputation liée à la précarité d’une partie de sa population. Ce projet devrait sans doute rafraichir son image et générer un peu plus de mixité au sein du quartier, objectif principal du comité avancé par sa présidente, Martine Maenhout48. On commence déjà à observer un phénomène urbain attaché au processus de revitalisation du quartier, la gentrification49. Ce processus, qui commence à toucher Saint-Piat, est déjà bien entamé dans le reste du centre-ville. Il est caractérisé par une forte proximité entre les populations précarisées et plus aisées. Ce processus devrait rester, à mon avis, modéré à Saint-Piat par la mixité typologique des logements présents et à venir dans le quartier ainsi que par la mixité fonctionnelle composée des bains publics, de la maison médicale, des logements (sociaux, moyens, étudiants), de la micro zone économique, des commerces,.. Il ne s’agit pas d’évincer les classes populaires de la ville, la revitalisation du quartier ne doit pas se
48
LEBAILLI Hélène, Retour des festivités à Saint-Piat ! , L’Avenir, Tournai, 31 août 2011
http://www.lavenir.net/cnt/DMF20110902_00039540 49
CLERVAL Anne, Gentrification, HyperGeo
Concept développé à l’origine par Ruth Glass, sociologue marxiste, forme particulière d’embourgeoisement qui concerne les quartiers populaires et passe par la transformation de l’habitat, voire de l’espace public et des commerces. La connotation de ce concept a beaucoup évolué depuis sa création en 1964 d’un sens critique à un sens plus nuancé.
141
2012 | Projet de revitalisation des îlots dits « Chèrequefosse » et « Union Ferrnnière » | CREAT (Coralie Meuris)
faire à leurs dépens, mais pour et avec elles en leur offrant des possibilités de développement. Il me semble pertinent de profiter de ce climat et de la belle énergie citoyenne déployée autour de ce projet, pour y intégrer une structure pénitentiaire telle qu’une Maison de détention. Cette maison dans son principe fonctionnerait comme une maison d’accueil, à la différence que la surveillance ainsi que l’encadrement du personnel psychosocial seraient accrus. Cette Maison pourrait, en fonction des détenus et de leur peine, fonctionner en régime fermé ou ouvert. Elle permettrait aussi d’accueillir la famille du détenu dans un environnement moins traumatisant pour les enfants. Pourquoi ne pas aménager un appartement pour que la famille puisse passer un week-end en compagnie de la personne incarcérée ? La famille n’est pas privée de liberté, et n’a pas à subir les conséquences de la peine prononcée à l’égard du proche. L’attention portée à l’interface a un rôle prépondérant à jouer pour rendre acceptable la Maison de détention aux yeux des riverains. Il est important qu’elle apporte quelque chose en plus à la vie du quartier. Être utile à la vie de celui-ci, s’inscrire réellement dans sa dynamique. Plusieurs programmes me viennent à l’esprit. L’interface pourrait être un restaurant social, un Repair Café50, un FabLab51,ou encore un potager collectif, un atelier de couture, repassage, … géré par les détenus.
50
Atelier destiné à réparer gratuitement des objets ou l’électroménager défectueux pour
réduire nos déchets, sensibiliser à un mode de vie durable, renforcer la cohésion sociale. 51
Fabrication Laboratory, atelier mettant à disposition des outils / machines pilotés par
ordinateur dans le cadre de la conception et réalisation d’objets (machines laser, machines 3D
143
2015 | Hypothèse d’implantation d’une Maison de détention
L’implantation de la faculté d’architecture LOCI en centre-ville, plus précisément au sein de Saint-Jean, pourrait avoir un impact positif sur Saint-Piat et devenir par sa future population étudiante, génératrice de flux entre les quartiers. Saint-Jean, rive droite, est directement connecté à Saint-Piat (rue Cherequefosse), rive gauche, par une passerelle piétonne. Les étudiants pourraient dès lors, aisément loger dans les nombreux kots de Saint-Piat. Dans l’optique toujours de favoriser les échanges entre les quartiers, nous pouvons comme suggéré précédemment, imaginer un FabLab où des détenus pourraient effectuer les découpes laser des étudiants dans le cadre de la réalisation de maquettes ou se charger de l’impression de planches, ou 3D,… La situation du FabLab serait dans ce cas également stratégique pour les étudiants des Beaux-Arts. Le but n’est donc pas de rassembler toute la misère sociale au sein d’un même lieu, mais bien de favoriser les échanges à l’échelle du quartier et de la ville en profitant d’une opération de revitalisation et de revalorisation urbaine. La Maison de détention par son programme d’utilité publique participerait elle aussi à la vie du quartier. Aujourd’hui je suis convaincue que la mixité peut être bénéfique à chacune des couches sociales de notre société et être stimulante pour tous. L’hypothèse développée ici concerne donc l’intégration d’une Maison de détention dans le quartier Saint-Piat, mais d’autres sites faisant objet d’une revitalisation urbaine auraient pu être investigués, par exemple : le quartier De Bongnie, anciennement l’hôpital militaire un peu plus excentré mais toujours connecté à la ville, ou le quartier de la Madeleine (enclos du béguinage, anciennes manufactures transformées en logements sociaux, maisons de maître,..), où une belle mixité règne également. 145
CONCLUSION Cent cinquante ans plus tard, force est de constater que la situation s’est enlisée, se complaisant dans ce système depuis toujours caduque et défaillant. Le même constat s’impose. La prison reste ce miroir d’une société malade incapable d’accorder à chacun une place juste. La prison ne soigne pas, ne guérit pas, pas plus qu’elle ne libère. Dans l’état actuel des choses, elle n’a selon moi plus de sens. Les nouvelles prisons, sans cesse plus grandes et plus nombreuses sont certes équipées avec le confort et la technologie de notre époque, mais la politique carcérale reste globalement inchangée. On change l’emballage, mais le problème qu’il recouvre demeure intact sinon amplifié. Sous prétexte de résoudre l’insalubrité et la surpopulation carcérale, le pouvoir relègue à la campagne la problématique carcérale, en se donnant ainsi de facto la bonne conscience du « pour vivre heureux, vivons cachés ». Il y a bien évidemment des problématiques liées aux décisions judiciaires et au placement dans les établissements pénitentiaires qui devront être résolues, mais le gros point noir reste la politique de réinsertion –ou devrais-je dire l’absence de celleci. Il est tout à fait illusoire de penser que la création d’établissements pénitentiaires d’une telle échelle et totalement déconnectés puissent permettre au détenu de se réinsérer. Les détenus sortent des établissements pénitentiaires désocialisés, déshumanisés. Ces conséquences sont notamment liées à l’espace hors norme – à la fois trop grand (au niveau de l’établissement pénitentiaire), trop petit (au niveau de la cellule), trop isolé – et à la gestion de celui-ci. Il est donc essentiel d’intervenir sur l’espace, son échelle et son rapport au monde. 147
Les architectes chargés de « concevoir » les prisons essaient tant bien que mal, au sein du cadre ultra restrictif dicté par le cahier des charges, d’humaniser les lieux, mais leurs interventions ne portent que sur des détails. Ceux-ci rendent le quotidien des détenus plus supportable, ce qui est déjà appréciable, mais aucune de leurs interventions ne favorise la réinsertion. Nous pouvons faire mieux. La balle est dans le camp de l’Etat, soumis à la volonté politique. Le temps est venu de remettre l’humain au centre de la réflexion. Mettre fin aux dictats sécuritaires et économiques, gelant toute tentative d’innovation est impératif. Penser l’espace de détention est un concept qui devrait relever de la collaboration de l’architecte et de professionnels du secteur psychosocial. L’influence que peut avoir l’espace sur nos pensées, nos sentiments et comportements n’est pas à sousestimer. L’architecture est donc un des paramètres à réviser fondamentalement en vue de favoriser la réinsertion. Elle est à concevoir à l’échelle de l’homme, à l’échelle de la Maison. Des Maisons de détention, petites unités différenciées au régime variable (fermé-ouvert) d’une capacité d’une dizaine de détenus seraient réparties sur le territoire belge, intégrées à un tissu social connecté à la ville (comme je l’ai abordé dans mon approche concernant le quartier Saint Piat). Ces petites unités permettraient aux détenus d’apprendre ou de réapprendre à vivre ensemble, à la fois en communauté et en lien avec la vie sociale externe. Ce lien pourrait être matérialisé par le traitement de l’interface de la Maison avec la société en y intégrant un programme d’utilité publique en harmonie avec ce qui existe au niveau local. Ces Maisons pourraient également offrir aux détenus la possibilité de se projeter dans la société suivant différents axes socio-professionnels en vue de leur offrir des perspectives d’intégration futures. Ces Maisons permettraient de sortir du système 148
paternaliste de la détention actuelle en valorisant l’effort individuel et l’autonomie de chacun. L’aspect répressif est certes important, mais il ne doit pas être l’unique facette d’une détention. Il est plus essentiel encore de rendre l’ incarcération utile en offrant au condamné un environnement où il puisse d’une part prendre conscience du délit commis et des dommages perpétrés aux victimes et d’autre part où on lui donne l’occasion de se reprendre en main, de trouver un sens à donner à sa vie sans retomber dans la délinquance. Emprunter le chemin de la résilience. Les obstacles sont nombreux. La pression de l’opinion publique en est un. (Tout le monde ou presque à un avis sur la question sans en connaître les réels tenants et aboutissements) Elle est de plus souvent manipulée par des courants populistes et une presse plus soucieuse de sensation que d’information. L’aspect économique en est un autre. Le choix d’investir dans la réinsertion plutôt que dans la répression nécessite certes un encadrement spécialisé ainsi que des infrastructures qui ont un coût non négligeable à première vue. On doit cependant relativiser fortement cet état de choses car un ex-détenu réinséré n’est plus une charge mais une contribution à la société, au contraire d’un récidiviste.
Désormais, le béton pourrait être remplacé par la brique. Nos voisins, les détenus… Aujourd’hui, ce mémoire est entre vos mains, demain peut-être entre d’autres. 149
Mon vœu est d’avoir apporté ma pierre à l’édifice.
150
REMERCIEMENTS A ma promotrice, Chloé Salembier, et à ma lectrice, Dominique Anne Falys, pour leurs conseils, leur temps consacré et leur accompagnement, A mon père, pour sa poésie, son regard, son crayon, A ma mère, Anne et son compagnon, Guy, pour leur relecture attentive, A Serge Thiry, pour m’avoir accordé du temps, pour son témoignage précieux, A Marc Dufrane, directeur retraité de prison, pour ses précieux documents et sa confiance, Aux associations « Art et Prison » et « Huizen », pour leur ouverture, leur foi en l’humanité.
A toutes les personnes ayant, de près ou de loin, contribué à ce projet, en partageant leur expérience avec le milieu carcéral, ou par leurs dessins, leur réflexion, leur écoute, leur dialogue, A mes amis,
Merci.
151
SOURCES
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BIBLIOGRAPHIQUES
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FILMOGRAPHIQUES
D’AGOSTINO Eric & LEMY Patrick, La nef des fous / Long métrage documentaire belge (85’), Néon Rouge Production, 2015 GOMEZ GARCIA Antonio & CARON Charline, Ombre & Lumières, Long métrage documentaire belge, Leïla Films, 2012 JEAN Patric, La Raison du plus fort, Long métrage documentaire belge (85’), CVB, 2003 156
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ICONOGRAPHIQUES
pp. 21 à 55 Dessins réalisés par : Louise, Andreas, Pauline, Joséphine, Eve, Lylian, Roman-César, Valentina, Louise, Julia, Anonyme, Anne, Célia, Marc, Michel | 2014-2015 p. 65 BENTHAM Jeremy, Plan du Panopticon, in The Works of Jeremy Bentham, éd. Bowring, t. IV, pp. 172-173, 1791 Source: Michel FOUCAULT. Surveiller et punir. Naissance de la prison. Paris, Editions Gallimard, 1975 p. 67 Plan de la prison de Saint-Gilles Source : Les civils du Valenciennois dans la Grande Guerre 1914-1918, Civils fusillés ou morts captifs, 7 mai 2011, consulté en juillet 2015 http://civils19141918.canalblog.com/archives/2011/05/07/21077870.html p. 70 CLARKE W.B. (Archt.), Plan de Bruxelles, London: Chapman & Hall, 1844, Plan modifié par l’auteure.
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Source
:
David
Rumsey
Map
Collection
(Cartography
Associates),
http://www.davidrumsey.com/ , consulté en juillet 2015 p. 72 CHDStG, Belfotop, Vue aérienne de la Prison de Saint-Gilles, Bruxelles, 1973 Source : Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale, Direction des Monuments et des Sites, Histoire du développement urbanistique de Saint-Gilles, de 1840 à nos
jours - inventaire du patrimoine architectural de la région Bruxelles-Capitale, 2004 p. 80 DDS&Partner Architects, Plan masse prison de Leuze-en-Hainaut, 2014 Source : p. 84 OXFAM, Lutte paysanne – les patatistes de Haren, 2014 Source : FIAN p. 88 CAFASSO, image de synthèse du projet de Mega-Prison à Haren Source : CAFASSO Consortium, Demande de permis de bâtir pour la construction
d’un nouveau complexe pénitentiaire à Haren , 29 novembre 2013
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p. 96 Jean-Marc Mahy, ancien détenu sur scène, « Un homme debout » dans l’espace de sa cellule (mise en scène de Jean Michel Van Den Eeyden), Le Bruit du Off, 2014 Source : Le Bruit off, http://lebruitduoff.com/ , consulté 2014 p. 138 MEURIS Coralie (CREAT), Périmètre de remembrement urbain des îlots dits « Chèrequefosse » et « Union Ferrnnière » dans le quartier Saint Piat à Tournai, Rapport, Ville de Tournai, 2012
Autres photographies et documents graphiques ont été produits par l’auteure.
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ENTRETIENS
HARFORD Alain, Art & Prison, Bruxelles, mai 2014 CLAUS Hans, coordinateur De Huizen, Maline, novembre 2014 THIRY Serge, ancien détenu, Bruxelles, mai 2014 DUFRASNES Marc, directeur de prison retraité de Tournai/Mons, Tournai, juillet 2015 Architecte de la Régie des bâtiments ayant collaboré au projet de la prison d’Ittre, Anonyme, Bruxelles, juillet 2015 Commerçante de la rue Saint-Piat, Anonyme, Tournai, juillet 2015 Directeur d’établissement pénitentiaire, Anonyme, mai 2015 Epouse de prévenu à la prison de Saint-Gilles, Anonyme, Bruxelles, juillet 2015
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