Au ciel de Verdun - 1918

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^^

AU

CIEL

DE VERDUN


Tous

droits de reproduction, de traduction et d'adaptation

réservés pour tous pays.

Copyright by Bei-ger-Leoruult iQiS.


LA GUERRE

LES RÉCITS DES TÉMOINS

BERNARD LAFONT

AU

CIEL DE

VERDUN

NOTES D'UN AVIATEUR

^W^ ^^. i^i BERGER- LEVRAULT, EDITEURS, PARIS 1918



Le risque

une profondeur sans

:

fin,

lourde et sombre... Et là-bas, tout là-bas,

une énergie qui se débat, un lutte

contre

le

quel

combat d'horreur? Et qui

Ma

monde,

ce

le livre...

pensée soudain plonge droit, épou-

vantablement

Ah! baltre...

vite,

dans du

Oh ma !

vers ces fonds

moi qui

c'est

Pourquoi? contre

la

Dans

néant menaçant...

dans

abîmes,

quels

instinct qui

tête

masse qui

!

vous tardez,

noir,

là,

me

à

dans du

dé-

vide...

quoi?...

ma

tête

l'écrase

plie, faites vite.

suis

d'effroi...

!...

!...

Mais ôtez donc

Je vous en sup-

Vous voyez bien que

je vais

mourir sous

secours!... Délivrez-moi!

Ayez

elle

pitié!

!

si

Au


AU CIEL DE VERDUN

VI

Une masse !... Un

mon

cerveau.

Mais

soyez

Je

fer

aussi qui vrille

souffre,

donc

je

soufPre!...

pitoyable,

détournez

par

cette pointe qui entre petit à petit, là, la

joue

diction

droite... !

vous ne bougez pas, vous ne

voulez pas

Et

ma

Qu'attendez-vous? Malé-

!

douleur

pénètre jus-

s'intensifie,

qu'au plus intime de

mon

n'en

être. Je

puis plus...

Mes muscles

raidissent

se

spasme désespéré... Je

Non! Gomment

Gomment ma

un

dans

vais mourir.

cela

est-il

possible?

tête est-elle assez vaste

pour

contenir une pareille douleur?

Je ne

meurs

pas. Mais la

masse

pointe sont toujours là qui pénètrent...

rien tenter

me

Et vous

pour

me

pas cru possible une

Mais pourquoi

qui

pèsent,

regardez

soulager

et la

!

sans

Je n'aurais

telle dureté...

suis-je impuissant à

délivrer moi-même?...

Mon

corps est

me

lié

à


AU CIEL DE VERDUN je

VII

ne sais quoi par de multiples

Chacun de mes membres deur

infinie...

Hélas! tout à

Je fait

liens.

est

d'une lour-

m'évertue

pourtant...

en vain. Mais je sue

abondamment et des gouttes glacées roulent sur mes chairs moites... Une force immense est là qui m'étreint puissamment, qui m'immobilise...

Je ne puis

de moi.

rien...

A mon

Une

côté,

angoisse s'empare il

y a une forme

imprécise, mais effrayante... la! chassez-la!... j'ai

peur.

Elle

affreuse.

!

chassez-

peur, Dieu! que

m'entraîne.

Oh

vais-je?...

C'est je

j'ai

une chute tombe...

je

tombe...

Des

voix, j'entends d'étranges voix, des

sonneries éclatantes, indéfiniment répercutées, des tintements de cloche...

Je ne « la » vois pas, mais je suis bien

sûr qu'elle est toujours auprès de moi.

Sentez-vous sa présence? Eloignez-la,

vous avez un cœur...

si


AU CIEL DE VERDUN

VIII

Des lueurs vastes

Je tombe...

et

bla-

fardes, des sons lointains... Je m'enfonce en

Ma

des régions toujours plus sombres. chute s'accélère... ...

Mon

corps? où

paru, je n'en

un

est

mon corps?

Dis-

plus conscience. Je suis

ai

esprit qui descend. Je ne souffre plus.

Mais

«

moi...

mourir

elle

»

encore plus près

est

Ah! sauvez-moi,

ne

je

de

veux pas

!

La chute s'accélère encore. Mais qui est-ce qui tombe ainsi? Pas moi, n'est-ce pas? ce

serait trop affreux...

Horreur

!

c'est

moi

!

Oh

!

l'effroyable

vérité...

Encore plus plus. Je

vite

!

Encore... je n'en puis

m'abandonne, tout

disparaît.

Je le sais. Inutile d'expliquer. Je suis à l'hôpital et j'ai

manqué mourir

cette nuit...


AU CIKL DE VERDUN Je

me

souviens.

IX

Ne vous donnez pas

Un moteur

peine de raconter... Oui...

la

qui

plaque à l'envol, une glissade sur Paile,

un écrasement...

Ah! Tant

j'ai

une fracture des maxillaires.

pis...

Je souffre, mais cela est très supportable.

L'horrible, voyez-vous, c'est d'as-

sister,

à demi conscient, à la lutte terrible

de

de

l'instinct vital et

la

Je souffre, mais je C'est

bon

mort qui

vient...

suis bien en vie.

d'être ainsi.

Infirmier, priez

gauche de se

taire

donc

un

mon

instant.

voisin de Il

m'est

impossible de reposer.

— On ne demande pas

aux gens

d'in-

mon

terrompre leur

râle.

heutenant, a

crâne fracturé à la base.

le

Soyez assuré que,

vous gênera

plus...

Votre

d'ici

voisin,

une heure,

il

ne


X

AU CIEL DE VERDU^' L'infirmier s'éloigne.

suit

sa lamentable plainte. Soudain, son

corps bouge

et sursaute.

s'élèvent... Puis, rien...,

mobilité.

Il

Il

Des sons rauques

du

silence,

est mort, seul,

est mort.

bien

un

Le moribond pour-

dans

la nuit...

Mais cet autre, non. Et

Gomment! Un

le pis.

de l'im-

seul, a pxi faire

une

c'est

éclat d'obus,

blessure

telle

!

Oh

!

cachez cette face hideuse, cachez-la. Je

détourne

yeux,

les

mais

j'ai

vu

et

je

n'oublierai pas, dussé-je vivre cent ans... J'ai

vu un

visage, avait

homme

qui, à

la place

un trou sanglant. Plus de

du nez,

plus de joue; tout cela disparu, mais une large cavité, au fond de laquelle bougent les

organes de l'arrière-gorge. Plus d'yeux,

mais des lambeaux de paupières, qui pendent sur du

Un

trou

masque

vide...

sanglant...

d'horreur.

Oh

!

cachez

ce


AU CIEL DE VKllDUM

XI

Je VOUS en prie, ne m'interrogez plus

sur

mes pauvres compagnons de

souf-

france...

Que

pas à vous parler de celui

je n'aie

qu'on pro-

qu'une blessure a paralysé

et

mène dans une

de cet autre,

voiture

ni

;

l'amputé des deux jambes, qui marche sur les

genoux;

ni

de cet autre encore, à profil

de fouine, dont

le

maxillaire inférieur fut

emporté...

Permettez que je taise amoindri,

loureux,

des

le

peuple dou-

victimes

de

la

grande guerre... Gela

maintenant affres

d'ailleurs.

suffît

de

risque du jeu terrible...

mort ou

la

L'enjeu

soi-même

le

:

Vous connaissez les

les mutilations.

une plus grande estime de

et la libre

France, n'est-ce pas ?

Et cela vaut bien des peines frances.

:

et

des souf-


XU

AU CIEL DE VERDUN

Le jeu

:

son

terrain, c'est l'immensité

transparente où se règle,

perd

le

regard; sa

de placer halDilement des projectiles

en des zones déterminées

et d'abattre,

de

|

\

''.

i

temps en temps, quelque adversaire. de

la

des

journée et

loisirs.

mènent

Ils

heures seulement

se joue quelques

Il

il

aux joueurs bien

laisse

Aussi leur vie l'une

sur

le

est-elle

double.

vieux plancher,

assez semblable à celle des temps de paix. L'autre,

vent et

le

intense,

danger,

Si toutes les

mouvementée, dans ils

la

deux vous

passent à

le

servir...

intéressent, voici

quelques souvenirs que

j'ai réunis.


C'est un bois de sapins, au flanc d'une

un pauvre bois de pauvres arbres. La nature, qui fil à Verdun tout chichecolline,

ment,

placé

l'a

rabougri,

là,

misérable.

Nulle teinte, nulle valeur décorative.

dans

campagne un

la

est

Il

sombre,

carré

et

voilà tout. Parfois, cependant,

approches du

soir,

il

intéresse.

les

Quand, aux

brumes bleues

se

lèvent et se coulent aux creux des vallées, il

est

de leurs pans errants qui s'en vont

caresser et

le

le

petit

noient

de

bois,

leurs

puis,

ils

flots

l'enserrent

légers.

Son

agonie, jeu délicat de teintes fondues, pastel

doux, est émouvante à voir.

Mais ce n'est l'espace que d'un et le plaisir

instant,

goûté laisse à l'âme une tristesse

infinie.

Aussi, AU

CIEI.

n'est-ce DE VERDUN

pas

pour

chanter

sa


AU CIEL DE VERDUN beauté que j'évoque

ce petit bois, mais

ici

parce qu'il est en bordure d'un des plus

importants

que

et

auquel durant

terrains

j'ai

les

d'aviation

personnel

le

de

longs mois d'une longue

beau jour roulant,

train

et

du

bois,

notre

lourds tracteurs,

du bois.

était 2

heures

travail...

Quand

Il

après midi. L'on se mit au vint le soir,

bataille...

que peu de temps.

en mai 1916

camions

se rangea en lisière

seuls

G...,

l'honneur d'appartenir, l'habita

L'installation ne prit

Un

Verdun

de

l'escadrille

sous deux grands arbres, les

nos deux tentes développaient

leurs toiles kaki.

La vue de

mon

ces monstres

cœur. C'est

qu'à

paisibles

considérer

ravit

sol

le

entièrement vierge du bois, j'avais conçu de l'inquiétude... Allais-je avoir

nuit? Certes, durant

ma

vie

un

toit

pour

de soldat,

la belle

m'a toujours été

très pénible, alors

que

les nuits étaient douces...

j'ai

mais cela

souvent dormi à

étoile;

la.

même

Emprise de

l'habitude, sans doute.

Or

j'avais

un

toit, et

même un

lit,

com-


AU CIEL DE VERDUN

ment

n'être pas

heureux? Depuis,

tion s'est améliorée.

mon ordonnance rustiques; je

escabeau

et

Avec de

j'ai

un

une table, bref

L'aviation est une

toile hospitalière,

meubles

meubles lit,

un

l'essentiel

de

même

portemanteau,

confort. Et dans

des

en plus du

possède,

ébranché, une table de

l'installa-

vieilles caisses,

a fabriqué

l'ameublement. Je jouis car

6

de superflu, jeune

toilette,

arbre

une étagère.

arme qui permet tout

mon

coin de tente, sous

le la

au milieu de ces quelques

familiers, j'ai

vécu huit mois.


Je suis mollement étendu à l'ombre des

grands arbres, auprès des tentes; je regarde...

Devant moi, vions.

inculte

Il

le

terrain,

bien terne,

est

où ne

poussent

hangars d'a-

les le

terrain,

que

herbes, sans couleur ni variété.

plage

de

maigres

Ils

sont bien

stupides, les hangars, gros ballons de toile

jaunâtre,

avec

des

ouvertures

énormes;

sortes de crapauds monstrueux, méditant, la

gueule ouverte. Mais cet ensemble fade se limite au trait ferme de la crête et

de derrière

comme un Je laisse

elle

un

ciel

il

surgit

profond et limpide

inOni de cristal.

mon

beauté immense

regard se perdre dans cette et légère.

Mon âme

en est

toute rafraîchie.

Mais voici

la nuit

qui vient. J'ai plaisir à


AU CIEL DE VERDUN voir les grands oiseaux regagner le nid.

Ils

descendent, les ailes immobiles; en une ma-

nœuvre rapide,

ils

piquent vers

le sol,

redressent, légers, et se posent.

Ils

puis se

roulent

avec un bruit de tambour gratté, se dépêchant, patauds et lourds, vers les hangars

qui les avalent. Les uns viennent droit des lignes, points noirs qui grossissent

donnant. Les autres virent

La

nuit

en bour-

et virent encore.

des

grands

d'un

dernier

approche, l'ombre

arbres à côté de moi s'allonge.

Un

avion

rayon de

tait.

rante.

profile

soleil et brille

étoile... Il

se

attardé

Le

au

loin,

comme une

se pose. Tout s'immobilise, tout

terrain s'endort à la clarté

mou-


J'achève d'assujettir

un coup d'œil sur mes Tout

est

mon

casque. Je jette

cartes,

mes

en place. La ceinture

jumelles.

est bouclée,

je suis prêt...

Je

me

fourrure

retourne, et au personnage, gros de

comme un

cocher russe, qui

fixe

c'est

sur moi des yeux exorbités d'insecte

mon

pilote, lunettes

En

route!

Je

me

carre dans

comprises

mon

je hurle

:

siège et j'attends.

Les moteurs tournent. L'appareil s'ébranle.

Quelques secondes de cahotement, terre, frir

hargneuse, qui s'efforce de

c'est

la

faire souf-

jusqu'au dernier moment. Et puis, d'un

mouvement souple Nous montons...

Gomme

puissant,

l'envol...

c'est loin, la terre! J'en aperçois

un morceau rond galette.

et

et

plat,

ainsi

qu'une

Les bords s'estompent de brume


AU CIEL DE VERDUN

Hommes

bleue! noirs

bêtes

et

7

sont des

ou blancs; les maisons,

rouges

dans

champs;

les routes,

Et tout

en

songe que

ment que

le

damier de Gns

le

cadre de terne

et

agitations humaines,

minuscule

des

traits blancs...

antenne, je

peu de chose décidé-

c'est bien

minuscule

des carrés

mon

déroulant

points

la vie.

Quoi!

c'est ce

cercle

des

où tourbillonnent,

s'af-

disque,

le

frontent, s'exaspèrent les désirs, les intérêts,

comme

les passions,

les

vagues d'une mer

en furie! Quelle petitesse! Quelle vanité!

Ah! que ne

puis-je

pour toujours

devant Fimmen-

infinis,

m'afFranchir

des mille liens

qui doulou-

d'espaces

sité, la clarté

ici,

reusement attachent

mon âme

à

nité de conventions,

de sottise

et d'orgueil

Gomme

les

régions que

j'ai

une huma!

gravies sont

simples et paisibles!

Nous approchons des lignes. les champs retournés,

au loin labours

de

la

souffrance

tache brune dans

la

et

de

J'aperçois

durs

les la

mort

campagne. Voici

:

Sol\,


AU CIEL DE VERDUN

8 plus

Morl- Homme, côte

loin

Douaumont,

et

et

Vaux.

du Poivre,

Et, sur ces crêtes

pelées, la longue théorie des

fumées d'obus

colonnes ocres ou blanches, qui

du

sol et s'en

vont avec

le

:

jaillissent

vent; fantômes

aux longues robes traînantes, à

marche

la

paresseuse; lavandières, sans doute, qu'on

ne rencontre qu'en signe de mort lente procession n'a pas de fin

dans

les lointains

Et de tous

les

;

:

elle se

brumeux. côtés dans la campagne,

au long des haies, au coin des bois,

ment

les

leur

perd

s'allu-

brèves lueurs dés coups de canon

:

vraie danse de feux follets. C'est, à n'en pas douter,

d'attaque

allemande.

Je

une préparation

regarde

de

tous

mes yeux. Nul bruit ments

des

terrestre,

moteurs,

au travers des ronflene

parvient

à

oreilles.

Comme

bataille!

Les éclatements..., vapeurs du

je

suis

loin de la

mes

grande sol,

peut-être? Les lueurs des départs.,., scintil-

lements d'insectes. Je doute de la bataille...

la réalité

de


AU CIEL DE VERDUN Et pourtant, je paresseuses,

il

le

9

sous ces fumées

sais,

y a de pauvres corps que

crispe l'angoisse de la mort. Ils sont fantassins, tassés

là, les

dans des vestiges de tran-

chée, attendant l'assaut. Et sur cette chair

sans défense, les obus tombent et tombent encore, implacables. Parfois, hachés, rompus, disloqués,

des corps sont projetés.

Il

pleut aux alentours des

lambeaux sanglants.

Des gémissements, des

râles montent, voix

faibles et plaintives,

Les yeux

sions.

dans

brillent

le

fracas des explo-

étrangement dans

les orbites creuses.

Pas un ne recule! Oui dira

la

grandeur

de ces hommes, à l'âme ferme, devant l'horreur d'une effroyable mort? Et leur souffrance

!

Je

suis

bien

loin

de

la

grande

bataille.

Je croise au-dessus des lignes

minuscules

boules

!

Parfois, de

nuageuses naissent au

voisinage de l'appareil. Tirs quelconques de batteries antiaériennes. Parfois aussi, dans

une

volte

rapide,

un avion ennemi me


AU CIEL DE VERDUN

10

montre ses croix noires rappelle

se

aussi

à

à

mon

dure Mais, l'on

de

loi

souvenir.

bataille,

la

moins que d'autres, la

mort qui

c'est la

:

de

celle

Car

je

suis

l'air,

et

non

La

meurtrière.

elle est

guerre n'a pas d'exception.

honte, parce qu'ici, en haut,

j'ai

si

meurt, l'on souffre peu.

Nous descendons. Au passage, Verdun, toile

d'araignée

trame

;

dont

rues forment

les

cathédrale, la citadelle

la

figures géométriques, rectangle

Verdun

et

son

collier

:

la

simples

ou polygone.

sombre de grands

arbres.

Et voilà

le terrain, si petit, si petit,

l'immensité des campagnes.

Gomment

rons-nous jamais poser notre avion,

machine

si

grosse,

sur

un

si

dans pour-

une

minuscule

carré ?

Nous descendons. Les Une heureuse manœuvre terre. Nous roulons.

cordes et

sifflent.

nous voilà à

Paix, les moteurs!... Quel silence!... Len-

tement, je

descends

de

la

carlingue; je


AU

CIEL DE

fais

quelques pas,

Un

brouillard léger

la

VERDUN

démarche

me

semble

toutes choses. Je suis ivre vitesse et de vent.

I I

incertaine. flotter

un peu,

sur

grisé de


me

Je

Oh!

Virez

!

Derrière

là!

Virez

siège...

nous, tout près...

!

Je hurle dans le

mon

retourne sur

bras vers

vent, tout en

le

une forme noire,

étendant

très petite

dans l'espace...

L'appareil violent

me

se

met tout

qu'une force multiple, m'écrase sur

mon

vigueur musculaire

ment

Un

vent

;

irrésistible,

me

plaque,

siège...

Je perds toute

me

trouve entière-

je

paralysé...

En même temps, tête

droit!

en plein visage, tandis

frappe

se

vide

j'ai la

de son contenu.

puissant brouille

ma

vue

L'appareil tombe. Je

masse,

la

sensation que

respiration

l'estomac douloureux...

et

ma

Un

ma

vertige

pensée.

tombe comme une

coupée,

le

cœur

et


AU CIEL DE VERDUN Et puis,

ment

un brusque

puissant..., la fin

l3

un soulève-

arrêt,

du virage.

Là, piquant droit sur nous,

un Fokker... Nous

noire, l'autre,

Au

allons l'un sur

Attention

vite.

croisement, une volée de

voyées le

vertigineusement

une forme

et reçues...

claquement

!...

en-

balles

J'entends très nettement

sinistre des

minuscules messa-

gères de mort...

Pas de résultat apparent,

d'aucun côté.

Et tout aussitôt, un nouveau virage vent m'arrache brutalement des mains et

me

comme une

Le

mitrailleuse

renverse!... Je suis

porté dans l'espace,

un tourbillon

la

!

feuille

emdans

violent...

Nouveau croisement, nouvel échange de Encore manqué. Mais aussi, quel

balles tir!

!

A

cible à

cent cinquante à

deux

l'heure,

sur une

cents...

Le combat

se

poursuit.

Les

appareils

virent et descendent, glissent et tombent...

Le disque de

la terre s'incline, se

balance.


l4 Je

AU CIEL DE VERDUN

~

le

vois dans des positions étranges. Voici

qu'un renversement sur au zénith

l'aile

me

montre

le

C'est vraiment une vision d'Apo-

!

calypse, que ce bondissement de la terre,

légère

aussi

qu'une balle de sureau, dans

l'espace...

Tout fixe,

mouvement, tout

est

nul point immobile

sentiment dernier de

fuit.

Rien de

où accrocher un

stabilité...

Bouleversement immense, tournoiement prodigieux.

Et dans

la carlingue,

les forces centrifuge et

font

un jouet de moi

façon d'une sais plus

mais

mon

et

poussées

les

de

la

me

d'air,

pesanteur se

brimbalent à

boule dans un grelot! Je

guère où je suis

ni ce

énergie reste entière et

que

la

ne

je fais,

ma volonté

ferme. J'abattrai

mon

adversaire.

De temps en temps, comme un blancheur passe

dans

immense. Pan! pan!

le

éclair, sa

tourbillonnement

pan!...

Quelques balles

à la hâte...

Les virages sont de plus en plus fréquents.


AU CIEL DE VERDUN

l5

de plus en plus serrés. Le brun, qu'est

la

terre, la luminosité, qu'est le ciel, alternent

en une rotation maintenant forcenée... J'ai les nerfs sée...

Où yeux;

exaspérés,

la tête

sans pen-

Je n'en puis plus. est

mon ennemi? ne

je

le

Je

le

cherche des

trouve pas... Disparu je ne

Le combat vient de quement qu'il s'est engagé. sais où.

Plus de virages

;

finir

aussi brus-

un vol en ligne

droite,

qui est un grand repos. Je reprends peu à

peu entière possession de moi-même...

Un tants

cauchemar, n'est-ce pas, que ces ins-

ciel et terre, la

mort

et

nous tour-

noyions, mêlés?

Un

cauchemar, certainement car tout

à présent

campagnes

;

bien

en place

et le ciel.

et

immobile,

est les


Une

triste

nouvelle

merveilleux,

pilote

court.

un maître

plus fameux,

combat Il

était

Un

aérien...

une

si

et se

Boillot

Tout

On

;

est

de son

vient le

d'être

monde

il

D'un bond,

il

en

est atterré.

là, il

jeté

en

rapide.

chasses.

sort de Boillot est clair. Quel-

as » écoute sans sourciller.

se fige en

vol

veut savoir ce qu'il est advenu

compagnon des grandes le

Navarre qui

s'est

un départ brusque, un

Hélas!

il

tué

a eu connaissance de

qu'un explique à Navarre ce qui «

l'aviation, se

distingue à l'égal des

se précipite. C'est

l'événement.

L'

peur,

grande espérance.

vient aux nouvelles,

Il

dans

le

appareil, au fuselage couleur de sang,

se pose.

avion

sans

soldat

le

Boillot, qui, à peine entré

révèle

Boillot,

s'est passé.

Un

inslant,

une contemplation farouche,

le


AU CIEL DE VERDUN regard perdu au

pour

ciel...

Et voici

il

fonce eu plein

vengeance.

la

la

loin. Puis,

I7

mort de

Boillot.

Boillot, sur les larges routes de

avions allemands.

contre cinq

Qu'importe

!

Il

l'air,

ren-

est seul.

voit-on jamais l'aigle refuser

le

combat ? se

11

rue à l'attaque. Les mitrailleuses

claquent. Boillot est atteint, en plein vol, en plein héroïsme, d'une balle au cœur... haut,

haut dans l'azur lumineux.

très

Il

tombe,

chose pitoyable. Et qu'est-ce donc que corps,

quand l'âme

est partie?

tombe... Boillot a

Il

Et Navarre, Mais

il

le soir

est triste,

plus.

AU CIEL DE VERDUN

le

fini

de servir.

même,

a

vengé

Boillot.

parce que son ami n'est


En ...

avion, au-dessus des lignes.

Ne me

semble-l-il pas entendre

un mur-

mure confus, un grouillement lointain? Je me trompe évidemment; quel bruit, au travers des ronflements des moteurs, pourrait

parvenir à

mes

oreilles?

Pourtant, je perçois une rumeur immense. Suis-je bien éveillé?

Sans doute, car voici

autour de moi un avion bien réel. Non,

je

ne rêve pas. Alors? Que penser?... Mais je n'ai plus le

temps de chercher une explica-

tion.

C'est que la et

rumeur monte.

Elle grandit,

soudain c'est une tempête de hurlements,

de plaintes

:

des coups sourds, des crisse-

ments, des arrachements,

des tintements;


AU CIEL DE VERDUN

un monde sonore, divers m'emplit

tête

la

IQ

et formidable, qui

L'âme

m'étourdit...

et

troublée, j'écoute, tout

mon

être tendu.

Quelle est cette voix puissante qui hurle à

mes que

oreilles,

celle

plus vaste, plus douloureuse

des mers, les soirs de tempête?

C'est l'émanation, je le sais tout à coup, la

poignante émanation d'une soulï'rance et

d'une angoisse

infinie...

Longtemps, j'écoute l'immense Et puis, dans

le

vaste concert, l'une après

distingue

l'autre, je

plainte...

les

Des voix

parties.

me deviennent perceptibles. Elles mon cœur d'horreur et d'épou-

singulières

poignent vante.

Un

bruissement

subtil,

un frôlement

et

comme de draps sur des On dirait, n'est-ce pas, le frissonnement

des chocs légers, chairs.

d'innombrables corps humains.

A

n'en pas

douter, c'est cela... Frissons de faim, de soif,

de fatigue, de

fièvre..., je

ne sais! Mais, aux

mouvements

convulsifs

de

muscles

dou-


AU CIEL DE VERDUN

2

loureux

et las, naît et parle

une voix plain-

tive...

Partout, partout, c'est un

comme

et continu,

gravier!

Il

souffrance

murmure

celui d'une eau

léger

sur

est clair qu'ainsi s'exprime

non aiguë mais sans

le

une

fin ni trêve...

Autre chose, maintenant... Écoutez! N'entendez-vous pas ces subtils déchirements?

Des chairs qui

se

tendent, n'est-ce pas, et

cèdent? Ces craquements, des os qui rompent? C'est

Ce murmure, du sang qui coule? ainsi que doivent se déchirer, rompre

et saigner

des corps écartelés.

Et ce battement dans l'eau? Et cette chute d'un liquide dans un trou? Mais c'est un être qui se noie; agite

il

se débat contre la mort;

il

des bras impuissants! Floue! floue!

L'eau descend, implacable

et régulière.

L'en-

tendez-vous? Plus maintenant?... C'est parbleu

fini,

!

Et ce grésillement? Serions-nous dans une


AU CIEL DE VERDUN

31

pour qu'ainsi chantent au feu des

rôtisserie,

chairs ?

Et ce grattement dans duit,

vous

le

le

sol?

Il

est pro-

savez aussi bien que moi, par

des ongles qui creusent

la

terre. Serions-

nous dans un cimetière où s'évertuent des vivants? Le

enterrés Parfois

travail

semble qu'un corps

il

en

contre

le

un spasme

tracte

se

poursuit.

raidi se con-

désespéré

et

lutte

poids qui lentement l'écrase...

Mais voici que tous sent dans un

les bruits disparais-

grondement immense,

en émane des sols sur

le

tel qu'il

point de trembler.

J'écoute, haletant, la vibration formidable. Qu'arrive-t-il?

La boue! et

Effroi! c'est la boue qui bouge monte des profondeurs du sol... Ah! j'en-

tends

s'efforcer

de

multiples

travailleurs.

C'est la lutte désespérée que livre contre l'inlassable

élément un peuple d'êtres hu-

mains. Qu'ils sont petits et faibles, devant les

vagues énormes qui roulent en grondant,

lentes

mais

infinies...


AU CIEL DE VERDUN

22

Arrêtez, je vous en supplie, le

bien qu'elles anéantiront toute

Autre chose encore...

Mais oui, ne

mouvement

masses humides... Sinon, vous

des

puis

c'est cela...

douter...

Il

me

savez

vie...

semble.

Des battements,

Ce sont

les

je

battements

d'innombrables cœurs... Toc! toc! Écoutez!

En

voici

de précipités.

disent

Ils

d'in-

tenses émotions et des angoisses. Et d'autres,

qui sonnent dans les poitrines,

un

cloches,

glas d'épouvante...

comme

des

Battements

de défaillance et de peur...

Mais soudain, je comprends que ces pulsations de faiblesse ne sont

que

passagers de cœurs puissants et je

ne

rythme

saisis

plus qu'un

les troubles et tranquilles

mouvement au

parfait.

Quel merveilleux régulateur possèdent-ils donc, ces cœurs, fermes et calmes au milieu

de tant d'horreur?

Et voici qu'après avoir perçu bataille

dans son affreuse

la

voix de la

diversité,

il

me


AU CIEL DE VERDUN

23

semble en entendre une nouvelle, voix douloureuse et

grave,

prononcer

de subtiles

paroles.

Est-ce une hallucination? un rĂŞve? J'entends...

Un

idĂŠal,

une

Et point autre

foi..., le

la

devoir, le sacrifice.

source des vraies joies...


Un

tour au paddock, voulez-vous ? J'ai de

vous mon-

belles bêtes et de races variées à trer.

Voici les carlingues

comme

Farman

«

immenses;

Ailes

y>.

énormes, ventrues

et

luisantes

des aubergines! Ni très vites ni très

nerveux, robustes

Ce sont

et sûrs.

les

bêtes

des humbles et durs travaux, des labours sans gloire, mais d'où germera Voici les

Gaudron

«

»,

la victoire.

larges aussi d'en-

vergure, mais les ailes fines. Tout en mâts et

en cordes

;

comme

moteurs ronds

des

meules, carlingue exiguë, bonnes bêtes déjà

pour

le

combat, mais délicates

et qui flan-

chent parfois. Voici les

«

Sopwith

y>,

gracieux et légers,

aux larges

ailes,

Cambrés

beaux comme des nageurs qui.

et

au long

et

fin

fuselage.


AU CIEL DE VERDUN les jarrets

tendus

et les

25

bras en croix, s'ap-

prêtent à plonger.

Et voici

les aigles

:

«

Nieuport

Courts de reins, larges de poitrail puissants

comme

;

».

avants

des museaux de dogues.

Bètes de race, souples

grandes chasses

Spad

et

et

bêtes des

vites,

et

des luttes à mort.

Regardez-les, rangés paisiblement devant

hangars,

les

nez au vent. Les Farmans

le

diaphanes semblent des cocottes en papier posées sur un tapis. Les Gaudrons, sombres et sales d'huile,

ont des iaces

avec leurs moteurs ronds et leur carlingue

comme

des yeux

en forme de bec. Les Sop-

withs, les ailes au les

de hiboux,

ciel,

sont de l'élan figé

;

Nieuports, des poings tendus; les Spads,

une attente puissante.

Regardez soleil

et,

le

scintillement des moteurs au

sur les toiles vernissées,

plendissement des cocardes

pas des coquelicots

et

:

le

res-

ne diriez-vous

des bleuets, dans

l'or

blond des blés? Regardez-les,

choses sans

vie.

immobiles

Qu'un ordre

et

silencieux,

arrive,

qu'un


AU CIEL DE VERDUN

26

ennemi

se

montre à

l'horizon, et

ronflement énorme vous

les

dans un

verrez s'animer

'

;

tout à coup, aller et venir, nerveux, bruyants, puis,

un à un, comme des

clair

le

brun de

la

piste

flèches, rayer et

s'élancer

de en

plein ciel.

Et quand de

ne seront plus pour vous que

ils

minuscules

brillants,

dans

l'immense

vous entendrez peut-être

écrin

d'azur,

faible

claquement de leurs mitrailleuses.

le

|


Deux

points noirs dans

la

nue, qui gros-

sissent, grossissent!

Obus énormes? bombes d'avion? Oh! ce des corps humains!... Ce sont de

sont

pauvres

hommes

qui tombent

hauteurs, grand Dieu?

De

!

quelles

Des masses impuis-

santes, qu'une force fatale, tout

à l'heure,

écrasera, aplatira au sol.

Au-dessus, très au-dessus, un Farman à allure

étrange,

comme une même,

ballotté

à

feuille morte...

tous les vents, Il

vire sur

tantôt très vite, tantôt lentement!»..

Eclat d'obus,

balle

de

mitrailleuse,

mandes rompues, sans doute; il le

dos

lui-

et s'est vidé

s'est

com-

mis sur

de son contenu humain...

Les corps descendent, tournoyant lente-

ment dans

l'espace; je distingue les

bras


AU CIEL DE VERDUN.

28 étendus

jambes...

les

et

approchent!

Ils

Vingt secondes déjà que dure leur chute!

— Les pauvres gas! Non

de

loin

y a une

villa

la

dit

route

dont

le

une voix.

je

oii

me

tenais,

il

parc est clos d'une

forte grille...

Le premier des deux hommes

s'est

em-

palé sur la grille. Voici le corps transpercé,

loque sanglante. Les plaies sont énormes.

Des ruisseaux pourpres coulent sur ments; des gouttes se suspendent bent une à une, dans

la

les vêteet

tom-

grande ilaque qui

est à terre, au-dessous...

Voyez

les

yeux grands ouverts! En eux

quelle expression d'étonnement

plus

explicable!

Comment

!

le

Et quoi de corps com-

prendrait-il ?

Le second tation. J'ai

est

tombé sur

le toit

nettement perçu

du corps, quand masse. Floue!...

il

de l'habi-

le

bruit sourd

s'est écrasé

comme une

On

a retrouvé

le

cadavre


AU CIEL DE VERDUN combles,

dans

les

brisé,

informe et sans

tas de vase...

On

vu

allant

cela,

en

rigidité,

Verdun

un beau jour

liaison...

rompu, comme un

enlièremenl

en a empli un cercueil...

C'est de la route de j'ai

^9

à Étain

que

d'automne, en


Gomme

Une profondeur

d'air transparent

fin

dans

légère.

cœur

au

Oh

Beauté

dans

!

le

de

sans

Oh! monter

rose!

et

fraîcheur,

cette

atteindre

c(

beau! Pas de brume au

pas un nuage.

ciel,

le

fait

il

cette

pureté;

immensité

cette

de dévoiler enfin

désir

la

que ces splendeurs dissimulent;

»

désir d'étreindre son corps divin; l'espoir,

par cette étreinte, de sentir en infini clair et

mon âme un

doux.

Je veux monter,

monter

toujours...

Je

monte. Hélas! voile,

A

mes yeux ne

n'apparaît nulle

Hélas! devant moi fraîche

déchire

chair de

fuit et

nul

merveille.

m'échappe l'âme

du matin. Malheur!

Malheur fois

se

!

Car

que l'homme

il

en est

ainsi,

à chaque

tente d'atteindre les formes


AU CIEL DE VERDUN

3l

charmantes que parfois, confusément, tingue en son

il

dis-

ciel!

Malheur! Car

c'est,

à

chaque

fois,

l'âme

plus désolée, qu'il perçoit la vanité de ses eflPorts


Le capitaine m'a

pour aujourd'hui,

confié,

un réglage de pièces de 190 sur ennemie de coordonnées 62-45 Midi. fixé

la

déjeuné

J'ai

pour i3 heures,

et

tôt,

digestion

Il

!

me

car le travail est

monter en avion, au

de table, peut être

sortir

à

fort préjudiciable

faut

une demi-lieure

de vol environ pour prendre aller

aux lignes

la batterie

ma

hauteur,

et reconnaître l'objectif. Je

décollerai à la'^So. 12^ 10.

Il

fauteuil et de

est

temps d'abandonner mon

songer aux préparatifs.

Mais tout d'abord, un coup de téléphone

aux

artilleurs

moire.

Il

ne

pour leur

s'agit

les meilleures

intentions

sans avoir pu rien milliers d'excuses.

rafraîchir

la

mé-

nullement de partir avec

faire,

et...

de

revenir

pour recevoir des


AU CIEL DE VERDUN

— Oh

pardon

!

comment

33

Je ne sais vraiment pas

!

cela s'est

fait,

j'avais noté pour-

tant.

Rafraîchissons

— Allô

Rafraîchissons

!

Allô! C'est

!

Ici, l'escadrille.

pour effectuer

le

!

groupe Tardieu?...

L'avion de réglage va partir

convenu.

le travail

Je raccroche, certain maintenant que les artilleurs seront prêts à

Et

cela

temps

n'est

est,

pas

pour tout

cieuse, mais

il

mes premiers

sans le

appels.

importance!

Le

monde, chose pré-

est sans prix

pour nous, qui

n'avons que quelques heures de travail possible.

Et maintenant, je m'occupe à rassembler le

matériel

avec moi

:

spécial

que je

vais

emporter

une planchette de contre-plaqué,

sur laquelle s'étale un plan directeur soi-

gneusement

collé

;

une deuxième planchette

où sont fixées avec des punaises plusieurs photographies de l'objectif; un crayon au

bout d'une

ficelle,

pour marquer

sur

le

papier les points d'impact et noter les corrections; une paire d'excellentes jumelles. AU CIEL DE VERDU>


AU CIEL DE VERDUN

34

Je mets les planchettes sous

crayon dans Et

me

je

poche

la

dirige,

et les

ainsi

bras, le

le

jumelles au cou.

muni

harnaché,

et

vers les hangars.

un temps délicieux. Le

fait

Il

ciel,

tout

rose et bleu, a des teintes de jeunes chairs.

Le

soleil

légère et

doucement

d'une

clarté

met une flamme pâle au brun des

bois. C'est

brille

une adorable journée d'automne.

Bonjour,

Fauchois,

comment

allez-

vous?

mon

Fauchois est l'ai

pilote d'aujourd'hui. Je

trouvé auprès de son avion, à l'examiner

soigneusement. L'essai des moteurs

donné entière vont.

Il

satisfaction.

lui

a

Les commandes

est prêt.

— Ail right! Penchés sur mes

cartes,

nous causons du

travail.

— G^est

la batterie 62-45, celle du ravin Haumont, que nous allons essayer de devant monter détruire Vous voyez la manœuvre :

!

haut pour n'être pas gêné, croiser au-dessus de

la

Meuse, entre Vacherauville

et

Verdun.


AU CIEL DE VERDUN connaît

Faucllois

vieux de Verdun,

il

le

35

secteur.

un

C'est

com-

n'est pas long à

prendre.

Maintenant, aidé par les mécaniciens, je

mes

revêts

habits de vol; je le fais avec le

recueillement et s'apprête, car

nombreuses

Un

soin d'un officiant qui

le

les

pièces du vêtement sont

et toutes indispensables.

chandail, d'abord, sur

ma

tunique

;

et

puis une combinaison imperméable, doublée

de fourrure,

et puis

un passe-montagne,

et

puis des lunettes spéciales, un casque, des

gants de

papier,

des gants

de iourrure

aux pieds, des chaussons de papier

;

des

V

chaussons fourrés. Ouf!

et

La cérémonie

est

terminée.

Les

choses se sont normalement passées, selon le rite

coutumier.

J'étouffe sous tant de vêtements. vite le

Viennent

vent du vol et sa fraîcheur.

Fauchois l'observe

pareillement accoutré; je

du coin de

De

tournure.

immense

s'est

et

petites

l'œil.

Dieu

jambes,

!

un

quelle

buste

par-dessus ces rondeurs disgra-


AU CIEL DE VERDUN

36

un étonnant

cieuses,

ensemble,

surfaces

sphériques, pelées; surfaces poilues, surfaces carrées; pièces métalliques brillantes; pla-

ques de verre, au bout de cylindres bizarres.

La

tête,

sans

doute.

informe,

avec

la

Il

démarche élégante d'un

ours qui vient danser! Je

que

je suis tel.

énorme,

s'avance,

à la pensée

ris

Quels monstres!

Et maintenant, à l'escalade! Je suis au pied de la carlingue,

jusqu'à

Ma

elle.

il

de m'élever

s'agit

tenue n'est pas de sport et

ce n'est pas sans peine, je l'avoue simple-

ment, que je parviens à m'acquitter de cette

Un

gymnastique indispensable. une roue pis; et

sur

le

elle

:

puis

rebord

est

un

glissante

effort

pied

d'huile,

pour placer

et le faire suivre

de

sur tant

l'autre

la

masse

principale du corps. Je n'ai plus qu'à en-

jamber

et

me

étroit et long,

dans

voici

comme

mon

domaine,

un avant de canot de

course.

Je m'installe dans

ayant vaincu une instant de plaisir.

mon

siège

difficulté,

je

et,

cela

jouis

fait,

d'un


AU CIEL DE VERDUN Et tout aussitôt, l'activité

besognes, qui ne

du démon de

je suis saisi

j'entame

;

la

série

3']

des

multiples

une

m'accorderont plus

minute de répit jusqu'au retour.

mes

Je range

nement

cartes, je vérifie le fonction-

du manipulateur,

celui

du rouet

de l'antenne, celui des fiches; j'essaie sance des rotules de mitrailleuses, cartouches, dans

rouleaux de

d'aluminium; j'attache

les

le

jeu des cases

leurs

planchettes et

crayon à des tendeurs, je m'attache; bon, vous

le

échapper de

A

comprenez, de ne rien la

l'ai-

le

est

il

laisser

carlingue.

terre se tiennent, le nez en

murier,

le sous-officier sans-filiste,

nicien,

prêts,

chacun

dans

sa

l'air, l'ar-

un mécapartie,

à

arranger ou à modifier. Mais rien ne cloche. l'apprennent avec satisfaction.

Ils

Ainsi

tout

est

paré...

Je

me

retourne.

Fauchois est en place; derrière son capot de mica, je

le

manche

son

«

fois

de plus

le

vois secouer vigoureusement à balai

»,

pour

gauchissement

vérifier

une

et la profon-


AU

38

CIEI,

DE VERDUN

deur. Les ailes se déforment sous les volets

du

l'effort,

stabilisateur s'agitent.

— En route. — Contact? demande-t-on au moteur de droite.

— Contact, répond Un

le pilote.

mécanicien s'approche; dressé sur

pointe des pieds,

il

deux mains

saisit à

pale gauche de l'hélice.

Il la

la la

balance un ins-

tant pour bien sentir la résistance et équili-

Et puis, d'un mouvement

brer son effort.

souple et large,

il

la

lance vers

la droite

du

revers de la main en s'étoignant vivement.

On

dirait

un joueur basque

en main, rebute L'hélice

qui, la chistera

la balle.

abandonnée

hésite, s'arrête.

Mais

une première explosion des gaz se produit et c'est tout aussitôt le

tonnerre du moteur

en action.

— Contact Et

le

!

hurle-t-on à gauche.

f[-acas s'intensifie.

nant n'est plus

la

le terrain. L'étincelle Il

L'avion mainte-

chose morte qui de vie a

s'agite et sursaute et tire

gisait sur

jailli

pour

pour

lui.

partir. Je


AU CIEL DE VERDUN

Sq

sens battre à grands coups son impatience

son désir des grandes randonnées.

et vibrer

Les mécaniciens se suspendent aux pour

les retenir,

comme

ailes,

des palefreniers aux

mors de chevaux ardents.

Il

souffle, derrière

nous, un vent de tempête.

Le

pilote

ralentit ses

ment, aidés dans caniciens, l'envol.

moteurs

et lente-

manœuvre par

la

mé-

les

nous roulons nous placer pour

Face

au

vent

:

essentiel.

c'est

Ainsi nous éviterons les poussées latérales

de vent, toujours fâcheuses, car virer

brusquement

l'appareil

au

font

elles sol,

mou-

vement qui entraîne irrémédiablement rupture du train de roue et accident, classé

«

le

la

capotage

cheval de bois

»,

:

assez

semblable au dérapage d'une voiture auto-

mobile dans un tournant.

Face au vent. Nous est

libre.

Un coup

voilà placés; la piste

d'œil en arrière

pour

nous assurer que nul avion ne s'apprête à atterrir sur notre

dos.

Un

geste large

de

lâchez-tout...

Les moteurs tournent à pleins gaz, arra-


AU CIEL DE VERDUN

l\0

chant

l'appareil

en

avant.

C'est l'instant délicat.

Un

Nous

roulons.

brin d'angoisse aa

cœur, J'attends. C'est que, pour tous les appareils,

mais

plus particulièrement pour les Caudrons, des

dangers sérieux sont courus au

que

moment du

départ

et

atteint

une altitude de quelques centaines

jusqu'à

ce

l'appareil

ait

de mètres! Qu'un moteur cale, qu'un coup de vent survienne, déséquilibre l'avion, c'est l'accident, et sans espoir

sement parce que

le

d'échapper à l'écra-

sol est trop

près et

la

chute trop brève.

Mais l'appareil a décollé. Nous montons.

Cent mètres, deux déroule l'antenne la

!

cents, cinq

cents

!

Cent cinquante tours

Je et

voilà à la traîne. Elle dessine dans l'air

une courbe régulière. Je ferme à présent circuits

sur

le

les

de l'appareil de T. S. F. J'appuie

manipulateur, l'étincelle éclate, c'est

quelque chose, faut plus et

le

que

courant passe, mais

mon

il

me

émission soit excel-

lente; je vais essayer sa qualité.

Tout

est

prévu pour cet essai. Des sans-ûhstes, en


AU CIEL DE VERDUN bas, sont

4'

aux écoutes. Si tout va bien,

un drap blanc devant

verrai apparaître

je

les

hangars! ((

Point, trait

trait,

;

Je manipule un voilà le

point, point. »

Grâce à Dieu,

instant.

panneau qui s'étend sur

Ainsi, je ne serai pas

l'immensité de cette terre qui

l'air.

un

Ma

isolé,

le sol!

perdu dans

pensée

s'éloigne;

touchera

minuscule

et la

forme, errante dans l'azur, mettra en action les

lourds canons!

Mille mètres!...

cercles au-dessus

Nous décrivons de du

terrain.

J'arme

trailleuses, je vérifie les hausses.

mètres!

Nous

allons

vers les

larges les

mi-

Deux

mille

lignes

que

j'aperçois au loin.

Deux

mille cinq cents!

Nous sonmies au-

dessus des lignes. Je cherche, des yeux,

la

Meuse, Bras,

le

batterie ennemie. Voici la

ravin de jeclif.

Haumont,

le village...

Ah!

voici l'ob-

C'est une minuscule tache claire dans

un vaste cliamp jaune. Je l'observe soigneu-

sement à

la

casemates

et,

jumelle. C'est bien cela, deux entre elles, des levées de terre.


AU CIEL DE VERDUN

42

Pas une minute à perdre; j'appelle

mon

antenne. Garde à vous, les artilleurs. «

A; d

point, trait; trait, point, point. »

:

L'antenne entend, car, en un endroit convenu, apparaît

mais je ne s'étale lait

sur

le

tout petit carré blanc d'un

hommes

panneau. Des

l'étendent, je le sais,

les vois pas,

tache claire

goutte de

un buvard. le

manipulateur

et,

en lan-

A;

d.

Réglage

gage convenu, je passe 62-45.

l'objectif

prête?

la

comme une

d'elle-même,

Je ressaisis

sur

et

:

La

«

batterie

est-elle

))

Le corps penché en dehors de

car-

la

lingue, le visage fouetté de vent, j'observe

attentivement les panneaux. Et soudain, à côté du carré, s'allonge un rectangle blanc.

Bonne

affaire.

La

batterie est prête.

Vite, plaçons-nous jectif.

une

Par

pour bien voir

gesticulation

l'ob-

appropriée,

j'indique

à

mon

exécuter.

Un

virage, durant lequel je rentre

la tête

la

dans

sienne

la

pilote

carlingue,

dans sa

boîte,

la

manœuvre

comme un

à

diable

pour éviter

les


AU CIEL UE VERDUN

du

gifles

4^

Tout droit maintenant sur

vent.

l'objectif!

Me

pulateur, je

Au mani-

heureusement.

voici placé

commande

«

feu

».

Les jumelles aux yeux, j'attends en comptant

les

Une, deux,

coups,

les

secondes.

Ça va

trente et un.

trois,

venir... Trente-quatre, trente-cinq,... rien...,

trente-sept.

Ah!

voilà

champ

jaune,

des

taches

si

petites,

sombres

sur

petites

si

étrangement semblables aux buissons

et

et

le* si

aux

arbres. Mais le vent les déforme, elles per-

dent leur rondeur grasse, et leur

couleur change.

disparaissent

elles s'allongent

Elles s'eff'acent et

!

Pas de doute, ce sont mes éclatements. Je

les

ma

reporte vivement sur

photo-

graphie, et vivement, demi-tour!

Tandis que nous regagnons

manipule arrière

rapidement,

non

de frétjuents regards.

dangereux de se

Boche rôde sans

les lignes, je

sans jeter Il

est toujours

laisser surprendre,

cesse.

en

et

le


AU CIEL DE VERDUN

44 ((

Cinquante mètres, à droite, deux cents

mètres, court

Mais voici que

»...

secoue insolitement tourne; ciel.

me

Je

l'appareil.

a le bras tendu vers

il

le pilote

un point du

Je sais ce que cela veut dire

avion en vue. Prière de

De

on

tance, celle-ci!

une forme

ont leur impor-

Je

l'accordera.

Il

y

dans

a,

noire

ronde au milieu,

la

m'empresse

traits,

un

c'est

une tache

biplan.

Est-ce

un ami? est-ce un ennemi? Voilà toute question. J'écarquille les yeux. rai-je le détail qui

résoudra

Encore quelques secondes Mais je reconnais, à Nieuport.

ment

je

Comme

sible, je

simule

Cette

Fauchois.

au diable

courbe des

ailes,

Au pilote, me dépêche de

A

tout discours

une

mimique la

est.

il

la mitrailleuse.

Tout va bien.

intéressé,

prendre.

mains.

la

quel

et puis,

j'empoignerai

la

Distingue-

problème?

le

L'avion grandit... je ne sais

l'identification,

à

direction indiquée,

deux

:

Un

«:

:

l'identifier. »

identifications

telles

re-

amicale satisfait

est

un

vivel'ap-

impos-

poignée

de

pleinement

façon d'un ours neurasthé-


AU CIEL DE VERDUN nique,

balance

il

tète de

la

l\^

bas en haut et

de haut en bas. Je

ma communication

reprends

rompue. Les yeux

mouvement des

au

altentit"

blancs, j'attends.

Et

le

salve,

réglage

Compris

«

poursuit

se

l'objectif, à

chaque

Périodiquement des espaces,

l'étrange

Tir d'efficacité

un

tel tir

que

n'est

salve

après

de plus près. le

l'agitation

silence

Quel-

de rec-

:

»,

avancé, car

autre chose

rightl

dans

signale-t-on d'en bas.

J'esquisse un geste de joie. vail fort

AU

conversation.

ques étincelles précipitées,

«

soudain, se ».

:

fois serré

reprend,

tangles minuscules

bâtons

tombent autour de

projectiles

les

petits

s'agitent

Ils

déplacent et figurent

inter-

sur les panneaux,

fixés

le

tir

Voilà

le

tra-

d'efficacité n'est

nos

efforts,

et

commencé que

lorsque

le

but de

le

réglage est terminé. C'est donc déjà presque

un succès. Désormais, mon de vérification, car

il

seul travail sera

importe que, pour une

cause ou une autre, vent ou température, tir

ne se dérègle pas.

le


AU CIEL DE VERDUN

46

Les lâches sombres se multiplient alentours de elles

Le vent

l'objectif.

les efface,

réapparaissent inlassables.

un peu, sous

les

«

Souffrez

marmites,

lourdes

allemands,

leurs

aux

Mais

souffrez.

artil-

surtout,

méditez. La souffrance ouvre des horizons

nouveaux. Et

la

vanité de votre rêve orgueil-

leux et inhumain ne peut apparaître à

Devant sa

la

manquer de vous

sombre lueur de

réalité sensible,

la

met

qui

mort.

vos

à

cœurs une angoisse douloureuse, vous connaîtrez qu'il ne sert à rien, en

somme,

d'être

puissant et dur, mais que l'essentiel, ici-bas, est la simplicité et frez.

la

bonté d'âme.

Souf-

))

Soudain, une tache noire prend forme sur la ligne

elle

de

la batterie objectif!

s'étale.

Bravo,

Elle grandit,

artilleurs

les

1

Leurs

obus, sans aucun doute, viennent de provo-

quer l'explosion d'un dépôt de munitions. Je ie

le

leur apprends

aussitôt

manipule joyeusement.

:

ta,

tra...

Laconiques,

ils


AU CIEL DE VERDUN

me répondent

Compris

«

:

[\']

el le

»,

tir

se

poursuit.

Soudain, une chute brusque de l'appareil.

J'ai

douloureux,

Que

me

je

sens

la

coupée,

l'estomac

arraché

du

siège.

Le fracas d'explosions

passe-t-il?

se

me donne mande

respiration

la

Une

réponse.

batterie alle-

vient de nous gratifier d'une salve

toute proche. C'est le souffle puissant des

qui

explosifs

a

provoqué

chute. Ni le pilote ni

désagréable

la

moi ne sommes tou-

chés; l'avion paraît indemne.

Nous en sommes conde d'émotion;

avec une se-

quittes

le pilote rétablit

aisément

dans

l'appareil. Je vois, derrière moi, flotter l'air d'inofl'ensifs

Et

le

nuages

noirs.

de destruction se poursuit. Au-

tir

tour de l'objectif naissent toujours et rent les minuscules

champignons bruns.

un coup

Je jette

meu-

d'œil

sur l'altimètre.

Quatre mille; nous avons monté sans cesse.

Mon

Dieu

proche

de

que

!

son

bataille petit.

Je

la

batterie

objectif

et

m'imagine

qui le

tire

est

champ de

que,

penché


AU CIEL DE VERDUN

48

sur une carte à faible échelle, je règle la

Comme

marche d'un kriegsspiel minuscule. suis loin!

je

Gomme

je

au

étranger

suis

grand drame qui se déroule à mes pieds! Quatre

mille

deux

haut.

Encore plus

bien.

J'ai

profite

Encore plus

cents.

loin.

Le

va toujours

tir

quelques minutes de

répit.

J'en

pour promener mes regards dans

le

vaste domaine des airs.

Au-dessus de moi, une profondeur sans fin

de bleu léger. Le calme,

dessous,

disque

le

brun

la

pureté.

des

Au-

campagnes

verdunoises, avec, en son milieu,

la

coupure

d'argent de la Meuse. Et sur ce disque, parfai-

tement immobile, un grouillement d'avions nains. Ils tournent, vont et viennent, parais-

sant glisser au sol avec une rapidité déconcertante et laisser au hasard leurs vives évolutions.

On

le

soin de guider dirait

des pois-

sons dans un aquarium. Tout autour d'eux s'épanouit

blanches

une

étrange

flore

de

fleurs

et noires (les shrapnells).

Mais voici

trois

heures passées que nous


AU CIEL DE VERDUN

^9

tenons

l'air.

Nos réservoirs d'essence

vident

et je

commence

temps de rissage

d'être

las...

rentrer. J'envoie le signal

se est

Il o:

atter-

».

Aussitôt les panneaux bougent et dessi-

nent

figure

la

compris

«

».

Je suis libre.

Atterrissons.

D'un

mon

à

est

geste, je fais entendre ce qu'il en

le

pour

Fauchois,

;

coupe l'allumage

attendre,

vers

pilote

je

:

Dieu que enfin le

pique droit

et

L'antenne

tourne

c'est long

!

plus

Je prends les dispositions

terrain.

l'atterrissage.

ramener

sans

plomb de

!

d'abord

rapidement

Mon bras

à

rouet.

le

mollit

quand

l'extrémité vient à son

logement.

Nous descendons rapidement. Les cordes sifflent. Le vent arrache presque le casque de

la tête.

Désarmons

mitrailleuses

les

:

ce

sont

bêtes dangereuses, qu'il est utile de museler

pour

Trop souvent accident

délicat

l'instant la

survient,

AU CIEL DE VERDUN

de l'atterrissage.

précaution est omise; un les

armes

se

mettent 4


AU CIEL DE VERDUN

5o

d'elles-mêmes à fonctionner et qui est

je

fait,

tuent...

Voilà

n'ai plus qu'à attendre

événements. Et

comme

nulle

les

besogne ne

m'absorbe, je ne puis m'empêcher de songer

aux dangers qui nous guettent. Scabreuse, la

manœuvre

ou

Gare

d'atterrissage, scabreuse.

l'emboutissage au

sol,

ou

la

perte de vitesse,

capotage. Les incidents possibles sont

le

aussi variés que fâcheux.

Bah

à

!

la

grâce de Dieu

Tout se passe

!

bien, cette fois.

redresse à temps, l'appareil

heurt et roule au sol vieille

à

charrette.

notre

se

Le

pilote

pose sans

comme une bonne

Les mécaniciens courent

rencontre.

Ils

aident Fauchois à

conduire l'avion au hangar. Voilà qui est fait.

Les moteurs s'arrêtent. Une

sortie

de

plus.

Dégart, un camarade de l'escadrille, un ami, est là qui m'attend.

— Ça a marché

? interroge-t-il.

Je lui réponds en fourrures. Et efforts

et

me

dépouillant de

comme, après de

grâce à l'aide

mes

méritoires

des mécaniciens,


AU CIEL DE VERDUN terminé celte

j'ai

5l

pénible, nous

opération

remontons au cantonnement, en causant. Je suis tout joyeux, parce que sauf,

parce

malgré

que

effectué.

A

l'avion,

le

malgré

travail

le

sain

et

Boche,

et

heureusement

s'est

n'en est certes pas toujours ainsi.

11

cause de

cela,

ma

joie est plus grande.

Je conte à Dégart les incidents du vol

nous

en

m'étends dans un

Mon

aux

Arrivé

rions...

tentes,

car je suis

fauteuil,

:

je las.

corps est fatigué des montées et des

descentes rapides et des changements incessants de pression.

donnantes

et

ma

Mes

oreilles sont

tète pleine

bour-

encore des ron-

llements des moteurs.

Mais, surtout, je suis las de

soutenue de

ma

volonté et de

la

mes

tension sens...

La chose

à faire, sans cesse, au mépris de

la vie; la

chose à voir, sur

de

la terre

Je

me

le

plan

ou dans l'immensité de

repose.

si

lointain

l'air.


Très haut! Journée

d'été.

Quel émerveillement! De partout.

Mon cœur

devant ces champs

se

infinis

du

l'or,

gonfle

à

soleil,

éclater,

où danse

la lu-

mière. Ils

C'est

m'appartiennent, là,

espaces clarté

Je

dans sans

ma

ils

font

poitrine,

borne,

âme avec moi. qu'il

est

une

limpidité,

le

monde dans

des

une

d'enchantement.

communie avec

pureté, dans son immensité...

Je connais un instant de joie.

sa


Il

pleut aujourd'hui... Inutile de songer à

quelque pluie.

que

réglage

Temps de

ce

Temps de

soit.

liaison. J'appelle

Bertau,

le

conducteur.

— Bertau, amenez en

liaison.

La

camarades de

la

liaison,

travail,

voiture c'est

aux

;

C'est

trajet

le

visite

aux

artilleurs. C'est le

départ, casqué, la jumelle et le sautoir.

nous allons

la

sur

masque en

de mauvaises

routes, usées par d'interminables

convois.

C'est la traversée des villages, encombrés

de

troupes de relève

et

de fourgons de

ravitaillement. C'est, au passage, les dépôts

de munitions où

les

des bouteilles en

obus se rangent

une cave;

les

comme

parcs du

monstrueux

génie, désordre

immense,

de matériaux

plus divers; les sections de

les

tas

réparation et leurs pauvres affûts mutilés, luisants sous la pluie. C'est

Verdun

et ses


AU CIEL DE VERDUN

54

rues détruites, ses maisons ouvertes,

des plaies

sa citadelle, bloc

;

de pierres de

trouée.

gigantesque

de terre remuée

taille et

murs égratignés,

cathédrale, aux

comme ;

sa

à la nef

C'est la Meuse, serpentin brillant,

déroulé sur les gazons, et les faubourgs de

la

se cachent les pièces qui, de leur

ville, 011

voix puissante, ébranlent les murs et sur-

prennent aux tournants. C'est

le

gendarme,

produit autochtone des carrefours, debout

devant sa guérite de béton,

comme une

statue qui aurait quitté sa niche.

C'est souvent d'immenses cimetières, où

nos

dorment

soldats

rangés

comme

régiment

et

à

par

la

l'éternel

sommeil,

parade, groupés par

division...,

garde d'honneur

pour Verdun. Les croix de bois blanc sont

comme un s'élèvent

court

des arbres

grandes croix s'arrête,

le

pensée va,

donné leur

de-ci

de-là

de haute futaie,

les

communes. La conversation

rire

s'éteint.

respectueuse, vie.

et

tailhs,

La

L'on salue à

et

la

ceux qui ont

liaison? c'est parfois les

lourds oiseaux d'acier et leur sinistre appel.


AU CIEL DE VERDUN Et c'est l'arrivée chez

Vous

ravi de

vous

voir.

L'artilleur est

monde

les artilleurs!

Mon cher Comment

voilà!

55

Lafoni! Je suis allez-vous?

généralement

homme du

son accueil d'une courtoisie par-

et

faite.

La conversation

s'engage

Son sujet?

bienveillante.

demeure

et

le travail

des jours

derniers, naturellement.

— fis

Vous

souvient-il? Hier matin, je vous

attendre.

Il

j'eus affaire à

C'était

ne faut pas m'en vouloir, car

un Fokker mal intentionné.

donc vous!

j'ai suivi le

combat,

soupçonnant, sans en être certain, que vous

en

étiez...

instant

le

d'angoisse.

Mais,

vous.

Vous

dirai-je?

Ça

dites-moi

J'ai

tournait mal

donc,

au

un

eu

pour

dernier

réglage, pourquoi nous avoir envoyé dès

début

A

:

«I

le

Tir d'efficacité »?

côté, c'est

un camarade qui écoute

circonstances d'un

bombardement

— Cent marmites de 210,

les

sévère.

cent...

Ainsi chacun raconte un peu de sa rude vie.


AU CIEL DE VERDUN

56 Il

est fait aussi

souvent un rapide inventaire

de nos clients communs,

les batteries alle-

mandes, à qui nous livrons de

si

si

régulièrement

grandes quantités de munitions

— Croyez-vous l'emplacement cupé?

nous avons

Oui?... C'est incroyable,

déjà tiré sur

Une

sans doute.

lui trois mille

batterie

obus

!

solidement casematée,

faudrait réclamer

Il

!

o2-4o oc-

pour

elle

un

traitement de faveur..,, du très gros calibre.

La conversation va son la

liaison

s'achève

le

trinque à nos victoires de

succès d'Orient.

Metz, dont

le

On

train.

verre

Souvent,

en main.

Somme,

la

à nos

trinque à la prise de

siège est depuis longtemps

commencé aux avancées de

Verdun...

trinque à l'éternelle France

cela,

étroit

On

:

On

dans un

gourbi et dans un entassement prodi-

gieux ou sur les bois

le seuil

de baraquements, dans

que l'automne a teintés merveilleu-

sement.

Et la

puis, c'est le retour.

voiture,

route.

abandonnée

Il

faut rejoindre

à quelque

Nous dévalons des

coin de

ravins abrupts.


AU CIEL DE VERDUN par

des

taillis...

sentiers

La

pluie,

L'air est frais.

tracés

un

Il fait

au

instant,

67

profond

des

fait

trêve...

bon marcher...

Parfois,

une échappée montre

la

plaine de Meuse,

sur qui s'étendent lentement les voiles bleus

du

soir.


Je suis triste! Et quelle gaieté pourrait gonfler toute

mon cœur

grise,

campagne

devant une d'un

écrasée

plafond bas de

nuages, sales et lourds? Il

me

pleut. fait

jours. et

La chute incessante des gouttes

invinciblement songer à

Le temps passe,

monotone, comme

nous allons aussi

temps

le

cette

la fuite

des

régulier

fuit,

eau du

ciel! Et»

passons Et chaque

et nouis

!

jour met à nos visages une ride de plus, à

nos cœurs une déception. nesse, de la

fleur

faites-vous, impitoyable

Coulez, sombres

campagnes

!

Oh

de corps

!

de notre jeuet

d'âme, que

Temps?

nuages!

Dans nos âmes

Désolez-vous, aussi,

pleut

il

sans cesse.

Dégart pénètre dans

ma

tente

:

à

son


AU CIEL DE VERDUN

69

visage, je le devine également oppressé de tristesse.

Je suis venu le trouver,

dit-il,

parce

que, à demeurer seul, je sombrais dans

Mon âme

désespoir.

de plomb qui

Entre

est étoullee par le ciel

touche

cime des arbres!

la

me

la terre et lui je

sens à

l'étroit, je

manque d'espace, je manque d'air. Nous ne craignons rien, hors que

ciel

le

le

ne tombe...

— Ah!

laisse-moi tranquille avec tes ré-

miniscences. Ce ne sont pas elles qui dissi-

peront l'angoisse de

— Et

mon

bénies où

le

clair soleil, à cette heure, illu-

mine des campagnes en

— Et aux

toits

cœur...

dire, vieil ami, qu'il est des régions

qu'il est là

joie.

des maisons d'or vieux,

couleur de sang.

— Et des champs raude, des bruyères

d'ocre, des prés d'éme-

en fleurs,

d'argent, des

montagnes de

lumière et de

la

— Dire là,

qu'il

beauté

des

cristal.

gaves

Et de

la

!

se pourrait

que tu fusses

à goûter ces splendeurs, avec, auprès de


AU

6o toi,

quelque

comme un

CIEL DE

belle

raisin

— C'est dur Nous nous tête basse,

ronde

fille,

et

douce

mûr!

Et dire que

humide... avec

VERDUN

toi,

je

suis

dans une tente

vieux hibou!...

parfois, la guerre

taisons

et

une amertume

!

nous qoûtons, infinie.

la


.

Les Boches ont attaqué. Le canon gronde sans arrêt. Les Boches ont avancé et notre contre-attaque.

infanterie

de tout cela ? situation

glants

On

et

s'est stabihsée.

de

Après

reflux,

la

de

san-

maintenant

ligne

Quelle est-elle?

Il

importe

savoir au plus tôt.

le

Le de

advenu

n'en sait rien, sinon que la

stationnaire.

est

flux

Qu'est-il

terrain est couvert d'une

projectiles,

téléphoniques

liaisons

les

nappe serrée

sont rompues. Patrouilles et coureurs circulent difficilement!

des

ne faut pas compter sur

Il

renseignements

à

venir

des

troupes

engagées!

Mais

l'artillerie

de

l'éclairer,

nisera

sans

dans

est

feux sont inefficaces.

Il

est

le

faute de quoi

perte

le

vague

et ses

de toute urgence l'ennemi orga-

terrain

conquis

et

placera ses troupes pour un nouvel assaut.


AU CIEL DE VERDUN

02

Aux

observateurs en avion seuls,

il

possible de débrouiller rapidement une

est si-

tuation pareille.

Plusieurs appareils partent du terrain; je

pars dans l'un d'eux. Tandis que nous allons vers les s'agit,

lignes, je

au juste, de

Repérer

les

me demande

demment. Mais

qu'il

faire.

Boches dans

leurs trous? évi-

sont tapis; mais

ils

remueront ni pied

ce

ni patte, à

mon

Mais leurs uniformes sont gris

et

ils

ne

passage.

boueux!

Véritables mottes de terre, les Allemands se

fondront dans Il

faut,

le

brun du

sol.

pourtant!

D'ailleurs, si je parviens à m'assurer de

leur

présence

en certains points heureu-

sement choisis, n'en pourrai-je pas déduire l'ensemble de vais essayer. vail

la

ligne? Oui, sans doute; je

La besogne

minutieux

et

est difficile, le tra-

long. Tant mieux, après

tout, j'aurai d'autant plus

de plaisir à réussir.

Nous

voici

au-dessus des lignes.

volons à six cents mètres.

Nous


AU CIEL DE VERDUN

Pour commencer,

63

un coup d'œil

je jelle

d'ensemble. Voici Thiaumont, voici Souville.

Bon! Entre

les

Tiens, les

fait!

deux,

à étudier. Par-

la crête

Boches ne

la

marmitent pas.

Guère mieux renseignés que nous, sans doute.

En

revanche, x\vec

joie.

nous canonnent à cœur

ils

du io5! Inclinez-vous,

c'est

ho-

norable! Et de tout près! C'est scabreux! Brrr!

Nous

noires,

comme un

Gare

la

Si je

circulons

rencontre

me

récifs.

!

prêtais attention

autre chose à faire,

que

fumées

les

canot au milieu des

pénible, sans conteste.

et qui

entre

à cela,

ce

serait

Heureusement,

un problème

j'ai

à résoudre

passionne. Vienne la mort, pourvu

je trouve.

Mais

mon

pilote est entièrement sans dis-

traction; je le regarde est impassible, à ses

du coin de

l'œil. Il

commandes. Brave

pi-

lote, va.

Nous

croisons.

Souville,

Froideterre;

Froideterre, Souville. J'observe à la jumelle.

Les

forts, tout

bouleversés qu'ils sont, pré-


AU CIEL DE VERDUN

6Z|

sentent encore des ombres géométriques. Le

une tache blanche, un

village de Fleury est

labour engraissé de chaux. La crête ailleurs

uniformément brun-noir. Des boyaux,

est

des tranchées partout. Mais je ne distingue

aucun être humain. Le terrain me paraît absolument vide. Fouillons encore. Tiens! ce

boyau

:

filet

teinte

bleuté qui sinue avec ce

on

Uégère;

dirait

sur

la

Meuse un brouillard du soir. Que peut être cela? Des fantassins français, parbleu! ce sont des fantassins français. Et

du bleu,

et là,

d'un

d'une haie,

près

ligne errante,

pinceau

je la tiens, bravo,

;

nonchalant;

en des trous épars,

d'un bois. Ah! mais

lisière

amie

tracée

encore

du bleu partout, en tache

ronde, goutte échappée, en

comme

là,

Vlan! vlan! vlan!

moi

vlan!...

voilà la

en

ligne

!

Une

salve bien

régulière de gros noirs, tout autour de l'appareil!

Puis

Nous sommes un reprend

l'avion

Tirez, tirez.

cherez pas

instant brimbalés.

son

vol

tranquille.

Boches rageurs! vous n'empê-

ma

besogne d'avancer.


AU CIEL DE VERDUN Je

une

tiens

ligne

certain qu'elle soit la

troupes que

65

française

Est-il

première? Non,

les

aperçues sont peut-être des

j'ai

réserves.

A me

y a peu de chance. Mais il faut une certitude, et la certitude, je ne vrai dire,

l'aurai

que

il

s'il

au voisinage de

m'est possible de distinguer

amie un

la ligne

parti alle-

mand. Je

me

reprends à

fouiller le terrain

succès d'abord, mais enfin rête sur

mon

une

affaire.

est

résolu,

Allemands? Si oui,

Car en premier second

en

objectif

magniGque.

l'essaim

ennemi

:

Il

lieu, le

Il

problème

fort

un

important,

une section, au moins. le

crois, je n'en

faut descendre. J'explique à

pilote ce qu'il en il

c'est

découvert

j'ai

est

Sont-ce des Boches? Je suis pas sûr.

nœuvre

regard s'ar-

une tache sombre, d'un brun sus-

pect. Seraient-ce des

mon

sans

:

faut exécuter

est :

et

quelle

ma-

piquer droit sur

la

tache brune, jusqu'à ce que, pour moi, conviction s'ensuive.

Nous piquons! Cinq cents mètres, quatre AU CIEL DE VERDUi>


AU CIEL DE VERDUN

66 cents.

Gare aux mitrailleuses

Tac, tac,

tac...

voici

:

coupée

piration

par

la

térieuse,

ou nous

danse.

vent,

le

La

faudra-t-il

res-

j'écarquille

secret, tache

yeuxl Livreras-tu ton

les

Trois cents.

!

mys-

nous écraser

Deux

sur toi et mourir en voyant?

cents.

Les balles claquent dru! Nous allons nous faire abattre.

Tant

pis! je

veux

savoir.

Cent

cinquante. Demi-tour, à toute vitesse

:

je

sais.

Quelques secondes, mitrailleuses

cesse!

et le

crépitement des

Quelle délivrance!

promène mes regards de tous l'air est

Les lignes déjà sont les

côtés.

limpide, la nature belle

crêtes de Belleville,

loin. si

aller.

avion je leur

Le nez en Hein si

!

les

l'air,

ils

Nous passons

bas que je disdes bat-

nous regardent

amis, ça vous étonne,

grand? Parce que

fais

Comme

!

tingue parfaitement les artilleurs teries.

Je

suis content,

je

des gestes d'amitié.

un

Ils

répondent

copieusement.

Tandis que nous allons vers

commandement de

l'arlillerie,

le je

poste de

me

hâte


AU CIEL DE VERDUN

67

de rédiger un compte rendu succinct de

ma

reconnaissance que je vais lâcher en passant. Voici je lance

le

poste. Attention

mon message;

rouge se déroule

et

la

et

Un, deux,

!

trois

:

banderole blanche

descend, en se tor-

comme une flamme. Maintenant, ma mission est remplie, mon

dant au vent

travail terminé.

Regagnons paisiblement

le

terrain...

Les fantassins ennemis, qui m'avaient vu piquer sur eux, se doutaient bien sans doute qu'il

allait

leur

arriver

quelque

histoire

fâcheuse. Il

un

leur arriva une dégelée fournie de i55, véritable « pilonnage

»,

d'eux une volée bruissante

et tout

autour

et piaillante

de

shrapnells, colonnes à lourdes volutes noires,

nuages blancs

et légers, qui s'en allaient

au

vent et renaissaient sans cesse. Terriflés,

l'on

m'apprit plus tard

lâchèrent pied et s'enfuirent, sous

la

qu'ils

correc-

tion sévère des fusants.

Le

travail

que

tu

m'as vu exécuter au-


AU

G8

CIEL DE

VERDUN

jourd'hui, ami lecteur, est pour nous le plus

passionnant de tous.

Un

texte à interpréter

un gribouillage

à mettre au clair

tails à observer

et,

d'un

vérité, la certitude à

;

;

mille dé-

fouillis d'indices, la

dégager

:

œuvre

d'in-

géniosité, d'intelligence.

Je n'aime pourtant pas être chargé d'un tel

travail,

traîne sont

Une

car les responsabilités qu'il en-

immenses

bizarrerie

et lourdes

d'éclairage,

à

porter.

un brouillard

tramant, et c'est l'erreur; et ce sont les

obus

français écrasant l'infanterie française; c'est

aussi

le

ment

:

dispositif de bataille

conçu fausse-

tout compromis, peut-être!

Lecteur, songe à l'angoisse des observaeurs qui partent avec de telles missions.


,

Une

saucisse boche vient d'être incendiée.

La nouvelle de

me

l'exploit

rappelle

le

y a quelques mois, un lieutenant de vaisseau. Un grand séjour que

fit

au terrain,

il

diable de marin, sec et long

comme un

un marin au visage

aux yeux

comme tel

liâlé,

une mer lointaine, au

mât; clairs

crochu,

profil

vraiment celui d'un oiseau de proie.

Son

vêtement

toujours à

était

la traîne,

large

et

l'ardente activité de son porteur.

qu'on

le

flottant

toujours en retard sur Il

semblait

voyait dans un coup de vent per-

pétuel.

Je

Taperions

de

l'entrée

temps;

il

pour

ma

faisait

Intrigué, je

tente,

la

première

fois,

de

un matin de prin-

sur la crête de larges gestes. m'infoiniai.

était et la raison

J'appris

qui

il

de sa présence. Le com-


AU CIEL DE VERDUN

mandement

projetait

ce jour-là,

au

faire

incendier

allemands

une attaque

moyen de

ballons

les

et désirait

fusées spéciales,

d'observation

du coup, aveugler

et,

l'artillerie

ennemie.

Le marin du

lation

était là,

pour

surveiller l'instal-

dispositif sur les avions de chasse,

convaincre et instruire les pilotes. Besogne ingrate, à laquelle je le vis s'atteler avec

un

magnifique courage...

Une

saucisse ennemie était représentée à

terre par

taque cible.

un drap blanc. Le Nieuport

d'at-

s'élevait, virait et piquait droit sur la

L'on

entendait

siffler

les

cordes...

Soudain des feux s'allumaient à chacun des mâts, huit fusées partaient avec un bruisse-

ment

puissant.

L'avion

redressait

et

qu'à terre, tout autour de

s'éloignait, la cible,

tandis

des fumées

blanches montaient au-dessus du gazon. Aussitôt tir;

le

marin s'élançait pour juger du

je voyais son pas

nerveux

et

immense,

ses longues jambes qui se mouvaient

un compas démesuré.

comme


AU CIEL DE VERDUN

Le tous

revenu à terre

pilote

deux discutaient;

le

7I rejoignait et

souvent,

fallait

il

recommencer. Inlassablement,

le

à la cible, de la cible avait à

cœur de

de l'attaque

marin

des avions

allait

aux avions. C'est

qu'il

réussir et de voir au matin

ballons flamber

les

comme

gigantesques torches. Avec ce sens des ficultés

d'exécution, avec

dans

ce soin

de difla

prévision minutieuse, avec ce goût du travail fini,

qui caractérisent nos marins,

que rien ne clochât,

çait afin

il

comme

s'effor-

rien ne

clochera sur nos vaisseaux, quand viendront

pour eux

Il

me

C'est

grandes heures de

les

la bataille.

souvient.

un

clair

matin de printemps. Les

Nieuports sont rangés en bataille sur deux lignes, face au vent.

La première

des avions incendiaires,

la

est celle

deuxième,

celle

des appareils de protection.

Le marin il

est là, bien entendu.

a vérifié

Maintenant

la il

mise en place

fait les

Lui-même

des

fusées.

recommandations der-


AU CIEL DE VERDUN

72

nières; je vois ses bras tourner dans

comme

pales d'une roue

les

l'air,

de bateau à

vapeur.

Tout

Les moteurs ronflent,

est à point.

et

marin, starter de ces puissants coursiers,

le

donne

Un

le

signal

à

un

goureux entière

élan.

a

du départ. avions s'envolent d'un vi-

les

L'escadre, maintenant, tout

pris

l'air.

Les

tournoient, emplissant de bruit le tranquille matin;

grands

oiseaux

mouvement on

dirait

et

de

un vol

de pigeons au sortir des cages. Ils

tournoient et puis, tous ensemble,

piquent vers

les

un avion d'argent; c'est

celui

tient à

du

ils

lignes; j'aperçois, en tête, il

brille

au

soleil levant

commandant D.

P...

:

qui

conduire lui-même son escadrille au

combat.

Les ronflements s'éteignent. Bonne chance, les

chasseurs!

Les

voilà!

Les voilà! crie-t-on à mes

côtés.

De

petits

points

noirs

apparaissent en


AU CIEL UE VERDUN effet

dans l'azur

lointain.

']3

Un bourdonnement

mais immense monte de l'horizon

faible

comme une

s'étend sur nous

Un, deux,

trois...

II

et

voûte sonore.

en sort de tous

les

coins de lumière, de ces insectes minuscules. Ils

approchent

Le marin,

ce sont bien eux.

:

regard au

le

loin,

attend..

les

J'imagine en son cœur un brin d'anxiété.

Mais

il

est planté sur la crête, impassible,

comme un phare

sur une côte.

approchent.

Ils

Et voici que l'un des oiseaux, connue grisé

de joie, entame une effarante danse! Looping, renversement,

A

glissade,

rien

n'y

manque.

cette vue, les nerfs se détendent, la joie

parmi nous. Car personne ne doute

éclate

que ce

soit là

tement

et

Un

que

une manifestation de contenle

succès

ait

couronné

l'effort.

à un, les oiseaux se posent. Aussitôt

arrêtés, le

marin surgit à leurs

voit

largement

tats

circulent.

sourire...

côtés.

On

le

Bientôt les résul-

Huit saucisses sur dix ont

flambé. C'est magnifique, et tout à l'heure la

tache de l'infanterie sera moins dure.


AU CIEL DE VERDUN

74 Mais

les

combats furent sévères. Deux

avions sont restés là-bas

:

rançon doulou-

reuse du succès.

Et

marin s'en

le

alla.

Le

il

est

une œuvre

utile à

même, il Là sans doute

soir

avait disparu. Oia? je ne sais...

accomplir,

un

service à rendre à la patrie-

Mais je verrai toujours

cette

originale

figure toute d'intelligence et de volonté.

Une Et

saucisse boche vient d'être incendiée.

c'est

difficile

un exploit d'accomplissement plus

encore aujourd'hui. Alors

la

surprise

aida l'assaillant. Maintenant, l'ennemi a pris

des

dispositions

spéciales

pour préserver

autant qu'il est possible ses précieuses saucisses d'observation.

De

puissants treuils permettent de

cendre

rapidement

les

autour d'eux attendent,

canons

la

et

gueule en

destout l'air,

et mitrailleuses.

Mais nos chasseurs se Et

ballons,

les saucisses

rient des dangers.

flambent toujours.


En

avion. Quatre mille mètres.

Je

suis

Comme

Mon cœur mon âme.

bien.

sérénité berce

est

apaisé,

la

en suspens, en une eau fraîche et

légère, je baigne dans une calme immensité.

Mon

cerveau peu à peu s'engourdit.

Je suis sans pensée, sans désir, une plante enivrée de vie.

la

richesse et de la force de sa


A un

la lisière

fauteuil

l'ombre

est

du

petit bois, je

rustique.

Il

fraîche.

Le

fait

me

repose en

chaud, mais

mouvement

des

avions sur la piste, leur agitation, leur envol

m'aident à goûter,

comme

elle le

mérite, la

douceur de ces instants pour moi tranquilles. Je suis d'un œil paresseux les larges évolutions des grands oiseaux qui et se

perdent dans les profondeurs bleues.

Dégart s'approche

gazon à mes

s'éloignent

Que

et

s'installe

sur

le

côtés.

penses-tu du

capitaine,

me

de-

mande-t-il ?

— Je

ne sais qu'en penser. Le capitaine

est avec

nous depuis trop peu de temps,

pour que

j'aie

Il

paraît

Mais

pour

les lui

froid

sur lui une opinion arrêtée... et

distant,

guère aimable.

apparences trompent. Sommes-nous autre

chose que des étrangers?


AU CIEL DE VERDUN

Non,

n'est-ce

pas.

Plus

tard,

77

quand de

longs mois de guerre vécus ensemble auront fait

entre nous naître l'amitié, tout changera

sans doute...

Oui, mais ne trouves-tn pas

homme

quelque étrangeté? Ses yeux, as-tu

remarqué ses yeux et

en cet

?...

d'un bleu douloureux

d'expression inquiète. Et sa façon d'être?

Gai parfois, brusquement sérieux, générale-

ment

triste

!

Étrange, en

effet!...

Quelque intime

souffrance, j'imagine...

Et nous causons d'autre chose.


un

C'est

Allô!

de

officier

l'esca-

drille G...?

Oui, j'écoute.

Communication aux

gret-aviation signale un

escadrilles

:

Re-

Caudron en flammes

au-dessus de Moulainville.

Un Caudron

en flammes Je

passagers.

les

:

pas drôle pour

raccroche

le

récepteur,

soucieux, car je viens de songer qu'un de

mes camarades, Senain, l'envol,

il

est

en

l'air. Il

a pris

y a une heure environ.

Pourvu

ne

qu'il

fâcheux! Bah!

Il

soit

lui

arrivé

rien

n'est pas qu'un

de

Caudron

à survoler les lignes. Je veux espérer que ce

n'est

pas

le

sien

qui

a

rencontré

le

malheur.

N'importe! Essayons d'avoir de ses nouvelles.

qui

Au

téléphone, j'attaque

travaillait

avec

lui...

la

batterie


AU

DE VERDUN

CIEI,

Allô! C'est la batterie S

79

ii5?

Oui...

Votre réglage marche-t-il?... Non... Vous ne recevez

plus de signaux depuis vingt mi-

nutes? Diable!... Savez-vous qu'un Gaudron vient d'être descendu?... Oui, je crains, je crains beaucoup... Je vous remercie. ...

Ainsi Senain ne parle plus...

Le

doute

Guère

sait-on jamais?

avoir cessé

et,

?...

tout,

brusquement de fonctionner,

Peut-être

dans

maintenant

L'appareil d'émission peut

cela expliquerait

rade.

permis

est-il

Pauvre Senain. Mais après

plus.

le

silence de

s'apprète-t-il

mon camaà

quelques minutes, vais-je

apparaître,

vif

gai,

et

plein

et

atterrir, le

voir

d'entrain et

de vie? Attendons.

L'âme anxieuse,

je

me promène

de long

en large. Je rencontre Dégart. G'est un sou-

lagement pour moi de nouvelle.

Mais

Il

m'écoute

les traits

lui

sans

faire part

souffler

de

la

mot!

de son visage expriment son

angoisse.

La

arpentons

le terrain.

tête

basse, silencieux, nous


AU CIEL DE VERDUN

80

Souvent nos regards interrogent l'horizon. Vastes champs, mystérieux profonde, nous

comme une

eau

nos compa-

rendrez-vous

gnons? un

Voici

appareil

Nous ne le lui? Dans un

:

un Gaudron.

c'est

quittons pas des yeux virage,

il

lui.

promenade

triste

serait-ce

nous montre ses

couleurs. Hélas! ce n'est pas

Notre

;

recommence.

Quelle heure est-il? lo heures. Senain a pris l'air

à

7...

Déjà

sible espoir se

trois heures.

Notre impos-

meurt de minute en minute.

Les mécaniciens interrogés affirment que l'avion n'a pas

emporté pour plus de

trois

heures d'essence. 3o. J'entends la voix de

10''

noncer gravement

:

Senain

et

Dégart pro-

son pilote sont

morts.

Sans

un mot de

plus,

nous nous

en

retournons aux tentes, l'âme douloureuse...

Sans un mot! Et que dire devant

la

mort,

devant l'incompréhensible horreur?

Il

faut avoir des renseignements,

il

faut


AU CIEL DE VEUDUN savoir où sont

bl

tombés nos camarades. C'est

pour nous un devoir sacré de rendre à leurs

Nous

dépouilles les honneurs suprêmes.

manquerons

Au

n'y

pas.

téléphone, j'apprends qu'un

chef de

En route! le comman-

bataillon sait l'endroit delà chute.

Dégart

et

moi partons trouver

dant.

Triste parcours, triste liaison.

Les corps sont tout près des premières lignes.

jour.

Il

est impossible

de

Nous organisons pour

les relever

le soir la

Une ambulance veut

corvée.

bien

nous

Au-

prêter une voiture et des brancardiers.

cune

difficulté,

Attendons

Le chef de

par conséquent.

la nuit.

vu

bataillon a

le

combat.

porte

de son gourbi, sous une

pleure

le

Un

vent,

il

nous

A

futaie

la

dit ce qu'il sait.

crépitement de mitrailleuses aériennes

a attiré son attention.

trouvé bien vite

Boche

de

funèbre

les

Il

a

s'éloignait déjà, le

indemne.

Il

cherché des yeux,

avions en combat. Le

Caudron semblait

regagnait nos lignes.

AU CIEL DE VERDUN

6


AU CIEL DE VERDUN

82

Quelques balles échangées sans a pensé le

commandant. Mais un point

distinguait

brillant

résultat,

à la jumelle

dans

il

la carlin-

gue, une fumée légère.

— L'appareil

brûle, a crié quelqu'un.

L'appareil volait toujours. Soudain à son centre s'est

formé un nuage noir

pareil s'est trouvé le

commandant

droit,

les

a

la

carlingue

le

l'ap-

tomber

descendre lentement,

ailes

détacher sur

rompu. L'âme

vu

et

horrifiée,

et se

lumineux deux minus-

ciel

cules formes noires, pantins tournoyants.

— Tragique spectacle, bataillon, tandis

ajoutait le chef de

qu'un frisson secouait ses

robustes épaules.

La

nuit est venue; armés de lampes de

poche, nous sommes, dans

les taillis, à la

recherche des corps. Leur affreuse odeur

nous

guide...

Voici l'un c'est Senain... tête,

d'eux Il

!

Je

m'approche,

a reçu trois balles dans la

qui a éclaté

comme un

fruit

mûr;

la

cervelle et le sang dégouttent sur le visage


AU CIEL DE VERDUN et

vêtement.

le

83

Le casque bouge sur

le

crâne brisé.

Et voici

le

face brûlée, noire!

pilote, la

Tous deux sont horriblement broyés; brancardiers qui leurs

mains qu'une

Dans

le

relèvent

les

sol est

imprimée

enterrés à

Une

la

forme des

sol qu'ils aimaient et

le

défendaient ardemment,

des sépultures.

n'ont entre

bouillie sanglante.

deux corps; dans

mêmes

les

ils

se

sont eux-

Et nous violons

demi.

terreur sacrée s'empare

de nos âmes. Dégart, qui ce matin encore philosophait

gaîment avec Senain,

marque

fait

:

— C'est peu de chose, Et

La

le

tout haut la re-

la vie...

funèbre cortège se met en marche.

nuit est sombre, nous butons à

chaque

pas; de temps en temps, des obus éclairent

d'une lueur blanche brisés.

les

Le canon sonne,

squelettes d'arbres à

grands coups, un

glas puissant. J'ai

l'âme transie d'horreur! Le souvenir

des chairs broyées, de

la

bouillie sanglante


AU CIEL DE VERDUN

84

m'obsède. Je sens

mort

et sa laideur.

âme

connaît un trop

C'est

dur,

la

Ma

de

terrible

réalité

ciiair frissonne

mouvement

de

mon

;

révolte.

Pourquoi

vraiment...

la

la

souffrance, pourquoi la mort?

Un dans

me répond

ricanement d'obus

seul

la nuit.

Les corps sont mis en bière

et

déposés

en une chapelle ardente, à Vadelaincourt.

Les funérailles auront qu'alors,

lieu

demain. Et jus-

auprès des cercueils,

une garde

d'honneur permanente sera montée. Je prends

le

tour dans la soirée.

Quelle émotion m'étreint lorsque nètre dans la petite chapelle

camarades. cueils,

Ils

sont

là,

oii

je

pé-

reposent nos

dans leurs longs cer-

couverts de mornes couronnes, en^

tourés de tristes cierges

blanches

ou

noires

1

Fleurs vulgaires,

ou mauves, sombres

draperies, flammes jaunâtres. est là et le drapeau.

Mais

d'âme

je

est

telle

que

La croix

ma

aussi

disposition

ne vois

dans

la

j


AU CIEL DE VERDUN

00

chapelle que l'infinimenl triste, l'infiniment navrant.

nom que sont Au souvenir de

J'imagine les choses sans

désormais mes camarades.

hommes beaux

ce qu'ils ont été,

et ardents,

à la pensée de ce qu'ils sont, je sens à nou-

veau sourdre en

ment

mon cœur

tumultueuse-

et

l'emplir l'efTroi et la révolte.

Souffrir, mourir,

pourquoi?

Agenouillé dans

la

cercueils, je sens

chapelle, auprès des

sombrer

mon âme

en un

abîme de désespoir...

Une

infirmière,

s'agenouille.

fantôme,

l.'lanc

Sa venue dissipe

le

entre

et

vertige de

douleur qui m'emportait.

La

tête inclinée

mains jointes,

elle

sous

le

prie en

béguin

lilial,

les

un recueillement

profond. Je vois son visage grave, mais sur lequel nul signe de malaise ou d'intime révolte n'apparaît.

Ce

visage, pourtant,

penché sur reille

la

s'est

douleur et

la

bien

des

fois

mort.

Une

pa-

sérénité devant la totale

m'étonne.

catastrophe


AU CIEL DE VERDUN

86

Quoi! Pour

elle

donc, l'horrible pensée

est supportable?... Mais, après tout, pour-

quoi haïr

mort. Si

la

elle

est

une affreuse

chose, n'est-ce pas elle qui donne un prix

immense

à certaines conceptions

que nous

plaçons au-dessus d'elle?

Pour ceux qui croient en pensée que, pour

elle, ils

la

la

acceptent de don-

ner leur vie, n'est-elle pas leur

bonheur?

patrie,

fierté,

leur

Elle les grandit à leurs propres

yeux.

L'homme de

bien né

un

s'estimer

n'avait la

a

peu.

besoin pour vivre S'estimerait-il,

est-ce bien tout ce qu'il

leuse satisfaction, faut attendre d'une

si

dure épreuve?...

La femme agenouillée prie un trait ne

visage, dont pas

Et vraiment,

croyance

monde

toujours.

Son

se crispe,

me

paix de l'âme.

dit la foi, la

la

s'il

mort à mépriser?... Une orgueil-

est-il

une paix de l'âme sans

un autre monde, en un

en

meilleur, où le mérite fleurit merveil-

leusement, où

bonheur?

il

donne d'étonnants

Est-il,

sans

elle,

fruits

de

une réponse


AU CIEL DE VERDUN acceptable

pourquoi

l'angoissant

à

87 de

la

souffrance et de la mort?... Sais-je?...

dans ...

Heureux ceux

mon âme

mais

le

doute et

Je

veux

la foi...

est

prier.

fut simple

musique.

comme

Une messe

de nos soldats.

Y

un hommage à

la

mort

sans apparat,

nombreux

assistaient de

officiers d'escadrilles voisines. était

ont

les ténèbres...

La cérémonie sans

(jui

douloureuse,

inquiète,

Leur présence

valeur de ceux qui

la

tombèrent.

Le

char

corvée,

le

funèbre

cimetière un

d'une colline.

déposés sur

Dégart Il

fut

Quand

la

terre

une

voiture

de

champ au versant

les

cercueils

furent

fraîchement creusée,

prit la parole.

ne voulait pas laisser se fermer

les

lombes sans témoigner de son admiration pour ses héroïques camarades, sans adresser à leurs dépouilles

De de

la

un dernier adieu.

sa voix grave, dans le silence recueilli

campagne,

il

dit leur vertu,

il

dit leur


AU CIEL DE VERDUN

88 mort.

Il

du haut de

parlait

la

crête, et

son

geste s'élargissait dans l'azur d'un ciel serein.

Au-dessous,

foule

noblement émue,

nous

écoutions les paroles d'exaltation et d'adieu.

Et Dégart se

tut, et

sur les cercueils,

le

chacun

fit

après

lui,

signe de la rédemption...


— faut

Lafonl! Venez-vous avec moi?

essayer un avion. Je compte

aussi haut

que

Il

me

monter

possible...

C'est un pilote de l'escadrille qui m'invite

pour

à une sortie

superbe. Le

Sans

le plaisir.

fait

un temps

sans nuage.

ciel est

hésiter,

Il

j'accepte,

car j'aime

ces

randonnées, quand aucune besogne ne m'astreint et

que toute

contempler

liberté m'est offerte

Vivement,

une combinaison, des gants,

un casque. L'appareil carlingue. plus, le

pour

et sentir.

En

route

même

rite

1

est prêt;

Et

d'une

j'enjambe

une

c'est,

même

fois

la

de

cérémonie...

Tonnerre de moteurs, cahots, arrachement, envol.

Nous montons. Et voici que

Penché

sur

le

le

divertissement

rebord

de

la

commence. carlingue.


AU CIEL DE VERDUN

QO

comme

sur

le

parapet d'un pont, je regarde

couler et fuir le sol.

Le spectacle

est d'un

vif intérêt.

C'est

que

vieux

le

prendre un aspect tout différent de ce paraît d'habitude.

me

Il

de

plancher vient

qu'il

présente une figure

vraiment nouvelle, qui m'étonne et m'amuse.

Un monde vous

le

étrange s'offre à

vue.

Il

a,

comprenez, bien des ressemblances

avec celui qui

me

vit naître

nais les choses anciennes...

monde

et,

très

vite,

inaccoutumées, je recon-

sous les formes

ce

ma

Tout de même,

a face bien curieuse...

Les hommes y sont des chapeaux, des képis ou des crânes les bêtes, des échines ; ;

maisons, des toitures;

les

les

arbres,

des

taches rondes!... Le tout ne présente aucun relief.

Tout

est écrasé, aplati; je n'ai plus

sous les yeux qu'un tapis, à dessin bigarré, sur lequel glissent des espèces d'êtres et de choses, infiniment minces...

Nous montons! L'échelle de

Les

la

carte

terrestre

diminue.

détails s'effacent, les couleurs se ternis-


AU CIEL DE VERDUN sent.

Un de

La vue

s'étend.

instant, la terre,

Le paysage

contemple

je

9I s'arrondit.

disque parfait

le

que cerne un anneau sombre de

brume... Voilà un spectacle bien nouveau offert à

ma

curiosité

!...

Mais bien autre chose que sa nouveauté m'intéresse et m'émeut.

chose

De

quoi cet

«

autre

la

terre

» est-il fait?

Devant un

apparaît transformée,

commodités de Qui donc

ensemble?...

en moi de

la

aménagée pour

vie, je

pose

surgir du chaos

fit

Un

la

paysage,

vaste

la

un

question

tel

:

superbe

sentiment intense se forme

puissance humaine, et je suis

bien tenté de m'enorgueillir soudain

Tout

les

aussitôt,

l'âme

car

!

mobile,

est

Dans le cercle combien d'hommes

d'autres pensées m'occupent.

qui

est

à

s'agitent,

mes

pieds,

s'efforcent?

combien de passions

Combien s'affrontent,

d'intérêts,

combien

d'énergies s'épuisent? Et dans quelle lutte?... celle

pour

la

vie,

celle

qui

fosse et par la pourriture...

finit

dans une


AU CIEL DE VERDUN

92

Dieu merci, j'aperçois au

champ de

pelle que,

pour bien des hommes,

Elle

bataille.

de toute action n'est pas un

Mais

la

zone

me

rap-

loin

pelée du

vil

le

mobile

intérêt...

en regard des

qu'ils sont peu, ceux-là,

masses qui tournent sans espoir, attelées à

une

tâche

somme,

tête basse.

la

sans

cepter

comme

stérile,

de

bêtes

Quelle lâcheté d'ac-

une

révolte

des

telle

condition

!

C'est la lâcheté d'une innombrable foule...

mon âme

Je songe à cela, et

volupté de mesurer et

de

la

la

goûte l'amère

bassesse de l'homme

mépriser.

Nous montons! Peu à peu, mon regard de lui-même détache de

la

terre et s'enfonce

profondeurs illimitées du oublie sa douleur

mense

dans

les

mon âme

son dégoût; une im-

joie l'emplit.

Quelle fleur

et

ciel;

se

émotion

a

fait

s'épanouir cette

de délice? Quelle région du cœur

l'a

vu naître?

Gomme

la

grande inquiétude ou

l'ineffable

paix, elle vient de ce fond mystérieux où se


AU CIEL DE VBRDUN

qS

forment, les vastes aspirations et les hauts

de

désirs,

d'âme

résidu

ce

que

divine,

chacun de nous a hérité des temps révolus!

—A

contemplation du paysage céleste,

la

immense

une sensation aiguë

paisible,

et

pénètre

d'éternité

d'infini,

mon

Un

âme.

instant, elle a le sentiment d'une grandeur,

d'une durée d'elle-même, en résonance paravec

faite

fond dormant de ses plus chères

le

Un

aspirations.

instant, elle goûte l'ineffable

de sentir assouvis ses désirs

joie

ardents

Le

!

me

pilote

un

fait

signe. L'appareil se

Nous des-

dresse soudain, glisse et tombe.

cendons avec une violent tion

les plus

me

folle

frappe au visage. J'ai

coupée...

balancement

Nous

Un

rapidité.

vent

respira-

la

virons! Je connais

habituel

de

la

terre

et

le

les

positions extravagantes qu'elle prend dans l'espace. sol,

du

Et

le

chavirement

général

du

ciel,

de

l'appareil

de

mon

es-

et

tomac.

Mon

Dieu

!

Que

je

suis

mal à

mon

aise.


AU CIEL DE VERDUN

94

Vlan! vlan! Des claques d'air à droite

et

puis à gauche.

Ah!

mon

l'infini

1

l'éternel! je

ne sens plus que

pauvre corps bien douloureux.

Nous

voilà en vol normal.

tants encore, et

Quelques ins-

nous roulons au

Je songe qu'un plancher, bas

mais

sûr,

est

sol.

et

borné

une chose d'un bien grand

prix...

Nous avons plafonné

huit cents..., dit

le pilote

à

à quatre

mes

côtés.

mille


La voilure gravit péniblement la côte qui mène du village au fort de Belrupt. Elle avant

s'arrête

d'en

avoir

atteint

point

le

culminant. Je mets pied à terre. Quelques pas, et

rama

me

voici sur la crête.

s'offre à

ma

Un

vaste pano-

vue. Je m'arrête

et, saisi

d'un pieux respect, je contemple de tous mes

yeux Verdun

La

ville

pauvres

et

son amphithéâtre de collines.

présente

quartiers

à

mes

démolis

regards

ses

brûlés,

tas

et

informe de pierres grises, avec, de-ci de-là, surgissant, des pans de

murs

noircis par les

flammes! Terne amas, sur lequel

la

cathé-

drale, toujours debout, étend l'ombre

de ses

tours,

comme un

mausolée sur

les

pierres

de tombeaux...

Et tout autour de vieux des feuillages, plantés d'arbres.

la ville,

car

les

l'anneau d'or glacis

sont


AU CIEL DE VERDUN

96 Et

les

faubourgs, ruines éparses dans les

jardins et les vergers mutilés.

Des maisons

tiennent encore. Elles ont de pauvres faces trouées.

campagne immense. Voici les côtes de Belleville, de Marre, de Dugny, collines Et

la

glabres

comme

rondes,

et

des torses de

géants, couchées là pour que l'Allemand ne

passe pas. Les noirs éclatements les tour-

mentent

et,

sur

elles,

cheminent d'étranges

processions de fantômes gris. traits

De sinueux

blancs les balafrent; elles portent les

polygones lourds des

Et voici

la plaine,

serpent

Après avoir

joncs et roseaux, gazon

paresseuse et lente, glisse

vert, sur lequel,

comme un

forts.

la

erré

Meuse. dans Timmensité des

champs jaunes, mon regard de lui-même retourne à

la ville et

Verdun, sur

ne s'en détache plus.

la désolation je verse des

pleurs...

Mais

la

pensée

des

souffrances,

des

morts, qui se multiplièrent sur tes coteaux

pour

te

préserver du barbare

;

la

pensée des


AU CIEL DE VERDUN sacrifices

iniionibrablcs,

97

acceptés pour

ta

virginité, ta gloire; celle de l'héroïsme, qui

en tes campagnes, font que mes yeux

fleurit

ne voient plus tes pauvres ruines, mais

âme

ta beauté, ta

grandeur.

Verdun, cité des vertus, Verdun, cœur de la France

Le jour sur

la

vois

baisse...

plaine.

mon

!...

Les brouillards s'étendent

Les fonds disparaissent; je

une immense vasque de bleu léger,

avec, en son milieu, lejaillissement des tours

de

la cathédrale...

AV CIEL DE YBRDDM


Pourquoi, ce jour-là, montai-je en Far-

man? Les Farmans, poules

à

lourdes

et

»,

c'est-à-dire les « cages

qui se

fragiles,

Elles n'offrent pas de

défendent mal.

champ de

rière et les pilotes n'osent

guimbardes

des

c'est-à-dire

tir

guère

«

vers

l'ar-

remuer

ces mauvais outils, par crainte de les casser

Vrais gibiers de

!

» .

..

l'air.

vous, qui entendant qu'un Boelke parvint à

descendre quarante avions français,

cœur anxieux, si nos chasseurs sont moins braves ou moins adroits, pensez aux « cages à poules » vous demandez,

dites-vous

et

pas

le

que

nos

ennemis n'en ont

(')!

que les Allemands ont mis à l'essai sur quelques appareils semblables aux Farmans. Mais ils ne les ont sortis qu'en petite quantité et dans des secteurs où ces avions, ayant peu à faire, n'approchent que de loin des lignes. {Note de l'auteur.) (i) Je dois dire

le

front


AU CIEL DE VERDUN

C^

Or, ce jour-là, je partis aux lignes en Far-

man. Le temps vers

ciel

le

me

était

l'est

merveilleusement beau,

éblouissant de lumière

;

je

sentais tout joyeux.

A

peine les lignes franchies vers Vaux, je

distingue au-dessus de moi, sur la toile du

deux

ciel,

traits noirs..., si petits, si petits;

monoplans

je savais bien ce qu'ils étaient,

piquant sur moi, Fokkers s'apprètant à m'attaquer.

Le temps et les voici

de prévenir

mon

déjà à distance de

tir...

à peine

pilote, Ils

se

mettent aussitôt à virer en manœuvrant. Et le

but de leur

derrière

par Ils

la

moi

manœuvre

et se

est clair

garer ainsi de

masse interposée de

mon

:

se placer

mes

feux,

appareil...

pourront alors tout à leur aise cribler

une cible inofTensive, cible du reste

facile à

atteindre, puisqu'elle se présentera

comme

un perdreau

droit,

pour

le

C'est ce qu'il nous faut prix!

Le

pilote

s'y

chasseur.

empêcher à tout

emploie de son mieux;

virant à droite, virant à gauche,

de faire face aux Fokkers;

j'ai la

il

s'efl'orce

mitrailleuse


AU CIEL DE VERDUN

100

en mains, j'attends l'occasion de m'en servir...

Et soudain passe devant moi l'un des

grands oiseaux de proie; je vois distincte-

ment

son buste émerge presque en

le pilote;

entier

du fuselage;

il

a

un casque, des

lunettes tout à fait semblables aux nôtres; je

distingue

devant

aussi la mitrailleuse, couchée

lui.

J'ouvre

touches et

maudite

Pan, pan, pan! trois car-

le feu...

ma

mitrailleuse s'arrête, enrayée;

soit-elle!

Je reste avec, dans les mains, une masse

de métal

inutile...

étrange de voir de

de ne pouvoir J'ai

Gomme si

près

cela

paraît

mon ennemi

et

ni l'atteindre ni l'abattre...

un geste de colère en

carabine

me

saisissant la

de secours. Quelle pauvre arme

contre deux Maxims. Aïe! voici que l'un des Fokkers, derrière

nous, ouvre

le

feu et nous arrose. Et elle

marche, sa mitrailleuse. Clac,

Immobile sous crispées à

la

le

clac, clac!...

fouet des balles, les mains

carabine, j'attends... Le terrible

claquement cesse! Je

respire...


AU CIEL DE VERDUN

sont les Fokkers

vivement des yeux, car

semblablement pas

le

doute,

les

combat

cherche

n'est vrai-

Je ne parviens à en

fini.

trouver qu'un. L'autre,

rayée sans

Je

?...

101

la

Mais

éloigné.

s'est

Fokker restant en veut toujours. Je qui

manœuvre

pour se placer et

passe devant moi,

Ah mais 1

m'aurait fallu

contre

que

je vide sur lui

11

un chargeur de

malheureusement.

Il

la mitrailleuse.

rage de tenir à bonne portée un

la

dangereux lui,

de ne pouvoir rien

et

d'être le gibier sans défense alors

l'on pourrait être le

Le Fokker mencer. Clac,

chasseur

vire soudain et

clac,

!

nous présente

La danse va recomclac Nous sommes en

son avant. Attention

!

!

plein dans la gerbe. C'est bien pénible.

heureuse manœuvre nous fois

vois

tirer!...

cette fois, je l'abattrai peut-être.

Rageusement,

Oh!

le

le

est tout proche.

il

carabine... sans succès

ennemi

en-

mitrailleuse

Une

tire d'affaire, cette

encore sans dommage.

Mais notre situation lante.

Nous avons, en

est loin

virant,

d'être bril-

descendu sans


102

AU CIEL DE VERDUN

La

cesse.

terre maintenant est toute proche,

à cinq cents mètres à peine, et c'est la terre

Boche revient au combat. Il va nous falloir manœuvrer, descendre enennemie. Et

le

core...

Notre

serons

tués

affaire

nous approcherons de sera

est

ou nous

claire;

par les balles du Fokker, ou

un jeu pour

près

si

le sol,

que ce

les mitrailleurs terrestres

de nous abattre. Cela m'apparaît avec une effrayante netteté. C'est

comme un

douleur aiguë, rait...

mon cœur

à

fer

qui

le

une

perce-

sommes perdus!

Perdus, nous

Le Boche entre temps

s'est placé.

Il

est à

nous toucher, à cinquante mètres à peine. Je hurle au pilote

Virez, virez

Et j'attends

le

:

!...

crépitement, la mort... Rien

ne vient; étonné,

Je

me

retourne;

je

vois

s'éloigner le Fokker...

— Tout

droit,

sauvés. Tout

Mon ennemi toujours;

il

tout droit!

Nous sommes

droit...

que

je suis des

disparaît.

vraisemblablement...

Enrayé

Au

yeux

s

éloigne

lui aussi, très

reste, n'est-ce

pas


AU CIEL DE VERDUN la

règle des

I

combats d'avions de

OO

finir faute

de mitrailleuses?

Mon

travail s'est effectué sans autre inci-

Nous avons

dent.

atterri, sains et saufs.

Maintenant sur

douze

balles, pas

moins. Douze

dans

la piste,

nous examinons

gars,

la toile,

;

devant

l'appareil.

les

han-

a pris

Il

une de plus, pas une de

c'est honorable.

Il

y en a dix

une dans un mât, qui a éclaté

;

une dans un longeron de queue. Ah! cette dernière aurait pu amener une catastrophe la

rupture de

Des

la

camarades

montre avec

s'approchent,

fierté les traces

meurtrissures de l'avion.

Ils

hochent

l'as

Et

me demandent comment

passé

;

échappé

les

la tête.

cela s'est

Tout

soldat,

tout chasseur, aime à conter ses aven-

tures, et puis, cela

pourra leur servir, ce soir

peut-être ou demain...

livement. nent.

leur

belle.

je le leur dis volontiers.

comme

je

du combat,

— Tu ils

;

queue, par exemple...

Quand

Tout

le

ils

Ils

m'écoutent atten-

s'en vont, d'autres vien-

monde me

félicite

de

ma


AU CIEL DE VERDUN

I04

chance; je suis

Songez donc

voir.

du

Et quel

un Fannan, au-dessus

:

ennemi, contre deux Fokkers!

territoire

aux

bête curieuse que l'on vient

la

l'avoue, de téléphoner

plaisir, je

artilleurs.

— Le

au début, je

oui;

pas?...

gêné un

marché, n'est-ce

bien

a

travail

me

suis

oh peu de chose

instant,

!

trouvé :

deux

Fokkers...

Je

fais le

dédaigneux

:

c'est

de bon ton...

Je suis naïvement heureux.

Et

le

voir la la

songeais que je venais de

soir, je

mort de près. Certes, ce

première

fois.

aux batteries

et

dements dont miracle.

Ma

je

Etant

n'était

artilleur, j'ai

pas

subi,

aux tranchées, des bombarne suis

sorti vivant

que par

rencontre d'aujourd'hui n'est

pas, en horreur, comparable à de

tels

mar-

milages.

Ce

fut infiniment

moins long

d'a-

bord. Et

ma

pensée toujours occupée,

mon

esprit ne put se fixer dans l'effrayante con-

templation de

la

mort. D'ailleurs, je ne fus à

aucun moment totalement impuissant. L'es-


AU CIEL DE VERDUN poir de vaincre soutint sans cesse

I

mon

ĂŠner-

Non, vraiment, combats d'avions

gie!

marniitagcs n'ont rien de

comnmn,

o5

et

et

ces

derniers sont autrement durs.

Certes, et cela est

une arme

mort. Mais vent,

si,

do [noins

oii

fait

notre

sans

fiertĂŠ, l'aviation

cesse moissonne la

pour nous,

la

faux vient sou-

vient-elle soudaine et brusque,

du moins tranche-t-elle d'un coup, sans lenteur douloureuse!

On meurt

beaucoup, on souffre peu.


Il fait

mauvais temps;

nuie et moi aussi. Dieu

Le

gris et triste.

campagne

la !

comme

tout

est

de toutes

petit bois pleure

ses branches chargées

s'en-

d'eau. Les

hangars

ont des peaux luisantes de batraciens... Je veux à tout prix secouer qui m'étreint

Je

sors,

mélancolie je

ma promenade m'amène

hasard;

Pauvre pour

l'âme.

la

lui.

village!

vais

au

au village.

La guerre a été dure un sauvage bom-

Elle lui a octroyé

bardement; l'incendie

l'a

détruit

quarts. Aujourd'hui ses ruines

aux

trois

humides sont

d'une infinie tristesse.

Oh! ciel

les

pans de mur ruisselants sous un

morne! Cadavres mutilés, abandonnés

sans sépulture aux insultes du temps.

Maisons

détruites,

je

songe aux jours

heureux que vous connûtes labeurs, aux

;

aux

joies,

amours qu'abritèrent vos

aux

toits;


AU CIEL DE VERDUN

aux vies paisibles coulèrent

approche foyers

le

les

soir,

qui s'é-

laborieuses

et

murs.

vos

entre

IO7

puisque

Et

j'imagine autour de vos

époux

assis

et

les

enfants

qui

jouent...

Enfuis ces printemps disparus ces ;

Il

pleut,

il

soleils...

pleut à verse sur vos pierres en

comme vos ruines lamentables touchent mon cœur... Et tant et tant de villages comme le vôtre... Dans les camdésordre? Maisons,

pagnes où passa l'ennemi, partout des ruines, partout.

Grande

pitié,

vraiment, au pays de

France...

Je poursuis ma promenade. Le hasard m'amène auprès d'une tombe, tapie au creux

d'un sillon; quelques mottes de terre, des

couronnes de

feuillage,

C'est simple et grand,

une croix

comme

le

rustique...

devoir, qui

étendit là ce soldat.

Un jour telle,

aussi, peut-être, j'aurai

ma tombe

au coin d'un bois, au coin d'un champ.

Une lassitude infinie envahit à cette pensée mon ame. Eh quoi! les maisons meurent, les hommes meurent, tout passe et meurt, et


AU CIEL DE VERDUN

I08

nous nous agitons

et

nous nous efforçons?

folie!

Les yeux au

sol, je

médite. Et puis,

mon

un pré

vert,

il

couleur de l'espérance, et plus

loin,

le vil-

regard s'élève

;

je vois

a

la

lage dont les ruines luisent et rient maintenant, car le

encore,

temps

le ciel

s'est levé,

rose et souriant.

et plus loin


Contre-attaque au matin. Je suis chargé de suivre l'infanterie.

Au

lever

la

progression de

du jour,

temps

le

est

aussi mauvais qu'il est possible. Les nuages

roulent à deux cents mètres à peine...

fréquemment, par travail sera

dur.

hangars, je frissonne. Il

va

me

bas; donc tangage et roulis puis,

Les

il

y aura

pleut

rafales drues.

En me rendant aux Le

Il

les tirs

falloir

voler

pénibles.

El

de barrage à craindre.

faibles altitudes sont des

zones de

cir-

culation intense pour les obus de tous calibres,

en

amis

me

et

ennemis;

vetissant

;

il

je

songe à

y aura aussi

cela, tout la

panne

avec un vent pareil au-dessus des lignes c'est la mort.

Pas

Je suis prêt. serrons

la

;

:

très gai, tout cela...

Mon

pilote aussi.

Nous nous

main avant de monter, car

le vol


no

AU CIEL DE VERDUN

que nous allons exécuter

est de

ceux dont

on a quelques chances de ne pas revenir.

Les moteurs sont mis route

en marche.

En

!

Nous

voici

regarde

:

aux

lignes.

L'âme

au-dessous de moi,

il

y

transie, je

a

une terre

âpre, dépouillée, étrangement proche, avec

des

reliefs saisissants.

Une lumière

blafarde

comme une huile bouillante, retournée comme un labour gigantesque, soulevée, ondulée comme une

l'éclairé.

Terre

boursouflée

mer. Et de-ci de-là, des dalles

mouillées.

endroits,

comme un

bleue

livides

de

Humide peau de mons-

trueux crapaud, avec de et ramifiés,

reflets

fins sillons,

sinueux

réseau veineux; par

d'uniformes

français.

De

tous côtés, les panaches noirs et lourds des

éclatements furie.

:

exhalaisons

Au-dessus de moi,

d'une c'est

terre

en

l'effroyable

chaos des nuages, gros de pluie, qui s'en vont pendants. L'appareil parfois disparaît en des volutes sombres et froides, véritables

fumées d'abîme.

Je

sens

alors

comme

le


AU CIEL DE VERDUN

I I I

frôlement d'ailes immondes; et dans

le sif-

ilement du vent au travers des mâts et des cordes, j'entends de

Une

sinistres ricanements.

affreuse angoisse m'étreint...

Et ce dessus

et ce

dessous se joignent à

quelque distance, tout autour de moi, créant

un cirque obscur, bas de plafond, écrasant de pesanteur. Et dans ce cirque, bles agitations humaines... Pas ciel,

«

miséra-

un coin de

pas une clarté n'autorise l'espérance. N'élève pas tes regards, pauvre soldat.

C'est inutile.

sans

Le

cercle de tes

issue... c'est

ta lourde tâche, le et

les

est

un tombeau... Accomplis

cœur

glacé, l'âme navrée,

meurs comme tu vécus,

boue,

gestes

la face

dans

la

D

Et moi aussi,

j'ai la

désolation au cœur,

entre ces masses hostiles également, terre et ciel, qui

sont

comme

des mâchoires pour

broyer ou des bâillons pour étouffer. Je vais mourir d'horreur

Un obus c'est

claque tout proche. Dieu merci!

un coup de fouet

à

mon

énergie. Je


AU CIEL DE VERDUN

112

romps l'envoûtement d'horreur, et, saisi par le sentiment du devoir à remplir, je m'enferme dans l'observation des mouvements d'infanterie.

L'attaque malheureusement ne progresse pas, arrêtée très vite par des feux de mitrailleuses, peut-être aussi parce que, sous tel ciel,

nul élan n'est possible.

L'insuccès constaté, je regagne

La

un

le terrain.

pluie s'est remise à tomber, elle cingle

douloureusement. Courbé sous l'averse,

je

songe à

la

le

fouet de

méchanceté de

la

matière, à l'acharnement des forces aveugles à meurtrir, à écraser les corps et les âmes, à la pitié de la vie. Laideur, mort, insuccès

de

méritoires efforts

:

voilà

le

spectacle

qu'elle vient de m'offrir.

Dans

la

carlingue je

pleure,

transi

et

battu d'eau, la grande misère humaine.

Et certes,

la

matière pèse douloureusement

sur les âmes. Mais peut-elle quoi que ce soit sur celles qui put mis leur espoir ailleurs et qui vont, au travers de

la

peine et de

la

souffrance, tendues vers d'autres horizons?


Aujourd'hui,

le

temps

sens d'humeur gaie.

Vive

qu'il fasse clair. Hier,

beau, je

est la

vie,

mon âme

me

pourvu

était triste

en allégresse, à présent.

et lasse, elle est

puissance d'un rayon de

soleil...

La mort? un don généreux, un sacrifice sublime. La douleur? un instrument de notre élévation... Le sang? une fleur éclatante sur les coteaux.

Mais je veux profiter de

pour errer dans

un

petit bois

est

la

la

campagne.

tiède soirée

J'ai

découvert

aux environs du campement;

charmant en sa tenue d'automne

or, si

délicieusement mélancolique.

léger

murmure en son

feuillage

Un

il

vieil

vent

une plainte

discrète.

Car

il

est triste, le

bien pourquoi.

En son

petit bois, et je sais

milieu, j'ai découvert

deux trous d'obus, traces de AU CIKL DE VERDUX

la

grande ruée


AU CIEL UE VERDUN

Il4

des barbares. Je ne songe pas sans

pitié à

son saisissement, à sa douleur, quand les éclatements monstrueux vinrent troubler son

heureuse quiétude.

Il

était

bon

et serviable.

ne voulait de mal à personne, et seule-

11

ment qu'on

permît de poursuivre sa vie

lui

paisible et ses

doux

chants...

Soudain, vlanl vlan! Son cœur sensible s'arrêta sans doute de battre et depuis lors il

dépérit...

Mais, petit bois, quand viendra

temps, une

foi

seaux rajeunis des matins

comme

prin-

nouvelle gonflera tes vais-

et tu refleuriras

frais.

jadis tes

le

Et

dans

les brises

jeunes

la gloire

caresseront

feuilles, et la

chanson

renaîtra dans ta ramure.

Heureux

comme

toi

petit bois...

me

Ah! que ne

dépouiller de temps en temps

d'un feuillage mort et oublier!

d'une

je vie

puis-je

Que ne

puis-

vierge frondaison renouveler

ma

!

Mais rien ne

s'efî'ace

de nos souflrances,

de nos fatigues, pauvres humains. faut

accepter, pour toujours, une

Il

nous

vieillesse


AU CIEL DE VERDUN prématurée

dont

les

sombres

Il5

années

de

guerre ont frappé nos cœurs...

Le temps

est

beau.

bonheurs possibles.

Songeons

à

des


En

plein vol.

Je

promène mon

Nulle borne, nulle

reçjard de tous fin

!

De

l'espace

côtés. et

de

l'espace encore...

Je ne comprends pas. Je

fais effort.

Plus haut, toujours plus haut plus loin toujours!... jamais

le

I

Plus loin,

bord, jamais

l'interdiction.

Des yeux, en

Mon âme le

alors s'étonne, car elle a soudain

sentiment de

Et dans

elle

vain, je fouille le ciel!

l'illimité.

s'épouvante, pauvre petite chose

l'infini.


J'entends dans

la

nuit le ronflement des

moteurs. C'est l'escadrille de bombardement

de nuit qui prend l'envol. Je sors, je cherche des yeux, à

voûte scintillante,

la

les

grands

oiseaux nocturnes... La nuit est tiède, éclaircie

d'un pâle rayon de lune. Elle m'enve-

comme

loppe

d'une ouate douce et légère.

Les ronflements troublent seuls

Ah

!

je tiens

du regard

tache sombre informe, sur toiles,

l'un le

le

silence...

des avions,

fond

clair d'é-

avec deux faibles scintillements,

les

feux de bord. «

Dieu t'accompagne, voyageur

solitaire,

pèlerin de la nuit. «

Que

sa protection soit sur toi; qu'il te

garde des dangers multiples, du shrapnell qui s'allume

comme un

plosif

brève" lueur; de

à

la

chenille brillante qui

feu

se

du

ciel;

de

l'ex-

l'incendiaire,

balance, étonnant


AU CIEL DE VERDUN

Il8

météore. El

qu'il

guide en d'incertains

te

chemins... »

Je n'entends plus les moteurs. Le silence

retombé peu à peu sur

est

nature au

la

repos.

Voici l'un des avions qui rentre. Je vois

appels lumineux de son projecteur, point

les

brillant qui s'allume et s'éteint

au

ciel

!

Mys-

térieux langage. ((

Le

rouge

terrain

lui

libre?

est-il

répond,

elle

monte en

plose et se balance, éclatante. rain est libre.f Avion, tu

craindre de collision.

Deux

projecteurs

peux

inondent

le

fusée

sifflant,

Oui,

«

ex-

le ter-

atterrir sans

»

en

s'allument

points du terrain; de leurs ils

Une

»

deux

blancs fuseaux

terrain de lumière. L'un in-

dique l'axe d'atterrissage, l'autre est pour éclairer de flanc. L'appareil soudain sort de la nuit,

comme une

apparition.

Il

se pose,

étrangement blanc à la clarté des projecteurs.

Devant

lui,

terrain.

Tout

un pinceau lumineux balaie s'éteint^ tout se tait.

le


AU CIEL DE VERDUN en surgit

Il

ainsi, leur à tour,

I

I

C)

une dizaine.

La manœuvre

se renouvelle.

tents au

fusée rouçjc, jet brusque de

cio!,

Feux

inlerniil-

blancs faisceaux, apparition instanlanée, nuit.

Tout

la

cela a quelque chose de fantas-

tique. Suis-je éveillé?

jeu fantomatique

est-ce

un rèvc

?

un

?

Mais je ne puis songer sans frémir aux

hommes

risques que courent ces vont, dans

nuit, à la

la

Une soupape

merci d'un moteur.

qui grippe, un culbuteur qui

casse et c'est l'atterrissage dans

en pleine obscurité. Quel

La

terre approche, les

cœur

campagne

la

terrifiant

drame!

deux passagers,

le

serré d'angoisse, s'efforcent de percer

les ténèbres,

eux...

qui s'en

de distinguer quel sol est sous

Matelots

tempête sur

tragiques

qu'emporte

la

les récifs!

Est-ce un pré? est-ce un bois, un village,

un

taillis?

Soudain salut

Est-ce les

la

vie? est-ce

roues touchent

mort

la

et

!

c'est

le

ou l'écrasement... Les bois se rompent

en craquant, l'appareil se

brise...

être l'incendie... qui jettera sur la

et

peut-

campagne


AU CIEL DE VERDUN

120

une

sinistre lueur;

mée monte

un lourd panache de

et d'affreuses

fu-

odeurs de chairs

brûlées se répandent.

connu quelques-uns de ces nocturnes

J'ai

hommes jeunes

errants,

et forts. Ils partaient

pour leurs périlleuses missions, joyeux,

aux

plaisanterie

la

le

lèvres,

visage et

sans

jamais laisser transpirer quoi que ce soit de leur angoisse intime. Soldats de France, gais

dans l'épreuve.

Devoir

Leur

et gaîté. Ils

ne savaient que cela.

gaîté, je n'ai pas à la peindre, claire et

franche

comme un

Mais, je veux

ici,

vin blanc de nos coteaux.

en contant l'exploit d'un

de leurs équipages, montrer ce qu'était pour

eux

devoir.

le

Ils

avaient reçu la mission de s'en aller

jeter des

dont

le

bombes

nom

sur

telle

gare importante

m'est échappé. Le départ s'effec-

tua sans incident. Tout alla bien au début. L'objectif déjà était en

vue, lorsque, pour

une cause inconnue, des vapeurs toxiques


AU CIEL DE VERDUN

121

émanèrenl des bombes spéciales. Les passagers en furent rapidement incommodés.

— Qu'y

hurla

a-t-il ?

dans

pilote,

le

le

vent.

— Les bombes,

lui fut-il

répondu.

continuèrent leur route.

Ils

facile

Quoi de plus

pour eux que de se débarrasser des

dangereux?

projectiles

Un

mouvoir

levier à

par deux mille mètres.

et tout s'en allait

Ils

songèrent à cela.

Mais quoi! L'objectif

bombes

les

était loin

frapperaient au hasard.

sion ne s'accomplirait pas.

aucun

encore et

prix.

La mis-

Non, pas

Haletant, étouffant,

ils

cela, à

conti-

nuèrent. L'objectif approchait, brouillait.

sur

le

levier,

la

œuvre. Mais

s'en les

Dans

d'altitude,

ils

main crispée

bombardier attendait tou-

le

bombes

forces...

défaillaient;

le levier

joua,

accomplir

leur

Enfin l'instant vint,

jours les

Ils

mais leur vue se

allèrent

passagers étaient à bout de

la nuit,

par deux mille mètres

s'évanouirent.


AU CIEL DE VERDUN

122

Qu'advinl-il

alors

de

l'appareil

livré

à

lui-même? Quelles acrobaties fantastiques accomplit-il ? Je ne le sais, mais, ce dont je suis certain, c'est qu'elles furent étonnantes.

Ah! certes, si quelque projecteur à ce moment éclaira l'avion, plus d'un Boche dut être surpris d'un tel pilotage.

Etonnez-vous, Boches, et demandez-vous

surhomme conduit

quel

l'avion. Mais,

pour

moi, ce dont je suis anxieux, c'est de savoir si les

passagers paieront ou non de leur vie

leur geste héroïque. Ils

ne Font pas payé.

d'heure

après,

Quelques quarts

l'appareil atterrit heureuse-

ment. Mais aucun des passagers ne put de

lui-même mettre pied à pita.

terre.

On

Personne ne bougeait dans

Les passagers

étaient-ils

morts? Rien de

cela,

la

se préci-

carlingue.

donc blessés ou

Dieu merci! mais

le

bombardier toujours évanoui, ou mal revenu, et le

pilote encore bien faible.

Tous deux,

soignés aussitôt, se remirent peu à peu.

Combien de temps

avait duré l'évanouis-

sement du pilote? Nul ne

le sait.

Quand

il


AU CIEL DE VERDUN revint à

de

vol,

lui,

123

l'appareil se trouvait en ligne

descendu seulement de plusieurs cen-

taines de mètres...

Le

pilote,

incomplètement

revenu, réussit à force d'énergie à gagner le terrain

:

mission remplie.

Ceci s'est passé au siège de Verdun, par

une ont

belle nuit de printemps...

su

étonné,

l'exploit.

tant

Personne

l'héroïsme à

bataille était la règle.

Peu de gens ne

cette

s'en

est

fabuleuse


Je regarde

de rouler sur et

décoller la piste,

un Farman.

Il

de lourdeur, ainsi qu'un albatros se

nant au

de sa

sol,

que je

légèreté à

vient

avec tant de gaucherie traî-

suis étonné, maintenant,

s'enlever.

franchit la

Il

crête

Soudain,

sans doute? pas...,

il

tical...,

voilà qui ballotte

le

Il

il

Oh!

penche...

penche encore tombe. C'est

souris frappée en plein

;

il

:

un remous,

il

ne se rétablit

est

presque ver-

comme une vol...,

chauve-

instantané.

J'entends un craquement... L'avion n'est plus qu'un tas informe de toile et de mor-

ceaux qu'on

de

bois,

dirait

si

menus,

si

enchevêtrés

un jeu de jonchels.

Cet appel de l'avion qui meurt, combien de

fois l'ai-je

empli

entendu? Combien de

mon âme

Je regarde

;

fois a-t-il

d'angoisse et d'horreur? rien ne

bouge dans

le

tas

;


AU CIEL DE VERDUN nulle tête ne surgit...

Je vois des carcasse...

De

hommes

125

tous côtés on court.

s'agiter autour de la

Des brancardiers

s'approchent...

Je ne distingue plus qu'une foule immobile.

Et

puis

c'est

s'égrène sur

la

procession,

lente

le terrain,

qui

des brancards suivis

des chefs, des amis et des curieux.

Les passagers? Blessés légers, qui guériront pour une nouvelle occasion de mort;

agonisants ou morts, qui mourront ou sont morts, loin de leur pays, loin de leurs affections...

Un

jour aussi, sans doute, je serai

la

loque

sanglante qu'on s'en va brimbalant, avec,

aux si

lèvres,

j'ai

un

servi!..

celui qui

pli

de

pitié...

Le bonheur

met son corps

et

vice d'une juste cause?...

Et qu'importe, n'est-il

pas

à

son âme au ser-


C'est l'heure du déjeuner; je pénètre dans la

tente-salle

à manger.

Et tout heureux

d'annoncer du nouveau, je lance aussitôt

Mon

capitaine, je

viens

que peut-être nous allons avoir à

bombardements de

nuit...

:

d'apprendre faire

des

C'est ça qui va

être intéressant...

Mais

la

nouvelle n'obtient pas du tout le

succès que j'en attendais...

— Vous m'est-il

ne savez pas ce que vous dites,

répondu sèchement;

fera jamais de

bombardement de

nuit.

Et au bout d'un instant de silence

— Les bombardements, Tout cela

est dit

du

ne

l'escadrille

:

reste,

.

.

avec une conviction

.

tel-

lement farouche, que j'estime n'avoir pas

mieux à

faire

nous asseyons

que de ne pas et le repas

insister.

commence...

Nous


AU CIEL DE VERDUN

Tout en mangeant,

un motif à dont

l'étrange réponse

elle a été

2'J

cherche à découvrir

je

Étrange ? oui, vraiment, taire

1

et

par

du capitaine. le

ton autori-

prononcée, et par

l'opi-

nion qu'elle enferme. Les bombardements ne sont-ils

pas une

Ne

utilité certaine,

au point de vue mi-

Ne

litaire?

haut

pas de règle?

lieu,

leur connaît-on

s'occupe-t-on pas sans cesse, en

de perfectionner

avions destinés^

les

à leur exécution?... Alors?

Je regarde

le

capitaine

ma malheureuse montre

comme

soucieux,

silencieux depuis

:

annonce.

Son visage

soutirant.

cette question des

Mon

le

Dieu!

bombardements

le

touche! Mais pourquoi donc?

La conversation que j'eus Dégart

Une

me

l'autre jour avec

revient à la mémoire.

intime souffrance, avions-nous conclu.

L'aurai-je involontairement avivée par

mes

paroles?

.

Voilà une opi-

nion rien moins qu'indiscutable. Elle

s'expliquerait

peut-être,

dans

la


AU

128

bouche du choses...

CIEL DE

VERDUN

capitaine, en supposant certaines

Mais sais-ie? j

Bien étrange

et

<»

mystérieux, en tout cas,

notre chef d'escadrille...


Boum!

boum!... Des coups sourds reten-

suivis

tissent,

d'un

long

bruissement

s'achève en un faible éclatement.

des fusées, un soir de feu

Ce ne

sont pas des fusées

;

qui

dirait

d'artifice.

mais des obus; je connais bien batteries contre avions

On

qui partent,

voix des

la

les voilà qui tirent.

Je sors, car elles annoncent une prochaine visite, et je tiens

Dans

à voir venir les visiteurs.

ciel,

le

un peu partout,

flottent

de minuscules boules blanches, lotus sur l'eau

du Levant. Au

rose

milieu, les avions boches,

toutes petites formes noires, presque invisibles

!

Ils

foncent droit sur nous, mais cela,

moment, ne nous inquiète guère; comment un engin dangereux nous vienpour

le

drait-il

de

si

misérables insectes?

Pendant que je

suis,

le

nez en

l'air,

à

regarder, une grande agitation naît au terrain;

on court de tous

AU CIEL DE TERDU>-

côtés.

Que

se passe-


AU CIEL DE VERDUN

l30

Tout simplement que des chasseurs

t-il?

partent à la chasse...

Rran!

rran!... voilà les

moteurs en action

et les avions qui roulent et qui s'envolent.

Arriveront-ils à

bat

avec

temps pour engager

le

com-

ennemie? Peut-être,

l'escadrille

mais rien n'est moins

Car

sûr.

celle-ci,

de

toute évidence, ne s'en va pas baguenauder.

a passé

Elle

Mihiel; elle

les

vers Saint-

lignes,

sur l'Argonne, coupant, à

file

toute vitesse, suivant la corde, l'arc du sail-

verdunois.

lant

ses

bombes,

Parthes...

et

Au

passage,

Des barbares, ceux-là

Les batteries

aussi.

tirent toujours et fleurissent

sans cesse les plaines de

Les

approchent.

lâchera

elle

au revoir. Vraie tactique de

l'air.

Nieuports

Les Boches en

tournant

montent. "

Les Boches enfin atteignent au zénith.

Attention! les bombes, c'est

En

bruissement

faible.

le projectile?

La menace

moment.

une; j'entends dans

voici

tomber

le

Il

l'air

grandit. Aïe!

un va

C'est toute la question...

bruit toujours!... Elle s'éternise.


AU CIEL DE VERDUN

idl

Mais arrive donc, bombe de malheur!... Le bruissement grandit encore... Aïe

Rran

ainsi.

inconnu

explose

mouches. Et

les

sifflent,

mieux

bombe

La

!

Pour

.

c'est

!

Des

î

est troublant; ici le point

poum!...

partout dans

la

des éclatements

de chute. parfait.

un peu

campagne.

Crottez! Crottez! sales oiseaux. et ce sera justice,

chasseur

C'est

les esprits curieux, tout

Personne n'est touché!... C'est

Poum

éclats

fini.

Un

jour,

viendront pour vous

et la punition...

Les avions allemands se perdent dans clarté lointaine, vers l'ouest...

montent toujours Mais que isolé!

le

fait,

:

la

Les Nieuports

en vain, c'est évident.

au-dessus de nous, ce Boche

perdreau retardataire, loin de sa com-

pagnie?... Je ne sais pas, mais je sais bien

que voilà pour Il

est déjà

lui

une situation fâcheuse.

aux prises avec nos Nieuports.

Cela devient intéressant... sa

marche

c'est

une

livrent en

rectiligne; loi

il

Il

a

abandonné

descend en spirale;

des combats d'avion, qu'ils se

un tournoiement perpétuel.


AU CIEL DE VERDUN

l32

Des Nieuporis manœuvrent Clac, clac, clac

Amis

et

!...

tout autour.

Les mitrailleuses donnent.

ennemis s'approchent, se croisent,

Nous ne com-

s'entremêlent et s'éloignent.

prenons rien au guons-nous

le

A

combat.

peine

Boche des nôtres

;

distinet

pour

bernique! Nous attendons,

savoir qui

tire,

fortement

angoissés,

le

dénouement. Qui

tombera? Clac, clac, clac!...

mitrail-

Soudain, l'un des nôtres

reprend.

leuses

Le chant des

tombe. Touché? Nous suivons, angoissés, sa

chute.

Ouf!

redresse.

de

Enrayage rupture

Perdu? non! Le

du

c'est

un

poids

mitrailleuse,

combat,

voilà

pour

qui

se

de moins.

sans doute,

et

permettre

la

remise en état de l'arme... Clac, clac!

La danse

reprend...

Mais voici du nouveau. Le Boche descend droit,

clair

en vol normal, mais

pour tout

combat,

il

le

si vite qu'il

est

monde qu'abandonnant

s'apprête à atterrir.

le

Les Nieu-

poris l'escortent. Les mitrailleuses se sont tues.


AU CIEL DE VERDUN

Le Boche descend un bois, vers

derrière

l33

toujours.

Il

disparaît

Souilly; après lui les

Nieuports. Victoire

Tiens!

!

fumée ne monte

Nulle

campagne. Le Boche

aurait-il été

d'incendier son appareil? Si on

dans

la

empêché voir!

allait

Vite une voiture, et en route à toute vitesse.

Allons à Souilly;

là,

nous demanderons des

renseicjnements. Souilly est

à huit kilomètres.

n'est pas long.

En

des routes, avant

vons

une

devant

le

imposante terrain

le

sommes pas

les

Le

trajet

arrivant au croisement village,

rangée

nous apercede

d'aviation;

voitures

nous

ne

premiers curieux à venir.

Le Boche aurait-il atterri sur le terrain? Ce serait amusant. Nous nous en enquérons. Oui, l'Allemand a fait ainsi... fort prudemment dans la campagne, un atterrissage :

est toujours scabreux!...

Pied

à

devant

les

terre.

L'appareil

ennemi

est

hangars, fraternellement mélangé


AU CIEL DE VERDUN

1^54

avec

nos

absolument être?

Impossible pour

le feu

:

une

lui

il

de

y

et

la cuisse.

à

quitter,

par

terre,

d'y

suite

en a du moins jugé

Tant mieux, car l'appareil

modèle

dans

balle

impossible

carlingue;

mettre

est

il

l'explique.

bat, le pilote a reçu

la

:

Gomment cela peutr-il Au cours du com-

intact.

On me

m'approche

Je

avions.

ainsi.

du plus récent

est

à examiner.

fort intéressant

Il

a foule déjà tout autour. J'augmente la

foulé.

Mâtin

!

quelle construction.

bien, les Boches.

Ils

Beau moteur,

buste et soignée, fuselage

se mettent cellule ro-

en superbe

fin,

contre-plaqué. Quant aux tourelles des passagers,

très

confortables,

coussins

de

surtout,

armes

cents

luxueuses,

de

instruments

cuir,

cartouches

très

merveilleuses,

ruban

au

avec

de

prix

;

cinq

chacune

d'elles.

Je ne puis

m'empêcher

d'établir la

paraison avec nos appareils

:

com-

pas favorable,

non, vraiment. Entre ces outils et nos Gaudrons,

il

y a toute

la

différence

existant


AU CIEL DE VERDUN

1

35

entre une auto de luxe, une Rolls Royce,

par exemple, et un camion... J'aime

mieux m'en

aller,

plus avant l'inspection. Cela

par trop...

sans pousser

me

dégoûterait


Je suis en train de me promener avec mon chef d'escadrille... Un officier s'approche de nous. Gomment allez-vous, mon capitaine?

dit-il

en saluant.

Le capitaine

— vous

— J'ai

le

considère

:

Vous, R...? Je suis bien content de voir.

Du

Mais d'où diable sortez-vous? centre de

bombardement de

N...

une permission de quelques jours, je me

promène. Et

la

je suis

conversation va son train. Puisque là,

je n'ai pas

mieux

à faire

que de

l'écouter. Elle m'intéresse d'ailleurs, car, de fil

en

aiguille, R...

en est venu à parler des

opérations de son escadrille. Chaque nuit

sans nuage, un bombardement. Personnelle-

ment

il

est allé

marmiter toutes

les

gares et

tous les bivouacs de l'Est allemand.

Il

est


AU CIKL UE VRRDUN

de nous raconter ses expéditions, et

ravi

comme il

iS'J

il

jeune et que

est

le

temps

est beau,

souvent.

rit

Quant au bardement

capitaine, sitôt le j»

qu'il

ne

qu'il

me

oi

bom-

un sourire d'une infinie aux coins tombants. Je remarque

venu à ses tristesse,

mot

prononcé, un amer sourire est

lèvres,

suit plus le récit

paraît,

de R... mais, à ce

une douloureuse songerie.

Brusquement,

il

— Dites-moi

connaissez-vous

!

interrompt

R...

de

la ville

Thiaucourt?

Si je connais

bien, c'est

par notre lâchées foi.

une des

Thiaucourt? Ah! villes les plus

escadrille.

sur

La gare

la

gare.

est

je crois

fréquentées

Que de bombes

j'ai

Du beau

ma

travail,

entièrement démolie. Les

maisons avoisinantes

— alors

dans

Au

aussi...

Les maisons avoisinantes... Ahl le la

capitaine voix,

que

avec une

telle

fait

émotion

R..., interloqué, se tait.

bout d'un instant de silence,

la

conver-

sation reprend entre R... et moi, et va tant

bien que mal. Le capitaine, jusqu'à

la

fin.


AU CIEL DE VERDUN

l38

demeure sombre

comprend

silencieux. R..., qui ne

et

rien à cette attitude, a

de catastrophe.

Il

prend congé

un visage

le

plus tôt

qu'il le peut.

L'incident m'a

bardé

:

frappé. Thiaucourt

que diable cela

bom-

peut-il faire au capi-

j

|

taine ? |

A Il

moins

me

que...

vient

\

une

idée...

Mais l'homme

courtois n'interroge jamais. Je rentre sans Il

mot

me

tais

et

dire.

plaira peut-être

un jour

nous confier sa peine.

à notre chef de

i


Le

front n'a pas

On

bougé depuis

La vague allemande

d'août.

les

combats

n'a plus gagné.

sent sur le point de refluer. L'avenir

la

se présente sous

un jour favorable; tous

les

espoirs sont permis.

Mais

Thiaumont,

sont aux mains

Vaux

Douaumont

et

des ennemis, et

Souville

toujours serré de près. La place pour l'instant est hors d'afl'aire. Ses défenses profon-

dément entamées, à

la

Nous songions venait c'était

quoi

n'en reste pas moins

merci d'un coup de main.

moi, quand

qu'il

elle

à cela,

un

soir,

capitaine nous

de recevoir un

pli

fît

faisait

Dégart

et

appeler.

Il

confidentiel

pour nous en apprendre

nous il

le

prier. Voici

le

et

contenu

au juste de

s'agissait.

L'armée

de

Verdun,

abandonnant

son

attitude défensive, allait procéder dans quel-


AU CIEL DE VERDLfN

l4o

ques jours à une attaque de grand

style.

Les

Thiaumont, Vaux, Douau-

objectifs seraient

npont.

Un morceau les

ma

d'importance,

foi, et

que

Boches n'avaient avalé qu'après de durs

et longs

combats.

La nouvelle nous emplit de les rôles

changeaient, et c'était

les initiatives

de l'ennemi.

A

joie. Enfin, fini

de subir

notre tour de

mener la bataille. Dieu merci Pour préparer et appuyer l'attaque, l'armée 1

d'une formidable

disposerait

artillerie.

En

ce qui nous regardait, nous serions chargés

de réglages lointains des canons de côte et

de

marine.

Besogne

périlleuse,

son

car

accomplissement nous entraînera dans

les

zones

les

éloignées, très

fréquentées

par

chasseurs ennemis, mais besogne d'honneur et qui n'était faire

se

pas pour nous déplaire. L'af-

présentait

attendîmes

avec

heureusement.

impatience

Nous

l'heure

de

l'exécution.

Nos canons

arrivèrent

quelques jours


AU CIEL DE VERDUN

empressâmes de

après. Aussitôt, nous nous faire

connaissance des

la

batteries

:

marins

officiers

pour nous un agrément

Les méthodes de vateur

aérien

pied, sans

ainsi; j'en

ai

la

connu de

un

il

sur

difficulté.

n'en est pas

réfractaires à toute

ou retardataires. Les liaisons furent

cette fois.

plaisir.

J'eus

beau

ciel

:

canons de gros

monstres d'acier qui dressaient au

de longues

voix

de

d'approcher

l'occasion

alors

et puissant matériel

calibre,

la

tel,

mises

moindre

artilleurs,

entente, esprits méfiants

Rien de

profit.

aisément

furent

les

un

et

commerce

le

en liaison avec obser-

tir

que survînt

Avec tous

de ces

de côte, gens

et artilleurs

fort distingués et courtois, dont fut

l4l

faisait

et pesantes volées, et

vibrer

la

plaine.

étaient sur les rails, hauts

comme

des

chevaux

sous leurs couvertures,

Au

ils

wagons bâchés,

fatigués, la

dont

repos,

tète

immobiles basse.

Les

canonniers nous les présentaient avec orgueil ils

nous

faisaient

admirer

pièces, culasses, freins,

les

;

difiérentes

glissières,

tout

un


AU CIEL DE VERDUN

ll^2

acier

brillant,

énorme,

les

et

mécanismes

qui jouaient avec des claquements...

La préparation mencer nous J-31

1

jour-là,

activité

jour,

cause du

demeurer mauvais.

s'obstinait à

vint le 2

com-

Ah! que

impatiemment ce

fut retardé plusieurs fois, à

II

temps qui Il

devait

trois jours avant l'attaque.

l'attendîmes

Ce

d'artillerie

octobre.

dès

matin,

le

régna au terrain.

Il

y

une intense avait à cette

époque, au centre de

L...,

d'observation

de chasse.

et trois

imaginer quel vacarme

et

cinq escadrilles

On

peut

quelle agitation

c'étaient

aux alentours des hangars. Quel

incessant

mouvement

sur

la piste.

Envols

et


AU CIEL DE VERDUN

1^3

atterrissages se succédaient sans

interrup-

tion.

A

trouilles les

heures,

certaines

uns

des

autres,

comme un

Ils

pa-

les

de chasse. Six Nieuports, à

vaste ronflement. lière,

partaient

la suite

un

dans

décollaient

allaient en théorie régu-

vol de canards.

Plus personnels, les Farmans et les Cau-

drons

prenaient

On

désordre.

l'air,

dans un

voyait,

les

admirable s'éloigner

isolés,

vers les lignes.

Le temps ciel

était

limpide

tinguer,

comme un

durant

rose

toile

merveilleusement beau,

de

la

cristal

;

on put

dis-

journée entière, sur

l'horizon,

le

la

un tournoiement

pressé de moucherons. Tout autour éclosait

sans

cesse

une multitude de

fleurs

blanches... Parfois,

rayon

de

polie; Il

soleil

un avion

fallait

frappait étincelait

il

minuscules

arrivait

quelque au

qu'un

surface

loin.

naturellement beaucoup voler,

et

tant de choses à faire entre les vols. Télé-

phoner, je n'ai jamais autant téléphoné qu'alors, et prévenir, renseigner,

convenir, don-


AU CIEL DE VERDUN

l44

ner des ordres, organiser. L'on n'avait pas

une minute à

et c'est à peine

soi,

l'on

si

trouvait

un instant pour casser une croûte

frugale

dans

nuit,

port,

il

y

les

la

journée.

Quand

venait la

avait les

comptes rendus,

liaisons

en automobile, par

rap-

le

les

routes encombrées, phares éteints, l'étude

des photographies, l'établissement des pro-

grammes, pour

le

travail

du lendemain.

L'on se couchait tard, fatigué,

la tête

bour-

donnante de trop de ronflements de moteurs, mais

le

cœur

satisfait.

Pour moi, j'aime ces journées qui précèdent

les

grandes attaques, journées d'activité

fiévreuse où l'on se sent tout vibrant d'ar-

deur

et d'espoir.

Les 22

et

2.3

octobre furent de

telles

journées...

Aux

lignes,

peu de combats pour nous.

Les chasseurs remplirent merveilleusement leur rôle de nettoyeurs de

l'air.

vraiment vide d'avions ennemis. témérité de l'un de

Le Il

ciel fut

fallut la

mes tout jeunes cama-

rades, qui s'enfonça profondément en terri-


AU CIEL DE VERDUN toire

l45

ennemi, pour donner lieu à une ren-

contre,

Mais

heureusement sans

suite fâcheuse.

nos

de

tableau

le

chasseurs

fut

impressionnant.

Et le jour de l'attaque arriva.

Ce

fut

déception!

une journée du plus mauvais temps

qu'on puisse imaginer

le

:

matin, un brouil-

lard épais enveloppait les collines de voiles

impénétrables.

Aucun

pour nous ne

travail

fut possible.

L'attaque partit et nous errions, l'âme en peine, devant les

hangars,

son-

écoutant,

geurs, le roulement lointain de la bataille, là-bas,

derrière

les

d'embrun

épaisseurs

;

nous enragions de notre impuissance... N'ayant pas mieux à

j'évoquais

faire,

bataille, j'imaginais l'assaut.

la

voyais les

Je

vagues surgir des tranchées dans l'épaisse

fumée des éclatements,

et sur le sol défoncé,

résolument, s'avancer. Des coups de feu, un

crépitement de mitrailleuses, se dissipe

côtés

;

la

le

brouillard

un peu, des formes courent de tous première

AU CIEL Vm VERDUN

ligne

est

prise

des

;

lO


AU CIEL DE VERDUN

l46 prisonniers

dépêchent

se

barrage

Collés au

devant eux

le

vers

d'artillerie,

terrain,

l'arrière.

qui nettoie

nos fantassins vont

toujours.

Par endroits, d'acharnées résistances obligent

chaîne à s'infléchir, des portions

la

Soudain alors disparaissent

s'arrêtent.

formes bondissantes;

vide

le

nouveau de ces champs

s'empare

les

à

Mais

d'horreur.

derrière l'obstacle les mailles se referment.

De

tous côtés surgissent à nouveau les fan-

tassins.

Et

comme

vague que pousse

la

se déforme au

profil

de

la

la

marée

grève, bute sur

des rochers épars, reflue, les entoure, les

submerge d'une

monte, notre attaque, menée

et

inflexible

malgré

le

volonté,

malgré

Boche, gagne sans

boue,

la

cesse...

Thiau-

Le ravin du Bazil est occupé. En avant toujours! Douaumont, Douau-

mont

est pris

!

mont!...

Ainsi je songeais et construisais la bataille

mes brumes se

selon

désirs,

lorsque tout à coup les

déchirèrent, découvrant une

cam-


AU CIEL DE VERDUN

l/j^

pagne blafarde sous un plafond de nuages qui roulaient à trois cents mètres environ

du

sol.

Un

ordre arrive

Aussitôt les terrain

:

tout le

monde en

avions de liaison quittent

terriblement ballottés par

;

irrégulier qui souffle de l'Ouest,

raissent

derrière

suivre

directe

la

les

crête.

de chance de

vent

dispa-

chaîne.

la Ils

ont peu

par un temps

livrer bataille

mais, sait-on jamais?...

j)areil,

mon

Pour

compte, je m'en vais essayer

un contrôle de

mandes de Dieu

!

la

tir

sur les batteries alle-

Woëvre.

qu'il fait

mauvais en

qu'en mer par gros temps.

Festomac

taille

de

aussi.

le

ils

le

vont à vue

Ils

progrès

Des chasseurs parlent

En

l'air.

i'air.

J'ai

C'est pis

tout de suite

brouillé.

champ de bacouvert encore de brume épaisse.

arrivant, je trouve le

Seuls les sommets apparaissent. Souville et

Douaumont émergent comme hors des embruns, dessus d'une

comme

des

récifs

des cimes, au-

mer de nuages. Canonnade


AU CIEL DE VERDUN

l48 intense,

naturellement.

L'appareil n'en est

que plus péniblement brimbalé.

La

Woëvre, heureusement,

plaine de

est

entièrement découverte. Bien qu'obligé de voler très bas, je parviens à rendre quelques

mon artillerie... ma tâche terminée,

services à Sitôt

de rentrer taille.

afin

de connaître

me dépêche

Après

bon

me

baraquement où parviennent

gnements. Combien de ainsi

bataille,

ai-je

Attaque

française,

la

ba-

comment

espoir.

je

l'atterrissage,

de

l'issue

Je brûle du désir de savoir

cela s'est passé; j'ai

le

je

fois,

dirige

vers

les rensei-

durant

la

longue

couru aux nouvelles? attaque

allemande,

la

journée durant j'entendais, l'âme anxieuse, rouler au j'allais,

loin les

comme

événements. Et

me

Hélas! bien des

soir

aujourd'hui, avec plus d'in-

quiétude et moins d'espoir, vers planches, où

le

le

carré de

serait appris l'irrévocable.

fois, j'ai

connu'la déception

ou l'appréhension; avance allemande, échec ou

demi-succès

d'attaques

amies.

Fleury

occupé, Thiaumont pris, Souville envahi...


AU CIEL DE VERDUN

1^9

Mais, aujourd'hui, c'est une compensation

de ces mauvais jours. L'officier de rensei-

gnements, entre deux coups de téléphone,

m'apprend que

les

pas dans une

atteints. Ah]! Si je n'étais

de recueillement

comme

bondirais,

Douaumont jours

et

de

travail,

est à

nous

!

je

1

Effacé pour tou-

triomphant communiqué boche, qui,

le

me

fit

tant de

:

En et

salle

comme

je crierais de joie

par un jour de froid hiver,

mal

sont partout

objectifs

présence de

la

Sa Majesté l'Empereur

Boij nos troupes ont

progrès

et,

dans une ruée

sont emparées

Ah

1

je

idéalisé

me

d'importants

irrésistible, elles se

du fort cuirassé de Douaumont. rappelle bien ces phrases dou-

loureuses, et leur souvenir accroît mainte-

nant

ma joie. Et Thiaumont

!

et les ravins

des

Fontaines et du Bazil, les bois Fumin, de

Vaux-Chapitre

et

de La Caillette! Ces posi-

tions qu'assaillirent durant des tiples corps allemands,

en quelques heures.

mois de mul-

emportées d'un coup

A

nous, bien à nous.

Et Verdun définitivement sauvé du barbare.


AU CIEL DE VERDUN

l5o

Que je Car

suis

heureux

!

Verdun,

je t'aime,

murs, les mai-

les

sons écroulées, tes collines meurtries,

un père son donné

mon

et

gloire,

la

un père son

sortir

de

X...

visage

me

;

ma peine, je

peu que

t'aime,

la

Un

dit

:

cher, j'ai sur-

à cinquante mètres!...

Les coloniaux se promenaient sur chez eux.

mon

large sourire éclaire son

en passant

Douaumont,

comme me voyant

comme

baraque, je rencontre

— A cinquante mètres, mon le

si

ta délivrance.

camarade il

Verdun,

enfant, et je sens aujourd'hui

profondément

de

Et

tes souffrances,

souffert de

ce soit le fruit de

volé

pas

loi, n'ai-je

mon sang?

un peu de

travail,

partagé les angoisses?

Au

pour

moi-même, ma jeunesse

pas durement besogné pour l'élever

n'ai-je

dans

enfant. Et

meilleur de

le

comme

Ils

le

fort

agitaient les bras en

et ils faisaient

de grands gestes

joie... Il

était

dans

le

ravissement,

geux camarade. Et comment

mon le

coura-

messager


AU CIEL DE VERDUN d'une

si

magnifique victoire

1

pu

aurait-il

5

[

n'a-

voir pas l'âme en fête?

A

la

nuit,

renseignements

des

salle

la

Par une chance inespérée, nous

s'emplit.

n'avions au centre aucune perte à déplorer...

La

On

plus grande joie régnait.

riait

et,

causait,

de temps en temps, on

grand plan directeur voir tricolore qu'une

main

au polygone du

fort.

le

allait

on au

drapeau

petit

pieuse avait épingle

L'on se racontait

les

la

journée, on commentait les

mon

vieux, j'ai mitraillé les ser-

aventures de

événements.

— Moi,

vants d'une batterie

boche. Ah!

si

tu les

avais vus courir!

— Six mille prisonniers — pu distinguer à J'ai

blement ennemi,

un rouleau de

j'ai

Épatant

!

terre

!

un rassem-

piqué et vidé sur

lui

mitrailleuse...

Huit mois!

Les Boches avaient mis

huit mois à nous enlever la zone!...

Sans cesse revenait de

Douaumont,

dont

le la

nom

prestigieux

sonorité

mettait,


AU CIEL DE VERDUN

l52

/

dans

les conversations,

comme un

roulement

de canon. Douaumont! Douaumont! J'ai

connu ce

soir-là

l'enivrement de

la

victoire.

Le lendemain parvinrent l'attaque, le

les

détails

de

exact des prisonniers,

chiffre

celui des mitrailleuses et des canons pris à

l'ennemi.

Tous

les

renseignements intéres-

sants étaient consignés par écrit et affichés aussitôt.

mon

L'un de ceux-ci

attention. C'était le

divisions d'attaque

De

tels

de suite

compte rendu des la

journée du

2l\.

comptes rendus sont présentés de

façon suivante

la

pour

attira tout

:

deux colonnes; dans

l'une ce qui a trait à l'activité de l'infanterie

française; dans l'autre ce qui a trait à celle

de l'infanterie ennemie.

comment était rédigé qui prit Douaumont

Or, voici division

celui de la

:

ACTIVITÉ DES INFANTERIES Française A

l'heure

se porte à

prescrite,

l'attaque

objectifs prescrits.

et

Allemande

:

l'infaDterie atteint

les

Kulle.

:


AU CIEL DE VERDUN

1

53

N'esl-elle pas d'une sublime élégance, la

rédaction n'est-elle fait

de

ce

bulletin

de victoire? Et

pas aussi d'une éloquence tout à

rassurante?

Vous qui doutez,

si

tant est

que vous

existiez, lisez ces quelques phrases et mé-

ditez leur signification.


L'appareil s'enlève et tout aussitôt vien-

nent

s'asseoir

à

mes

voilées... Je sais bien

côtés

la

mon chemin,

j'ai

:

mes

l'air!

souvent rencontré

première, avant que de connaître l'avion,

avant

même que

c'est surtout depuis

tion «

Bien

Elle

»

fjue

Mais

!

mon. passage dans

les

longtemps je Ses

voiles...

flottants

l'avia-

ma

de noir.

son visages

vous distinguez ses yeux, je sens bien

que

je

vciuk^ au monde... mais

l'ignorai et

» traits

moi souvent,

])lis

Ce regard,

porte depuis

ses

en yuerre

est entièrement voilée

sous

fixés sur moi.

((

d'être

que son voisinage m'est fréquent.

soit àpein(^ visible,

le

formes

qui elles sont

coutumières compagnes de

Sur

deux

voulus l'ignorer...

vous échappent; mais pour

la noire compagne a Que mes yeux alors

soulevé ont-ils


AU CIEL DE VKRDUN VU?...

ne

Je,

puis-je l'exprimer.

ma

d'avoir senti

au juste; encore moins

sais

le

me

Il

souvient seulement

chair frémir tout entière et

mon âme.

l'épouvante envahir

visage, et qu'elle cesse,

tremblé

terrible vision!

hi

dû longuement

J'ai

J'ai

de moi, loin de moi ce

Loin

(l'horreur...

1^5

contempler ce que

j'eus désiré n'entrevoir jamais...

A

chaque

fois

que

prends

je

forme noire se dresse

mes

à

l'air,

cotés.

la

Elle

pose sur moi son froid regard. Regard singulièrement

doute par

n'est

(jui

soucieux que de

avons

fait

que

une

la vie,

il

occupé

futilités.

fois

croyons

fice et

insupportable

troublant,

Mais

pour toutes a

qu'il y

est enlin

de

(pie

à

sans

plaisir (M

nous,

(pii

l'entier sacri-

mieux

donné de

et meilleur le suj)p()rter

sans faiblesse?... Qu'avons-nous à craindre et qu'avons-nous à perdre?

Bien

plus,

parce

grande misère, cette

la

compagiu; a

comme

(pie

nous

savons

(jrande pitié de iini

la

la

vie,

par nous apparaître

mw. libératrice, presque désirable.


l56

AU CIEL DE VERDUN

Sa hideuse

étreinte

nous répugne tout au-

tant qu'autrefois, mais elle n'est, après tout,

qu'un instant d'horreur,

et

qu'une grande

espérance adoucit.

La première de mes compagnes

est

main-

de

noir.

tenant une amie...

La deuxième

vêtue

aussi

est

Mais son visage sans voile

est d'une beauté

merveilleuse.

Quand, pour donné de

cœur un

le

la

première

contempler,

froid mortel.

fois,

j'ai

Car ses

m'a

il

senti à traits

été

mon

super-

bes n'expriment rien; car ses yeux magnifiques ont un regard sans vie, tout à fait

impassible. Car ses chairs aux formes parfaites

sont d'une

immobilité,

d'une blan-

cheur effrayantes. Soudain,

mon âme

devant s'est

ce

visage

troublée.

aiguë de néant m'a pris à instant.

D'un coup,

retrancher

et

ma

Une

se

sensation

la gorge...

l'univers

vie

de marbre,

Affreux

m'a paru se

mettre à battre

dans un vide immense. Seul,

je

me

suis


AU CIEL DE VERDUN trouvé seul, avec moi-même. telle

167

Oh

la

!

mor-

épouvante...

L'isolement,

épreuves

pour

l'abandon.

nos

L'épreuve

pauvres

des

âmes trem-

blantes de misère, de faiblesse et de peur, et

désireuses avant tout de soutien; pour nos

La

pauvres âmes assoiffées d'amour.

prême angoisse,

je l'ai goûtée...

su-

Mais non

en vain, car ne pouvant porter son poids, il

m'a

fallu,

dans

chercher une Ainsi par celui

mon

la

main, je fus

qui n'abandonne jamais

service inestimable

pagne, je l'aime

« l'air,

isolement des hommes,

aide...

conduit vers

que m'a rendu

comme une

pour

et

le

ma com-

amie...

De mes coutumières compagnes de l'une est la Mort, l'autre, la Solitude... d


Zut!

j'ai

aujourd'hui

tiré

ami. Dieu merci! je suis pas

moins

manqué. Je n'en

l'ai

agité d'un

vague remords...

Si je l'avais descendu, tout de

Mais pilote

de piquer sur

tir d'efficacité.

mon

goler sur moi.

me

Je

Or

quelqu'un,

deux

traits,

d'autre.

plans

donc eu

appareil,

le

comme

il

observer paisiblement un par habi-

retourne,

tuelle prudence... Je vois

sur

même!

aussi, quelle sotte idée a

fait? J'étais à

l'a

un avion

sur

un biplan dégrin-

un biplan qui dégringole

c'est,

pour

une tache

ce

quelqu'un,

centrale;

et

rien

Ni croix, ni cocarde, puisque

les

de

un

se

présentent

c'est

profil;

ennemi, par définition.

Tant pis pour

le

chasseur qui s'entraîne,

sans prévenir, sur les avions amis c'est clair...

N'empêche!

si

!

Tant pis

!

j'avais abattu le

mien, j'en aurais été rudement navré.


Un

soir,

sommes

autour de

la

Dégart

capitaine,

le

assis

à

table

la

même

moi,

et

commune,

serrés

lampe. Le capitaine

lit,

mais sans conviction. Je sens sa pensée très loin des

Dégart

pages que, des yeux,

écrit;

parcourt.

il

de temps en temps,

il

jette

un

regard plein de joie sur une photographie qu'il a placée

devant

lui.

Et moi, je songe à des automnes passés; à des veillées familiales, auprès des grands

feux clairs; quand

moi,

la

vie

j'étais

enfant et que, sur

pas

n'avait

encore

posé

sa

grande désespérance...

Temps

lointains,

lointains...

Alors,

heures coulaient heureuses et calmes, les

les

comme

eaux d'un beau fleuve dans de tranquilles

plaines;

et

nulle

angoisse, nulle horreur,

n'étreignait les cœurs...

Je

songe à des

veillées

d'autrefois...

Je


AU CIEL DE VERDUN

l6o

regardais danser les flammes et nulle vision

de guerre ne venait assombrir

mon

rêve...

Mais j'évoquais ces autres flammes, dont

douce chaleur met à nos âmes

le

la

bonheur,

et qui sont les vraies aff*ections.

Jours paisibles, jours heureux, qui vous

perdez dans

grisailles

les

pour

drez-Vbus meurtrie et

moi

vieillie,

du passé, revien-

Hélas

?

mon

!

âme,

ne saura plus goûter vos

joies...

Dégart

s'est

regard sur

la

arrêté

d'écrire.

Il

sourit, le

photographie. Et puis, parce

qu'on a besoin de partager un bonheur

que

je suis

un ami,

— Regarde! Je vois

et

me la tend. mon fils.

il

c'est

un gras poupon, qui

fixe sur

de grands yeux étonnés; une tête trouée de deux ronds

clairs,

moi

joufflue,

en équilibre

sur l'informe blancheur d'amples robes.

— Un bel

enfant,

ma

foi; je t'en fais

mes

compliments.

Le capitaine, à ces mots, abandonne sa lecture.

Il

s'approche,

il

regarde sans mot


AU CIEL DE VERDUN Puis

dire.

dans sa tunique, en

fouille

il

une photographie.

extrait

— Et moi

l6l

un

aussi, j'ai

nous

Il

fils,

nous

Et après un instant de silence

— Je ne

l'ai

jamais

Nous écoutons, la dire.

sans

Et ce sera

la

vu...

émotionnés,

très

fini

la

capi-

le

va nous

il

de vivre à côté

Oh!

savoir...

dit-il.

:

grande souffrance,

taine. Enfin, sa

montre.

la

d'elle,

crainte de raviver

involontairement une plaie mal connue...

Le capitaine reprend. Sa voix

est lourde

d'une immense douleur.

— Je

ne

l'ai

jamais vu

et je

ne

le

verrai

peut-être jamais, parce qu'il est né en pays

envahi, après

mon

départ,

et

qu'il

encore avec sa mère. Parce que

la

y est maison

qui les abrite est située tout près d'une im-

portante gare, souvent bombardée, souvent...

Dernièrement encore, Lafont, j'en avais

la

preuve... Il

me

souvient de

pilote de l'escadrille

la

conversation avec

de bombardement.

— Thiaucourt, — Oui, Thiaucourt.

fais-je.

AU

CIEI.

DE YKRDU>

II

le


AU CIEL DE VERDUN

102

Le capitaine se tait un inslant, puis violemment Comprenez-vous maintenant que je la :

cette

déteste, pris,

mon

atroce guerre, qui

épouse

et

mon

ture, sans cesse, avec la

rendre jamais à

mon

fils,

m'a tout

et qui

me

tor-

menace de ne

amour?...

Ah

les

oui, je la

déteste, la guerre...

se

Il

cette

tait...

et

nous ne savons que dire à

grande douleur,

à cette

grande

colère...

Quelques minutes passent, silencieuses.

Le

capitaine, le regard fixe, les traits con-

tractés, laisse en son

âme rouler, je

le

de tumultueux sentiments... Et puis,

par l'explosion

dégonflé

de

reprend lentement, d'une résignée

— Je

voix

le

cœur

haine,

il

tristement

:

la déteste,

parce que je

Vous vous puni

et

devoir; je

lui

un peu plus qu'un autre,

dois plus de mal

de tout votre

battez

cœur, parce soit

sa

devine,

qu'il est juste

que

le

voleur

que l'agresseur

restitue... C'est le

l'accomplis aussi; mais vous

le


AU CIEL DE VERDUN parez de

la

cfaîté

et

l63

de l'entrain d'une jeu-

nesse qui n'a pas rencontré

malheur... Et

le

moi, je suis sans cesse triste et douloureux,

mes pauvres

amis, et je porte une éternelle

angoisse... J'ai

pu souvent vous étonner par mes

silences, par

de certaines manières brusques.

Ne croyez pas que

ce fut dédain et orgueil

mais

ma

cœur

est trop petit

elle

qui

alors

étrange,

non pas

pour

mon

la contenir.

C'est

fantasque,

telle

qui agit,

parle et

;

que

peine est parfois

dure,

qui

est

importune...

et

moi...

Mes amis, j'ai tenu à vous ouvrir mon cœur parce que je désirerais, tout fâcheux que je

suis,

posséder votre

Notre affection! Vous capitaine, dès à présent,

vous

indiffère

affection...

la

possédez,

et

mon

puisqu'elle ne

pas, nous saurons

vous en

donner des preuves. Mais merci mille la

grande

pitié

fois,

de nous avoir conGé

de votre cœur.

Désormais, pour alimenter notre ardeur.


AU CIEL DE VERDUN

l64

un but précis à nos

yeux

:

efforts sera

devant nos

rendre à notre capitaine ses affec-

tions et sa joie

!

Et n'est-ce pas

la

volonté de telles resti-

tutions, multipliées à l'infini, qui fait notre

résolution

jusqu'à

de

la fin?

combattre

et

de

combattre


Un Caudron

vient d'atterrir!... Rien

que

de très naturel à cela. Mais je vois courir vers

Un

l'appareil.

passager blessé, sans

doute...

Un

Je m'approche pour savoir. effondré dans la carlingue G...,

:

celui de

un charmant camarade, qu'une

allemande vient d'atteindre à il

c'est

corps est

la tète.

Hélas

!

a été tué sur le coup.

Le parle

pilote n'a rien.

avec

énervé.

Il

A

côté de l'appareil,

dit le

combat

:

il

secoué,

très

un Boche

les a

très

volubilité,

surpris; quelques cartouches et c'était Il

balle

fini.

de sang, vêtements et visage,

est couvert

car au vent des moteurs, chait la blessure

le

sang qu'épan-

du passager

le

fouettait,

comme un

rocher, l'embrun. Sous l'horrible

douche,

lui

a

pu

le

il

faire

;

a fallu

ramener

mais on

le

l'appareil.

Il

sent affreusement


i66

AU CIEL DE VERDUN

ému; de temps en temps un frisson secoue ses membres. Des infirmiers s'approchent; ils enlèvent la

masse inerte du passager. La

sur la poitrine.

Ils

tête roule

l'étendent sur un bran-

card. Les vêtements sont rouges aussi. Sur le

visage blanc se dessinent des sillons san-

glants.

On emporte il

le

mort vers

l'infirmerie,

sera provisoirement déposé.

Je reste devant l'appareil abandonné sur la piste.

Les panneaux de

la

carlingue sont

rouges. Les mâts, les fuselages des moteurs

sont rouges aussi.

Que de sang

!...


Au

terrain,

allemands

une équipe de divers

exécutait

prisonniers Elle

travaux.

commandée par un adjudant boche, grand et gras homme, à la mâchoire puis-

était

sante, au poil ébouriffé et roux.

part à de et

il

avait pris

nombreux combats devant Verdun

s'en montrait

fier.

Orgueilleux,

mettait pas en doute la

place; j'en eus l'entendis

Il

la

ne

il

chute finale de

la

preuve, un jour que je

répondre,

d'un

rire

large

et

bruyant, à l'un de ses hommes, qui venait

de

lui

Verdun Mais

exprimer l'opinion

que

peut-être

résisterait à la ruée allemande. le

26 octobre, lendemain de

de Douaumont, l'avoue, ce fut

il

faisait piteuse

un

plaisir

la prise

mine. Je

pour moi de

lire

sur son visage l'anxiété et la rage.

Dans ses

la soirée,

hommes

il

surveillait le travail

en bordure de

la

de

grand'route,


AU CIEL DE VERDUN

l68

lorsque vint à passer un convoi de prisonniers.

débris

Tristes

en

allaient, les officiers

boueux,

les

traits

de

bataille

la

:

ils

tête, tout sales, tout la face

tirés,

pâle, avec

des regards fuyants de bêtes traquées.

Il

y

en avait des grands et des petits, quelques

beaucoup de malingres,

gaillards solides et

de

et

si

peau, les

jeunes et de

vraiment.

hommes de

ceux d'Artois tiroir,

ma

si

faibles!

Certes,

et

ce

Marne

la

Piteux trou-

n'étaient

plus

de l'Yser, ni

et

de Champagne. Fond de

foi.

Je les voyais passer, tout joyeux du symp-

tôme qu'étaient leur nombre

et leur

mau-

vaise constitution.

Non

loin de moi, l'adjudant

boche

assistait

aussi au lamentable défilé.

Quelles pensées s'éveillaient en son Je ne sais au juste

;

mais, certainement, des

pensées peu réjouissantes. tendit,

âme?

m'affirma-t-on,

Au

tenir

fait,

à

on

ses

l'en-

frères

d'armes un langage à peu près semblable

au suivant

:

Embusqués!

lâches!

Moi,

j'ai

pris


AU CIEL DE VERDUN

Douaumoiii

et

vous

le

laissez

Moi, je suis parvenu jusque sur si

je suis

l'assaut,

le

1

69

reprendre. Souville et

prisonnier, c'est pour avoir, à

ici

poussé trop

loin.

Et vous,

vous

n'avez pas été capables de tenir et vous avez

cédé ce que vos braves frères avaient acquis, au prix de leur sang!... Lâches! lâches!...

Lorsque Dégart apprit

le

fait,

il

en fut

tout joyeux.

— Tout va commencent

bien, dit-il, puisque les loups

à s'entre-dé vorer.


De

gros nuages, volumineux et ronds, se

promènent au

ciel,

comme

des morceaux

d'écume sur une eau bleue. Le curieusement... Au-dessus

irise

sont peu denses.

ils

On

soleil

les

du terrain

un grand

aperçoit

espace entièrement libre de ces amas vapo-

reux

:

c'est ce

que nous appelons

Vite, partons elle

!

un trou

«

».

Peut-être l'éclaircie s'étend-

jusqu'aux lignes et

le travail

est-il

pos-

sible...

Non,

il

n'en est pas ainsi;

me

voici au-

dessus de Verdun. Le sol est entièrement disparu...

mer immense de vagues immobiles; une mer d'ouate légère et qui Je

vois

semble

une

comme un

douce

duvet

étrange, bien plate, bien uniforme. brille,

dans un

au-dessus

de

ciel

cette

;

Le

plaine soleil

parfaitement limpide,

molle

étendue.

Dans


AU CIEL DE VERDUN

I7I

quel pays de rĂŞve suis-je parvenu? Simple et pur,

calme

Gomme

il

et vaste...

fait

bon

s'y dĂŠlasser des agita-

tions et des petitesses de la

vie...

Volons encore au-dessus de nuages...

la

mer de


me

Pourquoi

mon

souvienl-il

aujourd'hui

premier vol en avion?

...J'attendais,

l'instant où,

verais

avec l'ardeur d'un

pour

la

au-dessus

première

envieux,

vif désir,

l'air...

Tant de suivi

j'avais

m'élè-

fois, je

campagnes,

des

de mes noces avec regard

l'instant fois,

fois,

mon

d'un

blancs

les

oiseaux dans leurs larges évolutions

de

de

;

tant

imagination m'avait emporté

sur l'un d'eux, au travail ou au combat...

en

Quelle ivresse, pensai-je, d'errer ciel,

plein

en plein azur, avec, à ses pieds, toute

une terre immense

1

Quelle joie de se sentir

emporté au travers des espaces se découvrir de lointains horizons

J'imaginais un

nues;

monde de

j'attendais

des

et

de voir

!

sensations incon-

merveilles

et

des

bonheurs nouveaux, une révélation, un peu

comme un amoureux

de son amour.


AU CIEL DE VERDUN

178

Et quand, un beau matin, j'enjambai

mon cœur

rebord d'une carlingue,

le

battait à

rompre...

Et puis, je

n'ai ressenti

et

du connu.

de

ma

Il

que de

l'ordinaire

m'a semblé que je n'avais

vie fait autre chose qu'ascensionner.

Cette fuite des champs, ce fouet du vent, cet

air

léger,

l'âme humaine

Et

Depuis,

lointaine; je les

O

de

vieillesse

étonné que ce ne fût pas

goûté là-haut bien de

j'ai

neuves sensations. Mais, de ce pre-

fortes et

ment

toujours.

!

j'atterris,

autre...

mier

cette terre

de

connaissais

vol, j'attendais

quelque chose de

extraordinaire,

qu'il

me

valut

telle-

une

lourde déception...

Tout tême

monde ne

le

émotion.

sans

l'escadrille,

La

visite

un

mobile

pour

venait

un bap-

souvent,

à

des camarades d'autres armes.

de

beaucoup d'entre eux avait

intéressé.

obtenir

aérienne.

reçoit pas Il

de

Ils

nous

venaient surtout

une

promenade


AU CIEL DE VERDUN

174

Quelques minutes seulement

;

nous

leur

désir

serions tellement contents...

Lorsque était

cela

exaucé.

était

Un

de ces baptêmes de adroit,

possible,

vieux pilote avait l'air;

un

le

soin

pilote sûr et

mais d'esprit badin.

Impassible,

il

embarquait

néophyte

le

radieux. Celui-ci, au départ, gesticulait de joie...

Mais au

Gomme

retour...

péniblement de

la

carlingue

son visage, à ses gestes de penser que

si

!

las,

il

A il

descendait la

pâleur de

était

permis

ce premier contact

avec

l'air n'était

pas une surprise pour son âme,

elle l'était

certainement pour son estomac.

Ah!

les

remerciements, par phrases cou-

pées, au pilote, très correct, mais qui, nous le

savions, ne se tenait pas de joie. Et

le

jugement, un brin écœuré, du baptisé, sur l'aviation

Mais

I

il

pouvait se vanter d'avoir à peu

près tout ressenti

:

le

roulis et le tangage,

qui font monter aux lèvres l'estomac, les virages serrés, les ghssades, les piqués, les


AU CIEL DE VERDUN Spirales

176

Tout ce qui

vertigineuses.

gifle,

étourdit, plaque

ou arrache, ou bouscule ou

Une

leçon magistrale, peut-être

suffoque...

un peu chargée, pour une première, mais qui

épuisait

matière...

la

un peu

Hélas!

aussi le passager. «

Rends l'âme sur

Rends-la sans honte en vérité la

:

rendent

le

terrain,

ni dépit.

les initiés l'ont

et la

néophyte.

Je te

le

rendue avant

rendront encore...

»

dis, toi,


L'heure

du

courrier.

L'heure

de joie,

quand quelque chose parvient des êtres chers; quand une douceur, à la magie des mots, berce l'âme du soldat... Il oublie le danger, l'ennui, l'horreur; pays. Le regard sur voit,

comme

campagnes

la

songe à son

il

feuille

minuscule,

en un miroir enchanté, des

et

il

des

maisons connues, des

figures aimées...

L'heure de tristesse, hélas

!

parfois...

Au-

jourd'hui, pour moi. Quelques lignes vien-

nent en Pierre

effet

B...,

de m'apprendre

un ami, un ami

la

de sa mère. Elles expriment une leur,

une

peine les

telle lire et

désolation,

que

les

mort de

vrai. Elles sont

que

telle

je

dou-

puis à

larmes emplissent

mes yeux. Pauvre mère! Devant sa souffrance,

ai-je


AU CIEL DE VEKDUiN le

mienne? Oh! mon

droit de songer à la

sang,

ma

pour

vie,

[77

l'effacer...

Hélas! je ne puis rien.

En

des temps lointains,

m'en souvient à peine, Trois amis

1

Et

vie

la

gaîté, qu'espérance?...

Or

voici ce qu'il est

Au

vent

j'avais

que

Elle était ainsi.

advenu

premier

le

amis.

trois

n'aurait pas été

:

dans

de l'invasion,

d'Ardennes,

lointains qu'il

si

est

forêts

les

mort. Sur les

coteaux d'Artois, une journée de printemps, le

deuxième. Et

le

troisième vient de

mou-

rir...

Mais ne

suis-je

elle

pas mort moi-même plus

Un peu

qu'à demi?

de

ma

vie ne s'en est-

pas allée avec chacun de mes amis?...

Qu'attends-je maintenant pour mourir tout à fait?

La mort de Pierre

B... fut belle

:

à l'as-

saut des lignes ennemies...

Réformé,

même.

Il

il

est

avait parti

AU CIEL DE VERDUN

voulu simple

servir soldat.,.,

quand il

la

est


1^8

AU

tombé obscur

CUÎI.

UE VERDUN

troiijuer.

Ses derniers mots

ont été pour dire son bonheur de donner sa vie à la France...

Tant d'élévation d'âme, tant d'iiéroïsmel Je sonqc à

la

mort de Pierre

B...

et le sol-

dat en moi s'émerveille, mais l'ami pleure...


Et

l'Iiiver

un

j»liis

est

fnnl,

venu...

une

Plus

une

plus

fleur!

feuille,

La

mort

j)our la nature.

El pour nous l'inaclion et

Un

bouché d'épais nuayes;

ciel

vent,

le

neicje.

la

Nos

marasme. la pluie, le

ne quittent

appareils

plus les hangars; et nous ne quittons plus tios

habitations, nos nouvelles

habitations,

car les tentes sont abandonnées. Elles ont

disparu baient

aux premiers dernières

les

froids,

([uand

tom-

feuilles,

quand

bril-

laient les derniers soleils. clairs

sur

la

champêtres les

toile

;

Adieu,

adieu,

et les sylvestres

les

les

dessins

exhalaisons

parfums. Adieu,

tendres luminosités des matins,

la

fraî-

cheur des rosées. L'on nous a construit des baraquements confortables et

chauds,

mais disgracieux.


AU CIEL DE VERDUN

l80

Nous y vivons une

vie

de désœuvrement

et

d'ennui, autour de poêles fumeux.

Lecture

et

bridge

;

bridge

occupations des journées

longues soirées! Mais lasse; et la lecture,

le

et

lecture,

des

hivernales,

bridge,

on s'en

nous ne sommes pas ou

nous ne sommes plus des

intellectuels et

nous avons perdu l'habitude de l'étude de

la

méditation.

L'action, voilà vers quoi se désir.

et

Et voilà ce dont

la

tend notre

privation

merge nos âmes d'ennui. Ohl la triste saison d'hiver...

sub-


Parfois cependant le travail est possible,

dans un

quand

brille

soleil.

Journées exquises

le

charme d'une

ciel

limpide un clair celles-là,

qui ont

vieillesse heureuse.

Aujourd'hui est une de ces journées. Il

neigeait depuis plusieurs semaines

;

le

flottement serré des flocons ne s'interrompait pas;

il

semblait devoir être éternel, et

je désespérais

du retour des beaux jours.

Cette fuite régulière et lente des masses légères qui passaient sans bruit, se posaient et se

perdaient dans

la

grande nappe blan-

che, m'oppressait du sentiment de la fuite

des jours.

Ils

viennent, eux aussi, d'une pro-

fondeur insondable, passent et se fondent

dans cette chose unie et vaste qu'est passé...

Une mélancoHe

m'étreignait l'âme...

le


AU CIEL DE VERDUN

l82

Mais ce malin, quand éclaira

Un

un

le

jour parut,

il

vide enfin de blanches nuées.

ciel

pâle soleil se leva au-dessus des collines

La campagne

neigeuses.

élincela...

L'atmo-

sphère était merveilleusement transparente le

manteau point trop épais sur L'on

allait

pouvoir voler

et

;

la piste.

pour de bon

travail.

Par temps de neige et les positions

les pistes

fréquentées

de batterie occupées se dis-

tinguent aisément des pistes et des positions

abandonnées. Une utile,

on

le

telle distinction est fort

comprend. De

plus, les réglages

sont aisés par une transparence exceptionnelle de

l'air.

Le capitaine répartit entre nous les missions. La mienne est une surveillance générale

du

secteur;

observer,

cueillir

une

moisson aussi abondante que possible de renseignements Je

utiles.

me dépêche

J'assemble

le

de prévenir

mon

bagage indispensable

pilote.

et je file

aux hangars. Les avions déjà sont sur

la


AU CIKL DE VERDUN piste

Sur

l83

des mécaniciens tournent tout autour.

;

couche éclatante règne

la

de

l'agitation

tout un peuple de formes sombres. Des mo-

moulins

teurs, des «

Do

action.

veux-je dire, sont en

»,

nuées se forment au vent

fines

des hélices; elles se déplacent rapidement et se dissolvent

comme

des tourbillons.

Dépêchons! Dépéchons! Je tient,

après

reprendre

une

l'air

!

fièvre des départs s'est

emparée de moi. Oh rizons plus larges.

Tout

s'agite.

En

longue privation, de

si

La

le

!

désir, l'espoir d'ho-

Dépéchons

!

Tout vibre.

route! Enfin nos moteurs

arrachent l'appareil. Enfin,

il

s'enlève...

Je suis très haut, je regarde... est

les

collines.

Une nappe

éblouissante sous les feux du est

La

une nappe immaculée, avec des

sont

parfaitement pur,

Cette blancheur

impa-

suis

filiale,

la

terre

plis

qui

brillante,

soleil.

Le

ciel

terre sans tache.

cette simplicité, qui

de tous côtés s'offrent à mes regards, rendent plus immense encore que d'habitude

monde.

le


AU CIEL DE VERDUN

l8/|

J'ai la

Tout

sensation de

l'illimité,

est blanc, les bois, les

de

l'infini...

maisons

et les

champs; mais à mesure qu'approchent lignes

apparaissent des noirceurs,

de fusain, que

les

comme

main de l'homme a mises

la

au virginal manteau;

les routes, à

cause de

l'incessant flot qu'elles roulent et les

boyaux

et les tranchées.

Les tranchées?... Des

traits,

aujourd'hui,

sur la vaste feuille blanche des campagnes. Traits hésitants, dessins malhabiles. Ils s'é-

tendent sinueux

et parallèles, naissant

d'un

horizon, mourant à l'autre.

D'avion, cela paraît

minuscule,

si

si insi-

gnifiant! C'est pourtant ce sur quoi bute la

puissance d'immenses armées. Et c'est l'angoisse

du monde

De chaque naît

côté, les

boyaux! Réseau qui

au voisinage des lignes, se serre et

s'épaissit à

Et

entier.

les

mesure pistes

:

qu'il

en approche.

traits

plus fins,

moins

flexueux, moins vagabonds.

L'ensemble

est

une dentelle

irrégulière,

en noir sur fond blanc, dentelle abandonnée.


AU CIEL DE VERDUN avec des ûls pendants; je soin sur

ma

la

1

reporte avec

L'œuvre de mort ne

carte.

85

s'en

trouvera pas mal.

Et

les

batteries? Je cherche les minus-

cules taches noires, que ne peut

de

faire,

devant

les pièces,

la

manquer

déflagration

des poudres. Je note, je note sans cesse.

Gare

boches; gare à

les artilleurs

prochaine Tiens!

la

dégelée

!

la

02, 4o est

batterie

occupée?...

Elle se donnait pourtant des airs de position

abandonnée.

sombres

Ah

sont

mâtine, mais les ovales

la

!

là,

les

ovales

révélateurs.

Attends un peu... Je note, j'observe! et je

Ma

besogne m'absorbe

ne vois pas s'assombrir, oh!

si

peu,

l'horizon, ni s'avancer le lourd cortège des

nuages chargés de neige.

...Et

soudain, des flocons descendent, rares

d'abord, bien vite innombrables. le

ciel

disparaissent.

fuyantes

La

terre et

Des gazes légères

et

nous enveloppent. Nous sommes

perdus dans

la

blancheur mouvante...


AU CIEL DE VERDUN

l86 Perdus.

de moi

cœur.

Une

elle fait

,

Ah

!

violente émotion

s'empare

battre à grands coups

mon

Tangoisse de passer brusquement

de l'aisance immense à J'étouffe sous la

l'étroit

enserrement.

masse énorme des mous-

selines descendantes. J'étouffe dans

le

grand

silence ouaté... Je sens l'insaisissable suaire

resserrer petit à petit son étreinte humide.

L'affreuse oppression grandit. Horreur! suis l'enlisé

que submergent

noyé qui s'enfonce;

le

je

les sables;

le

poitrinaire à qui l'air

manque...

D'un

effort

me reprends. me mets à penser.

de volonté je

cesse de sentir, je

Je Je

pense que notre situation est des plus scabreuses et

qu'il faudrait

bien nous tirer d'af-

faire ou du moins essayer. Mais que tenter,

pour cela?

Descendre? non. La que nous

la

terre viendrait sans

Ce serait champ ou sur

vissions approcher.

l'écrasement dans quelque

quelque maison. Autant que possible, non, pas cela.

Une

seule chose à tenter, je crois bien

:


AU CIEL DE VERDUN nous en

aller

187

chercher au loin un

de ces maudits flocons. Je hurle à lote

ciel libre

mon

pi-

:

— Plein sud-ouest. Nous avons une boussole. nous dérive pas

Dieu

et si

Nous piquons au

bien.

Et

le

veut, tout ira

sud-ouest.

descendent toujours.

flocons

les

Si le vent ne

nous semblons ne pas bouger. Dans lence lourd,

me Et

ronflement étoufle du moteur

paraît de sonorité étrange.

comme

fuir

le

sol

le

l'inlassable

Et

le si-

Nous

allons.

à regarder, d'une voiture, s'en-

de

la

route, petit à petit, devant

mouvement de

la

masse

nei-

geuse, un vertige s'empare de moi. Je vois

soudain l'appareil dans d'étonnantes positions.

Il

me semble

pointer au ciel

la

osciller

de tous côtés,

carlingue, et puis baisser

brusquement du nez droite et de gauche.

et puis se

Tout

coucher de

est fini si le pilote

à son tour perd le sentiment de l'horizontal.

L'appareil ne peut

sur une

aile et

manquer de s'embarquer

de tomber...

Soudain, l'espace;

la terre et le eiel.

Oh!


AU CIEL DE VERDUN

l88

La zone neigeuse est dépassée. J'aspire à pleins poumons un air libre enfin. Oh! je danserais de joie dans m'était possible. Je

dans

comme un

suis

si

cela

égaré

de souterrains étroits qui aper-

la nuit

coup

çoit tout à

carlingue

la

la

campagne

Tout danger pourtant

et le salut.

pas écarté.

n'est

Assurément non. Il

sur

faut atterrir encore, et cette opération le

champ couvert de neige

sans péril.

Il

de distinguer fossés! gare

Mais

n'est pas

nous sera en

effet

impossible

du

sol.

Gare aux

relief

le

aux

aux capotagesl

talus! gare

j'y songe.

Sommes-nous seulement

en France? je regarde de tous côtés. Je ne reconnais pas la campagne

!

Prisonnier? Ah! mais non.

Diable Il

!

diable

!

faut essayer

de savoir, avant de se poser. J'ai

une idée

;

descendre et voler très bas. Ainsi distinguerai-je peut-être quelque soldat dont titude

ou l'uniforme ou

éclairera

chose à

ma

religion.

coup de feu

le

Il

l'at-

n'y a pas autre

faire.

J'explique

la

manœuvre

à

mon

pilote.


AU CIEL DE VERDUN C'est long et pénible, à peine

me

faire

ma

comprendre.

commençons

nous

aussitôt

c'est

voix. Je

approuve d'un signe de

pilote

tout

beau hurler,

j'entends le son de

si

parviens cependant à

Le

j'ai

8c)

1

et

tête

des-

à

cendre...

Mais quelle est cette

ville

que je viens

d'apercevoir là-bas, tout là-bas! Halte à descente,

mon

pilote, et droit sur elle.

probable que je parviendrai à

Nous approchons!

comme un (jui

est

l'identifier.

J'écarquille les yeux,

naufragé qui voit venir

s'efforce

Il

la

la

côte et

de distinguer sa nature; côte

hospitalière ou dangereuse à aborder?

La

cité

qui vient est bâtie dans une étroite

vallée. Elle

est traversée

par une rivière et

par un canal. Nous approchons... La

ville

haute, la ville basse, la gare! C'est Bar-le-

Duc.

Dieu

français.

merci,

nous

sommes en

air

Et voilà un terrain d'aviation. Je

distingue les hangars! Toutes les chances

décidément. L'atterrissage en campagne va

nous être épargné!... Je

fais

part de ces heureuses découvertes


AU CIEL DE VERDUN

igO

mon

à

dont

pilote,

le

Du

visage s'éclaire.

bras, je lui montre le terrain.

Et l'atterrissage s'exécute sans incident.

Nous roulons en soulevant une nuée de neige mets

Je

pied

à

fine; l'appareil s'arrête.

bien. J'aspire à pleins

Je regarde

surprend

me

et

la

de tous côtés,

si

première

connue,

frères, la

la terrible

la

était sur

Dieu!

fois.

le

qu'il le

les

vous l'avez

vie,

soldats,

meis

heures d'angoisse

vous, s'est enfin éloignée

le

terrain

comme un

gambaderais volontiers. Mais affaires

l'escadrille

je savais.

menace.

Je suis sur

aux

choses

connaissais

pas?

n'est-ce

quand, après

mort

me

tout

la neige.

Cette renaissance à tous

je

de

étonnante

que je m'y sens bien, malgré

malgré

froid,

sens

poumons, goûtant à

légèreté

un peu comme

beau

est

me

et m'intéresse. L'aspect des

monde pour

je

je

semble différent de celui que

C'est

Que

terre.

mes bronches une l'air.

nous

derrière

sérieuses

l'on

et

doit

il

enfant et

songer

faut

d'abord prévenir être

fort

inquiet,


AU CIEL DE VERDUN ensuite abriter l'appareil.

Il

IQI

attendra

ici

des

cieux plus cléments.

Quant

à nous, nous allons rejoindre tout

de suite en automobile.

Tandis que nous roulons vers

dement la

de

fourrures,

maintenant hors

plaisir,

par

vêtus

pensée

parcourt

les

fin

d'affaire,

dangers courus.

L...,

chau-

goûte

le

de revivre

Un

frisson

mes membres au souvenir de mon

angoisse quand, perdu sans

je

dans

la

blancheur

des flocons, je désespérais. Et ce

frisson m'est agréable. Sain et sauf à la côte,

j'écoute

tempête.

dans

le

passé hurler et battre

la


Le les

novembre

3

élèves

région

de

est

un jour de

de l'École centrale. Ceux de

la

Verdun avaient décidé de

se

réunir à cette date pour déjeuner, à pont. Dégart était du se

Il

pour

fête

faisait

parce qu'elle

nombre des

une joie de

était l'occasion

Ram-

convives...

cette réunion

pour

lui

de re-

voir de vieux amis et parce qu'il aimait le

vin et la gaîté.

Pourvu que

je sois libre

demain,

me

dit-il la veille.

Rampont

est

un

village situé à quelques

kilomètres du terrain. Dégart devait l'attein-

dre dans aussi,

la

voiture de

Damon, un Central

d'une escadrille voisine.

Or, au matin du 3 novembre, était

le

temps

douteux. Beaucoup de nuages au

mais quelques

éclaircies.

On

allait

blablement pouvoir travailler vers

ciel,

vraisemle

milieu


AU CIEL DE VERDUN de

la

journée.

lC)'d

Nous demandâmes

son programme glage. C'était

il

:

pour

six observateurs.

à l'artillerie

comprenait un seul réle

mieux; nous étions

Dégart pouvait en toute

tranquillité s'en aller à la fête.

Vers

Une

large

entre

les

dit

heures

10

le

nappe de masses

plafond se dislo([ua. bleu

ciel

se

lendit

Dégart

nuageuses.

me

:

— Je — Déjà? Tu vas pars.

Il

reprit

arriver bien trop tôt.

:

— Tu ne me comprends pas; le

réglage.

— Et

la fête, et les

— Je pars. — Voyons, tu

je pars faire

me

Non;

dis là. et

quand

amis?

ce n'est pas sérieux, ce que

Est-ce à ton tour de voler? cela serait?

pas cinq à n'avoir que

Ne sommes-nous

faire, à

ne demander

qu'à travailler? C'est moi qui vais

le faire,

ce réglage.

— Je

ne veux pas,

reprit-il

sèchement.

Assez causé, d'ailleurs; je pars. AD CIEL DE VERDUN

l3


AU CIEL D2 VERDUN

ig/}

Je n'avais plus qu'à Il

prit

ses

me

vêtements,

me

tus.

jumelles,

ses

taire; je

ses

cartes et se dirigea vers les hangars.

donc,

Qu'a-t-il

Aurait-il

s'éloigner. jqui lui fit

en

pensai-je

Rampont?

c'était cela! Je rentrai

chambre, préoccupé malgré tout. suscita

mon

mon

désir. Je

me

voyant

quelque chose

appris

désirer ne pas aller à

Sans doute,

le

mis à

lire,

dans

Un

oubliant

inquiétude inexpliquée.

Dégart, je l'appris ultérieurement, contra

Damon aux

connaissait les

à

voler.

programmes de 11

ren-

hangars. Celui-ci, qui

naturellement très surpris de solu

ma

livre

le

travail,

fut

trouver ré-

longtemps pour

insista

obtenir qu'il renonçât à son projet.

Mais rien ne

fit et,

vers

1 1

heures, Dégart

partit.

Deux heures vant

moi

le

et

passèrent. J'étais assis de-

baraquement.

me demanda

Un si les

camarade

vint à

avions de notre

escadrille n'avaient pas les fuselages peints

en rouge.


AU CIEL

Us

ainsi,

— Parce

196

cela?

qu'il vient d'atterrir

fuselages

avec

rouges,

mais

répondis-je,

me demandez-vous

pourquoi

à

ont

les

VERDUN

Di:

un appareil

les

passagers

grièvement blessés.

— Ohl Et

fis-je...

me

je

précipitai vers les hangars, pro-

fondément angoissé, car l'avion ne pouvait être

que

Je

celui de Dégart.

vis

civières.

deux

L'un

corps

était

immobile!... je

me

mon

d'une

voix

comme

— mes

Je

ami

;

faible,

de très

il

des

sur

chair blême et

penchai, je

ne répondit pas. Mais, mots,

étendus

lui parlai.

comme prononça

j'étais

Il

là,

quelques

loin...

mourrai donc

en soldat,

comme

ancêtres... Je suis content.

Héroïque ami! Une voiture d'ambulance l'emporta suivis

presque

aussitôt

Je

la

des yeux, jusqu'au tournant de

la

après.

route, triste à mourir... songeur aussi. il

me

Car

souvenait de l'obstination de Dégart

à voler ce jour-là,

malgré ses promesses,


AU CIEL DE VERDUN

196

malgré

de

objurgations

les

Damon

et les

miennes.

Le 27 décembre, parvint à l'escadrille un ordre du grand quartier général me détachant, pour

un stage de quelques jours, à

riicole de

aérien d'Arcachon.

tir

Rien de plus agréable qu'un

comme

il

tel stage.

n'y avait alors à l'escadrille que

m'en

trois observateurs entraînés, je

ver

le

commandant

difficultés, j'obtins

travail

que l'ordre au

fût rapporté.

matin,

le

pour

prévoyait.

demander quel me fut répondu

lui

Il

qu'un réglage peut-être serait tenté. cela n'était pas bien sûr, on rait à

tranquillement à rien

parut

me

Gomme

téléphone-

nouveau, ultérieurement. Là-dessus,

je m'installai dans

que

temps

par trop défavorable. Je télé-

l'artillerie

elle

fus trou-

malgré de multiples

et,

Le 28 décembre n'était point

phonai à

Mais,

me

un

lire.

fauteuil et je

parvînt de

étrange.

Je

me

mis

Une heure passa sans l'artillerie.

décidai

de

Je saisis la manivelle et je tournai.

Gela

me

l'appeler.


AU CIEL DE VKRDUN

— Allô!

IQy

Allô!...

Pas de réponse.

— Allô!

Allô!...

Toujours rien. Tiens! pés entre

le

central

les

fils

moi...

et

étaient cou-

Voilà pour-

quoi, sans doute, Je n'avais rien su de l'ar-

importait que je puisse

tillerie.

Il

au plus

vite.

Je m'en

:

En

arrivant sur

le ter-

un avion, passagers dans

la car-

fonctionnerait.

rain, je vis

hangars. iXous y celui-là vraisemblable-

vers les

allai

avions un téléphone

ment

parler

lui

lingue, prêts à partir. Je m'approchai.

camarade Nadon m'expliqua, de son qu'une demande de réglage

On

avait

Mon

siège,

parvenue.

était

mais

essayé

de

cela et

pour ne pas perdre de

m'avoir,

sans

succès.

Voyant temps,

il

s'était

décidé à partir à

ma

place..

Je lui répondis qu'il avait agi fort sage-

ment; mais du moment que je là,

c'était à

était

moi de prendre

prévu. D'ailleurs un

d'observateurs.

me

l'air

simple

trouvais

comme

il

échange


AU CIEL DE VERDUN

ig8

descendit,

Il

décolla et à terrain, je

Ainsi

ment

le

L'appareil

montai...

je

quelque cinq cents mètres du plus belle chute du monde.

fis la

voulut l'un des moteurs qui brusque-

Ce ne

s'arrêta...

que l'espace de

fut

quelques secondes désagréables. L'appareil se mit soudain sur l'aile et glissa... Je vis le sol

approcher avec une rapidité considé-

rable...

Mais

je

Je m'évanouis,

Le

ne sentis aucune douleur.

comme on

pilote en fut

s'endort...

pour peu de chose. Quant

à moi, j'eus la face sérieusement traumatisée et je

dus m'en

à l'arrière

aller

pour de

longs soins.

Maintenant, au souvenir des hasards qui

m'amenèrent sur

m'embarquer

le

dans

songe; je songe,

mon pauvre me demande

une voix mystérieuse,

un chant de blement.

le

à

funeste

comme je

s'en allait

Et je

terrain,

temps pour avion,

je

songeais, lorsque

Dégart. si le

malheur n'a pas

et si cette voix,

comme

sirène, n'appelle pas irrésisti-


Ainsi allons-nous, guettés sans cesse par

une

affreuse

mort, attentifs

à

du

l'appel

malheur. Heureux quand même. J'entends «

ici

bien des

gens se récrier

:

Quoi! Heureux au milieu de tant de souf-

frances, de tant d'horreur...

Ceux-là pensent que

le

y>

bonheur

mener misérablement une longue yeux obstinément rivés au sol. Mais à nous,

la

est de vie,

les

quantité des jours vécus

importe peu. Notre souci est uniquement

la

qualité de la vie, qui les emplit...

Heureux!

Oui...

Nous

le

sommes de

peiner, de souffrir pour une noble cause, de

nous donner tout entier à l'accomplissement d'une

œuvre

sainte...

Ne savez-vous pas

quelle source de joie c'est,

que de

s'offrii-,

victime volontaire d'un haut idéal ? que do se sentir au-dessus, très au-dessus de la

ma-


AU CIEL DE VERDUN

200

de mépris pour ces bas-

lière et l'âme pleine

fonds de nous-mêmes, désirs, passions?

Alors vraiment,

nous paraît que nous

il

valons quelque peu et que nous avons droit,

malgré

la

boue qui nous

souille,

à

notre

propre estime.

Heureux

largement,

en

en plein espace, parmi

les

de vivre

aussi

pleine lumière,

transparences sans

enveloppent de

lin,

qui sont partout et

splendeurs!... Je voudrais

rendre nos bonheurs

devant

les

paysages

célestes.

Nulle ligne intéresser!...

non

!

Nul rythme,

est vrai,

pour

Et l'âme se dépouille du lourd

plus.

vêtement des passions mensifie

il

Nul trouble! Nulle complexité,

avec

ces

et se simplifie et s'im-

profondeurs

illimitées,

avec ces limpidités parfaites... Épuration, élargissement délicieux.

Mais

la vastité

de ces champs sans borne

frappe soudain et l'âme perçoit l'engloutisse-

ment de l'homme dans et s'effraie.

l'infini!...

Elle tremble

Mais une ample perspective

lui


AU CIEL DE VERDUN a été offerte, de ruiiivers,

et,

20

1

troublée, elle

s'émerveille... Instants de joie, forte et terrible...

Ainsi allons-nous, ouvriers privilégiés de la

grande œuvre, remués sans cesse, jus-

qu'au

plus

intime

de notre

il

est vrai...

par

être,

angoisses et les joies aiguës.., vers

la

les

mort,

Mais pourquoi nous plaindrions-

nous? Quand l'heure viendra, n'aurons-nous pas vécu une intense

et

haute vie

!

Et

la

France ne demeure-t-elle pas, qui éternisera

un peu de nous-mêmes?...



KANGY, IMPRIMERIE BERGER-LEVRAULT

FEVRIER IQlS







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