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1910 "1911,
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I9I2,
^^
AU
CIEL
DE VERDUN
Tous
droits de reproduction, de traduction et d'adaptation
réservés pour tous pays.
Copyright by Bei-ger-Leoruult iQiS.
LA GUERRE
—
LES RÉCITS DES TÉMOINS
BERNARD LAFONT
AU
CIEL DE
VERDUN
NOTES D'UN AVIATEUR
^W^ ^^. i^i BERGER- LEVRAULT, EDITEURS, PARIS 1918
Le risque
une profondeur sans
:
fin,
lourde et sombre... Et là-bas, tout là-bas,
une énergie qui se débat, un lutte
contre
le
quel
combat d'horreur? Et qui
Ma
monde,
ce
le livre...
pensée soudain plonge droit, épou-
vantablement
Ah! baltre...
vite,
dans du
Oh ma !
vers ces fonds
moi qui
c'est
Pourquoi? contre
la
Dans
néant menaçant...
dans
abîmes,
quels
instinct qui
tête
masse qui
!
vous tardez,
noir,
là,
me
à
dans du
dé-
vide...
quoi?...
ma
tête
l'écrase
plie, faites vite.
suis
d'effroi...
!...
!...
Mais ôtez donc
Je vous en sup-
Vous voyez bien que
je vais
mourir sous
secours!... Délivrez-moi!
Ayez
elle
pitié!
!
si
Au
AU CIEL DE VERDUN
VI
Une masse !... Un
mon
cerveau.
Mais
soyez
Je
fer
aussi qui vrille
souffre,
donc
je
soufPre!...
pitoyable,
détournez
par
cette pointe qui entre petit à petit, là, la
joue
diction
droite... !
vous ne bougez pas, vous ne
voulez pas
Et
ma
Qu'attendez-vous? Malé-
!
douleur
pénètre jus-
s'intensifie,
qu'au plus intime de
mon
n'en
être. Je
puis plus...
Mes muscles
raidissent
se
spasme désespéré... Je
Non! Gomment
Gomment ma
un
dans
vais mourir.
cela
est-il
possible?
tête est-elle assez vaste
pour
contenir une pareille douleur?
Je ne
meurs
pas. Mais la
masse
pointe sont toujours là qui pénètrent...
rien tenter
me
Et vous
pour
me
pas cru possible une
Mais pourquoi
qui
pèsent,
regardez
soulager
et la
!
sans
Je n'aurais
telle dureté...
suis-je impuissant à
délivrer moi-même?...
Mon
corps est
me
lié
à
AU CIEL DE VERDUN je
VII
ne sais quoi par de multiples
Chacun de mes membres deur
infinie...
Hélas! tout à
Je fait
liens.
est
d'une lour-
m'évertue
pourtant...
en vain. Mais je sue
abondamment et des gouttes glacées roulent sur mes chairs moites... Une force immense est là qui m'étreint puissamment, qui m'immobilise...
Je ne puis
de moi.
rien...
A mon
Une
côté,
angoisse s'empare il
y a une forme
imprécise, mais effrayante... la! chassez-la!... j'ai
peur.
Elle
affreuse.
!
chassez-
peur, Dieu! que
m'entraîne.
Où
Oh
vais-je?...
C'est je
j'ai
une chute tombe...
je
tombe...
Des
voix, j'entends d'étranges voix, des
sonneries éclatantes, indéfiniment répercutées, des tintements de cloche...
Je ne « la » vois pas, mais je suis bien
sûr qu'elle est toujours auprès de moi.
Sentez-vous sa présence? Eloignez-la,
vous avez un cœur...
si
AU CIEL DE VERDUN
VIII
Des lueurs vastes
Je tombe...
et
bla-
fardes, des sons lointains... Je m'enfonce en
Ma
des régions toujours plus sombres. chute s'accélère... ...
Mon
corps? où
paru, je n'en
un
est
mon corps?
Dis-
plus conscience. Je suis
ai
esprit qui descend. Je ne souffre plus.
Mais
«
moi...
mourir
elle
»
encore plus près
est
Ah! sauvez-moi,
ne
je
de
veux pas
!
La chute s'accélère encore. Mais qui est-ce qui tombe ainsi? Pas moi, n'est-ce pas? ce
serait trop affreux...
Horreur
!
c'est
moi
!
Oh
!
l'effroyable
vérité...
Encore plus plus. Je
vite
!
Encore... je n'en puis
m'abandonne, tout
disparaît.
Je le sais. Inutile d'expliquer. Je suis à l'hôpital et j'ai
manqué mourir
cette nuit...
AU CIKL DE VERDUN Je
me
souviens.
IX
Ne vous donnez pas
Un moteur
peine de raconter... Oui...
la
qui
plaque à l'envol, une glissade sur Paile,
un écrasement...
Ah! Tant
j'ai
une fracture des maxillaires.
pis...
Je souffre, mais cela est très supportable.
L'horrible, voyez-vous, c'est d'as-
sister,
à demi conscient, à la lutte terrible
de
de
l'instinct vital et
la
Je souffre, mais je C'est
—
bon
mort qui
vient...
suis bien en vie.
d'être ainsi.
Infirmier, priez
gauche de se
taire
donc
un
mon
instant.
voisin de Il
m'est
impossible de reposer.
— On ne demande pas
aux gens
d'in-
mon
terrompre leur
râle.
heutenant, a
crâne fracturé à la base.
le
Soyez assuré que,
vous gênera
plus...
Votre
d'ici
voisin,
une heure,
il
ne
X
AU CIEL DE VERDU^' L'infirmier s'éloigne.
suit
sa lamentable plainte. Soudain, son
corps bouge
et sursaute.
s'élèvent... Puis, rien...,
mobilité.
Il
Il
Des sons rauques
du
silence,
est mort, seul,
est mort.
bien
un
Le moribond pour-
dans
la nuit...
Mais cet autre, non. Et
Gomment! Un
le pis.
de l'im-
seul, a pxi faire
une
c'est
éclat d'obus,
blessure
telle
!
Oh
!
cachez cette face hideuse, cachez-la. Je
détourne
yeux,
les
mais
j'ai
vu
et
je
n'oublierai pas, dussé-je vivre cent ans... J'ai
vu un
visage, avait
homme
qui, à
la place
un trou sanglant. Plus de
du nez,
plus de joue; tout cela disparu, mais une large cavité, au fond de laquelle bougent les
organes de l'arrière-gorge. Plus d'yeux,
mais des lambeaux de paupières, qui pendent sur du
Un
trou
masque
vide...
sanglant...
d'horreur.
Oh
!
cachez
ce
AU CIEL DE VKllDUM
XI
Je VOUS en prie, ne m'interrogez plus
sur
mes pauvres compagnons de
souf-
france...
Que
pas à vous parler de celui
je n'aie
qu'on pro-
qu'une blessure a paralysé
et
mène dans une
de cet autre,
voiture
ni
;
l'amputé des deux jambes, qui marche sur les
genoux;
ni
de cet autre encore, à profil
de fouine, dont
le
maxillaire inférieur fut
emporté...
Permettez que je taise amoindri,
loureux,
des
le
peuple dou-
victimes
de
la
grande guerre... Gela
maintenant affres
d'ailleurs.
suffît
de
risque du jeu terrible...
mort ou
la
L'enjeu
soi-même
le
:
Vous connaissez les
les mutilations.
une plus grande estime de
et la libre
France, n'est-ce pas ?
Et cela vaut bien des peines frances.
:
et
des souf-
XU
AU CIEL DE VERDUN
Le jeu
:
son
terrain, c'est l'immensité
transparente où se règle,
perd
le
regard; sa
de placer halDilement des projectiles
en des zones déterminées
et d'abattre,
de
|
\
''.
i
temps en temps, quelque adversaire. de
la
des
journée et
loisirs.
mènent
Ils
heures seulement
se joue quelques
Il
il
aux joueurs bien
laisse
Aussi leur vie l'une
sur
le
est-elle
double.
vieux plancher,
assez semblable à celle des temps de paix. L'autre,
vent et
le
intense,
danger,
Si toutes les
mouvementée, dans ils
la
deux vous
passent à
le
servir...
intéressent, voici
quelques souvenirs que
j'ai réunis.
C'est un bois de sapins, au flanc d'une
un pauvre bois de pauvres arbres. La nature, qui fil à Verdun tout chichecolline,
ment,
placé
l'a
rabougri,
là,
misérable.
Nulle teinte, nulle valeur décorative.
dans
campagne un
la
est
Il
sombre,
carré
et
voilà tout. Parfois, cependant,
approches du
soir,
il
intéresse.
les
Quand, aux
brumes bleues
se
lèvent et se coulent aux creux des vallées, il
est
de leurs pans errants qui s'en vont
caresser et
le
le
petit
noient
de
bois,
leurs
puis,
ils
flots
l'enserrent
légers.
Son
agonie, jeu délicat de teintes fondues, pastel
doux, est émouvante à voir.
Mais ce n'est l'espace que d'un et le plaisir
instant,
goûté laisse à l'âme une tristesse
infinie.
Aussi, AU
CIEI.
n'est-ce DE VERDUN
pas
pour
chanter
sa
AU CIEL DE VERDUN beauté que j'évoque
ce petit bois, mais
ici
parce qu'il est en bordure d'un des plus
importants
que
et
auquel durant
terrains
j'ai
les
d'aviation
personnel
le
de
longs mois d'une longue
—
beau jour roulant,
train
et
du
bois,
—
notre
lourds tracteurs,
du bois.
était 2
heures
travail...
Quand
Il
après midi. L'on se mit au vint le soir,
bataille...
que peu de temps.
en mai 1916
camions
se rangea en lisière
seuls
G...,
l'honneur d'appartenir, l'habita
L'installation ne prit
Un
Verdun
de
l'escadrille
sous deux grands arbres, les
nos deux tentes développaient
leurs toiles kaki.
La vue de
mon
ces monstres
cœur. C'est
qu'à
paisibles
considérer
ravit
sol
le
entièrement vierge du bois, j'avais conçu de l'inquiétude... Allais-je avoir
nuit? Certes, durant
ma
vie
un
toit
pour
de soldat,
la belle
m'a toujours été
très pénible, alors
que
les nuits étaient douces...
j'ai
mais cela
souvent dormi à
étoile;
la.
même
Emprise de
l'habitude, sans doute.
Or
j'avais
un
toit, et
même un
lit,
com-
AU CIEL DE VERDUN
ment
n'être pas
heureux? Depuis,
tion s'est améliorée.
mon ordonnance rustiques; je
escabeau
et
Avec de
j'ai
un
une table, bref
L'aviation est une
toile hospitalière,
meubles
meubles lit,
un
l'essentiel
de
même
portemanteau,
confort. Et dans
des
en plus du
possède,
ébranché, une table de
l'installa-
vieilles caisses,
a fabriqué
l'ameublement. Je jouis car
6
de superflu, jeune
toilette,
arbre
une étagère.
arme qui permet tout
mon
coin de tente, sous
le la
au milieu de ces quelques
familiers, j'ai
vécu huit mois.
Je suis mollement étendu à l'ombre des
grands arbres, auprès des tentes; je regarde...
Devant moi, vions.
inculte
Il
le
terrain,
bien terne,
est
où ne
poussent
hangars d'a-
les le
terrain,
que
herbes, sans couleur ni variété.
plage
de
maigres
Ils
sont bien
stupides, les hangars, gros ballons de toile
jaunâtre,
avec
des
ouvertures
énormes;
sortes de crapauds monstrueux, méditant, la
gueule ouverte. Mais cet ensemble fade se limite au trait ferme de la crête et
de derrière
comme un Je laisse
elle
un
ciel
il
surgit
profond et limpide
inOni de cristal.
mon
beauté immense
regard se perdre dans cette et légère.
Mon âme
en est
toute rafraîchie.
Mais voici
la nuit
qui vient. J'ai plaisir à
AU CIEL DE VERDUN voir les grands oiseaux regagner le nid.
Ils
descendent, les ailes immobiles; en une ma-
nœuvre rapide,
ils
piquent vers
le sol,
redressent, légers, et se posent.
Ils
puis se
roulent
avec un bruit de tambour gratté, se dépêchant, patauds et lourds, vers les hangars
qui les avalent. Les uns viennent droit des lignes, points noirs qui grossissent
donnant. Les autres virent
La
nuit
en bour-
et virent encore.
des
grands
d'un
dernier
approche, l'ombre
arbres à côté de moi s'allonge.
Un
avion
rayon de
tait.
rante.
profile
soleil et brille
étoile... Il
se
attardé
Le
au
loin,
comme une
se pose. Tout s'immobilise, tout
terrain s'endort à la clarté
mou-
J'achève d'assujettir
un coup d'œil sur mes Tout
est
mon
casque. Je jette
cartes,
mes
en place. La ceinture
jumelles.
est bouclée,
je suis prêt...
Je
me
fourrure
retourne, et au personnage, gros de
comme un
cocher russe, qui
fixe
—
c'est
sur moi des yeux exorbités d'insecte
mon
pilote, lunettes
—
En
route!
Je
me
carre dans
comprises
mon
—
je hurle
:
siège et j'attends.
Les moteurs tournent. L'appareil s'ébranle.
Quelques secondes de cahotement, terre, frir
hargneuse, qui s'efforce de
c'est
la
faire souf-
jusqu'au dernier moment. Et puis, d'un
mouvement souple Nous montons...
Gomme
puissant,
l'envol...
c'est loin, la terre! J'en aperçois
un morceau rond galette.
et
et
plat,
ainsi
qu'une
Les bords s'estompent de brume
AU CIEL DE VERDUN
Hommes
bleue! noirs
bêtes
et
7
sont des
ou blancs; les maisons,
rouges
dans
champs;
les routes,
Et tout
en
songe que
ment que
le
damier de Gns
le
cadre de terne
et
agitations humaines,
minuscule
des
traits blancs...
antenne, je
peu de chose décidé-
c'est bien
minuscule
des carrés
mon
déroulant
points
la vie.
Quoi!
c'est ce
cercle
des
où tourbillonnent,
s'af-
disque,
le
frontent, s'exaspèrent les désirs, les intérêts,
comme
les passions,
les
vagues d'une mer
en furie! Quelle petitesse! Quelle vanité!
Ah! que ne
puis-je
pour toujours
devant Fimmen-
infinis,
m'afFranchir
des mille liens
qui doulou-
d'espaces
sité, la clarté
ici,
reusement attachent
mon âme
à
nité de conventions,
de sottise
et d'orgueil
Gomme
les
régions que
j'ai
une huma!
gravies sont
simples et paisibles!
Nous approchons des lignes. les champs retournés,
au loin labours
de
la
souffrance
tache brune dans
la
et
de
J'aperçois
durs
les la
mort
campagne. Voici
:
Sol\,
AU CIEL DE VERDUN
8 plus
Morl- Homme, côte
loin
Douaumont,
et
et
Vaux.
du Poivre,
Et, sur ces crêtes
pelées, la longue théorie des
fumées d'obus
colonnes ocres ou blanches, qui
du
sol et s'en
vont avec
le
:
jaillissent
vent; fantômes
aux longues robes traînantes, à
marche
la
paresseuse; lavandières, sans doute, qu'on
ne rencontre qu'en signe de mort lente procession n'a pas de fin
dans
les lointains
Et de tous
les
;
:
elle se
brumeux. côtés dans la campagne,
au long des haies, au coin des bois,
ment
les
leur
perd
s'allu-
brèves lueurs dés coups de canon
:
vraie danse de feux follets. C'est, à n'en pas douter,
d'attaque
allemande.
Je
une préparation
regarde
de
tous
mes yeux. Nul bruit ments
des
terrestre,
moteurs,
au travers des ronflene
parvient
à
oreilles.
Comme
bataille!
Les éclatements..., vapeurs du
je
suis
loin de la
mes
grande sol,
peut-être? Les lueurs des départs.,., scintil-
lements d'insectes. Je doute de la bataille...
la réalité
de
AU CIEL DE VERDUN Et pourtant, je paresseuses,
il
le
9
sous ces fumées
sais,
y a de pauvres corps que
crispe l'angoisse de la mort. Ils sont fantassins, tassés
là, les
dans des vestiges de tran-
chée, attendant l'assaut. Et sur cette chair
sans défense, les obus tombent et tombent encore, implacables. Parfois, hachés, rompus, disloqués,
des corps sont projetés.
Il
pleut aux alentours des
lambeaux sanglants.
Des gémissements, des
râles montent, voix
faibles et plaintives,
Les yeux
sions.
dans
brillent
le
fracas des explo-
étrangement dans
les orbites creuses.
Pas un ne recule! Oui dira
la
grandeur
de ces hommes, à l'âme ferme, devant l'horreur d'une effroyable mort? Et leur souffrance
!
Je
suis
bien
loin
de
la
grande
bataille.
Je croise au-dessus des lignes
minuscules
boules
!
Parfois, de
nuageuses naissent au
voisinage de l'appareil. Tirs quelconques de batteries antiaériennes. Parfois aussi, dans
une
volte
rapide,
un avion ennemi me
AU CIEL DE VERDUN
10
montre ses croix noires rappelle
se
aussi
à
à
mon
dure Mais, l'on
de
loi
souvenir.
bataille,
la
moins que d'autres, la
mort qui
c'est la
:
de
celle
Car
je
suis
l'air,
et
non
La
meurtrière.
elle est
guerre n'a pas d'exception.
honte, parce qu'ici, en haut,
j'ai
si
meurt, l'on souffre peu.
Nous descendons. Au passage, Verdun, toile
d'araignée
trame
;
dont
rues forment
les
cathédrale, la citadelle
la
figures géométriques, rectangle
Verdun
et
son
collier
:
la
simples
ou polygone.
sombre de grands
arbres.
Et voilà
le terrain, si petit, si petit,
l'immensité des campagnes.
Gomment
rons-nous jamais poser notre avion,
machine
si
grosse,
sur
un
si
dans pour-
une
minuscule
carré ?
Nous descendons. Les Une heureuse manœuvre terre. Nous roulons.
cordes et
sifflent.
nous voilà à
Paix, les moteurs!... Quel silence!... Len-
tement, je
descends
de
la
carlingue; je
AU
CIEL DE
fais
quelques pas,
Un
brouillard léger
la
VERDUN
démarche
me
semble
toutes choses. Je suis ivre vitesse et de vent.
I I
incertaine. flotter
un peu,
sur
grisé de
me
Je
—
Oh!
Virez
!
Derrière
là!
Virez
siège...
nous, tout près...
!
Je hurle dans le
mon
retourne sur
bras vers
vent, tout en
le
une forme noire,
étendant
très petite
dans l'espace...
L'appareil violent
me
se
met tout
qu'une force multiple, m'écrase sur
mon
vigueur musculaire
ment
Un
vent
;
irrésistible,
me
plaque,
siège...
Je perds toute
me
trouve entière-
je
paralysé...
En même temps, tête
droit!
en plein visage, tandis
frappe
se
vide
j'ai la
de son contenu.
puissant brouille
ma
vue
L'appareil tombe. Je
masse,
la
sensation que
respiration
l'estomac douloureux...
et
ma
Un
ma
vertige
pensée.
tombe comme une
coupée,
le
cœur
et
AU CIEL DE VERDUN Et puis,
ment
un brusque
puissant..., la fin
l3
un soulève-
arrêt,
du virage.
Là, piquant droit sur nous,
un Fokker... Nous
noire, l'autre,
Au
allons l'un sur
Attention
vite.
croisement, une volée de
voyées le
vertigineusement
une forme
et reçues...
claquement
!...
en-
balles
J'entends très nettement
sinistre des
minuscules messa-
gères de mort...
Pas de résultat apparent,
d'aucun côté.
Et tout aussitôt, un nouveau virage vent m'arrache brutalement des mains et
me
comme une
Le
mitrailleuse
renverse!... Je suis
porté dans l'espace,
un tourbillon
la
!
feuille
emdans
violent...
Nouveau croisement, nouvel échange de Encore manqué. Mais aussi, quel
balles tir!
!
A
cible à
cent cinquante à
deux
l'heure,
sur une
cents...
Le combat
se
poursuit.
Les
appareils
virent et descendent, glissent et tombent...
Le disque de
la terre s'incline, se
balance.
l4 Je
AU CIEL DE VERDUN
~
le
vois dans des positions étranges. Voici
qu'un renversement sur au zénith
l'aile
me
montre
le
C'est vraiment une vision d'Apo-
!
calypse, que ce bondissement de la terre,
légère
aussi
qu'une balle de sureau, dans
l'espace...
Tout fixe,
mouvement, tout
est
nul point immobile
sentiment dernier de
fuit.
Rien de
où accrocher un
stabilité...
Bouleversement immense, tournoiement prodigieux.
Et dans
la carlingue,
les forces centrifuge et
font
un jouet de moi
façon d'une sais plus
mais
mon
et
poussées
les
de
la
me
d'air,
pesanteur se
brimbalent à
boule dans un grelot! Je
guère où je suis
ni ce
énergie reste entière et
que
la
ne
je fais,
ma volonté
ferme. J'abattrai
mon
adversaire.
De temps en temps, comme un blancheur passe
dans
immense. Pan! pan!
le
éclair, sa
tourbillonnement
pan!...
Quelques balles
à la hâte...
Les virages sont de plus en plus fréquents.
AU CIEL DE VERDUN
l5
de plus en plus serrés. Le brun, qu'est
la
terre, la luminosité, qu'est le ciel, alternent
en une rotation maintenant forcenée... J'ai les nerfs sée...
Où yeux;
exaspérés,
la tête
sans pen-
Je n'en puis plus. est
mon ennemi? ne
je
le
Je
le
cherche des
trouve pas... Disparu je ne
Le combat vient de quement qu'il s'est engagé. sais où.
Plus de virages
;
finir
aussi brus-
un vol en ligne
droite,
qui est un grand repos. Je reprends peu à
peu entière possession de moi-même...
Un tants
cauchemar, n'est-ce pas, que ces ins-
où
ciel et terre, la
mort
et
nous tour-
noyions, mêlés?
Un
cauchemar, certainement car tout
à présent
campagnes
;
bien
en place
et le ciel.
et
immobile,
est les
Une
triste
nouvelle
merveilleux,
pilote
court.
un maître
plus fameux,
combat Il
était
Un
aérien...
une
si
et se
Boillot
Tout
On
;
est
de son
vient le
d'être
monde
il
D'un bond,
il
en
est atterré.
là, il
jeté
en
rapide.
chasses.
sort de Boillot est clair. Quel-
as » écoute sans sourciller.
se fige en
vol
veut savoir ce qu'il est advenu
compagnon des grandes le
Navarre qui
s'est
un départ brusque, un
Hélas!
il
tué
a eu connaissance de
qu'un explique à Navarre ce qui «
l'aviation, se
distingue à l'égal des
se précipite. C'est
l'événement.
L'
peur,
grande espérance.
vient aux nouvelles,
Il
dans
le
appareil, au fuselage couleur de sang,
se pose.
avion
sans
soldat
le
Boillot, qui, à peine entré
révèle
Boillot,
s'est passé.
Un
inslant,
une contemplation farouche,
le
AU CIEL DE VERDUN regard perdu au
pour
ciel...
Et voici
il
fonce eu plein
vengeance.
la
la
loin. Puis,
I7
mort de
Boillot.
Boillot, sur les larges routes de
avions allemands.
contre cinq
Qu'importe
!
Il
l'air,
ren-
est seul.
voit-on jamais l'aigle refuser
le
combat ? se
11
rue à l'attaque. Les mitrailleuses
claquent. Boillot est atteint, en plein vol, en plein héroïsme, d'une balle au cœur... haut,
haut dans l'azur lumineux.
très
Il
tombe,
chose pitoyable. Et qu'est-ce donc que corps,
quand l'âme
est partie?
tombe... Boillot a
Il
Et Navarre, Mais
il
le soir
est triste,
plus.
AU CIEL DE VERDUN
le
fini
de servir.
même,
a
vengé
Boillot.
parce que son ami n'est
En ...
avion, au-dessus des lignes.
Ne me
semble-l-il pas entendre
un mur-
mure confus, un grouillement lointain? Je me trompe évidemment; quel bruit, au travers des ronflements des moteurs, pourrait
parvenir à
mes
oreilles?
Pourtant, je perçois une rumeur immense. Suis-je bien éveillé?
Sans doute, car voici
autour de moi un avion bien réel. Non,
je
ne rêve pas. Alors? Que penser?... Mais je n'ai plus le
temps de chercher une explica-
tion.
C'est que la et
rumeur monte.
Elle grandit,
soudain c'est une tempête de hurlements,
de plaintes
:
des coups sourds, des crisse-
ments, des arrachements,
des tintements;
AU CIEL DE VERDUN
un monde sonore, divers m'emplit
tête
la
IQ
et formidable, qui
L'âme
m'étourdit...
et
troublée, j'écoute, tout
mon
être tendu.
Quelle est cette voix puissante qui hurle à
mes que
oreilles,
celle
plus vaste, plus douloureuse
des mers, les soirs de tempête?
C'est l'émanation, je le sais tout à coup, la
poignante émanation d'une soulï'rance et
d'une angoisse
infinie...
Longtemps, j'écoute l'immense Et puis, dans
le
vaste concert, l'une après
distingue
l'autre, je
plainte...
les
Des voix
parties.
me deviennent perceptibles. Elles mon cœur d'horreur et d'épou-
singulières
poignent vante.
Un
bruissement
subtil,
un frôlement
et
comme de draps sur des On dirait, n'est-ce pas, le frissonnement
des chocs légers, chairs.
d'innombrables corps humains.
A
n'en pas
douter, c'est cela... Frissons de faim, de soif,
de fatigue, de
fièvre..., je
ne sais! Mais, aux
mouvements
convulsifs
de
muscles
dou-
AU CIEL DE VERDUN
2
loureux
et las, naît et parle
une voix plain-
tive...
Partout, partout, c'est un
comme
et continu,
gravier!
Il
souffrance
murmure
celui d'une eau
léger
sur
est clair qu'ainsi s'exprime
non aiguë mais sans
le
une
fin ni trêve...
Autre chose, maintenant... Écoutez! N'entendez-vous pas ces subtils déchirements?
Des chairs qui
se
tendent, n'est-ce pas, et
cèdent? Ces craquements, des os qui rompent? C'est
Ce murmure, du sang qui coule? ainsi que doivent se déchirer, rompre
et saigner
des corps écartelés.
Et ce battement dans l'eau? Et cette chute d'un liquide dans un trou? Mais c'est un être qui se noie; agite
il
se débat contre la mort;
il
des bras impuissants! Floue! floue!
L'eau descend, implacable
et régulière.
L'en-
tendez-vous? Plus maintenant?... C'est parbleu
fini,
!
Et ce grésillement? Serions-nous dans une
AU CIEL DE VERDUN
31
pour qu'ainsi chantent au feu des
rôtisserie,
chairs ?
Et ce grattement dans duit,
vous
le
le
sol?
Il
est pro-
savez aussi bien que moi, par
des ongles qui creusent
la
terre. Serions-
nous dans un cimetière où s'évertuent des vivants? Le
enterrés Parfois
travail
semble qu'un corps
il
en
contre
le
un spasme
tracte
se
poursuit.
raidi se con-
désespéré
et
lutte
poids qui lentement l'écrase...
Mais voici que tous sent dans un
les bruits disparais-
grondement immense,
en émane des sols sur
le
tel qu'il
point de trembler.
J'écoute, haletant, la vibration formidable. Qu'arrive-t-il?
La boue! et
Effroi! c'est la boue qui bouge monte des profondeurs du sol... Ah! j'en-
tends
s'efforcer
de
multiples
travailleurs.
C'est la lutte désespérée que livre contre l'inlassable
élément un peuple d'êtres hu-
mains. Qu'ils sont petits et faibles, devant les
vagues énormes qui roulent en grondant,
lentes
mais
infinies...
AU CIEL DE VERDUN
22
Arrêtez, je vous en supplie, le
bien qu'elles anéantiront toute
Autre chose encore...
Mais oui, ne
mouvement
masses humides... Sinon, vous
des
puis
c'est cela...
douter...
Il
me
savez
vie...
semble.
Des battements,
Ce sont
les
je
battements
d'innombrables cœurs... Toc! toc! Écoutez!
En
voici
de précipités.
disent
Ils
d'in-
tenses émotions et des angoisses. Et d'autres,
qui sonnent dans les poitrines,
un
cloches,
glas d'épouvante...
comme
des
Battements
de défaillance et de peur...
Mais soudain, je comprends que ces pulsations de faiblesse ne sont
que
passagers de cœurs puissants et je
ne
rythme
saisis
plus qu'un
les troubles et tranquilles
mouvement au
parfait.
Quel merveilleux régulateur possèdent-ils donc, ces cœurs, fermes et calmes au milieu
de tant d'horreur?
Et voici qu'après avoir perçu bataille
dans son affreuse
la
voix de la
diversité,
il
me
AU CIEL DE VERDUN
23
semble en entendre une nouvelle, voix douloureuse et
grave,
prononcer
de subtiles
paroles.
Est-ce une hallucination? un rĂŞve? J'entends...
Un
idĂŠal,
une
Et point autre
foi..., le
la
devoir, le sacrifice.
source des vraies joies...
Un
tour au paddock, voulez-vous ? J'ai de
vous mon-
belles bêtes et de races variées à trer.
Voici les carlingues
comme
Farman
«
immenses;
Ailes
y>.
énormes, ventrues
et
luisantes
des aubergines! Ni très vites ni très
nerveux, robustes
Ce sont
et sûrs.
les
bêtes
des humbles et durs travaux, des labours sans gloire, mais d'où germera Voici les
Gaudron
«
»,
la victoire.
larges aussi d'en-
vergure, mais les ailes fines. Tout en mâts et
en cordes
;
comme
moteurs ronds
des
meules, carlingue exiguë, bonnes bêtes déjà
pour
le
combat, mais délicates
et qui flan-
chent parfois. Voici les
«
Sopwith
y>,
gracieux et légers,
aux larges
ailes,
Cambrés
beaux comme des nageurs qui.
et
au long
et
fin
fuselage.
AU CIEL DE VERDUN les jarrets
tendus
et les
25
bras en croix, s'ap-
prêtent à plonger.
Et voici
les aigles
:
«
Nieuport
Courts de reins, larges de poitrail puissants
comme
;
».
avants
des museaux de dogues.
Bètes de race, souples
grandes chasses
Spad
et
et
bêtes des
vites,
et
des luttes à mort.
Regardez-les, rangés paisiblement devant
hangars,
les
nez au vent. Les Farmans
le
diaphanes semblent des cocottes en papier posées sur un tapis. Les Gaudrons, sombres et sales d'huile,
ont des iaces
avec leurs moteurs ronds et leur carlingue
comme
des yeux
en forme de bec. Les Sop-
withs, les ailes au les
de hiboux,
ciel,
sont de l'élan figé
;
Nieuports, des poings tendus; les Spads,
une attente puissante.
Regardez soleil
et,
le
scintillement des moteurs au
sur les toiles vernissées,
plendissement des cocardes
pas des coquelicots
et
:
le
res-
ne diriez-vous
des bleuets, dans
l'or
blond des blés? Regardez-les,
choses sans
vie.
immobiles
Qu'un ordre
et
silencieux,
arrive,
qu'un
AU CIEL DE VERDUN
26
ennemi
se
montre à
l'horizon, et
ronflement énorme vous
les
dans un
verrez s'animer
'
;
tout à coup, aller et venir, nerveux, bruyants, puis,
un à un, comme des
clair
le
brun de
la
piste
flèches, rayer et
s'élancer
de en
plein ciel.
Et quand de
ne seront plus pour vous que
ils
minuscules
brillants,
dans
l'immense
vous entendrez peut-être
écrin
d'azur,
faible
claquement de leurs mitrailleuses.
le
|
Deux
points noirs dans
la
nue, qui gros-
sissent, grossissent!
Obus énormes? bombes d'avion? Oh! ce des corps humains!... Ce sont de
sont
pauvres
hommes
qui tombent
hauteurs, grand Dieu?
De
!
quelles
Des masses impuis-
santes, qu'une force fatale, tout
à l'heure,
écrasera, aplatira au sol.
Au-dessus, très au-dessus, un Farman à allure
étrange,
comme une même,
ballotté
à
feuille morte...
tous les vents, Il
vire sur
tantôt très vite, tantôt lentement!»..
Eclat d'obus,
balle
de
mitrailleuse,
mandes rompues, sans doute; il le
dos
lui-
et s'est vidé
s'est
com-
mis sur
de son contenu humain...
Les corps descendent, tournoyant lente-
ment dans
l'espace; je distingue les
bras
AU CIEL DE VERDUN.
28 étendus
jambes...
les
et
approchent!
Ils
Vingt secondes déjà que dure leur chute!
— Les pauvres gas! Non
de
loin
y a une
villa
la
dit
route
dont
le
une voix.
je
oii
me
tenais,
il
parc est clos d'une
forte grille...
Le premier des deux hommes
s'est
em-
palé sur la grille. Voici le corps transpercé,
loque sanglante. Les plaies sont énormes.
Des ruisseaux pourpres coulent sur ments; des gouttes se suspendent bent une à une, dans
la
les vêteet
tom-
grande ilaque qui
est à terre, au-dessous...
Voyez
les
yeux grands ouverts! En eux
quelle expression d'étonnement
plus
explicable!
Comment
!
le
Et quoi de corps com-
prendrait-il ?
Le second tation. J'ai
est
tombé sur
le toit
nettement perçu
du corps, quand masse. Floue!...
il
de l'habi-
le
bruit sourd
s'est écrasé
comme une
On
a retrouvé
le
cadavre
AU CIEL DE VERDUN combles,
dans
les
brisé,
informe et sans
tas de vase...
On
vu
allant
cela,
en
rigidité,
Verdun
un beau jour
liaison...
rompu, comme un
enlièremenl
en a empli un cercueil...
C'est de la route de j'ai
^9
à Étain
que
d'automne, en
Gomme
Une profondeur
d'air transparent
fin
dans
légère.
cœur
au
Oh
Beauté
dans
!
le
de
sans
Oh! monter
rose!
et
fraîcheur,
cette
atteindre
c(
beau! Pas de brume au
pas un nuage.
ciel,
le
fait
il
cette
pureté;
immensité
cette
de dévoiler enfin
désir
la
que ces splendeurs dissimulent;
»
désir d'étreindre son corps divin; l'espoir,
par cette étreinte, de sentir en infini clair et
mon âme un
doux.
Je veux monter,
monter
toujours...
Je
monte. Hélas! voile,
A
mes yeux ne
n'apparaît nulle
Hélas! devant moi fraîche
déchire
chair de
fuit et
nul
merveille.
m'échappe l'âme
du matin. Malheur!
Malheur fois
se
!
Car
que l'homme
il
en est
ainsi,
à chaque
tente d'atteindre les formes
AU CIEL DE VERDUN
3l
charmantes que parfois, confusément, tingue en son
il
dis-
ciel!
Malheur! Car
c'est,
à
chaque
fois,
l'âme
plus désolée, qu'il perçoit la vanité de ses eflPorts
Le capitaine m'a
pour aujourd'hui,
confié,
un réglage de pièces de 190 sur ennemie de coordonnées 62-45 Midi. fixé
la
déjeuné
J'ai
pour i3 heures,
et
tôt,
digestion
Il
!
me
car le travail est
monter en avion, au
de table, peut être
sortir
à
—
fort préjudiciable
faut
une demi-lieure
de vol environ pour prendre aller
aux lignes
la batterie
ma
hauteur,
et reconnaître l'objectif. Je
décollerai à la'^So. 12^ 10.
—
Il
fauteuil et de
est
temps d'abandonner mon
songer aux préparatifs.
Mais tout d'abord, un coup de téléphone
aux
artilleurs
moire.
Il
ne
pour leur
s'agit
les meilleures
intentions
sans avoir pu rien milliers d'excuses.
rafraîchir
la
mé-
nullement de partir avec
faire,
et...
de
revenir
pour recevoir des
AU CIEL DE VERDUN
— Oh
pardon
!
comment
33
Je ne sais vraiment pas
!
cela s'est
fait,
j'avais noté pour-
tant.
Rafraîchissons
— Allô
Rafraîchissons
!
Allô! C'est
!
Ici, l'escadrille.
pour effectuer
le
!
groupe Tardieu?...
L'avion de réglage va partir
convenu.
le travail
Je raccroche, certain maintenant que les artilleurs seront prêts à
Et
cela
temps
n'est
est,
pas
pour tout
cieuse, mais
il
mes premiers
sans le
appels.
importance!
Le
monde, chose pré-
est sans prix
pour nous, qui
n'avons que quelques heures de travail possible.
Et maintenant, je m'occupe à rassembler le
matériel
avec moi
:
spécial
que je
vais
emporter
une planchette de contre-plaqué,
sur laquelle s'étale un plan directeur soi-
gneusement
collé
;
une deuxième planchette
où sont fixées avec des punaises plusieurs photographies de l'objectif; un crayon au
bout d'une
ficelle,
pour marquer
sur
le
papier les points d'impact et noter les corrections; une paire d'excellentes jumelles. AU CIEL DE VERDU>
AU CIEL DE VERDUN
34
Je mets les planchettes sous
crayon dans Et
me
je
poche
la
dirige,
et les
ainsi
bras, le
le
jumelles au cou.
muni
harnaché,
et
vers les hangars.
un temps délicieux. Le
fait
Il
ciel,
tout
rose et bleu, a des teintes de jeunes chairs.
Le
soleil
légère et
doucement
d'une
clarté
met une flamme pâle au brun des
bois. C'est
—
brille
une adorable journée d'automne.
Bonjour,
Fauchois,
comment
allez-
vous?
mon
Fauchois est l'ai
pilote d'aujourd'hui. Je
trouvé auprès de son avion, à l'examiner
soigneusement. L'essai des moteurs
donné entière vont.
Il
satisfaction.
lui
a
Les commandes
est prêt.
— Ail right! Penchés sur mes
cartes,
nous causons du
travail.
— G^est
la batterie 62-45, celle du ravin Haumont, que nous allons essayer de devant monter détruire Vous voyez la manœuvre :
!
haut pour n'être pas gêné, croiser au-dessus de
la
Meuse, entre Vacherauville
et
Verdun.
AU CIEL DE VERDUN connaît
Faucllois
vieux de Verdun,
il
le
35
secteur.
un
C'est
com-
n'est pas long à
prendre.
Maintenant, aidé par les mécaniciens, je
mes
revêts
habits de vol; je le fais avec le
recueillement et s'apprête, car
nombreuses
Un
soin d'un officiant qui
le
les
pièces du vêtement sont
et toutes indispensables.
chandail, d'abord, sur
ma
tunique
;
et
puis une combinaison imperméable, doublée
de fourrure,
et puis
un passe-montagne,
et
puis des lunettes spéciales, un casque, des
gants de
papier,
des gants
de iourrure
aux pieds, des chaussons de papier
;
des
V
chaussons fourrés. Ouf!
et
La cérémonie
est
terminée.
Les
choses se sont normalement passées, selon le rite
coutumier.
J'étouffe sous tant de vêtements. vite le
Viennent
vent du vol et sa fraîcheur.
Fauchois l'observe
pareillement accoutré; je
du coin de
De
tournure.
immense
s'est
et
petites
l'œil.
Dieu
jambes,
!
un
quelle
buste
par-dessus ces rondeurs disgra-
AU CIEL DE VERDUN
36
un étonnant
cieuses,
ensemble,
surfaces
sphériques, pelées; surfaces poilues, surfaces carrées; pièces métalliques brillantes; pla-
ques de verre, au bout de cylindres bizarres.
La
tête,
sans
doute.
informe,
avec
la
Il
démarche élégante d'un
ours qui vient danser! Je
que
je suis tel.
énorme,
s'avance,
à la pensée
ris
Quels monstres!
Et maintenant, à l'escalade! Je suis au pied de la carlingue,
jusqu'à
Ma
elle.
il
de m'élever
s'agit
tenue n'est pas de sport et
ce n'est pas sans peine, je l'avoue simple-
ment, que je parviens à m'acquitter de cette
Un
gymnastique indispensable. une roue pis; et
sur
le
elle
:
puis
rebord
est
un
glissante
effort
pied
d'huile,
pour placer
et le faire suivre
de
sur tant
l'autre
la
masse
principale du corps. Je n'ai plus qu'à en-
jamber
et
me
étroit et long,
dans
voici
comme
mon
domaine,
un avant de canot de
course.
Je m'installe dans
ayant vaincu une instant de plaisir.
mon
siège
difficulté,
je
et,
cela
jouis
fait,
d'un
AU CIEL DE VERDUN Et tout aussitôt, l'activité
besognes, qui ne
du démon de
je suis saisi
j'entame
;
la
série
3']
des
multiples
une
m'accorderont plus
minute de répit jusqu'au retour.
mes
Je range
nement
cartes, je vérifie le fonction-
du manipulateur,
celui
du rouet
de l'antenne, celui des fiches; j'essaie sance des rotules de mitrailleuses, cartouches, dans
rouleaux de
d'aluminium; j'attache
les
le
jeu des cases
leurs
planchettes et
crayon à des tendeurs, je m'attache; bon, vous
le
échapper de
A
comprenez, de ne rien la
l'ai-
le
est
il
laisser
carlingue.
terre se tiennent, le nez en
murier,
le sous-officier sans-filiste,
nicien,
prêts,
chacun
dans
sa
l'air, l'ar-
un mécapartie,
à
arranger ou à modifier. Mais rien ne cloche. l'apprennent avec satisfaction.
Ils
Ainsi
tout
est
paré...
Je
me
retourne.
Fauchois est en place; derrière son capot de mica, je
le
manche
son
«
fois
de plus
le
vois secouer vigoureusement à balai
»,
pour
gauchissement
vérifier
une
et la profon-
AU
38
CIEI,
DE VERDUN
deur. Les ailes se déforment sous les volets
du
l'effort,
stabilisateur s'agitent.
— En route. — Contact? demande-t-on au moteur de droite.
— Contact, répond Un
le pilote.
mécanicien s'approche; dressé sur
pointe des pieds,
il
deux mains
saisit à
pale gauche de l'hélice.
Il la
la la
balance un ins-
tant pour bien sentir la résistance et équili-
Et puis, d'un mouvement
brer son effort.
souple et large,
il
la
lance vers
la droite
du
revers de la main en s'étoignant vivement.
On
dirait
un joueur basque
en main, rebute L'hélice
qui, la chistera
la balle.
abandonnée
hésite, s'arrête.
Mais
une première explosion des gaz se produit et c'est tout aussitôt le
tonnerre du moteur
en action.
— Contact Et
le
!
hurle-t-on à gauche.
f[-acas s'intensifie.
nant n'est plus
la
le terrain. L'étincelle Il
L'avion mainte-
chose morte qui de vie a
s'agite et sursaute et tire
gisait sur
jailli
pour
pour
lui.
partir. Je
AU CIEL DE VERDUN
Sq
sens battre à grands coups son impatience
son désir des grandes randonnées.
et vibrer
Les mécaniciens se suspendent aux pour
les retenir,
comme
ailes,
des palefreniers aux
mors de chevaux ardents.
Il
souffle, derrière
nous, un vent de tempête.
Le
pilote
ralentit ses
ment, aidés dans caniciens, l'envol.
moteurs
et lente-
manœuvre par
la
mé-
les
nous roulons nous placer pour
Face
au
vent
:
essentiel.
c'est
Ainsi nous éviterons les poussées latérales
de vent, toujours fâcheuses, car virer
brusquement
l'appareil
au
font
elles sol,
mou-
vement qui entraîne irrémédiablement rupture du train de roue et accident, classé
«
le
la
capotage
cheval de bois
»,
:
assez
semblable au dérapage d'une voiture auto-
mobile dans un tournant.
Face au vent. Nous est
libre.
Un coup
voilà placés; la piste
d'œil en arrière
pour
nous assurer que nul avion ne s'apprête à atterrir sur notre
dos.
Un
geste large
de
lâchez-tout...
Les moteurs tournent à pleins gaz, arra-
AU CIEL DE VERDUN
l\0
chant
l'appareil
en
avant.
C'est l'instant délicat.
Un
Nous
roulons.
brin d'angoisse aa
cœur, J'attends. C'est que, pour tous les appareils,
mais
plus particulièrement pour les Caudrons, des
dangers sérieux sont courus au
que
moment du
départ
et
atteint
une altitude de quelques centaines
jusqu'à
ce
l'appareil
ait
de mètres! Qu'un moteur cale, qu'un coup de vent survienne, déséquilibre l'avion, c'est l'accident, et sans espoir
sement parce que
le
d'échapper à l'écra-
sol est trop
près et
la
chute trop brève.
Mais l'appareil a décollé. Nous montons.
Cent mètres, deux déroule l'antenne la
!
cents, cinq
cents
!
Cent cinquante tours
Je et
voilà à la traîne. Elle dessine dans l'air
une courbe régulière. Je ferme à présent circuits
sur
le
les
de l'appareil de T. S. F. J'appuie
manipulateur, l'étincelle éclate, c'est
quelque chose, faut plus et
le
que
courant passe, mais
mon
il
me
émission soit excel-
lente; je vais essayer sa qualité.
Tout
est
prévu pour cet essai. Des sans-ûhstes, en
AU CIEL DE VERDUN bas, sont
4'
aux écoutes. Si tout va bien,
un drap blanc devant
verrai apparaître
je
les
hangars! ((
Point, trait
trait,
;
Je manipule un voilà le
point, point. »
Grâce à Dieu,
instant.
panneau qui s'étend sur
Ainsi, je ne serai pas
l'immensité de cette terre qui
l'air.
un
Ma
isolé,
le sol!
perdu dans
pensée
s'éloigne;
touchera
minuscule
et la
forme, errante dans l'azur, mettra en action les
lourds canons!
Mille mètres!...
cercles au-dessus
Nous décrivons de du
terrain.
J'arme
trailleuses, je vérifie les hausses.
mètres!
Nous
allons
vers les
larges les
mi-
Deux
mille
lignes
que
j'aperçois au loin.
Deux
mille cinq cents!
Nous sonmies au-
dessus des lignes. Je cherche, des yeux,
la
Meuse, Bras,
le
batterie ennemie. Voici la
ravin de jeclif.
Haumont,
le village...
Ah!
voici l'ob-
C'est une minuscule tache claire dans
un vaste cliamp jaune. Je l'observe soigneu-
sement à
la
casemates
et,
jumelle. C'est bien cela, deux entre elles, des levées de terre.
AU CIEL DE VERDUN
42
Pas une minute à perdre; j'appelle
mon
antenne. Garde à vous, les artilleurs. «
A; d
point, trait; trait, point, point. »
:
L'antenne entend, car, en un endroit convenu, apparaît
mais je ne s'étale lait
sur
le
tout petit carré blanc d'un
hommes
panneau. Des
l'étendent, je le sais,
les vois pas,
tache claire
goutte de
un buvard. le
manipulateur
et,
en lan-
A;
d.
Réglage
gage convenu, je passe 62-45.
l'objectif
prête?
la
comme une
d'elle-même,
Je ressaisis
sur
et
:
La
«
batterie
est-elle
))
Le corps penché en dehors de
car-
la
lingue, le visage fouetté de vent, j'observe
attentivement les panneaux. Et soudain, à côté du carré, s'allonge un rectangle blanc.
Bonne
affaire.
La
batterie est prête.
Vite, plaçons-nous jectif.
une
Par
pour bien voir
gesticulation
l'ob-
appropriée,
j'indique
à
mon
exécuter.
Un
virage, durant lequel je rentre
la tête
la
dans
sienne
la
pilote
carlingue,
dans sa
boîte,
la
manœuvre
comme un
à
diable
pour éviter
les
AU CIEL UE VERDUN
du
gifles
4^
Tout droit maintenant sur
vent.
l'objectif!
Me
pulateur, je
Au mani-
heureusement.
voici placé
commande
«
feu
».
Les jumelles aux yeux, j'attends en comptant
les
Une, deux,
coups,
les
secondes.
Ça va
trente et un.
trois,
venir... Trente-quatre, trente-cinq,... rien...,
trente-sept.
Ah!
voilà
champ
jaune,
des
taches
si
petites,
sombres
sur
petites
si
étrangement semblables aux buissons
et
et
le* si
aux
arbres. Mais le vent les déforme, elles per-
dent leur rondeur grasse, et leur
couleur change.
disparaissent
elles s'allongent
Elles s'eff'acent et
!
Pas de doute, ce sont mes éclatements. Je
les
ma
reporte vivement sur
photo-
graphie, et vivement, demi-tour!
Tandis que nous regagnons
manipule arrière
rapidement,
non
de frétjuents regards.
dangereux de se
Boche rôde sans
les lignes, je
sans jeter Il
est toujours
laisser surprendre,
cesse.
en
et
le
AU CIEL DE VERDUN
44 ((
Cinquante mètres, à droite, deux cents
mètres, court
Mais voici que
»...
secoue insolitement tourne; ciel.
me
Je
l'appareil.
a le bras tendu vers
il
le pilote
un point du
Je sais ce que cela veut dire
avion en vue. Prière de
De
on
tance, celle-ci!
une forme
ont leur impor-
Je
l'accordera.
Il
y
dans
a,
noire
ronde au milieu,
la
m'empresse
traits,
un
c'est
une tache
biplan.
Est-ce
un ami? est-ce un ennemi? Voilà toute question. J'écarquille les yeux. rai-je le détail qui
résoudra
Encore quelques secondes Mais je reconnais, à Nieuport.
ment
je
Comme
sible, je
simule
Cette
Fauchois.
au diable
courbe des
ailes,
Au pilote, me dépêche de
A
tout discours
une
mimique la
est.
il
la mitrailleuse.
Tout va bien.
intéressé,
prendre.
mains.
la
quel
et puis,
j'empoignerai
la
Distingue-
problème?
le
L'avion grandit... je ne sais
l'identification,
à
direction indiquée,
deux
:
Un
«:
:
l'identifier. »
identifications
telles
re-
amicale satisfait
est
un
vivel'ap-
impos-
poignée
de
pleinement
façon d'un ours neurasthé-
AU CIEL DE VERDUN nique,
balance
il
tète de
la
l\^
bas en haut et
de haut en bas. Je
ma communication
reprends
rompue. Les yeux
mouvement des
au
altentit"
blancs, j'attends.
Et
le
salve,
réglage
Compris
«
poursuit
se
l'objectif, à
chaque
Périodiquement des espaces,
l'étrange
Tir d'efficacité
un
tel tir
que
n'est
salve
après
de plus près. le
l'agitation
silence
Quel-
de rec-
:
»,
avancé, car
autre chose
rightl
dans
signale-t-on d'en bas.
J'esquisse un geste de joie. vail fort
AU
conversation.
ques étincelles précipitées,
«
soudain, se ».
:
fois serré
reprend,
tangles minuscules
bâtons
tombent autour de
projectiles
les
petits
s'agitent
Ils
déplacent et figurent
inter-
sur les panneaux,
fixés
le
tir
Voilà
le
tra-
d'efficacité n'est
nos
efforts,
et
commencé que
lorsque
le
but de
le
réglage est terminé. C'est donc déjà presque
un succès. Désormais, mon de vérification, car
il
seul travail sera
importe que, pour une
cause ou une autre, vent ou température, tir
ne se dérègle pas.
le
AU CIEL DE VERDUN
46
Les lâches sombres se multiplient alentours de elles
Le vent
l'objectif.
les efface,
réapparaissent inlassables.
un peu, sous
les
«
Souffrez
marmites,
lourdes
allemands,
leurs
aux
Mais
souffrez.
artil-
surtout,
méditez. La souffrance ouvre des horizons
nouveaux. Et
la
vanité de votre rêve orgueil-
leux et inhumain ne peut apparaître à
Devant sa
la
manquer de vous
sombre lueur de
réalité sensible,
la
met
qui
mort.
vos
à
cœurs une angoisse douloureuse, vous connaîtrez qu'il ne sert à rien, en
somme,
d'être
puissant et dur, mais que l'essentiel, ici-bas, est la simplicité et frez.
la
bonté d'âme.
Souf-
))
Soudain, une tache noire prend forme sur la ligne
elle
de
la batterie objectif!
s'étale.
Bravo,
Elle grandit,
artilleurs
les
1
Leurs
obus, sans aucun doute, viennent de provo-
quer l'explosion d'un dépôt de munitions. Je ie
le
leur apprends
aussitôt
manipule joyeusement.
:
ta,
tra...
Laconiques,
ils
AU CIEL DE VERDUN
me répondent
Compris
«
:
[\']
el le
»,
tir
se
poursuit.
Soudain, une chute brusque de l'appareil.
J'ai
douloureux,
Que
me
je
sens
la
coupée,
l'estomac
arraché
du
siège.
Le fracas d'explosions
passe-t-il?
se
me donne mande
respiration
la
Une
réponse.
batterie alle-
vient de nous gratifier d'une salve
toute proche. C'est le souffle puissant des
qui
explosifs
a
provoqué
chute. Ni le pilote ni
désagréable
la
moi ne sommes tou-
chés; l'avion paraît indemne.
Nous en sommes conde d'émotion;
avec une se-
quittes
le pilote rétablit
aisément
dans
l'appareil. Je vois, derrière moi, flotter l'air d'inofl'ensifs
Et
le
nuages
noirs.
de destruction se poursuit. Au-
tir
tour de l'objectif naissent toujours et rent les minuscules
champignons bruns.
un coup
Je jette
meu-
d'œil
sur l'altimètre.
Quatre mille; nous avons monté sans cesse.
Mon
Dieu
proche
de
que
!
son
bataille petit.
Je
la
batterie
objectif
et
m'imagine
qui le
tire
est
champ de
que,
penché
AU CIEL DE VERDUN
48
sur une carte à faible échelle, je règle la
Comme
marche d'un kriegsspiel minuscule. suis loin!
je
Gomme
je
au
étranger
suis
grand drame qui se déroule à mes pieds! Quatre
mille
deux
haut.
Encore plus
bien.
J'ai
profite
Encore plus
cents.
loin.
Le
va toujours
tir
quelques minutes de
répit.
J'en
pour promener mes regards dans
le
vaste domaine des airs.
Au-dessus de moi, une profondeur sans fin
de bleu léger. Le calme,
dessous,
disque
le
brun
la
pureté.
des
Au-
campagnes
verdunoises, avec, en son milieu,
la
coupure
d'argent de la Meuse. Et sur ce disque, parfai-
tement immobile, un grouillement d'avions nains. Ils tournent, vont et viennent, parais-
sant glisser au sol avec une rapidité déconcertante et laisser au hasard leurs vives évolutions.
On
le
soin de guider dirait
des pois-
sons dans un aquarium. Tout autour d'eux s'épanouit
blanches
une
étrange
flore
de
fleurs
et noires (les shrapnells).
Mais voici
trois
heures passées que nous
AU CIEL DE VERDUN
^9
tenons
l'air.
Nos réservoirs d'essence
vident
et je
commence
temps de rissage
d'être
las...
rentrer. J'envoie le signal
se est
Il o:
atter-
».
Aussitôt les panneaux bougent et dessi-
nent
figure
la
compris
«
».
Je suis libre.
Atterrissons.
D'un
mon
à
est
geste, je fais entendre ce qu'il en
le
pour
Fauchois,
;
coupe l'allumage
attendre,
vers
pilote
je
:
Dieu que enfin le
pique droit
et
L'antenne
tourne
c'est long
!
plus
Je prends les dispositions
terrain.
l'atterrissage.
ramener
sans
plomb de
!
d'abord
rapidement
Mon bras
à
rouet.
le
mollit
quand
l'extrémité vient à son
logement.
Nous descendons rapidement. Les cordes sifflent. Le vent arrache presque le casque de
la tête.
Désarmons
mitrailleuses
les
:
ce
sont
bêtes dangereuses, qu'il est utile de museler
pour
Trop souvent accident
délicat
l'instant la
survient,
AU CIEL DE VERDUN
de l'atterrissage.
précaution est omise; un les
armes
se
mettent 4
AU CIEL DE VERDUN
5o
d'elles-mêmes à fonctionner et qui est
je
fait,
tuent...
Voilà
n'ai plus qu'à attendre
événements. Et
comme
nulle
les
besogne ne
m'absorbe, je ne puis m'empêcher de songer
aux dangers qui nous guettent. Scabreuse, la
manœuvre
ou
Gare
d'atterrissage, scabreuse.
l'emboutissage au
sol,
ou
la
perte de vitesse,
capotage. Les incidents possibles sont
le
aussi variés que fâcheux.
Bah
à
!
la
grâce de Dieu
Tout se passe
!
bien, cette fois.
redresse à temps, l'appareil
heurt et roule au sol vieille
à
charrette.
notre
se
Le
pilote
pose sans
comme une bonne
Les mécaniciens courent
rencontre.
Ils
aident Fauchois à
conduire l'avion au hangar. Voilà qui est fait.
Les moteurs s'arrêtent. Une
sortie
de
plus.
Dégart, un camarade de l'escadrille, un ami, est là qui m'attend.
— Ça a marché
? interroge-t-il.
Je lui réponds en fourrures. Et efforts
et
me
dépouillant de
comme, après de
grâce à l'aide
mes
méritoires
des mécaniciens,
AU CIEL DE VERDUN terminé celte
j'ai
5l
pénible, nous
opération
remontons au cantonnement, en causant. Je suis tout joyeux, parce que sauf,
parce
malgré
que
effectué.
A
l'avion,
le
malgré
travail
le
sain
et
Boche,
et
heureusement
s'est
n'en est certes pas toujours ainsi.
11
cause de
cela,
ma
joie est plus grande.
Je conte à Dégart les incidents du vol
nous
en
m'étends dans un
Mon
aux
Arrivé
rions...
tentes,
car je suis
fauteuil,
:
je las.
corps est fatigué des montées et des
descentes rapides et des changements incessants de pression.
donnantes
et
ma
Mes
oreilles sont
tète pleine
bour-
encore des ron-
llements des moteurs.
Mais, surtout, je suis las de
soutenue de
ma
volonté et de
la
mes
tension sens...
La chose
à faire, sans cesse, au mépris de
la vie; la
chose à voir, sur
de
la terre
Je
me
le
plan
ou dans l'immensité de
repose.
si
lointain
l'air.
Très haut! Journée
d'été.
Quel émerveillement! De partout.
Mon cœur
devant ces champs
se
infinis
du
l'or,
gonfle
à
soleil,
éclater,
où danse
la lu-
mière. Ils
C'est
m'appartiennent, là,
espaces clarté
Je
dans sans
ma
ils
font
poitrine,
borne,
âme avec moi. qu'il
est
une
limpidité,
le
monde dans
des
une
d'enchantement.
communie avec
pureté, dans son immensité...
Je connais un instant de joie.
sa
Il
pleut aujourd'hui... Inutile de songer à
quelque pluie.
que
réglage
Temps de
ce
Temps de
soit.
liaison. J'appelle
Bertau,
le
conducteur.
— Bertau, amenez en
liaison.
La
camarades de
la
liaison,
travail,
voiture c'est
aux
;
C'est
trajet
le
visite
aux
artilleurs. C'est le
départ, casqué, la jumelle et le sautoir.
nous allons
la
sur
masque en
de mauvaises
routes, usées par d'interminables
convois.
C'est la traversée des villages, encombrés
de
troupes de relève
et
de fourgons de
ravitaillement. C'est, au passage, les dépôts
de munitions où
les
des bouteilles en
obus se rangent
une cave;
les
comme
parcs du
monstrueux
génie, désordre
immense,
de matériaux
plus divers; les sections de
les
tas
réparation et leurs pauvres affûts mutilés, luisants sous la pluie. C'est
Verdun
et ses
AU CIEL DE VERDUN
54
rues détruites, ses maisons ouvertes,
des plaies
sa citadelle, bloc
;
de pierres de
trouée.
gigantesque
de terre remuée
taille et
murs égratignés,
cathédrale, aux
comme ;
sa
à la nef
C'est la Meuse, serpentin brillant,
déroulé sur les gazons, et les faubourgs de
la
se cachent les pièces qui, de leur
ville, 011
voix puissante, ébranlent les murs et sur-
prennent aux tournants. C'est
le
gendarme,
produit autochtone des carrefours, debout
devant sa guérite de béton,
comme une
statue qui aurait quitté sa niche.
C'est souvent d'immenses cimetières, où
nos
dorment
soldats
rangés
comme
régiment
et
à
par
la
l'éternel
sommeil,
parade, groupés par
division...,
garde d'honneur
pour Verdun. Les croix de bois blanc sont
comme un s'élèvent
court
des arbres
grandes croix s'arrête,
le
pensée va,
donné leur
de-ci
de-là
de haute futaie,
les
communes. La conversation
rire
s'éteint.
respectueuse, vie.
et
tailhs,
La
L'on salue à
et
la
ceux qui ont
liaison? c'est parfois les
lourds oiseaux d'acier et leur sinistre appel.
AU CIEL DE VERDUN Et c'est l'arrivée chez
—
Vous
ravi de
vous
voir.
L'artilleur est
monde
les artilleurs!
Mon cher Comment
voilà!
55
Lafoni! Je suis allez-vous?
généralement
homme du
son accueil d'une courtoisie par-
et
faite.
La conversation
s'engage
Son sujet?
bienveillante.
demeure
et
le travail
des jours
derniers, naturellement.
— fis
Vous
souvient-il? Hier matin, je vous
attendre.
Il
j'eus affaire à
—
C'était
ne faut pas m'en vouloir, car
un Fokker mal intentionné.
donc vous!
j'ai suivi le
combat,
soupçonnant, sans en être certain, que vous
en
étiez...
instant
le
d'angoisse.
Mais,
vous.
Vous
dirai-je?
Ça
dites-moi
J'ai
tournait mal
donc,
au
un
eu
pour
dernier
réglage, pourquoi nous avoir envoyé dès
début
A
:
«I
le
Tir d'efficacité »?
côté, c'est
un camarade qui écoute
circonstances d'un
bombardement
— Cent marmites de 210,
les
sévère.
cent...
Ainsi chacun raconte un peu de sa rude vie.
AU CIEL DE VERDUN
56 Il
est fait aussi
souvent un rapide inventaire
de nos clients communs,
les batteries alle-
mandes, à qui nous livrons de
si
si
régulièrement
grandes quantités de munitions
— Croyez-vous l'emplacement cupé?
—
nous avons
Oui?... C'est incroyable,
déjà tiré sur
Une
sans doute.
lui trois mille
batterie
obus
!
solidement casematée,
faudrait réclamer
Il
!
o2-4o oc-
pour
elle
un
traitement de faveur..,, du très gros calibre.
La conversation va son la
liaison
s'achève
le
trinque à nos victoires de
succès d'Orient.
Metz, dont
le
On
train.
verre
Souvent,
en main.
Somme,
la
à nos
trinque à la prise de
siège est depuis longtemps
commencé aux avancées de
Verdun...
trinque à l'éternelle France
cela,
étroit
On
:
On
dans un
gourbi et dans un entassement prodi-
gieux ou sur les bois
le seuil
de baraquements, dans
que l'automne a teintés merveilleu-
sement.
Et la
puis, c'est le retour.
voiture,
route.
abandonnée
Il
faut rejoindre
à quelque
Nous dévalons des
coin de
ravins abrupts.
AU CIEL DE VERDUN par
des
taillis...
sentiers
La
pluie,
L'air est frais.
tracés
un
Il fait
au
instant,
67
profond
des
fait
trêve...
bon marcher...
Parfois,
une échappée montre
la
plaine de Meuse,
sur qui s'étendent lentement les voiles bleus
du
soir.
Je suis triste! Et quelle gaieté pourrait gonfler toute
mon cœur
grise,
campagne
devant une d'un
écrasée
plafond bas de
nuages, sales et lourds? Il
me
pleut. fait
jours. et
La chute incessante des gouttes
invinciblement songer à
Le temps passe,
monotone, comme
nous allons aussi
temps
le
cette
la fuite
des
régulier
fuit,
eau du
ciel! Et»
passons Et chaque
et nouis
!
jour met à nos visages une ride de plus, à
nos cœurs une déception. nesse, de la
fleur
faites-vous, impitoyable
Coulez, sombres
campagnes
!
Oh
de corps
!
de notre jeuet
d'âme, que
Temps?
nuages!
Dans nos âmes
Désolez-vous, aussi,
pleut
il
sans cesse.
Dégart pénètre dans
ma
tente
:
à
son
AU CIEL DE VERDUN
69
visage, je le devine également oppressé de tristesse.
—
Je suis venu le trouver,
dit-il,
parce
que, à demeurer seul, je sombrais dans
Mon âme
désespoir.
de plomb qui
Entre
est étoullee par le ciel
touche
cime des arbres!
la
me
la terre et lui je
sens à
l'étroit, je
manque d'espace, je manque d'air. Nous ne craignons rien, hors que
—
ciel
le
le
ne tombe...
— Ah!
laisse-moi tranquille avec tes ré-
miniscences. Ce ne sont pas elles qui dissi-
peront l'angoisse de
— Et
mon
bénies où
le
clair soleil, à cette heure, illu-
mine des campagnes en
— Et aux
toits
cœur...
dire, vieil ami, qu'il est des régions
qu'il est là
joie.
des maisons d'or vieux,
couleur de sang.
— Et des champs raude, des bruyères
d'ocre, des prés d'éme-
en fleurs,
d'argent, des
montagnes de
lumière et de
la
— Dire là,
qu'il
beauté
des
cristal.
gaves
Et de
la
!
se pourrait
que tu fusses
à goûter ces splendeurs, avec, auprès de
AU
6o toi,
quelque
comme un
—
CIEL DE
belle
raisin
— C'est dur Nous nous tête basse,
ronde
fille,
et
douce
mûr!
Et dire que
humide... avec
VERDUN
toi,
je
suis
dans une tente
vieux hibou!...
parfois, la guerre
taisons
et
une amertume
!
nous qoûtons, infinie.
la
.
Les Boches ont attaqué. Le canon gronde sans arrêt. Les Boches ont avancé et notre contre-attaque.
infanterie
de tout cela ? situation
glants
On
et
s'est stabihsée.
de
Après
reflux,
la
de
san-
maintenant
ligne
Quelle est-elle?
Il
importe
savoir au plus tôt.
le
Le de
advenu
n'en sait rien, sinon que la
stationnaire.
est
flux
Qu'est-il
terrain est couvert d'une
projectiles,
téléphoniques
liaisons
les
nappe serrée
sont rompues. Patrouilles et coureurs circulent difficilement!
des
ne faut pas compter sur
Il
renseignements
à
venir
des
troupes
engagées!
Mais
l'artillerie
de
l'éclairer,
nisera
sans
dans
est
feux sont inefficaces.
Il
est
le
faute de quoi
perte
le
vague
et ses
de toute urgence l'ennemi orga-
terrain
conquis
et
placera ses troupes pour un nouvel assaut.
AU CIEL DE VERDUN
02
Aux
observateurs en avion seuls,
il
possible de débrouiller rapidement une
est si-
tuation pareille.
Plusieurs appareils partent du terrain; je
pars dans l'un d'eux. Tandis que nous allons vers les s'agit,
lignes, je
au juste, de
Repérer
les
me demande
demment. Mais
qu'il
faire.
Boches dans
leurs trous? évi-
sont tapis; mais
ils
remueront ni pied
ce
ni patte, à
mon
Mais leurs uniformes sont gris
et
ils
ne
passage.
boueux!
Véritables mottes de terre, les Allemands se
fondront dans Il
faut,
le
brun du
sol.
pourtant!
D'ailleurs, si je parviens à m'assurer de
leur
présence
en certains points heureu-
sement choisis, n'en pourrai-je pas déduire l'ensemble de vais essayer. vail
la
ligne? Oui, sans doute; je
La besogne
minutieux
et
est difficile, le tra-
long. Tant mieux, après
tout, j'aurai d'autant plus
de plaisir à réussir.
•
Nous
voici
au-dessus des lignes.
volons à six cents mètres.
Nous
AU CIEL DE VERDUN
Pour commencer,
63
un coup d'œil
je jelle
d'ensemble. Voici Thiaumont, voici Souville.
Bon! Entre
les
Tiens, les
fait!
deux,
à étudier. Par-
la crête
Boches ne
la
marmitent pas.
Guère mieux renseignés que nous, sans doute.
En
revanche, x\vec
joie.
nous canonnent à cœur
ils
du io5! Inclinez-vous,
c'est
ho-
norable! Et de tout près! C'est scabreux! Brrr!
Nous
noires,
comme un
Gare
la
Si je
circulons
rencontre
me
récifs.
!
prêtais attention
autre chose à faire,
que
fumées
les
canot au milieu des
pénible, sans conteste.
et qui
entre
à cela,
ce
serait
Heureusement,
un problème
j'ai
à résoudre
passionne. Vienne la mort, pourvu
je trouve.
Mais
mon
pilote est entièrement sans dis-
traction; je le regarde est impassible, à ses
du coin de
l'œil. Il
commandes. Brave
pi-
lote, va.
Nous
croisons.
Souville,
Froideterre;
Froideterre, Souville. J'observe à la jumelle.
Les
forts, tout
bouleversés qu'ils sont, pré-
AU CIEL DE VERDUN
6Z|
sentent encore des ombres géométriques. Le
une tache blanche, un
village de Fleury est
labour engraissé de chaux. La crête ailleurs
uniformément brun-noir. Des boyaux,
est
des tranchées partout. Mais je ne distingue
aucun être humain. Le terrain me paraît absolument vide. Fouillons encore. Tiens! ce
boyau
:
filet
teinte
bleuté qui sinue avec ce
on
Uégère;
dirait
sur
la
Meuse un brouillard du soir. Que peut être cela? Des fantassins français, parbleu! ce sont des fantassins français. Et
du bleu,
et là,
d'un
d'une haie,
près
ligne errante,
pinceau
je la tiens, bravo,
;
nonchalant;
en des trous épars,
d'un bois. Ah! mais
lisière
amie
tracée
encore
du bleu partout, en tache
ronde, goutte échappée, en
comme
là,
Vlan! vlan! vlan!
moi
vlan!...
voilà la
en
ligne
!
Une
salve bien
régulière de gros noirs, tout autour de l'appareil!
Puis
Nous sommes un reprend
l'avion
Tirez, tirez.
cherez pas
instant brimbalés.
son
vol
tranquille.
Boches rageurs! vous n'empê-
ma
besogne d'avancer.
AU CIEL DE VERDUN Je
une
tiens
ligne
certain qu'elle soit la
troupes que
65
française
Est-il
première? Non,
les
aperçues sont peut-être des
j'ai
réserves.
A me
y a peu de chance. Mais il faut une certitude, et la certitude, je ne vrai dire,
l'aurai
que
il
s'il
au voisinage de
m'est possible de distinguer
amie un
la ligne
parti alle-
mand. Je
me
reprends à
fouiller le terrain
succès d'abord, mais enfin rête sur
mon
une
affaire.
est
résolu,
Allemands? Si oui,
Car en premier second
en
objectif
magniGque.
l'essaim
ennemi
:
Il
lieu, le
Il
problème
fort
un
important,
une section, au moins. le
crois, je n'en
faut descendre. J'explique à
pilote ce qu'il en il
c'est
découvert
j'ai
est
Sont-ce des Boches? Je suis pas sûr.
nœuvre
regard s'ar-
une tache sombre, d'un brun sus-
pect. Seraient-ce des
mon
sans
:
faut exécuter
est :
et
quelle
ma-
piquer droit sur
la
tache brune, jusqu'à ce que, pour moi, conviction s'ensuive.
Nous piquons! Cinq cents mètres, quatre AU CIEL DE VERDUi>
AU CIEL DE VERDUN
66 cents.
Gare aux mitrailleuses
Tac, tac,
tac...
voici
:
coupée
piration
par
la
térieuse,
ou nous
danse.
vent,
le
La
faudra-t-il
res-
j'écarquille
secret, tache
yeuxl Livreras-tu ton
les
Trois cents.
!
mys-
nous écraser
Deux
sur toi et mourir en voyant?
cents.
Les balles claquent dru! Nous allons nous faire abattre.
Tant
pis! je
veux
savoir.
Cent
cinquante. Demi-tour, à toute vitesse
:
je
sais.
Quelques secondes, mitrailleuses
cesse!
et le
crépitement des
Quelle délivrance!
promène mes regards de tous l'air est
Les lignes déjà sont les
côtés.
limpide, la nature belle
crêtes de Belleville,
loin. si
aller.
avion je leur
Le nez en Hein si
!
les
l'air,
ils
Nous passons
bas que je disdes bat-
nous regardent
amis, ça vous étonne,
grand? Parce que
fais
Comme
!
tingue parfaitement les artilleurs teries.
Je
suis content,
je
des gestes d'amitié.
un
Ils
répondent
copieusement.
Tandis que nous allons vers
commandement de
l'arlillerie,
le je
poste de
me
hâte
AU CIEL DE VERDUN
67
de rédiger un compte rendu succinct de
ma
reconnaissance que je vais lâcher en passant. Voici je lance
le
poste. Attention
mon message;
rouge se déroule
et
la
et
Un, deux,
!
trois
:
banderole blanche
descend, en se tor-
comme une flamme. Maintenant, ma mission est remplie, mon
dant au vent
travail terminé.
Regagnons paisiblement
le
terrain...
Les fantassins ennemis, qui m'avaient vu piquer sur eux, se doutaient bien sans doute qu'il
allait
leur
arriver
quelque
histoire
fâcheuse. Il
un
leur arriva une dégelée fournie de i55, véritable « pilonnage
»,
d'eux une volée bruissante
et tout
autour
et piaillante
de
shrapnells, colonnes à lourdes volutes noires,
nuages blancs
et légers, qui s'en allaient
au
vent et renaissaient sans cesse. Terriflés,
l'on
m'apprit plus tard
lâchèrent pied et s'enfuirent, sous
la
qu'ils
correc-
tion sévère des fusants.
Le
travail
que
tu
m'as vu exécuter au-
AU
G8
CIEL DE
VERDUN
jourd'hui, ami lecteur, est pour nous le plus
passionnant de tous.
Un
texte à interpréter
un gribouillage
à mettre au clair
tails à observer
et,
d'un
vérité, la certitude à
;
;
mille dé-
fouillis d'indices, la
dégager
:
œuvre
d'in-
géniosité, d'intelligence.
Je n'aime pourtant pas être chargé d'un tel
travail,
traîne sont
Une
car les responsabilités qu'il en-
immenses
bizarrerie
et lourdes
d'éclairage,
à
porter.
un brouillard
tramant, et c'est l'erreur; et ce sont les
obus
français écrasant l'infanterie française; c'est
aussi
le
ment
:
dispositif de bataille
conçu fausse-
tout compromis, peut-être!
Lecteur, songe à l'angoisse des observaeurs qui partent avec de telles missions.
,
Une
saucisse boche vient d'être incendiée.
La nouvelle de
me
l'exploit
rappelle
le
y a quelques mois, un lieutenant de vaisseau. Un grand séjour que
fit
au terrain,
il
diable de marin, sec et long
comme un
un marin au visage
aux yeux
comme tel
liâlé,
une mer lointaine, au
mât; clairs
crochu,
profil
vraiment celui d'un oiseau de proie.
Son
vêtement
toujours à
était
la traîne,
large
et
l'ardente activité de son porteur.
qu'on
le
flottant
toujours en retard sur Il
semblait
voyait dans un coup de vent per-
pétuel.
Je
Taperions
de
l'entrée
temps;
il
pour
ma
faisait
Intrigué, je
tente,
la
première
fois,
de
un matin de prin-
sur la crête de larges gestes. m'infoiniai.
était et la raison
J'appris
qui
il
de sa présence. Le com-
7©
AU CIEL DE VERDUN
mandement
projetait
ce jour-là,
au
faire
incendier
allemands
une attaque
moyen de
ballons
les
et désirait
fusées spéciales,
d'observation
du coup, aveugler
et,
l'artillerie
ennemie.
Le marin du
lation
était là,
pour
surveiller l'instal-
dispositif sur les avions de chasse,
convaincre et instruire les pilotes. Besogne ingrate, à laquelle je le vis s'atteler avec
un
magnifique courage...
Une
saucisse ennemie était représentée à
terre par
taque cible.
un drap blanc. Le Nieuport
d'at-
s'élevait, virait et piquait droit sur la
L'on
entendait
siffler
les
cordes...
Soudain des feux s'allumaient à chacun des mâts, huit fusées partaient avec un bruisse-
ment
puissant.
L'avion
redressait
et
qu'à terre, tout autour de
s'éloignait, la cible,
tandis
des fumées
blanches montaient au-dessus du gazon. Aussitôt tir;
le
marin s'élançait pour juger du
je voyais son pas
nerveux
et
immense,
ses longues jambes qui se mouvaient
un compas démesuré.
comme
AU CIEL DE VERDUN
Le tous
revenu à terre
pilote
deux discutaient;
le
7I rejoignait et
souvent,
fallait
il
recommencer. Inlassablement,
le
à la cible, de la cible avait à
cœur de
de l'attaque
marin
des avions
allait
aux avions. C'est
qu'il
réussir et de voir au matin
ballons flamber
les
comme
gigantesques torches. Avec ce sens des ficultés
d'exécution, avec
dans
ce soin
de difla
prévision minutieuse, avec ce goût du travail fini,
qui caractérisent nos marins,
que rien ne clochât,
çait afin
il
comme
s'effor-
rien ne
clochera sur nos vaisseaux, quand viendront
pour eux
Il
me
C'est
grandes heures de
les
la bataille.
souvient.
un
clair
matin de printemps. Les
Nieuports sont rangés en bataille sur deux lignes, face au vent.
La première
des avions incendiaires,
la
est celle
deuxième,
celle
des appareils de protection.
Le marin il
est là, bien entendu.
a vérifié
Maintenant
la il
mise en place
fait les
Lui-même
des
fusées.
recommandations der-
AU CIEL DE VERDUN
72
nières; je vois ses bras tourner dans
comme
pales d'une roue
les
l'air,
de bateau à
vapeur.
Tout
Les moteurs ronflent,
est à point.
et
marin, starter de ces puissants coursiers,
le
donne
Un
le
signal
à
un
goureux entière
élan.
a
du départ. avions s'envolent d'un vi-
les
L'escadre, maintenant, tout
pris
l'air.
Les
tournoient, emplissant de bruit le tranquille matin;
grands
oiseaux
mouvement on
dirait
et
de
un vol
de pigeons au sortir des cages. Ils
tournoient et puis, tous ensemble,
piquent vers
les
un avion d'argent; c'est
celui
tient à
du
ils
lignes; j'aperçois, en tête, il
brille
au
soleil levant
commandant D.
P...
:
qui
conduire lui-même son escadrille au
combat.
Les ronflements s'éteignent. Bonne chance, les
chasseurs!
—
Les
voilà!
Les voilà! crie-t-on à mes
côtés.
De
petits
points
noirs
apparaissent en
AU CIEL UE VERDUN effet
dans l'azur
lointain.
']3
Un bourdonnement
mais immense monte de l'horizon
faible
comme une
s'étend sur nous
Un, deux,
trois...
II
et
voûte sonore.
en sort de tous
les
coins de lumière, de ces insectes minuscules. Ils
approchent
Le marin,
ce sont bien eux.
:
regard au
le
loin,
attend..
les
J'imagine en son cœur un brin d'anxiété.
Mais
il
est planté sur la crête, impassible,
comme un phare
sur une côte.
approchent.
Ils
Et voici que l'un des oiseaux, connue grisé
de joie, entame une effarante danse! Looping, renversement,
A
glissade,
rien
n'y
manque.
cette vue, les nerfs se détendent, la joie
parmi nous. Car personne ne doute
éclate
que ce
soit là
tement
et
Un
que
une manifestation de contenle
succès
ait
couronné
l'effort.
à un, les oiseaux se posent. Aussitôt
arrêtés, le
marin surgit à leurs
voit
largement
tats
circulent.
sourire...
côtés.
On
le
Bientôt les résul-
Huit saucisses sur dix ont
flambé. C'est magnifique, et tout à l'heure la
tache de l'infanterie sera moins dure.
AU CIEL DE VERDUN
74 Mais
les
combats furent sévères. Deux
avions sont restés là-bas
:
rançon doulou-
reuse du succès.
Et
marin s'en
le
alla.
Le
où
il
est
une œuvre
utile à
même, il Là sans doute
soir
avait disparu. Oia? je ne sais...
accomplir,
un
service à rendre à la patrie-
Mais je verrai toujours
cette
originale
figure toute d'intelligence et de volonté.
Une Et
saucisse boche vient d'être incendiée.
c'est
difficile
un exploit d'accomplissement plus
encore aujourd'hui. Alors
la
surprise
aida l'assaillant. Maintenant, l'ennemi a pris
des
dispositions
spéciales
pour préserver
autant qu'il est possible ses précieuses saucisses d'observation.
De
puissants treuils permettent de
cendre
rapidement
les
autour d'eux attendent,
canons
la
et
gueule en
destout l'air,
et mitrailleuses.
Mais nos chasseurs se Et
ballons,
les saucisses
rient des dangers.
flambent toujours.
En
avion. Quatre mille mètres.
Je
suis
Comme
Mon cœur mon âme.
bien.
sérénité berce
est
apaisé,
la
en suspens, en une eau fraîche et
légère, je baigne dans une calme immensité.
Mon
cerveau peu à peu s'engourdit.
Je suis sans pensée, sans désir, une plante enivrée de vie.
la
richesse et de la force de sa
A un
la lisière
fauteuil
l'ombre
est
du
petit bois, je
rustique.
Il
fraîche.
Le
fait
me
repose en
chaud, mais
mouvement
des
avions sur la piste, leur agitation, leur envol
m'aident à goûter,
comme
elle le
mérite, la
douceur de ces instants pour moi tranquilles. Je suis d'un œil paresseux les larges évolutions des grands oiseaux qui et se
perdent dans les profondeurs bleues.
Dégart s'approche
gazon à mes
—
s'éloignent
Que
et
s'installe
sur
le
côtés.
penses-tu du
capitaine,
me
de-
mande-t-il ?
— Je
ne sais qu'en penser. Le capitaine
est avec
nous depuis trop peu de temps,
pour que
j'aie
Il
paraît
Mais
pour
les lui
froid
sur lui une opinion arrêtée... et
distant,
guère aimable.
apparences trompent. Sommes-nous autre
chose que des étrangers?
AU CIEL DE VERDUN
Non,
n'est-ce
pas.
Plus
tard,
77
quand de
longs mois de guerre vécus ensemble auront fait
entre nous naître l'amitié, tout changera
sans doute...
—
Oui, mais ne trouves-tn pas
homme
quelque étrangeté? Ses yeux, as-tu
remarqué ses yeux et
en cet
?...
d'un bleu douloureux
d'expression inquiète. Et sa façon d'être?
Gai parfois, brusquement sérieux, générale-
ment
—
triste
!
Étrange, en
effet!...
Quelque intime
souffrance, j'imagine...
Et nous causons d'autre chose.
—
un
C'est
Allô!
de
officier
l'esca-
drille G...?
—
Oui, j'écoute.
—
Communication aux
gret-aviation signale un
escadrilles
:
Re-
Caudron en flammes
au-dessus de Moulainville.
Un Caudron
en flammes Je
passagers.
les
:
pas drôle pour
raccroche
le
récepteur,
soucieux, car je viens de songer qu'un de
mes camarades, Senain, l'envol,
il
est
en
l'air. Il
a pris
y a une heure environ.
Pourvu
ne
qu'il
fâcheux! Bah!
Il
soit
lui
arrivé
rien
n'est pas qu'un
de
Caudron
à survoler les lignes. Je veux espérer que ce
n'est
pas
le
sien
qui
a
rencontré
le
malheur.
N'importe! Essayons d'avoir de ses nouvelles.
qui
Au
téléphone, j'attaque
travaillait
avec
lui...
la
batterie
AU
—
DE VERDUN
CIEI,
Allô! C'est la batterie S
79
ii5?
Oui...
Votre réglage marche-t-il?... Non... Vous ne recevez
plus de signaux depuis vingt mi-
nutes? Diable!... Savez-vous qu'un Gaudron vient d'être descendu?... Oui, je crains, je crains beaucoup... Je vous remercie. ...
Ainsi Senain ne parle plus...
Le
doute
Guère
sait-on jamais?
avoir cessé
et,
?...
tout,
brusquement de fonctionner,
Peut-être
dans
maintenant
L'appareil d'émission peut
cela expliquerait
rade.
permis
est-il
Pauvre Senain. Mais après
plus.
le
silence de
s'apprète-t-il
mon camaà
quelques minutes, vais-je
apparaître,
vif
gai,
et
plein
et
atterrir, le
voir
d'entrain et
de vie? Attendons.
L'âme anxieuse,
je
me promène
de long
en large. Je rencontre Dégart. G'est un sou-
lagement pour moi de nouvelle.
Mais
Il
m'écoute
les traits
lui
sans
faire part
souffler
de
la
mot!
de son visage expriment son
angoisse.
La
arpentons
le terrain.
tête
basse, silencieux, nous
AU CIEL DE VERDUN
80
Souvent nos regards interrogent l'horizon. Vastes champs, mystérieux profonde, nous
comme une
eau
nos compa-
rendrez-vous
gnons? un
Voici
appareil
Nous ne le lui? Dans un
:
un Gaudron.
c'est
quittons pas des yeux virage,
il
lui.
promenade
triste
serait-ce
nous montre ses
couleurs. Hélas! ce n'est pas
Notre
;
recommence.
Quelle heure est-il? lo heures. Senain a pris l'air
à
7...
Déjà
sible espoir se
trois heures.
Notre impos-
meurt de minute en minute.
Les mécaniciens interrogés affirment que l'avion n'a pas
emporté pour plus de
trois
heures d'essence. 3o. J'entends la voix de
10''
noncer gravement
:
Senain
et
Dégart pro-
son pilote sont
morts.
Sans
un mot de
plus,
nous nous
en
retournons aux tentes, l'âme douloureuse...
Sans un mot! Et que dire devant
la
mort,
devant l'incompréhensible horreur?
Il
faut avoir des renseignements,
il
faut
AU CIEL DE VEUDUN savoir où sont
bl
tombés nos camarades. C'est
pour nous un devoir sacré de rendre à leurs
Nous
dépouilles les honneurs suprêmes.
manquerons
Au
n'y
pas.
téléphone, j'apprends qu'un
chef de
En route! le comman-
bataillon sait l'endroit delà chute.
Dégart
et
moi partons trouver
dant.
Triste parcours, triste liaison.
Les corps sont tout près des premières lignes.
jour.
Il
est impossible
de
Nous organisons pour
les relever
le soir la
Une ambulance veut
corvée.
bien
nous
Au-
prêter une voiture et des brancardiers.
cune
difficulté,
Attendons
Le chef de
par conséquent.
la nuit.
vu
bataillon a
le
combat.
porte
de son gourbi, sous une
pleure
le
Un
vent,
il
nous
A
futaie
la
où
dit ce qu'il sait.
crépitement de mitrailleuses aériennes
a attiré son attention.
trouvé bien vite
Boche
de
funèbre
les
Il
a
s'éloignait déjà, le
indemne.
Il
cherché des yeux,
avions en combat. Le
Caudron semblait
regagnait nos lignes.
AU CIEL DE VERDUN
6
AU CIEL DE VERDUN
82
Quelques balles échangées sans a pensé le
commandant. Mais un point
distinguait
brillant
résultat,
à la jumelle
dans
il
la carlin-
gue, une fumée légère.
— L'appareil
brûle, a crié quelqu'un.
L'appareil volait toujours. Soudain à son centre s'est
formé un nuage noir
pareil s'est trouvé le
commandant
droit,
les
a
la
carlingue
le
l'ap-
tomber
descendre lentement,
ailes
détacher sur
rompu. L'âme
vu
et
horrifiée,
et se
lumineux deux minus-
ciel
cules formes noires, pantins tournoyants.
— Tragique spectacle, bataillon, tandis
ajoutait le chef de
qu'un frisson secouait ses
robustes épaules.
La
nuit est venue; armés de lampes de
poche, nous sommes, dans
les taillis, à la
recherche des corps. Leur affreuse odeur
nous
guide...
Voici l'un c'est Senain... tête,
d'eux Il
!
—
Je
m'approche,
a reçu trois balles dans la
qui a éclaté
comme un
fruit
mûr;
la
cervelle et le sang dégouttent sur le visage
AU CIEL DE VERDUN et
vêtement.
le
83
Le casque bouge sur
le
crâne brisé.
Et voici
le
face brûlée, noire!
pilote, la
Tous deux sont horriblement broyés; brancardiers qui leurs
mains qu'une
Dans
le
relèvent
les
sol est
imprimée
enterrés à
Une
la
forme des
sol qu'ils aimaient et
le
défendaient ardemment,
des sépultures.
n'ont entre
bouillie sanglante.
deux corps; dans
mêmes
les
ils
se
sont eux-
Et nous violons
demi.
terreur sacrée s'empare
de nos âmes. Dégart, qui ce matin encore philosophait
gaîment avec Senain,
marque
fait
:
— C'est peu de chose, Et
La
le
tout haut la re-
la vie...
funèbre cortège se met en marche.
nuit est sombre, nous butons à
chaque
pas; de temps en temps, des obus éclairent
d'une lueur blanche brisés.
les
Le canon sonne,
squelettes d'arbres à
grands coups, un
glas puissant. J'ai
l'âme transie d'horreur! Le souvenir
des chairs broyées, de
la
bouillie sanglante
AU CIEL DE VERDUN
84
m'obsède. Je sens
mort
et sa laideur.
âme
connaît un trop
C'est
dur,
la
Ma
de
terrible
réalité
ciiair frissonne
mouvement
de
mon
;
révolte.
Pourquoi
vraiment...
la
la
souffrance, pourquoi la mort?
Un dans
me répond
ricanement d'obus
seul
la nuit.
Les corps sont mis en bière
et
déposés
en une chapelle ardente, à Vadelaincourt.
Les funérailles auront qu'alors,
lieu
demain. Et jus-
auprès des cercueils,
une garde
d'honneur permanente sera montée. Je prends
le
tour dans la soirée.
Quelle émotion m'étreint lorsque nètre dans la petite chapelle
camarades. cueils,
Ils
sont
là,
oii
je
pé-
reposent nos
dans leurs longs cer-
couverts de mornes couronnes, en^
tourés de tristes cierges
blanches
ou
noires
1
Fleurs vulgaires,
ou mauves, sombres
draperies, flammes jaunâtres. est là et le drapeau.
Mais
d'âme
je
est
telle
que
La croix
ma
aussi
disposition
ne vois
dans
la
j
AU CIEL DE VERDUN
00
chapelle que l'infinimenl triste, l'infiniment navrant.
nom que sont Au souvenir de
J'imagine les choses sans
désormais mes camarades.
hommes beaux
ce qu'ils ont été,
et ardents,
à la pensée de ce qu'ils sont, je sens à nou-
veau sourdre en
ment
mon cœur
tumultueuse-
et
l'emplir l'efTroi et la révolte.
Souffrir, mourir,
pourquoi?
Agenouillé dans
la
cercueils, je sens
chapelle, auprès des
sombrer
mon âme
en un
abîme de désespoir...
Une
infirmière,
s'agenouille.
fantôme,
l.'lanc
Sa venue dissipe
le
entre
et
vertige de
douleur qui m'emportait.
La
tête inclinée
mains jointes,
elle
sous
le
prie en
béguin
lilial,
les
un recueillement
profond. Je vois son visage grave, mais sur lequel nul signe de malaise ou d'intime révolte n'apparaît.
Ce
visage, pourtant,
penché sur reille
la
s'est
douleur et
la
bien
des
fois
mort.
Une
pa-
sérénité devant la totale
m'étonne.
catastrophe
AU CIEL DE VERDUN
86
Quoi! Pour
elle
donc, l'horrible pensée
est supportable?... Mais, après tout, pour-
quoi haïr
mort. Si
la
elle
est
une affreuse
chose, n'est-ce pas elle qui donne un prix
immense
à certaines conceptions
que nous
plaçons au-dessus d'elle?
Pour ceux qui croient en pensée que, pour
elle, ils
la
la
acceptent de don-
ner leur vie, n'est-elle pas leur
bonheur?
patrie,
fierté,
leur
Elle les grandit à leurs propres
yeux.
L'homme de
bien né
un
s'estimer
n'avait la
a
peu.
besoin pour vivre S'estimerait-il,
est-ce bien tout ce qu'il
leuse satisfaction, faut attendre d'une
si
dure épreuve?...
La femme agenouillée prie un trait ne
visage, dont pas
Et vraiment,
croyance
monde
toujours.
Son
se crispe,
me
paix de l'âme.
dit la foi, la
la
s'il
mort à mépriser?... Une orgueil-
est-il
une paix de l'âme sans
un autre monde, en un
en
meilleur, où le mérite fleurit merveil-
leusement, où
bonheur?
il
donne d'étonnants
Est-il,
sans
elle,
fruits
de
une réponse
AU CIEL DE VERDUN acceptable
pourquoi
l'angoissant
à
87 de
la
souffrance et de la mort?... Sais-je?...
dans ...
Heureux ceux
mon âme
mais
le
doute et
Je
veux
la foi...
est
prier.
fut simple
musique.
comme
Une messe
de nos soldats.
Y
un hommage à
la
mort
sans apparat,
nombreux
assistaient de
officiers d'escadrilles voisines. était
ont
les ténèbres...
La cérémonie sans
(jui
douloureuse,
inquiète,
Leur présence
valeur de ceux qui
la
tombèrent.
Le
char
corvée,
le
funèbre
cimetière un
d'une colline.
déposés sur
Dégart Il
fut
Quand
la
terre
une
voiture
de
champ au versant
les
cercueils
furent
fraîchement creusée,
prit la parole.
ne voulait pas laisser se fermer
les
lombes sans témoigner de son admiration pour ses héroïques camarades, sans adresser à leurs dépouilles
De de
la
un dernier adieu.
sa voix grave, dans le silence recueilli
campagne,
il
dit leur vertu,
il
dit leur
AU CIEL DE VERDUN
88 mort.
Il
du haut de
parlait
la
crête, et
son
geste s'élargissait dans l'azur d'un ciel serein.
Au-dessous,
foule
noblement émue,
nous
écoutions les paroles d'exaltation et d'adieu.
Et Dégart se
tut, et
sur les cercueils,
le
chacun
fit
après
lui,
signe de la rédemption...
— faut
Lafonl! Venez-vous avec moi?
essayer un avion. Je compte
aussi haut
que
Il
me
monter
possible...
C'est un pilote de l'escadrille qui m'invite
pour
à une sortie
superbe. Le
Sans
le plaisir.
fait
un temps
sans nuage.
ciel est
hésiter,
Il
j'accepte,
car j'aime
ces
randonnées, quand aucune besogne ne m'astreint et
que toute
contempler
liberté m'est offerte
Vivement,
une combinaison, des gants,
un casque. L'appareil carlingue. plus, le
pour
et sentir.
En
route
même
rite
1
est prêt;
Et
d'une
j'enjambe
une
c'est,
même
fois
la
de
cérémonie...
Tonnerre de moteurs, cahots, arrachement, envol.
Nous montons. Et voici que
Penché
sur
le
le
divertissement
rebord
de
la
commence. carlingue.
AU CIEL DE VERDUN
QO
comme
sur
le
parapet d'un pont, je regarde
couler et fuir le sol.
Le spectacle
est d'un
vif intérêt.
C'est
que
vieux
le
prendre un aspect tout différent de ce paraît d'habitude.
me
Il
de
plancher vient
qu'il
présente une figure
vraiment nouvelle, qui m'étonne et m'amuse.
Un monde vous
le
étrange s'offre à
vue.
Il
a,
comprenez, bien des ressemblances
avec celui qui
me
vit naître
nais les choses anciennes...
monde
et,
très
vite,
inaccoutumées, je recon-
sous les formes
ce
ma
Tout de même,
a face bien curieuse...
Les hommes y sont des chapeaux, des képis ou des crânes les bêtes, des échines ; ;
maisons, des toitures;
les
les
arbres,
des
taches rondes!... Le tout ne présente aucun relief.
Tout
est écrasé, aplati; je n'ai plus
sous les yeux qu'un tapis, à dessin bigarré, sur lequel glissent des espèces d'êtres et de choses, infiniment minces...
Nous montons! L'échelle de
Les
la
carte
terrestre
diminue.
détails s'effacent, les couleurs se ternis-
AU CIEL DE VERDUN sent.
Un de
La vue
s'étend.
instant, la terre,
Le paysage
contemple
je
9I s'arrondit.
disque parfait
le
que cerne un anneau sombre de
brume... Voilà un spectacle bien nouveau offert à
ma
curiosité
!...
Mais bien autre chose que sa nouveauté m'intéresse et m'émeut.
chose
De
quoi cet
«
autre
la
terre
» est-il fait?
Devant un
apparaît transformée,
commodités de Qui donc
ensemble?...
en moi de
la
aménagée pour
vie, je
pose
surgir du chaos
fit
Un
la
où
paysage,
vaste
la
un
question
tel
:
superbe
sentiment intense se forme
puissance humaine, et je suis
bien tenté de m'enorgueillir soudain
Tout
les
aussitôt,
l'âme
car
!
mobile,
est
Dans le cercle combien d'hommes
d'autres pensées m'occupent.
qui
est
à
s'agitent,
mes
pieds,
s'efforcent?
combien de passions
Combien s'affrontent,
d'intérêts,
combien
d'énergies s'épuisent? Et dans quelle lutte?... celle
pour
la
vie,
celle
qui
fosse et par la pourriture...
finit
dans une
AU CIEL DE VERDUN
92
Dieu merci, j'aperçois au
champ de
pelle que,
pour bien des hommes,
Elle
bataille.
de toute action n'est pas un
Mais
la
zone
me
rap-
loin
pelée du
vil
le
mobile
intérêt...
en regard des
qu'ils sont peu, ceux-là,
masses qui tournent sans espoir, attelées à
une
tâche
somme,
tête basse.
la
sans
cepter
comme
stérile,
de
bêtes
Quelle lâcheté d'ac-
une
révolte
des
telle
condition
!
C'est la lâcheté d'une innombrable foule...
mon âme
Je songe à cela, et
volupté de mesurer et
de
la
la
goûte l'amère
bassesse de l'homme
mépriser.
Nous montons! Peu à peu, mon regard de lui-même détache de
la
terre et s'enfonce
profondeurs illimitées du oublie sa douleur
mense
dans
les
mon âme
son dégoût; une im-
joie l'emplit.
Quelle fleur
et
ciel;
se
émotion
a
fait
s'épanouir cette
de délice? Quelle région du cœur
l'a
vu naître?
Gomme
la
grande inquiétude ou
l'ineffable
paix, elle vient de ce fond mystérieux où se
AU CIEL DE VBRDUN
qS
forment, les vastes aspirations et les hauts
de
désirs,
d'âme
résidu
ce
que
divine,
chacun de nous a hérité des temps révolus!
—A
contemplation du paysage céleste,
la
immense
une sensation aiguë
paisible,
et
pénètre
d'éternité
d'infini,
mon
Un
âme.
instant, elle a le sentiment d'une grandeur,
d'une durée d'elle-même, en résonance paravec
faite
fond dormant de ses plus chères
le
Un
aspirations.
instant, elle goûte l'ineffable
de sentir assouvis ses désirs
joie
ardents
Le
!
me
pilote
un
fait
signe. L'appareil se
Nous des-
dresse soudain, glisse et tombe.
cendons avec une violent tion
les plus
me
folle
frappe au visage. J'ai
coupée...
balancement
Nous
Un
rapidité.
vent
respira-
la
virons! Je connais
habituel
de
la
terre
et
le
les
positions extravagantes qu'elle prend dans l'espace. sol,
du
Et
le
chavirement
général
du
ciel,
de
l'appareil
de
mon
es-
et
tomac.
Mon
Dieu
!
Que
je
suis
mal à
mon
aise.
AU CIEL DE VERDUN
94
Vlan! vlan! Des claques d'air à droite
et
puis à gauche.
Ah!
mon
l'infini
1
l'éternel! je
ne sens plus que
pauvre corps bien douloureux.
Nous
voilà en vol normal.
tants encore, et
Quelques ins-
nous roulons au
Je songe qu'un plancher, bas
mais
sûr,
est
sol.
et
borné
une chose d'un bien grand
prix...
—
Nous avons plafonné
huit cents..., dit
le pilote
à
à quatre
mes
côtés.
mille
La voilure gravit péniblement la côte qui mène du village au fort de Belrupt. Elle avant
s'arrête
d'en
avoir
atteint
point
le
culminant. Je mets pied à terre. Quelques pas, et
rama
me
voici sur la crête.
s'offre à
ma
Un
vaste pano-
vue. Je m'arrête
et, saisi
d'un pieux respect, je contemple de tous mes
yeux Verdun
La
ville
pauvres
et
son amphithéâtre de collines.
présente
quartiers
à
mes
démolis
regards
ses
brûlés,
tas
et
informe de pierres grises, avec, de-ci de-là, surgissant, des pans de
murs
noircis par les
flammes! Terne amas, sur lequel
la
cathé-
drale, toujours debout, étend l'ombre
de ses
tours,
comme un
mausolée sur
les
pierres
de tombeaux...
Et tout autour de vieux des feuillages, plantés d'arbres.
la ville,
car
les
l'anneau d'or glacis
sont
AU CIEL DE VERDUN
96 Et
les
faubourgs, ruines éparses dans les
jardins et les vergers mutilés.
Des maisons
tiennent encore. Elles ont de pauvres faces trouées.
campagne immense. Voici les côtes de Belleville, de Marre, de Dugny, collines Et
la
glabres
comme
rondes,
et
des torses de
géants, couchées là pour que l'Allemand ne
passe pas. Les noirs éclatements les tour-
mentent
et,
sur
elles,
cheminent d'étranges
processions de fantômes gris. traits
De sinueux
blancs les balafrent; elles portent les
polygones lourds des
Et voici
la plaine,
serpent
Après avoir
joncs et roseaux, gazon
paresseuse et lente, glisse
vert, sur lequel,
comme un
forts.
la
erré
Meuse. dans Timmensité des
champs jaunes, mon regard de lui-même retourne à
la ville et
Verdun, sur
ne s'en détache plus.
la désolation je verse des
pleurs...
Mais
la
pensée
des
souffrances,
des
morts, qui se multiplièrent sur tes coteaux
pour
te
préserver du barbare
;
la
pensée des
AU CIEL DE VERDUN sacrifices
iniionibrablcs,
97
acceptés pour
ta
virginité, ta gloire; celle de l'héroïsme, qui
en tes campagnes, font que mes yeux
fleurit
ne voient plus tes pauvres ruines, mais
âme
ta beauté, ta
grandeur.
Verdun, cité des vertus, Verdun, cœur de la France
Le jour sur
la
vois
baisse...
plaine.
mon
!...
Les brouillards s'étendent
Les fonds disparaissent; je
une immense vasque de bleu léger,
avec, en son milieu, lejaillissement des tours
de
la cathédrale...
AV CIEL DE YBRDDM
Pourquoi, ce jour-là, montai-je en Far-
man? Les Farmans, poules
à
lourdes
et
»,
c'est-à-dire les « cages
qui se
fragiles,
Elles n'offrent pas de
défendent mal.
champ de
rière et les pilotes n'osent
guimbardes
des
c'est-à-dire
tir
guère
«
vers
l'ar-
remuer
ces mauvais outils, par crainte de les casser
Vrais gibiers de
!
» .
..
l'air.
vous, qui entendant qu'un Boelke parvint à
descendre quarante avions français,
cœur anxieux, si nos chasseurs sont moins braves ou moins adroits, pensez aux « cages à poules » vous demandez,
dites-vous
et
pas
le
que
nos
ennemis n'en ont
(')!
que les Allemands ont mis à l'essai sur quelques appareils semblables aux Farmans. Mais ils ne les ont sortis qu'en petite quantité et dans des secteurs où ces avions, ayant peu à faire, n'approchent que de loin des lignes. {Note de l'auteur.) (i) Je dois dire
le
front
AU CIEL DE VERDUN
C^
Or, ce jour-là, je partis aux lignes en Far-
man. Le temps vers
ciel
le
me
était
l'est
merveilleusement beau,
éblouissant de lumière
;
je
sentais tout joyeux.
A
peine les lignes franchies vers Vaux, je
distingue au-dessus de moi, sur la toile du
deux
ciel,
traits noirs..., si petits, si petits;
monoplans
je savais bien ce qu'ils étaient,
piquant sur moi, Fokkers s'apprètant à m'attaquer.
Le temps et les voici
de prévenir
mon
déjà à distance de
tir...
à peine
pilote, Ils
se
mettent aussitôt à virer en manœuvrant. Et le
but de leur
derrière
par Ils
la
moi
manœuvre
et se
est clair
garer ainsi de
masse interposée de
mon
:
se placer
mes
feux,
appareil...
pourront alors tout à leur aise cribler
une cible inofTensive, cible du reste
facile à
atteindre, puisqu'elle se présentera
comme
un perdreau
droit,
pour
le
C'est ce qu'il nous faut prix!
Le
pilote
s'y
chasseur.
empêcher à tout
emploie de son mieux;
virant à droite, virant à gauche,
de faire face aux Fokkers;
j'ai la
il
s'efl'orce
mitrailleuse
AU CIEL DE VERDUN
100
en mains, j'attends l'occasion de m'en servir...
Et soudain passe devant moi l'un des
grands oiseaux de proie; je vois distincte-
ment
son buste émerge presque en
le pilote;
entier
du fuselage;
il
a
un casque, des
lunettes tout à fait semblables aux nôtres; je
distingue
devant
aussi la mitrailleuse, couchée
lui.
J'ouvre
touches et
maudite
Pan, pan, pan! trois car-
le feu...
ma
mitrailleuse s'arrête, enrayée;
soit-elle!
Je reste avec, dans les mains, une masse
de métal
inutile...
étrange de voir de
de ne pouvoir J'ai
Gomme si
près
cela
paraît
mon ennemi
et
ni l'atteindre ni l'abattre...
un geste de colère en
carabine
me
saisissant la
de secours. Quelle pauvre arme
contre deux Maxims. Aïe! voici que l'un des Fokkers, derrière
nous, ouvre
le
feu et nous arrose. Et elle
marche, sa mitrailleuse. Clac,
Immobile sous crispées à
la
le
clac, clac!...
fouet des balles, les mains
carabine, j'attends... Le terrible
claquement cesse! Je
respire...
AU CIEL DE VERDUN
Où
sont les Fokkers
vivement des yeux, car
semblablement pas
le
doute,
les
combat
cherche
n'est vrai-
Je ne parviens à en
fini.
trouver qu'un. L'autre,
rayée sans
Je
?...
101
la
Mais
éloigné.
s'est
Fokker restant en veut toujours. Je qui
manœuvre
pour se placer et
passe devant moi,
Ah mais 1
m'aurait fallu
contre
que
je vide sur lui
11
un chargeur de
malheureusement.
Il
la mitrailleuse.
rage de tenir à bonne portée un
la
dangereux lui,
de ne pouvoir rien
et
d'être le gibier sans défense alors
l'on pourrait être le
Le Fokker mencer. Clac,
chasseur
vire soudain et
clac,
!
nous présente
La danse va recomclac Nous sommes en
son avant. Attention
!
!
plein dans la gerbe. C'est bien pénible.
heureuse manœuvre nous fois
vois
tirer!...
cette fois, je l'abattrai peut-être.
Rageusement,
Oh!
le
le
est tout proche.
il
carabine... sans succès
ennemi
en-
mitrailleuse
Une
tire d'affaire, cette
encore sans dommage.
Mais notre situation lante.
Nous avons, en
est loin
virant,
d'être bril-
descendu sans
102
AU CIEL DE VERDUN
La
cesse.
terre maintenant est toute proche,
à cinq cents mètres à peine, et c'est la terre
Boche revient au combat. Il va nous falloir manœuvrer, descendre enennemie. Et
le
core...
Notre
serons
tués
affaire
nous approcherons de sera
est
ou nous
claire;
par les balles du Fokker, ou
un jeu pour
près
si
le sol,
que ce
les mitrailleurs terrestres
de nous abattre. Cela m'apparaît avec une effrayante netteté. C'est
comme un
douleur aiguë, rait...
mon cœur
à
fer
qui
le
une
perce-
sommes perdus!
Perdus, nous
Le Boche entre temps
s'est placé.
Il
est à
nous toucher, à cinquante mètres à peine. Je hurle au pilote
—
Virez, virez
Et j'attends
le
:
!...
crépitement, la mort... Rien
ne vient; étonné,
Je
me
retourne;
je
vois
s'éloigner le Fokker...
— Tout
droit,
sauvés. Tout
Mon ennemi toujours;
il
tout droit!
Nous sommes
droit...
que
je suis des
disparaît.
vraisemblablement...
Enrayé
Au
yeux
s
éloigne
lui aussi, très
reste, n'est-ce
pas
AU CIEL DE VERDUN la
règle des
I
combats d'avions de
OO
finir faute
de mitrailleuses?
Mon
travail s'est effectué sans autre inci-
Nous avons
dent.
atterri, sains et saufs.
Maintenant sur
douze
balles, pas
moins. Douze
dans
la piste,
nous examinons
gars,
la toile,
;
devant
l'appareil.
les
han-
a pris
Il
une de plus, pas une de
c'est honorable.
Il
y en a dix
une dans un mât, qui a éclaté
;
une dans un longeron de queue. Ah! cette dernière aurait pu amener une catastrophe la
rupture de
Des
la
camarades
montre avec
s'approchent,
fierté les traces
meurtrissures de l'avion.
Ils
hochent
l'as
Et
me demandent comment
passé
;
échappé
les
la tête.
cela s'est
Tout
soldat,
tout chasseur, aime à conter ses aven-
tures, et puis, cela
pourra leur servir, ce soir
peut-être ou demain...
livement. nent.
leur
belle.
je le leur dis volontiers.
comme
je
du combat,
— Tu ils
;
queue, par exemple...
Quand
Tout
le
ils
Ils
m'écoutent atten-
s'en vont, d'autres vien-
monde me
félicite
de
ma
AU CIEL DE VERDUN
I04
chance; je suis
Songez donc
voir.
du
Et quel
un Fannan, au-dessus
:
ennemi, contre deux Fokkers!
territoire
aux
bête curieuse que l'on vient
la
l'avoue, de téléphoner
plaisir, je
artilleurs.
— Le
au début, je
oui;
pas?...
gêné un
marché, n'est-ce
bien
a
travail
me
suis
oh peu de chose
instant,
!
trouvé :
deux
Fokkers...
Je
fais le
dédaigneux
:
c'est
de bon ton...
Je suis naïvement heureux.
Et
le
voir la la
songeais que je venais de
soir, je
mort de près. Certes, ce
première
fois.
aux batteries
et
dements dont miracle.
Ma
je
Etant
n'était
artilleur, j'ai
pas
subi,
aux tranchées, des bombarne suis
sorti vivant
que par
rencontre d'aujourd'hui n'est
pas, en horreur, comparable à de
tels
mar-
milages.
Ce
fut infiniment
moins long
d'a-
bord. Et
ma
pensée toujours occupée,
mon
esprit ne put se fixer dans l'effrayante con-
templation de
la
mort. D'ailleurs, je ne fus à
aucun moment totalement impuissant. L'es-
AU CIEL DE VERDUN poir de vaincre soutint sans cesse
I
mon
ĂŠner-
Non, vraiment, combats d'avions
gie!
marniitagcs n'ont rien de
comnmn,
o5
et
et
ces
derniers sont autrement durs.
Certes, et cela est
une arme
mort. Mais vent,
si,
do [noins
oii
fait
notre
sans
fiertĂŠ, l'aviation
cesse moissonne la
pour nous,
la
faux vient sou-
vient-elle soudaine et brusque,
du moins tranche-t-elle d'un coup, sans lenteur douloureuse!
On meurt
beaucoup, on souffre peu.
Il fait
mauvais temps;
nuie et moi aussi. Dieu
Le
gris et triste.
campagne
la !
comme
tout
est
de toutes
petit bois pleure
ses branches chargées
s'en-
d'eau. Les
hangars
ont des peaux luisantes de batraciens... Je veux à tout prix secouer qui m'étreint
Je
sors,
mélancolie je
ma promenade m'amène
hasard;
Pauvre pour
l'âme.
la
lui.
village!
vais
au
au village.
La guerre a été dure un sauvage bom-
Elle lui a octroyé
bardement; l'incendie
l'a
détruit
quarts. Aujourd'hui ses ruines
aux
trois
humides sont
d'une infinie tristesse.
Oh! ciel
les
pans de mur ruisselants sous un
morne! Cadavres mutilés, abandonnés
sans sépulture aux insultes du temps.
Maisons
détruites,
je
songe aux jours
heureux que vous connûtes labeurs, aux
;
aux
joies,
amours qu'abritèrent vos
aux
toits;
AU CIEL DE VERDUN
aux vies paisibles coulèrent
approche foyers
le
les
soir,
qui s'é-
laborieuses
et
murs.
vos
entre
IO7
puisque
Et
j'imagine autour de vos
époux
assis
et
les
enfants
qui
jouent...
Enfuis ces printemps disparus ces ;
Il
pleut,
il
soleils...
pleut à verse sur vos pierres en
comme vos ruines lamentables touchent mon cœur... Et tant et tant de villages comme le vôtre... Dans les camdésordre? Maisons,
pagnes où passa l'ennemi, partout des ruines, partout.
Grande
pitié,
vraiment, au pays de
France...
Je poursuis ma promenade. Le hasard m'amène auprès d'une tombe, tapie au creux
d'un sillon; quelques mottes de terre, des
couronnes de
feuillage,
C'est simple et grand,
une croix
comme
le
rustique...
devoir, qui
étendit là ce soldat.
Un jour telle,
aussi, peut-être, j'aurai
ma tombe
au coin d'un bois, au coin d'un champ.
Une lassitude infinie envahit à cette pensée mon ame. Eh quoi! les maisons meurent, les hommes meurent, tout passe et meurt, et
AU CIEL DE VERDUN
I08
nous nous agitons
et
nous nous efforçons?
folie!
Les yeux au
sol, je
médite. Et puis,
mon
un pré
vert,
il
couleur de l'espérance, et plus
loin,
le vil-
regard s'élève
;
je vois
a
la
lage dont les ruines luisent et rient maintenant, car le
encore,
temps
le ciel
s'est levé,
rose et souriant.
et plus loin
Contre-attaque au matin. Je suis chargé de suivre l'infanterie.
Au
lever
la
progression de
du jour,
temps
le
est
aussi mauvais qu'il est possible. Les nuages
roulent à deux cents mètres à peine...
fréquemment, par travail sera
dur.
hangars, je frissonne. Il
va
me
bas; donc tangage et roulis puis,
Les
il
y aura
pleut
rafales drues.
En me rendant aux Le
Il
les tirs
falloir
voler
pénibles.
El
de barrage à craindre.
faibles altitudes sont des
zones de
cir-
culation intense pour les obus de tous calibres,
en
amis
me
et
ennemis;
vetissant
;
il
je
songe à
y aura aussi
cela, tout la
panne
avec un vent pareil au-dessus des lignes c'est la mort.
Pas
Je suis prêt. serrons
la
;
:
très gai, tout cela...
Mon
pilote aussi.
Nous nous
main avant de monter, car
le vol
no
AU CIEL DE VERDUN
que nous allons exécuter
est de
ceux dont
on a quelques chances de ne pas revenir.
Les moteurs sont mis route
en marche.
En
!
Nous
voici
regarde
:
aux
lignes.
L'âme
au-dessous de moi,
il
y
transie, je
a
une terre
âpre, dépouillée, étrangement proche, avec
des
reliefs saisissants.
Une lumière
blafarde
comme une huile bouillante, retournée comme un labour gigantesque, soulevée, ondulée comme une
l'éclairé.
Terre
boursouflée
mer. Et de-ci de-là, des dalles
mouillées.
endroits,
comme un
bleue
livides
de
Humide peau de mons-
trueux crapaud, avec de et ramifiés,
reflets
fins sillons,
sinueux
réseau veineux; par
d'uniformes
français.
De
tous côtés, les panaches noirs et lourds des
éclatements furie.
:
exhalaisons
Au-dessus de moi,
d'une c'est
terre
en
l'effroyable
chaos des nuages, gros de pluie, qui s'en vont pendants. L'appareil parfois disparaît en des volutes sombres et froides, véritables
fumées d'abîme.
Je
sens
alors
comme
le
AU CIEL DE VERDUN
I I I
frôlement d'ailes immondes; et dans
le sif-
ilement du vent au travers des mâts et des cordes, j'entends de
Une
sinistres ricanements.
affreuse angoisse m'étreint...
Et ce dessus
et ce
dessous se joignent à
quelque distance, tout autour de moi, créant
un cirque obscur, bas de plafond, écrasant de pesanteur. Et dans ce cirque, bles agitations humaines... Pas ciel,
«
miséra-
un coin de
pas une clarté n'autorise l'espérance. N'élève pas tes regards, pauvre soldat.
C'est inutile.
sans
Le
cercle de tes
issue... c'est
ta lourde tâche, le et
les
est
un tombeau... Accomplis
cœur
glacé, l'âme navrée,
meurs comme tu vécus,
boue,
gestes
la face
dans
la
D
Et moi aussi,
j'ai la
désolation au cœur,
entre ces masses hostiles également, terre et ciel, qui
sont
comme
des mâchoires pour
broyer ou des bâillons pour étouffer. Je vais mourir d'horreur
Un obus c'est
claque tout proche. Dieu merci!
un coup de fouet
à
mon
énergie. Je
AU CIEL DE VERDUN
112
romps l'envoûtement d'horreur, et, saisi par le sentiment du devoir à remplir, je m'enferme dans l'observation des mouvements d'infanterie.
L'attaque malheureusement ne progresse pas, arrêtée très vite par des feux de mitrailleuses, peut-être aussi parce que, sous tel ciel,
nul élan n'est possible.
L'insuccès constaté, je regagne
La
un
le terrain.
pluie s'est remise à tomber, elle cingle
douloureusement. Courbé sous l'averse,
je
songe à
la
le
fouet de
méchanceté de
la
matière, à l'acharnement des forces aveugles à meurtrir, à écraser les corps et les âmes, à la pitié de la vie. Laideur, mort, insuccès
de
méritoires efforts
:
voilà
le
spectacle
qu'elle vient de m'offrir.
Dans
la
carlingue je
pleure,
transi
et
battu d'eau, la grande misère humaine.
Et certes,
la
matière pèse douloureusement
sur les âmes. Mais peut-elle quoi que ce soit sur celles qui put mis leur espoir ailleurs et qui vont, au travers de
la
peine et de
la
souffrance, tendues vers d'autres horizons?
Aujourd'hui,
le
temps
sens d'humeur gaie.
Vive
qu'il fasse clair. Hier,
beau, je
est la
vie,
mon âme
me
pourvu
était triste
en allégresse, à présent.
et lasse, elle est
puissance d'un rayon de
soleil...
La mort? un don généreux, un sacrifice sublime. La douleur? un instrument de notre élévation... Le sang? une fleur éclatante sur les coteaux.
Mais je veux profiter de
pour errer dans
un
petit bois
est
la
la
campagne.
tiède soirée
J'ai
découvert
aux environs du campement;
charmant en sa tenue d'automne
or, si
délicieusement mélancolique.
léger
murmure en son
feuillage
Un
il
vieil
vent
une plainte
discrète.
Car
il
est triste, le
bien pourquoi.
En son
petit bois, et je sais
milieu, j'ai découvert
deux trous d'obus, traces de AU CIKL DE VERDUX
la
grande ruée
AU CIEL UE VERDUN
Il4
des barbares. Je ne songe pas sans
pitié à
son saisissement, à sa douleur, quand les éclatements monstrueux vinrent troubler son
heureuse quiétude.
Il
était
bon
et serviable.
ne voulait de mal à personne, et seule-
11
ment qu'on
permît de poursuivre sa vie
lui
paisible et ses
doux
chants...
Soudain, vlanl vlan! Son cœur sensible s'arrêta sans doute de battre et depuis lors il
dépérit...
Mais, petit bois, quand viendra
temps, une
foi
seaux rajeunis des matins
comme
prin-
nouvelle gonflera tes vais-
et tu refleuriras
frais.
jadis tes
le
Et
dans
les brises
jeunes
la gloire
caresseront
feuilles, et la
chanson
renaîtra dans ta ramure.
Heureux
comme
toi
petit bois...
me
Ah! que ne
dépouiller de temps en temps
d'un feuillage mort et oublier!
d'une
je vie
puis-je
Que ne
puis-
vierge frondaison renouveler
ma
!
Mais rien ne
s'efî'ace
de nos souflrances,
de nos fatigues, pauvres humains. faut
accepter, pour toujours, une
Il
nous
vieillesse
AU CIEL DE VERDUN prématurée
dont
les
sombres
Il5
années
de
guerre ont frappé nos cœurs...
Le temps
est
beau.
bonheurs possibles.
Songeons
à
des
En
plein vol.
Je
promène mon
Nulle borne, nulle
reçjard de tous fin
!
De
l'espace
côtés. et
de
l'espace encore...
Je ne comprends pas. Je
fais effort.
Plus haut, toujours plus haut plus loin toujours!... jamais
le
I
Plus loin,
bord, jamais
l'interdiction.
Des yeux, en
Mon âme le
alors s'étonne, car elle a soudain
sentiment de
Et dans
elle
vain, je fouille le ciel!
l'illimité.
s'épouvante, pauvre petite chose
l'infini.
J'entends dans
la
nuit le ronflement des
moteurs. C'est l'escadrille de bombardement
de nuit qui prend l'envol. Je sors, je cherche des yeux, à
voûte scintillante,
la
les
grands
oiseaux nocturnes... La nuit est tiède, éclaircie
d'un pâle rayon de lune. Elle m'enve-
comme
loppe
d'une ouate douce et légère.
Les ronflements troublent seuls
Ah
!
je tiens
du regard
tache sombre informe, sur toiles,
l'un le
le
silence...
des avions,
fond
clair d'é-
avec deux faibles scintillements,
les
feux de bord. «
Dieu t'accompagne, voyageur
solitaire,
pèlerin de la nuit. «
Que
sa protection soit sur toi; qu'il te
garde des dangers multiples, du shrapnell qui s'allume
comme un
plosif
brève" lueur; de
à
la
chenille brillante qui
feu
se
du
ciel;
de
l'ex-
l'incendiaire,
balance, étonnant
AU CIEL DE VERDUN
Il8
météore. El
qu'il
guide en d'incertains
te
chemins... »
Je n'entends plus les moteurs. Le silence
retombé peu à peu sur
est
nature au
la
repos.
Voici l'un des avions qui rentre. Je vois
appels lumineux de son projecteur, point
les
brillant qui s'allume et s'éteint
au
ciel
!
Mys-
térieux langage. ((
Le
rouge
terrain
lui
libre?
est-il
répond,
elle
monte en
plose et se balance, éclatante. rain est libre.f Avion, tu
craindre de collision.
Deux
projecteurs
peux
inondent
le
fusée
sifflant,
Oui,
«
ex-
le ter-
atterrir sans
»
en
s'allument
points du terrain; de leurs ils
Une
»
deux
blancs fuseaux
terrain de lumière. L'un in-
dique l'axe d'atterrissage, l'autre est pour éclairer de flanc. L'appareil soudain sort de la nuit,
comme une
apparition.
Il
se pose,
étrangement blanc à la clarté des projecteurs.
Devant
lui,
terrain.
Tout
un pinceau lumineux balaie s'éteint^ tout se tait.
le
AU CIEL DE VERDUN en surgit
Il
ainsi, leur à tour,
I
I
C)
une dizaine.
La manœuvre
se renouvelle.
tents au
fusée rouçjc, jet brusque de
cio!,
Feux
inlerniil-
blancs faisceaux, apparition instanlanée, nuit.
Tout
la
cela a quelque chose de fantas-
tique. Suis-je éveillé?
jeu fantomatique
est-ce
un rèvc
?
un
?
Mais je ne puis songer sans frémir aux
hommes
risques que courent ces vont, dans
nuit, à la
la
Une soupape
merci d'un moteur.
qui grippe, un culbuteur qui
casse et c'est l'atterrissage dans
en pleine obscurité. Quel
La
terre approche, les
cœur
campagne
la
terrifiant
drame!
deux passagers,
le
serré d'angoisse, s'efforcent de percer
les ténèbres,
eux...
qui s'en
de distinguer quel sol est sous
Matelots
tempête sur
tragiques
qu'emporte
la
les récifs!
Est-ce un pré? est-ce un bois, un village,
un
taillis?
Soudain salut
Est-ce les
la
vie? est-ce
roues touchent
mort
la
et
!
c'est
le
ou l'écrasement... Les bois se rompent
en craquant, l'appareil se
brise...
être l'incendie... qui jettera sur la
et
peut-
campagne
AU CIEL DE VERDUN
120
une
sinistre lueur;
mée monte
un lourd panache de
et d'affreuses
fu-
odeurs de chairs
brûlées se répandent.
connu quelques-uns de ces nocturnes
J'ai
hommes jeunes
errants,
et forts. Ils partaient
pour leurs périlleuses missions, joyeux,
aux
plaisanterie
la
le
lèvres,
visage et
sans
jamais laisser transpirer quoi que ce soit de leur angoisse intime. Soldats de France, gais
dans l'épreuve.
Devoir
Leur
et gaîté. Ils
ne savaient que cela.
gaîté, je n'ai pas à la peindre, claire et
franche
comme un
Mais, je veux
ici,
vin blanc de nos coteaux.
en contant l'exploit d'un
de leurs équipages, montrer ce qu'était pour
eux
devoir.
le
Ils
avaient reçu la mission de s'en aller
jeter des
dont
le
bombes
nom
sur
telle
gare importante
m'est échappé. Le départ s'effec-
tua sans incident. Tout alla bien au début. L'objectif déjà était en
vue, lorsque, pour
une cause inconnue, des vapeurs toxiques
AU CIEL DE VERDUN
121
émanèrenl des bombes spéciales. Les passagers en furent rapidement incommodés.
— Qu'y
hurla
a-t-il ?
dans
pilote,
le
le
vent.
— Les bombes,
lui fut-il
répondu.
continuèrent leur route.
Ils
facile
Quoi de plus
pour eux que de se débarrasser des
dangereux?
projectiles
Un
mouvoir
levier à
par deux mille mètres.
et tout s'en allait
Ils
songèrent à cela.
Mais quoi! L'objectif
bombes
les
était loin
frapperaient au hasard.
sion ne s'accomplirait pas.
aucun
encore et
prix.
La mis-
Non, pas
Haletant, étouffant,
ils
cela, à
conti-
nuèrent. L'objectif approchait, brouillait.
sur
le
levier,
la
œuvre. Mais
s'en les
Dans
d'altitude,
ils
main crispée
bombardier attendait tou-
le
bombes
forces...
défaillaient;
le levier
joua,
accomplir
leur
Enfin l'instant vint,
jours les
Ils
mais leur vue se
allèrent
passagers étaient à bout de
la nuit,
par deux mille mètres
s'évanouirent.
AU CIEL DE VERDUN
122
Qu'advinl-il
alors
de
l'appareil
livré
à
lui-même? Quelles acrobaties fantastiques accomplit-il ? Je ne le sais, mais, ce dont je suis certain, c'est qu'elles furent étonnantes.
Ah! certes, si quelque projecteur à ce moment éclaira l'avion, plus d'un Boche dut être surpris d'un tel pilotage.
Etonnez-vous, Boches, et demandez-vous
surhomme conduit
quel
l'avion. Mais,
pour
moi, ce dont je suis anxieux, c'est de savoir si les
passagers paieront ou non de leur vie
leur geste héroïque. Ils
ne Font pas payé.
d'heure
après,
Quelques quarts
l'appareil atterrit heureuse-
ment. Mais aucun des passagers ne put de
lui-même mettre pied à pita.
terre.
On
Personne ne bougeait dans
Les passagers
étaient-ils
morts? Rien de
cela,
la
se préci-
carlingue.
donc blessés ou
Dieu merci! mais
le
bombardier toujours évanoui, ou mal revenu, et le
pilote encore bien faible.
Tous deux,
soignés aussitôt, se remirent peu à peu.
Combien de temps
avait duré l'évanouis-
sement du pilote? Nul ne
le sait.
Quand
il
AU CIEL DE VERDUN revint à
de
vol,
lui,
123
l'appareil se trouvait en ligne
descendu seulement de plusieurs cen-
taines de mètres...
Le
pilote,
incomplètement
revenu, réussit à force d'énergie à gagner le terrain
:
mission remplie.
Ceci s'est passé au siège de Verdun, par
une ont
belle nuit de printemps...
su
étonné,
l'exploit.
tant
Personne
l'héroïsme à
bataille était la règle.
Peu de gens ne
cette
s'en
est
fabuleuse
Je regarde
de rouler sur et
décoller la piste,
un Farman.
Il
de lourdeur, ainsi qu'un albatros se
nant au
de sa
sol,
que je
légèreté à
vient
avec tant de gaucherie traî-
suis étonné, maintenant,
s'enlever.
franchit la
Il
crête
Soudain,
sans doute? pas...,
il
tical...,
voilà qui ballotte
le
Il
il
Oh!
penche...
penche encore tombe. C'est
souris frappée en plein
;
il
:
un remous,
il
ne se rétablit
est
presque ver-
comme une vol...,
chauve-
instantané.
J'entends un craquement... L'avion n'est plus qu'un tas informe de toile et de mor-
ceaux qu'on
de
bois,
dirait
si
menus,
si
enchevêtrés
un jeu de jonchels.
Cet appel de l'avion qui meurt, combien de
fois l'ai-je
empli
entendu? Combien de
mon âme
Je regarde
;
fois a-t-il
d'angoisse et d'horreur? rien ne
bouge dans
le
tas
;
AU CIEL DE VERDUN nulle tête ne surgit...
Je vois des carcasse...
De
hommes
125
tous côtés on court.
s'agiter autour de la
Des brancardiers
s'approchent...
Je ne distingue plus qu'une foule immobile.
Et
puis
c'est
s'égrène sur
la
procession,
lente
le terrain,
qui
des brancards suivis
des chefs, des amis et des curieux.
Les passagers? Blessés légers, qui guériront pour une nouvelle occasion de mort;
agonisants ou morts, qui mourront ou sont morts, loin de leur pays, loin de leurs affections...
Un
jour aussi, sans doute, je serai
la
loque
sanglante qu'on s'en va brimbalant, avec,
aux si
lèvres,
j'ai
un
servi!..
celui qui
pli
de
pitié...
Le bonheur
met son corps
et
vice d'une juste cause?...
Et qu'importe, n'est-il
pas
à
son âme au ser-
C'est l'heure du déjeuner; je pénètre dans la
tente-salle
à manger.
Et tout heureux
d'annoncer du nouveau, je lance aussitôt
—
Mon
capitaine, je
viens
que peut-être nous allons avoir à
bombardements de
nuit...
:
d'apprendre faire
des
C'est ça qui va
être intéressant...
Mais
la
nouvelle n'obtient pas du tout le
succès que j'en attendais...
— Vous m'est-il
ne savez pas ce que vous dites,
répondu sèchement;
fera jamais de
bombardement de
nuit.
Et au bout d'un instant de silence
— Les bombardements, Tout cela
est dit
du
ne
l'escadrille
:
reste,
.
.
avec une conviction
.
tel-
lement farouche, que j'estime n'avoir pas
mieux à
faire
nous asseyons
que de ne pas et le repas
insister.
commence...
Nous
AU CIEL DE VERDUN
Tout en mangeant,
un motif à dont
l'étrange réponse
elle a été
2'J
cherche à découvrir
je
Étrange ? oui, vraiment, taire
1
et
par
du capitaine. le
ton autori-
prononcée, et par
l'opi-
nion qu'elle enferme. Les bombardements ne sont-ils
pas une
Ne
utilité certaine,
au point de vue mi-
Ne
litaire?
haut
pas de règle?
lieu,
leur connaît-on
s'occupe-t-on pas sans cesse, en
de perfectionner
avions destinés^
les
à leur exécution?... Alors?
Je regarde
le
capitaine
ma malheureuse montre
comme
soucieux,
silencieux depuis
:
annonce.
Son visage
soutirant.
cette question des
Mon
le
Dieu!
bombardements
le
touche! Mais pourquoi donc?
La conversation que j'eus Dégart
Une
me
l'autre jour avec
revient à la mémoire.
intime souffrance, avions-nous conclu.
L'aurai-je involontairement avivée par
mes
paroles?
.
Voilà une opi-
nion rien moins qu'indiscutable. Elle
s'expliquerait
peut-être,
dans
la
AU
128
bouche du choses...
CIEL DE
VERDUN
capitaine, en supposant certaines
Mais sais-ie? j
Bien étrange
et
<»
mystérieux, en tout cas,
notre chef d'escadrille...
Boum!
boum!... Des coups sourds reten-
suivis
tissent,
d'un
long
bruissement
s'achève en un faible éclatement.
des fusées, un soir de feu
Ce ne
sont pas des fusées
;
qui
dirait
d'artifice.
mais des obus; je connais bien batteries contre avions
On
qui partent,
voix des
la
les voilà qui tirent.
Je sors, car elles annoncent une prochaine visite, et je tiens
Dans
à voir venir les visiteurs.
ciel,
le
un peu partout,
flottent
de minuscules boules blanches, lotus sur l'eau
du Levant. Au
rose
milieu, les avions boches,
toutes petites formes noires, presque invisibles
!
Ils
foncent droit sur nous, mais cela,
moment, ne nous inquiète guère; comment un engin dangereux nous vienpour
le
drait-il
de
si
misérables insectes?
Pendant que je
suis,
le
nez en
l'air,
à
regarder, une grande agitation naît au terrain;
on court de tous
AU CIEL DE TERDU>-
côtés.
Que
se passe-
AU CIEL DE VERDUN
l30
Tout simplement que des chasseurs
t-il?
partent à la chasse...
Rran!
rran!... voilà les
moteurs en action
et les avions qui roulent et qui s'envolent.
Arriveront-ils à
bat
avec
temps pour engager
le
com-
ennemie? Peut-être,
l'escadrille
mais rien n'est moins
Car
sûr.
celle-ci,
de
toute évidence, ne s'en va pas baguenauder.
a passé
Elle
Mihiel; elle
les
vers Saint-
lignes,
sur l'Argonne, coupant, à
file
toute vitesse, suivant la corde, l'arc du sail-
verdunois.
lant
ses
bombes,
Parthes...
et
Au
passage,
Des barbares, ceux-là
Les batteries
aussi.
tirent toujours et fleurissent
sans cesse les plaines de
Les
approchent.
lâchera
elle
au revoir. Vraie tactique de
l'air.
Nieuports
Les Boches en
tournant
montent. "
Les Boches enfin atteignent au zénith.
Attention! les bombes, c'est
En
bruissement
faible.
le projectile?
La menace
moment.
une; j'entends dans
voici
tomber
le
Il
l'air
grandit. Aïe!
Où
un va
C'est toute la question...
bruit toujours!... Elle s'éternise.
AU CIEL DE VERDUN
idl
Mais arrive donc, bombe de malheur!... Le bruissement grandit encore... Aïe
Rran
ainsi.
inconnu
explose
mouches. Et
les
sifflent,
mieux
bombe
La
!
Pour
.
c'est
!
Des
î
est troublant; ici le point
poum!...
partout dans
la
des éclatements
de chute. parfait.
un peu
campagne.
Crottez! Crottez! sales oiseaux. et ce sera justice,
chasseur
C'est
les esprits curieux, tout
Personne n'est touché!... C'est
Poum
éclats
fini.
Un
jour,
viendront pour vous
et la punition...
Les avions allemands se perdent dans clarté lointaine, vers l'ouest...
montent toujours Mais que isolé!
le
fait,
:
la
Les Nieuports
en vain, c'est évident.
au-dessus de nous, ce Boche
perdreau retardataire, loin de sa com-
pagnie?... Je ne sais pas, mais je sais bien
que voilà pour Il
est déjà
lui
une situation fâcheuse.
aux prises avec nos Nieuports.
Cela devient intéressant... sa
marche
c'est
une
livrent en
rectiligne; loi
il
Il
a
abandonné
descend en spirale;
des combats d'avion, qu'ils se
un tournoiement perpétuel.
AU CIEL DE VERDUN
l32
Des Nieuporis manœuvrent Clac, clac, clac
Amis
et
!...
tout autour.
Les mitrailleuses donnent.
ennemis s'approchent, se croisent,
Nous ne com-
s'entremêlent et s'éloignent.
prenons rien au guons-nous
le
A
combat.
peine
Boche des nôtres
;
distinet
pour
bernique! Nous attendons,
savoir qui
tire,
fortement
angoissés,
le
dénouement. Qui
tombera? Clac, clac, clac!...
mitrail-
Soudain, l'un des nôtres
reprend.
leuses
Le chant des
tombe. Touché? Nous suivons, angoissés, sa
chute.
Ouf!
redresse.
de
Enrayage rupture
Perdu? non! Le
du
c'est
un
poids
mitrailleuse,
combat,
voilà
pour
qui
se
de moins.
sans doute,
et
permettre
la
remise en état de l'arme... Clac, clac!
La danse
reprend...
Mais voici du nouveau. Le Boche descend droit,
clair
en vol normal, mais
pour tout
combat,
il
le
si vite qu'il
est
monde qu'abandonnant
s'apprête à atterrir.
le
Les Nieu-
poris l'escortent. Les mitrailleuses se sont tues.
AU CIEL DE VERDUN
Le Boche descend un bois, vers
derrière
l33
toujours.
Il
disparaît
Souilly; après lui les
Nieuports. Victoire
Tiens!
!
fumée ne monte
Nulle
campagne. Le Boche
aurait-il été
d'incendier son appareil? Si on
dans
la
empêché voir!
allait
Vite une voiture, et en route à toute vitesse.
Allons à Souilly;
là,
nous demanderons des
renseicjnements. Souilly est
à huit kilomètres.
n'est pas long.
En
des routes, avant
vons
une
devant
le
imposante terrain
le
sommes pas
les
Le
trajet
arrivant au croisement village,
rangée
nous apercede
d'aviation;
voitures
nous
ne
premiers curieux à venir.
Le Boche aurait-il atterri sur le terrain? Ce serait amusant. Nous nous en enquérons. Oui, l'Allemand a fait ainsi... fort prudemment dans la campagne, un atterrissage :
est toujours scabreux!...
Pied
à
devant
les
terre.
L'appareil
ennemi
est
hangars, fraternellement mélangé
AU CIEL DE VERDUN
1^54
avec
nos
absolument être?
Impossible pour
le feu
:
une
lui
il
de
y
et
la cuisse.
à
quitter,
par
terre,
d'y
suite
en a du moins jugé
Tant mieux, car l'appareil
modèle
dans
balle
impossible
carlingue;
mettre
est
il
l'explique.
bat, le pilote a reçu
la
:
Gomment cela peutr-il Au cours du com-
intact.
On me
m'approche
Je
avions.
ainsi.
du plus récent
est
à examiner.
fort intéressant
Il
a foule déjà tout autour. J'augmente la
foulé.
Mâtin
!
quelle construction.
bien, les Boches.
Ils
Beau moteur,
buste et soignée, fuselage
se mettent cellule ro-
en superbe
fin,
contre-plaqué. Quant aux tourelles des passagers,
très
confortables,
coussins
de
surtout,
armes
cents
luxueuses,
de
instruments
cuir,
cartouches
très
merveilleuses,
ruban
au
avec
de
prix
;
cinq
chacune
d'elles.
Je ne puis
m'empêcher
d'établir la
paraison avec nos appareils
:
com-
pas favorable,
non, vraiment. Entre ces outils et nos Gaudrons,
il
y a toute
la
différence
existant
AU CIEL DE VERDUN
1
35
entre une auto de luxe, une Rolls Royce,
par exemple, et un camion... J'aime
mieux m'en
aller,
plus avant l'inspection. Cela
par trop...
sans pousser
me
dégoûterait
Je suis en train de me promener avec mon chef d'escadrille... Un officier s'approche de nous. Gomment allez-vous, mon capitaine?
—
dit-il
en saluant.
Le capitaine
— vous
— J'ai
le
considère
:
Vous, R...? Je suis bien content de voir.
Du
Mais d'où diable sortez-vous? centre de
bombardement de
N...
une permission de quelques jours, je me
promène. Et
la
je suis
conversation va son train. Puisque là,
je n'ai pas
mieux
à faire
que de
l'écouter. Elle m'intéresse d'ailleurs, car, de fil
en
aiguille, R...
en est venu à parler des
opérations de son escadrille. Chaque nuit
sans nuage, un bombardement. Personnelle-
ment
il
est allé
marmiter toutes
les
gares et
tous les bivouacs de l'Est allemand.
Il
est
AU CIKL UE VRRDUN
de nous raconter ses expéditions, et
ravi
comme il
iS'J
il
jeune et que
est
le
temps
est beau,
souvent.
rit
Quant au bardement
capitaine, sitôt le j»
qu'il
ne
qu'il
me
oi
bom-
un sourire d'une infinie aux coins tombants. Je remarque
venu à ses tristesse,
mot
prononcé, un amer sourire est
lèvres,
suit plus le récit
paraît,
de R... mais, à ce
une douloureuse songerie.
Brusquement,
il
— Dites-moi
connaissez-vous
!
interrompt
R...
de
la ville
Thiaucourt?
—
Si je connais
bien, c'est
par notre lâchées foi.
une des
Thiaucourt? Ah! villes les plus
escadrille.
sur
La gare
la
gare.
est
je crois
fréquentées
Que de bombes
j'ai
Du beau
ma
travail,
entièrement démolie. Les
maisons avoisinantes
— alors
dans
Au
aussi...
Les maisons avoisinantes... Ahl le la
capitaine voix,
que
avec une
telle
fait
émotion
R..., interloqué, se tait.
bout d'un instant de silence,
la
conver-
sation reprend entre R... et moi, et va tant
bien que mal. Le capitaine, jusqu'à
la
fin.
AU CIEL DE VERDUN
l38
demeure sombre
comprend
silencieux. R..., qui ne
et
rien à cette attitude, a
de catastrophe.
Il
prend congé
un visage
le
plus tôt
qu'il le peut.
L'incident m'a
bardé
:
frappé. Thiaucourt
que diable cela
bom-
peut-il faire au capi-
j
|
taine ? |
A Il
moins
me
que...
vient
\
une
idée...
Mais l'homme
courtois n'interroge jamais. Je rentre sans Il
mot
me
tais
et
dire.
plaira peut-être
un jour
nous confier sa peine.
à notre chef de
i
Le
front n'a pas
On
bougé depuis
La vague allemande
d'août.
les
combats
n'a plus gagné.
sent sur le point de refluer. L'avenir
la
se présente sous
un jour favorable; tous
les
espoirs sont permis.
Mais
Thiaumont,
sont aux mains
Vaux
Douaumont
et
des ennemis, et
Souville
toujours serré de près. La place pour l'instant est hors d'afl'aire. Ses défenses profon-
dément entamées, à
la
Nous songions venait c'était
quoi
n'en reste pas moins
merci d'un coup de main.
moi, quand
qu'il
elle
à cela,
un
soir,
capitaine nous
de recevoir un
pli
fît
faisait
Dégart
et
appeler.
Il
confidentiel
pour nous en apprendre
nous il
le
prier. Voici
le
et
contenu
au juste de
s'agissait.
L'armée
de
Verdun,
abandonnant
son
attitude défensive, allait procéder dans quel-
AU CIEL DE VERDLfN
l4o
ques jours à une attaque de grand
style.
Les
Thiaumont, Vaux, Douau-
objectifs seraient
npont.
Un morceau les
ma
d'importance,
foi, et
que
Boches n'avaient avalé qu'après de durs
et longs
combats.
La nouvelle nous emplit de les rôles
changeaient, et c'était
les initiatives
de l'ennemi.
A
joie. Enfin, fini
de subir
notre tour de
mener la bataille. Dieu merci Pour préparer et appuyer l'attaque, l'armée 1
d'une formidable
disposerait
artillerie.
En
ce qui nous regardait, nous serions chargés
de réglages lointains des canons de côte et
de
marine.
Besogne
périlleuse,
son
car
accomplissement nous entraînera dans
les
zones
les
éloignées, très
fréquentées
par
chasseurs ennemis, mais besogne d'honneur et qui n'était faire
se
pas pour nous déplaire. L'af-
présentait
attendîmes
avec
heureusement.
impatience
Nous
l'heure
de
l'exécution.
Nos canons
arrivèrent
quelques jours
AU CIEL DE VERDUN
empressâmes de
après. Aussitôt, nous nous faire
connaissance des
la
batteries
:
marins
officiers
pour nous un agrément
Les méthodes de vateur
aérien
pied, sans
ainsi; j'en
ai
la
connu de
un
il
sur
difficulté.
n'en est pas
réfractaires à toute
ou retardataires. Les liaisons furent
cette fois.
plaisir.
J'eus
beau
ciel
:
canons de gros
monstres d'acier qui dressaient au
de longues
voix
de
d'approcher
l'occasion
alors
et puissant matériel
calibre,
la
tel,
mises
moindre
artilleurs,
entente, esprits méfiants
Rien de
profit.
aisément
furent
les
un
et
commerce
le
en liaison avec obser-
tir
que survînt
Avec tous
de ces
de côte, gens
et artilleurs
fort distingués et courtois, dont fut
l4l
faisait
et pesantes volées, et
vibrer
la
plaine.
étaient sur les rails, hauts
comme
des
chevaux
sous leurs couvertures,
Au
ils
wagons bâchés,
fatigués, la
dont
repos,
tète
immobiles basse.
Les
canonniers nous les présentaient avec orgueil ils
nous
faisaient
admirer
pièces, culasses, freins,
les
;
difiérentes
glissières,
tout
un
AU CIEL DE VERDUN
ll^2
acier
brillant,
énorme,
les
et
mécanismes
qui jouaient avec des claquements...
La préparation mencer nous J-31
1
jour-là,
activité
jour,
cause du
demeurer mauvais.
s'obstinait à
vint le 2
com-
Ah! que
impatiemment ce
fut retardé plusieurs fois, à
II
temps qui Il
devait
trois jours avant l'attaque.
l'attendîmes
Ce
d'artillerie
octobre.
dès
matin,
le
régna au terrain.
Il
y
une intense avait à cette
époque, au centre de
L...,
d'observation
de chasse.
et trois
imaginer quel vacarme
et
cinq escadrilles
On
peut
quelle agitation
c'étaient
aux alentours des hangars. Quel
incessant
mouvement
sur
la piste.
Envols
et
AU CIEL DE VERDUN
1^3
atterrissages se succédaient sans
interrup-
tion.
A
trouilles les
heures,
certaines
uns
des
autres,
comme un
Ils
pa-
les
de chasse. Six Nieuports, à
vaste ronflement. lière,
partaient
la suite
un
dans
décollaient
allaient en théorie régu-
vol de canards.
Plus personnels, les Farmans et les Cau-
drons
prenaient
On
désordre.
l'air,
dans un
voyait,
les
admirable s'éloigner
isolés,
vers les lignes.
Le temps ciel
était
limpide
tinguer,
comme un
durant
rose
toile
merveilleusement beau,
de
la
cristal
;
on put
dis-
journée entière, sur
l'horizon,
le
la
un tournoiement
pressé de moucherons. Tout autour éclosait
sans
cesse
une multitude de
fleurs
blanches... Parfois,
rayon
de
polie; Il
soleil
un avion
fallait
frappait étincelait
il
minuscules
arrivait
quelque au
qu'un
surface
loin.
naturellement beaucoup voler,
et
tant de choses à faire entre les vols. Télé-
phoner, je n'ai jamais autant téléphoné qu'alors, et prévenir, renseigner,
convenir, don-
AU CIEL DE VERDUN
l44
ner des ordres, organiser. L'on n'avait pas
une minute à
et c'est à peine
soi,
l'on
si
trouvait
un instant pour casser une croûte
frugale
dans
nuit,
port,
il
y
les
la
journée.
Quand
venait la
avait les
comptes rendus,
liaisons
en automobile, par
rap-
le
les
routes encombrées, phares éteints, l'étude
des photographies, l'établissement des pro-
grammes, pour
le
travail
du lendemain.
L'on se couchait tard, fatigué,
la tête
bour-
donnante de trop de ronflements de moteurs, mais
le
cœur
satisfait.
Pour moi, j'aime ces journées qui précèdent
les
grandes attaques, journées d'activité
fiévreuse où l'on se sent tout vibrant d'ar-
deur
et d'espoir.
Les 22
et
2.3
octobre furent de
telles
journées...
Aux
lignes,
peu de combats pour nous.
Les chasseurs remplirent merveilleusement leur rôle de nettoyeurs de
l'air.
vraiment vide d'avions ennemis. témérité de l'un de
Le Il
ciel fut
fallut la
mes tout jeunes cama-
rades, qui s'enfonça profondément en terri-
AU CIEL DE VERDUN toire
l45
ennemi, pour donner lieu à une ren-
contre,
Mais
heureusement sans
suite fâcheuse.
nos
de
tableau
le
chasseurs
fut
impressionnant.
Et le jour de l'attaque arriva.
Ce
fut
déception!
une journée du plus mauvais temps
qu'on puisse imaginer
le
:
matin, un brouil-
lard épais enveloppait les collines de voiles
impénétrables.
Aucun
pour nous ne
travail
fut possible.
L'attaque partit et nous errions, l'âme en peine, devant les
hangars,
son-
écoutant,
geurs, le roulement lointain de la bataille, là-bas,
derrière
les
d'embrun
épaisseurs
;
nous enragions de notre impuissance... N'ayant pas mieux à
j'évoquais
faire,
bataille, j'imaginais l'assaut.
la
voyais les
Je
vagues surgir des tranchées dans l'épaisse
fumée des éclatements,
et sur le sol défoncé,
résolument, s'avancer. Des coups de feu, un
crépitement de mitrailleuses, se dissipe
côtés
;
la
le
brouillard
un peu, des formes courent de tous première
AU CIEL Vm VERDUN
ligne
est
prise
des
;
lO
AU CIEL DE VERDUN
l46 prisonniers
dépêchent
se
barrage
Collés au
devant eux
le
vers
d'artillerie,
terrain,
l'arrière.
qui nettoie
nos fantassins vont
toujours.
Par endroits, d'acharnées résistances obligent
chaîne à s'infléchir, des portions
la
Soudain alors disparaissent
s'arrêtent.
formes bondissantes;
vide
le
nouveau de ces champs
s'empare
les
à
Mais
d'horreur.
derrière l'obstacle les mailles se referment.
De
tous côtés surgissent à nouveau les fan-
tassins.
Et
comme
vague que pousse
la
se déforme au
profil
de
la
la
marée
grève, bute sur
des rochers épars, reflue, les entoure, les
submerge d'une
monte, notre attaque, menée
et
inflexible
malgré
le
volonté,
malgré
Boche, gagne sans
boue,
la
cesse...
Thiau-
Le ravin du Bazil est occupé. En avant toujours! Douaumont, Douau-
mont
est pris
!
mont!...
Ainsi je songeais et construisais la bataille
mes brumes se
selon
désirs,
lorsque tout à coup les
déchirèrent, découvrant une
cam-
AU CIEL DE VERDUN
l/j^
pagne blafarde sous un plafond de nuages qui roulaient à trois cents mètres environ
du
sol.
Un
ordre arrive
Aussitôt les terrain
:
tout le
monde en
avions de liaison quittent
terriblement ballottés par
;
irrégulier qui souffle de l'Ouest,
raissent
derrière
suivre
directe
la
les
crête.
de chance de
vent
dispa-
chaîne.
la Ils
ont peu
par un temps
livrer bataille
mais, sait-on jamais?...
j)areil,
mon
Pour
compte, je m'en vais essayer
un contrôle de
mandes de Dieu
!
la
tir
sur les batteries alle-
Woëvre.
qu'il fait
mauvais en
qu'en mer par gros temps.
Festomac
taille
de
aussi.
le
ils
le
vont à vue
Ils
progrès
Des chasseurs parlent
En
l'air.
i'air.
J'ai
C'est pis
tout de suite
brouillé.
champ de bacouvert encore de brume épaisse.
arrivant, je trouve le
Seuls les sommets apparaissent. Souville et
Douaumont émergent comme hors des embruns, dessus d'une
comme
des
récifs
des cimes, au-
mer de nuages. Canonnade
AU CIEL DE VERDUN
l48 intense,
naturellement.
L'appareil n'en est
que plus péniblement brimbalé.
La
Woëvre, heureusement,
plaine de
est
entièrement découverte. Bien qu'obligé de voler très bas, je parviens à rendre quelques
mon artillerie... ma tâche terminée,
services à Sitôt
de rentrer taille.
afin
de connaître
me dépêche
Après
bon
me
baraquement où parviennent
gnements. Combien de ainsi
bataille,
ai-je
Attaque
française,
la
ba-
comment
espoir.
je
l'atterrissage,
de
l'issue
Je brûle du désir de savoir
cela s'est passé; j'ai
le
je
fois,
dirige
vers
les rensei-
durant
la
longue
couru aux nouvelles? attaque
allemande,
la
journée durant j'entendais, l'âme anxieuse, rouler au j'allais,
loin les
comme
événements. Et
me
Hélas! bien des
soir
aujourd'hui, avec plus d'in-
quiétude et moins d'espoir, vers planches, où
le
le
carré de
serait appris l'irrévocable.
fois, j'ai
connu'la déception
ou l'appréhension; avance allemande, échec ou
demi-succès
d'attaques
amies.
Fleury
occupé, Thiaumont pris, Souville envahi...
AU CIEL DE VERDUN
1^9
Mais, aujourd'hui, c'est une compensation
de ces mauvais jours. L'officier de rensei-
gnements, entre deux coups de téléphone,
m'apprend que
les
pas dans une
atteints. Ah]! Si je n'étais
de recueillement
comme
bondirais,
Douaumont jours
et
de
travail,
est à
nous
!
je
1
Effacé pour tou-
triomphant communiqué boche, qui,
le
me
fit
tant de
:
En et
salle
comme
je crierais de joie
par un jour de froid hiver,
mal
sont partout
objectifs
présence de
la
Sa Majesté l'Empereur
Boij nos troupes ont
progrès
et,
dans une ruée
sont emparées
Ah
1
je
idéalisé
me
d'importants
irrésistible, elles se
du fort cuirassé de Douaumont. rappelle bien ces phrases dou-
loureuses, et leur souvenir accroît mainte-
nant
ma joie. Et Thiaumont
!
et les ravins
des
Fontaines et du Bazil, les bois Fumin, de
Vaux-Chapitre
et
de La Caillette! Ces posi-
tions qu'assaillirent durant des tiples corps allemands,
en quelques heures.
mois de mul-
emportées d'un coup
A
nous, bien à nous.
Et Verdun définitivement sauvé du barbare.
AU CIEL DE VERDUN
l5o
Que je Car
suis
heureux
!
Verdun,
je t'aime,
murs, les mai-
les
sons écroulées, tes collines meurtries,
un père son donné
mon
et
gloire,
la
un père son
sortir
de
X...
visage
me
;
ma peine, je
peu que
t'aime,
la
Un
dit
:
cher, j'ai sur-
à cinquante mètres!...
Les coloniaux se promenaient sur chez eux.
mon
large sourire éclaire son
en passant
Douaumont,
comme me voyant
comme
baraque, je rencontre
— A cinquante mètres, mon le
si
ta délivrance.
camarade il
Verdun,
enfant, et je sens aujourd'hui
profondément
de
Et
tes souffrances,
souffert de
ce soit le fruit de
volé
pas
loi, n'ai-je
mon sang?
un peu de
travail,
partagé les angoisses?
Au
pour
moi-même, ma jeunesse
pas durement besogné pour l'élever
n'ai-je
dans
enfant. Et
meilleur de
le
comme
Ils
le
fort
agitaient les bras en
et ils faisaient
de grands gestes
joie... Il
était
dans
le
ravissement,
geux camarade. Et comment
mon le
coura-
messager
AU CIEL DE VERDUN d'une
si
magnifique victoire
1
pu
aurait-il
5
[
n'a-
voir pas l'âme en fête?
A
la
nuit,
renseignements
des
salle
la
Par une chance inespérée, nous
s'emplit.
n'avions au centre aucune perte à déplorer...
La
On
plus grande joie régnait.
riait
et,
causait,
de temps en temps, on
grand plan directeur voir tricolore qu'une
main
au polygone du
fort.
le
allait
on au
drapeau
petit
pieuse avait épingle
L'on se racontait
les
la
journée, on commentait les
mon
vieux, j'ai mitraillé les ser-
aventures de
événements.
— Moi,
vants d'une batterie
boche. Ah!
si
tu les
avais vus courir!
— Six mille prisonniers — pu distinguer à J'ai
blement ennemi,
un rouleau de
—
j'ai
Épatant
!
terre
!
un rassem-
piqué et vidé sur
lui
mitrailleuse...
Huit mois!
Les Boches avaient mis
huit mois à nous enlever la zone!...
Sans cesse revenait de
Douaumont,
dont
le la
nom
prestigieux
sonorité
mettait,
AU CIEL DE VERDUN
l52
/
dans
les conversations,
comme un
roulement
de canon. Douaumont! Douaumont! J'ai
connu ce
soir-là
l'enivrement de
la
victoire.
Le lendemain parvinrent l'attaque, le
les
détails
de
exact des prisonniers,
chiffre
celui des mitrailleuses et des canons pris à
l'ennemi.
Tous
les
renseignements intéres-
sants étaient consignés par écrit et affichés aussitôt.
mon
L'un de ceux-ci
attention. C'était le
divisions d'attaque
De
tels
de suite
compte rendu des la
journée du
2l\.
comptes rendus sont présentés de
façon suivante
la
pour
attira tout
:
deux colonnes; dans
l'une ce qui a trait à l'activité de l'infanterie
française; dans l'autre ce qui a trait à celle
de l'infanterie ennemie.
comment était rédigé qui prit Douaumont
Or, voici division
celui de la
:
ACTIVITÉ DES INFANTERIES Française A
l'heure
se porte à
prescrite,
l'attaque
objectifs prescrits.
et
Allemande
:
l'infaDterie atteint
les
Kulle.
:
AU CIEL DE VERDUN
1
53
N'esl-elle pas d'une sublime élégance, la
rédaction n'est-elle fait
de
ce
bulletin
de victoire? Et
pas aussi d'une éloquence tout à
rassurante?
Vous qui doutez,
si
tant est
que vous
existiez, lisez ces quelques phrases et mé-
ditez leur signification.
L'appareil s'enlève et tout aussitôt vien-
nent
s'asseoir
à
mes
voilées... Je sais bien
côtés
la
mon chemin,
j'ai
:
mes
l'air!
souvent rencontré
première, avant que de connaître l'avion,
avant
même que
c'est surtout depuis
tion «
Bien
Elle
»
fjue
Mais
!
mon. passage dans
les
longtemps je Ses
voiles...
flottants
l'avia-
ma
de noir.
son visages
vous distinguez ses yeux, je sens bien
que
je
vciuk^ au monde... mais
l'ignorai et
» traits
moi souvent,
])lis
Ce regard,
porte depuis
ses
en yuerre
est entièrement voilée
sous
fixés sur moi.
((
d'être
que son voisinage m'est fréquent.
soit àpein(^ visible,
le
formes
qui elles sont
coutumières compagnes de
Sur
deux
voulus l'ignorer...
vous échappent; mais pour
la noire compagne a Que mes yeux alors
soulevé ont-ils
AU CIEL DE VKRDUN VU?...
ne
Je,
puis-je l'exprimer.
ma
d'avoir senti
au juste; encore moins
sais
le
me
Il
souvient seulement
chair frémir tout entière et
mon âme.
l'épouvante envahir
visage, et qu'elle cesse,
tremblé
terrible vision!
hi
dû longuement
J'ai
J'ai
de moi, loin de moi ce
Loin
(l'horreur...
1^5
contempler ce que
j'eus désiré n'entrevoir jamais...
A
chaque
fois
que
prends
je
forme noire se dresse
mes
à
l'air,
cotés.
la
Elle
pose sur moi son froid regard. Regard singulièrement
doute par
n'est
(jui
soucieux que de
avons
fait
que
une
la vie,
il
occupé
futilités.
fois
croyons
fice et
insupportable
troublant,
Mais
pour toutes a
qu'il y
est enlin
de
(pie
à
sans
plaisir (M
nous,
(pii
l'entier sacri-
mieux
donné de
et meilleur le suj)p()rter
sans faiblesse?... Qu'avons-nous à craindre et qu'avons-nous à perdre?
Bien
plus,
parce
grande misère, cette
la
compagiu; a
comme
(pie
nous
savons
(jrande pitié de iini
la
la
vie,
par nous apparaître
mw. libératrice, presque désirable.
l56
AU CIEL DE VERDUN
Sa hideuse
étreinte
nous répugne tout au-
tant qu'autrefois, mais elle n'est, après tout,
qu'un instant d'horreur,
et
qu'une grande
espérance adoucit.
La première de mes compagnes
est
main-
de
noir.
tenant une amie...
La deuxième
vêtue
aussi
est
Mais son visage sans voile
est d'une beauté
merveilleuse.
Quand, pour donné de
cœur un
le
la
première
contempler,
froid mortel.
fois,
j'ai
Car ses
m'a
il
senti à traits
été
mon
super-
bes n'expriment rien; car ses yeux magnifiques ont un regard sans vie, tout à fait
impassible. Car ses chairs aux formes parfaites
sont d'une
immobilité,
d'une blan-
cheur effrayantes. Soudain,
mon âme
devant s'est
ce
visage
troublée.
aiguë de néant m'a pris à instant.
D'un coup,
retrancher
et
ma
Une
se
sensation
la gorge...
l'univers
vie
de marbre,
Affreux
m'a paru se
mettre à battre
dans un vide immense. Seul,
je
me
suis
AU CIEL DE VERDUN trouvé seul, avec moi-même. telle
167
Oh
la
!
mor-
épouvante...
L'isolement,
épreuves
pour
l'abandon.
nos
L'épreuve
pauvres
des
âmes trem-
blantes de misère, de faiblesse et de peur, et
désireuses avant tout de soutien; pour nos
La
pauvres âmes assoiffées d'amour.
prême angoisse,
je l'ai goûtée...
su-
Mais non
en vain, car ne pouvant porter son poids, il
m'a
fallu,
dans
chercher une Ainsi par celui
mon
la
main, je fus
qui n'abandonne jamais
service inestimable
pagne, je l'aime
« l'air,
isolement des hommes,
aide...
conduit vers
que m'a rendu
comme une
pour
et
le
ma com-
amie...
De mes coutumières compagnes de l'une est la Mort, l'autre, la Solitude... d
Zut!
j'ai
aujourd'hui
tiré
ami. Dieu merci! je suis pas
moins
manqué. Je n'en
l'ai
agité d'un
vague remords...
Si je l'avais descendu, tout de
Mais pilote
de piquer sur
tir d'efficacité.
mon
goler sur moi.
me
Je
Or
quelqu'un,
deux
traits,
d'autre.
plans
donc eu
appareil,
le
comme
il
observer paisiblement un par habi-
retourne,
tuelle prudence... Je vois
sur
même!
aussi, quelle sotte idée a
fait? J'étais à
l'a
un avion
sur
un biplan dégrin-
un biplan qui dégringole
c'est,
pour
une tache
ce
quelqu'un,
centrale;
et
rien
Ni croix, ni cocarde, puisque
les
de
un
se
présentent
c'est
profil;
ennemi, par définition.
Tant pis pour
le
chasseur qui s'entraîne,
sans prévenir, sur les avions amis c'est clair...
N'empêche!
si
!
Tant pis
!
j'avais abattu le
mien, j'en aurais été rudement navré.
Un
soir,
sommes
autour de
la
Dégart
capitaine,
le
assis
à
table
la
même
moi,
et
commune,
serrés
lampe. Le capitaine
lit,
mais sans conviction. Je sens sa pensée très loin des
Dégart
pages que, des yeux,
écrit;
parcourt.
il
de temps en temps,
il
jette
un
regard plein de joie sur une photographie qu'il a placée
devant
lui.
Et moi, je songe à des automnes passés; à des veillées familiales, auprès des grands
feux clairs; quand
moi,
la
vie
j'étais
enfant et que, sur
pas
n'avait
encore
posé
sa
grande désespérance...
Temps
lointains,
lointains...
Alors,
heures coulaient heureuses et calmes, les
les
comme
eaux d'un beau fleuve dans de tranquilles
plaines;
et
nulle
angoisse, nulle horreur,
n'étreignait les cœurs...
Je
songe à des
veillées
d'autrefois...
Je
AU CIEL DE VERDUN
l6o
regardais danser les flammes et nulle vision
de guerre ne venait assombrir
mon
rêve...
Mais j'évoquais ces autres flammes, dont
douce chaleur met à nos âmes
le
la
bonheur,
et qui sont les vraies aff*ections.
Jours paisibles, jours heureux, qui vous
perdez dans
grisailles
les
pour
drez-Vbus meurtrie et
moi
vieillie,
du passé, revien-
Hélas
?
mon
!
âme,
ne saura plus goûter vos
joies...
Dégart
s'est
regard sur
la
arrêté
d'écrire.
Il
sourit, le
photographie. Et puis, parce
qu'on a besoin de partager un bonheur
que
je suis
un ami,
— Regarde! Je vois
et
me la tend. mon fils.
il
c'est
un gras poupon, qui
fixe sur
de grands yeux étonnés; une tête trouée de deux ronds
clairs,
moi
joufflue,
en équilibre
sur l'informe blancheur d'amples robes.
— Un bel
enfant,
ma
foi; je t'en fais
mes
compliments.
Le capitaine, à ces mots, abandonne sa lecture.
Il
s'approche,
il
regarde sans mot
AU CIEL DE VERDUN Puis
dire.
dans sa tunique, en
fouille
il
une photographie.
extrait
— Et moi
l6l
un
aussi, j'ai
nous
Il
fils,
nous
Et après un instant de silence
— Je ne
l'ai
jamais
Nous écoutons, la dire.
sans
Et ce sera
la
vu...
émotionnés,
très
fini
la
capi-
le
va nous
il
de vivre à côté
Oh!
savoir...
dit-il.
:
grande souffrance,
taine. Enfin, sa
montre.
la
d'elle,
crainte de raviver
involontairement une plaie mal connue...
Le capitaine reprend. Sa voix
est lourde
d'une immense douleur.
— Je
ne
l'ai
jamais vu
et je
ne
le
verrai
peut-être jamais, parce qu'il est né en pays
envahi, après
mon
départ,
et
qu'il
encore avec sa mère. Parce que
la
y est maison
qui les abrite est située tout près d'une im-
portante gare, souvent bombardée, souvent...
Dernièrement encore, Lafont, j'en avais
la
preuve... Il
me
souvient de
pilote de l'escadrille
la
conversation avec
de bombardement.
— Thiaucourt, — Oui, Thiaucourt.
fais-je.
AU
CIEI.
DE YKRDU>
II
le
AU CIEL DE VERDUN
102
Le capitaine se tait un inslant, puis violemment Comprenez-vous maintenant que je la :
—
cette
déteste, pris,
mon
atroce guerre, qui
épouse
et
mon
ture, sans cesse, avec la
rendre jamais à
mon
fils,
m'a tout
et qui
me
tor-
menace de ne
amour?...
Ah
les
oui, je la
déteste, la guerre...
se
Il
cette
tait...
et
nous ne savons que dire à
grande douleur,
à cette
grande
colère...
Quelques minutes passent, silencieuses.
Le
capitaine, le regard fixe, les traits con-
tractés, laisse en son
âme rouler, je
le
de tumultueux sentiments... Et puis,
par l'explosion
dégonflé
de
reprend lentement, d'une résignée
— Je
voix
le
cœur
haine,
il
tristement
:
la déteste,
parce que je
Vous vous puni
et
devoir; je
lui
un peu plus qu'un autre,
dois plus de mal
de tout votre
battez
cœur, parce soit
sa
devine,
qu'il est juste
que
le
voleur
que l'agresseur
restitue... C'est le
l'accomplis aussi; mais vous
le
AU CIEL DE VERDUN parez de
la
cfaîté
et
l63
de l'entrain d'une jeu-
nesse qui n'a pas rencontré
malheur... Et
le
moi, je suis sans cesse triste et douloureux,
mes pauvres
amis, et je porte une éternelle
angoisse... J'ai
pu souvent vous étonner par mes
silences, par
de certaines manières brusques.
Ne croyez pas que
ce fut dédain et orgueil
mais
ma
cœur
est trop petit
elle
qui
alors
étrange,
non pas
pour
mon
la contenir.
C'est
fantasque,
telle
qui agit,
parle et
;
que
peine est parfois
dure,
qui
est
importune...
et
moi...
Mes amis, j'ai tenu à vous ouvrir mon cœur parce que je désirerais, tout fâcheux que je
suis,
posséder votre
Notre affection! Vous capitaine, dès à présent,
vous
indiffère
affection...
la
possédez,
et
mon
puisqu'elle ne
pas, nous saurons
vous en
donner des preuves. Mais merci mille la
grande
pitié
fois,
de nous avoir conGé
de votre cœur.
Désormais, pour alimenter notre ardeur.
AU CIEL DE VERDUN
l64
un but précis à nos
yeux
:
efforts sera
devant nos
rendre à notre capitaine ses affec-
tions et sa joie
!
Et n'est-ce pas
la
volonté de telles resti-
tutions, multipliées à l'infini, qui fait notre
résolution
jusqu'à
de
la fin?
combattre
et
de
combattre
Un Caudron
vient d'atterrir!... Rien
que
de très naturel à cela. Mais je vois courir vers
Un
l'appareil.
passager blessé, sans
doute...
Un
Je m'approche pour savoir. effondré dans la carlingue G...,
:
celui de
un charmant camarade, qu'une
allemande vient d'atteindre à il
c'est
corps est
la tète.
Hélas
!
a été tué sur le coup.
Le parle
pilote n'a rien.
avec
énervé.
Il
A
côté de l'appareil,
dit le
combat
:
il
secoué,
très
un Boche
les a
très
volubilité,
surpris; quelques cartouches et c'était Il
balle
fini.
de sang, vêtements et visage,
est couvert
car au vent des moteurs, chait la blessure
le
sang qu'épan-
du passager
le
fouettait,
comme un
rocher, l'embrun. Sous l'horrible
douche,
lui
a
pu
le
il
faire
;
a fallu
ramener
mais on
le
l'appareil.
Il
sent affreusement
i66
AU CIEL DE VERDUN
ému; de temps en temps un frisson secoue ses membres. Des infirmiers s'approchent; ils enlèvent la
masse inerte du passager. La
sur la poitrine.
Ils
tête roule
l'étendent sur un bran-
card. Les vêtements sont rouges aussi. Sur le
visage blanc se dessinent des sillons san-
glants.
On emporte il
le
mort vers
l'infirmerie,
où
sera provisoirement déposé.
Je reste devant l'appareil abandonné sur la piste.
Les panneaux de
la
carlingue sont
rouges. Les mâts, les fuselages des moteurs
sont rouges aussi.
Que de sang
!...
Au
terrain,
allemands
une équipe de divers
exécutait
prisonniers Elle
travaux.
commandée par un adjudant boche, grand et gras homme, à la mâchoire puis-
était
sante, au poil ébouriffé et roux.
part à de et
il
avait pris
nombreux combats devant Verdun
s'en montrait
fier.
Orgueilleux,
mettait pas en doute la
place; j'en eus l'entendis
Il
la
ne
il
chute finale de
la
preuve, un jour que je
répondre,
d'un
rire
large
et
bruyant, à l'un de ses hommes, qui venait
de
lui
Verdun Mais
exprimer l'opinion
que
peut-être
résisterait à la ruée allemande. le
26 octobre, lendemain de
de Douaumont, l'avoue, ce fut
il
faisait piteuse
un
plaisir
la prise
mine. Je
pour moi de
lire
sur son visage l'anxiété et la rage.
Dans ses
la soirée,
hommes
il
surveillait le travail
en bordure de
la
de
grand'route,
AU CIEL DE VERDUN
l68
lorsque vint à passer un convoi de prisonniers.
débris
Tristes
en
allaient, les officiers
boueux,
les
traits
de
bataille
la
:
ils
tête, tout sales, tout la face
tirés,
pâle, avec
des regards fuyants de bêtes traquées.
Il
y
en avait des grands et des petits, quelques
beaucoup de malingres,
gaillards solides et
de
et
si
peau, les
jeunes et de
vraiment.
hommes de
ceux d'Artois tiroir,
ma
si
faibles!
Certes,
et
ce
Marne
la
Piteux trou-
n'étaient
plus
de l'Yser, ni
et
de Champagne. Fond de
foi.
Je les voyais passer, tout joyeux du symp-
tôme qu'étaient leur nombre
et leur
mau-
vaise constitution.
Non
loin de moi, l'adjudant
boche
assistait
aussi au lamentable défilé.
Quelles pensées s'éveillaient en son Je ne sais au juste
;
mais, certainement, des
pensées peu réjouissantes. tendit,
âme?
m'affirma-t-on,
Au
tenir
fait,
à
on
ses
l'en-
frères
d'armes un langage à peu près semblable
au suivant
—
:
Embusqués!
lâches!
Moi,
j'ai
pris
AU CIEL DE VERDUN
Douaumoiii
et
vous
le
laissez
Moi, je suis parvenu jusque sur si
je suis
l'assaut,
le
1
69
reprendre. Souville et
prisonnier, c'est pour avoir, à
ici
poussé trop
loin.
Et vous,
vous
n'avez pas été capables de tenir et vous avez
cédé ce que vos braves frères avaient acquis, au prix de leur sang!... Lâches! lâches!...
Lorsque Dégart apprit
le
fait,
il
en fut
tout joyeux.
— Tout va commencent
bien, dit-il, puisque les loups
à s'entre-dé vorer.
De
gros nuages, volumineux et ronds, se
promènent au
ciel,
comme
des morceaux
d'écume sur une eau bleue. Le curieusement... Au-dessus
irise
sont peu denses.
ils
On
soleil
les
du terrain
un grand
aperçoit
espace entièrement libre de ces amas vapo-
reux
:
c'est ce
que nous appelons
Vite, partons elle
!
un trou
«
».
Peut-être l'éclaircie s'étend-
jusqu'aux lignes et
le travail
est-il
pos-
sible...
Non,
il
n'en est pas ainsi;
me
voici au-
dessus de Verdun. Le sol est entièrement disparu...
mer immense de vagues immobiles; une mer d'ouate légère et qui Je
vois
semble
une
comme un
douce
duvet
étrange, bien plate, bien uniforme. brille,
dans un
au-dessus
de
ciel
cette
;
Le
plaine soleil
parfaitement limpide,
molle
étendue.
Dans
AU CIEL DE VERDUN
I7I
quel pays de rĂŞve suis-je parvenu? Simple et pur,
calme
Gomme
il
et vaste...
fait
bon
s'y dĂŠlasser des agita-
tions et des petitesses de la
vie...
Volons encore au-dessus de nuages...
la
mer de
me
Pourquoi
mon
souvienl-il
aujourd'hui
premier vol en avion?
...J'attendais,
l'instant où,
verais
avec l'ardeur d'un
pour
la
au-dessus
première
envieux,
vif désir,
l'air...
Tant de suivi
j'avais
m'élè-
fois, je
campagnes,
des
de mes noces avec regard
l'instant fois,
fois,
mon
d'un
blancs
les
oiseaux dans leurs larges évolutions
de
de
;
tant
imagination m'avait emporté
sur l'un d'eux, au travail ou au combat...
en
Quelle ivresse, pensai-je, d'errer ciel,
plein
en plein azur, avec, à ses pieds, toute
une terre immense
1
Quelle joie de se sentir
emporté au travers des espaces se découvrir de lointains horizons
J'imaginais un
nues;
monde de
j'attendais
des
et
de voir
!
sensations incon-
merveilles
et
des
bonheurs nouveaux, une révélation, un peu
comme un amoureux
de son amour.
AU CIEL DE VERDUN
178
Et quand, un beau matin, j'enjambai
mon cœur
rebord d'une carlingue,
le
battait à
rompre...
Et puis, je
n'ai ressenti
et
du connu.
de
ma
Il
que de
l'ordinaire
m'a semblé que je n'avais
vie fait autre chose qu'ascensionner.
Cette fuite des champs, ce fouet du vent, cet
air
léger,
l'âme humaine
Et
Depuis,
lointaine; je les
O
de
vieillesse
étonné que ce ne fût pas
goûté là-haut bien de
j'ai
neuves sensations. Mais, de ce pre-
fortes et
ment
toujours.
!
j'atterris,
autre...
mier
cette terre
de
connaissais
vol, j'attendais
quelque chose de
extraordinaire,
qu'il
me
valut
telle-
une
lourde déception...
Tout tême
monde ne
le
émotion.
sans
l'escadrille,
La
visite
un
mobile
pour
venait
un bap-
souvent,
à
des camarades d'autres armes.
de
beaucoup d'entre eux avait
intéressé.
obtenir
aérienne.
reçoit pas Il
de
Ils
nous
venaient surtout
une
promenade
AU CIEL DE VERDUN
174
—
Quelques minutes seulement
;
nous
leur
désir
serions tellement contents...
Lorsque était
cela
exaucé.
était
Un
de ces baptêmes de adroit,
possible,
vieux pilote avait l'air;
un
le
soin
pilote sûr et
mais d'esprit badin.
Impassible,
il
embarquait
néophyte
le
radieux. Celui-ci, au départ, gesticulait de joie...
Mais au
Gomme
retour...
péniblement de
la
carlingue
son visage, à ses gestes de penser que
si
!
las,
il
A il
descendait la
pâleur de
était
permis
ce premier contact
avec
l'air n'était
pas une surprise pour son âme,
elle l'était
certainement pour son estomac.
Ah!
les
remerciements, par phrases cou-
pées, au pilote, très correct, mais qui, nous le
savions, ne se tenait pas de joie. Et
le
jugement, un brin écœuré, du baptisé, sur l'aviation
Mais
I
il
pouvait se vanter d'avoir à peu
près tout ressenti
:
le
roulis et le tangage,
qui font monter aux lèvres l'estomac, les virages serrés, les ghssades, les piqués, les
AU CIEL DE VERDUN Spirales
176
Tout ce qui
vertigineuses.
gifle,
étourdit, plaque
ou arrache, ou bouscule ou
Une
leçon magistrale, peut-être
suffoque...
un peu chargée, pour une première, mais qui
épuisait
matière...
la
un peu
Hélas!
aussi le passager. «
Rends l'âme sur
Rends-la sans honte en vérité la
:
rendent
le
terrain,
ni dépit.
les initiés l'ont
et la
néophyte.
Je te
le
rendue avant
rendront encore...
»
dis, toi,
L'heure
du
courrier.
L'heure
de joie,
quand quelque chose parvient des êtres chers; quand une douceur, à la magie des mots, berce l'âme du soldat... Il oublie le danger, l'ennui, l'horreur; pays. Le regard sur voit,
comme
campagnes
la
songe à son
il
feuille
minuscule,
en un miroir enchanté, des
et
il
des
maisons connues, des
figures aimées...
L'heure de tristesse, hélas
!
parfois...
Au-
jourd'hui, pour moi. Quelques lignes vien-
nent en Pierre
effet
B...,
de m'apprendre
un ami, un ami
la
de sa mère. Elles expriment une leur,
une
peine les
telle lire et
désolation,
que
les
mort de
vrai. Elles sont
que
telle
je
dou-
puis à
larmes emplissent
mes yeux. Pauvre mère! Devant sa souffrance,
ai-je
AU CIEL DE VEKDUiN le
mienne? Oh! mon
droit de songer à la
sang,
ma
pour
vie,
[77
l'effacer...
Hélas! je ne puis rien.
En
des temps lointains,
m'en souvient à peine, Trois amis
1
Et
vie
la
gaîté, qu'espérance?...
Or
voici ce qu'il est
Au
vent
j'avais
que
Elle était ainsi.
advenu
premier
le
amis.
trois
n'aurait pas été
:
dans
de l'invasion,
d'Ardennes,
lointains qu'il
si
est
forêts
les
mort. Sur les
coteaux d'Artois, une journée de printemps, le
deuxième. Et
le
troisième vient de
mou-
rir...
Mais ne
suis-je
elle
pas mort moi-même plus
Un peu
qu'à demi?
de
ma
vie ne s'en est-
pas allée avec chacun de mes amis?...
Qu'attends-je maintenant pour mourir tout à fait?
La mort de Pierre
B... fut belle
:
à l'as-
saut des lignes ennemies...
Réformé,
même.
Il
il
est
avait parti
AU CIEL DE VERDUN
voulu simple
servir soldat.,.,
quand il
la
est
1^8
AU
tombé obscur
CUÎI.
UE VERDUN
troiijuer.
Ses derniers mots
ont été pour dire son bonheur de donner sa vie à la France...
Tant d'élévation d'âme, tant d'iiéroïsmel Je sonqc à
la
mort de Pierre
B...
et le sol-
dat en moi s'émerveille, mais l'ami pleure...
Et
l'Iiiver
un
j»liis
est
fnnl,
venu...
une
Plus
une
plus
fleur!
feuille,
La
mort
j)our la nature.
El pour nous l'inaclion et
Un
bouché d'épais nuayes;
ciel
vent,
le
neicje.
la
Nos
marasme. la pluie, le
ne quittent
appareils
plus les hangars; et nous ne quittons plus tios
habitations, nos nouvelles
habitations,
car les tentes sont abandonnées. Elles ont
disparu baient
aux premiers dernières
les
froids,
([uand
tom-
feuilles,
quand
bril-
laient les derniers soleils. clairs
sur
la
champêtres les
toile
;
Adieu,
adieu,
et les sylvestres
les
les
dessins
exhalaisons
parfums. Adieu,
tendres luminosités des matins,
la
fraî-
cheur des rosées. L'on nous a construit des baraquements confortables et
chauds,
mais disgracieux.
AU CIEL DE VERDUN
l80
Nous y vivons une
vie
de désœuvrement
et
d'ennui, autour de poêles fumeux.
Lecture
et
bridge
;
bridge
occupations des journées
longues soirées! Mais lasse; et la lecture,
le
et
lecture,
des
hivernales,
bridge,
on s'en
nous ne sommes pas ou
nous ne sommes plus des
intellectuels et
nous avons perdu l'habitude de l'étude de
la
méditation.
L'action, voilà vers quoi se désir.
et
Et voilà ce dont
la
tend notre
privation
merge nos âmes d'ennui. Ohl la triste saison d'hiver...
sub-
Parfois cependant le travail est possible,
dans un
quand
brille
soleil.
Journées exquises
le
charme d'une
ciel
limpide un clair celles-là,
qui ont
vieillesse heureuse.
Aujourd'hui est une de ces journées. Il
neigeait depuis plusieurs semaines
;
le
flottement serré des flocons ne s'interrompait pas;
il
semblait devoir être éternel, et
je désespérais
du retour des beaux jours.
Cette fuite régulière et lente des masses légères qui passaient sans bruit, se posaient et se
perdaient dans
la
grande nappe blan-
che, m'oppressait du sentiment de la fuite
des jours.
Ils
viennent, eux aussi, d'une pro-
fondeur insondable, passent et se fondent
dans cette chose unie et vaste qu'est passé...
Une mélancoHe
m'étreignait l'âme...
le
AU CIEL DE VERDUN
l82
Mais ce malin, quand éclaira
Un
un
le
jour parut,
il
vide enfin de blanches nuées.
ciel
pâle soleil se leva au-dessus des collines
La campagne
neigeuses.
élincela...
L'atmo-
sphère était merveilleusement transparente le
manteau point trop épais sur L'on
allait
pouvoir voler
et
;
la piste.
pour de bon
travail.
Par temps de neige et les positions
les pistes
fréquentées
de batterie occupées se dis-
tinguent aisément des pistes et des positions
abandonnées. Une utile,
on
le
telle distinction est fort
comprend. De
plus, les réglages
sont aisés par une transparence exceptionnelle de
l'air.
Le capitaine répartit entre nous les missions. La mienne est une surveillance générale
du
secteur;
observer,
cueillir
une
moisson aussi abondante que possible de renseignements Je
utiles.
me dépêche
J'assemble
le
de prévenir
mon
bagage indispensable
pilote.
et je file
aux hangars. Les avions déjà sont sur
la
AU CIKL DE VERDUN piste
Sur
l83
des mécaniciens tournent tout autour.
;
couche éclatante règne
la
de
l'agitation
tout un peuple de formes sombres. Des mo-
moulins
teurs, des «
Do
action.
veux-je dire, sont en
»,
nuées se forment au vent
fines
des hélices; elles se déplacent rapidement et se dissolvent
comme
des tourbillons.
Dépêchons! Dépéchons! Je tient,
après
reprendre
une
l'air
!
fièvre des départs s'est
emparée de moi. Oh rizons plus larges.
Tout
s'agite.
En
longue privation, de
si
La
le
!
désir, l'espoir d'ho-
Dépéchons
!
Tout vibre.
route! Enfin nos moteurs
arrachent l'appareil. Enfin,
il
s'enlève...
Je suis très haut, je regarde... est
les
collines.
Une nappe
éblouissante sous les feux du est
La
une nappe immaculée, avec des
sont
parfaitement pur,
Cette blancheur
impa-
suis
filiale,
la
terre
plis
qui
brillante,
soleil.
Le
ciel
terre sans tache.
cette simplicité, qui
de tous côtés s'offrent à mes regards, rendent plus immense encore que d'habitude
monde.
le
AU CIEL DE VERDUN
l8/|
J'ai la
Tout
sensation de
l'illimité,
est blanc, les bois, les
de
l'infini...
maisons
et les
champs; mais à mesure qu'approchent lignes
apparaissent des noirceurs,
de fusain, que
les
comme
main de l'homme a mises
la
au virginal manteau;
les routes, à
cause de
l'incessant flot qu'elles roulent et les
boyaux
et les tranchées.
Les tranchées?... Des
traits,
aujourd'hui,
sur la vaste feuille blanche des campagnes. Traits hésitants, dessins malhabiles. Ils s'é-
tendent sinueux
et parallèles, naissant
d'un
horizon, mourant à l'autre.
D'avion, cela paraît
minuscule,
si
si insi-
gnifiant! C'est pourtant ce sur quoi bute la
puissance d'immenses armées. Et c'est l'angoisse
du monde
De chaque naît
côté, les
boyaux! Réseau qui
au voisinage des lignes, se serre et
s'épaissit à
Et
entier.
les
mesure pistes
:
qu'il
en approche.
traits
plus fins,
moins
flexueux, moins vagabonds.
L'ensemble
est
une dentelle
irrégulière,
en noir sur fond blanc, dentelle abandonnée.
AU CIEL DE VERDUN avec des ûls pendants; je soin sur
ma
la
1
reporte avec
L'œuvre de mort ne
carte.
85
s'en
trouvera pas mal.
Et
les
batteries? Je cherche les minus-
cules taches noires, que ne peut
de
faire,
devant
les pièces,
la
manquer
déflagration
des poudres. Je note, je note sans cesse.
Gare
boches; gare à
les artilleurs
prochaine Tiens!
la
dégelée
!
la
02, 4o est
batterie
occupée?...
Elle se donnait pourtant des airs de position
abandonnée.
sombres
Ah
sont
mâtine, mais les ovales
la
!
là,
les
ovales
révélateurs.
Attends un peu... Je note, j'observe! et je
Ma
besogne m'absorbe
ne vois pas s'assombrir, oh!
si
peu,
l'horizon, ni s'avancer le lourd cortège des
nuages chargés de neige.
...Et
soudain, des flocons descendent, rares
d'abord, bien vite innombrables. le
ciel
disparaissent.
fuyantes
La
terre et
Des gazes légères
et
nous enveloppent. Nous sommes
perdus dans
la
blancheur mouvante...
AU CIEL DE VERDUN
l86 Perdus.
de moi
cœur.
Une
elle fait
,
Ah
!
violente émotion
s'empare
battre à grands coups
mon
Tangoisse de passer brusquement
de l'aisance immense à J'étouffe sous la
l'étroit
enserrement.
masse énorme des mous-
selines descendantes. J'étouffe dans
le
grand
silence ouaté... Je sens l'insaisissable suaire
resserrer petit à petit son étreinte humide.
L'affreuse oppression grandit. Horreur! suis l'enlisé
que submergent
noyé qui s'enfonce;
le
je
les sables;
le
poitrinaire à qui l'air
manque...
D'un
effort
me reprends. me mets à penser.
de volonté je
cesse de sentir, je
Je Je
pense que notre situation est des plus scabreuses et
qu'il faudrait
bien nous tirer d'af-
faire ou du moins essayer. Mais que tenter,
pour cela?
Descendre? non. La que nous
la
terre viendrait sans
Ce serait champ ou sur
vissions approcher.
l'écrasement dans quelque
quelque maison. Autant que possible, non, pas cela.
Une
seule chose à tenter, je crois bien
:
AU CIEL DE VERDUN nous en
aller
187
chercher au loin un
de ces maudits flocons. Je hurle à lote
ciel libre
mon
pi-
:
— Plein sud-ouest. Nous avons une boussole. nous dérive pas
Dieu
et si
Nous piquons au
bien.
Et
le
veut, tout ira
sud-ouest.
descendent toujours.
flocons
les
Si le vent ne
nous semblons ne pas bouger. Dans lence lourd,
me Et
ronflement étoufle du moteur
paraît de sonorité étrange.
comme
fuir
le
sol
le
l'inlassable
Et
le si-
Nous
allons.
à regarder, d'une voiture, s'en-
de
la
route, petit à petit, devant
mouvement de
la
masse
nei-
geuse, un vertige s'empare de moi. Je vois
soudain l'appareil dans d'étonnantes positions.
Il
me semble
pointer au ciel
la
osciller
de tous côtés,
carlingue, et puis baisser
brusquement du nez droite et de gauche.
et puis se
Tout
coucher de
est fini si le pilote
à son tour perd le sentiment de l'horizontal.
L'appareil ne peut
sur une
aile et
manquer de s'embarquer
de tomber...
Soudain, l'espace;
la terre et le eiel.
Oh!
AU CIEL DE VERDUN
l88
La zone neigeuse est dépassée. J'aspire à pleins poumons un air libre enfin. Oh! je danserais de joie dans m'était possible. Je
dans
comme un
suis
si
cela
égaré
de souterrains étroits qui aper-
la nuit
coup
çoit tout à
carlingue
la
la
campagne
Tout danger pourtant
et le salut.
pas écarté.
n'est
Assurément non. Il
sur
faut atterrir encore, et cette opération le
champ couvert de neige
sans péril.
Il
de distinguer fossés! gare
Mais
n'est pas
nous sera en
effet
impossible
du
sol.
Gare aux
relief
le
aux
aux capotagesl
talus! gare
j'y songe.
Sommes-nous seulement
en France? je regarde de tous côtés. Je ne reconnais pas la campagne
!
Prisonnier? Ah! mais non.
Diable Il
!
diable
!
faut essayer
de savoir, avant de se poser. J'ai
une idée
;
descendre et voler très bas. Ainsi distinguerai-je peut-être quelque soldat dont titude
ou l'uniforme ou
éclairera
chose à
ma
religion.
coup de feu
le
Il
l'at-
n'y a pas autre
faire.
J'explique
la
manœuvre
à
mon
pilote.
AU CIEL DE VERDUN C'est long et pénible, à peine
me
faire
ma
comprendre.
commençons
nous
aussitôt
c'est
voix. Je
approuve d'un signe de
pilote
tout
beau hurler,
j'entends le son de
si
parviens cependant à
Le
j'ai
8c)
1
et
tête
des-
à
cendre...
Mais quelle est cette
ville
que je viens
d'apercevoir là-bas, tout là-bas! Halte à descente,
mon
pilote, et droit sur elle.
probable que je parviendrai à
Nous approchons!
comme un (jui
est
l'identifier.
J'écarquille les yeux,
naufragé qui voit venir
s'efforce
Il
la
la
côte et
de distinguer sa nature; côte
hospitalière ou dangereuse à aborder?
La
cité
qui vient est bâtie dans une étroite
vallée. Elle
est traversée
par une rivière et
par un canal. Nous approchons... La
ville
haute, la ville basse, la gare! C'est Bar-le-
Duc.
Dieu
français.
merci,
nous
sommes en
air
Et voilà un terrain d'aviation. Je
distingue les hangars! Toutes les chances
décidément. L'atterrissage en campagne va
nous être épargné!... Je
fais
part de ces heureuses découvertes
AU CIEL DE VERDUN
igO
mon
à
dont
pilote,
le
Du
visage s'éclaire.
bras, je lui montre le terrain.
Et l'atterrissage s'exécute sans incident.
Nous roulons en soulevant une nuée de neige mets
Je
pied
à
fine; l'appareil s'arrête.
bien. J'aspire à pleins
Je regarde
surprend
me
et
la
de tous côtés,
si
première
connue,
frères, la
la terrible
la
était sur
Dieu!
fois.
le
qu'il le
les
vous l'avez
vie,
soldats,
meis
heures d'angoisse
vous, s'est enfin éloignée
le
terrain
comme un
gambaderais volontiers. Mais affaires
l'escadrille
je savais.
menace.
Je suis sur
aux
choses
connaissais
pas?
n'est-ce
quand, après
mort
me
tout
la neige.
Cette renaissance à tous
je
de
étonnante
que je m'y sens bien, malgré
malgré
froid,
sens
poumons, goûtant à
légèreté
un peu comme
beau
est
me
et m'intéresse. L'aspect des
monde pour
je
je
semble différent de celui que
C'est
où
Que
terre.
mes bronches une l'air.
nous
derrière
sérieuses
où
l'on
et
doit
il
enfant et
songer
faut
d'abord prévenir être
fort
inquiet,
AU CIEL DE VERDUN ensuite abriter l'appareil.
Il
IQI
attendra
ici
des
cieux plus cléments.
Quant
à nous, nous allons rejoindre tout
de suite en automobile.
Tandis que nous roulons vers
dement la
de
fourrures,
maintenant hors
plaisir,
par
vêtus
pensée
parcourt
les
fin
d'affaire,
dangers courus.
L...,
chau-
goûte
le
de revivre
Un
frisson
mes membres au souvenir de mon
angoisse quand, perdu sans
je
dans
la
blancheur
des flocons, je désespérais. Et ce
frisson m'est agréable. Sain et sauf à la côte,
j'écoute
tempête.
dans
le
passé hurler et battre
la
Le les
novembre
3
élèves
région
de
est
un jour de
de l'École centrale. Ceux de
la
Verdun avaient décidé de
se
réunir à cette date pour déjeuner, à pont. Dégart était du se
Il
pour
fête
faisait
parce qu'elle
nombre des
une joie de
était l'occasion
Ram-
convives...
cette réunion
pour
lui
de re-
voir de vieux amis et parce qu'il aimait le
vin et la gaîté.
—
Pourvu que
je sois libre
demain,
me
dit-il la veille.
Rampont
est
un
village situé à quelques
kilomètres du terrain. Dégart devait l'attein-
dre dans aussi,
la
voiture de
Damon, un Central
d'une escadrille voisine.
Or, au matin du 3 novembre, était
le
temps
douteux. Beaucoup de nuages au
mais quelques
éclaircies.
On
allait
blablement pouvoir travailler vers
ciel,
vraisemle
milieu
AU CIEL DE VERDUN de
la
journée.
lC)'d
Nous demandâmes
son programme glage. C'était
il
:
pour
six observateurs.
à l'artillerie
comprenait un seul réle
mieux; nous étions
Dégart pouvait en toute
tranquillité s'en aller à la fête.
Vers
Une
large
entre
les
dit
heures
10
le
nappe de masses
plafond se dislo([ua. bleu
ciel
se
lendit
Dégart
nuageuses.
me
:
— Je — Déjà? Tu vas pars.
Il
reprit
arriver bien trop tôt.
:
— Tu ne me comprends pas; le
réglage.
— Et
la fête, et les
— Je pars. — Voyons, tu
je pars faire
me
Non;
dis là. et
quand
amis?
ce n'est pas sérieux, ce que
Est-ce à ton tour de voler? cela serait?
pas cinq à n'avoir que
Ne sommes-nous
faire, à
ne demander
qu'à travailler? C'est moi qui vais
le faire,
ce réglage.
— Je
ne veux pas,
reprit-il
sèchement.
Assez causé, d'ailleurs; je pars. AD CIEL DE VERDUN
l3
AU CIEL D2 VERDUN
ig/}
Je n'avais plus qu'à Il
prit
ses
me
vêtements,
me
tus.
jumelles,
ses
taire; je
ses
cartes et se dirigea vers les hangars.
donc,
Qu'a-t-il
Aurait-il
s'éloigner. jqui lui fit
en
pensai-je
Rampont?
c'était cela! Je rentrai
chambre, préoccupé malgré tout. suscita
mon
mon
désir. Je
me
voyant
quelque chose
appris
désirer ne pas aller à
Sans doute,
le
mis à
lire,
dans
Un
oubliant
inquiétude inexpliquée.
Dégart, je l'appris ultérieurement, contra
Damon aux
connaissait les
à
voler.
programmes de 11
ren-
hangars. Celui-ci, qui
naturellement très surpris de solu
ma
livre
le
travail,
fut
trouver ré-
longtemps pour
insista
obtenir qu'il renonçât à son projet.
Mais rien ne
fit et,
vers
1 1
heures, Dégart
partit.
Deux heures vant
moi
le
et
passèrent. J'étais assis de-
baraquement.
me demanda
Un si les
camarade
vint à
avions de notre
escadrille n'avaient pas les fuselages peints
en rouge.
AU CIEL
—
Us
ainsi,
— Parce
196
cela?
qu'il vient d'atterrir
fuselages
avec
rouges,
mais
répondis-je,
me demandez-vous
pourquoi
à
ont
les
VERDUN
Di:
un appareil
les
passagers
grièvement blessés.
— Ohl Et
fis-je...
me
je
précipitai vers les hangars, pro-
fondément angoissé, car l'avion ne pouvait être
que
Je
celui de Dégart.
vis
civières.
deux
L'un
corps
était
immobile!... je
me
mon
d'une
voix
comme
— mes
Je
ami
;
faible,
de très
il
des
sur
chair blême et
penchai, je
ne répondit pas. Mais, mots,
étendus
lui parlai.
comme prononça
j'étais
Il
là,
quelques
loin...
mourrai donc
en soldat,
comme
ancêtres... Je suis content.
Héroïque ami! Une voiture d'ambulance l'emporta suivis
presque
aussitôt
Je
la
des yeux, jusqu'au tournant de
la
après.
route, triste à mourir... songeur aussi. il
me
Car
souvenait de l'obstination de Dégart
à voler ce jour-là,
malgré ses promesses,
AU CIEL DE VERDUN
196
malgré
de
objurgations
les
Damon
et les
miennes.
Le 27 décembre, parvint à l'escadrille un ordre du grand quartier général me détachant, pour
un stage de quelques jours, à
riicole de
aérien d'Arcachon.
tir
Rien de plus agréable qu'un
comme
il
tel stage.
n'y avait alors à l'escadrille que
m'en
trois observateurs entraînés, je
ver
le
commandant
difficultés, j'obtins
travail
que l'ordre au
fût rapporté.
matin,
le
pour
prévoyait.
demander quel me fut répondu
lui
Il
qu'un réglage peut-être serait tenté. cela n'était pas bien sûr, on rait à
tranquillement à rien
parut
me
Gomme
téléphone-
nouveau, ultérieurement. Là-dessus,
je m'installai dans
que
temps
par trop défavorable. Je télé-
l'artillerie
elle
fus trou-
malgré de multiples
et,
Le 28 décembre n'était point
phonai à
Mais,
me
un
lire.
fauteuil et je
parvînt de
étrange.
Je
me
mis
Une heure passa sans l'artillerie.
décidai
de
Je saisis la manivelle et je tournai.
Gela
me
l'appeler.
AU CIEL DE VKRDUN
— Allô!
IQy
Allô!...
Pas de réponse.
— Allô!
Allô!...
Toujours rien. Tiens! pés entre
le
central
les
fils
moi...
et
étaient cou-
Voilà pour-
quoi, sans doute, Je n'avais rien su de l'ar-
importait que je puisse
tillerie.
Il
au plus
vite.
Je m'en
:
En
arrivant sur
le ter-
un avion, passagers dans
la car-
fonctionnerait.
rain, je vis
hangars. iXous y celui-là vraisemblable-
vers les
allai
avions un téléphone
ment
parler
lui
lingue, prêts à partir. Je m'approchai.
camarade Nadon m'expliqua, de son qu'une demande de réglage
On
avait
Mon
siège,
parvenue.
était
mais
essayé
de
cela et
pour ne pas perdre de
m'avoir,
sans
succès.
Voyant temps,
il
s'était
décidé à partir à
ma
place..
Je lui répondis qu'il avait agi fort sage-
ment; mais du moment que je là,
c'était à
était
moi de prendre
prévu. D'ailleurs un
d'observateurs.
me
l'air
simple
trouvais
comme
il
échange
AU CIEL DE VERDUN
ig8
descendit,
Il
décolla et à terrain, je
Ainsi
ment
le
L'appareil
montai...
je
quelque cinq cents mètres du plus belle chute du monde.
fis la
voulut l'un des moteurs qui brusque-
Ce ne
s'arrêta...
que l'espace de
fut
quelques secondes désagréables. L'appareil se mit soudain sur l'aile et glissa... Je vis le sol
approcher avec une rapidité considé-
rable...
Mais
je
Je m'évanouis,
Le
ne sentis aucune douleur.
comme on
pilote en fut
s'endort...
pour peu de chose. Quant
à moi, j'eus la face sérieusement traumatisée et je
dus m'en
à l'arrière
aller
pour de
longs soins.
Maintenant, au souvenir des hasards qui
m'amenèrent sur
m'embarquer
le
dans
songe; je songe,
mon pauvre me demande
une voix mystérieuse,
un chant de blement.
le
à
funeste
comme je
s'en allait
Et je
terrain,
temps pour avion,
je
songeais, lorsque
Dégart. si le
malheur n'a pas
et si cette voix,
comme
sirène, n'appelle pas irrésisti-
Ainsi allons-nous, guettés sans cesse par
une
affreuse
mort, attentifs
à
du
l'appel
malheur. Heureux quand même. J'entends «
ici
bien des
gens se récrier
:
Quoi! Heureux au milieu de tant de souf-
frances, de tant d'horreur...
Ceux-là pensent que
le
y>
bonheur
mener misérablement une longue yeux obstinément rivés au sol. Mais à nous,
la
est de vie,
les
quantité des jours vécus
importe peu. Notre souci est uniquement
la
qualité de la vie, qui les emplit...
Heureux!
Oui...
Nous
le
sommes de
peiner, de souffrir pour une noble cause, de
nous donner tout entier à l'accomplissement d'une
œuvre
sainte...
Ne savez-vous pas
quelle source de joie c'est,
que de
s'offrii-,
victime volontaire d'un haut idéal ? que do se sentir au-dessus, très au-dessus de la
ma-
AU CIEL DE VERDUN
200
de mépris pour ces bas-
lière et l'âme pleine
fonds de nous-mêmes, désirs, passions?
Alors vraiment,
nous paraît que nous
il
valons quelque peu et que nous avons droit,
malgré
la
boue qui nous
souille,
à
notre
propre estime.
Heureux
largement,
en
en plein espace, parmi
les
de vivre
aussi
pleine lumière,
transparences sans
enveloppent de
lin,
qui sont partout et
splendeurs!... Je voudrais
rendre nos bonheurs
devant
les
paysages
célestes.
Nulle ligne intéresser!...
non
!
Nul rythme,
est vrai,
pour
Et l'âme se dépouille du lourd
plus.
vêtement des passions mensifie
il
Nul trouble! Nulle complexité,
avec
ces
et se simplifie et s'im-
profondeurs
illimitées,
avec ces limpidités parfaites... Épuration, élargissement délicieux.
Mais
la vastité
de ces champs sans borne
frappe soudain et l'âme perçoit l'engloutisse-
ment de l'homme dans et s'effraie.
l'infini!...
Elle tremble
Mais une ample perspective
lui
AU CIEL DE VERDUN a été offerte, de ruiiivers,
et,
20
1
troublée, elle
s'émerveille... Instants de joie, forte et terrible...
Ainsi allons-nous, ouvriers privilégiés de la
grande œuvre, remués sans cesse, jus-
qu'au
plus
intime
de notre
il
est vrai...
par
être,
angoisses et les joies aiguës.., vers
la
les
mort,
Mais pourquoi nous plaindrions-
nous? Quand l'heure viendra, n'aurons-nous pas vécu une intense
et
haute vie
!
Et
la
France ne demeure-t-elle pas, qui éternisera
un peu de nous-mêmes?...
KANGY, IMPRIMERIE BERGER-LEVRAULT
FEVRIER IQlS