Aujourdhui et demain - 1916

Page 1


HANDBOUND AT THE

UNIVERSITY OF TORONTO PRESS




Presented to

The Library of the Department

of

French

ol Unîversîty Collège

by

Dorothy Arthur Tl

nivprsity DnUpgp Alnmnff

1

QPP



S

AUJOURD'HUI ET

DEMAIN


DU MÊME AUTEUR LIBRAIRIE CALMANN-LEVY UNE TACHE d'encre.

(Oiivroge couronné par l'Aca-

démie française.)

1

vol.

1

VOl.

1

Vol.

LES NOELLET A l'aventure (croquis

italiens)

MA TANTE GIRON LA SARCELLE BLEUE SICILE. [Ouvrage couroujié par l'Académie

française.).

MADAME CORENTINE. LES ITALIENS D'aU J O U RD'h U

I

TERRE D'ESPAGNE EN PROVINCE DE TOUTE SON AME LA TERRE QUI MEURT CROQUIS DE FRANCE ET d'ORIENT LES OBERLÉ DONATIENNE PAGES CHOISIES RÉCITS DE LA PLAINE ET DE LA MONTAGNE LE GUIDE DE L'EMPEREUR CONTES DE BONNE PERRETTE

.

l'isolée

QUESTIONS LITTÉRAIRES ET SOCIALES MÉMOIRES d'une VIEILLE FILLE LE MARIAGE DE MADEMOISELLE GIMEL, DACTYLOGRAPHE LA BARRIÈRE DAVIDÉE

BIROT

NORD-SUD GiNGOLPn l'abandonné RÉCITS DU TEMPS DE LA GUERRE

LIBRAIRIE ALFRED MAME ET FILS STÉPHANETTE PAGES RELIGIEUSES

LIBRAIRIE

J.

DE GIGORD

LA DOUCE FRANCE 287-16.

Coulommiers. Imp. Paul

BRODARD.

7-16.


RENÉ BAZIN DE l'academik

française

AUJOURD'HUI ET

DEMAIN Pensées du Temps de la Guerre

PARIS CALMANN-LÉVY, ÉDITEURS 3,

RUE AUBER,

3


Il

a été

tiré

de cet ouvrage

CINQUANTE EXEMPLAIRES SUR PAPIER DE HOLLANDE, tous numérotés.

Droits de traduction et de reproduction réservés

pour tous

Copyright, 1910, by

les pays.

Calmann-Léw.


AUJOURD'HUI

ET DEMAIN

CHOSES DE LA MAISON 18 Novembre /9/4'.

Soldats qui vous

fils,

pour

la

France,

je vois les

champs

battez

compagnons de mes

d'où plusieurs d'entre vous sont venus, et je puis vous donner des nouvelles de chez vous car les

familles

:

rassemblent aujourd'hui

se

beaucoup plus que dans

la paix.

D'abord, tous les travaux nécessaires ont été faits

:

la

moisson,

battage du froment, de

le

l'avoine et de l'orge, les

viennent de

donc

1.

finir.

ont-elles

vendanges

Vous me

fait?

»

direz

:

«

aussi, qui

Comment

Vous avez raison de

Bullelin des armées de la République.


aujourd'hui et demain.

2

mettre

féminin

le

femmes,

les

sont les mères, les

ce

:

sœurs qui ont commandé l'ouvrage.

Elles y ont pris leur grande part. Des voisins

ont aidé, de vieux domestiques aussi, dont on se

demandait

si

on ne diminuerait pas

les

gages, au printemps dernier, et que les fermes se disputent à prix d'or, êtes

aux

moment,

frontières, vous, les

les jeunes.

En

ce

labours sont en train. La terre est

suffisamment fraîche et

maintenant que vous

:

ne vous inquiétez pas,

vous retrouverez, quand vous reviendrez,

des blés déjà tout drus, des seigles, des avoines que, contre l'habitude, vous n'aurez pas d'abord

tenus en semence dans votre main et répandus à la volée.

La campagne

entière, depuis

que vous êtes

devenue silencieuse. C'est

partis, est

a pas que vous qui soyez à la guerre

vaux

qu'il n'y :

les

che-

aussi ont été pris par la conscription.

Donc, plus de carrioles ni de charrettes sur routes, plus ce bruit de trot

sonne

si

les

ou de galop qui

bien dans les journées d'automne;

plus de plainte des essieux dans les fondrières,

ou presque

plus.

Il

semble qu'on

héler, par-dessus les haies,

ait cessé

de

pour prévenir

les


CHOSES DE LA MAISON.

La campagne,

absents qu'il est temps de rentrer. à

a l'air d'un désert. Elle

certaines heures,

n'est pas ravagée cependant,

inquiète

:

3

pasmaraudée, pas

ne manque que devons. Elle n'a

elle

pas peur des Prussiens, parce que vous êtes en avant. Elle voit moins de maraudeurs, croqueurs

de poules

et

de lapins, gauleurs de châtaignes,

arracheurs de

pommes de

de vin de lune, que dans

Le plus dur de

monde

et

sœurs, salle

de l'année, c'est

par

distrait

le

commune

le soir.

J'ai

vu

de

ferme

la

la table oii

et

mère a trempée.

la lettre

qui repose,

buffet de la

«

Eh

noyer

lecture,

et

que en

et s'asseoir

bien!

la

la

soupe que

a écrit.

mère a lue

On

la

première

évidence, sur le

coin du

la

ciré; c'est la fille aînée qui fera

qui

reste

lampe, tandis que

à un marché,

des

a-t-il écrit? » il

debout,

tremblant un peu dans ses mains

de

père, les

le

fume

Les bons jours sont ceux où reprend

moment du On n'est pas

ce

ù,

journalier de hasard, rentrer dans la

deux côtés de la

travail.

le

années de paix.

vie,

la

vendangeurs

terre,

les

le

papier

le

et

approché

le père, attentif

visage soucieux,

comme

remuant

parfois les lèvres, écoute et tâche de surprendre


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

4

quelque

quelque expression de lassitude

détail,

après un combat ou une marche qui lui per-

mette de se plaindre à son tour «

Notre pauvre gars, tout de

et

de dire

même?

Car

»

:

la

plainte est dans notre nature et de notre condition.

Mais on ne

termes souvent,

de a

la

s'y arrête pas.

lettre,

le

On

reprend

troupier,

mis un mot pour

faire

les

bien

rire

les

parents. Les souvenirs, les images, les paroles

qu'on se rappelle, vivante dans et

presque

la lettre qui est là,

mains, complètent la famille

les

quelque façon,

tiennent, en

la

place de

l'absent.

Vraiment, vous êtes enveloppés de de tous,

même des

pour vous; on sont

remplis

soldats;

est fier

des

pensée

de vous; les journaux

traits

admirables

de

nos

une plus large sympathie entoure

familles en deuil le

la

inconnus; on prie beaucoup

:

chacun de vous

est

les

devenu

parent, le protecteur, le vengeur, la gloire

de tous.

On

voudrait vous serrer

la

main, vous

remercier, vous acclamer. Cela viendra. Mais

savez-vous une pensée que je trouve aussi par-

même même dans

tout,

chez les mères les plus tendres, les

maisons où vous manquez

le


CHOSES DE LA MAISON. plus?

a

Monsieur,

qu'ils

5

ne reviennent pas

avant d'avoir mis l'Allemagne à

la raison! Ils

font la guerre, qu'ils la fassent bien les

muselaient

pas

tout

à

recommencer dans cinq ans!

fait,

il

!

S'ils

ne

faudrait

»

Ainsi la plus vive tendresse s'unit à la vue très juste

du devoir qui

toute la France d'état de

de

piller,

et qui

:

est le vôtre et celui

de

mettre pour longtemps hors

menacer, d'envahir, de massacrer

un peuple qui ne

et

croit qu'à la force

va justement éprouver, grâce à vous,

quelle est la force

du

droit.


UN DEVOIR MATERNEL

21 Janvier

1915K

Nous sommes dans une période de saison

succèdent, où

d'attente,

le

Cependant tout

brumes

les

est né, bien

le

printemps.

qu'on ne

pas; la sève prête et cachée attend

d'innombrables

astres et

dans

le

l.

Il

demi-nuit

dans

voie

les

achemi-

Demandons

obéitcomme et

le

le signal

la terre,

est attendu.

que le printemps se hâte. cette

influences,

profond de

nent vers nous ce qui

Dans

se

vent crie aux portes, où rien

ne semble croître de ce qui sera

divin;

guerre

à la saison d'hiver que nous

qui ressemble vivons,

la

le reste.

cette pauvreté de

Cet article et ceux qui suivent ont été publiés dans

VÉeho de Paris.


UN DEVOIR MATERNEL. mères continuent d'élever

joie, les et

7

ceux-ci grandissent

d'après-demain.

n'y

Il

les enfants,

qui seront la France

pas

a

d'interruption

dans ce long devoir d'éducation,

et la

guerre y

change peu de chose. Elle ne change pas enfants, ils

rient, ils

ils

questionnent,

comme dans

un

si

s'efîorcent d'être grands,

ils

cela était enviable.

la vie est toujours la

village

murs

les

vivent par l'imagination,

à moitié

Leur confiance

même.

détruit,

Je connais défoncés,

toits

traversés par les obus, église plus abîmée

encore que

les

maisons;

réfugiés dans les caves;

heures tous

les habitants se

ils

les jours, les

sont

y passent plusieurs Allemands ne man-

quant presque jamais de jeter quelques bombes sur ce bourg, qui n'a ni remparts ni soldats.

Eh

bien! à peine le

posé

fini,

que

bombardement

est-il

les petites filles sortent

sup-

de leurs

caches et se mettent à jouer au cerceau. Ce n'est

que par

enfants,

à laquelle le qu'il

en

le

chagrin de leur mère que les

ou presque tous, soupçonnent l'épreuve

monde

est

soumis. Et

soit ainsi. Il faut

que

la

I

cessaient de rire tout à coup!

faut bien

paix demeure

intacte quelque part. Quelle perte s'ils

il

pour nous,


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

8

De

secrets désirs les pénètrent pourtant, des

pensées de

pitié,

de dévouement, de courage

qu'ils n'auraient point eus si

nombreux dans

un autre temps. Les enfants ne voient pas douleur de

la

noblesse. Ils

siasment

guerre; mais

entendent des

vite.

veux

moi, je

ils

en devinent

récits. Ils

Nous ignorons

ont dit déjà, ou bien je

ils

diront

la

s'enthou-

le reste.

un jour

être religieuse et soigner les

veux

la

Mais :

«

ils

Moi,

malades;

pour ceux

être religieux et prier

qui ne prient jamais; moi, je veux être prêtre et

aumônier dans

soldat et

les

armées; moi, je veux être

mourir pour

la France.

»

mots-là sont des mots d'enfants.

prononcés depuis que

Tous

Ils

guerre a éclaté;

la

seront répétés après qu'elle aura pris

et

ils

fin.

Mères françaises, vous devez avoir du pect pour ces mots-là

ces

ont été

res-

vous réjouir à cause

d'eux. Ils ne sont point la preuve d'une vocation, pas plus

langue

qu'on ne peut dire

difficile »,

ils

Je sais une

peuvent l'annon-

cer, et ils sont farouches, et ils

peut-être plus jamais dits, si

«

lorsqu'on en balbutie à peine

une ou deux phrases. Mais

ou

:

si

ne vous seront

vous vous moquez,

vous demeurez indifférentes à

l'élan

de


UN DEVOIR MATERNEL. cette

âme, qui découvrait

petite

et s'y sentait portée.

Ce sont

9 le

sacrifice

là des

mystères

que vous touchez chaque jour. Or, pour ne parler que des vocations de vos fils,

soyez bien assurées qu'ils ne se tromperont

pas sur soldats

besoins de notre temps,

les

ou

Nous aurons besoin de guerre,

s'ils

se font

prêtres.

et les

hommes

qui

appartiendraient

après

la

prétendraient

le

soldats

à

la

détestable

espèce de ces politiciens, gens de

la flatterie

contraire

qui ont empêché la France d'être

électorale,

prête pour la guerre, et qui portent la responsabilité

de beaucoup de morts, et de

de plusieurs

ayons tous,

la il

provinces.

pleine victoire

la

que nous espérons

sera nécessaire de maintenir une

puissante,

ruine

Supposez que nous

pour que l'adversaire ne

armée

soit pas

tenté d'éluder les clauses de la paix, et qu'il ne

reconstitue élevait

pas ce

formidable appareil qu'il

contre nous et perfectionnait

depuis

quarante ans, tandis que les plus dangereux de

nos concitoyens, endormeurs patentés, discouraient de la fraternité universelle et de l'abolition des frontières.

Nous devrons

veiller sur 1.


aujourd'hui et demain.

10

de nombreuses colonies; nous devrons,

pour assurer

la prospérité

même

commerciale de

la

France, montrer aux pays lointains nos navires et

pavillon victorieux,

le

trois couleurs les

avons

fait,

et

réhabituer aux

yeux de tout étranger. Nous

jusqu'à ces derniers temps, de

si

fâcheuses économies! Voilà quinze ans, l'em-

pereur Guillaume parcourait

la Palestine et la

Syrie, cherchant à prendre la clientèle et les

amitiés de la France,

nombreuses dans cet

si

Orient des croisades et des missions. Je passer; je

j'ai

me

vu

souviendrai

toujours

:

«

d'autres celle

de

Désormais

»

nouvelles

:

me

les frégates

les frégates

auront

donner au monde que

à

des der-

la triste politique intérieure

nières années 11

syrienne

Quand nous enverrez-vous

de France?

vu

de l'accent de

femme

reproche avec lequel une disait

l'ai

courir ses vaisseaux blancs. Et

et elles

devront

aller partout.

faudra des marins. Il

faudra des prêtres aussi, car

ils

meurent.

Plus de vingt mille ont été mobilisés. Beaucoup d'entre eux combattent. sion, les

Les conseils de revi-

majors ont montré un empressement

extrême à déclarer

«

bons pour

le

service


UN DEVOIR MATERNEL.

11

actif », les séminaristes,- les vicaires, les

veux

curés. Je

jeunes

croire qu'ils n'obéissaient qu'à

une inspiration patriotique.

Ils étaient certains

Je donner ainsi à nos régiments des soldats

modèles, qui ne désobéiraient pas, qui relèveraient le et qui,

moral des troupes,

en

s'il

au danger, seraient parmi

ne se trompaient pas. Que de à l'honneur de

France

et

guerre.

besoin,

les braves. Ils

admirables

traits

nos prêtres! Les journaux de

ceux de l'étranger

comme une

était

ont célébrés

les

des plus hautes leçons de cette

Que de préventions sont tombées!

Combien de paysans,

d'ouvriers, d'employés •

ont enfin connu celui qu'ils fuyaient, et qu'on leur avait appris à Ils l'ont

trouvé plein de cordialité, de loyauté,

de compassion renaître en

vent la

soupçonner ou à détester!

foi.

et

de

courage.

eux-mêmes Bienfait

voyaient pas, on

l'a

Ils

ont senti

la fraternité et bien

immense

et

sou-

que ne pré-

remarqué, ceux qui ont

voté « la loi des curés sac au dos »

;

vengeance

divine et qui se résout en bénédiction.

J'aperçois cette miséricorde. Cependant, j'ai le

cœur

serré en lisant ces faits de guerre

des prêtres sont mêlés. Je ne peux pas ne pas


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

12

me

souvenir que la place naturelle

et tradi-

armées

tionnelle des prêtres peut être dans les et peut être

pense

Je

armes.

au danger, mais non pas sous qu'ils

nombre. Hier, dans une

noms de

j'ai

vu

un

oblat, quatre prêtres

six

perd ses

élites,

meurent en

liste

que

prêtres à la

mais

de quel bien nous

s'il

lui

nuent! Tant de prédicateurs

champs de

de

je parcourais,

file,

comprenait

n'aurait pas assez de larmes

Tant d'âmes malades,

grand

un

jésuite,

de paroisse. Le

sommes et

les

monde

celle-là, et

redevables,

pour

bataille!

vérité

il

la pleurer.

médecins dimi-

mauvaises doctrines, la

les

et

tombent sur

Tant de péchés,

et

les les

les

prêtres qui ont mission d'intercéder et pouvoir

de pardonner deviennent plus rares! Derrière les il

armées, dans la France protégée par

elles,

y a des cantons où il ne reste que deux ou prêtres. De nombreuses paroisses n'ont

trois

plus d'offices le dimanche.

tainement

très populaire,

nombre quand

la

mais

clergé sera certrès

diminué de

guerre cessera. Dieu enverra

sa grâce et appellera des les

Le

âmes

d'enfants.

mères françaises comprennent alors

de leur devoir,

et qu'elles laissent les

la

Que

beauté

vocations


UN DEVOIR MATERNEL. nouveUes

dans

grandir

la

l'amour! Elles ont souffert;

liberté

et

dans

elles seront asso-

renaissance de l'Église de France,

ciées à

la

comme

elles

le

furent après la Révolution.

manque

L'intelligence de ces choses ne

parmi

i3

point

pour moi un sujet d'admira-

elles. C'est

tion et l'un des soutiens de

mon

espérance. Je

vois des pauvres qui ont de plus belles idées, et mille fois,

que beaucoup d'hommes puissants

et décorés. Et si

allusion, je

fais

vous

m'ont

lettres qui j'ai là,

vous voulez savoir à quoi je

sous

la

été

main,

la grosse écriture.

le

dirai

:

c'est à

communiquées, le

et

deux dont

papier tout modeste et

La femme qui

les a écrites

ignorera toujours qu'elle est une admirable,

une sublime bonne femme de France. Elle a

un

fils

titut

qui, de

bonne heure,

est entré à l'Ins-

des Frères de la Doctrine chrétienne, a

fait l'école

aux enfants du peuple,

et,

à cause

de cela, naturellement, a été persécuté par des

bourgeois athées. Revenu de l'étranger, peu après la déclaration de guerre,

pour

le

service armé,

mère, qui répondait

:

et

« J'ai

il

il

était

désigné

l'apprenait à sa

promis au bon Dieu

d'être très brave, et de remettre tout à sa sainte


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

14

Quand

volonté.

pauvres pères de

je vois des

famille qui laissent trois et quatre

me

souvent sans ressources, je

que voulez-vous que

mon

je

dis

:

enfants, et

Mon

Dieu!

vous demande pour

enfant?... Si tu dois mourir, je ne

mande

pas que tu finisses glorieusement, mais

que tu meures utilement pour en paix.

»

La

même

un ami de que

heureuse

celui-ci

Jean

dévouement absolu,

soit et

«

:

les

les

religieux,

de savoir

mères qui, dans

fils,

Combien

gagnera pas un sou dans sa vie! Voilà

âme mêmes

ton

le pays,

mère, dans

jours, songeant à la vocation de son vait à

de-

la

écri-

je suis

dans qu'il

le

ne

»

tourmente, ont

étayé la France, et qui demain vont la refaire.


LES DEUX CAMPS

28 Janvier 1915.

De

plus en plus, les

hommes

qui pensent

aperçoivent ce qu'il y a d'exceptionnel dans cette guerre. Je

ne parle pas seulement de son

développement, des qui

nous

plusieurs

reportent à

des

arrière,

méthodes employées

changements

siècles

immenses

et

en

qu'elle

causera et de l'empreinte nouvelle dont sera

marquée

la

paix future

:

non,

le

de cette guerre, c'est qu'elle

plus étonnant est,

bien plus

qu'une guerre de conquête, de rivalité ou de vengeance, une lutte entre la civilisation chrétienne

et

la

barbarie

matérialiste.

Dans

la

Revue hebdomadaire du 2 janvier, M. Gabriel


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

16

Hanotaux, essayant de portée de

guerre

la

menée contre une dégradante

définir « le sens et la

observe qu'elle

»,

sorte de religion de la force,

menaçante. Contre

et

est

elle,

les

a

grands peuples mystiques du monde se sont levés. Les trois branches de la religion chré-

catholiques,

tienne,

se sont unis

orthodoxes, protestants,

pour courir sus à

cet adversaire

sanglant de la pensée méditerranéenne et de la loi

du

économique, et

Avec

Christ.

paix politique,

la

paix

faudra faire une paix morale

il

religieuse,

refouler

c'est-à-dire

forêt et dans le

cabanon de Nietzsche

morale allemande. et

la

»

dans

la

l'atroce

Et M. Hanotaux ajoute,

j'admire l'espèce de franchise noble qu'il

faut pour

trop

dire

ces

choses à une génération

éprise de bien-être

:

«

Je ne doute pas

qu'une heure ne sonne, après de longues souffrances,

les

peuples ne s'aperçoivent que la

raison du ventre est la pire de toutes, que la prospérité

économique

n'est

mot du progrès humain, que

pas la

le

dernier

modération,

l'humilité, la pauvreté sont plus hautes, et plus

nobles, et plus fîères, que la violence, l'orgueil

ou

la richesse.

Les grands saints du moyen

i


LES DEUX CAMPS.

17

âge sont apparus après de longues années de

malheurs publics, pour prêcher du

loi

Christ.

des

apparaître

chefs de foule,

Peut-être

hommes, qui

le

retour à la

l'avenir

chefs

verra-t-il

d'armées ou

aux

enseigneront aussi

peuples qu'ils se sont trompés, qu'on les a

trompés,

et

que

ni

la loi

humaine

ni la loi

divine n'ont la moindre conformité avec l'idéal

allemand. » Voici donc les deux camps délimités côté,

la

civilisation chrétienne,

:

d'un

respectueuse

de l'homme, attentive à toute justice, tendre

nuancée à

pour

les souffrants,

tant

aucun progrès matériel, mais soucieuse

l'infini,

ne reje-

comme de la plus même en ce monde;

avant tout du progrès moral sûre garantie de bonheur, et,

de l'autre côté, un monstre d'orgueil

et

de

dureté, dont la conquête n'est jamais que celle

des armes, qui s'exalte à briser faibles, et

prétend imposer au

le

monde

droit des la loi

de

la force, laquelle est uniforme, cruelle et inintelligente.

une

D'un

côté, la conscience; de l'autre,

brutalité sans entrave, sans autre code

celui qu'elle se

appelle le droit.

donne à elle-même

que

et qu'elle

Nous ne calomnions pas nos


aujourd'hui et demain.

18

ennemis en affirmant pris

cela.

dans leurs rangs,

hommes.

et

Nos témoins sont

parmi leurs grands

C'est le manifeste des 93 intellectuels

allemands qui admirent

la

barbarie de leur

nation. C'est Maximilien Harden,

principaux journalistes, écrivant,

un de le

mot

bre dernier, pour repousser d'un seul

reproches

faits à

l'Allemagne

:

«

leurs

22 novem-

Quel tribunal

pourra nous juger? Notre force créera une nouvelle. qui,

pour

gique,

»

C'est

justifier

retrouve,

les

loi

chancelier de l'empire

le

l'envahissement de

aux

la

Bel-

du

applaudissements

Reichstag, l'argument allemand par excellence, la

négation de tout droit, et s'écrie

sité militaire

ne connaît pas de

loi.

:

«

Néces-

» C'est

un

autre professeur, déclarant, à la fin d'une étude

sur

le droit

des gens,

que

«

le

fait

crée le

droit », doctrine affreuse, qui mettrait désor-

mais au nombre des droits l'incendie des

villes

sans défense, l'assassinat des blessés, la violation des traités, l'habitude d'aller à l'ennemi en

poussant devant soi des boucliers vivants de prisonniers

civils,

puisque ce sont

faits

là quel-

ques-unes des pratiques allemandes. C'est un poète exaltant

la

destruction de la cathédrale


LES DEUX CAMPS.

19

de Reims, et se réjouissant que la ruine fût

si

Les cloches ne sonnent plus dans

le

grande

:

«

dôme aux deux

tours. Finie la bénédiction!...

Nous avons fermé, ô Reims, avec du plomb, maison Ces

ta

d'idolâtrie. »

redoutables

erreurs

quelqu'un

les avait

cinquante ans,

doctrinales,

comme

haines qui s'en échappent

ces

des petits,

condamnées, voilà plus de

Qui?

le

gardien,

l'unique autorité qui prévoit tout le

mal con-

le veilleur,

tenu dans les idées fausses,

bien du monde, et qui est constam-

pour

le

ment

assaillie,

le

qui le dénonce,

et

à cause de cela

IX

Pie

Syllabus,

avait

pape.

le

:

Dans

l'anathème

jeté

contre ceux qui prétendent que « le droit consiste faits

dans

le

fait

matériel »

humains ont force de

:

loi »

que ;

« tous les

que

« la vio-

lation des serments les plus sacrés, les actions les plus

criminelles,

les

plus

plus opposées à la loi éternelle,

honteuses, les

non seulement

ne sont pas blâmables, mais, au contraire sont tout à fait licites, et dignes des plus grands éloges,

de

quand

elles

sont inspirées par l'amour

la patrie ».

Aujourd'hui

que l'Allemagne

s'est

prodi-


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

20

gieusement développée,

et

que

des

les erreurs

professeurs d'universités sont devenues géné-

maux

ratrices de

innombrables,

tion est sur toutes les lèvres.

la

condamna-

Le vieux

prési-

dent de Harvard exprime l'opinion de la plupart de ses compatriotes américains d'abord, et celle

de beaucoup d'habitants des pays neutres,

quand

il

dit

:

«

Les sympathies américaines

vont au peuple allemand dans ses souffrances et

dans ses deuils, mais non pas à ceux qui

gouvernent, ni à professeurs

depuis

prime

aux

et

plus d'une le

droit.

caste militaire,

la

et

qui,

les

sources de la pensée

si

l'on veut juger

seulement l'Allemagne qui philosophie

depuis cinquante

de la politique allemande.

n'est pas assez dire,

la

force

la

courte phrase résume

Cette

empoisonné

allemande

ont enseigné,

génération, que

l'erreur fondamentale

ans, a

qui

lettrés

le

aux

ni

officielle

fait la

»

Ce

non pas

guerre, mais

de l'Allemagne

ruines qu'elle a semées dans le monde.

et les Il

faut

alors lui reconnaître son véritable caractère,

qui est matérialiste.

Et je crois exacte cette

phrase d'un écrivain, M. Albert Richard, qui a habité l'étranger,

— condition

favorable et


LESDEUX CAMPS.

même

21

indispensable pour comprendre

d'un système,

et qui

écrivait

tout

le

récemment,

dans un journal radical-socialiste d'Auxerre «

On

parfaitement chez les neutres..., que

sait

c'est la

:

science allemande qui a détruit, dans

beaucoup

non seulement

d'esprits cultivés,

la

croyance en Dieu, mais toute sentimentalité, toute idéalité. »

L'Allemagne apparaît donc bien

comme une

nation opposée au christianisme, dans sa politique et dans les tendances de son enseigne-

comme

ment,

tout à

mêmes domaines, qu'elle

invoque

manière de des gens, C'est

m'a

de la morale de ce Dieu

si

faire la

il

éloignée, dans ces

Entre

extérieurement.

subsistant de

titre

fait

nation

guerre

chrétienne, et

de traiter

sa

le droit

y a une contradiction manifeste.

vrai qu'un missionnaire de

écrit

son

et

mes amis

de sa mission chinoise, pour

me

dire

l'horreur que ressentent les païens de la conduite des Allemands, et l'objection qu'ils en tirent contre le christianisme. «

dites-vous, rité?

une religion de justice

Mais regardez donc

invoquent

Vous

le ciel

les

et

prêchez,

de cha-

Allemands, qui

dans leurs proclamations! »


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

22 Il est

vrai qu'on peut répondre, et plus d'une

chose, mais tout cela est long à expliquer à

des auditoires de Shang-haï, de Canton ou de

Mon

Pékin.

ami, qui est Belge, m'écrit

:

«

Le

plus grand crime de l'Allemagne est d'avoir le

nom

de nation chrétienne, et de promener la

croix

du Kaiser dans

comment

tenant,

nous, c'est bien chrétiens

il

tant de fanges. Et main-

Pour

parler à nos païens? clair,

et

s'agit,

nous savons de quels

que

le

nom

n'est pas le

tout d'une chose. Mais avant d'avoir expliqué les tenants et les aboutissants

guerre,

Comment laume

de ce drame de

notre apologétique restera blessée. » les

II ont-ils

sujets

catholiques

de

Guil-

pu accepter, sans protestation,

des déclarations et des actes aussi opposés à la foi et

à la morale qui sont les leurs?

peut s'empêcher d'y songer.

guerre

On ne

Evidemment

cette

d'une manière générale, la politique

et,

extérieure de l'Empire, est dirigée par l'élé-

ment non utilise les

catholique,

concours

et

par une autorité qui

néglige les conseils. Mais

y a une autre raison, et il faut admettre que quelque chose s'est gâté, chez les catholiques il

allemands, au contact et sous la domination de


LESDEUXCAMPS. cette

23

masse pénétrée d'innombrable erreurs.

Plusieurs d'entre eux ont signé

le

manifeste

subissent une contagion.

des intellectuels.

Ils

Autour d'eux,

luthéranisme se décompose.

11

le

aboutit à des négations presque totales. Et

au sophisme semble diminuer,

la résistance

dans

minorité catholique, élevée dans les

la

mêmes gymnases les industriels

Poméranie, affaires,

de

et

même

et les la

Saxe ou

plus

en

mêmes

Universités que

les

capable

junkers de d'habileté

affaires politiques,

la

en

que de

fermeté doctrinale.

Et nous? Et la France? Par une suite de constances qu'il est permis d'admirer,

demeurée

la

cir-

elle est

nation chrétienne. Elle se trouve,

en ce moment, l'âme

même

d'une ligue de

puissances chrétiennes. Rien n'a pu prévaloir contre sa destinée. Les événements l'y ramènent.

Sous peine de mort,

elle

est

obligée de se

défendre contre l'impiété insolente,

défend glorieusement, vaincre.

Sans doute,

comme ceux si

et elle se

qui vont

on voulait chercher,

dans un passé récent, pourrait-on

lui

repro-

cher quelques-unes des violences contre quelles nous protestons

si

les-

justement aujour-


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

24

parce qu'elles sont commises par nos

d'hui,

ennemis. Elle a pu voir des droits nombreux

néconnus, des faiblesses méprisées, des déchirés, des la

monuments

sacrés

traités

abandonnés à

ruine ou stupidement détruits. Cependant

jamais ces actes misérables n'ont reçu l'appronation ou

bation de la

simplement de

ses

savants et de ses intellectuels. Elle a été préservée de

la

corruption doctrinale

foules religieuses. L'antique

dans ses

baptême de son

sang, mille sacrifices cachés, la ferme défense

des catholiques, la grâce inexpliquable enfin, l'ont protégée. Si elle n'est pas toute religieuse, elle

est,

dans son ensemble

et

presque jus-

qu'aux extrêmes groupements politiques,

aux idées traités,

ment

les plus

sur

le droit

fidèle

nobles sur l'obligation des de la guerre, sur

le

dévoue-

à la patrie, sur le devoir de charité, sur

l'honneur national. Dans un vaste domaine, et qui peut s'agrandir,

Aussi

n'a-t-elle

elle

demeure unanime.

pas été rejetée. Elle est réap-

parue tout à coup, dans cette

comme

la

très juste guerre,

représentante de la civilisation chré-

tienne menacée. Elle a grandi

aux yeux de l'Europe, à cause


LES DEUX CAMPS.

25

de cette union inattendue de ses l'a

reconnue,

telle

peut revendiquer chrétiens de

les droits

fils.

vue

qu'il l'avait

L'Orient

jadis. Elle

de protection des

Il

ne pourra plus dire

qu'ils sont prescrits.

La

prescription est inter-

rompue. La France

se trouve située

comme

guerre et

elle devait l'être,

dans

l'aura dire,

par son passé

peut avoir un rôle si elle

a des

magnifique.

hommes. On

a

Elle

coutume de

dans une certaine école de savants, que

besoin crée l'organe. Je ne crois pas que

cela soit vrai dans la nature. Souhaitons la

la

par son cœur. Elle

le

là-bas.

formule se vérifie dans

affaires

publiques.

la

que

conduite des

Demandons aux

ministres

qui nous gouvernent de voir que la grandeur

de

la

France

lui vient

profond passé,

Pour voir

et

et d'y

pour agir

d'être Français?

en ce

moment

de son

conformer leur action. ainsi,

ne

suffit-il

pas


L'OFFICIER

12 Février 1915.

Les héros ne s'improvisent pas.

un long seul

Comme

tous

et

par

travail à leur point de perfection.

Un

les chefs-d'œuvre, ils arrivent

lentement

décide, mais les causes sont

instant en

anciennes. Je crois qu'on le verrait avec une

grande évidence,

si

l'on prenait la peine de

rechercher, dans la famille, dans les croyances,

dans l'éducation, dans les amitiés, la

habitudes d'esprit

et

cause de ces morts généreuses

dont on ne peut et

les

sans larmes.

lire le récit

sans enthousiasme

Rappelez-vous ceux de vos

proches ou de vos amis dont

la

conduite a été

digne d'être citée en exemple, dans cette armée


L

il

27

y a tant de braves; demandez-vous quels pouvaient

autrefois,

signes, cette

OFFICIER.

audace,

pressentir

endurance, cette charité,

cette

cette puissance

faire

de tout perdre pour une idée

vous en trouverez toujours quelques-uns, petits qu'ils fussent, et mêlés, et voilés.

plupart des

hommes,

Chez

:

si

la

je le répète, cette prépa-

ration lointaine est éclatante.

Que de

fois j'ai pensé,

en rencontrant cet ami

Nord

qui vient de mourir dans les batailles du «

donnera sa mesure que dans

Celui-ci ne

grand danger! années où

la

»

Je ne pouvais

:

le

en ces

le voir,

guerre pouvait paraître lointaine

encore, sans savoir, de science très certaine, qu'il

était

un entraîneur d'hommes, un

chef,

un héros qui n'aurait peut-être pas l'occasion. Il l'a

eue. Je ne dis pas son

voir le

mieux

En

louer.

lui,

nom

de pou-

afin

beaucoup d'autres

pourront être reconnus. Mince, élégant,

une sorte de charme mer, en

même

cette finesse,

parfois cet

viril, si ce

il

mot peut

avait

expri-

temps que l'énergie du visage,

cette

ardeur, cette attention, et

abandon

et ce

rêve qui n'étaient

point faiblesse, mais permission, repos mesuré et

volonté encore.

Il était

musicien,

il

dessinait


28

aujourd'hui et demain.

très bien,

il

causait à merveille. Et

aucune pose chez

homme le

de cœur,

lui.

Homme

homme Un colonel, de

ses ordres a écrit, à son sujet, le portrait et

n'y avait

du monde,

foi et soldat. C'est

pur type français.

achève

il

qui

l'a

une

eu sous

lettre

qui

que je veux citer à cause

des mots heureux qui

s'y trouvent,

de

qua-

la

lité

d'âme qu'elle révèle, de l'honneur qu'elle

fait

à l'armée. Quelle

quelle est, je le

dont

les

chefs

armée plus humaine? Et

demande, l'administration sauraient rendre, à

civile

un subor-

donné, une justice plus intelligente, plus cor-

et

au père de

mon ami

Ce

sais.

de la

qu'était

sentiment Il

des écrit

:

l'homme que vous

pleurez, je le

Trois ans nous avons vécu côte à côte, début, liés bientôt, je

le

par une sincère et réciproque amitié.

Il

sympathisant dès crois,

le

France elle-même?

ensembles

«

par

relevée

plus

diale,

le

avait tout pour réussir et pour plaire intelligence,

:

une vive

toujours curieusement en éveil,

des sentiments de grande élévation, un cœur

ouvert à tous les enthousiasmes, une parfaite dignité de vie,

Comme

un charme personnel indéniable.

soldat, c'était

un amoureux du métier,


L OFFICIER.

un chaud taire le

voyant dans

patriote,

moyen

29 la carrière mili-

plus complet de servir le pays,

le

Par sa grande valeur professionnelle, par son ardeur au travail

et sa

haute culture intellec-

beau type de soldat

ce

tuelle,

vibrant s'était

latin cultivé el

une place à part au

fait

régi-

ment. Toutes ces belles qualités trouvaient leur

emploi dans

d'éducateur d'hommes qui,

le rôle

en temps de paix,

est le principal

L'ascendant qu'il avait possession de

pris,

dès sa

le

début de

la

l'ont, j'en suis sur,

mener.

S'il est

ment payé «

prise de

commandement d'escadron, com-

bien davantage encore avait-il dû

depuis

de notre vie.

développer

le

campagne! Ses hommes où

suivi là

tombé,

c'est

il

voulait les

après avoir large-

sa dette à la patrie bien aimée.

Des mots consolateurs! à quoi bon

tenter

d'en trouver? Je n'en vois qu'un qui soit digne de votre

fils,

mérité la

celui de fierté. fierté

quement pour

le

Toute sa

des siens.

vie,

En mourant

il

avait

héroï-

pays, ill'améritée plus encore.

Que son nom désormais n'évoque pour vous que l'image rayonnante d'un

donné sa des causes

h

être d'élite qui a

vie à la plus sainte, à la plus noble :

celle qui sera bientôt victorieuse. » 2.


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

30

On ne

peut mieux dire. Ce beau type de soldat

latin cultivé et vibrant, c'est la définition

même,

non seulement d'un homme, mais de

immense

prennent bien à présent, auxquels toute justice, le

péril

en qui

quotidien,

cette

que nos soldats com-

élite d'officiers

ils

rendent

ils

reconnaissent,

dans

indispensable,

l'autorité

l'exemple non moins nécessaire et beaucoup de vertus d'amitié. Le jeune et cher ami que j'ai pris ici

pour modèle écrivait à son père, au

mois de septembre dernier

Dieu

qu'il

Demandez

«

:

capables de faire de

mes hommes des héros

Cela pourrait être une devise.

Eh

bien!

— sa

fin

l'a

l'étudié, lui qui a réussi,

à

m'inspire les gestes et les paroles

à élever jusqu'à son

soldats, je reconnais

faut d'abord

ea

âme

que pour

!

si

»

je

prouvé,

l'âme de tous ses faire des

héros

il

un soi-même, non de

être

parade, et de vanterie, et de mots qui sonnent,

mais en simplicité, tous lution

constamment affermie de

une cause noble.

Il

dans

les jours,

la réso-

dévouer à

se

faut aussi inspirer confiance

et savoir le métier très

difficile

de la guerre.

L'officier n'entraîne pas seulement,

Ceux qui dépendent de

lui

ont vite

il

le

protège.

sentiment


l'officier. qu'il est

un ménager de

prévoit,

abrite,

grâce

à

lui,

et

31

la force, qu'il veille,

qu'on peut être protégé,

tandis

que

dont on

cette folie

rntendait parler autrefois dans les réunions publiques, cette fameuse « levée en masse du

peuple

ne serait qu'une sarabande destinée

»,

au massacre immédiat.

Un

second-maître de

marine, que je rencontrais hier,

me

la

disait

:

Quand nous embarquons sur un submersible, nous regardons d'abord le commandant. S'il

«

est calé, tranquille, à l'aise

dans son réduit, où

aboutissent toutes les puissances motrices du

bateau,

on plonge volontiers.

terre aussi le

mesure

le

»

L'armée de

commandant. Et quand

chef est habile, vous voyez ce qu'elle

Mais

il

n'a toute puissance,

pour

le

fait.

bien des

troupes et du pays, qu'à une troisième condition

:

aimer

hommes,

savoir

le

laisser

à

l'occasion,

les gestes et les paroles ». C'est

une grande

toujours,

transparaître «

les

science,

et

qu'il

faut

avoir,

apprendre jeune.

On

ignore ses voisins, trop souvent, etles préjugés accroissant

l'ignorance,

et

l'envenimant, on

peut voir, dans la société peu fraternelle où

nous vivons,

une réunion d'ouvriers ou de


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

32

paysans se défier d'un bourgeois

et

réciproque-

ment. Mais ceux qui ont vécu près du peuple, dès leur jeunesse, et surtout ceux qui l'ont

abordé par rité

les

œuvres d'enseignement, de cha-

ou de mutualité, ceux qui, de bonne heure,

ont été mêlés à

la vie

d'une armée, surtout

d'une armée en guerre, sont tout de suite en intelligence, sans

aucun embarras, sans aucun

changement

d'habitude

homme.

S'ils

ont du cœur,

cœurs,

trompés

avec

découvrent mille

mais

quelquefois,

rendent vite à l'évidence; délicatesses

ils

populaires,

honnête

tout

ils

qui

se

connaissent des

des

politesses,

des

confidences aussi, et des misères, et dès bonnes

volontés

Grande

auxquelles

joie,

avantage pour point d'autre

on

ne

grande force pour l'État!

résiste

point.

l'action,

grand

Et l'école des héros n'a

commencement.

J'imagine qu'après la guerre

il

y aura des

amitiés durables entre les bons chefs et les

bons soldats. Ce sera un grand bien,

pour

nous.

mon ami

d'amis vous auriez eus!

disparu,

même

combien


LA TRANCHÉE NÉCESSAIRE

25 Février 1915.

Avec

raison, et soutenu par la France,

un

ministre a déclaré, l'autre jour, que l'Alsace-

Lorraine rentrerait dans et

que ce

n'était là

le

domaine

qu'une restitution. Ce n'est

point une conquête.

Chacun peut imaginer, au

delà, les conditions souhaitables

de

paix future. Mais

la

vœu

français,

il

ou nécessaires

semble bien que

le

de tous les Français clairvoyants deman-

dera,

comme principale

la frontière

acquisition territoriale,

du Rhin.

L'occasion

est

unique de nous mettre

à

l'abri.

D'abord, la ligne du Rhin est

la frontière


34

aujourd'hui et demain.

naturelle.

Ouvrez votre

carte de l'Europe

le

:

atlas et considérez

paysage

même

commande

avez sous les yeux explique et

La France

politique française.

Alpes

les

et trois

le fleuve,

mers. Les provinces de

gauche nous sont toutes destinées. Si

la rive

nous avons l'Alsace lot naturel,

et la

guerre

la

d'Europe,

Lorraine dans notre

même titre le On verrait très

nous avons au

tinat qui en est la suite.

après

la

est là, dessinée

avec une netteté parfaite, limitée par par

une

que vous

qui

renouvellera

la

Palabien, carte

sans qu'il y eût de contresens

et

géographique, une France s'étendant au nord jusqu'à

la

Moselle,

Mayence, Trêves Rhin, par

la

et

avec

Landau,

continuée,

le

Spire,

long

du

Belgique agrandie. Les géographes

de l'antiquité n'ont pas manqué de noter cette leçon de choses. Strabon disait

:

«

Il

semble

qu'une divinité tutélaire éleva ces chaînes de

montagnes, rapprocha ces mers, traça le

et dirigea

cours de tant de fleuves, pour faire un jour

de la Gaule

le

lieu

le

plus florissant de la

terre. »

Et

plus

brièvement, plus

nettement,

un

autre géographe, latin celui-là, formulait cette


LA TRANCHÉE NÉCESSAIRE.

même

conséquences poli-

vérité avec toutes ses

tiques

:

«

Le Rhin

deux mondes.

35

un fleuve qui sépare

est

»

C'est bien cela, en effet

la rive droite

:

tribus germaines, qui vivent

dans

aux

les forêts et

y préparent tout le temps la guerre; la rive franche aux Gaulois, guerriers aussi, mais qui défrichent volontiers les forêts et qui parlent bien, et

que

comme

déjà

les citoyens

romains considèrent

des cousins d'avenir et d'une assez

jolie civilisation.

Les Romains, maîtres de

Gaule, considérèrent toujours la

grande barrière contre

monde

sait

que Trêves

Rhin comme

la barbarie.

fut

longtemps

de la Préfecture des Gaules,

tale

comme une

jamais, depuis lors,

comme une preuve

Tout

le

la capi-

tout

et à

idée juste,

acquise de raison politique,

l'expérience romaine

des

le

la

demeure dans

la

mémoire

hommes.

Elle fut renouvelée. Je ne

manuel

d'histoire.

On ne

veux pas

faire

un

peut, cependant, se

dispenser d'observer que ces régions rhénanes

ne sont pas neuves à v"'

tiuvec

siècle,

autant

les

de

la

domination française.

Francs défendent

vigueur

le

Rhin

que l'avaient

fait


aujourd'hui et demain.

36

Gaulois et les Romains; Clovis étend son

les

royaume au delà du

Charlemagne va

fleuve;

plus loin encore; au x^ siècle, les expéditions le roi

contre

de Germanie soulèvent

le

peuple

de France, non pointa cause d'une haine, mais parce que l'instinct populaire a reconnu limites nécessaires de la

tout le

monde veut

fleuve.

«

L'armée

demeure

qu'elles soient là, sur lé

nombreuse,

était si

chroniqueur, que, de loin, ressemblaient à une

forêt

les

le

tudesque,

l'histoire des rois

à

le

un

dit

piques droites

mouvante.

de Hugues Capet, on parlait pas

les

française, et

»

Au temps

roman,

et

non

Toute

Aix-la-Chapelle,

de France, Capétiens, Valois,

Bourbons, à travers mille vicissitudes, montre la persistance

du

perd, on reprend

du Rhin

:

on

la

même

dessein

;

on garde, on

un morceau de

la frontière

IV ne

voudrait toute. Henri

pensa point autrement. Richelieu écrivit que «

la

France devait avoir

fixait la

nature

».

Mazarin projeta

nos frontières au Rhin la

les limites d' «

que

lui

étendre

de toutes parts »

.

Sous

Révolution, les généraux, les Assemblées,

les soldats bientôt furent

gauche

fut

conquise,

de

cet avis.

organisée,

La

divisée

rive

en


LA TRANCHEE NECESSAIRE.

37

départements français. Bonaparte, puis l'Empereur,

n'eut pas que des préfets

admirateurs dans

les

quand

départements de

France perdit, encore une

territoires, les habitants de

revoir! »

la Sarre,

du Rhin-et-Moselle.

du IMont-Tonnerre, la

eut des

il

:

Bonn

fois,

criaient

aux troupes françaises qui

:

«

Et,

ces

Au

se reti-

raient. Il

y

donc beaucoup de choses à répondre

a

aux personnes qui feindraient ou éprouveraient

un

jj^rand

éloignement pour toute conquête.

La conquête clairement

est

légitime,

lorsqu'elle

est si

désignée à notre ambition, lors-

qu'elle doit rattacher à la France des provinces

qui ont été nôtres dans

un passé

populations certainement

prendre

et

Avec de

récent,

capables de

d'aimer tout l'essentiel de

la justice et

cherait à la France,

de

la liberté,

la

on

des

com-

France. les atta-

d'une manière indisso-

comme nous furent soudées tant d'autres pièces du pays, comme ces Alsaciens, par

luble,

exemple,

en apparence

grandement séparés

des Français et qui n'étaient pas depuis vingt-

cinq ans

ménagés

Kmbassadeur

et

choyés par Louis XIV, que

de Prusse écrivait à son maître

;


aujourd'hui et demain.

38 « Ils

sont plus Français que les Parisiens

On

répondre

doit

aussi,

l'histoire qui fait cette réponse-là, tière

du Rhin

est

une

nécessité.

que

Deux

».

toute

c'est

et

la fronfois,

en

quarante-cinq ans seulement, nous avons vu Paris investi, ou sur

sommes mal

point de

le

Nous

l'être.

protégés contre l'invasion, et nous

le serons, tant

que l'Allemagne nous guettera

derrière les limites trop

artificielles

rapprochées de la Lorraine

et

trop

des Ardennes.

et

Il

faut mettre de l'espace entre l'ennemi et nous, et plus

que de l'espace

défendre.

Dumouriez

exprimant

:

un grand fleuve

disait,

après tant d'autres,

de la France, qui fut

la vraie idée

non de dominer, mais «

aisé à

cœur

d'abriter son

La France ne peut avoir de

qu'avec la barrière du Rhin

sécurité durable

».

Dans

le

vingt-

septième volume du bel ouvrage publié par

Touring-Club, Reclus disait années, et

il

la

Sites

et

même

le disait

:

le

monuments, Onésime

chose,

il

y a quelques

avec un sens bien curieux

de l'avenir d'alors, que nous vivons aujourd'hui. « Il n'y a

guère plus de quarante lieues, à vol

d'oiseau, de la frontière à la cité maîtresse;

toutes les vallées,

même

celle de la

Somme,

fl


LA TRANCHEE NECESSAIRE.

39

ne faut

concourent vers notre

capitale...

Il

qu'un jour de défaite,

et les trois

ou quatre

lendemains de déroute, pour que

les

armées

contraires marchent sans contrainte vers Paris, le

long de

de l'Aisne

l'Oise,

Nous venons de

comme

voir.

le

celle-ci, terrible,

et

de

la

d'être

d'insécurité

qui

»

Après une guerre

à la vie et à la mort,

nous ne pouvons accepter, comme victoire,

Marne.

replacés dans les

fruit

de la

conditions

nous ont valu ou qui ont grandes

de la

invasions

permis

toutes

l'iance.

Et vraiment, de quelque prétexte que

se

les

couvrent ceux qui prétendraient nous ra-

mener simplement aux ils

seront écartés,

seillers,

et

de

la

frontières d'avant 1870,

comme

d'imprudents con-

par les souvenirs de la guerre de 1870

guerre de 1914.

On

leur dira

avons trop souffert; nous avons

:

failli

«

Nous

mourir

du défaut de nos frontières; nous voulons maintenant vivre gagné!

»

à

l'abri,

et

nous l'avons


LA FRANCE DU LEVANT

25 Mai 1915.

Les Alliés progressent dans et sur les rives

du

moi, assurément les

noms

:

détroit.

les

Vous

Dardanelles

comme

faites

vous regardez, sur

la carte,

des forts attaqués; nous épelons du

turc et du grec; nous nous disons qu'après Kilid-Bahr, mais surtout après la pointe de NagaraKalessi, le

coude de

fer étant franchi, la navi-

gation [sera moins périlleuse, et qu'à Gallipoli s'ouvre la

mer où

renaît,

chaque matin, sur

les

eaux calmes, l'image de Constantinople. Nos

yeux errent sur

le

aboyant à l'Europe,

muffle et

carré

de

l'Asie

sur les terres qui des-

cendent, en arrière, et qui ressemblent à des


LA FRANCE DU LEVANT. pattes,

dans

le

41

dessin des géographes, serrées

qu'elles sont entre le désert pierreux et la

Médi-

terranée. C'est cette

bande de

nous intéresse

terre qui

particulièrement. Si les prédictions redoutées

par les sultans de Gonstantinople doivent s'accomplir,

comme

si

l'empire turc

plus ancienne et

la

doit être partagé,

tant de signes le font croire, l'histoire

désignent la Syrie

d'autres bonnes raisons

comme

part d'héritage

la

qui revient à la France.

Je voudrais simplement rappeler cette histoire et

quelques-unes de ces raisons, afin que

notre intérêt,

non moins que notre

clairs à tous les

yeux.

Nos témoins, dans les

peuple de France,

le

le

compter, car ce sont

dans

la

roi,

le

pensée royale,

on ne saurait

passé,

les rois

avec tout

ratifiant ce qu'avait fait

des traités

et

et le profit des

des

ambassades,

content d'avoir des cousins d'Orient et les

avouer devant

magne, recevant des Lieux-Saints,

la chrétienté. C'est

l'investiture et

le

peuple se reconnaissant

comprenant l'honneur

expéditions,

droit fussent

fier

de

Charlc-

du protectorat

accueillant l'envoyé

du


aujourd'hui et demain.

42

qui lui apporte l'étendard de Jérusalem;

calife,

c'est saint Louis,

auquel

les

populations de la

Syrie offrirent trente mille combattants et qui voulait qu'elles fussent traitées

delà France; plus faveur

défendirent

tard, c'est François 1", en

et

chacun de ses successeurs,

qui

accrurent les privilèges accordés

France, politique d'honneur et d'humanité,

la

011 l'intérêt

dit

enfants

de qui les Capitulations furent con-

senties, puis

à

comme

si

:

trouvait son compte,

comme je

l'ai

bien qu'il y eut une époque où aucun

bateau n'était admis dans

les ports

de Syrie

s'il

ne battait pavillon français. Dans des temps plus proches de nous, l'expédition de Syrie n'a

que l'affirmation par nous-mêmes

été

et la

reconnaissance par l'Europe de notre rôle historique. Les traités internationaux mentionnent

nos droits

comme un bien légitime

Tout concourt à

On

la

preuve

peut dire que

morale de

la France.

la

:

et indiscuté.

l'envie elle-même.

Syrie est une colonie

Pour

elle,

sous tous les

régimes, nous avons donné notre or, nos soldats,

nos missionnaires

éducation française, lui

lui

;

nous avons

fait

son

apprenant notre langue,

racontant notre histoire, l'initiant à nos


LA FRANCE DU LEVANT.

43

idées.

Les dissensions intérieures ont à peine

influé

sur

politique dans l'Orient des

notre

Croisades. C'est betta a dit son

propos de

h.

la Syrie

mot fameux un article

Lorsque

la foi

une sorte

« L'anticlérica-

:

lisme n'est pas

que Gam-

d'exportation.

»

ne guidait plus nos ministres, prémunissait contre

d'instinct les

l'abandon de la tradition, et

les

empêchait de

perdre ou de laisser s'affaiblir une conquête

de

la foi.

On à

peut dire, en

effet,

que

Syrie n'est pas

la

conquérir; qu'elle est à nous,

prononcer

beau qui

le

nom

soit,

de

la

France

habituée à

comme

plus

le

étonnée de ne pas nous voir

plus souvent, persuadée qu'un jour prochain la

puissance attendue, souveraine déjà, viendra

sur ses frégates,

comme une

reine pacifique,

pour prendre possession de ses Etats, laissera

un

chef,

et qu'elle

pour gouverner enfin selon

justice. Elle parle le français,

ou

elle le

la

com-

prend, bien que l'arabe soit sa langue maternelle.

Sa jeunesse

fait

écoles

françaises,

écoles

daires,

supérieures.

dans toutes

les

ses

études dans des

primaires,

secon-

Nos journaux sont

villes.

lus

La population chré-


aujourd'hui et demain.

44

tienne, et surtout celle

du Liban,

se réjouirait

de notre venue. Les Musulmans, sans avoir une

pour

affection particulière

la

France, éprouvent

à son endroit une estime tenace, héritée de leurs pères, et

de la

ils

savent que la France les délivrera

tyrannie des Jeunes-Turcs.

révolteront pas;

accepteront notre domina-

ils

tion plus volontiers qu'une autre;

même

ne se

Ils

ils

peuvent

nous servir grandement, voici de quelle

manière.

La France

est la

du monde. Or,

première puissance arabe

la Syrie,

en

même temps qu'elle

est plus pénétrée de christianisme qu'aucune

contrée du Levant, renferme les plus

autre

plus vivantee

célèbres écoles et les

Damas

coraniques.

surtout est

un centre rayon-

nant, une ville sainte pour les

monde

entier.

préférable, les C'est de là la

que part

Mecque,

l'Afrique

ou

et

musulmans du

Ce qui vient de Damas

hommes, de

la

sociétés

est réputé

les idées, les choses.

grande caravane pour

que s'acheminent,

vers

l'intérieur de l'Asie, les prédicants

de la doctrine.

Damas

est

une

force.

En

l'admi-

nistrant avec équité, avec douceur, et en parfaite

connaissance des choses orientales, nous


LA l'UANCli DL LEVANT.

45

consoliderons notre empire arabe tout entier.

Devant de ai

si

grands avantages,

et je

ne

les

pas tous énumérés, les objections ne tien-

nent guère. La plupart ne sont que des apparences, que la timidité appelle à son secours.

entendu des gens, qui n'avaient jamais

J'ai

quitté la France, parler avec

gneux de

la

pauvreté légendaire de la Syrie.

La Syrie que que

celle

un sourire dédai-

nous devons revendiquer

l'histoire et la

dessinée. Or, une partie tout au Syrie,

moins de

cette

une des

vilayet d'Adana, n'est pas

le

est

géographie ont ensemble

provinces les moins fertiles de l'Empire turc; la plaine d'Alep, la

TransJordanie

régions n'ont besoin que irriguées

d'être cultivées

pour valoir autant que

terres de l'Algérie et de la Tunisie. j'ai

présents dans

mon

esprit,

désolés, les paysages de pierre

chemin de pelle

des

fer

et d'autres

et

bonnes

les

Sans doute,

bien nets

que traverse

de Jaffa à Jérusalem. Je

me

et le

rap-

promenades à travers des espaces

dénués d'arbres

et

de moissons, abandonnés à

des troupeaux de chèvres, et les collines successives, semblables à des ruines de villes très

anciennes,

rompues elles-mêmes par

le 3.

temps


46

AUJOURD HUI ET DEMAIN.

,

et réduites

en débris. La lumière seule en

en gerbes, à toute heure,

jaillit

Mais

le soir surtout.

je revois également des feuillages qui retom-

bent par-dessus les murs blancs, des jardins d'une tiédeur printanière sous

chaud,

et tout

plus

le soleil le

vivants de fruits et de fleurs,

ceux de

Jaffa,

oasis de

Damas, où

de Caïffa, de Beyrouth

et cette

une

l'on entre à travers

forêt d'abricotiers, plus vaste, m'a-t-il semblé,

que

la forêt

Il

de Fontainebleau.

ne faut pas s'inquiéter non plus, outre

mesure, du manque de main-d'œuvre pour culture

du

sol. L'état

de dévastation est

la

l'état

normal des possessions turques. Les Syriens émigrent en Amérique, en Egypte, au Transvaal, parce le

que personne

n'est assuré, sous

régime des Jeunes-Turcs, de récolter

duit de son travail

et

que nous aurions rendu tions

molestées

et

le

pro-

Dès

de

le

la

paix à ces popula-

pillées,

conserver.

elles

cesseraient

d'émigrer.

On

peut prévoir d'autres objections, mais ce

n'est pas

nous qui

a Palestine.

Plus

les ferons. Elles

que

concernent

partout ailleurs,

la

France a des droits acquis en Palestine. Le


LA FKANGE UU LEVANT.

47

Christ, Bethléem, les plus grands

tombeau du

souvenirs de l'histoire du monde, ont attaché tant de

cœurs à

sans doute

ardentes

des

que

compétitions, qui

celles

On

que

chrétiennes

nations

et

tout aussi

animèrent jadis

chefs des Croisés. les

y aura

cette terre sacrée qu'il

les

pourrait croire, de loin,

jalousement qu'autrefois sur

moins

veillent

le trésor

de leurs

n'en est rien, et tous ceux qui ont

origines.

Il

visité les

Lieux-Saints se souviennent, au con-

traire, des rivalités d'influence, des luttes

pu-

bliques ou secrètes entre les différentes confessions chrétiennes, d'une foule d'incidents qui seraient mesquins et méprisables

prenaient au contact,

de

la Croix,

n'étaient

comme

s'ils

les clous

une valeur inestimable,

une preuve

ne se

s'ils

rattachaient à la cause la plus sainte,

indirecte,

ne

de fer et s'ils

médiocre dans

sa forme, d'une vénération qui n'aura pas de fin.

Nulle nation n'a guerroyé, peiné,

dépensé

autant que la France pour les Lieux-Saints. Elle peut invoquer,

comme

titres

de son ambi-

tion, onze siècles d'histoire, et le protectorat

qui ne lui a jamais été enlevé par

la

papauté,


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

48 et qui

n'est

suspendu, en

que par

fait,

la

guerre. Elle ne saurait renoncer sans amoin-

drissement, ni sans froisser des millions d'âmes,

chez elle d'abord, dans tout l'univers ensuite,

témoin de ce qu'elle

fut et

de ce qu'elle est

toujours, à posséder la relique vers laquelle les

regards de tant de peuples sont tournés.

D'ailleurs, elle ne l'aurait pas

mais pour tous. Administrant personnel

la Syrie, et

pour

elle seule,

comme un

bien

par conséquent la Pales-

tine qui en dépend, elle reconnaîtrait volontiers les droits et les établissements des ortho-

doxes

et

des protestants;

elle s'engagerait à

respecter les situations acquises et à en per-

mettre

le

développement légitime. Une con-

vention préalable pourrait régler, entre nations chrétiennes, les droits de toutes dans le sanctuaire unique. Et l'on sait très bien que

nous

tiendrons parole. Si,

contrairement à l'équité,

il

n'était

possible de faire prévaloir cette solution, aurait qu'une formule acceptable

à

la

France

:

il

pas n'y

la Palestine

comme une dépendance

de la

Syrie; les Lieux-Saints internationalisés, sous le

patronage d'un prince catholique. Et pour-


I

LA FRANCE DU LEVANT. quoi pas

le roi

49

de Belgique? Pourquoi pas

le

successeur de Baudoin de Flandre, roi de Jéru-

salem?

Nous devons tous penser un peu, coup

s'il

nous

est

engagé, et aussi

patrie.

à

plaît,

Syrie, de la France

Elle est

du

cette

et

question de la

Lestant,

où l'honneur

le très positif intérêt

aussi

beau-

de la

importante qu'aucune

question européenne, et c'est peut-être la pièce maîtresse sur laquelle nous serons jugés par le

monde

attentif.

Je crois

qu'on

j'espère qu'on s'en souvient.

des temps prodigieux.

l'a

compris;

Nous vivons en


L'ENFANT DE PATRONAGE

3 Juin 1915.

Combien

il

en

hommes, ou de

leurs dimanches, les

petits

sinon

dire,

le

jeunes

ces

pendant des années, dans

patronages chrétiens

pourrait

de

mort,

est

ces territoriaux qui ont passé

de la

qui

camarades trop

les

ou trop vieux pour

France,

être mobilisés, les

parents, les vicaires souvent séparés de leur

œuvre, mais à aider,

comme

famille dispersée

Je

on

à

le

parmi

connais une

pareille

encourager, à consoler,

attentifs à

peut faire de loin, les

régiments?

paroisse

beaucoup

la

rurale,

d'autres,

n'était pas riche, et dépensait,

oii

pour

le

en cela vicaire

les enfants


ENFANT DE PATRONAGE.

L

jeunes gens de son patronage, bien plus

et les qu'il

Î51

ne recevait de

Car

la caisse diocésaine.

faut acheter des échasses, des agrès de

des

nastique,

gym-

organiser

des quilles;

boules,

il

des promenades et emporter le goûter; louer des costumes pour les pièces de théâtre; entretenir

bibliothèque,

la

détresses que l'habitude

amènent

l'amitié

du revoir

aux

ment

que

c'est dire

:

d'hommes

il

le laissèrent

à mille

et bientôt

L'abbé

confidences.

avait plus de quarante ans

de service militaire;

subvenir

et

il

;

était les

n'avait pas fait

myope extrêmepremières levées

à son poste, et qu'il vit

partir ses premiers enfants, les grands.

un peu de temps, village le

:

eh bien! sous

a lui-même quitté les

drapeaux,

il

le

reste

directeur et l'ami dos jeunes soldats de X...,

auxquels

mandat de

il

1

large

comme

marquées

les

franc,

pour

petit

— tout ce qu'on peut

faire,

chaque mois,

lettre, et

les

une

feuille

imprimée,

deux mains, sur laquelle sont

nouvelles des camarades, celles

la paroisse, et

tations

un

envoie,

— un bout de de

il

Depuis

le

quelques réflexions

temps de

la

et

exhor-

guerre. Cela est

d'un grand réconfort, plus grand que vous ne


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

52

pensez peut-être. Et

que je voudrais

c'est ce

montrer. Je voudrais que plusieurs de ceux qui connaissent peu la vie catholique, séparés d'elle

par l'éducation, le fracas

les

du monde

préjugés, les ignorances, et la

poussière du jour,

pussent apercevoir ce qu'il y a de magnifique

dans ces pauvres petites œuvres de de

campagne,

la

en ce

moment

et

la ville et

quel service elles rendent

à la France tout entière.

Prenez un modeste patronage de campagne, et

voyez comment

monde,

je

il

est

veux dire tout

composé. Tout le

petit

monde

le

des

enfants peut venir dans ce jardin du presbytère,

dans cette maison transformée, à laquelle

un pré sans

récolte de foin est attenant;

ou

dans cette autre qui a été bâtie, tout exprès

pour et

le

peuple,

dédaigné.

nulles.

par quelque riche intelligent

Les

formalités

d'entrée

Vous venez? Tant mieux;

aux barres. Les

fils

jouer

des artisans et des com-

merçants du bourg se rencontrent fils

allez

sont

avec

les

des fermiers, deux éléments assez dissem-

blables,

assez

difficiles

à bien

accorder l'un

avec l'autre, mais qui finissent par s'entendre.


ENFANT DE PATRONAGE.

L

On

on plaisante,

joue,

s'exerce au

de

tir

la

cidre.

A

la

enfants, dans la

on

tombée du

la famille est reconstituée, père,

mère,

maison du bourg, ou dans

fermes éparpillées, de

haut,

parle

carabine; les aînés boivent

un coup de vin ou de jour,

on

53

et distantes l'une

les

de l'autre

portée de la voix, jusqu'au bout de la

la

paroisse.

Cinq ans,

dix

ans se passent.

Les jeunes gens ont grandi.

Un bon nombre

préservés

et

ont

été

débauche

:

huit

ans,

de l'ivrognerie

et c'est

déjà

un grand

de

la

bien, je

ne dis pas seulement pour eux, mais pour

la

France. Elle ne s'est pas assez défendue contre la corruption, et dix mille

dans

les

patronages de plus,

années encore voisines de nous,

lui

eussent été plus précieux qu'une récolte abondante, ou qu'une colonie nouvelle

son empire. Mais

il

augmentant

y a un autre bien qui

dépasse celui-là. Ces jeunes gens ne resteront pas tous où après villes.

près, qu'ils

le

ils

sont ni ce qu'ils sont. Plusieurs,

service militaire, émigreront dans les

Un plus grand nombre oublieront à peu même tout à fait, le peu de religion

ou

auront appris. Ces réunions

du passé


aujourd'hui et demain.

34

plus ou moins lointain, où l'on causait avec le

on

vicaire; ces offices auxquels

camarades qu'on n'a pas revus;

ces

assistait;

et plus

d'un

sentiment, et plus d'une pensée qu'on avait en ce temps-là

tout cela semblera efîacé. Mais

:

vienne une grande douleur; vienne

la

guerre

qui est faite de tant de douleurs assemblées, et tous

vie

Devant l'épreuve

se souviendront.

ils

ne se révolteront pas ordinaire,

:

ils

seront prêts.

et

ils

se réveilleront de la

L'explication

religieuse de la soufîrance leur apparaîtra de

nouveau

telle qu'elle est

nable et tendre.

Ils

:

mystérieuse, raison-

seront transfigurés,

— non

pas eux seulement, car je ne limite pas à eux

compréhension de l'épreuve,

seuls la

eux

surtout,

Toutes

les

eux

presque

nécessairement.

puissances de l'âme seront

sifiées, et la patrie profitera

tion réfléchie

de

— mais immen-

de cette accepta-

la discipline et

de la mort

possible.

J'admirais, ces jours derniers, la beauté du

langage qu'on peut tenir à ces jeunes hommes. J'avais reçu,

chures,

nage,

parmi d'autres journaux

un exemplaire d'un d'un

des plus

et

bro-

Bulletin de patro-

anciens patronages de


l'enfant de patronage. France, fondé à Angers sous

55

vocable de

le

Notre-Dame-des-Champs. Beaucoup d'iiommes qui furent les pupilles et qui demeurent les

de

sociétaires

l'œuvre

combattent pour

la

France; beaucoup d'autres sont morts, dans ces régiments de l'Ouest, que les

Allemands

connaissent bien, pour les avoir vus de près, et

souvent; des jeunes attendent l'heure de partir.

Le Bulletin

donc plein de noms propres,

était

de nouvelles des soldats, de citations à l'ordre

du jour, de souhaits lignes

plus

refrain,

».

de plaisanteries, et de

fréquentes

mêlées à toute cette vie,

même

minaient de

neur

et

courtes,

A

la

:

«

comme un et qui se ter-

Mort au champ d'hon-

première page

était

directeur,

adressée à son petit

l'épreuve,

et

une

lettre

du

peuple dans

m'apparaissait qu'elle faisait

il

grand honneur à celui qui

l'avait écrite, et à

ceux qui étaient jugés dignes de la comprendre. Et je songeais que, sans doute, à des

hommes

dans une serait

et à des

jeunes gens nés

et élevés

même

langage

mais que

ville,

elle s'adressait

le

entendu des enfants du moindre groupe

ouvrier ou rural

:

moindres ont leur

car la doctrine est une et les part.

.


aujourd'hui et demain.

56

Que si j'ai

lui

disait ce directeur? Il devait être absent,

bien compris et sans doute aux armées,

aussi.

Et

disait

il

mesurent ni aux

Nos mérites ne

«

:

ni

talents,

se

aux succès, mais

y a des crises d'où on sort un lâche ou un héros, un réprouvé

aux

aux

efforts et

ou un

saint.

l'épreuve,

sacrifices... Il

Lorsque

la

la

volonté triomphe de

présence de

intime ou plus

agissante,

Dieu et

se fait plus

l'âme est cou-

ronnée d'une dignité nouvelle... Mais sommes-

nous prêts? Je ne parle pas seulement de grande revue la visite

finale.

Sommes-nous

la

prêts

du

de Dieu dans la douleur, celle

labeur professionnel, celle du foyer ou de vie des camps?... le service

à

la

Le service de Dieu comprend

de la famille et celui de la Patrie. La

France pourra donc compter sur nous,

que jour nous nous entraînons à

Dieu nos volontés. Mais, en toute

si

cha-

sacrifier

à

sincérité,

que valons-nous? Pensons-nous à préparer nos âmes, pour qu'elles soient

fortes, à assouplir

nos volontés pour que

répugnance ne

paralyse

pas?...

la

les

Sommes-nous des hommes

résignés, qui se contentent de ne pas reculer,

ou bien des braves, prêts à marcher de

l'avant,


l'enfant de patronage.

Combien

à s'offrir aux sacrifices?

que

la vie à la société fût

fice!...

vous et

Je vous parle un

vous savez du

sacri-

langage austère, mais

que

reste

je voudrais

une école du

courageux pour

êtes assez

57

la

pas la joie. Dans tout ce que

peut contredire la gaieté

comprendre,

le

fermeté n'exclut j'ai dit, rien

ne

votre jeunesse.

de

Restons joyeux en devenant

forts... »

pleines de sens, qui supposent

Paroles

une éducation

chez ceux qui les reçoivent, et auxquelles semble

comme un

répondre,

écho

parfait

résonne chaque syllabe, ce passage d'une

homme,

d'un jeune

pour

nariste parti

son père

:

«

oii

lettre

sociétaire de l'œuvre, sémi-

les tranchées, et

Le champ de

rompra pas mon séminaire;

il

qui écrit à

bataille

n'inter-

en sera

la conti-

nuation, et ce sera tout à la fois la pratique de

mon christianisme et sa méditation. » Comment des jeunes gens élevés de

la sorte

ne seraient-ils pas de merveilleux soldats? Et ces patronages,

combattus dans

trop

souvent incompris

le passé,

comment ne pas

ou voir

aujourd'hui, à l'heure du danger, qu'ils étaient et qu'ils sont des

œuvres

dis ces choses parce

que

d'utilité

nationale? Je

la justice

veut qu'elles


aujourd'hui et demain.

58

soient dites, et que les honnêtes gens de toute

opinion politique peuvent juger, en ce moment, plus d'un procès que de mauvaises plaidoiries

avaient pu embrouiller, mais que la comparution personnelle a rendus clairs et éclatants.

connu toute

J'ai

ma

vie ces jeunes gens des

patronages chrétiens, un peu partout, sur la terre de France.

cartes et

Avec eux

aux boules,

et fait

causé, joué

j'ai

aux

des promenades, et

passé bien des heures. Je ne les aime pas seuls

dans

la

jeunesse française,

compagnons

d'aimer leurs

raisons

d'autres

s'en faut, et j'ai

il

qui furent moins protégés. Mais j'aime ces

jeunes

gens

petits,

quand

de patronage,

parce que,

je les rencontrais,

ils

me

tout

disaient

bonjour, l'œil brillant et droit, et vite détourné vers le jeu.

Je et

les

aime, parce qu'ils ont, à cet âge

quand

les lâchetés se

cent, résisté

même,

préparent et s'annon-

aux moqueries

et

quelquefois aux

taloches, et fait preuve de fidélité.

Je les aime parce qu'on a pu les appeler, avec une nuance d'absurde dédain,

jeune les

homme

»,

mais qu'en

nommait ainsi,

ils

réalité,

étaient déjà des

«

le

bon

lorsqu'on

hommes,


l'enfant de patronage. et

59

de l'espèce haute et rare, de ceux qui sont

capables de se

commander eux-mêmes.

Je les aime, parce qu'ils ont un cœur prompt, sensible au

moindre mot,

et

une

politesse

populaire, exacte et délicate.

Je les aime, parce qu'il n'ont rien ajouté,

dans leur droite jeunesse, aux misères de France, très

et

qu'ils sont

la

aujourd'hui parmi ses

bons soldats.

Je les aime, à cause de la parcelle de vérité éternelle confiée à leur faiblesse l'est

à la nôtre, et qui ajoute

fraternités.

comme

elle

encore à nos


DISCOURS AUX PUBLICISTES CHRÉTIENS

s Juin 1915.

présidé

J'ai

dimanche dernier l'assemblée

générale des Publicistes chrétiens occasion, «

j'ai

prononcé

Nous sommes

le

et,

à cette

discours suivant

entre écrivains

:

si

:

nous

parlions en toute simplicité, voulez-vous? Ce serait et

te

mps de gagné pour

de la clarté, »

la

du

Vous

des

Publicistes

chrétiens,

un

qui se trouvait déjà lourdement chargé

de travail

même

de l'agrément.

êtes venus chercher, pour présider

Corporation

homme

et peut-être

vous, pour moi,

et

de

de projets.

tracas,

d'années, et

Comment

ai-je

quand

accepté cette


DISCOURS AUX PUBLICISTES CHRETIENS. charge nouvelle,

si

honorable qu'elle soit?

61

J'ai

été touché de votre sympathie, et c'est d'elle,

avant toute chose, que je vous remercie.

hommes

Je succède à deux

»

qui furent, à

des degrés divers, les créateurs de votre œuvre, le

premier l'ayant fondée,

le

second

lui

ayant

permis de vivre, tous deux l'ayant beaucoup

Le premier s'appelait Quatresolz de

aimée.

Marolles

vieux

:

nom

par soi seul blasonné,

que portait bien ce mince gentilhomme, qui avait l'âme apparente dans le sourire sans illusion,

dans

et

yeux que

les

yeux pleins

d'amitié,

la prière habituelle, m'a-t-il

comme une

des

semblé,

eau pure, rendait plus

clairs. Il a

fondé cette corporation en esprit de

foi, et cette

marque »

doit

Après

demeurer à jamais

lui

aujourd'hui

le

capitaine

collabore en ce

moment

retranché de Paris, fidélité

la

la nôtre.

vint M. Victor Taunay,

il

faut dire

du génie Taunay, qui à la défense du

homme

énergique, dont la

et l'expérience furent précieuses

sauvegarde de vos traditions

ment de votre fortune

camp pour

et l'accroisse-

professionnelle.

C'est

grâce à lui et à notre cher Joseph Mollet, que le

Syndicat des Journalistes français a eu sa 4


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

62 part,

il

y a quelques années, dans de la Presse,

la Loterie

et

les

fonds de

que vous avez pu

blir votre caisse des retraites,

éta-

nécessaire aux

si

volontaires de cette profession qui n'enrichit pas

honnêtes gens... du moins jusqu'à présent.

les »

De même que

serais tout simple

demande

la

je

vous

ai

prévenus que je

dans mes paroles, je vous

permission de ne pas abonder en

compliments

et

bienvenues. Je pourrais citer

parmi vous beaucoup d'hommes en

les

très notables,

remerciant du concours qu'ils ont apporté

au Syndicat des Journalistes,

soit

au Syn-

soit

dicat des Ecrivains français, double institution

que

d'un lien tout spirituel, la Corpora-

relie,

ne

tion des Publicistes chrétiens. Je

Nous avons

d'autres besognes,

politesse, et la vraie amitié,

aux gens comment »

ils

le ferai pas.

et la

grande

consiste à dire

doivent servir.

Cependant, je ne puis omettre de prononcer

trois

noms, parce

qu'ils sont

pour nous des

symboles, »

Je dois saluer

le

R. P. Janvier,

le

grand

conférencier de Notre-Dame, en qui sont accor-

dées l'éloquence et la doctrine, et plus encore, puisqu'il

A-^eut

bien être l'aumônier de la Corpo-


DISCOURS AUX PUBLICISTES CHRÉTIENS.

63

nos réunions, nous parler

ration,

assister à

comme mêmes

à des amis, et toujours des questions qui sollicitent

le

plus notre esprit, et

accomplit un des préceptes qu'il

que, par

là,

étudie

la Charité; je dois saluer

:

il

Collin, ancien directeur

du Lorrain de

un de ceux qui ont combattu pour longtemps avant que

rentrerons;

guerre ne fut déclarée,

la

et

Afetz,

la F'rance,

un de ceux qui ont conservé nôtre nous

M. l'abbé

vous

la terre

mon

enfin,

cher

Bourget, qui avez été élu, hier soir, à l'unanimité, président de notre syndicat des écrivains, et qui lui apportez, le conseil et

avec votre

nom

glorieux,

l'appui d'un des esprits les plus

solides, les plus universels et les plus braves

de notre temps. »

Messieurs,

il

faut

que

cette

journée

soit la

première d'une période de grand accroissement

pour

les

deux syndicats,

et

que

les

jeunes écri-

vains catholiques qui se battent aujourd'hui

France, dans les tranchées, sur

pour

la chère

nos

vaisseaux et jusque sur les rivages de

l'Empire turc, puissent venir à nous^ en grand

nombre. Tous ne savent pas ici

qu'ils

trouveront

des groupements professionnels importants.


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

64

déjà anciens, ayant leur organisation,

leurs

caisses corporatives, et cette force, précieuse et

joyeuse,

qu'est l'unité

de la

foi.

auront

Ils

appris, là-bas, la nécessité de la discipline;

ils

viendront, ayant compris que tout ne sera pas fini

avec la guerre, qu'il y aura des fautes à

empêcher, des malheurs à prévenir, une France nouvelle

à préparer, de vieilles discordes à

mourir de faim,

laisser

et

qui seront les der-

nières victimes de la guerre, les seules regrettées.

peu, de

la

Il suffit

de s'être occupé,

même un

propagande française en pays neutre,

pour comprendre

le

tique anti-religieuse

mal immense que

le

mais parmi

parmi

les

la poli-

a fait à la France,

seulement chez nous, et nous

même

non

nations,

et

non

savions bien, celles-là

qui ne sont pas catholiques. Tous, avec

fermeté, avec générosité aussi, nous travaille-

rons pour la grande paix intérieure.

Nous demanderons qu'il n'y ait plus de Français malheureux par la faute d'autres »

Français;

que

les

forces

du pays,

toutes

ensemble, soient employées à réparer les ruines, à soulager les misères, à faire une merveilleuse patrie

pour nos enfants. Nous dirons,

et les


DISCOURS AUX PUBLICISTES CHRETIENS. revenus de

jeunes,

nous, que tant

la

6S

diront avec

frontière,

d'hommes ne sont pas morts

pour nous rendre une patrie qui continuerait d'être affaiblie par ses divisions, partagée

en

oppresseurs et en opprimés. Et croyez bien

que nous serons soutenus par des pour

aussi,

Pensez à

»

effrayez pas.

nous

ces

nous

ne vous en

lendemains,

Non seulement nous

justice

la

de

aurons pour

notre cause et les alliés

nous amènera, mais

qu'elle

alliés,

la liberté.

les

sont guère les maîtres dans de

hommes ne

tels

boulever-

sements, et ceux que vous pourriez redouter n'ont qu'une puissance bien subordonnée.

quoi?

A

des hasards qui sont la Providence.

Le monde entier

sait,

de science très sûre, que

de l'Europe sera toute remaniée après

la carte la

guerre, pourquoi penseriez-vous que la carte

intérieure, celle des partis et des

ne sera pas modifiée? Elle

ment. Et déjà

les signes

quent point autour des

on voit » la

A

Ne

le

printemps

le

programmes,

sera profondé-

de changement ne manvieilles coteries,

fleurir

comme

autour des bornes.

cessez pas de faire appel à l'équité, à^

bonne

foi,

au sentiment de

la justice. 4.

Traitez


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

66

ceux que nous avons

comme

des

hommes

qu'ils n'ont pas

eus pour

adversaires

de qui on peut attendre ce

donné. Combien de ceux qui

avaient parlé contre la patrie se sont

pour

elle!

fait

tuer

Les épreuves communes sont de

y aura des âmes

grandes guérisseuses aussi.

11

nobles, qui n'avaient pas

compris, avant la

guerre, que nous pouvions les

aider et que

nous pouvions nous aimer.

Ne vous

»

Elles

fiez

pas aux petites habiletés.

compromettent sans rien obtenir. Elles

sont indignes de la grandeur de notre temps et

de celle de notre cause. D'ailleurs, vous ne vaincriez jamais l'impiété,

même

si

vous

le

vouliez, en hâblerie et finasserie. Affirmez notre

même

temps que notre bonne volonté.

foi,.

en

Ne

craignez pas d'aller jusqu'au surnaturel,

sans insister, mais sans fléchir. Je crois que la

peur de passer pour dévots nous a mal. Nous Il

faut

le

le

sommes, dans

dire,

sans

fait

bien du

cette corporation.

sermonner, parce que

nous ne devons pas cacher notre recours,

et la

force qui fait la faiblesse invincible. »

Et puis travaillons, aujourd'hui dans

peine, et

demain dans

la joie. »

la


L'ESPRIT DE FERMETE

11 Juillet 1915.

récemment,

J'ai dit ici, tout

que

patronages

les

et,

hommes

me

patro

écrit,

comme disent comme disent les

5n vérité, je

iur plaire,

)nne

habitués

de

la tranchée,

remercier d'avoir rendu justice au

»,

pat' »,

à

ce qui est mieux, au devoir.

beaucoup de soldats m'ont >ur

grand service

catholiques ont rendu

la France, en préparant des

aux sports

le

foi,

n'ai

plusieurs,

enfants de Paris.

pas eu l'intention surtout

mais de montrer,

une

jmps méconnue iblics, et qui,

ou au

aux

esprits de

institution

populaire long-

et suspectée

par les pouvoirs

au jour de l'épreuve nationale,


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

68

apparaît dans ses

fils

comme une

magnifique

pépinière de Français patriotes, disciplinés et débrouillards.

Il

importe que toutes

sources

les

Nous

d'énergie soient signalées et reconnues.

devrons puiser à chacune guerre sera

En

finie, et qu'il

hommes

les

faudra refaire

et

auront eu

qu'ils

quoi

fait

et

d'après

les petits vicaires,

rôle

le

ils

danger. C'est pour-

les enfants des « patros », les

jeunes, peuvent être

le

dévouement dont

le

preuve dans

je

groupements

les

d'hommes seront considérés auront

le pays.

que Dieu fera prochain,

ce temps-là,

l'espère,

lorsque la

d'elles,

fiers,

et

vieux

c'est

et les

pourquoi

revenus des tranchées

et

des

postes de secours, ne seront plus insultés sans être défen la rue

:

celui-ci

dus par quelqu'un du village ou de

Eh

«

se

!

dis-donc, toi?

battait avec

étais-tu

quand

nous, et portait nos

blessés sur l'épaule ? Assez causé

!

File

!

»

Je n'ai pas tout dit sur ce grand sujet, et je

me

souviens d'avoir à peine indiqué un des

traits

les

plus heureux de

d'âmes jeunes Crucifix. Les

et

ces

groupements

venues de partout autour du

enfants n'y trouvent pas seule-

ment des camarades,

et

un directeur qui

est le


l'esprit de fermeté.

un

plus souvent

dévoué

à Paris et en province, tain

quelquefois

prêtre,

non, dans tous

:

les

uns

ses conseillers

sortis

un

liiïc

grands patronages,

les

rencontrent un cer-

ils

nombre de jeunes hommes

murs,

69

d'hommes

et

du patronage

et

naturels, les autres

devenus

attirés

du

dehors, étudiants, avocats, médecins, employés

de banque ou d'industrie,

vement de sympathie,

la

artistes,

qu'un mou-

douleur de deviner

haines imméritées, et par-dessus

amènent vers

d'apostolat

ce

les

tout l'idée

jeune

peuple

inconnu. Ah! quelles amitiés se forment

là,

entre ceux qui s'ignoraient la veille les uns les autres,

que de préventions tombent,

la fraternité cesse vite d'être

devenir une joie intime, difficile

et

comme

un discours, pour à acquérir,

difficile

à conserver, mais précieuse et qui rend

acceptable

même un

long sacrifice

!

Un

enfant

de faubourg n'a pas joué une heure avec un e ces riches,

I

éjà

la

défiance,

exprime

luttes

ou de ces prétendus riches, que avec

(exploiteurs,

de classes,

phraséologie

qui

ennemis du peuple,

etc.), lui parait singulière; le

euxième dimanche,

n peu plus

la

elle lui

paraît ridicule;

tard, elle lui paraît criminelle.

De


aujourd'hui et demain.

*

70

son côté, cet étudiant ou cet employé, qui

s'est

promis de diminuer la souffrance, l'ignorance

d'amener

et la haine, et, je dirais volontiers le

de Dieu, découvre chez

monde au royaume

ses

amis pauvres des cœurs bien aisés à gagner

avec de la noblesse, une intelligence souvent vive,

un goût de

la justice,

un élan vers

l'idée

généreuse, toute une humanité française, et des difficultés

et des

de famille

et

de travail, et des vertus,

lacunes, et des luttes, et

un sentiment de

solitude, parfois à faire pleurer.

ami, une

sorte

d'avertir,

et

parce qu'on

devient un

de frère aîné, qui a

de reprendre, le voit

Je viens de

Il

lire

et

le

droit

qu'on écoute

vivre et parce qu'on l'aime.

une

lettre,

adressée par un

de ces jeunes conseillers ou confrères de patronages,

comme vous

voudrez, aux

patronage des Malmaisons,

« petits »

et j'en

du

suis tout

pénétré, à cause de la beauté et de la fermeté de la lettre, et aussi à

cause de

la destinée qui a

consacré ces deux pages. Celui qui les a écrites,

André Bognier, 25

est

mort pour

la

patrie, le

avril.

C'était

un

nombre de

riche, et

un

riche admirable,

le

ceux-ci est bien plus grand qu'on

'


L 110

veut

ESPRIT DE FERMETE.

même

l'adoles-

émancipé

légalement

puis

cence,

Orphelin avant

le dire.

71

à

dix-

huit ans, maître de sa fortune, à l'âge oîi l'on

dépense pour

soi, lui,

mieux

11 faisait

et les soutenait

:

il

il

donnait aux pauvres.

les recherchait,

il

de cet encouragement

les aimait et

exemple dont, bien plus que d'argent,

de cet ils

ont

besoin. Car la plus grande pauvreté est de ne

pas savoir vivre. Ce grand jeune

veux bleus, rougissant son cœur, aisément de tous

les

arts,

vite

homme aux

aux battements de

aisément gai, épris

triste,

voyageur enthousiaste

et

songeur, avait, sous l'apparente mobilité de la

jeunesse, une foi solide, directrice et nourrie.

Comment

fut-il

amené

nage de

cette

paroisse

l'une

plus

des

à s'occuper du patro-

pauvres

de Saint-Hippolyte, et,

par conséquent,

l'une des plus attachantes de Paris? Je l'ignore.

y passa bien des heures; il y devint prompiment un homme. En 1913, il s'engageait. La juerrele trouva caporal. Blessé au cours de la retraite sur la

lu corps, battre

Marne, puis, dès octobre, revenu

nommé

aux

aspirant,

endroits

fô avril, étant allé

les

il

ne cessa de com-

plus périlleux.

Le

reconnaître, avant d'engager


72

aujourd'hui et demain.

ses

hommes, une tranchée ennemie,

frappé mortellement.

mort,

même

fut

de sa

recevait son brevet de sous-lieutenant.

il

Voilà

Le matin

il

de son rapide passage, que

l'histoire

résume

cette belle citation à l'ordre

l'armée

:

«

du jour de

André Bognier, sous-lieutenant au

12" d'infanterie

:

a

montré dans toutes

les cir-

constances dangereuses une force de caractère

une bravoure à toute épreuve. Alors que

et

commandant de tué,

la

seul,

est allé,

compagnie venait

le

d'être

une reconnaissance

faire

d'une tranchée occupée par l'ennemi, avant

d'engager

A

le

peloton qu'il avait sous ses ordres,

été tué. »

Et voici, maintenant,

la lettre, l'espèce

testament que, deux jours avant de mourir,

de il

adressait aux apprentis de l'Ecole de mécanique

du patronage, à ceux dont l'affection et, autant

que cela

il

avait conquis

se peut, pris les

âmes en charge. J'emprunte

qui porte en manchette

mum des

un

un journal tout

le texte à :

«

local,

Abonnement mini-

franc par an » et qui s'appelle l'Ami

Malmaisons

:


ESPRIT DE FERMETE.

L

73

Retour des Éparges, 23 avril 1915.

«

amis,

donc

est

Il

vrai,

— puisque

le

s'en plaint si fort,

journal de Saint-IIippolyte

négligents, et que les

sur le »

jeunes gens mes chers

monde ne vous

que vous

êtes légers et

événements qui pèsent troublent pas?

Je n'en suis pas surpris

:

ceux qui se battent

sont parfois étonnés d'être au feu depuis

longtemps

est

il

;

normal que

semblent pas plus longs qu'à eux-mêmes la

guerre

un

pour vous qui ne

soit,

état de choses

si

mois ne vous

les

et

que

la faites pas,

auquel on s'habitue

et

qu'on

supporte aisément... Et puis les illustrés sont

pour beaucoup dans votre insouciance; vous en parcourez des piles tous représentent

guerre pas «

».

très

copain

Le

la «

guerre

comme

la

«

petite

poilu dans sa tranchée » n'est

différent, »

vous

les jours; ils

sur

images,

les

en promenade,

le

d'un

dimanche,

à

Nogent... »

Eh

fait ça,

bien! croyez-m'en, ce n'est pas tout à ce n'est

est dure, âpre,

même

pas ça du tout. La guerre

souvent horrible. C'est ce 5

qu'il


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

74

que vous sachiez...

faut

tinue

et

pourquoi

con-

elle

.

En somme, nous avons fait notre devoir, et nous sommes vainqueurs. Les Allemands ont »

envahi

Nord de

le

la

France, c'est vrai; mais

ont été refoulés à la Marne; Paris leur a

ils

échappé;

n'ont pas pris Calais; leurs efforts

ils

sur l'Yser sont de gros échecs. Et, depuis deux

nous marquons des points

mois

Nord, en Champagne, en Meuse,

:

dans

le

encaissent

ils

sans répondre. Alors, pourquoi ne pas cesser la guerre?

»

Pourquoi vouloir affirmer notre

Pourquoi tendre vers lointains peut-être,

et qui

Pourquoi de nouveaux

offensive?

les résultats décisifs si

seront

si

coûteux?

ou mieux

sacrifices,

:

pour qui? »

Eh

bien

!

jeunes gens,

nous luttons. Lorsqu'un

mon

côté, je

fait

la Patrie,

homme

s'écroule à

mais un

sacrifié

lui

pour

de France. Je répète que nous avons

notre devoir. Pères de famille ou jeunes

hommes nous ne voulons ans

pour vous que

ne salue plus seulement en

un défenseur de les enfants

c'est

la

puissance

pas que

allemande

d'ici

vingt

renouvelée

et


ESPRIT DE FERMETE.

L

75

maniée par une main plus habile vous humilie sous sa botte, » C'est

et

vous écrase sous sa

ferraille.

pour vous que nous vivons au milieu

cadavres, dans une atmosphère empestée;

(le

pour vous que nous creusons

nous veillons jour avons vieux être, »

et

et nuit,

pour

soif,

vous

la terre et

que

pour vous que nous

que

meurent

nos meilleurs camarades,

nos

et que, peut-

nous allons mourir.

Que nous devez-vous en retour?

banal

devoir de

Est-ce

un

reconnaissance? Est-ce un

merci que beaucoup n'entendront jamais? Non!

vous nous devez un pays meilleur que celui que nous avons

laissé;

vous nous devez votre vie de

travailleurs, d'honnêtes

Nous

» lais li

»

a peur!

de chrétiens.

cette paix de l'égoïste qui jouit et

Sans

cela,

malheur sur vous!

n'est ni notre rôle ni notre

us indiquer

la voie.

Des

de vous, Dieu soit loué Svangile, et «

et

luttons pour que vous ayez la paix,

non pas Ce

gens

pour vous

que celui qui a des

entende

!

heure de

prêtres sont restés !

pour vous ouvrir

le lire.

oreilles

Écoutez donc,

pour entendre,

» »

ANDRÉ BOGNIER.

»


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

76

Remarquez

qui parle ainsi est utile;

être

la

et

par l'amitié;

grandeur du

France même,

L'homme

fermeté de la leçon.

la

sujet,

conscience de dire la vérité

la

la

sans

même

l'autorité. Il

en use

l'avoir voulu. Il est ce qu'il doit

moment

être, à ce

le voisi-

mort, qui affranchit des timi-

donnent

dités vaines, lui

veut

qui est la

de ne parler que de ce qu'il voit,

nage deviné de

il

de son histoire, à

de l'histoire de France,

lui. Il est

et

un des témoins qui

peuvent dire impérieusement à-des jeunes gens

non exposés au

feu

:

«

Taisez-vous! La France

qui se bat est magnifique! Elle vous sauve!

Tâchez de comprendre! Cette fermeté-là,

nous

» la

retrouverons bientôt

ou dans quelques mois, mais nous

la retrouve-

rons chez les Français vainqueurs du Boche. Elle est dans la race, lités

comme

tant d'autres qua-

avariées par la politique intérieure. Elle

appartenait à nos pères, qui avaient la réputation

de

parler

besoin. Les

fils

vertement quand

vont

s'y remettre.

il

On

en était les en-

tendra penser tout haut, et défendre ce qu'ils

aiment. La guerre aura refait leur éducation. Ils

auront

la fierté

des victorieux

et,

pour avoir


L

souvent

et

ESPRIT DE FERMETE.

longtemps bravé

de petites incommodités de sent à d'autres des dangers. accepte,

c'est

la

77

mort,

la vie,

Un

le

mépris

qui parais-

sacrifice

qu'on

du courage qu'on amasse.

Ils

seront des forts, et nous verrons enfin, dans les villes et les villages, ce

qui se faisait trop

rare avant la guerre, ce qui est l'honneur d'un

pays, la promesse de son avenir, la condition

de toute liberté

:

peur des hommes.

des

hommes

qui n'ont pas


LES PERMISSIONiNAIRES

22 Juillet 1915.

On

les voit,

depuis quelques jours, dans les

rues de la ville, chef-lieu de département ou chef-lieu d'arrondissement. ils

ne se promènent pas,

mense

les égaille et les

les voit passer,

a fait faire

cache

toilette,

des fiançailles.

et

et

fierté,

même

les

Comment

les

bourgs,

campagne im-

mais en la

ville

C'est

dont on

on

femme, qui

autant qu'on en peut

la fin des hostilités, et qui est

tente, et qui regarde de côté,

de

:

accompagnés de

un brin de avant

Dans

et la

comme

con-

au temps

une joie tendre, mêlée sait

bien que les voisins

passants prennent leur petite part.

voulez-vous qu'ils ne

soient

pas


LES PERMISSIONNAIRES.

79

reconnus, ceux qui reviennent de la tranchée? «

ont

Ils

une fils

l'air

maman

du

monsieur

front,

»,

me

disait

qui suivait, traînant la jambe, son

médaillé et hardi. Souvent des sœurs, des

frères tout jeunes, des amis, font escorte à ce

Français qui était cultivateur,

il

y a un an, ou

employé, ou commerçant, qui revient

homme

de guerre, qui a défendu la France, couru de

grands dangers, souffert,

et

dont

la

tion est pleine de choses nouvelles.

ou

six

qui

ils

conversa-

A

eux cinq

barrent la chaussée, et les plus petits,

sont aux deux ailes,

quand

ils

veulent

parler et interroger le soldat, se penchent en

avant

font une voix pointue.

se

et

boutiques bien achalandées, chez

boucher,

animés

le

et

Il est

boulanger,

il

se

Dans

les

l'épicier, le

forme des groupes

de peu de durée.

donc revenu,

vot' gendre,

madame

Clérambourg?

Pour quatre jours, sans

navette.

Il

compter

la

est arrivé ce matin.

Doit-elle être contente,

pauv'

petit'

homme

qui a

la

dame!

Et

lui,

donc! Et puis, un

bonne mine, vous savez!

L

Il

n'a maigri

que de


aujourd'hui et demain.

80

comme un vieux cuir; il parle de la guerre comme s'il n'avait jamais fait que ça. Et un moral, madame Lamce qu'il fallait;

bert!

Une

il

bronzé

est

confiance! Moi, je

l'a

toujours

dit,

la victoire.

On

l'ai

que ces hommes-là gagneraient

nommé adjudant pour les coups qu'il a reçus

mais ça

n'est pas à dire qu'il n'en ait pas

Sans doute, madame;

ces sortes de gens-là sont

Elle dit bien

et

moi

!

que

je dis

bons à entendre.

madame Lambert

bons à entendre. Pour

donné

:

cette

:

ils

sont

raison, et sans

parler de plusieurs autres qui sont excellentes, le

commandement

a

sagement

fait

en per-

mettant aux combattants de revoir la femme, la

maison,

la famille,

aussi, a besoin d'eux. la

preuve que ces

et le voisinage qui, lui

De

divers côtés, je tiens

visites

sont,

pour tout

monde, réconfortantes. Certains craignaient contraire. D'autres,

parmi

seconde séparation. Quand on a eu de laisser son mari partir pour la

le

les plus intéressés,

maris ou femmes, redoutaient l'épreuve de

peut l'avoir encore, mais

le

le

courage

la guerre,

douleur de

la

on

la sépa-

ration nouvelle n'efface-t-elle pas toute la joie

d'un

moment?


LES PERMISSIONNAIRES. J'ai rencontré,

femme

petite

dans un train de

81 l'Est,

une

qui racontait à sa voisine, d'âge

moyen, maternelle

et attendrie, l'équipée qu'elle

avait faite.

— voir

Je reviens du front, moi aussi!

mon

J'ai été

mari!

— Mais,

madame, répondit la voisine, intéeffarouchée par les manquements à la

ressée et

ne se peut pas!

légalité, ça

y a

Il

les ordres les

plus sévères. J'ai vu, à la gare de Châlons,

femmes

plus de vingt jeunes

obligées de faire demi-tour,

Vous

Paris.

— Pas riorité

aviez donc

sur ces dames difficile

J'étais partie,

du

et

une autorisation?

:

je ne savais pas

que

de retrouver son militaire.

pour

village détruit

et n'avais

et

de rentrer à

plus petite. Mais j'avais une supé-

la

c'était si

interrogées,

point

le

où Jules

le

plus rapproché

habitait

une cave,

emporté qu'un permis du commis-

saire de police

de

mon

quartier de Paris. Car

je suis de Paris.

Ça

se voit bien

:

Madame

a

un

très joli

chapeau. Elle a aussi une manière de

Mais ça ne

— Je

dire...

suffit pas.

l'ai

compris. La guerre,

c'est terrible.


aujourd'hui et demain.

82

Un

peu avant

la

gare de

Z...

je devais m'ar-

commençais à m'inquiéter de mon

je

rêter,

personnage, et la preuve plus rien.

Une

vieille

c'est

que je ne

disais

dame, qui m'avait regardée

plusieurs fois avec une espèce d'indulgence de

grand'mère, votre mari,

me demanda « Vous ma petite dame, il n'y :

allez voir

a pas de

doute; mais avez-vous de la parenté à Z..., une

Alors je serai votre tante,

Non? Madame Demire-

mont

coupait son

amie, quelqu'un qui réponde de vous?

je ne

(je

ne

sais

pas

si

pas vu écrit)

l'ai

;

elle

n'oubliez pas l'adresse

du Tertre- Vert. Vous pourrez

17, rue

nom, :

l'oublier

aussitôt après; je ne prétends qu'à vous obliger. »

Le

train s'arrête; je descends,

paquet à la main,

— un

dedans!

au bureau

Nous

et j'avais

gendarme me

petit

mis du tabac

fait

signe d'aller

bout de

militaire, à l'autre

la gare.

étions trois, mais les

deux autres étaient

mon

tour, le lieutenant,

du pays. Quand ce

fut

qui n'était plus jeune et qui

cause de Jeunes,

cela...

quand

me

— Vous aviez ils

me

faisait

tort, ce

peur à

sont les

ne sont pas amoureux, qui

ont le scrupule des consignes...

nant

mon

considéra

le

lieute-

un court moment, sans


LES PERMISSIONNAIRES.

même «

83

paraître y prendre plaisir, et

Vous avez votre domicile à

monsieur

le

j'habite les

Z...?

me

dit

Non,

:

lieutenant, je n'ai pas cet honneur,

Batignolles, mais

une

j'ai

tante,

une femme excellente,

Madame Demiremont,

du Tertre-Vert.

— Bien. Gendarme, ça

17, rue

Demiremont, à

existe,

Z...? Oui?... Très bien.

Et quelle raison avez-vous, madame, d'aller

pendant

voir votre tante,

même, monsieur paix 11

:

me

ment

le lieutenant,

songez que

c'est

considéra, une seconde les épaules, et

me

Un l'ai

K

était alîaire

La

que pendant

une tante à héritage! fois,

la »

leva légère-

laissa passer. Je n'étais

pas encore au bout de

Preste

guerre?

la

mes

peines. Mais le

de finesse et de gentillesse.

soldat m'a aidé. J'ai prévenu Jules, et je

vu!

Quand

la

petite

dame

eut achevé son récit

qui n'alla pas sans quelques détails amusants, je

me

crus autorisé à lui

Eh

bien!

demander

:

madame, puisque vous avez

réussi, contre toute espérance,

vous pouvez

me

dire qui a raison, de ceux qui prétendent qu'il

vaut mieux ne pas se revoir, ou de ceux qui prétendent

le

contraire?


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

84

— Ah! monsieur, je pleure encore de l'avoir quitté,

mais

il

n'y a pas de doute!

Et, sauf qu'elle

que

ne pleurait point, je crois

l'avis était sincère.


SENTENCE PONTIFICALE

25 Juillet 1915.

Le pape Benoît XV, dans une

lettre

que

le

cardinal secrétaire d'Etat a écrite par son ordre, et

adressée au

ministre de Belgique près le

Saint-Siège, blâme et

condamne, ou plutôt

déclare expressément qu'il a

condamné

la violation,

déjà

blûmé

par l'Allemagne, de

neutralité de la Belgique.

Il

rappelle l'aveu

et

la

du

chancelier de Bethmann-Hollweg, et l'excuse

proposée

dans

la

séance

du

Ueichstag,

4 août 1914. Le chancelier avait dit

sommes dans

la nécessité,

connaît point de le

Luxembourg

loi.

et

et

la

:

«

le

Nous

nécessité ne

Nos troupes ont occupé

ont peut-être déjà foulé

le


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

86

territoire belge. »

désormais

il

Le pape

ne subsiste aucun

avait précisément en

vue

doute,

tice...

qu'elle pût avoir été

».

C'est là

un événement considérable,

conséquences immédiates,

qu'il

du 22 jan-

réprouvait hautement toute injus-

pour quelque motif

commise

ses

il

qu'il

cette violation lors-

que, dans l'allocution consistoriale vier 1915, «

pour que

déclare,

soit

soit

par

par celles

produira sans nul doute, lorsque

les puis-

sances traiteront de la paix et des réparations nécessaires.

une réponse aux calomniateurs qui

C'est

auraient voulu faire croire que rait indifférent et

pape demeu-

neutre devant l'injustice, et

réprouver

qu'il hésitait à

le

les

abus de

la force

érigés par l'Allemagne en doctrine d'Etat. C'est aussi

comme

un

l'a dit le

fait

magnifiquement

losophie de Louvain,

moi

le

isolé. Car,

président de l'Institut de phi-

Mgr Deploige

:

« Citez-

chef d'Etat neutre qui ait osé protester

contre ces doctrines? »

Benoit

XV

l'a fait,

prédécesseurs, la lettre

que

selon la tradition de ses

et, s'il l'a fait

explicitement dans

je viens de citer, la

condamnation


SENTENCE PONTIFICALE. implicite et certaine n'en a pas

mulée

six

les autres

mois plus

87

moins

dès qu'il a jugé que

tôt, et

excuses invoquées par la diplomatie

allemande n'étaient que des sophismes celle-là,

été for-

ou que des apparences sans

comme

réalité.

Le

coupable, c'est-à-dire l'Allemagne, ne s'y est pas trompé un seul instant, ainsi que je fait

observer,

ici

même, dans un

de Rome. Tout de suite

ment

et

elle a protesté,

la

et

il

est certain

sentence renouvelée et solennelle, quand

elle sera

les

vive-

par ses ambassadeurs

inutilement,

auprès du Souverain Pontife,

que

l'ai

article daté

connue en Allemagne, troublera toutes

consciences que

le

Deutschland ûber

n'a pas éteintes. Jusqu'à

sauvage de n'étant pas

la

ailes

présent, l'agresseur

Belgique avait pu dissimuler,

nommé

:

il

ne

le

peut plus. Le doute

sur l'existence de la condamnation n'était pas très intelligent

:

il

est

désormais impossible.

Ainsi, le premier acte de guerre de l'Alle-

agne, son premier pas, son premier crime, est An condamné. D'autres le seront.

sympathie de Benoît certaine, déclarée,

XV

pour

Il

y a

la

plus.

La

France est

prouvée abondamment. Tous

ceux qui l'ont connu, lorsque, sous

le

Ponti-


aujourd'hui et demain.

88 ficat

de Léon XIII,

mêlé aux

était

il

affaires

politiques, se souviennent de la bienveillance

que témoignait aux Français, mait librement, pour

et

du goût qu'expriet la civilisa-

l'histoire

du cardinal

tion de la France, le collaborateur

Rampolla. Depuis dans

qu'il

est

tourmente où nous vivons,

la

de montrer par ses paroles, dites,

et

prend

qu'il

il

et

n'a cessé

celles qu'il a

par ses libéralités, la grande part

aux

souffrances

a causées chez nous. il

devenu pape,

envoyait un don

Il

que

guerre

la

y a quelques semaines,

magnifique,

pauvre

lui

cependant, au Secours National. Peu après, une

aumône modeste, mais accompagnée

des plus

remise en son

affectueuses paroles, était

à l'évèque de Versailles, qui a fondé une

pour venir en aide aux soldats

et

nom

œuvre

aux familles

des soldats mobilisés. Plus récemment encore, le

pape

faisait

remettre cinq

mille francs

à

l'œuvre fondée pour venir en aide aux églises dévastées.

Les

hommes que

je

connais

le

mieux, que

j'estime pour leur esprit sûr et désintéressé,

ont rapporté de Rome,

avec

le

et

Souverain Pontife,

la

de leurs entretiens

même impression,


SENTENCE PONTIFICALE. la

même

certitude que j'ai eue

89

moi-même,

le

20 mars dernier, lorsque j'ai eu l'honneur d'être reçu par lienoît s'entretenir

XV. Un de mes amis

longuement avec

le

pape, dans

deux audiences, à quelques semaines valle;

un autre habite Rome

ment; un autre peine

:

l'a

a pu

et le voit

d'inier-

fréquem-

vu voilà quelques jours

à

tous m'ont redit les paroles les plus

consolantes, les plus nettes, les plus semblables à celles que j'ai entendues, et qui montrent

chez

le

pape non seulement

douleurs imposées à

gence de

la

France et

France, mais

la

mission de

prouver par des actes

pour

la pitié

la

France,

qu'il a

le

l'intelli-

le désir

de

gardé pour la

la prédilection traditionnelle

d'augmenter, dès qu'elle

les

des papes,

souhaitera, les

prérogatives qu'elle a tenues jadis de leur confiance. Il semble, lorsqu'on cause avec le

Sou-

verain Pontife, que les erreurs d'un passé récent n'ont pu diminuer l'affection que nous avions

méritée au cours de notre histoire. M. Fernand

Laudet

le constatait,

dans

le récit

d'une visite

qui date de quelques jours, et d'où tait

il

rappor-

des réponses d'un tour heureux,

comme

celle-ci

:

«

J'aime

la

France catholique sans


aujourd'hui et demain.

90

doute, mais je dis plus

:

j'aime la France tout

court. » Il

permis, je crois, sans audace et sans

est

irrespect, d'affirmer

pour

la

que

France, dans ce bouleversement et cet

inconnu des destinées, raisons encore que le

sympathie du pape

la

est

fondée sur d'autres

l'affinité

de l'esprit

que

noble. Le devoir

mouvement d'un cœur tout

de rester en relations avec

et

les

catholiques de

toutes les nations belligérantes, la volonté de

ménager le plus possible les catholiques aveuglés ou contraints d'Allemagne ou d'Autriche, n'ont pu empêcher cette

pape de juger

guerre formidable, son

lointain, le le

le

danger que

le caractère

de

objet secret et

ferait courir

triomphe du pangermanisme.

au monde

Ici, je

ne

fais

plus que supposer, mais d'après les plus grandes

vraisemblances

Comment

et

non selon mon

pape politique, qu'un pape conflits les

seul désir.

s'imaginer qu'un pape instruit, qu'un

du moyen âge,

italien ignore les

et quels tyrans furent

empereurs germaniques pour l'Italie d'autre-

fois?

Le danger

dominer

Rome

se renouvelle. L'ambition de et

par

varié. L'entreprise de

elle le

monde

n'a pas

domination universelle


SENTENCE PONTIFICALE. qui

romain,

s'appelait le saint-empire

qu'il

ne

comme on

fût,

l'a

91

bien

ni saint, ni

dit,

empire, ni romain, a simplement changé de raison sociale et se

nomme aujourd'hui l'empire Ce sont

d'Allemagne-Autriche.

arment

instincts qui

écrivain

même

le

chrétienne

civilisation

hien

et

les

mômes

sang contre

d'esprit

peu favorable à

clair.

la

Un

papauté,

la

l'auteur de l'Essai sur l'Histoire r/cnérale, a dit

de ces longues violences contrel'Italie ancienne «

Ces princes tranchaient tout par

:

le glaive...

Les Italiens n'obéissaient jamais que malgré

eux au sang germanique... Si

empereurs avait duré,

les

que leurs chapelains,

et l'Italie

Pensez-vous que de

tels

qu'ils

cette autorité des

papes n'eussent été eût été esclave. »

souvenirs s'eiïacent?

ne reviennent pas d'eux-mêmes, quand

on voit

les intrigues

allemandes en

l'Allemagne déjà établie, la veille

de

la guerre,

comme

dans

les

et

Italie,

elle l'était

à

pays qu'elle

voulait envahir?

Le passé ne donne cependant qu'une idée incomplète nations. il

Il

de

la

lutte

engagée

entre

dix

y a dix nations qui se battent, mais

n'y a' que deux causes qui se heurtent.

On


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

92

toujours bien défini ce combat sans

n'a pas

Les apparences peuvent tromper.

précédent.

Les devises ne sont pas toutes

écrites sur les

étendards; mais un instinct profond avertit la

jeunesse

qui

se

meurt ou

qu'elle

sacrifie,

s'expose à la mort pour une idée sublime.

même

soldats, «

peu

Nos

disent souvent

lettrés,

Nous combattons pour la liberté du monde.

Et cela

:

»

entièrement vrai. La France a con-

est

science que, dans cette guerre, et malgré ses fautes, et

ceux qui

malgré l'incrédulité de plusieurs de la

conduisent,

défend avec ses

alliés la

elle

qu'aucun

moment de son

traits

d'héroïsme

histoire n'en a

de plus nombreux ni de plus beaux; qu'elle

est très

combattre

et

et

cause de la chrétienté.

Elle se sent enveloppée de tels

représente

voisine,

elle

vu

pense

par sa manière

de

de se sacrifier, et par les mots

qu'elle retrouve, de ce qu'elle fut à l'époque

des croisades. Devant

elle, les

forces

ennemies

rappellent aussi, par la cruauté et par la haine

du nom

moyen

chrétien, ce que furent les Sarrasins

âge.

Haine

secrète, bien entendu,

du

mais

certaine, dans toutes les puissances de direction, soit de l'empire

d'Allemagne, soit de

la poli-


SENTENCE PONTIFICALE. tique autrichienne.

On

93

suit la procession

du

Saint Sacrement, mais on livre son empire à

non catholiques,

des ministres

l'Allemagne.

dent à

même

pénétrée, en

Or,

et ceux-ci l'inféo-

toute

est

celle-ci

temps que d'orgueil, d'un

mépris systématique du

d'un respect

droit, et

sacrilège de la force. Elle n'est plus

une nation

protestante dans sa politique et dans ses principes

:

elle est

Son

tienne.

païenne

;

menaçant

renaissant et

droit

elle est le la

public,

paganisme

civilisation

enseigné

chré-

par ses

hommes

d'Etat, ses écrivains

militaires, et suivi par ses

généraux à la guerre,

professeurs, ses

est aussi

qui

barbare que celui des peuples contre

Rome

a lutté, avant Jésus-Christ.

Ne doutez des

âmes

pas que celui qui régit

guerre

cette

le

monde

n'ait aperçu, avant nous, le sens de

universelle.

provoquée par e nouvelles

Toute

la presse irréligieuse

l'agitation

tombera.

calomnies seront lancées contre

e Souverain Pontife, elles tomberont encore.

Pour une

É

le

fois

présent, retenons ceci

:

qu'un pape,

de plus dans l'histoire, a

condamné

une grande injustice que pas une puissance

humaine

n'a réprouvée parce qu'elle n'offen-


AUJOURD HUI ET DEMAIN,

94 sait

que

le droit.

Le pape continuera

pape, et l'Eglise de prier pour

ne

soit

ennemis

pas abandonné ».

Et

il

ne

le

d'être le

lui, « afin qu'il

aux mains de

sera pas.

ses


L'IDEE DE

DUREE

29

Dans

le

exprimé,

même

Juillet 1915.

courrier, je trouve, trois fois

par trois

soldats,

le

même

senti-

ment.

Le premier soldat a répondu à son qui lui demandait quitter laine,

i

I

femme mais

:

«

Vous avez eu du mal

et enfants?

c'est

officier,

Oui,

pour eux que je

à

mon capime bats. »

Le second, blessé, a résumé ses vœux dans

line

pbrase que reproduit

Jeunesse

catholique

:

le

Bulletin

Repartir,

«

quelque chose de chic pour

la

et

France

de la faire

».

Le troisième, un enfant de Paris, un ap-

Irenti

d'hier,

écrit

à

un

vieil

ami

:

«

Nous


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

96

un second hiver sous

repasserons peut-être

drapeaux. Ce ne sera pas payer trop cher

les

la paix future et la liberté des générations qui

viendront après de

sacrifice et plus

ma

Je

nous.

vie

fais

d'avance

pour une France plus

grande, et aussi plus chrétienne

devra bien ça à Dieu, après

Remarquez-le

:

belle, :

elle

la victoire. »

se battent

ils

le

pour ce qui

doit survivre, les enfants, la France, les géné-

rations à venir. Ils ont l'idée de la durée. C'est

une de

démontrer, esprits et finie et

en

remettre

dans

que

celles qu'il

les lois,

faudra réenseigner,

honneur dans

les

lorsque la guerre sera

ses leçons seront encore présentes.

Elle a été chez

nous combattue ou méconnue.

Elle l'a été dans l'enseignement de l'histoire.

On

peut dire que de l'histoire de leur patrie

les

enfants du

peuple ont été instruits à

la

pu connaître,

et

le leur fait pressentir,

la

beauté morale très ancienne de notre pays,

le

manière pauvre. l'instinct

rôle de

Ils

seulement

la

n'ont

France dans

le

monde,

l'aide évi-

dente qu'elle a reçue de Dieu en plusieurs occasions, le patient

amour avec

ont acquis pièce à pièce

lequel ses princes

le territoire,

maintenu


L IDEE

DE DUREE.

les provinces, unifié les

cœurs. Par haine stu-

pide de la religion, des faits

conversion do la Gaule,

la

institutions

97

monastiques

immenses comme les Croisades, les

du moyen âge,

mission de Jeanne d'Arc, ont été omis ou

la tra-

vestis; la haine de la royauté en a dénaturé

ou

supprimé d'autres. Interrogez des enfants

de

plus belle histoire du

la

monde,

:

est resté

il

dans leur esprit quelques dates, l'horreur de féodalité,

quelques légendes sur

ancienne du paysan,

et

l'intérêt électoral, sur la

mps

1^ La

condition

des notions plus éten-

mais toutes politiciennes et dl dues, par

la

la

commandées

Révolution

et le

présent. faute

est

beaucoup moins aux

institu-

teurs,

qui ont suivi les directions et les con-

seils,

qu'aux

seignement

inspirateurs successifs de l'en-

public,

hommes

que de pédagogie. De

même

de

parti

les

enfants ne

avent rien de leur province, de leur eur bourg.

S:

l'a

déploré.

pour si

le

On

l'a

remarqué en haut

Le défaut de respect

passé de la France a paru

et si

plus

ville,

de

lieu

on

;

d'amour grand, et

fâcheux, que les principaux harangueurs de

l'Etat se sont mis, depuis plusieurs années,

6

à


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

98

célébrer toutes nos gloires,

même les

les impériales,

même

les royales,

un

signe, dans

et c'est

temps ordinaires,

qu'il se pourrait qu'il

y

eût un certain changement de méthode, et une

meilleure justice, après une décade ou deux.

Mais

la

guerre aura abrégé les délais.

C'est

tout de suite qu'il faut redonner leurs aïeux véritables à ces enfants dont les pères se battent, et souffrent, et parlent

en héros.

dront ce qui doit étonner

le

Ils

compren-

plus intelligent

parmi eux, comment nous ne sommes jamais seuls dans le bien, soufflés

par

mais précédés, entourés,

disent tout bas

Fais

«

:

aimeront encore mieux sauront, au lieu de est

le

aimée depuis des

libertés

même race, comme nous! »

qui

France, quand

ils

d'autres de la

publiques

la

Ils

deviner, que la France siècles.

Ils

auront des

une plus juste

idée.

Ils

auront constaté qu'elles existaient chez nous

longtemps avant d'avoir ce nom-là,

et qu'il fut

peint sur les murs. L'idée de durée n'a pas été moins attaquée

dans

la famille et

dans

les traditions familiales.

Elle l'est par le divorce qui est et,

particulièrement,

un grand mal

un grand mal ouvrier.


DE DUREE.

L IDEE

99

Elle l'est par les lois qui divisent fatalement l'héritage, et rendent

conserva-

la

si diflicile

tion des entreprises qui ont réussi, et obligent

à remplacer

le créateur

le chef,

de l'industrie

ou du commerce, par un directeur de société

anonyme.

Elle l'est par toutes les influences

qui détournent

le

fils

du métier paternel.

Influences presque innombrables, où l'orgueil, l'est-à-dire la sottise cipale.

Je

)aroisse

même,

tient la place prin-

hier dans le bulletin d'une

populaire de Paris,

très justes

t Ses

lisais

:

«

remarques

ces

Voici l'enfant sorti de l'école,

parents se préoccupent de le « placer ».

>ù et

comment? Grave

li'avenir

de toute une

résolution d'où dépend

vie.

Osons

le dire

:

peu

résolutions sont prises plus légèrement que

le

îelle-là.

L'important pour beaucoup de per-

lonnes est d'aboutir ss

indications d'un

rapidement. parent, d'un

On

suivra

ami, d'un

mrnisseur, de la concierge... L'essentiel est [ue l'enfant soit « casé » et qu'il «

Trop souvent, presque toujours, lire

continuer

père par

gagne

».

l'idée

de

le fils

sera tout à fait

absente de ces délibérations. Je

veux bien que

fintérêt

le

de cette continuation soit à peu près


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

100

nul pour certaines professions rudimentaires, auxquelles suffisent la force et la santé. Mais les

autres,

habileté,

toutes celles

un goût, une

ou beaucoup vidu

et

pays,

le

famille nouvelle,

sorte d'amour,

un peu

quelle erreur pour l'indi-

d'art,

pour

demandent une

qui

si

toujours une

c'est

un sang nouveau, un

esprit

sans atmosphère professionnelle qui entre en apprentissage! tal

A

chaqie génération, un capi-

d'expérience,

d'a^;titude

recettes de travail, de

compagnonnage

relations, se trouve perdu.

que l'enfant

et

de

Et pourquoi? Pour

grossir l'armée

aille

de

physique,

des porte-

plume, devienne employé de quelque société, habite la ville

ne l'habite déjà,

s'il

avant d'avoir atteint la retraite.

manuel

travail

France;

les

a

lois

beaucoup

meure

salaire

augmenté

du en

qui favorisent la condition

matérielle de l'ouvrier sont

peut dire que,

Le

et

nombreuses

;

on

relativement au paysan ou à

l'employé, l'ouvrier est un privilégié, et l'on sait la

dans

grande part que

la

les catholiques

ont eue

préparation de cette législation,

n'est incomplète,

que parce

qu'ils

ou fautive en certains n'ont pas été

qui

points,

entièrement


l'idée de DUREE.

Mais

écoutés.

Donner des manuels

enrichir

retraites

pas

n'est

ennoblir.

aux vieux travailleurs

pas honorer

n'est

101

le travail.

des comptes n'est pas l'organiser.

Il

Ouvrir

faut

que

le

maître ouvrier sente l'estime publique pour

le

métier;

il

faut qu'il puisse prétendre à des

même

dignités corporatives, et que

il

lui soit

permis, grâce au suffrage des compagnons et des témoins, de représenter la corporation dans

métier ne sera pas seulement

l'Etat. Alors, le le

gagne-pain,

pour

les plus

il

sera aussi

le

gagne-honneur,

braves et les plus persévérants.

La représentation des

intérêts relèverait sin-

gulièrement chaque métier,

et

engagerait l'en-

fant à garder la tradition paternelle. fit

pour Il

n'a

»et

lui et

serait

pour toute

la nation!

aisé de prouver que

que trop manqué à

la continuité

la politique française,

depuis longtemps. Je ne

voulu simplement

Quel pro-

attirer,

le ferai pas.

J'ai

sur cette condition

de toute prospérité, individuelle ou nationale, l'attention d'un

en ce

moment,

Dans un raire,

article

grand nombre d'hommes qui, au lendemain.

réfléchissent

que publie

M. Camille Mauclair

la

dit

Semaine

lilté-

avec raison que 6.


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

102

de grands changements se préparent,

et

non

pas seulement dans la littérature, objet de cet article intitulé

à

croire,

Prévisions littéraires.

;

dit-il,

hommes, envers si

une

belle et

que

les

lesquels

si

de

milliers

le

« Il est

jeunes

pays contracte une

lourde dette d'honneur, exi-

geront, au retour,

mieux que des

fleurs, des croix et des discours

réformée... » Ils cherchent,

ils

voient ce qui nous manque.

:

galas, des

une France

interrogent,

Eh

ils

bien! qu'ils

songent à cette notion essentielle de la duréie, et

que, plus tard, lorsque des réformes seront

proposées,

ils

veuillent bien

défendre

avec

préférence, et imposer celles qui fortifieront la famille, le

souvenir

:

métier,

l'entreprise, l'alliance,

le

ce qui n'est pas sans nous, mais ce

qui dure plus que nous.


THEOPHILE BOUGHAUD VENDÉEN

12 Août 1915.

J'ai

communication, par un ami de

reçu

Vendée,

de

plusieurs

grandement

la

|ui

va loin

le la

et

France.

assurément,

cement de

famille

voisinage

[crites, et le

la

le

de

honorent

qui

celui

qui

les

a

plus proche, et l'autre

qui est tout Il

et

lettres

le

peuple chrétien

à été publié de belles lettres

nombreuses, depuis

le

commen-

guerre, qui venaient de pauvres

gens, et montraient d'une manière éclatante et délicieuse

indépendante

combien de

la

beauté des âmes est

l'inégalité

des

conditions.

Mais je ne crois pas avoir lu quelque chose


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

104

que

d'aussi parfait

les lignes

que je vais

citer.

Elles sont d'un domestique de Vendée, d'un

enfant de famille très

manqué

n'auraient pas

d'un ami de Dieu. Je

de mourir. de

Il

d'ajouter

comme

fais

:

de

Il

pères

sont vient

Bouchaud,

Saint-Philbert-de-Bouaine.

pour soulager

et

elles

eux.

s'appelait Théophile

la paroisse

Tout jeune,

pauvre, et nos

parents qui

les

avaient du mal à vivre, et pour faire l'apprentissage,

il

avait été gardeur de vaches, petit

une métairie,

valet de ferme dans

et,

un peu

plus tard, pour quelle raison, je l'ignore,

Vendée

avait quitté la

il

une place

trouvé

et

chez un commerçant de Nantes.

Mais

comme

à la ville

Vendéen de race pure en paroles

et

prêt à souffrir

pas la

mais

pour

la

comme

le

ce

déclaré,

âmes moins et

de récompense

est

temps

ne maudissant

les

comprenant,

la bénédiction.

qu'on m'en donne pendant

un chrétien

le fallait, et

s'il

elle l'épreuve suivie

éternelle

à la campagne,

en actions, sans peur aucune,

souffrance,

instruites,

était

Une

voyant en et la

quête

des preuves

que Théophile Bouchaud,

qu'il

servit à Nantes,

quelle que fût la fatigue du jour, ne

et^

manqua


THÉOPHILE BOUCHAUD, VENDÉEN.

105

jamais à l'usage qu'il avait de veiller toute une nuit,

chaque mois, devant

le

Saint Sacrement.

femme digne

de

lui,

Marié à une enfants,

il

père de deux

de ses économies et

avait acheté,

de celles de sa femme, une maison et quelques hectares de terre au Calvaire de Saint-Philbert-

de-Bouaine. Et

le

rêve était de revenir

ensemble, reprendre

là,

tous

plus beau et le plus

le

libre métier qui soit, celui de la terre, lorsque

guerre fut déclarée.

la

Théophile Bouchaud

s'est battu

onze mois.

de Bellacourt,

a été tué le 3 juillet, près

Il

dans le Pas-de-Calais. Et vous pensez bien qu'un être d'exception rité.

comme

Vous ne vous trompez

guet, dans la tranchée

cent vers

lui,

entendent

le

sur la ligne.

un

et,

;

mort par cha-

pas.

Il

était

de

deux camarades s'avan-

quand

sont tout près,

ils

ils

sifflement d'un obus qui arrive Il

y

a,

dans

la

Cachez-vous

ses

vite, les

muraille de terre,

pour deux hommes.

petit abri, tout juste

Bouchaud y pousse «

lui est

deux camarades

gars! » Lui,

il

:

reste

dehors, et l'obus, éclatant à ses pieds, le réduit miettes.

ten I

1

J'ai là, entre les

mains, plusieurs des lettres


aujourd'hui et demain.

106

homme,

qu'a écrites cet

qui n'est pas seule-

ment bien mort, mais qui n'ai pas la plus longue,

avait bien vécu. Je et je

ne

que

la cite

d'après copie.

Au mois fille

:

de mars,

écrivait à son

qui m'a été donné (je suppose,

que

lettre,

Pour

c'est

l'instant,

mais plus

fils

une Vie

livre

d'après

une

de Jeanne d'Arc).

ne vous intéressera guère,

il

quand vous

tard,

verrez là ce que doit être

comme on

et à sa

un

espoir de vous envoyer

J'ai

«

il

serez grands,

chrétien,

vrai

le

doit faire des sacrifices,

vous

même

très

grands, plutôt que d'engager sa conscience. »

Un ce

peu plus

qu'elle

tôt, sa

devrait

femme lui ayant demandé

faire

s'il

disparaissait,

répond par ces mots admirables

que je ne avant de

t'ai

«

Tu me

il

dis

pas dit mes dernières pensées

partir.

les voici,

:

Mes

désirs,

pour votre avenir,

que je revienne ou non

:

que mes

enfants soient de parfaits chrétiens; que toute leur vie, et le

aient pour but la gloire de Dieu

salut des

affaires

avec

ils

les

âmes

;

qu'ils

dirigent

leurs

temporelles pour les mettre d'accord premières.

Si je

dois mourir à la

guerre, et que la Providence daigne m'admettre


THEOPHILE BOUCHAUD, VENDEEN dans

le Ciel, je crois

les vois

que

je serai

loppe sa pensée, l'adresse

il

heureux

si

je

de la sorte. »

Dans une autre occasion,

et

107

il

à la

celle qui déjà est

de-Bouaine «

un

écrit

il

insiste,

il

déve-

véritable testament,

compagne de

sa vie, à

retournée à Saint-Philbert-

:

Ma

» C'est à toi

chère Marie,

de veiller à ce que nos enfants

soient plus tard des personnes fortes dans la foi.

Ne

leur parle pas de leur père de façon

gardent

qu'ils n'en

souvenir qu'avec des

le

yeux. Fais-leur comprendre,

larmes dans

les

bien

soient jeunes

qu'ils

ici-bas le

encore, qu'il y a

deux causes devant qui tout

s'efface

:

devoir du chrétien envers son Dieu, et du

Français envers sa patrie. C'est pour remplir ce dernier

que je suis

obligé de verser

mon

là, et si

un jour

sang pour

la

je suis

France,

comme si je le versais pour Dieu. Tu me dis que tu offres tes larmes au bon

c'est

»

Dieu.

Oh!

je

ne doute pas qu'elles ne

soient très agréables; mais

il

me

semble

lui

qu'il

serait plus content de te voir porter la croix


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

108

de séparation, par amour pour Lui, que de

te

voir la traîner dans les larmes. Sache qu'il est nécessaire d'avoir des croix pour aller dans le paradis.

meurs

Si je

»

à la guerre, qu'en souvenir

de leur papa, Marie prenne

bonne mort,

et

Joseph

mon

Christ de la

médaille des

la

Hommes

de France au Sacré-Cœur.

Aujourd'hui, premier vendredi du mois,

»

je vais

de

me

transporter en pensée dans l'église

Bouaine, pour assister à la messe avec

vous.

Que Joseph

et

Marie ne s'étonnent pas

de ne m'avoir pas vu

un

pilier. Qu'ils

je serai cac^i.3 derrière

:

prient

:

toutes ces prières ne

peuvent pas rester sans bien

même

résultat,

croirait-on tout perdu,

et, il

quand

faudrait

espérer encore. »

Remarquez, l'ordre, le

calme

Le précepte

cœur de

cet

dans

cette

et la plus

et le conseil

lettre

étonnante,

tendre bonté réunis.

évangéliques sont au

homme. Au moment

le

plus grave

de sa vie, loin de sa maison, menacé par

mort,

il

ne se trouble point

;

il

la

ne se trompe

ni sur l'essentiel ni sur la perfection; ni sur le

mérite du sacrifice, ni sur

le

devoir de suppli-


THÉOPHILE BOUCHAUD, VENDEEN.

109

cation, ni sur l'espérance qui doit naître

de

tant de prières envolées, et qui sera le dernier

mot de son testament. Placez cet

homme

du

tidiennes

devant

de l'obéissance,

travail,

charité, de la patience

plus forte raison,

il

les difficultés

:

quo-

de la

ne voyez-vous pas qu'à

saura se décider avec une

entière sûreté? Il est

une conscience formée

et claire, à qui

rien n'échappe de ses obligations de chrétien et

de ses obligations de Français.

son catéchisme

âme de Ce

et

il

l'a

vécu,

Il

a étudié

et voilà

une

toute grandeur.

qu'il dit,

dans cette page écrite pour sa

Marie, surpasse en sagesse, en pouvoir de consolation, en bienfaisance sociale, tout ce qu'il

aurait appris, en vingt années, dans les livres

qui forment la lecture ordinaire de la majorité des

hommes,

et

encore je suppose qu'il eût

été guidé.

Que peut demander un pays pour

être victo-

rieux, puis paisible et

heureux,

hommes pareils à celui

qui vient de nous parler?

Tous C'est

ces

morts

si

réconcilient

ce n'est des

les

vivants.

une des récompenses visibles de leur 7


110

AUJOURD HUI ET DEMAIN.

sacrifice.

Il

faut

que

entrepreneurs

les

de

haines nationales ou locales tiennent compte

de ce

fait

:

à l'exception d'eux-mêmes et de

monde Une foule

leur personnel entraîné, le

a changé et

va changer plus encore.

de Français

aperçoivent la nécessité de s'entendre pour se

défendre ils

et

pour fonder. Dans

voient clairement que

saires,

du temps de

anciens adver-

les

sont souvent de

la paix,

bons camarades au temps

la tranchée,

de la guerre,

et

bien utiles; à l'arrière, les plus anciens, qui

ne

se saluaient pas toujours les

uns

les autres,

réunis aujourd'hui dans les ambulances, les

comités, les œuvres de toute sorte, éprouvent, à se rencontrer,

une certaine douceur encore

mêlée d'étonnement, France eût été plus vaillé

forte,

et

Il

la

tra-

y a eu

quelques préjugés. Que

aussi elle établisse la paix

!

et qu'entre » 3Iais la

cause de l'estime réciproque et de

commencée,

Que

«

nous avions

si

guerre nous en délivre,

liation

:

ensemble depuis quarante ans!

de grandes fautes la

pensent

et ils

la

nous

grande réconci-

ce sont les grandes vic-

times tombées pour la cause

commune. Les

paroles sont peu de chose, mais l'exemple est


THEOPHILE BOUCHAUD, VENDEEN. d'un grand pouvoir

émeut;

il

:

nous

attire;

IH nous

il

est vivant h tout jamais.

il

Aucun

être

doué de raison

capable de

et

noblesse ne peut refuser son admiration, ni

un peu de son amitié à des héros de France,

comme

Bouchaud

ce Théophile

d'autres qui l'ont

et

précédé dans

comme le

Lorsque

la paix intérieure sera rétablie,

celante

et

rétablie

cependant par

menacée

nous

éprouvés,

la

ouvriers,

victimes,

bourgeois,

«

Vous qui

ïtimé

des

nous

la

et

place-

de

protection

paysans, nobles,

pour chacun de nous,

mais

volonté des Français

croyons,

rons l'unité nationale sous ces saintes

chan-

pour longtemps,

qui

tant

sacrifice.

domestiques,

prêtres

tombés

nous leur dirons

:

avez, dans la longue épreuve,

camarades qui ne vous ressemen toute chose, mais

qui étaient

raves et qui aimaient la France,

nous ferons

laient pas

>mme »

vous, et avec amitié.

Vous qui avez

et qui

été des héros et des saints,

avez soulevé l'admiration du monde,

soyez les patrons de cette France réconciliée

en vous! Veillez sur l'union de la famille, qu'elle

ne meure plus

!

»

et


FAMILLES FRANÇAISES

22 Août 1915.

La méconnaissance de

la

France, par quel-

ques-uns des neutres, vient de

trois

premièrement de ce que nous avons

causes

:

été vaincus

en 1870, et de ce que la victoire, qui remettra

beaucoup de justice dans encore un

fait

monde,

le

n'est pas

accompli secondement, de fautes ;

politiques indéniables, que l'étranger considère

comme voulues ou acceptées

par

le

pays, tandis

qu'elles sont subies par lui; et, enfin, de ce

que

du peuple de France

fait

la meilleure

partie

moins de bruit que

l'autre, et

demeure ignorée.

Si vous parlez de la famille française à étranger,

même

bienveillant,

un

vous vous aper-


FAMILLES FRANÇAISES.

113

cevrez, à ses paroles, à son sourire

ou à son

silence, qu'il croit à la famille allemande, à la

même

famille anglaise, peut-être

à la famille

américaine, mais qu'il ne croit pas qu'il existe

encore une famille française. Cette pensée-là, je la devine servait,

se

dans ces

la

formule plus ample dont

jours

un journal

derniers,

catholique espagnol, El Universo,

dans quelle mesure

germanophile.

est

de bonne

foi;

magne

de

«

et

il

la

et

pour quelles raisons

Il l'est

l'est

traîne

que

avec restrictions,

par ignorance de

France,

Notre germanophilie,

la crainte

expliquant

la défaite

qu'il dit-il,

il

et

l'Alle-

prétend juger. consiste dans

de l'Allemagne n'en-

une éclipse des idées d'organisation

et

de discipline sociales, qui sont la base de tout

progrès fécond, et dont

disparition,

la

selon

toute probabilité, favoriserait la révolution. »

Pas d'organisation, pas de et,

si

l'on pressait

famille et

:

un peu

discipline sociale,

les termes, plus

de

voilà ce qu'on reproche à la France,

pourquoi d'honnêtes gens redouteraient sa

victoire.

Je ne veux retenir de la réponse que ce qui

concerne

la famille.

Il

s'y

trouve une petite


H4

aujourd'hui et demain,

part de vérité. Oui, la famille a été attaquée

chez nous

et blessée

:

elle souffre

du divorce,

des mauvais conseils de l'égoïsme, de toutes

qui sont faites pour substituer

les tentatives la

tutelle

légitime des

politique à l'autorité

parents, et pour administrer la jeunesse

un

capital

flottant

qui

l'État

entravé

doit et

le zèle est

négligence de

maux? Une

le seul

étude,

et

la

court et sans cesse

préoccupations

les

Mais sommes-nous pareils

la

combattre l'ivrognerie

dont

par

anonyme; de

société

du respect; de

l'effritement

débauche,

de

comme

électorales.

peuple à souffrir de

même

superficielle,

de n'importe quel pays étranger, ne permetelle

mêmes

pas de voir que les

corruption terre,

puissances de

du droit travaillent par toute

la

avec un succès plus ou moins grand,

partout sensible, pour

le

malheur des races

et

des individus?

En

France,

comme

partout,

les

premières

victimes, les plus nombreuses, des lois et des

menées

antifamiliales,

ce

sont

parce qu'ils ont moins de défense. être protégés,

leur

fait

ils

les

pauvres,

Ils

devraient

ne savent pas se protéger.

prendre pour une liberté

l'état

de

On fai-


FAMILLES FRANÇAISES. blesse morale

on

les

ment

menace,

les

même,

où on et

les

115

abandonne.

souvent

ils

Ou

bien

cèdent. Assuré-

armées

familles saines, conservées,

sont nombreuses dans les villes et dans

campagnes. J'en connais partout d'admi-

les

Cependant, parmi

rables.

que de

fois

j'ai

les ouvriers surtout,

souffert

de rencontrer des

familles désorganisées et défaites par les causes

que de

j'ai dites et

par l'éloignement, tout

mère qui

la

travaille,

elle

aussi,

le

jour,

dans

les

usines! Quelle imprévoyance ou quelle nécessité cruelle! le

souci

de

Que de braves gens leurs

premiers

bonheur même, parce

qui ont perdu

intérêts

et

du

qu'ils n'ont plus l'idée

des âmes, d'un avenir autre que l'humain, et

comme enfermés dans la misère savaient, comme ils briseraient le complot

qu'ils sont S'ils

!

qui tend à désorganiser la famille à faire d'eux;

mêmes, de

leur

femme, de

leurs enfants, des

poussières séparées; à détruire, chez eux, avec la

notion de leurs devoirs, la meilleure joie et

la

meilleure dignité, et

comme

ils

obligeraient

leurs délégués politiques à inscrire la famille

parmi

les droits

de l'homme!

Mais ce mal est bien loin d'être général. Ce


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

116

n'est qu'au théâtre et dans l'opinion des étran-

gers

mal informés que

la famille française est

corrompue. Dans l'ensemble, je

supé-

la crois

rieure à toute autre. Nulle part elle n'est natu-

rellement plus tendre et plus serrée. Nulle part l'intimité

Une

ne se prolonge aussi longtemps.

des preuves les plus nettes pourrait être fournie

par l'administration des postes. L'énorme cor-

respondance échangée entre nos soldats

et la

famille demeurée au village ou dans

ville

la

montrerait, aux plus sceptiques des neutres, la solidité

du

lien qu'ils croient si ténu et

ché. Je pourrais

des

citer

si

cultivateurs,

relâ-

des

menuisiers, des ouvriers mineurs, qui ne sont plus de la première jeunesse, dont les doigts

n'avaient guère l'habitude du porte-plume, et

qui écrivent tous les jours à leur

femme ou

à l'un des enfants; des jeunes gens qui n'ont

pas manqué, depuis treize mois bientôt, d'écrire

deux

fois

par semaine au père ou à

Demandez aux

facteurs

devenue pesante,

et

s'il

si

la

mère.

la boîte n'est

pas

y a beaucoup d'oubliés?

Lisez les lettres publiées dans les journaux, et

voyez

le

soin

que prennent ces soldats de

mettre bout à bout

les petites

nouvelles de la


H7

FAMILLES FRANÇAISES. tranchée,

un mot de bonne humeur, une

mation qu'on ne

sait

qu'on tiendra tant la

pas quand ça

et j'espère

que

même. » En mainte

finira,

mais

pour

finir,

qu'il faudra, et,

formule de courtoisie

:

Je

«

me

affir-

porte bien,

présente vous trouvera de

la

circonstance, au nord ou au midi,

à l'est ou à l'ouest, nous avons tous observé et

admiré plus

modèle,

la famille

émouvant que puissent

avec beaucoup de patience

chef-d'œuvre

le

et

bâtir les

d'amour.

le

hommes Où que

nous soyons, en arrivant dans un coin du

domaine

français,

est aisée

nous pouvons affirmer qu'elle

à découvrir.

harmonie,

Tout

s'y

rencontre en

la liberté et l'autorité, le respect et

l'abandon. C'est la grande fabrique d'honneur

la

France puise en ce moment,

et

que

la

guerre n'épuisera pas. C'est aussi, très souvent, la

grande source de sainteté. Celui qui a réussi

ce chef-d'œuvre n'a pas

lui-même, ni pour

Ieulement J'ai

et

est encore

un

qui en a

homme

infi-

digne de toute estime.

toujours tenu

comme une

sa vie, ni pour

la patrie, et celui

approché

rment précieux

manqué

injustice

comme une cette

sottise

et

manie, devenue 7.


aujourd'hui et demain.

118

moins fréquente, des romanciers,

feuilleto-

dramatiques, qui ne pouvaient

nistes, auteurs

rencontrer, sur leur route, un château, sans

y placer une famille inutile, toujours semblable ou à peu près, copie de copies anciennes, et

qu'on n'avait pas de peine à rendre déplai-

sante. C'est de la jalousie habillée de littérature,

proprement une

et

peu;

ils

importe

peuvent avoir leurs défauts,

comme

vous avez mais

tant qu'on voudra, le

les vôtres et

comme

sur quatre,

trois fois

ancienne

mauvaise action.

nom

Hobereaux

et attachée

au

j'ai les

les vertus,

rares

:

qui

ce

l'honneur,

sont une force

une

école,

je ne dis pas de toutes

mais des plus

est difficile, le

:

sont de race

s'ils

sol, ils

familiale, trop repliée sur elle-même,

méconnue ou aimée,

miens

désintéressement, l'accep-

tation des charges lourdes et de la vie effacée, le

sentiment

armes

et la

de

la

passion de la France.

que j'aime bien, qui sans qu'il y écrivait,

ait

Il

le

goût des

Un homme mais

n'est pas châtelain,

de sa faute,

le

comte de G.

ces jours-ci, d'une tranchée de l'Ar-

gonne ou de amis.

continuité,

la

venait-

Champagne, d'être

fait

à

l'un de

chevalier

mes

de

la


FAMILLES FRANÇAISES. Légion d'honneur,

et

119

de recevoir la Croix de

guerre, après des actes répétés de bravoure, et il

répondait à celui qui l'avait

suis

heureux de ces deux témoignages

qui diront à

mes

enfants que

modestement mais de mon de

félicité

ma

tions de

foi,

si

Dieu

Que

je

— qui

goûte cet

me « et

eux

et

ceux qui

dans ces

le veut,

soit

tradi-

venu de mes

bien suffisant »

et bien

pères. »

!

mieux

familles, défendons-les,

que nous ne l'avons

fait jusqu'ici,

ennemis déclarés, qui sont de la patrie; soyons très la

officiels,

de vaillance et d'honneur, qui

Gardons nos

après

Je

continué,

j'ai

sont à peu près Tunique héritage, suffisant,

«

mieux, les traditions

race. Cela les affermira,

naîtront d'eux,

:

les

contre leurs

ennemis secrets

fiers

d'elles;

et si,

guerre, quelque neutre, de plus en plus

bienveillant,

nous honore de sa

visite,

nous

le

présenterons à nos meilleurs amis, nous lui ferons connaître notre propre famille

de retour dans son pays, justice,

et

il

il

alors,

nous rendra pleine

changera de ton,

aurons changé de fortune.

:

comme nous


LE MORAL DU

«

FRONT

»

16 Octobre 1915.

Quand sera

tout ce que nous voyons à présent

passé,

ruines, les

et

que

hommes

la

se

aura couvert

les

demanderont, admirant

de nos soldats

force de volonté

la

vie

:

«

Que

pensaient-ils, ceux qui se battaient en 1914, et

surtout en 1915?

rage

si

durable et

était le principe

beau?

si

»

d'un cou-

La réponse

n'est

pas indifférente. L'expérience de chacun peut contribuer à la former. J'ai

dans j'ai et,

regardé défiler tant de permissionnaires les gares,

dans

causé avec un

si

les rues, sur les routes,

grand nombre d'entre eux,

dans d'autres circonstances,

j'ai

rencontré


LE MORAL DU

«

FRONT

121

».

tant de combattants, plus près de la ligne de bataille,

que

les caractères

surtout

j'ai

cru discerner, par moments,

généraux de l'espèce. ceux

vieux,

les

de

les villes et les villages

reins tendus, les

avaient encore

l'arrière,

chez eux,

jambes

écartées,

Par

le sac.

comme

les s'ils

petites escouades,

souvent rapprochés dans ces jours où

très

pourraient être

«

égaillés »,

achètent

ils

ensemble du tabac, du chocolat, du brosses,

du savon;

tables des cabarets; tains

étalages. Les

ils ils

les font rire,

s'arrêtent devant cer-

rire bref.

de curiosité, moins qu'avant

demander

s'ils

les intérêts

le

de

la

ont peu

Ils

départ

guerre

:

on peut

sont vraiment revenus. Le les a

pas repris, en général

;

d'avenir ont cessé de les préoccuper

autrefois; ce n'est pas

Iomme n employé, jBpasse

des

estampes, les cartes pos-

mais d'un

goût du métier ne

fil,

s'asseyent autour des

tales qui représentent des scènes

se

mois,

marchent un peu penchés en avant,

ils

ils

14

dangereuse. Dans

plus

la

et

ont

c'est-à-dire de la vie

18 mois de campagne,

exceptionnelle

qui

regardé

J'ai

dans

un contremaître,

un comptable, un marchand qui le

quartier de l'usine, du bureau


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

122

OU du comptoir,

un

c'est

un

un

fantassin,

cavalier en permission.

On ne

peut en dire

tout à fait autant du cultivateur

encore un

indéterminé,

autour

et

pays.

sent,

le

il

qu'il

lui

âme au

bien

étrangers,

Pour

lointains

devenus des

il

on s'aperçoit

n'a pas rapporté toute son

l'incertitude de vivre

tous,

rend et

images de

les

la

dominantes;

et

les projets

dérisoires.

comme

Ils

sont

soldats.

L'un d'eux, dans d'admirables publiées

c'est

pour un temps et

demeurent présentes

guerre

:

paysan qui rentre à la ferme, mais

autre chose que paysan,

est

artilleur,

André Chevrillon, dans

Paris, a écrit

pour mériter

:

la

«

Je

fais

des

lettres la

qu'a

Revue de

vœux

ardents

grâce du retour, mais, à part

des petites secondes d'impatience bien humaine, je

peux

être

dire

s'est

présent. »

que

la plus

grande partie de

vouée à l'acceptation du moment Cette

ténacité,

que

les

admirent chez nos combattants

une

qualité

qu'elle est partie,

acquise,

voulant

dire

:

étrangers

et appellent

empruntée aux voisins,

qu'une qualité ancienne

au métier.

mon

surtout n'est,

en

l'application

Nous connaissons moins bien

la


LE MORAL DU

FRONT

«

123

».

constance dans les idées; beaucoup de petites

improprement

passions,

peuvent ne pas durer,

vrai

celui

que

le

dans

et la perpétuité

défiance nous est difficile été

opinions,

appelées

:

Français

mais

il

la

a toujours

de bonne

espèce,

qui n'a pas été contaminé par l'anar-

chisme, aime à bien faire ce qu'il sidère la « d'état,

bonne ouvrage

».

et

fait,

Ils

con-

ont changé

pour un temps qu'on voudrait bien

abréger, mais qui ne peut être très court.

Deux

permissionnaires à longue moustache gauloise, qui s'en allaient devant moi, disaient tu,

mon

d'être soldat.

Quand

il

sera

fini,

a qu'un.

C'est vrai;

faut, le faut bien. »

l'acceptation

choses

Vois-

on pensera à

en trouver un autre, mais à présent,

sommes

«

:

vieux, notre métier, maintenant, c'est

:

il

n'y en

est tous pareils; le

Mots simples qui expriment

d'abord, faut se

obligés

on

il

et

plusieurs

autres

battre parce que nous y

par la

loi

commune;

parce

que nous avons été attaqués injustement, aussi parce

et

que nous ne voulons pas que nos

enfants et nos frères jeunes soient soumis k

une épreuve semblable. Nous irons jusqu'au bout; mais qu'ils ne souffrent pas ce que nous


aujourd'hui et demain.

124

Que

menaces, ses

souffrons

!

espions,

son empereur ne troublent plus

l'ennemi,

ses

la

paix que nous achetons au prix du sang! Ainsi résolution, acceptation de la guerre

comme

d'un métier, d'une période qu'il faut

non pas seulement d'un accident

vivre et

d'un

effort,

compréhension plus ou moins nette,

mais générale parmi

les

premiers du

«

la solidité

de ce

à l'abri duquel tout ce qu'ils

aiment continue de vivre

vérité,

— de l'immensité de

engagée, assurance de

mur d'hommes,

— je ne

combattants,

dirais pas cela des civils, la partie

et

:

voilà les éléments

moral du front

»,

une grande merveille, parce

qui

est,

en

qu'il n'avait

préparé, et que ce sont les assises

pas été

mêmes

de la race, que

le

danger a mises

à nu.

Tout

le reste est

secondaire.

Mais dans ce peuple immense, qui frontière,

breuse

:

il

est notre

y a une élite singulièrement

nom-

âmes vibrantes qui comprennent

que d'autres soupçonnent seulement

et

ce

qui

aiment, mieux que d'instinct, la patrie; âmes enthousiastes,

âmes

religieuses. Et ce

point là des catégories fermées

:

ne sont

mais, par un


LE MORAL DU «FRONT». privilège auquel la

grandeur,

France doit en partie sa

plus frustes et les plus ignorés

les

peuvent tout à coup, dans

mort

et

pour

salut

le

ver, à travers des

le péril,

commun,

bel héroïsme, dire des

devant

la

s'élever au plus

mots sublimes, retrou-

années d'oubli,

les accents

des saints, devenir tout pareils à ces

et la foi

hommes dont nous apprenons livres

125

de

l'histoire,

le

nom

dans

les

sont l'honneur de

et qui

chez nous. Leurs actions d'éclat, innombrables déjà, n'ont pas le

seulement commencé de sauver

pays du plus grand péril qu'il

couru

ait

répétées par les journaux, publiées à travers

monde,

elles

ont rétabli

:

le

réputation de la

la

France que plusieurs causes avaient pu amoindrir; elles ont fait croire à

de ceux qui croyaient

la

plus.

son avenir plusieurs

connaissaient mal et qui n'y C'est

ce

qui

Kudyard Kipling, interprète

a

fait

dire à

ce jour-là

des

millions d'étrangers qui nous regardent, que,

dans cette épreuve sans seconde, vert la

Un

elle

a décou-

mesure de son âme. jeune écrivain dont

justement remarqués, aimés

les

débuts ont été

et

défendus, Jean

Variot, combattant d'hier, blessé, publiait tout


aujourd'hui et demain.

126

récemment

un mince volume.

de i9i5, où

j'ai

«

trouvé ce récit

Ce jour, où dans cet

Petits Écrits :

tom-

étroit espace,

baient sans arrêt tant de boîtes à mitraille, que, sitôt

montés à

la place désignée,

hommes

nos

revenaient un par un, et celui-ci portait ses

deux mains à et cet autre

ses yeux,

demandant

se traînait sur les

troisième voulait à boire, et

il

la

lumière;

genoux; fallait

et ce

tous les

remplacer, pour tenir. Alors, quand arrivèrent les renforts, l'un qui n'avait

qui

savait

très

comme les « Où que

c'est

habitude

bien ce

autres,

pas vingt ans et

qui

l'attendait,

lui

demanda tranquillement

qu'on doit se mettre?

séculaire

d'obéissance

»

:

par

d'hon-

et

neur. »

Voyez ces fragments de plusieurs m'ont

été écrites

lettres qui

ou communiquées ces jours

derniers. Elles furent écrites, les unes par des

hommes sans

ou

montrent

très

des la

cultivés, les autres par des arti-

ouvriers

vocation

différences entre elles?

de de

la la

terre.

A peine la forme.

ces cimes aimantées désignent le et,

Toutes

France. Quelles

Toutes

même

pôle,

remuées, secouées par l'humaine faiblesse.


LE MOHAL DU s'accordent dans

FRONT

«

sacrifice

le

127

».

dans l'espé-

et

rance.

Lettre d'un jeune gars de ferme, soldat du train des équipages «

:

Figurez- vous que, le soir, je m'arrête quel-

quefois à regarder la lune ou les étoiles, en

songeant que, peut-être, au

me

ceux qui

même moment,

sont chers regardent les

mêmes

points, et qu'ainsi nos regards se rencontrent. »

Lettre d'un sous-lieutenant à sa

femme

:

mon

moral, je suis en proie à un

sentiment de paix

et d'allégresse indéfinissable.

«

On si

Quant à

est

impressionné par

radical,

si

subit,

le

changement de

vie

mais on n'a aucune pensée

d'épouvante. Puis, on est unis tout d'un coup

par un sentiment de solidarité étroite, affectueuse,

qui va du plus grand au plus petit.

Pour ma tection

part, je

me

sens

si

bien sous la pro-

immédiate de Dieu, que

tranquille que peut l'être

bien, en ce

je suis aussi

un mortel. Dites-vous

moment, que votre mari

est à

un

poste d'honneur, et que dès aujourd'hui, c'est

un

vrai guerrier, qui n'a pas froid

encore moins au cœur.

»

Lettre d'un soldat philosophe

:

aux yeux,

et


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

128

Ah!

«

âmes,

réalité

la

ne

et rien

de

la patrie est

dans nos

comme

puissance

la fortifie

la

du sentiment d'immortalité qui y impie

qu'il serait

et sacrilège

est déposé,

de contrarier, de

diminuer ou de détruire. Ce ne sont pas des lieux

communs mystiques que

c'est le

quotidien

avec

souffrent,

ceux

renoncement

La

je

rapporte

;

sentiment exact né en moi au contact

ceux

pour qui

total,

combattent

qui la

guerre

est

et

un

une austérité continuelle.

qualité de leurs espérances est aussi

un

fac-

teur trop important de la France de demain,

pour qu'on

n'ait

pas

le

souci de les vouloir

supérieures. » Lettre d'un ouvrier de carrière «

Je

suis

près

d'Arras, à la

grande attaque de notre

d'une

fait

nos

la

Je ne puis

sans

soucis

ma

vie, si

heureux de donner

demande, pour

la

les

à la

petits testaments

entre camarades. Je m'en vais, matériels, très

on a

masques contre

Tous nous nous sommes préparés

mort; nous avons

Dieu

veille

part. Cesjours-ci

distribué des casques, des gaz.

:

France. »

lire ces lignes, et tant d'autres

qui

peuvent leur être comparées, sans que se pré-


LE MORAL DU sente à

trouvée

mon

FRONT

».

129

esprit cette formule

si

belle qu'a

jeune peintre que

le

début de cet

article, et

a publié les lettres.

en

Il disait

:

le

pire

pour obliger ;

on s'étonne de ce que l'àme peut trouver

soi,

déjà cité au

noblesse humaine à se manifester

toute la

mort.

j'ai

dont André Chevrillon

probablement

« Il faut

alors

«

pour l'opposer à

la souffrance et à la

»

celui qui a dit cela, cet artiste qui

est-il,

voulait peindre, et qui était doué de tous les

dons de riche

si

ser

l'écrivain, d'une

que

c'est

que je ne

Je ne sais pas son

que ces

si

évidente et

une peine pour moi, de pen-

lirai

lettres

manière

peut-être plus rien de lui?

nom. Je ne connais de

écrites à sa

tendres, enthousiastes, d'un esprit déjà

d'un cœur plein de jeunesse.

mier

chant du

poème

lui

mère, ces pages et

a écrit le pre-

Il

futur

mùr

de la Grande

Guerre. Qu'on fasse une édition populaire de

que

ces lettres et

un

fils

admirable.

nous! Sur il

les

est porté «

après

la

un

France

les lise! Elle avait là

Puisse-t-il

contrôles

disparu

»

de

depuis

revenir parmi

son régiment, le

mois

combat dans l'Argonne.

d'avril,

Et tant


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

130

que je viens de célébrer,

d'autres, de cette élite

sont

disparus

comme

ou tombés

lui

pour

jamais! Si nombreux que nous disons souvent,

songeant

ceux

à

que

proches, nos amis s'en vont,

Eh bien

il

nous

aimions,

nos

ce sont les meilleurs qui

:

n'en restera plus!

bien! non.

souvent

Beaucoup survivront. inconnus,

de

nous

mêmes, ceux qui sont destinés nouveaux. Et

c'est lui

encore qui

et

sont

d'eux-

à relever la

Chaque jour en

patrie et à la refaire.

Ils

révèle de

le disait, lui

qui s'arrêtait de se battre pour décrire un soleil

couchant.

Comme

nos plaintes élite,

mère

s'était fait l'écho

et lui avait parlé

répondait

il

sa

:

«

de

des morts de notre

Dis à M... que

si le

frappe les meilleurs, ce n'est pas injuste

qui survivent en seront améliorés.

:

sort

ceux

Vous ne

savez pas l'enseignement donné par celui qui

tombe

:

moi

je le sais. »


«

TENIR

AUX CHAMPS

»

25 Octobre 1915.

Toutes celui-ci,

les fois

que, dans un journal

un écrivain

métier, surtout

s'il

traite

comme

une question de

parle de la terre, les répon-

ses lui arrivent immédiates,

nombreuses, pres-

santes, éloquentes souvent par leur accent de vérité et de soulTrance personnelle. J'ai dit

que nous aurions une

crise aj^raire

après la guerre. Tous les États en connaîtront

une semblable. C'est une conséquence

fatale

des guerres modernes, qui vident les fermes

encore plus complètement que faut la limiter, punir très

les ateliers. Il

fermement

neurs de mauvais conseils,

il

les

y en

don-

a,


aujourd'hui et demain,

132

soutenir les courages chancelants, faire

prendre

de l'abandon, aider les cultiva-

la folie

entre leurs mains

qui ont,

trices

faibles,

France

de la

fortune

principale

com-

sa

:

la

terre

labourable, son pain de demain, sa vigne, ses oliviers, ses bois,

son immense trou-

et tout

peau, et tout ce qui vole et picore autour des paillers.

Les toutes

lettres le

que

même

j'ai

reçues donnent presque

son. Qu'on nous soutienne!

Nousvoulons bien demeurer, nous devinons que, nous

nous quittons

la terre,

attendre, «tenir»;

nos enfants,

et

nous serons des errants

sans métier ni crédit, et que la flée,

nous accueillera mal

vons

suffire

au

si

:

ville,

déjà gon-

mais nous ne pou-

travail, et la terre

nous payant

moins bien, comment pourrons-nous payer la

redevance? Qu'il y

ait

cette

rude traverse, que

pas

sur

s'émeuve,

nous et

un arrangement, pour la

malechance ne porte

seulement,

que

la

demain sera meilleur,

charité et

nous

resterons.

Cela

femme

me

parait juste, en principe,

est seule à la

samment

aidée.

quand

maison, ou très

L'îine d'elles

expose

la

insuffile

pro-


«

TENIR

AUX CHAMPS.

»

133

blême d'une manière toute digne, émouvante et sensée. Elle est veuve. Elle vient de perdre

son mari à

la guerre.

«

Nous avons

loué, dit-

y a quelques années, une grande ferme en Normandie. Après une belle période de

elle,

il

travail, les

l'exploitation étant en plein rapport,

fermages payés,

part le reste,

la

guerre éclate,

premier jour de

mon

mari

mobilisation.

la

avec mes trois enfants très jeunes, à

Je la

tête de cette grosse exploitation, pleine d'en-

thousiasme

et d'espoir,

récolte est déficitaire.

commencement de et

«

le

travail

mari

au

tué

est

l'année. Malgré l'économie

qu'on a vues sur

sois

Mon car

excessif,

fles et les pailles

de courage aussi. La

les

suis

je

de celles

barges recevoir les trè-

nouvelles

bien que je

»,

me

mise à conduire nos chevaux, trop vigou-

reux pour être confiés à des

hommes

âgés ou

trop jeunes, et à charger les voitures, je perds,

en raison de

la

mauvaise récolte

mentations de salaires, plus de

et

des aug-

la valeur

de

mon

fermage. J'ai demandé une réduction au propriétaire

:

je n'ai

pu

l'obtenir.

A

présent, je ne

puis ensemencer en blé que les deux tiers des terres qui

devaient

me

donner des céréales. 8


AUJOURD HUI ET DEMAIN,

134

Donc

déficit certain

je reste,

le

pour l'année prochaine. Si

mon

peu que

Le

enfants sera englouti. est très

je ne quitte

forcée.

ma

ne m'effraie pas

:

j'y suis

demanderez avec

juste partage les pertes entre

loi

nos propriétaires

Pas tout à

cœur brisé

ferme que parce que

J'espère que vous

moi qu'une

le

ses

champs

travail des

il

à

laisse

dur à celles qui restent

l'âme en pleurs; mais

et

mari

et nous... »

fait.

Pas une

Mais qu'un

loi.

arrangement intervienne entre

les

uns

et les

autres. Les largesses de l'État, outre qu'elles

sont

faciles,

faites

par appétit de popularité

plus que de justice, et qu'elles suppriment le mérite, sociale,

pas,

c'est-à-dire

un élément

très

souvent, blesser l'équité. Qu'on se

voie et qu'on s'entende ces

!

Nous sommes

moments de grande

grande charité,

parler.

On

clergé

à

perturbation

celle qui n'est pas

mais d'aide affectueuse, pleine

les.

d'harmonie

manquent trop de souplesse pour ne un de oîi

la

d'aumône,

et difficile, doit

Nos pères ont connu des heures

pareil-

se souvient des dons volontaires du

ou de

la

noblesse, dans

guerres de jadis, pour

le

bien

les

grandes

commun. Et


«

TENIR

AUX CHAMPS.

»

135

combien de générosités ignorées, de conventions de

bonne amitié, en vue de sauver

les

familles rurales et de maintenir la charrue dans

remises partielles, adoucisse-

le sillon français,

ments, transactions, en

somme

paix intérieure, sans laquelle des agglomérations humaines

traités

pour

la

peut y avoir

il

et tout

un appa-

de civilisation, mais point de bonheur et

reil

même

point de nation. Le propriétaire ne peut

pas supporter tout

Une

le

dommage

de

la

guerre.

sorte de légende populaire, exploitée avec

soin pour tous les trouble-peuples qui ne man-

quent pas chez-nous,

le

considère

comme une

sorte de cofîre-fort vivant, à qui l'argent vient

on

ne

sait

l'impôt et

d'où,

même

prêter, avancer,

qui

doit

payer largement

tous les impôts, souscrire,

donner toujours,

et recevoir

par exception. Très souvent ce n'est que

ouïe

petit-fils

de gens de mince condition, qui,

à force de labeur et d'économie,

quelque

le fils

facilité

de vivre

dont

lui ils

ont laissé n'ont

pas

voulu jouir. Des accidents répétés de fortune,

ou de

législation, auraient vite raison de lui, et

ce ne sont pas les pauvres qui en hériteraient,

car c'est une

loi

du monde,

qu'ils n'héritent


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

136

de l'injustice. Mais les

jamais

fermiers

non

plus ne doivent pas être contraints de donner

quand une épreuve,

tout le loyer de la terre,

comme

celle qui passe sur nous, a réduit leurs

moyens,

la récolte et l'espoir

Qu'on s'entende,

chaine.

de l'année pro par l'aide

que,

et

mutuelle, la paix intérieure soit fortifiée

!

L'État doit aussi veiller à enrayer cette crise et,

ce qu'il n'a guère fait jusqu'ici,

il

doit diri-

ger les enfants qu'il élève vers la profession première, la plus nécessaire, la plus libre, celle

de

la culture

vent de roge

du

la ligne

sol.

de

demandent

Les paysans qui m'écri-

bataille,

que

ces

ceux que

j'inter-

fermes menacées

d'abandon, ces maisons en peine soient secourues

dès

mêmes,

à

ou

présent,

par

par les

quelques

fermiers

volontaires,

euxqui

reviendraient pour quelques semaines et remettraient en

ordre

les

cultures.

dans une étroite mesure, car d'abord la présence des

la

Et peut-être,

guerre exige

hommes, pourrait-on

dégarnir les services congestionnés de l'arrière et

de

l'auxiliaire.

Ils

demandent un emploi

plus aisé de la main-d'œuvre allemande ce qui n'est peut-être pa« souhaitable,

et

pour bien


TENIR

«

(les raisons. Ils

AUX CHAMPS.

»

137

expriment souvent leur regret

comme

avec une passion qui

me

dant dont

est datée des tranchées

«

Sous

le

la lettre

ravit,

canon qui gronde,

et

cet adju:

qui m'a jusquici

épargné, je reste, monsieur, un fidèle gardien

de

terre. Cultivateur, je suis

la

d'une famille de

douzième

le

grandi et peiné sur

treize. J'ai

cette terre, à laquelle pourtant je reste recon-

naissant, vieilli,

aux côtés de chers parents, qui ont

de sœurs

de frères que j'adore, et qui

et

pour ne former qu'une cause

se sont associés

commune aux jours de

labeur

:

bonheur,

le vrai

croyez-moi. J'ai passé par toute la hiérarchie

du métier,

et,

ces

faire. »

Tous,

méprisés.

On

pour

mais pour

même qués

:

y a quatorze mois,

belles

parais,

villes,

il

ils

mot

semailles que je n'ai

pu

se plaignent d'être a délaissés,

fait

des lois pour les ouvriers des

mineurs, pour

les

les

je les pré-

paysans?

»

les apprentis,

Une fermière

dit

y a des embusmais trouvez-en parmi nous? »

ce

significatif

Je ne veux pas relever trop aisé,

comme

le

:

le

« Il

propos

;

il

n'est

que

font journellement d'indi-

gnes Français, et en toute liberté, de provoquer les

guerres de classes

et,

après

elles, les 8.

guerres


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

138

de catégories. n'en

sommes

Il

y a un parti de

pas. J'indique

la haine.

Nous

seulement que

paysans sentent très bien qu'entre eux

les

et d'au-

tres le traitement n'est pas égal.

Sans doute, est

dans

les lois.

ne puisse être

Mais

ils

c'est

s'imaginent que

Et je ne dis pas qu'aucune

faite

et

loi

en faveur de la campagne.

un renversement de

qu'il faudrait,

remède

le

l'esprit politique

un rétablissement du sens

commun. Les

défenseurs, de moins en moins

nombreux, de

l'état

mœurs,

disent volontiers,

du médiocre que porte à garde

!

présent des choses et des

On

intérêt la terre.

a

fait

la

que «

quand on leur parle la

puissance publi-

Vous

péréquation

foncier! » Je n'y contredis pas la

n'y prenez pas

;

de l'impôt

mais

c'est

de

péréquation des citoyens français que nous

avons besoin. J'admets

chacun

ait les siens,

mérite,

et ils

les libertés

les privilèges;

mais que

selon son ordre et

s'appelleront de leur vrai

de métier. Que

son

nom

la culture et les

:

gens

de la terre soient honorés; que les écoles de

campagne ne détournent pas

les

métier magnifique; qu'on habitue

enfants du les fils

de

fermiers à être fiers de leur état futur, à aimer


«

TENIR

»

AUX CHAMPS.

139

leur canton, leur province et l'histoire de chez

entreront dans la plus grande

eux, par où

ils

histoire. Je

ne cesserai de

remède

la

répéter

à la crise agraire est dans

de l'enseignement. terre les

le

fils

maison

Il

le

vrai

une réforme

consiste à élever pour la

de paysans,

les filles

:

et

pour

le travail

de nos fermières.

de


L'ORDRE

i^ï"

J'entends dire parfois

ment qu'après gée?

la

elle est

«

:

Croyez-vous vrai-

guerre la France sera chan-

Assurément je

»

Novembre 1915.

le

crois,

et

déjà

même

changée

Les signes en sont nombreux, mais je dirai qu'ils

ne sont pas tous au

maturité.

Les

uns,

même

degré de

enveloppés encore dans d'une sève sans

ne

leur gaine,

pleins

jailliront et

ne prendront leur couleur qu'au

soleil

de victoire; les autres sont déjà

que, pour ne pas les voir,

il

éclat,

si

visibles

faut être aveuglé

par les préjugés ou par ce grand mal qui est refus

d'espérer

et

la

résignation

à

le

l'hiver


l'ordre. éternel.

141

Comment, par exemple, ne pas

être

frappé par la qualité des lettres et des confi-

dences

nous viennent des combattants?

qui

Qu'ils soient braves, le

l'admire. Mais regrettent,

ils

eux-mêmes, nous

cela

ils

réfléchissent,

ils

jugent

ils

entier le sait et ils

découvrent,

vie, ils se

la

jugent

deviennent des consciences,

et

un bien de grande importance

est

car à quoi

monde

servirait-il

:

qu'ils fussent braves,

ne défendaient qu'une patrie destinée à

s'ils

mourir de

Voyez tude,

la

paix?

cette lettre,

que

d'une

étonnante pléni-

si

trouve dans une petite feuille

je

paroissiale de Paris. Elle a été écrite par soldat, et je

un

suppose qu'elle est adressée, à

quelque directeur ou conseiller de patronage, par un camarade élevé, on va idées tout opposées

« »

ma

Je

me

faute.

Mon

dans des

:

cher camarade,

sens en désordre. Ce n'est pas de

Je croyais

que ce désordre la supériorité.

est

le voir,

même, avant

était la liberté,

Depuis,

peu de chose

j'ai

l'indépendance,

vu que

et qu'il faut

la guerre,

une

loi

la société

au-dessus


aujourd'hui et demain.

142

des conventions sociales. cet esprit critique tant

qui

ce

plus, cette liberté,

admirés par moi, voilà

perte ou plutôt les difficultés

la

fait

De

actuelles de la France. Alors je suis logique

ma

ayant offert il

faut

Et

mon lui offre mon

que je

de

l'intérêt

xie,

sang pour esprit et

:

la patrie,

mon

cœur.

nécessite une organi-

la patrie

sation des esprits sous une règle supérieure. »

J'ai

vécu

religion. Je

sans

foi.

élevé sans

été

ne suis pas baptisé.

mariage en dehors de peut durer.

J'ai

J'ai contracté

Tout

l'Église.

recours à toi pour

J'ai

cela

me

ne

guider

m'aider à porter remède à ce désordre. Je

et

me

défie de

moi-même, connaissant

la force

de

des sophismes libéraux.

Com-

prends-moi bien. Ce n'est pas seulement

la for-

l'habitude et

formalité de l'acte

du baptême qui m'importe.

C'est l'ordre intérieur. J'ai besoin d'une discipline,

devoir

me

de

séculaire,

rattacher

à

une

organisation

de servir. Je crois que

d'homme

et

c'est

mon

de Français, voilà... »

Cette lettre appelle plusieurs réflexions.

D'abord, par un

et

de toute évidence,

homme

elle est écrite

qui est dans le voisinage

diat de la foi chrétienne, et

que

la

immé-

logique et la


ORDRE,

L }5'énérosité

vérités premières.

Sans

baptême comme

phème

une

contraire,

cela,

d'une

involontaire, et

société est peu de

pour

faite

vidu.

le

et

et le

progrès de

demande

a vécu

il

que ce

qu'il appelait

faiblesse, Il

les

Il

:

qu'il

autour de

!

y a

lui, et

indépendance n'est que

comprend la nécessité d'une

extérieure.

il

vivait,

jugements

Société,

porte

lumière

la

Jusqu'à

la

mots n'avaient pas de sens pour milieu où

:

isolement et impuissance de servir.

aspire à l'ordre.

discipline

vie,

Effort

jusqu'ici.

Et j'admire ce qu'il aperçoit déjà

dans sa

des

force

la

dure à ouvrir, par où doit entrer

lui,

l'indi-

à son ami de

magnifique d'une àme sur elle-même

désordre en

au

est,

la famille primitive,

reconnaît

qu'il

sophismes dont

la

sent bien cette insuffisance

de doctrine, puisqu'il guider,

que

grande chose, nécessaire,

bonheur il

ne parlerait pas

chose, lorsqu'elle

très

Lui-même

il

« formalité », blas-

n'écrirait pas

il

née du développement de

le

jusqu'à

mais qui n'est pas instruit de certaines

elle,

(lu

esprit conduiront

son

de

143

la

les

il

guerre, ces lui.

Dans

le

entendait sans déplaisir

plus

insolents

contre

la

Famille, la Religion, la Morale,


AUJOURD'HUI ET DEMAIN.

144

l'Armée, tout au moins

il

goûtait l'ingéniosité

des paradoxes, et croyait élégant de ne pas se

prononcer lui-même sur

les

tiels, et de tenir à distance,

tunes,

les

avait

S'il

moqué

inoppor-

son service militaire,

fait

il

s'était

sans doute des règlements, du respect l'exactitude, des petites exi-

quotidiennes

gences

rompent le

comme

solutions qui obligent à l'action.

dû au grade, de

pour

problèmes essen-

la

et

innombrables

qui

volonté personnelle, et établissent,

bien

commun,

l'autorité

du

chef.

Com-

bien de nos soldats, dans les années qui se sont écoulées depuis 1900, n'ont pas compris

l'armée?

Ils lui

répandu dans

apportaient un esprit d'anarchie

la vie civile,

encouragé ou toléré

par les plus imprudents des chefs du peuple, et la discipline militaire la caserne, leur et

dans

l'état

de paix, à

parut une atteinte à la dignité

quelque chose de rétrograde,

disent. Aujourd'hui,

dans

comme

ils

les tranchées, ils

ont

découvert qu'elle est la condition de leur salut personnel et du salut de

que

le

la patrie.

début de leurs réflexions,

Et ce ne fut

et le

commen-

cement de leurs progrès. Brusquement

tirés

de

chez eux, sortis de l'illusion des choses quoti-


ORDRE.

L

monde,

(liennes qui leur cachait le

de longues veillées,

145 astreints à

se sont trouvés

ils

dans

les

conditions de recul et de solitude nécessaires

pour juger,

ont jugé ce dont

et ils

d'être séparés: la vie

ils

venaient

la politique,

civile,

le

métier, et leur propre famille, finalement, leurs actes depuis qu'ils ont

men

de conscience a fouillé

Sous sont

làge d'homme. L'exales

menace perpétuelle de

la

demandé

Ceux qui

:

«

profondeurs. la

vais-je aller

mort, si

ils

se

meurs?

je

se préparent n'ont-ils pas raison?

Pourquoi personne ne m'a-t-il donné de moi-

même un

SI

plus grande idée qui soit ? Pourquoi

la

petit

nombre d'hommes

table esprit de justice? pas, sur le front,

plus, et la

pourquoi

la

ménages

ont-ils

appauvri

elle aurait

Est-il

besoin

donc possible

une morale sans autre appui que

hommes,

lia,

véri-

un million de Français de

les

prompte victoire?

d'établir

changer

un

Pourquoi n'avons-nous

France des enfants dont

pour

ont-ils

les

?

qui auront intérêt à la violer et à la

Non,

comme

je le

vois par

moi-même.

»

l'espoir de revenir de la guerre

importe

et doit

l'emporter sur la crainte de

lourir: «

Quand

je reviendrai, je ne supporte9


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

146

autrement; je

rai plus telle injustice, je parlerai

qu'autrefois

me

suis

mon

de

ferai plus

ne

estime

la vie n'est pas ce

:

même

le

usage

que

j'ai cru.

Je

la

vérité,

et

trompé. Je chercherai

déjà je la devine. »

Les aumôniers

que pour une des

C'est

esprits.

d'abord

et les prêtres soldats

la

hommes

les

ne sont

dans ce mouvement

petite part

qui instruit

nécessité

capables

de

réflexion;

c'est l'intime supplication de la France en péril c'est la plus terrible

;

leçon de choses que puisse

recevoir l'éternel écolier.

Ah

!

on

s'était

pourrait être le

vie,

luxe

humanitaires et voilà

imaginé que leur

trompée par

que, dans l'épreuve,

ils :

«

voulons l'ordre autour de nous

raisonnable Ils

cri

:

se sont relevés

L'ordre et

!

Nous

en nous

!

»

que puisse pousser un être

!

sont bien des milliers qui pensent de la

sorte, les uns dont

ou

la

lois

beaucoup de paroles vaines

tout à coup, et qu'ils crient

Le plus beau

de

bon marché, quelques

à et

soif d'idéal

le laisser aller

les

perdus

nous connaissons

confidences,

parmi

les

les

les lettres

autres silencieux et

combattants

:

hommes


l'ordre. d'étude,

hommes

147

de métier, tous renouvelés,

tous supérieurs par l'élan de l'Ame.

pas

besoin que beaucoup

cette

clarté

et

il

d'hommes

convaincus de ces hautes vérités, l'ordre avec

Or

et

soient

réclament

cette force,

qu'on puisse dire, en toute assurance

en France, quelque chose de changé.

n'est

:

Il

pour y

a,


LA Toussaint en alsace

9

J'ai

Novembre

1915.

pu entrer dans l'Alsace française

et

parcourir deux vallées de la Terre silencieuse et fidèle.

L'automne

est bien

avancé; déjà les

hauts sommets des Vosges commencent à être

poudrés de neige. Ce n'est qu'un décor. passe aisément. Mais

les

feuilles

On

des hêtres

sont tombées. Elles ont bruni, elles ont pris, sur les pentes, la couleur des vieux bois, et seuls,

dans

les forêts

de hêtres, de sapins ou

de chênes, les bouleaux lèvent leur lance d'or,

que commande, çà la

et là,

plus éclatante et large,

lance pourpre d'un merisier. Mais tout

reste

demeure

:

les lignes fines qui

le

descendent


LA TOUSSAINT EN ALSACE. vers

le

Rhin,

bleu des ravins,

le

149

des

le bruit

eaux, les détours innombrables de la route, et les

échappées sur

ferme au

la plaine,

avançant

toit

le

de rentrer chez

cœur

Nous Je

la

devinez

comprend-il

où nous sommes,

n'en

doutais

tout ce que

j'ai

la

moins

Je ne puis dire

visite.

qu'il faut

:

France, et

doute

J'en

vu, tout ce que

Mais je dirai ce

demander

lendemain?

et le

pas.

encore après cette courte

c'est

:

dans un pays dont

soi,

a été tout français, et de se

aime-t-il, et

l'heure

prés en talus.

et les

L'émotion nouvelle, vous celle

sur un village, une

j'ai

entendu.

pour qu'un peu de

l'émotion vivifiante soit partagé. Il

n'y a plus de frontière, plus de douane,

On vous

plus de passeport à montrer. « C'était là,

mais

le

poteau a été arraché

villages sont au travail;

dans

le reste

service.

de

la

pancartes

restaurant,

graines

».

:

Les

moins d'hommes que

France ont été pris par

le

Au-dessous des enseignes en allemand,

ou bien clouées sur des

dit

».

ont

les

été

maréchal

anciennes enseignes, posées

ferrant,

Les gens regardent

:

«

Coiffeur,

commerce de les visages

nou-

veaux; beaucoup saluent; des cavaliers bros-


aujourd'hui et demain.

150

attachés à la boucle des

sent leurs chevaux

murs; on n'entend guère

canon;

le

les pre-

mières pentes des Vosges ont été conquises, en

comme

août 1914,

l'avait été

toute l'Alsace

sous Louis XIV, presque sans coup

comme

premiers villages

les

villes n'ont point

les

front. L'Alsace

premières

commémore

villes,

sermon où sont rappelés

le

et le

souvenir des morts

dogme de l'immense communion des saints, il y

fraternité qu'est la

et le

cimetière.

Je

étaient là,

ou peu

tante, et,

que

pense

quand

tous

les habitants

Sur deux rangs,

suivaient la route

ils

mon-

furent groupés dans l'en-

ils

du cimetière,

je

comptai

au moins quinze cents, dont

hommes. Dans

a procession au

s'en faut.

récitant le chapelet,

des

loin

ses défunts le

jour de la Toussaint. Après les vêpres

ceinte

et

de ruine.

Je choisirai une de ces petites

du

férir,

qu'ils étaient

la moitié étaient

l'allée centrale, des vases,

pleins d'eau bénite, avaient été placés, et chacun

des assistants prenait une feuille d'arbre, la

trempait dans l'eau, et ses proches.

de

soldats

Au

allait

bénir la tombe de

fond du cimetière, des tombes

allemands

et

d'autres

de soldats


LA TOUSSAINT EN ALSACE.

151

français étaient alignées, les premières conve-

nablement ornées,

amour, de tées

secondes décorées avec

les

feuillages,

de plantes vivaces plan-

en forme de croix;

la croix

de marbre du

Souvenir Français disparaissait sous

cou-

les

ronnes nouées de rubans tricolores. Tout en haut de cette croix, une couronne plus grande

que

les autres portait

Aux

«

:

libérateurs de

l'Alsace ». Les familles, agenouillées, priaient

autour des tombes;

le clergé,

aux quatre points

cardinaux, puis au centre du cimetière, chantait le

Libéra.

Dans

Ah!

les

résolus!

mêmes

les

jours,

j'ai visité

bonnes figures roses, Je

reconnaissais la

frondeuse, cordiale.

Ils

une

école.

les

yeux

et

race

guerrière,

comprenaient déjà

français. Ils se levaient avec

le

une promptitude,

un ensemble, une énergie, qui venaient de la discipline

— qu'on point, — mais

condamner en

ce

naient avec une rapidité,

ils

m*a raconté, partout où les enfants,

j'ai

ils

compre-

souriaient avec

une nuance qui étaient bien de

qu'ils

ne doit pas

allemande,

la

Gaule.

On

pu pénétrer, que

du premier coup, ont

été nôtres, et

montrent, pour apprendre

le

français.


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

152

mieux que de

la

bonne volonté

un enthou-

:

siasme. Le A'icaire a ouvert un cours du soir

pour

les adolescents

hommes

m'a

avec

fois,

main,

lui

précipitent, et des les

chemins

considérable, Français reconnais-

dit

le

ils s'y

mêlent à eux. Dans

se

un homme sable,

:

que

les

gamins l'accostaient par-

plus grand sérieux, la casquette à la

demandant

:

N'y

«

aurait-il pas

moyen,

monsieur, un petit moment, de parler français? » Ils se

soldat.

sont mis, naturellement, à jouer au

Dans

la ville, ils

voient tantôt un régi-

ment, tantôt un autre. Immédiatement,

ils

se

griment en alpins, en fantassins, en dragons,

même et ils

en Marocains, en se noircissant

vont se battre, un drapeau en

la figure,

tête.

Contre

qui? Vous pensez bien qu'on cherche à défier les

camarades d'un village voisin.

prendre des mesures pour empêcher dégénérer. Les petites

nouée sur

la

tête,

filles,

un

Il

a fallu

le

jeu de

avec une serviette

tablier blanc et

deux

galons de laine, se costument en dames de la

Croix-Rouge,

et tous,

sage des officiers qui

garçons

et filles,

commandent

gnies en marche, se rangent sur

chemin

et font le salut militaire.

les le

au pas-

compa-

bord du


LA TOUSSAINT EN ALSACE.

1^3

Les générations un peu plus Agées n'ont pas cette exubérance;

beaucoup de

tact et

il

faudra, assurément,

de libéralisme, et un grand

respect des traditions, pour que l'unanimité

nous appartienne, dans un pays pendant quarante-cinq ans travaillé par des maîtres experts

dans

le

dressage. Mais l'Alsace que

ne diffère guère de celle que

longtemps

le

;

cœur

j'ai

connue

j'ai

est resté fidèle et

revue il

y

a

chaud

sous l'apparence réservée. L'expérience a été dure, qu'on parle seulement

si

quand on

est

en sûreté. Mais alors, quelle merveille de sensibilité et

de courage!

Une jeune femme Alsacienne de

la

devinant toute, m'a raconté

dans

l'entrée des Français

sentiment que

le

rencontrée,

j'ai

ne connaissant pas

vieille race,

mais

la France,

que

la ville.

c'était la race

Et j'avais

même

qui par-

lait.

«

Nous

étions au

jours, nous disions » Ils

un

:

«

Quand

viendront-ils?

ne viendront donc jamais?

gamin

maison. »

mois d'août. Depuis des

Il

tomber

arrive

en

lève les bras.

ma

»

courant Il

crie

:

Un

matin,

devant « J'ai

laissé

casquette à force de galoper 9.

la

!

Les


aujourd'hui et demain.

154 »

voilà!

»

de

Tu

la forêt.

»

les as

vus?

Je monte dans

les voyait très bien, à

Ils

descendent

le grenier.

On

cause du rouge. C'était

comme

des grappes de cerises. Le cœur nous

battait.

On ne

savait

les

fonctionnaires

là.

Une dame

coupa des

l'œil partout.

»

Vous

allemands

dans

Près

pas.

son jardin,

un Allemand

des

roses?

Mais

Nous sommes Français

offi-

ils

dit

:

Nous vous » Il voulait

ne reviendront

à toujours! »

Et, disant cela, elle était délicieuse tion, d'ardeur et

tous

encore

au premier

enverrons du Vergiss mein nichl.

parler des bombes.

:

la ville, étonné, content,

d'elle,

leur offrez

faire

étaient

dans

descendit

roses, et les offrit

cier qui entrait

«

comment

de jeunesse.

d'émo-


FAITS D'ARMES AU CAMEROUN

16 Novembre 1015.

Pendant que nos armées, retranchées en territoire

de France et d'Alsace, protègent la

ligne tracée par la victoire de la Marne, et pré-

parent l'offensive finale, d'autres troupes, françaises

anglaises, s'emparent

et

ment des

très

méthodique-

importantes colonies allemandes

d'Afrique. L'œuvre est avancée. Si l'Allemagne a,

comme

elle dit,

des hypothèques sur certains

départements français

et

sur la Belgique, nous

en avons de notre côté, sur sions

acquises selon la

les riches posses-

de nos ennemis, dont les unes furent

menace

et

le droit, les

autres arrachées par

cédées dans un

moment

de

fai-


aujourd'hui et demain.

156

Ce

blesse.

sont des milliers de kilomètres

carrés qui sont déjà, là-bas, butin de guerre, et

l'éloignement seul nous empêche d'apprécier

la

valeur de pareils gages, d'y songer

Les nouvelles détaillées,

même.

les récits, les

notes

de route, commencent cependant à nous parvenir.

J'ai

communication de plusieurs

eu

longues

lettres et

français

dans

le

ments curieux,

de carnets d'un combattant

Cameroun allemand. Docu-

qu'elle est partout la

âme

même,

montrent

qui

réconfortants,

bien qu'il n'y a qu'une

militaire française, et

que

méthodes

les

de guerre, en 1913, ne varient point selon latitudes, le

même

mais qu'on trouve, dans

que

la brousse,

adversaire terrassier, mineur, piégeur,

invisible, qu'en

même

les

Champagne ou en

officier insolent et dur.

cette insolence

On

Artois, le

verra aussi

tombe tout à coup.

La colonne, dont je résume bien rapidement la

marche,

était

colonel Brisset,

commandée par un de

le lieutenant-

ces coloniaux à la fois

soldats très braves, organisateurs, inventeurs

au besoin, pionniers de

civilisation,

qui ont

magnifiquement besogné en Afrique depuis un quart de siècle, et qui ne cessent de démentir


FAITS

ARMES AU CAMEROUN.

157

silencieusement, victorieusement, par les actes, cette

calomnie d'après laquelle nous ne serions

Nous

pas colonisateurs.

le

sommes,

et

depuis

hommes

toujours, à condition d'employer les qu'il faut.

On

de Fort-Lamy, en octobre 1914

part,

deux compagnies

et

une section

montagne. Le but à atteindre,

d'artillerie

c'est

:

de

une mon-

tagne lointaine, où se sont réfugiés les Alle-

mands, venus de et

de

différents points

du Cameroun

de Kousseré, enlevée à

la ville

la

nette par le lieutenant-colonel Brisset,

baïon-

au mois

de septembre. Là, au pied de la montagne on rencontrera les Anglais, qui ne peuvent, n'étant pas en forces, tenter seuls d'enlever fortifiée

de Garoua.

Le 4 octobre, et

la position

remonte

le

la

colonne passe dans

le

cours du Logoué, à travers une

A

forêt épineuse.

onze heures,

elle s'installe

Kabé, gros village de pêcheurs. On guerre

:

Il

«

en

les

nombreux porteurs dans les cases,

banians qui ombragent

Nuit délicieuse,

lette les

est

à

faut établir des postes et loger les

troupes et les

ou sous

Chari,

notes

:

écrit le soldat

les places.

dont je

feuil-

nous nous endormons au son


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

158

de

musique des moustiques

la

seille

pas aux nerveux.

ne

je

:

la

con-

Le lendemain, étape

»

de 30 kilomètres, de Kabé à Karnak (comment ce

nom,

là?)

A

On

d'origine celtique, est-il traverse des

venu jusque-

champs de mil immenses.

Karnak, un détachement français

se joint à

avait là, naguère,

un sultan

l'expédition.

y

Il

noir qui n'était pas de nos amis.

Nos tirailleurs

n'ont point de patience pour leurs « Boches de l'intérieur ».

Un jour qu'il descendait la rivière,

au milieu de ses pagayeurs, croyant apercevoir sur la rive des Allemands victorieux, et qu'il criait

«Hoch! Hoch!

:

une

»,

balle l'étendit

raide dans sa pirogue. Depuis ce temps-là, les

Français sont très considérés dans la région.

Son

voisin, d'ailleurs, le sultan

qu'on appelle

Sâr

le

inquiété de ce

(oii ai-je

vocabulaire

subsistait?) n'avait point la

pour nos ennemis. Aussi,

Quand

à prix. tanat,

il

la

du Mandara,

lu qu'on s'était

et

que

même

avaient-il

le

doute

admiration

mis sa

tête

colonne entra dans son sul-

vint au-devant d'elle,

monté sur un

beau cheval, accompagné de cavaliers vêtus de rouge, rateurs

et

». Il

il

nomma

fit

plus, et

les Français « il

leur

offrit,

nos

li

bé-

à l'étape,


FAITS U les

cadeaux de

du

lait,

ARMES AU CAMEROUN.

la

bienvenue,

des œufs, du miel.

le mil,

11

159

des gâteaux,

voulut

même

faire

escorte à nos soldats bien au delà de sa capitale

en

pisé, et

il

put voir avec plaisir ses sujets, et

ceux de quelque Melchior ou Baltliazar voisin, apporter à nos troupes tout ce dont elles avaient besoin, converser avec elles, et manifester des

sentiments qu'il éprouvait lui-même pour nos

canons de 80, que traînaient des bœufs du pays.

La route dire

:

dure, ai-je besoin de le

fut très

chaleur terrible, à faire cuire la cervelle,

marécages où

les

chevaux

et les

bœufs enfon-

çaient jusqu'au poitrail, moustiques, serpents,

munis de coutelas

forêts d'arbustes

pons qui tailladent

les

vêtements

Mais tout doit être vaincu dans éléments

comme

et

de har-

et la chair.

la guerre, les

bataillons ennemis;

les

on

passe. D'autres renforts sont récoltés en che-

min. la

On

arrive au

montagne où

les

camp des

Anglais, près de

Allemands sont retranchés

dans Garoua, à 500 mètres en tout autour, est riche.

proximité du les

femmes

et les

camp

A

Le pays,

Nassarao, qui est à

anglais et du

travaillent

l'air.

camp

pour nourrir

français,

les troupes

porteurs. Je trouve, dans les notes de


aujourd'hui et demain.

100

mon

soldat,

ces lignes

tirailleurs est faite

:

L'acide pour

«

les

chaque jour par les femmes

et portée, la nuit, sur le terrain d'attaque. »

C'est qu'en effet, des

deux

côtés,

on

fait la

guerre de tranchées. Lentement, prudemment, les

troupes franco-anglaises resserrent l'inves-

tissement de la forteresse.

y a des recon-

Il

naissances, des essais infructueux de sortie

obtenu

résultat

est

celui-ci

:

du nord

est

Des mois

mobile

la force

allemande qui devait opérer dans

ou

Le premier

de surprise de la part de l'ennemi.

le

Cameroun

immobilisée dans Garoua. s'écoulent,

communiqués,

ils

et,

s'il

y avait eu des

auraient été conçus d'une

certaine manière que nous connaissons

de nouveau à signaler

»,

ou bien

:

«

:

«

Rien

Nos sapeurs

ont éventé une mine allemande et l'ont

fait

sauter ». Le principal événement fut peut-être 'arrivée d'une pièce de 95,

énorme

et luisante,

nécessaire pour emporter la place et qui, venue

de loin, à travers forêts,

d'un

la

brousse, les marais, les

voyage accompagnée de 400 hommes,

escadron de cavalerie

d'obus

et

des porteurs

et de vivres. Elle décide le sort de la

redoute allemande.


FAITS D ARMES AU CAMEROUN. Les obus de gros calibre entament cations de l'ennemi.

161

les fortifi-

Des incendies sontallumés.

Les Allemands répondent d'abord très vivement. La cavalerie française empêche taillement de Garoua.

Au commencement

juin, les tranchées d'approche

pendant

gagné

la nuit.

du

Le 10 juin, nos troupes ont

terrain.

comme

«

Les

du

montagne, la

les

le

parole ».

Des déserteurs

soldat.

noirs racontèrent que la peur est au les

marine

de

pièces

prennent ensemble

dit le carnet

ennemis, que

de

sont creusées

anglaises, les pièces françaises de

canon de 95

le ravi-

camp des

ouvrages sont démantelés

et

victimes déjà nombreuses. Cependant, on

ne peut encore donner l'assaut, trop grande,

et

la distance est

les mitrailleuses,

placées au

sommet des glacis entièrement nus, faucheraient nos troupes.

Tout à coup, à quatre heures de l'après-midi, le

drapeau blanc apparaît sur

le

point

G de

la

redoute. L'état-major des alliés se porte en avant.

Le

feu cesse. D'autres

drapeaux sont

hissés par les Allemands, à droite, à gauche,

partout.

blanc

De

notre côté, on n'a pas de drapeau

pour répondre au signal.

Un

officier


aujourd'hui et demain.

162

enlève sa chemise et la met au bout de son épée.

Un

parlementaire à cheval descend de

Garoua. C'est

nom du

au

Wanka,

capitaine

le

capitaine

des conditions de la capitulation.

que

les

quitter

qui vient,

von Crailsheim, Il

traiter

demande

troupes allemandes soient autorisées à

Garoua avec armes

aller oui

il

leur plaira.

et

Il est

bagages,

et

à

répondu qu'elles

doivent se rendre sans conditions, mais que ni les

Européens,

ni

les

indigènes

ne

seront

Le capitaine demande 24 heures

molestés.

pour répondre

:

on

lui

Une demi-heure capitulait, des

en accorde deux.

plus

tard,

la

forteresse

otages nous étaient remis.

Au

petit jour, le 11, les troupes franco-anglaises

pénétraient dans le village et dans les forts. vit

l'importance des fortifications con-

alors

struites par les

abris de

On

canon

Allemands, et

les tranchées,

les

de mitrailleuse, les trous de

loup garnis de lances. Nous faisions prisonniers quatre capitaines allemands et leurs auxiliaires blancs

et

noirs,

3 canons de 60,

nous prenions des

un canon de 37 avec

fusils,

bouclier,

10 mitrailleuses, des projectiles, 80 000 cartouches, des réserves considérables de mil et de


FAITS D ARMES AU CAMEROUN.

800 pointes d'ivoire.

sel,

quer

Comment

«

prétendu que

le

expli-

jusqu'au bout?

qu'ils n'aient pas résisté

Et qu'ils n'aient pas détruit

163

matériel?

des Europeéens étaient

les nerfs

tellement tendus qu'aucun officier ou officier n'était plus

intellectuel

ont

Ils

sous-

capable du moindre eflort

Mon

ou physique.

avis est plutôt

que ces gens-là ont bu trop d'alcool dont nous avons retrouvé en quantité incroyable.

et d'absinthe,

les bouteilles vides,

»

Aussitôt après la reddition de la forteresse, chefs

les

des

environs vinrent amicalement

rendre visite aux Français et aux Anglais. Les capitaines allemands furent et le

commandant de

emmenés au

loin,

peu après

l'escorte écrivit

qu'il avait hâte d'arriver à destination, parce-

que, sur le passage, les populations témoi-

gnaient une vive hostilité contre les prisonniers, qui s'étaient montrés

gouvernaient

le

sans

pitié

Cameroun, au

quand

nom

ils

de l'Alle-

magne.

Quant à

la

colonne française,

ne tarda

elle

pas à quitter Garoua. Le rédacteur du carnet

de

notes termine

sommes

ainsi

vainqueurs

,

son

nous

récit

:

«

sommes

Nous con-


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

164 tents,

nous sommes disponibles. Demain nous

partirons,

anglais rages. »

selon l'expression d'un

facétieux,

camarade

pour de nouveaux pâtu-


LE BIEN DES AUTRES

25 Novembre 1915.

J'ai

entendu un permissionnaire qui

d'un cabaret, très animé, dire à son «

Tu

es

comme

moi,

rien et tu défends

pour leur bien! 11

ricanait,

le

toi,

mon

sortait

compagnon

:

vieux, tu n'as

bien des autres!

Tu

te

bats

»

en disant ce blaphème, content

d'étonner la rue, suivi d'un camarade qui ne

répondait pas, figurer le

et qui

compagnon

semblait être là pour passif des

mauvais gars

en marche. Je vous

ai

entendu avec douleur, Miron;

avec vos airs de chef

et d'orateur,

qu'un écho, à demi conscient

:

vous n'êtes

mais, pour

un


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

166

peu du moins, vous pas

n'ignorez

responsable

êtes

;

vous

complètement où tendent ces

mots-là, et vous vous obstinez à les dire, parce

que vous

êtes «

du

Tous

parti ».

autres

les

sont de France, uniquement. Vous n'êtes pas

mais d'une

d'une famille mauvaise, affaiblie,

tèle

diminuée,

comme

il

famille

y en a trop,

clien-

désignée pour les semeurs d'inimitié. Ah!

comme ils

savent bien que

humaine

est paresse

le

fond de

nature

Comme

envie!

et

la

au lieu de

étaient sûrs que vous répondriez,

si

vous

conduite

conseiller

disaient

:

le

méthode

l'épargne,

«

travail,

rude

la

et

ils

lente,

ils

et

vous

Jouissez et haïssez! » Personne,

autour de vous, ne vous reprenait; l'exemple

manquait

:

l'école

ne nous avait pas formé,

mais seulement rendu capable

d'augmenter

votre misère morale, en lisant ce qui était plus

mauvais que vous,

et, le

dimanche, vous vous

échappiez à bicyclette, pour courir les cabarets

borgnes de

la banlieue, tandis

que

le père, atta-

blé au plus près, croyait se reposer,

perdaitle droit de vous dire

Vous vous

battez

autres, dites-vouB?

:

«

D'où viens-tu?

pour défendre

On

quand

le

il

»

bien des

a cherché à vous faire


LE niEN DES AUTRES. croire, et

167

vous croyez à moitié que ceux-là,

seuls,

devraient se battre qui ont à défendre une maison, un

champ ou un

portefeuille, et qu'il s'agit

d'abord d'argent à perdre ou à gagner, dans

arme l'une contre

cette guerre qui

nations du

les

l'autre toutes

monde! Des journaux

et des

agitateurs secrets vous ont fait naguère cette injure de vous considérer esprit qu'on pouvait tise

énorme,

et

comme un

vous pousser à

vous ne vous en

si

pauvre

vous persuader d'une sotla

répandre. Et

Vous vous

êtes pas aperçu!

êtes cru très fort! Dites-moi, ces populations

de

— —

l'arrière,

et

pour lesquelles vous vous battez,

vous n'êtes pas, j'en suis sûr, un lâche,

n'ont pas que des propriétés

elles

:

sont

menacées dans leur vie, dans leur liberté, dans leur honneur.

des faibles.

y a des femmes, des enfants,

Il

Vous

les protégez.

Vous remplissez un célébré,

parmi

les

Vous

les sauvez.

rôle qui a toujours

hommes, comme

le

naturel et le plus beau. Quel sens a le

de

fraternité,

si

soi-même pour Et

si

elle

été

plus

mot

ne va pas jusqu'au don de

le salut

des .autres?

vous vous peinez pour autrui,

vous tout gratuitement,

et n'ont-ils

le faites-

pas peiné


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

168

pour VOUS? Parmi ceux auxquels vous avez de reprocher, Miron,

l'air

leur rendez,

il

le service

n'y a pas que les gens de l'arrière,

mais encore des compagnons, des des soldats, que la guerre a

mouvementée.

A

La

vie là-bas est

votre droite, un bataillon a

repoussé une attaque allemande.

nos

il

officiers et

emmenés ensemble

et mis dans les tranchées.

fois,

que vous

Une fois, deux

empêché l'ennemi de pénétrer dans

a

lignes. Si

vos voisins n'avaient pas tenu,

vous

étiez

mort ou prisonnier, tout au moins

vous

étiez

en danger. Et quand vous avez été

à l'assaut, est-ce

que personne

n'était

devant

vous? Est-ce que, jamais, une balle de mitrail-

ou de shrapnell, qui devait vous venir

leuse

tout droit, n'a été arrêtée en route? sûr,

Il est

bien

peut-être ne vous en doutez-vous pas, que

d'autres

hommes

sont morts pour vous.

vous battant pour d'autres, vous

ment

ce

faites

En

simple-

que d'autres font pour vous. C'est une

des grandeurs

de

l'armée,

ce

dévouement

pour ceux qui n'en remercieront pas, ce support de l'épreuve qui sera épargnée au camarade.

Mais vous n'avez pas pensé que vous vous


LE BIEN battiez aussi

169

étranger à cette guerre, et

veut bien s'y mêler, par condescendance.

Vous ne

l'êtes

L'intérêt et l'honneur,

point.

quand une guerre comme n'ont qu'une

même

rarement d'être

si

aux armes tous

les

un

autres.

pour votre compte. Vous parlez

comme un homme (|ui

dp:s

fusil et

celle-ci est déclarée,

Ça leur

trompette.

bien d'accord.

Ils

arrive

appellent

hommes

qui peuvent tenir

fournir une étape.

Vous ne possédez

pas une motte de terre? J'y consens. Peut-être

en posséderiez-vous une,

si

vous aviez été tou-

jours aussi jaloux de l'argent gagné que de l'argent à gagner, et

si

vous n'aviez pas mis

tous vos soins à vous ruiner hebdomadaire-

ment? Je veux inopérante et

l'ignorer. Je connais la réponse

triste

que vous

paye m'appartenait, j'en

me

feriez

fait

ai

:

«

Ma

ce que j'ai

voulu. » Mais vous avez des outils de travail,

un meuble où vous serrez vos vêtements, un lit

de noyer, ce que vous appelez

et, si les

le

«mon ménage»,

quatre murs ne sont pas à vous, tout

duvet du nid vous appartient. Demandez ce

qu'il est

advenu à ceux dont

envahie par les

Prussiens?

femme, des enfants

:

la

demeure a

été

Vous avez une

rappelez-vous ce qu'ont 10


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

170

ennemis, en Belgique

fait les

et

dans

le

Nord

Informez-vous encore mieux; apprenez- vous à

comprendre

régime de terreur, de délation,

le

de réglementation vexatoire qui pèse sur ceux qui ont été épargnés.

On vous

vage; pour de minces raisons

a parlé d'esclaet dès

que votre

pouvait être en conflit avec celui du

intérêt

vous

patron,

mot où

avez

vous-même prononcé enfermé

tant de douleur est

;

ce

mais ce

qu'un jeu d'éloquence ou de mauvaise

n'était

humeur, vous

le

savez bien

:

toute la réalité est

administrées par

là-bas,

dans ces

caporal

Surhomme. Vous imàginez-vous, par

villes

hasard, que vous seriez admis et

comme un homme

libre,

comme un

dans

le

le

égal

royaume

de Bochie? Demandez-le aux Danois, deman-

aux Polonais, demandez-le aux Alsaciens,

dez-le et

a

aux otages, des ouvriers marcher devant

fait

les batailles de l'Yser.

peu qu'on vous le

mal qui

velléités

est

ait

les

comme

vous, qu'on

troupes armées dans

Vous avez une âme

:

le

en nous tous

et

du bien, toujours en goût de

si

donné l'habitude de refréner de soutenir bataille,

la justice,

un besoin de

les

vous

avez des qualités qui sont la marque de race

:

la

liberté.


LE BIEN DES AUTRES.

171

quelque chose de loyal qui vous empêcherait de mentir ou de

Tout

cela,

même

et c'est la

périrait,

Vous

France qui

est

vous-

en vous. Tout

vous ne combattiez pas l'ennemi.

si

un

et qui

dans une autre

et

au hasard dans

être jeté

peut indifféremment passer

y vivre. Vous êtes un Fran-

né d'un sang qui ne s'habitue point à

honte. ce

à la parole donnée.

c'est votre bien, c'est

n'êtes point

une nation

çais,

manquer

Miron,

Votre avenir

que vous

quand vous

le ferez.

veillez

est

parmi nous.

Vous

le

Il

la

est

défendez aussi

aux tranchées.

Le bien des autres? Miron,

c'est la dernière

des raisons pour lesquelles vous vous battez. Celui qui vous a soufflé la menteuse formule n'était pas votre

même un le

ami.

S'il

croyait ce qu'il disait,

peu, tenez-le pour un imbécile, et ne

gardez pas près de vous.

c'était

une

canaille.

S'il

n'y croyait pas,


LE RÔLE MATERNEL

DES INSTITUTRICES

7 Décembre 1915.

J'ai présidé, le

dimanche 3 décembre, V Union

pai'isienne des institutrices libres de la Seine, et j'ai dit

à peu près ceci

:

Je suis sur, mesdames, que vous aviez com-

l'homme qui a

pris l'éminente valeur de sidé,

depuis

ans,

votre

libres.

était

Je

le

début

l'ai

connu,

pré-

pendant plus de cinq

Union parisienne des et

je

institutrices

puis

dire

qu'il

de ceux vers lesquels j'étais porté par une

sympathie qui avait

temps avait rendue il

et

été

forte.

immédiate

et

Et cependant,

que

le

comme

arrive dans tous ces deuils, je regrette à


LE RÔLK MATERNEL DES INSTITUTRICES.

173

connu,

de

présent de

no

pas

l'avoir

assez

n'avoir pas profité de toutes les occasions de

m'enrichir de rience

grand

cette

i

richesse d'expé-

humaine embellie «l'amour de Dieu.

M. Maurice Sabatier, ayant

été

un avocat des

plus réputés, pendant trente-cinq ans, dans ce

milieu judiciaire haut et fermé que sont le Conseil

d'Etat

et

Cour de Cassation,

la

le

plus beau de son talent, le meilleur de l'incessante production de son esprit, ont échappé au

grand public. Nous n'avons point eu tout profit de l'éloquence, de et

de toute

la

le

l'enseignement moral

lumière qu'il mettait en chacune

de ses plaidoiries. Il

dont

avait le

une figure de combattant, large,

regard

tout

allait

droit

à celui qui

venait, et ne se baissait point rapidement,

tâchait

de

pénétrer

jusqu'à

et

l'âme

mais

de celui

qui devait être, dans quelques secondes, son interlocuteur ou son adversaire.

de la riposte

le

qu'après un moment, et tait,

qu'on

de réserve

voyait

la

si

l'entretien s'y prê-

disparaître

et d'attente

marqué. Alors

Son habitude

mettait en garde. Ce n'était

cette

nuance

dont son accueil

bonté paraissait;

elle 10.

était riait


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

174

au fond de ses yeux bruns, de ce sourire jeune qui

est,

dans un visage

mation tranquille talité.

L'homme

passagère d'une immor-

et

qui aime la justice et sait être

indulgent a déjà dépassé

Dans une

l'affir-

vieilli,

niveau commun.

le

notice qu'il a écrite sur la vie et

l'œuvre d'un ancien avocat général à la Cour

de Cassation, M. Sabatier a

Ce

pas la justice à moitié.

dit

« Il n'aimait

:

n'est pas à lui qu'il

aurait été besoin de rappeler la grande parole .

que

de Bossuet,

trahir

c'est

de travailler faiblement pour travailla pour

peut

voir

de

elle

la

elle...

fortement

»

Lui,

et toujours.

manière,

quelle

que

justice

et

il

On

connaître

quelque chose de sa logique, de son

style

concis et prompt, de sa joie secrète d'avoir raison

contre

de

adversaires

puissants

ou

contre des erreurs tenaces, dans son. Etude sur le le

Concordat, et dans sa Plaidoirie pour S. S.

pape Léon

on peut voir

A III et

le

cardi^ial

là aussi, et

dans

Rampolla. Mais

les

Etudes

stir la

psychologie juridique de Napoléon, sur Berryer,

sur

le

Concordat, sur son ami Thureau-Dangin,

dans ses Souvenirs où

il

rappelle l'enthousiasme

de sa jeunesse pour l'éloquence de Lacordaire,


LE RÔLE MATERNEL DES INSTITUTRICES. 175 que

jurisconsulte

ce

beaucoup

avait

philosophe, beaucoup d'un historien,

ne point errer,

guide

le

d'un

pour

et,

d'une

très assuré

foi

réfléchie et savante.

Quand Son Eminence

le

cardinal Amette,

dont nous pouvons bien dire entre nous, ce pas, qu'il a le génie des œuvres,

présent

de

désigner

M.

que je viens de vous rappeler, le service

s'en

que vous rendrait un

doutait

pas.

surpris. Je crois

archevêque

et

vous

il

fit

ce

comme

Sabatier

président de votre association,

n'est-

savait tout ce

11

avait deviné

homme

M. Sabatier

fut

qui ne

d'abord

que sa déférence envers son cet

de justice qui

esprit

le

portait à défendre les causes attaquées furent

premières

les

de

raisons

Bientôt sa bonté s'émut

:

son la

acceptation.

vôtre lui était

apparue. Et c'est ainsi que vous avez eu

le

plus assidu, le plus dévoué des présidents,

lié

à votre

œuvre par

gouvernaient sa Il

la

n'est

vôtre,

les

puissances

mêmes

qui

vie.

guère de profession plus haute que

mesdames, quand on

comme une

la

considère

mission pour les âmes. Vous avez

à former de futures femmes, de futures mères

:


aujourd'hui et demain.

176

vous avez, entre vos mains maternelles, ces

commencements

d'intelligence, de passion, de

besoin de la vérité et de penchant à l'erreur,

de faiblesse

et

de

enfants.

De vous,

blement

le

que sont

générosité

les

ces petites tiendront proba-

meilleur de leur avenir. Elles vous

devront beaucoup du bonheur qu'elles auront, de celui qu'elles donneront, et de l'exemple

et

qui sera transmis par

du

elles.

ouvrier,

travail

Car

celles

les conditions

de

l'habitation

ouvrière, se trouvent aujourd'hui presque en

opposition avec les obligations, les

douceurs de

tion constante petite

fille,

la vie

faire

:

avec

de famille. Cette atten-

que réclame l'éducation d'une

combien

elles

du peuple qui peuvent Elles

comme

la

sont rares les mères

donner!

vous confient ce qu'elles ne peuvent Et

c'est le

principal de leur mission

Le choix

maternelle.

qu'elles font de vous,

institutrices chrétiennes, indique l'orientation

de leur esprit très

strictes.

et

vous charge d'obligations

Vous devez aux

enfants, avant

toute chose, l'éducation morale. Elles doivent

apprendre de vous ce que leur dire

:

les

mères n'ont pu

ce qui est nécessaire

pour vivre.


LK RÔLE MATERNEL DES

pour de

se décider

l'intérêt et

liN

STIT UTRICES. 177

dans l'incessante contradiction

du devoir, pour conserver à

France un peuple sain, défendu par

commun

par

et

foi

la

erreur, pour faire des

capables de tenir un

donner un

du luxe

le

la

sens

contre l'innombrable

femmes

ménage

fidèles et fîères,

aussi bien

que de

conseil, de résister à la provocation

et

du

plaisir,

pagnes agréables

d'être enfin des

com-

Rien, à beaucoup

et sages.

près, ne vaut cette part royale de votre ensei-

gnement. Là

est votre gloire, et, je puis bien

dire votre privilège.

pensé que

le

Aussi

j'ai

bien souvent

souci des brevets tenait trop de

place dans les préoccupations des écoles,

catholiques,

même

à tous les degrés de l'enseigne-

ment. C'est

pour cela que

j'ai

par certains programmes celui d'un tnent

été

et,

très intéressé

notamment par

Cours normal catholique d'enseigne-

ménager, fondé à Paris, sous

nage du cardinal-archevêque,

et qui

le

patro-

ne porte

pas seulement sur les matières habituellement

comprises

ménager et

coupe,

sous :

ce

cuisine, etc..

titre

d'enseignement

blanchissage,

repassage

mais sur ce qui sera toujours


AUJOURD'HUI ET DEMAIN.

178 l'essentiel

et de la

la

:

formation morale de

mère, ce qu'on peut appeler Les jeunes

la famille ».

la

femme

« l'art

de

qui suivent ce

filles

cours normal y reçoivent des leçons de religion et de vie chrétienne;

religion

au foyer,

femme, puis nelle,

les

la

on y voit enseigner

:

formation catholique de

la la

principes d'éducation mater-

éducation des sentiments, éducation de éducation de la volonté', les élé-

l'intelligence,

ments de l'économie sociale à côté de l'économie domestique

:

«

notions de la famille, du travail,

du bon usage des biens, de droit usuel », etc.

y

ait là

Ne

la mutualité,

du

croyez-vous pas qu'il

quelques idées à prendre,

même

pour

l'enseignement primaire? Si

vous

l'extrême

considérez

vigueur morale où sont toutes

besoin

les classes

de

de la

nation française, vous ne croirez avoir bien

rempli votre tâche que

si

vous avez fait d'abord

des âmes fortes.

Vous

n'êtes pas,

et c'est votre

— seulement des maîtresses à mais

le conseil

toujours présent, quelque chose

de l'avenir, une créature sûre,

honneur,

lire et à écrire,

plus âgée et plus

mieux défendue, qui peut

tenir la

main


LE RÔLE MATERNEL DES INSTITUTRICES. 179 d'une autre

et recevoir,

petite tête fatiguée.

vous avez entre

les

mesdames Jeunes !

sur sa poitrine, une

Quelle précieuse matière

mains, près de votre cœur, filles

ou femmes, je voudrais

que chacune de vous, quand

où tous

les

adniirabilis

!

jour sera venu

mérites seront connus, pût être

nom

appelée du

le

de sa vraie vocation

:

mater


LOUIS GEANDREAU

iU

Il

poète.

était

donnera un jeunes

On ne

verger

Décembre 1915.

sait

en

fleur.

hommes bien doués

jamais ce que

Beaucoup de

ont de trop prompts

succès, dans les petits cénacles, dans les petites

dans

revues,

les

petits

théâtres,

et

ne vont

point au delà. Quelque chose les empêche d'y atteindre le

quelquefois un défaut de puissance,

:

plus souvent

Geandreau la

aurait-il écrit

travail.

Louis

de belles œuvres, et

promesse, digne d'attention, aurait-elle été

tenue? Il

un défaut de

Il

avait

avait la grâce, qu'il faut avoir reçue. cet

autre'

don de l'émotion cachée,

aveu d'un cœur passionné, qui ne veut pas


LOUIS GEANDREAU. tout dire et se laisse deviner. aussi qu'avec son

181

Je crois bien

de n'y pas toucher et

air

d'écrire des vers au courant de la

style

quand l'habitude

Dans

s'y prête.

lières

les

que je vais

nécessaires,

un

quis,

il

est prise et

plume,

il

devient du

avait cette facilité laborieuse qui

que

le sujet

fragments de lettres fami-

citer,

à côté de négligences

y a des raccourcis, des cro-

sentiment

de

qui

l'essentiel,

un

seulement

ne

tempérament

révèlent

pas

d'artiste,

mais, par la justesse des touches et

leur sobriété,

va

qui

le travail

devenir

l'eussent été,

déjà long de l'apprenti

maître.

Maîtres,

plusieurs

dans cette génération décimée

par la guerre; les grands sujets leur étaient

commentés;

iposés, expliqués,

ne

l'est pas,

les atten-

nous guetterons tous,

bientôt,

enveloppait; un

dait.

Comme

les chants

que

monde renouvelé

"qui est infinie tandis les

la souffrance,

nouveaux

la joie

et forts

de ceux qui sur-

vivront!

Ce vie

qu'il faut se rappeler,

ou

la

mort d'un homme,

courages de mille sortes

:

quand on juge c'est qu'il

la

y a des

tous parents. Celui

de Geandreau était de l'espèce gaie. Plaisanter, il


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

182

un

tourner légèrement

billet,

écrit

sous

quand

pensée de

quand on

Cela devient très beau

la mitraille.

c'est

pour

sourire

rassurer les autres, c'est déjà fort joli

soutenu, quand on devine que

la

mort venait souvent à

la

celui qui

chantait la vie, et qu'elle ne le troublait pas.

Louis Geandreau avait trente ans. écrit fait

beaucoup de vers, surtout pour

avait

le théâtre,

représenter plusieurs comédies et revues,

fondé un journal Il

Il

dans

littéraire

le

sud-ouest.

appartenait au groupe enthousiaste et

nom-

breux des jeunes amis d'Edmond Rostand. Je ne citerai guère de lui que de la prose, et qui n'était pas travaillée trouve.

J'ai

sous

yeux

les

lettres qu'il écrivait,

mais l'homme

:

s'y

des extraits des

pendant les premiers mois

de la guerre, à sa jeune femme.

dS octobre i9il. première

lettre!

Quel trouble!

«

Enfin

la voilà, la

chère

Quel événement! Quelle joie!

et,

Je veux que tout

chose étrange, quelle le

monde

le sache.

fierté!

Pas assez

pitoyable peut-être pour ceux dont les mains

sont encore vides, je vais criant,

le

clamant. Je

encombrés de larmes,

le

la et,

disant partout, le lis

avec des yeux

à travers ce cristal


LOUIS GEANDREAU.

chaque mot m'apparaît embelli... Je

naturel, t'écris

d'une

183

assis sur

un banc

belle rivière,

qui descend de le

ministre de

le

nom,

rustique, au

bord

au pied d'une large pelouse

mon château... La rivière, dont la guerre me défend de te dire noble

est à la fois

et

charmante. Les

propriétés particulières, villégiatures de riches Parisiens, la bordent; mais,

de ces

comme

besoins de

la guerre, je puis,

bord de

rivière,

l'autre, et

murs

ont été ouverts pour les

propriétés

la

les

admirer

sans quitter

passer d'une le

goût

le

propriété à

et la fantaisie

des

propriétaires absents, avec facilité. Je vois des

choses ravissantes. Je passe d'un style à l'autre

en

un

clin

Celui-là

d'oeil.

aime l'ordre des

jardins français; celui-ci le désordre affecté et le

pittoresque des jardins anglais. Pavillons,

Henri

II

d'amour,

temple

tonnelles, :

j'ai tout,

si,

Se

ramenait à

moment, dans un avec

la réalité

octobre 1911.

mon

la

de temps en temps

l'éclatement d'un obus, plus ou

me

à

j'admire tout, je bade à

atout. Et j'oublierais,...

ne

escaliers

«

moins

lointain,

des choses... »

Nous sommes, en

petit village.

ce

Nous occupons,

capitaine et deux lieutenants, une


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

184

maison qu'un horticulteur habitait en des temps plus heureux. L'horticulteur est parti, les fleurs

sont fanées,

pagnie

a

il

reste

une serre où une com-

son bureau,

installé

chrysanthèmes penchants

et

quelques

et

mourants. Parfois,

par-dessus nos têtes, un sifflement de vipère qui

finit

au loin par un éclatement

les obus,

:

ce n'est pas pour nous; ce sont les artilleries,

qui se chamaillent trois fois dans la journée,

matin, vers midi et

le soir; elles se

Leur

l'une l'autre, sans pouvoir se découvrir. tir

ne

fait!

signifie

que

cela

:

Ah! Ah!

«

Je suis toujours là! »

signification, je t'assure...

que que

tu

Il

le

cherchent

c'est

bien

n'a pas d'autre

Ah!

je sais bien

voudrais plutôt des histoires

je n'en sais pas. Inconnue

la

:

je te dis

fameuse

charge à la baïonnette, inconnue la blessure

inconnus

glorieuse,

les

dangers merveilleux

qui font ouvrir les yeux et former le cercle, plus tard, on les raconte. Voilà

lorsque,

position

je

:

cantonne dans un village;

il

ma y a

des tranchées par devant que nous occupons,

chacun à notre tour,

monde; quand

le

il

se

le

plus simplement

canon tonne au

loin,

on

du

se baisse

rapproche; en résumé, on attend


LOUIS GEANDREAU.

185

l'événement. Quel événement nous attendons?

que

gauche

l'aile

battu

ait

Allemands. Tant que

l'aile

droite

l'aile

des

gauche n'aura pas

battu, je n'aurai pas d'histoire à le raconter. »

/" novembre i9il.

Mon

paquet!

On

en train de passer une revue, quand on

était

me

«

Je n'ai pas osé l'ouvrir au

apporté.

l'a

milieu de la compagnie en carré. Je le tenais

mon bras, en me disant « N'aie pas peur, mon vieux tu ne t'en iras pas maintenant. » La revue finie, j'ai pris mon petit sac

sous » »

:

mystérieux; je suis monté sur la

pour se mettre à et là,

comme

teau et

un

j'ai

petit

ficeleur.

l'ogre, j'ai tiré

coupé

les ficelles.

quart d'heure.

Quand

j'ai

hostilités. Je

lettre

plus haut de

des coups de

l'abri

vu

l'ai

que vous vous

mon

l'artillerie,

grand cou-

Ça m'a demandé

Je

félicite

le

bon

la lettre qu'il contenait

dans sa première écorce, les

le

dans une petite cabane construite

colline,

j'ai

arrêté

aussitôt

lue avec religion, cette êtes

mis à quatre pour

écrire, afin qu'elle soit plus affectueuse. Mais,

comme

chez

moi

l'attendrissement

même

s'accompagne toujours d'images intérieures, j'ai

pensé tout de suite à l'histoire du Petit


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

186

Marmouset.

Celui-là

l'avait

pesé,

l'avait

porté

Petit

conçu,

celui-là

ficelé,

celui-là

l'avait

au bureau ambulant,

Marmouset

ne manquait

l'avait

celui-là

pour

le

a qui n'en voulait tant ». Il

rien. J'ai tout trouvé, tout adoré,

tout serré... »

Je suis

manqué village

entendre

allé

les

vêpres,

ayant

messe, ce matin^ dans l'église du

la

Toujours drôle.

voisin.

couchent dans

l'église,

la

Les soldats L'église

nuit.

est

pleine de paille d'une épaisseur de 40 centi-

mètres. Ça ne

rien

fait

le

:

bon Dieu

doit se

sentir chez lui, puisqu'il est né sur la paille.

Quelques femmes chantaient

y avait une de nos battequi envoyait, par moments, de ces coups

qu'à vingt mètres ries

faux... Il est vrai

dont on peut dire

pour s'en

faire

dérange un peu

il

qu'il faut les avoir

une les

idée.

Alors,

entendus

dame! Ça

cordes vocales des femmes

sensibles. » 5 novembre iQlA.

«

Nous

voici revenus

au temps de l'homme des cavernes. Mais

les

inscriptions que la postérité découvrira, dans

nos grottes modernes, différeront légèrement

de

celles

qu'on découvre à Brantôme et aux


LOUIS GEANDREAU. Eyzies.

Un

animal, en

bien connu.

effet,

187

a succédé au renne

Nos descendants en examineront

avec étonnement (car j'espère qu'à

les vestiges

époque cet animal aura complètement

cette

disparu)

c'est

:

le

Boche. Nos cavernes sont

remplies de portraits de cet animal redoutable.

Des inscriptions véhémentes

vindicatives

et

traduisent l'opinion de l'humanité »

Boches

!

On leur z'y cassera

i7 novembre 19 il.

Depuis quelques jours, je en tête

:

la g.

Mort aux

etc.

!

C'est

«

n'ai

«

:

. .

,

curieux!

que des cadences

des cadences flottantes, sans idée,

sans direction. C'est physique, rien de

mais »

etc. »

plus,

c'est drôle.

Allez donc

me

chercher

le

sergent de

semaine. »

On

»

Quatre

n'a pas entendu le canon, ce matin.

hommes

de corvée au commandant

qui gronde... »

Sans intérêt

:

grands poèmes!...

mais cela nous présage de J'ai

remarqué qu'à défaut

de grog, une strophe bien amenée réchauffe

un peu

les

hommes.

Hier,

comme on

pataugé pendant des heures dans

les

avait

boyaux

de communication et les chemins impossibles,


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

188

mis à

se sont

ils

vers de » ainsi

Flambeau

que des

quand

rire :

Nous

«

carottes,

je leur ai dit les

qui pour arracher

— Nos jambes à la boue

— Devions

»

énorme des chemins,

»

gner quelquefois à deux mains.

bien tout à

»

vus aussitôt

très fiers et

C'était

si

pas loin de

fait ça, qu'ils n'étaient

pour eux. Je

croire que ces vers avaient été faits les ai

empoi-

les

presque consolés.

Je veux essayer de ce système. Tous les jours,

au rapport, je leur

quelque chose. Je

lirai

apporter l'Aiglon. Je mets cela sur de l'ordinaire, avec la mention

S3 novembre une

lettre

i9i4^.

«

:

Tu

«

compte

le

Eau-de-vie

as

».

dû recevoir

en vers ou, pour être plus sincère,

une poésie qui ne jet,

fais

comme

le

fut point écrite de

sont les épistoles.

premier

La

vérité

m'oblige à dire qu'elle fut écrite cependant

dans des conditions assez honorables, dire

dans

la

tranchée

de

première ligne

atmosphère de poudre, sifflement des

grognement du se sentir » Ici

c'est-à-

balles,

75. Il suffit d'être à l'abri

courageux à ce

:

pour

point...

Je viens d'aller faire une petite promenade.

on a une certaine

journée

comme

tu les

latitude. Il faisait

aimes

:

une

or en poudre,


LOUIS GEANDREAU.

189

dominés

lointains estompés. Auloinles villages

par leurs églises courageuses, qui ont par-dessus

les

maisons tremblantes,

l'air,

d'offrir

leur poitrine aux obus; les bois qui ne sont

plus que du bois, car toutes les feuilles sont parties; le soleil sans conviction, qui a toutes les si

peines du

monde

à

donner de

lumière, et

la

peu, mais de chaleur point, a dû recevoir

shrapnell sur

la figure, et

un

veut bientôt qu'on

l'évacué, lui aussi... Je suis revenu dans

un

chemin rayé à chaque instant de vols d'oiseaux de toutes les variétés et de toutes les couleurs.

Ces petits lascars ne croient pas à

Ou

plutôt

ils

ont dû constater que

avaient la paix depuis que les

la guerre. les

oiseaux

hommes s'étaient

mis en guerre. C'est étonnant, en

effet,

nombre de compagnies de perdreaux

le

ya autour de nous. Ces compagnies-là ont moins souffert

que

les nôtres...

qu'il

Je n'ai rien découvert,

qu'un renard desséché, mort depuis plusieurs mois, à côté de son trou. n'était

qu'un dessin sur

6 décembre 19 le.

organisé,

Il était si

plat

que ce

le sol... »

a

Les soldats avaient

aujourd'hui dimanche, un concert

que j'avais encouragé. Très ingénieusement, 11.


AUJOURD RUI ET DEMAIN.

490 ils

avaient construit, à côté des cuisines, sous

un hangar de les

la

ferme, une scène avec des toi-

Un parc à lapins, abandonné, serd'estrade. Un bruit de fritures accompa-

de tente.

vait

gnait les romances sentimentales. Mais ce sont les

chœurs qui ont eu

gros succès.

le

Il

y a

ici

cinq à six Bordelais, une vingtaine de méridio-

naux lais

et

200 gars de

qui font tout marcher. Les septentrionaux

les regardent, les ils

Ce sont mes Borde-

l'Est.

bouches bées, admiratifs... Ah!

chœurs bien connus, quel sens nouveau empruntaient à

Pyrénées; Beau

la situation

ciel

de

Pau;

rives fugitives de l'Adour,

souvent chanter sur

la

si

me

Montagne

des

Dacquoise (ô

que j'entendais

routes

les

Marsan), tous ces chants croyais incapables de

:

si

de Mont-de-

entendus que je

les

procurer jamais une

émotion, dans cette pauvre grange pleine de soldats attentifs, à la lueur de quatre bougies

économisées parcimonieusement, ont retrouvé toute leur force d'émotion des premiers jours, et je voyais,

comme les Cadets aux sons du fifre,

s'étendre devant » soirs sur la

moi

Garonne

donnée tout à coup...

«

la verte

», et

»

ma

douceur des

petite vie

aban-


LOUIS GEANDREAU. Le poème dont c'était, le

il

parle,

191

le dernier,

en strophes légères, soignées

même thème

plus développé

et tendres,

« Il n'y a

:

point de guerre, je vous assure, rien qu'un peu

de bruit, et des promenades qu'on voudrait faire à

deux. »

Ne

de son cœur tout

fallait-il

le

pas garder au fond

tragique et

rude de

le

la

guerre, et la faire presque douce, invraisemblable, sinon tout à fait gaie,

de chansons, pour la jeune les lettres, et

pleure

du moins coupée

femme qui médite

même si elles sont joyeuses?

La guerre, mon amour, il faut bien te le dire, Ça n'est pas si terrible, en somme, que l'on croit.

Il

disait le réveil matinal, les rêves

eus, le café, le lever le courrier, la

et réfectoire soir, les

du

sécurité

qu'on a

soleil, l'avion qui passe,

du bon

terrier, « dortoir

qui nargue la sifflante

»,

puis le

songes qui reviennent. mon

cher amour, ce que c'est que la guerre. autrement, par la gorge a menti! La vérité, vois-tu, c'est qu'on n'y souffre guère Que de l'absence, mon petit. La guerre, c'est tout ça. Le reste est vain tintaille. Cependant, tout à l'heure, ils ont tous remarqué Que je ne t'avais pas parlé de la bataille C'est la place qui m'a manqué. Voilà,

Qui

t'en parle

:


aujourd'hui et demain.

192 11

est

mort à

l'assaut d'une tranchée,

le

13 janvier 1915, au nord de Soissons, devant ses

hommes

pas de cette là

qui l'aimaient bien. Je ne m'étonne fin

héroïque. Elle étonnera ceux-

seulement qui ne savent^pas

coup de force déjà pour Et,

«

dans

le civil »,

nant Louis Geandreau? ver,

qu'il faut

beau-

un simple ennui.

taire

qu'était-il, ce lieuteIl

aurait

sur sa carie de visite

:

«

pu

faire gra-

Employé des

P. T. T., service des ambulants, Bordeaux. »


AURAS

Noël 1915.

J'ai

On

vu Arras dans sa désolation. se bat

au nord, à

au sud. L'ennemi

l'est et

a des tranchées à quelque six cents mètres de la

gare,

cesse de

et,

depuis

bombarder

le

5 octobre 1914,

cette jolie ville.

Le

il

ne

croi-

riez-vous? Elle est encore jolie. Elle avait tant

de grâce qu'il lui en est resté.

On

retrouve,

jusque dans ses ruines, son air ancien, son

humeur de

ville accueillante,

riche, qui s'était

commerçante

et

mise à vivre delà vie moderne

en gardant ses bijoux d'autrefois, et ses relations d'histoire avec tout le

nord de l'Europe-


aujourd'hui et demain.

194 et

avec

lointaine Espagne. Elle

la

avait eu

cent clochers, disait-on, au temps de sa grandeur. Quelques-uns étaient encore debout.

que ces Allemands, qui

tiraient

Ah!

mal au début

de la guerre, sont devenus de bons viseurs de

Le matin

clochers, d'églises et d'ambulances!

même du

jour où

achevé d'abattre

le

Saint-Sacrement.

sommet, dont le beffroi!

que tout

avaient

du couvent du

clocher

du

cassure était toute fraîche. Et

Je suis allé à

communal,

des armes

ils

J'ai vu, à terre, les pierres

d'abord.

lui, tout

centre de la vieille ville,

était le

l'hôtel

la

Arras,

j'ai visité

et portait à

d' Arras

il

son

Il

dominait

faîte le lion

tenant la girouette. Pres-

est détruit.

J'ai suivi,

en automobile, une grande rue

déserte, tourné j'étais déjà

à

droite,

gauche,

puis à

et

devant cet îlot d'architectures trouées

par les pointes d'obus, fendues par

les éclate-

ments, achevées par l'incendie, qui se lève à

cinquante pas, et qu'enveloppe un bourrelet

de briques

et

de pierres éboulées. Quelques

arcades ont résisté, quelques encadrements de fenêtres ogivales, et,

un bout de

haut encore par-dessus,

frise: le

un pavillon

moignon

carré


ARRAS.

195

de la tour, qui n'est plus beau par sa forme,

mais qui ses

ce jour-là, par la couleur de

l'était,

murs mis

à nu, de ses arêtes effritées, de

toute sa masse rajeunie par la ruine nouvelle, et

qui tombait d'une seule coulée, d'un blanc

parmi

doré,

autour

débris

les

pensais, en m'approchant,

Je

d'elle.

sombres amoncelés

aux quatre cloches ensevelies sous ces décombres et fondues sans doute

:

la Joyeuse,

la

Cloche du Guet, la Cloche du Couvre-Feu, et la Cloche d'Effroi. Elles avaient sonné de mauvais jours, et elles se racontaient les malheurs

quand

passé, elles

le

vent soufflait entre

ne connaissaient pas

est d'être

une œuvre

servi par des

tour de

je

temps, et se

d'art à portée d'un

qui

canon

faire le les

pierres et de pierrailles, lorsque

submergés par

le

tordus d'une automobile.

mon

mais

commençais à enjamber

j'aperçus, à moitié les restes

:

la pire misère,

surhommes. Je voulais

l'îlot, et

monceaux de

elles

du

remblai,

En même

chauffeur s'approcha delà ferraille

pencha.

Que

faites-vous,

pas l'intention de

la

Gustave? Vous n'avez

réparer?

— Pas précisément. Mais

c'est

mon automo-


196

aujourd'hui et demain.

bile, celle

que je conduisais, pour mieux

voilà des

semaines. J'étais

un obus

arrive l'état.

Moi,

là,

à côté d'elle;

c'est lui qui l'a

:

dire,

mise dans

je n'ai rien eu.

— Alors? — Je vous

prends un boulon de souvenir. Et puis

ferez bien de ne pas séjourner; l'endroit

bon;

n'est pas

Quand

ils

ne préviennent pas.

l'hôtel de ville, celle

ou

Beffroi, loin,

je

que commandait

je fus sur la place

quand

la

qu'on appelle Place,

Petite

compris mieux

presque toutes

la

un peu

et

je pénétrai dans la

la place

du

plus

Grande Place,

grandeur du désastre

les claires façades

:

sont debout,

alignées et égales, autour des deux rectangles

des places; leurs pignons à volutes se décou-

pent sur

le ciel; elles

reposent sur

les

colonnes

de grès; les arcades vont de l'une à l'autre,

comme jadis.

Mais ce n'est plus qu'un décor

:

l'intérieur est brisé, les étages sont effondrés,

on voit

le

hommes

bleu à travers les fenêtres. Quelques

s'éloignent dans l'ombre des arcades.

Civils? militaires? je ne sais

gue. Je vais plus loin.

dans

les

:

la place est lon-

Nos canons de 75

tirent

campagnes voisines; un aéroplane

est


ARRAS. en

197

les ailes

presque transpa-

rentes, le corselet fulgurant

de lumière. Les

très haut,

l'air,

rues, l'une après l'autre, sont désertes, et les

portes barricadées. Sur l'une d'elles, une inscription

:

La

«

police veille! » Je découvre

boutique d'épicerie, j'entre

une

:

— Vous brave, madame! — On — Vous n'avez pas quitté? — Pas un jour. — Vous avez des postales? — A volonté. — n'en Quelques pas plus pas mes yeux, — une bourriche d'huîtres fraîches êtes

le dit.

cartes

loin,

est

je

crois

posée sur un guéridon, devant un magasin

de primeurs. C'est d'ailleurs toute la primeur

que

j'ai

entre

ces

vue

là.

files

Quelle étonnante solitude,

de murs encore debout!

deux enfants qui jouent aux drale,

énorme,

la

billes!

Ah!

La cathé-

nef ouverte, une moitié de

voûte tendue en parasol, se lève derrière eux. Je passe près du palais de Saint-Waast, l'ancien

musée, incendié

et

vide

:

le

gardien est en uni-

forme. Je traverse une ruelle, j'entre dans une place de médiocre étendue et de belle architec-


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

198 ture,

voici

un homnie.

bile.

C'est

prodigieux. Cependant

le silence est Il est

un ancien d'Arras. Que

m'approche

fait-il?

du pointu de sa bêche,

:

immo-

courbé, presque

l'herbe entre les pavés.

Un

il

gratte

homme

vieil

Je

qui

continue la lutte contre l'herbe, deux enfants qui jouent, une

femme

toute la vie que

j'ai

bardée... là,

Pardon

:

c'est

observée dans Arras bom-

j'ai

:

un tuyau de

qui est vaillante

noté aussi, par-ci, par-

poêle,

sortant du soupirail

d'une cave, et qui fumait.

Autour d'Arras, tandis que

je revenais,

dans

la nuit commençante, je regardais du côté où

est l'ennemi

:

grandes vagues de terre nue

les

s'embrumaient une à une,

les plus lointaines

d'abord; les villages à mi-côte, toujours protégés

du vent par un bouquet de

fondaient dans

le

futaie,

brun des jachères

;

se

nulle

part je ne voyais la ligne des tranchées alle-

mandes ou

la ligne

des nôtres, nulle part, dans

ces

vallonnements, une

un

cheval,

un

troupe

en

mouvement. Je

marche,

suivais

une

route de crête interdite au ravitaillement. Si je n'avais, par

moments, aperçu

la

fusée éclairante, entendu le départ

lueur d'une

ou

l'éclate-


ARRAS.

ment d'un j'avais

obus,

j'aurais

199

pu

devant moi, occupant tous

toutes les hauteurs,

immobiles

oublier les

que

creux et

deux armées en présence,

et cachées.


TERRITORIAUX

U Janvier 1916.

J'aime j'admire

l'âge

bien les jeunes le plus, ce

mais ceux

sont les vieux.

Ils

ils

que

ont passé

sang qui coule vite nous

le

l'aventure;

:

jette à

laissent derrière eux une femme,

des enfants, une maison, des soucis, des projets

:

tout ce qui nous retient

si

fort.

Rien

qu'en partant

comme

hésitation,

ont donné de leur courage une

ils

ils

l'ont fait,

preuve certaine. Et, depuis c'est-à-dire depuis le

qu'ils

sans une

combattent,

début de la guerre,

jamais rencontré de chef qui ne

me

fit

je n'ai

l'éloge

de ses territoriaux. Essentiellement,

ils

sont défenseurs des tran-


TERRITORIAUX.

La chasse à courre

chées, chasseurs à l'affût. est

pour

tiennent

ils

Ceux-ci attaquent. Ceux-là

les jeunes.

gardent. Mais le

201

comme

voisines du front,

si

comme

gardent bien,

ils

Sur

terrain conquis!

vous

les routes

les rencontrez,

aux

heures tardives où se prépare la relève, vous reconnaîtrez à deux signes,

les

marchent sans coquetterie

ils

nant un peu la semelle, et

même

de loin

:

militaire, en traî-

ils

portent tout ce

qu'on peut emporter avec soi;

sacs, les

les

couvertures, les bidons, les musettes gonflées, les cartouchières, le litre la

dont

poche bleue, bossuent

élargissent les hanches.

le

goulot sort de

penchés

les reins

Quand vous

et

serez près

d'eux et que vous pourrez voir leur visage,

beaucoup de ces hommes ne vous regarderont pas

:

emportent aussi leur songe.

ils

quelle rude semaine pluie et

sances

;

savent

vont passer; mais

boue des tranchées ne leur

fait

pas

peur; la patience est leur lot très ancien; acceptent

s'en vont,

on ne verra

ils

risque de mourir, sachant bien

le

qu'ils protègent tout leur ils

la

vent sont leurs vieilles connais-

le

la

ils

Ils

comme

la

monde en

arrière

:

et

à un grand labour, dont

moisson que bien des mois plus


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

202

En

tard.

vérité, ces chefs de ferme, ces vigne-

rons, ces bouviers, ces charretiers, ces petits closiers, plus les

nombreux que

tous autres parmi

combattants d'aujourd'hui, auront eu un

magnifique dans

rôle

faudra que l'histoire tice

aux

Grande Guerre.

la

le dise,

villages de France, et

aimer

décident à

à

et

11

qu'on rende jus-

que

favoriser

silencieux, qui auront tant fait

les lois se

ces

héros

pour sauver

le

pays. Ils

confondus avec

s'en vont, très vite

ou perdus dans

talus de la route

la

les

brume que

le soir épaissit. Arrivés dans les tranchées,

reprennent gourbi,

continuent

jours plus

créneaux

est

la

sape

et qui a

tôt,

des camarades, et

même

habitudes,

leurs

quand

venu,

se

retrouvent

commencée

ils

le

huit

progressé aux mains le

tour de guetter aux

rencognent

dans

le

trou de la muraille de glaise, où le dos

du guetteur

est

moulé. Pas de mouvements

inutiles; pas de presse; pas de bravades; pas

de ces pétarades, à coups de grenades

et

de

bombes, par quoi d'autres troupes plus jeunes manifestent tout de suite leur présence dans la tranchée,

et

qui,

naturellement,

provoquent


TERRITORIAUX.

On

riposte.

la

tient,

dans

régiment,

le

et,

on se

et

viennent, les Boches!

on a vu ce disait

y a de bons dans l'attaque du

pertes;

savent

ils

dans

7,

Un officier me le minimum de

faire.

excellent à se terrer;

fondent avec

y

tireurs

pointe du jour,

la

Avec eux, on a

«

:

qu'ils

Qu'ils

tait.

Il

de surprise du 15, à

l'essai

203

ils

con-

se

les mottes. »

Plusieurs secteurs

du front sont occupés par

cette solide infan-

terie,

qui est notre vieille garde. Sur l'Yser, à

l'automne de 1914,

quand

mandes, tenues en

réserve

même,

se

belge

l'armée

à

précipitaient et

armées

les

pour la

menaçaient

alle-

objet

cet

poursuite

de

côtes

du

les

Pas-de-Calais, une division territoriale a supporté

choc et brisé tous

le

les

des

assauts

meilleures troupes de l'empire.

Qu'on ne s'imagine point une vie inactive; les

travaux ne manquent pas;

est le

des

même

nuit

temps des relèves, des ravitaillements, de

reconnaissances,

réseaux de secteur

la

est

fil

de

le

Il

le

écrit

passé où

des

réparation

Cependant, quand

tranquille,

heures de liberté.

pour tout

fer.

la

il

territorial

beaucoup.

a Il

le

des écrit

ne composait point


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

204

de

lettres, si ce n'est

tout l'avenir, où

il

se

au premier de

porte-plume immobile, couché dans

pour

l'an;

promet bien de

laisser le la rainure

de la petite bouteille à encre, sur la tablette de

cheminée. L'un d'eux

la

mon

gare de

la

servira après

neaux?

disait

une boîte aux

paraît qu'on a fait placer

dans

me

village?

A

:

«

Il

lettres

quoi qu'elle

guerre? De nid aux moi-

la

»

Beaucoup de

ces lettres ne renferment

que

des jours sans événements, et les for-

le récit

mules d'usage, d'amitié ou d'amour, banales pour

et celles

mais précieuses pour ceux

public,

le

qui attendent

chaque mot,

le

soir,

des jeunes

femmes de

vent tous

les

La guerre a

et

qui commenteront

à la lampe. Je connais

campagne qui

la

reçoi-

jours une lettre de leur mari.

servi d'école d'adultes à plus d'un

mobilisé. Quelquefois, tout le

convenu dispa-

raît et c'est la race qui parle, et la foi cachée,

et toute

l'âme qui sans doute ne

révélée ainsi. J'ai cité une

nobles

lettres.

En

voici

jamais

ou deux de ces

très

une autre qui m'est

demeurée pendant une

communiquée.

Elle est

année dans

poche du soldat

la

s'est

territorial qui


TERRITORIAUX.

comme une

l'avait écrite

puis

l'homme a

mains de

la

205

sorte de testament;

venue aux

été tué, et elle est

veuve. Lisez-là et dites

si

vous

n'auriez pas voulu avoir pour voisin et pour

ami où si

celui qui a écrit ceci

jamais tu

faisant

mon

Ma

«

:

que je

les lis, c'est

chérie, le jour

cœur bien

j'écris ces lignes, j'ai le

gros,

et,

mort en

serai

demande, avant de

devoir. Je te

disparaître, de toujours bien élever nos enfants

dans l'honneur,

et à la

mémoire de moi, car je

beaucoup aimés,

les aurai

pensant à eux et à

et je serai

Dis leur que je suis

toi.

mort au champ d'honneur,

demande de la

se sacrifier de

et

que

même,

cœur. Conserve ce j'ai

certificat

et

leur

de leur

de bonne conduite

eu en partant du régiment,

tard, tu leur feras savoir

je

jour où

le

France aurait besoin de leurs bras

que

mort en

et,

plus

que leur père aurait

eu à cœur de vivre uniquement pour eux et

pour

toi

que

toujours tant aimée. Mainte-

j'ai

nant, je ne voudrais pas que tu passes le reste

de ta vie dans traire, si,

le culte

dans

ta

d'un mort. Tout au con-

vie,

tu rencontres

garçon travailleur

et

ment à élever nos

enfants, eh bien

un bon

capable de t'aider loyale!

unis ta vie 12


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

206

à la sienne, et ne lui parle jamais de moi, car, s'il

ombrage de

t'aime, ça lui porterait

l'ombre d'un mort planer autour de cbérie, c'est fini; je t'aime, et

jusque dans

l'éternité.

Ton Jean qui

le ciel.

sentir

lui...

Ma

pour toujours,

Adieu! Je t'attends dans t'adorait. »

Je souhaite que les jeunes romanciers qui

auront vu

la

guerre se persuadent qu'il y a de

beaux romans dans que tous

les

pourvu que

le

monde

le

plus simple,

cœurs sont capables de grandeur, l'idée

de sacrifice

leur ait

été

enseignée, et que c'est là le rachat de toutes les inégalités.

Ces jours derniers, quand faisaient rage, s'était

à

un

me

vent

et la pluie

racontait qu'il

approché de deux guetteurs, immobiles

leur poste, dans

ligne, et s'était

officier

le

la

tranchée

de première

mis à plaisanter avec eux.

Voyons, mes enfants, de quoi a-t-on

besoin?

— De moins de boue. — J'y comme vous. De quoi encore? — De de — Vous promets. On est vous suis

ceci, et

ça...

l'aurez, je

le

fatigué?

1


it

TERRITORIAUX.

207

— Un peu. — Découragé? une figure

le

regar-

pour nous dire des choses

comme

prirent

Ils

terrible,

dèrent, et lui dirent ensemble

— Si

c'est

ça que vous êtes venu, c'était

pas

la peine!

n'est pas chez

mon commandant,

vrai,

Découragés? Ah! non! ça

nous qu'on

L'officier ajouta

:

le sera!

:

Ce sont des gens admirables. On devrait

tous les décorer,

mes vieux!


REPONSES DU LEVANT

8 Janvier 1916.

S'il fallait

ajouter une preuve à toutes celles

qui nous viennent de l'histoire, pour établir l'étroite affinité entre les

çais,

on

la trouverait

avec laquelle

les

Syriens et les Fran-

dans l'incroyable aisance

Syriens parlent et écrivent

notre langue. Leur connaissance du français, ils la

doivent aux maîtres qui les ont élevés,

là-bas,

principalement aux religieux et

reli-

gieuses qui ont maintenu nos amitiés d'Orient; ils

l'ont perfectionnée

mais

le

tour

souvent par des voyages

heureux de leurs phrases,

:

le

choix des mots, l'ardeur qu'on y sent vivre,

dénotent quelque chose de plus,

et

qui ne


REPONSES DU LEVANT.

On

s'apprend guère.

étrangère que

langue

n'écrit si

209

plus

il

:

faut

Au mois même, un de

la

suffit pas,

une parenté

l'a faite.

l'application

non

d'esprit.

de mai dernier,

article

par

participe,

quelque don essentiel, au génie qui

Le voisinage ne

une

bien

très

l'on

publié,

j'ai

ici

je rappelais l'importance

question syrienne, l'ancienneté de nos

droits,

le

consentement joyeux de

presque

tous les habitants de la Syrie, et les limites

d'une province qui ne vaudra pour nous que si

nous avons l'enveloppe en

le

noyau.

J'ai

même

temps que

reçu bien des réponses, tantôt

de Paris ou de Lyon, tantôt d'Egypte, tantôt des

grecques où les Syriens s'étaient réfu-

îles

dans l'orage

giés. Je n'en ai rien dit parce que,

où nous sommes, selon que l'éclair

temps

est

les

yeux sont

brille

ici

vite détournés,

ou

revenu de parler de

mais

là;

la

le

France du

Levant. Je citerai seulement trois de ces lettres.

La

première demandait d'abord, pour dissiper

les

craintes de quelques Syriens élevés à l'étranger,

que

la Syrie,

l'avenir français,

dans ce qu'on peut fût

nommer

mieux choyée que 12.

cer-


AUJOURD HUI ET DEMAIN,

210

taines de nos colonies, ce qui ne saurait être

mis en doute, car

la

formule des protectorats

méditerranéens paraît être tout à Elle continuait ainsi

et souple.

est civilisée,

fait

heureuse

«

La Syrie

:

d'une civilisation française. Elle

est instruite. Elle s'est

formée dans l'étude de

votre histoire. Elle a suivi votre évolution, elle a vécu avec vous, elle s'est fondue en vous. Elle ignore tout de la Turquie. »

Dans saluant

seconde

la le

lettre,

un poète connu,

rêve de toute sa vie, le rêve d'une

Syrie française, entière et formant un Etat et

une âme, avec Adana, Alep, Alexandrette Palestine, disait

:

Quand

«

la

et la

France prendra

possession de la Syrie intégrale, qui a été de tout temps lui

rire

moralement sienne,

elle la

verra

de tous ses vergers, de toutes ses

sources claires, les bras chargés des présents

de son

sol,

l'âme pleine de gratitude et d'affec-

tion. »

La troisième

nommé amis

lettre

seulement

me gourmandait

les

d'avoir

Maronites parmi

nos

de Syrie, non pas qu'ils n'eussent pas

droit à ce titre,

mais parce que

les autres le

méritent, ceux qui sont d'autre race et d'autre


RÉPONSES DU LEVANT. habitation

«

:

Vous

écrivez, et

2H se chiffrent

ils

par millions les lecteurs qui vous lisent

:

population chrétienne, fort nombreuse,

spé-

cialement

et

l({

Maronites, se réjouiraient de notre

les

venue. Et pourquoi donc,

vous aux Alaronites

mon

Dieu, attribuez-

le privilège

de vous aimer,

donc de vous désirer d'une manière spéciale?

Nous

les

estimons, mais notre sentiment racial

se trouve

douloureusement

qu'entre

nos sympathies pour

les leurs

on

établit

chaque

froissé,

fois

France

la

et

une sorte de classement à

leur avantage... Si les Maronites, en vertu de

leur liberté d'action, due à l'autonomie de la

montagne qui liauteraent

les

leurs

abrite,

peuvent manifester

sentiments,

vous

voudrez

bien croire que les sentiments des autres élé-

ments chrétiens,

sujets

et

administrés otto-

mans, quoique plus discrètement manifestés,

nen

sont pas moins sincères...

Y

a-t-il

donc

des larmes plus sincères que celles qui coulent

en

silence, et des affections plus fortes et plus

tenaces que celles qui sont, hélas silencieuses?

!

forcément

»

Quelle jolie querelle d'amitié!

Comme

il

est

bon d'entendre ces voix! Elles mêlent leurs


aujourd'hui et demain.

212

notes vivantes à tous les raisonnements, considérations et souvenirs qui nous

avec plus de force qu'hier, de

aujourd'hui, définir

commandent

nos ambitions

et

de prendre nettement

position dans le Levant. Elles disent

choix est

fait,

:

«

Notre

depuis des siècles, et l'heure est

venue où nous appartiendrons à

la

nation de

notre âme. La guerre descend vers nous. » J'ai

entendu raconter qu'en 1876

Guillaume

le fils

de

1", Frédéric, alors prince impérial,

visitant la Syrie,

demanda un

soir l'hospitalité

à l'un des personnages les plus importants et les plus

dévoués à

la

cause française.

sèrent longtemps. Le prince disait

— Pourquoi donc aimez-vous Le Syrien répondait

— La

foi

la

Ils

cau-

:

France?

:

catholique qui est la mienne, l'école

ma

j'ai été

et

de voir, mes goûts, mes rêves, notre his-

toire

même

élevé,

:

elle

manière de comprendre

m'a tout donné.

— Même vos inimitiés? — Même mes préférences. Ils il

causèrent presque jusqu'au jour,

est dit

souvent dans les

c'étaient leurs

récits

comme

de l'Orient, car

deux races qui parlaient l'une à


RÉPONSES DU LEVANT. l'autre.

Au

son hôte, peine

le

portrait

matin,

le prince,

213

prenant congé do

remit une photographie. Mais à

lui

grand seigneur syrien eut touché que ses mains

se

le

mirent à trembler.

— Non, je ne puis pas accepter ce cadeau. — Et pourquoi? — Parce que prince photograle

phier dans

le

s'est fait

palais

pareil souvenir

dans

qu'un

de

Versailles,

ma

maison... Non, que

et

Votre Altesse royale m'excuse! C'est impossible!..

Frédéric lui toucha l'épaule

— Cela vous

I il,

fait

:

beaucoup d'honneur,

dit-

ne vous excusez pas.

La photographie

fut

s'en alla, plein d'estime

geant avec

retirée.

Et

le

prince

pour son hôte, son-

envie à ce pouvoir d'amour que

gardait dans le Levant la France lointaine.


LES RUSSES

11 Janvier 1916.

Nous savons alliés russes.

qu'ils ont ils

et

trop

peu de choses de nos

Les télégrammes nous apprennent

— en ce moment

avancé ou reculé,

avancent;

qu'ils

ont échappé aux tenailles

aux pinces-monseigneur qui devaient

se

refermer sur eux; qu'ils se battent magnifique-

ment,

et

que, derrière eux,

il

y a toute leur

nation, grands seigneurs, marchands, fonctionnaires, paysans, pêcheurs des fleuves sans fin,

cavaliers des plaines

du sud, Sibériens, gens

des tribus errantes, des villes et des forêts.

peut bien dire tout

que", derrière

eux,

un peuple de Français qui

les

il

On

y a aussi

aiment; qui


LES RUSSES. ou

s'inquiètent

215

réjouissent pour eux; qui

se

s'abordent parfois, les uns les autres, dans les villages, disant

amis de Russie!

quand

ils

:

»

« ;

Ils

et

tiennent

dont

le

coup, nos

regard, souvent,

le

boivent ensemble, se lève vers l'image

encore pendue aux murs, vous vous souvenez? la

poupe d'un vaisseau de guerre, une tente

pavoisée, le long fût des canons qui veillent l)ar-dessus, et le

président et l'empereur qui

portent les fameux toasts.

Mais ce n'est pas assez. Nous qui voyons nos enfants au combat, nous voudrions voir aussi

nos amis,

monde

souffrir

et

merci. Car

la

le sait,

avec eux,

cause est la

et

leur crier

même,

et tout le

dans cette famille de peuples

qui luttent pour de plus grands biens que sol,

que

Or,

ils

le

commerce

et

que

la

nous sont cachés par

alliés russes.

Ne

paix elle-même. la distance,

nos

pourrait-on pas nous donner

plus de nouvelles d'eux et plus de leur Si le

le

àme?

détour est assez long que doivent faire

les sacs

de

lettres et

de journaux,

ils

finissent

par arriver; que ne publie-t-on des récits vivants

des batailles qui se livrent en

Russie, aussi

bien que chez nous, pour l'Europe tout entière


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

216 et

pour chacun de nous? Je m'adresse aux

bureaux

d'où nous viennent, parfois,

officiels,

des tableaux sobres, émouvants et clairs, des actions engagées sur nos lignes. Je m'adresse

également aux

écrivains

stratégique

la

l'art

est

La

russes.

première de

liaison

toutes;

mais

d'entretenir les sympathies n'est pas de

peu d'importance.

En lu

attendant que ce

vœu

Lettres de soldats

les

soit accompli, j'ai

i^usses

publiées par

G. Montvert, à la librairie Payot. Elles sont

en trop

petit

taient pas

nombre; quelques-unes ne méri-

une traduction; du moins ce

cœur

plus le télégramme, et le

Ouvrons

le livre.

pruntées aux journaux

de la

de

fin

1913,

alliés

se

de

1914,

russes,

ou

du

c'est-à-dire d'une

de

la partie.

lettres,

sont

em-

datées

commencement période où

nos

battaient en territoire ennemi.

Les

correspondants sont des

ou

est

La plupart des

n'est

sous-officiers

officiers,

d'infanterie,

des

des soldats

cosaques.

L'un d'eux raconte les préparatifs d'un combat; tous les

voqués

:

hommes « Je me

de

la

batterie ont été con-

dirige vers les soldats, je

déploie une carte, et

me

mets à leur expliquer


LES RUSSES. la

217

mission qui nous est confiée. Je remarque

avec

que

joie

les

n'éprouvent pas

soldats

l'ombre d'une inquiétude, mais semblent seu-

lement

affairés et pénétrés

de leur importance...

De temps en temps, quelques-uns

rap-

se

prochent des pièces, et essuient quelque chose,

comme

s'ils

dernière

caressaient

fois.

»

Un

autre officier

mois de campagne, dans visionnements

:

«

Tout

dit,

s'est battu, lui, et qui,

« J'ai

cela

me

nuit. Et,

comme qu'un

le le

jour,

par la suite, a été tué, écrit: et des

les

que nous

les

tranchées

fortifions la

me

sens

combats. Je

n'ai

met

à fuir. »

Un

autre est

un château appartenant à un proche

parent de l'empereur Guillaume II

:

sûr que nous ne nous conduisons pas les

cou-

dès que nous appuyons, cette

saleté (l'ennemi) se

entré dans

et

moi dans :

de

autre, qui

matin, en avant!... Je

chez

plaisir

d'appro-

fait l'effet

Un

»

nous dormons dans

conquises

deux

de ses premiers

perdu l'habitude des oreillers

vertures;

des

les services

vacances dont je ne jouis pas.

la

qui révèle

et

disciplines

les

pour

fidèle

Note précieuse

une parenté entre armées.

un ami

lieutenants

allemands, au

«

contraire 13

Bien

comme :

en


AUJOURD HUI ET DEMAIN,

218

nous avons admiré, sans

visitant le château,

rien toucher. Mais

nous n'avons pu

résister à

la tentation de mettre du linge propre appar-

tenant à

un parent de Guillaume.

a

d'une marraine

reçu,

de

une

1914,

lettre

et

»

inconnue, à

un

petit

«

d'allumettes

J'envoie à

une pipe.

fin

cadeau,

un

tabac,

une

répond

Il

:

chère petite sœur en Jésus-

Anna Andreevna, mes

Christ,

pour

félicitations et

ma

et

soldat la

mouchoir de poche, deux quarts de boîte

Un

les

plus cordiales

prochaines fêtes de Noël

du Nouvel An... Bien que

je

ne sois pas

fumeur, j'aspire avec un plaisir indicible cette

fumée

comme un bon

qui,

réchauffe

humide,

mes membres engourdis par et je

pipe... Je

me

le

temps

chauffe les mains avec la

vous adresse une prière que je vous

prie de ne pas repousser

réponse, et écrivez-moi fille

verre de cognac,

si

:

favorisez-moi d'une

vous

une jeune

êtes

au cœur compatissant, ou bien une petite

dame? Je vous en

prie, écrivez-moi;

n'a pas

de prix,

pendant

la guerre.

vous avoir

faite

dirait-on pas

que

c'est

la

seule

une

lettre

distraction

Remerciez vos parents de

aussi c'est

miséricordieuse. »

Ne

quelqu'un de France?


LES RUSSES.

Un

219

chef, blessé, en traitement à l'hôpital de

Kiefî, essaie de définir l'Ame des soldats qu'il a

conduits au feu

:

«

Je pense à cette remarque

des correspondants de guerre, pour lesquels

le

un sphinx énigmatique.

soldat russe est resté

Celui qui a vécu côte à côte avec le soldat, qui. a

mangé, bu

et

dormi à

ses côtés, qui, tous les

jours, a entendu ses propos, ses réflexions et ses discussions, sait n'est pas

que

commun... Le

le

type du téméraire

trait le

plus fort, le

un

plus éclatant de sa psychologie, c'est

lisme robuste et bien équilibré...

fata-

Notre soldat

ignore réellement la peur, et bien certainement il

ne s'arrêtera jamais à réfléchir où

moins de danger

:

il

y a

flanc droit, flanc gauche,

sur la ligne de feu ou en arrière. Pour lui,

partout la

c'est

le

même

chose. Le danger est là

Seigneur l'aura voulu mettre... Et cet

esprit de fatalisme, qui s'élève des rangs grisailles

de tous ces paysans du Don, du Volga,

de Perm, forme peu

à

peu une unique

universelle atmosphère' de foi inébranlable.

leur

imprime un caractère de haute

de pondération et d'équilibre... sible de faire

Il

et Il

tranquillité, est

impos-

broncher ces hommes, ni de leur


aujourd'hui et demain.

220

perdre

faire

robuste

comme C'est là

et

convictions. Leur

leurs

forte

avant

tout...

foi

est

Leur âme

est

leur démarche, tranquille et ferme. »

une vue curieuse.

complète?

Est-elle

Est-elle assez haute, et la réalité n'est-elle pas

au-dessus? Je n'ai pas

ne connaissant pas début d'une

le

le droit

de

me

prononcer,

peuple russe. Mais voici

le

lettre

écrite

par

le

fils

expéditionnaire

dans un bureau,

sergent-fourrier dans

d'un

comme

domestique, jeune soldat qui a servi et

qui est

un des régiments

les plus

réputés de l'armée russe

:

«

Mon

cher Senia,

tu m'écris qu'il te semble impossible, n'étant

pas

militaire, de supporter ces peines et cette

terreur. Je souligne pas militaire, parce militaire, qui a

ne se

devant

carte, sans hésiter très

noble

:

lui

par rien,

laisse arrêter :

qu'un

un but déterminé, et

met tout sur

la

vie et jeunesse. Ce but est

défendre père et mère, frères et

sœurs, l'empereur

et la patrie. N'est-ce

pas un

but élevé, pour lequel personne ne regretterait ni sa vie, ni sa jeunesse?...

La guerre exige des

victimes, et toutes ces victimes se résignent à la

volonté du Créateur. Est-il possible que

cœur d'un

guerrier

russe

reste

le

impassible


LES RUSSES. devant

la

Senia, son

mort d'un brave camarade? Non,

cœur

sera remué, mais

un

bataille n'est pas

la lointaine Russie, à

dont

Les beaux livre. Il

où un

récits

nos mères

os. »

ne manquent pas dans

comme

en est d'extraordinaires,

cavalier, cinq fois décoré, raconte et 3 officiers

dans

taillé

les

marais

et

drons de cavalerie

qu'il

émouvant,

et

com-

en pièces 3 esca-

le dessin.

nourriture.

Il

même

Mais

d'une grandeur

il

si

en

y en a

simple,

donner à tous,

faut le reproduire, et le

comme une

celui

ont surpris

Je ne puis les citer tous, ni

si

le

compagnies d'infan-

et 2

indiquer la couleur ou un,

dans

nos sœurs,

et à

ment 50 volontaires

terie.

champ de

c'est affaire là-bas,

larmes arroseront nos

les

le

où pleurer ses proches

lieu

du sentiment;

ni faire

221

a été copié dans le

carnet de route d'un officier

Tard dans

«

:

la

nuit,

nous arrivons à une station importante,

voie a été détruite par les Allemands qui

la

viennent de se dans

le

Nous passons

wagon. Vêtu de

fait froid.

Une

retirer.

Le

ciel est

nuit

capote, je sors.

sombre

torche, agitée par

comme un

ma

la

et

un vent

Il

sans étoiles.

violent, brille

serpent rouge près de

la station.


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

222

Près

de

torche,

la

des

sont

noires

tigures

rassemblées. Je m'approche. C'est un groupe

de soldats qui examinent une chemise de fine toile,

portant des

de sang.

taches

C'est la

chemise du prince Oleg. Lors d'une reconnaissance à cheval, l'a

ramené

arrière, V'^oici

On

à

il

a été gravement blessé.

On

expédié

en

station,

la

pansé,

presque mourant, avec un docteur.

une boîte d'allumettes gorgées de sang.

dit qu'il

coupent servent

ne passera pas

chemise en morceaux,

la

comme

souvenirs. «

petits frères, cela

de mourir

la nuit.

:

il

ne

fait

pas

Dans

Les soldats qu'ils

con-

cette guerre,

même

de la peine

y coule du sang royal! » dit une

voix plaintive. Je

prends dans

une

la boite

des allumettes couvertes de sang et je la cache

dans

mon

Non,

celte guerre n'est pas

naire.

De

portefeuille...

la

Je la conserverai.

une guerre

Russie divisée,

elle

a

ordi-

fait

une

Russie unie, et dans laquelle un seul sang circule. »

En

lisant ces Lettres de soldats russes, je

souvenais d'un jugement d'ensemble que

me le

comte de Maistre, longtemps ambassadeur à Saint-Pétersbourg,

a

porté

sur

le

peuple


LES RUSSES.

223

demeurés dans

russe. Les termes n'étaient pas

ma

mémoire, mais je

me

rappelais que ces

phrases, pleines de sens et d'éclat, répondaient à

une foule de et

qu'on a dites depuis

sottises

lors,

qui devaient être déjà répandues au com-

mencement du XIX" siècle. J'ai feuilleté plusieurs de ces qu'un

homme Elle est,

j'ai

qu'un étranger «

retrouvé

je pense,

ma

le

parlé des

Russes avec amour. Presque tous ont

brave,

plus

plus complet,

le

Peu de voyageurs écrivains ont

teurs.

le

La

rendu au peuple russe.

ait

côtés faibles, pour

second

citation.

l'hommage

concis et

autorisé, le plus

dans

écrits. Et,

ait

volume du Pape, voici.

sont parmi les plus grands

livres, qui

amuser

la

malice des lec-

est

éminemment

spirituel,

hospitalier,

Cependant, ce peuple bienveillant,

saisi les

entreprenant, heureux imitateur, parleur élégant, et possesseur d'une langue magnifique,

sans mélange d'aucun patois, dernières classes. »

même

dans

les


LE

CUISTOT

«

»

20 Janvier 1916.

Il

a été un personnage.

gloire,

et

Il

a eu sa période de

dans

de vraie gloire,

partie de la guerre et jusque

dans

la

première

le

commen-

cement de 1915, C'était l'heure

tots » d'escouade.

il

On

y avait encore des

« cuis-

pouvait sourire de lui, à

cause de ses manies, de ses propos et de son

harnachement, mais non pas assure

sur «

:

s'il

prélevait quelques bons

l'ordinaire,

pinard

»

goûtait

de la troupe,

sa part de danger.

chaude ou

et

Pour

il

je

rire,

vous

morceaux

fréquemment

avait aussi plus

le

que

leur apporter la soupe

tiède, le soir, et

pour

faire,

avant

le


LE

«

CUISTOT

225

».

jour, la seconde distribution, celle

hommes de

savaient que

la nuit, et

le cuistot

du

café, les

ne dormait pas

que, pour arriver jusqu'à eux,

il

de mauvais couloirs, où passe la

traversait

mort.

Supposez

plaines

les

du nord; un

ciel bas,

sous lequel glissent des poches d'eau informes,

poussées par à

le

vent de marée; des champs

demi abandonnés; des

vaguement

éclairés,

dans

chemins défoncés la nuit,

de deux canaux bien

droits,

en

mer

silence jusqu'à

la

par la lueur

vont

qui s'en

Avant

lointaine.

mer il y a bien des villages. Dans un détachement se prépare à partir

d'arriver à la l'un d'eux,

pour

les tranchées, qui

vient

sont

là,

vers

l'est,

d'où

grondement du canon. Les hommes

le

sortent de toutes les maisons, les granges, les ruines, car les

dix

toits

la

chaussée.

Un

achevé. taires.

ment

ruelle.

I

masse

brune

au

milieu

et

voit

de

Le rassemblement

est

presque

après

les

retarda-

le

détache-

caporal crie

Le dernier, au moment où

se

On

semaine précédente.

la

une

grouiller

obus ont crevé dix façades

met en marche, apparaît au coin d'une Il

boucle son ceinturon, difficilement, 13.


aujourd'hui et demain.

226

sur sa bedaine. C'est un

homme

bas sur pattes,

qui tangue en s'avançant et grogne dans sa

barbe d'avoir à se hâter. C'est aussi, de tous les soldats présents, le plus

chargé,

le

prévoyant,

plus chaudement vêtu,

plus

le

plus lar-

le

gement chaussé,

le

de ses poches.

a mis sur sa capote une chape

Il

plus épaissi par le contenu

en peau de mouton; turon

une

il

a pendu à son cein-

de fer-blanc;

cafetière

il

porte,

autour du cou, un cache-nez vert dénoué qui

pend comme une

étole;

il

couvrant ses

a,

mains, des moufles de bûcheron,

et,

dépassant

sa tête et lui faisant panache,

un

de tous côtés bâillant,

bossue, sonnant,

que surmontent

trois

botte de persil et

ficelé,

paquets de carottes, une

un paquet de poireaux dont

les feuilles brisées, agitées

sur son épaule Il

les

gauche de

autres cuistots.

la plus

Mais,

la section arrivera

d'un coq mort.

la

section, avec

vers huit

au village

heures,

détruit,

importante construction n'a que trente

centimètres de hauteur,

quelque cave où n'y

en mesure, traînent

comme la queue

se place à la

quand

sac démesuré,

il

a pas de cave,

il

s'arrêtera et gagnera

peut faire la cuisine. il

connaît un

abri,

S'il

une


LE

meule de la

paille avariée,

flamme du foyer

un

227

».

talus, qui

et le plus

cachera

gros des étincel-

Là, ce brave, pendant une semaine, fera

les.

l'homme de peine il

CUISTOT

«

et

devra cuisiner, préparer

rata et le reste

Non seulement

de veille.

soupe,

le café, la

le

pour l'escouade, mais s'appro-

visionner, à trois kilomètres en arrière, dans

un chemin tion

», et

défilé,

le

il

il

«

touche

la distribu-

porter en première ligne, à deux kilo-

mètres en avant, cela

doit

le faire

crépuscule

produits de son

les

entre

le

du matin.

montré sans cesse en

art.

Tout

crépucule du soir et

Un

alerte

poète entre

l'aurait les

deux

grands angélus. Et quels chemins! La boue, pluie, les trous

où Ton culbute avec

les

mites, ne sont que les moindres misères.

grande s'appelle

la

mort. Elle est

là,

la

marLa

toujours

passant dans l'ombre, quand on approche des tranchées. Car,

en ce temps déjà lointain,

il

n'existait

que des boyaux de communication peu nombreux

et

de petite longueur.

Il

fallait aller

à

découvert, souvent, pour rejoindre les camarades.

Beaucoup de

ainsi, les

k.

mains

cuistots qui s'en allaient

pleines, attendus par les

com-


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

228

battants, ne sont point arrivés.

champ, une

coin d'un

balle folle les a fait tomber. Sainte

Zita la Sicilienne,

a

Au

patronne de

la

corporation,

dû en recevoir plus d'un en paradis.

mon rité

pauvre vieux,

a parlé pour

Le

toi, et les

petite demoiselle. Il

noms

gamelle est finie,

la

un

nommait

sonnent déjà dans

ses victuailles de

la

légende nouvelle.

un matin,

de l'ennemi. C'était un

les lignes voisines

dimanche.

causait avec des amis, assis sur

Il

banquette de terre, n'ayant pour paysage

qu'une paroi à pic de glaise portée

de

la

main

oubliant l'heure.

reconnaissant cette

jovial

;

Un

cette

et

de cailloux, à

malgré

cela,

soldat prêtre passa,

de

face

barbe rousse que

mèches

vieil

enfant,

le rire séparait

et et,

et

en dix

:

— La bonne rencontre répondras bien

la

y aura de

!

Je parie que tu

me

messe?

— C'est pas de refus il

de

colorés, en usage dans la grande armée,

et qui

la

cha-

langage

J'en ai connu un, qui s'était attardé,

dans

ta

cieux sont ouverts. »

pas

n'avait

cuistot

« Viens,

;

mais

il

y a longtemps

l'erreur.

— Viens tout de même, je

te soufflerai.

:


LK

CUISTOT

«

dans

Ils allèrent

déjà deux bougies,

Au

d'obus.

cagna

la «

229

».

où brûlaient

»

dans

fichées

commencement,

des fusées

le

cuisinier

retrouva seul quelques réponses en latin,

il

en

répéta d'autres, qui lui furent conseillées. Mais,

après l'évangile, quand fioles

remplaçant

l'autre d'eau, offrir

il

d'abord à

dut prendre

il

deux

les

l'une de vin,

les burettes,

se troubla,

ne sachant laquelle

l'officiant,

et

cher dans sa mémoire,

il

il

eut beau cher-

n'y trouva point de

souvenir. Alors, se penchant, et le plus poli-

ment du monde,

il

demanda

Dis donc, vieux,

pinard qu'on

te

Le cuistot

:

c'est-il

la flotte

ou

le

passe le premier?

était

un

homme

plein

de

res-

sources et de sollicitude. Pour son escouade,

aux heures douteuses où

mencent à

les

combattants com-

sortir des terriers et des ruines,

il

arrachait, dans les jardins abandonnés, ce qui restait des

terre

oignons, des carottes, des

semés par d'autres gens

dîners. Il apprenait,

il

Il

faisait

quelques

pommes de

pour d'autres

devinait les ressources

que renfermaient encore dés.

et

les villages

bombar-

fouilles, çà et là, qui

n'avaient point pour motif une curiosité d'ar-


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

230

chéologue. Mais à quoi bon laisser derrière les fagots les vins que des rôdeurs peuvent s'appro-

prier?

Ne

mieux

vaut- il pas

braves qui défendent

aux

le distribuer

tranchée? N'est-ce pas

la

dans l'intention, secrète

des pro-

et certaine,

paysans, vignerons, que la guerre

priétaires,

avait obligés à partir?

Un

au plus dur des attaques

jour,

alle-

mandes, l'un des meilleurs cuistots d'un régi-

ment

blessés, trois

entendant

d'infanterie,

qui ne cessait

point,

lamentait en lui-même.

se

semaines,

déblayer la

il

cave

essayé

avait

du

parvenait

point

à

Ils disent, les

continue,

ils

en vain de

un

tel

de poutres, qu'il glisser,

a

camarades, que,

Quel si

ça

ne pourront pas tenir! Mais,

si

moi, je sais bien qu'ils tien-

je réussissais,

les

et

s'y

malheur!

draient! » Et

Depuis

maire. C'était

amoncellement de pierres ne

canonnade

la

voyant passer des

et

il

travaillait,

arrachant un à un

moellons du caveau. Tout à coup, un obus

tombe en plein dans

la ruine.

Le

fouilleur,

abattu par l'explosion, se tâte, puis regarde la

besogne

est

faite

et la

cachette ouverte

:

;

avec un peu d'audace et de chance, en se glis-


LE sant

ici,

puis

CUISTOT

«

en étendant

là,

».

231

les bras,

en grat-

tant la poussière... Il se redresse bientôt;

trouvé deux bouteilles intactes. quatre,

en prend dix. C'est

il

le

a des étiquettes sur le verre. «

Faut que

ne tenaient pas!

Il

a

en prend

bon coin;

Bon sang!

j'y

il

aille!

il

y

s'ils

»

Un

panier sur l'épaule, ses larges poches remplies,

sonnant de tout orchestre,

il

corps

le

comme un homme-

prend sa course vers

Les obus éclatent et ne

le

la

tranchée.

touchent pas.

Il

arrive. « Tenez, les vieux, voilà de quoi tenir!

Qui veut du bordeaux? Qui veut du bourgo-

gne? Qui préfère de

la vieille fine? C'est

M.

le

maire qui vous l'envoie, avec ordre de n'en pas laisser au?t Boches

Ainsi

fut

Aujourd'hui,

Les

blindés

chaque

»

fut

du coup.

arrêtée

plus.

!

Et l'attaque allemande

fait.

cuistot d'escouade n'existe

le

cuisines

comme

»,

les

«

trains

à proximité des lignes. Chaque

soir,

compagnie

roulantes,

disent les soldats, arrivent,

a

sa

cuisine.

Un homme,

par

escouade, va chercher la soupe et la rapporte. Et,

au

petit

mettent à

matin,

l'abri.

les

voitures reculent et se

Lequel des deux systèmes est


232 le

aujourd'hui et demain. meilleur? Le second sans doute. Mais

grands historiens qui parleront de

la

les

grande

guerre devront un souvenir au cuistot des

premiers temps, qui fut un bon serviteur

souvent un hĂŠros.

et


LE PETIT SACRIFICE

6 Février 1916.

Il

y a des hommes qui vivent de leurs

rentes,

il

y en a qui vivent d'un métier,

il

y en

a, dit-on,

qui vivent du bruit qu'ils font et du

dommage

qu'ils causent.

Il

faut revenir sur la définition et la nuisance

de cette espèce.

Nous avons, en

un certain nombre dejournalistes

ce et

moment,

de députés

qui ne font que diviser, s'opposer aux ordres et plus

exactement

à

l'ordre,

empêcher

les

réformes vraies, demander celles qu'on ne peut faire aboutir

en peu de temps, combattre les

hommes d'initiative, pousser en avant ceux qui mouvement que celui qu'on leur

n'ont d'autre


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

234

dépenses vaines ou vexatoires,

donne, voter

les

mesurer

nécessaires,

les

s'ils

et,

parlent ou

écrivent pour le public, semblent ne connaître ni le temps, ni le lieu, et n'avoir

aucun soupçon

que nous sommes en guerre,

que

joue sa

ils

leur

demande

répondent,

s'ils

et s'ils sont journalistes

leur

la

France y

vie.

Quand on dre,

et

le

motif de ce désor-

sont députés: contrôle; :

lumière. Les mots ne

manquent pas autant que

la sagesse

des

noms pour

œuvre. Maîtres de

la définition,

ont toujours

comme un

langue

parlent de

pour des

liberté

ils

jouant avec

la

enfant avec les étrennes

données par un grand-père, grandes raisons

;

déguiser leur

quand

trouvent de

ils

actions ils

vilaines,

suppriment un

quand

il

Quelles carrières cependant, et quel passé

le

droit, et

faut dire

prononcent :

«

«

corrompre

émanciper

»

».

plus souvent! Demi-jeunes, demi-vieux, vieux tout à

fait,

s'ils

jugeaient ce qu'ils appellent

improprement leurs

«

campagnes

de tribune ou de, couloirs, derrière

ils

»

de presse,

n'apercevraient

eux qu'une enfilade de démolitions,

toutes françaises. Mais

ils

n'examinent point


LE PETIT SACRIFICE. leurs responsabilités

:

ils

235

n'ont égard qu'à leur

pouvoir; leur cœur n'a point de remords;

combinent, profit, et le

convoitent,

ils

mot de

jusqu'à signifier

ils

cherchent

victoire est abaissé par

le

ils

eux

succès d'une intrigue,

scandale d'un article et

la

le

le

ruine d'un principe.

Ne comprennent-ils donc pas

qu'ils

sont

du dehors; que leurs extravagances sont

épiés

guettées par l'ennemi, qui se sert habilement,

contre la France, des paroles et des actes de ces

Français désordonnés?

Ne

savent-ils pas

et celle

que

cette politique, la leur

de leurs devanciers, a tourné contre

nous ou mis en défiance un certain nombre de neutres, cieuse,

dont et

qui

prendre pour

une

poignée

sympathie nous serait pré-

la

la

ne sont

que trop disposés à

France, muette et combattante,

d'intrigants,

de se

incapables

ranger au devoir nécessaire?

Ne

voient-ils pas l'exemple, qu'il faut hélas!

citer,

de l'Allemagne gouvernée? Depuis des

mois, les Allemands, sur notre front, n'ont eu

que des échecs.

Ils

en ont eu de

Marne, l'Yser, Ypres,

pagne

et d'autres

terribles, la

les batailles

de

de moindre étendue

:

Chamcepen-


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

236

dant, les accusations contre les généraux ouïes ministres, les critiques acerbes contre l'organi-

n'ont

sation des services essentiels,

formulées à

dans

les

la

pas été

tribune du Reichstagou publiées

journaux. Quelqu'un veille à ce que

les forces de

nos ennemis ne soient pas divisées.

N'ont-ils pas le sentiment

employé, que

le

que

temps gaspillé

le

temps mal

et

perdu

est

irremplaçable? Nous n'avons pas des années

pour décider de l'avenir de de tous

et

qui

France, du sort

de chacun, du bonheur ou du malheur

de ce peuple engagé dans ait été

peut-être.

la

la plus

grande guerre

nous avons des mois, des jours

:

Chaque minute

est précieuse infini-

bien de commissions, de ques-

ment.

Il s'agit

tions,

d'interpellations et de ces bavardages!

Ceux qui administrent, comme ceux qui battent, n'ont

que

le

temps

d'agir.

Toutes

se les

querelles de méthodes, et les ambitions, et les

rancunes,

et ce

et ce qui fait

qui retarde, et ce qui trouble,

douter des

voilà les fautes qui

que

et

des choses,

la destinée n'attend pas. Elle est là, toute

proche, et celui qui faire

hommes

sont sans remède, parce

fait

perdre une bataille.

perdre une heure peut


LK PETIT SACRIFICE.

237

N'entendent-ils pas monter la réprobation

publique?

A ceux-là auxquels

défaut,

sentiment de la peur n'est jamais

le

étranger.

faut

11

donc

conscience

la

fait

sachent qu'ils

qu'ils

courent un danger. Quoi, direz-vous? Eux

si

habiles à les fuir?

— Un grave danger. — aux tranchées? — Vous connaissez peu. Iraient-ils les

— Serait-ce un danger électoral?

Quelque chose de plus

:

un mouvement

national de dégoût.

Rien n'est plus certain. Je ne sais par qui ces

agitateurs

sont

s'imaginent que

la

renseignés.

France

vivent dans l'illusion. libre,

nous entendons

plein de colère, et le les

est

Nous le

Mais

s'ils

complice,

qui vivons h

vent passer.

ils

l'air

Il

est

mécontentement déborde

personnages, de petite ou de grande

taille,

qui l'ont provoqué.

Je n'irai pas jusqu'au bout de

Nous ne sommes pas

ma

une heure

à

pensée. où.

nous

puissions profiter des fautes de ceux-là

mêmes

du mal. Nous ne nous

réjouis-

qui nous ont

fait

sons pas de leurs erreurs

I

:

nous voudrions

les


aujourd'hui et demain.

238

effacer. Ils sont Français.

une

même

tempête,

si

Nous sommes dans

terrible que,

du

capitaine

au dernier mousse, tout manquement à cipline,

tout cordage qui

et

la dis-

craque, et tout

hublot qui n'est pas fermé, intéresse la sécurité l'équipage

de

fermer tous

quand même, Je

ne

qu'avertir,

que

entier.

les

et la

veux

si

mer

l'on

pouvait

seule n'entrerait plus

pas récriminer,

comme

c'est le

Ah!

hublots! La lumière entrerait

d'autres

devoir de tout

je

ne veux

l'ont fait,

homme

!

parce

qui voit

clair.

La France adroit à

l'union. Elle la veut.

Il la

lui faut.

A

où tant de Français

meurent pour

l'heure

la patrie,

bien se taire pour

elle!

quelques-uns peuvent


It

LE SIEGE D'OUM-ES-SOUIGH

13 Février 1916.

La guerre européenne monde,

et

du

retient l'attention

nous-mêmes, Français, nous savons

peu de chose des

faits

au Maroc, au sud de

d'armes de nos troupes

ou dans

la Tunisie,

immense Cameroun d'où

elles

ont,

cet

avec

coopération des Anglais, chassé l'Allemand. est vrai

que

les papiers officiels,

cela regrettable,

— dorment dans

la Il

et je crois

les cartons,

attendant quelque historien, vieil officier, qui les lira

vers 1925 ou 1930; que personne no les

résume à notre usage; que

les

agences d'infor-

mation ont peu de correspondants parmi dunes sahariennes, dans

les

champs de mil

les

et


240

AUJOURD HUI ET DEMAIN.

les forêts

de jujubiers où vivent des guerriers

nus, maigres et anthropophages, et enfin que les lettres

ne sont pas nombreuses que nous

écrivent les coloniaux, les chasseurs, les

tirail-

leurs, et, à plus forte raison, les spahis et

gou-

miers engagés dans ces grandes aventures. J'ai lettre

cependant reçu, du Sud tunisien, une qui raconte

d'Oum-es-Sôuigh,

le siège

qui eut lieu en octobre dernier,

bien faire en racontant à

mon

et je

tour ces combats

où des Français, appartenant pour ce qu'on appelle les

«

crois

la

plupart à

groupes spéciaux

», lut-

tèrent désespérément contre des rebelles tripolitains six

ou huit

fois plus

nombreux,

refu-

sèrent de se rendre, et permirent aux troupes

de secours d'arriver

ne

et

de rétablir l'ordre, qui

fut plus troublé.

Qui

l'avait troublé?

Les Allemands, vous

le

devinez.

Pour comprendre toute

l'affaire,

il

faut se

rappeler qu'à partir de Gabès, la région devient désertique et se trouve jalonnée par des postes militaires plus

ou moins importants

une ligne qui s'enfonce dans

le

sud

:

et

formant

Medenine,

Tataouine, Fatnassia, Dehibat. Cette ligne se


LE SIÈGE d'OUM-ES-SOUIGH. rapproche de plus en plus de

241

la frontière tripo-

litaine.

Or, à l'automne de 1914, les Italiens,

nos

voisins, ayant décidé, en prévision des événe-

ments dont nous sommes aujourd'hui témoins, d'évacuer une partie de leurs postes tripolitains, des colonnes italiennes franchirent la frontière, et

en

rentrèrent

par

Italie

les pistes

et

les

routes tunisiennes, en raison de la facilité plus

grande des communications. Les guerriers tripolitains, excités par deux de leurs cheiks réfugiés en Turquie et depuis

longtemps acquis à l'Allemagne, crurent l'heure favorable pour reprendre la moitié de la Tripolitaine

et,

d'Europe,

qui

sait,

à

la

faveur de la guerre

soulever nos tribus de Tunisie et

s'emparer de nos oasis, de nos puits fortins. Ils s'arrêtèrent

se rappelant les

leur

avaient

fidèles. Elles

de nos

d'abord à la frontière,

rudes leçons que -nos soldats

données.

ne

et

les

Nos

tribus

restaient

croyaient pas lorsqu'ils se

prétendaient les envoyés et les amis du grand

maître de la confrérie

Achmed. Et Seules,

elles

des Senoussistes,

avaient,

en

cela,

Si

raison.

deux tribus tunisiennes, campées aux 14


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

242

Ouderna

et

par les

désavouées

environs de Tataouine, autres, les

les

Krachaoua, se

lais-

sèrent entraîner, et passèrent la frontière pour

mêler aux pillards

se

Elles

tripolitains.

le

regrettent aujourd'hui. Il

se passa

même

politains,

ces

deux

français.

quelque temps avant que

les Tri-

renforcés par les guerriers de

tribus, osassent pénétrer

On commença

en territoire

de les voir,

ici

ou

là,

en septembre 1915. Vers cette époque, plusieurs

détachements en reconnaissance sont

attaqués autour de Tataouine et de Dehibat.

Nos

officiers

état

de défense,

des

tranchées,

achèvent de mettre et,

camps en

les

notamment, font creuser

comme

en

Argonne ou

en

Champagne. Le 2 octobre, un de

ces camps, situé sur la

ligne d'étapes de Tataouine à Dehibat et plus

près de ce dernier poste, le

camp d'Oum-es-

Souigh, est attaqué par un parti de pillards tripolitains.

L'ennemi

Avant

l'aube,

il

a été enveloppé.

sur les dunes

se tient à distance,

semées de buissons qui dominent

les

quatre

bastions du bordj, les abris pour les provisions et le puits

du milieu. De

là,

il

tire,

avec des


LE SIÈGE d'OUM-ES-SOUIGH. fusils (le

les

243

guerre de fabrication européenne, sur

hommes

qui venaient de s'éveiller et qui

pour commencer

sortaient des tentes

les cor-

vées du matin.

Les nôtres ne sont pas nombreux, moins de

deux cents hommes d'un

«

groupe spécial

» et

quelques goumiers méharistes. Presque tout de suite couru,

le

me

feu devient très vif. « dit

nous avions mulets

mon faits.

Nous avons

soldat, vers les abris

Mais

tombaient.

chevaux

les

Vers

six

que

et les

heures,

nous

lûchons quatre pigeons voyageurs, pour demander du secours. La journée se passe sans que

nous pensions

même

à boire et à

manger

:

on

n'a pas le temps. »

Les Français se battent et

très

courageusement

repoussent plusieurs charges de cavalerie,

lancées avec l'impétuosité coutumière, tous les

burnous «

flottants et les fusils à

dominant

la

poussière

»,

bout de bras,

contre les tranchées

en avant du bordj. Les goumiers donnent des signes de faiblesse, au contraire, et parlent de se rendre,

car les crêtes,

Souigh sont

couvertes

autour d'Oum-es-

de petites hachures

blanches, grises, brunes, qui sont des Arabes.


aujourd'hui et demain.

244

La chaleur a est glacée.

Le

été torride tout le jour, la nuit

On ne

3 octobre, le

peut s'approcher du puits.

combat continue sans

inter-

ruption. LIne colonne de secours, envoyée de

Dehibat, apparaît un

devant

moment

sur les dunes,

nombre des ennemis qui

le

et,

essaient de

l'envelopper, juge impossible de pénétrer dans le

camp. Pas plus que

ne peuvent se

la veille,

La

ravitailler.

encore plus que la faim. boire leur urine,

comme

Ils

les assiégés

soif les

torture

en sont réduits à

les soldats

de Sidi-

Brahim.

Le

4, la fusillade cesse tout à

coup.

Un

par-

lementaire, vêtu d'une capote de chasseur et agitant

un mouchoir,

matinée,

un prisonnier de

— s'avance vers

camp.

le

« Il est

la

por-

teur d'une lettre écrite en français, dans laquelle le

chef

demande

à notre capitaine de se rendre.

Malheureusement, derrière quelques

Tripolitains

se

le

parlementaire,

sont glissés,

puis

d'auties qui arrivent au galop, et sur lesquels

nous n'osons pas est là, qui pitié!

tirer,

parce que

le

capitaine

cause avec les premiers. Ah! quelle

Voilà

avaient salué

que le

l'un

des

capitaine de

Tripolitains

qui

Bermond de Yaulx


»

LE SIEGE D OUM-ES-SOUIGH.

245

a déchargé un coup de revolver en pleine

lui

poitrine.

Le capitaine

est

tombé.

nous l'avons emporté dans dit

est

:

Vive Dieu! Vive

«

la

J'étais

tranchée;

la

France!

là; il

puis

»,

a il

mort. La confusion était extraordinaire et

les balles se croisaient

Dans

en tous sens.

désordre qui suivit

le

»

l'attentat,

les

du bas-

Tripolitains avaient réussi à s'emparer

tion nord. Les Français tenaient les trois autres bastions; mais l'ennemi, à présent, avait

un

pied dans leur propre camp, et pouvait voir et abattre tout

homme

qui se hasardait hors des

tranchées. Cependant, la nuit, quelques soldats,

au

de leur

péril

vie, réussirent à aller

puits, et rapportèrent

que l'on

ou ;

lit

d'eau.

Le partage

de cette eau précieuse donna deux

trois cuillerées à

Le

un peu

jusqu'au

chaque combattant.

5, le 6, le 7, le 8 octobre, cette lutte ter-

rible continua.

Dans

tâchaient de s'abriter, plus,

et

les

autres

les bastions,

quand

ils

les soldats

n'en pouvaient

répondaient

au feu

de

l'ennemi. Autour d'eux, les cadavres pourrissaient. l'espoir

On

regardait les dunes lointaines, dans

de découvrir un sauveur. Le

entendait, dans l'air pur

du

désert,

soir,

on

monter

les

14.


aujourd'hui et demain.

246

chants des Arabes qui célébraient leurs morts.

Ni

lieutenant Paolini, qui avait pris le

le

commandement, cédèrent.

plus de

1

ni

aucun des

Cependant

«

spéciaux

avaient contre

ils

500 guerriers bien armés,

et la soif, et le soleil

du

»

ne

eux

et la faim,

désert, et l'air glacé

des nuits, et l'extrême misère.

comme

la

chaleur était déjà grande

et tremblait sur les

dunes, dans la matinée du

Enfin,

9 octobre, on aperçut les Français à l'horizon. C'étaient les chasseurs et

les

tirailleurs

du

bataillon d'Afrique

du commandant

algériens

Morand, avant-garde d'une

colonne de

forte

secours, venant de Tataouine. Ils avaient avec

eux du canon. Les assiégeants leur

La

bataille eut tout de suite

mètres.

firent face.

un front de 4

Une compagnie commença de

en avant, pour enfoncer

le centre.

Tripolitains ne l'arrêta pas.

Du

kilo-

se porter

Le feu des

bordj, on la

voyait progresser, toujours, toujours. Puis les

deux

ailes se

mirent en mouvement. Et, cédant

tout à coup, fuyant à toute allure de leurs che-

vaux ou de leurs jambes, poursuivis par décharges de

l'artillerie, les

lèrent dans les sables.

les

Arabes s'éparpil-


LE SIÈGE d'OUM-ES-SOUIGH.

Avant midi,

le

commandant de

la

247

colonne

s'avançait, suivi de ses troupes, vers les héros qu'il venait

blessés, se nillés,

drapeaux

qu'ils

se

le

parapet des

avaient orné de tous leurs

tricolores.

mains qui

les

tenaient debout, exténués, dégue-

brûlant de fièvre, sur

tranchées,

même

de délivrer. Ceux-ci,

Et quand

tendaient,

ils

virent des

des camarades qui

portaient les armes, d'autres qui sautaient de joie, ils

ne sachant comment

entonnèrent

dire, tous

la Marseillaise.

ensemble,


ENNEMIS PUBLICS

20 Février 1916.

On

peut être bête,

et cela se voit

souvent

:

y a des gens qui abusent du droit de l'être. Et, par exemple, ceux qui, dans nos campagnes, il

prêtent l'oreille à ces propos qu'on a désignés

de ce

nom juste

de l'ennemi. Je

Mais

il

silence.

le faut.

:

la

rumeur infâme.

Elle vient

rougis d'avoir à la répéter.

On ne

se défend point par le

Vous vous souvenez

:

«

Ce sont

les

riches, ce sont les prêtres qui sont cause de la

guerre;

pour les

ils

ont envoyé de l'argent à Guillaume

qu'il la déclarât! »

marchés

et les

Dans

champs de

les cabarets, sur

foire,

des gens

douteux tâchent de trouver des sots qui

les


ENNEMIS PUBLICS.

249

écoutent, des lâches qui ne leur répondent pas.

Et

ils

en trouvent quelques-uns, puisque, de

divers côtés, des plaintes nous parviennent, et

que des fonctionnaires, préfets ou sous-préfets, que

cette initiative

honore, ont invité

les

bons

citoyens à « faire la police » et à empoigner «

«

ces louches

Boches de

semeurs de guerre

civile », ces

l'intérieur ». C'est ce qu'a

répondu

M. Mirman, préfet de Meurthe-et-Moselle. Le préfet de la Savoie l'a imité, et aussi le préfet

du Loir-et-Cher; avant eux, au début de

la

guerre, le sous-préfet de Chateaubriant avait

donné

ce conseil énergique.

relever vertement

et

ceux

faut le suivre,

Il

qu'on entendrait

ainsi parler, et les désigner à la justice militaire

ou à

la justice civile. Faites-le

menacez pas seulement

sans tarder.

Vous rendrez

agissez.

:

un plus grand service au pays que faisiez

si

vous

prendre un incendiaire ou un empoi-

Car de

sonneur.

tels

criminels

autant qu'il est en eux, à la vie France. Et en quel

Quant aux de sornettes, l'esprit,

I

Ne

si

autres, le

s'attaquent,

même

de

la

moment! aux

mieux

faibles,

aux écouteurs

serait de leur

cela pouvait se

donner de

donner de

l'un à


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

250

cigarette.

Du

moins donnez-leur quelque honte de leur

fai-

comme une

l'autre, et s'allumer

blesse; éveillez leur

bon sens ou

parfois leur

souvenir endormi lourdement. Le hasard peut s'y

Un

prêter.

magistrat,

un

de mes vieux amis, qui fut

lettré

que François Coppée tenait

homme

en affection, un

de tout bien, maire

d'un village éloigné de Paris, M. d'O..., voya-

en décembre 1915, dans un comparti-

geait,

ment de chemin de n'était pas

pour

fer

bondé de

lui déplaire. Il a

Ce

soldats.

quatre

fils.

L'aîné, père de six enfants, chef de bataillon d'infanterie,

l'ordre

deux

du jour,

prêtre,

se bat

d'infanterie,

jeune,

prêtre

grièvement

pour

comme

le

quel bel honneur, que ces deux

l'âme populaire!

cité

à

en Artois. Le second,

décoré lui aussi, est reparti plus

décoré,

Le troisième, chef de

infirmier.

est

bataillon

fois blessé,

blessé,

le front.

Le

second,

fils

donnés à

— appartenant comme

lui

au

clergé de Paris, aumônier militaire, a été, pour sa bravoure et pour sa charité, décoré de la

Légion d'honneur

du

jour.

tion de

Vous

mon

et trois fois cité

à

l'ordre

comprenez l'émotion, l'indigna-

ami, quand un soldat, en face de


ENNEMIS PUBLICS. lui, se

mit à dire

qui l'ont faite!

La guerre,

«

:

251

curés

c'est les

On devrait les y envoyer...

Les camarades n'approuvaient pas,

», etc.

se tai-

ils

saient. D'un mot, d'un geste, d'un grognement,

n'auraient

ils

sortait ils

pu

faire taire ce petit gredin,

du dépôt, tandis qu'eux,

s'étaient battus.

Non,

Le courage civique

ils

soldat

le

«

:

gardaient

M.

Alors, n'y tenant plus,

là-bas. Il a je souhaite

un

j'ai

l'autre.

d'O... interrompit

Vous ne savez pas

tranchées. Moi,

le silence.

que

fils

vous

ce dont

vous n'avez pas vécu de

parlez;

anciens,

les

est plus rare

qui

la vie

des

qui est aumônier

donné des preuves de bravoure que que vous

Un

imitiez.

jour, notam-

ment, sous un feu terrible des Allemands, à l'appel d'un blessé, et

est

il

chercher )s

Revenu,

khe?

seul,

allé,

il

tous les

»

)hie.

«

ijoutait

Et

il

hommes

tira

Coup de

mon

ami.

s'écria aussitôt

en

rapporté,

l'a

I\egardez-le

rait!

de

la tranchée,

terrain

découvert,

est sorti

qui appelait,

celui

bras,

il

:

!

il

et,

l'a

dans

pris

quand

il

est

l'entouraient. Est-il

Tenez

:

voici

son

por-

de sa poche une photograthéâtre et coup de

Un

soleil,

des soldats qui écoutaient

« Est-ce possible!

Je

le

recon-


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

252

» nais! C'est lui, et le blessé qu'il a »

moi! Ferme

du voyage, parlèrent

sauvé, c'est

Et tout

le reste

ce furent les honnêtes gens qui

».

n'est

Il

ta g.,., le bleu! »

pas nécessaire d'être aidé par les

circonstances ou de faire de grandes recherches.

Pour

calomnie,

réfuter la

chacun n'a qu'à

regarder et à se souvenir. Les preuves abondent. Je feuillette un

l'Officiel;

je

lis

colonnes des citations à l'ordre du jour

les il

numéro de

y a de

tout,

dans ces

listes

:

d'honneur, de

quoi faire une société complète; des généraux, des caporaux

et

des soldats, des soldats de

carrière et des civils devenus soldats, des riches,

des

pauvres,

des

commerçants, des rales;

travailleurs

hommes

manuels,

des

de profession libé-

mais que de noms déjà

inscrits

dans

l'armoriai de France, que de bourgeois, que d'intellectuels, de prêtres, de religieux!

Vous

qui parlez mal d'eux, la Croix de guerre qu'ils portent, ça se ramasse sous la mitraille, allez-y

voir! Et faites-en autant!

Je reçois un billet de part, qui m'annonce

mort de les plus

la

la

vénérable aïeule d'une des familles

honorables de

la

bourgeoisie parisienne,


ENNEMIS PUBLICS.

madame Edmond

compte

A... Je

canonniers,

aspirants,

253 les officiers,

médecins,

fantassins,

chirurgiens, ingénieurs mobilisés;

ils

sont 21.

Je compte les croix de guerre, j'en trouve

Et je ne

connais pas

5.

nombre des morts

le

et

des blessés.

Le

même

Elle

jour, une lettre m'arrive du Midi.

d'une

est

comment son

grand'mère

petit-fils, le

qui

me

raconte

sous-lieutenant Ber-

nard de Boisbrunet, des chasseurs alpins, deux fois blessé,

revenu au front,

tranchées, lui 4 le

qui

chef,

si

et

dans

les

jeune, à dix-neuf ans, lui dont

s'y

connaissait

l'ardente bravoure et disait

devoir,

fut tué

joliment.

»

:

bien,

admirait

« Il a fait tout

C'était

son

cependant un

gentilhomme authentique, 6 vous qui ne savez pas que la noblesse se gagnait presque toujours

^ouloureusement,

et toujours

^Bainte cause de France.

^Breux

qui

au service de

descendait d'un

Il

fut créé comte sur le

"T^ataille d'Hastings, en 1066.

Il

champ de

était

du sang

de saint Charles de Blois, duc de Bretagne. était le dernier

D'après faites,

le

la

Il

du nom.

les statistiques les

nombre des

plus sérieusement

prêtres

mobilisés est 15


aujourd'hui et demain.

254

d'environ 25 000. les

uns dans

les

Ils

sont où la

a voulus,

loi les

troupes combattantes, à

titre

de combattants, ce qui est contraire au carac-

dans

tère sacerdotal, les autres sanitaires.

Parmi ceux qui ont

les régiments, et qui sont à

de 13 000, on comptait nière,

1

semble, et à la

même

été versés

dans

peu près au nombre

à la fin

165 morts pour

les formations-

la

de l'année der-

France. Dans l'en-

époque,

1

161 avaient été

décorés de la Légion d'honneur, de la Médaille militaire

ou de

la

Croix de guerre. L'Ecole des

Beaux-Arts a perdu 119 élèves; l'Ecole nor-

male supérieure, 87. Toutes nos grandes écoles, enseignement d'Etat, enseignement été

décimées pour

la

naturelle, la A^olonté de

haussé de se

le

cœur de

table,

donner l'exemple, ont

le Bulletin

facultés catholiques de

ma

ont

cette jeunesse jusqu'à la joie

Dans

sacrifier.

libre,

Une bravoure

patrie.

Lille,

de guerre des

que

depuis quelques jours,

j'ai là, j'ai

sur

comptr

79 victimes. Paris n'est pas plus épargné,

ni

Angers, ni Lyon, ni Toulouse. Le chanoine Fonssagrives,

l'aumônier

si

connu du Cercle

catholique du Luxembourg, rencontré hier, disait

que parmi

les étudiants inscrits à la

me

Con-


ENNEMIS PUBLICS. Ozanam,

férence

qui devaient rentrer en

et

novembre 1914, plus de que

et

le

bureau

mandez à

est

la moitié

composé de

sont morts, blessés.

De-

l'état-major de l'Association de la

catholique,

jeunesse

255

combien

des siens ne

reviendront jamais prendre part à ces conseils,

dans lesquels une seule nouvelle, est agitée

de nos amis

France vers

romment les

et le

:

question,

comment

de nos frères du peuple de

premier bien qui est

l'aider,

comment

le

Des 14 membres dont

la vérité,

défendre contre

profanateurs de sa noblesse

tion?

toujours

élever l'esprit

se

"et

de sa voca-

composait

Comité régional de Paris, 9 sont morts,

le

et

dessés gravement,

Cependant,

ces jeunes

hommes tombés au

kvice du pays, tous ceux-là îs,

vous

les

et

combien d'au-

calomniez, ô malheureux qui ne

Ivezpas ce que vous avez perdu!

P'ai

là,

sous

)ndaines.

la

main, un recueil d'adresses

Cette année, le Tout Paris a fait

"^"imprimer en caractères noirs les

noms de ceux

qui sont morts pour la France. Ouvrez

volume,

et

regardez combien

il

y en

donc

a,

le

de ces

inscriptions funèbres, et de ces morts auxquels


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

236

on

gardé leur place

a

Il

faut être

parmi

vivants

les

!

sans esprit et sans cœur pour

propager, pour accepter seulement une calomnie qui tend à diviser et à salir la France. J'ai dit

qu'on ne devait pas hésiter à poursuivre

coupables. Déjà

plusieurs ont été

condamnés

par les tribunaux. Tel, hier encore, laire

du

livres,

Centre.

ils

On

sont nombreux,

le

Popu-

propager

doit aussi

les

— qui

les

montrent

quel beau rôle ont eu et continuent d'avoir les catholiques, et particulièrement le clergé, pen-

dant

la

Une

guerre.

autre propagande utile serait la propa-

gande par l'image. Les estampes, phies, les

les

photogra-

albums ne manquent pas non

plus.

J'ai déjà signalé les recueils publiés par le Co-

Mgr

Baudrillart.

Je veux recommander aujourd'hui

la très jolie

mité d'écrivains que préside

chromolithographie éditée par Sornin, Cassette

,

d'après

un

M. Fournier-Sarlovèze, une

même

feuille,

les

triptyque

7,

peint

rue

par

et qui représente, sur

brancardiers pendant

l'incendie de la basilique de Reims, la messe

au front, village

les

obsèques d'un soldat dans un

bombardé.


ENNEMIS PUBLICS. Ce

257

n'est pas tout ce qu'il faut faire.

La paix

publique ne doit pas être défendue seulement par les particuliers

avant tout, sous la

elle est

;

sauvegarde du président de

la

République et

des ministres. Qu'ils donnent des ordres préfets

multiplieront

avertissements.

les protestations et

La loyauté

même

Je dirai

pas M. Painlevé?

et

engagée.

est ici

— pourquoi ne

ferait

serait-ce

une belle chose,

et

en recommandant aux instituteurs

utile,

aux

les

qu'un ministre intelligent de

l'instruction publique,

bien

les

:

institutrices de

prémunir

l'esprit

des

enfants contre une tentative de désunion dont

nos ennemis se réjouiraient, libre. Il n'est

petits

dront quel

dans

si

elle

demeurait

pas nécessaire de faire entrer ces

le secret

trop tôt,

des tristesses qu'ils appren-

mais quelle leçon d'histoire,

enseignement de fraternité pourront-ils

jamais recevoir qui vaille celui-ci Mes enfants, :

la

France est en

péril,

est

aimée,

défendue par tous ses enfants?

elle est

mais rassurez-vous,

elle


L'UNE D'ELLES

22 Février 1916.

La guerre, en mettant tout France, les jeunes les maris, les

hommes,

femmes,

les

le

les

peuple de

jeunes

filles,

mères, en présence

des plus grands devoirs et des plus grandes douleurs, a

fait

apparaître tant de vertus et

ressources de toutes sortes, que les

tant de

nations en demeurent surprises.

Pour ne

rien

dire qui puisse blesser, car cette pensée est loin ne moi, je dirai qu'elles

sur ce ler

l'Officiel. Et,

que :

les

les

lantes,

nous jugeaient

tout à coup, elles ont aperçu

grandes crises peuvent seules révé-

âmes elles-mêmes des

milliers

et

agissantes et par-

des

milliers

d'êtres

J


i

UNE

L

D ELLES.

259

humains, anonymes, inconnus, que personne ne représente

ne cache plus dans

et

la tour-

mente, mais qui composent eux-mêmes toire

chaque jour, avec leur sang, avec

de

avec leur dévouement, avec

leurs larmes,

mots

l'his-

les

qu'ils n'ont pas préparés.

plus beaux documents de

L'un des histoire, je lettres.

dit plusieurs fois,

sont innombrables,

Elles

honorent écrites

l'ai

France,

la

pour

être

et

publiées.

ce sont les celles

qui

point

été

n'ont

qui

cette

Nous en sommes

venus à ce point de négliger, par nécessité,

la

plus grande partie de cette richesse, et de ne

Élus

citer,

àrents,

soit

que

les

de nos soldats, soit de leurs choses toutes belles, où notre

k-ance est évidente et parfaite.

C'est

pourquoi je veux

lecteurs de

YEcho de Paris,

vement, une

lettre

et

commenter

briè-

la

jeune veuve

s'était établi

dans un gros

écrite

d'un quincaillier, qui

aux

faire connaître

par

village de l'Ouest, et qui a été tué,

il

y a quel-

ques mois, à son poste de combat. Elle adressée à une de

mes proches

copie, sans changer

une

parentes. Je la

syllabe,

lement quelques phrases, car

est

coupant seu-

elle est

un peu


aujourd'hui et demain.

260

longue. La

femme

par les Sœurs;

qui

épousé, de bonne heure,

elle a

un honnête homme, sait

élevait

elle

;

a été instruite

l'a écrite

intelligent et qui réussis-,

deux enfants

sortait

elle

;

d'une vieille race rurale et chrétienne, habituée à méditer la vie et la mort tout

dans l'épreuve,

cela,

:

à cause de

et,

elle

s'est

trouvée

supérieure,... et elle ne le sait pas. J'espère ne

pas

«

le lui

apprendre.

Chère Madame, tardé

tant lettre.

à

pardonnez-moi d'avoir

répondre

votre

à

Combien cependant

reux, avons trouvé

bons amis,

et

bon

affectueuse

tous,

malheu-

si

d'avoir de réels et

que ces sympathies

si

vraies,

si

venant de cœurs ayant souffert beaucoup, ont

pour toujours cependant

cicatrisé notre plaie,

vive et profonde. »

Oh!

oui,

Madame, nous sommes

chère

éprouvés, mais croyez-nous non désolés mais résignés, plus que jamais, à la volonté

Dieu. Je vois

ma

tâche

si

matin, ayant la joie de recevoir m'est

si

nécessaire, je dis au

Mère des Douleurs

:

du Bon

lourde que, chaque le

Pain qui

Bon Dieu

et à la

Donnez-moi du courage

i


L

pour et

UNE D ELLES.

heures, que

S4-

261

votre volonté soit

faite y

à demain autant! »

nous

Il

un ouvrier formé par

reste

bien-aimc Jean.

Un ami

mon

intime de

mon mari,

réformé jusqu'ici pour une jambe trop courte, se

charge de l'apprentissage de

mon

cher petit

Jean. Donc, nouvelle séparation, et combien

pénible pour

Jeanne,

Mais

nous!

Dieu veut,

si

son intérêt.

c'est

apprendra

aussi

un

métier. »

Pour moi, Madame,

peines

et

devoirs.

ma

vie est, désormais,

Puissé-je,

vos prières

Dieu aidant, arriver à ne pas y

Madame,

je n'avais jamais

faillir.

et

Hélas!

pleuré, jusqu'ici.

Sa mort me

fait

Etait-il prêt?

De bonnes amies m'ont

peur. Elle a été

prompte!

si

offert des

images, je vous en envoie une. »

Remarquez d'abord

ces sentiments d'affec-

tion et de confiance, quelquefois trompeurs, je le

veux bien, mais personnes

entre C'est

que

depuis

le

de

cœur

longtemps

ici

;

tout à fait sincères,

conditions

est pareil.

on

l'autre; l'une qui revenait

s'est

On

différentes.

se connaît

vu vivre

l'une

de l'école, l'autre qui 15.


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

262

rentrait dans sa maison,

mignonne, habitude

aux portes du

détournait pour dire

et qui se

tes parents

fait

vont bien?

comme une

»

village,

Bonjour,

«

:

La longue

parenté; avant qu'elle

fût mariée, la petite savait

que

les

âmes materune

nelles rassemblent toujours autour d'elles

Dans

famille agrandie.

me

on y revient

les

mauvais jours, com-

vite! Affections bienfaisantes,

affections nécessaires à la paix publique et

bonheur de chacun! Et cependant,

hommes qui travaillent sans cesse à Un seul mot m'a étonné, parce pas de «

Mon

la

même lignée

bien-aimé Jean

que ».

la

au

y a des

les briser.

qu'il n'est

de

le reste

Ni

il

la lettre

:

mère probable-

ment, ni la grand'mère sûrement n'auraient dit cela. Elles auraient dit

mari,

mon époux

».

:

«

Mon

ami,

mon

Je ne sais quelle extrême

pudeur défendait ce peuple bien né contre

même

superlatifs

Mais voyez ce la

les

tout légitimes. joli

femme du monde,

souci et

de

ne pas

faire

de ne pas dépenser

vainement l'argent gagné à deux, pour Jean

De bonnes amies m'ont offert des images...» Je l'ai dans mes mains, cette image.

et

Jeanne

:

«

Elle ressemble à

beaucoup d'autres

;

elle porte,


L

UNE

D ELLI5S.

263

au verso, imprimées, des pensées pieuses,

et,

parmi, une belle phrase patriotique de Maurice Barrés.

Mais

la

preuve d'une finesse, d'un

s'excuse, elle fait tact

jeune femme qui l'envoie

que personne n'enseigne, en toute condition

venir,

la race, et

du

|.

sens qui

i

un

non pour fait

instant

sans

et fer,

humaine, que de

que à

liberté

l'enfant, cette

soi,

la

mais pour

professions

Admirez surtout êtes

ici

même avenir

sans

et

reste,

le

avec un sûr amour, pour Jean et

et

la qualité

en présence

est contenu. L'esprit a déjà

«

d'un

d'une

fait

et

il

la

fausse consolation;

la

tout

domine

Je n'avais jamais pleuré jusqu'ici... et devoirs

peines

de

oîi

mesuré sa peine;

donc déjà soumise,

désormais

pour

du christiasnisme.

douleur seulement, des mots brefs,

est

mais

pour Jean celui du père.

haute signification. Pas de sensiblerie,

elle lui est

bon

lui, ce

bureaux, chemins de

vraie,

Jeanne un métier,

Vous

manière de

mère ne songe pas

ces

octroi, dactylographie

choisit,

peut

travail secret d'un esprit sage.

Voyez ce souci de l'aimer,

ne

qui

».

ma

:

vie

Aucune

vue droite; connaissance

du secours nécessaire

:

le

Pain qu'elle reçoit


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

264

chaque matin. Aucune les

soutenues. Cette

femme d'un bourg de France que

rience,

de perpétuels

faits

preuves d'une

de

fois

cette

Humble

vérité

que

toutes dite

j'ai

Elle les

plus

consciences fortes que

et,

chaque jour,

la réparaient.

sentiment, qui lui inspire cette prière

admirable

:

«

Du

demain autant!

bien

preuve,

à

observées étaient celles qui connaissaient

leur faiblesse,

Il

par expé-

recommencements.

les seules

:

sait,

grands courages sont

comme une

s'ajoute,

j'aie

plus

les

non plus sur

illusion

même

forces humaines,

lire

et à

»

est possible

me

courage pour 24 heures,

ne

que tous ceux qui voudront

me comprennent

pas dans la

conclusion que je vais dire, et soient portés à

que j'exagère un peu. Je

croire

dant,

parce que j'en

que de

telles

ai

âmes sont

l'entière

dirai cepen-

conviction,

l'une des plus puis-

santes raisons d'espérer que la France, après la

guerre, sortira de cette époque de dissen-

sions intérieures qui a bien trop duré. Elles

sont partout répandues. Le

nombre

s'est sin-

gulièrement accru, dans ces dernières années, des

hommes

et

des femmes qui n'ont pas seule-


UNE D ELLES.

L

ment des

265

aspirations morales, mais qui vivent

leur foi entièrement.

Il

s'augmentera de beau-

coup d'hommes qui, dans

le

danger du com-

bat ou la solitude de la tranchée, auront aperçu toute la vérité religeuse et toute la vérité française.

Un jour

viendra certainement où ce pays

verra se lever

saluera quelques

et

hommes

d'Etat véritables, capables de calculer les forces,

de

les classer selon leur

pouvoir de mort

ou de résurrection, d'égoïsme féroce ou de charité, d'étroitesse Ils

ou

comprendront que

ruiné

bien

d'œuvres

des

utiles

d'intelligence ouverte. si la

âmes

persécution, qui a

faibles

et

beaucoup

au peuple, a néanmoins abouti

à la création d'une élite invincible, elle doit cesser.

Condamnée par

elle l'est aussi

ennemis de

Dans

la floraison

de vertus que les

l'Eglise n'ont pas semées,

mais qui

selon des lois très anciennes, de la

naissent,

douleur

par

les ruines qu'elle a faites,

et

de l'humble patience.

cette lettre

d'une

femme

de

la

cam-

pagne, j'aperçois une puissance idéale qu'il ne faut

jamais avoir contre

soi.


LES CLAIRVOYANTS

27 Février 1916.

Plusieurs l'esprit

de

moins,

les

gement d'agir.

la

fois,

j'ai

masse

dit

serait changé,

ou que, du

éléments nécessaires pour ce chan-

apparaîtraient Il

qu'après la guerre

et

commenceraient

y faut revenir, à cause de l'impor-

tance de la proposition, et des conséquences

innombrables

qui

Combien, parmi

s'y

trouvent

hommes

les

enfermées.

qui ont réfléchi

pendant

la terrible

réfléchir

après qu'elle aura passé, ou simple-

ment

épreuve, continueront de

resteront fidèles

aperçues

pour

la

aux

vérités de tout ordre

première fois? Combien

oublieront et seront repris

par

la

faiblesse


LES CLAIRVOYANTS.

267

comme s'ils n'avaient aucun moment de leur vie, compris jamais, autre chose que l'immédiat intérêt? On peut différer d'avis et il n'importe guère. Un fait ancienne, imprévoyants ci

capital s'est

un événement sans précédent

est là,

dans

produit

hommes

de

l'existence

tous les

jeunes ou encore jeunes qui sont nés

sur le sol de France ils

ont eu

le

Ils

ont

eu,

temps de penser. A quoi?

A

tout.

auprès d'eux, des exemples de bons,

toutes sortes,

mauvais.

depuis dix-huit mois,

:

Ils

admirables, médiocres,

ont connu

des

n'avaient pas fréquentés, dont

ont senti

peut-être. Ils

le

hommes ils

poids

qu'ils

se défiaient

des

fautes

commises par ceux qui devaient préparer

la

nation, et qui se sont bornés à nier les guerres futures. la

La grande maîtresse des méditations,

souffrance, ne les a pas quittés. Bien des

jugements secrets ont

été

prononcés;

soyez

sûrs qu'il y en aura de définitifs.

comment

la

dans leurs convictions,

les

Je veux montrer aujourd'hui guerre a

fortifié,

hommes que truits

le

déjà, et

spectacle de la paix avait ins-

comment

elle a

mûri, et avec

quelle rapidité, la pensée des jeunes chrétiens.


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

268

Voici

un

d'abord

écrite par

un

fragment

soldat, propriétaire

sous

lui,

armes. Sept frères soldats! Quelle louange

déjà,

pour

probité,

donc les

lettre

cultivateur,

comme

à l'un des six frères qui sont, les

d'une

famille où l'intelligence, la

cette

l'initiative

sont de

la parole réfléchie

tradition!

C'est

d'un des représentants race

que vous

La majeure partie des Français

s'est laissé

authentiques

plus

de

la

allez entendre. «

berner par de beaux parleurs, par des

dont et

la

hommes

plupart n'étaient avides que de fortune

Sous prétexte d'amener de

d'honneurs.

grandes

réformes,

malheureux, gouffre...

ils

d'améliorer

nous ont

le

des

sort

conduits dans

le

Nous, du moins, nous pouvons nous

consoler par la pensée que nous avons toujours

soutenu la

les

gens honnêtes,

et

par conséquent

bonne cause nous continuerons, plus fermes :

que jamais,

si

nous avons

le

bonheur de

sur-

vivre à celte odieuse boucherie. Et puis, pour finir,

nous avons l'espoir bien grand que

justice, qui

la

a été tant sabotée sur cette terre,

régnera quand nous

la quitterons. »

Vous entendrez maintenant

la parole,

vous


LES CLAIRVOYANTS. d'un

l'âme

devinerez

269

homme,

jeune

tout

Marcel Gaveyron, né à Ugine, en Savoie,

2o septembre 1893, caporal au de chasseurs alpins,

son

«

cité

à l'ordre du jour pour

endiablé

entrain

le

30° bataillon

mort

»,

à l'assaut

d'une tranchée allemande, d'une balle au front, 20

le

juillet

Ses

1915.

lettres

vont être

publiées, en une brochure de propagande, par

l'Imprimerie Commerciale, à Annecy.

Ce

qu'un

n'était

petit

comptable, élève des

écoles primaires, engagé aux chasseurs alpins

dans l'année qui a précédé

la guerre.

fortune, peu d'instruction, peu de

pas

même

mesure

:

délai nécessaire

le

semble bien

il

relations,

pour donner sa

qu'il

dût être sans

action et sans gloire. Quelle erreur!

de

nous,

presque d'être

si

petit

D'abord,

il

Chacun

une force

qu'il soit,

est

L'unique

condition

illimitée.

de bonne

Pas de

foi et

aimait

est

de bon vouloir. la

France pour toutes

les

raisons naturelles qu'un Français a de l'aimer; ils les

connaissait,

pouvoir.

Il

il

en sentait

la justesse et le

aimait aussi la patrie parce qu'un

devoir supérieur

le

commande

et qu'il la

toute rayonnante d'une lumière divine.

voyait

A

peine


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

270

guerre est-elle déclarée,

la

ment

de cette

le caractère

aperçoit nette-

il

lutte, qui

échappe à

de plus savants et à de plus puissants que Il

comprend

de

la civilisation

païenne, et

patrie et

chrétienne contre la barbarie «

Cela m'importe peu

officier,

pourvu que je serve

s'écrie

il

ou

d'être soldat

ma

:

mon Dieu

de toutes

sont en moi, et que je meure,

en pleine

Tout

Et

D'une

en marche.

logique, aussi,

Il

une

l'y

le

commence. lettre à

le veut,

autre,

1

premier

Elle

ne

on

suit

est interrogateur, clair,

tout français.

est

maîtres

Dieu

pensé ainsi dès

l'ascension

s'arrête point. l'esprit

si

qui

les forces

bataille. »

est là. Il a

jour.

lui.

qu'elle est la croisade nouvelle

La

de

occasion

encouragent

:

pour

guerre,

méditer.

lui

Trois

une Imitation de

Jésus-Christ trouvée, au cours d'une patrouille,

dans une ferme abandonnée; un guerre

»,

ami précieux dont

est pas révélé, et le danger,

ami. Avec eux,

devine

il

son milieu;

il

lit; il

parrain de

nom

ne nous

qui est un autre

examine son jeune passé.

les insuffisances et les

éducation;

le

«

il

Il

préjugés de son

revise les jugements de

formule,

en termes brefs

et


LES CLAIRVOYANTS.

271

souvent heureux, l'aspect nouveau que prennent

les

choses qu'il croyait savoir. Ohservez

plénitude de sens de ces phrases que j'em-

la

prunte aux « N'ai-je

devoir »

lettres, çà et là

:

pas autant de mérite à faire

comme

mon

caporal qu'autrement?

Renaissance,

Réforme, Révolution, vous

n'êtes pas des jalons de l'évolution de la civili-

sation, »

mais des étapes vers

la

négation de Dieu.

La guerre a une influence hienheureuse

sur moi. Plus cela va, plus je suis indifférent à la

mort.

Une

vie

compte peu, parmi

les mille

vies qui font la France immortelle.

mon

petit

et d'idées fausses.

Les

primaire avec

» J'ai quitté l'école

bagage de sophismes

jeunes cerveaux se laissent

si

facilement griser

par l'erreur! Ceux qui ont un fonds de religion conservent, mais en gardent une conception

Dieu pire peut-être que ^nnaît,

de

l'histoire

de son

kiode qui commence en irbarie, autocratie,

l'hostilité.

pays,

On ne que

1789. Le reste

inquisition.

la :

Vous voyez

"que l'erreur a des racines profondes. J'ai jeté,

morceau par morceau, bord.

mon

bagage par-dessus


aujourd'hui et demain.

272 » Il

saines.

faire

Après

la guerre, la

besoin...

serve et

vœu

me

rend à

de consacrer

je

coiffé

de

ma

ma

d'idées

France en aura bien

dans ses desseins, Dieu

Si,

Ah! que que

moi un semeur

veut

chère

me

maman,

pré-

je fais

vie à cet apostolat. »

je l'aurais aimé, ce jeune

homme

ne connaîtrai jamais! Je l'imagine,

de son béret d'alpin, svelte, agile, avec

un visage d'enfant décidé, des yeux qui regardent droit, comptent les

hommes de l'escouade,

s'assurent que tout est en ordre,

un ami,

rient tout à coup.

et,

apercevant

Voilà nos meil-

leures forces pour demain, ceux qui ressem-

blent à celui-là! Voilà nos amis

:

des inconnus,

des ardents, de purs Français, venus de toutes les familles et

de toutes

les professions,

con-

firmés dans leur foi ou éclairés par les leçons

de la guerre,

et qui,

ayant libéré

la

France de

l'ennemi, s'opposeront au désordre, et travailleront à la reconstituer.


PETITS ET GROS

5 Mars 1916.

connais, depuis leur enfance,

Je

bourg de ne

Je

plaisir

la

Mayenne, deux jeunes ouvriers.

vois

les

tvant la

ire,

l'aîné. Il était

dans une usine

Inq francs par jour. irtir

pour

tous deux. est,

le

disait

lettres »,

Une année environ

Grande Guerre,

mcontrer

comme

mais,

:

nous nous voyons par

nous sommes amis.

et

bien que j'aie

pas souvent,

à les retrouver

l'un d'eux, «

dans un

j'eus

et Il

l'occasion

de

comme

son

employé,

gagnait à peu près

me

dit

:

t

Je vais

régiment; bientôt, nous y serons

Ce sera dur pour

comme vous

savez,

la

grand'mère qui

toute notre famille


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

274

vivante.

Alors, depuis trois

moi, nous avons

manque de

rien

ans,

Auguste

de côté, pour qu'elle ne

77iis

pendant notre absence. Je,

vous assure qu'on a eu du mal. Enfin fait.

Combien avez-vous? Et nous

francs.

Douze

c'est

cents

pensons pouvoir y ajouter

un peu plus

cents autres francs,

trois

et

tard.

Elle aura de quoi, qu'en dites-vous? » Il disait vrai,

moi qui

ai été

je puis en

témoigner

:

car c'est

chargé de déposer l'argent dans

une banque. Je

n'ai

pas

jeunes hommes, la guerre, fait

qui sont en ce

ni de prétendre

que ce

moment qu'ils

à

ont

soit toujours possible. Il a fallu des cir-

constances favorables, êtres d'élite.

daient

Tout ce que je veux

qui

des

retenir, c'est

capital, qu'ils possé-

qu'ils étaient

donc,

de

ceux

propriétaires,

s'acharneat

socialistes, coalitions le

un

un dépôt en banque,

essentiellement,

contre

tout d'abord, deux

et,

qu'ils avaient constitué

que

de louer ces deux

l'intention

les

divers

systèmes

de jalousies aussi vieilles

monde, primées dans

les

concours élec-

toraux, encouragées par des conférenciers, des journalistes, des théoriciens secs

ou papelards,


PETITS ET GROS.

275

orateurs tonitruants, des clabaudeurs de

des tout

rang,

depuis

jusqu'à l'ancien fession, et

gréviste de

le

ministre

souvent par des

profession

également de prolois.

N'estimez-vous pas qu'il faut être dénué de la si

vertu d'humanité, pour s'attaquer à un bien légitime et

difficilement obtenu?

si

D'une

autre qualité, qui est le souci d'encourager le travail et l'épargne?

D'une autre encore dont

on peut dire qu'elle d'un

homme

public

est la :

plupart

origine,

des

fortunes

lointaine

du présent? Or,

n'ont

régulières

expliquer tant de

pas

ou proche, que

douze cents francs de mes amis fortunes

pensée de

la constante

l'avenir dans l'organisation la

première qualité

cris,

:

celle

des

je parle des

Comment

avouables.

et

d'au-tre

tant de projets d'usure

ou de confiscation, tant de mainmise déjà sur Je travail épargné, sur ce qui représente, en ime, l'effort personnel, l'intelligence personne, le sacrifice personnel, sur

lomme Stat

On

un

salaire

que

a défendu contre soi-même, et que

convoite aussitôt?

De quel

s'en tire allègrement

dans

droit? les

réunions

publiques, ou dans une certaine presse, qui en


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

276

a les habitudes,

le

On

battage et la langue.

distingue les petits et les gros. Voler les petits,

— on pense plutôt que — voler gros,

ce serait affreux, dit-on, ce serait dangereux;

tout profit, et

aisé

si

c'est

les

:

ils

se défendent mal,

ne

sont point défendus par ceux qui possèdent

moins,

fussent-ils les plus

et,

du monde,

les plus

public

s'ils

pour ennemis du bien

passent

bienfaisants,

honnêtes gens

dignes d'estime et les plus

soupirent seulement.

De

pareils

arguments, composés pour des benêts par des coquins, ne trouveraient guère preneur,

hommes

toujours

réfléchissaient

parti les pousse.

On

pour

les

quand leur

peut tirer cent preuves de

l'économie politique, de tique,

si

de

l'histoire,

la poli-

établir l'utilité, la nécessité

même

des grandes fortunes dans une nation, mais leur légitimité n'est point autrement fondée

que

celle des petits patrimoines.

légitime, piller,

et

quatre qui

promptement le

aussi.

l'est

Si

Celui

deux

qui veut

prend deux sur quatre, tenté de prendre

est

sera

un sur deux,

et

plus pauvre ouvrier, qui a placé quelques

centaines

de

francs

à

la

caisse

d'épargne,

devrait jeter les hauts cris en voyant qu'on


PETITS ET GROS.

au million de son voisin. Parfois

s'attaque

j'entends dire

cependant,

si

d'un étang

:

brochet gros les

», j'ai

il

Mes

petits,

année,

cette

:

Nul comme une carpe

«

:

l'on venait dire, a

il

vrai

»;

aux carpillons

n'ayez pas peur du

ne mange que

peine à croire qu'ils feraient

hommes,

Est

277

les

comme

pense qu'ils auraient peur.

et je

même

que

les

pauvres, ou,

si

l'on

veut, les très médiocres riches ne soient pas

par

atteints

les

lois

excessives,

qu'un brave homme, ayant

ou

fiscales

Supposez

autres, qui dévorent la propriété?

travaillé toute sa

vie, et qui n'a pas d'enfants, veuille léguer

son

champ, sa vigne ou quelques obligations de chemins de labeur, et

fer,

à

demandez

un de à

noms

camarades de

un notaire quel prélève-

ment scandaleux, quelle sous des

ses

confiscation véritable,

divers et respectables, opéreront

agents de l'État?

Je dis ces choses parce que nous

Is

loitié

sous

le

ois quarts, et

régime

sommes

socialiste, peut-être

aux

qu'un bon nombre de Français

ne s'en doutent pas, ou n'en voient pas danger.

Il

à

s'en faut, d'ailleurs,

lisme ne menace

que

que la propriété

:

le

le

socia-

il

prend

16


aujourd'hui et demain.

278

l'âme

d'abord,

C'est

un règne

hypocrisie

la

et

réduit

singulièrement.

affreux que le sien, et d'une

consommée.

Pensons-y tous. Nul autre ne les

hommes

tion

de

ramènerait

aussi près de l'esclavage. Absorp-

toutes

les

l'État, cela signifie

:

forces

individuelles

par

de toutes les forces indi-

viduelles au profit de quelques-uns. Car toute

démagogie

est

une oligarchie. Ceux qui en

doutent n'ont qu'à regarder.


JEAN DU ROSEL

7 Mars 1916.

^

C'est

un jeune, qui a

la défense,

été tué, lui aussi,

pour

l'honneur et la réconciliation de

la

France. Je

n'aurais peut-être pas parlé de

n'était nécessaire

ikore

des

faits,

de répondre, par des

lui

s'il

faits et

aux tentatives de désunion

que multiplient quelques Français demeurés dans leur passé, et très indignes du temps que

nous voyons

et

que nous vivons.

Les du Rosel de vieille famille

race

Saint-Germain

normande. Trois

militaire, nés

dans

sont une

frères de cette

la paroisse

de Saint-

Germain-du-Crioult, étaient aux armées en 1914


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

280 et

jusqu'aux deux

tiers

de 1913, Depuis

lors,

il

n'y en a plus que deux. Le plus jeune, Jean, lieutenant au 228' régiment d'infanterie, était

un

blessé le 11 juin dernier. Transporté dans

hôpital du Pas-de-Calais, ses

amis qui m'a communiqué

régiment. Mes crains qu'en été

un peu

me

le quitte

de

la

pas

bonne, de

la tête

du

superbes, mais je

Je serais tranquille

ralenti...

La pensée de

sure. »

Ma

:

voyant tomber leur élan

savais ce qu'ils sont devenus après

ne

«

le billet

compagnie a eu l'honneur de former gars ont été

un de

écrivait, à

il

:

ses « gars

ma

n'ait si

je

bles-

normands

»

signe de vocation militaire,

la vraie, qui

ne se reconnaît

point au goût de l'autorité, mais à la belle estime

pour après,

les

compagnons d'armes. Peu de jours a de leurs nouvelles

il

au possible.

mantes

Ils

et pleines

m'ont

écrit

:

« Ils

sont gentils

des lettres char-

de cœur; ce serait une faute,

une grande faute de ne pas retourner avec eux au plus repartir,

vite. » il

Pour

tourmente

les infirmières.

A

obtenir la permission de le

chirurgien, le médecin,

peine guéri, la jambe encore

traînante, après « cinq semaines d'absence »,

comme il dit, on signe

enfin sa feuille de route.


JEAN DU ROSEL. «

Me

remet

me

au

voici revenu le

Le colonel

et

d'une citation à l'ordre du

Je viens delà recevoir. J'en suis très

mes hommes

réuni immédiatement

fier, et ai

pour leur en

faire part, car c'est

eux en partie

qui l'ont méritée, et l'honneur qui m'est doit rejaillir sur leur personne.

m'ont

petits

me

commandement de ma compagnie, la surprise

fait

jour...

front.

281

fait

Les pauvres

une réception inoubliable,

fait

surtout lorsqu'ils ont appris que je reprenais le

commandement que

laisser,

obligé de

j'avais été

dans cette nuit du Labyrinthe où tant

d'entre eux sont restés... Le jour où

mon commandement, il très dure les hommes ;

a

Aujourd'hui,

» l'arrière;

il

y avait une marche sont

se

personne ne

faut faire

A

l'arrière,

concertés

doit

rester

honneur au

:

à

petit lieu-

m'appellent entre

» tenant. » C'est ainsi qu'ils

eux...

j'ai pris

tandis que les autres

com-

pagnies avaient laissé bon nombre des leurs,

moi je

n'avais que trois malades.

drapeau à leur yeux.

pour

Ils

tête,

se "redressaient,

me demander

En

j'avais des

malgré

si j'étais

Le 27 septembre, à

saluant

le

larmes aux la fatigue,

content. »

l'assaut de la

butte de

16.


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

282

Tahure, ce jeune

compagnon,

à la fois et

clief

digne de sa noblesse,

officier

était

frappé à

mort.

Puissance bienfaisante

qui ne

et naturelle,

doit pas être de guerre seulement, cette influence

qu'un

homme

compagnons de

brave, exerce sur ses

Le grade y

tous

simples

des

ascendant rapide, que pas.

Voyez comment

hommes,

est plus

jeune

et

heureux

soldats,

des

deux

les

titres

imposée

:

sont

et con-

s'obtient la confiance

comment et la

commander

droit de

le

Lorsque

réunis, l'autorité est parfaite

des

Nous

prennent autour d'eux un

sous-offîciers qui

sentie.

route!

ajoute, mais ne la crée pas.

connaissons

n'explique

cordial et

bien élevé, instruit,

grâce à

elle,

chacun

France mieux servie. Ce

connaît les soldats qu'il doit con-

officier

duire au combat, avec lesquels

il

vivra dans la

tranchée, en attendant. Ils sont de son voisi-

nage, tout au moins de sa région.

humeur, leurs tout ce gés,

cœur

leur

traditions, leurs défauts, et avant

défiant, et

défendu par cent préju-

mais souffrant de l'absence

générosité,

Il sait

qu'il

faut

et

plaindre,

atteindre, qui ne résiste point

au

capable de qu'il

clair

faut

dévoue-


JEAN DU ROSEL.

ment

fraternel.

Par

la guerre,

283 il

est

mêlé avec

eux, obligé de veiller sur eux, leur nourriture, leur

leurs armes,

santé,

leur sécurité,

leur

âme elle-même qu'il faut remonter, encourager, consoler. Il doit l'exemple, à tout moment, et pas seulement celui sans quoi serait

pas

troupe ne Et sans

du courage

:

tout l'exemple,

ne serait pas un chef complet

il

chef très aimé qu'il

le fait

lui,

a

ne

et

été.

La

qu'un. Sans eux que serait-il?

quelle poussière qui s'égaillerait

au danger! Vérité en tout temps.

Que ceux qui

revien-

non pour

dront profitent de

la

eux, mais pour

pays qui ne peut vivre

le

leçon qui passe,

forces destinées à s'unir les

de

unes aux autres. C'est peut-être plus vivre que de

méthode

est la

manque

même et

les

difficile

mourir ensemble. Mais

au plus près, ne pas ce qui

si

demeurent étrangères

la

de servir sa patrie. Vivre s'isoler,

tâcher de

comprendre tout

le

donner, prendre

sa part de toute misère qui crie, aider

ceux qui

n'ont ni le temps, ni les appuis, ni souvent

le

discernement qu'il faut pour se défendre contre les

ennemis innombrables de

l'avoir,

etde

la profession, et

la récolte,

et

de

de la paix publique,


aujourd'hui et demain.

284 et des

âmes surtout

:

en vérité,

les rôles

ne

dif-

fèrent que bien peu, dans la paix et dans la

guerre. Il

faudra que chacun s'en souvienne demain.


FRAGMENTS DU POÈME HEROÏQUE

19 Mars 1916.

J'ai entre les

mains tant de

émouvantes,

belles,

ne pouvant

les

parti

lettres

de soldats,

ou simplement jolies, que,

publier en entier,

de citer aujourd'hui des

plusieurs d'entre elles.

j'ai pris le

fragments de

Les unes m'ont été

adressées directement par l'auteur, les autres

me

sont confiées par des parents ou des amis,

qui ne veulent pas,

ils

n'ont pas tort,

que trop de mots soient perdus qui pourraient trouver place dans écrit

le

grand poème héroïque

par les vivants et les morts.

D'un

artilleur

a Je

dors bien dans

:

mon

nouvel

abri. Il

y


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

286

je

me

réveille, je vois

les étoiles à travers le toit.

Ça

distrait. »

fait frais.

D'un

La

«

La

quand

nuit,

territorial

:

guerre, c'est la vie au grand air.

tout ça, voilà quatre jours que je ne

Quant

lavé.

ça

fait

D'un

à se déshabiller, faut pas

de l'avance pour blessé

le

me

suis

y songer

:

matin. »

:

Eh

Je n'ai plus guère de menton.

«

Avec

quoi? Après? Je ne travaille pas avec

bien!

ma

g...

je suis jardinier! »

D'un grognard

me

Je veux bien

«

les

femmes,

les

«

Tu

as

nous,

à la

fille

à son fiancé

il

il

est

dégoûte, c'est tuer pour des

:

rue Haute.

ne faut pas

Nous avons

sais, te

tous les

on ne s'émotionne

tourmenter,,., ce n'est

pour

D'une femme à son mari

Tu ne me

été

tombé un obus devant chez

rien, c'est de l'ouvrage

«

les vieux,

dû apprendre que nous avions

carreaux cassés.., tu pas,...

pour

:

»

D'une jeune

bombardés,

faire tuer

ce qui me peux me faire

gosses

de penser que je

embusqués.

:

les vitriers... » :

dis pas si tu dis

chaque jour


FRAGMENTS DU POEME HEROÏQUE. une

prière?

petite

287

voudrais que tu

Je

répondes.

Tu

n'as pas honte,

chéri, de

me

parler de

pourtant,

me mon

Celui qui nous pro-

tège ? »

D'un

soldat qui a vécu

de

Cette vie

«

sacrifices

a

aux Etats-Unis

dangers

forcément

:

de continuels

et

déteint

nous

sur

et

changé un peu notre mentalité. Nous percevons mieux

l'intérêt général,

mais négligeons

plus les sentiments individuels, et

si

je n'avais

peur de vous paraître un peu drôle, je

pas

que nous avons

dirais

ment

été

amenés progressive-

moins penser à nous-mêmes

à

en vue que

le

lequel nous combattons...

pour

la

mieux

et

à n'avoir

but noble et glorieux pour J'ai

trop souffert

France, pour ne pas avoir appris à

î'aimer... Je

attaché que

m'y

suis

plus jamais,

si

je

profondément crois, je

ne

la

quitterai. »

D'un «

colonial, dans le civil, cultivateur

:

Je crois que nous allons partir du côté de

Verdun, pour leur donner un main.

coup de

»

D'une mère, première

«Tu

petit

lettre à

son

fils

soldat

:

m'avais reproché, t'en souviens-tu? de


aujourd'hui et demain.

288 t'avoir

mis au monde trop

de la vie de

tes aînés.

bien-aimé,

je

n'ai

partager avec eux

tard, trop à distance

Et pour

cela,

pas voulu

le plus

grand,

mon

enfant

te refuser

de

beau devoir

le

d'une vie d'homme. Sois heureux, sois

fier

de

ton pays et de toi-même. Que je sente ton

âme joyeuse

et

forte,

toutes

et

mes larmes

Ne pense pas à mon mon amour qui veille

seront payées.

chagrin,

mais à tout

plein de

tendresse et d'espoir près de » Si tu vois

ou sans

n'importe

me

autour de

famille,

— En

je

des soldats pauvres

pour lesquels je puisse

quelle chose,

le dire.

garde-toi,

toi

toi.

ne manque pas

revanche,

t'en supplie,

tu pourrais subir de

faire

mon

cher

de

petit,

de l'influence que

camarades douteux. Ta

personnalité doit s'affirmer et grandir dans ces

heures graves. Sans qu'il y paraisse, fais dans âme un coin secret, intangible, où rien

ton

n'atteigne la loi morale, les traditions de tous les tiens. »

Tu

es, vois-tu, le

et le plus le

benjamin de

mien de tous mes

plus jeune,

le

la famille,

enfants, puisque

plus près encore de

dresses maternelles.

mes

ten-


FRAGMENTS DU POEME HEROÏQUE. »

Mon beau

soldat, je t'embrasse lon<i;ue-

mon

ment, d'un baiser où vit tout

D'un peintre en bâtiment

On

«

auparavant. Lorsque j'ai

chose pour

j'ai

vu ce que

France, et

j'ai dit

Dieu, prenez

»

tera le droit

mon

pour

c'était

:

«

que

Tenez,

mon

me

res-

bras gauche;

il

travailler ».

D'un permissionnaire alpin «

était

donner quelque

fallait

»

»

comme on

pensé qu'il

la

cœur.

:

n'est plus, à présent,

la guerre,

289

;

Six jours, ça n'est pas long!

Deux jours

de plus pourtant, on n'aurait pas pu s'en aller!

Heureusement on va retrouver sa famille du front. »

Lettre d'un sous-lieutenant à sa mère, après la

mort du «

frère aîné, tué à l'ennemi

Relisez les

lettres,

vous a

patriotique,

qu'il

début de

guerre

comme

la

moi,

d'un

;

si

depuis

écrites

vous y verrez

fait le sacrifice

:

beau souffle le

qu'il avait,

de sa vie pour

le

bien de son pays, et que son seul chagrin, au

moment sa mort,

de vous quitter

comme au moment

ne pouvait être que

la

de

douleur des

siens. »

Ne

lui faites

pas cette peine

et

ne 17

me

la


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

290

pas à moi non plus,

faites

France vous coûte un second

fils. Il

vaut mieux,

mourir jeune, après une vie de devoir sacrifices,

que d'errer

inutile

vie, à lui, n'aurait

et

de

sur cette terre

pendant de longues années. Ah!

que sa

de la

la victoire

si

je sais bien

pas été inutile, je

connaissais trop son cœur! Mais Dieu a décidé.

Pleurons-donc rons-le sans lui

:

l'aîné

de

amertume

la famille,

et

mais pleu-

sans révolte. Disons-

merci, et au revoir! Cette pure victime

ne

fait

de

me

qu'animer

mon

ardeur; je continuerai

battre jusqu'au bout, en première ligne,

pour continuer l'œuvre de

mon

aîné et pour

venger sa mort. Si je suis sa trace jusque dans tombe, nous vous préparerons, là-haut, une

la

place d'honneur, et nos âmes, heureuses de se

une

retrouver, s'uniront affectueusement dans prière fervente pour notre chère

maman.

Si la

Providence permet, au contraire, que je profite de

la victoire à laquelle j'ai si

vaillé,

sincèrement tra-

vous trouverez dans votre second

l'affection la plus

un cœur

:

je

fils

profonde dont soit capable

vous aimerai pour deux

!

»

Lettre trouvée dans la capote d'un maréchal

des logis de cuirassiers, mort pour la France

:


FRAGMENTS DU POEME HEROÏQUE.

Ma

«

chère grand'mère,

mon

291

cher papa,

ma

maman.

chère

Pensant à ce qui pourrait bien m'arriver,

»

exempt que

n'en étant pas plus

voulu vous

les autres, j'ai

faire ces lettres d'adieu

avertir d'abord,

pour vous

pour que vos sentiments

et

un peu par mes idées person-

soient guidés nelles.

des victimes dans une guerre

» Il faut

été choisi; acceptez cette décision d'en

avec soumission et en disant toujours » soit loué » le

Que fait

!

:

:

j'ai

Haut, «

Dieu

»

votre vie ne soit changée en rien par

ma

de

disparition...

Vous me

retrou-

verez dans notre petit Pierre et dans la per-

sonne de

ma

votre

dévouée...

fille

chère femme, qui sera toujours

Mes chers

»

parents,

ne

me

mais, au contraire, soyez fiers de

France .le

un

la

vaut bien

!

ma mort

:

la

»

demande simplement

homme

pleurez pas,

s'il

est possible, à

de bon sens et de bonne

foi,

de

vouloir encore tarir ou diminuer l'une quel-

conque des sources,

et

surtout la première,

d'où naissent de pareils sentiments?


REFLECHIR!

2/

J'ai présidé,

de

la

Mars 1916.

dimanche dernier,

Corporation

des

membres

les

publicistes

Chrétiens,

réunis en assemblée générale, et je leur ceci «

ai dit

:

Nous avons

notre

pays

toute raison de

sera

sauvé,

et

que

croire la

que

France

connaîtra une victoire et une paix achetées au plus haut prix, celui du sang et de la souffrance

de toutes

les familles françaises. Il est

sible de soutenir

notre

que nous aurons du

organisation.

mystérieuse,

à

la

Nous

le

impos-

le salut

devrons à

à la

providentielle renaissance

des dons premiers de la race. Si l'on ne tient

I


réfléchir! pas compte

des

293

défaillances

des

et

taches,

qui sont, on un certain sens, négligeables, on

peut dire que

France combattante, mise

la

tout d'un coup en présence des armées enneet

en

que

le

mies, telle

péril

de mort,

monde

grands jours de son histoire,

naît, et

dont

le

retrouvée

connue aux plus

l'avait

tous ceux qui la voient,

s'est

étonne

et qu'elle

comme un

enfant qui

visage rappelle les traits d'un

ancêtre lointain. »

]\[ais

cette

qui

merveille,

n'est

point

unique dans nos destinées, n'empêche pas tous les

hommes

de bon sens d'apercevoir

convenir que nous politique

ni

de

et

ne saurions revenir à

aux mœurs d'avant

la

guerre.

la

Appauvrie, en partie couverte de ruines et en partie dépeuplée, la France

ment

victorieuse que

si la

ne sera véritablene

victoire

la divise

pas. »

que

importe,

mes

vous tous,

qui

Il

défense française,

confrères et êtes

intellectuelle

écrivains

du

et

les

de

livre

la

de la

propagande

ou du journal,

vous portiez votre attention sur nécessaires, que

mes amis,

soldats

nous mettions en

les

réformes

commun

nos


aujourd'hui et demain.

294

observations,

même

que

et

pensée

pour corriger,

nous

même

qu'une

et

soit

n'ayons

qu'une

action,

pour développer,

soit

soit

pour

créer.

Et d'abord, gardez-vous bien de n'envi-

»

sager que les revendications que nous avons à

en faveur de

faire

des consciences,

la liberté

des œuvres, des ordres religieux et du culte. Si

légitimes

qu'elles

que pour une part dans

du bien que

public.

soient, le

n'entrent

souci que nous avons

Nous ne sommes

nous cherchons ce

si

elles

catholiques

y a de plus

qu'il

y a de meilleur pour tout l'ensemble du peuple de France, et nous ne

juste

ce

et

qu'il

sommes dignes d'un

tel

nom que

charité s'étend à toutes les âmes, s'intéresse à

frons pas

dont

les

personnellement,

les

non

non aimés,

premiers lisant,

il

de

si

notre

notre esprit

des misères dont nous ne souf-

d'abord

profiteront

faibles,

si

pauvres,

les

protégés,

des progrès

et à

les

les

non compris,

c'est-à-dire, par définition, les

nos

frères.

Il

faut

qu'en vous

faut qu'en étudiant vos plans de réor-

ganisation, les Français qui ne partagent pas

entièrement notre

foi

religieuse,

ou qui en


réfléchir!

295

sont mal instruits, sentent s'émouvoir en eux cette vertu la

(le

de l'équité, qui est la sœur timide et qu'ils disent

justice,

:

Nous ne

«

»

pouvons pas méconnaître ces hommes qui

»

ne pensent pas seulement à leurs propres

»

mais à

souffrances,

»

humaine »

et k la gloire

toute

souffrance

la

de chez nous. »

Je vous invite donc à réfléchir plus spécia-

lement à certains points que voici. »

La famille

par la

divorce;

en France, par

est atteinte,

du partage égal

loi

et

le

en

nature, qui rend très difficile la conservation

du foyer

et celle

de l'industrie familiale; par

du

l'organisation

travail,

la

femme

employée trop souvent hors de chez

étant

elle,

ce

qui supprime la mère, et diminue, jusqu'au

désenchantement,

douceur de

la

maison;

la

par l'insuffisante répression de la propagande d'immoralité; projets

de

elle

loi,

et,

est

à

menacée par titre

divers

d'exemple, par

le

projet sur la tutelle des orphelins de la guerre,

emprunt

direct à la législation de l'Allemagne,

qui met tout,

même

l'enfant,

dans

la

main de

l'État.

»

La propriété

est traitée

avec un

tel

sans-


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

296

gêne, soit dans le régime des successions, soit

dans celui des impôts,

soit

dans divers projets,

que l'appauvrissement général qui de ce vaste système, en voie

amènerait paresse

hommes

les

assurée

indifférente

au vol. travail,

respectée

dilemme

ce

Elle et

la

est le

grand

sti-

par conséquent, doit

encouragée. Elle

et

:

vivre ou la spéculation

de

mulant du être

à

résulterait

d'application,

est

une

garantie d'indépendance, et c'est pourquoi elle

comme un

appartient,

aux

particuliers,

exemple,

il

droit,

non seulement

mais aux associations. Par

que

n'est pas admissible

les asso-

ciations régulières ne puissent posséder libre-

ment le

et

librement disposer de leurs biens. Je

pour

dis

les catholiques, je le dis

communautés

religieuses

crites, je le dis

pour

qui n'ont

pour

aujourd'hui

les

pros-

les associations ouvrières,

aucunement

la pleine richesse et la

pleine administration qu'elles devraient avoir.

Toute

aux

liberté

charges

dans cet ordre

du budget

vigueur nationale. préjugé

stupide,

Il

est

et

un allégement

un

élément de

faut s'élever contre le

entretenu

soigneusement

contre la main-morte, par un Etat despotique


réfléchir! (jui

pas

n'a

d'autre

La question de jj;raves

297

que

propriété

la natalité

est

une des plus

de l'heure présente. Elle est

coup d'autres, parce qu'elle

celle-là.

avant tout,

est,

une question de mœurs. Vous l'étudierez la

plus urgente.

comme

Vous vous rappellerez

a quelques semaines,

beau-

liée à

qu'il

y M. Paul Leroy-Beaulieu

devant ses confrères de l'Académie

déclarait,

des sciences morales et politiques,

mouvement

décroissant de

la

que

natalité

si le

n'était

pas arrêté, dans vingt ans nos armées seraient réduites de 800 000

même

en

hommes. Vous songerez,

temps, aux privilèges à accorder,

c'est-à-dire à la justice à rendre,

aux pères de

familles nombreuses, et aussi puisque l'occasion

moi d'en

à

s'offre

parler,

aux hommes qui

auront combattu, en première ligne, pour

le

salut de la France. »

Vous

étudierez les

programmes, à

la fois

pléthoriques et insuffisants, de l'enseignement primaire, et détail,

vous vous rendrez compte,

des suppressions désirables.

une grande France, des

11

faut,

en

pour

esprits clairs, patriotes,

respectueux, hauts d'honneur, et pourvus des

notions

morales

qui

commandent une 17.

vie


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

298

Les progrès à

utile et noble.

raîtront aisément,

:

mais

celui

c'est

vous appa-

faire

travers la gloire.

chez nous aussi,

peut dire que, rationné

même à

le

On

pain est

des âmes jeunes.

Beaucoup n'ont pas

la

nourriture morale qu'il

aux âmes dans

le

temps

faut

ou n'en ont pas

vivons,

seulement

pas

Vous

diverses

qui

l'œuvre de les

assez.

où nous

Et je ne parle

de l'enseignement public.

ici

réfléchirez

difficile

également

aux méthodes

peuvent permettre d'associer à

l'école, le plus

pères et les mères

étroitement possible,

de

famille,

auxquels

appartient, essentiellement, le droit d'éducation.

Nous devrons nous entretenir encore des moyens les meilleurs d'augmenter la vie pro»

vinciale et de grouper, par exemple, dans des

assemblées autrement recrutées que les conseils généraux, des représentants de métiers professions, qui seraient, force et

réserve

un honneur,

d'hommes

n'ignore pas que

et,

pour pour

et

la région, le

de

une

pays, une

politiques compétents. Je la

décentralisation soulève

bien d'autres questions, mais

le

rétablissement

de l'honneur professionnel s'y trouve au premier plan.


réfléchir!

299

Vous ne manquerez pas de vous

»

encore des progrès obtenus, en étrangers, dans ce que

ment

dans

rural,

la

instruire

divers

pays

j'appellerai l'aménage-

construction des fermes et

des villages, condition essentielle d'un retour à

campagne. Vous comprendrez qu'après

la

guerre une '

la

foule d'industries peuvent être trans-

portées ou créées dans nos campagnes, et qu'il

y

dans l'association ou dans

a,

le

voisinage

organisé de l'industrie et de la culture,

des

sources de richesse qui n'ont point été, jusqu'ici, ';

développées. » Je n'indique

de reviser

sité

pouvoir de de

effets

que pour mémoire

la

d'augmenter

la Constitution,

l'exécutif,

la néces-

de protéger contre

perpétuelle

offensive

certains

ministres essentiels, qui ne peuvent rien

ne durent pas, çaises

I

et

s'ils

de donner aux libertés fran-

une garantie permanente.

Ce

n'est pas,

vous

le

voyez, les sujets de

réflexion et de conversations qui nous ront.

le

les

manque-

Votre rôle peut être considérable dans

l'œuvre de demain, qui sera la réfection de la

France en vue des temps nouveaux.

y mettre dès à présent;

il

faut

Il

faut vous

commencer de


aujourd'hui et demain.

300

même

reconstruire,

à l'heure où les démolis-

seurs fouillent les décombres et font encore de la poussière. »

et

Vous

de

le ferez

avec

foi,

le

dans un esprit de patriotisme sentiment que votre talent

donné pour

d'écrivain vous a été

servir. J'ai

bien souvent pensé à nos aïeux, bâtisseurs de cathédrales. Ils choisissaient les plus

plus

les

et

riches

marbre, albâtre,

»

et

il

me

pierres

matériaux, pierre et

comme

dure,

sont fortes

elles

aujourd'hui, les pierres de France!

et belles,

solides

semble

qu'ils disaient

que vous avez

» élevons,

faites,

respectueusement,

«

:

mon

Avec

les

Dieu, nous

l'édifice;

avec les

»

doigts que vous avez pétris et qu'à chaque

»

seconde anime

» notre esprit

un sang renouvelé; avec

»

petite lueur destinée à s'épanouir

»

avec

»

amour des

» les

le

comme une

que vous avez créé

temps que vous mesurez lignes et

en flamme ;

avec

le

;

bel

des couleurs par quoi

choses approchent de la chaleur et de la

Rien n'est de nous,

si

ce n'est l'usage de

»

vie.

»

notre liberté. Et la joie est en nous. L'édifice

» grandit »

pour votre

Faisons de

gloire, pas

même.

»

pour

la nôtre. »


I

L'EXEMPLE

Avril 1916.

1-2

C'est le

nommer

nom

le

plus clément dont on puisse

la visite faite

ministre du

au pape par

le

premier

royaume de Grande-Bretagne

et

d'Irlande.

Evénement qui l

naux

n'a point tenu dans les jour-

la place qu'il tiendra

P sommes parmi de succèdent

si

si

dans

l'histoire.

rapidement, que

la

mesure exacte

de chacune peut bien nous échapper. plus, je

crois

Nous

grandes choses, et qui se

Au

sur-

qu'un nombre immense de nos

concitoyens ont déjà médité sur cette initiative, qui est bien dans la manière anglaise

dans

la

:

lente

préparation, décidée dans l'action et


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

302

sans retour. M. Asquith, passant à

rendre visite à Benoît

allé

accompagné de

sir

XV.

Il

Rome, y

est

est allé

Henry Howard, chef de

la

mission spéciale de S. M. britannique auprès du Saint-Siège, et le caractère de cette démarche est

Représentant d'un pays où

net.

très

les

catholiques sont nombreux, soit dans la mère patrie, soit

dans

donner

pas aux préjugés sur

le

les colonies; trop habile

tain; trop intelligent

assez fier

tudes

a

directe avec

Ce

n'est

et

voulu entrer en conversation

le là,

même

anglais,

pour ne pas prévoir,

pour savoir rompre avec des habiil

:

pour

l'intérêt cer-

chef spirituel de la catholicité.

pour

homme

un

whig, que

politique

développement

le

naturel d'une tradition déjà ancienne, et dont l'Angleterre n'a qu'à se louer

que

pire

tions

les traités

commerciales

navires

:

il

car ce respect

difficilement ob-

des consciences religieuses, tenu, loyalement accordé, a

:

mieux

servi l'Em-

d'allégeance, les conven-

ou

la

puissance

des

lui garantit la paix, l'obéissance, la

reconnaissance des peuples qui vivent sous loi

les

ou l'influence anglaise. Le pires

injustices

des

la

xviii' siècle vit

protestants

anglais


L

EXEMPLE.

303

contre les catholiques; mais quel changement

au

XIX*,

Comme

ils

structeurs,

couche

surtout

et

depuis soixante-dix ans!

ont bien compris, ces maîtres con-

que tout ébranlement de

mats! Et quelles récompenses avant

l'arbre de

agitait le navire jusqu'à la pointe des

guerre,

la

et

ils

ont reçues

dans cette guerre!

preuves sont manifestes. Dans

la

Les

loyauté de

l'Empire, la gratitude a eu sa part. Voilà quel-

hommes

ques mois à peine, un des

plus

les

estimés du Canada, et l'un de ceux qui représentent le plus parfaitement la tradition française, sir

Adolphe Routhier,

chez nous

!

et

si

vous voyiez le visage

entendiez l'orateur! —

disait,

nom

quel !

devant

et si le

Connaught, gouverneur du Dominion

de

vous

duc de :

«

La

nation canadienne se compose de deux élé-

ments principaux... L'un

est français et parle

la

langue française, l'autre est anglais

la

langue anglaise. Le premier

le

second

unis

et

est protestant.

forment

la

Mais

et parle

est catholique, les

doux sont

nation canadienne...

Le

dualisme canadien n'a pas encore une longue histoire,

mais

il

pour prouver sa

a déjà assez vécu et grandi vitalité, et

pour compter sur


AUJOURD HUI ET DEMAIN,

304

un grand avenir. Et quelles sont

les raisons

de

dans

la

ces belles espérances? Je les trouve

double autorité politique

et religieuse, réguliè-

rement constituée dans notre pays; libertés

nécessaires

la famille,

dans

sur la morale et

;

appuyées fondée sur

dans

assurant

l'Etat

la

la

:

dans

2"

sur

les

l'ordre;

religion et

la

paix entre la religion stabilité

de

l'édifice

social. »

Un

hommage honore

tel

plus

fortifie

encore.

l'Angleterre.

Il la

Personne ne peut dire

quelles ont été les paroles échangées entre le

ministre du

Royaume-Uni

et le

Pape

mais on

:

pourrait parier, sans risquer de perdre, que le

Souverain Pontife a

félicité

l'Angleterre pro-

pour plus d'un acte de respect

testante,

justice envers les catholiques, et

d'Etat

britannique

n'a pas

allusion à cette paix future, le

et

de

que l'homme

manqué

de faire

sait

bien que

oii

il

Pape, avec ou sans Congrès, aura son mot à

dire; plète,

il

que

dications

sait le

également, de science très com-

Pape favorisera toutes

du Droit

les

reven-

violé.

Et nous, cependant, que faisons-nous? Ceux qui nous

mènent

ont-ils le

sentiment que les


l'exemple.

305

grandes occasions pas plus que les reviennent? qui

celles

Ne

voient-ils pas

passent

reproche,

notera?

l'histoire

d'flonolulu,

ou

s'ensuit-il

moins

qu'on

des

ne

de

que

retentissant,

Attendons-nous

celui

Parce qu'on a été

comme un mot

est

ou

plus

petites,

que chacune de

îles

l'exemple

Aléoutiennes?

en une certaine occasion,

sot,

ait le

devoir d'être bête dans

la suite?

Or

la

cause

est jugée.

La rupture des

rela-

tions diplomatiques avec le Saint-Siège a été

une

faute, et

nullement sait pas

que

séparation n'entraînait

la

comme une

conséquence,

et n'excu-

davantage. Tous ceux qu'on appelle

des chefs,

dans notre République,

naissent et contraire,

le disent. il

le

Pour entendre

reconla

note

faut chercher dans les groupes,

parmi ceux dont on se demandera toujours

r

partout pourquoi

ils

sont

ici

plutôt que

et

là, et

ce qu'ils comprennent, quand, par hasard, les ^

mots qu'on leur adresse, dépassant d'un

moment

et

d'un

homme,

font

l'intérêt

devenir

tout mats et dépolis des yeux tout à l'heure 1

luisants. Plusieurs ciers

si

peut-être de leurs devan-

avaient eu une illusion singulière

:

ils


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

306

avaient pu s'imaginer qu'une partie de l'Europe

admirerait ce geste de rupture, et l'imiterait.

Le rêve

mal

d'être

un ancêtre

fut

mauvais conseiller.

sont trompés, là encore.

Ils se

la galerie

européennne.

deur de France

Ils

connaissent

A peine l'ambassa-

avait-il quitté le palais

romain,

que des nations, jusque-là sans relations cielles

avec

le

Saint-Siè^e, préparaient

cordat, cherchaient

n'y aurait point, pour

s'il

quelque bien à

elles,

offi-

un con-

saisir

dans une succes-

sion en déshérence; se demandaient tout au

moins

si

l'heure n'était pas

venue de prendre

ou de reprendre place dans ce merveilleux centre

de

d'informations,

conversations

et

d'action politique, que fut toujours la cour pontificale.

Au

lieu de

nous valoir des sym-

pathies, l'attitude de la France fut jugée avec

une sévérité qui, pour pas moins formelle. préciation, le droit

naïf

être discrète, n'en est

On

alla

même, dans

l'ap-

beaucoup plus loin qu'on n'avait

d'aller

parfois

:

jusqu'à la calomnie.

et plus

souvent

On

méchant.

fut

Et

aujourd'hui, dans la terrible crise où les amitiés

étrangères sont

qui pourrait dire

devenues

si

précieuses,

que nous n'avons pas de


L

nouvelles raisons

EXEMPLE. de regretter

paraître tout autres

lit

307

nous

ce qui

que nous n'étions?

Les temps sont venus de réparer l'erreur.

Nos

voisins nous donnent

est

de

qu'ils

belle

allure.

un exemple,

Ayons autant

et

qui

d'esprit

viennent d'en montrer, une intelligence

aussi claire et brave de ce qu'est aujourd'hui et

de ce que sera demain.


LE

«

DROIT AU BONHEUR

»

16 Avril 1916.

Nos hommes

se battent

si

bien qu'ils ont

déjà rétabli, par le monde, le prestige militaire

de

la

France.

que, bien souvent,

D'oîi vient ce courage

l'éducation n'avait point préparé, et que plus

d'une cause, évidente ou

sûrement

et

menaçait

de

secrète,

diminuait

tarir?

Comment

expliquer cette transformation rapide des civils

en soldats,

des petites ambitions en grands

dévouements, des souffre peu en souffre tout?

La physionomie

même

proches a changé

et

de nos amis

et

de nos

combien plus leur âme,

qui a modelé ce visage à peine reconnaissable.


LE et l'a fait

DROIT AU BONHEUR

«

309

».

en moins de temps que n'eût mis un

sculpteur

dresser

à

problème dont

la

ébauche? C'est un

son

solution n'est pas simple, et

qu'on ne résoudra point par des mots seule-

ment bleue, «

y faut des raisons. Dans

il

:

M. Paul Gaultier donne

celle-ci

la

Revue

:

Qu'on y prenne garde! Voilà des employés, des

des patrons,

des paysans, des

ouvriers,

rentiers qui, avant la guerre,

que de leurs être,

petits intérêts,

jalousaient

ne se souciaient

aimaient leur bien-

souvent

voisins

leurs

et

n'étaient guère, en général, portés à sacrifier la

moindre de leurs

on

les mobilise,

aises à l'intérêt public.

les habille,

envoie au combat

on

les

se

muent en

soucieux de

véritables

la

faim,

froid,

le

sauvegarder leurs

aïeux

le

et

les

et,

arme, puis

brusquement,

la

France, jour et

que

la

mort,

l'ennui,

pour

pire

l'insomnie,

ils

uniquement

héros,

grandeur de

nuit affrontant la mort la

et,

on

On

patrimoine national hérité de qu'ils

transmettront à

leurs

enfants, sans peut-être plus jamais en jouir.

Voilà

des

âmes rudes

et,

pour

la

plupart,

égoïstes, qui sont parvenues, tout d'un coup,

aux plus hauts sommets du

sacrifice

et

de


aujourd'hui et demain.

310

l'abnégation. Voilà des

gence

et

leur vie,

très

âmes simples

d'intelli-

souvent bornées, qui donnent

non seulement sans compter, mais

cœur

pour

plus

sublimes

notions qu'ait élaborées l'humanité.

Comment

d'un

un

tel

prend

allègre,

miracle, le

imprévu,

les

car cela en est un,

mot miracle au

s'est-il

parce que, sous

le

si

l'on

sens d'événement

opéré? Tout simplement

coup de

la

menace allemande,

à la mentalité rationnelle s'est substituée tout

de suite, sous l'influence de sentiments com-

muns

plupart ataviques, une mentalité

et la

essentiellement mystique.

Il

n'y a pas d'autre

explication. »

La question

est

ici

bien

incomplètement résolue,

posée

elle

:

ou du moins

est

la solu-

tion vient trop vite, et les étapes disparaissent.

Pourquoi sont,

quand

race est normale,

la

l'intelligence, ni le

tion profonde. relle.

vie

Une et

et

le

que ni

cœur, n'ont subi de corrup-

Le courage

est

certaine rudesse

l'entretient.

manuel,

hommes

sont braves? Les

ils

C'est

ainsi

une vertu natu-

et

difficulté

que

de

l'ouvrier

plus peut-être que tout autre

le

cultivateur, habitué à l'effort répété, endurci à


LE la

DROIT AU BONHEUR

«

du

morsure

chaud

et

ménager de sa peine que du souvent heurté, tailladé chez

dans

lui,

ministère.

que

riche

II

du

311

».

froid,

moins

travail des bêtes,

et piqué, sera plus vite

la tranchée,

qu'un huissier de

n'aura pas tant besoin qu'un plus

lui,

do raisonner sa hardiesse ou son

(mdurance, et l'habitude de ne point compter sur

le

parente qu'on

vieille

comme une

raison.

ait

mine son-

comme

la

plus

jamais connue. Sup-

vient,

On

s'élargit.

l'on

oii

les obligations

va,

sait

mieux

pourquoi.

et

morales prennent l'auto-

commandement

d'un

souiïre

paire d'ailes qui pousse à la

domaine

Le

l'on

Toutes rité

cette

ce courage naturel pénétré par la foi.

posez

d'où

lui fera

qui accueille la misère

,i,'-euse,

C'est

beau temps

divin.

Celui

moins de peine à comprendre

a

qui la

soulîrance et peut s'élever plus haut encore; celui

qui est

commande en soi

et

victorieux

et

commandé mieux

moins

celui qui

l'autorité toujours divine

déléguée aux se sent

voit

hommes;

celui qui est

plus pitoyable envers le

vaincu, car sa fraternité a des motifs nouveaux.

Et remarquez que

les

plus simples cœurs peu-

vent se prêter pleinement à cette grandeur-là.


aujourd'hui et demain.

312 C'est

de tous les

est

la

surprise

jours. Observez aussi

qu'il n'y

une hiérarchie

invisible,

a point seulement à y prendre place ceux qui

Un mouve-

pratiquent en vérité leur religion.

ment spontané de la volonté, un exemple, un mot, un danger, un souvenir, peuvent y conduire jusqu'aux sommets, surtout dans un vieux pays

comme

le nôtre, tout pétri

mérite des ancêtres, ceux-là

foi et le

se croyaient

démunis, plus ou moins, de

secret qu'ils portaient en

sans

vivent,

le

savoir,

inconnues!

grand'mères

par la

mêmes

qui

l'idéal

eux-mêmes. Combien de Vave

maria des

L'héroïsme de nos

troupes ne peut être bien compris sans cette explication.

l'homme y

Il

de sublime pour que

a trop

soit seul.

Paul Gaultier ne

s'y est

pas trompé.

Pouvez-vous penser sans courage, qui

mis en

péril

On

guerre? les

les

été

années qui ont précédé

la

l'attaquait dans toutes ses sources,

l'idée

Ce n'est pas seu-

et les divines.

de patrie qui

niée par quelques-uns

moindre

que ce beau

nous sauve aujourd'hui, a

dans

humaines

lement

effroi

:

était

diminuée ou

partout la doctrine du

effort était insinuée.

Le

sacrifice et le


LE

«

DROIT AU BONHEUR

313

».

dévouement semblaient relégués parmi stitutions des anciens

noms

sous des

royaumes,

«

le

romans

littérature,

droit au

ou

écrite

bonheur »? On

cette misère mortelle;

musique; on

en

mettait

et l'égoïsme,

assemblait de faciles

divers,

au delà, toute cette

parlée, bêlant

mettait en

con-

Kappelez-vous, en 1914, en 1913

adorateurs. et

les

on

la

sur les

l'affichait

murailles. Les orateurs de carrefour, toujours

en quête des mots qui font voter, reprenaient

thème du

le

droit à la jouissance et le vulgari-

Quel réveil!

saient.

A

peine ose-t-on aujour-

d'hui écrire de pareils mots.

au bonheur? Est-ce

les

est-il, le

vivants qui

le

droit

connais-

sent? Est-ce les maris qui se battent? Est-ce les

femmes

qui

attendent dans l'angoisse, ou

qui n'attendent plus? Et ne seraient-ce

celles

pas les morts? Qui peut se vanter de l'avoir?

Qui

en

devenus,

aurait si

cette

avait prévalu, l'a

fait,

l'audace?

des

et,

Que

formule d'égoïsme menteur

au lieu de

victimes

faire,

comme

individuelles

défaillances isolées, avait eu le blir et

serions-nous

et

temps

elle

des

d'affai-

de pourrir la race?

Ah! quel mortel sophisme! Nous

le

18

voyons


314

AUJOURD HUI ET DEMAIN.

en ce moment. Nous voyons

nous échappons. Mais jamais, taille.

et

que

la

il

le

danger auquel

faut s'en souvenir à

leçon suffise! Elle est

de

,


LA DEVISE D'UN MARIN

25 Avril 1916.

Plusieurs livres, très différents par l'allure

ont déjà raconté

et le style,

times de

les

épisodes mari-

Grande Guerre, comme

lu

Falkland

des

îles

les

croisières

et celle

la bataille

du Dogger Bank, ou

des bateaux de l'Entente, qui

enveloppent de leurs sillages presque toutes les côtes

de l'Europe, font la police des mers

et guettent les flottes,

peu soucieuses de

sortir,

de l'Allemagne et de l'Autriche. Je viens de recevoir

bonds de tion

le

récemment

la Gloire,

n'est

n'est pas

plus

édité,

par René Milan.

les

Vaga-

Mon

inten-

nullement d'en rendre compte. Ce

mon

rôle

ici.

Je n'ai

lu,

d'ailleurs.


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

316

qu'un petit nombre de pages, assez cependant

pour voir teur

:

dans deux sentiments de l'au-

clair

l'amour de

l'amour de

la

langue

la

française

et

France. Tous deux sont de belle

qualité.

Ce grand sujet de

la

guerre

maritime en

1914, 1915, 1916, donnera naissance, l'autre,

comme

comme

celui de la guerre continentale,

à toute une littérature. Les officiers de la flotte anglaise,

— peut-être

ce

mince midship, tout

dont

le

sourire était infini-

rasé, silencieux,

ment

rare et infiniment jeune, et

que

je revois

toujours sur la passerelle de son destroyer; les ravitailleurs

d'Arkhangel;

les

bombardeurs

périodiques des dunes belges transformées en abris militaires, et des plages autrefois

mon-

daines de Zeebrugge et d'Ostende; les ordon-

nateurs et convoyeurs des prodigieux transports de troupes entre l'Algérie, le

Maroc

et la

France; les marins de l'expédition des Dardanelles les sauvages ;

commandants des submersi-

bles allemands pourront écrire des

mémoires

qui renouvelleront tous les thèmes de l'histoire

navale et des

Mais

ils

«

voyages extraordinaires

ne seront pas

les seuls.

Chaque

».

nuit,


LA DEVISE d'un MARIN. (les

Houilles qui ressemblent à la

317

meute d'un

gentilhomme pauvre de mes amis, laquelle

compose pour

trois bassets

chien d'équipage pour terrier,

le

deux

de

essentiellement

le lièvre,

pour

le lapin,

un

chevreuil et un fox-

tout chassant d'accord,

le

se

briquets

n'importe

quoi, sortent des ports de la Manche, le soir, la nuit,

au

éteints,

exécutent des randonnées dont l'âme

petit jour, et,

naviguant tous feux

des vieux corsaires eût été réjouie. Contre-torpilleurs, torpilleurs, chalutiers

armés, entourant

quelquefois un de ces monitors anglais qui lèvent assez haut,

comme une

pendule ren-

versée tendant son balancier, l'unique tourelle

juchée sur un trépied, s'éparpillent à l'ouest, les

contournent

les

champs de mines,

l'est,

à

bancs de sable, évitent

s'arrêtent

pour attendre

une patrouille allemande, repartent, rencontrent des torpilleurs ennemis, des poseurs de

mines, de faux navires marchands qui, tout à coup,

du Nord

démasquent leurs et la

nuit, le théâtre

ignorés.

Les

batteries.

La mer

.Manche sont, presque chaque

de duels terribles

et à

peu près

communiqués ne peuvent pas

tout dire, les matelots ont défense d'écrire, et 18.


ÀUJOURD HUI Eï DEMAIN.

318

brume ne

la

dit rien.

Mais nous aurons, plus

tard, l'historien de ces

où nos

combats dans l'ombre,

courage de nos marins

le

et l'habileté

de

de ces connais-

officiers font l'admiration

seurs que sont les Anglais.

Je reviens aux Vagabonds de

L'au-

la Gloire.

teur a « vagabondé », surtout depuis le début

de

dans

la guerre,

la

Méditerranée.

Il est

le

poète des randonnées adriatiques et des croisières ioniennes. Je

ne

citerai

qu'un fragment,

à cause do la leçon qu'il enferme, et que l'au-

teur a mise

sans s'en douter.

là,

Le croiseur parcourt l'Adriatique. Un navire est signalé naître.

mis pas,

S'il

est

au large. neutre,

lui

Arrêtez-vous, sur-le-champ!

:

le

recon-

est

trans-

S'il n'obéit

un premier coup de canon à blanc rend

plus clair l'avis déjà donné. la

On va

ordre

visite?

Comment

C'est très joliment

se fait

raconté,

mais

avec trop de détails pour que je puisse transcrire

tout

le

récit.

«

En un

clin-d'œil,

une

de nos baleinières descend à l'eau, son équi-

page

saisit

les

armé du sabre grand

registre,

avirons; l'officier de corvée, et

du revolver, muni d'un

saute dans l'embarcation qui

\


LA DEVISE D LN MARIN.

319

du bord... La baleinière accoste

s'éloigne

le

vapeur, sur la muraille duquel se balance une échelle de corde, parfois une simple corde à

nœuds.

Pourquoi

courtes?... et

A

toujours

sont-elles

trop

bras tendu, empêtré d'un sabre

d'un registre, sanglé dans une redingote qui

n'est

point taillée pour la voltige,

de

s'efforce

secondes,

il

saisir

le

aux hanches, à rétablissement,

aux cordes

gage,

lécher jusqu'aux

gagne quelques échelons, glissantes,

pose enfin

et

genoux,

poitrine; d'un vigoureux

la

il

l'officier

Pour quelques

du trapèze volant; une

exécute

lame s'amuse à

hisse

l'échelle...

les

enjambe

le

se

bastin-

pieds sur le pont. »

D'abord, accompagné du capitaine, du commissaire et

du matelot

d'escorte, l'officier

chambre de navigation, où sont

gagne

les papiers

la

du

bord. Les papiers sont en règle. Alors vient l'interrogatoire

:

D'où venez-vous? Où

vous? Où vous êtes-vous arrêté? en aide à son commandant, navire

se

multiplie,

le

remplit

incisives.

Pour venir

commissaire du

un

liqueur, débouche une bouteille de glisse la

«

allez-

verre

de

Champagne,

coupe fumante entre deux questions

La main

française repousse courtoi-


aujourd'hui et demain.

320

sèment ces à son

offres d'Artaxercès.

tour,

banc

au

passe

déploie et explique les

listes

Chaque

un

ligne contient

Le commissaire, des accusés.

Il

de marchandises...

D'un calepin,

piège...

tenu à jour sur les navires de guerre,

l'officier

extrait les listes d'expéditeurs, de destinataires

favorables à nos ennemis, et vérifie que leurs

noms ne figurent pas

sur les papiers du bord.

.

.

»

Puis, tous les passagers s'alignent sur le pont,

chacun tenant à Ils

sont

la

main

ses

pièces d'identité.

graves, irrités, amusés, inquiets,

là,

indifférents, selon le

tempérament,

les risques

possibles de l'aventure, et la qualité port.

Des compatriotes, des Anglais, des An-

glaises, des

avec

Russes qui voudraient bien causer

l'officier;

des Levantins, des Chiliennes,

des Hollandais,

des Arabes,

tantôt en leur langue, :

l'officier

découvre un ennemi,

il

faut tout interroger.

une inspection rapide des

la cabine, il

confirment

faut conclure

les

Parmi eux.

un Allemand

voyageant sous un faux nom. Une ciliaire,

répondent

qui

tantôt en français des

Echelles

mais,

du passe-

visite

valises,

soupçons.

l'afj'aire

domi-

«

dans

Désor-

avec décision,

avec élégance, à la française. Investi de pouvoirs


LA DEVISE D UN MARIN.

un bâtiment neutre,

discrétionnaires sur cier visiteur

est

tenu

ton de sa voix,

la

l'offi-

courtoisies qui

à des

satisfassent les plus chatouilleux. le

321

Son

attitude,

qualité de ses paroles

en un milieu souvent hostile, tou-

ufiîrnient,

jours ombrageux, la volonté souveraine de la patrie.

L'état-major du navire, son équipage,

ses passagers,

forment un aréopage de juges

sarcastiques, de témoins libres qui dauberaient,

aux quatre coins du monde, sur maladresse.

la

moindre

Enfin nous avons la coquetterie

de ne point imiter les goujateries de nos adversaires.

L'officier

visiteur s'arrête en face de

l'Allemand, l'interpelle par son nom, pose un doigt léger sur sa

manche ou son

sans élever la voix »

Suivez

»

gages

On

mon

et

:

«

Je vous

épaule, et dit,

fais

matelot, qui va prendre vos ba-

vous conduire dans

la baleinière... »

n'ajoute rien. Ce qui est dit est

plus,

si

la

scène devient pénible,

tourne vers

prisonnier.

le capitaine...

Cela

dit.

Tout au

l'officier se

suffit... »

Les nuances sont toutes justes dans ce morceau; je ne dis pas seulement celles du style,

mais celles de .soi-même, de

l'action. Cette

surveillance de

son geste, de sa voix, do ses


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

322

mots, cette volonté de mettre de

dans

la police

ne pas digne

de guerre, ce constant souci de

faire tort à la patrie, et

11 n'est

la fran-

une règle de conduite générale.

pas besoin de la rappeler à ceux qui

se battent

pour

ou

obéissent,

qu'ils

qu'ils font aide

La

de se montrer

en toute chose, à

d'elle, et d'agir,

çaise, c'est

la courtoisie

la

France, Qu'ils ils

ou dessert

jalousie d'un chef

commandent

sentent que tout ce le

pays tout entier.

ou son imprudence,

la

négligence d'un soldat ou son insubordination, seraient des coups directs portés à la patrie en

]

guerre.

\

Mais

les civils,

eux

aussi,

chaque jour

et

en

mille occasions, peuvent être cause de force ou

de faiblesse. assez.

Ils

n'y pensent pas tous, ou pas

L'image devrait leur être toujours pré-

sente « des juges sarcastiques, des libres qui

monde, sur écrivent, S'ils

la

ont-ils

moindre maladresse toujours pesé

parlent, les ont-ils

leurs

comptés?

hommes politiques, moment de voter, l'image des

témoins

dauberaient, aux quatre coins du

ont-ils

».

S'ils

mots?

S'ils

aperçu,

sont

au

de cette joie mau-

vaise que le vote peut éveiller au delà des


LA DEVISE D UN MARIN. frontières,

France

songé que

ont-ils

toute injustice

le

renom de

la

et jalousé,

que

par nous commise dans

nos

magnifique

ainsi

est

323

discussions de famille et nos lois intérieures,

nous fait

plus d'ennemis à l'étranger qu'elle ne

fait

de victimes en France? S'ils n'ont d'autre

pouvoir que celui

souvenus de l'exercer çaise »?

«

avec élégance, à

Quand nous fondons une

industrielle l'industrie

toujours

d'élire, se sont-ils

la fran-

entreprise

ou commerciale, choisissons-nous

ou

le

commerce

qui peut

le

mieux

refouler la concurrence étrangère et avancer la

conquête française?

Dans

la

l'espère, la

France de

demain,

ce

sera, je

coutume de tous de regarder aux

neutres et à l'ennemi, d'avoir l'œil à la fenêtre, et d'agir,

en chaque occasion grave,

l'officier visiteur,

lui

comme

qui ne veut pas qu'à cause de

on médise du pays.


LE MINIMUM DE SALAIRE

30 Avril 1916.

Nous sommes dans

la

voie

entrés, depuis longtemps déjà,

des

sociales,

dites

lois

lois

d'exception, en somme, dont la plupart seraient

sans objet dans une société

du

travail serait

complète

l'organisation

oîi

et

le

devoir

suffi-

enseigné. Je tâcherai quelque jour

samment

d'exposer cette vérité pleine de conséquences.

Aujourd'hui, je veux seulement indiquer l'éco-

nomie de

la plus récente

de ces lois; de

discutée, de la plus timide les limites taillées

si

la plus

l'on considère

volontairement étroites qu'elle

dans un vaste domaine; de

la

treprenante, quand on songe qu'elle

s'est

plus en-

fait inter-


LE MINIMUM DE SALAIRE. venir l'Etat dans je

veux

mum

le

même du

contrat

du 10

juillet

travail

191o sur

le

:

mini-

de salaire.

C'est sait

dire celle

323

un

essai.

On

On

attend les résultats.

bien que l'expérience est

le

souverain juge

de ces tentatives de réformes qui touchent à

de sentiments, tention,

et parfois, quelle

peuvent

ici

que

soit l'in-

réglementer l'appa-

toujours pesant et mécanique de la

c'est la vie

elle-même,

tant

ensemble.

tous

froisser

les

La matière que prétend reil

coutumes, à

à tant de

d'intérêts,

tant

loi,

et c'est la souffrance.

Tous ceux qui vivent, par profession ou par amour, dans

la

familiarité

du monde où

le

pain quotidien n'est pas assuré, connaissent

de

l'extrême sensibilité

la

misère,

l'impuis-

sance des formules et du remède uniforme. C'est

donc bien un

Qu'a-t-il

essai.

Le mal,

lui,

les

sement des

n'est pas douteux. Il

blir

loi

y a long-

sociologues ont dénoncé l'abais-

salaires des ouvriers et ouvrières

travaillant à domicile

de

donnera-t-il?

donné?

temps que

tion

Que

:

la

première proposi-

du comte de Mun, tendant à

un minimum de

salaire, est

du 2

éta-

avril 1909. 19


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

326

L'idée est plus ancienne.

On

a voulu lutter

contre les causes multiples de l'avilissement salaires

des

qui

principalement, pour

sont

cette sorte d'industrie chez soi, l'extrême con-

currence,

intermédiaires, commission-

et les

naires, sous-entrepreneurs. Et la

sant

milieu

son

d'établir

vrières

d'expérience,

un minimum de

salaire

loi, choisis-

a

commencé

pour

les

ou-

« exécutant à domicile des travaux

dans

rentrant

l'industrie

du

vêtement

»,

tailleuses, jupières, chapelières, cordonnières,

lingères, brodeuses, dentellières, plumassières,

gantières, soit

un ensemble d'environ 850 000

personnes. Elle est, d'ailleurs, loi

souple, et

un curieux exemple de

un simple règlement d'adminis-

tration publique pourra étendre ses disposi-

tions à d'autres industries.

La détermination du confiée

à

des Comités

salaire

minimum

de salaire

et

est

à des

Comités professionnels d'expertise, délégations des conseils de prud'hommes, présidées par un

juge de paix. La mission de ces comités est des plus

difficiles. Ils

doivent rechercher quels

sont les salaires payés,

dans

la

région,

aux


LE MINIMUM DE SALAIRE.

327

ouvrières de chacune des spécialités de l'indus-

du vêtement, travaillant en

trie

atelier, puis,

ayant établi ce « salaire au temps

»,

indiquer

temps nécessaire pour l'exécution de chaque

le

pièce industrielle, par exemple d'une chemise,

d'une paire de gants, d'une forme de chapeau,

d'un col brodé. L'ouvrière à domicile gagnera

donc

ou

le

même

pourra

salaire

le

que l'ouvrière en

gagner,

aux pièces

salaire

le

atelier,

ayant été converti, par cette méthode, en salaire

au temps. Le minimum, dans

la

confection à

machine, est de 3 francs par jour;

la

jupe demande G heures de façon

donc payée

que

afin

affichés, et

elle

les

les

plus minutieuses sont soient

tarifs

que l'inspecteur du

moyens de contrôle reçoit pas,

elle sera

1 fr. 80.

Les précautions prises,

:

telle

en

publiés

travail ait les

suffisants. Si l'ouvrière

fait, le

et

ne

salaire ainsi réglementé,

peut réclamer devant

le conseil

d'hommes. Le plus souvent,

elle

ne

des pru-

le fera pas,

par timidité, par ignorance ou simplement par cette

raison que formulait devant

femme dont

la

vie se

moi une

passe au milieu des

ouvrières et à leur service

:

« Elles

sont plus


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

328

mères qu'ouvrières.

Beaucoup de choses

»

tiennent dans ces mots-là, qui sont, au fond,,

un bel éloge de l'ouvrière

française. Il se peut

donc que

la loi

l'intéressé

n'invoque pas son droit. Mais

ne soit pas respectée, et que

y ont pourvu. Je

législateurs

reux de pouvoir

hommes

suis trop

rendre justice à

heu-

quelques

compétents, qui se sont inspirés de

grande de l'honneur du métier,

l'idée

les

ont armé

et qui

syndicat professionnel, celui de la

le

couture, celui du gant, celui de la plume, et les autres, et

de

du pouvoir de

rétablir

notez-le

le

redresser

principe.

Remarquez-le,

comme un signe précurseur comme mandataire

dicat n'agit pas

vrière lésée;

il

a

un

l'erreur

droit propre,

un

:

le

syn-

de l'oudroit qui

n'est point fondé sur l'intérêt privé, mais, ce

qui est d'une autre dignité, sur

de

la

dont

il

dit très

corporation

et

le

bon ordre

sur l'intérêt supérieur,

est le représentant, chargé,

comme

l'a

joliment M. Lerolle, « de faire régner

l'honnêteté dans le travail

».

Voilà donc, exposée dans ses traits les plus

généraux,

la loi

sur

le

minimum

Qu'on me permette, à présent, un

de salaire.

certain

nom-


LE MINIMUM UE SALAIRE. l)re

329

de réflexions. Elles montreront, à ceux qui

n'auraient pas étudié notre législation du tra-

complexité des problèmes à résoudre,

vail, lu

et

parmi quelles extrêmes

difficultés les philo-

sophes sociaux essayent de

progresser

faire

leur œuvre.

L'Etat intervient dans la fixation des salaires.

De il

quel droit?

Il

n'est point partie

au contrat,

n'est ni ouvrier, ni patron. Il s'impose à

libertés, et

tient ni

de

il

Ce pouvoir,

les limite.

nature du contrat, ni de

la

il

deux ne

le

volonté

la

des parties, dont l'une au moins a intérêt à le récuser.

Aussi beaucoup de personnes ne

considèrent-elles s'en trouve

même

comme

point

parmi

ardents de la loi de

11)

le

même,

lo.

les rapports,

montre

relative

aux comités de

M. Barthélémy Raynaud, pour juger

Ce sont des

la

justice

:

législations in extremis. »

Le mot

comme

gardien

est assez juste. L'Etat agit ici

de

la

principe

le

de telles mesures, inventait-il cette formule «

Il

d'une étude approfondie sur

la législation anglaise,

salaire,

Leur langage, à

doute qu'ils gardent sur et l'auteur

le

les partisans les plus

Chambre, au Sénat, dans bien

légitime.

générale.

Son

droit,

que tant


aujourd'hui ET DEMAIN.

330

d'abus nous portent à contester, n'en est pas

moins que

Mais on doit ajouter aussitôt

certain.

l'Etat qui le possède

ne peut pas

l'appli-

La vraie manière d'exercer un pouvoir

quer.

intime dans

monde immense

le

si

des intérêts,

de l'abandonner aux règlements privés

c'est

des collèges du travail,

comme disait Léon XIII.

En avons-nous? Voyez, en second

lieu,

comment

les

ques-

tions qu'on croit résolues ne le sont pas,

plutôt

nous

comment

les

les

premières

difficultés,

quand

avons vaincues, nous laissent devant

d'autres, souvent plus grandes collines,

ou

rudes

à

monter,

successions de

:

dont chacune

est

l'écran qui cache la suivante. Jusqu'à présent,

soixante-dix-neuf comités de salaires ont déter-

miné

tenu

compte

existent entre

même

minima au temps.

les salaires

pas tous suivi

la

même

des

Ils

n'ont

méthode. Les uns ont

différences

une profession

profondes et

qui

une autre du

groupe d'industrie, certains travaux

exi-

geant un long apprentissage, ou plus de finesse de main, ou plus de force, ou l'acquisition pre-

mière

d'outils

établis par

ou de

machines.

eux sont donc nuancés,

Les et,

tarifs

tout de

1


LE MINIMUM DE SALAIRE.

VOUS reconnaîtrez

suite,

l'esprit professionnel.

Au

là l'esprit

331

de métier,

contraire, la plupart

des conseils de prud'hommes socialistes ont

répondu par une affirmation unique payer

somme

telle

du vêtement, quoi de

la broderie,

•'est là

la

il

:

faut

à l'ouvrière de l'industrie qu'elle fasse,

que ce

soit

de

chaussure ou des gants. Et

une indication curieuse de l'orientation

du socialisme, organisation politique

et

non

pas organisation de métier, groupement qui se soucie peu de la qualité du travail, et compte >t'ulement les ouvriers. Rien ne serait moins juste et rien ne serait plus dangereux, pour

que

l'avenir

du

Itiutalo.

L'ouvrière qui voit que son art ne

est point

travail français,

compté;

d'apprentissage difficile et joli,

de

la finesse

celle qui a

afin

il

cette égalité lui

payé des années

d'apprendre un

métier

du goût, de

l'esprit,

faut

de main;

celle qui avait acheté,

de ses économies premières, les outils de

la

profession, ou les avait pris à crédit, que ferontelles, si elles

constatent que les juges du salaire

minimum ne

font aucune difîérence entre elles

et

la

simple manœuvre, et faussent,

détriment,

la

à leur

justice? Elles seront tentées de


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

332

regretter ce qu'elles ont fait; elles se diront à tort,

mais

se

elles

diront

gagné autant avec un élèveront leurs

maternel,

filles,

dans

auraient

qu'elles

effort le

moindre;

elles

dédain du métier

finalement, la France risque de

et,

perdre, peu à peu, quelques-unes de ses élites ouvrières. centrale,

Il

que

faut espérer

la

commission

ministère du travail,

qui siège au

réformera ces sentences mal venues

On

professionnelles.

erreurs qu'il

du comité de

exagère

le

et si

peu

peut supposer d'autres salaire, et, par

minimum dans

exemple,

telle industrie.

Peut-être le patron avait-il déjà grande peine à maintenir son usine ouverte

de

fermer,

la

une

et,

:

sera obligé

il

de plus,

fois

la

concur-

rence étrangère aura place libre.

qui sera bienfaisante

Cette loi pénétrante,

ou dangereuse, selon

conscience et l'habileté

la

des agents chargés de l'appliquer, à quelles

mains

l'a-t-on confiée?

de prud'hommes. tence. faire

Mais

de

ils

telles

Ils

Je

l'ai dit

:

aux conseils

ne sont pas sans compé-

n'ont pas été

enquêtes.

Il

nommés pour

peut arriver qu'au-

cun de ceux, patrons ou ouvriers, qui siégeront dans

les

comités de salaire, n'appartienne a

la


LE MINIMUM DE SALAIRE.

333

catégorie des industries du « vêtement à domi-

que

cile », et

isolé.

Je vois aussi

ma

ce sera là

le

taux du travail

juge de paix, j'aperçois

conclusion.

pour

posent,

le

décide

Solutions hybrides et provisoires. Et

le préfet.

pour

l'atelier

De

telles lois

être équitables,

sup-

simplement

et

quelque temps vivantes, une orga-

être

nisation du travail que nous n'avons pas, et qu'il faut faire.

Pour

professionnels,

il

est

délibérer sur les intérêts

nécessaire d'avoir

syndicats professionnels,

au moins par

non

des

politiques, mixtes

la pointe, afin

que

les

chances

d'entente soient augmentées et les chances de rivalité

cats

diminuées. Je connais plusieurs syndi-

du vêtement rccommandables

catholique

:

et d'origine

syndicat des ouvrières à domicile,

38, rue Vercingétorix; syndicat des ouvrières

de l'habillement, 3, rue de l'Abbaye; syndicat

des ouvrières de la couture,

Champs.

iMais

5,

rue des Petits-

combien d'ouvrières, dans

seule industrie, ont négligé ce puissant

de protection? Combien dans urgent,

il

est

digne

cette

moyen

les autres? Il est

de l'intelligente et tendre

charité chrétienne, de

multiplier les corpora-

tions ouvrières, les organisations,

non de 19.

lutte,


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

334

mais d'arrangements,

et

de laisser les patrons

et les ouvriers délibérer sur les intérêts

profession. ils

Eux seuls

ils

les

dommage

la

connaissent bien, et

ne se connaissent pas assez,

au grand

de

des uns

le

et

plus souvent,

des autres.

Il

importe aussi de ne pas constituer des groupe-

ments sans autre puissance que passion

et

sans

responsabilité.

celle

de la

Le système

actuel est détestable, qui limite étroitement la

propriété et le droit d'administration des syndicats. Ils

doivent être riches et libres de leur

fortune.

Ah

!

que ce monde immense du

travail a

besoin d'être aimé, servi et libéré des doctrines

de mort!

,


LA CONNAISSANCE DE SOI-MÊME ET DAUÏUUI

2 Mai 1916.

Un

des grands effets de la guerre aura été de

faire connaître à

eux-mêmes

étaient blables.

Avant

coup toutes

me

qu'ils

et ce qu'étaient leurs

sem-

qu'elle n'éclatât, modifiant d'un

les

conditions de l'existence, je

souviens d'avoir déploré, plus d'une

([ue les

fois,

Français fussent juxtaposés par groupes,

ft qu'il si

beaucoup d'hommes ce

y

eût, entre ces familles artificielles,

peu de pénétration. On

de la métallurgie ou de soyeux,

était

paysan, ouvrier

la laine,

tanneur ou teinturier,

«ommerce ou de grande

mineur ou

employé de

société, propriétaire


aujourd'hui et demain.

336

rural, fonctionnaire, avocat, et le reste

que

les relations étaient courtes et

mal de juger ceux

d'à côté, ceux

ou moins proche, des

:

mais

permettaient

du clan plus

êtres fraternels pourtant

des amis possibles!

et

A

peine, quelquefois,

pouvait-on regarder

par-dessus la haie d'épines noires. Individualisme, esprit de jalousie dont vit la Révolution et

dont meurent

pays,

les

défiance,

défaut

d'une large organisation du travail qui montre à

chacun sa place

commune,

puissance dire,

et

son honneur dans

et aussi,

trépidante,

activité

il

la

faut bien le

manque de

loisir,

rigueur de ces grandes villes contemporaines qui parquent les riches, les demi-riches

et les

pauvres dans des quartiers différents,

sépa-

et,

rant les habitations, éloignent jusqu'à les sup-

primer

les

occasions de rencontre

:

voilà les

causes.

On s'ignorait là,

les

uns

— ne trouvez- vous

tiers

En

d'une époque ancienne?

à peu près sûrs des

c'étaient

les

ce temps-

pas qu'on parle volon-

des années qui ont précédé

comme juges

les autres.

la

âmes

guerre

les

seuls

françaises,

vieux missionnaires habitués à


LA CONNAISSANCE DE SOI ET D AUTRUI. 337 prêcher et confesser, tantôt dans une province

une autre, pleins

tantôt dans

et

d'histoires,

de mots populaires, observateurs qui

riches

pouvaient beaucoup voir

souvent comparer.

et

C'étaient encore les directeurs de patronages,

dans

les

grandes

que leur goût de

villes, et

état obligeait la

quelques industriels,

aux voyages,

et

que

le

philosophie sociale, ou simplement

l'amour passionné l'étude

des

nombre

et

de

milieux. la

gravité

mais aussi

souffrions,

la

inclinait

patrie,

Ceux-là

savaient

à le

des

maux dont nous

les

ressources

prodi-

gieuses de ce peuple, et les signes déjà nés du

renouveau.

La

littérature dépeignait surtout

Les

dilettantes

réalistes

essayaient

nous en accablaient.

nos défauts, inventaient.

ils

nos misères.

d'en

généralisaient les vices,

L'affreuse

Les

rire.

Ils grossissaient

humanité

de

romans, sortie d'une imagination sale

et

ils

en

leurs

d'une

observation superficielle, était reçue à l'étran-

ger

I

I

avec

beaucoup d'honneur, comme une

image

fidèle

nous,

même

de la France, et diminuait chez

parmi

dans nos destinées.

les meilleurs, la confiance


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

338

Vous rappelez-vous

«

le refrain

d'Allemagne, poussé par

nait

Peuple en décadence,

qui nous revele

vent d'est

:

nation corrompue,

nation Unie »? La protestation qu'il soulevait

n'empêchait pas de l'entendre. Aucun grand

mouvement répondre l'unité

national

ne

permettait plus de

victorieusement,

du pays, de

l'honneur

la

de

et

parler

de

volonté du pays, de

vivant du pays.

Et cependant

la

vérité était là.

Après deux ans de guerre, les notes, les lettres

lisez les livres,

des jeunes écrivains qui se

battent; tout ce qu'ils écrivent porte le signe

de

cette

vertu première

:

sympathie de

la

l'homme pour l'homme. Les journaux qui interrogent les auteurs et leur demandent ce

que sera

la littérature, après la paix,

ne peuvent

recevoir d'autre réponse que celle des préfé-

rences individuelles.

Nous manquons

ment de renseignements sur dans

la

l'avenir,

presse d'informations. très

plus,

ce n'est par exception, de ces

si

même

Cependant,

semble

romanesques,

décidé-

il

probable que nous ne reverrons

écrites

œuvres

sans fraternité, et qui

faisaient de nos contemporains, gens

du peuple.


LA CONNAISSANCE DE SOI ET d'aUTRUI. 339 i^ens

du monde, des brutes passionnées,

diffé-

rentes d'éducation, d'orthographe et de prononciation,

mais non point de bassesse. Toute

cette littérature

en

vinjj^t

de mépris a

mois.

vieilli

d'un siècle

L'œuvre d'Emile Zola

[ilusieurs autres,

de

et

à qui certains reprochaient

seulement d'être ordurière, apparaît aujourd'hui telle qu'elle est avant tout

La

inexacte.

:

guerre est un terrible critique de

lettres. Elle

a jugé d'un coup ces mortelles inventions, et

démontré aux gens réciproque,

sans

France que l'estime

de

laquelle

patrie, est bel et bien

il

n'y a point de

fondée autant que néces-

saire.

Lisez les

carnets de soldats,

et lisez les lettres.

avec d'autres ils

hommes qui

Les

hommes

les

trait, le

répète,

souiïrent

comprennent

aiment d'eux quelque chose;

un mot, un

ils

enfin;

admirent

courage d'une minute,

jtatience des longs jours .

je le

:

et tout est

la

renouvelé.

Quelle maîtresse d'amour que l'épreuve com-

(mune! Comme

ils

en sont grandis, ceux qu'on

voyait à peine et qu'on n'entendait point!

ami que

j'ai,

sous

le feu

Un

de l'ennemi, m'écrit,

datant sa lettre du dimanche des

Rameaux, une


aùjolud'hui et demain.

340

petite lettre « J'ai

au crayon, sur un bout de papier

vu des messes

dans

dites dans les bois et

tranchées. Mais que

les

était

celle-ci

:

belle,

dans cet ancien cabaret bombardé, tandis que

Un

obus tombaient tout près, sans cesse!

les

mauvais piano remplaçait l'orgue; on chantait;

on a distribué des rameaux deux Et à ces crucifiés on a lu

Vous reconnaissez dresse. Ces

le récit

de la Passion.

»

l'accent de la forte ten-

hommes-là, que de services

sont rendus les uns aax autres,

ils

l'officier

se

aux

Qui pourra dire

soldats, les soldats entre eux!

dépensée en un seul jour d'un bout

la charité

du

fois sacrés.

front à l'autre, les consolations, les confi-

dences, les encouragements, les assistances, les privations

même la

dangers acceptés ou

les

pour

recherchés

étranger

dans

subies,

que

peut-être la veille, section,

camarade,

leur volonté a

dans cette rude école se sont libérés en

partie de l'égoïsme ancien. Ils veulent unis,

nouveau

échappe au mauvais sort?

Tous ceux-là que leur âge ou inscrits

le

et tout

même

après

la

guerre, et

ils

demeurer ont déjà

décidé qu'ils formeraient des associations vétérans. L'un d'eux

me

disait,

au

moment

de de


LA CONNAISSANCE DE SOI ET d'AUTRUI. 341 quitter

femme

sa

et ses

enfants,

simplicité de la douleur véritable

avec

et :

la

Heureu-

«

sement qu'on va retrouver sa famille de

là-

bas. »

Jamais

le

sentiment de l'unité française n'a

pénétré tant d'hommes, ni

si

profondément.

Je pense aussi à plusieurs de ceux qui ne se croyaient capables de rien de grand,

et

qui

s'aperçoivent à présent qu'ils se trompaient. Ils

étaient dévoyés;

ils

courage de reprendre no l'avaient-ils pas (le

la la

:

le

voie droite; peut-être

guerre les a contraints

d'une extrême timidité,

l'avoir. Ils étaient

et voici qu'ils

ne se sentaient pas

ont pris de l'audace.

Ils parais-

saient tellement déshabitués de l'efîort qu'on

voyant

se

demandait, en

ils

supporteraient d'étapes

les

partir,

ils

:

ont dû marcher

pour se défendre, obéir pour vivre, redevenus

comme

des

dans

hommes. les

Il

champs,

combien

et ils sont

y a chez nous, un sous-sol, et

l'herbe de la surface ne dit pas toujours

ce

qu'il vaut.

Je

me

rappelle

gauche

et

malgré

la

un brave garçon,

si

timide,

emprunté, que ses amis souriaient gravité de

l'heure,

en

le

voyant


aujourd'hui ET DEMAIN.

342

habillé en soldat. Il n'avait pas, et sans doute il

n'aurait jamais l'allure

recommandée par

vient au soldat d'infanterie est fait il

a

la

dégagée qui con-

théorie, « cette allure fine et

».

Je

l'ai

revu.

demeuré timide, en apparence. Mais

Il

il

a

toute la campagne, depuis le 2 août 1914;

deux

Verdun a été fois

fois

parcouru

le front,

a participé à deux grandes batailles

;

deux

fois cité à l'ordre

blessé.

sérieuse,

et

giste, aurait

Comme

la

du jour,

blessure

et

était

;

une

assez

que l'homme, ouvrier métallur-

pu obtenir aisément

à l'arrière, le capitaine lui

de Nieuport à

Pourquoi

ne

d'être

demanda

voulez-vous

envoyé

:

pas? Vous

n'osez pas écrire une lettre? C'est ça, je parie?

— Non, mon capitaine. — Vous avez une raison une vraie? — Oui, mon capitaine. — Laquelle? — Mon capitaine, vu arriver Boche alors,

j'ai

je

veux

le

;

voir repartir.

La France et c'est

le

a repris conscience d'elle-même

un grand événement.

:


LES SOMMETS

9

Mai tOlG.

J'accorde que nous jugeons souvent mal de la sainteté,

qui est une perfection d'ensemble.

Le mot nous vient aux lèvres, bel éloge

comme

le

plus

que nous puissions prononcer, dès

qu'une action nous est racontée, très supérieure au courage moyen ou h

la

moyenne

probité.

Je conviens que nous avons la canonisation

en temps de guerre.

facile

Cependant,

il

n'est pas

douteux que nous

n'ayons des saints dans nos armées, plus peutêtre

qu'aucune époque n'en a connu,

et

que

chaque jour ne voie un certain nombre de traits,

la plupart

sans gloire, à peine devinés.


AUJOUIID HUI ET DEMAIN.

344

sans récompense humaine, et qui relèvent assu-

rément, par

beauté de

la

de

l'effort et

tion,

de

même

de certaines paroles.

l'ordre

la sainteté.

par l'inten-

Il

en est de

Je citerai trois lettres, ou plutôt trois frag-

ments

La première a

d'assez longues lettres.

été adressée à

un ami qui me

l'a

communiquée,

par un combattant, et autant que je puis savoir, elle arrive

Je viens à vous, car

«

grand besoin de

j'ai

votre soutien. Moralement vais

le

du front de Verdun.

et

physiquement, je

Les violents bombardements que

bien.

nous subissons

me

fatiguent

beaucoup cepen-

dant, et c'est les nerfs qui sont atteints.

de cela que je veux vous parler... Je

» C'est

comme

ne suis plus courageux temps; je de

que

la

prends à trembler,

premiers

et la crainte

souffrance et de la mort m'envahit sans puisse

je

chère

me

les

femme

encore

ma

réparer

le

m'en et à

mes

mal

Mais

me

fait autrefois, :

c'est là

«

pense à

ma

enfants, et cela avive

Je

tristesse.

Dieu, en lui disant » faite! »

défaire. Je

Que

dis

qu'il

faut

et j'offre tout à

votre volonté soit

un raisonnement,

plutôt

qu'un élan du cœur, qui redoute au fond

les


LES SOMMETS. douleurs à subir. chanter;

dant

il

il

J'entends un petit oiseau

ne redoute pas

les

obus, et cepen-

pourrait être aussi bien touché que nous.

comment

Voilà

345

tude, sans

ce

je voudrais être, sans inquié-

serrement de

cœur

et

cette

angoisse qui m'étreignent quand la mort passe tout près. Est-ce

»

petit, et

donc impossible?...

Que

suis

je

que je m'en rends bien compte!

»

Quel beau scrupule, dans ce courage qui s'interroge,

et

ne se trouve pas assez parfait!

Quelle sûre analyse! Et à

comme on devine

une certaine aisance de

la phrase,

que

bien, celui

Un dans la foule, de même

qui écrit estcoutumier de ces méditations! soldat cependant, perdu

que

le

dont

second, un menuisier d'art de Paris, et la

parente riche, l'éclat ni

est parente

lettre

môme

si

de

la

vous observez

précédente, la netteté et

des formules. Et rien de tout cela,

fond ni forme, ne rappelle les clichés des

lectures quotidiennes. «

Je reconnais

l'utilité

du

sacrifice...

Les

cir-

constances actuelles se prêtent merveilleuse-

ment

Ma mère a eu la mort de mon frère.

à l'élévation des âmes.

confirmation

officielle

de

la


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

346

Sa résignation

d'un parfait amour de Dieu. Ces larmes

ple

amertume

sans

gagner

le

nement

Vélile

le

son langage donnent l'exem-

et

je

sont,

se

forme,

vie,

pourvu que

d'amour...

je

3

le

Reims. Avant

Il

Il

durée

la

un acte

soit

d'un jeune prêtre

a été tué, d'une balle de

avril,

à

Nantes. Réformé,

relevé,

vie

cette

à trois kilomètres de

la guerre, l'abbé Gabriel

répétiteur

aumônier.

prend racine dans

lettre est celle

nommerai.

shrapnell,

était

l'école

Saint-Stanilas,

demanda

il

Ghoimet

à partir

belle,

quels

de

comme

avait 27 ans. Les soldats qui l'ont

dans

la

tranchée, ont trouvé sur lui

deux

cette lettre testamentaire, adressée à ses

sœurs,

de

Certai-

»

La troisième que

et

pleure.

Peu importe

sang des morts...

de la

capables

crois,

à ceux qu'on

ciel

religieuses

bénédictines.

Elle est

si

que ceux-là mêmes en seront émus, auxéchapper

peuvent

raisons d'un

de mourir,

calme

si si

quelques-unes

sacrifice et

du désir

même

vivre devait être moins parfait

que mourir. Nous devons publier de ments, parce qu'ils sont, à

réponse qui

des

la

domine

la

tels

docu-

calomnie, une

infiniment, et que le


LES SOMMETS.

347

pays tout entier est honoré, où vivent de

telles

âmes. c<

Dieu,

»

Ma

la

si

bon Dieu aura accepté

le

Avec moi, mes bien chères

non pas exaucé

ma

vous recevez cette

depuis longtemps déjà, je lui

»

France.

bien chère petite Edith,

petite Alice,

que

âmes,

les

c'est

le sacrifice

que,

de

ai fait

petites,

il

ma

vie.

faudra,

pleurer, mais remercier Dieu, qui aura

ma

prière.

Elle a toujours été en effet

en moi

faites

bien chère

lettre,

:

mon

Dieu,

votre sainte volonté. Si, fidèle à

votre grâce, je puis vivre uni à vous malgré les distractions, les tentations, les épreuves, devenir

même,

à cause

saint... j'accepte

que soient

ma

meilleur et plus

amour de

les croix à porter.

vivre, quelles

Mais

si,

cédant à

faiblesse, je dois vieillir en devenant

pre'fre,

dois

d'elles,

avec

en

me

comprenant moins

moins

la croix, si je

rechercher et travailler pour moi, au

lieu de travailler

pour

les

âmes

pour Dieu, prenez-moi de pour que, du moins, vous

et

en définitive

suite près de vous, retiriez

de

ma mort

ce que je n'aurais pas eu le courage de vous

donner par

ma

vie

:

un peu de

'bien fait

aux


aujourd'hui et demain.

348

âmes,

un

peu d'amour

pour

de gloire

et

vous... »

Il

mes chères

faudra vous dire,

petites

sœurs,... et vous ferez savoir tout cela à papa,

Fernand, Violette

et

Madeleine, que, mainte-

nant plus que jamais, j'aime chacun de vous;

que

davantage sur vos âmes; que je

je veille

vous suis dans chacune de vos journées, partageant vos joies

Vous

»

et

vos peines...

prierez aussi

obtienne de Dieu ce que je offrant

ma

vie.

pauvre sang,

Mon

afin

que votre volonté règne dans toutes n'est

Il

Ce

la

demande en

Dieu, je vous offre

que votre règne

lui

mon

arrive, et

soit faite; établissez votre les

âmes

!

»

montrer plus

ni de se

ou d'une plus large

Comment haine

lui

guère possible à une créature de

monter plus haut, nelle,

ma mort

pour que

expliquer,

frater-

fraternité.

humainement, que

la

plus tenace réponde à cet amour-là?

qu'il faut retenir, et ce qui

sembler ces fragments de trois

points

c'est

que

la

différents

lettres,

m'a

fait ras-

venues de

du front de

bataille,

France, dans ses prêtres et

l'élite

de son peuple, sans distinction de rangs, est


LES SOMMETS.

349

une nation toujours pénétrée de surnaturel,

que nul ne peut elle

assez

I

comprendre,

fortement,

cette vérité, toires.

la

s'il

n'a

ni

et

espérerpour

d'abord appris

qu'on enseigne peu dans

les his-


HISTOIRE

DE DEUX FLEURS BLEUES

lit

Vous souvenez-vous de

Mai 1916.

temps où quel-

ce

ques-uns de nos peintres, appliqués

et char-

mants, organisaient des expositions de tableaux \

dont chacune

et d'aquarelles

et

chacun repré-

sentaient l'intérieur d'un salon, d'une chambre,

d'un boudoir, d'une galerie, quelquefois d'une chapelle?

Aujourd'hui,

les peintres d'intérieur auraient;

d'étranges modèles à peindre,

et, s'ils

prenaient de

qu'il leur fau-j

drait

changer

le faire, je crois

les

entre-

couleurs de leur palette, et

ouvrir grands leurs yeux habitués à l'obscur.


HISTOIRE DE DEUX FLEURS BLEUES. 351 Les

hommes

ceux

habitent des cavernes

au temps de

qui,

:

même

pouvaient

paix,

la

avoir quelque luxe autour d'eux. Je reçois, de la

région de Verdun,

oîi la

pensée de tout

peuple de France ne cesse de voyager,

le

— chacun

avec sa peine, cherchant celui qu'il aime, et tous remerciant des soldats aussi braves,

trois lettres qui se font suite l'une à l'autre et

une semaine. La première décrit

racontent

justement un de ces

« intérieurs »

style, qui n'ont point

du dernier

encore de peintre, mais

me

qui ont des poètes.

Le jeune

l'envoie exprime

bien les deux puissances

opposées la

et

si

mêlées,

le

goût ardent de

pensée delà mort, que je

lettre

de

la

« Il fait

officier

la

qui

la vie et

pourrais dire la

jeunesse elle-même.

un temps admirable, un

blement bleu. C'est

le

ciel

immua-

printemps tardif de ces

régions pauvres, déshéritées de la nature, et le soleil se hâte

de prendre

le

dessus sur l'hiver

qui s'attarde encore et semble s'accrocher au lorrain

aurait

boueux un

et

lézard, à s'étendre, lent,

raviné par les pluies.

plaisir infini à

On

prendre des bains de

dans un farniente somno-

sur ce gazon épais des prairies qui des-


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

352

cendent des collines,

charmantes où

et

forment des vallées

coule un ruisseau clair entre

des peupliers et des bouleaux.

bon

Il ferait

laisser vivre, respirer lentement l'air

pur

se et

bleu, et rêver le songe intérieur et secret que

chacun garde en

soi.

La

vie serait belle et

douce par ce matin de printemps. On aurait

On

volontiers sur les lèvres des mots d'amour. serait

si

bien

isolé, si

calme, et ce serait déli-

cieux de se laisser paresseusement envahir par la

chaleur du jour et la clarté du

Et nous

»

voici,

dans une cave

si

ciel.

quelque vingt hommes,

basse de plafond que je ne

puis y circuler que courbé en deux.

breux éclatements d'obus

tout

De nom-

autour,

des

bruits de moteurs d'avions, des appels sinistres

de téléphone sont

le

fracas à nos oreilles.

colonel

Deux deux

une

écrit,

fauteuils

Sur une table boiteuse

un

le

entre nous deux.

lampe

auxquels

bras, à l'autre

d'oii la paille

concert qui sonne à grand

il

manque

pied.

à l'un les

Quelques chaises

pend en traînée de misère. Quatre

paillasses par terre et

un

petit

berceau

dans

lequel une chatte abrite sa toute jeune progéniture.

En

face

du colonel, votre serviteur vous


HISTOIRE DE DEUX FLEURS BLEUES. 353

A

écrit.

côté do

un aspirant

lui,

charmant agent de

liaison,

d'artillerie,

un roman. Per-

lit

sonne ne parle. Les pipes envoient dans leurs spirales

de fumée

cryptogames que »

celle

l'air

bleue. Existence de

que nous menons.

Au-dessus de nous,

les restes

d'un village

:

désolation, lugubre amoncellement de

lieu de

pierres blanches et de tuiles, qui semblent se

démo-

plaindre, et crier vengeance contre les

lisseurs de ce qui abrita la famille et la paix. »

Notre vie

mais

c'est

ayons

de

donc loin

est

d'être paisible,

notre vie, et la seule façon que nous

trouver la vie chère.

On y

encore plus, à sa pauvre vie, quand

comme jours

aujourd'hui,

où cela

me

si

bon

vivre.

il

tient fait,

y a des

Il

mourir

serait plus égal de

qu'aujourd'hui. Je ne choisirai pas... »

J'ai

été

interrompu.

nous sommes

sortis

allés sur la hauteur.

Mon

colonel et moi,

pour voir; nous sommes

Le spectacle

est

impres-

sionnant. Delà-haut, l'horizon est extrêmement

étendu

:

collines,

et tout cela, plaines, forêts,

noyé dans un nuage immense de fumée et

grise

de fumée jaune, produit par l'éclatement des

obus. Le

bombardement ne

cessera 20.

qu'à la


aujourd'hui et demain.

354

chute du jour. C'est long. Je vous envoie deux petites

fleurs

entre

cueillies

deux trous de

marmites, presque une relique. »

Ne

trouvez-vous

écrites

pas jolies

au son du canon,

et qui disent la vérité

quand

lité,

terre

la

phrases

ces

et droites, et claires,

avec un air de tranquil-

tremble et que

la

mort

court dessus et dessous?

Le surlendemain,

bombardement violence. «

On

lettre brève,

n'a pas cessé.

11

nerveuse. Le

augmente de

attend une attaque allemande.

Vous pouvez comprendre

toute l'angoisse de

ces heures d'attente, dans l'inconnu, dans le fracas des marmites, dans l'isolement

l'on

semaines que je ne

me

suis

se sent. Voilà trois

déshabillé. Et je rêve de J'ai

ma chambre

tant sommeil!... Cependant

j'ai

claire.

la

con-

viction que la grande lutte touche à sa fin.

me

semble,

ainsi,

et je

ne suis pas seul à penser

que ces violents bombardements suivis

d'attaques molles de l'infanterie ennemie, et

plus souvent suivis de rien

que

le

Il

Boche n'en veut

du

le

tout, indiquent

plus, peut-être

n'en peut plus. Quelle puissance

même

d'artillerie!

Mais nous tirons plus qu'eux, certainement. Je


HISTOIRE DE DEUX FLEURS BLEUES. 355 n'ai

jamais rien vu de

ma

dans

pareil...

poche, fanées,

Ah!

je retrouve,

flétries, les

fameuses

Heurs que je vous avais annoncées. Je tâcherai d'en trouver d'autres

Quatre jours

se

qui n'a qu'un seul

prends

elles

sont rares, et

tout,

et

sans nouvelles.

passent,

un télégramme venu,

l*uis

mot

:

«

ne

je

sais d'où, et

Vivant! » Je com-

remercie,

je

et

pense

je

on ne pourra plus

aussitôt à ceux dont « Ils

mais

;

à cueillir. »

difficiles

dire

:

vivent! » Je devine des heures terribles.

J'imagine un combat sur cette pente, je vois les

hommes,

comme

les

gestes,

arrivent enfin

ilrtails

fumées,

les

des taupinières sur «

:

le

les

morts

pré ravagé. Les

Nous venons de vivre

des journées horribles, dont personne ne peut se faire

une

idée.

Les Allemands ont concentré

sur nos positions, un kilomètre de long, cinq cents mètres de large, vingts batteries.

le

feu incessant de quatre-

Le régiment a

été admirable.

Les tranchées n'ont jamais été évacuées, jamais,

vous entendez? Elles étaient nivelées. Alors,

comme les

officiers

mieux

b

la nuit allait finir,

en

tête,

nous sommes

nous disant

être tués dehors. »

:

sortis,

« 11

vaut

Et ça marmitait dur.


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

356

J'y vois assez bien la nuit. Je renseignais les

Nous

sur ce que je pouvais voir.

autres

semblons tout ce que nous pouvons,

un

lente, par

montée

noire, trouée co

mme

boyau,

ras-

et c'est la

vers la crête

une écumoire,

qu'il s'agit

de disputer à F ennemi qui n'a pas encore pris pied sur

dans

sommet. Nous disposons les hommes

le

boyau, puis les officiers sortent

le

Les

premiers.

hommes,

d'abord, sautent sur Il

jour. Les

peu

aux

C'est le petit

commencent

On

oreilles.

tout de suite à nous

cinquante mètres,

fait

puis on se couche; puis un second

mètres plus

cinquante

porte

sommet...

Les

Allemands,

nous envoient

pente,

hésitants

Boches nous ont vus. Des balles de

mitrailleuses siffler

un

parapet, derrière nous.

du matin.

heures

trois

est

le

les

leurs

C'est

le

sont sur

la

loin.

qui

tirs

bond nous

de barrage, des

210, des 88, des 105 fusants, formant une haie

de

derrière

fer

nous

qu'en face de nous

ferment sortir.

le

Les

carré

et

à gauche,

pendant

et à droite les mitrailleuses

d'où nous ne croyions pas

hommes

calmes, splendides... Des

renforts sont arrivés... »

En

post-scriptum ces deux lignes

:

1


HISTOIRE DE DEUX FLEURS BLEUES. « J'ai

pu

cueillir

les

fleurs promises.

357

Les

y avait, dans l'enveloppe, deux tiges terminées par un épi bleu, toutes frêles, encore

voici. » Il

moites.


ENFANTS DE LA MINE

21 Mai 1916.

Mercredi

dernier, j'attendais, à la gare

du

qui arrive, vers 9 h. 20 du soir,

Nord,

le train

de

région minière aujourd'hui bombardée.

Un

la

ami m'avait

dit

Venez, vous verrez

«

:

descendre des wagons nos petits réfugiés de

Béthune, vous causerez avec eux. trente

d'annoncés.

»

Le

je

en remontant

commençais

manque

la

à croire

queue du

train,

comme

le flot

que

correspondance,

tout à l'heure laquelle,

y en a

train n'eut pas de

retard. Il était fort long, et, le trottoir

Il

je suivais

des voyageurs,

les petits

je

avaient

vous

dirai

lorsque, tout à la

en dehors du hall

vitré, j'en-


ENFANTS DE LA MINE. tendis sonner des voix fraîches

Madame!... Oui maman! ilrjà

»

deux mères, bien

les

accompagnaient,

sûr, car elles faisaient effort

Nous ne pouvons plus abandonner,

pour

pas; (|ui

Les enfants étaient

ne point pleurer, et leur regard disait

[lour

("est

ici!...

colonne venait au pas menu.

Deux femmes de mineurs

les

Par

«

:

rangés quatre par quatre, petits garçons,

[letites filles, et la

«

359

ils

les nôtres,

pour eux

;

il

ils

:

faut

ceux des voisins,

sauver! » Eux,

les

et

ne pleuraient

avaient des mines lasses, et des yeux

ne regardaient

uamins,

rien

fiérots, fils

relevaient

rien,

de porion peut-être, et qui

menton à

le

sauf deux ou trois

dans Paris.

l'entrée

Peu de chapeaux, point de bonnets, beaucoup de cheveux blonds. était,

parti

le meilleur, et

Je vois bien, çà et

ans dont

bien

est

comme on

hâtivement, avec un vêtement propre,

mais pas toujours

gros

On

le

le

six

ceux qu'on envoie aux soldais, dans l'enveloppe

kilogramme, au plus. Mais pendent

sans bagage.

une voyageuse de

bras s'arrondit et retient un paquet

comme serré

là,

la

de

toile

:

plupart des bras

long des robes ou des vestes.

n'a rien emporté.

On

est

un

On

une pauvre créature,


aujourd'hui et demain.

360

de

séparée

la

maison

sans

provisions,

sans

paysage,

de

famille,

la

la

du

et

moindre

connaissance des personnes et des choses qui

vont venir,

abandonnée à Elle

pour dire

et,

du grand

la charité

charité

cette

est là,

entièrement

vrai,

Paris.

qui sait souffrir

aussi bien que donner. Plusieurs dames de

la

Ligue fraternelle des enfants de France accueil-

commencent

lent les réfugiés, et

pour

renseignements

à prendre les

de

répartition

la

la

colonne en plusieurs groupes, dont l'un s'en

demain ou après-demain, vers

ira,

pagne de Bordeaux,

l'autre

vers l'extrême Midi. Les toutes paysannes,

de

la

voisine

que

— presque

qui logeront les enfants

cette misère. Je

et

prévenues.

demande

à

ma

:

Ils

sont bien plus de trente

Oui, monsieur les

cam-

en Ardèche, l'autre

familles,

mine sont déjà choisies

Nous suivons

— —

la

:

!

cinquante-trois.

C'est

Allemands ont beaucoup bombardé,

ces jours-ci

:

ils

tirent sur les puits de mines,

sur les machines,

sur les magasins, un peu

partout, et les enfants, les mères, les quelques

vieux mineurs demeurés

au pays,

risquent


ENFANTS DE LA MINE. quand

tués,

(l'être

sortent

ils

361

des

caves.

L'hôpital d'IIazebrouck est peut-être plus triste à visiter qu'un autre les âges,

n'ont

et

que de vouloir rue.

les blessés sont

:

de tous

à l'ennemi d'autre tort

fait

travailler,

Nous avons déjà

ou courir dans

la

placé plus de quatre

cents enfants.

— D'où viennent ceux-ci? — D'Aix-Noulette, de Bully-Grenay, à

qui est

1500 mètres des tranchées allemandes, de

Fleurbaix, qui en est seulement à loO mètres;

de Hersin-Coupigny, de Mazingarbe. Toute la it'gion

occupée

est

Anglais,

et

point central

Voyez

les

des villages du front jusqu'au

oîi est le

rendez-vous.

cœur. Pour nos enfants, tiers.

par

eux qui transportent nos

c'est

petits réfugiés

militairement

cette

ils

Ils

ont du

s'exposent volon-

jeune femme

frêle, et

tant de pitié et de courage dans les

qui a

yeux? Elle

a voyagé avec ces petits, depuis ce matin, elle a tout préparé, elle

recommencera bientôt son

voyage de sauvetage. C'est nos consuls, tout^

dans

la

qui l'aident.

madame

la

femme d'un de

R. Ch.... Elle trouve par-

région minière, des dévouements

Le sous-préfet de Béthune, qui 21

I

est


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

362

un homme brave

vraiment au combat per-

et

a prévenu les maires que

pétuel,

tel

jour, à

heure, les enfants qui doivent quitter le

telle

On

se trouveront à tel endroit.

village

pla-

carde une affiche dans une salle de la mairie,

ou dans mères

Quand Dès

s'allonge.

tombe

plus, et

lendemain,

des

noms

La date dite,

dans

le

:

«

Effacez

prendre

transport

Ça ne

petits! »

Mais,

au bas de

La

serait

et

la page.

nuit, à l'heure

trop dangereux

une grande voiture d'ambu-

un chauffeur

émigrants.

les

mes

obus tombent de nouveau

fixée est arrivée. le

la liste

y a un peu d'accalmie,

effacés sont remis

jour,

les

leurs

inscrire

donc ça ne compte plus! les

lance, conduite par

quitte,

faire

journée a été rude,

la

qu'il

accourent

elles

pour

viennent

enfants.

le

cave qui sert de mairie. Et

la

On

anglais, vient

s'embrasse, on se

on pleure. Le rendez-vous général

est

à Béthune, mais je ne veux pas dire en quel

point

de

la

ville,

parce que les Allemands

seraient capables de tirer sur ce « rassemble-

ment ils

».

Là, les petits se reposent,

ils

dorment,

mangent, puis, au matin, précédés d'un

sergent de

ville,

surveillés, encouragés, sou-


ENFANTS DE LA MINE. tenus

s'il le

vous

ai

faut par cette

nommée,

dans

entrons

je

du grand voyage. de

hall

la

Nous

gare.

des bagages.

salle

ont

qui

petits,

du

la

mère adoptive que

se rendent à la gare. Et

ils

voilà la première partie

Nous sortons

363

Là,

ces

vu quelque chose

toujours

remuer autour d'eux, se trouvent au repos, tous ensemble,

regardant les uns

se

et,

les

autres, s'attendrissent et se souviennent. Quel-

ques-uns, les

plus faibles, les

plus tendres,

quelques-unes surtout, ont de grosses larmes

dans

yeux. Et je vois des dames qui se

les

penchent

qui parlent tout bas avec eux,

et

tandis que le

un peu ému, tant

la

envoyés

gendarme de lui aussi,

main au par

entrer dans

la

képi,

la

50,

de

que

préfecture

les

omnibus,

de police,

vont

la cour.

Le jeudi matin, visite

service, correct et

vient annoncer, en por-

j'ai

voulu compléter

la veille, et j'ai été

ma

au siège social de

Ligue fraternelle des enfants de Finance, rue

enfants,

revu les

chacun

Saint-André-des-Arts.

— «

dames

revu

les

j'ai

ne pleuraient plus,

et ils

des

J'ai

»,

petits

et elles interrogeaient

voyageurs,

formaient les


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

364

groupes, prenaient note des adresses, recom-

mandaient et

d'écrire

préparaient Il

le

souvent au pays de

l'ordre était parfait; qu'une

bonté véritable avait

son domaine;

fondée naguère par

Faure-Goyau, selon

la

madame

respectueuse de la

parents; et que les

deux voir

mères, »,

que

Lucie

formule que nous nom-

merions aujourd'hui d'union sacrée, trait

mine,

départ du lendemain.

m'a paru que

l'œuvre,

la

foi et

de

la

se

mon-

volonté des

femmes de mineurs,

Avenues jusqu'à

Paris

«

les

pour

ayant bien écouté, bien regardé cette

présidente,

ces

secrétaires

penchées sur

les

carnets, ces travailleuses volontaires qui distri

huaient

geuse

les

vêtements neufs,

qu'elles

avaient

et la

connue

dame voyala

veille

et

l'avant-veille et qui revenait encore ce matinlà,

n'avaient point tort de

tout pénétré

Monsieur,

les petits.

me

dire,

d'un air

:

j'ai

confiance, à présent pour


DES ENFANTS!

6 Juin 1916.

Le mariap^e doit redevenir fécond chez nous, sous peine d'extinction de la race. Tous les Français avertis.

qui

ont

quelque

Nous sommes

en décroissance,

lecture

la seule

la seule

qui

en sont

grande nation

aille

vers la mort.

nous y allons volontairement, ou, pour m'exprimer d'une manière parfaitement exacte, Va

y a des hommes industrie de supprimer

nous y sommes menés. dont ce la

fut l'affreuse

France dans

la paix,

moment de Ces hommes ont en ce

que

la

Il

comme

l'ennemi essaye

supprimer par

la guerre.

tué beaucoup plus d'enfants

les balles et les

obus allemands n'en ont 21.


aujourd'hui et demain.

366

tué, et n'en tueront.

Ce sont tous ceux qui ont

osé soutenir que le père et la

mère avaient

renoncer momentanément à

droit, sans

le

la vie

conjugale, de limiter la famille; tous ceux qui

ont accepté d'être complices, est grand,

dans

l'écrivain qui

crime d'avortement, depuis

le

fausse la conscience, jusqu'au

juge qui absout; ponsabilité,

et,

sans avoir la

ceux-là

tous

si

même

à la

res-

point

sont

n'en

exempts, qui ont participé depuis

nombre en

et le

campagne,

longtemps poursuivie, contre l'union

légitime et indissoluble de

l'homme

et

de la

femme. Qu'est-ce que cette entreprise contre la race?

Le premier mot qui vient à de

folie.

Mais non

:

des intelligences respon-

sables l'ont inventée,

des volontés libres la

poursuivent avec méthode.

hommes

et

l'esprit est celui

aux femmes

On

qu'ils

affirme

aux

n'ont aucun

ordre à recevoir, ni de Dieu, ni de la nature. C'est la répétition

commencement

du

no7i

serviam prononcé au

des temps. Mais

primitif fut individuel

:

les

le

non serviam

anges qui

le

pro-

noncèrent ne devaient pas se reproduire. Chez

l'homme,

il

vise

ceux qui ne sont pas encore

,


DES enfants! qui

et

pourraient être; il

veut

n'y aura

plus

création; il

le

prétend arrêter la

il

néant

367

plus de serviteurs,

:

d'hommes,

la vie est abolie

sur la terre!

De

telles

doctrines découvrent

l'abîme

puissance

mauvaise en révolte

contre

la

:

bonheur

le

empêchant de

possible, et qui travaille, en

naître, à l'imperfection

du nom-

bre des élus.

Assurément ceux qui mènent contre l'humanité, et

secrètement contre

le ciel, cette

monstrueuse, ont des puissances

guerre

alliées

:

la

richesse et surtout la richesse facile et neuve; la

peur de perdre certaine place où de commande;

est

d'autres.

la

débauche,

la stérilité

l'alcool

et

Mais ces forces sont secondaires. La

plus redoutable est celle qui pervertit l'esprit et

supprime

de ce qu'on tion

le

remords

nomme

que l'homme

la

et la

c'est

l'enseignement

morale

libre, l'affirma-

femme

sont maîtres de

:

aux

leur corps, maîtres de se soustraire naturelles,

darrêter

la

et,

propagation de

persuasion, jetée k travers

la vie; c'est cette

la foule,

êtres maries ont le droit de dire qu'il est

lois

sans se sacrifier eux-mêmes,

en nous,

le

monde

:

que deux «

Autant

sera détruit. » Et 21..


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

368 cette

formule n'a rien d'exagéré,

traduction

de la

rigoureuse

tous les

ménages pensaient

même,

monde ne

le

est la

elle

car

vérité,

et faisaient

si

de

durerait plus que quelques

années.

Je

rappellerai

l'heure.

ce

point

Voyons d'abord

tout

essentiel

à

les destructions prin-

cipales entraînées par la limitation de la famille.

Le nombre diminue. A cause de familles

cela, les

sont moins heureuses. Les familles

nombreuses sont

celles oii l'enfant a les meil-

leures chances d'être bien élevé, d'avoir une

jeunesse gaie

et disciplinée,

d'apprendre

la vie

à l'école vivante, et d'être sociable dès ses pre-

miers pas. L'enfant unique a souvent envié

la

maison où

le

l'on n'est pas seul. Il

nombre, dans la vie,

le

mouvement

et

une douceur qui compense

vitable.

y a dans

l'abondance de le tracas iné-

Les parents ont une rude

et

longue

tâche, mais elle n'est pas sans compensation.

Assez

vite,

d'ailleurs,

elle se

trouve plus ou

moins partagée. Sauf un moment, lorsque

les

enfants sont tous eh bas âge, les parents sont aidés

dans

le

soin

des plus petits par la fdle

aînée, et le premier apprenti ajoute sa petite


DES enfants!

369

au gain du père. Si l'on prend une

journée

famille de cultivateurs,

il

n'y a aucun doute

de ne pas dépendre des valets de ferme,

tant

au large dans une

les

les Feuillet,

Il fallait

quatre grands gars de

quand

ils

et

de

terre bien « faite ». J'ai

d'exemples dans la mémoire!

naguère

la

moyen

famille nombreuse, c'est la richesse, le

vivre

:

mes

voir

voisins,

enjuguaient quatre paires

de bœufs, après la sieste de midi, et qu'ils partaient par les

drement à la

et

chemins divergents, regardés ten-

fièrement par la mère, qui s'accoudait

demi-porte de

la

maison,

et

qui ne savait

auquel envoyer son petit signe de car

ils

l'air.

la

Et

tète amical,

regardaient tous sans trop en avoir elle

sentait leur

cœur qui ne

s'éloi-

gnait point avec eux.

Dans

ces familles, la vieillesse n'est point

abandonnée, pas autant. Une famille nombreuse, c'est

une assurance de

seulement en argent, et celle

pas

une dignité. Celui

qui laisseront après eux des enfants

n'ont pas trompé la ils

retraite, et qui n'est

et c'est

communauté

en ont assuré l'avenir;

ils

oîi ils

vivent;

ont diminué la

charge de leurs concitoyens en multipliant

nombre des

le

vivants. Après eux et par eux, le


AUJOURD'HUI ET DEMAIN.

370

monde

plus

sera

riche

d'énergie,

d'intelli-

gence, et mieux défendu. Le père, en

effet, s'il

n'a pas eu l'occasion de se battre personnelle-

ment pour son quatre

trois,

pays, a

fils

fait

des soldats

deux,

:

représentent dans l'armée

le

aux jours du danger,

et

sang de leurs veines

et

il

est présent

dans

dans

le

courage qui

le

se transmet aussi et s'éduque. Si les pères et

mères avaient

leur devoir, l'Allemagne,

fait

en 1914, n'eût pas osé déclarer

la guerre.

aurions été à égalité de nombre, reste,

riorité

pour

et,

Allemands sentent bien que

les

En

n'est pas de notre côté.

nous leur en avons administré

Nous l'infé-

tout cas,

preuve.

la

le

De

sorte que l'immoralité est la cause première de la présente

guerre

:

empêché de

elle a

ceux qui eussent défendu avec nos attaqué,

et

encore de

maintenant,

la

comme vous le

Le chef de

fois.

Deux

lui

avaient

fois

il

homi-

voyez.

famille

est

donc quelqu'un de

grand, d'honorable et de précieux pour

Seul même,

pays

responsable

est

mort des enfants qui

échappé une première cide,

elle

naître

fils le

est précieux, seul

il

intéressé à la prospérité publique,

est

l'État.

vraiment

aux bonnes


DES enfants!

371

aux bonnes finances, aux projets qui ne

lois,

seront mis en œuvre qu'avec le temps. Seul,

il

est partie intégrante de l'édifice, pierre agrafée

à celles qui sont au-dessous et à celles qui sont au-dessus.

Le danger de apparaître

la

grand

si

dépopulation a

par

fini

imminent que tous

et

les

hommes

capables de réfléchir se sont mis à en

chercher

les causes.

On

les a

découvertes, et

d'abord les moindres, les petites.

Il

quante ans d'économie politique, ports, et de discours, et

de

cause principale, qui est la fût

que

généralement avouée, la

morale

est

livres,

a fallu cinet

de

rap-

pour que

la

stérilité volontaire,

et cela vient

de ce

une puissance royale, qu'on

ne peut appeler sans reconnaître son autorité, qui ne se plie point à nos caprices et à nos erreurs, et qui est,

pour tout

l'ombre vivante de Dieu. sent,

on tâche de dissimuler

les autres et

mais

enfin,

sommes

Un

On

dire,

parmi nous,

nomme

à pré-

cette cause

parmi

la

de l'accabler sous leur nombre,

on ne peut plus

l'ignorer.

Nous en

là.

savant des plus connus de notre France,

M. Armand Gautier, membre de l'Académie


aujourd'hui et demain.

372

des

l'Académie de médecine,

sciences et de

une brochure, également

vient d'écrire

par la forme et par la raison, sous ce

Pour

la fécondité des familles françaises.

emprunte ce passage

cœur de tout honnête homme, soit pas religieux.

Mais

ont toujours été

ment

de

et

:

Je lui

au fond du

gît

qu'il soit

n'est-il

religions, chez tous les

les

titre

:

morale naturelle

« Certes, la

belle

ou ne

pas certain que

peuples

civilisés,

une école populaire de dévoue-

haute

Voyez notre

moralité?...

Bretagne, notre Lorraine, notre Vendée, les Flandres,

l'Italie,

partout

Pologne,

la

religieuses la famille est féconde. italien et libre

de dire

:

En

Canada...,

le

se sont conservées les traditions

penseur

tous jmys,

Nitti n'a

Le

socialiste

pu s'empêcher

la religion

pousse à

la

fécondité. »

Vous

qui voulez

ardemment que

la Patrie

française puisse grandir, défendre ses foyers et

son influence bienfaisante dans

le

monde,

respectez donc l'esprit religieux. »

D'autres

moyens sont proposés pour ramener

à la vie la race la paternité

menacée.

et aider les

On

veut récompenser

parents.

M. Armand


DES ENFANTSi

373

Gautier propose, par exemple, que, dans les élections, le père de famille ait autant de voix qu'il a d'enfants vivants.

Ailleurs,

de décider que

tout

sera déchargé

du service

l'augmenter bientôt sans

avec

raison, et

sacrifice consenti.

que

de quatre enfants

père

militaire,

ce

qui

momentanément l'armée que pour

n'affaiblirait

le

propose

il

aucune proportion Il

demande, avec

la loi élargisse la liberté

supprime

la nécessité

de tester,

du partage en nature.

La Chambre de commerce de Nancy, remarquez-vous pas

les initiatives

presque toujours sensées

France

prennent en

les

et

— ne

nombreuses,

pratiques,

que

Chambres de com-

merce? Elles semblent appelées à jouer un rôle important

— donc,

la

a rédigé

une

dérants

bien

dans

le

relèvement de

la

France;

Chambre de commerce de Nancy série de

bôtis

vœux, précédés de consiet

enchaînés,

sont

exposés les divers aspects du problème de

la

population. Elle aussi, elle propose qu'il soit attribué

aux chefs de famille un nombre de

suffrages en rapport avec le

enfants

:

que

des

nombre de

leurs

exemptions particulières

d'impôts soient reconnues aux familles

nom-


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

374

que des subsides, sous

breuses;

leur soient accordés; que les entre-

formes,

permettant aux

de travaux

prises

différentes

de

villes

faire disparaître les quartiers insalubres soient

activées et encouragées

par l'Etat; que

les

pouvoirs publics prennent des mesures pour rendre efficace la répression de l'avortement,

propagande

la

économistes

malthusienne,

Certains

etc.

une prime

parlent d'offrir

en

espèces pour chaque nouveau-né.

Tous être

ces

moyens,

employés.

et d'autres encore,

Je

n'y

auront une certaine

mal

si

terrible,

doive être

Codex ou

il

efficacité,

n'est pas de

essayé,

qu'il

contredis

qu'il

soit

appartienne à

et,

peuvent

point.

Ils

contre un

remède qui ne inscrit

la

dans

le

catégorie des

remèdes empiriques.

Un homme « Si la

les payer. »

jours,

d'esprit écrivait dernièrement

communauté veut Paradoxe où

des enfants, il

y

une part de vérité. Mais

a, le

:

il

faut

comme

tou-

grand moyen

de reconstituer la famille est ailleurs. Nous

sommes

ici

dans

le

domaine de

la création et

de la conscience. Nous n'y commanderons pas

uniquement par des moyens humains.

Il

sera


DES ENFANTSl

375

toujours vrai, quoi qu'on fasse et qu'on propose, qu'un enfant ça ne s'achète pas

donne. Vous avez

affaire à

deux

libertés

ça se

:

:

l'une

peut être tentée plus ou moins par vos offres, l'autre,

non. Use peut qu'aucune de vos inven-

tions ne combatte,

ou

la

même

de loin, l'objection

peur qui s'élève dans

l'esprit

La femme pourra craindre pour santé,

sa vie;

peut-être.

des époux.

sa beauté, sa

pour un voyage, pour moins

L'homme aura peur

de la longueur

du temps que demande l'éducation.

Il

faudra

toujours faire intervenir d'autres puissances, d'autres sanctions et d'autres attraits. Malgré

toutes les promesses législatives

jours

qu'une

charge en

famille

même

responsabilité en

il

restera tou-

nombreuse

même temps qu'une

une

ser^

temps qu'un honneur,

et

une

douceur.

De

plus, ce

les

exemptions d'impôts qui empêcheront

ne sont pas

les

esprits de se pervertir, et, été totalement vidés

de

cadeaux en argent, les

quand ceux-ci auront

la loi naturelle,

désha-

bitués de toute pensée supérieure à l'humaine, ils

se refuseront par orgueil, et

même

par un

certain besoin de nuire et de se révolter contre l'ofrdre, à se

soumettre aux directions de

la loi.


AUJOURD HUI ET DEMAIN.

376

On ne

repeuplera la France qu'en rétablis-

sant tout d'abord les notions faussées de la

conscience, en développant par l'enseignement, et

pour tous,

les vérités naturelles, et, si l'on

veut assurer complètement cette et qu'elle soit à la fois

renaissance

rapide et pleine,

il

fau-

dra, de toute nécessité, développer en France

l'enseignement de vérités encore plus hautes.

Le salut

est là.

communication

Dernièrement, je recevais

de la lettre écrite par une jeune

campagne beauceronne à une de Elle disait «

fille

de

la

ses parentes.

:

Je serai heureuse de peupler

le

ciel

en

élevant une nombreuse famille. Je ne veux pas être

une mère

tous

mes

inutile.

Je

me

petits anges, leur

vois au milieu de

donnant à manger,

raccommodant, nettoyant. J'aime beaucoup vie de

la

s'il fallait

la

ferme. J'aurais beaucoup de peine

un jour

quitter nos grandes plaines

de Beauce. » Oui, la Beauce, une Beauceronne!

Élevez les enfants petite.

Aidez

comme

les familles

d'enfants; accordez-leur des.

fut

élevée cette'

y a beaucoup exemptions d'imil


DES ENFANTSi pots, des primes, des

auquel

c'est

tout, faites des consciences,

Qu'elles connaissent

instruisez-les.

morale impérative. Notre race a tant

un devoir

France a manqué; on y revient, tant

la

mieux! Mais, avant et

honneurs;

377

qu'elle

fut

ainsi

guidée.

Et

il

hommes,

et

plus que vous

loi

été féconde,

Elle

y aura des femmes,

viendra.

la

le

et

rede-

des

ne croyez, pour

comprendre ces mots, familiers à tout peuple chrétien

:

témoins à C'est là

ment que

«

Multiplier les saints, ajouter des

la gloire

de Dieu

».

une pensée sublime toutes les

qui, plus sûre-

récompenses humaines,

peut refaire les familles nombreuses. Le passé

en témoigne, et

même

le présent.



TABLE

|é^

CHOSES DE LA MAISON UN DEVOIBMATERNEL LESDEUX CAMPS

15

l'officier

26

1

6

* LA TRANCHÉE NÉCESSAIRE

33

LA FRANCE DU LEVANT l'enfant DE PATRONAGE

41

50

DISCOURS AUX PUBLICISTES CHRÉTIENS ...

80

l'esprit DE FERMETÉ LES PERMISSIONNAIRES

67 "8

SENTENCE PONTIFICALE l'idée DE DURÉE THÉOPHILE BOUCHAUD VENDÉEN

95

FAMILLES FRANÇAISES MORALE DU « FRONT TENIR » AUX CHAMPS

85

103

112

120

IA•ordre

131

140

A TOUSSAINT EN ALSACE FAITS d'armes au CAMEROUN

148

EBIEN DESAUTRES LE RÔLE MATERNEL DES INSTITUTRICES LOUIS GEANDREAU

165

155

I.

ARRAS TERRITORIAUX RÉPONSES DU LEVANT

.

.

.

172 180 193

200 208


TABLE.

380

LES RUSSES LE «CUISTOT» LE PETIT SACRIFICE LE SIÈGE d'oUM-ÊS-SOUIGH

214 225

233 239 248 258

ennemis publics l'une d'elles LES clairvoyants PETITS ET GROS JEAN DU R08EL

266

273 279

FRAGMENTS DU POÈME HÉROÏQUE RÉFLÉCHIR

285

292

l'exemple LE « DROIT AU BONHEUR » LA DEVISE DU MARIN LE MINIMUM DE SALAIRE LA CONNAISSANCE DE SOI-MÊME ET D'aUTRUI. LES SOMMETS HISTOIRE DE DEUX FLEURS BLEUES ENFANTS DE LA MINE DES enfants!

287-16.

Coulommiers. Imp. Paul

O

BRODARD.

300 308

314 324 333 343 350 358 365

7-16.




iv^ Wl

»

PQ

JL

U

t*J\JnJ

Bazin, René Aujourd'hui et demain

:a93 B3A8 1916

PLEASE

CARDS OR

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SLIPS

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